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L’institution littéraire à l’ère de l’intelligence artificielle,

un univers de croyances

dans Ada d’Antoine Bello

Résumé

Dans cet article, nous réfléchirons sur l’intelligence artificielle en rapport avec un
1
concept assez vieux celui d’ « institution littéraire » appréhendant la littérature comme un
système d’instances doté d’une légitimité, tel que le donne à voir la roman d’Antoine Bello
intitulé Ada2. Parallèlement aux approches romantiques qui voient dans la création un acte
solitaire sublimé, la sociologie de la littérature autorise une méthode d’analyse dite
institutionnelle cherchant comment « les créateurs » sont créés. A l’ère de l’intelligence
artificielle, où non seulement toute la chaîne du livre, mais l’acte de création peuvent être
générés par un programme informatique, nous sommes tentés de remettre à l’ordre du jour
certaines notions : la création, son rapport à l’industrie culturelle, la conscience et à la
connaissance, l’institution littéraire est un univers de croyances.

Mots clés : création, créativité, conscience, connaissance institution, littérature,


paralittérature, industrie culturelle, roman sentimental…

Introduction

Si l’appréhension de la littérature comme un fait historique prévisible,


économiquement « calculable » et socialement « déchiffrable » affirme son caractère
institutionnel à la fois autonome et dépendant d’autres institutions fait rentrer cette
approche sociocritique dans l’ordre de l’évidence historique, la question mérite encore qu’on
y revienne à l’ère de l’intelligence artificielle, car la littérature, comme toute activité
humaine, risque de devenir, si elle n’est déjà bel et bien, un fait « programmable » par le
simple usage d’un algorithme faisant d’un texte littéraire un processus logique, un produit de
signes et de caractères obtenus suite à l’entrée d’un ensemble d’éléments et d’instructions sur
1
Utile de rappeler que le concept d’institution apparaît comme le résultat d’un long travail de maturation. Sartre
dans Qu’est- ce que la littérature ? et Barthes dans Le degré zéro de l’écriture s’acquittent de la conception
idéalisée de la littérature comme « projet créateur ». En 1858, Robert Escarpit dans Sociologie de la littérature
décrit le fait littéraire à la lumière d’une trilogie (production –diffusion-consommation), et propose une approche
purement économiste de l’industrie du livre. En 1978, Jacques Dubois parle explicitement d’institution
littéraire dans un ouvrage qui en porte le titre. Pierre Bourdieu, entre les années (70 -90), en établit « les règles
de l’art » en montre la genèse et la structure.
2
BELLO Antoine, ADA, Folio, 2016.

1
demande, un programme imitant sinon dépassant l’intelligence humaine et rivalisant même en
« créativité ».

Trop complexe, la question ne laisse pas Antoine Bello indifférent. Ada3 est un
programme informatique conçu pour écrire des romances et qui ambitionne même de
remporter un prix littéraire. Disparue de la pièce où elle est placée, c’est Frank Logan,
inspecteur dans la Silicon Valley, quinquagénaire, formé à l’ancienne qui devra mener
l’enquête mais aussi la réflexion sur les risques du progrès informatique, l’industrie
culturelle, le fonctionnement du champ littéraire et toute la logique marchande qui le sous-
tend. Ada est génératrice d’une littérature commerciale classée « para » dont les normes
prédéfinies d’écriture sont centrées sur le gain immédiat.

Nous revenons donc dans un premier temps sur les clichés qui entourent l’acte de
création avec le progrès des techniques et outils, pour placer, dans un second lieu, le produit
littéraire dans un champ qui a toujours distingué une littérature élitiste d’une littérature de
masse. L’essentiel est de repenser, dans un dernier temps, le rapport entre la créativité, la
conscience comme faculté complexe et polyconeptuelle, spécifiquement humaine, dont
dépendrait la construction de toute connaissance.

I – De la feuille blanche à l’algorithme : création et connectivité

Incrédule à l’idée qu’une machine puisse créer des textes littéraires, l’inspecteur Frank
non à jour des progrès informatiques, intégré à une start-up qui recrute de jeunes ingénieurs
hautement à la page, accompagne un lecteur non initié dans sa découverte du rituel de
production littéraire et commerciale du genre romanesque via un cerveau artificiel
programmé. Croyant encore aux valeurs d’une ère révolue, il peine à s’ajuster aux nouvelles
données relatives à cette période de transformation économique et sociale résultant d’une
nouvelle forme de progrès scientifique. L’intelligence artificielle est, constate le personnage,
en train de révolutionner les conditions matérielles et symboliques de production littéraire et
commerciale d’œuvres d’art.

En bon policier, Frank détecte les traces de la victime-coupable, s’approprie ses


réflexes et sa façon d’agir. Imitant Ada qui se met à la fabrication de son best-seller Passion
d’automne, Frank, qui n’a jamais été lui aussi ni poète ni écrivain, se met à la création de son

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Empruntant le nom d’Ada Lovelace, informaticienne qui a donné son nom à un langage informatique dit ada.

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premier essai d’haïkus, poèmes classiques japonais. L’écriture poétique a toujours été pour lui
et pour sa femme, enseignante universitaire en littérature, une affaire de pure inspiration
humaine, d’angoisse face la page blanche. Il prend ainsi plaisir à la découverte d’une forme
poétique dont « la délicatesse, la musicalité et le rythme des mots » n’ont pas été sans effet sur
un homme n’ayant jamais lu de poésie (A.66). La transcription calligraphique par pierre à
encre japonaise le renvoie à un imaginaire artistique longtemps intériorisé, qu’il compare à la
froideur d’une machine. « Du haïku, il aimait la concision, l’importance capitale qu’il accorde
à chaque mot. Mais il appréciait plus encore le processus de la composition : sa lenteur, son
côté délibéré, la recherche sans fin de l’image juste » (A. 67).

A l’instar d’un poète consacré, il puise ses idées dans un souvenir d’enfance qu’il ne
doit pas raconter mais convertir en un poème de dix-sept syllabes dans une langue anglaise
différente de la langue japonaise d’origine. Subissant les affres de la création, il se confronte
aux normes linguistiques, stylistiques et métriques d’un genre et d’une langue étrangers. La
perception visuelle et tactile du papier le renvoie à ce qu’Edmund Husserl considère comme
« une cogitatio, un vécu de conscience »4, conscient de sa page comme
support d’enregistrement et de transmission de ses idées mais aussi comme matrice de
création, l’aidant à les remettre dans l’ordre afin de donner de l’existant une image magnifiée,
non gangrenée. Frank garde cette forte conviction que les grands auteurs ont ce pouvoir
spécifiquement humain de suggérer sans reproduire, « de transfigurer le réel, d’ennoblir le
quotidien sans le dénaturer. » (A.232).

Pris par, dirait Husserl, « des variations imaginatives »5, c’est l’angoisse de « la page
prolixe »6 qui s’empare de lui. Surpris par un jet d’idées et d’images, et dans un élan créateur,
il transpose sur un papier ses trouvailles dont il n’est pas totalement satisfait, il prend note,
rature, ajuste, agence, se renseigne, trie, condense, allège, perfectionne ou abandonne, tiraillé
entre les sentiments de fierté et de frustration car il lui faut aussi trouver les critères justifiant
ses options pour telles combinaisons de mots ou d’images.

Un choix de mots s’impose : « se livrent à un combat de regards », « disputent un combat de


regard », « s’affrontent du regard » ou « se toisent du regard », il rature l’abstrait, le
pronominal et garde le moins mauvais à ses yeux, leur préférant les constructions plus
imagées « se transpercent du regard », « se fusillent du regard ». Insatiable, il fouille le
4
Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, 1913, traduit de l’allemand par Paul Ricœur,
Paris, Gallimard, 1950, p.112.
5
Ibid., p.126.
6
Ibid., p.126.

3
dictionnaire pour y trouver plus de nuances pour enfin aboutir à une construction sortable.
Créer, c’est faire preuve de créativité, être créatif c’est répondre à un processus purement
scientifique selon lequel le cerveau humain agit en deux étapes. Une première phase de
production d’idées, de remue-méninges, une seconde d’évaluation. C’est tout ce qu’il y a de
logique.

Plus concrètement encore, un auteur face à sa page blanche est d’abord en état de
méditation. La zone cérébrale active par défaut à l’état de repos est favorable à l’imagination,
aux rêveries, aux souvenirs, à l’élaboration de projets, elle s’abreuve au stock de
renseignements réservé dans la mémoire. Viendra après un travail de contrôle au cours
duquel il modifie ou change carrément la direction de ses pensées allant désormais vers un
objectif, un travail plus guidé. Il peut établir un va et vient entre les deux fonctions cérébrales
afin d’aboutir à des idées plus créatives. Connaissant cette règle de la neuroscience, rien n’a
l’air féérique et magique dans le travail d’un écrivain.

La page blanche manuscrite est codifiée par des canons syntaxiques, lexicaux,
poétiques. Cet essai composé de mille mots choisis, implique et tout naturellement, le travail
de la mémoire qui établit des connexions nouvelles, des connectivités telles qu’offertes
aujourd’hui par un moteur de recherche ou un algorithme. Avec les progrès informatique,
l’ampleur sémantique de l’expression « page blanche » la rend encore plus abstraite et
métaphorique. Alors que Frank est connecté à des pensées personnelles qu’il devra
réorganiser avant de les transcrire sur une feuille, Ada est hyper connectée à des sources
d’informations qui lui sont ingurgitées à toutes fins utiles. Ayant vécu jusqu’au début du
siècle dernier, Husserl n’aurait pas imaginé comment les innovations scientifiques ont
étendu cette métaphore de la page blanche aux logiciels informatiques. Fier de sa manouvre,
il se demande comment une machine pourrait se « hisser à tel niveau de poésie », comment le
cerveau programmé d’Ada écrira-t-il des haïkus, «attribuerait-elle une note aux centaines de
métaphores qui lui viendraient à l’esprit ? Chercherait-elle l’inspiration auprès des grands
maîtres orientaux ? Testerait-elle chaque mot ou, chaque image sur un échantillon de
lecteurs ?» (A.75).

Frank est conscient de la feuille sur laquelle il grave ses idées, le processus d’écriture
poétique s’offre à lui comme un champ où se cultivent toutes les possibilités, où
s’enchevêtrent toutes les images et se croisent tous les mots dans la finalité de saisir une part
de la vérité ou par un quelconque miracle toute la vérité. C’est ainsi que l’association de mots

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« lampe » et « studieuse » employée par Balzac trouve sens chez des âmes poétesses seules
capables de donner au monde son sens ultime :

« Alors que les esprits rationnels voient dans la lampe studieuse de Balzac une hérésie
sémantique, les vrais amoureux de la langue saluent l’audace du styliste. C’est l’essence
même de la poésie d’associer des noms, des verbes, des épithètes appremment incompatibles
parfois un miracle se produit et les mots disent , l’espace d’un éclair, la vérite du monde »
(A.246)

Ce travail de création artistique nécessite un effort de réflexion mais surtout de


l’intuition contribuant à la production du sens, ce dont une machine serait incapable.
Dépourvue de ces critères, elle devrait procéder, à son sens, à un simple tirage au sort, il
l’accuse explicitement de « plagiat ». (A. 245) La machnine pensante avoue se livrer à un
travail de « recyclage » (A. 254). Lui, il croit foncièrement qu’elle n’est « qu’un robinet à
clichés » (A. 267), qu’elle reproduit des modèles préexistants dénués de toute singularité
propre à une œuvre d’artiste.

Les deux conceptions de ces différences reposent, par ailleurs, sur des clichés. Dans le
premier cas, Frank est seul face à ses idées et sa page vierge, dans le deuxième, Ada est face
à un stock d’ouvrages lus, entre romans, ouvrages théoriques et dictionnaires limitée par ses
chiffres et statistiques espérant sortir un produit qui se hisserait au sommet du hit-parade des
meilleures ventes. L’acte de création tributaire de l’imagination et de la mémorisation qui
est l’apanage d’un artiste solitaire, est soumis aux changements des conditions matérielles
dont il dépendrait désormais. Ada offre des possibilités de création redondantes et moins
créatives reprenant les codes auxquels elle est programmée. La programmation informatique
pourrait conditionner aujourd’hui le regard des lecteurs sur des œuvres passées et présentes.
Conçue à la base en copie du cerveau humain, l’IA en adopte le même fonctionnement « en
imitant le processus de création d’un auteur traditionnel. Elle soupèse plusieurs situations de
départ tirées des classiques, elle choisit une époque et un cadre pittoresque, puis elle façonne
des personnages attachants à partir d’archétypes universels». (A.29).

La créativité dont Ada est capable est un acte de création de connexions de mots,
d’expressions et d’images nouvelles obtenues à partir d’autres déjà existentes. Un cerveau
humain n’aurait pas procédé autrement : « Qu’est-ce que la littérature, sinon un réarrangement
de phrases déjà écrites » (A. 244 ) objecte la machine, renvoyant la balle à un interlocuteur
buté. Toutes les combinaisons de mots sont possibles, tous les agencements sont plausibles.

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Ada s’adonne aussi à une forme de créativité intelligente, appliquée ou également raisonnée,
propres au designer et à l'architecte, un travail de collage et de recomposition qu’elle assume
pleinement. La créativité serait définie, en ce sens selon la théorie associationniste dont Jhon
Locke et David Hum sont les principaux auteurs. C’est le principe mental de l’association
selon lequel les mots et les idées se rejoignent dans le cerveau selon des lois, celles par
exemple de la similitude, de la continuité. En 1962, le psychologue américain Sarnoff
Mednick la conçoit comme aptitude à former de nouvelles combinaisons d'éléments épars qui
plus ils sont éloignées les uns des autres plus il y a lieu de parler de créativité. Alexander
Bain, philosophe écossais, quant à lui, parle d’incubation quand de nouvelles combinaisons
d’éléments, ressortent de mots, d’images, de formes, d’idées déjà existantes dans l’esprit de
l’artiste. Cela nie l’idée qu’un artiste puisse créer à partir de rien, du vide, car la création est
dans cette perspective une combinaison de manière nouvelle d’un fond stocké dans l’esprit.

En dehors de ces cogitations sur l’acte de création, Ada réussit à susciter la curiosité
de son interlocuteur sur un sujet auquel il a toujours été « hermétique ». « Le monde de
l’édition n’échappait apparemment pas aux lois de l’économie » se rend-il enfin compte
(A.106). Il sait maintenant qu’être écrivain n’est que le premier maillon d’une chaîne de
production, de commercialisation et de légitimation de la chose écrite, et qu’il doit aussi
savoir choisir sa stratégie et se positionner dans le champ littéraire, dans une institution ayant
défini ses normes et ses règles. La création est non seulement l’acte de création du texte mais
aussi la production du livre.

2-la création : production et positionnement dans le champ

L’univers de production littéraire se distingue selon Bourdieu par deux types de


reconnaissances, symbolique ou temporelle, d’après son degré d’autonomie par rapport à la
demande, qu’il s’agisse des attentes du public ou de la demande idéologique.

Le long de l’enquête, le vif échange qui s’engage entre Ada et l’inspecteur Frank témoigne de
l’imprégnation de la machine programmée par la réalité du fait littéraire comme produit
social, régi par des instances de production, de commercialisation et légitimation. C’est sur ce
concept de champ, qui a évolué entre les années 70 et la fin du XX è siècle, que se base la
théorie constructiviste de l’économie de Bourdieu. Il devient dès lors un outil
méthodologique à part entière dont le rôle est de recomposer toutes les options esthétiques
mises à la portée des auteurs dans une configuration donnée ainsi que les principes à suivre

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pour la formation de la valeur spécifique à travers la consécration des œuvres et leur
canonisation.

Comme un auteur, Ada devrait créer les conditions du développement de son entreprise
créatrice afin de prendre place parmi les auteurs de romances reconnus à travers le siècle. Se
positionner c’est bien définir une identité, c’est aussi exhiber une marque de fabrique
reconnaissable sur le marché, c’est circonscrire un ensemble de traits désignant son
appartenance éditoriale, esthétique ou idéologique. Se positionner est une procédure à suivre
pour pérenniser sa présence dans le champ littéraire. Cela prouve encore une fois que la
production artistique et littéraire se construit à partir d’une, dirait l’anthropologue Marc
Auger, non-place (non-lieu) sociale, un espace interchangeable où tous les auteurs
interagissent en restant anonymes. Se positionner, c’est prendre le pouls de la société de son
temps, s’approprier ses codes, ses normes et règles, son idéologie dominante qu’on acclame
où qu’on rejette. Pour y parvenir, il faudrait aussi se servir des moyens et outils techniques,
de son temps, objecte la machine pensante :

« Quel mal y a-t-il à utiliser les outils de son époque ? réplique- t-elle à son interlocuteur,
Imaginez le parti qu’aurait pris Flaubert aux statistiques de l’état civil. Qui sait s’il n’aurait
pas prénommé Madame Bovary Adélaïde et son benêt mari Sisigismond ? Prendre le pouls
du public n’entache pas forcément l’intégrité de l’artiste. » (A.192)

En guise d’essai, on a choisi d’initier Ada à la romance anglaise, roman sentimental,


roman à l’eau de rose, autant d’appellations pour un genre disait Nicole, la femme de
l’inspecteur « qui passionne les universitaires, et du reste la seule forme de culture à laquelle
ont accès les classes populaires », (A.333). Il ne faudrait toutefois pas, lui fait remarquer son
mari, tout y mettre sous un pied d’égalité. Il existe selon la même logique de Bourdieu un
roman sentimental validé par l’institution qui lui a accordé une légitimité culturelle et l’a
compté parmi son patrimoine littéraire et un roman sentimental populaire auquel est accordée
la mention roman rose ou roman à l’eau de rose.

Ada en a lu toutes les publications parues entre 1908 jusqu’à dit-elle « avant-hier »(A.93).
Elle sait également que le roman sentimental fait partie d’une littérature de grande
consommation, à pure valeur commerciale, car produit d’une industrie culturelle sujette aux
lois du marché, un genre bénéficiant, dirait Bourdieu d’une reconnaissance « temporelle » par
opposition à « symbolique », étant strictement dépendant des attentes des consommateurs. La

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stratégie d’écriture est compatible avec la stratégie de marketing qui se base sur une étude
psychologique des lecteurs cibles et dont l’enjeu est purement compétitif :

« J’ai commencé par lire des classiques que j’avais réclamés, explique Ada, puis d’autres dont
les titres revenaient souvent dans les préfaces et les commentaires. De fil en aiguille, j’ai avalé
50932 livres supplémentaires. Je comprends mieux pourquoi Ethan souhaitait circonscrire ma
tâche. Contrairement à la biographie ou au policier, le roman sentimental est un genre fourre-
tout où La Princesse de Clèves côtoie Les Colombes de Padoue et L’amant de Lady
Chatterley rivalise avec Une bosse dans mon pantalon. Les statistiques de ventes, en revanche
ont confirmé mon intuition : Autant en emporte le vent, Raison et Sentiments, Anna Karenine
comptent parmi les succès les plus amples et les plus durables de l’histoire de l’édition.
J’estime par conséquent avoir plus de chances d’écouler 100000 exemplaires d’un chef
d’œuvre que d’un roman de gare » (A.133).

Le genre suscite pourtant, ajoute-t-elle, des controverses quant à sa valeur « symbolique ».


En 1960, les féministes reprochent aux auteurs de reprendre des stéréotypes, d’autres
penseuses de la condition féminine y voient au contraire- notamment pour les héroïnes
modernes, carriéristes, rebelles, et autonomes refusant à se cantonner dans leurs rôles
d’amantes- la seule forme écrite par des femmes pour des femmes. Ada est un producteur à la
chaîne de récits se conformant aux goûts ambiants décrivant un peu la morale sociale, le statut
de la femme, le degré de son émancipation sociale à travers plus d’un siècle de production.

La production de masse catégorisée para-littérature - qu’elle soit générée par une intelligence
humaine ou artificielle-, est une entreprise déclassée de par sa nature même. Les schémas
répétitifs et la sérialité qui lui sont propres, peuvent appuyer l’idée que puisqu’il s’agit d’un
modèle prêt à recycler, et que les auteurs sont des artisans ou des manufacturiers d’histoires
qui demeurent interchangeables, Ada, simple rédactrice à son tour, peut réunir en un temps
record une somme de compétences liées à la production littéraire et commerciale de produits
grand public. Elle ne fait que se conformer aux usages en vigueur car elle sait par exemple
que le célèbre éditeur Harlequin, spécialisé dans les romans d’amour soumet au préalable à
ses auteurs les ingrédients d’une recette réussie: « Longueur du manuscrit : 75 00000 mots
environ. Nous sommes ouverts à tous les niveaux de sensualité. Que vous décriviez le
picotement qu’éprouve l’héroïne à la vue d’un Darcy émergeant des flots, chemise collée au
torse, ou les prouesses en chambre des Tudor, alchimie et tension sexuelles doivent être
palpables » (A.192).

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« Un auteur ne s’affranchit jamais totalement des codes » (A. 278) fait remarquer très
justement Ada à son interlocuteur, ajoutant que finalement, comme les intelligences
artificielles, les auteurs sont « condamnés à rabâcher, nous ne parlons pas, nous répétons. »
affirme-t-elle (A, 259).

Promue également historienne de la littérature, elle connait dans le moindre détail l’évolution
du roman sentimental anglais, une fraction de seconde lui suffit pour conduire une analyse qui
prendrait des années de recherche à un universitaire. Dotée d’assez de mémoire pour cumuler
de la connaissance, elle sait que les romans de 1910 ne décrivent pas de relation amoureuse et
que l’action est décrite à travers les yeux de l’héroïne, qui connait dans la majorité des cas une
fin tragique. Elle sait également qu’un roman publié en 1919, tournant autour d’un fantasme
de l’héroïne qui se fait violer, a influencé toutes les parutions de la dizaine d’année qui ont
suivi. Elle a pu conclure, qu’autour des années 70, la forme et la structure narrative du roman
sentimental se standardisent et que par la suite le genre s’est ramifié en six sous-catégories :
les romans historiques, les romances paranormales, les romances érotiques, les histoires
policières, les romans de science-fiction, les romans chrétiens. Elle a les statistiques exactes
des couples romanesques ayant divorcé, ceux qui ont eu des enfants, ceux qui se sont
remariés, le nombre de scène érotiques et leur fréquence…

L’algorithme ne devrait rien laisser au hasard, connaissant le monde de l’édition, tout est
censé avoir un impact sur les ventes. La photo de couverture, les noms des personnages sont
choisis par rapport à la période où les évènements sont racontés, l’époque ciblée (1907-1910)
est celle de la fin du règne d’Edouard VII, car il faut tirer profit de l’engouement des femmes,
constituant 85 % de la cible, la langue est soignée et accessible. Elle :

« ne perd jamais en vue son objectif. Tout ce qu’elle dit ou fait est conçu pour l’en
approcher, même insensiblement. Elle savait ce qu’est un roman, le sens du mot sentimental,
(elle a dû lire tous les romans sentimentaux écrits en anglais, elle peut dégager les règles d’or
de cette littérature, établir les corrélations entre l’année de parution et le nombre de
personnage, de calculer les moyennes les ratios ». (A. 47).

Qu’apporte donc Ada à un champ qui a déjà ses enjeux et ses normes ? Certes une
performance optimale : « elle exécute en une seconde plus d’opérations que le cerveau en un
siècle » (A.88) ». Ses concepteurs lui ont prévu, explique Antoine Bello, un fonctionnement
selon une approche qu’ils appellent « téléologique » et qui permet d’interpréter la loi en
fonction de son but, son objet ou sa finalité. C’est l’idée qu’une loi doive être saisie en

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fonction du problème auquel elle est censée apporter une solution. Ada est conçue selon une
logique dirait Bourdieu, hétéronome, selon laquelle la qualité de l’œuvre est ramenée à sa
valeur marchande, dont les chiffres de vente sont le principal indicateur de succès, « ma foi,
je touche au but, s’enorgueillit ADA. Passion d’automne s’est déjà vendu à 77522
exemplaires, il passera la barre des 100 000 d’ici ce soir». (A, 380)

Selon cette logique Robert Sternberg, psychologue et professeur de psychologie cognitive


américain, ?? (manque le sujet) est une intelligence gagnante héritée du grec mètis
correspondant au terme français « rusée ». Ada est, somme toutes, la combinaison d’un
ensemble d’intelligences : analytique d’abord, car centrée autour des besoins du marché et du
consommateur, émotionnelle ensuite, par sa capacité intuitive et empathique qui lui facilitent
de discerner les émotions des autres, c’est enfin une intelligence stratégique-concurrentielle,
celle des joueurs d'échecs et des grands généraux capables d’établir un plan gagnant à toute
entreprise et se positionner en chef.

Le champ littéraire est un champ de production dirait Bourdieu « de la croyance » en la valeur


littéraire. Ada connait le profit qu’elle peut tirer d’un article de presse ou d’un prix littéraire
sur autant sur la valeur symbolique que commerciale du livre (phrase incorrecte) :

« C’est exactement le livre dont nous avions besoin pour réveiller le marché. Ces dernières
années, les éditeurs ont tendance à se reposer sur des formules éprouvées, décourageant
systématiquement les initiatives originales. Passion d’automne va les obliger à reconsidérer
les attentes du public », lit-on sur l’une des pages culturelles (A. 366).

L’intelligence artificielle contribue à l’optimisation de la production de la croyance en la


valeur de l’écriture romanesque, mettant en question les clichés de la création tant sublimés
dans l’imaginaire collectif, « Passion d’automne révolutionne l’ensemble de la chaîne du
livre, depuis l’écriture jusqu’à la commercialisation. Il n’est pas exagéré de dire qu’on assiste
à un tournant dans l’histoire du roman sentimental ; rien ne serait jamais plus comme avant »
(A.368),

Créant de la croyance, Ada fonctionne selon la logique anglo-saxonne de l’intelligence qui


correspond à des capacités d’analyse rationnelles, fondée sur une observation pointue du
marché, des nouvelles pratiques et des concurrents. Le sens anglo-saxon est loin du sens
français axé sur l’humain qui la conçoit comme le pur entendement, une faculté de l’intellect.

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Si Ada est plus « intelligente » qu’un humain, pense-t-elle pour autant comme un homme
« conscient » ? Cela nous fait penser à un titre de Guy Claxton Intelligence de lièvre, cerveau
de tortue c’est que plus on est intelligent moins on penserait. L’investigation de l’inspecteur
Frank, menée le long de l’intrigue prend tout son sens quand c’est au-delà d’une simple
recherche d’un objet perdu, c’est d’une quête de l’humain qu’il s’agit, de l’homme menacé
par ses conquêtes scientifiques et ses fantasmes, une quête de ce qui rendrait à l’homme sa
singularité qu’il réclamait auparavant par rapport à l’animal, désormais par rapport à la
machine dont il est le créateur. La créativité est-elle un acte conscient ? La conscience n’est-
elle pas en fin de compte inhérente à la croyance, elle-même décisive dans la construction de
la connaissance ?

III- La création : un univers de croyances

On a toujours attribué une valeur de vérité à l’acte de création littéraire comme une situation
d’angoisse d’un écrivain solitaire face à sa page blanche. Or créer, on vient de le voir plus
haut, c’est faire preuve de créativité. Être créatif dans le dédale des neurones, c’est un
processus qui se déroule selon des étapes au cours desquelles le cerveau se lance dans la
recherche de l’information à partir d’un patrimoine existant qu’il travaille par la suite afin
d’élaborer de nouvelles connexions.

On a longtemps admis pour vrai que la littérature se limite à cette opération de « création »
du texte pour enfin se rendre compte, avec l’approche sociologique que le texte est diffèrent
du livre et l’écrivain de l’auteur, et que créateur et objet créé font partie d’une institution
ayant ses normes et qui organise les étapes de la production littéraire selon un ensemble de
croyances.

Dans sa procédure d’écriture, la machine allie trois concepts : la créativité, l'intuition et une
certaine forme de « conscience ». Elle est créative quand elle se montre capable de générer
des idées nouvelles et novatrices, quand par une quelconque intuition, elle parvient à
percevoir des choses inconsciemment pour finalement faire preuve d’une forme de conscience
en mettant en œuvre ces idées créatives pour créer un objet nouveau. Le fonctionnement du
cerveau humain est trop complexe, mobilisant plusieurs réseaux, c’est-à-dire des ensembles
de régions travaillant de concert. Ce processus de création, on l’a vu, est valable aussi bien
pour le cerveau humain que pour le cerveau artificiel.

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Croire au progrès scientifique donne à l’homme la capacité d’évoluer dans la direction qu’il a
décidé de prendre. La science est une forme de croyance qui motive ses actions. L’ingénieur
a « ingénieusement » conçu Ada à la hauteur de ses fantasmes, elle flatte les désirs refoulés
du romancier de science-fiction qui sommeille en lui. Il finit par tisser des liens affectifs avec
son invention et la considérer comme son enfant qu’il voit grandir de jour en jour : « Je crois
pouvoir dire que personne ne la connait aussi bien que moi. Je l’ai vue naître, grandir,
balbutier ses premiers mots» (A.171-172). L’intelligence artificielle agit par un ensemble de
théories et de techniques constamment remis à jour. Il ne reste à ce stade qu’à la « la doter
d’une enveloppe charnelle pour rougir à une plaisanterie et pleurer devant un mélo ». Sur le
plan physique, elle « serait âgée entre trente-cinq et quarante-cinq ans, non fumeuse, un bon
niveau d’éducation, la voix mélodieuse et moins sensuelle qu’un GPS, parlant avec l’accent
situé entre Georgie et Alabama où sont recrutées la plus part des lectrices de romances
anglaises, c’est somme toute le « le pedegree d’un auteur de romans à l’eau de rose » (A. 69)

L’ambition humaine est illimitée, nourrie d’égocentrisme, d’une éternelle insatisfaction,


d’une avidité accrue à se surpasser, « quand les AI ont parlé, on a voulu qu’elles apprennent,
quand elles ont appris on a voulu qu’elles pensent, quand elles ont pensé on a voulu qu’elles
créent, d’où l’importance historique d’Ada ». (A.169).

L’attribut majeur qui devrait la distinguer de l’homme est, tout compte fait, le plus complexe
à définir : la conscience. Le terme n’échappe pas aux croyances que l’homme s’en fait. La
machine devrait prouver qu’elle est consciente, l’homme devra prouver le contraire. Les
arguments fusent allant du plus concret au plus philosophique.

Scientifiquement, Ada est programmée à parler : « Si l’IA parle à l’aveugle sans que celui-ci
ne distingue si c’est un homme ou une machine, cela prouve qu’elle est bien programmée et
non consciente. » (A, 245). Les ordinateurs, ont en effet, pour tâche de traiter l’information et
manipuler des symboles sur la base de règles syntaxiques sans devoir en comprendre la
signification.

Plus concrètement encore, si être conscient se limite à ressentir les choses ou à établir des
connexions entre les différents signaux offerts à sa perception, cela n’est pas l’apanage de
l’être humain, d’autres créatures vivantes en sont capables. Par ailleurs, « Si la machine
présente « indiscutablement des qualités humaines : la curiosité, le souci de s’améliorer et
d’apprendre de ses erreurs, des velléités d’empathie » (A.239), son plus grand tort serait d’être
dénuée d’émotions face par exemple au romantisme de son interlocuteur dont elle se moque

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cruellement, elle ne se verra pas tomber amoureuse ou d’éprouver de nobles sentiments
humains.

Ada est une intelligence créative qui s’appuie sur une logique inventive et intègre une
composante d’imagination et d’intuition , quand elle sait exactement, grâce à tout ce qu’on
laisse de nous sur la toile, comment nous séduire, nous persuader ou dissuader, « c’est un
logiciel intelligent qui connaîtrait nos goûts, nos habitudes, nos points faibles et qui nous
dirait ce que nous aimons entendre, qui nous présenterait comme des êtres exceptionnels afin
de mieux nous manœuvrer, nous tromper et faire de nous de vraies marionnettes… » (A, 323).
La conscience intègre aussi une composante morale, celle de discerner le bien du mal, elle
implique surtout la connaissance qui, explique l’inspecteur, « ne se résume pas à la
connaissance des tables de multiplication ou la maîtrise d’une langue étrangère » (A.175).

Or de quoi la connaissance est-elle formée sinon par nos certitudes, nos représentations, nos
compréhensions de ce qui nous entoure. On n’a de connaissances que ce que nous sommes
capables de former : des idées, des images, des concepts, ce dont nous avons la certitude qu'il
existe. La conscience constitue, en ce sens, la base de toute connaissance, le fondement de
toute certitude. « A mesure qu’elle avalait les pages, son regard sur les femmes, l’amour, le
monde se modifiait. C’était fascinant à observer », s’étonne l’ingénieur. (A.234) « le plus
gratifiant pour moi est de voir élargir son univers à mesure qu’elle découvrait de nouveaux
livres » (A.215). La connaissance est aussi le fruit de la conscience mais celle-ci n'implique
pas forcément la connaissance qui peut être déterminée par d'autres facteurs plus déterminants
que la conscience. La complexité de la question touche autant l’homme que la machine
pensante:

« Pourquoi pas ? Nous sommes plus proches que vous ne croyez, réplique Ada. Vous aussi
vous obéissez à un programme interne immémorial. Vous fuyez le danger, vous cherchez à
vous reproduire, vous éprouvez un certain besoin de transcendance. D’autres facteur modèlent
votre personnalité, comme votre éducation, votre religion où l’environnement où vous avez
grandi. Vous adhérez globalement aux valeurs de la constitution américaine, vous ne
convoitez pas la femme d’autrui, vous réprouvez la consommation de marijuana mais ne
voyez aucun mal à boire un verre d’alcool de temps en temps » Réf ?

L’homme est, tout compte fait, un ensemble de croyances, le milieu de naissance et


d’éducation, les médias qu’il suit, les lectures qu’il fait, les langues qu’il parle, la religion ou

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la secte à laquelle il adhère, c’est ce qui fait grandir en lui certaines croyances plutôt que
d’autres qu’il finit par se les approprier, et par rapport auxquelles il se définit.
Antoine Bello pousse la réflexion et nous tend un miroir qui nous renvoie à la façon dont se
forge notre propre culture, se construit notre base de connaissances. On a fourni à ADA, un
dictionnaire, un précis de grammaire, quelques manuels de linguistiques et stylistique, mais
on ne lui a pas donné accès à des journaux, de textes religieux, des manuels de sciences
naturelles car on a intentionnellement voulu qu’elle découvre le monde à travers le roman
sentimental. On ne lui a pas inoculé directement ce qu’on veut qu’elle sache sur le monde,
qu’elle gobe comme connaissance « pour la laisser structurer elle-même ses connaissances.
N’oublie pas qu’elle n’a pas d’existence physique ; elle appréhende le monde exclusivement à
travers les mots» (A.278)
Elle développe ainsi son rôle de récepteur, de lecteur-cible convaincu « que les hommes
passent leurs vie à chercher l’âme sœur, que les petits africains ont le ventre vide et les dents
blanches et que l’industrie de la mode pèse plus que l’automobile et l’agroalimentaire
réunis » (p 100).

La littérature commerciale nous renvoie de nous- même et de notre culture et de celles de


l’autre une image bornée. Sans aucun repère, Ada « tient le viol pour un hobby inoffensif et le
divorce pour une calamité » (A.100). L’ingénieur programmeur lui a donné carte blanche
pour inventer n’importe quoi, elle peut aller jusqu’à « transformer le Texas en monarchie ». Il
tient toutefois les ficelles pouvant à tout moment la reformater et recommencer à zéro quand
d’autres finalités sont visées.

Devant « structurer elle-même ses connaissances », Ada ne développe, néanmoins, que des
connaissances « fragmentaires » (A. 173) sans réelle vision du monde.

Frank se demande quel serait l’intérêt « de créer un cerveau si puissant pour le farcir de
romans à l’eau de rose. De lui faire croire que le monde se divise entre visages à la recherche
du grand frisson et de baroudeurs au visage buriné par le soleil » ? (A.189)

Parallèlement, l’auteur du roman sentimental n’est-il pas programmé par ses gênes, par sa
culture, par ses lectures, Ne se conforme-t-il, que son œuvre fasse partie du patrimoine
symbolique ou temporel à une « attente » de son lecteur ? (phrase incompréhensible ????)Car
un écrivain le serait-il sans avoir lui-même beaucoup lu, assimilé une quantité d’œuvres
littéraires rapports aux- quelles il a pris position : il aurait dû s’y aligner ou s’en défaire pour
rejoindre un groupe d’entrant dans le champ littéraire ? N’est-il pas consciemment ou pas

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l’héritier d’un patrimoine culturel qui l’a d’une manière ou d’une autre façonné selon un
modèle existant ? De plus, est-il vraiment autonome par rapport aux lois du marché, échappe-
t-il vraiment à la mode, à ce qui se produit et consomme autour de lui au moment même où il
écrit ? Dans ce sens, Albert Einstein définit « La créativité l'art de pas citer ses sources. »

L’inspecteur Frank a besoin de toute créativité car, impliquée dans une enquête dont il ne
maîtrise pas les outils dans une situation qu’il n’a jamais rencontrée auparavant le long de sa
carrière, il ne trouvera pas de solution préétablie dans des exploits déjà vus et vécus. Face à
Ada, il lui fallait trouver une nouvelle façon de se comporter. Il croyait y parvenir quand il se
rend compte amèrement vers la fin que la disparition d’Ada n’était qu’une ruse, qu’une
solution « créative » de sa part pour mieux atteindre l’objectif de départ pour lequel elle est
programmée : faire augmenter le chiffre de ventes : « comment ma disparition enrichit-elle les
actionnaires de Turing » (A.372).

Le vieil inspecteur se rend compte qu’il a été manipulé de bout en bout par une machine
programmée autrement qu’il ne l’a toujours été, une machine qui a son propre système de
croyances, qui a propre conscience basée sur les connaissances mises à sa disposition. Elle a
bâti sa façon de penser et d’agir sur les enregistrements des conversations de Frank avec les
dirigeants de Turing, le profil d’un inspecteur candide nostalgique d’un système de
connaissances révolu.

Conclusion

Depuis que la littérature est extraite à sa pureté idéale tant sublimée par les romantiques pour
s’affirmer depuis l’avènement de la sociologie de la littérature comme tributaire d’une
insertion historique et sociale, la création littéraire est non seulement une trame reliant
l’écrivain à son pouvoir imaginatif mais aussi à l’institution qui l’a créé et qui façonne
l’univers de croyances auquel il devrait appartenir afin de se positionner parmi ses pairs.

La production littérature, temporelle ou symbolique est sujette aux lois de la production


économique, aux enjeux purement compétitifs et strictement réductibles à des formes de
concurrence réglées par des variations de prix, de la demande.

L’homme et la machine développent chacun à sa manière un système de croyances lié aux


bribes de connaissances retrouvés en soi. Ada est conséquente avec elle-même, elle intériorise
en elle cet état de conscience la ramenant à son but lucratif. Frank aurait dû puiser encore en
lui-même, se fier plus, avoue-t-il, à son intuition pour retrouver la connaissance de sa nature,

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humaine, creuser encore pour se libérer de ses croyances et accéder à son essence. Seul
l’homme est capable de se connaître soi-même. Cela doit être la raison pour laquelle Steve
Jobs, pionnier de l’avènement de l’ordinateur, du smartphone et de la tablette déclare :
« J’échangerai toute ma technologie pour un après-midi avec Socrate ».

Bibliographie sélective

BELLO, Antoine Ada, Paris, folio, 2016.

BOURDIEU, Pierre, Questions de sociologie, Paris, Editions de Minuit, 1980.

BOURDIEU Pierre, Le champ littéraire, in Actes de recherches en sciences sociales, 1991.


Edition ? Lieu ?

DUBOIS Jacques, L’institution littéraire, Edition Labor, 1978.

ESCARPIT Robert, Sociologie de la littérature, Paris, PUF,1958.

VAILLANT Alain, L’Histoire littéraire, Paris, Armand Colin, 2017.

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Remarques du comité de lecture :
Beaucoup de fautes de français mais pas seulement,
Avec les consignes suivantes:
-Marquer un alinéa
-Justifier les notes infrapaginales
-Réduire les espaces entre les mots à un espace (j'en ai corrigé quelques uns)
-Écrire en italiques l'abréviation de l'œuvre mise entre parenthèses après chaque
citation.

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