Sophia
Université Loyola du Congo (ULC)
Faculté de Philosophie Saint-Pierre Canisius
WW
Landry KUMA-KUMA, SJ,
Rédacteur en chef
SOMMAIRE
P.1............................... Editorial
P.2................. L’écriture à
l’épreuve de la civilisation
d’Aergie
Conditions de possibilité grâce
d'unau verbe et à l’écrit ». (Figures et paradoxes nécessité de lire’’, nous invite à nous donner
agir communicationnel.........p. 2
P.3............ De la nécessité de lire
L' Afrique et l' Occident face à la
phénoménologie husserlienne
se et
donnent hebdomadairement pour tâche et
merleau-pontienne................P. 3
exercice, de penser et panser la société et les
Canisius
Journal Philosophique Hebdomadaire
N° 088 - Octobre 2022
Editorial
La plume, l’arme de l’intellectuel
« Ecrire est un acte d’amour ; s’il ne l’est pas il n’est culture de la lecture et de l’écriture en tant
qu’écriture » dixit Jean Cocteau. qu’expression d’une pensée perspicace dans
L
le registre de l’oubli et au bas de l’échelle.
a rentrée académique 2022-2023 a
bien eu lieu. Elle nous ouvre déjà les Les auteurs qui nous offrent en pâture
écluses de la première publication les intellections irréprochables au sujet de
de notre feuillet philosophique Sophia. Une l’expérience globale de l’humanité livrent,
occasion en or de rappeler ce qu’est Sophia : par le fait même, la preuve empirique de
Un organe de réflexion et d’expression des leur démarcation du « monde cassé » établi
étudiants de la Faculté de Philosophie Saint- par la logique hypnotisante des nouvelles
Pierre Canisius dont la vocation est d’aider technologies. L’acte d’écrire et de cogiter
les étudiants, les étudiantes et d’autres fins devient dès lors un acte d’amour et un acte
esprits africains et du monde à s’adonner curatif pour notre société en proie à divers
à une activité noble, celle de la Raison, en fléaux.
proposant des réflexions philosophiques
Fort de cela, le premier article que propose
et scientifiques concises, méthodiques et
le présent numéro, ‘’L’écriture à l’épreuve
limpides.
de la civilisation d’Aergie’’, décrit la
Puisqu’elle est le véhicule du savoir, fonction salvatrice de la plume qui se veut
l’instrument de révolution et de formation, un exorcisme intellectuel incontournable
la plume est, pour l’intellectuel, cette arme soignant les maux par les mots. Tout en
au moyen de laquelle il pense, au prisme de fustigeant l’époque actuelle qui donne le
la raison, le monde, et se lance à la quête spectacle d’une civilisation qui veut sonner
perpétuelle de la veritas. Mobe Fansiama le glas de l’écriture, l’auteur nous invite à
écrit que « l’intellectuel est une personne qui consolider la culture de l’écriture. Si pour
exerce une fonction critique dans la société écrire il faut lire, le deuxième article, ‘’De la
de l’histoire au Burundi, au Congo et au Rwanda, à ce noble exercice, celui de la lecture qui
p.645). Laconique en apparence, cette phrase réjouit l’âme et nous plonge dans les besoins
rappelle pourtant, avec insistance, la vocation d’éternité. Pour notre auteur, la lecture est
de l’intellectuel qui ne peut se négocier avec une cure préventive contre certaines dérives
complaisance, constituant en même temps scientifiques.
son défi majeur. C’est pour relever ce défi et
Puissions-nous, chers lecteurs et lectrices,
répondre à cette vocation que nos écrivains
porter nos vers afin qu’au moyen de la raison
publique, nous puissions susciter, chez nos
contemporains, le désir de l’écriture et l’amour
divers maux qui la dénaturent.
de la science, la capacité de distinguer le vrai
En effet, la sacralisation du tape-à-l’œil du faux, le fait de la fiction et surtout, que
à l’œuvre dans l’avènement des nouvelles nous devenions de érudits penseurs de notre
technologies a relégué –quelle misère ! – la époque.
 L’écriture à l’épreuve de la civilisation d’Aergie

N
ous vivons dans un monde qui news, de la violence symbolique, de la feymania et

se soumet de plus en plus à la de la pornographie. La civilisation plagiaire et

sanction du tribunal d’Aergie. En paresseuse qui prospère désormais à la limite de la

se rapportant à Aergie, la divinité grecque de la révolution numérique est si pernicieuse qu’elle se

paresse, de l’oisiveté et de l’indolence sur un rapporte à la bonne expression de l’écriture sur un

mode de relation de type incestueux, le monde mode de connivence, de laxisme et de crapulerie.

actuel donne le spectacle d’une civilisation qui ne Ramadane DJAGUE, SJ,

prend en charge l’écriture que pour la maculer de
certaines pathologies du savoir. Au lieu de réaliser
l’heureuse promesse de sortir l’homme des ghettos
de l’ignorance et du fétichisme du muthos, suivant
Qu’elle soit un langage graphique ou
Master2 Philo ULC
une « phénoménologisation » de nos contenus
mentaux et physiques à travers une sémantique
et une syntaxique bien ordonnées, l’écriture est
une cure des maux par les mots. Par son pouvoir

”
le vœu du siècle des Lumières, la démocratisation thérapeutique, l’écriture n’intelligibilise pas
Qu’elle
du savoir dont s’accompagne la modernité seulement graphiquement les maux d’une société, soit un langage
technoscientifique fait paradoxalement le lit mais immortalise aussi le patrimoine d’un peuple graphique ou une «
phénoménologisation
des « vices du savoir » (Pascal Engel, Les vices du en vertu de l’adage latin selon lequel « verba volant,
» de nos contenus
savoir. Essai d’éthique intellectuelle, collection « Banc scripta manent », ce qu’on peut traduire par « la parole mentaux et
d’Essais » dirigée par Benoît Gaultier, Editions s’envole, l’écriture reste ». L’écriture est assortie représentationnels à
travers une sémantique
Agone, Marseille, 2019.) de l’ « art d’inservitude » qui consiste à sortir du
et une syntaxique
statu quo de la banalité brute et, à s’émanciper bien ordonnées,
De tels vices ordinaires du savoir sont si
du déterminisme fatalisant de l’ignorance pour « l’écriture est une
remarquables dans la curiosité oiseuse, cure des maux par les
enfanter les créateurs d’avenir », suivant la belle
l’impertinence, les faux esprits, le snobisme mots. Par son pouvoir
expression de Kä Mana. thérapeutique, l’écriture
cognitif, etc. qu’ils motivent la culture du « plagiat
n’intelligibilise
dans le jeu de l’usurpation et de l’imposture » Par son élégance du « beau style » et son art du pas seulement

(Lucien Ayissi, Le Plagiat dans le jeu de l’usurpation « bel esprit » qui ne nous rappellent pas moins graphiquement les
maux d’une société,
et de l’imposture, Editions L’Harmattan, Paris, les salons littéraires et les académies de l’époque
mais immortalise aussi
2022) et de la paresse à produire de belles offres des Molière, Voltaire, D’Alembert, Diderot, et le patrimoine d’un

”
autres, l’écriture demeure toujours un exorcisme peuple ....
intellectuelles. La prolifération des réseaux

sociaux contribue à entretenir cette civilisation intellectuel incontournable. Si nous ne voulons

d’Aergie. Bien que les réseaux sociaux ne pas être les naufragés de notre histoire et nous

contenter du narratif instrumentalisé des actuels

véhiculent pas seulement de charges éthiquement
maîtres de logos et de l’ergon, lisons et écrivons.
et épistémologiquement déficitaires, parce qu’on
Voilà l’impératif qui s’impose à notre génération.
apprend aussi de bonnes choses, ils aiment,

cependant, à se répandre en religion de fake

 De la nécessité de lire

E
st-il nécessaire de lire ? Une telle Lire en fonction de ses centres d’intérêt et
interrogation peut, dans une large mesure, d’investigation sera d’autant plus salutaire à
sembler triviale et simpliste. Mais c’est
l’individu qu’il en tirera profit. Cela lui évitera le
en elle que réside toute la pertinence de notre
désordre et la dispersion. Il serait en effet paradoxal
argumentation. L’acte de lire est, dans l’histoire et
à bien des égards, un acte on ne peut plus noble qu’un étudiant en philosophie consacre plus de

qui n’est guère réservé à une certaine élite comme
on pourrait facilement être tenté de le croire, mais
à toute personne animée d’un peu de volonté. Nous
considérons l’acte de lire comme un art ; un art,
bien entendu, qui a ses règles et ses méthodes, un
art que certains aiment et que d’autres n’aiment pas,
un art que beaucoup pratiquent sans jamais savoir Il répond lui-même qu’en réalité, c’est un problème
comment bien s’y prendre.
temps à lire des livres de psychologie. Par ailleurs,
le Jésuite Jean Comeliau dans son livre Comment,
pourquoi et que lire ? énumère trois faux motifs que
Alban GUIMKENG, SJ
les gens évoquent habituellement pour ne pas lire :
Master 2, Philo ULC
pas le temps de lire, pas de lumière, pas de livres.
de manque de volonté : « quand on veut, on peut »

“
La vocation première de tout texte écrit étant d’être précise-t-il.

lu, la compréhension devient dès lors et à n’en pas Un esprit qui ne

Pour devenir un bon lecteur ou une bonne lectrice, lit pas demeure
douter le concomitant le plus absolu de la lecture.
nous suggérons de commencer par avoir la culture médiocre ; il
Lire sans comprendre c’est précisément n’avoir pas
s’atrophie et meurt,
lu. Le point de vue pédagogique dispose que : « le but de la bibliothèque, c’est-à-dire avoir des dispositions
pour reprendre
de la lecture est de pouvoir entrer en communication qui suscitent une grande curiosité intellectuelle, car
cette expression
avec autrui : savoir lire, c’est comprendre ce qu’un la lecture est une cure préventive contre certaines
chère à Charles
autre a écrit » (Silvestre de SACY, Bien lire et aimer lire, Darwin. C’est,
dérives scientifiques comme le plagiat. Ce qui se
p. 6.) précisément,
trouve dans les livres est en effet toujours caché,
en raison de cet
Un esprit qui ne lit pas demeure médiocre ; il
réservé à ceux qui osent fouler le paillasson de la argument que la
s’atrophie et meurt, pour reprendre cette expression
bibliothèque. lecture a constitué
chère à Charles Darwin. C’est, précisément, en

”
et constitue encore
raison de cet argument que la lecture a constitué En guise de conclusion, il s’est agi pour nous de
à nos yeux le
et constitue encore à nos yeux le paradigme non
présenter le bien-fondé de la lecture, d’en dégager paradigme non
négligeable de la quête des savoirs. Les plus cultivés négligeable de la
les avantages y afférents et d’inviter les lecteurs et
et les plus informés sont ceux qui lisent le plus ; quête des savoirs.

”
les lectrices à être des personnes averties et outillées
et bien entendu, les moins cultivés, ces hommes à
l’esprit maigre et famélique sont ceux qui lisent le pour cette pratique à la fois exigeante et vitale pour

moins. le progrès de la science et des individus.

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