J U ILLE T 20 22 TEMOIGNAGES

Roland
SOMMAIRE JOURDAIN
Dès 2009, Kaïros décide de réaliser
son propre bilan carbone, et nombre

DOSSIER d’observateurs pensent que Roland

Jourdain et Sophie Verceletto sont en

SPECIAL
avance sur leur temps. Eux trouvent
justement qu’ils sont déjà en retard.

4 PAGES

PAGE 10
PAGES 6-9
Rudy RICCIOTTI
Les retraités marins à quai sont
REPORTAGES friands de cet immobilisme et
sont une présence hivernale utile.
50 ans d’essor de
la plaisance
L’idée est de rendre la croisière cô-
tière accessible au plus grand nombre
selon l’idéologie des Glénans qui
prône rusticité et égalitarisme.
Et ça marche !

PAGE 12

David SUSSMANN
Quand on lui demande comment
il voit la plaisance d’aujourd’hui,
PAGE 11 sa réponse est aussi brutale qu’une
rafale de mistral : « ce qui est po-
Voyage aux confins sitif, c’est qu’il y a une réelle prise
de conscience des plaisanciers.»
de la plaisance
« Nous sommes ravis, car les îles qui
barrent la route à notre regard inqui-
siteur n’offrent pas une vue exhaus-
espace de réflexion et d’échanges
sur la plaisance du futur
tive de la cité phocéenne. Seuls des
morceaux choisis sortent du lot».

Il y a 4 ans environ, le CNTL avait publié un dossier sur la plaisance de demain,

collaborative et respectueuse de l’environnement, mais également sur le port de
plaisance de demain, responsable et connecté.
PAGE 14
Ce dossier proposait quelques pistes sur ce que veillance, etc…) qui améliorent la gestion portuaire
pourrait être la plaisance de demain, notamment sur (surveillance des installations, suivi des bateaux, Pascal URBAIN
la base des mutations que l’on peut anticiper : eux-mêmes connectés, suivi de la consommation L’architecte de l’ombre plante
d’eau et d’électricité), mais également rendent pos- le décor de l’histoire et de
PAGE 13
• sur les profils des plaisanciers de demain (âge, sible de nouveaux services portuaires (comme la l’usage des ports pour démar-
CSP), sur leurs attentes – en terme de services por- possibilité ouverte aux plaisanciers de réserver une rer une réflexion sur l’avenir
tuaires, ou de développement durable - comme sur place, d’être guidé vers sa place, de commander des de la plaisance.
leurs pratiques de la plaisance (achat vs location, du- services à quai, voire d’accéder à des offres de ser-
rée et fréquence des sorties, etc..) vices culturels ou touristiques valorisant le territoire
et son patrimoine).
• dans les domaines des économies d’énergie, de
la gestion des déchets, de la préservation du milieu
C’est la prise de conscience de ces muta-
tions qui est à l’origine des rencontres de
marin, que ce soit dans les pratiques de la navigation
la Nouvelle Erre.
de plaisance ou dans la gestion portuaire,
On trouvera dans les pages ci-après quelques
• sur les technologies qui transforment actuellement constats actuels et prospectifs sur les tendances et
les bateaux de plaisance (énergie, propulsion, maté- mutations de la plaisance, de l’évolution des attentes
riaux, architecture), mais aussi sur l’utilisation des des plaisanciers, enfin de ce que pourrait (ou devrait) PAGE 16
technologies numériques (RFID, réseaux, télésur- être un port de plaisance à l’horizon 2024. dossier p.4
2 J U I L L E T 2 0 2 2 J U I L L E T 2 0 2 2 3

LE MOT DU PRESIDENT LE COMITE DIRECTEUR

EDITO
Sous le regard de Gyptis rendons à César

Le visage antique créé par Daveed Bensaada

FRANCIS HABERT

Gouvernance organisation
notre graphiste, est issu d’un visage de femme
ornant une céramique retrouvée lors de fouilles DIRECTEUR DU CLUB
sur un site archéologique marseillais et datant DAVID BINISTI
de 400 ans avant notre ère.

Un simple visage venu de la nuit des temps pour

illustrer des rencontres tournées vers le futur,
bizarre ?

Peut-être pas si l’on décide que notre Gyptis, CONSEILLER SPÉCIAL TRÉSORIER
témoin de la naissance de Marseille, garde un AFFAIRES JURIDIQUES
JEAN-PAUL IMBERT
regard attentif sur l’avenir de tout ce qui a un CHRISTIAN OLIVERES SECRÉTAIRE GÉNÉRAL

rapport avec Marseille et la mer. BRUNO MAERTEN

SECÉTAIRE ADJOINT

FRANCK MALECOT
Sur une idée de Jean-Claude Cohen membre du
CNTL spécialisé dans la prospective, réfléchir
sur l’avenir des ports et de la plaisance est deve-
nu une évidence pour notre Président. TRÉSORIER ADJOINT

JACQUES GIRAUD

Rejoint bientôt par un autre spécialiste de la
prospective, Maxime de la panne Gyptis ! est
venu apporter son talent d’organisateur temporis
à notre désormais trio sympathique et motivé .
Et alors ? Et alors, Mathieu est arrivé nous em-
barquant dans une autre dimension permettant
au rêve du Président de devenir réalité.
Dans ce CNTL infos vous trouverez, outre le
programme des rencontres, des témoignages
de personnalités du monde de la voile, de
l’architecture et du mécénat dévoué à la
protection des océans. Elles ont eu la gen-
tillesse de répondre aux questions de Didier
Ravon qui nous fait rêver depuis de nombreuses
années à travers notre revue de voile préférée.
Que trouver de mieux pour illustrer ces pro-
pos que les photographies rétro-futuristes de
l’artiste Doog McHell ?
Ses images viennent ponctuer les propos en re-
mettant la réalité et le rêve au même niveau.
Grâce à Maguelonne nous apprendrons
enfin que la plaisance s’appelait navigation de
D
e la plaisance d’hier à la plaisance de demain : NOUVELLE ERRE ou le CNTL, Club nautique
cinquantenaire référent, qui se projette dans le futur et lance un challenge à caractère universel !
À l’ère des nouvelles technologies, de la 5 G, de l’intelli-
gence artificielle, des Métavers, notre quotidien est en passe
de connaître une révolution sans précédent… plus forte en-
core que celle de l’électricité… c’est dire !… Avec en ligne
de mire une autre révolution qui viendra télescoper la pre-
mière : l’enjeu relatif à la préservation de notre environne-
ment naturel ainsi que la forte mobilisation des nouvelles
générations autour dudit enjeu.
Ceci sans compter l’évolution des modes de consommation
et d’utilisation avec la propriété en question et le partage en
culture… et demain ?
L’ensemble des activités humaines est ou sera inévitable-
ment fortement impacté par ces mégas bouleversements !
Dans ce contexte, comment en tant que Club Nautique réfé-
rent adapter son offre, ses services, ses pratiques, comment
anticiper les évolutions, comment écrire l’avenir plutôt que
subir le passé, comment ouvrir une nouvelle « erre » plutôt
que souffrir de l’inexorable érosion de vieilles pratiques dé-
suètes et bientôt abandonnées ou interdites.
Photos Francis Habert
plaisance sera en 2070 ? PRÉSIDENT DU CLUB
C’est le défi que j’ai proposé à l’équipe qui anime au quo- FRANCK RECOING
tidien à mes côtés notre Club afin de donner du sens et du
contenu à cet anniversaire.
Que tous les contributeurs, organisateurs ou acteurs, soient
ici sincèrement remerciés.
NOUVELLE ERRE lancée en 2022 à l’occasion de la fête
des 50 ans du CNTL doit effectivement poser les fonda-
tions d’une réflexion qui doit embarquer toutes les parties
prenantes : elle doit être le point de départ d’une vision glo- CONSEILLER SPÉCIAL
COMMUNICATION / PROSPECTIVE
bale sur les nouveaux usages de la plaisance à anticiper,
FRANCIS HABERT
les nouveaux matériaux à inventer, les nouveaux ports à
organiser, les nouvelles pratiques liées au développement
durable et au respect de l’écosystème marin à imaginer.
NOUVELLE ERRE créée par le CNTL est un Think Tank
et une opportunité d’échanges et de partages qui doit es-
saimer partout en France auprès de l’ensemble des parties
prenantes:
l’Etat, les autorités administratives, les fabricants/ VICE PRÉSIDENT 1 ère VICE PRÉSIDENTE VICE PRÉSIDENT

S’il y a 50 ans de grands chefs d’entreprise et autre capi- constructeurs, les professionnels du nautisme, les fédéra-
TOURISME / MOTEUR VIE DU CLUB / ÉCOLOGIE VOILE / REGATES / J.O.
délassement et que les sorties en mer des vi- RÉMI MORETTI YVES GINOUX
taines d’industrie ont eu la vision du développement à venir tions professionnelles, les autorités portuaires, les clubs, FLORENCE BAUDRIBOS
rées indolentes !
de la plaisance en créant de toutes pièces sur le plan d’eau les plaisanciers et toutes celles et ceux qui auront un
du Vieux-Port un Club destiné à répondre à une forte de- intérêt à orienter le nautisme sur une vague porteuse !...

Les Conseillers
À nous tous maintenant d’inventer la suite et de mande, merci à eux ! Quel résultat exceptionnel ! Notre Et à fédérer les résultats des évolutions pressenties en en
trouver de nouveaux mots adaptés à cette Nou- préoccupation ne doit-elle pas, en marge de fêter cet anni- tenant compte dans l’offre future.
velle Erre*. versaire et toute notre reconnaissance, de développer nous-
mêmes une vision, laquelle dans 50 ans pourra permettre NOUVELLE ERRE n’est qu’un point de départ dont l’objectif
aux générations futures de se féliciter du travail qui aura n’a pas d’horizon défini. Il doit se régénérer au fil de l’eau.
*Erre : vitesse résiduelle d’un navire sur lequel n’agit plus le propulseur. été accompli pour imaginer et faire notamment ce que la
Vive la Mer, vive le Nautisme, vive le CNTL !
Directeur de la publication : Photographies :
Franck Recoing Doog McHell,
www.cntl-marseille.com JACQUES ALAYRAC DIDIER BARONE JEAN-LOUIS CHAUDOT CLAUDE HENNO BERNARD MAHIOU CONSEILLER SPÉCIAL ENVIRONNEMENT CONSEILLÈRE SPÉCIALE FESTIVITÉS
Francis Habert, DÉVELOPPEMENT DURABLE VIE DU CLUB
Rédacteur en chef : Mario Sinistaj,
Facebook STÉPHANE PICHON NICOLE MAS
Francis Habert JM Liot / alea
CNTL Marseille Vieux-Port
Comité de rédaction : Graphisme et illustrations :
Twitter CONSEILLERS MEMBRES DU BUREAU CHARGÉS PERMANENTS DE MISSION AU SEIN DU BUREAU SALARIÉ
Jean-Claude Cohen, Daveed Bensaada
@CNTLMarseille
Maxime Hugonnet,
Didier Ravon, CNTL Quai Marcel Pagnol
Instagram
Mathieu Rozières, 13284 Marseille CEDEX 07
@CNTLMarseille
Maguelonne Turcat
04 91 59 82 00 Le Président FRANCK RECOING
 PROGR AMME 2022
JEUDI 7 JUILLET • 14H - 19H30

14h-15H30 : HISSER LA GRAND VOILE : LA PLAISANCE DE DEMAIN

Conférence
UBER, TESLA
OU DRAKKAR :
QUEL CAP POUR
LA NOUVELLE
PLAISANCE ?
Start-ups
Inspiration/Ted
Ingrid Peuziat / Maitre de Conférence en Géographie,
Démo
Laboratoire Littoral Environnement Géomatique (UMR 6554 LETG)
TOM DAUNE Institut Universitaire Européen de la Mer

Edouard Fiess / Fondateur de Navily

General manager @ Les Glénans I Olivier Maynard / Directeur Digital, Nouveau Métier et Transformation,Groupe Beneteau WEBOAT
Executive MBA @ HEC I
Economie sociale & solidaire Maxime de Rostolan / Co-Fondateur de Sailcoop NAVILY

16H - 17H30 / NOUVEAU CAP : PORT AS A SERVICE

Conférence
DE LA PLAISANCE
COLLABORATIVE
AU PORT CONNECTÉ :
QUEL CAP POUR
LE PORT DU
21 ÈME SIÈCLE ?
Start-ups
Démo
Inspiration/Ted
Laurent Fedi / Professeur Associé Kedge Business School,
spécialiste du droit maritime

ÉDOUARD
Jérémy Ladoux / CEO de Nautic Spot

GORIOUX
Véronique Tourrel Clément / Déléguée Générale Union des Ports de Plaisance
Provence Alpes Côte d’Azur et Monaco
NAUTICSPOT
Domnin Rauscher /
CEO Click & Boat Directeur Général des Services Métropole Aix Marseille Provence CLICK & BOAT

18h-19H30 / CAP PLANÈTE

Conférence
LE PORT AU SERVICE
DES TRANSITIONS
DE LA VILLE PORT Start-ups
Démo
Inspiration/Ted
Dr HDR Katia Richomme Huet / Professeur Associé Kedge Business School,
Chef du Département Strategy, CSR and Entrepreneurship
CHLOÉ ZAIED Simon Bernard / CEO Plastic Odyssey HYNOVA
Jacques Rougerie / Architecte océanographe, membre de l’Académie PLATYPUS
CEO & Founder Hynova Yachts Marie Dominique Champloy / Directrice Marseille Capitale de la Mer NEPTECH
6 J U I L L E T
INVENTONS
Eléments prospectifs sur la plaisance, les plaisanciers,
les navires et les ports de plaisance
C
omme la quasi
-totalité des activi-
tés humaines, pro-
fessionnelles ou de
loisirs, la plaisance
connaîtra dans les 20
prochaines années
un ensemble de mu-
tations liées tout à la
fois aux évolutions
de la technologie –
bâteaux intelligents
et connectés – et aux
évolutions de la so-
ciété, qu’elles soient
dém ographiques
(vieillissement) ou
comportementales
(économie de la
fonctionnalité, ube-
risation, partage et
collaboration, etc..).
COMMENT FONCTIONNE LA « GÉNÉRATION Z » ?
Nés après 1995, les hommes et femmes de la génération Z
• Ils ont grandi à l’ère du numérique, dans une culture globa-
lisée et collaborative.
• •
Ils se veulent authentiques et passionnés, plus que la géné-
ration Y qui les précède, décidés à vivre pleinement l’instant
présent, sans s’engager dans un avenir qu’ils savent incertain.
• Ils se sont en recherche d’autonomie et de liberté tout en ger,
aspirant à une reconnaissance sociale.
• Ils et elles sont en quête de sens, d’authenticité et de transpa- • Ils expriment le besoin d’avoir un travail « fun » tout en
rence, tout en baignant dans des mondes virtuels.
•quisition de compétences, tout en changeant continuellement it-together
Ils montrent de l’engagement
DOSSIER SPECIAL
LA PLAISANCE
Les plaisanciers
Le vieillissement de la population des « plaisanciers » et leur impact
Plus de la moitié des propriétaires de bateaux
est âgée de plus de 65 ans. Parallèlement, la
population française vieillit : en 2030, plus de
30% de la population aura plus de 60 ans.
Les industriels de la filière ont su adapter leurs
offres au vieillissement inéluctable de leur
clientèle, en simplifiant les bâteaux, par des
systèmes d’aide à la manœuvre et à la naviga-
tion, et avec la démocratisation des systèmes
automatiques de réglage des voiles.
De leur côté, les ports de plaisance devront
Les aspirations des nouvelles générations
Les nouvelles générations, - qui ne sont déjà
plus aussi nouvelles en 2022, car ces géné-
rations sont parvenues pour certaines à l’âge
adulte et sont entrées dans la vie active -
que l’on désigne par le terme Génération Z
Génération Z
(génération née entre 1995 et 2010)- se dif-
férencient des précédentes par un moindre
attachement à la propriété des biens -souvent
pour des motifs économiques- et plus à leurs
fonctionnalités. De plus, cette génération se
montre plus fortement attirée par les activi-
tés collaboratives (Do it together). Ceci se
traduit, en pratique, par une acceptation du
de programmes d’apprentissage, d’activités, professionnelles,
comme de loisirs.
Ils sont confrontés aux notions de fidélité ou d’autorité, ou à
la nécessité de se tenir à une orientation, ils et elles ne les envi-
sagent plus subies et absolues mais choisies.
• Ilsnotamment
sont plus imprégnés par l’humanisme et l’envie de s’enga-
pour la protection de l’environnement
passant de l’ère du do-it-yourself (fais-le par toi-même) au do-
et expriment une soif d’ac- : coopérer, partager, faire ensemble, dans un esprit
collaboratif.
(d’après Revue de Défense Nationale, 2019)
2 0 2 2 J U I L L E T 2 0 2 2 7
JEAN-CLAUDE COHEN
DOSSIER SPECIAL JEAN-CLAUDE COHEN
Les profils de plaisanciers
Plusieurs études ont été conduites, entre 2013 et 2018, sur les usages et pratiques des S’ajoutent à ces catégories :
plaisanciers, et leurs évolutions prévisibles à moyen terme. On en trouvera une liste en 3.Les plaisanciers émergents, ou nouveaux plaisanciers :
DE DEMAIN fin d’article, et les rapports sont consultables en ligne. Ces études portaient sur des zones • Ces nouveaux plaisanciers, occasionnels, ou expérimentaux, plus jeunes, louent ou par-
du littoral atlantique : Bretagne, Finistère, Vilaine, Normandie… Nota : à notre connais- tagent un bateau à moteur pour des sorties courtes, de quelques heures à quelques jours
sance, aucune étude de ce type n’a été conduite sur les plaisanciers en méditerranée… Il (les week-ends par exemple). Leurs sorties sont moins fréquentes et très liées à la météo-
pourrait s’agir là d’un vide à combler… rologie. Ils sont souvent résidents locaux.
Ces études s’appuient souvent – mais pas toujours – sur une enquête auprès d’un échantil- Selon toute vraisemblance, deux parmi les groupes ci-dessus constitueront la base des
lon de plaisanciers, et portant sur leur type de bateau, leurs pratiques (sorties – fréquence plaisanciers de demain :
et durée) leurs attentes en termes de service, etc… Les exploitations de ces données va- • Les sportifs hyperactifs, que ce soit pour le ski nautique ou la plongée pour les bateaux
rient d’une étude à l’autre, mais visent à mettre en évidence une typologie de plaisanciers, à moteur, ou pour la régate pour les voileux, qui sortent très fréquemment, seront souvent
dans certains cas en fonction de critères prédéfinis, et dans les études les plus sophisti- propriétaires de leurs bateaux,
quées, avec des méthodes statistiques d’analyse de données multidimensionnelles (par • Les occasionnels ou expérimentaux, les « nouveaux plaisanciers », plus jeunes, dans la
exemple Classification Hiérarchique). sphère locative.
Ces typologies réalisées en 2013 et 2017 font apparaître plusieurs groupes de plaisan-
ciers, ayant des pratiques, des âges, des attentes, différents.
Les trois critères qui ressortent des études examinées sont :
Sur le long terme, les plaisanciers pourront passer d’une catégorie à l’autre : par exemple,
certains nouveaux plaisanciers pourront, dans le temps, évoluer vers le modèle « sportif »,
à la voile ou à moteur, ou vers le modèle « senior libéré » (voile) ou « pêcheur plaisancier
».
• Le type de bateau : voile ou moteur
• La tranche d’âge du plaisancier Mais la survie d’un Club nautique dépendra de sa capacité à attirer des nouveaux membres
• L’intensité de sa pratique (mesurée en nombre et durée des sorties) dans ces catégories « occasionnels » ou « sportifs », tout en restant attractif pour les
par exemple améliorer l’accessibilité au ba-
L’examen de ces différentes typologies permet de mettre en évidence 3 grands groupes de
classes d’âge plus anciennes.
teau, en adaptant les chemins d’accès à quai
et à bord, mais aussi attirer une population
Plus de la moitié des propriétaires plaisanciers, qui peuvent eux-même être :
plus jeune : par des actions de formation, et de bateaux est âgée de plus 1. Le groupe des plaisanciers « à moteur », qui se subdivise lui-même en deux sous ca-
tégories :
en favorisant leur accès à l’école de voile, et
par une action sur les tarifs, qui sont l’un
de 65 ans. • Les « sportifs multi-activités », ceux pour lesquels le bateau à moteur est un moyen pour
Parallèlement, la population pratiquer d’autres sports (ski nautique, pêche sous-marine), généralement plus jeunes (de Références
des obstacles majeurs pour les jeunes. Des
formules de type locatif, bato-partage, ba- 21 à 40 ans principalement), • Filière Nautique Normande (F2N) - Des services innovants au bateau du futur – (2013)
française vieillit :
to-lib, copropriété, etc… sont susceptibles • Les pêcheurs plaisanciers, qui sont plus âgés, sortent très fréquemment pour pratiquer • Vers un nouveau modèle de la plaisance ? Profils et pratiques des plaisanciers du
d’attirer des jeunes. Des formules de type en 2030, plus de 30% de la leur passe temps favori, la pêche, généralement pour des sorties courtes. Finistère - Lucien Perras, Ingrid Peuziat, Iwan Le Berre, Adeline Maulpoix,
airbnb (clickandboat, etc) se développent
population aura plus de 60 ans.
2. Le groupe des plaisanciers « voileux » se divise également en deux sous-catégories
Louis Brigand et Nicolas Le Corre (Université de Bretagne) (2015)
• Les seniors libérés, qui profitent de leurs retraites pour effectuer des croisières longues,
déjà, et répondent aux aspirations des plus
jeunes. hauturières, de plusieurs semaines, voire plusieurs mois, en couple, • Institut d’Aménagement de la Vilaine - Usages et pratiques des navigants sur le
sous-bassin de navigation baie de Vilaine – Vilaine maritime (2016)
• Les passionnés, hyper-dynamiques, qui font de la régate et de l’entraînement, plutôt • Association des Ports de Plaisance de Bretagne (APPB) - La plaisance collaborative
dans la tranche d’âge 30-50 ans (2017- 2018)
Photo Doog Mc Hell
partage (autopartage, covoiturage), de la co-
propriété, de la location. De même, on trouve Exemple de typologie réalisée dans l’étude AXE 2
normal de louer son appartement, voire d’y de l’université de Bretagne 3 AGE -
héberger des personnes tout en y demeurant,
et de louer l’appartement des autres pour de
sur les profils et pratique des plaisanciers
en Finistère . (2015) Pratique motorisée
courtes durées (cf Airbnb). On retrouve déjà (ski nautique, wake-board, bouée tractée ...)
ce phénomène dans la plaisance, où les sites
2,5
de locations de bateaux de particulier à parti- Pneumatique/semi-rigide
culier, comme Clickandboat et autres, se dé-
veloppent et font émerger une activité qui est Pêche sous-marine
à la frontière de l’activité professionnelle, et
que les autorités ont du mal à réguler, d’au- Photo Doog McHell
Figure 11 :
Représentation plane du nuage 2
tant qu’elle s’imposera à nous. Cette tendance des modalités issu de l’ACM
sera vraisemblablement l’un des vecteurs per-
Scatter plot visualization of
Multiple Correspondence Analysis Entre 21 et 30 ans
mettant à des jeunes générations d’accéder à
la plaisance, et de compenser le vieillissement
évoqué plus haut de la population des plaisan- En famille avec enfants
1,5
Entre 32 et 40 ans
Les sportifs
multi-activités
ciers traditionnels. (de moins de 15 ans)
Employés
Ouvriers
E
Régate/Entrainement
1
ncore faut-il que les ports de plaisance Professions intermédiaires
sachent capter ces nouvelles formes de jouis-
sance des bateaux, tout en maîtrisant les risques Entre 41 et 50 ans
Baie de Douarnenez
et dérives qu’elles peuvent induire, notamment Les En famille
Cornouaille orientale
la concurrence avec les loueurs professionnels. passionnés 0,5 Promenade en mer
pratiquant Cadres
la voile
Ces populations jeunes, tout comme les tou- Pratique sportive de la voile
Entre 51 et 61 ans Moins de 6m
ristes -notamment ceux en provenance du Voilier
Artisans, commerçants Avec des Côtier
Côte des Abers
Pêche
Nord de l’Europe- sont de plus en plus attachés VOILE + Croisière et chefs d’entreprise 0 amis promenade MOTEUR +
au respect de l’environnement et à la propreté
AXE 1
des sites dans lesquels ils passent leur temps -2 - 1,5 -1 - 0,5 Baie de Brest 0,5
Solitaire
1 1,5
de loisirs. Plus de 10m En couple 6 à 10 m Non habitable
Hauturier
Les
occasionnels
Habitable Vedette à moteur Pêche Léon oriental
Propreté des eaux, qualité de l’air, gestion des Bassin des Glénans Baie d’Audierne
déchets, économies d’énergie, constitueront dans - 0,5 Baie de Morlaix
Entre 81 et 90 ans
Canot à moteur
les dix prochaines années autant d’exigences qui
deviendront des critères de choix entre les ports Entre 61 et 70 ans Entre 71 et 80 ans
Les pêcheurs
de plaisance. plaisanciers
-1 AGE + Photo Francis Habert
8 J U I L L E T
DOSSIER SPECIAL
INVENTONS LA PLAISANCE
Les ports de plaisance
Une utilisation explosive des technologies du
numérique : ports connectés et bateaux intelligents…
Et vice versa.
Depuis une dizaine d’années on assiste à l’émergence de nombreux projets, dé-
sormais suivis de réalisations opérationnelles visant à exploiter les potentialités
des technologies numériques – RFID, NFC, Internet et internet des objets, etc...
dans la plaisance, depuis la gestion des ports de plaisance, jusqu’à la suveillance
des bateaux et la réservation de places de ports ou de service à quai. On n’est plus
ici dans la science-fiction, mais dans la réalité : plusieurs ports français – notam-
ment en Méditerranée – ont mis en œuvre des solutions opérationnelles.
Le développement de nouvelles offres aux plaisanciers,
s’appuyant notamment sur une offre de « croisières
courtes » et intégrant une valorisation du territoire
à travers le tourisme et la culture.
Face aux nouvelles attentes des plaisanciers, et singulièrement des jeunes plai-
sanciers, on voit émerger des offres de réseaux de ports, de type « Pass », pro-
posant :
• Des itinéraires de croisières courtes, reliant plusieurs ports le long d’une côte,
avec au minimum une possibilité d’escale ou d’accès tout confort par bassin de
navigation, et un écart maximal de 20 à 30 milles pour une navigation à taille
humaine.
• Des services de type « Batolib » entre les différentes escales des itinéraires,
sous la forme d’un day-boat dans leque serait possible de dormir au port dans un
confort basique, mais pas en mer. Pour avoir du vrai confort, on irait au restaurant
et à l’hôtel.
• Une offre touristique et culturelle aux escales, avec possibilité de location de
véhicules et vélos électriques, permettant de valoriser le territoire
LE PORT DE PLAISANCE EN …. 2022 : LE E-PORT - UNE VISION
Le plaisancier a préréservé une place via le service internet du port de plai-
sance : il est désormais possible d’accéder aux emplacements disponibles et à
leur réservation en temps réel. Des bornes RFID ont été installées sur le port.
Les plaisanciers sont aussi désormais pourvus d’un badge RFID (Radio Fre-
quency Identification), qui leur permet d’être reconnus sur l’ensemble du port,
d’avoir accès aux douches ou encore d’indiquer leur consommation d’eau et
d’électricité quand ils quittent le port.
Le plaisancier qui arrive au port peut connecter son smartphone ou sa tablette
aux bornes RFID du port. Le premier service sera de le guider jusqu’à sa place:
tablette à la main, le plaisancier manœuvre son bateau avec, sous les yeux, l’iti-
néraire qu’il doit suivre pour parvenir à l’emplacement réservé.
Le bateau amarré, il se branche à la borne, qui va lui fournir eau et électricité
et enregistre son arrivée. L’information est aussitôt transmise à la capitainerie.
Sa consommation sera elle aussi transmise en temps réel. Tout comme l’usage
éventuel qu’il fera des services du port, depuis le carénage jusqu’à la location
d’un vélo électrique. De fait, le réseau portuaire lui donne accès à une foule
de services, depuis l’information sur la météo, la réservation d’un véhicule ou
d’un vélo électrique, des prestations portuaires – par exemple une réparation
2 0 2 2
JEAN-CLAUDE COHEN
DE DEMAIN
Photo Doog Mc Hell
sur son bateau, l’approvisionnement en denrées- ou l’édition d’une facture.
Au moment de son départ, la facture qu’il aura à payer listera l’ensemble des
prestations auxquelles il aura eu recours. Et cette facture, il pourra même la
régler via sa tablette ou son smartphone. La connectivité prend aujourd’hui ses
aises sur les ports de plaisance.
La simplification de la gestion portuaire
Grace à la vidéosurveillance -installée à la demande des plaisanciers-, au wifi,
à la fibre optique, enfin aux bornes connectées, les agents du port peuvent dé-
sormais parcourir les pontons et, d’un glissement du pouce sur l’écran d’une
tablette, enregistrer l’arrivée ou la sortie d’un bateau.
Pour accroître la responsabilité des plaisanciers, l’eau et l’électricité sont dé-
sormais facturés à la consommation. Ceux qui chauffaient leur bateau pendant
tout l’hiver ou qui le lavaient après chaque sortie vont revoir leurs habitudes.
L’ensemble des données permet d’assurer une meilleure surveillance de ses
équipements, et de détecter des dysfonctionnements.
J U I L L E T 2 0 2 2 9
DOSSIER SPECIAL JEAN-CLAUDE COHEN
Vers un Port de plaisance « Responsable et Connecté »
On constate des évolutions dans de nombreux par les technologies numériques (RFID, web, etc..), tropole, contribuant ainsi à son attractivité touristique,
ports de plaisance, visant notamment à répondre les nouvelles attentes des publics, notamment des notamment en mettant en place des outils de téléréser-
aux attentes des plaisanciers d’aujourd’hui et de jeunes, en termes de niveau et de qualité de service, vation de places de port (web), et des offres de services
demain, et se matérialisant notamment par : et en termes d’exigences de durabilité. adaptés (par exemple location de vélos ou automobiles
électriques)
• La mise en place de technologies numériques au
bénéfice des usages des ports de plaisance et pour
Des orientations pour un port De moderniser l’infrastructure et la gestion du port,
•
faciliter la gestion portuaire « responsable et connecté » notamment en développant l’utilisation des technolo-
gies numériques (RFID, NFC, Haut-débit, Internet),
• Le renforcement de l’ancrage du Port dans son ter- Ainsi un port de plaisance au XXI siècle pourrait se pour assurer la veille en temps réel sur le plan d’eau,
ème
ritoire, la métropole Aix-Marseille, qu’il s’agisse de fixer comme objectifs : les mouvements des bâteaux, ou la détection de dys-
contribuer à l’économie du territoire, de valoriser fonctionnements
son patrimoine culturel auprès des plaisanciers vi- • De mettre en place des actions visant à favoriser
siteurs, mais aussi de rendre plus accessible la pra- l’accès à la plaisance de générations plus jeunes : co- • De répondre à l’exigence croissante des nouvelles
tique de la plaisance pour les jeunes du territoire propriété, formation, offre d’itinéraires de croisières générations et des touristes pour un développement
courtes durable, notamment en engageant une démarche de la-
• La mise en place d’actions favorisant les écono- bellisation ou de certification de type « Pavillon Bleu »
mies d’énergie, la gestion des déchets, la préserva- • De développer des partenariats avec d’autres ports de ou « Port Propre » :
tion du milieu marin, dans la navigation de plaisance plaisance, dans le cadre de réseaux ou labels existants
et la gestion portuaire, ou à construire, pour proposer des itinéraires de croi-
sières courtes sur la côte méditerranéenne.
Ces évolutions sont la réponse des ports de plai-
sance aux évolutions en cours et futures de la plai- • De favoriser le développement des séjours passagers,
sance, sous l’effet combiné des possibilités offertes et leur valorisation touristique et culturelle pour la mé-
Les bateaux de plaisance
Quelques tendances lourdes de l’évolution des
bateaux de plaisance...
1 Les bateaux seront de plus en plus rapides, pour répondre
aux attentes de ceux qui rechrchent dans la plaisance la dé-
charge d’adrénaline. Pour ceux-là, les foils seront là pour
longtemps, et les multicoques seront la norme. Mais n’y
aura-t-il pas des plaisanciers qui recherchent le calme et la
lenteur ?
2 L’impression 3D, mais aussi la location ou le partage de
bateaux rendront la plaisance moins chère et plus acces-
sible. Demain, ou après-demain, les bateaux construits par
impression 3D seront une réalité.
3 La plaisance de demain sera plus ouverte aux femmes
qu’elle ne l’est aujoutd’hui. En particulier, les technolo-
gies permettront de construire des bateaux plus faciles à
manier.
4 Le bateau de demain devra être conçu en prenant en
compte son impact sur l’envionnement, qu’il s’agisse de
l’énergie utilisée pour le propulser, du caractère recyclable
des matériaux qui le composent, ou des rejets dans le mi-
lieu marin et la préservation de ce dernier. Une des voies
possibles serait le navire hybride.
5 Le bateau de demain sera plus sûr et plus sécurisé.
Références
6 Les technologies comme l’intelligence artificielle, la réa- Photo Doog McHell
lité virtuelle, les capteurs, la connectivité, transformeront
Les articles de presse sur les bateaux de plaisance de demain sont légion. Voici la liste de ceux
les bateaux et leur processus de conception et de produc-
que nous avons utilisés pour notre liste de tendances.
tion : vers des bateaux autonomes, intelligents et connec-
tés ? Hydrogen power: Is the future of onboard - Yachting World July 2021
Is hybrid propulsion the future of yachting? Boat International: May 2021
7 Le bateau de demain sera majoritairement à moteur, - mais The future of sailing: 10 powerful strategies for a bright future Sport Tomorrow February 2021
avec des propulsions électriques à hydrogène, solaires, ou Is hydrogen the future of the boat? SeaZen 2020
hybrides – 6 industry insiders predict the future of yachting Boat International: June 2017
10
Roland Jourdain : « Ce sont nos
comportements qui feront bouger les
choses »
D
ouble vainqueur de la
Route du Rhum, troisième du
Vendée Globe notamment, Ro-
land Jourdain que le monde
de la voile surnomme Bilou,
prône depuis plusieurs années
via sa société Kaïros, un nau-
tisme plus sobre et propre, tout
en veillant sur un meilleur en-
vironnement. Il construit ac-
tuellement un catamaran de 60
pieds avec des fibres végétales.
Né à Quimper en 1964, « Bilou » n’a pas 21
ans quand il embarque sur le maxi Côte d’Or
skippé par Eric Tabarly pour la course autour
du monde en équipage, alors baptisée Whit-
bread, et qui compte dans son jeune équipage,
également un certain Michel Desjoyeaux. Les
deux compères de même génération, vont
beaucoup naviguer ensemble, puis l’un contre
l’autre que ce soit sur l’Atlantique ou autour
du monde. Après une troisième place au Ven-
dée Globe, derrière le vainqueur… Michel
Desjoyeaux et sa dauphine britannique - Ellen
Mac Arthur -, puis une première victoire dans
la célèbre Route du Rhum, Roland Jourdain
et Sophie Verceletto créent en 2007 Kaïros à
Concarneau. La structure n’a pas comme seule
vocation d’accompagner de jeunes coureurs au
large et de construire des prototypes. Depuis
longtemps, le marin s’inquiète pour la planète,
rappelant à chaque arrivée de course « que les
océans sont de plus en plus jonchés de sale-
tés… » Il est aussi l’un des premiers à oser dire
haut et fort que si un voilier est propulsé par la
force du vent, les bateaux de course et de croi-
sière ont un impact carbone loin d’être anodin.
Kaïros Environnement a un
bureau d’études dédié aux
composites biosourcés plutôt
qu’issus de la pétrochimie
Dès 2009, Kaïros décide de réaliser son
propre bilan carbone, et nombre d’observa-
teurs pensent que Roland Jourdain et Sophie
Verceletto sont en avance sur leur temps. Eux
trouvent justement qu’ils sont déjà en retard.
Lancent Kaïros Environnement, avec un bu-
reau d’études dédié aux composites biosour-
cés plutôt qu’issus de la pétrochimie. Plusieurs
bateaux de grande croisière et d’expédition
J U I L L E T
TEMOIGNAGE
en construction, servent un peu de labora-
toire à la recherche de la réduction de l’im-
pact carbone. « J’ai commencé à me poser des
questions sur nos bateaux de course, inspiré
par le département développement durable de
Véolia Environnement qui était mon sponsor
et travaillait déjà sur ces problématiques. On
a fait le bilan carbone d’un Vendée Globe,
de la construction du bateau à toute la vie
du projet du départ à l’arrivée. On a appris
plein de chiffres dont on ne savait pas trop
ce qu’ils signifiaient (rires). » Quelques an-
nées plus tard, il commence à incorporer du
lin dans des voiliers de série et décide de tra-
vailler avec de petits chantiers tels que Idb-
marine ou Tricat. « Au début, il y avait une
certaine réticence quant au développement de
ces fibres tant pour les constructeurs que les
plaisanciers. On était plus dans la résistance
que dans la recherche au développement, mais
depuis, les choses ont commencé à bouger, et
le Mojito 650 par exemple va être construit en
lin » précise Roland Jourdain. En novembre
prochain, il va disputer à nouveau la Route
du Rhum-Destination Guadeloupe, mais cette
fois sur un catamaran de 18 mètres, construit
à la Grande-Motte et baptisé We Explore. Le
pont de la taille d’un terrain de tennis, est fa-
briqué à partir de fibres de lin. « Produite en
Normandie par Terre de lin, cette fibre tissée
chez Saertex est moins énergivore que celle
en verre et offre des propriétés mécaniques
proches » explique Roland Jourdain. Sur son
catamaran, c’est donc un hectare de fibres vé-
gétales qui assure la rigidité de la structure. Le
2 0 2 2
lin, sur lequel Roland et son équipe travaillent
depuis une dizaine d’années est de plus en
plus présent dans le nautisme, mais c’est
la première fois qu’il est utilisé à une telle
échelle. « We Explore est un bateau original
par ses matériaux mais aussi dans son mode
de conception » précise Roland Jourdain. «
La plupart des bateaux de course sont des pro-
totypes, construits sur mesure pour un skip-
per. We Explore fait exception à cette règle
puisqu’il est issu d’un voilier de série. Son
ADN est en effet celui du 5X, navire amiral du
chantier Outremer. Il lui emprunte ses formes
tendues mais le matériau est différent et cer-
tains aménagements sont spécifiques au pro-
gramme. Il nous faut bousculer les habitudes. »
La réutilisation fait partie de
l’écoconception.
Tout est lié dans la course au
gain environnemental
En plus d’être un bateau innovant, ce plan
VPLP participe au reconditionnement. Les
winches sont d’occasion venant de l’Imo-
ca de Manuel Cousin, les puits et dérives
du trimaran d’Eric Peron, ancien bateau de
Lionel Lemonchois, et les pièces de carbone
sont réalisées à partir de tissus périmés issus
de l’industrie aéronautique. Plusieurs voiles
proviennent par ailleurs des anciens bateaux
de Roland, retaillées pour l’occasion, et beau-
coup d’accastillage a été récupéré ça et là.
« We Explore embarque avec lui un héritage
U ne bonne vingtaine d’années avant la création du CNTL il y a 50 ans, un
architecte du bâtiment, brillant régatier puisque ancien sélectionné olympique, décide
de lancer un dériveur populaire de 4,08 mètres, facile et au prix d’une bicyclette, mais
au nom peu vendeur de Vaurien.
Il se nomme Jean-Jacques Herbulot,
et est proche de Philippe Viannay,
fondateur de la célèbre école de voile
des Glénans. Ces deux précurseurs ne
savent pas encore qu’ils vont marquer
la plaisance, et contribuer à son formi-
dable essor.
Avec le Vaurien, ce dériveur rus-
tique à bouchains vifs, et son kit en
contre-plaqué (CP) vendu notamment
au BHV à Paris permettant de l’as-
sembler dans un garage ou au pire
dans la salle à manger, le succès est
immédiat. Les deux complices lui
donnent alors un grand-frère : le Cor-
saire, petit voilier sommaire de 5,50
mètres, également en contre-plaqué,
équipé de trois couchettes sommaires
et sans toilettes. L’idée est de rendre
la croisière côtière accessible au plus
grand nombre selon l’idéologie des
Glénans qui prône rusticité et éga-
litarisme. Et ça marche ! Un autre
architecte, physicien de formation,
Philippe Harlé, est aussi l’un des
premiers permanents du Centre Nau-
tique des Glénans. Non seulement, il
rédige le premier « Cours de naviga-
tion des Glénans » tiré à des milliers
d’exemplaires, réédité et actualisé, et
que l’on va trouver dans toutes les bi-
bliothèques des bateaux de croisière
jusqu’à aujourd’hui encore, mais
conçoit le Muscadet, croiseur de 6,50
Photo JM Liot / alea
de la course au large ! L’innovation passe
aussi par la meilleure gestion des matériaux
et systèmes, à terre comme en mer. La réu-
tilisation fait partie de l’écoconception. Tout
est lié dans la course au gain environnemen-
tal. Je veux montrer que d’autres voies sont
possibles, et ce avec beaucoup d’humilité et
de sobriété. On participe à ouvrir les chakras.
Le travail avec la fibre de lin porte ses fruits
mais il y a tellement de choses à faire, notam-
ment sur les résines, et d’une manière géné-
rale, sur ce qu’on met à bord du bateau, qu’il
soit de course ou de croisière. Mon catamaran
est construit à 50 % en fibre de verre et à 50
% en fibre végétale. Les aménagements sont
un composite 100 % biosourcé, recyclable et
compostable. On sera certes moins impactant
sur l’environnement, mais si les techniques de
construction ne sont pas accompagnées d’un
changement radical des usagers, je crains que
ce soit un coup d’épée dans l’eau. Et puis, le
bateau de plaisance de demain devra s’adap-
ter à l’évolution du monde. On a vu ces der-
niers temps, qu’il y avait de vrais problèmes
d’approvisionnement de fil de fibre de verre
par exemple, et donc il faudra trouver des
techniques alternatives. Ce sont nos com-
portements qui feront bouger les choses. »
Propos recueillis par DIDIER RAVON
50 ANS D’ESSOR DE LA PLAISANCE
mètres en CP. Dès lors tous ses plans
portant des noms de vin ou d’alcool,
séduisent nombre de plaisanciers, à tel
point que Harlé est surnommé « Mon-
sieur 25 % », dessinant un quart de la
production hexagonale. Le polyester
débarque dans la plaisance, et le San-
gria – toujours un plan Harlé – rapide
et volumineux, construit par le chan-
tier Jeanneau, va être le premier voi-
lier de croisière à dépasser les 1000
exemplaires produits.
Fin 1964, les ventes
de voiliers de croisière
augmentent de 78 % sous
« l’effet Tabarly »
La France découvre également un
jeune Enseigne de Vaisseau de la Ma-
rine Nationale qui vient de triompher
dans la Transat anglaise 1964 : Eric
Tabarly. Le général de Gaulle com-
prend vite que les Français se recon-
naissent et s’identifient dans ce héros
populaire, sobre, parlant peu et qui ne
se la joue pas. Le succès de Tabarly ai-
guise l’industrie nautique qui en pro-
fite, car la croisière n’est alors plus ré-
servée aux nantis. Fin 1964, les ventes
de voiliers de croisière augmentent de
78 %, sans doute sous « l’effet Tabar-
ly ». Les revues nautiques fleurissent.
J U I L L E T 2 0 2 2
Lors du Salon nautique de Paris qui a
dépassé celui de Londres - pourtant la
référence en Europe -, Michel Dufour
présente l’Arpège qu’il a dessiné et
construit. Ce croiseur de 9 mètres a
une particularité : il est contre-moulé.
On ne cache plus le polyester, bien
au contraire, car de fait, les finitions
intérieures sont à la fois parfaites et
rassurantes. Les industriels français
vite imités par les Anglais, les Alle-
mands, les Finlandais, les Suédois et
les Italiens ont vite senti que la plai-
sance se démocratisait. Bénéteau,
futur premier chantier du monde,
grâce à l’architecte marseillais André
Mauric qui a signé les plans de Pen
Duick VI d’Eric Tabarly, va lancer le
First 30, croiseur légendaire. La cité
phocéenne a aussi un sacré ambassa-
deur, Gaston Deferre, député maire
et féru de voile sur ses Palynodie, et
qui ne manque pas une régate chaque
week-end. Mai 68 est passé par là. Le
tourdumondiste Bernard Moitessier
enfonce le clou avec sa philosophie
« nomadiste ». Dans des jardins ou
terrains-vague, on voit alors de doux
rêveurs et des « babas cool » souvent
un peu marginaux, construire seuls
leur voilier en ferrociment sur une ar-
mature de treillis pour cages à poules.
Beaucoup vont traverser l’atlantique
vers les Antilles notamment, mais cer-
tains rester inachevés et croupir.
Les chantiers n’hésitent
pas à faire appel à des
designers réputés, tels que
Pininfarina ou Starck
L’essor de la course au large profite
également à l’industrie nautique. La
taille des bateaux augmente, et il n’est
plus rare d’apercevoir de luxueuses
unités de plus de douze mètres, no-
tamment les Swan, véritables « Rolls »
de la croisière venir jeter l’ancre dans
les plus beaux mouillages de Méditer-
ranée. De nouveaux plaisanciers au
pouvoir d’achat conséquent, poussent
les architectes à imaginer des bateaux
plus larges, plus confortables, et suré-
quipés. Les chantiers n’hésitent pas
à faire appel à des designers réputés,
tels que Pininfarina ou Starck, et pro-
posent des emménagements avec au-
tant de cabinets de toilette que de ca-
bines, et un confort digne d’un hôtel 4
étoiles. Cette voile doit être accessible
même pour des marins peu aguerris,
mais qui ont envie de se montrer dans
les ports. Tout est conçu pour naviguer
« facile ». La course océanique se dé-
cline aussi désormais sur des multi-
coques, et le chantier Fountaine-Pajot,
visionnaire en la matière, lance alors
des catamarans de croisière, qui na-
11
viguent à plat et ne perturbent pas
les marins débutants appréhendant
de vivre penchés. La formule séduit
autant qu’elle fonctionne, même si
les puristes des monocoques crient au
loup devant le peu d’esthétisme de ces
« pontons flottants » où n’empêche,
l’on peut boire l’apéro dans un confort
total, tout en naviguant à vive allure,
voire même préférer le moteur plutôt
que d’envoyer les voiles. Aujourd’hui,
les grands chantiers proposent surtout
des unités sublimes et coûteuses de
15 mètres et plus, et qui nécessitent le
plus souvent un skipper professionnel
pour les mener. Le marché d’occa-
sion est saturé, et l’on trouve pléthore
de voiliers entre 7 et 12 mètres à des
prix très attractifs, et qui trouvent ac-
quéreurs auprès de gens ayant envie
de changer leur manière de vivre et
franchir le pas en voyageant. Le Co-
vid est passé par là, et il n’y a plus
cette même réticence à se faire plai-
sir tout en consommant moins. Com-
ment sera la plaisance dans trente ans
? Est-ce que les bateaux qu’ils soient
à voile ou à moteur, auront des foils
asservis automatiquement pour voler
sur l’eau dans quelques années ? Rien
n’est moins sûr. Mystère et boule de
gomme…
DIDIER RAVON
Photo Didier Ravon
12
Rudy Ricciotti : « Je navigue à vue sur
tous les sujets »
O
n doit notamment à
cet ingénieur - architecte,
spécialisé dans le béton,
le Musée des Civilisations
d’Europe et de Méditerra-
née (MuCEM) installé en
face du CNTL, à l’entrée
du Vieux-Port de Marseille.
Photo Lisa Ricciotti
Interview
En tant qu’architecte, quel est votre
sentiment sur ces ports de plaisance très
« parkings à bateaux », souvent sales,
sans cachet, dans un environnement
bétonné (exception faite notamment
du Vieux-Port à Marseille, de celui de
Bonifacio…) ?
Rudy Ricciotti :
Ne pas oublier que dix places à quai pour
des petites unités, celles du nautisme social
(de longueur de sept mètres maximum),
déclenchent l’équivalent d’un emploi à
temps plein (carénage, peinture sous-ma-
rine, électricité, mécanique, etc...).
Un port n’est pas un jardin
public, cependant il n’est pas
d’avantage critiquable car
c’est aussi un espace public.
Les plaisanciers « consommant » la
croisière autrement, mêlant notam-
ment la navigation et des activités
culturelles (musées, expos, édifices…),
se servant du bateau désormais plus
comme un moyen de transport voire une
« caravane » ?
Rudy Ricciotti :
Que les plaisanciers vivent sur leur
bateau, caravane ou plus luxe, ne me pose
aucun problème. N’oubliez pas qu’ils
sont consommateurs de services d’avan-
tage que les ports à sec. Au demeurant,
il existe une vie sociale à l’année par ces
bateaux qui paraissent inertes.
J U I L L E T
TEMOIGNAGE
Ils participent aussi au lien social.
Les retraités marins à quai sont friands
de cet immobilisme et sont une présence
hivernale utile.
Fort de ce constat, comment intégrer
le port de plaisance dans la ville ?
Rudy Ricciotti :
Une réponse économique encore...
Imaginez bien que les recettes
portuaires sont une manne pour les collec-
tivités possédant des ports de plaisance.
N’oubliez pas que la réparation
navale française est en pleine expansion...
Exemples les chantiers de La Ciotat, de
Marseille, de Saint-Mandrier, etc... Mais
oui, l’espace périphérique à terre pourrait
être densifié sur pilotis par des habitations
et des services afin de « rentabiliser » le sol
évitant ainsi d’aller construire ailleurs et
de rester sur une mono-activité.
Les aspects durables et environnementaux
vous préoccupent-ils dans cette période
anxiogène quant au réchauffement
planétaire ?
2 0 2 2
Rudy Ricciotti :
Que voulez-vous que je vous réponde.
L’avenir sera électrique à l’image du
formidable bond que va faire Renault
Industrie pour ce type de véhicules qui
seront fabriqués en France en très grande
quantité.
À condition que l’on ne saccage pas nos
centrales nucléaires assurant l’autonomie
énergétique de notre pays.
Vous naviguez ?
Rudy Ricciotti :
Je navigue à vue sur tous les sujets,
philosophiques, sociaux, environnementaux,
politiques...
Menteur est celui qui n’est pas agnos-
tique dans cette période anxiogène. Pour
mon métier je m’efforce d’être concret,
réaliste et juste... C’est déjà beaucoup
pour ma seule peine.
Propos recueillis par DIDIER RAVON
Photo Mario Sinistaj
RUDY RICCIOTTI
EN QUELQUES DATES :
1952 : Naissance le 22 août à Alger, Algérie
1975 : Architecte ingénieur
École d’ingénieurs de Genève, Suisse
1980 : Architecte DPLG
École d’architecture de Marseille, France
2006 : Grand Prix national d’architecture
1994 : Le Stadium de Vitrolles
2006 : Le Pavillon Noir à Aix-en-Provence
2011 : Le Musée Jean Cocteau à Menton
2012 : Le Département des Arts de l’Islam
au musée du Louvre
2013 : Le Musée des Civilisations d’Europe et
de Méditerranée (MuCEM) à Marseille
2013 : Le Stade Jean Bouin à Paris
2014 : Le Pont de la République à Montpellier
2015 : Le Mémorial du Camp de Rivesaltes
2017 : La Bordeaux Métropole Arena
et son parking aérien à Floirac
2018 : La Bibliothèque Humaniste à Sélestat
2019 : La Salle des Musiques Actuelles et
Contemporaines du pays d’Aix
à Aix-en-Provence
2020 : La Gare-PEM de Nantes
2021 : Le 19M,
Manufacture de la Mode Chanel
VOYAGE AUX CONFINS DE LA PLAISANCE
S
i le bateau a sans aucun doute été le premier moyen de déplacement pour
l’homosapien sapiens, son utilisation est restée fort longtemps dans le domaine
de l’utilitaire : s’approcher d’une proie à pêcher, transporter du matériel ou
des vivres, changer de terre pour fuir un territoire devenu inhospitalier.
Peu à peu, sa conception
et son maniement ont pro-
gressé, en même temps que
l’évolution de l’homme mo-
derne : nouveau matériaux,
nouveaux besoins.
Les océans sont alors deve-
nus de véritables échiquiers,
ouverts à l’exploration de
plus en plus lointaine. Dé-
couvrir puis défendre des
côtes et des ports d’un en-
nemi venu par la mer est
devenu une obligation, dont
la marine à voile a quelque
part largement bénéficié. A
l’époque de la conquête du
globe, être le plus rapide sur
l’eau s’est imposé comme
un argument commercial et
militaire, conduisant les ar-
chitectes et les constructeurs
à toujours plus d’ingéniosité
pour dominer les flots.
La navigation de
délassement
A quel moment est née la navigation
de plaisance, c’est sans doute diffi-
cile à déterminer, mais il semble que
depuis plus de trois siècles, « des na-
vigateurs ont commencé à écrire une
autre page de ce riche patrimoine »
détaille Philippe Héral, président du
Yacht Club de France, « imaginant
toujours de nouveaux engins propres
à parcourir les océans pour le seul
bonheur de goûter à cet espace par-
tagé de liberté, d’aventure, de défi
sportif ou plus simplement d’esca-
pade sabbatiques comme de virées
indolentes ».
« Déjà, en 1687, Saint-Tropez avait
été le port de départ d’une balade
dont le récit ne prête à aucune confu-
sion » retrace André Beaufils, ancien
président de la Société Nautique de
Saint-Tropez, dans l’éditorial de l’ou-
vrage de présentation de ce club dont
l’origine atteint cette année… 160
ans ! « il s’agit d’un journal de bord
– probablement le plus ancien texte
de ce type en France – relatant une
croisière de plaisance vers la ville
de Gênes. Une escapade préfigurant
cette ‘navigation de délassement’ liée
aux petits voiliers du quartier de la
cité du Bailli de Suffren, inscrits à
ce titre dès 1834 dans un registre de
l’administration locale. »
La plus belle rade
du monde
« Plus près de nous, les témoignages
de plaisanciers ne manquent pas de
décrire ce que l’on aime à qualifier de
joyaux, et l’émotion est forte d’imagi-
ner que les paysages qui se livrent au-
jourd’hui à nos yeux sont les mêmes
que ceux découverts il y a plusieurs
centaines d’années par nos aïeux.
Ainsi le témoignage de Nathalie et
Dominique Cathala à bord de Perle
de Lune en est un très beau récit. «
Je craignais de pénétrer dans cette
rade. Je pensais que Marseille était,
comme la plupart des aggloméra-
tions, laide vue du large. Hé non ! Je
serais tentée, bien que Marseille ait
dû changer depuis son passage, de
reprendre à mon compte les mots de
Mme de Sévigné : « Je suis ravie de
la beauté singulière de cette ville. »
A quoi cela tient-il ? A beaucoup de
choses. Et pas une en particulier…
Marseille, le saviez-vous ? Est la plus
ancienne ville de France. La première
en somme ! Son origine remonte à
2600 ans ! Elle valait bien le détour
non ? En même temps, comment ose-
rais-je dire que nous nous sommes
arrêtés à Marseille ? Car à l’inverse
d’un voyageur « terrien », le naviga-
teur n’aura qu’une vue incomplète
J U I L L E T 2 0 2 2
des endroits qu’il visite. Il possède le
luxe du choix ! Il trie à son gré, ce
qu’il désire voir ou, au contraire, re-
jeter. Nous avons agi de la sorte tout
au long de la côte que nous venons de
parcourir. Nous avons évité soigneu-
sement toutes les agglomérations
qui nous paraissaient trop bétonnées
ou trop industrielles, voire les deux
ensemble... C’est facile, il suffit de
s’éloigner vers le large et de regarder
l’horizon. Il en fut tout autre de Mar-
seille. Nous venons de visiter les ca-
lanques, et nous avons quasiment le
nez dessus. Alors, la curiosité aidant,
nous nous en approchons. Mais pas
trop, comme intimidés par le monde
des hommes…
Oh bonne mère !
Le plus légitime d’entre eux est sans
doute la butte de Notre dame de la
Garde. Quelle élégance ! On ne voit
qu’elle ! Si d’où je suis, je ne peux
deviner les harmonies de détails qui
la composent, ses lignes sont si pures,
qu’elle apostrophe le regard et attise
la curiosité. Les architectes ont com-
mis l’exploit de lui dessiner, dans un
style romano-byzantin, à la fois des
rondeurs gracieuses et une silhouette
élancée. Elle s’adresse au ciel depuis
le dôme de sa colline. Je comprends
les Marseillais qui y sont attachés,
elle a quelque chose de bienveillant
dans sa position. Entre le Ciel et la
ville, elle paraît être à l’écoute des
phocéens et ne répéter au Ciel que
ce qui est susceptible d’intercéder en
leur faveur. »
De l’eau et des îles
« La rade de Marseille partage la
mer avec des îles et des îlots. Tels
des bateaux ancrés en permanence,
ils offrent au Marseillais des possi-
bilités de promenades infinies. Mais
elles eurent un rôle beaucoup moins
ludique au cours de leur histoire,
qui débuta 600 avant Jésus-Christ
avec l’invasion de Phéniciens. Les
principales îles sont celles du Frioul :
Tiboulen, If, Pomègues et Raton-
neau. Marseille, née de la mer, s’en
protège par des îles qui referment la
rade. Ces barrières naturelles ont
longtemps été de véritables senti-
nelles. Ainsi, le château d’If, fortifié
dès la fin du seizième siècle, a formé
la première ligne de défense militaire
de la cité. Par contre, l’île Raton-
neau constitua la première ligne de
défense sanitaire. Les navires venant
de l’étranger y étaient mis en qua-
rantaine. Il subsiste de cette époque,
l’hôpital Sainte Catherine construit
à la fin du dix-neuvième siècle et la
Photo Doog Mc Hell
13
digue qui relie les deux îles. Ces îles
sont accidentées et désertiques, faites
de la pierre blanche que l’on retrouve
dans les calanques toutes proches.
Mais l’aspect en est presque lunaire,
tant la végétation y fait défaut. Dans
les anfractuosités de la roche, des
mouillages se sont formés au rythme
des coups de boutoirs de la mer et du
vent. Nous sommes surpris de trouver
ici, une multitude de petites calanques
qui offrent autant de possibilités de
mouillages ! Nous choisissons, dans
ce relief tourmenté, l’une d’elle, au
hasard. Elle est ouverte vers l’ouest.
Nous ne pouvons que deviner les tré-
pidations de la ville cosmopolite qui
nous est totalement dissimulée. L’île
nous cache, le port et ses cargos, le
port et ses paquebots. Nous ne voyons
rien de l’activité intense qui régit
cette gigantesque agglomération. La
lueur de la ville transperce à peine
les ténèbres. Ici, nous sommes blottis
vers le large, totalement seuls… Ce
sera notre dernière nuit en mer. »
Extrait du site etoile-de-lune.net
MAGUELONNE TURCAT
La mer, une grande
aventure française*
« La place de la France
dans l’histoire maritime uni-
verselle est déformée, voire
occultée par une littérature
anglophone invasive » ex-
plique pour sa part François
Bellec, peintre officiel de la
Marine, qui fut directeur du
Musée National de la Marine
pendant 18 ans et vient de pu-
blier un ouvrage monumental
sur le patrimoine maritime
français. « Certains thèmes et
certaines personnalités sont
des évidences. Nous avons of-
fert au monde les meilleures
architectes navals, des car-
tographes admirés par leurs
homologues britanniques,
des explorateurs humanistes.
Nous avons mis en service
les plus emblématiques pa-
quebots transatlantiques, nos
pionniers ont ouvert toutes
les voies de la pénétration
sous la mer, nous dominons
la course au large ».
Ouvrage de François Bellec,
éditions de Monza
14
David Sussmann : « On a encore tellement
à découvrir sous et sur l’eau ! »
D
irigeant depuis 25 ans de
la société Seafoodia, spécialisée
dans la vente de produits de la
mer durables et responsables,
ce Marseillais emploie 600
personnes, et a également fondé
en 2017 le fond de dotation Pure
Océan, dont l’objectif est de pro-
téger la mer via le financement
par du mécénat de projets de
recherche et d’innovation super-
visés par un comité scientifique.
Photo Doog McHell
Dès le début de l’entretien, ce jeune quinqua
spontané et chaleureux qui se renseigne sur le
parcours et les réseaux de son interlocuteur,
notant tout sur son ordinateur, propose le tu-
toiement. Enfant, David Sussmann, est notam-
ment bercé par la voile via le magazine Voiles
et Voiliers, et comme Florence Arthaud, fait
ses gammes de marin avec le navigateur Marc
Linsky, créateur de la célèbre école de croi-
sière baptisée Les Guides de haute mer. « Cette
rencontre avec Marc avant que je ne fasse les
Glénans, m’a marqué à vie, et m’a donné le
goût pour les océans » explique cet amoureux
de voile et de mer. « Je me souviens qu’à huit
ans, Marc me faisait plonger au large du Frioul
pour aller chercher des pipes à dix mètres de
profondeur. Il m’a ouvert les yeux et a été
mon mentor. » Bien que très occupé, David
Sussmann prend le temps de naviguer, et vient
d’effectuer une traversée de l’atlantique entre
les Bermudes et les Açores avec le navigateur
niçois Jean-Pierre Dick. A bord de leur JP 54,
l’équipage a rencontré près de 60 nœuds de
vent, mais a profité de cette transat pour capter
un certain nombre de données, sorte d’ADN
de l’océan à destination des scientifiques et
des labos de recherche. « Je suis un plaisancier
de base, pas vraiment porté sur la compétition
mais impressionné par la haute technologie de
leurs machines, et qui ensuite profite à nos ba-
teaux. J’aime louer un voilier de croisière et
passer un week-end tranquille en famille, tout
en plongeant, car j’affectionne toujours autant
de contempler ce qui se passe sous l’eau. »
J U I L L E T
TEMOIGNAGE
J’ai du mal à saisir que l’on
mette autant d’argent pour
aller un jour sur Mars, et que
l’on ne s’intéresse pas au ma-
ritime où nous avons les solu-
tions de demain
« Je reste émerveillé par ce monde, et suis
choqué que l’on n’investisse pas plus pour
le comprendre. J’ai du mal à saisir que l’on
mette autant d’argent pour aller un jour sur
Mars, et que l’on ne s’intéresse pas plus au
maritime où nous avons les solutions de de-
main. Ce ne devrait pas être à nous de mettre
en place des ONG avec le monde entrepreneu-
rial, mais à l’Etat… » Quand on lui demande
comment il voit la plaisance d’aujourd’hui,
sa réponse est aussi brutale qu’une rafale de
mistral : « ce qui est positif, c’est qu’il y a
une réelle prise de conscience des plaisan-
ciers. Je le constate chaque fois que j’en
croise sur un ponton ou au mouillage. J’aime
me décrire comme un entrepreneur engagé,
dont le business est la nature et l’alimenta-
tion. Je conviens que parfois j’agace aussi
des gens. Si on détruit la nature, on ne va ja-
mais la récupérer, et nous devons utiliser la «
tech » qui pour moi n’est pas néfaste. Nous
sommes encore en train de découvrir l’océan
qui couvre 70 % de la planète, et devons faire
notre révolution quel que soit le bateau sur le-
2 0 2 2
quel on navigue. Je dis on car je me sens au-
tant concerné comme utilisateur et profiteur.
J’aimerais vraiment qu’il y ait un lobby pour
créer les « Yuka » de la plaisance (application
mobile permettant de scanner les produits ali-
mentaires et cosmétiques afin d’obtenir leur
impact sur la santé ; ndlr). J’ai envie que les
plaisanciers se rendent compte de l’impact
carbone des bateaux, qu’ils soient construits
par Bénéteau, Jeanneau, JPK, Dufour, Nau-
tor… Il faut que l’on arrive à les recondition-
ner, et qu’ils soient durables et responsables ».
Il faut se poser la question du
recyclage, et arrêter de les jeter
car nous n’avons pas de four-
rière maritime.
L’on aborde la fin de vie de ces bateaux « ven-
touse » croupissant dans nos ports. « Evidem-
ment, il faut se poser la question du recyclage,
et arrêter de les jeter car nous n’avons pas de
fourrière maritime. On connaît aujourd’hui
des Marseillais qui prennent leur bateau pour
aller le couler je ne sais où… C’est dingue ça
! » Il revendique et assume le fait de ne pas
avoir de bateau, et trouve l’idée de co-voitu-
rage, de partage, d’utilisation à la carte telle-
ment évidente. « Construisons moins de ba-
teaux, mais avec des matériaux qui polluent
moins comme le lin ! » lance-t’il. « Je ne
comprends pas que ce ne soit pas la préoccu-
pation principale des chantiers. Idem pour les
moteurs ! On ne va pas continuer à naviguer
dans les années qui viennent avec des moteurs
brûlant de l’huile et du gazole. On aura pro-
bablement des propulsions électriques, car
aujourd’hui, nos ports sont dans un état de
saleté effrayante. On devrait pouvoir se bai-
gner dans nos ports. C’est un lieu de vie qu’il
faut absolument préserver. C’est fondamental.
» On lui demande quelle est alors sa vision
de la plaisance. « Je suis un hyper optimiste,
et j’aimerais que les clubs s’engagent avec
les ONG qui portent les valeurs de change-
ment, montrent l’exemple par une propre-
té absolue, aucun mégot par terre, plus une
seule bouteille d’eau minérale en plastique...
» Et de conclure : « on a encore tellement
à découvrir sous et sur l’eau. Je vois assez
bien des entreprises avoir leur siège social en
mer. Grâce aux satellites, on n’aura plus be-
soin de wifi. Je pense que ce ne sera plus la
même façon de travailler, de faire de la voile.
Je rêve aussi qu’un Jacques Rougerie dessine
le port de plaisance de 2050, et que tout ce qui
est mis en place par un marin comme Roland
Jourdain, soit désormais adopté par les chantiers. »
Propos recueillis par DIDIER RAVON
Photo DR
Le plaisancier du XXI siècle sera engagé ou ne sera pas ?
E
n adaptant cette
phrase de vous savez qui,
je vais tenter de répondre
très personnellement à
la question que pose les
rencontres de la Nouvelle
Erre à notre société sur
l’avenir de la plaisance.
Tout d’abord une précision, dans cet article par « plaisancier
» je ciblerai les « propriétaires de voilier avec une place au
port ». Non pas que je me désintéresse des autres types de
plaisanciers et que je ne pense pas qu’ils doivent s’engager, au
contraire ! Mais en tant que propriétaire d’un Bénéteau First
38 et sociétaire d’un club (le CNTL), il me semble plus légi-
time d’adresser mon message d’engagement à la communauté
de plaisanciers qui partage mes conditions d’accès à la plai-
sance pour être dans le concret et dans le passage à l’action que
dans la théorie et les belles paroles.
Être plaisancier c’est m’engager
pour le partage de notre discipline !
Cette injonction peut paraître naïve, elle est pour moi fonda-
mentale car à la base de mon histoire.
C’est lors de vacances en Corse à mes 20 ans, qu’un plaisancier
de 40 ans de plus que moi a la simplicité de me proposer de
venir voir son voilier au mouillage, (un First 30 de mémoire :) .
C’est la première fois que je mets le pied sur un habitable et en
l’espace de quelques minutes et de quelques phrases il aura fait
de moi un passionné. Sa recette : partager son rêve (liberté de
mouvement, évolution avec les éléments…) et sa connaissance
du bateau (rôle de la quille pour la stabilité, ce qui se passe
quand tu lâches la barre). Ces fondamentaux je les partage
avec toutes les personnes que j’embarque. Cet apprentissage je
l’ai continué avec un mélange de Course Croisière EDHEC, de
Glénans, de Transat Marseille Brésil (sur un voilier du CNTL
en tant que capitaine d’équipage) … et j’en passe, mais une
chose est sûre : c’est toujours en compagnie de plaisanciers
qui ont su me faire partager leur rêve et leur savoir que j’ai
progressé. Alors amis plaisanciers, de grâce, je n’ai rien contre
les plaisirs solitaires mais partagez cette chance autour de
vous ! De nombreux passionnés qui s’ignorent attendent que
vous allumiez leur flamme. Enfin si vous ne le faites pas pour
les autres faites-le pour vous ! Combien ai-je pu rencontrer de
bateaux et de capitaines (souvent âgé.e.s) qui restaient au port
faute d’équipage m’expliquant que ni famille ni amis n’était
disponible pour voguer avec eux !
Être plaisancier c’est m’engager
pour la cité
La bonne nouvelle c’est que les équipiers (souvent jeunes) qui
attendent qu’on leur propose de monter à bord sont légion !
Merci Maxime on est au courant. On peut les trouver sur des
sites comme bourseauxéquipiers.com etc… certains me di-
ront. En effet, mais ces super-sites bien que « grand public
» peuvent en plus de la « barrière numérique » qu’ils repré-
sentent pour certain public, impressionner les capitaines et les
équipiers (ai-je le niveau ? quel risque de partir en mer avec
des inconnus ?). Ils remplissent donc un rôle de « connecteur
» entre invités mais guerre au-delà. Or c’est en dehors de ces
J U I L L E T 2 0 2 2 15
NOUVELLE VUE
ème
initiés que se trouve la plus grande réserve « d’équipiers en plus loin
devenir » et c’est vers ce public que les plaisanciers doivent
porter leur deuxième engagement. De quel droit les bateaux déjà critiquables par l’impact de leur
peinture sous-marine et de leurs ancres sur l’écologie marine
Inutile de passer trop de temps à lister tous les mauvais clichés
qui collent à la plaisance : conservatisme, symbole de richesse,
entre soi … La réalité est que trop de personnes s’interdisent
de penser que cette activité est à leur portée et c’est pour moi
la responsabilité des plaisanciers de mettre un terme à cette
réalité. Pourquoi ? Les raisons sont nombreuses ! Nos bateaux
pourraient devenir la cible de mouvements sociaux protesta-
taires type « gilet jaunes » quand ces derniers se seront lassés
des boutiques de luxe, certes mais ce n’est pas sous l’angle de
la peur ou de la contrainte que je veux vous parler de cet enga-
gement. Monter sur un bateau, c’est immédiatement rejoindre
une équipe avec laquelle on va partager un objectif, des émo-
tions bref une aventure humaine où chacun a un rôle et chacun
n’a qu’une vie ! Cette expérience, si elle est agréable avec de la
famille, des amis ou des initiés, devient tout simplement ma-
gique quand vous la faites avec des populations « hors ponton
» car en plus de partager votre passion, vous partagez la joie
de faire société avec toutes nos singularités quel que soit nos
origines ou notre statut social
Je ne nie pas que d’autres occasions le permettent mais la qua-
lité des échanges entre équipiers qui affrontent les éléments
marins me semble plus qualitative que celle des supporteurs
lors d’un match de foot. À mon sens le plaisancier du XXIème
siècle a un rôle fondamental de « casseur de code » pour parti-
ciper activement à une société meilleure. Pour passer à l’action
? Les opportunités ne manquent pas. Associations de quartier,
centres sociaux éducatifs … n’attendent que vos disponibilités
! À Marseille un événement pluriannuel a même été créé dans
ce sens par la Mairie du 1&7 « Marseille Au Bout, la Mer », il
est porté par l’association Marseille Capitale de la Mer (marie- Photo Florence Baudribos-Dispa
dominique@marseillecapitaledelamer.fr) et voit la participa- pourraient-ils continuer à exister dans un monde qui a compris
tion de nombreux plaisanciers à voile et à moteur dont certains l’urgence de la transition écologique ? À cela vous pourriez
sont regroupés en collectif de marins partageant ces valeurs (« me répondre que l’amélioration des formules chimiques des
Marseille Vue de La Mer » dont je suis membre actif). peintures et l’augmentation du nombre de bouées de mouil-
lage ne dépend pas de vous et vous auriez raison ; mais vous
conviendrez que notre pratique n’est pas neutre envers l’envi-
Être plaisancier c’est m’engager
ronnement, nous nous devons de jouer un rôle positif envers
pour l’environnement lui. Comment alors ? Je ne reviendrai pas sur les règles de
bon sens qui s’imposent à chaque citoyen, qu’il soit terrien ou
marin, sur la gestion des déchets (quoi qu’il pourrait être utile
Enfin que serait être plaisancier au XXIème siècle si nous de rappeler qu’on ne jette rien au mouillage, même ce qui est
n’étions pas les premiers à nous engager pour la défense de organique !) et dont l’impact serait juste neutre. Pour avoir un
l’environnement ? Si vous doutez de la nécessité de cet enga- impact positif, le plaisancier peut prendre une place straté-
gement, alors expliquez-moi quel plaisir il y aura à voguer sur gique dans la lutte contre les déchets. Grâce à notre possibilité
une eau polluée et à vous ancrer dans des criques remplies de de nous rendre sur l’ensemble du plan d’eau nous pouvons, tout
déchets et dépourvues de biodiversité ? en pratiquant notre passion, devenir les meilleures sentinelles
antidéchets marins du territoire. Après identification d’un dé-
chet rien de plus simple que de le ramasser et de le recycler
avec vos déchets à votre retour de mer ou de le signaler aux au-
torités locales si celui-ci était trop volumineux. Nous réalisons
bien un tour d’honneur pour poser notre ancre pourquoi ne pas
lui adjoindre un volet écologique ? À Marseille un réseau fé-
dère les plaisanciers souhaitant s’investir sur ce thème, le Ré-
seau Planète Propre, n’hésitez pas à les contacter (reseauplane-
tepropre@gm ail.com) Pour ceux qui souhaitent aller encore
plus loin, vous pouvez aussi vous joindre à des expéditions
spécifiques, comme celles organisées par Watch the Sea, où en
tant que plaisancier votre bateau sert de camp de base flottant
pour un groupe de nageurs pratiquant le ramassage de déchets
sous-marins mais également l’observation de faune ou de flore
invasive. L’année dernière ce sont 4 voiliers du CNTL qui ont
participé à cette aventure dans les Calanques. Pourquoi pas
vous ? (Contactez moi pour plus d’infos :)
En conclusion, ne voyez dans cette tribune que des convictions
profondes et une invitation à l’action que je serai ravi de dis-
cuter avec vous !
Photo Doog Mc Hell
Vous voyez maintenant où je veux en venir non ? J’irai même MAXIME HUGONNET
16
Pascal Urbain : L’architecte de l’ombre plante le décor
E n tant qu’architecte,
quel est votre sentiment
sur ces ports de plaisance
situés au cœur de la ville
comme ici à Marseille, ou
encore à La Rochelle ou
Bonifacio ?
Pascal Urbain : Heureusement qu’il y a la
plaisance, sans quoi les ports seraient bien mal.
Ces derniers ont longtemps été, avant l’indus-
trie, des lieux très insérés dans les villes. Le
commerce portuaire était de transport, mais
aussi de rétention des marchandises, stockées
sous douane et déstockées au gré des fluctua-
tions de prix. Imaginez qu’on stockait une
épice rarissime. Si un nouveau bateau arrivait
avec une grosse cargaison de cette épice, inévi-
tablement, son prix baissait. Mais si le bateau
attendu n’arrivait pas, si la rareté perdurait, le
prix de l’épice montait. Alors seulement on
vendait le stock au plus haut. Les prix se fai-
saient au port. Armateurs, acheteurs, vendeurs,
tous devaient être port pour sentir le vent tour-
ner, tandis que marins et portefaix s’activaient
entre les bateaux et les entrepôts. Les activités
d’un port et de sa ville étaient indissociables.
Mais encore ?
Pascal Urbain : La fameuse peinture de
Joseph Vernet sur le Vieux-Port de Marseille
résume parfaitement cette époque. Mais ça
change au XIXème siècle, avec l’industrie,
l’arrivée des chemins de fer, la mécanisa-
tion, jusqu’au roll on/roll off, où les camions
roulent sur les ponts des bâteaux et repartent
après la traversée. Il y a dès lors une recon-
version des ports, qui deviennent de simples
relais des flux marchands, avec des bateaux
qui accostent quelques heures pour décharger
le fret, et qui repartent. Un port de commerce
moderne, c’est une simple valve dans un flux
ininterrompu. La vie du port n’a plus rien à
voir avec la vie urbaine.
Mais il y a les plaisanciers et aussi
les pêcheurs ?
Pascal Urbain : Oui, mais au Vieux-Port de
Marseille, jusqu’en 2013, si on n’était pas ma-
rin, on n’avait pas accès à l’eau. C’était frap-
pant dans les années 70. La ville et le Vieux-
Port avaient des vies séparées. À moins d’avoir
un ami ayant un bateau, permettant d’aller sur
les pannes, on n’allait même pas sur les quais.
À Marseille, le Vieux-Port n’était pas acces-
sible aux piétons, sauf le quai des Belges…
à condition de traverser deux fois quatre
voies entre le trottoir et le quai, soit le double
d’une autoroute ! Le port était une calamité.
J U I L L E T
TEMOIGNAGE
Mais les choses ont changé ?
Pascal Urbain : Oui c’est vrai. Il y’a eu que
des progrès depuis les années 90, jusqu’en
2013, où des aménagements importants ont été
confiés à l’équipe de Norman Foster, Michel
Desvigne et Tangram. Enfin tout le monde…
sauf la bourgeoisie marseillaise, qui a quitté le
centre depuis longtemps. Pour tous les autres
c’est un vrai succès. On voit des Marseillais
qui ne venaient plus au centre et des touristes
qu’il n’y avait pas avant. Sans les plaisanciers,
il n’y aurait plus d’activité.
Ce qui est formidable à Marseille, c’est qu’on
a, à ma connaissance, le seul grand port com-
plètement entouré par la ville. Il y a des bâti-
ments et des quartierts sur les quatre côtés du
port : le Panier au nord ; la Canebière à l’est,
Saint-Victor au sud et le Pharo à l’ouest. Le
Vieux-Port est une sorte de lac intérieur. Avec
des bâtiments tout autour, c’est une place pu-
blique. C’est même, avec Tian-anmen, une
des deux plus grandes places publiques du
monde. Et on y respire mieux qu’à Pékin.
Les aspects durables et environne-
mentaux vous préoccupent-ils dans
cette période anxiogène quant au
réchauffement planétaire ?
Pascal Urbain : Je m’en préoccupe depuis
longtemps. Je ne suis pas certain que les ba-
2 0 2 2
‘’Intérieur du port de Marseille’’ Joseph Vernet • 1754 • Musée national de la Marine
teaux à moteur soient le mode de déplacement
le moins polluant du monde. Mais surtout, à
voile ou à vapeur, la plaisance n’est pas don-
née à tout le monde. Quoi qu’il en soit je rends
grâce à la plaisance permettant de faire vivre un
port, mais je me demande ce que ça va devenir.
Du coup, comment voyez-vous
l’avenir de la plaisance ?
Pascal Urbain : Je ne sais pas ! En 2050
voire plus, on va avoir de belles flaques sur
les quais avec la montée des eaux. Je ne l’es-
père pas, mais ça pourrait être le plus grand
miroir d’eau du monde. Je pense qu’il y aura
toujours de riches retraités pour faire vivre le
port de Marseille. Je me demande comment ça
va évoluer dans les autres ports de plaisance.
Il y aura des mutations diverses et variées.
Entre les gens qui dégustent une glace sur les
quais avant de prendre la navette pour les îles
du Frioul, et ceux qui ont leurs bateaux, il y a
de très grandes différences sociales. Dans des
situations de paix sociale c’est plutôt sympa-
thique… Mais va-t’en savoir, plus tard.
Propos recueillis par DIDIER RAVON
Né le 30 novembre 1952 à Paris,
écolier à Lahr, Cannes, Bonne-
veine, Alger et Ferney-Voltaire,
collégien à Genève et Aubervilliers,
lycéen à la Gare du Nord, bachelier
à la Gare de l’Est, étudiant à Saint-
Germain-des-Prés, dessinateur à
Nanterre, chômeur à la République,
magasinier au Sentier, projeteur à
l’Arsenal et aux Champs-Élysées,
révolutionnaire à Lisbonne, ma-
rié à Marseille, diplômé à La Vil-
lette, concepteur à Castellane et au
Cours Julien, rédacteur à Belsunce,
chercheur à la Défense, libéral au
Chapitre, programmiste à Montpel-
lier et Lodève, concurrent à Saint-
Just, exposé à Venise, conférencier
à Plaisance et Tallinn, urbaniste
à Nice et Cayenne, aménagiste à
Lyon et Mulhouse, actionnaire à
Saint-Ferréol, enseignant à Lille,
professeur et administrateur à Lu-
miny, docteur à Aix, conseiller en
Saône-et-Loire et en Île-de-France,
Pascal Urbain est un architecte
sans qualités.
Photos Francis Habert