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La critique de Montaigne

Mais nous allons voir que la vision de Descartes sur la notion du langage ne rejoint pas du
tout celle de Montaigne, on peut même dire qu’elles s’opposent.
On assiste donc à un duel philosophique, entre l’auteur “des Essais”, c'est-à-dire
Montaigne, et l’auteur du “Discours sur la méthode”, Descartes.
Tout d’abord, Michel de Montaigne, plus connu sous la simple dénomination de Montaigne,
né en 1533 et mort en 1592, est un philosophe, écrivain, humaniste et moraliste français de
la Renaissance. Il est notamment renommé pour ses "Essais", une œuvre philosophique
majeure. Influencé à la fois par le stoïcisme, l’épicurisme et le scepticisme, il y aborde une
immense diversité de sujets différents, qu’il traite à la fois en écrivain et en philosophe.
Il souligne dans ses essais une différence ontologique profonde entre l’homme et l’animal. Il
s’agit à la fois d’un exercice d’humilité sur le plan moral et d’un effort de vérité sur le plan
philosophique. Le langage est ici l’un des sujets étudiés dans le cadre de ce projet global.

C’est alors que contrairement à Descartes, le langage se trouve aussi bien chez les animaux
que chez les êtres humains.

I – Incompréhension mutuelle : à qui la faute ?

1) Les animaux et les hommes ne se comprennent pas


mutuellement

L’argument qui ouvre le raisonnement de Montaigne est le suivant : de l’incompréhension


mutuelle entre l’homme et l’animal, on ne peut pas déduire que l’homme parle tandis que
l’animal ne parle pas. En effet, il est tout à fait possible que les animaux s’expriment dans
des langages intelligibles pour eux, mais inintelligibles aux hommes. Si les animaux
raisonnaient comme nous, ils pourraient considérer que nous sommes dépourvus de
langage parce qu’ils ne comprennent pas nos paroles, ce qui serait évidemment une erreur.
C’est pourtant l’erreur que nous commettons.
Un autre argument montre qu’on peut ne pas comprendre un être sans pour autant être
autorisé à conclure qu’il ne possède pas le langage, et c’est tout simplement qu’il existe
d’autres hommes que nous ne comprenons pas (Montaigne prend l’exemple des « Basques
et des Troglodytes »). On doit appliquer la même logique aux animaux et aux Basques,
c’est-à-dire admettre la possibilité qu’ils aient un langage que nous ne comprenons pas.

2) L’injuste partialité des hommes

Montaigne, par une question rhétorique, suggère implicitement que c’est un préjugé de
l’orgueil qui préside à notre jugement péremptoire sur les animaux :
Ce défaut qui empêche la communication entre elles et nous, pourquoi n’est-il aussi bien
à nous qu’à elles ?
Si nous nous empressons d’affirmer qu’ils ne possèdent pas le langage, c’est probablement
parce que nous les jugeons a priori inférieurs à nous. Il s’agit donc non seulement d’une
erreur de jugement, mais également, et peut-être prioritairement, d’une faute morale. Il nous
faut donc nous corriger sur ces deux points.

II – La communication entre les animaux

1) Communication intra- et interspécifique

En effet, une étude un peu plus honnête du comportement animal montre assez évidemment
que les animaux parlent. Il faut à cet égard distinguer deux types de communication :
premièrement, la communication entre animaux de la même espèce ou communication
intraspécifique (quand deux chiens aboient l’un contre l’autre par exemple) ; secondement, la
communication entre animaux d’espèces différentes ou communication interspécifique
(Montaigne prend l’exemple d’un cheval qui comprend la colère d’un chien en entendant ses
aboiements).

2) Signes vocaux, signes gestuels

Mais pour prendre toute l’ampleur du phénomène qu’est le langage animal, il faut faire une
distinction très importante, à savoir distinguer les signes vocaux et les signes non vocaux
(corporels notamment). En effet, si l’on réduit le langage au langage vocal (aux sons émis
par la bouche), on refusera à tort le langage à beaucoup d’animaux, ceux qui sont dépourvus
de voix ou qui l’utilisent rarement. Mais si on reconnaît l’existence du langage corporel, on
pourra identifier des phénomènes linguistiques chez un bien plus grand nombre d’animaux.
Ainsi, Montaigne écrit-il au sujet des animaux qui communiquent sans paroles :
Leurs mouvements discourent et traitent.

III – L’expressivité du langage corporel

1) L’exemple des mains et de la tête

On pourrait toutefois admettre l’existence d’un langage chez les animaux, mais soutenir qu’il
est peu développé par rapport à celui des hommes, qu’il est simpliste, grossier. C’est pour
répondre à ce type d’arguments que Montaigne incite, dans les paragraphes qui suivent, sur
l’extrême richesse potentielle du langage corporel.
Le premier argument de Montaigne s’appuie sur l’exemple des muets : nous savons qu’il
existe des êtres humains privés de parole, et nous savons aussi que leur communication par
signes est très riche, c’est-à-dire apte à exprimer une très grande variété d’informations et de
nuances. Montaigne souligne même que certains muets s’expriment si bien par signes que
leurs capacités d’expression égalent celles d’un locuteur parlant :
J’en ai vu de si souples et formés à cela, qu’à la vérité, il ne leur manquait rien à la
perfection de se savoir faire entendre.
Pour confirmer ce point, Montaigne s’appesantit sur deux parties du corps particulièrement
adaptées à la communication non verbale, à savoir les mains et la tête. Deux très longues
énumérations viennent ici souligner la grande expressivité de ces organes corporels :
Quoi des mains ? Nous requérons, nous promettons, appelons […]. De la tête : nous
convions, nous renvoyons, avouons, désavouons […], enquérons.
Bref, si le langage corporel peut être si expressif chez l’homme, il faut admettre qu’il peut
l’être de la même manière chez l’animal, et donc accorder à ce dernier non seulement la
capacité linguistique, mais aussi un degré d’expressivité comparable à celui des hommes.

2) Le langage est naturel à tous les êtres

Montaigne achève son raisonnement sur une idée importante qui découle des
considérations précédentes : le langage, loin d’être un artifice situé en dehors de la nature et
réservé à l’homme, est au contraire une capacité naturelle commune à tous les animaux. La
diversité connue des langues artificielles (comme le français ou l’allemand) chez les
hommes ne doit pas faire oublier ce fait plus fondamental que le langage en général est
naturel à tout animal.

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