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“GÖTHEBORG”

un trois-mâts
venu du froid
REPORTAGE Cette réplique d’un
navire de la Compagnie
suédoise des Indes orientales
participera pour la première
fois à l’Armada de Rouen, du
6 au 16 juin prochain. Voyage
à bord de ce bateau d’un
autre temps.
PAR GUILLAUME DE DIEULEVEULT (TEXTE)
Le « Götheborg », un trois-
ET ERIK SAMPERS POUR LE FIGARO MAGAZINE (PHOTOS)
mâts carré battant pavillon
suédois, est la reproduction
à l’identique d’un navire
lancé en 1738. Un chantier
incroyable qui aura duré
plus d’une décennie.

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EN VIDÉO: Visite d’un navire de légende.
Carsten Hedlund, le
capitaine. Un homme
d’aujourd’hui, chargé de
mener aussi bien que
possible ce grand navire
d’hier. Un défi permanent
pour des marins
chevronnés qui ont dû tout
apprendre à nouveau.

Le navire est un
véritable monstre
de 58,5 mètres de long.
Son grand mât mesure
47 mètres de haut. Il
porte 1 964 mètres
carrés de voiles, pour
un déplacement de
1 250 tonnes…

Lorsque le “Götheborg” quitte


un port, ses 10 canons tonnent

C
omme une bête placide En ce début du mois de mai, le Götheborg son rocheux bien connu des marins sué­
et sûre de sa force, la co­ sort tout juste de la longue torpeur de l’hi­ dois, situé à l’entrée du port de Göteborg.
que dégageant un par­ vernordique:c’estledébutdelabonnesai­ Là, il sombra, le ventre plein de soie et de
fum de goudron, le son, pendant laquelle il trace son sillon sur porcelaine.Dieumerci,l’essentieldelacar­
Götheborg, trois­mâts les mers du nord de l’Europe. Point fort du gaison fut sauvé, l’équipage aussi. Puis le
carré battant pavillon programme cette année, une escale en navire s’endormit sous la vase. La mer
suédois, est amarré au France où il doit participer à l’Armada de auraitentièrementdigérésaproiesi,endé­
quaiduportd’attachedontilportelenom. Rouen (voir encadré p. 59). Le hasard fai­ cembre 1984, une poignée d’archéologues
Sahautemâturedodelinantaurythmedes santbienleschoses,le6juin,jourdelance­ marins ne s’étaient mis en tête de lui sous­
eauxtranquilles,illaissealler,avecladoci­ mentdelasixièmeéditiondel’Armada,est traire ce qui restait du bateau. Les excava­
lité d’un gros animal, une armée de mate­ aussi celui où le navire fêtera ses dix ans : tions, qui commencèrent en 1986, durè­
lotsenvareuseetpantalonbleumarine.Ils un exceptionnel rassemblement naval di­ rent jusqu’en 1992 et réunirent près de
s’affairent sur ses vergues, grimpent le gne de célébrer l’anniversaire d’un bâti­ 200volontaires.Etcommecelanesuffisait
long de ses échelles de corde, s’échinent ment aussi formidable. pas, naquit l’idée, folle, de créer un nou­
sur les lourds cordages de chanvre en veau Götheborg qui, à son tour, ferait le
poussant des « hissez haut ! » à réveiller les Direction la Chine, voyage vers l’Orient.
morts. Ils sont en train d’équiper le grée­ puis toutes les mers du globe Aujourd’hui,toutcelaestdel’histoirean­
ment, descendu pour l’hiver. Un travail ti­ Le Götheborg est la réplique exacte d’un na­ cienne et fait même partie du folklore du
tanesquequandonconnaîtlesdimensions vire de la Compagnie suédoise des Indes bateau.LorsqueleGötheborgquitteunport,
decebateau:58,5mètresdelong,ungrand orientales qui fut lancé en 1738. Le bateau ilfaitfeudesesdixcanons,puislesmarins,
mât de 47 mètres de haut, 1 964 mètres fit trois voyages en Chine mais, le 12 sep­ alignés sur le pont supérieur, proclament
carrés de voiles, un déplacement de tembre1745,alorsqu’ilarrivaitautermede en anglais et sur l’air de Santiano : « Nous
1 250tonnes…Soit,proclamentsesmarins sonpériple,Neptunedécidademettrefinà sommesallésenChine !»Maisavant,comme
avec fierté, le plus grand voilier de bois au son existence. Il fut impitoyablement dituneautredeleurschansonsfavorites,il
monde. drossé vers Knipla Hunnebådan, un buis­ a fallu « de grands arbres droits et beaucoup

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A bord, les ges tes sont les mêmes qu’il y a deux siècles
de travail ». En 1994 débutèrent les tra­ unesortedefolklorequisauteauxyeuxdu jusqu’à8heuresdumatin,etànouveau,de
vaux de construction du Götheborg, nouveau venu tout juste monté à bord. 8 heures à midi… La recette à bord, c’est
deuxième du nom. Alors qu’au XVIIIe siè­ Outreleschants,ilyaletatouagereprésen­ peu de théorie, beaucoup de pratique et la
cle la réalisation d’un East Indiaman néces­ tant le bateau cinglant toutes voiles dehors responsabilisation de chaque membre de
sitait à peine 18 mois, il faudra près de dix sur un soleil couchant, arboré par les an­ l’équipage. Il est composé d’une vingtaine
années avant le lancement de ce bateau. ciens,ceuxpourquilenaviren’aplusdese­ de professionnels et d’environ 50 équi­
C’est que les charpentiers de marine, les crets. Ils portent généralement à la cein­ piers. En quelques jours, ces citadins, qui
gréeurs et les voiliers s’attelèrent à un ture, dans un étui de cuir maculé de pour la plupart n’étaient jamais montés à
chantier unique en son genre, comme le goudron, poignard et épissoir. Le bateau a bord d’un voilier comme celui­ci, s’adap­
En haut des mâts, tous les marins de quart s’y mettent. Pour déployer les voiles carrées sur les vergues, il souligne Jens Langert, gréeur du Göthe­ ses héros – Jens Langert ou le Norvégien tent à leur nouvelle vie. Il leur devient vite
faut avoir le geste sûr et des muscles d’acier. Comme au temps de la grande histoire de la marine à voile. borg. Gunnar Silfverberg Utgård, le premier ca­ naturel d’amarrer un canon, de se scier les
« Au XVIIIe siècle, explique­t­il, il n’y avait pitaine, personnage moustachu, tatoué, mains surdes boutsdechanvre enduits de
pas de plans. Les ouvriers qui construisaient ces musclé et qui, la cigarette aux lèvres, n’hé­ goudron, de crier « hissez haut ! » en s’arc­
bateaux ne savaient pas écrire : ils se transmet­ sitait pas à se mêler à l’équipage dans les boutantsurunedrisseoudehalerunever­
taient leur savoir­faire par voie orale et leurs manœuvres. Et puis il y a ceux qui ont lié gue au moyen du cabestan.
méthodes de travail consistaient en des “trucs”, leur destin au bateau, telle Marie­Louise «Toutlemondes’ymetcarc’estlebateauqui
comme par exemple utiliser un morceau de fi­ Edholm, le maître d’équipage, qui est de fixe les règles, pas moi, remarque Carsten
celle pour reporter des mesures. Le premier ma­ l’aventuredepuis2001etdontlalanguene Hedlund, le capitaine. A bord, on ne peut
nuel date de 1738 et encore ne donne­t­il que des se délie que lorsqu’il s’agit de parler du na­ pas faire grand­chose tout seul. Il faut la force
informations parcellaires car beaucoup de sa­ vire. Ou bien Måns Uneborg, second, qui du groupe. » Et cette solidarité procure
voir­faire élémentaire pour les marins de l’épo­ démarra comme matelot durant le voyage une joie sereine, qui se lit sur les visages
que ne l’est plus pour nous. » Il a donc fallu, en en Chine. de l’équipage. « Nous conduirons notre ba­
tâtonnant, retrouver les gestes des arti­ Cequiestformidable,c’estquetrèsvitele teau à travers la pluie et la grêle ! » dit aussi
sans,lesformesetlespositionsdespoulies, nouveau matelot a le sentiment de faire la chanson : sur le pont sans relâche, Pour les manœuvres, il faut du
destaquets,lesproportionsdugréementet partie de cet univers compact : le Götheborg l’équipage formant une grande famille… monde sur le pont! Même si, sécurité
desvoiles…UneexpériencequivautàJens devient son bateau, il en est fier. On lui re­ jusqu’au jour où il faut quitter le bateau, oblige, les constructeurs ont fait
Langert d’être aujourd’hui en charge du metununiforme–lavareuseetlepantalon remettre les pieds sur la terre ferme et re­ quelques concessions à la modernité,
gréement de l’Hermione, la réplique de la bleu–,unharnais:unebrèveexplicationet trouver le XXIe siècle. En gardant comme le bateau reste très gourmand
frégatedeLaFayette,enconstructionàRo­ le voilà en haut des plus hautes flèches du un précieux souvenir le parfum du gou­ en matelots, 24 heures sur 24.
chefort, en Charente­Maritime. « Nous fa­ navire.Ilestintégréàunedestroiséquipes dron : pour les marins du Götheborg, c’est
briquions un bateau oublié et nous le ferions na­ qui se partagent les quarts : de 20 heures à devenu l’odeur de la mer, celle de la
Ho hisse! Ho hisse! Parés à hisser! De toutes leurs forces, nouveaux venus, terriens d’hier, matelots viguer. Personne ne savait vraiment comment, minuit,deminuità4heuresdumatin,puis liberté. ■ GUILLAUME DE DIEULEVEULT
chevronnés et gabiers tirent ensemble pour hisser les voiles. La manœuvre, répétitive, est une communion. maisnousétionscertainsd’yparvenir»,serap­
pelle­t­il non sans fierté.

Des marins célébrés comme Armada de Rouen : le programme de la 6e édition


des stars de cinéma La sixième édition de l’Armada Marine nationale française, Tabarly, qui fut parrain de la descendront les 120 kilomètres
Etmalgrél’avisdesspécialistesdepontons de Rouen aura lieu cette année spécialisé dans la surveillance : première édition de l’Armada, de méandres qui séparent
qui pronostiquaient le naufrage imminent du 6 au 16 juin. 45 navires de il est couvert de paraboles, en 1989. Seront aussi présents Rouen de l’estuaire de
du bâtiment, ils y parvinrent. Très bien 12 nationalités différentes sont assez étonnant. Le Skjold, un de fameux navires tricolores la Seine (www.armada.org).
même puisque le Götheborg s’avère un ex­ attendus dans le port de autre bateau militaire de tels que le Belem, le Marité ou
cellent navire, filant aisément entre huit et Rouen, en plein quartier dernière génération, sera aussi la Belle Poule. Et bien d’autres Bon à savoir. Il est possible
dix nœuds. Après le lancement, il y eut historique. Parmi eux, le présent : ce navire norvégien voiliers d’exception qui feront de vivre l’expérience de
l’extraordinaire aventure du voyage en Kruzenshtern, un quatre-mâts ne ressemble à rien de connu rêver les millions de visiteurs marin à bord du Götheborg.
Chine : deux ans de voyage entre 2005 barque russe mesurant – on dirait plutôt un sabot. attendus cette année : la Pour ce faire, se rendre
et 2007, via le Brésil, l’Afrique du Sud, 123,7 mètres de long et Mais il est, paraît-il, fortement dernière édition de l’Armada, sur le site de la SOIC
l’Australie… des centaines de millions de 51 mètres de haut : ses mâts armé : son canon peut engager en 2008, avait réuni environ (www.soic.se), la compagnie
téléspectateurs chinois à leur arrivée à passeront à moins d’un mètre plusieurs cibles 8 millions de personnes. qui gère le bateau. Quand
Canton, les marins célébrés comme des du tablier du pont de simultanément. On pourra L’événement prendra fin le bateau ne prend pas de
stars, puis le retour : l’océan Indien, Dji­ Tancarville. Egalement au également voir le long des le 16 juin lors de la Grande volontaires, compter entre
bouti,lamerRouge,Suez,laMéditerranée, programme, le Monge, un quais de la Seine cinq Pen Parade de la Seine, 525 et 1 400 € en fonction
Entre les quarts, l’ambiance à bord est à la détente. Le « Götheborg » a su créer une atmosphère festive Gibraltar… et enfin la Suède. bateau ultramoderne de la Duick, en hommage à Eric pendant laquelle les navires du programme de navigation.
et une véritable identité. Anciens et nouveaux se mélangent et apprennent très vite à s’apprécier. D’un océan à l’autre, le bateau a généré

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