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COUR DU QUÉBEC
CANADA
PROVINCE DE QUEBEC
DISTRICT DE MONTREAL
LOCALITË DE MONTREAL
«Chambre criminelle et pénale»
N° 500-01-209898-201
DATE 2 février 2023
SA MAJESTÉ LE ROI
Poursuivant
C.
TIGANA MBIDI KIALA
Accusé
JUGEMENT
JJ0486
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[21 M. Kiala est accusé de conduite
dangereuse causant la mort.
[3] L'accident se produit dans un secteur à vocation résidentielle. Le parc Ferland se
trouve des deux côtés du boulevard Lavoisier. La caserne de
pompier 21 et une école
primaire se trouvent du côté nord. Des terrains de tennis et de soccer, des piscines et
une école primaire se trouvent du côté sud du
parc.
[41 Il s'agit d'une artère avec orientation est-ouest et la circulation se fait à double
sens. ll y a une voie de circulation par direction et les voies d'extrême droite dans les
deux directions sont des voies de stationnement.
[6] Une vidéo prise en temps réel a été mise en preuve. Elle capte la scène peu après
intersection de la rue Belcourt et du boulevard Lavoisier. On y voit la circulation, la
présence de piétons, la collision avec la victime, l'arrivée des premiers répondants, etc.
Des images ont pu en être extraites et ont pu servir aux experts pour faire
différents calculs.
[81 La piétonne circule direction ouest sur le trottoir. Le véhicule circule direction est.
Le véhicule traverse la ligne jaune et monte en partie sur le trottoir du côté nord (première
trace noire). ll évite de justesse deux piétons. La victime est plus loin derrière eux.
[15] ll est admis que l'accusé connaissait le boulevard Lavoisier pour y avoir circulé en
véhicule automobile et connaissait la limite de vitesse
permise à cet endroit, soit 30 km/h.
Des panneaux indicateurs de vitesse y sont d'ailleurs fort
visibles.
[16] l est en preuve que ni l'alcool ni la drogue ne sont en cause et rien de mécanique
n'explique la collision. Les pneus du véhicule étaient conformes avec les
recommandations du manufacturier. L'accusé portait sa ceinture de sécurité. Il a déclaré
n'avoir aucune maladie connue et ne pas prendre de médicaments au moment de
l'accident.
[171 température est alors de13 Celsius et le ciel est généralement dégagé selon
Environnement Canada.
18 In'y a aucune explication donnée ni d'hypothèse offerte tant des experts que de
pour expliquer l'événement. Rien dans la preuve offerte ne permet d'expliquer
la perte de contrôle du véhicule.
LITIGE
[22] Même si le Tribunal n'accepte pas la preuve de M. Kiala, si, après l'avoir
considérée, seule ou en conjonction avec les autres éléments de la preuve, il a un doute
raisonnable que la poursuite a établi l'un ou l'autre des éléments de la conduite
dangereuse, le Tribunal devra acquitter l'accusé.
23 La conduite dangereuse doit être tranchée par le juge des faits en tenant compte
de toutes les circonstancess.
2
A. c. Beatty, [2008] 1 R.C.S. 49; Raiche c. R., 2013 QCCA 395; Pardi c. A., 2014 QCCA 320.
A. c. Prince (1970), 2 C.C.C. 213 (C.A. Man.).
4
Préc., note 2, par, 43; repris dans A. c. Roy, [2012] 2 R.C.S. 60.
R. C. L. (K), (2009) 75 M.V.R. (5th) 1 (C.A. Ont.).
6
Bonin c. A., 2014 QCCA 1047; A. c. Truchon, 2016 QCCA 1396.
R. c. Collin, 2019 QCCA 887, confirmé à 2019 CSC 64; R. c. Morin, 2021 QCCA 397, permission
d'appel refusé CSC 19 août 2021 dossier 39673; Ecole du Barreau, Collection de droit, volume 13 p.
183
8
R. c. lbrahim, (2019) 46 M.V.R. (7th) 1 (C.A. Ont.).
9
A. c. Bélanger, 2013 CSC; R. c. Laverdure, 2018 ONCA 614.
10 R. c. Beaty, préc., note 2; Raiche c. A., préc., note 2; Pardi c. A., préc., note 2.
11 R. c. Beaty, id.
12
R. c. FRoy, préc., note 4.
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131] Lorsqu'un accident résulte de la conduite, l'enquête ne doit pas être limitée au
risque de préjudice créé par l'accusé eu égard à la victime de l'accident en particulier,
mais au risque plus général pour le public qu'a engendré la conduite de l'accusé19,
[32] Ifaudra prouver un lien de causalité entre la conduite et le décès. I1faudra prouver
que la conduite de l'accusé a contribué au résultat de façon plus que minime ou
appréciable", ces deux expressions étant équivalentes.
13
R. c.Beatty, 2008 CSC 5.
14
R. C.Chung, 2020 CSC 8.
15
R. C. Hundal, [1993] 1 R.C.S. 867; R. c. Beatty, préc., note 2; R. c. Roy, préc., note4.
16
R. C. Beatty, [2008] 1 R.C.S. 49.
17
Collection de droit, Ecole du Barreau, volume 13 Droit pénal-Infractions, moyens de défense et
peines
p. 181;R. c. Chung, 2020 CSC 8.
18
R. c. Beaty, préc., note 2; R. c. Roy, préc., note 4.
19
Préc., note 17, p. 179.
20
Préc., note 5.
2
R.c. Truchon, préc.,
note 6;
R. c. Romano, (2018) 17 M.V.R. 97th 181 (C.A. Ont.).
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TÉMOIGNAGE DE L'ACCUSE:
[33 Monsieur Kiala est marié depuis 2014. II arrive au Canada en septembre 2016. I
a obtenu dans son
pays un permis de conduire vers 2011 ou2012. Il n'a toutefois pas de
permis du Québec, à son arrivée.
34] La famille achète une auto en 2018. C'est alors son épouse qui la conduit.
135] L'accusé se trouve un emploi en mars
travaille dans une 2020, soit au début de la pandémie. ll
boulangerie commerciale. II fait partie de l'équipe qui vérifie
y appose les étiquettes, empile les les pains,
pains et les met dans une
envoyés aux clients. Il travaille debout. Il s'agit d'un travail remorque afin qu'ils soient
physique.
36] Son horaire habituel est de 6 h à 16 h
du
lundi
jour, 50 heures par semaine. Comme c'est le début de vendredi, soit 10 heures par
au
un
la
Covid-19, et qu'il peut y avoir
manque de personnel à l'occasion, on l'avise que ceux qui veulent faire des heures
Supplémentaires pourront en faire. On lui indique cependant que ces heures sont
attribuées par ordre d'ancienneté et comme il vient tout
d'occasions d'en faire. juste d'arriver, il aura peu
38 ll demeure à cette
époque à 15 ou 20 minutes de son travail. II
emprunte toujours
le même chemin.
[39] lvit alors avec son épouse enceinte, sa fille de deux ans et les
épouse. parents de son
[40) Exceptionnellement,
le 14 octobre on
Supplémentaires. ll commencera son quart de travailluià 4 h plutôt qu'à 6 h. Il travaillera
offre de faire des heures
donc 12 heures cette journée-lå au lieu du 10
heures habituel.
[41] La veille
en soirée, il conserve la même
routine. ll se couche entre 20 h et 21 h
avec sa femme et sa fille. Son réveil sonne une heure avant
d'aller au travail. Il se lève,
se brosse les dents, s'habille, prend son sac de
vêtements et part au travail.
[421 II bénéficie donc de six ou sept heures de sommeil.
[43] Comme il fait des heures supplémentaires, il a droit à 4 pauses d'environ 15
minutes chacune ainsi qu'un lunch de 30 minutes.
44] Lorsqu'il termine sa journée, il ne se sent pas plus fatigué qu'à la fin de son
de travail normal. Il se rend au vestiaire se quart
alors deux conversations changer et se dirige vers le
stationnement, a
téléphoniques puis quitte.
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50
50] I devait circuler à environ 50 km/h dans la région Lacordaire/ Lavoisier et rendu à
cette intersection, ilya des feux de circulation.
52 lI précise que s'il avait vu l'arbre avant, il aurait fait un geste pour l'éviter.
53] I ne s'est pas non plus senti fatiguétout au long du trajet. ll a écouté de la musique
comme il le faisait tous les jours.
54]
[54] Lorsque les policiers arrivent, M. Kiala n'est pas dans son véhicule. l explique que
C'est un citoyen qui l'a fait sortir. ll n'avait aucune blessure. ll a demandé à ce citoyen s'il
pouvait appeler la police, car il n'avait pas son cellulaire avec lui.
(56 l a alors pleuré, a fait une courte prière, s'est senti bouleversé et ne voit plus ce
qui se passe autour de lui.
58demande à ce policler s'il peut prendre son cellulaire pour appeler son épouse
Le demande
sa
ne peut rien prendre dans l'auto. Le policier agrée toutefois a
policier Iuienrépond qu'illui-même
appelant son épouse.
59] rencontre ensuite des ambulanciers. II refuse d'aller à l'hôpital. Il demande au
policier des nouvelles de la victime. On lui explique qu'elle a été transportée à l'hôpital.
Plus tard, le policier l'avise qu'il vient d'apprendre qu'elle est décédée. lI pleure.
[60] lI ne peut pas dire si les policiers l'ont arrêté et lui ont donné ses droits, mais il se
SOuvient quils lui ont permis d'appeler un avocat; qu'il a même pu lui parler deux fois sur
place ainsi qu'au poste de police. Il savait aussi qu'il était en état d'arrestation.
[61] l a été placé dans un véhicule de police et y est resté longtemps avant d'être
transféré dans un poste de police; ce qui est corroboré par les policiers. Il faisait alors
noir. II n'avait pas de montre, et pas de cellulaire. Il était fatigué moralement. Il a
Sommeillé dans l'auto-patrouille; ce qui est également corroboré par les policiers sauf
pour la durée exacte du sommeil; les deux policiers ne donnant pas la même durée.
[62 Les policiers ont témoigné à savoir que M. Kiala parlait lentement. II avait 'air un
peu ahuri. ll est toujours resté poli. Ils ne l'ont d'ailleurs pasmenotté.
[63] En fait, cette façon de parler décrite par les policiers est la même que cele qu'a
pu constater le Tribunal tout au long de son témoignage.
[64] M. Kiala a témoigné à savoir qu'il faisait très peu d'heures supplémentaires. Il lui
est arrivé de travailler le dimanche, mais pas à son souvenir la semaine précédant
l'accident.
[65] II n'a jamais cherché à savoir ce qui avait pu causer l'accident, pourquoi il y a eu
cette perte de contact avec la réalité. Le lundi suivant 'accident, ses patrons 'ont
rencontré pour lui offrir l'aide d'un psychologue, etc. Il a refusé.
66 C'est à la suite de pressions de sa femme et d'amis qu'l accepte six mois plus
tard de consulter un psychologue car il pleurait souvent. Son comportement avait changé.
67) I ne lui estjamais venu à l'idée d'aller consulter un médecin pour savoir sil était
possible qu'un problème de santé puisse expliquer cette absence de contrôle du véhicule
au moment de l'accident.
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[69 Des jugements sont soumis de part et d'autre, entre autres, pour reprendre l'état
actuel du droit, mais surtout pour démontrer que dans des situations où les faits semblent
similaires à ceux en cause, il y a eu acquittement (selon la défense) ou condamnation
(selon le ministère public).
70 Le ministère public ajoute que l'accusé a rendu un témoignage non fiable. Lors
d'un événement particulièrement grave de conséquences alors qu'il ne se souvient pas
de ce qui a pu se passer, il ne tente jamais d'investiguer pour comprendre ce qui s'est
passé ou encore pour tenter de se souvenir. C'est un choix personnel qui lui enlève de la
crédibilité; qui soulève des interrogations quant à la vraisemblance de son récit.
[71] De plus, le fait de ne pas se souvenir ne constitue pas une défense en droit
canadien.
[72] Il sait qu'il a travailé durant 12 heures et n'admet pas être fatigué ou encore,
n'admet pas qu'il est possible qu'il puisse s'être endormi au volant. lI maintient qu'il n'était
pas plus fatigué qu'habituellement; qu'il a écouté de la musique et que rien de particulier
ne s'est produit jusqu'å la perte de contröle du véhicule; perte dont il n'a aucun souvenir.
[73] Pourtant les faits mis en preuve démontrent qu'il s'est endormi dans le véhicule
de police. La fatigue était bel et bien au rendez-vous.ll n'aurait pas do prendre le volant
dans cet état.
[74]
74 M. Kiala dit avoir vu l'arbre au dernier moment à cause du bruit et de l'impact; ce
qui semble impossible puisqu'au moment où il reprend ses esprits, il a fait une rotation
antihoraire de 270 degrés. Il ne peut donc voir l'arbre. II dit aussi ne pas avoir ressenti la
rotation du véhicule; ce qui semble également impossible, s'l a senti l'impact sur l'arbre.
La version de l'accusé n'est pas crédible.
[76] En conclusion, le ministère public allègue que M. Kiala savait qu'il était fatigué et
de méme pris le volant alors qu'il connaissait fort bien le trajet qu'il devait
emprunter; soit un trajet dans un secteur qui demande d'être attentif; d'être alerte. Une
personne raisonnable n'aurait pas décidé de conduire dans ces circonstances.
(77] Preuve hors de tout doute raisonnable a été faite pour chacun des éléments
constitutifs de l'infraction, dont l'êcart marqué par rapport á la norme de diligence qu'aurait
observée une personne raisonnable dans la même situation.
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78La partie défenderesse allègue que la vidéo et les experts démontrent clairement
quil
ne peut qu'y avoir absence de contrôle momentané du véhicule automobile. II
aucune preuve que le volant a été n'y a
bougé, manipulé durant les cinq secondes avant le
premier point d'impact. On ne peut même pas conclure, selon les
quil y a même eu un léger contrôle du volant. Il a dans le casexplications
de l'expert
y de M. Kiala absence
d'opération du véhicule. C'est l'inaction qui est en cause et non le comportement a'un
individu qui fait
plusieurs manaeuvres délibérées avant que ne se produise l'accident.
79 Le défendeur a rendu un témoignage crédible.
80 La preuve du ministère public est circonstancielle. La poursuite doit éliminer toute
explication raisonnable. !I n'appartient pas à la défense de prouver la raison de l'absence
d'opération du véhicule durant une période d'environ cinq secondes.
[81] Le Tribunal peut se servir du sens commun
pour conclure à l'absence
du véhicule d'une durée de cinq secondes. d'opération
ANALYSE
[87] Seul point pouvant amener à interprétation : M. Kiala parle lentement, semble un
peu en état de choc et aurait même demandé å un policier sil pouvait prendre quelque
chose dans son véhicule (perte totale) pour repartir à la maison.
[88] La façon de parler décrite par les policiers est la même que celle entendue par le
Tribunal au procès. Il est en preuve que M. Kiala a dès sa sortie du véhicule voulu
les policiers. Il est aussi en preuve qu'il était important appeler
pour lui d'appeler sa conjointe pour
lui expliquer ce qui venait d'arriver. Il n'est donc
pas surprenant qu'il ait demandé au
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policer d'aller chercher dans son véhicule des effets personnels. Le comportement des
policiers qui appellent pour lui son épouse, corrobore les intentions de M. Kiala.
[89 Les événements se passent tellement rapidement qu'en regardant une seule fois
la vidéo en salle de cour, on ne
peut voir tout ce que les policiers ont décrit. lI n'est pas
surprenant que l'accusé parle d'un gros bruit, de la vue de l'arbre une fois sur l'arbre et
ne pas avoir senti la rotation. Tout se
passe trop rapidement pour que le Tribunal puisse
Conclure à un manque de crédibilité par rapport à ce que l'accusé dit avoir vu ou senti en
une fraction de seconde.
93] Il est
possible que M. Kiala ait cherché à savoir pourquoi il a perdu le contrôle. Il
est aussi possible que la réponse lui est difficile à accepter et qu'il ne désire pas la révéler
en salle de cour. l est aussi
possible qu'il n'ait pas la réponse.
94] Rien n'est limpide. M. Kiala perd-il dès lors toute crédibilité? La
réponse
est non.
95] Relativement à la perte de contrôle du véhicule, la
contrôle momentanée d'une durée de preuve est claire, il y a perte de
vidéo permet aussi de le constater.
cinq secondes. Les experts corroborent ce fait. La
96 Le Tribunal
ne retient pas
l'argument du ministère public voulant que puisqu'il y a
accélération constante (appui sur
sur le volant, il y a un
l'accélérateur) et qu'il y a une déviation de 10 degrés
geste positif posé par l'accusé. Ces arguments ne sont pas
Supportés par la preuve. Ce ne sont pas là les conclusions des
experts entendus.
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97 y a
cependant une preuve que l'accusé a choisi de prendre le volant cette
journée-là.
98 La preuve soumise permet de conclure que preuve hors de tout doute raisonnable
est faite quant aux éléments essentiels suivants de l'infraction
L'accusé a conduit un véhicule moteur;
Sa conduite a été objectivement dangereuse pour le public eu égard aux
circonstances;
Le lien de causalité entre la conduite et le décès a contribué au résultat de
façon plus que minime ou appréciable.
[99] Reste à conclure quant à la mens rea. C'est ce sur quoi les deux
d'ailleurs parties ont
présenté leurs principaux arguments.
[100] Dans R. c. Morin22, jugement de 2021 soumis par le ministère public, la Cour
d'appel rappelle que la preuve relative à létat d'esprit véritable de l'accusé doit
être considérée pour déterminer si une également
personne raisonnable placée dans la même
«
[101] Elle ajoute que dans Roy, le juge Cromwell énonce ainsi le critère de la mens rea:
36] . ] il est utile d'aborder le sujet en posant deux questions. La première est
de savoir si,compte tenu de tous les éléments de preuve pertinents, une personne
raisonnable aurait prévu le risque et pris les mesures pour l'éviter si possible. Le
cas échéant, la deuxième
question est de savoir si l'omission de l'accusé de
prévoir le risque et de prendre les mesures pour l'éviter si possible constitue un
écart marqué par rapport à la norme de
diligence que respecterait une personne
raisonnable dans la même situation que l'accusé.
[102] Quant aux faits, le jugement Morin n'est pas pertinent puisque l'accusée, une
policière avait délibérément choisi de passer entre deux balises et d'effectuer un virage
à gauche pour rejoindre une sortie à contresens; ce
qui n'est pas le cas en l'espèce.
[103] Le ministre public soumet également Chung, jugement de la Cour suprême du
Canada. Comme dans le présent dossier, une caméra-témoin a capté 4,9 secondes de
l'événement; ce qui perme de constater que M. Chung dans une portion
comprise entre
2 intersections, s'est inséré dans la voie en bordure du trottoir, a doublé au
moins une
voiture par la droite et a accélééré, passant de 50 km/h à 140 km/h, avant de
dans l'intersection.
s'engager
22
R. c. Morin, préc., note 6.
23
Préc., note 14.
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[104 On constate
également qu'alors que M.
a un Chung s'approche d'une intersection, i y
véhicule devant lui qui effectue
virage à gauche pour passer d'une rue a une
un
autre. A ce moment, M. Chung commence à freiner, évite de
entre en collision avec autre
justesse le véhicule, mais
un véhicule, soit celui de la victime à 119 km/h.
[105] ll y a durant toute la durée de la conduite un geste positif, une conduite active. l
n'y a à aucun moment perte de contrôle du véhicule comme c'est le cas dans le
dossier. présent
[106] Une personne raisonnable dans la même situation que M. Chung aurait prévu le
risque qu'il y a d'accélérer rapidement et de s'engager à toute vitesse dans une
intersection importante et aurait pris les mesures l'éviter. pour
[107] Cette jurisprudence n'aide toutefois pas le Tribunal quant aux faits à l'étude.
[108] Quant au jugement Roy, toujours de la Cour suprême24, l'accusé ayant causé la
collision est amnésique. II n'a aucun souvenir des événements.
[109] Les faits peuvent se comparer à ceux en cause puisque M. Roy revient du travail
et connait bien le trajet emprunté.
[110 La preuve de la poursuite établit que M. Roy, qui se trouvait à un arrêt à une
intersection difficile et dans des conditions de faible visibilité, a
l'autoroute alors qu'il n'était pas prudent de le faire. Le engagé són véhicule sur
temps écoulé entre le moment où
les véhicules sont devenus visibles, l'un
par rapport à l'autre, et l'impact serait de
quelques secondes seulement. La décision de M. Roy de s'engager sur l'autoroute est
compatible avec une mauvaise évaluation de la vitesse et de la distance qui a été faite
dans des conditions difficiles au moment où la visibilité
était mauvaise.
[111] La Cour suprême a conclu qu'il s'agit d'une seule erreur momentanée
dont les conséquences ont été de jugement
tragiques. II ne permet pas de conclure raisonnablement
que l'accusé a démontré un écart marqué par rapport à la norme de
respecterait une personne raisonnable dans la même situation. diligence que
[112] Quant àla perte de mémoire de l'accusé pour expliquer ce qui a pu se passer, la
Cour mentionne que le juge de
première instance a commis une erreur de droit en
assimilant la faute à l'omission d'expliquer la conduite.
[113] En ce qui a trait aux jugements soumis par la défense25, le cas de M. Graham
retient particulièrement l'attention du Tribunal. L'accusé ne se souvient
pas de ce qui est
arrivé.
24
R. c. Roy, préc., note 4.
25
Laurin c. R., 2018 QCCA 2029; A. v. St-Hilaire, 218 ONSC 6224; Graham c. R., 2016 QCCA 642.
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[116] Si le Tribunal retenait cet argument, ceci reviendrait à dire qu'il y a renversement
du fardeau de preuve ou encore que dans les cas où il y a perte de mémoire ou absence
d'explication, sans témoin, l'accusé ne pourrait soulever un doute raisonnable. Cest
justement ce qui a été rejeté par la Cour suprême dans Roy26
[117 Comme déjà mentionné le témoignage de M. Kiala est crédible. Bien qu'il ne se
sOuvienne pas de ce qui s'est passé, il est en preuve qu'il lui arrivait rarement de faire
des heures supplémentaires. Cette semaine-là, c'est la seule fois où il en a fait. Ces
heures supplémentaires sont de deux heures avec plusieurs pauses et un temps d'arrêt
pour le lunch. Il a l'habitude de travailler 50 heures par semaine, deux heures de plus
n'équivaut pas à une demande disproportionnée permettant de conclure sans autre
réflexion qu'il aurait dû prévoir le risque et aurait dú prendre les mesures pour l'éviter en
ne conduisant pas à la fin de son quart de travail.
118] l est aussi en preuve qu'il a dormi entre six et sept heures cette nuit-là; ce qui
n'est également pas hors norme. La veille, il a effectué la même routine
qu'habituellement. Rien de particulier ne s'est produit.
[119 I ne sesentait pas plus, pas moins fatigué que tous les autres jours à la fin de son
quart de travail.
[120] admet avoir dormi dans le véhicule de police en attendant un autre véhicule qui
devait l'amener à un poste de police. Il est en preuve qu'il y est resté fort longtemps.
Durant toute cette période, il n'a pas ou peu d'interaction avec quiconque, ça fait
maintenant longtemps qu'il est actif et vient de vivre un choc émotionnel important. Le
fait qu'il se soit endormi durant cette période ne permet pas de conclure qu'il était dans
le même etat lorsqu'il a décidé de prendre le volant à la fin de son quart de travail.
121] Même si M. Kiala ne peut expliquer ce qui s'est passé, l'état d'esprit de ce dernier
a été mis en preuve alors qu'il explique sa routine, les heures supplémentaires, ce qu'il a
fait en sortant du travail, et en conduisant jusqu'au moment où il perd tout contact avec
la réalité.
[122] Lapreuve compte tenu de tous les éléments pertinents, ne permet pas d'étayer la
conclusion que l'accusé a agi avec le degré de culpabilité morale suffisant et ne permet
pasde démontrer hors de tout doute raisonnable que son compotement s'écartait de
façon marquée de la norme de diligence raisonnable qu'une personne raisonnable,
placée dans la même situation, aurait respectée.
2 3 lI n'y a aucune preuve démontrant la moindre intention délibérée de créer un
danger pour les autres usagers de la route. II y a perte momentanée de contrôle
inexpliquée. Tout ce qui a précédé semble toutefois s'inscrire dans le comportement
usuel de tout conducteur automobile.
125) La preuve soumise par M. Kiala ainsi que la preuve soumise par les témoins
experts et le visionnement de la vidéo soulèvent un doute raisonnable que la poursuite a
établi la preuve de la mens rea requise pour conclure à une conduite dangereuse causant
la mort.
Me Charles Benmouyal
Me Vincent Petit
Pour l'accusé