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Chapitre préliminaire :

« Métalinguistique de l’essai littéraire »


Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

Introduction :

Dans ce chapitre intitulé « métalinguistique de l’essai littéraire », nous


abordons la notion de l’essai comme un genre littéraire dynamique, la
littérature contemporaine a vu son épanouissement. Nous étudions ses origines
et son évolution au fil des siècles, les grands thèmes qu’il frappe, ses objectifs
et ses formes ; tout en montrant à quel degré le terme "essai" est très
significatif de la nature et de la fonction de ce genre. Puis, nous présentons
une introduction concise sur Stéphane Hessel et son propre parcours, ainsi, un
exposé de notre corpus avec une étude de la particularité de ses formes et leur
rôle à dessiner le thème de l’indignation. Nous jetons également la lumière sur
l’argumentation pour montrer comment cette méthode permet à l’essayiste de
partager son point de vue avec son lecteur et de le convaincre par l’énormité
des scénarios décrivant le futur et suscitant l’indignation de l’Homme du
XXIe siècle. Nous étudions aussi le système de l’énonciation dans l’essai
littéraire comme un texte à visée argumentative ; tout en marquant comment
« l’essai […] tisse des liens étroits avec son lecteur »1.

1- L’essai littéraire :

1.1-Qu’est-ce qu’un essai ?

Etymologiquement, le terme "essai" est issu du latin, « exagium» 2 , qui


signifie épreuve et examen. Au Moyen-âge, il apparait dans des locutions du
type "faire l’essai" ou "mettre à l’essai". « Son usage au XVIe siècle introduit

1
-GEYSSANT, Aline. « L’essai, le dialogue et l’apologue », op.cit, p. 42.
2
- LAROUSSE, Le Petit Larousse, Paris, édition entièrement nouvelle, 1988, p. 413.

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la notion d’expérimentation» 1 . Puis, avec le développement de la science


expérimentale et le goût philosophique de l’observation directe et concrète
des faits, la notion du terme "essai" s’élargit pour désigner à la fois une
épreuve expérimentale, morale, physique et un examen de conscience. D’où
surgit l’esprit de libre examen qui s’est exercé dans tous les domaines de la
vie intellectuelle et littéraire au XVIIIe siècle, celui d’idées et de Lumières.
De même, intervient la démarche propre à l’essai littéraire où l’essayiste fait
œuvre de réflexion critique, il examine, soupèse et confronte des idées :
« l’essai suppose une démarche intellectuelle, une progression dans la pensée
qui doit être perceptible »2. Alors, nous pouvons dire que l’essai appartient à
la littérature d’idées et de réflexion qui constitue une nouvelle subjectivité,
une relation personnelle entre le moi et le monde.

Ainsi, pour Michel de Montaigne*, inventeur et fondateur de ce genre


littéraire, l’essai est « une démarche intellectuelle procédant d’une libre
analyse de tout sujet susceptible de retenir l’attention »3. Quel que soit le sujet
qu’il étudie, Montaigne en fait une réflexion qui part de son expérience
personnelle vécue. Il aborde de multiples sujets d’étude d’un point de vue
strictement personnel où il se penche sur l’amitié à partir de la douleur que lui

1
-GEYSSANT, Aline. « L’essai, le dialogue et l’apologue », op.cit, p. 38.
2
-BELLE-ISLE LÉTOURNEAU, Francine, « L’essai littéraire : un inconnu à plusieurs visages», in
Etudes littéraires, vol. 5, n° 1, 1972, p. 47.
* Michel de Montaigne ( 1533 : 1592) est un philosophe, écrivain érudit, moraliste de
la Renaissance, précurseur et fondateur des « sciences humaines et historiques » en langue
française.
3
- LANGLET, Irène. « LES THEORIES DE L’ESSAI LITTERAIRE DANS LA SECONDE MOITIE
DU XX EME SIECLE. DOMAINES FRANCOPHONE, GERMANOPHONE ET ANGLOPHONE.
SYNTHESES ET ENJEUX ». Littératures. Université Rennes 2 Haute Bretagne, 1995, p.132. (HAL
Id: tel-01246913https://hal-unilim.archives-ouvertes.fr/tel-01246913), consulté le 25 mars 2016.

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a occasionné le décès de son ami Étienne de la Béotie1, sur l’éducation en se


remémorant celle qu’il a reçue et sur la mort à partir d’un accident de cheval
qu’il a eu. Il ne raconte pas sa vie, mais il dépasse la biographie pour rejoindre
l’universel. Il s’efforce de peindre et d’incarner la réalité de la condition
humaine à travers l’observation de ce qu’elle a de plus quotidien. « D’autres
forment l’homme, moi, je le raconte»2 dit-il. Ses « Essais»3 apparaissent donc
comme un effort pour s’orienter à nouveaux frais dans la pensée pour saisir ce
qu’est l’Homme.

Pareillement, Stéphane Hessel suscite, à travers Indignez-vous!, Engagez-


vous! et Le Chemin de l’espérance, des thèmes cruciaux et touchants qui
bouleversent et doivent indigner la société mondiale du XXIe siècle et la
société occidentale en particulier tels que l’indifférence, l’irresponsabilité, la
violence, la pauvreté, la dégradation écologique à partir de l’indignation
qui lui a provoqué son expérience personnelle poignante avec le nazisme et
le fascisme inhumains, menant des millions de gens à la mort et à la torture.
C’est ainsi que l’essai est considéré comme « un type d’écriture [qui]
constitue pour l’auteur une sorte de mise à la preuve 4».

Alors, relevant de la littérature d’idées, l’essai est un « genre littéraire


particulier d’origine française 5». Il se définit, selon le Petit Robert comme

1
-Étienne de La Boétie ( 1530 : 1563) est un écrivain humaniste et un poète français. Il est célèbre
pour son ouvrage : Discours de la servitude volontaire.
2-http://salon-litteraire.linternaute.com/fr/resume-d-oeuvre/content/1849438-les-essais-de-
montaigne-resume) consulté 11 février 2016.
3
- Les Essais forment une œuvre majeure et monumentale de 107 chapitres. Montaigne cultive l’art
de la digression, passant des confidences autobiographiques aux remarques érudites pour en tirer
une philosophie pleine de sagesse sur tous les sujets de la vie.
4
- GEYSSANT, Aline. « L’essai, le dialogue et l’apologue », op.cit.p.9.
5
-VIGNE, Eric, « L’essai », Paris, Réalisation ad pf, 1997, p.4.

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« une œuvre en prose, à visée argumentative, de facture libre, de longueur


variable et ne prétend pas épuiser le sujet qu’il traite »1. Il n’est pas un roman
qui met en scène de personnages fictifs vivant des aventures imaginaires ; il ne
raconte pas une histoire ; mais il s’enracine dans la réalité concrète pour faire
réfléchir sur des faits ou des idées : « l’essayiste se met entièrement dans
l’espace du concret 2». L’écrivain de fiction peut l’utiliser, mais pour rédiger
ses pensées effectives et ses observations concrètes.

D’autre part, l’essai n’est pas un traité qui expose un savoir précis à des
fins didactiques, voire, il, au contraire, interroge et interpelle : « L’essai
n’assure pas la transmission d’un savoir, mais sa mise en scène ou sa mise
en question par le pouvoir d’un style ou d’une écriture»3. En somme, nous
pouvons dire que l’essai littéraire confronte des opinions, développe des
réflexions portant sur les sujets les plus divers et surtout expose un point de
vue personnel, en donnant un éclairage subjectif et partiel sur ces sujets.

Quant aux essayistes modernes, ils nous donnent la définition la plus large
et la plus précise de l’essai littéraire en le considérant comme une « tentative
de reconquête du territoire de la réflexion, une réponse spécifiquement
littéraire à de nouvelles inquiétudes intellectuelles»4. Alors, nous déduisons
que l’essai affirme une singularité de la pratique de la pensée et maintient la
littérature dans la construction des idées partageables qui font l’assise de toute

1
- ROBERT (Paul), "Le petit Robert", op.cit, p 1479.
2
- BENSE, Max. « l’essai et sa prose », op.cit, p 122.
3
- VERCIER, Le carme. « La littérature en France depuis 1968 », Ed. Bordas, p. 215.
4
- PICON, Gaëtan. « Problèmes contemporains : les essayistes », in Panorama de la nouvelle
littérature française, nouvelle édition refondue, Gallimard, 1960, p.225.

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culture. Ce qui nous incite immédiatement à étudier l’évolution de ce genre


littéraire dynamique connaissant une immense prolifération au fil des siècles.

1.2- L’évolution historique de l’essai littéraire :

Tout d’abord, nous pouvons dire que le premier essai est incontestablement
l’œuvre de Montaigne (1533-1592), intitulée précisément : Les Essais1 (1580-
1588-édition posthume 1595), comptée unanimement parmi les chefs-
d’œuvre de la littérature mondiale. Cette œuvre immense et foisonnante
constitue aussi « le seul livre au monde de son espèce»2, et propose au lecteur
plusieurs états de la pensée de l’écrivain sur des sujets divers. Ces Essais
« annoncent aussi la naissance d’une littérature critique, qui s’interroge sur
le moi, sur le monde et sur elle-même3.»

Humaniste imprégné de culture antique, Montaigne, très érudit, s’inspire


et se nourrit des auteurs qui l’ont précédé. Il confronte ses idées, ses opinions
aux leurs. En quelque sorte, il « essaie sa pensée en la frottant à celle des
autres et invite le lecteur à faire de même avec la sienne 4». Il fait l’essai de
son jugement mais témoigne des essais de sa vie, c’est-à-dire de ses
expériences personnelles. Il aborde des sujets universels et existentiels, des
questions liées à l’actualité de son époque. Son œuvre originale témoigne
vraiment d’une expérience exceptionnelle dans la littérature. En effet,
Montaigne apparaît, à travers les Essais, comme une figure emblématique de

1
MONTAIGNE, Michel Eyquem. « Essais », Ed. Jean Richer, Paris, 1587.
2-https://www.lepetitlitteraire.fr/analyses-litteraires/michel-de-montaigne/les-essais/analyse-du-
livre), consulté le 2 octobre 2016.
3
- GEYSSANT, Aline. « L’essai, le dialogue et l’apologue », op.cit.p.9.
4-(https://www.lepetitlitteraire.fr/analyses-litteraires/michel-de-montaigne/les-essais/analyse-du-
livre), consulté le 2 octobre 2016.

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l’intellectuel humaniste et, plus largement, de l’intellectuel, dans la mesure où


il refuse toute pensée figée.

C’est pourquoi, nous pouvons souligner que l’essai est un genre faisant son
apparition à la Renaissance, puisque c’est seulement à ce moment que la
pensée se sent libérée des dogmes et des préconçus. Comme l’humain devient
un nouveau centre d’intérêt, l’expérience personnelle, prend de plus en plus
d’importance.

Quant aux théoriciens du XVIIe siècle, époque du classicisme français, ils


ont négligé l’essai. Mais au XVIIIe siècle, il connaît un grand développement
sous l’influence des philosophes anglais comme John Locke 1 (Essai sur
l’entendement humain, 1690). Les philosophes rationalistes des Lumières se
mettent alors à pratiquer l’essai et s’attaquent à tous les sujets puisque la
littérature s’est mêlée à leurs revendications sociales. Leurs œuvres marquées,
par excellence, par la prose d’idées illustrent éloquemment cette tendance.
Parmi eux, citons Diderot, auteur d’Essais sur la peinture (1795) qui apprécie
la liberté de ton qu’autorise ce genre. D’Alembert (Essai sur les éléments de
philosophie, 1759), Voltaire (Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, 1756)
ou encore Rousseau (Essai sur l’origine des langues, 1781).

Au XIXe siècle, l’essai arrive à sa maturité et aucun domaine ne lui


échappe. De très nombreux essais sont publiés et portent notamment sur des
sujets historiques et politiques, ce qui s’explique par l’ampleur et le nombre
des bouleversements subis par la France dans ce domaine. La littérature s’est

1
-John Locke (1632 :1704) est un philosophe anglais, l’un des principaux précurseurs des Lumières.
Il considère que l’expérience est l’origine de la connaissance. Sa théorie politique est l’une de celles
qui fondent le libéralisme et la notion d’« État de droit ».

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trouvée engagée dans la vie politique pour devenir un moyen d’expression de


la démocratie nouvelle et pour aiguiser le sens civique des masses en
instruisant le peuple dans ses droits et dans ses charges. Certes, « à une société
nouvelle, il faut un art nouveau 1 .» C’est ainsi que Chateaubriand publie
un Essai sur les révolutions (1797). Les sujets privilégiés sont également
d’ordre artistique ou culturel, car les débats font rage dans ces domaines aussi,
comme en témoigne, par exemple, Racine et Shakespeare (1823) de Stendhal.
Au XXe siècle, le développement des sciences humaines ouvre à l’essai de
vastes horizons. Il aborde des sujets politiques (Retour de l’URSS d’André
Gide, 1936), moraux (Le Mythe de Sisyphe d’Albert Camus, 1943), artistiques
(L’Œil vivant de Jean Starobinski, 1970) ou encore scientifiques (Le Jeu des
possibles : essai sur la diversité du vivant de François Jacob, 1981). Il peut en
fait porter sur tous les domaines et il s’avère être un genre particulièrement
populaire.
Alors, nous observons qu’il a une multiplication et propagation des essais
au fil des siècles, comme si «l’essai est un reflet de l’histoire des idées avec
des moments d’effervescence passionnée et ses révolutions intellectuelles»2.
Nous montrerons dans cette étude comment « Stéphane Hessel a sonné un
tocsin moral avec Indignez-vous! 3».

En conséquence, nous pouvons révéler que l’essai littéraire frappe, dès son
enfance jusqu’aujourd’hui, les questions urgentes et les thèmes sociaux les
plus cruciaux.

1
-WASSEF, Amin Sami. « Panorama de la critique littéraire en France », Les Amis du Livre, 27
Rue Berket el Ratl Daher –Le Caire, p.38.
2
- BENSE, Max. « l’essai et sa prose », op.cit, p.35.
2-(http://www.lexpress.fr/culture/livre/engagez-vous-un-nouveau-hessel-pour-le-10-
mars_967474.html), consulté le 23 janvier 2016.

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1.3- Les thèmes de l’essai littéraire:

En effet, l’essai aborde de grandes questions à valeur générale, dites


universelles, qui sont d’ordre existentiel, comme la liberté, la condition de vie
humaine, la place de l’homme dans l’univers, l’amour, la mort, l’injustice,
l’inégalité, le pouvoir, l’humain, l’autre, la vie en société,…Il peut aussi nous
offrir une réflexion sur des problèmes d’actualité et réagir à ceux-ci comme
« La Société de consommation, ses mythes, ses structures» 1 , de Jean
Baudrillard, (1970) ou « Million de révolution tranquilles2 » de Bénédicte
Manier3 (2012).

De plus, plusieurs thèmes apparaissent dans des innombrables essais édités,


ce qui justifient à la fois, le succès de ce genre littéraire et la volonté du public
de trouver des réponses aux problèmes existentiels. Notamment que nous
vivons dans une période où les guerres engendrent les guerres, les hostilités
engendrent les hostilités, la violence engendre la violence. Certes, « Le monde
tend au repli identitaire, à l’enfermement sur soi, au solipsisme et à
l’exclusion de toute forme d’altérité.4»

Malheureusement, notre époque manque de « repères sûrs et d’idéologies


cohérentes [qui justifient] la quête de nouvelles réponses, voire de nouveaux

1
-BAUDRILLARD, Jean. « La société de consommation, ses mythes, ses structures », Paris,
Éditions, Denoël, 1970, réédition in Folio, 1986.
2
- MANIER, Bénédicte. « Million de révolution tranquilles », Ed. LES LIENS QUI LIBERENT,
Coll. “LIENS QUI LIBER, 3 novembre 2012.
3
- Bénédicte Manier est une journaliste française, spécialisée dans les questions sociales et de
développement.
4
-BISSANI, Atmane. « De la rencontre, essai sur le possible », Ed. Imagerie-Pub, Fès, 2009, p.42.

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maîtres à penser1 ». Cela ne signifie que l’essai est perçu comme un lieu de
réponse ; alors qu’il n’est qu’un moment de questionnement. Stéphane
Hessel, par exemple, s’interroge sur « le risque de l’indifférence [qui] court la
planète2», sur « la pauvreté [qui] ronge la France et l’Europe» 3 et sur « la
violence latente qui est capable de s’exprimer sans retenue. 4»

Par conséquent, nous pouvons dire que si l’essai est une œuvre de réflexion
qui expose un point de vue personnel portant sur des thèmes vitaux, il est
marqué par certaines caractéristiques qui le distinguent des autres genres
littéraires.

1.4- Les caractéristiques de l’essai littéraire :

1.4. 1)- L’essai est l’expression d’une subjectivité :

L’essai se caractérise particulièrement par un ton personnel où l’essayiste


se met en scène dans le texte et s’exprime en son nom propre. Il ne s’agit
cependant pas d’une autobiographie (texte narratif), mais il est un texte qui
propose une délibération sur un sujet, une réflexion, il expose et analyse.
L’auteur ne prétend pas épuiser son sujet tour à tour, mais lui confère un
éclairage original pour guider le lecteur vers le chemin de la vérité. De plus,
l’essai se distingue aussi du traité scientifique où le savant y reste dans le

1
-JOURJI, Abdelkbir. « Réflexion à propos du dernier ouvrage d’Atmane Bissani : Considérations
sur la philosophie de la rencontre », Libération, Mercredi 9 Décembre 2009, p.8.
2
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », édition revue et augmentée avec une postface des
éditeurs « la fabuleuse histoire d’Indignez- vous ! », Montpellier, Ed. Indigène, Coll. « Ceux qui
marchent contre le vent », 17 e édition, mars 2013, p.11.
3
-HESSEL, Stéphane. « À nous de jouer ! Appel aux indignés de cette terre», Paris, Éd. Autrement,
Coll. « Haut et fort », mars 2013, p .12.
4
-HESSEL, Stéphane, « Engagez-vous !, entretiens avec Gilles Vanderpooten », op.cit, p21.

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cadre de ce qu’il a étudié mais l’essayiste s’interroge même sur des sujets qui
se situent hors de sa spécialité : « L’essai, richement discursif, obstinément
référentiel, et tranquillement circonstanciel, toujours lié à son dehors»1.

1.4. 2)- L’essai est marqué par une prise de position :

Inscrit dans l’actualité de son époque, l’essai prend souvent pour point de
départ l’observation de situations ou d’événements contemporains de son
auteur et développe une réflexion qui cherche à se faire plus générale. Ainsi,
dans Indignez-vous !, Stéphane Hessel analyse tous les phénomènes sociaux
et en tire toutes les causes et tous les motifs qui suscitent l’indignation de
chaque personne. « Indignez-vous! de Stéphane Hessel (2010) a mis
spectaculairement en valeur le thème de l’indignation, et a même débouché
sur des projets politiques comme le mouvement des indignés»2.

1.4. 3)- L’essai aborde le sujet sous plusieurs aspects :

Révélant de la pensée libre, l’essai ouvre un maximum d’angles


d’attaque où « l’essayiste est un auteur qui tourne et retourne un problème
en tous sens, qui questionne, ausculte, examine, réfléchit ; qui aborde son
objet sous différents angles 3». Cette démarche a pour but et a pour fonction de
convaincre le destinataire où l’essayiste s’adresse à son lecteur par un style
qui rend le propos attrayant et accessible. Nous marquerons au cours de notre

1
- CHAMPIGNY, Robert, « Pour une esthétique de l’essai littéraire », Paris : Minard, 1967,
« Lettres modernes », « Situations », p.110.
2
- Cité par : PASQUINI, Pierre. « L’indignation », conférence donnée par Pierre Pasquini dans le
cadre des rencontres de Philo Sorgues, in (http://www.philosorgues.fr/index.php/32-l-indignation),
consulté le 12 juin 2016.
3
- BENSE Max. « l’essai et sa prose », op.cit, p.130.

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recherche comment Hessel peint le thème de l’indignation, par exemple, sous


l’angle de l’indifférence une fois et sous celui de la pauvreté une autre. Nous
révélerons aussi comment les fonctions propres à l’essai lui permettent d’une
particularité et d’une variété très riche.

1.5-Les fonctions de l’essai :

« L’essai a pour fonction d’éveiller la réflexion et d’entraîner la pensée


dans un mouvement 1 ». Il répond aussi à la volonté de convaincre le
destinataire, en faisant appel à sa raison par la logique d’une argumentation,
soutenue par des exemples. Mais l’auteur touche également les sentiments du
destinataire, le persuade par sa propre force de conviction, et en suscitant son
émotion. Ainsi, l’essai combine souvent le registre didactique, avec sa rigueur
explicative, à d’autres, polémique, comique, pathétique.

En effet, la force argumentative de l’essai, et sa capacité à aborder des


thèmes très variés, expliquent qu’il se soit développé particulièrement au
XVIIIe siècle, où les auteurs assignent à la littérature une fonction morale.
Les pièces de théâtre, par exemple, sont précédées de préfaces dans lesquelles
l’écrivain justifie ses choix et réfléchit sur sa propre écriture, les « traités » se
multiplient, dans les domaines religieux, artistique, éducatif...

En outre, les écrivains des Lumières le mettent au service de leurs critiques


contre les pouvoirs en place ; sa fonction polémique s’intensifie, notamment
dans les « pamphlets » ou les « discours » qui permettent la confrontation de
thèses opposées.
1
- PAQUETTE, Jean-Marcel. « Forme et fonction de l’essai dans la littérature espagnole », in
Etudes littéraires, Vol. 5, n° 1, avril 1972, p.75.

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A cet égard, nous pouvons rappeler une citation significative du grand


philosophe Walter Benjamin 1 qui désigne deux façons d’user de ce qui est
offert à notre expérience intellectuelle, existentielle et sensible :

« Certains rendent les choses transmissibles, […] d’autres rendent les


situations exploitables, […] citables. Il me semble en effet que les essayistes
travaillent essentiellement avec du « citable », […] « mémorable » avec de
bons exemples.2»

Cela veut dire que les essayistes partent de ces formes exploitables citables
mémorable, comme d’autant de pensées héritées et de savoirs partagés qu’ils
exploitent, qu’ils développent, qu’ils régénèrent.

Profondément inquiet des dérives actuelles et d’une certaine perte des


valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité typique de la société occidentale,
Stéphane Hessel rappelle, à travers Indignez vous!, les années de résistance
contre le nazisme. Il rappelle aussi les principes et valeurs élaborés par le
Conseil National de la Résistance 3 en 1944 qui ont servi de socle à son
engagement politique et de « base à la démocratie moderne et [qui] sont
1
- Walter Benjamin ( 1892 :1940) est un philosophe, historien artistique, critique littéraire, critique
d’art et traducteur (notamment de Balzac, Baudelaire et Proust) allemand de la première moitié
du XXe siècle.
2
- MACE, Marielle. « L’essai littéraire, devant le temps », Cahiers de Narratologie [En ligne], mis
en ligne le 27 février 2008, consulté le 13 octobre 2016. URL : http://narratologie.revues.org/499.
3
-Le programme du Conseil National de la Résistance, adopté en 1944, proposait un plan complet
de Sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où
ils sont incapables de se les procurer par le travail; une retraite permettant aux vieux travailleurs de
finir dignement leurs jours, le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés
(énergie, des richesses du sous sol banque...) et l’instauration d’une véritable démocratie
économique et sociale, avec pour exigences le primat de l’intérêt général sur l’intérêt particulier,
ainsi que du juste partage des richesses issues du monde du travail sur le pouvoir de l’argent. La
Résistance exigeait la liberté, l’honneur et l’indépendance de la presse à l’égard de l’État, des
puissances d’argent et des influences étrangères. Mais ces conquêtes sociales de la Résistance sont
aujourd’hui ébranlées.

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aujourd’hui plus que jamais nécessaires » pour adresser aux jeunes
générations une véritable invitation à la réflexion et à l’engagement. Il les
exhorte également à défendre l’héritage et les idéaux de la Résistance. Il
les encourage à s’investir dans les combats d’aujourd’hui en disant : «prenez
le relais, indignez-vous! 2». Il affirme que « le motif de base de la Résistance
était l’indignation3». En outre, il dénonce « l’actuelle dictature internationale
des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie 4», et relance la
responsabilité individuelle de chaque citoyen car « la pire des attitudes est
l’indifférence5 ».

Alors, nous pouvons dire que la citation des phrases d’autrui, dont tout
essayiste a le goût, ou la reproduction du mémorable au présent, renferme
dans l’essai une véritable puissance énergétique tellement que «chaque phrase
est un dépôt de la littérature et lui promet son avenir6». Nous suivons donc,
sous la plume de l’essayiste, le cheminement de la pensée à l’intérieur du
sujet et la vie de cette pensée qui se poursuit en lui et hors de lui. C’est- à-
dire, au cœur de l’essai, la culture commune, que Patrick Mauriès7 appelle
« l’assise de [nos] idées 8», devient un réseau intime et partageable des idées
profondément réénonçables. Cela donne aux « choses de l’esprit comme aux

1
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit, p. 3.
2
- Ibid. p. 9.
3
- Ibid. p. 11.
4
- HESSEL, Stéphane, « Engagez-vous !, entretiens avec Gilles Vanderpooten », op.cit, p. 42.
5
- Id. « Indignez-vous ! », op.cit, p. 16.
6
- MACE, Marielle. « L’essai littéraire, devant le temps », op.cit, p.52.
7
-Patrick Mariés (né en 1952) est un journaliste, écrivain français, éditeur, critique littéraire,
collectionneur, essayiste et romancier. Il a publié près de 40 ouvrages aux éditions Plon, Gallimard.
8
- MAURIES, Patrick « Apologie de Donald Evans. Résurgences de la rhétorique », Paris, Le
Seuil, 1982, p. 15.

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choses du monde, un accès nouveau et intéressant, qui fait battre le cœur et


donne de l’appétit 1».

En somme, cette fonction ou bien cette faculté que l’essai possède aide
l’essayiste à communiquer son message, à arriver à ses fins et atteindre ses
objectifs en influant sur l’attitude du lecteur, en modifiant ses structures
mentales afin de le rendre plus réceptif aux siennes propres. Certes, l’essayiste
ne renonce jamais à convaincre son lecteur de la justesse de son point de
vue.

1.6- Les objectifs de l’essai :

En tant qu’une prise de parole assumée par l’auteur, l’essai se donne voix
en passant par la voie du texte : il s’agit de dire les choses et de créer son
propre sens et le proposer au lecteur. Parce que l’essai manie des idées, veut
les présenter sous un jour nouveau, il peut déranger le lecteur dans ses
certitudes, veut souvent le provoquer, l’amener à s’interroger, à explorer la
réalité concrète, historique, sociale, universelle, personnelle. Certes, « l’essai
[est] considéré comme le plus sérieux, le plus responsable des genres»2.

D’autre part, certains essais expriment un engagement politique, social,


humaniste, existentiel, vital : « l’engagement s’exprime à merveille dans
l’essai. Etre engagé, c’est un tentateur qui essaye de gagner autrui à sa
cause3.»

1
- MACE, Marielle. « L’essai littéraire, devant le temps », op.cit, p.54.
2
- PAQUETTE, Jean-Marcel. « Forme et fonction de l’essai dans la littérature espagnole », in
Etudes littéraires, Vol. 5, n° 1, avril 1972, p.76.
3
- BENSE Max. « l’essai et sa prose », op.cit, p.142.

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L’essai : outil d’indignation et d’engagement

Dialoguant avec les idées exprimées auparavant ou avec les idées qui
sont dans l’air du temps, l’essai vise à s’ouvrir et se connaître dans et avec le
monde, à commenter et expliquer le réel, à préciser et donner une vision du
monde. « L’essai accorde ainsi une importance primordiale au regard humain
sur le monde, à ce que fait l’homme du monde et à ce qu’il devient lui-même
en entrant dans ce processus».1

En somme, nous pouvons souligner que l’essai participe à l’histoire des


idées, à la formation et à l’information de l’opinion publique. C’est pourquoi,
il est assez commode aux formes multiples et très particulières, déterminées
par leurs buts.

1.7- Les formes de l’essai :

D’abord, nous pouvons dire que l’expression d’une pensée personnelle est
inséparable de la recherche d’une nouvelle forme d’expression. C’est
pourquoi, « l’essai se présente en somme comme une sorte de monstre
littéraire2 » où il n’obéit pas à de règles précises ou strictes. En tant que prose
d’idées, il prétend n’être jugé que sur les idées, la rigueur, l’analyse. C’est
pourquoi, son « écriture n’est pas fédérée par un principe général, mais va
d’un niveau de langue, d’un style, d’un statut à un autre3». Il est intéressant à
signaler ici que Montaigne, dans ses Essais, livre ses réflexions sans ordre

1
OUELLETTE Fernand. « Divagations sur l’Essai », in Etudes littéraires, V.1, avril 1972, p.24
2
- MACE, Marielle. « L’essai littéraire, devant le temps », op.cit, p 23.
3
-ADORNO, Théodore Wiesengrund. « L’essai comme forme », in Notes sur la littérature,
Paris, Flammarion, Coll. « Nouvelle bibliothèque scientifique », 1984, p.23. Traduit de l’allemand
par S. Muller, du titre original : « Essay als Form », in Noten zur Literatur, Frankfurt/Main:
Suhrkamp Verlag, 1958.

32
Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

apparent. « Il pratique la digression, et revendique le droit à la discontinuité


d’une écriture par sauts et à gambades»1.

Dans cette optique, nous pouvons dire que ce principe anti-méthodique et


anti-systématique sur lequel repose généralement la forme de l’essai est
théorisé. Peut-être, il marque une contestation, une révolte face aux systèmes
de pensée qui éliminent la vie de l’esprit de leurs constructions conceptuelles.
Or, « l’essai brise son enveloppe esthétique pour prendre une portée éthique
et existentielle2».

Alors, nous pouvons déduire que l’essai est aussi un travail sur le langage et
l’œuvre littéraire où « l’engagement se dessine lentement à travers le tissu de
l’écriture3.» Correspondant au sérieux du sujet, le registre de la langue est le
plus souvent soutenu. Parfois l’auteur feint d’écrire de manière neutre et
transparente, comme si les idées s’imposent par la simplicité de leur évidence
et de leur permanence. En cas de besoin, le texte peut recourir à la narration et
à la description. Mais l’essai reste avant tout littérature d’idées : description et
narration, mises au service des idées de l’auteur, restent secondaires.

C’est pourquoi, l’essai admet une grande souplesse dans sa forme et une
grande liberté dans son ton. Il prend la forme d’un pamphlet, d’un traité, d’un
livre d’histoire, de mémoires, d’une étude, d’une discussion philosophique,
d’une lettre ouverte,… D’ailleurs, nous trouvons que plusieurs termes sont

1
-LUKÁCS, George. « Nature et forme de l’essai », in Etudes Littéraires, V, 1, avril 1972, p.96.
traduit de l’allemand par D. Bohler et F. Hartweg, du texte original : (« Über Wesen und Form des
Essays », in Die Seele und Formen : Essays, Berlin : Eton Fleischel und Co, 1911.
2
- BENSE Max. « l’essai et sa prose », op.cit, p.142.
3
-KAUFFMANN Lane R. « La voie diagonale de l’essai : une méthode sans méthode », op.cit,
p.68.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

utilisés dans les tentatives de classification de l’essai comme : « moralisant,


critique, anecdotique, épistolaire, réflexif, biographique, historique,
journalistique, didactique, fantaisiste, psychologique, de plein air, sur la
nature, cosmique, et personnel »1.

Alors, après avoir montré que l’essai littéraire est une œuvre de réflexion
personnelle, que la subjectivité et l’expression personnelle interviennent dans
la transmission des idées, ainsi que les « arguments et les preuves […] sont
imposés dans et par le vécu»2, nous préférons ici et avant de pénétrer nos
corpus de jeter la lumière sur le parcours personnel de l’essayiste; Stéphane
Hessel pour marquer comment il développe le thème de l’indignation à partir
de ses expériences personnelles vécues.

2- L’auteur / Stéphane Hessel :

Stéphane Frédéric Hessel est un ancien résistant, diplomate, ambassadeur,


écrivain et militant politique français.

Né à Berlin en 1917, dans une « famille non conformiste 3 » d’un père


d’origine juive, à savoir, l’essayiste et traducteur allemand Franz Hessel. Il
débarque en France en 1925 et reçoit la naturalisation française en 1937 où il
fréquente l’avant-garde intellectuelle.

Résistant lors de la Seconde Guerre mondiale, Hessel rejoint les Forces


françaises libres du général De Gaulle, à Londres en 1941. Il est arrêté et
1
- LUKÁCS, George. « Nature et forme de l’essai », op.cit, p. 112.
2
- ANGENOT, Marc « La parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes », Paris, Ed.
Payot, Coll. « Langage et société», 1982, p. 301.
3
- DUVIVIER, Franck Thénard. « INDIGNEZ-VOUS! Stéphane Hessel », Extrait de la fiche de
lecture parue dans « Les 100 livres d’histoire et de géographie pour enrichir sa culture générale et
réussir les concours », Paris, Ellipses, 2011. Mise en ligne : vendredi 1er mars 2013. Consulté le 27
février 2015.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

déporté en Allemagne, en 1944, deux fois à Dora et puis à Buchenwald dont


il s’évade.

Il a été membre éminent du Conseil National de la Résistance ainsi que


du Haut Conseil de la coopération internationale. Devenu diplomate en 1946,
Hessel gagne les Nations-Unies où il participe à la rédaction de la Déclaration
universelle des Droits de l’Homme en 1948.

Il fait toute sa carrière dans la diplomatie jusqu’en 1985 et est élevé à la


dignité d’ « Ambassadeur de France ». À la retraite, Stéphane Hessel reste un
ardent défenseur des droits de l’homme et milite pour la paix et la dignité
jusqu’ à sa mort à 95 ans à Paris le 27 février 2013.

« Grand humaniste et européen convaincu»1, S. Hessel est connu du grand


public pour ses prises de position concernant les droits de l’homme, ses
combats contre les injustices tout au long de sa carrière, sa dénonciation de la
violence israélienne, ou encore des revers de la société moderne, ainsi que
pour son essai connu Indignez-vous!, paru en 2010, au succès mondial.
Stéphane Hessel, qualifié de « gentleman indigné, [est] devenu une des
premières icônes du siècle naissant2.»

Avant ce succès international, S. Hessel avait notamment publié une


autobiographie, « Danse avec le siècle » (1997), et d’autres œuvres comme
« Dix pas dans le nouveau siècle » (2003), un recueil de poèmes
commentés, « Ô ma mémoire » (2006), « Citoyen sans frontière » (2008),
entretiens avec le journaliste J.-M. Herving, abordant son parcours et ses
1
-AUSSEDAT, Joseph. « Engagez-vous ! L’héritage de Stéphane Hessel », Le Québec Humaniste,
Vol 8, No 2, Hiver 2013, p 37/38
2
-Ibid. p. 30.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

valeurs. En 2011, il publie « Engagez-vous ! », sous la forme d’entretiens avec


le militant écologiste G. Vanderpooten conçus comme un « appel aux jeunes
générations à se révolter et à s’engager 1 » et en fin « Le chemin de
l’espérance » (2012) avec Edgar Morin. Notre étude des motifs de
l’indignation dans l’écriture engagée se reposera sur « Indignez-vous! »,
« Engagez-vous ! », « Le chemin de l’espérance » comme trois corpus
intéressants pour couvrir tous les aspects de notre problématique.

3-Exposé du corpus :

Notre corpus est constitué de trois essais de Stéphane Hessel, à savoir :

 Indignez-vous!
 Engagez-vous !
 Le chemin de l’espérance

3.1- Indignez-vous! :

3.1.1- La genèse et l’envergure de l’œuvre :

Un best-seller d’à peine trente pages passionnantes, INDIGNEZ-VOUS !


est un essai politique très engagé, rédigé par une maison d’édition (Indigène)
qui affiche sa volonté de « rompre avec les logiques mercantiles
standardisées 2 », publié en 2010 par un homme exceptionnel de 93 ans,
Stéphane Hessel qui exprime, avec simplicité et modernité prodigieuse, la
nécessité impérieuse de s’indigner, se révolter, se protester, s’enflammer,

1-(http://www.lexpress.fr/culture/livre/engagez-vous-un-nouveau-hessel-pour-le-10-
mars_967474.html), consulté 12 septembre 2016.
2
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit, p.1.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

s’enthousiasmer aujourd’hui, ici et maintenant pour éveiller les consciences


endormies.

Il est intéressant de signaler aussi qu’Indignez-vous ! est le fruit de trois


heures d’entretien entre Hessel et Sylvie Crossman, co-fondatrice des Éditions
indigènes. Puisque la dernière a voulu faire partager le ton du discours de S.
Hessel sur le plateau des Glières1 le 17 mai 2009, où il rappelle les valeurs de
la Résistance et celles des droits de l’homme, « de ces principes et de ces
valeurs, nous avons aujourd’hui plus que jamais besoin 2».

« Connu mondialement comme une épopée internationale 3 », cet essai


devient un véritable phénomène d’édition littéraire et s’est hissé à la première
place des ventes d’essais en France. En un an, il est traduit en 34 langues et
vendu à 4 millions d’exemplaires dans le monde, non seulement en France,
mais en Allemagne, Grande-Bretagne, Grèce, Espagne, Portugal, Turquie,
Liban, Corée du sud, Japon, Chine,…

Court et moralisateur, Indignez-vous! s’agit en fait des paroles humanistes


et sensées d’une des figures emblématiques qui a traversé le vingtième siècle
et dont il ressort ce pamphlet pacifiste et optimiste. Il retrace les engagements
courageux, l’Age d’or d’une révolte constructive de S. Hessel qui replace les
événements dans leur contexte historique et pose une question claire : même

1
- Ce plateau témoigne la « bataille des Glières », durant la Seconde Guerre mondiale et comporte
le monument national de la Résistance, œuvre sculptée par Émile Gilioli en 1973, érigée à la
mémoire des victimes de ces batailles. Nicolas Sarkozy y visite à la veille de l’élection
présidentielle française de 2007. Mais, le 17 mai 2009, un rassemblement de manifestants est
organisé sur ce plateau afin de critiquer la politique Sarkozy et de rappeler les valeurs républicaines
de solidarité, de fraternité, de vivre-ensemble et de justice préconisées dans le programme du CNR,
élaboré le 15 mars 1944. Stéphane Hessel est l’un de ces manifestants.
2
-HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit, p.3.
3
-HECHT, Emmanuel, « L’indignation est partout », L’Express.25 février 2011, p.8.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

si une partie des pays luttait en1945 contre le nazisme pour un monde libre, de
nos jours, tout le monde doit se révolter contre l’extrême pauvreté, contre la
faim, l’indifférence dirigeante, le capitalisme à outrance ; s’indigner devant
l’incapacité de nos dirigeants et de leurs "chiens de garde" à voir la misère
sociale et la destruction de nos institutions.

3-1-2)- Indignez-vous! et la forme du pamphlet :

Le pamphlet 1 , selon le dictionnaire, est « un ouvrage littéraire à la fois


court et virulent qui s’attaque violemment à des idées et remet en cause les
institutions et le régime établi2 ». Il s’agit véritablement d’un texte persuasif
mêlant anecdote et argument où l’auteur jette un regard indigné sur le monde,
cherchant avant tout à réagir devant les scandales sociaux, et à établir sa
position pour conduire ses lecteurs vers le chemin de la vérité. « Le thème
récurrent que les pamphlétaires se disent vouloir défendre est celui de la
vérité»3.

Par conséquent, le pamphlet appartient à la littérature polémique qui


critique, attaque, combat, riposte et prend parti. Il témoigne « d’une écriture
qu’on appelle engagée»4 où il vise à la fois à piquer la curiosité du public
d’une part et à séduire et à interpeller le lecteur de l’autre part. Alors, nous
pouvons dire que le pamphlet a pour but d’inciter le lecteur à agir en le

1
-Le terme « pamphlet » apparaît de manière officielle en 1824 dans l’œuvre de Paul-Louis
Courier : « Le Pamphlet des pamphlets».
2
- ROBERT, (Paul), "Le petit Robert", Canada, Montréal, Le Robert, 1996, p 1809.
3
-QVRIL, Yves. « Le pamphlet : essai de définition et analyse de quelques-uns de ses procédés »,
Études littéraires, vol. 11, n° 2, 1978, p. 265-281.
4
- HASTINGS, Michel, Cédric Passard, Juliette Rennes. « Que devient le pamphlet ? », Dossier
spécial de la revue Mots, les langages du politiques, Ed. ENS., n°91, nov. 2009.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

poussant à l’indignation et au combat. Pour ces raisons, S. Hessel choisit le


pamphlet en particulier, parmi les autres formes de l’essai littéraire, pour
communiquer au lecteur l’idée de l’indignation et de l’engagement à travers
la forme et le contenu ensemble. Pour les mêmes raisons, la problématique de
notre recherche consiste fondamentalement à étudier les motifs de
l’indignation dans cette écriture engagée.

En effet, « Le discours pamphlétaire a, dans une grande mesure, une


dimension prophétique»1. Il annonce de grands malheurs dont il perçoit les
causes et les conséquences, là où l’absence de clairvoyance, voire la passivité
et la lâcheté généralisées empêchent toute appréhension sérieuse des
événements. C’est ainsi que Stéphane Hessel cloisonne l’expression de son
indignation au sein d’un langage bien particulier, qu’Indignez-vous vient en
forme de pamphlet qui mérite toute notre attention pour témoigner à sa façon
d’une situation de crise où « les fantômes parcourent aujourd’hui à nouveau
l’Europe et le reste du monde» 2 . Nos sociétés traversent de « menaces
croissantes planant sur les meilleurs acquis de notre société et de notre
civilisation»3.

Lors que nous avons la claire conscience que nous sommes au milieu et
non pas à la fin d’une grave crise multiforme, il est donc normal de se poser
des questions sur la raison des dysfonctionnements de nos sociétés. « Lorsque
l’on vit dans des sociétés qui fonctionnent mal, la première chose que nous

1
-ARGRNOT, Marc. « La parole pamphlétaire », Études littéraires, vol. 11, n° 2, 1978, p. 255.
2
-MULLER, Patrick. « Indignés, à nous de jouer! », l’Humanité.fr, jeudi, 28 février, 2013, p.11.
3
- HESSEL, Stéphane. « Engagez-vous !, entretiens avec Gilles Vanderpooten », op.cit. p.19.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

avons envie de faire, c’est de nous indigner 1». C’est ainsi que le pamphlet
exprime un moment particulier au cours duquel une société voit ses
valeurs fondatrices être brutalement contestées, où l’ordre social se trouve
rejeté car de plus en plus inégalitaire, ou de plus en plus répressif. « Le
pamphlet est un révélateur, il signale 1e moment où un système de valeurs
craque, s'effondre sous les contradictions».2

En d’autres termes, la parole pamphlétaire surgit lorsque les populations


ne supportent plus un système dont les tares paraissent chaque jour plus
évidentes comme le dit Hessel : « dans nos société, il y a de choses
insupportables3 ». Et du groupe opprimé, émerge un discours qui se veut
déclaration de vérité contre une parole institutionnelle dévoyée et fallacieuse.
Dans ce contexte, intervient Indignez-vous ! pour sonner le réveil, tirer de
sa torpeur et de sa léthargie une population accablée par « la multiplicité et
aggravation des problèmes et des maux qu’ont suscités et accrus notre société
et notre civilisation.4»

Alors, nous pouvons dire que non seulement S. Hessel se présente comme
un soldat résistant durant la Seconde Guerre Mondiale et non seulement
comme un soldat audacieux en faveur des droits de l’Homme tout au long de
sa vie, mais aussi il se présente comme un véritable soldat de la plume qui
révèle la situation intellectuelle et sociale de la société occidentale, voire de la
société mondiale aussi. Il pose une vision du monde catastrophique, insistant
1
-HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », édition revue et augmentée avec une postface des
éditeurs « la fabuleuse histoire d’Indignez- vous ! », op.cit. p. 9.
2
-QVRIL, Yves. « Le pamphlet : essai de définition et analyse de quelques-uns de ses procédés »,
Études littéraires, vol. 11, n° 2, 1978, p. 265-281
3
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit. p. 16.
4
- Id. « Engagez-vous !, entretiens avec Gilles Vanderpooten », op.cit. p.18.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

sur la nécessité de sauvegarder de la mort l’engagement et la résistance, la


paix et la sécurité, les valeurs humaines et morales, noyés dans l’indifférence,
la violence et l’extrême pauvreté. C’est pourquoi, Indignez-vous ! vient sous
la forme du « pamphlet [qui] s’accole aux soubresauts de l’histoire et a une
conception guerrière de l’affrontement des idées1».

3-2)- Engagez-vous ! :

Prolongation des thèmes abordés dans Indignez-vous! et véritable


invitation à l’engagement, Engagez-vous! est un autre essai de Stéphane
Hessel qui est paru pour la première fois en 2011 aux éditions de l’Aube. Il
raconte et développe le parcours singulier de « cet humaniste authentique qui
sauve l’honneur2» où il reste fidèle aux acquis, aux idées et aux méthodes de
la Résistance. Puisque l’expérience poignante de la Seconde Guerre mondiale,
durant laquelle Hessel échappe par deux fois aux camps de concentration, fait
de lui un « mondialiste et un européiste déterminé» 3 ayant des principes
solides à transmettre aux générations futures.
C’est pourquoi, Engagez-vous! se présente sous la forme d’un entretien vif
et profond, entre deux générations différentes : celle de Stéphane Hessel, alors
âgé de 93 ans, et celle d’un journaliste de 25 ans nommé Gilles
Vanderpooten4. Ce dernier, très actif dans le milieu associatif, est à l’origine
de cet ouvrage puisque c’est bien lui qui a proposé à Stéphane Hessel de le

1
- HASTINGS, Michel. « Que devient le pamphlet ? », op.cit, p.22.
2
- CAREIERE, Christophe, « L’Elysée salue une grande figure », Le Monde ,25 mars, 2013, p.6.
3
- AUSSEDAT, Joseph. « Engagez-vous ! L’héritage de Stéphane Hessel », Le Québec Humaniste,
Vol 8, No 2, Hiver 2013, p 37/38
4
- Gilles Vanderpooten est un auteur, journaliste, et dirigeant associatif de nationalité française né
en 1985 à Toulouse.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

rédiger afin d’approfondir son invitation à l’engagement. Car, selon lui, il ne


suffit pas de s’indigner et de résister, mais il faut s’engager et créer.
A cet égard, nous devons rappeler que le dialogue est un genre très ancien,
qui remonte à l’Antiquité et aux dialogues philosophiques, de Platon et
Socrate. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le dialogue se développe et devient un
genre littéraire essentiellement intéressant au cours du XVIIIe siècle ou ce
qu’on appelle le siècle des idées et des Lumières.

En effet, l’originalité du « dialogue est qu’il permet la propagation des


idées nouvelles 1 ». Puisque l’un des deux personnages qui s’entretiennent
paraît bien jouer le rôle du philosophe, du maître, qui s’adresse à un
interlocuteur, et ne cesse de poser des questions, dispose d’une connaissance,
alors, il les partage, il les explique, il éclaire certaines aberrations, enlève
certaines incertitudes et certaines ambiguïtés. Il présente l’intérêt de
transmettre par le procédé de la double énonciation, comme au théâtre, une
leçon au lecteur.

Par conséquent, nous pouvons dire que la forme d’Engagez-vous!,


considéré comme un « véritable maillon intergénérationnel2», s’inscrit dans
cette optique où il s’écoute comme le cadeau de la sagesse à l’urgence de
construire les bases nouvelles d’un monde à venir. Cet ouvrage est, en effet,
l’occasion d’aller plus loin, à travers un échange permettant de mieux saisir
l’originalité de la personnalité attachante de S. Hessel, la profondeur de ses
engagements, et les multiples raisons qu’il nous dévoile pour se révolter et
s’engager :
1
-JOURJI, Abdelkbir. « Réflexion à propos du dernier ouvrage d’Atmane Bissani : Considérations
sur la philosophie de la rencontre », Libération, Mercredi 9 Décembre 2009, p.12.
2
- SAULINIER, Julie, «Un monde véritablement solidaire », le Temps ,12 février 2012, p.9.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

« La richesse d’un échange où flottent le goût de la transmission et le désir


d’un partage. D’un combat à l’autre, d’une génération à l’autre, Engagez-
vous ! élargit le cadre d’une injonction théorique à la consignation des luttes
concrètes actuelles1 ».

Vénérable enthousiaste, infatigable militant engagé dans une transmission


bienveillante, éthique et esthétique de son expérience d’homme et de vraies
valeurs, à l’usage des générations du ХХΙe siècle, Stéphane Hessel fait de
l’écologie « le grand défi le plus mobilisateur pour la jeune génération2 ». Il
montre que nous avons en vérité tellement besoin d’être, de vivre et d’exister
dans un monde qui puisse nous garantir « le triomphe de l’esprit sur la
matière3». Un monde véritablement solidaire qui soit celui du vivre ensemble
et qui nous fasse comprendre que notre vie ne commence à s’éclairer que
lorsque nous la tournons vers les autres. « Soulager la souffrance ou la misère
des autres est un engagement qui donne sens à la vie 4»

3.3)- « Le chemin de l’espérance5 » :

« Le chemin de l’espérance » est un essai coécrit par Stéphane Hessel


et Edgar Morin 6 , publié en 2011. Dans lequel, ces deux anciens résistants
engagés ont marié leur ardeur et leurs réflexions sérieuses en appelant à
l’imagination d’un monde différent, un monde plus solidaire, plus fraternel,
1
- DURAND, Jean-Marie, « Hessel, une source d'inspiration pour la jeune génération », Les
Inrockuptibles, 20 mars 2011, p. 5.
2
- HESSEL, Stéphane. « Engagez-vous ! », entretiens avec Gilles Vanderpooten, op.cit, p. 23.
3
- Cité par DE GAULLE, Charles, dans un discours prononcé devant la communauté française
réunie à Oxford en 1941.
4
- TODOROV, Tzvetan. « Mémoire du mal, Tentation du bien », op.cit, p.347
5
- HESSEL, Stéphane. « Le chemin de l’espérance », en collaboration avec Edgar Morin , Paris, Ed.
Fayard, 2011.
6
-Edgar Morin (né en 1921) est un sociologue contemporain et un philosophe humaniste français.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

plus juste, pour tenter d’éradiquer la haine du cœur des hommes, née des
noces barbares de la pauvreté, de la misère et de l’ignorance. Il intensifie son
exigence morale et citoyenne pour redonner un horizon plus vaste à ce siècle,
un avenir plus clair à cette planète, une espérance plus lumineuse à tout
désespéré.

Si Indignez-vous !, prend la forme du pamphlet pour exhorter ses lecteurs


à exprimer leur indignation face aux injustices, aux reniements des idéaux de
progrès et de justice sociale, à rompre avec l’indifférence face aux dictatures,
« au saccage de l’environnement sacrifié à l’autel de la course au profit 1»,
aux écarts de plus en plus grands entre les pauvres et les riches ; Le Chemin
de L’espérance se présente aussi sous la forme du pamphlet pour « essayer
d’expliquer pourquoi le monde de maintenant, qui est horrible, n’est qu’un
moment dans le long développement historique, que l’espoir a toujours été
une des forces dominantes des révolutions et des insurrections.2»

En effet, les deux icônes de la Résistance assurent ne pas vouloir fonder un


nouveau parti, ni en rallier un ancien, mais ils appellent à « une politique
régénératrice qui nous permettrait de dépasser les clivages idéologiques3 » et
qui nous arrache à notre apathie et à notre résignation mortelles pour trouver
des solutions afin de sortir de nos crises aiguës, et réformer en profondeur à
la fois notre société et nos modes de vie. C’est parfaitement la double propriété
que George Orwell4 assigne au pamphlet :

1
-AUSSEDAT, Joseph. « Engagez-vous! L’héritage de Stéphane Hessel », op.cit, p 37.
2
- HESSEL, Stéphane. « Le chemin de l’espérance », op.cit, 16.
3
-STEVAN, Caroline, « Engagez- vous !, un message porteur », le Temps 4 janvier, 2011.
4
George Orwell (1903 :1950), est un écrivain engagé, journaliste, critique littéraire et romancier
anglais.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

« Incarner, tout d’abord, l’historicité singulière d’un mode d’écriture, lier un


genre littéraire à l’expérience particulière d’une époque ; combler, ensuite, les
béances d’une période de crise en mettant le logos pamphlétaire au service de
la liberté et de la vérité.1»

Alors, nous pouvons dire que si l’indignation nous donne l’élan de nous
mettre en marche, cet ouvrage nous guide vers une Terre pleine d’espérance.
Certes, le monde est un jardin et ces deux incroyables jardiniers nous
apprennent que le monde n’est pas une terre en friche, où ils conviendraient de
tout laisser croître engendrant ainsi un chaos infernal, mais ils nous invitent à
organiser et à « cultiver notre jardin 2» et à remettre l’homme au cœur de ce
jardin. On ne parle plus de rapport de force, mais équilibre des forces,
harmonie. « Le temps est venu de dresser la liste de ce qui doit croître et de ce
qui doit décroître 3».

En effet, les formes d’écriture de l’essai, en tant que prose d’idées, sont
très variées. Elle peut être analytique, démonstrative ou polémique, et souvent
les trois à la fois :

 L’essai analytique : c’est une démarche proche du constat, qui donne


au lecteur des éléments pour mieux comprendre tel ou tel phénomène de
société, qu’il explique et clarifie.

1
- HASTINGS, Michel, « De la vitupération. Le pamphlet et les régimes du « dire vrai » en
politique », Dossier spécial de la revue Mots, les langages du politiques, Ed. ENS., n°91, nov.
2009, p.42/43.
2
-VOLTAIRE. « Candide ou l’optimisme », Genève, J. Cramer, série. Multiples, 1759, p.161.
3
- HESSEL, Stéphane. « Le chemin de l’espérance », op.cit. p.50.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

 L’essai démonstratif (le traité) :c’est une démarche rigoureuse, qui


aborde de façon systématique un sujet unique et délimité.
 L’essai polémique (le pamphlet) : c’est une démarche volontairement
provocatrice, qui exprime une indignation devant une situation
révoltante ou un phénomène dangereux de société.

Pour toutes ces raisons, nous pouvons dire donc qu’Indignez-vous !, Le


chemin de l’espérance ainsi que Engagez-vous ! de S. Hessel viennent en
formes d’écritures à la fois analytiques et polémiques. Où l’essayiste incite
ses lecteurs à s’indigner et se révolter face aux phénomènes sociaux mettant
en péril la société occidentale et peut être notre planète toute entière comme,
par exemple : l’indifférence, la pauvreté, la violence. Il donne aussi au lecteur
plusieurs éléments pour mieux comprendre les origines pernicieuses et les
conséquences catastrophiques de ces phénomènes considérés comme
d’énormes fléaux insidieux qui menacent la société contemporaine et les
générations futures. C’est pourquoi, l’essayiste se repose sur l’argumentation
pour convaincre le lecteur par l’énormité des scénarios décrivant le futur et
l’inciter à agir.

4)- L’argumentation comme méthode de l’essayiste :

4-1)- Qu’est-ce qu’argumenter ?

Christian Plantin1 indique que «l’argumentation sert à défendre une thèse1


[un point de vue, une opinion] à partir d’un thème 2 donné [le sujet de

1
-Christian Plantin ( né en 1947) est un linguiste, théoricien de l’argumentation française, professeur
Émérite de l’Université Lyon 2, directeur de recherche au CNRS et responsable de la collection

46
Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

discussion], à l’aide d’arguments soutenus d’exemples»3 . En effet, tous les


genres littéraires peuvent permettre d’argumenter, soit directement, quand
l’écrivain s’engage lui-même en recourant au pronom «je», soit indirectement,
par l’intermédiaire d’un de ses personnages qui devient son porte-parole. En
tant que l’essai est prose d’idées, « à visée argumentative4», l’essayiste recourt
à l’argumentation directe pour défendre explicitement son point de vue et
tenter de le partager avec son lecteur afin de l’inciter à agir efficacement.

Alors, si nous voulons distinguer les thèmes et la thèse dans nos trois
corpus : Indignez-vous !, Engagez-vous ! et Le chemin de l’espérance, nous
trouvons que Stéphane Hessel aborde des thèmes comme l’indignation,
l’indifférence, la violence, la pauvreté, la dégradation écologique,… tandis
que la thèse qu’il défend est la nécessité impérieuse de s’indigner face à ces
phénomènes sociaux dangereux et de s’engager pour réformer le présent
et construire le futur. D’ici, intervient la problématique que nous posons et
traitons dans notre recherche et que nous formulons sous forme de question à
propos des thèmes abordés : Quels sont les motifs d’indignation dans notre
société contemporaine ?

Alors, pour exposer son point de vue et le partager avec son lecteur,
l’essayiste se repose sur des stratégies argumentatives efficaces et habiles.

« Argumentation et sciences du langage » aux Editions Kimé où il a publié Essais sur


l’argumentation.
1
-La thèse est l’opinion ou le point de vue dont l’essayiste est convaincu et qu’il veut faire partager
en argumentant : il défend, il soutient une thèse, et il réfute une thèse adverse.
2
- Le thème est le sujet traité par l’auteur, sur lequel il développe son opinion, sa thèse.
3
-PLANTIN, Christian. « L’Argumentation», Ed. Le Seuil, Coll. « Mémo », Paris, 1996, p86.
4
- ROBERT, (Paul), « Le petit Robert », op.cit, p. 1479.

47
Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

Ces objectifs donnent naissance à une variété de formes et de tonalités qui


rendent chaque tentative d’argumentation très originale.

4.2)-Les stratégies argumentatives :


1
« Argumenter, c’est vouloir convaincre, persuader, ou délibérer ».
Alors, nous pouvons souligner que si l’argumentation consiste à défendre un
point de vue, ces trois stratégies argumentatives (convaincre, persuader,
délibérer) visent aussi dans le même temps à agir sur le destinataire en
cherchant à le « convaincre par l’usage de la raison et à persuader en faisant
appel aux sentiments et à l’affectivité 2 ». C’est bien l’objectif de l’essai
littéraire que S. Hessel emploie pour déranger le lecteur dans ses certitudes, le
provoquer, l’amener à s’interroger, à explorer la réalité concrète, historique,
sociale, universelle, personnelle : « Attention aux dérives ! Préservez vous
d’un monde où l’inégalité s’accroît entre les pauvres et les riches et où la
pauvreté est considérée comme normale. 3»

4.2.1)- Convaincre :

Pour convaincre, le locuteur s’adresse à la raison, aux facultés d’analyse et


de raisonnement, à l’esprit critique du destinataire pour obtenir son accord
après une mûre réflexion. Puisque « l’essai s’agit de proposer au lecteur des
pistes de réflexion, à partir desquelles il construira sa propre opinion4.»

1
-PLANTIN, Christian. « L’argumentation : Histoire, théories et perspectives », Paris, Ed. PUF
Presses universitaires de France, « Que sais-je ? », 2005, p. 72
2
-ROBRIEUX, Jean-Jacques. « Éléments de rhétorique et d’argumentation », Paris, Ed.
Dunod, 1993, p. 152.
3
-HESSEL, Stéphane. « Engagez-vous ! », entretiens avec Gilles Vanderpooten », op.cit, p. 31.
4
- GEYSSANT, Aline. « L’essai, le dialogue et l’apologue », op.cit.p.4.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

C’est pourquoi, l’essayiste s’aide d’arguments rationnels, c’est-à-dire des


éléments de preuve destinés à soutenir son point de vue. Ces arguments sont
eux-mêmes illustrés par des exemples clairs : tirés de l’expérience
personnelle, de références historiques, littéraires,… Hessel fait référence, par
exemple, à son indignation et son engagement personnel face au Nazisme
pour relancer l’esprit de résistance chez les jeunes contemporains indifférents :
« le nazisme est vaincu grâce au sacrifice de nos frères et nos sœurs de la
Résistance.1»

4.2.2) Persuader :

Quand le locuteur cherche à persuader le destinataire, il fait appel à ses


sentiments, à ses émotions et à son imagination. Il s’agit pour l’émetteur de
jouer sur des valeurs et des repères culturels partagés pour toucher et
impressionner son lecteur. Puisque « le savoir partagé et les représentations
sociales constituent […] le fondement de toute argumentation2.»

Le locuteur implique aussi ses destinataires, les fait considérer que sa thèse
est aussi la leur, qu’ils partagent les mêmes combats et les mêmes intérêts.
C’est pourquoi, il emploie souvent le « tu » ou le « vous », parfois le « nous »
qui crée une communauté d’intérêt. Comme le fait Hessel quand il s’adresse
au lecteur en disant « Indignez- vous ! 3», et « Engagez- vous4 » où il joue sur

1
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit. p. 18.
2
- AMOSSY, Ruth. « L’argumentation dans le discours. Discours politique, littérature d’idées,
fiction. Comment peut-on agir sur un public en orientant ses façons de voir, de
penser ? », Communication [En ligne], Vol. 22/1 | 2003, p.89, mis en ligne le 08 janvier 2014,
consulté le 18 février 2017. URL : http://communication.revues.org/4812.
3
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit.
4
- Id. « Engagez-vous ! », entretiens avec Gilles Vanderpooten, op.cit.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

les émotions fortes de l’indignation devant l’inacceptable et de la révolte


contre l’injustice.

4.2.3)- Délibérer :

La troisième stratégie argumentative (Délibérer) consiste à examiner les


différents aspects d’une question, en débattre, y réfléchir afin de parvenir à
une conclusion, de prendre une décision et de trouver des solutions. Le
locuteur peut s’adresser à la fois à la raison et aux sentiments du lecteur pour
susciter sa réflexion personnelle. L’essai est parmi les genres littéraires
particulièrement adaptés à l’expression d’une délibération. Alors, nous
examinerons, par exemple, dans le premier chapitre de notre recherche
comment Hessel expose la question de l’indifférence, ses causes profondes,
ses formes et ses conséquences.

Dans notre étude des « motifs de l’indignation dans l’écriture engagée »,


nous essayerons de montrer comment S. Hessel mêle le plus souvent ces trois
voies, et allient la pertinence d’arguments convaincants à un style frappant et
persuasif pour mettre en relief le thème de l’indignation et inciter le lecteur à
s’indigner et à s’engager. Nous étudierons aussi les arguments (les idées, les
causes, les références) que Hessel emploie pour renforcer son point de vue et
le rendre plus concret grâce à des exemples. Nous montrons à quel degré,
« l’essai est un enchantement, qui captive le lecteur et le rend réceptif à une
expérience enthymématique 1 pour le pousser à forger sa propre vérité. 2 »

1
-Une expérience enthymématique c’est-à-dire une expérience qui pose des jugements
conceptuels, des idées efficaces et communes.
2
-GEYSSANT, Aline. « L’essai, le dialogue et l’apologue », op.cit.p.44.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

C’est pourquoi, nous exposons ici un aperçu général sur les types d’arguments
et d’exemples pour les approfondir dans notre investigation.

4.3) Les types d’arguments :


L’argument est « la raison convaincante que l’essayiste emploie pour
présenter et défendre son point de vue»1. Il existe plusieurs types d’arguments.
Parvenir à les identifier permet d’enrichir l’analyse de la littérature d’idée :

 Argument d’autorité : Il s’impose car il s’appuie sur des références


connues de tous, qui apparaissent comme des vérités d’évidence. Ex.
Hessel fait référence à l’une des pages capitales de l’histoire, celle du
nazisme pour montrer que la société actuelle affronte des périls plus
meurtriers. « Le nazisme est vaincu…mais cette menace n’a pas
totalement disparu et notre colère contre l’injustice est toujours
intacte2.»
 Argument de valeur : où l’essayiste se réfère à un système de valeurs
supérieures (morales, religieuses, sociales…) : Hessel se réfère, par
exemple, à la déclaration universelle des droits de l’homme pour
dénoncer le « manque d’humanité dans nos sociétés 3 » et appeler à
« une politique de l’humanité qui n’arrive pas à accéder à
l’Humanité4». Selon lui, ce qui nous rend profondément humains, c’est
la capacité de nous indigner devant l’injustice.
 Argument d’expérience : Il se fonde sur le recours à des faits, à des
témoignages : il est directement issu d’exemples, il est concret. Homme

1
- PLANTIN, Christian. « L’argumentation : Histoire, théories et perspectives », op.cit, p. 92.
2
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit. p.18.
3
GRU, Nicolas. « Stéphane Hessel déchaîne les passions », L’EXpress.fr, le 23/12/2010, p.14.
4
- Ibid. p.15.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

courageux au passé prestigieux, ancien résistant et ancien prisonnier des


camps nazis, S. Hessel jette un regard lucide sur sa vie de combats et
sur la société actuelle pour inviter la jeune génération à l’indignation, à
la résistance et à l’engagement. « A ceux et celles qui feront le ХХΙ e
siècle nous disons : «Créer, c’est résister ; résister, c’est créer1».
 Le raisonnement par analogie : L’essayiste se repose sur une
comparaison pour poser l’idée qu’il veut prouver. Hessel retrace l’Age
d’or de son indignation en montrant que même si une partie des pays
luttait en1945 contre le nazisme pour un monde libre, de nos jours, tout
le monde doit se révolter contre la pauvreté et l’indifférence pour
vivifier la réflexion, et l’espoir chez les jeunes d’aujourd’hui qui sont
dans l’inertie et le l’égocentrisme .

 Les rapports de cause à effet : Tel phénomène entraîne tel autre


phénomène. Nous montrerons, par exemple, dans le premier chapitre de
notre étude, comment l’indifférence entraine le désengagement ou bien
dans le deuxième chapitre, comment « l’isolement et la pauvreté
nourrissent la haine et la révolte 2 .» Ou dans le troisième chapitre,
comment la violence est la fille de la pauvreté et de l’indifférence.
 Les avantages ou les inconvénients. Recherche des effets sur
différents plans. Nous étudierons les conséquences désastreuses de
l’indifférence, de la pauvreté et de la violence.

1
- GOHIN, Claude. « Indignez-vous !, suivi de catalogue général de l’éditeur original, Résistons à
la tentation réactionnaire », op. cit. p.41.
2
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit. p. 8.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

 L’ironie est une arme essentielle de la stratégie argumentative par


l’absurde, qui tente de séduire le lecteur par un appel à son intelligence
d’une logique absurde : elle consiste à relier une cause donnée et une
conséquence sans rapport avec elle. L’absurdité marquée de cette
relation heurte le lecteur. Nous mettrons en relief, par exemple,
comment l’indifférence accroit la souffrance des pauvres.

4.4)- Les exemples :

« L’exemple est un élément concret emprunté à la réalité ou à la


culture 1 ». Il permet d’illustrer et de concrétiser les arguments. Un bon
exemple peut être une référence historique, littéraire, un fait d’actualité, une
anecdote, une citation, une expérience. Toutefois, un exemple particulièrement
frappant peut prendre valeur d’argument.

4.4.1)-Types d’exemples :

 Exemple illustratif (le plus courant) : Cas particulier qui vérifie l’idée
générale de l’argument.
 Exemple démonstratif : On se sert du cas particulier pour en induire une
idée générale.

Dans notre recherche, nous étudierons le parcours personnel singulier de


Stéphane Hessel lui-même comme combattant dans la résistance, comme
diplomate pour la France et à l’ONU, comme militant politique, comme

1
- DISPAUX, Gilbert « La logique et le quotidien. Une analyse dialogique des mécanismes
d’argumentation », Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Arguments », 1984, p.188.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

humaniste pour en tirer un exemple de l’indignation constructive et de


l’engagement réel. A cet égard du contexte, Marc Angenot1 écrit à propos de
l’essayiste en général qu’il :

« Se met lui-même en scène comme partie prenante [d’une] crise. Il montre


que ses arguments et ses preuves […] sont imposés dans et par le vécu. En
vivant des événements, il rencontre des arguments, il se heurte à des
objections, il combat des erreurs. La narration est alors indissociable de
l’argumentation»2.

C’est pourquoi, nous tâchons également de jeter la lumière sur la narration


dans l’essai littéraire puisqu’« il n’y a pas d’énoncés narratifs sans narration,
sans énonciation narrative.3»

5- Le système de l’énonciation dans l’essai littéraire:

En effet, « l’essai permet à l’être humain dans sa dimension corporelle de


s’exprimer, et il tisse ainsi des liens étroits avec son lecteur que touche plus
une expérience singulière 4». Alors, pour étudier l’énonciation et déterminer
la situation de l’émission et de la réception dans l’essai littéraire comme un
texte à visée argumentative, nous posons deux questions : Qui parle ? À qui
s’adresse-t-il?

1
-Marc Angenot (né en 1941) est un professeur émérite canadien de littérature française. C’est
un théoricien de la littérature, mais avant tout un analyste du discours et historien des idées,
particulièrement des idéologies politiques (XIXe et XXe siècles). Il est également considéré comme
l’un des pionniers de la rhétorique du pamphlet et, plus largement, du discours polémique et des
débats dans la vie sociale.
2
-ANGENOT, Marc « La parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes », op.cit, p. 301.
3
- GENETTE, Gérard. « Discours du récit, in Figures III», Paris, Seuil, 1972, p. 87.
4
- GEYSSANT, Aline. « L’essai, le dialogue et l’apologue », op.cit.p.42.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

5.1)- L’émetteur :

En ce qui concerne ce point, nous partons d’une distinction très intéressante


dans le Degré Zéro de l’écriture, apportée par Roland Barthes ; à savoir :

«Il y a parmi ceux qui écrivent : les écrivants et les écrivains [...]
L’essayiste est à la fois écrivant et écrivain. Écrivant parce qu’il se sert du
langage comme d’un outil nécessaire à la communication de son message,
mais surtout Ecrivain parce qu’il accorde à l’écriture une valeur autonome,
une réalité indépendante1.»

Alors, nous pouvons dire que l’essai représente effectivement une forme du
discours où l’émetteur y exprime son avis sur de nombreux sujets, y transmet
ses souvenirs, l’évolution de sa pensée, ses inquiétudes, ses certitudes et ses
incertitudes. Même s’il recourt à de courts passages de récit, une anecdote
par exemple et introduit donc un cadre spatio-temporel, des personnages et
des discours rapportés ; ce sera pour en tirer une réflexion. Par conséquent, la
présence du sujet de l’énonciation dans l’essai littéraire prend un sens bien
particulier. Il se signale, selon Jean Marcel Paquette2, par un :

« Je non-métaphorique […] Le « je» renvoie à la personne même de


l’essayiste [ qui] se présente comme l’homme qui écrit le texte en train
de s’écrire»3.

1
- BARTHES, Roland. « Le Degré Zéro de l’écriture », Paris, Seuil, 1972, p.132.
2
- Jean Marcel Paquette (né en 1941) est professeur de littérature, essayiste, romancier, critique et
poète québécois.
3
-Cité par PAQUETTE Jean-Marcel. Article intitulé : « Essai», in Dictionnaire international des
termes littéraires, Ed. Fascicule, Paris : Mouton, 1974, p.24.

55
Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

C’est pourquoi, le caractère subjectif de l’œuvre et l’engagement personnel


de l’essayiste apparaissent clairement. Alors, nous observons que la présence
de l’énonciateur se manifeste à travers certains déictiques comme les marques
de la première personne (pronoms personnels, adjectifs possessifs…) ou les
verbes d’opinion, de sentiments, de locution (je pense, j’aime, j’affirme…).
Les modalisations du discours sont aussi révélatrices de la présence du
locuteur: (peut-être, je crois, vraisemblablement, sûrement…). Il y a aussi
d’autres indices comme les modalités d’énonciation telle l’interrogation et
l’exclamation. Tout cela nous permet donc de mesurer l’implication de
l’énonciateur qui s’affirme plus ou moins selon ses intentions.

Dans les trois corpus, nous pouvons repérer la présence du narrateur à


travers certaines expressions déictiques qui renvoient à la personne de l’auteur
S. Hessel lui-même comme :

 Les marques de la première personne :


 « De Londres où j’avais rejoint le général De Gaulle…1 »
 « Quand j’essaie de comprendre ce qui a causé le fascisme,…2 »
 « Aux jeunes, je dis : regardez autour de vous, vous y trouverez les
thèmes qui justifient votre indignation3.»
 Des pronoms possessifs :
 « Aujourd’hui, ma principale indignation concerne la Palestine4.»
 « Ce qui a servi de socle à mon engagement politique…5 »

1
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit. p. 5.
2
- Id. « Engagez-vous !, entretiens avec Gilles Vanderpooten », op.cit. p. 6.
3
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit. p. 11.
4
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit. p. 11.
5
- Ibid. p. 3.

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L’essai : outil d’indignation et d’engagement

 « Notre propos est de dénoncer le cours pervers d’une politique


aveugle qui nous conduit aux désastres1.»
 De certains adverbes spatio-temporels :
 « Réduire la pauvreté dans le monde d’ici….2 »
 « De ces principes et de ces valeurs, nous avons aujourd’hui plus que
jamais besoin3.»
 Des verbes d’opinion, de sentiments et de locution :
 « …La Résistance. Je sentais qu’il fallait faire vite 4»
 « Je pense bien évidemment que le terrorisme est inacceptable5 »
 « Je suis convaincu que l’avenir appartient à la non-violence6. »
 De certaines modalités d’énonciation comme l’interrogation et
l’exclamation :
 « Qui commande, qui décide ? Il n’est pas toujours facile de
distinguer entre tous les courants qui nous gouvernent7. »
 « Pourquoi réformer et transformer ?8 »
 « J’ai dit : Enfin !9 »

D’ailleurs, Hessel a recours au pronom "on 10 " exclusif, particulièrement


intéressant dans l’argumentation puisque son point de vue personnel sur les

1
-HESSEL, Stéphane. « Le chemin de l’espérance », op.cit. p. 7.
2
- Ibid. p.23.
3
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit. p. 3.
4
-Id. « Engagez-vous !, entretiens avec Gilles Vanderpooten », op.cit. p. 23.
5
- Id. « Indignez-vous ! », op.cit. p. 10.
6
-Ibid. p. 11.
7
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit. p. 8.
8
-HESSEL, Stéphane. « Engagez-vous !, entretiens avec Gilles Vanderpooten », op.cit. p. 12.
9
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit. p. 13.
10
- Le pronom "on" offre de multiples possibilités :
 « On » généralisant, permettant de délivrer une sentence.
 « On » inclusif, dans lequel l’auteur et/ ou le lecteur sont compris.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

revers de nos sociétés actuelles s’exprime par opposition à d’autres opinions


contraires. Certes, la voix d’Hessel provient justement du cœur même de la
machine étatique française, la haute diplomatie, où les critiques sont
d’ordinaire très codées. Sauf qu’elle est celle d’un social-démocrate
réformateur.
 Ex. « On ose nous dire que l’Etat ne peut plus assurer les coûts de ces
mesures citoyennes. Mais comment peut-il manque aujourd’hui de
l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes alors que la
production des richesses est augmentée…1»

Dans tous les cas, nous soulignons que nous somme face à un émetteur
homodiégétique puisqu’il est présent, racontant et témoin des événements.
Voire, il affirme nettement son point de vue. « Son implication […] est
fondamentale : c’est par sa présence qu’il rend vivante l’expérience qui est à
la base de tout essai2».

Quand il s’efface en parlant de façon plus générale, il appartient à nous de


ne pas perdre de vue que nous avons affaire à une pensée personnelle,
subjective, voire partiale. Très habilement, les auteurs peuvent aussi choisir le
pronom "nous", avec des formules comme "nous pouvons reconnaître", "nous
constatons", "nous devons admettre", ce qui leur permet à la fois de
s’impliquer et de mettre le lecteur dans leur camp. Comme le fait Hessel en
disant, par exemple : « nous devons prendre conscience que nous partageons

 « On » exclusif, grâce auquel l’auteur se détache d’un groupe pour montrer que son
opinion diffère.
1
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit. p. 5.
2
-GEYSSANT, Aline. « L’essai, le dialogue et l’apologue », op.cit.p.43.

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L’essai : outil d’indignation et d’engagement

une communauté de destin planétaire, toute l’humanité subit les mêmes


menaces mortelles.1 »

5.2)- Le niveau d’écriture :

La notion de niveau désigne « la frontière, invisible mais en principe


totalement étanche, qui sépare l’univers du raconté et celui du racontant.»2 Il
y a virtuellement dans tout récit trois niveaux narratifs :

 Niveau diégétique où le narrateur se borne à narrer, à présenter une


histoire, c’est-à-dire des personnages qui évoluent dans un univers
séparé, avec un temps et un lieu propres.
 Niveau métadiégétique où le narrateur renonce virtuellement à son
statut de narrateur pour le déléguer à l’un de ses personnages.
 Niveau extradiégétique où le narrateur ne se contente plus de narrer ;
mais il intervient dans le texte en personne et ouvre un autre univers.

En effet, « tout récit suppose un narrateur»3 comme le dit G. Genette. Alors,


nous sommes, dans nos trois corpus, face à un émetteur homodiégétique.
Alors, nous accédons au niveau narratif extradiégétique, celui d’où un
narrateur peut à tout moment commenter ou juger ce qui fait l’objet de sa
narration. Comme témoigne le degré de présence maximale de S. Hessel à
travers les différents déictiques suscités là-haut et qui renvoient à sa personne.
Certes, l’essai s’agit, comme dit Barthes, de « lire en levant la tête, dans une

1
-HESSEL, Stéphane. « Le chemin de l’espérance », op.cit. p.12.
2
-GENETTE, Gérard. « Nouveau discours du récit ». Paris, Seuil, 1983, p 70.
3
- Ibid., p. 88.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

lecture à la fois irrespectueuse, puisqu’elle coupe le texte, et éprise,


puisqu’elle y revient et s’en nourrit»1.

Lorsque le narrateur s’adresse à quelqu’un, le pronom « tu » ou « vous »


renvoie à la figure d’un narrataire, qu’on pourrait considérer comme une
figure textuelle du lecteur. Ce souci du public fait que le narrateur (Hessel)
privilégie sa fonction de communication :

« Nous, vétérans des mouvements de résistance de la France libre, nous


appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l’héritage de la
Résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-
vous ! 2»

5.3.3)- Le récepteur :

En effet, nous observant que la présence de l’interlocuteur dans l’essai


littéraire est très originale et très essentielle où l’essayiste s’adresse souvent
directement au lecteur, l’interpelle et lui pose des interrogations. Certes,
« l’essai est fondamentalement tourné vers autrui»3. L’affirmation du « je »
est donc inséparable de celle de « tu ». Dans son ouvrage intitulé Pour une
esthétique de la réception, Robert Jauss met l’accent sur le rôle du récepteur
en soulignant: «en tout état de cause, les dix dernières années semblent avoir
vu s’affirmer l’influence des théories de la réception, du rôle du lecteur»4.
Quant à lui, Montaigne demande sans cesse à être confronté à un lecteur actif

1
- BARTHES, Roland. « Mythologies », Seuil, 1957, p.247.
2
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit. p. 5.
3
- GEYSSANT, Aline. « L’essai, le dialogue et l’apologue », op.cit.p.21.
4
-JAUSS Hans Robert. « Pour une esthétique de la réception », traduit de l’allemand par Claude
Maillard, préface de Jean Starobinski, Gallimard, 1978, "Tel",p 305 (Textes publiés en Allemagne
entre 1972 et 1975, traduction revue par l’auteur).

60
Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

et critique qui le stimule dans sa quête. Alors, nous observons cette présence
dans notre corpus à travers :

 Les marques de la deuxième personne (pronoms personnels et les


adjectifs possessifs) :
 Ex. « Je vous souhaite à tous, à chacun d’entre vous, d’avoir votre
motif d’indignation.1»
 L’usage de l’impératif qui montre une volonté d’agir directement sur le
lecteur :
 « prenez le relais, indignez vous !2 »
 « Engagez vous ! 3»

Alors, nous pouvons dire que la présence explicite du destinataire dans nos
trois essais montre que Hessel a l’intention claire d’agir sur son lecteur et de
le persuader par sa cause et son urgence. Dans notre recherche, nous
étudierons à quel degré, Hessel persuade son lecteur et à quel point
« l’étincelle Indignez-vous ! crépitait dans la nuit, embrasant petit à petit une
série de révoltes planétaires 4 » comme témoigne Stéphane Hessel lui-
même en soulignant : « Quel ouragan avais-je déclenché !5».

Du reste, nous pouvons déduire que l’essai littéraire appartient à la


littérature d’idées et de réflexion critique ; celle qui attaque, combat et prend
parti. Puisqu’il vise à agir sur le lecteur, à lui communiquer l’idée de
l’indignation et de l’engagement à travers la forme et le contenu ensemble où
1
- HESSEL, Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit. p. 6.
2
- Ibid. p.5.
3
- HESSEL, Stéphane. « Engagez-vous !, entretiens avec Gilles Vanderpooten », op.cit. p.23.
4
- LANCELIN, Aude. « Quand Stéphane Hessel faisait polémique », Le Nouvel Observateur, du
24 février 2011, p.12.
5
-HESSEL, Stéphane. « Engagez-vous !, entretiens avec Gilles Vanderpooten », op.cit. p.18 .

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

« l’engagement se dessine lentement à travers le tissu de l’écriture.»1 Alors et


avant d’entamer notre approche thématique et sociocritique des motifs de
l’indignation dans l’écriture engagée, nous tâchons de jeter la lumière sur
l’histoire de l’engagement littéraire.

8- L’engagement au cours des siècles :

Il est intéressant de signaler que l’engagement des écrivains n’est pas une
particularité du XXe siècle, mais la préoccupation pour la condition humaine
traverse toutes les périodes de l’histoire littéraire. Au cours des siècles, de
nombreux écrivains, marqués par l’actualité de leur époque, s’engagent dans
leurs œuvres. Ainsi, Montaigne2 au XVIe siècle, La Bruyère3 au XVIIe siècle,
ou les philosophes des Lumières au XVIIIe siècle , qui diffusent des
idées critiques contre le pouvoir, les mœurs, les institutions. Ils fustigent
l’absolutisme royal, les injustices sociales, le pouvoir excessif de la religion.
Ils poursuivent dans leurs écrits une analyse détaillée de la politique ainsi que
des moyens de le réformer.

Quant au XIXe siècle, nous pouvons citer, bien sûr, la figure de Victor
Hugo avec ses Misérables, qui a combattu aussi bien dans ses œuvres que
dans la vie quotidienne aux côtés des pauvres, des opprimés, des faibles. Dans,

1
- KAUFFMANN Lane R. « La voie diagonale de l’essai : une méthode sans méthode», op.cit,
p.45.
2
-Montaigne, (1533 : 1592) est un philosophe et moraliste de la Renaissance. Il a pris une part
active à la vie politique, comme maire de Bordeaux et comme négociateur entre les partis, dans le
royaume alors en guerre.
3
- La Bruyère,( 1645 : 1696 ), est un moraliste français et un écrivain très célèbre. Son ouvrage Les
Caractères ou les Mœurs de ce siècle compose une chronique essentielle de l’esprit
du XVIIe siècle.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

Les Châtiments1 (1853), il dénonce le régime et la personne de Napoléon III e.


Dans Les Contemplations 2 , (1856), il pose des questions d’une actualité
brûlante: la lutte contre toutes les formes d’injustices sociales et politique,
contre la misère et le chagrin du peuple, contre la souffrance des enfants et
des femmes. Hugo définit le poète comme le « mage» 3 , un guide qui a
pour mission d’indiquer au peuple la voie à suivre. Les romans de Zola sont
aussi les plus fameux représentants d’un engagement social à cette époque là.

Cependant, le terme d’engagement lui-même n’est apparu et ne trouve sa


définition la plus achevée qu’au XXe siècle, à l’après-guerre, son époque
d’épanouissement, époque qui a connu les deux guerres mondiales et a
provoqué une traumatise profonde et une « crise de la conscience 4 »
collective et de la pensée sans précédent. Les œuvres de Sartre, Aragon,
Camus ou Marguerite Duras, par exemple, témoignent de cette histoire
tourmentée du XXe siècle. Si, du point de vue littéraire, le XVIIIe siècle est
celui de Voltaire et le XIXe siècle celui de Hugo, nous pouvons dire que
Sartre, dans le XXe siècle, est présenté comme un symbole dans la littérature
et surtout dans la littérature engagée où il décide de transcrire l’histoire de son
époque.

C’est ainsi que l’écrivain engagé assume la responsabilité de s’exprimer au


nom de ceux qui ne peuvent pas le faire, de combattre avec le peuple pour
traduire ses aspirations et ses angoisse. « L’écrivain n’est utile que quand il

1
- HUGO, Victor. « Les Châtiments », Paris, Ed. Henri Samuel et Cie, 1853.
2
- Id. « Les Contemplations », Paris, recueil de poésies publié en 1856.
3
- Id. « Les Rayons et les Ombres », Paris, recueil de poèmes publié en 1840.
4
-HZARD, Paul. « La crise de la conscience européenne », Paris, le livre de Poche, Coll.
Références, 1994, 1e édition : Boivin et Cie, Paris, 1935.

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Chapitre préliminaire
L’essai : outil d’indignation et d’engagement

dénonce les maux de la société. 1» Mais de nos jours et malgré que nous
vivrons au XXIe siècle, époque pleine de mouvements, d’incertitudes, de
désillusions,

« La littérature […] se destinerait aujourd’hui plus modestement à dire la


réalité, à ébranler notre perception du monde, mais en aucun cas à dénoncer
directement les dysfonctionnements de ce dernier ; comme si notre propre
condition postmoderne requérait une évolution du geste littéraire engagé».2

D’ici, intervient le message implacable d’Hessel qui anime la littérature


engagée en rappelant l’idée de l’engagement sartrien : « l’homme […] libre
[…] et responsable porte le poids du monde entier sur ses épaules»3; pour
prouver que l’engagement est d’abord un choix de l’Homme et surtout de
l’écrivain, quelle que soit l’époque. « Vénérable enthousiaste, présent sur tous
les fronts4». Hessel affirme que l’écrivain lui-même doit se sentir responsable
et ne peut pas rester indifférent aux événements civils et sociaux ainsi qu’aux
événements des autres pays. C’est pourquoi, nous montrerons, dans cette
présente étude, à quel degré cet essayiste s’efforce de « dévoiler les tensions
qui traversent la société mondiale»5 et à quel degré le sentiment l’indignation
face à tout ce qui relève de l’injustice reste jusqu’au bout, la marque de
fabrique de l’écriture de Stéphane Hessel.

1
- (http://professeur.centerblog.net/5325295-L-engagement-de-l-ecrivain). Consulté le 12 novembre
2016.
2
-VIART, Dominique et VERCIER, Bruno. « La Littérature française au présent. Héritage,
modernité, mutations », op.cit, p. 511.
3
SARTRE, Jean-Paul. « L’ETRE et Le Néant, Paris », Gallimard, 1982, p.83.
4
HESSEL, Stéphane. « Engagez-vous !, entretiens avec Gilles Vanderpooten », op.cit. p.8.
5
STEVAN, Caroline, « Engagez- vous !, un message porteur », le Temps 4 janvier, 2011, p.8.

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L’essai : outil d’indignation et d’engagement

Conclusion :

Pour conclure, nous pouvons dire que l’essai est un genre littéraire
exceptionnel qui développe des réflexions personnelles portant sur des thèmes
existentiels cruciaux et universels. La particularité de ce genre et de ses
formes que S. Hessel emploie, dessine parfaitement le thème de l’indignation,
permet à l’essayiste d’aborder son thème sous divers angles et d’agir
profondément sur le lecteur. Alors, nous voulons sortir de la grille de lecture
linguistique pure qui s’enracine dans la langue pour la remplacer par l’analyse
du contexte et de l’argumentation, qui « se propose d’étudier l’efficacité de la
parole dans ses dimensions institutionnelles, sociales et culturelles1». Nous
abordons donc le thème de l’indignation à travers une étude minutieuse de
trois phénomènes sociaux enchevêtrés, dégagés dans notre corpus, à savoir ;
l’indifférence, la pauvreté et la violence, en montrant à quel degré ces fléaux
cachent d’autres motifs d’indignation plus nocifs, comment l’essayiste se met
lui-même en scène comme partie prenante de la crise et comment « ses
arguments et ses preuves […] sont imposés dans et par le vécu»2 ; tout en
commençant dans le chapitre premier par « le plus grand scandale
contemporain […] celui de l’indifférence.3»

1
- AMOSSY Ruth (2000), « L’argumentation dans le discours. Discours politique, littérature
d’idées, fiction. Comment peut-on agir sur un public en orientant ses façons de voir, de
penser ? », Op.cit. 132.
2
- ANGENOT, Marc « La parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes », Paris, Ed.
Payot, Coll. « Langage et société», 1982, p. 301.
3
-HESSEL Stéphane. « Indignez-vous ! », op.cit, p. 52.

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