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Jamais plus

Geoffrey Lopez
Premier tableau
Le Couperet
Musique militaire, tambours de l’exécution, elle devient peu à peu un peu plus épique grâce à l’ajout
de violons.
Projection avec neige
22 février 1943. Prison de Stadelheim, Munich.
Prison de Stadelheim, Munich. Franz est en place au centre éclairé en douche, il a la tête baissée
pendant plusieurs secondes.
Vous ne le voyez pas encore, mais d’autres viendront.
Nous ne serons plus seuls. Nous serons même de plus en plus nombreux. Vous, vous deviendrez rare.
Un à un vous quitterez ce pays, un à un vous tomberez. Un jour vous serez ici, à ma place. Moi je n’y
serai plus. Jamais plus.
Franz baisse la tête, pose un genou sur le sol, puis le second, lentement. Il relève la tête.
Ma nuit va s’abattre sur terre, mais une aube nouvelle m’attendra aux cieux. Quand votre nuit à vous
s’abattra, vous ne reverrez jamais plus le soleil.
Jamais plus.
Prenez garde. La jeunesse, celle que vous avez voulu tuer, celle que vous avez voulu maîtriser, la
jeunesse se souviendra. Elle saura trouver des exemples. Elle ne vous pardonnera pas. Elle rachètera
son honneur et vous, vous serez balayés, comme un cauchemar.
Franz pose la tête sur un billot invisible.
Vive la liberté !
On entend le bruit du couperet d’une guillotine qui s’abat.
La musique a été stoppée.
Noir.
Second Tableau
Le joueur de flûte
Projection : 20 février 1943.
Cellule du Palais Wittelsbach, Munich.
La lumière, froide, se lève sur le fond jardin, le reste de la scène est dans l’obscurité. On y voit Franz,
assis sur le sol.
Il écrit dans un petit carnet.
Ma petite mère.
Je ne suis pas bien sûr que ce sera toi qui liras ces quelques lignes, je ne sais pas d’ailleurs si
quelqu’un les lira. Ce carnet peut-être me suivra dans la tombe...
D’ailleurs, est-ce que j’aurais une tombe ?
Je n’ai pas peur, ma petite mère, mais tout de même, j’ai des questions comme ça qui me viennent
en tête. Qu’est-ce qu’on fait du corps de ceux qui sont condamnés à mort ? Est-ce qu’on a quand
même droit au cimetière ?
Ça doit te sembler bête, que je t’écrive ça...
Tu me pardonnes, n’est-ce pas ? Tu comprends ?
Tu dois être fière. Tu le dois. Pour nous.
Tu sais... J’aurais bien voulu que tout ça soit différent, mais ça n’est pas ma faute. Je l’ai voulu bien
sûr, mais malgré tout ce n’est pas ma faute, j’étais obligé de le faire. Pour toi, pour papa, pour Karl,
Sebastian et Hannah. Pour les autres aussi. Pour tous les autres que je ne connaîtrai pas. Oh, si on te
le demande, dis-leur que je l’ai fait pour eux !
Franz marque une petite pause. Il regarde au loin, avec un léger sourire.
Je l’ai même fait pour vous. Vous mes gardiens. Vous qui lirez ces lettres. Je l’ai fait pour vous, même
si vous ne le vouliez pas, je l’ai fait, même si pour vous c’est inutile.
Franz se ressaisit. Il se redresse durant le paragraphe suivant.
Non. Non. Tout ceci ne sera pas inutile, je le sais, je le sens dans mon corps. C’est pour ça que je n’ai
pas de haine, pas de désespoir. C’est pour ça que je peux parler sans avoir peur des enquêteurs. C’est
pour ça aussi que je peux me souvenir.
Tout doucement ici, on entend monter une musique d’abord enfantine, avec des flûtes, rappelant un
thème pastorale de découverte du monde et de voyage. Cette musique est cadencée, les flûtes
deviennent nombreuses et sont rejointes par des tambours qui transforment peu à peu la musique en
marche militaire.
La lumière illumine peu à peu tout le plateau, chaude, rassurante.
Tout semblait si simple. Qu’est-ce que le monde pour un gamin de treize ans ? De la campagne.
Quelques plaines, quelques montagnes. Des forêts. Un peu d’eau aussi, des rivières et des lacs,
parfois la mer, ou même l’océan. Tout semble si grand, si vaste. Soudain tout d’un coup, on se
réveille, on veut tout voir, tout respirer ! On se sent des poumons immenses pour respirer tout l’air
du monde !
Que c’était beau, ma petite mère, ce monde ! Oh je ne te racontais pas tout bien sûr, les gamins font
ça parfois, ils gardent pour eux des secrets sans importance, seulement pour se dire qu’ils sont
grands.
Qu’est-ce qu’on s’est amusé avec les copains ! À rouler comme des fous sur nos bicyclettes. Les plus
grands faisaient de la moto, je me disais que j’en ferai plus tard, toi tu me l’interdisais :
formellement !
Maintenant je peux te le dire, j’en ai quand même fait. Si tu avais pu sentir ça ! Le vent qui te gifle le
visage. La sensation d’être là, d’être vivant, d’être au monde et que le monde soit entre nos poings
serrés.
Que c’était bon, maman !
Toi, tu n’aimais pas beaucoup tout ça. Papa, non plus.
Il me disait de ne pas y aller ! Franchement, quel enfant n’irait pas ? Jouer avec ses amis au ballon ?
Apprendre à faire du cheval ?
Fin de la musique. Franz est devant le miroir couvert d’un manteau qui forme la silhouette de son
père.

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