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MÉTHODE DE TRAVAIL
DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE
PREMIÈRE PARTIE :
L’INQUIÉTANTE BANALISATION DU RECOURS
AUX CABINETS DE CONSEIL
1Rapport d’information n° 319 (2014-2015) de MM. Albéric de Montgolfier et Philippe Dallier, fait
au nom de la commission des finances, sur la communication de la Cour des comptes relative aux
recours par l’État aux conseils extérieurs.
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pas ou quasiment pas de connaître la nature des actions réalisées par les
cabinets de conseil.
Part des prestations de conseil en 2019 pour lesquelles les ministères étaient
en mesure d’indiquer la nature des actions concrètement réalisées à leur profit
(en pourcentage)
Source : calculs de la commission d’enquête, d’après les données transmises par les secrétaires
généraux des ministères
ministères que lorsque leur montant excède un seuil arrêté par le ministre du
budget. En conséquence, une part des dépenses de conseil ne donne pas lieu
à une opération de contrôle des CBCM.
Ensuite, la direction du budget ne procède pas systématiquement à
un exercice de synthèse des dépenses de conseil des ministères.
Et, lorsqu’elle engage « de manière ponctuelle à la demande des autorités » 2 des
opérations de cette nature, celles-ci reposent sur l’analyse de montants déjà
agrégés par ministère ou par groupe de marchandises.
Ainsi, la commission d’enquête a pu constater au cours de ses
travaux que si des éléments de synthèses agrégées avaient pu rapidement
être mis à sa disposition par l’administration, l’obtention de listes détaillant
chacune des prestations de façon précise, exhaustive et cohérente entre les
différents services de l’État s’avérait plus complexe.
Cette difficulté appelle certainement à désigner une administration
comme cheffe de file pour organiser la collecte, la fiabilisation et la
valorisation des données relatives aux prestations de conseil de l’État et de
ses opérateurs.
La commission d’enquête remarque que la mise en application des
orientations de la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 3
ne devrait pas permettre d’amélioration sur ce point.
En effet, si la direction du budget se voit confier la tâche d’assurer
« un suivi du montant des dépenses de prestations intellectuelles à travers le
réseau » des CBCM, cette mission ne concernerait que le seul secteur du
conseil en stratégie et organisation, ce qui est restrictif.
Par ailleurs, cette analyse continuerait de reposer essentiellement sur
une analyse agrégée et « macro-économique » des dépenses, et non pas sur
un travail « prestation par prestation ».
1 Pour mémoire, les CBCM sont placés sous la responsabilité conjointe de la direction du budget et
de la direction générale des finances publiques.
2 Réponses écrites du 12 janvier 2022 de Mme Mélanie Joder, directrice du budget, complémentaires
1 Source : devis du 20 décembre 2020, transmis par le ministère des solidarités et de la santé.
2 Voir par exemple le devis de McKinsey en date du 25 février 2021, transmis par le ministère des
solidarités et de la santé.
3 Source : courriels transmis par la DITP.
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15 décembre 2021.
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Pendant la crise sanitaire, les consultants ont par exemple rédigé des
notes administratives sous le sceau de l’administration. Certains disposaient
même d’une adresse électronique du ministère des solidarités et de la santé 1.
Ce mode de fonctionnement est par exemple utilisé par la DITP,
comme l’a confirmé M. Thierry Lambert lors de son audition du
2 décembre 2021.
Il permet de constituer une « équipe projet » mixte, composée de
consultants et d’agents publics, pour mener une mission. Il peut également
faciliter le transfert de compétences vers l’administration, qui apprend des
méthodologies que les consultants mettent en œuvre à ses côtés.
En pratique, il est même courant que les cabinets de conseil
n’utilisent pas leur propre logo pour rédiger leurs livrables mais celui de
l’administration, comme la commission d’enquête a pu le constater sur la
crise sanitaire.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, l’a confirmé
lors de son audition du 2 février 2022 : « si vous aviez voulu [les documents]
estampillés par McKinsey présents dans le dossier, vous auriez eu une feuille
blanche. Vous avez là tous les documents auxquels [les cabinets de conseil] ont pu
contribuer de près ou de loin, au titre des renforts RH internalisés dans nos
équipes le temps de la mission, sans pouvoir décisionnel et sans lien direct avec le
ministre ».
M. Éric Labaye, président de l’École polytechnique et ancien
consultant, a confirmé que l’utilisation par les consultants du logo de
l’administration « peut arriver », en accord avec le client : « le cabinet participe
à l’organisation, mais le document est un document de l’organisation » 2.
Cette méthode de travail soulève néanmoins trois difficultés.
En premier lieu, elle participe au manque de transparence des
prestations de conseil, car elle ne permet pas de distinguer l’apport des
consultants, d’une part, et celui de l’administration, d’autre part.
En second lieu, l’intégration des consultants au collectif de travail
des agents publics peut, dans certaines situations, se rapprocher d’un
« marchandage » de main d’œuvre, pourtant interdit par l’article L. 8231-1
du code du travail.
b) Une intervention qui peut être mal vécue par les agents publics
Cette situation impacte également les agents publics, dont les
représentants syndicaux ont indiqué que, bien souvent, ils n’étaient pas
informés ni du volume ni de la nature des prestations de conseil achetées au
sein des ministères dont ils relèvent.
Les syndicats se sont par exemple émus du guide sur le télétravail
dans la fonction publique, rédigé en 2020 par Alixio, sous-traitant de
McKinsey (235 620 euros) : « pourquoi ne nous a-t-il pas été précisé qu’il avait été
élaboré avec le concours d’un cabinet de consultants ? Le coût nous aurait peut-être
choqués, certes, mais nous aurions pu en discuter. […] Tout le monde était persuadé
qu’il avait été fait par [l’administration] » 1.
Pour lever tout malentendu, il est nécessaire de mieux informer les
agents publics des prestations de conseil commandées par leur
administration.
La commission d’enquête propose donc que le bilan social unique
des administrations comporte une présentation des missions de conseil
commandées au cours de l’exercice, afin que les représentants des agents
soient informés et puissent en débattre au sein des comités sociaux 2.
1 Intervention de Mme Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT fonction publique, lors de la
table ronde des syndicats de la fonction publique du 9 février 2022.
2 Conformément à l’article L. 231-2 du code général de la fonction publique, le rapport social unique
est présenté aux comités sociaux. « Il sert de support à un débat relatif à l’évolution des
politiques des ressources humaines et est rendu public. »
3 Pour plus de précisions, voir l’étude de cas sur l’intervention des consultants pour réduire les
Source : commission d’enquête d’après les données fournies par la direction du budget
c) Une hausse également attestée pour les dépenses les plus stratégiques,
qui s’élèvent à 445,6 millions d’euros en 2021
Les dépenses de conseil à forte dimension stratégique (voir supra)
s’élèvent en 2021 à 445,6 millions d’euros, dont plus de la moitié
(247,5 millions d’euros) correspond à des prestations hors informatique.
Elles ont presque triplé depuis 2018 (152,5 millions d’euros), ce qui
atteste une nouvelle fois de la forte augmentation des dépenses de conseil
pendant le quinquennat.
Au sein de cette enveloppe, les principaux postes de dépenses
concernent :
– le conseil en stratégie et organisation (135,3 millions d’euros),
qui a été multiplié par 3,7 depuis 2018 ;
– et le conseil en stratégie des systèmes d’information
(142 millions d’euros), qui a été multiplié par 5,8 depuis 2018 et pour
lequel l’État manque clairement de moyens en interne.
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Les différences constatées avec les chiffres évoqués par Mme de Montchalin
lors de son audition
Évoqué par Mme Amélie de Montchalin, le chiffre de 140 millions d’euros de dépenses de
conseil semble correspondre à une moyenne des dépenses de conseil des ministères hors
informatique entre 2018 et 2020.
Les chiffres de la commission d’enquête sont plus complets dans la mesure où :
– ils reposent sur une analyse des dépenses annuelles, et non sur une moyenne ;
– ils intègrent le conseil en informatique, secteur pour lequel le Gouvernement a
besoin d’un appui extérieur important ;
– ils prennent en compte 2021, année pendant laquelle les dépenses de conseil ont
fortement augmenté.
Source : commission d’enquête d’après les données fournies par la direction du budget
Source : commission d’enquête d’après les données fournies par la direction du budget
1Avec toutefois un poids moins important du ministère des Armées, ce qui s’explique par des
dépenses élevées en informatique, dans un contexte de transformation présenté par la ministre lors
de son audition du 1 er février 2022 (« depuis 2018, nous avons recentré ce recours aux cabinets
de conseil sur la transformation numérique »).
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Source : commission d’enquête d’après les données fournies par la direction du budget
Source : commission d’enquête d’après les données fournies par la direction du budget
1Comme cela a pu être évoqué supra, les opérateurs de l’État ne sont pas pleinement intégrés au
processus de suivi budgétaire mis en œuvre par le logiciel Chorus.