Vous êtes sur la page 1sur 9

Première partie : Diversité des formes et enjeux de l’écriture de soi

Vous trouverez dans ce document une série d’extraits de textes autobiographiques,


relevant donc de l’écriture de soi, assortis de questions en vue de vous entraîner à
l’épreuve finale.

Ce qui vous est proposé ici est une sorte de promenade dans des textes, qui suit un
ordre chronologique et répond à plusieurs objectifs :

- percevoir une continuité, une persistance de la question de l’expression de soi dans le


champ littéraire, mais aussi une évolution, avec le développement du pré-romantisme
puis du Romantisme et un besoin accru d’exprimer ses sentiments et ses sensations,
mais aussi avec les apports de la psychanalyse et des sciences humaines.

- découvrir la diversité des formes (qui se prolongera dans les deux autres parties de ce
cours) de l’écriture de soi : ne figurent pas dans ce premier parcours le journal, la poésie
ou des textes théâtraux.

- comprendre les enjeux de l’écriture de soi évoqués dans le cours sur l’autobiographie

- s’approprier des éléments théoriques comme le pacte autobiographique, la dimension


« argumentative » de ce type de textes (constitution d’un éthos, mise en place d’une
captatio benevolentiae, stratégie pour créer de la croyance et donner une crédibilité à une
voix qu’il faut croire sur parole…)

- se former une « culture », un socle de références sur le genre de l’autobiographie.

Certains extraits sont accompagnés de remarques pour éclairer / compléter votre


compréhension du texte.

Les questions sont à travailler, pour vous, au brouillon : c’est un travail nécessaire en vue
de l’épreuve finale. Je vous indiquerai ultérieurement un texte précis à préparer et pour
lequel je ramasserai les travaux effectués.

————-

Montaigne, Les Essais, 1580-1588

Vocabulaire : 1 : que = sinon 4 : conditions et humeurs : tendances et goûts


2 : à ce que : afin que 5 : naïve : naturelle, spontanée
3 : aucuns : certains 6 : entre : parmi

Questions :
- Quel est le projet de Montaigne ?
- Comment l’auteur construit-il un ethos et une captatio benevolentiae ?
Quelques précisions sur Montaigne et les Essais

Les Essais forment une oeuvre qui s’est constitué par couches, par strates, au fur et à mesure du temps.
Montaigne y évoque différents sujets, des thèmes sur lesquels il développe des analyses, des réflexions à
partir de son expérience personnelle, de ses lectures, de l’actualité de l’époque. Le texte propose une
approche singulière, particulière, à partir du point de vue de l’auteur.
Mais ce qui est remarquable et unique dans l’histoire de la littérature, c’est que Montaigne construit un
« work in progress » : un travail en construction permanente, qui revient sur des sujets déjà abordés pour y
apporter un nouvel éclairage, fruit de son évolution personnelle, sans jamais enlever à ce qui a été écrit, en
rajoutant de nouvelles remarques, parfois en contradiction avec ce qu’il avait noté autrefois. Montaigne
commence les Essais en 1571 et ne cessera de les faire évoluer jusqu’à sa mort en 1592.

De 1571 à 1580, il s'enferme dans son château. Il a le goût des livres. Il lit. Et comme il va de préférence aux
moralistes et aux historiens, et qu'il ne lit point passivement, l'esprit critique s'éveille en lui ; il pense, il juge,
il prend des notes. Pour juger, il compare. Le terme de comparaison qui lui est nécessaire, il le prend en lui-
même, en l'homme qui est en lui. Montaigne s'engage donc insensiblement dans la rédaction de ses mémoires
« psychologiques ». C’est ainsi que se forment, au jour le jour, les deux premiers livres des Essais (1580).
Puis Montaigne, mûri par les voyages et par l'expérience, revient à ce qu'il a déjà écrit ; il le complète, il le
fortifie, il le confirme, et il entrevoit d'autres sujets, d'autres chapitres. C'est l'édition en trois livres qui sort
de cette seconde période de retraite (1588).
Il reprend une troisième fois son ouvrage ; et, comme à l'approche de la vieillesse bien des choses
apparaissent, auxquelles on n'avait pas songé, Montaigne ajoute encore, et prépare la nouvelle édition qu'il ne
verra point (1595). Plus sceptique peut-être, mais surtout plus sage, il estime que l'on ne saurait trop prouver
aux hommes la nécessité d'être modérés et tolérants. Aussi accumule-t-il les citations et les anecdotes, car il
ne veut pas être cru sur parole, et il appuie ses réflexions du plus grand nombre possible de témoignages.

On peut donc dire que cette oeuvre reflète les « métamorphoses » ou les fluctuations du Moi de l’auteur, les
changements qui se sont opérés au fil du temps dans sa pensée, ses conceptions de l’homme, de la vie, son
rapport à la mort… Ce qui en fait donne une unité à cette oeuvre, c’est le genre du texte, l’essai, qui
permet d’accueillir de nombreuses formes littéraires (récits, argumentations, citations, commentaires
de textes, confidences personnelles…) et le projet, une tentative une pensée dans sa genèse, son évolution.
Mais les positions, les opinions différentes qui coexistent dans le texte viennent perturber la continuité du
texte et son unité. C’est presque l’oeuvre, en fixant différents moments de la pensée d’un individu au
moment où il les éprouve (et non par une reconstruction, une relecture à partir d’un moment unique qui serait
celui de l’écriture rétrospective) qui donne une unité au sujet Montaigne et à son Moi.
1 : lettre à M. de Coulanges
2 : au sens propre : maladie des yeux

12 : frère de Louis XIV
14 : courrier

Mme de Sévigné, Lettres


A propos des Lettres de Mme de Sévigné

On recense aujourd’hui 1120 lettres de Mme de Sévigné, dont 764 à sa fille Mme de Grignan, 126 à son
cousin Bussy, et 220 lettres adressées à 29 autres destinataires.
La première lettre de Mme de Sévigné adressée à sa fille date du 6 février 1671. Cette dernière qui s’est
mariée, l’a quittée deux jours plus tôt pour habiter avec son mari. La marquise de Sévigné a quarante-cinq
ans depuis la veille. Nait une correspondance entre une mère et sa fille qui va durer un quart de siècle.
Ses lettres ont de multiples facettes : elle exprime les sentiments de son auteur, tentent de recréer ou
maintenir un lien avec sa fille, mais dressent également lia peinture d’une époque, de la cour, des salons,
évoquent les intrigues, les ragots, les scandales qui circulent alors. Il s’agit de donner le sentiment d’une
présence à une absente.
La forme épistolaire a à voir avec l’expression de l’intime et de la sensibilité. Sur le plan de
l’énonciation (écriture du « Je » qui s’adresse directement au destinataire) d’abord, mais aussi parce
que c’est une forme dans laquelle s’inscrit la marque du corps (écriture manuscrite, avec des « traces »
du corps). Une des fonctions de la lettre est d’abolir la distance, la séparation, en suscitant le sentiment
de la présence.
On retrouvera donc dans la lettre l’expression d’une subjectivité marquée, affirmée, dans le lexique
(utilisation de termes appréciatifs, évaluatifs, d’hyperboles…) et dans l’emploi d’une ponctuation
expressive notamment.
Les Lettres de Mme de Sévigné sont prises dans une tension entre « informer » (rendre compte d’un
événement) et communiquer (rendre compte de l’effet produit par cet événement sur l’énonciateur et
susciter cette même émotion, cette même impression chez le destinataire).
Questions :

- Comment Rousseau présente-t-il son projet ? En quoi cela constitue-t-il une captatio benevolentiae ?

- Quels éléments permettent-ils de douter de la sincérité absolue de l’auteur ?


A propos des Confessions de Rousseau
Pour la biographie de Rousseau et plus d’informations, cf. Cours sur l ‘éducation.
Les Confessions de Rousseau sont considérées comme la première autobiographie « moderne ». Par
le titre, Rousseau s’inscrit dans la filiation de St Augustin auquel d’ailleurs il empruntera certains
passages ou anecdotes en les présentant comme personnelles (le vol de pommes dans un verger
quand il était enfant).
Les confessions sont avant tout une entreprise de justification, comme en témoigne le 2ème tome
qui accumule des preuves, comme s’il s’agissait de constituer un dossier en vue d’une plaidoirie. En
effet, Rousseau est alors victime d’une cabale organisée par les philosophes, avec à leur tête
Voltaire et Diderot. Rousseau cherche donc à se réhabiliter aux yeux du monde, à donner sa version
des faits, un témoignage sur lui-même.
L’oeuvre relève aussi de la littérature de l’aveu, qui fonctionne aussi comme procédé rhétorique
pour accréditer le texte : aveu d’un peigne cassé, d’un ruban volé, du plaisir ressenti à recevoir des
fessées qui le poussera à multiplier les « bêtises » enfant, aveu d’une culpabilité qui ne l’a plus
quitté depuis qu’il a fait renvoyer une domestique à sa place…
Mais l’oeuvre rend aussi compte de la sensibilité de l’auteur, de son goût pour la nature, la rêverie,
la solitude, d’un rapport au monde sensible. Egalement, elle restitue l’évolution de l’auteur, le
développement de sa pensée de sa personnalité, les métamorphoses ou les changements qui se sont
imprimés en lui : il y a dans ce texte une entreprise de rationalisation, une tentative de donner une
unité à ce qui dans la vie n’en avait pas forcément, de se saisir à partir d’un point unique, le moment
de l’énonciation, ce qui pose le problème de la catégorie de la fin (voir cours) : sa tentative débute
par la fin, le moment où il écrit, et tout ce qui va suivre sera orienté pour parvenir à justifier et
expliquer comment il est devenu ce qu’il est, l’auteur des Confessions.
Le postulat de Rousseau est qu’il est possible de se saisir, de restituer une image fidèle de soi par le
récit des événements qui lui sont arrivés et la description de leur résonance en lui. La psychanalyse
n’étant pas encore passée par là, il ne s’interroge pas sur la possibilité et la manière de restituer des
couches profondes de son Moi.
Questions :

- comment l’auteur met-il construit-il une captatio benevolentiae ? En quoi réside l’intérêt de son
texte pour le lecteur ?
- Quelles marques dans le texte relèvent-elles d’une tonalité romantique ?
- En quoi cet incipit est-il caractéristique du genre des Mémoires ?
Quelques remarques sur Chateaubriand et les Mémoires

C'est à Rome, vers la fin de 1803, que Chateaubriand conçoit pour la première fois l'idée d'écrire les
mémoires de sa vie. C'est un récit autobiographique et historique, dont Chateaubriand voulait faire
un témoignage posthume, commencé en 1803, rédigé principalement de 1811 à 1822, et achevé de
1830 à 1841.
Dans cette œuvre, il retrace les épisodes principaux de son existence, des landes bretonnes aux
forêts du nouveau monde, de l'armée des princes en Allemagne à l'exil en Angleterre. Les Mémoires
tiennent du récit autobiographique tel que l'avait pratiqué Jean-Jacques Rousseau. Chateaubriand
livre les secrets de son inexplicable cœur, se présentant comme le véritable René, révélant l'origine
des sentiments qu'il avait prêtés aux êtres imaginaires de sa création et expliquant comment peu à
peu ces personnages ont été tirés de ses songes. Chateaubriand transforme les Mémoires en un
discours funèbre appelé à enregistrer de façon privilégiée les changements survenus dans l'histoire :
disparition des hommes et des paysages, des croyances, des mœurs et des institutions.
Chateaubriand semble fasciné par les ruines, la trace de ce qui fut, visite les cimetières, compte les
morts et raconte les agonies. Il s'agit aussi d'un poème lyrique dont les sources d'inspiration sont
nombreuses : la nature, la mer en particulier, l'amour, la jeunesse, la fuite du temps… Un double
thème domine, la poésie du souvenir et de la mort. L'immortalité promise par la foi chrétienne ne lui
suffit pas : il veut être immortel par sa gloire, dans la mémoire des hommes. C'est également un
poème épique car si Chateaubriand n'aime pas Napoléon, il l'admire pour son sens de la grandeur.
Retomber de Bonaparte et de l'empire à ce qui a suivi, la restauration puis la monarchie de Juillet,
c’est tomber de la réalité dans le néant. Il s'annonce très clairvoyant lorsqu'il annonce l'avènement
de la démocratie.
Du vivant de l’auteur les Mémoires ont été publiés en feuilleton dans un quotidien quoique l’auteur
se soit opposé à cette idée. Les Mémoires ont une valeur historique par les renseignements que
fournit l’auteur sur son temps et sur lui-même mais il ne respecte pas l’exactitude matérielle des
faits parce qu’il procède à des interprétations et des arrangements stylistiques. Les Mémoires sont
surtout un immense poème en prose dans lequel l’auteur procède à une « auto-justification » et une
« auto-glorification » en présentant son action, sa vie sous un angle « héroïque ».
Chateaubriand fait partie de la première génération de romantiques français, plutôt favorables à
l’Ancien-Régime, et qui ressentent avec douleur, mélancolie, la fin d’une époque et des valeurs dont
elle était porteuse, et l’avènement d’une nouvelle dont ils méprisent les valeurs bourgeoises.
Son style, use et abuse de la cadence ternaire, des envolées lyriques, des hyperboles et des
métaphores empruntant aux éléments.

Vous aimerez peut-être aussi