Date : Septembre 2021

Page de l'article : p.185-186

Journaliste : Quentin Régnier
Pays : FR
Périodicité : Mensuel

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Partages de la
perspective

linnnan nel Alloa

Fayard, 2020, 285 p., 25 €

Autrefois attachée à un certain pro

gressisme et mise au service de la lutte

contre une vision dogmatique des

choses, l’idée de perspective semble

aujourd’hui avoir changé de camp et se

prêter à toutes les récupérations idéo

logiques. Les tendances identitaires,

intégristes, sectaires, négationnistes de

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tous bords invoquent la pluralité des

ses propres convictions, il promeut

opinions pour faire valoir leur droit à la l’idée d’un perspectivisme « dia

parole et clore abruptement les débats, gonal» (entendre di-agonal, fondé sur

crisper les oppositions et envenimer

la confrontation), qui assumerait le

caractère partial de chaque interpré

les discordes. En proclamant l’impos

sibilité de subsumer les opinions sous tation du monde et ferait de leur mise

une norme objective commune, un en débat, de la confrontation démo

perspectivisme radical entérinerait du

cratique des perspectives, la clé de la

même coup le caractère irrémissible concorde politique. La perspective,

des fractures sociales et politiques. telle est la thèse centrale de l’ouvrage,

Rien ne permettrait à l’individu de n’est pas uniquement ce qui isole ; elle

sortir de cette totalité close formée par peut être aussi ce qui rassemble, ce

ses jugements et ses perceptions ; rien qui se partage et, à terme, ce que l’on

ne ferait signe hors de ce retrait solip construit de concert - à condition bien

siste et qui lui donnerait une prise sur sûr que chacun ait le courage de l’ex

autrui. Poussée jusque dans ses consé poser à la critique.

Quentin Régnier
quences les plus radicales, la notion de

perspective atomise donc le socius et

fait de chaque individu une monade

isolée, repliée sur son pré carré, à

l’abri « parmi les siens ». C’est avec

beaucoup de finesse et d’érudition que

l’ouvrage d’Emmanuel Alloa analyse

cette confusion dans laquelle la notion

de perspective se trouve prise depuis

quelques années. Il met au clair cette

mésinterprétation sans pour autant

sombrer dans l’écueil inverse, celui

d’un retour à un réalisme grossier ou

à une forme de néo-factualisme qui

ferait valoir, face à la proclamation

de l’irréductibilité des perspectives,

la fiction de faits évidents et indiscu

tables. Au contraire, l’auteur s’efforce

de défricher une voie médiane. Contre

l’idée d’un perspectivisme « claustral »,

qui laisserait chaque individu isolé par

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