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Karstologia : revue de

karstologie et de spéléologie
physique

Aspects hydrogéologiques du Yucatan (Mexique)


Christian Thomas

Citer ce document / Cite this document :

Thomas Christian. Aspects hydrogéologiques du Yucatan (Mexique). In: Karstologia : revue de karstologie et de
spéléologie physique, n°34, 2e semestre 1999. Hydrogéologie du Yucatan (Mexique) et Stalagmites, climat et
environnement. pp. 9-22 ;

doi : https://doi.org/10.3406/karst.1999.2444

https://www.persee.fr/doc/karst_0751-7688_1999_num_34_1_2444

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Resumen
Rasgos hidrogeologicos del Yucatan (Mexico).
Los karsts sumergidos son numerosos e importantes en la peninsula del Yucatan (México). Las
exploraciones espeleonâuticas, los datos hidrolôgicos y fisico-quimicos de las cavidades litorales
y submarinas han permitido comprender los principales rasgos hidrogeologicos de este tipo de
karst. Este articulo trata del funcionamiento hidrogeolôgico de estos karsts litorales particulares,
de la influencia de las mareas sobre las circu-laciones kârsticas, de la salinisaciôn de las aguas
continentales y delà evalua-ciôn de las reservas de agua dulce. Igualmente, se propone una
quantificaciôn de la ablaciôn kârstica. Estas distintas caracteristkas del karst de Yucatan se
comparan con otros karsts litorales (Isla de Lifou y de Nullarbor). Palabras-claves : karst litoral,
cavidades submarinas, cénotes, hidrogeologia, ablaciôn kârstica, Yucatan, México.

Abstract
Hydrogeological studies in Yucatan (Mexico). The submersed karsts also know as plain karsts are
highly developed in the Yucatan peninsula. Cave diving explorations, physical and chemical
measurements [water discharge, chemical analysis of the water, watertable altitude, a.s.o...] allow
an indirect estimation of the main hydrogeological parameters of these karsts : infiltration ratio,
fresh water reserves, pollution by the salty water, tide influence, karstic erosion... Comparisons are
given with other karsts : Lifou and Nullarbor. Key-words : karst, plain, Yuacatan, Ghyben-
Herzberg, infiltration, karstic systems, cenote, hydric balance, dissolution.

Résumé
Les karsts ennoyés sont particulièrement bien représentés dans la péninsule du Yucatan
[Mexique]. Les explorations spéléonautiques et les relevés hydrologiques et physico-chimiques
des cavités littorales et sous-marines ont permis d'appréhender les principales caractéristiques
hydrogéologiques de ce type de karst. Cet article traite plus spécifiquement du fonctionnement
hydrogéologique de ces karsts littoraux particuliers, notamment l'influence des marées sur les
écoulements karstiques, la salinisation des eaux continentales, l'évaluation des réserves d'eau
douce.
Un essai de quantification de l'ablation karstique est également proposé. Une comparaison est
donnée avec d'autres karsts du même type : Lifou [Nouvelle Calédonie], Nullarbor [Australie].
Mots-clés : karst littoral, cavités sous-marines, cénote, hydrogéologie, ablation karstique, Yucatan,
Ghyben-Herzberg, Mexique.
Aspects hydrogéologiques

du Yucatan
27 cours
Christian
de Vincennes,
THOMAS
(Mexique)
75020 Paris

Etats-Unis
RÉSUMÉ : Les karsts ennoyés sont
particulièrement bien représentés dans
la péninsule du Yucatan [Mexique].
Les explorations spéléonautiques
et les relevés hydrologiques et
physico-chimiques des cavités littorales
et sous-marines ont permis d'appré¬ N\\*
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hender les principales caractéristiques \
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hydrogéologiques de ce type de karst.
Cet article traite plus spécifiquement
du fonctionnement hydrogéologique de
ces karsts littoraux particuliers,
notamment l'influence des marées sur /Guatemala •' Honduras,'' )
les écoulements karstiques, la salinisa- ---*alva —dor X./ Nicaragua
\ V QA\i\ 0 km 200
tion des eaux continentales, l'évalua¬ Océan Pacifique

i
tion des réserves d'eau douce.
Un essai de quantification de l'ablation Figure 1 : Carte de localisation de la péninsule du Yucatan et de la zone étudiée.
karstique est également proposé. Une Mapa de localizaciôn de la peninsula del Yucatan y de la zona estudiada.
comparaison est donnée avec d'autres
karsts du même type : Lifou [Nouvelle del funcionamiento hidrogeolôgico de The submersed karsts also know as
Calédonie], Nullarbor [Australie]. estos karsts litorales particulares, de la plain karsts are highly developed in the
Mots-clés : karst littoral, cavités influencia de las mareas sobre las circu- Yucatan peninsula. Cave diving explo¬
sous-marines, cénote, hydrogéologie, laciones kârsticas, de la salinisaciôn de rations , physical and chemical measu¬
ablation karstique, Yucatan, las aguas continentales y delà evalua- rements [water discharge, chemical
Ghyben-Herzberg, Mexique. ciôn de las reservas de agua dulce. analysis of the water, watertable altitu¬
Igualmente, se propone una quantifica- de, a.s.o...] allow an indirect estimation
RESUMEN : Rasgos hidrogeologicos ciôn de la ablaciôn kârstica. Estas of the main hydrogeological parameters
del Yucatan (Mexico). distintas caracteristkas del karst de of these karsts : infiltration ratio, fresh
Los karsts sumergidos son numerosos e Yucatan se comparan con otros karsts water reserves, pollution by the salty
importantes en la peninsula del Yucatan litorales (Isla de Lifou y de Nullarbor). water, tide influence, karstic erosion...
(México). Las exploraciones Palabras-claves : karst litoral, cavida¬ Comparisons are given with other
espeleonâuticas, los datos hidrolôgicos y des submarinas, cénotes, hidrogeologia , karsts : Lifou and Nullarbor.
fisico-quimicos de las cavidades litorales ablaciôn kârstica , Yucatan, México. Key-words : karst, plain, Yuacatan,
y submarinas han permitido comprender Ghyben-Herzberg, infiltration,
los principales rasgos hidrogeologicos ABSTRACT : Hydrogeological karstic systems, cenote, hydric balance,
de este tipo de karst. Este articulo trata studies m Yucatan (Mexico). dissolution.

INTRODUCTION (Nouvelle Calédonie), à Cuba et au 1986, 1991, 1995, 1997]. Dans cet article,
Yucatan (Mexique), nous avons décou¬ nous nous intéressons plus particulière¬
Les "karsts ennoyés" ont été relati¬ vert une cinquantaine de kilomètres de ment à la péninsule du Yucatan.
vement peu étudiés par les spéléologues nouveaux réseaux spéléologiques et La péninsule du Yucatan, située au
et karstologues français, du fait de leur spéléonautiques, recensé de nombreux sud-est du Mexique (fig.l), correspond à
faible extension en territoire métropoli¬ phénomènes karstiques originaux, et un vaste plateau calcaire de 150000 km2,
tain. Lors de nos expéditions menées étudié ces karsts bien particuliers d'un soit le quart du territoire français. Son
depuis 15 ans à Lifou, Mare, et Ouvéa point de vue hydrogéologique [Thomas, altitude qui n'excède pas les 400 m dans

C. THOMAS, Aspects hydrogéologiques du Yucatan (Mexique)


KARSTOLOGIA N° 34 - 2/1999, 9-22 - 9
Fig. 2
Le Yucatan fait partie des grands
domaines karstiques ennoyés de la planète,
au même titre que la plaine de Nullarbor
(Australie), ou encore que la Floride. C'est
un haut lieu de l'exploration en plongée souter¬
Evapotranspiration raine : plus de 300 km de siphons y ont été
Niveau —V" Infiltration explorés. Nos explorations ont permis de
de la mer Exurgences découvrir environ 30 km de grottes noyées,
mais aussi d'intégrer les résultats des équipes
américaines qui travaillent également cette
région [Coke, 1988, 1992, 1993; Gerrard,
Eau salée 1993, 1995, 1998], Les observations et relevés
de terrain et souterrains, les mesures physiques
et chimiques faites de manière systématique,
et le calcul des paramètres climatiques permet¬
tent d'esquisser le fonctionnement hydro¬
géologique de ce vaste karst, et d'évaluer les
réserves d'eau douce, et les problèmes de sali-
nisation de l'aquifère karstique.

I. SUR LA PRÉSENCE D'UNE


"LENTILLE" D'EAU DOUCE

A. La lentille d'eau dite


de "Ghyben Herzberg"
L'existence d'une "lentille d'eau douce"
dans la nappe des calcaires récifaux des îles
coralliennes du Pacifique a été démontrée en
Figure 2 : Représentation la partie centrale de la péninsule, s'abaisse 1889 par Ghyben, puis en 1901 par Herzberg.
schématique du modèle de la régulièrement en direction du littoral. Le faible Le nord de la péninsule du Yucatan abrite
"lentille d'eau douce" de Ghyben gradient altitudinal qui en résulte, s'exprime une lentille d'eau douce comparable.
(1889) et de Herzerg (1901).
Esquema del modelo "burbuja de dans le paysage par une succession de modes¬ Cette eau d'eau douce, du fait de sa plus
agua dulce" de Ghyben (1889) y tes buttes coniques dénommées "chichitas" faible densité, "surnage" au-dessus de l'eau
de Herzerg (1901). par Weidie [1985]. Ces collines sont parfois salée infiltrée en profondeur (application de
Figure 3 : Organisation séparées par des vallées de faible extension la bonne loi d'Archimède). L'épaisseur de la
schématique de l'halocline et quelques grandes dépressions fermées. Ces lentille d'eau douce peut être estimée à partir
qui marque le contact entre vallées, comme les dépressions, sont le plus de la formule empirique suivante :
les eaux douces et les eaux souvent sèches ; la quasi totalité des eaux H = 40 h
d'origine marine. Valeurs repré¬
sentatives de la côte est du météoriques s'infiltrent directement dans la
Yucatan. Organization masse karstique pour rejoindre la zone noyée. H correspond à l'épaisseur estimée de
esquemâtica de la "haloclina" Celle-ci peut être facilement atteinte grâce la lentille et h correspond à la hauteur de la
que senala el contacto del agua aux nombreux gouffres d'effondrement qui surface piézométrique (par rapport au niveau
dulce y del agua del mar. criblent le plateau du Yucatan : les cénotes. marin ).

Cette lentille d'eau, alimentée par les eaux


d'infiltration, présente un double bombement :
la surface inférieure marque le contact avec
les eaux d'origine marine (l'halocline), alors
que la limite supérieure correspond à la surface
piézométrique qui s'abaisse en direction de
la mer et guide les écoulements souterrains
(fig 2).

Figure 4 : Carte de la surface piézométrique


de la partie septentrionale du Yucatan.
Les courbes correspondent aux
hydro-isohypses exprimées en m.
100 km Mapa de la superficie piezométrica del sector
norte del Yucatan.

C. THOMAS, Aspects hydrogéologiques du Yucatan (Mexique)


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B. Détermination des limites
inférieure et supérieure
de la lentille

7. La limite inférieure :
l'interface eau douce/eau salée
La limite inférieure, au contact de l'eau
d'origine marine, s'observe très bien en plon¬
gée. Elle se présente sous la forme d'une surfa¬
ce fluide appelée l'halocline, nettement visible
du fait de la différence de réfringence des
deux liquides. L'eau salée (27°C) a un indice
de réfraction nettement supérieur à l'eau douce
plus fraîche de 2 à 4°C (23 à 25°C). Nous
avons mesuré la profondeur de l'halocline
dans plusieurs cavités de la côte est du Yucatan
et ainsi pu tracer la limite inférieure de la
lentille d'eau douce (fig. 3). Nous n'avons pu
malheureusement prolonger plus en avant ces (drainage de la zone noyée) : ceux-ci s'orga¬ Photo 1 : Un des nombreux
mesures qui imposent de longs cheminements nisent, en effet, perpendiculairement aux hydro- cénotes qui accidentent
spéléonautiques. Les valeurs que nous avons isohypses (équivalent des courbes de niveau le bas-plateau du Yucatan
relevées sont en adéquation avec la théorie de la surface topographique). La détermination (cliché C. Thomas).
Uno de los numerosos
de Ghyben Herzberg. Une des questions qui des sens de drainage de la zone noyée permet "cénotes " que perforait la
restent en suspens, est de savoir si l'eau de par la suite de définir les différentes aires superficie del Yucatan.
mer pénètre en profondeur jusqu'au cœur de hydrogéologiques ; ces aires hydrogéologiques
la péninsule. Quelques cénotes, comme ceux sont l'équivalent des bassins versants des karsts
de Sayabucil, Kolac, Union libre, Zadzinache classiques. C'est ainsi que sur la péninsule du
ou Valladolid indiquent que l'eau de mer est Yucatan, on a pu tracer la ligne de partage
présente jusqu'au moins une centaine de kilo¬ des eaux entre les bassins drainés vers l'est et
mètres des côtes. On peut donc penser que la l'ouest (fig. 4). On relève une très nette dissy¬
péninsule possède de l'eau de mer en profon¬ métrie, puisque cette limite se situe à une
deur, tout au moins pour la moitié nord. cinquantaine de kilomètres de la côte est (et à
plus de 150 km de la côte occidentale !). Cette
2. La limite supérieure : dissymétrie peut être d'origine climatique : la Figure 5 : Carte de la surface
côte orientale (façade caraïbe) est beaucoup piézométrique de l'île de Lifou
la surface piézométrique (Nouvelle Calédonie)
plus arrosée (plus de 1200 mm par an) que la
Grâce aux milliers de cénotes qui trouent côte ouest (golfe du Mexique) qui reçoit moins Les courbes correspondent
de 800 mm annuels. Cette différence d'alimen¬ aux hydro-isohypses
la surface du plateau du Yucatan, on peut aisé¬ exprimées en m.
ment accéder au toit de la nappe et, de là, défi¬ tation pluviométrique pourrait entraîner un Mapa de la superficie
nir la surface piézométrique et sa pente. En exhaussement de la surface piézométrique à piezométrica de la Isla de Lifou
1985, Weidie dresse une première cartographie l'est qui, par conséquence, entraîne un plus (Nueva Caledonia ).
de la surface de la nappe (fig. 4). Les premières
constatations qu'on peut faire, sont que le
sommet de la "lentille" dépasse rarement les
5 m et, que par conséquence la pente piézo¬
métrique est extrêmement faible : elle est de
moins de 2/100000 vers l'ouest et atteint
1/10 000 vers l'est. Ces pentes sont à comparer
à celles des karsts gravifiques européens qui
sont eux en moyenne de 2%. L'île de Lifou
(Nouvelle Calédonie) présente une configura¬
tion similaire concernant sa surface piézomé¬
trique (fig. 5) ; les pentes que nous avions
relevées, étaient de l'ordre de 5/10 000. Bien
que faibles, celles-ci sont 5 fois plus fortes
que dans la région orientale du Yucatan et
25 fois plus que dans sa partie occidentale ! ! !
La pente de la surface piézométrique, si faible
soit-elle, est importante à définir car elle
détermine le sens des écoulements de la nappe

C. THOMAS, Aspects hydrogéologiques du Yucatan (Mexique)


KARSTOLOGIA N° 34 - 2/1999, 9-22 _ 11
STATIONS life. - Wë Tot
CHETUMAL 60 50 40 20 25 120 165 155 135 220 180 80 1250
COZUMEL 100 90 90 60 40 40 180 120 140 250 240 120 1370
Tableau 1 : Données VALLADOLID 35 40 40 40 40 110 180 140 165 210 160 40 1200
pluviométriques exprimées MERIDA 30 30 30 20 20 65 140 125 160 200 140 40 1000
en mm de quelques stations
représentatives du Yucatan. CAMPECHE 50 25 15 15 5 85 130 170 275 260 65 40 1135

fort gradient en direction de la façade


caraïbe ; ce plus fort gradient se marque
également par des vitesses de drainage
plus élevées que vers l'ouest (fig. 12).

3. De faibles fluctuations
saisonnières du toit de la nappe
Le relevé périodique du niveau
d'eau dans les cénotes permet de mettre
en évidence les fluctuations de la surface
piézométrique ; l'étude des variations *r ft.
piézométriques est intéressante dans une
région comme le Yucatan soumis à un
régime pluviométrique très contrasté
(tableau 1). La comparaison entre le
régime saisonnier des précipitations et
les fluctuations de la nappe est une source
d'informations importantes sur les capa¬
cités transmissives ou non de ce type de 6Photo
descubierto
kilomètres
2 : Plongée
en(cf.
1997
fig.
dans
y 16),
explorado
le cénote
(clichésobre
Cuzel
C. Thomas).
mas
(Aktun
de 6 Coh)
Submersion
km. (fig.
découvert
16).en elen cenote
1997 etCuzel
exploré(Aktun
sur plus
Coh)de
karst. Nous avons utilisé, pour notre part,
une méthode indirecte pour appréhender
les fluctuations de la surface piézomé¬
trique : l'observation à la base des parois C. Les mouvements d'eau de 1991], où nous avons exploré des
de cénotes des traces de boue et/ou mer dans les drains karstiques grottes alternativement aspirantes et
d'algues. Les périodes les plus propices refoulantes et aux courants suffisam¬
pour ce relevé sont la fin de la saison ment violents pour entraîner des pneus
humide (janvier) mais aussi à la fin de ce
entrant
1995]
parUnest
l'expédition
ou
dessortant
l'importance
phénomènes
d'eau
Lifoumis
de
des
95mer.
en[Thomas,
courants
éviden¬
Nous de camions (voire des vaches !) à plu¬
la saison sèche (mai) pour définir le point sieurs dizaines de mètres à l'intérieur
bas de la surface piézométrique. Cette du karst noyé. La violence de ces phé¬
mesure des fluctuations du toit de la avons retrouvé les mêmes phénomènes nomènes s'estompe dès qu'on s'éloigne
nappe peut être également complétée par au Yucatan. Ils sont visibles en plongée : du littoral et devient insignifiant au-
l'étude des encoches de corrosion, au dans une même galerie, on relève souvent delà de 5 à 7 km. À cet effet universel
niveau de l'halocline. En effet, étant à la voûte du drain des courants d'eau des marées, il faut adjoindre une autre
donnée la relation existante entre la douce s'écouler vers la sortie, alors que origine d'ordre climatique.
hauteur de la surface piézométrique et les eaux d'origine marine pénètrent avec - Les courants liés aux régimes saison¬
l'épaisseur de la lentille (H = 40h), une force dans le karst ! Ces mouvements niers des précipitations. Pendant la
variation de niveau en surface, se traduit d'eau de mer ont deux origines : saison sèche, bien que la nappe ne soit
immanquablement par une fluctuation - Les courants semi-diurnes liés aux plus alimentée par les eaux d'infiltra¬
de la profondeur de l'halocline. La corro¬ marées. L'effet des marées dans le tion, on relève un débit régulier des
sion de la roche étant très forte à ce karst noyé a été observé à Lifou jusqu'à écoulements karstiques. Cette relative
niveau (cf. IV.c.), une encoche de disso¬ 2 km des côtes [Thomas, 1995] ; la régularité du débit à l'exutoire serait
lution se creuse dans la paroi. La mesure vitesse de propagation du "mascaret due à une alimentation de l'aquifère
de la hauteur de l'encoche donne une souterrain" y a été estimée à environ par de l'eau de mer qui compenserait
approche indirecte de la fluctuation du 1,5 km/heure. Au Yucatan, les effets le déficit des infiltrations ; étant donné
niveau de l'eau. de la marée se font ressentir jusqu'à la différence de densité entre les eaux
D'après nos observations, il semble 5 km des côtes. Sur l'île de Lifou, ils douces et salines, les eaux sortantes
que la surface piézométrique fluctue rela¬ provoquent des flux d'eau de mer alter¬ sont douces et resteront douces, d'où
tivement peu dans le courant de l'année : nativement entrant et sortant d'un total l'illusion d'un aquifère dont le volume
les variations relevées sont de l'ordre de de 110 m3/s sur l'ensemble de l'île, en eau douce varierait peu. En saison
1 5 à 25 cm ce qui implique que la charge soit 0,6 m3/s et par km de côte. Nous des pluies, le phénomène s'inverse : la
hydraulique et, par voie de conséquence, avons également pu assister à la violen¬ part des eaux douces dans l'aquifère
les débits d'eau douce sont très réguliers. ce de ces phénomènes à Cuba [Thomas, prend de l'importance, la part des flux

C. THOMAS, Aspects hydrogéologiques du Yucatan (Mexique)


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sortante prend le pas sur les flux d'origine Figure 6 : Distribution
marine et l'halocline s'abaisse. Les préci¬ cm d'eau saisonnière des
pitations étant relativement irrégulières précipitations sur
(tableau 1), cet approfondissement de B COZUMEL E le nord du Yucatan :
■ MERIDA W diagrammes comparés
l'halocline se fait le plus souvent par à-
coups, et les reflux d'eau de mer qui en entre l'ouest (Mérida)
résultent, peuvent être très violents. et l'est (Cozumel)
de la péninsule.
Distribuciôn de las
lluvias sobre el norte
II. UNE PREMIÈRE del Yucatan : diagra-
APPROXIMATION mas comparativos
DES FLUX D'EAU i entre el oeste (Merida)
J F M A M J JASOND mois y el este (Cozumel)
L'essentiel des eaux de pluie s 'infil¬ de la peninsula.
trant dans la masse calcaire, se pose le
problème de l'indigence d'eau douce en STATION CHETUMAL COZUMEL VALLADOLID MERIDA CAMPECHE
surface. Il est donc important de définir Précipitations annuelles 1250 1370 1200 1000 1135
les réserves potentielles en eaux douces Infiltrations efficaces 266 384 278 205 319
souterraines. Étant donné le caractère
hydrogéologique particulier des karsts Tableau 2 : Précipitations et infiltrations efficaces exprimées en mm pour quelques stations
littoraux du Yucatan (flux entrant et météorologiques représentatives du Yucatan.
sortant d'eau d'origine marine), il est
nécessaire de définir au mieux les flux (tableau 1). Dans l'une et l'autre stations, Nous avons repris les calculs de
d'eau transitant dans le karst depuis la saison des pluies ressort clairement ; l'évapotranspiration par la méthode de
l'impluvium. Pour dresser ce premier elle s'étend de mai à novembre. Turc pour les stations du tableau 1, en
bilan, il est nécessaire d'appréhender la En ce qui concerne, les tempéra¬ sachant que Chetumal et Cozumel se
part "réelle" des eaux s 'infiltrant dans tures, du fait de l'influence océanique, situent à l'est de la péninsule, Valladolid,
la masse karstique et de la comparer aux elles sont assez stables. La température au centre, et Mérida et Campeche à
eaux douces sortant du système karstique. moyenne mensuelle varie de 24 à 27 °C l'ouest. À partir de ces calculs, on a pu
L'évaluation des eaux entrant dans à Cozumel et de 23 à 27°C à Mérida.
estimer
est d'environ
le coefficient
28% surd'infiltration
le rebord estqui
de
le karst peut être approchée par l'esti¬
mation des précipitations et de l'évapo¬ B. Estimation de la Péninsule et de l'ordre de 20% sur le
transpiration qui est un facteur climatique rebord l'ouest (tableau 2).
l'évapotranspiration
essentiel en domaine tropical.
L'estimation de l'évapotranspiration G. Les mesures
Infiltration efficace = (ETP) repose sur les mesures de tempé¬ aux sorties du karst
Précipitation - Evapotranspiration rature et de pluviométrie fournies par
(le = P - ETP) les stations météorologiques du pays. Le principe de la mesure des flux
A partir de ces données, le modèle de d'eau sortant du karst repose sur l'esti¬
Thornthwaite [1948] a été appliqué. mation de débit des émergences afin de
A. La part des eaux Il permet de calculer l'évapotranspiration pouvoir comparer ensuite ces flux à la
météoriques théorique mois après mois. Le modèle masse d'eau infiltrée (le). Aucune mesure
Les données climatiques (précipi¬ prend en compte le rôle de stockage de directe n'avait été jusqu'à présent effec¬
tations et températures) sont bien connues la végétation et des sols. La Direction tuée au Yucatan, du moins à notre
grâce à un réseau de plus de 120 stations Générale de Géographie a réalisé cette connaissance. En effet, l'opinion géné¬
météorologiques qui couvre la péninsule approche sur toutes les stations météo¬ ralement répandue tient pour acquise
du Yucatan depuis 1921. On se reportera rologiques de la péninsule. Elle en a l'idée que l'eau douce sort de manière
utilement aux travaux de Corbel [1959], déduit, région par région, les valeurs diffuse en mer, rendant ainsi délicate et
du Servicio de Aprovechamiento de los théoriques de la tranche infiltrée, et du partielle toute mesure de débit des émer¬
Recursos Hidricos [1976] et de Heraud ratio d'infiltration. Ces valeurs oscillent gences karstiques.
Pina [1996], entre 2% à l'ouest et 14% à l'est. Afin d'inventorier le plus exhausti¬
Afin de souligner le contraste Il existe d'autres formules pour esti¬ vement possible les émergences littorales
pluviométrique, abordé dans la première mer l'évapotranspiration comme celle et sous-marines, nous avons suivi la ligne
partie, entre les façades est et ouest de la de Turc qui a été utilisée, entre autres, de côte avec l'aide des pêcheurs. C'est
péninsule yucatèque, nous avons porté par Corbel [1959] sur six stations. Il ainsi que nous avons pu, d'une part, dans
sur la figure 6 deux stations : l'une en estime la tranche infiltrée entre 13 % et la lagune de Conil suivre le littoral en
façade est fréquemment balayée par les 1 8 % sans mettre en avant la différence direction du nord (vers Dzilam Bravo)
cyclones (Cozumel) ; la deuxième se situe climatique Est/Ouest. A sa décharge, il (fig. 7), et, d'autre part, sur la façade
en façade occidentale (Mérida). Le total ne disposait pas de données météorolo¬ caraïbe longer la côte sur plus de 100 km
annuel des précipitations est de 1 370 mm giques aussi complètes que celles que (en partant au nord de la Playa del
à Cozumel et de 1 000 mm pour Merida nous avons aujourd'hui. Carmen en direction du sud et de Tulum)

C. THOMAS, Aspects hydrogéologiques du Yucatan (Mexique)


KARSTOLOGIA N° 34 - 2/1999, 9-22 _ 13
87* W Figure 7 : Répartition géographique des sources
de la Lagune de Yalahau (Chiquila-Cap Catoche).
Distribuciôn geogrâfica de los manantiales de la
PUNTA FRANCISCO laguna de Yalahau (Chiquila-Cabo Catoche).
HOLBOX (fig. 8). Ce relevé a permis de mettre en
21' 30' N évidence que, contrairement aux idées établies,
LAGUNA 0 YALAHAU les écoulements karstiques sortent de manière
10 WB 10 M 40 IT/sir5 MENSURA DEL POLVENIR concentrée donnant ainsi naissance à des émer¬
gences majeures sourdant dans des caletas
21* 25' N (petites baies). Parfois, elles donnent naissance
à des rivières qui rejoignent rapidement la
mer, comme la Xel-Ha, ou encore la Xpu-
Ha ; dans ce cas, les exutoires sont évidemment
visibles. Ces émergences littorales apparaissent
SOLFERINO comme un élément courant des karsts littoraux
caraïbes ; nous avons exploré de telles émer¬
gences à Cuba. Parfois, les sources se situent
en mer, à quelques dizaines de mètres du
Figure 8 : Repartition géographique San Manuelito rivage. Les débits peuvent être très importants
des sources sur la côte est de la comme le trou bleu de Dzilam Bravo qui
Chuchuen 1&2
péninsule du Yucatan X-Calacoco présente un débit de 5 m -Vs. Après ce premier
(entre Playa del Carmen et Tulum). San Bernardino fv inventaire, il ressort que les petites sources
Reparticiôn geogrâfica de los manan karstiques sont peu nombreuses et, en terme
dales del litoral oriental de la peninsula X-Caret
TorWg.Ax „Carmen
><lel
del Yucatan (entre la playa del Carmen j de bilan global, qu'elles participent modeste¬
Tulum) ment au transfert de l'eau douce à travers la
masse karstique.
Les mesures que nous avons réalisées,
Puerto Aventura se sont faites presque toujours en plongée. Il
faut, en effet, aller chercher un endroit où la
Minotauro-Taj-Mahal
CuzelAlhaffibra*
(Akhin-Coh)
Ponderosa
Chacmol
A A.Xpu-Ha sud
Xpu-Ha galerie soit assez régulière, et soit traversée
par la totalité des flux sortant du karst : le
Aktun chen drain de la zone noyée apparaît, de ce fait, le
Yalku meilleur site de mesure. La mesure s'effectue
Macario Gomez Jaguar
Pitrh A en évaluant la section utile et la vitesse du
Chemuyil
Dos OjOS Ai Pies X-Cacehto courant. En outre, il faut bien distinguer le
Mmdo Escondido •Ha débit d'eau douce, et celui de l'eau de mer.
Nohoch A Des prélèvements d'échantillon d'eau au-
Carwash dessus et en dessous de l'halocline permettent
Sac Actun de mesurer la salinité de chaque veine d'eau.
Temple of Doom Cette approche est facilitée par la grande
Naranhal A stabilité des débits jour après jour tout au long
Mayan Blue A de l'année; stabilité due aux entrées plus ou
Trayons marins moins importantes d'eau de mer qui compen¬
sent le déficit saisonnier des infiltrations effi¬
caces (cf. première partie de l'article). Il faut,
par contre, tenir compte des effets de marée
20 km dans le débit des sources karstiques ainsi que
des effets de dilution d'eau de mer dans l'eau
douce ; les mesures de salinité permettent de
Nom Q NaCl Q eau Nom Q NaCl Q eau limiter cet écueil.
douce douce Cette série de mesures de débit nous
m3/s g/1 m3/s m3/s g/1 m3/s ont permis d'appréhender les flux d'eau
Abejas 1.5 10 1.1 Xpu-Ha sud 1 10 0.8 douce sortant des karsts littoraux du Yucatan
Casa cénote 1.5 10 1.1 Xpu-Ha 3.5 8 2.7 (tableau 3).
Lalol 1.2 10 0.9 P. Aventuras 1 10 0.8 Sur la base de 49,2 m3/s, il est possible
Lalo 2 0.2 10 0.1 X-Caret 1.5 7 1.2 d'estimer la part annuelle d'eau douce émer¬
Xel-Ha 3.5 15 1.9 Chuchuen 6 5 5.1 geant de la région nord-est du Yucatan ; celle-
Xcacelito 0.6 11 0.4 Conil 40 46 17 ci est de l'ordre de 1,56 milliard de m3. Si on
Chemuyil 0.6 12 0.4 Yalahau 1.2 1.3 1.2 compare cette part, aux 7,8 milliards de m3
Yalku 0.6 10 0.5 Divers 20 10 14
TOTAL 83.9 m3/s
TOTAL eau douce 49.2 m3/s Tableau 3oriental.
Yucatan : Mesures de débit des émergences du

C. THOMAS, Aspects hydrogéologiques du Yucatan (Mexique)


14 - KARSTOLOCIA N° 34 - 2/1999, 9-22
Figure
des réserves
9 : Estimation
d'eau
d'eaux précipitées, on arrive sur un douce (en millions
rapport d'infiltration d'environ 20%, soit de m3) par unité CANCUN
une valeur comparable à celle estimée à spatiale
Estimation
de 100dekm2.
las
partir des indices de Thornthwaite et de
Turc (cf. tableau 2). reservas de agua dulce
(milliones de m3) por
unidad de 100 km2.
III. LES RÉSERVES
D'EAU DOUCE

Pour appréhender les réserves en


eau douce de la péninsule du Yucatan,
il est nécessaire de disposer d'un certain PLAYA
nombre de données comme, par exemple, DEL
l'importance des flux transitant dans le du karst est de l'ordre de CARMEN
karst, la porosité et la perméabilité. Les 130 millions de m3.
flux traversant la masse calcaire ont été Pendant la saison des
déjà traités ; restent à aborder la porosité pluies la lentille emmaga¬ TULUM
et la perméabilité de la roche encaissante. sine de l'eau, tandis qu'elle
La première conditionne le volume d'eau se vide pendant la saison 50 km
dans l'aquifère et la seconde intervient sèche. L'étude mensuelle
dans la vitesse des écoulements ; cette des précipitations permet
vitesse est importante à appréhender car donc d'évaluer la fluctua¬
elle joue sur le renouvellement plus ou tion du volume de la lentille entre ces estimer les réserves d'eau douce de la
moins rapide des eaux contenues dans deux extrêmes. Le tableau ci-dessous façade orientale de la péninsule. Nous
le karst. résume le calcul. avons, pour mener ce calcul, découpé
A partir de ces données, la lentille cette région en une série de secteurs de
A. Estimation de la porosité d'eau présente une variation de volume 100 km2 (figure 9). À partir de ce carro-
de 717 millions de m3 au cours de yage et pour chacun des secteurs, on a
La détermination de la porosité sur l'année (de + 626 à -91 millions de m3). appliqué la formule suivante :
un espace si important n'est pas chose Cette variation se traduit par une fluc¬
aisée étant données les variations de tuation de 15 cm de la surface piézomé¬ R(i) = 1,8 x 40 x h(i)
faciès du substrat. Une estimation globale trique et de 6 m de l'halocline. Pour
est ici proposée au travers d'un raison¬ stocker 717 millions de m3 dans une i est le numéro de l'unité spatiale, R(i)
nement original à partir des flux entrants tranche de l'aquifère de 6,15 m d'épais¬ est la réserve en millions de m3 d'eau
et sortants et le débit apparemment seur pour une surface de 6.500 km2, la douce de l'unité i, et h(i) correspond à
constant des exutoires dû aux mouve¬ porosité active doit être de l'ordre de l'altitude moyenne de la surface piézo¬
ments des eaux d'origine karstique et 1,8 %. A titre de comparaison, les études métrique.
marine dans l'aquifère (cf. première que nous avons menées en Nouvelle A partir de ce calcul, la réserve d'eau
partie). Le raisonnement proposé repose Calédonie sur l'île de Lifou aboutissaient douce de l'Est du Yucatan est estimée à
sur la région nord-est de la péninsule. à une porosité active des terrains de 11,5 milliards de m3, ce qui correspond
Cette région a une surface d'environ l'ordre de 3,5 %. à environ 7 ans consécutifs d'infiltration.
6500 km2 et reçoit annuellement 7,800 À titre de comparaison, la réserve d'eau
milliards de m3 d'eau de pluie. Nous B. Estimation de douce de l'île de Lifou était estimée à
savons que seuls 20% de cette eau s'infil¬ la réserve d'eau douce 20 mois d'infiltration [Thomas, 1995].
trent et sont évacués par les émergences, Une approche similaire sur la façade occi¬
soit 1,560 milliard de m3. Le gradient Nous connaissons, désormais, la dentale du Yucatan en appliquant les
hydraulique étant faible ainsi que les forme de la lentille, son épaisseur en tout calculs de Turc et les paramètres de la
variations de la surface piézométrique, point, son volume et la porosité géné¬ station de Mérida pour estimer la tranche
on peut envisager que le débit aux rale de la masse carbonatée ; ensemble infiltrée conduit à une réserve d'eau
exutoires est relativement constant. Si de données à partir desquelles on peut douce de 50 milliards de m3.
on considère, enfin, que ce
débit restitue la tranche MOIS J M S O N D Total
annuelle infiltrée, le débit Infiltration mm 7 5 5 2 0 5 45 18 29 66 52 6 240
des eaux sourdant par mois Infiltration Mm3 45 32 32 13 0 32 293 117 189 430 338 39 1560
Débit exutoire. 130 130 130 130 130 130 130 130 130 130 130 130 1560
Déficit et excès -85 -98 -98 -117 -130 -98 + 163 + 13 + 59 + 300 + 208 -91 0
Tableau 4 : Évaluation de la réserve
de l'ampleur des Variation de la réserve 85 183 281 398 528 626 463 476 417 117 -91 0
fluctuations de la réserve valeur cumulée
d'eau douce.

C. THOMAS, Aspects hydrogéologiques du Yucatan (Mexique)


KARSTOLOGIA N° 34 - 2/1999 , 9-22 _ 15
Cl (g/lV
Figure 10 : est importante, et inversement. Rappelons que
Courbes de salinité l'eau de mer est présente dans l'aquifère mais
de trois aquifères compte tenu de sa densité plus élevée, celle-
karstiques ci reste cantonnée à la base de l'aquifère.
littoraux :
le Yucatan, l'île de De nombreuses mesures ont été réalisées
Lifou et Nullarbor. par les hydrogéologues sur des prélèvements
Curvas de de surface dans l'ensemble de la péninsule.
salinidad de très Nous avons, nous-mêmes, procédé à une tren¬
acuiferos kârsticos taine de mesures de la salinité de l'eau en surfa¬
litorales : el o 10 20 30 40 50 km ce et en plongée dans différents cénotes, et
Yucatan , la Isla de • Yucatan » Lifou a Nullarbor Distance à la mer
Lifou y Nullarbor. trous bleus. Nos mesures confirment que plus
on s'éloigne de la côte, moins la présence d'eau
marine est importante. Nous avons tracé la
courbe de salinisation an fonction de la distance
à la mer (fig. 10). On relève également que
les mouvements de marée jouent sur la frange
côtière un rôle important dans le processus de
salinisation. Cela explique la rupture de la
courbe de la figure 10 ; celle-ci met en évidence
que la zone de mascaret, très salinisée, est liée
aux brassages engendrés par les marées, alors
que la zone faiblement salinisée est due à des
phénomènes de diffusion. A titre de compa¬
raison, sur le même graphe sont portées les
courbes de l'île de Lifou et du karst de
Nullarbor (Australie). Ces trois exemples
confirment naturellement que la frange de
pollution côtière est d'autant plus importante
que la pluviométrie est faible, et que par consé¬
quent le renouvellement de la lentille s'effectue
Figure 11 : Distribution C. La salinisation de la nappe plus lentement, d'où l'importance de définir
spatiale de la salinité dans les la perméabilité de l'aquifère qui va intervenir
aquifères karstiques du nord sur le transfert plus ou moins rapide des eaux
de la péninsule du Yucatan. d'infiltration dans la zone vadose.
Distribuciôn espacial de du Yucatan
d'une
grandes
Lesexploitation
villes
réserves
sontcomme
conséquentes
d'eau
pour
Cancun.
douce
l'alimentation
deetCette
lasont
péninsule
exploi¬
l'objet
des
la salinidad en los acuiferos
kârsticos del norte de la D. Un travail à entreprendre
peninsula del Yucatan. tation est soumise au risque de salinisation de sur la pollution organique
la nappe. Ce risque est conditionné par la posi¬
tion du niveau piézométrique ; plus celui-ci
est élevé par rapport au niveau de la mer, moins cénotes,
d'uneLors
tranche
nous
de l'exploration
avons
d'eau parfois
superficielle
spéléonautique
relevé caractérisée
la présence
des
la pénétration de l'eau de mer dans l'aquifère

m
w %,.it
Photo 3 : Exploration spéléo¬ ë-
nautique d'un des drains de 'MU
l'actuelle zone noyée du karst
yucatèque. On remarquera la
présence de concrétions dans
ce drain qui met en évidence
une remontée du niveau
piézométrique due soit à une
remontée eustatique, soit à une
subduction de la péninsule
(cliché C. Thomas).
Exploraciôn speleonautica
de uno de los numerosos
conductos de la zona saturada
del karst del Yucatan.
Se nota la presencîa de
concreciones al techo del
conducto que seîïala una
subida del nivel piezométrico.

C. THOMAS, Aspects hydrogéologiques du Yucatan (Mexique)


16 - KARSTOLOGIA N° 34-2/1 999, 9-22
Figure 12 : Estimation
des débits (exprimés en
millions de m3/an) par Ces évaluations permettent d'éva¬
unité spatiale
Estimation de de
los 100
caudales
km2. luer l'extension respective des différents
bassins d'alimentation karstique. Ainsi,
(milliones de m3/ano) por l'émergence de Chuchuen (fig. 8) qui
unidad de 100 km2. restitue 5 m3/s d'eau douce concentrerait
les eaux collectées sur une bande de plus
de 10 km de large. Les émergences de
3 la Casa Cenote et du Xel-Ha draineraient
Débit (millions de m /an) les eaux infiltrées sur une bande de 5 km
de large.
déterminer la carte des Cette simulation met également en
écoulements de la région évidence qu'au nord de la Punta Brava,
(fig. 11) ; pour élaborer le débit par kilomètre de côte, est plus
celle-ci, on est parti des faible, et ne dépasserait pas 0,2 m3/s.
mêmes unités de 100 km2 Cette simulation de débit par unité
nous ayant permis de défi¬ de drainage de 100 km2 permet de mettre
Vitesse de l'eau (micron/s) nir les réserves en eau en avant les différences de perméabilité de
douce (fig. 9). La figure l'aquifère. Celle-ci apparaît peu impor¬
12 montre le principe de tante dans l'intérieur de la péninsule et a
calcul que nous avons tendance à s'accentuer en direction du
retenu. littoral. A l'intérieur de la péninsule, les
Les débits constatés vitesses sont de l'ordre de 2 cm/s, c'est-
au niveau de la côte sont à-dire comparable à celle d'un milieu
en accord avec les mesu¬ gravelo-sableux, ce qui signifie que les
Porosité res que nous avons effec¬ vides karstiques sont réduits et se limite¬
tuées aux exutoires (fig. 8).raient à des vides interstitiels ; par contre,
par une très faible visibilité, et une Ainsi, au nord de la péninsule, les eaux en direction du littoral, les vitesses d'écou¬
couleur pouvant aller du vert au rouge. karstiques se déversent dans la lagune lement s'amplifient ce qui signifie la
Son existence est souvent attribuée à la de Conil avec un débit moyen de 14 m3/s, présence de vides plus transmissifs ouverts
stagnation de l'eau. Le tanin que l'on y soit un volume annuel de 439 millions par la karstification. Dans cette hypothèse,
rencontre, serait lié à la végétation aux de m3 (fig. 13). De même, au sud de il est intéressant de relever l'existence
racines aquatiques. L'analyse au micro¬ Punta Brava, (située 20 km au nord de d'une gradation de la karstification non
scope puis la caractérisation des particules Play a del Carmen), le débit d'eau douce pas selon une logique purement verticale
de cette "soupe" devrait être l'objet de par kilomètre de côte est de 0,38 m-Vs. comme dans les systèmes karstiques gravi-
tout un programme de recherche que nous Ces valeurs sont en accord avec nos fiques (de montagne) mais une gradation
n'avons pu mener, et qui permettrait de mesures de terrain. ici transversale de la karstification.
préciser les conditions de développement
algaire et bactériologique. L'épaisseur
de cette tranche est de l'ordre de 3 à 5 m. COI
Nous ignorons si son épaisseur varie au
cours des saisons. 40 .CANCUN
En dessous de cette strate d'eau
opaque, l'eau est souvent " crystal clear" 30
mais cela ne signifie pas qu'elle soit 212. 33
exempte de pollution organique. Ici éga¬
lement des études restent à entreprendre. 132. 43 73
Tout comme au niveau de l'halocline où 66 80
se dégage une forte odeur d'hydrogène
sulfuré liée vraisemblablement aux 96
conditions réductrices. Celle-ci est égale¬ 100 121
ment souvent très opaque et présente une
épaisseur pouvant dépasser 5 mètres. La JLiâ. J31
caractérisation bactériologique et physi¬ PLAYA
iza, DEL
co-chimique de cette eau reste à entre¬ CARMEN Figure 13 : Transect
prendre. lQâ lfil 2QSL hydrogéologique
schématique
121 de l'aquifère karstique
E. Évaluation de la perméabilité du nord du Yucatan.
1£â 13L TULUM Recorte hydrogeolôgi-
50 km co esquematico del
la direction
culaires
Connaissant
auxdes
hydro-isohypses),
écoulements
la tranche infiltrée,
(perpendi¬
on peutet aquifero karstico del
norte del Yucatan.

C. THOMAS, Aspects hydrogéologiques du Yucatan (Mexique)


KARSTOLOGIA N° 34-2/1 999 , 9-22 - 17
Figure 14 :
Estimation de la
perméabilité (expri¬ del Nohoch, de los Dos Ojos, de Naranhal,
mée en cm/s) du del mar, de las Abejas et del Xpu-Ha
rebord nord-oriental dépassent respectivement les 20 kilo¬
du Yucatan par unité mètres de développement. Les drains ont
spatiale de 100 km2. été remontés jusqu'à 10 km à l'intérieur
Estimation de la
permeabilidad (cm/s) des terres. De ce point de vue, ces cavités
del sector norte- sont à rapprocher des formes que nous
oriental del Yucatan avons rencontrées sur l'île de Lifou,
por unidad de notamment des grottes de Hnanawae
100 km2. (10 km de réseaux), et de Fétra-Hé
(3,5 km). Ces cavités sont aujourd'hui
exondées du fait de la surrection de cette
île. Leur morphologie et leur localisation
rappellent étonnamment les réseaux noyés
Figure 15 :
Exemples de cénotes du Quintana Roo (Dos Ojos).
explorés lors de la Ces observations permettent de
campagne de 1999. proposer un modèle suggérant le passage
Ejemplos de graduel d'une karstification spongiforme
" cenotes " explorados (ou diffuse) à l'intérieur des terres vers
durante las explora- une karstification de plus en plus struc¬
ciones de 1999. turée autour des drains majeurs de la zone
noyée ; cette structuration endokarstique
Altitude +12 Altitude +12 allant en s' accentuant au fur et à mesure
qu'on s'approche du littoral. Cette grada¬
COUPE tion de la karstification serait due à deux
COUPE AA facteurs essentiels :
Cénote _ - la faible énergie topographique de la
TEMOZON péninsule qui joue directement sur le
Municipalité de Tekit gradient hydraulique ; celui-ci est peu
marqué au cœur de la péninsule, d'où
N 20° 36' Sucila
Topographie
Hacienda 34,4"degréW 389°UIS14'- Expédition
18,5" Yuc 99 un front d'altération chimique sub-hori¬
Cénote LUMJA zontal et une faible structuration du
Municipalité de Tekit Entrée Altitude +12 drainage endokarstique ;
- le fonctionnement de l'aquifère kars¬
Limite du cône tique en présence d'eau marine à l'origi¬
0 10 20 30 40m d'éboulis
ne d'une dissolution particulière, d'où
Limite du lac COUPE 18 r l'importance de définir les modes
0 10 20 30m Cénote SUBINCHE d'ablation karstique.
Plan Limite du lac Un autre paramètre doit également
Entrée être pris en compte : c'est l'histoire paléo¬
N 20° 36' 11,6" W 89° 15' 41,4" N 20°Topographie
Municipalité
34'Expédition
25,5" Wdegré
de89°Tekit
Yuc 39916'UIS55,5"
Plan géographique de la péninsule, notamment
Topographie degré 3 UIS - Expédition Yuc 99 en rapport avec les variations eustatiques
quaternaires (cf. IV.d).
IV. LA KARSTIFICATION À l'intérieur des terres, l'écoulement
s'effectuerait via des vides interstitiels.
La dissolution va donc travailler en B. L'ablation karstique
Les mesures hydrologiques et hydro¬
chimiques réalisées dans les cénotes, dans profondeur de manière diffuse. Cela va L'ablation karstique a déjà été esti¬
les drains de la zone noyée et aux se marquer par une karstification appa¬ mée, à partir de prélèvements d'eau dans
exutoires karstiques de la péninsule du remment non organisée qui au contact les cénotes ; ceux-ci étant considérés
Yucatan nous permettent de définir les des zones privilégiées de transfert vertical représentatifs de la lentille d'eau douce
modes de karstification et ses incidences favorise des effondrements à l'origine du Yucatan. M. A Heraud Pina [1995]
sur les réseaux endokarstiques. des cénotes en cloche (fig. 15). propose des valeurs comprises entre 17,5
Au voisinage de la côte, la perméa¬ et 63 m3/km2/an et une valeur médiane
A. Une karstification bilité correspond à des transferts rapides de l'ordre de 30 m3/km2/an. Corbel
différenciée des écoulements qui révèlent l'existence [1958] proposait un ordre de grandeur
de drains transmissifs qui appartiennent de 19 m3/km2/an.
Selon la situation de la zone étudiée soit à la zone noyée, soit à la zone vadose Nous avons, pour notre part, abordé
et/ou explorée, la karstification s'est (paléo-drains ?) : c'est le cas des systèmes l'ablation karstique à partir des cénotes
effectuée et s'effectue différemment, de los Dos Ojos et de Nohoch (fig. 8, 16 situés en bordure de mer en partant du
en raison des différences relevées de et 17) où se situent les plus grands réseaux principe qu'ils étaient représentatifs des
perméabilité de l'aquifère karstique. ennoyés connus au monde. Les systèmes eaux sourdant du karst (l'analyse des

C. THOMAS, Aspects hydrogéologiques du Yucatan (Mexique)


18 - KARSTOLOGIA N° 34 - 2/1999, 9-22
Figure 16 :
Exemple de
eaux karstiques aux exutoires reste à entre¬ -10 réseau endokars-
prendre). Les valeurs mesurées sont la concen¬ Salle corrodee Salle corrodée tique structuré :
COUPE l'Aktun Coh.
tration en CaC03 et en Cl-; cette dernière Cloche
Paléohalochne Ejemplo de un
Cloche-
permet
eaux douce
d'estimer
et salée
l'importance
et ensuite d'évaluer
du mélange la r.r.si sistema subterrâ-


Cenote
COUPE DEDALE COUPE neo estructurado :
part des carbonates amenés par l'eau de mer en Cloche el Aktun Coh.
partant du principe que celle-ci est saturée Cloche
initialement en carbonates.
Si on retient pour la façade orientale du Figure 17 :
Yucatan, une valeur moyenne de 900 mg/1 de COUPE Cloche Exemple de
carbonates dissous par la karstification, une COUPE systèmes endo-
pluviométrie de 1 200 mm, un coefficient Salle concrétionnée karstiques struc¬
d'infiltration de 22,4 %, et une densité moyen¬ turés autour de
drains transmis*
ne de 2,7, l'ablation karstique est de l'ordre Cenote Cenote
ESTRADA sifs : les systèmes
de 90 m3/km2/an soit trois fois plus que les AKTUN COH du Nohoch, de los
valeurs précédemment estimées par Heraud Dos Ojos et de
Pina [1995], Xel-Ha.
Il est tentant de vouloir localiser les PLAN Ejemplo de siste-
Cenot mas subterrâneos
volumes qui ont été dissous et de rapprocher cultive
100m estructurados a
cette valeur de celles de la perméabilité et de CUZEL través de conduc-
la réserve d'eau douce. Si on estime que celle- Cénote CUZEL Barrière de tos tarsnmisivos :
ci s'élève à environ 3 millions de m/km2, il concrétions los sistemas del
AKTUN COH
aurait suffit (à partir de notre taux d'ablation Nohoch, de los
karstique) de 30000 ans pour creuser les vides N 20°Topographie
19'Expédition
35,4" degré
WYuc
87° 39616'UIS35,4" COUPE Dos Ojos y de
occupés aujourd'hui par la nappe. Ce chiffre Xel-Ha.
de 30000 ans est-il plausible compte tenu que
la karstogenèse du Yucatan est, d'après la
littérature, bien plus ancienne? Cela signifie,
peut-être, que l'ablation karstique s'est exercée
et s'exercerait pour l'essentiel en surface. Si
on reporte l'essentiel du taux d'ablation à la
partie supérieure du karst, cela représente une
tranche érodée de 9 mètres par 100000 ans.
Ce chiffre est-il à son tour cohérent avec ce
que l'on observe en surface? Le relief du
Yucatan se caractérise par des reliefs résiduels
peu marqués dans la partie nord de la pénin¬
sule, où par ailleurs l'altitude est très faible.
On remarquera que ce trait est commun aux
zones basses de Cuba et de la Floride. Le
caractère peu marqué du relief n'est pas forcé¬
ment l'expression d'une faible intensité de
l'érosion, mais au contraire d'un front de disso¬
lution sub-horizontal qui digère la partie supé¬
rieure de la masse carbonatée ; ce scénario
est cohérent avec la faible perméabilité obser¬
vée à l'intérieur des terres. Lorsque l'on se
déplace vers le sud, on rencontre des reliefs masse calcaire) engendrée par un exhausse- Tableau 5 : Minéralisation
plus élevés, les buttes karstiques sont beaucoup ment plus marqué de la péninsule. en mg/1 des eaux présentes
plus marquées. Des reliefs d'une trentaine de Il est difficile d'aller plus loin dans la dans des cénotes proches
mètres de hauteur sont courants et laissent répartition spatiale de la dissolution étant de 'a mer et estimation des
supposer ici une relative verticalisation de la donné qu'intervient
engendree par 1 eau de
ici mer.
en plus la dissolution Sonates
par la karstification.
dissous (en mg/1)
dissolution (à partir des points faibles de la

LIEU D'ANALYSE Cénote Akumal Cénote Yaxhen Cénote Chuchuen Emerg. Xel Ha Cénote Xel ha
Minéralisation CaC03 962 1303 1350 970 1394
Minéralisation en Cl- 1704 2698 3200 3088
Carbonates d'origine marine 243 386 488 19 ?
Carbonates d'origine karstique 719 917 862 951 ?

C. THOMAS, Aspects hydrogéologiques du Yucatan (Mexique)


KARSTOLOGIA N° 34 - 2/1999 , 9-22 _ 19
Photo 5 : Cénote de
Dos Ojos : l'un des
plus grands systèmes
noyés de la
péninsule : 35 kilo¬
mètres de réseau.
Le plongeur donne
l'échelle de cette
importante cavité qui
a évolué en régime
vadose (présence des
concrétions) avant
d'être de nouveau
inondée. On retrouve
le même scénario
pour le cénote Sac
Atum (photographie
de couverture)
(cliché G. Carmine).
Cenote de Dos Ojos :
uno de los mâs
grandes sistemas
saturados de la
peninsula : 35 km
de desarollo.
El buceador da
la escala de esta
importante cavidad
que ha evolucionado
Photo 4 : Cénote Aguila (Parc Naturel de en zona no-saturada :
Très Rios). Ce cénote s'ouvre à 200 m du presencia de espeleo-
littoral. Le chaos de blocs visible sur la temas. Encontramos
photo se situe vers -6 m ; à l'arrière de cet aqui la misma evolu¬
obstacle, la cavité se développe sur 600 m ; tion que el cenote
c'est vers 10 m de profondeur que se situe Sac Atum (fotografia
le contact entre eau douce et eau salée de portada).
(cliché G. Carmine). Cenote Aguila
(Parque Natural de los Très Rios). Este
cenote se abre a 200 m del mar. El caos de mesures, une distribution spatiale de la dans l'atmosphère, et les équilibres chi¬
bloques se situa hacia 6 m de profondidad ; dissolution peut être proposée (fig. 19) ; miques se déportent brusquement dans
detrâs, la cavidad se desarolla sobre 600 m on relève que celle-ci est beaucoup plus le sens de la cristallisation.
et hacia -10 m donde alternan regularmen- intense dans les zones de fractures, qui Enfin, l'agressivité engendrée par
te el agua duce y el agua salada. correspondent également aux zones à le mélange des eaux expliquerait l'impor¬
plus forte salinité. tante corrosion relevée au niveau de
C. Le rôle de l'eau de mer Une des autres conséquences de la l'halocline, observable dans les réseaux
non-linéarité de ces phénomènes est tant littoraux qu'internes. À titre d'exem¬
L'eau de mer, saturée en carbonate, l'existence, à proximité de la surface de ple, le cénote Zadzinaché, situé au Sud
a une dureté de 2700 mg/1 de CaC03. la nappe, d'une zone sursaturée. Cela de Mérida, présente des galeries qui se
L'eau douce à 26° peut dissoudre environ est visible dans les cénotes où on relève sont développées au niveau de l'halocline
200 mg/1 de CaC03. L'expérience la présence de calcite flottante. Par (fig. 20) ; leur situation aujourd'hui à
montre que le mélange d'une eau douce ailleurs, les concrétions que l'on trouve quelques mètres au-dessus de l'halocline
et d'une eau salée, toutes deux saturées, dans ces grands réseaux ennoyés ne actuel pourrait être l'expression d'une
est agressif du fait de sa force ionique, subissent pas en règle générale de corro¬ surrection de ce secteur ou des oscilla¬
et peut dissoudre encore plus de carbo¬ sion. Sur le plan chimique, l'existence tions eustatiques qui ont marqué le
nate. La figure 18 montre que la courbe de la zone sursaturée s'expliquerait par Pléistocène.
de dissolution est fonction de la teneur la chaîne de réactions suivantes : la disso¬
en Cl. lution des carbonates entraîne la mise D. Sur l'influence
Cette non-linéarité de la dissolution en solution de quantité importante d'ions des variations eustatiques
chimique expliquerait les phénomènes hydrocarbonate et par équilibrage chimi¬
de corrosion spongiforme engendrée le que de C02 qui se dissout. Les mouve¬ le niveau
Avecdelesl'océan
glaciations
universel
pléistocènes,
a varié.
long des points faibles du substrat par ments de diffusion chimique vers la
une diffusion saline du bas vers le haut. surface et les mélanges d'eaux saumâtres Quelques datations [Heraud Pina, 1996]
Il en résulte une corrosion accrue et un qui en résultent, contribuent à maintenir ont été réalisées sur des concrétions préle¬
élargissement de la fracture. Il s'agit là l'agressivité de l'eau, la dissolution des vées dans la grotte de San Ignacio située
d'un phénomène de rétroaction positive carbonates et l'augmentation correspon¬ à une quarantaine de kilomètres au sud
qui explique la taille parfois spectaculaire dante de la pC02. En arrivant près de la de Mérida, ; les résultats donnent des âges
des cavités profondes. À partir de nos surface, au contact de l'air, le C02 diffuse récents : respectivement 44000 ans pour

C. THOMAS, Aspects hydrogéologiques du Yucatan (Mexique)


20 - KARSTOLOGIA N° 34 - 2/1999 , 9-22
Figure 18 : Sur
la concrétion prélevée sous l'eau, et 142000 ans l'importance
la relation dureté
de
pour celle prélevée au-dessus du niveau de
l'eau. Par ailleurs, des beach rocks situés totale-minéralisa¬
tion en chlorure
aujourd'hui à une altitude de + 6 m présentent dans l'action
des dates oscillant autour de 145 000 BP, ce corrosive des
qui correspondrait au stade isotopique 5 et à eaux profondes.
l' interglaciaire Riss - Wiirm dans la chrono¬ Sobre la impor-
tancia de la rela-
logie alpine [A.M. Heraud Pina, 1996], cion entre la
D'autres datations ont été réalisées sur des mineralization
beach rocks situés au niveau de la mer : ils total y la minera¬
datent de 84 000 BP. lization en cloru-
Sous l'eau, un premier récif frangeant ro con respecto
de la action
est marqué vers -10/-15 m. Des canyons sont corrosiva de las
visibles en photographie aérienne sur des aguas profundas.
"platiers" à 10 mètres de profondeur au sud
de Tulum. Leur morphologie est extrêmement 90* W fracture de holbox 87* W
labyrinthique et évoque un creusement par
dissolution karstique. Ces canyons se situent
dans le prolongement de grands réseaux en
cours d'exploration comme ceux d' Esmeralda,
de Naranhal, del Mar, et del Yaxch'en; est- FRACTURE 21" N
DE TICUL
ce que ces canyons étaient antérieurement
souterrains? Dans ce cas, c'est un réseau
dépassant 300 km de développement qui aurait
été découvert! ! ! (fig 21). Un second niveau
de récif est visible à -20, et un troisième vers
-40 m.
Nous avons exploré des paléo-haloclines, Dureté
> 400 mg/l
reflets des variations eustatiques. Leur étude > 500 mg/l
> 600 mg/l
morphologique, associée à celle des concré¬ DUFRACTURE
RIO HONDO
tions qu'ils abritent constituent un préliminaire
important à toute tentative de calage chrono¬
logique des cavités du Yucatan. Nos explora¬ Figure 19 :
-43 Répartition
tions ont mis en évidence l'existence de quatre -43 -18 spatiale de la
paléo-niveaux d'halocline : -22 dureté carbonatée
- Le niveau actuel qui est peu concrétionné et SECTION des eaux kars¬
qui est visible dans la plupart des cavités. tiques du Yucatan
- Le niveau + 5 est encore emprunté par des SECTION Halocline -66 1999 septentrional.
circulations d'eau. L'exemple de Minotauro Repartition espa-
:

-22 -73 cial de la minera¬


est actuellement le plus spectaculaire. Les Puits d'entrée SECTION lization
concrétions permettent de définir deux étapes carbonatada de
de dénoyage. -54 las aguas kârsti-
- Le niveau +11 connu dans les salles termi¬ Salle pesadillo cas del norte del
nales de Cuzel, ou encore dans les cénotes -40 PLAN de Adrien Yucatan.
au Nord de los Dos Ojos. Le remplissage de Salle Japo's dream
cette zone par les précipitations de calcite Cénote Figure 20 :
est très actif. Les concrétions présentes témoi¬ ZADZINACHE Exemple d'étage-
gneraient pour une seule phase de dénoyage. N 20° 43' 34" W 89° 22' 00" ment de paléo¬
Topographie degré 3 UIS drains et de
- Le niveau profond, à - 20 m, est peu repré¬ Expédition Yuc 95 et drains liés aux
senté. Nous avons découvert quelques tron¬ 0 50 100 m Association Yucateca de variations eusta¬
espeleobucco : R. Hachimoto
çons de galerie, abritant très peu de tiques et/ou tecto¬
concrétions, très corrodées. niques : le réseau
Cheminée
A ces quatre niveaux, il convient d'ajouter du Zadzinache.
quelques indices plus profonds rencontrés dans Ejemplo de esca-
certaines cavités qui indiquent clairement une lonamiento de
karstification profonde sous l'halocline actuel, paleo-conductos y
de conductos
et correspondant à des niveaux de la mer beau¬ debido a las
coup plus bas (de l'ordre de 100 mètres). Des variaciones eustâ-
galeries ont été visitées à Nohoch, et à los ticas y tectônicas :
Dos Ojos vers - 100 m. Ces creusements n'ont la red del
pu se développer que dans un contexte où le Zadzinache.

C. THOMAS, Aspects hydrogéologiques du Yucatan (Mexique)


KARSTOLOGIA N° 34-2/1 999, 9-22 - 21
Route Figure 21 : Carte
de Coba eropor de localisation des canyons
Temple of / Zone sous-marins de la côte
NARANHAL
SYSTEME oom archéologique nord-orientale du Yucatan : de quelques mois dans les karsts de type
des vestiges potentiels de caussenard, ou alpin). Ces traits ne sont
Naharon Tulum paléo-cavités recoupées par pas sans influence sur l'exploitation de
le fond marin. cette eau.
Mapa de localization de los La réserve d'eau douce est très
Mayan Blue EJIDO canones sub-marinos del importante, et le problème de son exploi¬
DE TULUM litoral noroeste del Yucatan : tation ne se pose pas en termes de quan¬
los testigos de paleo-cavidades tité, mais plutôt de qualité. L'utilisation
recortadas por elfondo
87° 25 marino. de pompages intensifs à pour effet de
faire remonter le front d'eau salée.
_ Cabanes/ , À Cuba, les pompages de la région de
du nord de la Floride, dont Bolondron [Thomas, 91] ont provoqué
la célèbre Wakulla spring qui une pénétration du front d'eau marine
EJIDO PINO SUAREZCape-H'j)'v V I a été explorée par des plon¬ de plus de 15 km. Ce processus de sali-
geurs américains sur plus de nisation est d'autant plus important que
10 km et à une profondeur l'apport d'eau météorique est faible.
avoisinant les -100 m. Enfin, L'alimentation des grandes villes moder¬
les explorations anglaises, à nes comme Cancun ou Playa des Carmen
Andros, ont montré des phé¬ est confrontée au problème de salinisa-
nomènes comparables. Le tion des aquifères littoraux et nécessite
calage chronologique de ces des captages chaque fois plus lointains
Lagune de 0 ' 2 km grands réseaux du Yucatan qui peuvent à leur tour engendrer un
Campechen COMPLEXE PINO SUAREZ / TULUM reste à faire. abaissement du niveau piézométrique et,
par incidence, une avancée du front de
niveau de la mer était environ 100 m au- salinisation. C'est donc un réel problème
dessous du niveau actuel. Ce trait n'est CONCLUSION
de gestion des eaux karstiques qui se
pas nouveau dans la région puisque nous Deux aspects originaux des karsts pose dans cette péninsule. Cette gestion,
avions exploré à Cuba des cavités près yucatèques ont été ici mis en évidence : si elle se veut durable, doit reposer sur
de la baie des Cochons ayant d'importants l'existence d'eau de mer en profondeur, une bonne connaissance de ces karsts
développements vers - 95 m. Dans le et le temps de renouvellement extrê¬ au fonctionnement bien particulier. Par
même ordre d'idée, il y a les grandes mement long en eau douce (plusieurs cet article, nous espérons participer à
cavités concrétionnées à profil horizontal, années, à comparer au temps de séjour cette acquisition de connaissance.

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