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LA VILLE INTELLIGENTE

Olivier Laporte
Ingénieur en environnement

La majorité des êtres humains vit d’ores et déjà dans les villes et celles-ci participent très
fortement aux atteintes de notre environnement dont l’intensité constitue une menace pour
le système terrestre. Dans ce contexte, la ville intelligente – la ville cybernétique gorgée
de TIC – peut apparaître à même de répondre à ces défis en réduisant les dommages de la
pollution dans les transports, en permettant une consommation énergétique beaucoup plus
sobre ou encore en économisant les ressources en eau. Olivier Laporte, s’il explique quels
sont les promesses et les bienfaits réels de la smart city, insiste cependant sur les limites
certaines qui sont les leurs, les TIC nécessitant une très forte ponction des ressources
naturelles. Loin de l’illusion technologique, seule une nouvelle écologie urbaine œuvrant

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pour un urbanisme « renaturé » – végétalisation des bâtiments, respect de l’environnement
biophysique… – pourra être à la hauteur des menaces.

6655
C. F.

Aujourd’hui, notre planète a dépassé les 7 mil- 9:16


services fournis par les écosystèmes(4) terrestres sont
.51.9
liards d’habitants et, pour la première fois dans d’ores et déjà dégradés.
l’histoire de l’humanité, plus de la moitié de la Or, l’accroissement de la concentration de la
population vit dans des villes(1). Demain, en 2050,
.206

population dans les villes et les métropoles va


70 % des êtres humains seront citadins(2). Les renforcer encore leur poids dans la production
:196

villes sont également les principaux moteurs de la de richesses et aggraver la consommation des
croissance de l’économie mondiale en produisant ressources de la planète, générant des pollutions
7281

plus de 80 % du PIB planétaire(3). de plus en plus insoutenables pour un écosystème


Corollairement, nous sommes entrés dans une déjà considérablement dégradé.
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nouvelle époque géologique, l’Anthropocène, le La transition urbaine paraît donc indisso-


météorologue et chimiste de l’atmosphère néerlandais ciable de la transition écologique. « Les villes
6:

Paul Josef Crutzen, prix Nobel, ayant popularisé ce étaient dépendantes de leur environnement.
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terme pour désigner une nouvelle période géologique C’est désormais l’environnement qui dépend
commencée il y a quelque deux cents ans avec la des villes », résume Julien Damon(5), celles-ci
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révolution industrielle et caractérisée par l’influence sont effectivement les premiers protagonistes
des activités humaines sur le système terrestre. Si nos des transformations planétaires car c’est à leur
ech:2

modes de consommation demeuraient sans change- niveau que peuvent se gérer les questions de
ment, ils conduiraient vers une extinction massive du mobilité, d’approvisionnement en eau, d’isolation
arrak

vivant. Des limites planétaires, considérées comme énergétique… Et face à l’impératif crucial que
essentielles à la résilience de notre planète, sont constitue la réponse aux défis environnementaux,
CG M

aujourd’hui franchies ou pulvérisées et 60 % des on retrouve les technologies de l’information et


de la communication (TIC) qui, depuis la fin du
siècle dernier, révolutionnent tous les aspects de
m:EN

l’activité humaine.
(1) ONU (2015), Objectifs du Millénaire pour le développement,
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vox.c

rapport 2015. (4) Millennium Ecosystem Assessment (2005), Ecosystems and


(2) OCDE (2012), Perspectives de l’environnement de l’OCDE Human Well-being: Synthesis.
à l’horizon 2050. (5) Damon J. (2011), « L’urbanisation mondiale en perspective
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(3) BIRD-Ida (2017), Développement urbain. Vue d’ensemble. positive », Études, tome 414, nº 6, p. 739-749.
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Les innovations technologiques qu’elles per- l’Union internationale des télécommunications


mettent auraient en effet la capacité de réguler, en (UIT) comme « l’infrastructure mondiale pour la
temps réel, le fonctionnement des réseaux urbains société de l’information, qui permet de disposer
(énergie, transport…) afin d’optimiser leur planifica- de services évolués en interconnectant des objets
tion et leur gestion. En octobre 2016, la Conférence (physiques ou virtuels) grâce aux technologies de
des Nations Unies sur le logement et le dévelop- l’information et de la communication interopérables
pement urbain durable Habitat 3(6) a rappelé à cet existantes ou en évolution ».
effet le « rôle majeur » de l’utilisation des TIC dans
le développement d’un urbanisme « durable » et le Trois modèles de ville intelligente
Secrétaire général Antonio Guterres a souligné, en Ludovic Viévard(9) distingue trois modèles de
juillet 2017, leur rôle « déterminant » pour accé- « ville intelligente » :
lérer la réalisation des objectifs de développement - la technocité, produite par les équipementiers et
durable d’ici l’horizon 2030. La ville intelligente, composée de capteurs permettant de monitorer, via
hyper-efficiente et hyperconnectée représente donc, un centre de contrôle, les différents flux urbains. Ces
pour la communauté internationale, une trajectoire villes nouvelles telles que Sondgo (Corée du Sud) ou
équilibrée de la durabilité urbaine. bien Masdar (Émirats Arabes Unis) ont été pensées
de manière ubiquitaire, avec une omniprésence de

6768
l’information produite par l’interaction entre ter-
Une ville cybernétique éco-logique minaux mobiles (smartphone, Ipad, etc.) et l’IdO;

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La ville intelligente apparaît comme le nouvel - la ville contributive construite par les usagers et
avatar de la ville cybernétique. L’intégration des les acteurs de l’économie collaborative. Les infras-

9:16
TIC aux différentes parties de chaque système de tructures numériques sont ouvertes, interopérables
gestion des flux urbains, permettrait ainsi de trai- et l’intelligence urbaine est produite de manière
.51.9
ter et de modéliser les données collectées afin de horizontale entre les utilisateurs qui partagent les
les transformer en connaissances et résultats réels données. On peut citer, à tire d’exemple, le projet
.206

susceptibles d’améliorer les fonctions de la ville. ISPEX(10) lancé aux Pays-Bas en 2013 qui a permis,
La ville intelligente, composée de flux et de circuits grâce à des capteurs implémentés sur les smartphones
:196

entrelacés dans des réseaux complexes, serait éco- des utilisateurs, de déployer un maillage de mesure de
logique et réussirait par conséquent à rétablir le la qualité de l’air beaucoup plus dense et fin dans ses
7281

système urbain en corrigeant ses gabegies et autres analyses que le réseau de stations utilisé jusqu’alors;
déséquilibres internes à la manière d’un véritable - l’e-cité qui confère « à l’institution publique
8886

écosystème capable de s’autoréguler. le rôle moteur de l’organisation de l’outil numé-


Philippe Baudoin(7), consultant à l’Idate, think rique au profit d’une « gouvernance intelligente »
6:

de la ville. Dans cette conception, le numérique


0076

tank spécialisé dans l’économie numérique, décrit


l’architecture de la ville intelligente selon trois est conçu comme un outil au service de la gestion
urbaine, voire de la production de la ville, en asso-
1105

niveaux : la base, composée des infrastructures


numériques et des équipements de la ville, connec- ciant acteurs publics et habitants ». En France, la
loi pour une République numérique du 7 octobre
ech:2

tée au second niveau, le niveau informationnel (big


data, connectivité, sécurité), la couche supérieure 2016 oblige les administrations de l’État, les col-
étant celle des services et applications pour les lectivités locales, les établissements publics et les
arrak

citoyens et les gestionnaires de la ville. organismes privés chargés d’un service public
Cette « Datapolis(8) » s’appuie sur un déploiement à ouvrir leurs données. Ainsi la RATP a mis à
CG M

généralisé de l’Internet des objets (IdO) défini par disposition, depuis janvier 2017, ses données en
temps réel afin de développer son offre de services.
m:EN

(6) Habitat III (2015), Villes intelligentes, document de travail,


New York, 31 mai.
o
vox.c

(7) GFII.IDATE (2014), Panorama des Smart Cities et des villes


du futur/Université d’été. (9) Vievard L. (2014), /DYLOOHLQWHOOLJHQWH PRGqOHVHW¿QDOLWpV,
(8) Pisani F. (2015), « Voyage dans les villes intelligentes : entre Lyon, FRV100.
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datapolis et participolis », © Netexplo, mars. (10) http://ispex-eu.org/


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Une réduction de la pollution dans les


transports…
Du reste, c’est certainement dans le domaine des
transports que les effets positifs sont les plus atten-
dus. En effet, l’impact environnemental des villes
est considérable dans l’optique du changement cli-
matique. Au niveau mondial elles sont responsables
de 70 % des émissions mondiales de gaz à effet de
serre (GES) et des deux tiers de la consommation
d’énergie(11). Selon la Banque mondiale, le secteur
des transports dans les villes représentera d’ici
2050 au moins un tiers des émissions de GES(12).
En France, ce secteur représente à lui seul 33 % de
la consommation d’énergie finale en 2015 contre
20 % en 1973(13). Il est également le principal
émetteur de C02, avec 39 % des émissions totales
de GES(14). Et la pollution atmosphérique provo-

6768
quée par les particules fines est associée à plus de
450 000 décès prématurés rien qu’en Europe (15).

6655
Globalement, trois dimensions sont utilisées
pour appréhender le transport et la mobilité intel-
ligente d’une ville :
9:16
- l’amélioration des flux logistiques pour assurer
.51.9

une plus grande efficacité des entreprises par une


connaissance approfondie du réseau ; a attiré 40 000 nouveaux usagers vers les trans-
.206

- la mise à disposition d’informations numé- ports publics(16).


riques en temps réel aux usagers afin de fluidifier
:196

leurs déplacements, lisser le trafic et optimiser le … dans la consommation de l’énergie


ou celle de l’eau
7281

stationnement ;
- l’aide au développement de modes de dépla- D’autres exemples de performance envi-
ronnementale liée à l’intégration des TIC sont
8886

cement collaboratifs ou alternatifs de manière à


faire reculer l’autosolisme, c’est-à-dire l’utilisation aujourd’hui opérationnels.
6:

par une personne seule d’un véhicule. Concernant l’énergie, le principe du « smart
0076

On peut citer le cas de Stockholm en Suède grid » (ou réseau de distribution d’électricité
qui, avec son système intelligent de paiement « intelligent ») utilise les TIC de manière à
1105

multimodal unique, d’information du trafic en optimiser l’ensemble des mailles du réseau


temps réel et de péage dynamique modulant d’électricité afin d’améliorer l’efficacité
ech:2

les tarifs en fonction des horaires de passage énergétique de l’ensemble, la pierre angulaire
et du type de véhicule, a réduit les temps de étant le déploiement de compteurs communicants
(smart metering) – capables de mesurer de manière
arrak

déplacement de près de 50 % dans toute la ville,


les bouchons de 25 %, la pollution de 12 % et détaillée et précise, et éventuellement en temps réel,
la consommation – tels que le Linky en France.
CG M

Plusieurs projets ont été lancés dans l’Hexagone


(11) Busch R. ( 2011), « Les-villes sont responsables de 70 % (Green Lys à Lyon et Grenoble, Nice Grid à Nice,
m:EN

des émissions de gaz à effet de serre », Le Monde, 29 novembre. Issygrid à Issy-les-Moulineaux) dans la perspec-
(12) Banque mondiale (2016), Transformer les transports :
l’heure est à l’action, 5 mai.
tive d’une meilleure régulation de l’offre et de la
o

(13) MEEM (2016), Chiffres clés de l’énergie.


demande.
vox.c

(14) Ibid.
(15) European Environment Agency (2016), Air quality in Eu- (16) The City Stockholm Administration (2012), Urban Mobi-
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rope, report. lity Strategy.


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DOSSIER - LA VILLE INTELLIGENTE

Il en va de même pour la gestion de l’eau, res- Le mirage du miracle technologique


source naturelle précieuse mais très gaspillée, moins
de la moitié de l’eau potable fournie dans le monde Pour déterminer concrètement toutes les consé-
étant réellement utilisée du fait des fuites et des quences environnementales des TIC, la méthode
détournements. Or plus les villes grandissent, plus de l’analyse de cycle de vie, qui prend en consi-
leur besoin en eau augmente. Les TIC peuvent jouer dération l’ensemble du cycle de vie « du berceau
un rôle central dans l’amélioration de l’efficacité de à la tombe » (extraction, fabrication, distribution,
sa distribution, de sa gestion partagée ainsi que de utilisation, valorisation/élimination), permet d’éva-
son attribution. Les capteurs révolutionnent égale- luer de manière rigoureuse les impacts potentiels
ment l’agriculture en fournissant des informations de l’ensemble de l’écosystème des TIC (matière,
détaillées sur la qualité de l’air, l’humidité des sols et produit, procédé, logiciel, service).
la température afin d’optimiser les calendriers d’irri-
Une industrie pas si « green »
gation. Mais l’eau constitue également un risque,
sanitaire en cas de pollution ou bien naturel en cas Selon Françoise Berthoud(20), ingénieure au
d’inondation et de submersion (d’ici à 2070, la popu- CNRS, l’industrie des TIC est de loin « la plus
lation exposée aux inondations côtières pourrait être gourmande en ressources par unité de production ».
multipliée par plus de trois, passant de 40 millions Le silicium, par exemple, matériau emblématique

6768
à 150 millions de personnes(17)). Les Pays-Bas, où de l’industrie électronique, consomme 160 fois
70 % des biens sont produits sous le niveau de la plus d’énergie pour une production de qualité

6655
mer, édifient aujourd’hui des digues « intelligentes » électronique que dans sa forme basique.
capables de surveiller les changements soudains du D’autre part, la tendance globale à la baisse
9:16
niveau des eaux et réagir en conséquence(18). des concentrations de métaux dans le minerai fait
Les TIC peuvent aussi fournir des moyens de exploser la consommation énergétique. Philippe
.51.9

diffusion visant à toucher le plus grand public pos- Bihouix prend ainsi l’exemple du cuivre, essentiel
sible pour favoriser l’émergence de pratiques plus dans le secteur électrique et électronique, pour
.206

responsables et plus durables. Le télérelèvement des lequel il fallait extraire 55 tonnes de minerai pour
consommations d’eau permet aussi la mise en place en obtenir une tonne en 1930, alors qu’il faut
:196

de politiques tarifaires dissuasives (ou incitatives) aujourd’hui en extraire plus du double pour le
même résultat. Quantitativement, notre demande
7281

pour lutter contre les situations de stress hydrique


auxquelles sont confrontés les territoires. en différents métaux nécessaires aux industries de
hautes technologies a plus que triplé en l’espace
8886

Mais si nous utilisons parfois un vocabulaire


métaphorique pour parler de l’univers dématé- de vingt à trente ans. Qualitativement, le dévelop-
pement de ces industries a également contribué
6:

rialisé du numérique (nous « surfons » dans des


0076

« nuages » !), il faut néanmoins considérer concrè- à augmenter de manière significative la sollicita-
tement les effets négatifs de l’industrie des TIC tion des métaux : d’une dizaine de métaux dans
les années 1980, ce sont plus de soixante qui
1105

sur l’environnement.
étaient mis à contribution en 2010. La plupart
La philosophe Simone Weil n’écrivait-elle pas des minerais utilisés par les TIC sont considérés
ech:2

que « plus le niveau de la technique est élevé, plus aujourd’hui comme « critiques » du fait de leur
les avantages que peuvent apporter des progrès épuisement et des risques stratégiques de rupture
arrak

nouveaux diminuent par rapport aux inconvé- d’approvisionnement(21).


nients » ?(19) Et ceux-ci, dans le domaine des TIC,
Concernant la phase d’extraction, des ana-
CG M

n’ont rien de virtuels.


lyses de sols à proximité de plusieurs mines en
Chine ont mis en évidence une pollution sérieuse
m:EN

(17) OCDE (2007), « Selon l’OCDE, le changement climatique aux métaux lourds avec des moyennes calculées
pourrait multiplier par trois la population exposée à un risque
d’inondations côtières d’ici 2070 », communiqué de presse du 4
o

(20) Groupe EcoInfo (2012), Les impacts écologiques des tech-


vox.c

décembre. nologies de l’information et de la communication, EDP Sciences.


(18) https://www.hollandtradeandinvest.com/feature-stories/ (21) Guillebon (de) B. et Bihouix Ph. (2010), Quel futur pour
hollands-high-tech-flood-protection OHV PpWDX[ "  5DUpIDFWLRQ GHV PpWDX[  XQ QRXYHDX Gp¿ SRXU OD
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(19) Weil S. (1955), Oppression et liberté, Paris, Gallimard. société. EDP Sciences.
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entre cinq et vingt fois supérieures aux valeurs Graphique. Taille annuelle
« normales ». On assiste aussi à une destruction de la « datasphere » mondiale
sévère de la végétation ainsi qu’à une érosion des
180
sols cinquante fois plus forte que sous un couvert
160
végétal(22). 140
Les rivières sont également polluées, ainsi que 120
les légumes produits sur place du fait du grand

Zettabits
100
nombre d’opérations de purification nécessaires 80
qui rejettent des effluents souillés contenant des 60
métaux lourds (plomb, mercure, cadmium). 40
20
Sur le plan sanitaire, l’extraction et la fabrica- 0
tion des produits électroniques intoxiquent ceux qui

20 0
11

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13

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1

2
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20

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20

20

20
y travaillent, et en particulier les enfants employés
souvent très jeunes dans les mines. La ville de
Baotou, en Mongolie Intérieure, plus grand site Données créées
chinois de production de matériaux stratégiques,
Source : IDC’s Data Age 2025 study,
est surnommée le « village du cancer ».

6768
sponsored by Seagate, April 2017

L’urgence climatique

6655
et que le poids des données transférées annuel-
Selon le rapport Clicking Clean publié en jan-
lement atteindra les 40 000 milliards de Go. D’ici
vier 2017 par Greenpeace, le secteur informatique
9:16
2025, une personne connectée sera quotidien-
représenterait à lui seul aujourd’hui environ 7 %
nement en interaction avec des capteurs au moins
de la consommation mondiale d’électricité(23). En
.51.9
4 800 fois par jour, soit une transmission de don-
France, la consommation énergétique liée aux TIC
nées toutes les 18 secondes(27) !
atteignait 13,5 % en 2008 et ce chiffre serait en
.206

évolution constante(24). À cela s’ajoutent les technologies de transmis-


sion des opérateurs de réseau elles aussi de plus
:196

Notre vie numérique n’est pas sans incidence


en plus consommatrices (la 4G nécessite 23 fois
sur le plan énergétique. L’envoi de 33 courriels de
7281

plus d’énergie qu’une connexion ADSL(28)) vers


1 Mo à deux destinataires par jour et par personne
des serveurs (Data Centers) dont le nombre de
génère annuellement des émissions équivalentes à
cesse de croître : en augmentation de plus de 25 %
8886

180 kg de CO2, ce qui équivaut à plus de 1000 km


de 2013 à 2016, il dépasse désormais les 4 000,
parcourus en voiture(25). Et le volume des données
dont 1 600 pour les seuls États-Unis(29).
6:

échangées croît exponentiellement. En 2025, le


0076

volume de données mondiales produites pourrait Ces Data Centers, véritables clés de voûte du
atteindre 163 zettabits, soit 20 375 milliards de système numérique, regroupent l’ensemble des
1105

giga octets(26). C’est dix fois la quantité générée installations (serveurs, baies de stockage…) au sein
en 2016. desquelles les données informatiques sont stockées,
ech:2

traitées et exploitées. Fonctionnant sans jamais


La ville intelligente hyperconnectée ne va pas
aucune interruption, leur objectif est d’assurer
endiguer ce flux de données. Le cabinet de conseil
la disponibilité permanente des données, même
arrak

spécialisé IDC prévoit qu’en 2020, 212 milliards


lorsqu’elles ne sont consultées que ponctuellement,
d’objets connectés seront en activité dans le monde
tout en garantissant un haut niveau de sécurité.
CG M

Leur consommation énergétique tient moins au


(22) Groupe EcoInfo (2012), op. cit. stockage qu’au surdimensionnement des systèmes
m:EN

(23) Greenpeace (2017), Clicking clean : who is winning the de refroidissement de leurs installations. En France,
race to build a green internet ?
(24) ADEME (2017), « Les technologies de l’information et de
o

la communication-TIC », 27 mars.
vox.c

(27) IDC (2014), « The Digital Universe of Opportunities », avril.


(25) ADEME (2014), Internet, courriels : réduire les impacts, février. (28) http://www.cs.columbia.edu/~lierranli/coms6998-
(26) Reinsel D., Gantz J., Rydning J. ( 2017), Data Age 2025 : 7Spring2014/papers/rrclte_mobisys2012.pdf
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The Evolution of Data to Live Critical, IDC, mars. (29) http://www.datacenter9.com/datacenters


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DOSSIER - LA VILLE INTELLIGENTE

l’entreprise RTE – réseau transport d’électricité - l’obsolescence technique ou fonctionnelle


– estime que les Data Centers consomment entre qui vise à rendre le coût de la réparation proche
7 et 10 % de la production électrique nationale. du coût de remplacement, à arrêter la mise à
L’empreinte énergétique du réseau risque ainsi disposition de pièces détachées, à ne plus propo-
d’être encore plus importante, du fait notamment de ser de maintenance, voire dans les cas extrêmes
l’augmentation de notre consommation personnelle à concevoir des produits non réparables. Sur
de données et du nombre d’utilisateurs d’Internet quarante modèles de smartphones évalués par
à l’échelle mondiale, qui devrait passer de trois iFixit et Greenpeace East Asia, près de 70 %
milliards aujourd’hui à plus de quatre milliards avaient ainsi des batteries soudées, collées, ou
d’ici à la fin de la décennie(30). très difficiles à remplacer ;
Sur le plan des émissions des GES, globale- - l’obsolescence indirecte qui survient lorsque
ment, les TIC en produiront d’ici 2020 autant que des composants nécessaires au fonctionnement du
l’aviation(31). Si des géants de l’Internet se tournent produit ne sont plus disponibles sur le marché ou
aujourd’hui vers les énergies renouvelables (Apple, deviennent économiquement trop coûteux par rap-
Google), les autres acteurs du Web basés aux États- port au remplacement de l’appareil. Ainsi Google en
Unis (plus de 40 % des Data Centers répertoriés) annonçant en 2016 que son système d’exploitation
dépendent d’une production électrique dont plus de « Gingerbread » ne serait plus mis à jour, a « rac-

6768
la moitié est alimentée par des centrales au charbon courci » la vie d’environ une centaine de millions
responsables de plus de 50 % des émissions de gaz de smartphones et de tablettes(35) ;

6655
à effet de serre. La Globale Sustainability Initiative - l’obsolescence notifiée qui intervient avec
(GeSI) – qui regroupe un certain nombre d’entreprises certains équipements qui avertissent l’utilisateur
9:16
et d’associations professionnelles du secteur des TIC de l’imminence d’une panne ou de la nécessité
et diverses organisations non gouvernementales – d’une maintenance. C’est le cas, par exemple,
.51.9

souligne, de son côté, que, si rien n’est accompli, des imprimantes auxquelles on a implanté une
les émissions de GES imputables au secteur des TIC puce électronique pour les bloquer alors que la
.206

augmenteront de 0,53 milliard de tonnes d’équivalent cartouche n’est pas vide ;


CO2 en 2002 à 1,43 milliard en 2020(32). - l’obsolescence par incompatibilité qui soulève
:196

le problème de l’interopérabilité de l’IdO et de


Les DEEE, l’enfer de l’économie circulaire son absence de standardisation ;
7281

En 2015, le Programme pour l’Environnement - l’obsolescence psychologique ou esthétique


des Nations Unies (UNEP) rappelait que les planifiée par le marketing et la publicité qui doit
8886

DEEE (déchets d’équipements électriques et susciter continuellement le désir (et la frustration !)


électroniques) étaient désormais la principale chez le consommateur.
6:

source de déchet dans le monde et également


0076

Le volume mondial de déchets électriques et


ceux dont la quantité augmentait le plus vite(33). électroniques devrait atteindre, selon le PNUE,
Le volume considérable de DEEE émis est lié, en
1105

50 millions de tonnes de DEEE en 2018(36). Or, le


partie, à leur obsolescence programmée. Françoise recyclage ne suit pas. Rien qu’en France, sur les
Berthoud relie cette obsolescence à plusieurs
ech:2

23 kg de DEEE produits annuellement par chaque


causes(34) : français, seuls 43 % sont transférés vers une filière
agréée avec un taux de réemploi ne dépassant pas
arrak

actuellement les 2 %(37).


CG M

(30) Ibid.
(31) Flipo F. (2013), Dobré M., Michot M., La face cachée du
m:EN

numérique. L’impact environnemental des nouvelles technologies, (35) ZDNet (2017), « Chiffres clés : les OS pour smartphones »,
0RQWUHXLOFROO/¶eFKDSSpHFROO© 3RXUHQ¿QLUDYHF ª 30 août.
(32) http://gesi.org/ (36) UNRIC (2017), « Des solutions innovantes pour lutter
o
vox.c

(33) UNEP (2015), Waste Crime – Waste Risks : Gaps in Meet- contre les e-déchets sont en train d’émerger », 2 août.
ing the Global Waste Challenge. A Rapid Response Assessment. (37) Les Amis de la Terre France (2016), Les dessous du re-
(34) Les impacts écologiques des technologies de l’information F\FODJH   DQV GH VXLYL GH OD ¿OLqUH GHV GpFKHWV pOHFWULTXHV HW
r
chola

et de la communication, op. cit. électroniques en France, décembre.


nal.s

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Pourtant ces déchets ont une valeur. Ainsi, les avec son environnement naturel, si fortement
42 millions de tonnes de déchets produits mon- dégradée déjà et dont elle a tant besoin.
dialement en 2014 contenaient, selon le PNUE, C’est ce système-Terre, et les services éco-
16,5 millions de tonnes de fer, 1,9 million de tonnes systémiques associés, qu’il faut préserver, la vie
de cuivre, 300 tonnes d’or (soit 11 % de la produc- soutenant les conditions du vivant. Et ce n’est sans
tion mondiale en 2013) ainsi que de l’argent, de doute pas un hasard si cette nouvelle écologie
l’aluminium, du palladium et différents plastiques urbaine s’incarne aujourd’hui dans une Chine très
réutilisables(38). affectée par les dégradations de l’environnement,
Comme il est très complexe (et coûteux) de au moyen d’un projet de ville-forêt à Linzhou, dans
recycler ce « minerai urbain » dans le respect la province du Guangxi, avec des bâtiments végé-
des normes environnementales et sanitaires en talisés pour l’isolation thermique et phonique, avec
vigueur dans les pays développés, les DEEE sont la plantation de plus de 40 000 arbres pour lutter
exportés dans les pays où la « main-d’œuvre » contre les îlots de chaleur et filtrer l’air et l’eau,
est bon marché et les conditions de retraitement et un million de plantes d’une centaine d’espèces
précaires. Alors que la convention de Bâle interdit différentes pour procurer santé et aménité aux
leur exportation en Europe, la Commission euro- populations et préserver les espèces(42).
péenne estime qu’au moins 2 millions de tonnes de L’urbanisme du XXIe siècle doit être « rena-

6768
DEEE quittent chaque année illégalement l’Europe turé » afin de construire une « autre relation du
pour la Chine et l’Afrique, véritables « poubelles citadin avec son environnement biophysique »,

6655
électroniques » de notre planète(39). exhortait Philippe Clergeau(43), car, sans cette
approche biodiversitaire et biomimétique, la « ville
9:16
●●●
intelligente », plus profitable que durable, ne ferait
Si la ville intelligente peut répondre à un besoin
.51.9
que « participer à la même logique capitaliste qui
de performance en améliorant les capacités de perpétue la croissance économique en fournissant
détection et de pilotage de la gouvernance urbaine, de nouveaux marchés aux plus grands groupes
.206

elle semble à l’opposé de l’urgence de durabilité privés(44) ».


:196

de notre siècle. Rien n’est plus dommageable, Comme l’expliquait Albert Einstein, « les
écrivait Philippe Delmas, que « la combinaison problèmes ne peuvent pas être résolus au même
7281

des technologies modernes avec les modes anciens niveau de pensée qui les a créés ». Le logiciel de
de gestion des hommes(40). » l’homo faber prométhéen est désormais obsolète
8886

Cette ville intelligente est en effet économique- car l’enjeu n’est même plus de « Faire mieux avec
ment insoutenable car son substrat technologique moins » mais de « vivre mieux » tout simplement.
6:

est fondé sur une industrie extractiviste qui épuise Sinon cette « ville intelligente » ne sera finalement
0076

les ressources énergétiques, naturelles et miné- qu’une utopie urbaine phantasmée et marchandisée,
rales. Elle est inéquitable socialement car elle telle une « ville-Sisyphe » condamnée à toujours
1105

creuse un fossé entre des cités riches privilé- perpétuer le même scénario. De plus, contrairement
giées en compétition entre elles et le reste des au fils d’Éole, nous ne disposons pas de l’éternité.
ech:2

êtres humains qui, pour 3 milliards d’entre eux,


habiteront dans des bidonvilles d’ici 2050 (41).
arrak

Elle est enfin archaïque écologiquement car en


privilégiant la régulation technologique de l’éco-
CG M

système urbain, elle affaiblit la relation de la Cité

(38) UNEP (2015), op. cit.


m:EN

(39) EFFACE (2015), Illegal shipment of e-waste from the EU A


case studyon illegal e-wasteexport from the EU to China. (42) Courrier international (2017), « La construction de la pre-
mière ville forêt au monde commence en Chine », 13 juillet.
o

(40) Muller P. et Delmas P. (1991), « Le maître des horloges.


vox.c

Modernité de l’action publique », in Politiques et management (43) Clergeau Ph. (2007), Une écologie du paysage urbain,
public, vol. 11, n° 3. Rennes, Apogée.
(41) ONU (2014), World Urbanization Prospects, Department (44) Douay N. et Henriot C. (2016), « La Chine à l’heure des villes
r
chola

of Economic and Social Affairs Population Division. intelligentes », L’Information géographique, vol. 80, no 3, p. 89-102.
nal.s

CAHIERS FRANÇAIS N° 401 41


natio
ÉCOLOGIE
ET TRANSPORTS :
DE LA CONFRONTATION
À LA CONCILIATION ?
Yves Crozet
Professeur à Sciences-Po Lyon
et chercheur au Laboratoire Aménagement Économie Transports (LAET)

Si le secteur des transports est sans doute l’un des premiers à avoir suscité une prise de

6768
conscience écologique et fait l’objet de mesures en vue de limiter ses impacts sur l’envi-
ronnement et la santé, beaucoup reste à faire. Dans cet article, Yves Crozet nous indique,

6655
après avoir analysé les effets externes négatifs de ce secteur, les méthodes utilisées pour
en évaluer les coûts ainsi que les différents procédés d’internalisation (règlementation,
9:16
subventions, taxation, permis négociables) dont disposent les pouvoirs publics pour tenter de
.51.9
réduire ces impacts négatifs. Puis il expose – tant en matière d’émissions de polluants que
de gaz à effet de serre – les résultats obtenus par les politiques publiques mises en place
.206

pour amorcer la transition écologique et propose des pistes pour en améliorer les résultats.
:196

C. F.
7281
8886

En France, le ministère de l’Écologie a été modes d’internalisation – utiles à l’élaboration


créé en 1971, bien longtemps après le ministère de politiques publiques (sur les externalités et
6:

des Transports (1916) ou son prédécesseur, le l’internalisation, voir encadré). La seconde par-
0076

ministère des Travaux publics (1830). Pourtant, en tie montre comment, sur cette base, les pouvoirs
mai 2007, lorsque ces entités ont été fusionnées, publics s’efforcent, avec plus ou moins de bon-
1105

l’ensemble a pris le nom de ministère de l’Écologie, heur, de donner un contenu concret à la transition
du Développement et de l’Aménagement durables. écologique.
ech:2

Mais cela ne signifiait pas que transports et écologie


marchaient de concert. Le Grenelle de l’environne- Transport et environnement :
arrak

ment, lancé à la même période, visait au contraire la médiation de l’économie


à organiser, sinon une mise au pas des transports,
CG M

du moins une transition vers des mobilités plus Écologie et économie sont de proches parentes.
respectueuses de l’environnement. La première est formée par l’association de deux
mots grecs, oikos (maison) et logos (discours).
m:EN

Le défi était de taille, et il le demeure. Nous La seconde (oikonomia) a la même origine. Elle
verrons toutefois, dans une première partie, que évoque l’administration du foyer. Contrairement
o

l’économie peut contribuer à le relever, en four-


vox.c

aux idées reçues, qui tendent à opposer écologie


nissant des méthodes d’analyse – notamment des et économie, nous allons montrer qu’elles peuvent
externalités – et des procédés d’intervention – les
r

« coopérer » car leur proximité n’est pas qu’éty-


chola
nal.s

42 CAHIERS FRANÇAIS N° 401


natio
DOSSIER - ÉCOLOGIE ET TRANSPORTS : DE LA CONFRONTATION À LA CONCILIATION ?

cation de nos programmes d’activités. Ils sont


EXTERNALITÉS ainsi à l’origine d’« externalités positives » (ou
ET INTERNALISATION « bénéfices externes »).
Les transports provoquant aussi bien des coûts que
En économie, on parle d’externalité lorsque l’activité des bénéfices externes, la tentation pourrait être alors
de consommation ou de production d’un agent écono-
mique (particulier ou entreprise) a une influence sur le
de considérer qu’il existe entre eux une compensation
bien-être d’un tiers, sans que cette interaction fasse l’ob- et que ces coûts et bénéfices s’annulent.
jet d’un payement dans le cas d’un effet externe posi- Cet apparent bon sens est cependant trompeur,
tif (dit « bénéfice externe » ou « externalité positive ») car les bénéfices et les coûts externes des transports
ou d’une compensation dans le cas d’un effet externe
négatif (dit « coût externe » ou « externalité négative »).
ne relèvent pas de la même catégorie. En effet :
La pollinisation par les abeilles des plantes ou arbres
- les bénéfices externes (qualifiés de pécu-
d’une exploitation voisine des ruches d’un apiculteur est niaires) résultent de facteurs déjà intégrés dans les
un exemple classique d’activité produisant des exter- prix du marché. Ils n’appellent donc pas d’inter-
nalités positives. vention particulière de la puissance publique ;
La pollution liée aux transports est un exemple d’ex- - en revanche, les coûts externes liés à la pol-
ternalité négative.
lution ou au bruit (qualifiés de technologiques)

6768
L’internalisation des effets externes négatifs consiste à
créer des mécanismes pour intégrer ces coûts dans les
résultent de facteurs qui ne sont pas intégrés dans
prix du marché ou les décisions économiques. les prix du marché. Les économistes estiment que

6655
seuls les coûts externes technologiques doivent
mologique. Ainsi, dans le domaine des transports, être internalisés, c’est-à-dire intégrés dans les
l’économie va donner un contenu aux ambitions 9:16
prix du transport.
de l’écologie.
.51.9
Pour cela, il est nécessaire de leur donner une
valeur monétaire. Mais comment faire ?
Les effets externes du transport :
.206

pécuniaires ou technologiques ? L’évaluation des coûts environnementaux :


coût des dommages et coût d’évitement
:196

Insécurité, pollution, bruit, effets de coupure


(par exemple, une voirie très fréquentée qui crée Cette nécessité de la monétarisation peut sur-
7281

une « barrière de trafic » difficilement franchis- prendre, mais elle est indispensable car il faut
sable), gaz à effet de serre… les impacts négatifs que les coûts environnementaux soient rendus
8886

des transports sont multiples tant sur la santé des mesurables et comparables aux autres paramètres
populations que sur la biodiversité ou le dérè- qui entrent en compte dans les processus de déci-
6:

glement climatique. Or ceux qui subissent ces sion privés ou publics. La question de l’insécurité
0076

nuisances ne reçoivent pas de compensation (ainsi routière est une bonne illustration de la nécessité
de donner une valeur à ce qui n’a pas de prix.
1105

des riverains d’un aéroport ou d’une autoroute qui


doivent faire réaliser des travaux d’isolation pho- Au début des années 1970, plus de 17 000 per-
ech:2

nique). Autrement dit, les transports suscitent des sonnes étaient tuées chaque année sur les routes de
« externalités négatives » (ou « coûts externes »). France (contre un peu moins de 3 500 en 2016),
arrak

Mais en tant que facteur de mobilité permettant alors que le trafic routier était 4 fois moins impor-
d’accéder à un lieu lui-même associé à une activité, tant qu’aujourd’hui. Or les morts et les blessés
CG M

les transports ont aussi des impacts positifs. C’est représentaient un coût pour la collectivité.
en effet cette association localisation/activité qui Les premières méthodes d’évaluation ont donc
donne leur sens aux divers déplacements : celui cherché à calculer ce coût des dommages en chif-
m:EN

de l’automobiliste qui utilise sa voiture pour aller frant les montants résultant non seulement des frais
au travail, celui du touriste qui prend l’avion pour d’hospitalisation mais aussi de la perte de richesse
o
vox.c

partir en vacances, etc. Lorsque baisse le prix du liée à l’arrêt de l’activité productive voire à la
carburant ou celui du billet d’avion, les transports perte de force de travail que représentait un décès.
r

permettent une diversification et une intensifi- Dès 1970, le ministère des Transports a ainsi pu
chola
nal.s

CAHIERS FRANÇAIS N° 401 43


natio
DOSSIER - ÉCOLOGIE ET TRANSPORTS : DE LA CONFRONTATION À LA CONCILIATION ?

faire apparaître dans son calcul économique une rons en tournant dans le sens des aiguilles d’une
valeur de la vie humaine (VVH), qualifiée aussi de montre, de la forme la plus élémentaire jusqu’à
« coût du mort ». L’expression est morbide mais la plus élaborée.
reflète bien le mécanisme d’internalisation qui lui
est associé. Le coût du mort (estimé, en 1970, à Figure. Les formes d’internalisation
240 000 francs par une circulaire de la direction des coûts externes des transports
des Routes du ministère de l’Équipement), repré-
Approche technique
sentait ce que la collectivité était prête à dépenser,
à l’époque, pour « racheter un mort à la fatalité ».
Un investissement de sécurité routière (rond-point,
Réglementation Subvention
feu tricolore, barrière de sécurité…) était donc
justifié s’il coûtait moins de 240 000 francs.
Aujourd’hui, au-delà de ce que coûte un blessé Quantités Prix
ou un mort à la collectivité, les méthodes d’éva-
luation cherchent à calculer ce que la collectivité Permis négociables Taxation
est prête à payer pour les empêcher – c’est ce

6768
qu’on appelle le « coût d’évitement », lequel est
estimé par des enquêtes dites de « préférences

6655
Approche économique
déclarées ». Concrètement, les personnes inter-
rogées répondent à des questionnaires où elles
9:16
Source : auteur.
indiquent ce qu’elles seraient prêtes à payer, en
plus des impôts ou des assurances déjà en place,
.51.9

pour réduire d’un certain pourcentage l’insécurité


.206

routière. On ne parle donc plus de valeur de la • La forme la plus simple et la plus évidente
vie humaine (VVH), correspondant au coût des d’internalisation est la réglementation, laquelle
:196

dommages, mais de valeur de la vie statistique peut aller jusqu’à l’interdiction pour des véhicules
(VVS), correspondant au coût d’évitement. La VVS dangereux. Il s’agit d’ici d’intervenir en amont de
7281

a été progressivement revalorisée. En 2014, elle l’action des acteurs économiques, par exemple en
était fixée à 3 millions d’euros, soit, par rapport imposant la ceinture de sécurité aux constructeurs
8886

à 1970, une multiplication par 82, beaucoup plus et aux utilisateurs, ou en instaurant un contrôle
que le PIB nominal (« seulement » multiplié par technique régulier des véhicules. Le domaine des
6:

17 durant la même période). transports est très réglementé : vitesse, permis de


0076

Ces chiffres élevés montrent que la collecti- conduire, code de la route, poids et longueur des
1105

vité donne une valeur de plus en plus grande à véhicules, etc.


la sécurité routière, tout comme aux autres coûts • Une deuxième méthode, plébiscitée, consiste à
ech:2

externes du transport, lesquels sont le plus souvent subventionner une activité censée réduire les coûts
évalués par leur coût d’évitement défini à partir externes du transport. C’est le cas des transports en
arrak

de préférences déclarées. commun en zone urbaine, car ils sont considérés


comme plus respectueux de l’environnement que
CG M

Réglementation, subvention, taxation… l’automobile. Mais le coût est parfois très élevé pour
Quelle internalisation ? les collectivités locales. Dans le même ordre d’idées,
Une fois qu’un coût externe est reconnu, les pour remplacer les voitures à moteur thermique
m:EN

formes d’internalisation varient. Elles sont au par des véhicules électriques, le prix à payer sous
nombre de quatre et combinent, comme le montre forme de subventions aux acheteurs est très élevé.
o
vox.c

la figure 1, les approches techniques ou écono- • La troisième méthode agit aussi sur les prix
miques d’une part, et les actions sur les prix ou mais vise au contraire à rapporter de l’argent à la
r

sur les quantités d’autre part. Nous les présente-


chola

collectivité. Elle est pour cela moins appréciée par


nal.s

44 CAHIERS FRANÇAIS N° 401


natio

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