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Sujets donnés et corrigés par M.

Bertrand Seiller, Cas pratiques 1 et 2

Cas pratique 1

M. et Mme X sont des adeptes du cyclotourisme. Chaque été, ils effectuent de longs
périples à vélo et campent au fur et à mesure de leurs étapes. Cela leur a valu quelques
mésaventures sur lesquelles, en dépit du temps écoulé, ils souhaitent connaître votre
opinion de juriste. Il y a deux ans, alors qu’il pleuvait, M. X a fait une très mauvaise
chute en glissant sur une plaque d’huile sur une petite route communale. Par chance, il
n’a pas été blessé mais il a dû pousser son vélo abîmé jusqu’à un village distant de
plusieurs kilomètres pour qu’il y soit réparé. Le réparateur a indiqué à M. X qu’il
n’était malheureusement pas la première victime de cette plaque d’huile qui souillait la
chaussée depuis plus de 6 mois. Désireux de poursuivre leur périple, les époux X ont
repris la route dès qu’ils ont pu mais en se reprochant de ne pas entreprendre des
démarches pour se faire rembourser les frais provoqués par cette mésaventure.
Quelques jours plus tard, lors du même périple, ils ont eu la déception de constater
qu’ils ne pourraient pas, comme ils l’espéraient, profiter des services d’un bac pour
piéton et cyclistes jusqu’alors exploité sur un fleuve. Trop coûteux, le département qui
l’exploitait en avait décidé la suppression. Pestant contre cette décision qui les privait
d’une agréable pause, les époux X ont été contraints de faire un détour de plusieurs
kilomètres jusqu’au pont suivant sur le fleuve.
L’an passé, ils estiment avoir été victimes d’une tarification aberrante lors d’une étape
dans un camping municipal. Alors qu’habituellement ils bénéficient d’un tarif
préférentiel en tant que randonneurs, le prix qui leur fut demandé pour planter leur
tente une nuit fut le même que celui exigé des propriétaires de camping- cars ou de
caravanes et donc 4 fois plus élevé. En effet, le tarif fixé par le conseil municipal ne
prévoyait pas un tarif spécifique pour les randonneurs à pied ou à vélo. N’ayant pas
d’autre solution pour bivouaquer, ils ont acquitté le prix exigé mais en furent très
mécontents.
Quelques jours plus tard, alors qu’ils traversaient une petite cité moyenâgeuse en
pédalant tranquillement dans une rue piétonne, ils ont été arrêtés par des agents de la
police nationale qui leur ont dressé un procès- verbal d’infraction au motif que la rue
était interdite à tout véhicule même non motorisé. Les époux X ont eu beau faire
remarquer que la rue était large et déserte car assez éloignée des quartiers touristiques,
qu’ils roulaient au pas et qu’y interdire la circulation à tout véhicule même non motorisé
revenait à y interdire également aux enfants d’y faire de la trottinette, aux riverains
d’arrêter leur voiture devant chez eux pour y déposer ou prendre des objets lourds ou
encombrants, bref, que cette interdiction était par trop radicale, rien n’y a fait. Ils ont
dû s’acquitter de la contravention et donc, une fois encore, d’une somme qu’ils estiment
indue. Les époux X ne sont pas procéduriers et n’entendent pas engager des actions
pour faire reconnaître leurs droits éventuels. Mais, assez sensibles à ce qu’ils estiment
être des aberrations ou des injustices, ils aimeraient savoir ce qu’ils auraient pu faire et,
le cas échéant, ce qu’ils pourraient faire si, par malheur, ils rencontraient à nouveau de
telles situations.
Corrigé

I/ L’accident sur la route (5 points) L’accident n’a certes pas blessé M. X mais a endommagé son vélo
et provoqué des frais de réparation (sans compter la gêne occasionnée au cours de son périple). Il a
donc subi un préjudice dont il peut demander la réparation. Cet accident a été provoqué par la présence
d’une flaque d’huile sur la route. Le lien de causalité est ainsi évidemment établi sans contestation
possible. Il est indiqué qu’il s’agissait d’une route communale ; la responsabilité éventuelle de
l’accident doit donc être imputée à la commune en cause. Si M. X entendait exercer une action en
responsabilité contre la commune pour lui demander la réparation du préjudice qu’il a subi, il devrait
au préalable s’adresser à celle- ci à ce sujet. Ce n’est qu’en cas de refus (explicite ou implicite) ou de
décision ne lui donnant que partiellement satisfaction qu’il pourrait saisir la juridiction administrative
d’une action en responsabilité. Le juge administratif serait, en effet, compétent en l’espèce puisqu’il
s’agit de rechercher la responsabilité de la puissance publique (incarnée ici par la commune) en raison
d’un dommage de travaux publics (l’entretien des routes relève de cette catégorie puisqu’il s’agit de
travaux effectués pour le compte d’une personne publique dans un but d’utilité générale). Le principe
issu de l’article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII (aujourd’hui abrogé) donne en ce cas compétence à
la juridiction administrative (plus précisément, à un tribunal administratif en 1er ressort). Le délai
n’est pas expiré pour engager une telle action puisque les dettes des personnes publiques se prescrivent
par 4 ans et que l’accident a eu lieu il y a 2 ans. Il conviendrait toutefois, si M. X engageait cette
action, qu’il veille à exercer son recours juridictionnel éventuel dans les deux mois de la réponse
explicite ou implicite de la commune (la dispense de délai de recours contre les décisions implicites en
matière de plein contentieux ayant été supprimée ; v. art. R. 421- 3 CJA). L’action en justice
éventuellement intentée serait cependant dispensée de ministère d’avocat puisqu’elle serait dirigée
contre une collectivité locale ( v. art. R. 431- 3, 5° CJA). Au fond, M. X obtiendrait probablement
l’indemnisation demandée puisque les circonstances de l’accident relèvent d’une hypothèse de
responsabilité pour faute présumée, aménagée en cas d’accident subi par l’usager d’un ouvrage public.
M. X était, en effet, usager de l’ouvrage public que constitue la route lorsqu’il a été victime de son
accident. Ce dernier a été provoqué par la présence d’une plaque d’huile sur la chaussée qui l’a rendue
glissante par temps de pluie. La faute présumée en une telle hypothèse est un défaut d’entretien normal
de l’ouvrage public (CE 26 sept. 2001, Département du Bas- Rhin) : la commune aurait dû procéder au
nettoyage de la route. Dans la mesure où le réparateur du vélo a indiqué que cette flaque d’huile
souillait la chaussée depuis plus de 6 mois, l’abstention de la commune constitue sans nul doute un
défaut d’entretien normal de la voie. La commune ne parviendrait donc probablement pas à faire
écarter la présomption de faute pesant sur elle et M. X obtiendrait ainsi l’indemnisation sollicitée.

II/ La fermeture du bac (5 points) La fermeture du bac que les époux X comptaient utiliser pour
traverser un fleuve ne saurait être présentée comme leur ayant causé un préjudice, même s’ils ont été
contraints de faire un détour de plusieurs kilomètres jusqu’au pont suivant pour atteindre l’autre rive.
Ce n’est donc pas une action en responsabilité contre le département qu’ils auraient pu engager. S’ils
s’y risquaient, ils se heurteraient probablement aux faits que le juge administratif refuse d’indemniser
les modifications apportées à la circulation générale et que le bac est souvent présenté comme « la
continuité de la route » : le fermer revient à fermer une route à la circulation, ce dont nul n’est fondé à
se plaindre devant un juge. Si les époux X avaient entendu contester la fermeture du bac, ils auraient
pu le faire en se présentant comme des usagers de celui-ci (en l’occurrence des candidats usagers
puisqu’ils n’ont pu l’emprunter). Le service assuré par un bac constitue un service public puisqu’il
s’agit d’une activité d’intérêt général gérée par une personne publique (le département, collectivité
décentralisée). Sans qu’il soit besoin de s’interroger sur la nature de ce service public (administratif ou
industriel et commercial ?), il convient de rappeler que les services publics sont assujettis à des
principes (les « lois du service public » ) parmi lesquels figurent l’exigence de continuité et celle de
mutabilité. Les époux X pourraient certes faire valoir que la fermeture du service porte manifestement
atteinte à la continuité du service public en cause. Mais cette continuité ne vaut qu’autant que le
service public est assuré. Or celui- ci peut, au contraire, être supprimé en vertu du principe de
mutabilité. En effet, ce principe permet à la personne publique maître du service de l’organiser à sa
guise et, le cas échéant, d’en décider la suppression. Cette dernière n’est impossible que lorsque
l’organisation du service public est une obligation pour la personne publique en cause, ce qui n’est pas
le cas pour un bac sur un fleuve. Il résulte de ce qui précède que les époux X n’auraient eu aucune
chance d’obtenir l’annulation de la décision de fermeture du service s’ils l’avaient contestée. Au
surplus, il aurait fallu qu’ils exercent une telle action dans les deux mois de la publication de cette
décision et rien n’indique qu’ils étaient encore dans ce délai au moment où ils ont constaté la
disparition du bac. Certes, leur intérêt à agir aurait été probablement reconnu mais leur recours était
dépourvu de chances de succès comme cela a été indiqué et d’ailleurs parfaitement inutile puisque non
susceptible de leur permettre de traverser le fleuve par bateau comme ils l’espéraient…

III/ Le tarif du camping (5 points) Les époux X étant mécontents d’avoir dû acquitter le tarif valant
pour tous les usagers du camping municipal, et donc le même que celui exigé des propriétaires de
camping- cars ou de caravanes alors qu’ils n’avaient que des vélos et leur tente, auraient- ils dû
contester la légalité de ce tarif ? La réponse est assurément négative. Bien qu’il ne soit donné aucune
indication précise sur l’organisation de ce camping, il constitue sans nul doute un service public : il est
en effet géré par une commune – car il est indiqué qu’il s’agit d’un « camping municipal » et évoqué
le « tarif fixé par le conseil municipal » – et répond à un intérêt général, ne serait- ce que parce qu’il
permet l’accueil des touristes et concourt à l’hébergement des personnes de passage dans la commune.
Il n’est pas nécessaire de rechercher s’il s’agit d’un service public administratif ou industriel et
commercial (ce que d’ailleurs la faiblesse des informations données empêcherait d’établir avec
certitude) pour résoudre le problème soulevé par les époux X. Il est néanmoins possible d’indiquer, à
toutes fins utiles, que si le camping était considéré comme un service public administratif (parce que,
par exemple, l’origine de ses ressources – recettes propres insuffisantes complétées par une subvention
communale – ou ses modalités de fonctionnement – emploi d’agents communaux etc. – le distinguent
des établissements similaires gérés par des personnes privées, v. CE, ass., 16 nov. 1956, Unions
syndicale des industries aéronautiques), les époux X auraient dû contester le prix acquitté par eux
devant le juge administratif (un tribunal administratif) et soulever l’exception d’illégalité du tarif fixé
par le conseil municipal. Il s’agit d’un acte réglementaire, susceptible d’être contesté par voie
d’exception à toute époque. Inversement, si le camping était considéré comme industriel et
commercial (parce que ressemblant par son objet, par l’origine de ses ressources et par ses modalités
de fonctionnement aux activités similaires du secteur privé), la contestation aurait dû être portée
devant la juridiction judiciaire (tribunal d’instance) en raison du bloc de compétence judiciaire en
matière de relations entre de tels services publics et leurs usagers (T. confl. 25 juin 1954, Dame
Galland). Le juge judiciaire n’a pas compétence, en principe (mais voir T. confl. 17 oct. 2011, SCEA
du Chéneau) pour se prononcer lui- même sur la question incidente de légalité de l’acte réglementaire
constitué par le tarif fixé par le conseil municipal et aurait dû renvoyer cette question au juge
administratif ( un tribunal administratif). Néanmoins, comme cela va être montré ci- après, il est fort
possible qu’il aurait considéré la question comme non sérieuse et l’aurait rejetée de ce fait sans la
renvoyer au juge administratif. En effet, tous les services publics, qu’ils soient administratifs ou
industriels et commerciaux, sont assujettis au respect du principe d’égalité. Or si, dans sa conception
française, le principe d’égalité permet d’aménager des traitements différenciés (notamment en ce qui
concerne les tarifs) entre des catégories distinctes d’usagers se trouvant dans des situations différentes
au regard de l’objet du service (CE, sect., 18 déc. 2002, Mme Duvignères), il n’existe aucun droit à
une telle différenciation au profit des usagers (CE, ass., 28 mars 1997, Soc. Baxter). Concrètement, si,
effectivement, les randonneurs à pied ou à vélo se trouvent, vis- à- vis des installations du camping,
dans une situation différente de celle des propriétaires de camping- cars ou de caravanes, et si, de ce
fait, il était parfaitement possible, pour le conseil municipal, de prévoir des tarifs différents pour ces
deux catégories d’usagers, il n’était pas tenu de le faire. Les époux X ne pouvaient donc espérer
obtenir le constat de l’illégalité du tarif et un quelconque remboursement.

IV/ Le procès- verbal (5 points) Les époux X ont été verbalisés pour avoir circulé à vélo dans une zone
piétonne interdite à la circulation de tout véhicule même non motorisé. S’ils entendaient contester
l’amende qui leur a été infligée, ils devaient le faire devant le juge judiciaire répressif ( tribunal de
police), lequel bénéficie d’une plénitude de juridiction lui permettant d’apprécier lui- même, le cas
échéant, la légalité des décisions administratives dont dépend l’issue du procès ( art. 111- 5 C. pén.).
En l’occurrence, le débat devrait porter non sur la réalité de l’infraction commise (indubitable) mais
sur la légalité de l’acte administratif dont la violation a été sanctionnée. Il s’agit d’une décision du
maire, autorité de police municipale qui, à ce titre, est compétent pour réglementer les conditions de
circulation à l’intérieur de l’agglomération. Cette décision est plus précisément un acte réglementaire
puisqu’il s’agit d’un acte de portée générale et impersonnelle. La légalité d’une décision prise par une
autorité de police est soumise aux conditions de légalité externe et interne classiques mais se
caractérise par l’obligation d’être strictement justifiée par les circonstances, compte tenu de l’atteinte
aux libertés impliquée par une telle mesure. Le juge administratif (et le juge pénal, s’il doit se
prononcer sur la question) exige ainsi que la mesure de police soit « adaptée, nécessaire et
proportionnée » ( CE, ass., 26 oct. 2011, Assoc. pour la promotion de l’image), formulation
contemporaine de l’exigence d’adaptation anciennement consacrée ( CE, ass., 19 mai 1933,
Benjamin). En l’espèce, les époux X ont fait état, en vain, d’un certain nombre d’éléments qui
permettent de penser que l’interdiction, dont la violation leur a été reprochée, était excessivement
restrictive de la liberté de circulation. Autant, en effet, il est parfaitement légal, pour l’autorité de
police de rendre piétonnes certaines rues, particulièrement dans un secteur d’urbanisation ancienne
(rues étroites) et touristique ( beaucoup de piétons) car la circulation des véhicules à moteur peut y être
dangereuse pour l’une des composantes de l’ordre public ( la sécurité publique), autant le doute peut
naître lorsque cette interdiction est étendue à une rue dont la configuration ( large) et la fréquentation (
peu de touristes) ne fait craindre aucun risque particulier. Or tel semble être le cas de la rue dans
laquelle les époux X ont été verbalisés. Qui plus est, en admettant même que l’interdiction de la
circulation des véhicules à moteur puisse être considérée comme adaptée, nécessaire et proportionnée
dans la rue en cause, les époux X pourraient encore prétendre à l’illégalité de l’interdiction en ce
qu’elle concerne tous les types de véhicules et donc notamment des véhicules peu dangereux comme
les vélos ou les trottinettes. En d’autres termes, l’interdiction de circulation semble pouvoir être
considérée comme non adaptée, non nécessaire et non proportionnée au moins en ce qu’elle inclut les
véhicules non motorisés. Il semble ainsi que les époux X auraient pu contester le procès-verbal qui
leur a été dressé.
Cas pratique 2

Vous donnerez votre opinion argumentée sur les différents faits ci- dessous présentés :
Depuis plusieurs années, les riverains d’une rue du centre- ville de X se plaignent de ce
que la chaussée et les trottoirs sont en permanence encombrés par des étalages installés
sans autorisation par des commerçants. Les réclamations individuelles auprès des
services de la mairie n’ayant pas été suivies d’effet, ils ont pris la décision de constituer
une association pour assurer la défense des intérêts des résidents du secteur.
L’assemblée générale de l’association a habilité son président à écrire au maire de la
commune pour lui demander de faire cesser les nuisances en cause. Il a même été décidé
qu’en cas de persistance des problèmes, il serait habilité d’une part, à solliciter
l’intervention du préfet et d’autre part, à obtenir de la mairie l’indemnisation du
préjudice causé.
Le propriétaire d’une station- service de la même commune est également fort
mécontent. En janvier 2017, il a conclu avec la commune, au terme d’un appel d’offres,
un contrat de 3 ans par lequel les véhicules municipaux seraient autorisés à venir
s’approvisionner en carburant dans son établissement, à charge pour la commune
d’acquitter ensuite les factures mensuelles qui lui seraient adressées. Or, le 25 avril
dernier, il a reçu un courrier du maire lui signifiant la résiliation du contrat, à compter
du 1er juin suivant, au motif que les prix des carburants dans sa station seraient
sensiblement plus élevés que ceux pratiqués par un supermarché voisin. Cette résiliation
le prive d’une partie non négligeable du chiffre d’affaires de son entreprise et il n’entend
pas en rester là.
Les parents d’un jeune enfant qui suit des cours de violon auprès du conservatoire
municipal de X ont appris que le conseil municipal venait de décider, le 20 mai dernier,
une forte augmentation du tarif des cours à compter de la rentrée prochaine. Décidés à
réinscrire leur enfant malgré tout, ils se demandent s’il leur sera possible de se
soustraire à cette augmentation, notamment en la contestant. D’après le journal local,
lors de la séance du conseil municipal en cause seule une petite partie des conseillers
municipaux étaient présents contrairement à ce qu’exigent, semble- t- il, les règles
applicables aux délibérations des conseils municipaux.
Corrigé

1 • Les nuisances en centre- ville (sur 8 points)


Le cas exposé est d’abord relatif à des faits qui mettent en cause la négligence des services de la
mairie dans l’exercice des pouvoirs de police administrative du maire. La police administrative est la
composante de la police qui a pour objet de faire respecter la tranquillité, la sécurité et la salubrité
publiques. Les faits relatés révèlent un problème de respect de la tranquillité et de la sécurité publiques
sur le territoire de la commune de X : les étalages installés sans autorisation par les commerçants sur
les trottoirs et la chaussée gênent en effet la circulation des piétons et des automobilistes et sont
probablement à l’origine d’atteintes à la tranquillité des riverains des rues concernées. Il est indiqué
qu’en l’absence de réponse du maire à divers courriers émanant de certains de ces riverains pour qu’il
mette un terme à cette situation anarchique, une association a été constituée, dans l’espoir sans doute
de peser plus efficacement sur le maire. Trois démarches sont évoquées : d’abord une demande au
maire de faire cesser les nuisances en cause, ensuite une démarche auprès du préfet en cas de défaut de
réaction du maire et enfin une action en responsabilité pour l’indemnisation du préjudice causé. La
démarche faite par le président de l’association auprès du maire constitue une demande de mise en
œuvre, par celui- ci, de ses prérogatives de police administrative. Le maire est en effet seul compétent
pour prévenir ou faire cesser ( en l’espèce) les troubles à l’ordre public constatés à l’échelle d’une
seule commune ( CGCT, art. L. 2215- 13 a contrario). C’est à lui qu’il incombe d’intervenir en cas de
troubles à l’ordre public dans sa commune. La question est cependant de savoir s’il est tenu d’agir en
présence d’un quelconque trouble à l’ordre public ou s’il dispose d’une certaine marge de manœuvre
lui permettant de tolérer certains troubles. En présence d’une obligation d’agir, son abstention sera
constitutive d’une illégalité, particulièrement lorsqu’il est saisi d’une demande d’agir ; en cas de
marge d’appréciation qui lui serait reconnue, son abstention ne sera pas illégale, à condition
néanmoins qu’il ne s’avère pas totalement défaillant. La jurisprudence fut initialement très tolérante
avec les autorités de police administrative : elle ne les obligeait à intervenir qu’en cas de péril grave
résultant d’une situation particulièrement dangereuse pour l’ordre public ( CE 1959, Doublet). En un
tel contexte, il est probable que l’inaction du maire de la commune de X n’aurait pas été jugée illégale.
Mais l’état du droit a évolué et le juge sanctionne désormais l’inaction d’un maire lorsque les troubles
portent une atteinte à l’ordre public d’une gravité telle qu’il ne peut s’abstenir d’y porter remède (CE
1992, Ville de Chevreuse). En l’espèce, il n’est pas certain que la situation dénoncée par les riverains
impose au maire d’exercer son pouvoir de police administrative. Mais si le président de l’association
peut faire état de faits plus précis permettent notamment d’établir un risque réel et grave pour la
sécurité voire la tranquillité publique, alors sa démarche sera fondée. En ce cas, si le maire persiste à
ne pas agir, il sera possible à l’association de contester son refus (explicite ou implicite) devant le juge
de l’excès de pouvoir et de tenter d’en obtenir l’annulation pour illégalité. Il faudra cependant au
préalable habiliter son président à exercer cette action en justice. Ce dernier pourra aussi, puisqu’il y a
été d’ores et déjà habilité, s’adresser au préfet du département. Ce dernier bénéficie, en effet, d’un
pouvoir de substitution d’action en cas de carence d’un maire dans l’exercice de son pouvoir de police
( CGCT, art. L. 2215- 1- 1°). Saisi de la demande du président de l’association, le préfet pourra, s’il
estime que le maire de X doit effectivement faire cesser le trouble à l’ordre public, lui demander de
prendre les mesures nécessaires puis, en cas d’échec de cette mise en demeure, prendre lui- même les
mesures en cause au nom de la commune. À défaut d’avoir obtenu satisfaction du maire, les riverains
auront ainsi obtenu satisfaction en s’adressant au préfet, autorité de tutelle du maire. L’exposé des faits
indique enfin que le président de l’association est habilité à obtenir de la mairie l’indemnisation du
préjudice causé en cas d’inaction du maire à la suite de sa demande. Il est donc habilité à engager une
action en responsabilité de la commune du fait de la carence dans l’exercice du pouvoir de police. Il
convient d’emblée de constater que l’action ne saurait être engagée contre le maire lui- même car
l’inaction de celui- ci ne semble pas constituer de sa part une faute personnelle (T. confl. 1873,
Pelletier). L’association ne saurait ainsi tenter de mettre en œuvre sa responsabilité personnelle devant
les juridictions judiciaires. Par ailleurs, le préjudice dont le président de l’association pourra demander
l’indemnisation n’est pas celui subi par chacun des riverains membres de l’association : en vertu du
principe selon lequel « nul ne plaide par procureur », c’est à chacun d’eux d’agir pour être indemnisé
du préjudice subi individuellement. Le président de l’association ne pourra donc demander que
l’indemnisation du préjudice subi par l’association, personne morale créée pour défendre les intérêts
des habitants du quartier. C’est l’atteinte à l’intérêt collectif porté par cette association qui peut seule
être indemnisée sur recours de l’association. Cette indemnisation, si elle est obtenue, sera évidemment
relativement modeste et versée à l’association elle- même. Sur le fond, la jurisprudence a renforcé
l’obligation d’agir pesant sur les maires dans l’exercice de leur pouvoir de police. Cela a été relevé
précédemment sur le terrain de la légalité mais se constate aussi en matière d’engagement de la
responsabilité. Alors que la responsabilité du fait de la carence des autorités de police administrative
n’était autrefois susceptible d’être engagée que sur la preuve d’une faute lourde (CE 1905, Tomaso
Grecco ; CE 1972, Marabout), le juge administratif se contente désormais de la preuve d’une faute
simple ( CE 2003, Commune de Moissy-Cramayel). Mais, pas plus qu’en matière de légalité, il n’est
possible, au regard des faits énoncés, de se prononcer avec certitude sur l’issue de l’action en
responsabilité qu’engagerait éventuellement l’association : elle n’est pas vouée à l’échec mais il n’est
pas plus certain qu’elle aboutira positivement.

2 • La résiliation du contrat par le maire (sur 7 points)


Le propriétaire de la station- service se plaint de la résiliation unilatérale, par le maire, du contrat qui
liait son entreprise à la commune. Pour savoir quelle peut être sa réaction après cette décision, il
convient de qualifier juridiquement le contrat en cause. La nature juridique de ce contrat décidera du
droit qui lui est applicable ainsi que du juge compétent pour connaître d’une action en justice
éventuelle. Le contrat par lequel la commune confie à une entreprise le soin d’assurer
l’approvisionnement en carburant des véhicules de ses services lie une personne publique ( la
commune) à une entreprise privée ( la station- service). Un tel contrat permet à la personne publique
de répondre à ses besoins en matière de fournitures en contrepartie d’un prix. Il répond de ce fait à la
définition du marché public telle qu’elle résulte aujourd’hui de l’article L. 1111- 1 du code de la
commande publique. Or un autre article du même code (art. L. 6) qualifie de contrats administratifs les
contrats relevant de ce code, à la condition qu’ils soient conclus par des personnes morales de droit
public. Puisque tel est le cas en l’espèce (marché public), le contrat que la mairie a résilié était un
contrat administratif. Il est intéressant de signaler qu’en l’absence d’une telle qualification législative,
le contrat en cause n’aurait pas nécessairement été un contrat administratif par application des critères
jurisprudentiels : non passé pour faire participer à l’exécution d’une mission de service public mais
pour répondre aux besoins de la personne public ( CE 1956, Société des transports Gondrand frères), il
n’aurait été administratif qu’en présence en son sein d’une ou plusieurs clauses exorbitantes du droit
commun ( CE 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges). La qualification législative
dispense d’une telle recherche et donne mécaniquement un caractère administratif au contrat litigieux.
Ce marché public est soumis aux principes généraux du droit des contrats administratifs, lesquels
apportent de notables dérogations au principe du consensualisme qui inspire le droit des contrats
privés. Il est ainsi prévu divers pouvoirs exorbitants au profit de la personne publique contractante,
afin de lui permettre d’assurer, même dans un cadre contractuel, la promotion de l’intérêt général dont
elle a la charge. La jurisprudence a ainsi consacré, comme un principe général du droit des contrats
administratifs (et donc sans nécessité d’une clause en ce sens dans chaque contrat), un pouvoir de
résiliation unilatérale du contrat par la personne publique au nom d’un motif d’intérêt général. Ce
pouvoir est désormais inscrit à l’article L. 6 (5°) du code de la commande publique. En une telle
hypothèse, le cocontractant a droit à l’indemnisation du préjudice que lui cause la rupture du contrat.
Sans qu’il soit possible de se prononcer avec certitude sur le cas soumis, il convient néanmoins
d’émettre quelques doutes quant à la nature de motif d’intérêt général du motif avancé par la commune
à l’appui de sa décision de résiliation : le fait que les prix des carburants pratiqués par la station-
service soient sensiblement plus élevés que ceux d’un concurrent n’est probablement pas un motif
d’intérêt général suffisant pour justifier la résiliation du marché en cause. Ce d’autant d’une part, qu’il
a été conclu au terme d’un appel d’offres (et donc après une mise en concurrence dans le cadre de
laquelle les prix mais également d’autres critères ont été comparés) et d’autre part, que le terme de ce
contrat était fort proche ( 31 déc. prochain). Le propriétaire de la station- service semble donc avoir
quelque chance de succès s’il conteste la décision de la commune. Il a intérêt à saisir le juge
administratif ( du plein contentieux) d’une action en reprise des relations contractuelles ( CE 2011,
Commune de Béziers) en l’assortissant d’un référé- suspension dirigé contre la mesure de résiliation.
Si le juge du référé- suspension estime que le motif allégué par la commune pour résilier le contrat
n’est pas d’un intérêt général suffisant pour justifier celle- ci, il suspendra la résiliation, ce qui
permettra la continuité de l’exécution du contrat jusqu’à la décision du juge du plein contentieux.
Celui- ci aura à son tour à apprécier le motif avancé : s’il l’estime lui aussi non constitutif d’un motif
d’intérêt général suffisant, il fera droit à l’action en reprise des relations contractuelles et le marché
pourra alors être exécuté jusqu’à son terme ; s’il l’estime en revanche constitutif d’un motif d’intérêt
général suffisant, il rejettera l’action en reprise des relations contractuelles mais, la résiliation n’étant
alors pas décidée en raison d’une faute du partenaire de la commune, ce dernier obtiendra
l’indemnisation du préjudice que lui cause l’interruption de l’exécution du contrat avant son terme.

3 • La contestation de la validité du vote en conseil municipal (sur 5 points)


Les possibilités de contestation ouvertes contre la décision du conseil municipal d’augmenter les tarifs
des cours du conservatoire municipal à compter de la rentrée prochaine dépendent de la nature de cette
décision. Or il s’agit d’un acte (administratif unilatéral) réglementaire puisque la délibération en cause
a une portée générale et impersonnelle. Ses destinataires sont en effet identifiables par leur
appartenance à une catégorie abstraite : il s’agit des usagers du conservatoire municipal de musique,
lequel est un service public administratif (NB : la nature du service public en cause est néanmoins
indifférente à la résolution du cas). Tant que cette délibération sera en vigueur, elle régira les tarifs
exigés des usagers du conservatoire : elle s’adresse donc à tous les usagers futurs de ce service public,
sans que leur identité puisse être connue à ce jour. Elle n’est donc pas un acte (administratif unilatéral)
individuel. Dans la mesure où la délibération en cause a été adoptée très récemment (20 mai 2019 ;
date de l’épreuve : 29 mai 2019), elle est susceptible d’être contestée par un recours par voie d’action.
Les parents d’un enfant déjà inscrit et devant être réinscrit à l’automne prochain, qui supporteront
donc l’augmentation des tarifs décidée, présentent un intérêt à agir pour demander au juge de l’excès
de pouvoir l’annulation de cette délibération. Ils ont deux mois à compter de la publication de cette
délibération et de sa transmission au préfet (acte d’une collectivité locale soumis à transmission) pour
déposer leur recours. À l’appui de leur recours, ils pourront invoquer tout moyen de légalité et donc y
compris celui tiré de la méconnaissance des règles de quorum dont il est fait état. Même s’ils peuvent
hésiter à engager un tel recours par voie d’action contre cette délibération réglementaire, il convient de
les inciter à le faire. En effet, s’ils attendent que les nouveaux tarifs leurs soient appliqués et contestent
la facture qu’ils recevront en faisant valoir qu’elle découle d’une délibération réglementaire illégale,
ils ne pourront invoquer la méconnaissance des règles de quorum à l’appui de cette exception
d’illégalité de la délibération litigieuse. Ce vice de légalité, appartenant à la catégorie des vices de
procédure (moyen relevant de la légalité externe de l’acte), n’est plus susceptible d’être invoqué à
l’appui de la contestation par voie d’exception d’un acte réglementaire depuis un arrêt du Conseil
d’État du 18 mai 2018 (CFDT Finances). Les chances de succès des parents seront donc extrêmement
réduites (car il leur faudrait identifier des vices de légalité interne) s’ils attendent la réception de la
facture afférente à la réinscription de leur enfant à la rentrée prochaine pour contester l’augmentation
des tarifs, alors qu’ils semblent pouvoir obtenir l’annulation de cette délibération, grâce au jeu du vice
de procédure, s’ils la contestent directement.
Autre cas pratique : cas pratique 3

La ville de Serpinette connaît depuis quelques semaines une agitation grandissante.

1°) C’est en effet dans cette commune que doit se dérouler, le week- end prochain, la
représentation d’une célèbre comédie musicale, qui dénonce l’effet pervers du show- business
américain sur la musique traditionnelle des régions françaises. La perspective de cette
représentation a, d’ailleurs, provoqué la constitution d’un collectif de défense de la musique
bourguignonne. Ce dernier, composé de musiciens amateurs, a fait circuler une pétition tendant
à l’interdiction pure et simple de la représentation. Accessoirement, dans l’hypothèse où elle
aurait tout de même lieu, le collectif entend organiser une manifestation concurrente, le même
soir, avec un concert de musique traditionnelle dans un café de la ville. Craignant des
débordements, Madame Dupont, maire de la commune, envisage de réagir. Mais fan de
musique, elle déclare ne pas s’opposer, par principe, au déroulement de la comédie musicale.
Néanmoins, pour des raisons de maintien de l’ordre public, elle entend soumettre les
organisateurs de celle- ci à l’obligation de prévoir un renforcement du dispositif de sécurité
lequel, selon elle, ne peut être assuré que par les agents de la police municipale et moyennant le
paiement d’une redevance, eu égard au service exceptionnellement rendu. Cette mesure froisse
les organisateurs, lesquels hésitent à maintenir la représentation. Eu égard aux conséquences
financières dramatiques d’une éventuelle annulation, le directeur du Phénix, la salle de spectacle
où doit avoir lieu la représentation, entend exercer tous les recours possibles pour contester les
mesures que souhaite adopter Madame Dupont. En ce sens, il se demande comment faire et
qu’invoquer à l’appui de ces recours.

2°) Monsieur Martin, fonctionnaire de police dans la commune, s’inquiète lui aussi. Il craint
d’être éventuellement réquisitionné par le préfet de département en vue d’assurer la sécurité
lors de la représentation de la comédie musicale, aux abords du théâtre Phénix. Cela lui poserait,
en effet, de vraies difficultés, car, ce soir- là, il avait justement prévu de faire quelques « extras »
pour arrondir ses fins de mois en jouant de la musique dans une salle de concert qui le salarie
régulièrement. Il se demande donc, d’abord, s’il ne pourrait pas s’opposer à cette éventuelle
réquisition, et, dans cette hypothèse, s’il pourrait faire l’objet de sanctions. Ensuite, Monsieur
Martin s’interroge sur l’éventualité de poursuites dont il pourrait faire l’objet si le préfet
informait, lui- même, Madame le maire qu’il exerce, parallèlement à ses fonctions dans la police
municipale, une « carrière » de chanteur folk.

3°) Enfin, les commerçants de la rue où se trouve le théâtre Phénix ont appris que la maire,
Madame Dupont, a, par arrêté publié le 15 avril dernier, décidé de ne plus autoriser la
circulation des véhicules dans cette même rue entre 18 heures et 8 heures du matin, le jour de la
représentation contestée. Pour justifier sa décision, elle se fonde sur une vieille loi de 1976,
promulguée au Journal officiel, qui autoriserait les communes à interdire la circulation de toutes
les voitures en ville au nom de la protection de l’environnement. Les commerçants effondrés par
cette décision qui, selon eux, réduit leur chiffre d’affaires, souhaitent la voir disparaître. Ils font
valoir que la décision de Madame le Maire viole la liberté d’aller et venir constitutionnellement
protégée et qui se rattache, selon le Conseil constitutionnel, à l’article 4 de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ils estiment qu’elle viole également bon nombre de
conventions internationales. Ils s’interrogent donc sur les possibilités qui pourraient leur
permettre d’obtenir la disparition de cette décision et sur les moyens à invoquer à l’appui de
leur demande.
CORRIGÉ

I • Sur les mesures envisagées par la maire de Serpinette

Madame Dupont, maire de la commune, entend, d’abord, soumettre les organisateurs à l’obligation de
prévoir un renforcement du dispositif de sécurité. Elle estime, ensuite, que ce dispositif ne peut être
assuré que par les agents de la police municipale. Enfin, elle souhaite, eu égard au service
exceptionnellement rendu par les agents de la police municipale, soumettre les organisateurs au
paiement d’une redevance. Le directeur de la salle de spectacle Phénix, où doit avoir lieu la comédie
musicale, souhaite contester ces décisions. Pour déterminer quelles voies de droit lui sont ouvertes et
quels moyens de droit il pourra invoquer à l’appui de sa contestation, il faut, au préalable, s’interroger
sur la nature juridique précise des décisions envisagées par Madame Dupont. Cette dernière invoque «
des raisons de maintien de l’ordre public » pour fonder ses décisions. Dès lors, elle souhaiterait faire
usage des pouvoirs de police administrative générale qu’elle tient du Code général des collectivités
territoriales (CGCT). En vertu de l’article L. 2212- 2, « la police municipale a pour objet d’assurer le
bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment […] le soin de
réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées
d’ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements,
les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants
et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ». Les arrêtés municipaux que la maire
entend édicter auront donc pour finalité d’assurer, dans la commune et plus particulièrement autour de
la salle de spectacle, la sécurité et la tranquillité publiques. Ces arrêtés pris en vertu de prérogatives de
puissance publique constituent des actes administratifs unilatéraux, édictés par une autorité
décentralisée. Plus précisément, dans la mesure où ces actes imposent, du seul fait de la volonté de son
auteur, des règles générales et impersonnelles destinées à régir une situation juridique abstraite, ils
constituent des actes réglementaires. A • Sur les recours envisageables Les possibilités de contestation
des actes administratifs unilatéraux sont nombreuses. Il s’agit, d’une part, de recours administratifs (1)
et, d’autre part, de recours contentieux (2).

1 • Au titre des recours administratifs

En vertu de l’article L. 411- 2 du Code des relations entre le public et l’administration : « toute
décision administrative peut faire l’objet, dans le délai imparti pour l’introduction d’un recours
contentieux, d’un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai ». Le recours
gracieux s’adresse à l’autorité administrative qui a édicté la décision contestée. Ce recours consiste à
lui demander de retirer ou d’abroger celle- ci. Par ailleurs, l’autorité administrative a l’obligation
d’abroger d’office ou sur demande d’un administré, les règlements illégaux lorsque cette illégalité
découle d’un changement de circonstances de fait ou de droit ( CE, sect., 10 janv. 1930, Despujol) ou
lorsque l’illégalité existe dès son édiction ( CE 4 déc. 2009, Lavergne). Cette règle est un principe
général du droit depuis l’arrêt Compagnie Alitalia, rendu par le Conseil d’État en 1989. Elle a été
codifiée à l’article L. 243- 2 du Code des relations entre le public et l’administration qui dispose
désormais que « l’administration est tenue d’abroger expressément un acte non réglementaire non
créateur de droits devenu illégal ou sans objet en raison de circonstances de droit ou de fait
postérieures à son édiction ». Le recours hiérarchique, quant à lui, s’adresse au supérieur hiérarchique
de l’auteur de la décision pour lui demander de retirer ou d’abroger lui- même l’acte contesté. En
l’espèce, le directeur du Phénix pourrait demander l’abrogation des décisions du maire. L’exercice
d’un recours gracieux adressé à Madame Dupont prorogera de deux mois l’exercice d’un éventuel
recours contentieux, si la maire adopte les mesures envisagées. Quant au recours hiérarchique, il est,
en l’espèce, inenvisageable dans la mesure, on l’a dit, où les pouvoirs de police générale du maire
relèvent de son action en tant qu’autorité décentralisée. Sa compétence en la matière est une
compétence propre qui ne relève pas du conseil municipal ( toute délibération de cette assemblée
relative à la police municipale est entachée d’incompétence). Dans cette hypothèse, le préfet n’est pas
le supérieur hiérarchique du maire, il ne peut donc pas lui- même annuler l’arrêté municipal. En
revanche, le directeur du Phénix pourrait demander au préfet du département, dans le ressort duquel la
commune de Serpinette se situe, de déférer l’arrêté municipal. En vertu de l’article L. 2131- 6 du Code
général des collectivités territoriales : « le représentant de l’État dans le département défère au tribunal
administratif les actes […] qu’il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur
transmission ». Les arrêtés réglementaires de police municipale ( à l’exception de ceux relatifs au
stationnement et à la circulation) sont obligatoirement transmis au préfet ( art. L. 2131- 2 du CGCT),
le délai de déféré sera donc ouvert à compter de la réception de l’arrêté de police du maire. L’exercice
du déféré est une simple faculté pour le préfet (CE, sect., 25 janv. 1991, Brasseur). En l’espèce, il n’est
donc pas certain que le préfet accède à la demande du directeur du Phénix. Le préfet peut, par ailleurs,
assortir son déféré d’une demande de suspension. En vertu de l’article L. 2131- 6 du Code général des
collectivités territoriales : « […] le représentant de l’État peut assortir son recours d’une demande de
suspension. Il est fait droit à cette demande si l’un des moyens invoqués paraît, en l’état de
l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué. Il est statué dans un
délai d’un mois […]. Lorsque l’acte attaqué est de nature à compromettre l’exercice d’une liberté
publique ou individuelle, le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué à cet effet en
prononce la suspension dans les quarante- huit heures. La décision relative à la suspension est
susceptible d’appel devant le Conseil d’État dans la quinzaine de la notification. En ce cas, le président
de la section du contentieux du Conseil d’État ou un conseiller d’État délégué à cet effet statue dans un
délai de quarante- huit heures ».

2 • Au titre des recours contentieux

a) Sur la juridiction compétente d’abord En vertu de la décision Conseil de la concurrence rendue par
le 23 janvier 1987 par le Conseil constitutionnel, en dehors des « matières réservées par nature à
l’autorité judiciaire » , seul le juge administratif est compétent pour connaître « des recours en
annulation ou en réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance
publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la
République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle… » . En l’espèce, les
décisions que souhaite contester le directeur du Phénix sont des arrêtés du maire, agissant au nom de la
commune qui est une collectivité locale, en vertu de l’article 72 de la Constitution. Cette décision,
comme toute mesure de police, produit des effets de droit unilatéralement et est donc prise dans
l’exercice de prérogative de puissance publique. Les recours contentieux contre les arrêtés de Madame
Dupont seront donc portés devant le tribunal administratif dans le ressort duquel a légalement son
siège l’autorité administrative qui a pris la décision attaquée ( art. R. 312- 1 du Code de justice
administrative). En l’espèce, il s’agira du tribunal administratif dans le ressort duquel se situe la
commune de Serpinette.

b) Sur la nature des recours, ensuite Ces recours contentieux peuvent être de deux ordres : présentés en
urgence ou non. – Intenter un référé- suspension En vertu de l’article L. 521- 1 du Code de justice
administrative, « quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en
annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la
suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et
qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la
légalité de la décision. Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation
ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard
lorsqu’il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision » . Il résulte de ces
dispositions que la demande présentée devant le juge du référé- suspension ne doit pas être sans objet :
si la décision a été entièrement exécutée, le juge ne peut pas la suspendre. Par ailleurs, pour que le juge
des référés accepte de prononcer la suspension de la décision, le référé est soumis à deux conditions de
fond : l’urgence, d’une part, qui ne semble pas poser de difficulté en l’espèce puisque la représentation
de la comédie musicale est imminente, et, d’autre part, un moyen propre à créer un doute sérieux quant
à la légalité de la décision. Cette seconde condition ne semble pas non plus discutable en l’espèce,
puisque financée par l’impôt, la police administrative générale n’est pas un service rendu, son exercice
exclut donc, en principe, toute redevance. Les arrêtés de police devant être publiés au même titre que
tous les actes réglementaires, les personnes intéressées disposent d’un délai de deux mois à compter de
cette publication pour saisir le juge. Le directeur du Phénix devra donc attendre la publication en
mairie des arrêtés pour adresser son recours au juge des référés du tribunal administratif. Enfin, sa
demande de suspension ne sera recevable que si elle accompagne un recours principal. Il est donc
nécessaire que le directeur du Phénix saisisse, parallèlement, le juge de l’excès de pouvoir d’un
recours pour excès de pouvoir dirigé contre les arrêtés de Madame Dupont. – Intenter un recours pour
excès de pouvoir Un recours pour excès de pouvoir dirigé contre les arrêtés de police est également et
évidemment envisageable dans les conditions du droit commun. Les conditions de recevabilité d’un
recours pour excès de pouvoir imposent, d’abord, de soumettre au juge un acte administratif unilatéral.
En vertu de l’article R. 421- 1 du Code de justice administrative, la juridiction ne peut, en effet, être
saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à compter de la
notification ou de la publication de la décision attaquée. Les arrêtés de police constituent des décisions
unilatérales, en ce qu’ils s’imposent aux administrés sans leur consentement. Ensuite, le requérant doit
justifier d’un intérêt direct, personnel et certain lésé par cette décision. Il doit, ainsi, démontrer que
l’exécution de la décision qu’il soumet au juge de l’excès de pouvoir porte atteinte à ses intérêts
matériels ou moraux. En l’espèce, le directeur du Phénix sera économiquement lésé par les décisions
de Madame Dupont. Il dispose donc d’un indéniable intérêt à agir, dans les deux mois suivant la
publication des arrêtés en cause. B • Sur les moyens invocables Les moyens invocables à l’appui d’un
recours pour excès de pouvoir ( CE, sect., 20 févr. 1953, Société Intercopie) peuvent être des moyens
de légalité externe ( 1) ou des moyens de légalité interne ( 2).

1 • Légalité externe

Les vices de légalité externe sont au nombre de trois : l’incompétence, les vices de forme et de
procédure.

a) Incompétence : Il y a incompétence quand une autorité administrative prend une décision sans avoir
qualité pour le faire, c’est-à-dire alors qu’elle n’est pas juridiquement habilitée à se comporter comme
elle le fait. Son incompétence peut dès lors être temporelle, territoriale ou matérielle. En vertu de l’art.
L. 2215- 1 du Code général des collectivités territoriales, « la police municipale est assurée par le
maire toutefois […] le représentant de l’État dans le département est seul compétent pour prendre les
mesures relatives à l’ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, dont le champ
d’application excède le territoire d’une commune ». En l’espèce, la menace de trouble à l’ordre public
est limitée à la commune de Serpinette, son maire est donc la seule autorité compétente pour exercer
ses pouvoirs de police municipale. Le vice d’incompétence n’est donc pas constitué.

b) Vice de forme : Il y a vice de forme lorsque la présentation extérieure d’une décision administrative
ne répond pas à certaines conditions légales qui permettent de vérifier que la décision existe
réellement. Par exemple, lorsque la décision n’est pas motivée, signée ou contresignée. Il ne semble
pas y avoir de difficulté en l’espèce, car aucun élément de l’énoncé ne le laisse penser.

c) Vice de procédure : Il y a vice de procédure lorsque le processus d’élaboration de la décision


administrative n’a pas respecté certaines dispositions légales, telles que celles qui imposent de
consulter pour avis certains organes avant de prendre la décision ou de ne la prendre qu’après enquête
préalable… En l’espèce, l’énoncé est également muet sur ce point, mais on postulera qu’en matière de
police aucune procédure ne vient contraindre l’adoption par le maire d’un arrêté. Dès lors, aucun vice
de légalité externe ne semble pouvoir être invoqué à l’appui du recours pour excès de pouvoir que
souhaite intenter le directeur du Phénix.

2 • Légalité interne

Les vices de légalité interne sont nombreux. Le détournement de pouvoir consiste pour
l’administration à utiliser un pouvoir régulier à des fins étrangères de celles pour lesquelles il lui a été
conféré. (CE 26 nov. 1875, Pariset). En l’espèce, ce vice de légalité pourrait être envisageable dans la
mesure où la police administrative générale s’exerce gratuitement et ne saurait être assimilée à une
prestation de service. Dès lors, si la maire entend poursuivre un but financier en exigeant du directeur
du Phénix une redevance pour service rendu, pour assurer la sécurité aux abords de son théâtre, le
détournement de pouvoir pourrait être avéré. L’erreur de droit consiste pour l’autorité administrative à
mettre en oeuvre une norme inapplicable, voire inexistante, ou une réglementation illégale. Quant à
l’erreur de faits, elle découle d’une appréciation inexacte des faits sur lesquels se fonde la décision.
Aucun de ces deux vices ne semble, en l’espèce, constitué. Enfin, la violation de la « loi » , qui
s’entend au sens large, sera reconnue lorsque les actes des autorités administratives violent une des
dispositions contenues dans le bloc de légalité, c’est- à- dire : le bloc de constitutionnalité, les normes
internationales et communautaires et les normes législatives, les principes généraux du droit, etc. On
l’a dit les actes de police administrative générale ne sont légaux que s’ils sont adoptés afin de prévenir
un risque de trouble à l’ordre public. Une fois ce trouble avéré, le juge administratif, saisi de la
question de la légalité d’une mesure de police administrative, s’assure au cas par cas de ce que
l’atteinte portée aux libertés publiques par l’acte de police est nécessaire, adaptée et proportionnée aux
impératifs d’ordre public, eux- mêmes fondés sur des circonstances précises de temps et de lieu,
susceptibles de la justifier (CE 19 mai 1933, Benjamin ; CE 22 juin 1951, Daudignac). Le juge veille,
dans le cadre d’un contrôle de proportionnalité, à la conciliation de la liberté de réunion avec
l’impératif de maintien de l’ordre public et vérifie en particulier, même en cas de menace avérée de
troubles à l’ordre public, que l’administration n’aurait pas disposé des forces de police suffisantes pour
maintenir l’ordre sans interdire la réunion ou la manifestation (CE 5 févr. 1937, Bujadoux), ou qu’il
n’aurait pas pu être paré au danger par des mesures de police moins attentatoires aux libertés que
l’interdiction (CE 29 juill. 1953, Damazières).

En l’espèce, le risque de trouble à la sécurité publique est établi puisque Madame Dupont craint des
débordements sur le territoire de sa commune, autour de la salle du Phénix et dans le bar qui
accueillera le concert concurrent. Puisqu’elle peut mobiliser davantage de forces de l’ordre que celles
qui sont normalement en service un soir « tranquille », elle n’envisage pas d’interdire le déroulement
du spectacle, mais elle souhaite tout de même soumettre au paiement d’une redevance, pour service
rendu, cette mobilisation exceptionnelle des agents de police municipale. En principe, le financement
des missions de police administrative ne peut être assuré par l’instauration d’une redevance à la charge
du bénéficiaire de ces missions, dès lors qu’elles relèvent d’une obligation, elles sont réputées
financées intégralement par l’impôt (CE, ass., 30 oct. 1996, Mme Wajs et M. Monnier). Cependant, le
paiement d’une redevance par l’utilisateur est possible pour certaines prestations de sécurité
spécifiques qui dépassent les obligations normales incombant à la puissance publique en matière de
maintien de l’ordre. Cette dernière a alors la faculté de réclamer aux personnes, pour le compte
desquelles des services d’ordre sont mis en place, le remboursement des dépenses supplémentaires
supportées dans leur intérêt (art. 23 de la loi n° 9573 du 21 janvier 1995 d’orientation et de
programmation relative à la sécurité, désormais codifié à l’article L. 211- 11 du Code de la sécurité
intérieure). En l’espèce, la mobilisation d’agents de police municipale en nombre plus important qu’un
soir ordinaire, devant la salle de spectacle, ne paraît pas excéder les obligations normales incombant à
la puissance publique en matière de maintien de l’ordre. Dès lors, l’arrêté municipal qui imposerait le
paiement d’une redevance pour service rendu au directeur du Phénix semble infondé et pourrait, en
conséquence, être annulé par le juge de l’excès de pouvoir sur le fondement de la violation de la loi.

II • Sur les activités de Monsieur Martin

A • Sur son éventuel refus d’être réquisitionné

Conçue comme une mesure exceptionnelle destinée à faire face à une situation d’exception, la
réquisition figure par nature au titre des prérogatives de puissance publique. Par dérogation aux
pouvoirs de police municipale dévolus au maire, la loi n° 2003- 239 du 18 mars 2003 pour la sécurité
intérieure, codifiée à l’article L. 2215- 1 du Code général des collectivités territoriales, prévoit qu’ «
[…] en cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la
tranquillité et à la sécurité publiques l’exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent
plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui- ci peut, par arrêté
motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d’entre elles,
réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service
ou à l’usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris
fi n ou que les conditions de son maintien soient assurées. L’arrêté motivé fixe la nature des
prestations requises, la durée de la mesure de réquisition ainsi que les modalités de son application. Le
préfet peut faire exécuter d’office les mesures prescrites par l’arrêté qu’il a édicté ». Le pouvoir de
réquisition du préfet est donc encadré par une condition de forme (imposant l’adoption d’un arrêté
motivé en dépit de l’urgence) et des conditions de fond qui sont, elles, au nombre de trois : l’urgence,
une atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité
publiques et, enfin, que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les
objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police. La mesure de réquisition est une mesure de
police qui ne peut être adoptée que lorsque toutes les actions préventives se révéleraient insuffisantes à
assurer le maintien ou à rétablir l’ordre public, et lorsque le trouble ou risque de trouble à l’ordre
public présente une certaine intensité. Comme toute mesure de police administrative, les mesures de
réquisition doivent être proportionnées aux troubles à prévenir ou à résoudre (CE 9 déc. 2003, M.
Aguillon). Par ailleurs, le refus volontaire d’exécuter l’ordre de réquisition peut faire l’objet à la fois
de sanctions administratives et de sanctions pénales. Le juge administratif peut, à la demande de
l’autorité requérante, prononcer une mesure d’astreinte à l’égard de la personne refusant d’obtempérer
(articles L. 911- 6 à L. 911- 8 du Code de justice administrative). Enfin, l’article L. 2215- 1 du Code
général des collectivités territoriales prévoit que le refus d’exécuter les mesures prescrites par
l’autorité requérante constitue un délit qui est puni de six mois d’emprisonnement et de 10 000 euros
d’amende.

En l’espèce, si Monsieur Martin faisait l’objet d’une mesure de réquisition par le préfet, il ne pourrait
s’y soustraire sauf motif légitime. Le tribunal répressif ne sanctionne, en effet, pas les personnes qui se
soustraient à une réquisition si la mesure de réquisition n’est pas légalement prise. À l’occasion d’une
instance pénale visant à sanctionner la soustraction de Monsieur Martin à l’ordre de réquisition, il
pourrait alors exciper de l’illégalité de l’arrêté préfectoral. Cette illégalité aurait de grandes chances
d’être reconnue, car, en l’espèce, la mesure de réquisition semble disproportionnée. La maire de la
commune de Serpinette ou, en cas de carence de celle- ci, le préfet lui- même pourrait tout à fait faire
usage de ses pouvoirs de police « ordinaires » pour assurer la sécurité autour de la salle de spectacle.
Dès lors, la mesure semble disproportionnée et irrégulière. Un acte administratif illégal ne pouvant
constituer le fondement d’une sanction pénale, Monsieur Martin ne serait, en conséquence, pas
condamné s’il ne respectait pas l’ordre préfectoral.

B • Sur d’éventuelles poursuites pour avoir cumulé une carrière de chanteur et une carrière
dans la police

La déontologie administrative, renvoyant à l’idée « d’une morale administrative », est devenue au fil
des années une règle de principe pour les pouvoirs publics soucieux de donner une image transparente
de l’administration. Cette déontologie suppose un exercice personnel, continu et désintéressé de la
fonction publique. Ainsi, a pu être consacré le principe de l’interdiction du cumul d’une fonction
publique et d’une fonction privée lucrative. Dès 1926, le juge administratif a considéré qu’ « il
appartenait à l’administration de veiller à ce que les fonctionnaires s’acquittent correctement et
intégralement de leurs fonctions et notamment ne se livrent pas à des opérations commerciales » (CE
21 juill. 1926, Sieur Caroillon). Cette jurisprudence a conduit les pouvoirs publics à adopter un décret-
loi du 29 octobre 1936 qui consacre cette règle du non- cumul. Au surplus, afin d’accorder davantage
de rigueur à ce principe, le législateur est intervenu dans un article 25 septies de la loi du 13 juillet
1983, modifiée par l’article 7 de la loi n° 2016- 483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux
droits et obligations des fonctionnaires qui prévoit que « le fonctionnaire consacre l’intégralité de son
activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées. Il ne peut exercer, à titre professionnel, une
activité privée lucrative de quelque nature que ce soit », sous réserve de quelques exceptions. Parmi
ces exceptions, le V de l’article 7 précité prévoit que « la production des oeuvres de l’esprit, au sens
des articles L. 112- 1, L. 112- 2 et L. 112- 3 du Code de la propriété intellectuelle, s’exerce librement,
dans le respect des dispositions relatives au droit d’auteur des agents publics […]. ». En l’espèce,
Monsieur Martin est fonctionnaire de police, mais il fait, également, quelques « extras » pour arrondir
ses fi ns de mois en jouant de la musique dans une salle de concert qui le salarie régulièrement. Cette «
carrière parallèle » de chanteur fait qu’il cumule donc une activité privée lucrative et un emploi dans la
fonction publique. En principe, il n’est pas autorisé à pratiquer de telles activités. Or, il existe des
exceptions à ce principe d’interdiction, et notamment celle relative à la production d’« oeuvres de
l’esprit » qui permet aux fonctionnaires de recevoir des droits d’auteur afférents sans que l’on puisse
leur opposer les dispositions du statut général. Des « chansons folk » entonnées régulièrement dans un
bar peuvent- elles être considérées comme des oeuvres de l’esprit au sens du Code de la propriété
intellectuelle ? Si « les compositions musicales avec ou sans paroles » entrent assurément dans cette
catégorie en vertu de l’article L. 112- 2 du Code de la propriété intellectuelle, l’interprétation de ces
compositions ne semble, en revanche, pas être considérée comme telle. Elle s’apparente à une pure
activité commerciale. En conséquence, comme le craint Monsieur Martin, des poursuites disciplinaires
pourraient être engagées contre lui. Il s’expose dès lors à une sanction, dont le niveau de sévérité sera
apprécié par l’autorité disciplinaire en fonction du degré de gravité du manquement à l’obligation de
non- cumul. L’opportunité d’infliger une sanction disciplinaire n’est qu’une faculté ouverte à
l’administration. Sans préjudice, donc, de l’engagement de ces poursuites disciplinaires, la violation
des règles concernant le non- cumul d’activités donnera lieu au reversement des sommes qu’il a
perçues au titre de son activité de chanteur, par voie de retenue sur son traitement (CE 16 janv. 2006,
Schlienger, req. n° 272648).
III • Sur les moyens pour les commerçants d’obtenir la disparation de l’arrêté du 15 avril

La décision du maire d’interdire la circulation étant un règlement de police, elle constitue un acte
administratif unilatéral faisant grief, qui doit normalement être publié. Pour en obtenir la disparition,
les commerçants peuvent utiliser plusieurs voies de droit et invoquer plusieurs moyens de droit.

A • Sur les recours administratifs

En vertu de l’article L. 411- 2 du Code des relations entre le public et l’administration : « toute
décision administrative peut faire l’objet, dans le délai imparti pour l’introduction d’un recours
contentieux, d’un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai » . Le recours
hiérarchique, quant à lui, s’adresse au supérieur hiérarchique de l’auteur de la décision pour lui
demander de retirer ou d’abroger lui- même l’acte contesté ( voir question précédente). En l’espèce,
les commerçants pourraient donc demander par le biais d’un recours gracieux, qu’ils exerceraient
jusqu’au 16 juin, l’abrogation de la décision du maire. L’exercice d’un recours gracieux adressé à
Madame Dupont prorogera de deux mois l’exercice d’un éventuel recours contentieux. Quant au
recours hiérarchique, il est, en l’espèce, inenvisageable dans la mesure, on l’a dit, où les pouvoirs de
police générale du maire relèvent de son action en tant qu’autorité décentralisée. Sa compétence en la
matière est une compétence propre qui ne relève pas du conseil municipal (toute délibération de cette
assemblée relative à la police municipale est entachée d’incompétence). Dans cette hypothèse, le
préfet n’est pas le supérieur hiérarchique du maire, il ne peut donc pas lui- même annuler l’arrêté
municipal. En revanche, les commerçants peuvent demander au préfet du département dans le ressort
duquel la commune de Serpinette se situe de déférer l’arrêté municipal. En vertu de l’article L. 2131- 6
du Code général des collectivités territoriales : « le représentant de l’État dans le département défère
au tribunal administratif les actes […] qu’il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant
leur transmission ». Les arrêtés réglementaires de police municipale (à l’exception de ceux relatifs au
stationnement et à la circulation) sont obligatoirement transmis au préfet (art. L. 2131- 2 du CGCT).
Par ailleurs, l’exercice du déféré est une simple faculté pour le préfet (CE, sect., 25 janv. 1991,
Brasseur). En l’espèce, le règlement du maire concerne la circulation dans la commune, il n’a donc pas
à être obligatoirement transmis, et il n’est pas certain que le préfet accède à la demande des
commerçants. Le préfet peut, en outre, assortir son déféré d’une demande de suspension. En vertu de
l’article. L. 2131- 6 du Code général des collectivités territoriales : « […] le représentant de l’État peut
assortir son recours d’une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l’un des moyens
invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte
attaqué. Il est statué dans un délai d’un mois […]. Lorsque l’acte attaqué est de nature à compromettre
l’exercice d’une liberté publique ou individuelle, le président du tribunal administratif ou le magistrat
délégué à cet effet en prononce la suspension dans les quarante- huit heures. La décision relative à la
suspension est susceptible d’appel devant le Conseil d’État dans la quinzaine de la notification. En ce
cas, le président de la section du contentieux du Conseil d’État ou un conseiller d’État délégué à cet
effet statue dans un délai de quarante- huit heures ». En l’espèce, pour que le juge des référés accepte
de prononcer la suspension de la décision, le préfet devra prouver, d’une part, la condition d’urgence,
ce qui ne pose pas de problème ici, et, d’autre part, un moyen propre à créer un doute sérieux quant à
la légalité de la décision, ce qui est vraisemblable, même si nous pourrions en discuter ( voir infra : «
C. Sur les moyens invocables à l’appui de leur recours » ).

B • Sur le recours pour excès de pouvoir


1 • Sur la juridiction compétente

En vertu de la décision Conseil de la concurrence, rendue par le Conseil constitutionnel en 1987, le


juge administratif est seul compétent pour connaître des demandes d’annulation visant les décisions
prises dans l’exercice de prérogatives de puissance publique par les autorités exerçant le pouvoir
exécutif ou les collectivités locales. L’arrêté de police du 15 avril est une décision prise par la maire de
Serpinette agissant au nom de la commune qui est une collectivité locale en vertu de l’article 72 de la
Constitution. La décision produit des effets de droit unilatéralement, ce qui constitue une prérogative
de puissance publique. Le recours en annulation des commerçants devra donc être présenté devant le
tribunal administratif dans le ressort duquel la décision a été prise ( art. R. 312- 1 CJA), c’est- à- dire
le tribunal dont dépend la commune de Serpinette.

2 • Sur la recevabilité du recours pour excès de pouvoir

Relativement aux conditions de recevabilité tenant à l’acte : l’arrêté de police est un acte réglementaire
qui produit unilatéralement des effets de droit. Relativement aux conditions de recevabilité tenant au
requérant : les commerçants subissent un manque à gagner, et sont, donc, à ce titre, lésés
économiquement par la décision, ils disposent d’un intérêt à agir. Ils pourront, selon les dispositions de
l’article R. 421- 1 du Code de justice administrative, saisir le juge de l’excès de pouvoir jusqu’au 16
juin, ou deux mois plus tard, s’ils ont exercé un recours gracieux ou formulé auprès du préfet une
demande de déféré, dont l’exercice proroge les délais de recours.

C • Sur les moyens invocables à l’appui de leurs recours

Qu’ils agissent spontanément par la voie d’un recours pour excès de pouvoir ou en provoquant un
déféré, les moyens invocables à l’appui des recours des commerçants (CE, sect., 20 févr. 1953, Société
Intercopie) peuvent être des moyens de légalité interne ou des moyens de légalité externe ( voir
réponse à la question I.B.). Les vices de légalité externe sont au nombre de trois : l’incompétence, les
vices de forme et de procédure. En l’espèce, la maire de Serpinette a exercé son pouvoir de police
administrative dans les limites de son territoire, elle tient de l’article L. 2213- 1 du CGCT des pouvoirs
pour réglementer la circulation. Le vice d’incompétence n’est donc pas constitué. Il ne semble pas y
avoir non plus de diffi culté en l’espèce, à propos d’un vice de forme, car l’énoncé précise que
Madame Dupond a bien publié son arrêté. L’énoncé est, enfin, muet sur un éventuel vice de procédure,
mais on postulera qu’en matière de police aucune procédure particulière ne vient contraindre
l’adoption par le maire d’un arrêté. Dès lors, aucun vice de légalité externe ne semble pouvoir être
invoqué à l’appui des recours des commerçants contre l’arrêté. Les vices de légalité interne sont
nombreux : Le détournement de pouvoir consiste pour l’administration à utiliser un pouvoir régulier à
des fi ns étrangères de celles pour lesquelles il lui a été conféré (CE 26 nov. 1875, Pariset). L’erreur de
droit consiste pour l’autorité administrative à mettre en oeuvre une norme inapplicable, voire
inexistante, ou une réglementation illégale. Quant à l’erreur de faits, elle découle d’une appréciation
inexacte des faits sur lesquels se fonde la décision. Aucun de ces trois vices ne semble, en l’espèce,
constitué. Enfin, la violation de la « loi » , qui s’entend au sens large, sera reconnue lorsque les actes
des autorités administratives violent une des dispositions contenues dans le bloc de légalité, c’est-à-
dire : toutes les dispositions du bloc de constitutionnalité, les normes internationales et européennes
ainsi que les normes législatives, les principes généraux du droit, etc. En l’espèce, Madame Dupond
invoque une loi de 1976 qui, a priori, fonderait son arrêté en ce qu’elle autoriserait, selon elle, les
communes à interdire la circulation de toutes les voitures en ville au nom de la protection de
l’environnement. Les commerçants estiment, quant à eux, que la décision de Madame la Maire viole la
liberté d’aller et venir constitutionnellement et bon nombre de conventions internationales. Ils
soulèvent dès lors deux moyens distincts pouvant constituer une violation de la loi.

1 • Sur l’inconstitutionnalité

Ce moyen est à évoquer, ici, en premier puisque, saisi et d’une question de conventionnalité et d’une
question d’inconstitutionnalité, le juge est tenu de statuer prioritairement sur la question prioritaire de
constitutionnalité (loi organique n° 2009- 1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de
l’article 61- 1 de la Constitution). Depuis l’entrée en vigueur de l’article 61- 1 de la Constitution, toute
personne qui estime qu’une disposition législative porterait atteinte aux droits et libertés fondamentaux
garantis par la Constitution peut soulever, lors d’un procès, dans un écrit motivé et distinct de sa
requête initiale, une question prioritaire de constitutionnalité. Le juge ainsi saisi doit vérifier trois
conditions (Ord. n° 58- 1067 du 7 nov. 1958, art. 23- 2) avant de décider de la transmission de la
question à la juridiction suprême de son ordre juridictionnel dans les huit jours : la disposition
contestée est- elle applicable au litige ou à la procédure, ou constitue-t-elle le fondement des
poursuites ? A- t- elle déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif par
une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ? La question a- t- elle un
caractère nouveau et sérieux ? Une fois admis le caractère sérieux, nouveau et applicable au litige de la
question posée, le juge du fond est tenu de la transmettre au Conseil d’État, si le litige principal est
porté devant une juridiction administrative. La juridiction suprême dispose alors de trois mois pour
rendre sa décision et éventuellement transmettre la QPC au Conseil constitutionnel. Ce dernier doit
également statuer dans un délai de trois mois et répondre à la question de savoir si la disposition
législative dont il est saisi est bien conforme aux droits et libertés dont il est le gardien. S’il déclare la
disposition conforme, celle- ci conserve sa place dans l’ordre juridique. La juridiction ordinaire qui
avait sursis à statuer, en attendant la décision du Conseil, doit appliquer la loi conforme, sauf si elle la
considère incompatible avec une disposition d’un traité international ou avec le droit de l’Union
européenne. Si le Conseil prononce l’inconstitutionnalité de la disposition, celle- ci se trouvera
abrogée soit immédiatement, soit de manière différée afin de laisser le temps au législateur de prendre
de nouvelles dispositions en conformité avec la Constitution. Le juge ordinaire ne pourra donc plus
l’appliquer au litige. En l’espèce, aucun élément dans l’énoncé ne permet de se prononcer sur les
chances de succès de ce moyen. Mais en tout état de cause, la loi du 10 février 1987 pourra faire
l’objet d’une éventuelle discussion constitutionnelle au regard de la liberté d’aller et venir à laquelle le
Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle dans sa décision du 12 juillet 1979.

2 • Sur l’inconventionnalité

Après renvoi du Conseil constitutionnel qui n’aura éventuellement pas abrogé la loi, le juge saisi en
premier ressort peut lui- même statuer sur son inconventionnalité. En effet, depuis l’arrêt Nicolo de
1989, le juge administratif s’estime compétent pour écarter une disposition législative contraire à une
convention internationale. En l’espèce, les commerçants invoquent la violation par la loi de 1976 de «
bon nombre de conventions internationales ». Si l’argument est volontairement évasif, il n’en demeure
pas moins exact. La liberté d’aller et venir est consacrée par plusieurs instruments internationaux
régulièrement ratifiés par la France. Il s’agit, notamment, de l’article 5 de la Convention de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) ou encore l’article 2 du Protocole
additionnel du 16 septembre 1963 qui reconnaît la liberté de circulation et d’établissement. L’Union
européenne a, elle aussi, consacré à de multiples occasions la liberté d’aller et venir. Le principe de la
liberté de circulation est même la base de la construction du Marché commun puisqu’il a été posé dès
le Traité de Rome de 1957. En vertu de l’article 55 de la Constitution, les traités et accords
internationaux ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois. Il s’agira donc de
savoir si l’arrêté du maire contreviendrait à une convention internationale ; à la CEDH et au Traité de
Rome, notamment. En l’espèce, aucun élément dans l’énoncé ne permet d’en préjuger. Il reviendra
donc au tribunal administratif saisi d’en décider. S’il statue dans le sens de l’inconventionnalité, la loi
de 1976 sera écartée dans le présent litige. Si donc l’arrêté du maire est bien conforme à la loi de 1976,
comme l’affirme Madame Dupond, celle-ci devrait normalement faire écran au contrôle de
constitutionnalité de l’acte devant le tribunal administratif (CE 6 nov. 1936, Arrighi). En revanche,
une question prioritaire de constitutionnalité pourrait aboutir à la disparition de la loi et à l’annulation
postérieure par le juge du fond de l’arrêté de police sur le fondement de son inconstitutionnalité. Dans
le même sens, une fois la loi de 1976 déclarée inconventionnelle, l’arrêté pourrait s’avérer illégal au
regard du droit international et, il serait en conséquence, annulé par le juge administratif.

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