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of Contents
1. Couverture
2. Titre
3. Du même auteur
4. Copyright
5. Sommaire
6. Introduction. Qu’est-ce que le fascisme ?
7. 1. Au commencement était le socialisme
1. La grande Italie révolutionnaire du Risorgimento
2. L’Italie trop petite du XIXe siècle
3. Sus à Giolitti !
4. La nation avant tout
5. Un socialisme déjà national
6. Mussolini, l’homme qui voulait changer l’Homme
7. La guerre pour la révolution
8. 2. A l’assaut !
1. L’aristocratie des tranchées
2. Le fascisme de San Sepolcro
3. Fiume, le laboratoire du socialisme national
4. Gourdins et huile de ricin
5. La fronde du squadrisme
9. 3. Octobre noir
1. Un parti pour la révolution
2. La crise finale de l’Etat libéral
3. Que faire ?
4. Rome ou la mort !
10. 4. La normalisation du fascisme
1. Le chef de bande est devenu Premier ministre
2. Une nouvelle loi électorale
3. La crise du PNF
4. Matteotti, un cadavre bien encombrant
5. Un fascisme sans Mussolini
6. Le virage
11. 5. L’Etat totalitaire pas à pas
1. La révolution institutionnelle
2. L’Etat plutôt que le parti
3. La normalisation du PNF
4. L’économie au service de l’Etat
5. La construction du totalitarisme est lancée
6. L’infiltration du monde intellectuel
7. La révolution au milieu du gué
12. 6. Le fascisme aux commandes
1. Rome vaut bien une messe
2. Le fascisme éducateur
3. Le troisième temps de la révolution est arrivé
4. Le PNF de Starace
5. La fougue révolutionnaire
6. Un César d’un nouveau type
7. La déroute de l’antifascisme
13. 7. La fascisation des Italiens
1. Remodeler l’homme
2. La romanité fasciste
3. L’ordre moral fasciste
4. Tous à la campagne !
5. L’art n’échappe pas au fascisme
6. Rome fascisée
7. Consensus et répressions
8. Les Italiens, fascistes ou mussoliniens ?
14. 8. La géopolitique du fascisme
1. De l’importance de la guerre
2. Une diplomatie convenable ?
3. Les pulsions révisionnistes du fascisme
4. L’équilibre selon Grandi
5. Le danger allemand revient
6. Les mirages de l’Orient
7. La guerre fasciste en Ethiopie
15. 9. Le nouvel élan totalitaire
1. Le vertige du consensus
2. Le fascisme combat en Espagne
3. L’Axe sur le cadavre de l’Espagne et de l’Autriche
4. Guerre aux bourgeois !
5. Le fascisme antisémite et raciste
6. Un pas vers la république fasciste
7. L’alliance avec l’Allemagne hitlérienne
16. 10. La guerre mondiale et révolutionnaire du fascisme
1. Vers l’inévitable guerre
2. Des Alpes à la Russie
3. Une guerre de civilisation
4. Le fragile Empire italien
5. Le régime en guerre
6. L’effondrement des fronts
7. La chute
17. 11. La république de Salò et le retour aux sources
1. Tel un château de cartes…
2. La main de l’Allemagne
3. La république fasciste et socialiste
4. A mort les traîtres !
5. La République sociale veut sa Vendée
6. L’écroulement final
18. Conclusion. Le fascisme est mort
19. Bibliographie
20. Notes
21. Index
Landmarks
1. Cover
Du même auteur

Les Divisions du pape. Le Vatican face aux dictatures, 1917-1989, Paris, Perrin,
2016.
Victor-Emmanuel III. Un roi face à Mussolini, Paris, Perrin, 2015. Traduit en
italien.
Le Front yougoslave pendant la Seconde Guerre mondiale. De la guerre de
l’Axe à la guerre froide, Saint-Cloud, Soteca, 2012.
Juin 1940. La guerre des Alpes. Enjeux et stratégies (avec Max Schiavon), Paris,
Economica, 2010.
La Serbie, du martyre à la victoire, 1914-1918, Saint-Cloud, 14-18 éditions,
2008.
La France et l’Italie dans les Balkans, 1914-1919. Le contentieux adriatique,
Paris, L’Harmattan, 2006. Prix du mémorial du front d’Orient.

© Perrin, un département d’Édi8, 2018

12, avenue d’Italie


75013 Paris
Tél. : 01 44 16 09 00
Fax : 01 44 16 09 01

ISBN : 978-2-262-07640-5

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Crédit couverture : Duce, reviens vite !, lithographie, 1934. Collection privée.


© FineArtImages/Leemage
Sommaire
Couverture

Titre

Du même auteur

Copyright
Introduction. Qu’est-ce que le fascisme ?

1. Au commencement était le socialisme


La grande Italie révolutionnaire du Risorgimento

L’Italie trop petite du XIXe siècle

Sus à Giolitti !
La nation avant tout

Un socialisme déjà national

Mussolini, l’homme qui voulait changer l’Homme

La guerre pour la révolution

2. A l’assaut !
L’aristocratie des tranchées

Le fascisme de San Sepolcro

Fiume, le laboratoire du socialisme national

Gourdins et huile de ricin

La fronde du squadrisme
3. Octobre noir
Un parti pour la révolution
La crise finale de l’Etat libéral

Que faire ?

Rome ou la mort !
4. La normalisation du fascisme
Le chef de bande est devenu Premier ministre

Une nouvelle loi électorale


La crise du PNF
Matteotti, un cadavre bien encombrant

Un fascisme sans Mussolini


Le virage

5. L’Etat totalitaire pas à pas

La révolution institutionnelle
L’Etat plutôt que le parti

La normalisation du PNF

L’économie au service de l’Etat


La construction du totalitarisme est lancée

L’infiltration du monde intellectuel

La révolution au milieu du gué


6. Le fascisme aux commandes
Rome vaut bien une messe

Le fascisme éducateur

Le troisième temps de la révolution est arrivé

Le PNF de Starace

La fougue révolutionnaire

Un César d’un nouveau type


La déroute de l’antifascisme

7. La fascisation des Italiens

Remodeler l’homme

La romanité fasciste
L’ordre moral fasciste
Tous à la campagne !

L’art n’échappe pas au fascisme

Rome fascisée
Consensus et répressions
Les Italiens, fascistes ou mussoliniens ?

8. La géopolitique du fascisme
De l’importance de la guerre
Une diplomatie convenable ?

Les pulsions révisionnistes du fascisme


L’équilibre selon Grandi

Le danger allemand revient

Les mirages de l’Orient


La guerre fasciste en Ethiopie

9. Le nouvel élan totalitaire

Le vertige du consensus
Le fascisme combat en Espagne

L’Axe sur le cadavre de l’Espagne et de l’Autriche

Guerre aux bourgeois !


Le fascisme antisémite et raciste
Un pas vers la république fasciste

L’alliance avec l’Allemagne hitlérienne

10. La guerre mondiale et révolutionnaire du fascisme

Vers l’inévitable guerre

Des Alpes à la Russie

Une guerre de civilisation


Le fragile Empire italien

Le régime en guerre

L’effondrement des fronts

La chute
11. La république de Salò et le retour aux sources
Tel un château de cartes…

La main de l’Allemagne

La république fasciste et socialiste


A mort les traîtres !
La République sociale veut sa Vendée

L’écroulement final
Conclusion. Le fascisme est mort
Bibliographie

Notes
Index
INTRODUCTION

Qu’est-ce que le fascisme ?

Cette question a hanté les contemporains et continue d’alimenter les


interrogations comme les recherches des historiens. Depuis son apparition en
1919, le fascisme entretient un impénétrable mystère sur sa véritable nature.
L’historiographie marxiste et ses héritiers ont imposé pendant des décennies, sur
ce problème comme sur bien d’autres, leur grille d’interprétation. Ils réduisaient
le fascisme à l’expression d’une résistance des classes possédantes utilisant au
début des années 1920 une bande de voyous armés de gourdins pour préserver
leur pouvoir et dominer les prolétaires. L’alliance avec l’Eglise catholique et
l’armée, forces tout aussi réactionnaires, ajoutée à un système répressif cruel
aurait ensuite permis à ce régime antipopulaire de se maintenir jusqu’à son
écroulement en 1945 sous les coups de la résistance progressiste.
Plusieurs historiens, au premier rang desquels se trouve l’Italien Renzo De
Felice – aujourd’hui célébré mais couvert d’injures dans les années 1960, faut-il
le rappeler –, ont remis en cause cette vision partisane et biaisée. Mais y voit-on
plus clair pour autant ? Si le fascisme n’est pas ce que les historiens marxistes
affirmaient, comment peut-on le définir ? La meilleure manière de répondre à
cette question serait d’abord de dire ce que ne fut pas le fascisme : une idéologie
conservatrice et encore moins réactionnaire, un héritier de la contre-révolution et
de son immobilisme. Bien au contraire, le fascisme fut une révolution sociale,
politique, culturelle et surtout anthropologique. C’est en partant de cette
affirmation que s’articule la thèse de ce livre, ce qui nous conduira à établir un
lien avec le socialisme, la Révolution française et même par certains côtés avec
la philosophie des Lumières, hérédité que De Felice décela très tôt1. Mussolini
n’avait certes pas de mots assez durs contre Montesquieu et sa théorie de la
séparation des pouvoirs, mais il en allait tout autrement avec les idées
rousseauistes sources du jacobinisme. Si le fascisme incarnait un refus, ce ne fut
certes pas celui de la modernité, comme maints historiens l’ont affirmé et
continuent de le faire, mais d’une modernité, celle se rattachant au rationalisme,
au libéralisme et à la démocratie. Il se présenta comme l’expression d’une
« modernité alternative », selon l’heureuse expression de l’historien Emilio
Gentile. Oublier qu’il constitua une manifestation du rejet des traditions, si
caractéristique du XXe siècle, revient à passer à côté de l’essence de ce
phénomène politique majeur.
Le fascisme fut contre mais aussi pour. Contre le marxisme, contre la
démocratie en général et le parlementarisme en particulier, contre
l’individualisme, l’égalité et le pacifisme, et pour un régime d’un type nouveau,
construit autour d’un parti unique subordonné à l’Etat auquel est confiée la
mission de faire naître un homme nouveau à travers le contrôle total de la vie des
individus et la formation d’une communauté nationale unie et militarisée.
On n’a donc pas affaire à une réaction mais à une révolution. Reste à en
définir les particularités. C’est ce que nous tenterons de faire dans le présent
ouvrage. Insistons néanmoins sur la question du caractère totalitaire ou non du
fascisme qui a fait couler beaucoup d’encre. La philosophe Hannah Arendt
l’avait contesté en s’en tenant à une lecture purement autoritaire du régime. La
soumission du Parti national fasciste (PNF) à l’Etat ainsi que l’absence de terreur
de masse ne permettaient pas à ses yeux de ranger l’Italie fasciste dans la même
catégorie que l’URSS stalinienne et le Troisième Reich. Cette analyse eut dans
un premier temps une grande influence sur Renzo De Felice, l’auteur de la
monumentale et inachevée biographie de Mussolini en huit volumes. Il identifia
le régime à une dictature personnelle, une sorte de césarisme du XXe siècle dans
lequel le PNF fut liquidé au profit du pouvoir du Duce. Cela dit, avec une
honnêteté rare, il finit par nuancer ses propres conceptions en reconnaissant le
virage totalitaire opéré entre 1937 et 1938. Il faut toutefois attendre les travaux
d’Emilio Gentile pour que la nature révolutionnaire et totalitaire du fascisme
italien (la première expliquant la seconde) soit pleinement mise en lumière,
même si d’autres avant lui avaient déjà débroussaillé le chemin2.
Quelle étrange dictature en effet que ce régime fasciste ! Il exalta la violence,
rossa ses opposants parfois jusqu’à la mort, conquit le pouvoir par une sorte de
coup d’Etat, exerça une autorité brutale sur le corps social italien et installa une
dictature personnelle autour d’un culte de la personnalité, avec un parti unique
emprisonnant dans les mailles de ses multiples organisations de propagande
l’ensemble de la société. Mais en même temps, il usa d’une répression minimale,
maintint une monarchie qui protégea une partie des institutions de la fascisation
totale, un Etat de droit certes diminué mais jamais anéanti, des forces armées
loyales à leur souverain, une Eglise catholique obéissante à son pape, un
capitalisme industriel autonome dans la défense de ses intérêts − bref autant de
contre-pouvoirs qui l’empêchèrent de contrôler l’Italie tout entière. Sa solidité
semblait inébranlable en 1938 alors qu’il s’écroula, du fait de la guerre, tel un
château de cartes en juillet 1943 à la suite de la destitution et de l’arrestation sur
ordre du souverain d’un Mussolini mis en minorité par les grands chefs du
fascisme. Le régime ne survécut pas à son renvoi.
Peut-on alors écrire une histoire du fascisme sans faire celle de Mussolini ?
Bien évidemment non puisque les deux finirent par se confondre. Mais il ne faut
jamais oublier que le fascisme n’était pas Mussolini. Et ce pour deux raisons. La
première tient à l’histoire même du mouvement qui exista avant qu’il en fût le
chef reconnu. Par ailleurs, malgré le poids toujours plus écrasant du
mussolinisme, le fascisme, pétri de contradictions apparentes, resta un
mouvement très hétérogène d’un point de vue idéologique. « Si de l’extérieur,
écrit Renzo De Felice, il y avait le fascisme, à l’intérieur, il y avait les fascismes
ou, si l’on préfère, les fascistes3. » Hommes et courants s’y disputaient la
prééminence afin d’orienter le régime dans le meilleur sens à leurs yeux. Le
Duce fit constamment face à des oppositions internes, notamment celles venues
des franges les plus à gauche qui n’avalisèrent jamais les compromis de 1922
avec les forces conservatrices, d’où le reproche que lui formulèrent en 1943
plusieurs de ses compagnons, celui d’avoir trahi le mouvement.
Nous touchons ici à un point absolument crucial pour notre sujet. Si
l’antifascisme militant a longtemps nié le lien reliant socialisme et fascisme, le
Mussolini socialiste au Mussolini fasciste, l’historiographie l’a rétabli dans toute
sa clarté. Mais à la question actuelle « Quand a-t-il cessé d’être socialiste ? », ne
faudrait-il pas en substituer une autre : « A-t-il cessé de l’être un jour ? » ? Tout
dépend de la définition donnée au terme socialisme. Le fascisme aurait-il alors
été un socialisme national ? Une addition des extrêmes, du socialisme et du
nationalisme4 ? Ou fut-il plus globalement révolutionnaire ? Comme nous
tenterons de le montrer, le fascisme appartenait à l’univers politique et culturel
de la gauche révolutionnaire par son culte du progrès, sa tentation démiurgique,
son aspiration à transformer l’homme, par son anticléricalisme, par son
républicanisme, par sa volonté de dépasser le capitalisme et de soumettre
l’économie à la politique, par ses combats culturels au service d’un remodelage
de l’individu. L’antibolchevisme ne doit pas faire illusion et le rejeter dans la
droite étroitement réactionnaire. On reconnaîtra toutefois que l’absence d’un
corps idéologique clair brouilla et continue de brouiller les cartes, faisant du
fascisme un kaléidoscope où plusieurs courants doctrinaux, parfois antagonistes,
cohabitaient tant bien que mal. Ajoutons pour être complet que l’histoire du
régime ne demeura ni monolithique ni linéaire mais connut au contraire une
sorte de crescendo caractéristique de tous les totalitarismes. Une fois le pouvoir
conquis, les lois fascistissimes du milieu des années 1920 jetèrent les
fondements pour la construction d’un Etat totalitaire qui fut accélérée en 1929
puis amplifiée dans la seconde moitié des années 1930. La guerre brisa la
dynamique et empêcha le plein accomplissement du totalitarisme fasciste.
On remarquera aussi que, malgré sa dureté, le fascisme suscitait de
nombreux ricanements, y compris à l’époque de sa gloire. Mussolini n’était-il
pas présenté comme un « César de carnaval » ? Les marches au pas de l’oie, les
photographies du Duce torse nu dans les champs ou sur les plages, la théâtralité
de ses discours pendant lesquels il savait jouer de sa voix et de son corps avec le
talent d’un acteur, la grosseur de sa tête chauve donnaient un caractère bouffon
au régime que les films de Federico Fellini, merveilleusement servis par la
musique de Nino Rota, réactivèrent dans les années 1960. Pourtant, si le
fascisme n’attint jamais l’horreur destructrice du nazisme et du communisme, il
n’en a pas moins été une expérience politique grave et prise très au sérieux. On
en veut pour preuves l’intérêt qu’elle suscita chez ceux qui y voyaient aussi bien
un modèle économique permettant d’échapper au dilemme capitalisme-
communisme qu’un modèle politique capable de régénérer un monde en crise
(même le Chinois Chiang Kai-shek s’y intéressa5 !), sans parler des multiples
débats intellectuels que ses réalisations attisèrent aussi bien en Italie qu’au-delà
de ses frontières ni de l’empressement avec laquelle sa diplomatie fut courtisée
par toutes les grandes puissances de l’entre-deux-guerres.
Bref, le fascisme marqua son temps d’une empreinte indélébile parce qu’il
correspondit à une époque où la « révolution » demeurait une sorte d’horizon
indépassable, où la destruction des structures anciennes mobilisait des millions
d’individus persuadés d’y trouver la solution à la dépression générale provoquée
par la modernité libérale et démocratique. Mussolini et ses hommes regardaient
avec confiance vers l’avenir, nourris de la certitude que l’Italie avait rendez-vous
avec son destin. Ecrire l’histoire du fascisme, c’est finalement faire le récit d’une
révolution avortée.
1
Au commencement était le socialisme

La grande Italie révolutionnaire du Risorgimento


Pourquoi le fascisme est-il né en Italie et pas ailleurs ? Y a-t-il des conditions
spécifiques à ce pays qui en expliqueraient l’éclosion ? Commençons par
rappeler que l’Italie fit figure à plusieurs reprises dans son histoire de laboratoire
des idées et des mouvements politiques européens. Elle ouvrit au XIXe siècle la
voie aux processus d’unification nationale, servant d’exemples à plusieurs autres
peuples, avant d’inaugurer les régimes de type fasciste de l’entre-deux-guerres.
Dans les deux cas, ces processus ont devancé de dix ans ceux connus par
l’Allemagne. On cherchera donc dans l’histoire de la péninsule les origines du
fascisme et plus spécifiquement dans cet événement fondateur que constitue le
Risorgimento, le mouvement d’unification de l’Italie.
L’idée de l’unité nationale y fut introduite par la Révolution française et par
Napoléon Bonaparte. Dès l’origine, l’identité italienne était indissociable des
idéaux révolutionnaires. L’aspiration unitaire se renforça à la suite du
morcellement jugé artificiel de l’Italie en une dizaine d’Etats décidé par le
congrès de Vienne. Dès lors, elle s’exprima dans plusieurs courants. Le premier
est connu sous le nom de la Charbonnerie, un ensemble de sociétés secrètes
rêvant de renverser les trônes légitimistes par des insurrections que les pouvoirs
en place, aidés de l’armée autrichienne garante de la stabilité de la région,
parvinrent à facilement écraser. Beaucoup plus prégnante fut l’action de
Giuseppe Mazzini (1805-1872), qui marqua durablement de son empreinte les
consciences et les souvenirs des « patriotes » italiens. Fondateur de la société
secrète Giovane Italia (Jeune Italie), ce Génois né sous l’occupation française
s’engagea avec fougue dans le combat national sous les auspices des idéaux
révolutionnaires, républicains et anticléricaux. Tout en maintenant l’objectif de
destruction des Etats péninsulaires au profit d’une république unitaire, il donna
au Risorgimento une dimension morale, quasi religieuse, qu’il ne possédait pas
auparavant. Le combat comportait désormais trois éléments moteurs : la foi
quasi mystique dans la patrie qui exige obéissance et dévouement ; la mission
historique donnée par Dieu à l’Italie et à Rome destinées à indiquer à tous les
autres peuples européens la voie de l’émancipation (nationale et politique c’est-
à-dire l’unité et la démocratie) ; et enfin le caractère régénérateur de la lutte dont
l’aboutissement constituera une sorte de résurrection des Italiens1.
La réalisation de ce programme devait passer par des insurrections
populaires. Mais leur succès dépendait avant tout de la qualité de l’avant-garde
bourgeoise et intellectuelle menée par un chef reconnu, chargée d’éduquer les
masses et de les conduire à la victoire. Ainsi Giovane Italia peut-elle être vue
comme la préfiguration des partis modernes2. Pourtant, Mazzini ne parvint
jamais à réaliser son rêve, toutes ses actions subversives s’achevant dans des
désastres sans appel. Certes, Giuseppe Garibaldi reprit le flambeau du combat
révolutionnaire et patriotique. L’expédition des Mille, ces volontaires débarquant
en Sicile en 1860 vêtus de chemises rouges et armes à la main, afin d’unir le
royaume des Deux-Siciles à l’Italie, a même pu être présentée comme la
concrétisation du schéma mazzinien3. Mais la réalité sociale, politique et
géopolitique de l’Italie de la seconde moitié du XIXe siècle conduisit Garibaldi à
se rallier à l’autre grand modèle unitaire, libéral et modéré celui-là, porté par la
monarchie du Piémont-Sardaigne et la dynastie de Savoie. Le président du
Conseil Camillo Cavour, bien plus que Mazzini et Garibaldi, fut le vrai père de
l’unité italienne qu’il réalisa au bénéfice de son souverain Victor-Emmanuel II,
avec un mélange d’idéologie nationale et de pragmatisme qui le classe dans les
rangs des antiromantiques4. Le monarque piémontais, lointain descendant d’un
obscur comte de Savoie, devint le roi d’Italie après avoir renversé tous les trônes
légitimes de la péninsule dont celui du pape. Une monarchie parlementaire, aux
penchants autoritaires, gouverna le pays en lieu et place de la république
démocratique mazzinienne.
En Italie, la nation, le combat national, l’amour de la patrie furent ainsi
indissociables de la révolution et de cette espérance d’une régénération d’un
peuple appelé à un grand destin. Le fascisme s’abreuva abondamment à la
source de ce Risorgimento républicain. Cette réalité nous conduit tout
naturellement à nous interroger sur les liens avec l’héritage de 1789. L’une des
origines du fascisme se trouverait-elle dans la Révolution française ? La question
peut paraître hérétique. Il nous faut néanmoins la poser.
Les historiens Mona Ozouf et François Furet ont mis en avant le fait que la
Révolution française engendra « deux philosophies concurrentes, celle de la
liberté et celle de la contrainte ». La première accoucha de l’idéal libéral puis
démocratique, la seconde des régimes révolutionnaires totalitaires de type
marxiste mais aussi de type fasciste. La grande rupture de 1789 a introduit dans
l’histoire européenne une série d’innovations que l’on retrouva dans le fascisme.
Tout d’abord, elle reprit la pensée de Jean-Jacques Rousseau sur le caractère
absolu de la république qui refusait toute distinction entre le pouvoir politique et
le pouvoir religieux (idée chrétienne s’il en est) : il ne devait en exister qu’un
seul, le pouvoir politique. Dès lors, l’Etat acquérait un rôle central, intégral, en
un mot total sur les personnes qu’il éduquait afin, d’une part, d’en faire des
citoyens modèles et, d’autre part, de les rassembler dans une communauté unie
autour d’une religion civile5. L’existence même de l’individu en dépendra
comme l’auteur du Contrat social l’avoue sans détours : « Sa vie n’est plus
seulement un bienfait de la nature mais un don conditionnel de l’Etat6. »
De là émerge le dessein de régénération des êtres humains, expression qui
trouvera un puissant écho dans le projet de l’homme nouveau cher aux
totalitarismes. Rousseau fut le premier à l’exprimer à travers ses principales
œuvres dans lesquelles il théorisait les moyens de refonder la politique,
l’éducation, les relations humaines. Les révolutionnaires français tentèrent de
réaliser cette obsession sous la férule de l’Etat jacobin. A cette fin, ces derniers
utilisèrent l’éducation, les fêtes, le tutoiement, le nouveau calendrier, la
toponymie, instruments dont le fascisme usa à son tour. Le but ? Faire des
Français un peuple libre et même un « peuple de héros7 ». Or, une entreprise si
audacieuse et titanesque reposait sur la nécessaire docilité des citoyens obtenue
soit par consentement soit par contrainte, d’où la Terreur. Les Jacobins portèrent
à son paroxysme cette utopie que reprirent leurs homologues italiens au
XIXe siècle. Ceux-ci se rattachèrent également à leurs maîtres français par la
sacralisation de la nation opérée par la Révolution. Car aussi bien que les
patriotes transalpins, la gauche française porta et revendiqua l’héritage national,
et ce depuis 1792 et l’appel aux armes jusqu’à la guerre à outrance voulue par
les communards en 1871. Mazzini le savait, ce qui ne l’empêchait pas de
multiplier les critiques à l’encontre de la France de son temps qu’il accusait
d’abandon de l’idéal révolutionnaire. Paris avait fait son temps. A Rome de
reprendre la lutte !
En fin de compte, la Révolution française, fille des Lumières et de leur
révolution anthropologique (l’homme libéré de Dieu et réduit à l’état d’animal8)
a révélé que « les hommes peuvent s’arracher à leur passé pour inventer et
construire une société nouvelle9 ». C’est à cette réalité révolutionnaire, cette
expression d’une force, cette volonté de détruire pour mieux reconstruire que se
rattachait le fascisme trop souvent présenté – et d’une manière fort commode et
expiatoire – comme l’expression des courants anti-Lumières10. S’il en rejetait
l’héritage de cosmopolitisme (que Mazzini critiqua lui aussi vertement dans la
droite ligne de Rousseau11), d’individualisme et d’égalité au profit d’un
nationalisme exclusif et d’un Etat de type totalitaire, il en conservait l’aspiration
régénératrice et la référence à la souveraineté populaire. Le jacobinisme transmit
ensuite aux fascistes la passion révolutionnaire, le patriotisme, la prétention à
incarner les masses, le rêve d’une humanité nouvelle, tout cela à travers le
Risorgimento dont ils abandonnèrent les aspects les plus libéraux et
humanitaires.

L’Italie trop petite du XIXe siècle


On l’a dit, la dynastie de Savoie réalisa l’unité italienne en ralliant autour de
son trône les libéraux et les révolutionnaires. Mais sur quoi cette grande œuvre
déboucha-t-elle ? En vérité sur une nation incomplète à bien des égards. Tout
d’abord, le mouvement risorgimental n’a pu intégrer à la jeune nation l’ensemble
des Italiens dont une petite partie demeurait encore sous le « joug » de
l’Autriche, l’ennemi héréditaire. Les patriotes tournèrent alors leurs regards vers
ces terres dites irrédentes (le Trentin et l’Istrie) auxquelles vinrent s’ajouter les
régions dalmates autrefois occupées par Venise qui y laissa une empreinte
culturelle suffisamment forte pour justifier des programmes expansionnistes.
Même si l’intégration dans le système d’alliance de la Triplice en 1882 –
conséquence du conflit géopolitique avec la France dans le bassin occidental de
la Méditerranée – obligea de mettre en sourdine ces revendications, celles-ci ne
disparurent jamais vraiment. Elles resurgirent au tournant des XIXe et XXe siècles
quand Rome, après que la défaite d’Adoua en Ethiopie (1896) eut ruiné les rêves
d’impérialisme colonial, renoua avec les ambitions d’expansion en Méditerranée
et dans les Balkans. Dès lors, le sort des communautés italiennes, prétendument
asservies par l’autoritarisme des Habsbourg et menacées dans leur existence
culturelle par une vague slave, se trouva au cœur du mouvement nationaliste.
Notons qu’à l’intérieur même du jeune Etat l’unité paraissait bien fragile.
L’intégration des provinces de l’ancien royaume des Bourbons (Basilicate,
Calabre, Sicile) se fit au prix d’une répression très violente des révoltes de
paysans attachés à leur ancien souverain. A cette main de fer de la monarchie
piémontaise sur le Mezzogiorno (le sud de la péninsule depuis Naples jusqu’à la
Sicile) se rajouta un décalage économique entre le Nord et le Sud qui bientôt prit
la dimension d’un fossé. Bien sûr, l’historiographie marxisante noircit la
situation. Son obsédante grille de lecture de la lutte des classes la conduisit à
analyser les relations entre les deux espaces en termes d’exploiteurs (le Nord) et
d’exploités (le Sud), de colonisation et d’exploitation par la bourgeoisie
capitaliste, sous-estimant au passage le processus de modernisation propre à la
civilisation méridionale12. Pour autant, il reste incontestable que les régions
septentrionales, les plus intégrées au reste de l’Europe, jouaient le rôle de pôle
économique du pays par leur tissu industriel très hétérogène et leurs grandes
propriétés foncières très consommatrices de braccianti, cette masse d’ouvriers
agricoles pauvres. Elles furent aussi celles les plus favorables au fascisme,
surtout la Toscane, l’Emilie-Romagne et l’Ombrie.
Autre problème pour le nouvel Etat, l’Eglise catholique. Le Risorgimento
s’étant réalisé au détriment du pouvoir temporel de la papauté et des Etats
pontificaux annexés au royaume d’Italie, le pape Pie IX interdit aux catholiques
de participer à la vie politique, de voter et d’être élus (ordre connu sous le nom
du Non expedit). Même si dans les faits, les catholiques adoptèrent des
comportements moins intransigeants en apportant leurs suffrages à des candidats
« catholiquement compatibles », il n’en resta pas moins que ce grave conflit
entre l’Etat et l’Eglise empoisonnait la vie politique et mettait de côté une grande
partie de la population, et ce d’autant plus que les gouvernements italiens
professaient un laïcisme et un anticléricalisme très agressifs.
Le Risorgimento accoucha donc d’une nation inachevée. Il fallait faire des
Italiens un peuple uni, ce qu’ils n’étaient pas encore. De Mazzini à Mussolini, en
passant par Garibaldi, tous en rêvèrent. Voilà pourquoi le fascisme ne naquit pas
en France où le processus national était achevé mais en Italie. La classe
dirigeante libérale tenta d’apporter sa pierre à l’édifice grâce à l’école et au
service militaire devenus obligatoires. La monarchie, surtout sous le règne
d’Humbert Ier (1878-1900), joua un rôle non négligeable dans la diffusion d’un
culte monarchique au profit d’une Couronne et d’une dynastie matrices de
l’unification13. Mais ce sentiment diffus de fragilité se trouvait sans doute aussi à
l’origine d’une tendance à l’autoritarisme inscrite en filigrane dans la
Constitution du royaume (le Statuto) datant de 1848 et qui accordait au pouvoir
exécutif de larges prérogatives.
A ce problème se rajoutait celui de la représentativité limitée du monde
politique qui fit en partie le lit du fascisme. Le système politique reposait en effet
sur un suffrage électoral de type censitaire qui réservait le droit de vote aux
strates les plus aisées de la société et en écartait les masses paysannes et
ouvrières. De fait, seuls 3 millions d’Italiens pouvaient voter et être élus.
Avocats, notaires, professeurs, médecins formaient une classe politique restreinte
qui se définissait comme libérale. Et comme si cela ne suffisait pas, la vie
politique du XIXe siècle restait marquée par plusieurs maux endémiques :
l’interventionnisme des pouvoirs publics dans les campagnes électorales, la
corruption et le clientélisme. En outre, le sentiment d’être encerclés par des
ennemis poussait la classe politique à adopter des pratiques qui contribuèrent à
son propre discrédit. Tout d’abord, elle abusait du trasformismo (transformisme),
cette habitude de négocier avec les forces d’opposition pour mieux en intégrer
une partie au sein de coalitions gouvernementales. Si cette solution assurait la
stabilité des majorités, elle donnait à la vie politique un visage de combinazione
de nature à alimenter l’antiparlementarisme, ce qui ne manqua pas d’arriver.
Dernier point : plus les oppositions s’exprimaient, plus l’élite nationale usait de
la force, de la censure qui limitait les débats mais aussi des répressions y
compris armées, comme ce fut le cas lors de la très grave insurrection populaire
de Milan en 1898.
En fin de compte, l’Etat libéral ne représentait que fort peu de personnes et
de groupes en Italie. Cette réalité certes conforme à l’idéal de la bourgeoisie
favorable à un régime parlementaire restreint où seule une élite gérait les affaires
publiques ne correspondait pas aux espérances de l’Unité. Qu’était-il donc
advenu de la promesse du Risorgimento d’une nation unie et forte, véritable
modèle pour les peuples en lutte pour leur émancipation ? Les héritiers de
Mazzini ne se reconnaissaient pas dans cette Italie divisée et affaiblie, où le
pouvoir était accaparé par une oligarchie et où le culte de la patrie se trouvait
confisqué au bénéfice d’une monarchie sans cesse plus autoritaire. Bref, le
Risorgimento était non seulement inachevé mais en plus avait été trahi par la
classe politique libérale.
Sus à Giolitti !
Au début du XXe siècle, un homme politique symbolisait ce sentiment de
trahison et rassemblait sur sa personne toutes les haines de ceux qui voulaient
redonner un élan vital à la nation italienne, Giovanni Giolitti. Ce Piémontais qui
domina toute la vie parlementaire de 1903 à 1922 fut pourtant un incontestable
modernisateur de la vie économique de son pays. Avec le soutien du roi Victor-
Emmanuel III monté sur le trône en 1900 suite à l’assassinat de son père
Humbert Ier par un anarchiste, il abandonna la répression des conflits sociaux par
les forces armées et favorisa le rôle d’arbitre de l’Etat. Son dessein politique
pourrait se résumer ainsi : à l’intérieur assurer le bien-être d’une majorité de la
population, surtout la plus pauvre, et apaiser les conflits lacérant le corps social
depuis des décennies ; à l’extérieur mener une politique étrangère prudente
d’équilibre entre les alliés de la Triplice et le bloc de la Triple-Entente, conforme
aux capacités réduites du pays. Sage politique en vérité mais qui manquait
singulièrement de souffle ! Giolitti cachait derrière ses moustaches à la Richelieu
un caractère froid, une approche bureaucratique des affaires politiques héritée de
sa première carrière au sein de l’administration. Que ce fût à l’égard de la
monarchie ou de la patrie, c’était un homme sans sentiment ni idéalisme,
réprouvant les discours exaltés et leur préférant la gestion empirique des
dossiers, l’analyse distante des situations et des forces. Mais son œuvre
réformatrice cachait un homme sur bien des points conforme aux traditions
libérales. Ses infinies capacités manœuvrières lui permettaient de former les
coalitions parlementaires les plus aptes à le maintenir au pouvoir, tandis que son
clientélisme politique assurait les victoires nécessaires aux élections. Giolitti
resta, malgré ses apparences démocratiques qui le poussèrent à introduire le
suffrage universel en 1912, un libéral qui écartait les masses du champ des
batailles politiques où seuls manœuvraient les dirigeants des partis14.
On touche ici le cœur du problème fondamental de la vie politique italienne
dans la décennie précédant la Grande Guerre : l’intégration des masses. La lente
mais inexorable démocratisation des sociétés européennes obligeait responsables
politiques et intellectuels à se poser une obsédante question : comment intégrer
les masses au système institutionnel ? Cette interrogation prenait un caractère
particulièrement aigu en Italie où les idéaux libéraux régnaient en maître au
sommet de l’Etat. En fait, près d’un demi-siècle après le Risorgimento, l’Italie
libérale connaissait une crise profonde faite de contestations politiques, sociales,
intellectuelles. Le régime que l’inamovible Giolitti incarnait semblait à bout de
souffle. Mais ce que les historiens ont appelé la « crise de fin de siècle » ne
concernait pas seulement la société italienne. Elle exprimait des angoisses
profondes nées de la transformation radicale subie par la civilisation européenne
du fait de la modernité industrielle. Celle-ci, en arrachant des millions
d’individus aux certitudes immuables du monde rural pour les jeter dans
l’anonymat froid de centres urbains de plus en plus gigantesques, nourrissait des
peurs obscures que les progrès matériels ne suffisaient pas à rassurer. Ne
marchait-on pas vers une sorte de délitement général ? La modernité atomisant
les individus coupés de leurs liens de solidarités séculaires n’allait-elle pas
entraîner les sociétés dans une décadence absolument irrémédiable et mortelle ?
Les défaites militaires n’étaient-elles pas le symptôme de cette crise qu’il fallait
combattre par un processus de reconstruction identitaire ?
En Italie, après les défaites de 1866 infligées à la jeune armée royale par
l’Autriche et qui sonnèrent comme un avertissement, le désastre colonial
d’Adoua en 1896 contre les Ethiopiens provoqua un traumatisme déchirant les
consciences nationales. L’Italie unie se révélait incapable de se hisser parmi les
grandes puissances qui désormais régnaient sur le monde. Les peuples latins,
rabaissés au rang de pourvoyeurs de main-d’œuvre abondante et docile,
s’effondraient au bénéfice des Anglo-Saxons15. Pourtant, pour nombre
d’intellectuels, cette modernité pouvait et même devait engendrer un monde
nouveau dans lequel les Italiens auraient toute leur place. Encore fallait-il se
débarrasser de l’Italietta (la petite Italie) de Giolitti qui empêchait la
régénération à laquelle aspiraient aussi bien les nationalistes que les socialistes.
L’obsession du Piémontais pour des gouvernements au centre finit par devenir
insupportable à ceux qui, imprégnés d’idéaux exaltants, cherchaient à donner un
souffle inédit à la société de leur temps.

La nation avant tout


En Italie, le nationalisme connut à la fin du XIXe siècle une évolution
comparable à celle des autres mouvements européens. Il prit les caractères d’une
doctrine politique qui plaçait la défense intransigeante des intérêts de la nation
au-dessus des intérêts particuliers des individus. La crise provoquée en 1896 par
la défaite d’Adoua lui donna une impulsion décisive en tant que réaction au
sentiment d’une décadence fatale, mais aussi comme expression d’un besoin
d’expansion afin de satisfaire aux besoins du pays. A cela s’ajoutaient les effets
d’une émigration de masse (Amérique, France, bassin méditerranéen) qui
conduisait des millions d’Italiens à s’installer dans des sociétés étrangères où
leur identité nationale était clairement menacée par les processus d’assimilation.
Enfin, puisque les générations risorgimentales avaient échoué « à faire l’Italie »,
il revenait aux plus jeunes de reprendre le combat.
Plusieurs grandes figures s’imposèrent dans l’univers nationaliste. L’un des
plus célèbres et des plus influents fut sans conteste Enrico Corradini, un écrivain
traumatisé par la défaite d’Adoua qui fonda à Florence en 1908 la revue Il Regno
dans laquelle il développa le concept de « nation prolétarienne » que le fascisme
reprit à son compte. Né de la rencontre entre le socialisme et le nationalisme et
du transfert de la lutte des classes dans le domaine extérieur, il présentait l’Italie
comme une nation pauvre et prolétarienne, contrainte de combattre les nations
riches et « ploutocratiques » de l’Europe industrialisée et de briser par la
violence guerrière cet état de soumission16. Au congrès nationaliste qui se tint à
Florence en 1910, Corradini exposa sa pensée dans un vibrant discours :
« Comme le socialisme enseigna au prolétariat la valeur de la lutte des classes,
de même nous devons enseigner à l’Italie la valeur de la lutte internationale.
Mais la lutte internationale, est-ce la guerre ? Et bien, que la guerre soit ! Et que
le nationalisme suscite en Italie la volonté de la guerre victorieuse17 ! »
D’autres auteurs ajoutèrent à ce corps doctrinaire cohérent et structurel du
nationalisme italien une dimension plus spirituelle. Ce fut le cas des intellectuels
rassemblés autour de la revue La Voce fondée en 1908 par Giuseppe Prezzolini
et Giovanni Papini, ou de celle d’Ardengo Soffici, Lacerba (1913). Le thème de
la mission civilisatrice de l’Italie y était développé avec force, mission que seule
réaliserait une minorité guidant les masses, une sorte d’aristocratie représentative
de la nation vivante. Cela dit, toutes ces publications florentines avaient en
commun la haine pour la démocratie, le parlementarisme, Giolitti et sa petite
Italie. Elles promouvaient aussi une « culture de guerre », encensaient le
phénomène guerrier comme hygiène de la communauté nationale18, ce qui les
poussait à chanter les vertus de la violence, du sang versé et régénérateur selon
une vision néodarwinienne de la vie des nations.
Il fallait donc viriliser les Italiens, en un mot les militariser, ce que les
différents gouvernements étaient incapables de faire, trop attachés à poursuivre
une politique de repli et à renoncer à toute grandeur. L’un des précurseurs du
nationalisme, Pasquale Turiello, sonna la charge dès la fin du XIXe siècle contre
le système parlementaire incapable à ses yeux d’élever les Italiens à la hauteur
du destin qu’ils méritaient. Un changement de régime s’avérait urgent. Turiello,
imprégné de darwinisme social, effrayé à l’idée que le peuple italien,
« naturellement » indiscipliné et individualiste ne se retrouvât dans la catégorie
des faibles appelés à disparaître, poussait à sa virilisation. Celle-ci passait par la
violence de la guerre à laquelle les jeunes seraient préparés par une éducation
spartiate leur inculquant la hardiesse, le courage, l’endurance et le goût du
risque19. L’objectif de cette entreprise de virilisation résidait dans l’étouffement
de tout sentiment humaniste, de tout respect de la vie d’autrui, de tout pacifisme,
ces corruptions de l’âme. A la veille de la Première Guerre mondiale, Giovanni
Papini dénonça à son tour cette peur du sang, le refus de donner la mort, tandis
que Enrico Corradini considérait que « le mépris de la mort est le plus grand
fauteur de vie20 ».
Une place particulière doit être faite au mouvement futuriste. Il se distinguait
d’une part des positivistes qui ne voyaient dans le progrès que marche vers la
paix entre les hommes, et d’autre part des nationalistes plus tournés vers
l’exaltation du passé que vers l’avenir et adeptes d’un système militarisé à la
prussienne. Or, le futurisme ne cessa jamais de célébrer la modernité, et c’est la
raison pour laquelle il influença plus que tout autre mouvement le fascisme. Le
monde moderne accoucherait d’un monde totalement nouveau dans lequel les
sociétés se libéreraient de leur passé. Ainsi ne serait-il jamais venu à l’esprit de
Filippo Marinetti, le chantre du futurisme, de présenter son idéologie comme
autre chose qu’un courant progressiste. Bien au contraire, il affichait un véritable
culte du progrès, de la machine, de la vitesse, du sport et de la violence qui se
trouvait au cœur du célèbre Manifeste du futurisme qu’il publia en 1909, à
grands frais de publicité, en Italie mais aussi dans d’autres pays. « La littérature,
peut-on y lire, ayant jusqu’ici magnifié l’immobilité passive, l’extase et le
sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l’insomnie fiévreuse, le
pas de gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing21. » Marinetti
assume sans ambages la brutalité « culbutante et incendiaire » de son texte. Ce
lyrisme autour de la violence visait à introduire dans l’esprit des individus la
force agressive, mais s’inscrivait aussi dans le programme d’unification de la
société italienne. La vie militaire, en caserne comme sur le champ de bataille,
demeurait l’exemple le plus parfait d’une existence collective, où l’homme se
fond dans un groupe, se solidarise avec les autres. L’individu et tout ce qu’il
incarnait aux yeux des nationalistes comme sentiments et attitudes égoïstes se
dissolvaient au profit de la collectivité nationale. La préparation militaire
constituait donc la première étape de la disparition de l’individualisme,
processus qu’une guerre se chargerait d’achever22.
On remarquera que cette vision d’un homme militarisé ne relevait pas d’une
sorte de monopole des courants nationalistes mais trouvait ses origines dans la
Révolution française. Comme l’indique l’historien Emilio Gentile, l’image de
l’homme martial apparut avec les mouvements révolutionnaires américain et
surtout français dans lesquels « les qualités les plus nobles et les vertus les plus
viriles avaient été attribuées à l’homme qui vit, combat et meurt pour sa
patrie23 ». Il s’agissait donc bien d’une régénération par le patriotisme et la
citoyenneté à l’image de la patrie des anciens Romains. La Révolution installa,
gardons-le toujours à l’esprit, le culte de la nation qui, une fois sacralisée,
demandait à ses fidèles obéissance absolue et sacrifice ultime. Mais elle inaugura
également la guerre de masse, elle-même reflet de la souveraineté populaire que
rien ne devait entraver. Afin de diffuser une idéologie totalisante visant à refaire
l’humanité, les Jacobins jetèrent une armée nationale à l’assaut de l’Europe dans
un combat purificateur. Une guerre du peuple-citoyen en quelque sorte qui
émerveilla plusieurs générations tout au long du XIXe siècle avant que ne s’y
ajoutât le prestige du modèle prusso-allemand à la suite de la guerre de 1870-
1871.

Un socialisme déjà national


Il existait donc dans l’Italie de Giolitti un bouillonnement politique qui
faisait du courant nationaliste l’un des grands acteurs de la scène intellectuelle.
Pourtant, ce ne fut pas directement de ce monde-là que sortirent le fascisme, la
plupart de ses chefs et même le principal d’entre eux, mais du socialisme. De nos
jours, ce terme est associé à l’internationalisme du fait de l’hégémonie que le
marxisme exerça sur les gauches. On ne peut donc que difficilement comprendre
que le fascisme, quintessence du nationalisme, en soit issu. Or, cela revient à
oublier deux éléments. Le premier se situe dans l’extraordinaire complexité du
socialisme italien, le second dans le concept de la nation révolutionnaire et
armée qui a constitué un modèle longtemps central au sein de la gauche.
En effet, il fallut attendre 1892 pour qu’un parti se réclamant du marxisme se
constituât à Gênes, le Parti des travailleurs italiens, sous la houlette entre autres
de Filippo Turati et Claudio Treves. Devenu en 1895 le Parti socialiste italien, le
mouvement disposait d’un journal, Avanti !, fondé en 1896 et dirigé par Leonida
Bissolati. Mais très vite une opposition virulente en lacéra l’unité. Elle dressait
les uns contre les autres les tenants d’un programme réformiste inscrit dans le
cadre parlementaire rassemblés autour de Turati, Bissolati et Ivanoe Bonomi –
sur lesquels Giolitti et derrière lui le roi Victor-Emmanuel III comptaient pour
intégrer les socialistes à l’Etat libéral – et les partisans du courant
révolutionnaire menés par Arturo Labriola. Le PSI devait en outre faire face à un
mouvement concurrent et très influent, l’anarchisme. Profitant du retard
industriel du pays qui maintenait en place les ateliers urbains ou ruraux et de
l’hostilité au centralisme de l’Etat unitaire, les anarchistes menèrent pendant la
seconde moitié du XIXe siècle la lutte contre le capitalisme avant de trouver dans
le syndicalisme révolutionnaire une nouvelle voie pour l’action directe24. Ces
adeptes de la grève générale et de la violence y côtoyèrent un certain nombre de
socialistes hostiles à l’orientation réformiste du parti qu’ils finirent même par
quitter en juillet 1907 au congrès de Ferrare. Parmi eux retenons le nom
d’Alceste De Ambris que l’on retrouvera dans l’aventure de Fiume en 1919 et
dans le premier fascisme, et celui de Michele Bianchi, futur hiérarque du Parti
national fasciste.
Or, l’influence marxiste ne doit pas faire oublier que l’héritage de Mazzini et
de Garibaldi se faisait encore sentir au sein d’une partie de la gauche italienne, et
avec lui la condamnation de la lutte des classes et de l’internationalisme. C’est
un point fondamental pour comprendre les prolégomènes du fascisme car « dans
la tradition garibaldienne et mazzinienne, on pouvait sans contradiction être à la
fois patriote et citoyen du monde25 ». On ne saurait trop insister sur la
permanence de cette vision qui conduisit de nombreux socialistes à soutenir avec
enthousiasme les luttes nationales des peuples « opprimés » comme par exemple
les Grecs contre les Turcs à l’occasion de la guerre pour la libération de la Crète
en 1897. Une division de volontaires garibaldiens, sous les ordres de Ricciotti
Garibaldi le petit-fils du héros de l’Unité, participa à des combats en Thessalie.
Ce soutien prit même des accents radicaux et raciaux. Le socialiste réformiste
Bissolati parla à mots couverts de la nécessité d’éliminer tous les Turcs de Crète,
tandis que le professeur Cesare Lombroso, connu pour être un des théoriciens du
racialisme, écrivait des articles sur la marche biologique des races dans la revue
socialiste Critica sociale26. On le comprend, la survie des thèmes patriotiques au
sein du socialisme italien portait les germes de la future scission de 1914-1915
entre neutralistes et interventionnistes, rupture qui serait le véritable berceau du
fascisme.
Ce qui précède nous permet de comprendre les conditions dans lesquelles le
rapprochement entre le nationalisme et le socialisme s’opéra. Un homme comme
Corradini joua à cet égard un rôle capital en permettant, avec son thème de la
nation prolétarienne, de rapprocher les deux camps. Conscient qu’une politique
nationaliste et de puissance se devait de prendre en compte les masses, il ouvrit
les colonnes de son journal l’Idea Nazionale au socialiste Arturo Labriola pour
une virulente dénonciation de l’Europe ploutocratique27. Une commune
détestation des nations riches leur permit de se rejoindre dans une acceptation de
la violence guerrière, autre point de convergence sur lequel planait l’ombre de
Georges Sorel.
Bien des auteurs ont insisté sur l’influence de ce théoricien français sur le
fascisme et le futur Duce. L’homme est déconcertant à bien des égards.
Admirateur de Napoléon, de Lénine et de Mussolini, il adhéra tout d’abord aux
thèses socialistes réformistes avant de s’en détourner au profit du syndicalisme
révolutionnaire puis de flirter avec le nationalisme royaliste de l’Action française
mais qu’il trouvait trop conservateur, tout en écrivant pour la revue de Paolo
Orano La Lupa qui travaillait à une synthèse entre nationalisme et socialisme.
Bref, un parcours hétérodoxe qui lui permit de devenir une référence aussi bien
chez les révolutionnaires que les conservateurs28 ! Sa pensée si complexe qu’elle
en est parfois déroutante – comme l’illustre son œuvre majeure Réflexions sur la
violence (1908) – alimenta les théories fascistes sous deux aspects. Tout d’abord,
il mit en exergue la puissance du mythe qu’il fallait absolument introduire dans
les luttes politiques. En effet, « le théoricien du mythe » considérait que l’être
humain subissait deux influences contradictoires liées à sa nature : un penchant
très fort pour la médiocrité d’une part, et les forces irrationnelles d’une
puissance incroyable d’autre part. Si la démocratie entretenait la première en
amollissant l’âme et le corps par ses principes (égalitarisme, humanitarisme,
etc.), un personnage hors du commun ou un mouvement puissant pouvaient
vivifier la seconde et pousser l’individu au sublime et à l’héroïsme mais à
condition de lui proposer un mythe, c’est-à-dire cette croyance capable non
seulement de sublimer le réel mais aussi de le métamorphoser.
Ensuite, Sorel liait d’une manière inextricable le mythe avec une violence
non pas aveugle, destructrice et nihiliste mais mise au service d’une éthique,
expression de la volonté d’échapper à la décadence. La lutte des classes autant
que la grève générale en constituaient des expressions pour permettre aux
travailleurs de sortir de la masse et de lutter contre la bourgeoisie décadente29.
L’influence sorélienne se fit donc sentir sur les courants du syndicalisme
révolutionnaire très attachés à l’étude de la psychologie des foules (sous
l’influence des travaux de Gustave Le Bon) et à l’émergence d’une élite. On la
retrouvait chez Alceste De Ambris, mais aussi dans le mouvement futuriste
puisque Marinetti puisa chez le théoricien français autant son exécration de la
démocratie et du socialisme traditionnel que son attachement à la violence et au
mythe30. La pensée sorélienne fit donc le lien entre socialisme et nationalisme
qui revendiquaient tous les deux l’usage de la violence. En outre, ils avaient la
même aversion pour la bourgeoisie de leur temps, qui avait su faire preuve de
cette énergie révolutionnaire lors de son ascension, mais qu’elle abandonna au
profit de la défense du capitalisme et de l’enrichissement personnel. Devenue
symbole de lâcheté et d’égoïsme, elle était devenue un obstacle à la résurgence
de la vitalité dont le peuple était désormais dépositaire.
Deux éléments méritent notre attention au terme de ces analyses. On
retiendra tout d’abord que la violence existait bien avant la guerre. Certes, elle
s’exprimait uniquement dans des revues ou dans des discours mais n’en
constituait pas moins un arrière-plan doctrinal particulièrement dangereux pour
la stabilité de la société italienne. Le conflit mondial et surtout sa fin offrirent par
la suite les possibilités de passer à l’acte, d’appliquer sur le terrain des luttes
politiques les idées qui avaient enflammé les esprits dans la première décennie
du siècle. Ensuite, il convient de remarquer la proximité entre nationalisme et
socialisme, ou en tout cas certaines de leurs composantes. Un identique
écœurement pour le régime parlementaire les poussait à aspirer à son
renversement au nom d’une conception de l’homme tout entière faite
d’héroïsme, de vitalité et de violence. Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas
que Giolitti devînt la bête noire de toutes ces forces d’opposition, que sa rouerie
politicienne était bien incapable de séduire. La radicalisation des luttes et des
conflits dans les années 1910 marquait bien l’échec de son système politique,
mais aussi la fragilisation de l’Etat libéral sur ses fondements31, puisqu’on passa
rapidement et facilement de l’hostilité à Giolitti à celle du système parlementaire
tout court.

Mussolini, l’homme qui voulait changer l’Homme


Répertorier toutes les biographies consacrées au Duce du fascisme serait un
travail long et fastidieux32. Toutes ont cherché à comprendre les ressorts de cet
homme en vérité très complexe, qui a passé sa vie à évoluer au risque
d’apparaître comme un simple opportuniste, une sorte de caméléon se jouant de
ses interlocuteurs et toujours prompt à s’adapter aux circonstances pour mieux
les utiliser à son seul profit. Ne serait-il alors qu’un démagogue brutal, habile à
flatter la masse pour la réalisation de sa seule ambition : exercer le pouvoir ?
L’étude de son parcours politique ne permet pas de clarifier l’analyse.
L’identification du fascisme à un hypernationalisme réactionnaire cohabite mal
avec la période dite socialiste de Mussolini pendant laquelle le futur dictateur
milita dans les courants les plus radicaux du Parti socialiste italien d’obédience
marxiste. Comment résoudre une contradiction aussi apparente si ce n’est en
mettant sur le compte d’une ambition personnelle démesurée et d’un
opportunisme cynique les ruptures qui ponctuèrent sa vie militante ? Certes,
l’homme ne fut jamais à l’aise avec les questions de doctrine et se montra parfois
d’une incontestable incohérence idéologique. Rien qui permet donc de tracer un
portrait précis du Mussolini socialiste. Pourtant, il suivit toute sa vie un dessein
politique qui le déporta du socialisme au fascisme sans un reniement personnel
profond, une ligne construite autour du même projet : remodeler la nature de
l’être humain.
Une première période dans sa vie court du tout début du XXe siècle jusqu’en
1914. Elle commença avec le temps du militantisme et s’acheva avec la direction
du journal Avanti ! et permit à l’ancien instituteur de se hisser au rang de chef du
courant maximaliste, entouré d’une aura magnétique, déjà véritable idole des
jeunes militants. Mais avant cette ascension fulgurante, Mussolini fut d’abord le
fils d’un forgeron de la province de Romagne, une région rurale, une terre de
contestations, ancienne province des Etats pontificaux où l’on n’aimait guère les
papes. Il y vécut une enfance sans misère avant d’intégrer en 1892, sous la
pression de sa mère institutrice, le collège salésien de Faenza. Il y resta deux ans
et en sortit animé d’un anticléricalisme et d’une haine pour la bourgeoisie dont il
avait fréquenté les fils hautains qui ne le quittèrent plus jusqu’à la fin de sa vie33.
Le jeune homme vivait de surcroît dans une atmosphère militante entretenue par
son père qu’il vénérait. Alessandro, le forgeron qui finit sa vie aubergiste après
avoir été pendant quelque temps maire adjoint de Predappio, le village natal de
Benito, consacra sa vie à la lutte politique. Sa culture était celle de l’anarchisme,
du socialisme agraire de la Romagne et surtout de Garibaldi dont le portrait
trônait dans la maison familiale. Cet environnement ne put que toucher le jeune
collégien si sensible à la geste garibaldienne qu’elle le conduisit à envisager de
participer à l’expédition en faveur des Crétois dont nous avons parlé plus haut34.
Sa politisation précoce s’accentua lors de ses études au collège de Forlimpopoli
dont il sortit instituteur en 1901 et aboutit à son départ pour la Suisse pour
échapper à ses obligations militaires, pays où il vécut deux années absolument
décisives (1902-1904).
A peine âgé de 20 ans, le jeune exilé y découvrit autant le monde de
l’immigration italienne et ses misères qu’un univers révolutionnaire aux
horizons bien plus larges que ceux de sa Romagne natale. Ce « choc avec la
culture européenne35 » le plongea dans les grands débats de l’époque et le
convertit au marxisme, idéologie alors en pleine ébullition. Ce fut bien en Suisse
que sa pensée se structura autour d’un certain nombre de fondamentaux dont la
permanence donna à son parcours une certaine cohérence. Il s’intéressa de près à
l’œuvre du révolutionnaire français précommuniste Gracchus Babeuf auquel il
dédia un sonnet le 1er mai 190336. La littérature révolutionnaire marxiste le
convainquit non seulement de l’inéluctabilité de la lutte des classes mais aussi de
l’obligation du recours à la violence. « L’expropriation de la bourgeoisie sera
accompagnée d’une période plus ou moins longue de violences », écrit-il en
juillet 190437. Ce n’était certes guère original pour un jeune révolutionnaire, mais
cette passion pour la force révélait deux traits majeurs du futur maître de l’Italie.
Tout d’abord, elle était liée à sa personnalité, à cette agressivité naturelle qui
imprégnait ses relations aussi bien avec ses camarades et ses adversaires qu’avec
les femmes. Dès l’école, il fit le coup de poing avec ses compagnons de classe et
il transposa rapidement sa brutalité dans ses articles de presse dans lesquels les
mots sifflaient comme des balles. Ensuite, là où Marx légitimait la violence
comme un instrument nécessaire à la révolution et à l’avènement du monde
nouveau, Mussolini en faisait une composante intrinsèque à la nature humaine
sans laquelle rien n’était possible. L’orientation révisionniste du marxisme
commençait à poindre.
Autre découverte cruciale pour lui : l’importance historique des minorités.
« L’histoire, affirma-t-il, n’est qu’une succession d’élites dominantes. » Après le
temps de la bourgeoisie arrivait donc celui du prolétariat guidé par une avant-
garde, c’est-à-dire une « organisation d’hommes qui […] entretient l’esprit de
révolte, agite la flamme des idéaux lointains, indique l’objectif, affronte ces
problèmes – politiques, moraux, culturels, religieux, juridiques – qui
transcendent la pure et simple question du pain38 ». Cette organisation ne pouvait
être dans son esprit que le Parti socialiste en dehors duquel rien n’était possible.
Cette certitude explique sa position particulière à l’égard du syndicalisme
révolutionnaire auquel il n’appartint jamais. S’il partageait avec lui la conviction
du rôle de l’élite révolutionnaire, il en différait précisément sur la définition.
Aux yeux du Romagnol, le syndicat devait être subordonné au parti.
L’autre conséquence de cette primauté accordée au PSI réside dans le
combat que ne cessait de mener Mussolini contre les réformistes. A ses yeux,
l’organisation partisane s’avérait incapable de mener le combat si, au préalable,
elle n’était pas purgée des forces prêtes à s’entendre avec la bourgeoisie et la
classe dirigeante, et donc à trahir la révolution. Ce n’était pas seulement la
fascination pour la violence qui rendait impossible toute entente avec les
réformistes auxquels Mussolini menait une guerre implacable, mais aussi l’idée
même de participer à la vie politique dans le cadre du Parlement, cet instrument
dont la bourgeoisie se servait pour exercer sa domination39. En outre, il y avait
un risque réel de voir le parti et ses sections être marginalisés par les députés
socialistes devenus plus autonomes.
En vérité, tout cela n’est pas suffisant pour expliquer l’évolution future vers
le fascisme. Les réponses se trouvent ailleurs, dans d’autres éléments notamment
intellectuels et philosophiques. A cet égard, la rencontre du bouillant militant
avec la pensée de Nietzsche et de Sorel paraît véritablement déterminante.
Profitant en 1904 d’une amnistie accordée par les autorités italiennes au moment
de la naissance du prince héritier Humbert, Mussolini rentra en Italie pour y faire
son service militaire, poursuivre ses études universitaires et s’adonner au métier
de professeur de français dans la charmante ville ligure d’Oneglia. La flamme
militante le consumait toujours autant, ce qui le conduisit en prison à plusieurs
reprises. En février 1909, il prit le chemin du Trentin, cette province en partie
italophone sous souveraineté de l’Autriche-Hongrie pour y occuper la fonction
de secrétaire de la section du Parti socialiste et de rédacteur en chef du journal
L’Avvenire del lavoratore. Sa réflexion connut dans ces années une notable
accélération.
En toute logique, le jeune et prometteur socialiste aurait dû condamner la
pensée de Nietzsche qui voyait dans le socialisme un prolongement du
christianisme et à ce titre une idéologie égalitariste et décadente, tout juste bonne
pour les faibles. Bien au contraire, il en retint ce qui correspondait à ses propres
inclinations : la dimension biologique, irrationnelle et psychologique des actions
humaines, les mythes comme force motrice, la doctrine du surhomme dans
laquelle pouvait aisément se glisser son attente d’une aristocratie militante40.
Quant à Sorel, bien des aspects de ses théories lui posaient problème, comme
l’antijacobinisme, l’ostracisme pour les partis ou l’hostilité pour l’insurrection
armée, et il ne se gêna pas pour critiquer l’évolution du maître français vers
l’Action française. Pour autant, les éléments de convergence l’emportaient – et
de loin ! – sur les divergences. Outre la grève générale, c’étaient chez Sorel la
puissance des mythes et l’exaltation de la violence, toujours au centre des
préoccupations du futur Duce, qui exerçaient sur lui une irrépressible attraction.
Le problème fondamental que posait le marxisme résidait dans sa vision
purement économique et matérialiste de l’homme à laquelle le Romagnol ne
pouvait que difficilement adhérer. Le terrain pour le révisionnisme s’ouvrait
alors devant lui. Ses lectures assidues des articles de La Voce jouèrent un rôle
primordial de catalyseur. La revue nationaliste lui mit devant les yeux
l’importance de « la foi en une mission spirituelle de l’Italie », mais le charma
aussi par son anticonformisme et son refus de se plier aux dogmes intellectuels
qui convenaient à un jeune homme peu enclin à se soumettre aux règles
partisanes. Il ne cacha d’ailleurs pas à Prezzolini lui-même leur point de
convergence en lui écrivant en 1909 : « Créer l’âme italienne est une mission
superbe41. »
On comprend alors ce qui se trouvait au cœur de son action politique : une
véritable quête anthropologique que l’un de ses biographes définit ainsi : « Pour
lui, l’Homme était avant tout un être de chair et de sang avec ses besoins
psychologiques, dominant mais aussi dominé par ses affects42. » C’est à ce
niveau que se situait sa permanence idéologique. Il voulut pendant toute sa
carrière politique faire émerger un nouvel être humain. Dès 1909, il justifiait son
adhésion à la morale syndicaliste qui aspirait « à la création des nouveaux
caractères, des nouvelles valeurs, des homines novi43 », d’où sa fascination pour
Nietzsche et Sorel, ardents zélateurs d’un pétrissage de l’âme humaine, mais
aussi pour les théories de Darwin. Dans sa jeunesse, Mussolini était en effet un
lecteur attentif de l’œuvre du savant anglais et, comme bon nombre de marxistes,
il intégrait la lutte des classes dans le combat général pour l’existence au sein des
espèces et la marche du progrès44. Le darwinisme social faisait ainsi le lien entre
la philosophie des Lumières qui coupa l’homme de sa création divine et les
théories racistes auxquelles le fascisme n’échappera pas.
Nous n’en sommes pas là. Pour l’instant, si une tendance au révisionnisme
se faisait déjà sentir, elle n’empêcha pas sa carrière de connaître une accélération
au sein du PSI à partir de 1910. Nommé secrétaire de la section de Forli dans sa
Romagne natale, il en redynamisa avec talent les structures et devint une des
grandes personnalités du parti. On sait que jusqu’en 1914 il appartenait à l’aile la
plus maximaliste du mouvement socialiste et qu’il n’eut de cesse pendant cette
période de poursuivre de sa vindicte les courants progressistes. Tout était bon
contre eux : discours accusateurs, articles incisifs, livres dénonciateurs. Sa
combativité finit par payer. Au congrès de Reggio Emilia en juillet 1912, il
obtint l’expulsion de plusieurs d’entre eux, comme Bissolati et Bonomi, prélude
à son entrée dans la direction du parti et – consécration suprême – à sa
nomination de directeur d’Avanti ! en novembre de la même année. Mais que
cachait cette intransigeance quasi inquisitoriale ?
C’est Mussolini lui-même qui nous apporte la réponse. Il résuma par ces
mots la lutte dont le congrès de Reggio Emilia fut le terrain : « Ce sont les
termes de l’éternel conflit entre l’idéalisme et l’utilitarisme, entre la foi et la
nécessité. Quel est l’intérêt pour le prolétariat de comprendre le socialisme
comme on comprend un théorème ? Le socialisme est-il réductible à un
théorème ? L’humanité a besoin d’un credo. C’est la foi qui fait bouger les
montagnes parce qu’elle donne l’illusion que les montagnes bougent. L’illusion
est peut-être l’unique réalité de la vie. » Le socialisme prenait donc des accents
de religion parce que le fils de la pieuse et cultivée Rosa Maltoni connaissait la
puissance de la foi. Il savait que la foule n’entrerait en lutte qu’au nom d’un
idéal quasi religieux et pour la réalisation d’un mythe révolutionnaire. A cette
date, l’antimilitarisme faisait office d’instrument très efficace de galvanisation
des masses qui, imperméables à la raison, avaient besoin de chefs pour les
conduire et d’un parti aussi centralisé que discipliné, prêt pour la lutte. Tel était
son credo, identique à celui de Lénine : « A la quantité nous préférons la qualité.
Au troupeau obéissant, résigné, idiot, qui suit le pasteur et se débande au premier
cri des loups, nous préférons le petit noyau résolu audacieux qui a donné une
raison à sa propre foi, sait ce qu’il veut et marche directement vers l’objectif. »
C’était maintenant à lui, Mussolini, en charge de nouvelles responsabilités, de
préserver ce caractère moral contre les perversions internes au parti. « Il y avait
un temps, écrit-il à la même époque, où le socialisme signifiait désintérêt, foi,
sacrifice, héroïsme. Je parle d’il y a trente, quarante ans. C’étaient alors des
socialistes amoureux de l’idéal ; aujourd’hui ce sont des socialistes – les plus
nombreux – amoureux de l’argent45. » Les leçons de Sorel et de Gustave Le Bon
n’avaient pas été perdues.
Mais ne nous y trompons pas. Rien n’émergeait à cette date qui pût annoncer
le tournant nationaliste de l’après-guerre. Benito Mussolini demeurait un militant
socialiste internationaliste – et ce malgré son séjour dans le Trentin où il se frotta
aux thèmes irrédentistes – et très antimilitariste. « Le drapeau national, affirmait-
il, est pour nous un chiffon à planter dans le fumier. Il n’existe que deux patries
au monde : celle des exploités et l’autre des exploiteurs. » Difficile d’être plus
clair. Ce fut du reste à l’occasion de la guerre de Libye (1911-1912) que l’Italie
de Giolitti mena contre l’Empire ottoman qu’il livra sa bataille décisive contre
les réformistes partisans de l’expédition. L’événement – première opération
coloniale d’envergure depuis Adoua – bouleversa le paysage politique italien,
suscitant un enthousiasme débridé chez les nationalistes, de Corradini à
D’Annunzio. Or, le futur conquérant de l’Ethiopie ne voulut y voir qu’une guerre
impérialiste. « La patrie, expliqua-t-il, est une fiction, une mystification, un
mensonge conventionnel. Les Humanistes dell’Ubi bene, ibi patria et les
stoïciens qui proclamèrent “l’homme citoyen de l’Univers” et “Christ
l’antipatriote par excellence” le reconnurent. Nous ne sommes pas Italiens, nous
nous sentons au moins européens. Il n’y a plus de frontières patriotiques pour la
science, la philosophie, l’art, l’économie, la mode, le sport et il devrait en avoir
pour le socialisme ? La patrie s’identifie au militarisme. Ils sont inséparables.
Qui dit patrie dit militarisme. » Et passant des paroles aux actes, il multiplia les
actions, y compris de sabotage, contre la guerre ce qui lui valut un séjour en
prison46.
A y regarder de plus près, on remarque néanmoins un intérêt marqué pour les
questions patriotiques en lien avec l’œuvre de Jean Jaurès. Mussolini éprouvait
pour le grand socialiste français une vive admiration qu’il exprimait à longueur
d’articles. Bien sûr, l’homme de Carmaux mettait son talent oratoire
charismatique et la liturgie des grands rassemblements au service de la
démocratie parlementaire, loin de l’usage qu’en fit plus tard le Duce. Cela dit, le
concept de nation armée développée par Jaurès dans L’Armée nouvelle (1910)
intéressait le Romagnol, persuadé que la défense de la révolution en Italie contre
une intervention allemande ou autrichienne aurait nécessité la constitution de
milices communales. « Les pages que Jaurès dédie à l’examen des rapports entre
socialisme, prolétariat et patrie sont certainement les plus belles du livre47 »,
nota-t-il dans une critique. Ce rapprochement entre militarisme et socialisme –
auquel finit aussi par céder le virulent antimilitariste français Gustave Hervé
après la Grande Guerre – séduisait d’autant plus qu’il réactivait le lien entre la
guerre et la révolution, la première pouvant déclencher ou sauver la seconde
selon le schéma français de 1792-1794. En même temps qu’il pourfendait la
nation, Mussolini écrivait en août 1911 : « Si la patrie […] demande de
nouveaux sacrifices d’argent et de sang, le prolétariat qui suit les directives
socialistes répondra avec la grève générale. La guerre entre les nations deviendra
une guerre entre les classes48. » On ne peut qu’être frappé de la proximité de
toutes ces analyses sur les masses, sur le rôle du parti et sur la guerre
révolutionnaire avec celles de Lénine qui, depuis son exil en Galicie, avait
approuvé l’expulsion des réformistes du PSI.
Mussolini professait in fine un marxisme hérétique marqué en profondeur
par ses conceptions personnelles, à tel point que pour sortir du carcan que lui
imposait la direction d’Avanti !, il fonda en novembre 1913 sa propre revue au
titre évocateur, Utopia. Elle lui offrit un cadre plus libre pour y exprimer sa
pensée à travers des articles de fond et des comptes rendus de livres. Mais quel
était donc ce socialisme mussolinien et sur quels points annonçait-il le
fascisme ? La composante marxiste s’effaçait très vite au bénéfice des penchants
insurrectionnels et anarchisants si puissants dans la culture socialiste italienne. Il
existait bel et bien un lien avec la tradition française jacobine dans le sens d’une
expérience révolutionnaire renouvelée par le blanquisme. Ce mouvement tirait
son nom du socialiste Auguste Blanqui pour lequel le succès de la révolution
dépendait d’un groupe de révolutionnaires déterminés. Blanqui, Hervé, Lénine et
Mussolini, tous partageaient le même mépris pour le système parlementaire ou la
démocratie, un identique rejet des solutions réformistes, une foi dans le rôle des
minorités, l’insurrection et la prise du pouvoir au profit d’un système autoritaire
intégrant les masses. Un événement majeur décida de leur destin, l’éclatement de
la guerre en Europe en 1914.

La guerre pour la révolution


En juin 1914, deux semaines avant que l’archiduc héritier François-
Ferdinand ne se rende à Sarajevo pour y rencontrer son destin et sceller celui de
l’Europe, de violentes émeutes populaires connues sous le nom de Settimana
rossa (la Semaine rouge) frappèrent l’Italie. Du 7 au 14 juin, grèves,
manifestations, saccages, combats contre les forces de l’ordre se succédèrent en
solidarité avec deux anarchistes condamnés par un tribunal militaire. La
révolution était-elle à portée de main ? Bien des anarchistes, très présents dans le
mouvement afin de le récupérer, le crurent. Las, il leur fallut déchanter. L’ordre
put être rétabli. La révolution était remise à plus tard. La Semaine rouge
accentua donc la crise du syndicalisme révolutionnaire qui s’était déjà divisé au
sujet de la guerre de Libye en 1911 entre partisans de l’expédition et opposants.
Cela dit, quelles leçons tirer de cette explosion sociale ? La première mettait en
avant la puissance des mythes car les émeutiers ne s’étaient pas levés pour des
questions purement économiques mais poussés par l’antimilitarisme. La
deuxième révélait l’utilisation qui pouvait être faite de la masse contre les
autorités gouvernementales, de la force de la « populace ». Ainsi Mussolini
comptait-il désormais « mobiliser et déchaîner toutes les forces contre les
institutions », mais toujours sous l’autorité non négociable d’un PSI
définitivement purgé de ses dernières traces de réformisme. La dernière leçon
était de ne pas faire retomber cette ardeur révolutionnaire et d’élaborer une
nouvelle stratégie pour la lutte. L’échec du mouvement insurrectionnel
nécessitait de trouver une autre occasion pour déclencher la révolution et ce ne
pouvait être que la guerre dont l’ombre planait désormais sur l’Europe49.
En 1914, l’Italie vivait encore les soubresauts de la guerre de Libye et de
l’incandescence nationaliste qu’elle suscita. Depuis l’expédition coloniale, les
nationalistes entretenaient une atmosphère belliqueuse à laquelle finirent par se
joindre les syndicalistes révolutionnaires. Prezzolini en donna un exemple très
clair dans les colonnes de La Voce du 28 janvier 1914 : « Une civilisation qui
menace de se lasser a besoin d’une guerre ou d’une révolte pour reprendre
vigueur50. » Six mois plus tard, la feuille socialiste Iniziativa lui fit écho en
affirmant que la foule ne voulait plus des accommodements sociaux. « Elle vise
autre chose, elle veut d’autres choses. Il faut un bain purificateur. Il faut faire
pour refaire51. » Autrement dit, la participation à un conflit européen
remplacerait la révolution en permettant une transformation en profondeur du
pays et de ses institutions politiques ; elle engendrerait en outre une Europe
nouvelle, débarrassée des empires réactionnaires qui opprimaient les peuples.
La crise de juillet 1914 obligea dirigeants politiques et intellectuels à se
positionner. Pour le gouvernement dirigé par Antonio Salandra, une décision
s’imposa rapidement, celle de la neutralité. Pas question de participer à la guerre
déclenchée par l’Autriche-Hongrie en faveur de son expansion dans les Balkans.
Le refus de Vienne d’appliquer le traité de la Triplice prévoyant une
compensation territoriale en cas d’agrandissement de l’un des alliés offrit à
Rome l’occasion de se soustraire aux obligations contractuelles du texte.
D’ailleurs, non seulement l’opinion publique en général était hostile à la guerre,
mais encore plus aux côtés de l’ennemi héréditaire autrichien. En effet, le
déclenchement du conflit européen opposant l’Entente (la France, le Royaume-
Uni et la Russie) aux empires centraux (Allemagne et Autriche-Hongrie vite
rejoints par l’Empire ottoman) réveilla en Italie les souvenirs du Risorgimento et
l’attention pour les terres irrédentes. Une fois vite écartée l’hypothèse de la
guerre avec la Triplice, il n’en restait que deux : le maintien de la neutralité
défendue par Giolitti ou l’alliance avec l’Entente52.
Un groupe très hétéroclite se forma alors, celui des interventionnistes qui,
d’abord par la plume, puis par les manifestations, poussait le cabinet vers la
guerre. Notons immédiatement que le choix de finalement signer un traité
d’alliance avec l’Entente (le traité de Londres du 26 avril 1915, prélude à la
déclaration de guerre à l’Autriche le 24 mai 1915) fut le fruit d’une décision
politique prise par le triumvirat formé par le roi Victor-Emmanuel III, le
président du Conseil Antonio Salandra et le ministre des Affaires étrangères
Sidney Sonnino. Cela dit, les interventionnistes jouèrent le rôle d’un groupe de
pression qu’il ne faut pas sous-estimer. Mais qui furent-ils exactement et
pourquoi constituèrent-ils le noyau du futur fascisme ?
On y trouvait bien sûr les nationalistes pour lesquels la guerre devait fournir
l’occasion pour l’Italie de devenir une grande puissance et de parler haut et fort.
Certes, leurs inclinations politiques les portaient davantage vers le système
autoritaire allemand que la démocratie française, mais à tout prendre l’Entente
offrait l’occasion de prendre le contrôle de l’Adriatique et des Balkans. A l’autre
extrémité du champ politique, s’agitaient les syndicalistes révolutionnaires qui,
avec Alceste De Ambris, eurent une influence considérable. La guerre, à leurs
yeux, devait assurer la victoire du socialisme et du syndicalisme en brisant les
forces réactionnaires au sein de l’Europe, d’où l’obligation absolue de combattre
aux côtés de la France républicaine. Tout aussi progressiste se présentait le projet
de Marinetti qui ne pouvait laisser passer l’occasion de réaliser la guerre
futuriste, mécanique, moderne et esthétique. Quant à la revue Lacerba, elle se
lança dans une campagne propagandiste d’une violence inouïe en faveur de ce
que Papini présentait comme une « guerre d’un esprit, d’un idéal contre un idéal,
d’une philosophie ; une guerre pour l’honneur, pour la dignité de notre race et
comme incarnation d’un génie propre ». Son engagement visait à régénérer le
peuple italien tombé dans une lâcheté et une inertie entretenues par les
gouvernements successifs et d’où seule la minorité interventionniste le sortirait.
Enfin l’écrivain Gabriele D’Annunzio, avec la toute-puissance de son verbe,
faisait le lien avec le Risorgimento par sa défense de l’italianité et des terres
irrédentes, par son invocation des mânes des grands chefs de l’Unité, par le lien
entre Garibaldi et les Savoie, entre la révolution et la monarchie italienne.
L’écrivain français Romain Rolland, qui entendit son discours enflammé au
Capitole le 17 mai 1915, au moment de l’entrée en guerre, ne put s’empêcher de
noter : « Gabriele D’Annunzio, au Capitole, se fait instantanément l’âme de
Marat, le pourvoyeur de la guillotine… Il semble qu’on entende une vocifération
du club des Jacobins53. » Le tableau ne serait pas complet si l’on omettait le
groupe des socialistes réformistes comme Bissolati ou modérés comme Gaetano
Salvemini, eux aussi vibrants interventionnistes.
Quant à Mussolini, sa voix comptait peut-être plus qu’une autre autant à
cause de ses fonctions officielles que de l’influence considérable qu’il exerçait
grâce à son charisme et à ses écrits. Le futur dictateur était parvenu, à la veille de
la guerre, à briser l’équilibre précaire existant au sein du PSI entre les
réformistes de Turati et les orthodoxes, et était devenu l’idole des jeunes
militants qui appréciaient son discours radical sur la violence. En juillet-août
1914, alors même que les partis socialistes européens se ralliaient tous à la
guerre et participaient à des gouvernements d’union nationale, il ne dévia pas
d’un pouce de sa ligne internationaliste qui était aussi celle du PSI. Sa grille de
lecture restait celle d’un socialisme révolutionnaire hostile au combat entre
impérialistes. « A bas la guerre ! », tel était le titre de son éditorial dans
l’Avanti ! du 25 juillet. Pourtant, la succession des événements ne le laissa pas
indifférent. Les premières victoires allemandes de l’été, la conversion des
camarades européens, la mort de l’Internationale socialiste, l’attachement des
masses à leur patrie, l’engagement des syndicalistes révolutionnaires italiens
avec lesquels il entretenait, on le sait, d’étroits contacts, et qui créèrent le
5 octobre 1914 le Fascio rivoluzionario d’azione internazionalista (Faisceau
révolutionnaire d’action internationaliste) mené par Filippo Corridoni et
Massimo Rocca, tous ces éléments probablement le conduisirent à réfléchir sur
la pertinence de la neutralité absolue54. Le mois de septembre le vit tergiverser
avant qu’il ne se décidât à prendre position dans un article capital publié le
18 octobre avec un titre programmatique : « Dalla neutralità assoluta alla
neutralità attiva e operante » (De la neutralité absolue à la neutralité active et
opérante). Il y plaçait les socialistes devant leurs responsabilités : il fallait soit
faire la guerre, soit faire la révolution. Or, le PSI ne faisait ni l’une ni l’autre.
Pourtant, la guerre actuelle offrait l’occasion tant espérée. « Voulons-nous être –
comme hommes et comme socialistes – les spectateurs inertes de ce drame
grandiose ? Ou voulons-nous en être […] les protagonistes ? » La question ainsi
posée avait un but très clair : faire se mouvoir le socialisme pour le sauver, un
socialisme que Mussolini n’avait pas l’intention d’abandonner. Il reprit son
argumentation le lendemain dans un discours à Bologne devant les membres du
Bureau exécutif du parti. Il y proposa un ordre du jour conforme à son article de
la veille : « Je comprendrais, argumenta-t-il, notre neutralité absolue si vous
aviez le courage d’aller jusqu’au bout, c’est-à-dire de provoquer l’insurrection ;
mais vous l’écartez a priori parce que vous savez aller à un échec. Alors dites
franchement que vous êtes contre la guerre parce que vous avez peur des
baïonnettes55. » Il ne reçut qu’un seul soutien…
En toute logique, Mussolini démissionna de la direction d’Avanti !, décision
ouvrant la voie à la fondation de son propre journal, Il Popolo d’Italia, le
15 novembre suivant : preuve s’il en était besoin qu’il entendait poursuivre la
lutte, convaincre ses camarades de le suivre dans sa nouvelle voie en agissant sur
le terrain qu’il connaissait le mieux : le journalisme. N’avait-il pas dit en 1912 :
« Un parti sans journal quotidien […] est un parti sans voix, sans militants, sans
avenir. » Le journal comme arme de guerre idéologique, comme instrument
d’action pour être le maître de l’histoire et non pas son esclave ou sa victime.
« Si l’Italie reste absente [du conflit en cours], elle sera la terre des morts, la
terre des lâches. Moi je vous dis que le devoir du socialisme est d’ébranler cette
Italie des prêtres, des triplicistes et des monarchistes56. » Si déjà pointait cette
obsession de la survie de l’Italie qui imprégna tant le fascisme, on voit bien que
Mussolini agissait encore en tant que socialiste.
Or, dans l’immédiat, malgré l’espèce d’autorité qu’il exerçait sur les
militants socialistes, bien peu le suivirent à l’exception d’un petit nombre de
cadres intermédiaires et de militants de base. Pour la majorité, le choix
interventionniste rompait avec la culture traditionnelle du socialisme. Le PSI
demeura neutraliste et déchaîna alors ses foudres contre Mussolini. La sanction
tomba le 24 novembre avec son expulsion du parti. La décision fut prise après
une séance tumultueuse et vociférante à la Maison du Peuple de Milan. Le
« renégat » se battit comme un diable. Mais il eut beau affirmer que « le
socialisme [était] quelque chose qui [s’enracinait] dans le sang », rien n’y fit. Le
lendemain, avec un sens prophétique, il lança à la face de ses anciens camarades
mais aussi de l’Italie tout entière : « Le cas Mussolini n’est pas fini […]. Il
commence et se complique. » Il était pourtant bien le seul à le penser. Tout porte
à croire que son expulsion constitua pour lui un véritable choc. D’un coup, il
perdait ses appuis, son parti, son autorité et voyait s’évanouir près de douze
années de militantisme et d’ascension. Sa décision d’octobre n’était pas un
putsch. Personne, pas même lui, n’avait assez d’imagination pour concevoir la
manière dont les événements le porteraient par la suite au pouvoir suprême.
Maintenant que les socialistes officiels, après l’avoir chassé, dénonçaient les
financements douteux du Popolo d’Italia, ils devinrent des ennemis jurés. Dans
cette lutte, l’isolement de Mussolini n’était pas complet, loin s’en faut. « Le Parti
socialiste t’expulse, l’Italie t’accueille. » Ce fut avec ces mots écrits dans La
Voce que Prezzolini commenta la décision du 24 novembre, trop heureux de voir
un tel homme avec lequel il correspondait depuis longtemps rompre les amarres
du neutralisme. Ils révélaient la satisfaction avec laquelle les courants
interventionnistes démocratiques et étrangers au PSI accueillirent la rupture. Le
Popolo d’Italia devint rapidement leur référence, leur porte-voix, beaucoup plus
d’ailleurs que pour les interventionnistes conservateurs et monarchistes57. Ce que
Emilio Gentile écrit au sujet de Mussolini vaut pour bien des hommes issus de la
gauche italienne plus ou moins radicale : « Le choix interventionniste ne fut pas
un acte impulsif et encore moins une défaillance devant les promesses de
l’ambition et la séduction de l’argent, mais il arriva après une réflexion
tourmentée sur la faillite de l’Internationale socialiste58. » A l’automne 1914,
Mussolini tourna la page sur un nouveau chapitre de l’histoire politique de son
pays avec l’abandon du socialisme internationaliste mais pas du socialisme tout
court. On ne saurait trop insister sur ce point. Le nationalisme n’eut aucune
influence dans son choix. Dans les colonnes du Popolo d’Italia, il n’en
démordait pas : « Aujourd’hui, c’est la guerre, demain ce sera la révolution » en
Autriche, en Allemagne et même en Russie. Lénine ne disait pas autre chose à la
différence capitale que le chef bolchevique refusait la guerre des nations, alors
que le futur Duce comptait y participer pour transformer le pays de l’intérieur.
Tout naturellement, il reprit à son compte la tradition du Risorgimento, les
mythes jacobins et mazziniens soudain très pratiques pour justifier la lutte contre
l’Autriche parce qu’ils parlaient au plus profond de l’âme du pays, du moins le
croyait-il.
S’il fallait avancer d’autres preuves du caractère révolutionnaire de
l’interventionnisme mussolinien, nous les trouverions dans la création, le
11 décembre 1914, du Fascio d’azione rivoluzionaria interventista (Faisceau
d’action révolutionnaire interventionniste) à Milan avec le syndicaliste
révolutionnaire Alceste De Ambris. Ce groupe, qui monta rapidement à
9 000 membres répartis en 105 sections, devait son nom à une tradition
contestataire de la fin du XIXe siècle qui trouvait sa traduction politique dans la
constitution de groupes plus ou moins syndicaux notamment dans le monde
agricole – ce fut le cas des Faisceaux siciliens du début des années 1890 – et qui
reprirent le symbole de force et d’unité du faisceau romain. Dès février 1915,
Mussolini put ainsi écrire pour la première fois : « Nous fascistes… », sans
renier pour autant son appartenance au socialisme. Et comme tout mouvement
devait avoir son journal, le premier numéro d’un nouvel hebdomadaire, Audacia,
sortit en janvier 1915. Son titre venait de la phrase fameuse du révolutionnaire
français Georges Danton : « Il faut de l’audace, toujours de l’audace, encore de
l’audace », soigneusement placée en première page à côté d’une autre de… Jean
Jaurès : « C’est dans l’Internationale que l’indépendance des nations a sa plus
haute garantie ; c’est dans les nations indépendantes que l’Internationale a ses
organes les plus puissants et les plus nobles59. » Les socialistes français ralliés
eux aussi à la guerre ne s’y trompèrent d’ailleurs pas. Plusieurs d’entre eux, le
futur dirigeant du PCF Marcel Cachin en tête, vinrent en Italie rencontrer
Mussolini, prélude au versement de discrètes subventions en faveur du Popolo
d’Italia, lesquels subsides croisèrent ceux de l’ambassade de France…
Ainsi donc se forma un groupe hétérogène de nationalistes de diverses
obédiences, d’héritiers de Mazzini, de syndicalistes révolutionnaires, de
socialistes hérétiques, de futuristes, qui s’alimentaient aux sources toutes aussi
diverses du Risorgimento, du jacobinisme, de l’anticapitalisme, de
l’antiparlementarisme, du sorélisme ; tous unis toutefois dans la volonté
irrévocable d’utiliser la guerre pour une révolution spirituelle, une régénération
du pays et la naissance de la Terza Italia, la Troisième Italie, qui succéderait à
celle de la Renaissance et du Risorgimento. Le dannunzianisme, le futurisme et
le mussolinisme constituaient ainsi les matrices du fascisme embryonnaire par
l’éclosion d’un socialisme nationaliste. Ce fut ainsi que les thèmes nationalistes
prirent de plus en plus de place dans les articles du Popolo d’Italia. Peu à peu,
un virage sémantique s’opéra, poussant à l’abandon du mot « prolétariat » au
profit de celui plus rassembleur de « peuple ». La haine antiallemande s’y
exprimait désormais ouvertement mais toujours à travers le prisme du
socialisme. Lisons ce que Mussolini écrivait le 1er avril 1915 : « Pour que cette
guerre conduise à un équilibre international plus stable, pour que cette guerre
impose la limitation des armements et donc crée une situation favorable à la lutte
de la classe ouvrière, il est nécessaire qu’elle soit une guerre de liquidation, une
guerre à fond, exterminatrice de ceux qui l’ont voulue60. » On se trouve ici à la
confluence entre la tradition mazzinienne pour achever le Risorgimento et
l’espérance socialiste d’une révolution totale61 ; un combat révolutionnaire aux
accents de 1792, celui des hommes libres contre les tyrans ; un affrontement
total dans le sens où il existe un autre ennemi à abattre, à l’intérieur même du
pays : la bourgeoisie et son maître Giolitti.
Le « dictateur parlementaire » n’exerçait plus le pouvoir depuis le mois de
mars 1914 mais considérait son retrait comme provisoire, le nouveau président
du Conseil Salandra n’ayant ni sa stature ni ses capacités. Quand celui-ci déclara
la neutralité, Giolitti l’approuva avant de se rendre compte que le cabinet
évoluait en toute discrétion vers une intervention armée contre les anciens alliés
de la Triplice. Dès lors, il défendit la thèse dite du parecchio (beaucoup) selon
laquelle l’Italie pourrait obtenir des avantages simplement en négociant avec
Berlin et Vienne sans recourir à la guerre. A partir de ce moment-là, les
interventionnistes en firent leur cible privilégiée. Après avoir mené pendant une
décennie une politique étrangère au rabais et avoir maintenu le pays dans un état
d’impréparation militaire, voilà le même homme qui manœuvrait désormais pour
entraver le rendez-vous de l’Italie avec son destin ! Papini, dans La Voce, se
déchaîna contre l’ennemi à deux têtes, l’Autriche et Giolitti, mais avec une
prédilection particulière pour le second. L’homme d’Etat piémontais
personnifiait à lui tout seul « la corruption parlementaire » et l’affairisme ;
surtout, il représentait une alternative crédible – du fait de son autorité sur le
monde politique – à l’entrée en guerre. Son parecchio revenait à maintenir
l’Italie dans le rang subalterne des nations pleutres. De cette vision insupportable
découlait la nécessité de se débarrasser une bonne fois pour toutes du
giolittisme62. Ardengo Soffici, dans les colonnes de Lacerba, lança une menace
claire à destination des ennemis intérieurs : « Lorsque l’Italie aura atteint, en
dépit de leur lâcheté et de leur infamie, ses fins de nation civile et faite pour
l’avenir, elle trouvera le moment de régler ses comptes avec eux. » La revue alla
jusqu’à lancer un véritable manifeste réquisitoire contre Giolitti, accusé pêle-
mêle de représenter « trois cents bandits parlementaires », « vingt ans de
corruption et d’intrigues », « la lâcheté des affairistes, l’insolence des huissiers,
la politique sans foi ». Le texte s’achevait sur la raison d’être du conflit en
cours : « La guerre doit purifier la vie italienne et non pas donner une force
nouvelle au panier de crabes giolittiens63. »
Ce flot de haine contre Giolitti fut habilement utilisé par Salandra afin de
l’écarter définitivement du pouvoir, de mettre fin à son « système » de
gouvernement mais aussi de faire avaler au pays l’entrée en guerre. Le 26 avril
1915 en effet, l’Italie apposa sa signature au bas du traité secret de Londres qui
contenait de vastes promesses territoriales : le Trentin, l’Istrie avec Trieste, une
partie de la Dalmatie et de ses îles, un protectorat sur l’Albanie, des territoires
coloniaux en Asie mineure. On notera que les Alliés refusèrent de lui céder la
ville portuaire de Fiume afin de laisser un débouché maritime à une future
Autriche-Hongrie certes amoindrie mais maintenue. Toutefois, l’opinion
publique et surtout le Parlement, à majorité giolittienne, demeuraient
neutralistes. Giolitti en profita pour pousser encore et toujours en faveur d’une
négociation avec le Triplice. Le cabinet risquait de s’enfermer dans une impasse.
Salandra joua alors sur plusieurs fronts. Il s’assura d’abord du soutien de Victor-
Emmanuel III qui fit mine de négocier avec Giolitti son retour au pouvoir,
sachant que le Piémontais n’irait pas jusqu’à la crise ouverte avec la Couronne.
Puis il démissionna le 13 mai en laissant au souverain la responsabilité de choisir
son successeur : Giolitti ou lui-même. Au préalable, il avait favorisé les
manifestations dans les rues des groupes interventionnistes qui commencèrent à
envahir et à occuper les places des grandes villes de la péninsule. D’Annunzio,
arrivé inopinément à Rome le 12 mai, réclamait à grands cris des têtes, avec
celle de Giolitti placée en haut de la liste. Ce dernier, ne pouvant gouverner
contre le roi, jeta l’éponge et le 16 mai, Salandra fut confirmé dans sa fonction64.
Quatre jours plus tard, le Parlement vota l’investiture et les pleins pouvoirs en
cas de guerre. Le 24 mai, l’Italie ouvrit les hostilités contre l’Autriche-Hongrie.
Cette crise politique, connue sous l’expression du maggio radioso (mai
radieux), jeta dans la rue des foules aussi vociférantes que minoritaires mais qui
permirent au gouvernement d’imposer ses choix au Parlement et de draper ses
choix politico-stratégiques des habits de l’irrédentisme, dont la charge
sentimentale permettait de rallier bien des indécis. La classe dirigeante libérale
de 1914-1915 examina la situation selon des schémas de la Realpolitik : il
s’agissait de réfléchir aux avantages que l’Italie tirerait de la paix ou de la
guerre, de l’alliance avec tel ou tel groupe de belligérants. On trouverait
difficilement des traces d’idéologie dans la prise de décision qui se fit par l’étude
minutieuse des conditions générales du conflit en Europe, de l’état de l’armée
italienne, des forces en présence, des enjeux, etc. Le gouvernement de Salandra,
bien éloigné de tout sentimentalisme nationaliste à propos des frères italiens de
l’altra sponda (l’autre rive, c’est-à-dire le rivage oriental de la mer Adriatique),
cherchait surtout à défendre les côtes des attaques de la flotte austro-hongroise,
de faire de l’Adriatique un lac italien et d’étendre l’influence italienne sur les
Balkans65. Il en vint à considérer que le maintien de la neutralité fragiliserait la
monarchie, interprète depuis le Risorgimento des sentiments nationaux, et
coûterait au pays sa place au sein des grandes puissances.
Mais le maggio radioso favorisa aussi le rapprochement entre les courants
nationalistes conservateurs et les groupes d’extrême gauche interventionnistes
autour de l’irrédentisme, thème fort pratique pour mobiliser les énergies en
présentant la guerre comme l’achèvement du Risorgimento. L’objectif de la lutte
n’en restait pas moins nationaliste au sens d’affirmation de la puissance italienne
à l’extérieur et d’épuration à intérieur. A ce propos, Mussolini ne cachait rien de
l’obligation d’utiliser le conflit pour purger le régime. « Quant à moi, écrivit-il le
11 mai 1915, je suis de plus en plus fermement convaincu que, pour sauver
l’Italie, il faudrait fusiller, je dis bien fusiller, dans le dos quelques douzaines de
députés, et envoyer au bagne au moins une paire d’anciens ministres66. » Ce
n’est pourtant pas sur ce terrain déjà ancien de l’antiparlementarisme et de la
violence que se situait l’évolution mais sur l’affirmation du socialisme national.
Dans les premières semaines du conflit, alors qu’il demeurait à Milan jusqu’à
son tardif appel sous les drapeaux en août – ce que ses adversaires ne
manquaient de lui reprocher –, il se réappropria le thème patriotique en prenant
acte des transformations du socialisme depuis août 1914 : « La Patrie est le
terrain dur et sain, la construction millénaire de la race ; l’internationalisme était
l’idéologie fragile qui ne pouvait tenir face au souffle de la tempête. Le sang qui
vivifie la Patrie a tué l’Internationale. » Le peuple avait désormais remplacé le
prolétariat mais sans que la lutte sociale ne fût, elle, abandonnée. L’ennemi
restait le même qu’à l’époque d’Avanti ! : le bourgeois. Un article du 12 juillet
1915 résuma cette transposition de la lutte des classes en un combat entre le
peuple mythifié et la bourgeoisie : « Il existe une “union sacrée” du peuple mais
la bourgeoisie s’extrait volontairement de cette union. Le peuple donne tout, la
bourgeoisie donne peu ou rien. Le peuple est généreux, la bourgeoisie est
avare […], cette guerre n’est pas la leur ; c’est la nôtre […]. Le peuple donne –
avec enthousiasme – tout son sang et son argent ; ces messieurs donnent très peu
de sang et encore moins d’argent. La bourgeoisie italienne s’exile de la patrie à
l’heure suprême. Très bien. Depuis aujourd’hui, la succession est ouverte67. »
Ce texte mérite que l’on s’y arrête. Il prouve la cohérence idéologique du
futur Duce du fascisme qui n’opéra pas durant ces mois cruciaux de volte-face,
de rupture ou de reniement opportuniste. Certes, il n’eut jamais un corps de
doctrine très rigoureux comme nous l’avons vu. Pour autant, en décrivant la
bourgeoisie sous les traits d’un corps étranger à la nation, d’un groupe
antipatriotique en somme, comme Sieyès l’avait fait en son temps à propos de la
noblesse française, le Mussolini interventionniste marchait sur les pas du
Mussolini socialiste et annonçait le Mussolini fasciste qui vitupéra jusqu’à la fin
de sa vie l’indigne bourgeoisie italienne, lâche et égoïste. Un révolutionnaire,
voilà ce qu’il avait été, ce qu’il était et ce qu’il serait toujours. Et il rejoignait sur
ce terrain les courants contestataires qui aspiraient eux aussi à une révolution
spirituelle et politique des Italiens, à une transformation de leur esprit, bref à une
ambition anthropologique. Le totalitarisme était en germe.
Au commencement était donc le socialisme. Et le socialisme allait se faire
fascisme, sans se renier, lentement, sans véritables contradictions, parce que si le
socialisme pouvait se fractionner en une multitude de chapelles, toutes se
retrouvaient autour du mythe de la révolution. Car seule une rupture comme
celle qu’avait connue la France à la fin du XVIIIe siècle permettrait de tout
réinventer, et au premier chef l’homme. L’historien Martin Malia a bien montré
que depuis 1789 « le secret est lâché : l’histoire se fait par des révolutions68 ».
C’est à ce niveau que se situa la matrice du destin de Mussolini. Son passage
vers ce qui devint le fascisme en 1919 s’opéra par cette « quête
anthropologique » qui ne cessa jamais de l’obséder, qu’il crut tout d’abord
trouver dans un marxisme nietzschéen puis dans la violence de la guerre69. Mais
que ce fût dans le PSI ou les tranchées, il cherchait toujours un homme nouveau.
2
A l’assaut !

Le fascisme enfant de la Grande Guerre… C’est devenu un lieu commun de


le dire. De la catastrophe, il aurait hérité la violence, transposée des tranchées à
la vie politique. Cette thèse a trouvé son plus brillant défenseur dans l’historien
américain George L. Mosse dont le concept de brutalisation des sociétés
européennes a été popularisé par son livre De la Grande Guerre au
totalitarisme1. Or, comme nous venons de le voir, si le conflit libéra des forces
antidémocratiques, antiparlementaires et un très fort potentiel de violence, ces
éléments jusque-là contenus préexistaient. Le fascisme fut, on ne cessera jamais
de le répéter, le fruit d’une culture révolutionnaire et patriotique propre à l’Italie
et qui s’exprima lors de la crise de l’intervention de 1915. La Première Guerre
mondiale est ensuite intervenue à trois niveaux dans son émergence. Tout
d’abord, par son caractère de totalisation plus que de brutalisation ; autrement
dit, l’Etat, élargissant ses compétences dans un monde européen encore très
libéral, abolissait la distinction entre civil et militaire, tout en mobilisant en
profondeur et en permanence l’ensemble des couches de la société, de
l’économie, de la politique. Ensuite, en jetant des millions d’individus dans la
mêlée générale, les gouvernements firent entrer les masses sur la scène de
l’histoire. Non seulement elles n’en sortiraient pas facilement, mais en plus elles
n’en exprimaient pas l’intention, bien au contraire. Enfin, le conflit entretint une
culture particulière présente depuis le simple militant jusqu’au dirigeant du
fascisme, avec ses codes et sa liturgie, ses références et ses souvenirs, sa vision
du monde et son principal objectif : ne pas revenir à l’Italie d’avant 1915. Mais
cela ne suffit pas à expliquer la montée et la victoire du fascisme dont furent
préservés les autres Etats vainqueurs. De nombreuses frustrations vinrent
alimenter un feu de la colère déjà incandescent. C’est ce que l’on appela dès
l’époque la victoire mutilée.

L’aristocratie des tranchées


En mai 1915, la rupture de la neutralité fut un rendez-vous avec l’histoire. A
la différence des autres belligérants, l’Italie prit les armes sans avoir été attaquée,
avec une opinion publique assez largement neutraliste, un Parlement bafoué et
sans union sacrée puisque le PSI et l’Eglise catholique ne se rallièrent pas à la
guerre. Mais pour beaucoup, notamment les jeunes, il fallait en finir avec l’Italie
de Giolitti. Le maggio radioso fut leur première rébellion. Il y en aurait d’autres.
La Grande Guerre eut un rôle d’accoucheur du fascisme, c’est incontestable,
mais le phénomène plongeait ses racines dans l’environnement général de
l’Europe industrielle, dans la culture politique de l’Italie et dans les
circonstances particulières du pays. Il s’agit donc moins de nuancer l’impact du
conflit mondial – qui a été très fort – que de le replacer dans une perspective plus
longue. Nous ne pouvons que partager l’analyse de Stéphane Courtois : la guerre
a mis en place des conditions propices à l’émergence des mouvements
totalitaires qui sont « la conséquence de l’impact de la révolution industrielle sur
des sociétés traditionnelles, très largement paysannes, frappées de plein fouet par
la désagrégation de leurs structures holistes et de la mentalité anti-individualiste
qui s’y rattache2 ». Elle donna un formidable coup d’accélérateur à cette volonté
de réunir ce qui avait été désuni par l’industrialisation, le libéralisme politique et
économique. Mais la violence guerrière en elle-même ne suffit pas. Pour
permettre l’émergence du fascisme comme mouvement de masse, son
enracinement et finalement sa victoire, il fallut que l’Italie traversât bien des
épreuves pendant le conflit, qu’une impression de multiples trahisons flottât sur
son effort de guerre et qu’elle en sortît avec le sentiment d’une victoire
incomplète.
Car le scenario imaginé en mai 1915 et prévoyant une offensive décisive sur
le front nord-est en direction de Vienne ne se déroula pas comme prévu. En lieu
et place de la vaste opération napoléonienne du généralissime Cadorna, les
armées italiennes connurent à leur tour dès l’été 1915 la guerre de position le
long d’un front s’étirant du Trentin à la mer Adriatique, dans des conditions
géographiques et climatiques particulièrement éprouvantes pour le soldat.
Jusqu’en 1917, Cadorna lança onze batailles dites de l’Isonzo, le fleuve
marquant la ligne de front, et qui toutes se brisèrent sur la résistance des armées
de François-Joseph. Si l’Italie ne connut jamais de Verdun, ses soldats subirent
plusieurs Chemins des Dames qui usèrent leur moral et alimentèrent bien des
interrogations sur le bien-fondé de la guerre. A cela s’ajoutèrent les conditions
de vie très dures du fantassin soumis à des règlements aussi minutieux que leur
application était draconienne, à une justice militaire expéditive, à des répressions
implacables. Les combats ne favorisèrent donc pas un processus d’harmonisation
entre les différentes classes sociales ; on pourrait même dire que le strict
maintien au front des hiérarchies de l’arrière reflétait toute la dureté des clivages
sociaux italiens.
D’un point de vue politique, les courants nationalistes conservateurs
bénéficiaient d’une très forte influence qui s’exerçait au détriment de la gauche
interventionniste. Malgré toutes les tentatives pour s’en détacher, cette dernière
n’était pas en mesure de prendre le dessus sur une droite nationaliste sans cesse
plus proche du gouvernement. Cela dit, elle ne fut pas aux abonnés absents. De
nombreux interventionnistes, en cohérence avec leur engagement, revêtirent
l’uniforme et prirent le chemin du front : de Marinetti à Alceste De Ambris, en
passant par Gabriele D’Annunzio. Qu’y découvrirent-ils ? Tout d’abord, une
réalité qu’ils ignoraient : le peuple des campagnes versé dans l’infanterie et
soudain paré de toutes les vertus intrinsèques aux paysans : endurance, force,
obéissance, résignation à accepter les combats. Pépinière d’excellents soldats,
cette masse paysanne leur fournissait un bon prétexte pour dénoncer le
socialisme et le défaitisme des ouvriers. L’indéniable souffrance du soldat de
première ligne le rendait très sensible au concept de l’embusqué sans cesse agité
par le froid et implacable général Cadorna. Très vite, l’amalgame se fit entre
celui qui ne connaissait pas les souffrances du front et le « planqué ». Ainsi
nombre d’intellectuels, souvent officiers de réserve, ressentirent-ils une grande
proximité avec leurs soldats-paysans. Ils les différenciaient nettement des
ouvriers socialistes, neutralistes en 1915 et à présent maintenus dans les usines
de l’arrière et perméables à la propagande pacifiste3.
L’autre confirmation résidait dans l’importance de la foi. Au milieu des
ravages des combats, la religion simple mais intense des fantassins tenait une
place centrale dans leur motivation. Toutefois, les positions neutralistes de la
hiérarchie catholique et de la papauté posaient problème en risquant de dissoudre
l’ardeur patriotique. Le détournement des sentiments religieux vers la patrie
permettrait de se prémunir d’un tel danger. Ainsi fallait-il exploiter au maximum
les potentialités unificatrices de la religion de la nation. Ce fut le cas de
Corradini transformant les soldats tués au combat en martyrs de la patrie :
« Vous devez sentir que maintenant votre esprit doit avoir quelque chose de celui
des vrais croyants quand leurs pensées s’adressent à Dieu […]. Vous devez sentir
qu’une autre humanité doit être la nôtre. » Tel l’Agneau sacrifié, le soldat versait
un sang qui purifiait la terre et la patrie transformée en une idole. On saisit ici
non seulement toute la charge christique de telles paroles, mais aussi leur
potentialité de religion de substitution au catholicisme. Paolo Orano, homme de
lettres, ancien socialiste et futur fasciste, emprunta cette voie sans détour : « Ce
que nous appelons Eglise n’est rien d’autre que l’arbitraire de la caste consolidé
par l’habitude et accepté d’abord par indifférence, puis par violence […]. Nous
Italiens avons besoin d’une religion qui soit comme notre poésie, religion qui est
en tendance chez Dante et Mazzini […]. Nous devons nous aussi faire notre
Réforme4. » Cette nouvelle forme de religiosité transformait la guerre en une
sorte de croisade, donnait un contenu vivant et sentimental à une patrie soit trop
abstraite pour la majorité des soldats, soit incarnée par la personne d’un roi que
sa petite taille et son corps malingre éloignaient de l’esthétique guerrière.
Car cette guerre qui fauchait des centaines de milliers d’individus n’était pas
seulement un carnage mais aussi une œuvre d’art. Marinetti la vécut ainsi,
comme un tableau vivant de ce que le futurisme avait exalté, une concrétisation
de ses attentes hygiénistes purifiant l’ancien monde à l’agonie dans un fracas de
bruit, de canons, de moteurs. Au volant des auto-blindés qu’il conduisit en 1918,
il fonçait contre l’ennemi avec la puissance destructrice du progrès lancé à toute
allure et la délectation que lui procurait un conflit conjuguant exploit sportif,
héroïsme individuel et expérience collective. Le mouvement futuriste prit alors
une connotation politique encore plus marquée et qui s’exprimait dans
l’hebdomadaire L’Italia futurista lancé en juin 1916 dans lequel le projet de
l’homme nouveau était présenté. L’une de ses plumes explicita en ces termes
l’ambition du mouvement : « Il y a à l’intérieur [du futurisme] un nouveau type
d’Italien qui sortira façonné par nos mains et qui sera destiné à transformer la
plus intime substance morale de la nation5. » Quant à Gabriele D’Annunzio, il se
jeta dans le grand cataclysme à près de 53 ans pour y accomplir une série
d’incursions navales à bord de petites embarcations rapides, les MAS (motoscafi
antisommergibili), mais aussi de raids aériens tout aussi audacieux qui
culminèrent en août 1918 avec son célébrissime lâché de tracts tricolores sur
Vienne exsangue. Plusieurs fois blessé, l’ancien dandy des salons littéraires
souffrit dans sa chair, découvrit ce que l’expérience combattante comportait de
camaraderie, d’abnégation, de volonté. Sa volupté s’imprégna alors de l’odeur
de la mort. Devenu un poète chevalier, il attint des sommets de popularité par
son action et par sa prose qui substituaient à la guerre de masse, aux massacres
de fantassins engloutis dans des tranchées pilonnées par l’artillerie une beauté
héroïque et glorieuse. L’Italie retrouvait un condottiere.
Ainsi la figure de D’Annunzio écrasait-elle de sa lumière tous les autres
chefs interventionnistes qui faisaient pâle figure à côté de lui. Mussolini, qui finit
par rejoindre le front en septembre 1915 pour y combattre sur les Alpes, connut
lui aussi l’épreuve du feu. Blessé en février 1917, il n’en retourna pas moins au
combat tout en maintenant sa frénétique activité journalistique. Le caporal
Mussolini qui avait voué le militarisme aux gémonies faisait maintenant son
devoir patriotique. Et pour ceux qui en douteraient, il prit soin de faire publier
par Il Popolo d’Italia un Diario di guerra (journal de guerre). Non sans talent, il
sut y mettre en valeur ses aptitudes au commandement, sa proximité avec les
soldats, la puissance du patriotisme qui était désormais le sien et l’expérience
fondatrice que constituait la guerre. Non, il ne s’était pas trompé en 1914. La
conflagration qui ravageait l’Europe accouchait d’une société nouvelle, trempée
dans la dureté des assauts, unie par la fraternité et la religiosité patriotique dont
le futur dictateur prit toute la mesure6. Sans qu’il ne le sût bien sûr, tous les
futurs hiérarques de son régime combattaient eux aussi : Grandi, Balbo, Starace,
Farinacci, De Bono. L’un d’eux, Giuseppe Bottai, décrivit en ces termes ses
impressions sur la guerre d’août 1914 : « Immédiatement je la voulus. C’était
une volonté qui venait du fond de moi-même. Elle montait depuis mes
viscères7. » Pour ces hommes, jeunes et couverts de décoration, la Grande
Guerre fut l’expérience de leur vie, un acte de rébellion, le creuset de leurs
passions, de leurs haines, de leurs espoirs en un monde totalement nouveau qui
préserverait l’héritage des tranchées et de tous ceux qui y avaient été anéantis.
Dès l’année 1916, le poids des difficultés commença à se faire durement
sentir, aussi bien sur les soldats que les civils. La situation économique se
détériorait, alimentant tous les mécontents contre une guerre qui n’avait pas été
voulue, tandis que l’accumulation des défaites au sein de l’Entente donnait
l’impression d’une prolongation indéfinie du conflit. Le pacifisme, voire le
défaitisme, progressait. Et lorsque le pape Benoît XV publia en août 1917 un
message aux belligérants leur proposant une série de propositions autour
desquelles une paix de compromis aurait pu être signée, le gouvernement italien
et les interventionnistes la perçurent comme une sorte de coup porté à la
mobilisation des énergies. Même si le PSI se maintenait dans une prudente
expectative selon le mot d’ordre « ni soutien ni sabotage », cela faisait quand
même beaucoup d’ennemis intérieurs à surveiller…
Mais le pire arriva avec les deux événements majeurs de l’année 1917, la
défaite de Caporetto et la révolution bolchevique en Russie. La première surgit le
24 octobre avec la rupture du front par les armées austro-allemandes. La 2e
armée italienne ne tint pas le choc et son retrait se transforma très vite en une
reculade générale, pendant laquelle on vit des soldats jeter leurs fusils à terre
avant de s’enfuir. L’ennemi avança de 150 kilomètres – distance considérable
dans le cadre d’une guerre de position – s’empara de près de 300 000 prisonniers
et tua près de 11 000 soldats italiens (auxquels il fallait ajouter 29 000 blessés).
Une reprise en main de l’armée et des renforts alliés permirent de rétablir la
situation, en stabilisant la nouvelle ligne de front sur le fleuve Piave. L’alerte
militaire avait donc été chaude. Désormais, la guerre italienne serait défensive.
Sur le terrain politique, la crise provoqua un sursaut qui s’exprima dans la
destitution de Cadorna au profit du général Diaz et dans la démission du
président du Conseil, le pâle Paolo Boselli, remplacé par le plus énergique
Victor-Emmanuel Orlando. Une intense mobilisation idéologique devait aussi
permettre de remobiliser les énergies pour la survie du pays et la victoire de son
armée. Or, cette « idéalisation » du conflit eut comme conséquence d’accentuer
les attaques contre l’ennemi intérieur, l’ancien neutraliste recyclé en défaitiste,
l’apathique insensible à la souffrance du soldat, le saboteur socialiste, le
bourgeois embusqué et égoïste.
Dans de telles conditions, la porosité de la gauche interventionniste aux
thèmes nationalistes s’accéléra, notamment sous l’effet du thème de la guerre
« prolétarienne » menée par l’Italie. En promettant par exemple aux paysans
combattants la possession des terres une fois la victoire acquise, le
gouvernement transformait le conflit en une lutte des pauvres contre tous les
riches, ceux du pays comme ceux des nations ennemies. Les services de
propagande, considérablement renforcés après Caporetto, expliquaient aux
Italiens que « la guerre est révolution contre l’Allemagne pour garantir à nos
peuples le pain quotidien ». L’Italie marcherait bientôt tête haute, à égalité avec
les autres peuples, et on ne lui ferait plus jamais l’aumône8. Le jeune Curzio
Suckert, qui n’avait pas encore pris le pseudonyme de Malaparte, fut un témoin
direct du drame de Caporetto. De cette expérience, le militant républicain
devenu un interventionniste engagé dans la Légion garibaldienne tira un livre
polémique publié en 1923, Viva Caporetto ! La rivolta dei santi maledetti. Il y
décrit la fuite des soldats lors de la rupture du front comme « le geste le plus
courageux du prolétariat armé » refusant de continuer la guerre des dirigeants et
des officiers bourgeois. La défaite devenait « une sorte de continuation
tumultueuse et populaire du Risorgimento9 » et ainsi un des maillons de la
chaîne d’événements qui, en 1917, voyaient les peuples se réveiller pour
transformer la veille Europe.
Car dans le même temps une autre secousse, beaucoup plus globale celle-ci,
fit trembler l’Europe sur ces fondements, la révolution bolchevique. Les
interventionnistes révolutionnaires, au premier rang desquels se tenait Mussolini,
se félicitèrent de la chute du tsarisme en février 1917 car elle confirmait
l’analyse sur laquelle s’était construit leur engagement : la guerre entraînait la
révolution. En revanche, le directeur du Popolo d’Italia tempêta contre le coup
d’Etat des bolcheviks et surtout contre le traité de Brest-Litovsk de mars 1918
signé avec les Empires centraux. Cette sortie de la guerre de la Russie fut
assimilée à une trahison car, en donnant à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie
réactionnaires les conditions de la victoire, elle menaçait non seulement l’Italie
mais aussi sa propre révolution. Le 21 mars, Mussolini déclarait la guerre au
régime des soviets : « Une paix qui assassine la révolution, voilà le chef-d’œuvre
de Lénine ! […] Ah ! Comme l’histoire nous a donné et nous donne
continuellement raison ! Comme nous sommes heureux, orgueilleux d’avoir
contribué à jeter entre les roues du char militariste germanique broyeur des
peuples le bâton de l’intervention italienne ! Et nous sentons que si on demandait
à notre peuple des ateliers et des tranchées : voulez-vous une paix qui réduise
l’Italie, l’Europe et le monde à l’état misérable dans lequel est précipitée la
Russie ? Un non solennel serait la réponse10. »
Caporetto et la révolution russe auraient donc réveillé en quelque sorte
Mussolini et les interventionnistes de gauche que Renzo De Felice décrivait
comme des révolutionnaires « en sommeil » depuis 1915. Tout en évitant toute
généralisation hâtive, il faut bien reconnaître que ces crises successives
accentuèrent chez eux l’influence du thème patriotique11. En effet, Caporetto mit
à l’ordre du jour la patrie en danger, tandis qu’Octobre 1917 rechargea en
énergie l’utopie universaliste que les premières années de la guerre avaient mise
en sourdine et contre laquelle se dressèrent désormais ceux déterminés à sauver
la nation et les sacrifices qui lui furent consentis. Roberto Farinacci, future
grande figure du fascisme intransigeant, prenait le chemin inverse du léninisme
en écrivant dans son journal La Squilla en décembre 1917 : « La nation et le
prolétariat, la nation et la classe ne sont pas des termes qui s’opposent l’un
l’autre […]. Vous désintéresser du sort de la patrie signifierait, ô travailleurs,
coopérer à votre esclavage, au crépuscule de toute espérance pour l’avenir12. »
Au même moment, Mussolini franchit une nouvelle étape le 15 décembre
1917 en signant un autre article fondateur après celui d’octobre 1914, intitulé
« Trincerocrazia ». Formé de l’union de trincea (tranchée) et aristocrazia
(aristocratie), ce néologisme désignait la nouvelle avant-garde de la révolution
que le caporal-journaliste attendait depuis plus d’une décennie et qu’il faisait
naître de la guerre : « La trincerocrazia est l’aristocratie de la tranchée. C’est
l’aristocratie de demain. C’est l’aristocratie en fonction. Elle vient des
profondeurs. Ses “quartiers de noblesse” ont une belle couleur de sang […]. Le
rude et sanglant apprentissage des tranchées signifiera quelque chose. Les vieux
partis seront renversés […], les paroles république, démocratie, radicalisme,
libéralisme, et même socialisme n’ont plus de sens13. »
La conscience des tranchées, c’est-à-dire celle d’avoir vécu collectivement
une expérience hors-norme et fondatrice, remplaçait celle des classes sociales
rendue désuète par les trois années de conflits. Si nouvelle classe il y avait,
c’était celle des soldats, de ceux qui ont connu le front par rapport à ceux de
l’arrière. Et se détachait de ce groupe une aristocratie aux contours bien définis :
les arditi (membres des sections d’assaut) et les aviateurs. De fait, et en toute
cohérence, Mussolini décida en août 1918 de changer le sous-titre du Popolo
d’Italia : de « quotidien socialiste » il devint le « quotidien des Combattants et
des Producteurs ». Car ne nous méprenons pas. Certes, le mot socialiste était
désormais « vide de sens » comme il l’écrivit à ce moment-là, mais d’une part
les préoccupations sociales (la terre aux paysans) étaient toujours présentes et
d’autre part il continuait systématiquement à employer le terme de révolution.
En juillet 1918, alors que le front français subissait le choc des dernières
offensives de Ludendorff, Mussolini établit dans un article de la revue franco-
italienne Idea Latina un lien entre le 14 juillet 1789 et la guerre : « Maintenant je
m’interroge : un peuple qui a dans son histoire de telles pages peut-il devenir
sujet d’un peuple qui n’a jamais connu de journées révolutionnaires ? Ou n’est-il
pas destiné à démolir, après la Bastille des Capet, la Bastille infiniment pire des
Hohenzollern ? C’est pour cela qu’aujourd’hui on fait une guerre qui est une
grande Révolution. » Finalement, on le sait, la contre-offensive alliée du mois
d’août rétablit la situation et ouvrit la voie à la défaite de l’Allemagne, tandis
que les armées italiennes prenaient leur revanche à la bataille de Vittorio Veneto,
le 24 octobre 1918, obtenue contre une Autriche-Hongrie moribonde qui signa
l’armistice de Villa Giusti le 3 novembre suivant. Six jours plus tard, alors que
les socialistes allemands proclamaient la république à Berlin, Mussolini faisait le
bilan du conflit tout en mettant en lumière le nouveau danger bolchevique
planant sur l’Europe : « Elle [la guerre] était et est une révolution pour tout ce
qu’elle a démoli et créé dans le champ politique international mais comment
empêcher – maintenant – les répercussions “sociales” de cette révolution
commencée et terminée par la guerre victorieuse14 ? » Le fascisme apporterait sa
propre réponse à cette question capitale : une révolution nationale-populaire.

Le fascisme de San Sepolcro


En 1918, l’Italie remporta une victoire définitive sur l’ennemi historique
autrichien qu’elle paya néanmoins au prix fort avec 650 000 tués,
947 000 blessés, une société profondément divisée, une économie perturbée
peinant à se reconvertir. Cela dit, quel pays – à part les Etats-Unis – sortait de la
guerre dans une bonne situation ? L’état de la France n’était pas meilleur, loin
s’en faut. De plus, Rome pouvait espérer tirer les dividendes de son choix
d’avril-mai 1915. Membre du camp des vainqueurs, le pays confirmait son statut
de grande puissance traitée comme telle par ses alliés, du moins le croyait-il !
Dès que les armes se turent, les militaires cédèrent la place aux diplomates
attelés à la préparation de la conférence de la paix de Paris, ouverte en
janvier 1919. La délégation italienne, conduite par le président du Conseil
Orlando assisté de son inamovible ministre des Affaires étrangères, le taciturne
et raide Sonnino, entendait bien obtenir l’application intégrale du traité de
Londres. Or, très vite, les Italiens commirent l’erreur de vouloir rajouter à la liste
des promesses établie dans le contexte de 1915 – bien différent désormais de
celui de l’après-guerre – la ville de Fiume qui avait été, on s’en souvient, tenue
en dehors des futures annexions au royaume. Soumis à la pression nationaliste
qui s’emparait d’une partie de l’opinion publique, Orlando crut bon de
revendiquer le port istrien, certes peuplé d’Italiens mais uniquement en son
centre, le reste de la ville et de la campagne évoluant dans l’univers slave. Ce fut
une revendication d’autant plus maladroite que les Alliés, Français et
Américains en tête, aspiraient à une révision à la baisse d’un traité de Londres
que les échecs militaires italiens, l’entrée en guerre des Etats-Unis, la dissolution
de l’Autriche-Hongrie et la volonté unitaire des Slaves du sud rendaient à leurs
yeux caduc15. Les démocraties occidentales s’apprêtaient à bien mal
récompenser l’Italie.
Cette crise diplomatique d’envergure vint s’ajouter aux profondes
perturbations provoquées par le conflit. L’ensemble du mouvement
interventionniste, tant de droite (les nationalistes) que de gauche (les
syndicalistes révolutionnaires, les futuristes et les transfuges du PSI), reposait
sur la conviction que de la guerre devrait naître une Italie nouvelle. Pas question
donc de laisser les politiciens de Rome reprendre la main sur les affaires ! Le
sang des martyrs de la patrie l’interdisait. L’après-guerre vit donc apparaître un
arc révolutionnaire qui englobait des projets aussi divers que le programme du
PSI radicalisé par la révolution bolchevique que l’expérience inédite du poète
D’Annunzio à Fiume en passant par les utopies futuristes de Marinetti. Tous
rêvaient de renverser l’Etat parlementaire. Aucun n’y parvint, ce qui permit à
l’habile politicien de Romagne de rafler la mise à son profit…
A la crise économique liée à la nécessaire reconversion de l’appareil
productif s’ajoutait une crise sociale et surtout morale aux conséquences
politiques capitales pour la suite. Tandis que l’inflation ruinait rentiers, petits-
bourgeois mais aussi salariés, l’économie italienne devait absorber les millions
de soldats démobilisés, ce qu’elle était en vérité bien incapable de faire. A ces
difficultés structurelles datant de l’avant-guerre venaient se glisser la défense par
le PSI des embauchés de la guerre aussi bien dans les usines que dans les
administrations, ainsi que ses pressions en faveur d’une hausse des salaires. Pour
ceux qui avaient fait leur devoir sur le front, c’était une nouvelle preuve de la
trahison socialiste16. La crainte de la misère et du déclassement tourna à
l’obsession, notamment dans une bonne partie du corps des 160 000 officiers de
réserve, la plupart jeunes capitaines ou lieutenants recrutés au sein de la petite
bourgeoisie. En outre, les combats avaient été pour eux une épreuve aussi
fondatrice que traumatisante, les rendant inaptes à un retour à une vie tranquille
et confortable que, de toute façon, la société de l’après-guerre leur refusait. Le
jeune bourgeois qu’ils avaient pu être ou aspiré à devenir avant de porter
l’uniforme avait disparu dans le fracas des armes. La paix les renvoyait
désormais dans leur foyer, dans cette vie bien terne, dans cette société libérale et
individualiste si loin de la camaraderie du front, de l’excitation des combats et de
cette expérience inouïe, virile et unique qu’était la guerre. Le libéralisme leur
proposait de s’enrichir matériellement et égoïstement, le marxisme ne voyait
dans l’homme qu’un simple agent économique. Rien qui ne correspondait à leur
soif d’idéal et à leur volonté de conserver ce qu’ils avaient aussi découvert sur le
front : la foi dans la patrie, la régénération corporelle et spirituelle par le combat,
les idéaux ressuscités du Risorgimento.
Or, tout cela était menacé par un terrible danger : la révolution bolchevique.
Que sait-on aujourd’hui de la grande peur provoquée par la Russie de Lénine
entre 1918 et 1920 ? Pas grand-chose en vérité. Non seulement ce proto-Etat
anéantissait dans une violence éradicatrice sa propre société, mais il appelait les
prolétariats européens à suivre son exemple. Comme l’a très bien analysé Ernst
Nolte : « L’histoire des temps modernes en Europe n’avait encore jamais connu
de forces destructrices aussi terrifiantes que le fut le PCUS, même à l’époque des
Jacobins17. » Déjà à Berlin, Munich, Budapest, les symptômes d’une révolution
marxiste surgissaient du chaos. Contrairement à ce qu’avait cru Mussolini, la
guerre n’avait pas tué l’internationalisme mais l’avait seulement anesthésié pour
quelques années jusqu’à ce que la révolution bolchevique ne le ravivât d’une
manière éclatante.
Les soldats démobilisés découvrirent alors une Italie bien ingrate qui ne les
reçut pas comme Rome le faisait avec ses légionnaires. Bien au contraire, leur
retour coïncidait avec la crise sociale de l’été 1919. Les socialistes semblaient
tenir le haut du pavé. Leur presse se déchaînait contre l’élite militaire rendue
responsable de l’incurie de l’armée et de la défaite de Caporetto ; leurs militants
abreuvaient d’injures les officiers dans la rue, leur arrachaient leurs galons. Les
rixes se multipliaient. Francesco Nitti, qui prit le fauteuil de la présidence du
Conseil à partir du 23 juin 1919, n’apaisa pas la situation par la démobilisation
accélérée des troupes et son décret du 12 septembre 1919 accordant une large
amnistie aux déserteurs. La trahison régnait y compris au sommet de l’Etat.
Partout l’esprit défaitiste semblait dominer. L’absence de toute politique
commémorative, de célébration des soldats morts et surtout survivants
confirmait l’ingratitude d’un pays n’ayant rien appris de la guerre18. Etait-ce
pour un tel résultat, une telle forfaiture que les soldats s’étaient battus dans les
montagnes du Carso ou les tranchées de l’Isonzo ? Il n’y aurait donc pas de
triomphe sur le Forum sous les acclamations de la foule, pas de montée au
Capitole pour les soldats d’une guerre imposée à un pays récalcitrant. Mais ces
anciens combattants que le conflit avait endurcis jusqu’à en faire disparaître
toute trace de retenue, d’indulgence ou de compassion se déclarèrent prêts à en
découdre contre les nouveaux ennemis de la patrie. Ce fut le cas notamment des
arditi, ces membres de bataillons d’assaut entraînés pour le combat violent du
corps à corps. Ces nouveaux héros de la guerre industrielle et anonyme
incarnaient une telle force que le 1er janvier 1919 le futuriste Mario Carli fonda
l’association des Arditi d’Italia afin de les regrouper. Ces légions de soldats
frustrés de leur victoire, cette classe moyenne apeurée par la paupérisation
constituaient d’une part une clientèle électorale à ne pas perdre, mais la crise
morale se rajoutait d’autre part aux potentialités révolutionnaires ouvertes par le
conflit. Charge aux plus engagés d’en profiter.
Le premier à ouvrir le bal fut Marinetti. Pour lui, la guerre était l’occasion
d’entrer dans l’arène politique. L’intellectuel se voulut homme politique, brûla
d’écrire l’histoire, se rêva en chef, tout cela sans quitter le domaine des songes et
des chimères. Les combats n’étaient pas encore finis quand, en février 1918, il
publia un nouveau manifeste, moins connu que celui de 1909, le Manifesto del
Partito futurista (« Manifeste du Parti futuriste »). Ce long texte
programmatique traçait les contours d’un nouveau type d’Etat gouverné par les
artistes et construit sur trois piliers : le nationalisme, la démocratie et la
révolution. Le Parlement n’était conservé que dans l’hypothèse de sa rénovation
interne et de sa fonctionnalité. Dans le cas contraire, à l’instar du Sénat éliminé
d’emblée, il serait aboli au profit d’un gouvernement technique. Un
« anticléricalisme d’action », intransigentissimo et intégral, permettrait
d’instituer une « unique religion, l’Italie de demain ». D’un point de vue social,
de vastes expropriations terriennes permettraient une « socialisation des terres »,
la constitution d’« un patrimoine agraire des combattants » et plus globalement
l’union du capital et de travail au profit des plus faibles. Plusieurs revendications
ouvrières seraient d’ailleurs satisfaites : journée de 8 heures, liberté de grève, de
réunion, de presse, retraites, aides sociales, nationalisations diverses. Enfin, au
nom du progressisme social, la famille serait abolie grâce au divorce, à l’amour
libre et à l’adoption des enfants par l’Etat19. On croirait entendre Rousseau qui,
dans les Confessions, se félicitait d’avoir fait « acte de citoyen et de père20 » en
abandonnant sa progéniture aux Enfants-Trouvés !
On était bien loin du conservatisme bourgeois, ne serait-ce que par les
ennemis désignés par le futurisme : l’Etat libéral, la monarchie et l’Eglise.
Pleinement révolutionnaire sans être ni socialiste ni communiste, Marinetti
occupait des positions assez proches de Mussolini à cette date, d’où la
convergence qui s’opéra entre les Faisceaux politiques futuristes et les Faisceaux
de combat mussoliniens. Dans les derniers mois du conflit, le futur dictateur
espérait toujours briser le lien unissant les masses au PSI en rassemblant toutes
les forces de l’interventionnisme, même les plus à droite, ainsi que les diverses
structures syndicales. A cet égard, il comptait beaucoup sur l’aide d’Edmondo
Rossoni, un syndicaliste plusieurs fois exilé, interventionniste converti au
nationalisme, fondateur de l’Unione Italiana del Lavoro (l’Union italienne du
travail ou UIL) en juin 1918 avec entre autres Alceste De Ambris, Michele
Bianchi, pour créer un parti du travail rival du PSI. Mais l’échec de son plan le
poussa à envisager une autre voie : la réactivation des Faisceaux d’action
révolutionnaire de 1914 dominés, on s’en souvient, par l’extrême gauche.
L’objectif de Mussolini, en ce début de printemps 1919, était de rassembler
dans un identique mouvement les soldats frustrés de la paix et les travailleurs en
lutte. Dans les deux cas, on devait les orienter contre le PSI avec un projet
nouveau, aux contours bien imprécis mais suffisamment mobilisateur pour
enclencher une puissante vague révolutionnaire dans le pays. Dans ce contexte
de crise des forces politiques traditionnelles, il ne s’agissait pas de répondre à
cette soif d’action par l’intermédiaire d’un parti, mais plutôt d’un mouvement au
visage d’antiparti qui agrégerait le maximum de forces politiques. Mussolini
lança alors un appel à l’ensemble des courants de la galaxie de la gauche
interventionniste pour une réunion à Milan, la capitale du Nord industriel. Le
23 mars 1919, plusieurs centaines de personnes se pressèrent dans une salle d’un
palais de la place San Sepolcro pour assister à la constitution du Faisceau italien
de combat, véritable acte de naissance du fascisme.
L’assemblée se caractérisait par ses tendances marquées à gauche et aussi
par sa nature composite. Le groupe le plus nombreux était celui des syndicalistes
révolutionnaires autour de Michele Bianchi. Issu d’une famille méridionale
garibaldienne et anti-Bourbon de tradition, ce fils de médecin succomba très vite
à une vocation sociale qui le conduisit au PSI, à la rédaction d’Avanti !, mais
surtout dans le syndicalisme jusqu’à se hisser à la tête de la chambre du travail
de la ville de Ferrare. Entre deux séjours dans des sanatoriums pour y soigner ses
infections tuberculeuses, il s’engageait avec fébrilité dans les luttes politico-
sociales de l’avant-guerre. Son parcours suivit la ligne classique des
syndicalistes révolutionnaires depuis le départ du PSI, la condamnation de la
guerre de Libye jusqu’à l’interventionnisme de 1914-1915 et la conversion au
nationalisme, assez facile d’ailleurs pour ce garibaldien de toujours21. Les
futuristes formaient le deuxième groupe. Marinetti et Mario Carli, présents à la
réunion du 23 mars, apportèrent une contribution majeure à la rédaction du
programme fasciste dans son orientation antimonarchique, anticléricale,
irrédentiste et populaire. Mais déjà on sentait dans les critiques du chef futuriste
contre les discours les plus antisocialistes un désaccord de fond qui ne fit que
s’accentuer dans les mois à venir22. S’agglomérèrent enfin au mouvement
naissant des républicains, des anciens combattants couverts de médailles, des
arditi brûlant de poursuivre le combat mais aussi d’anciens socialistes
réformistes tel Roberto Farinacci. Celui qui deviendrait par la suite un
intransigeant commença en effet son engagement aux côtés des réformistes de
Bissolati avant de rompre avec eux au profit de Mussolini avec lequel il était
entré en contact comme correspondant du Popolo d’Italia à Crémone, sa ville
natale. Sa soif d’action contre les traîtres, qu’ils fussent à Paris, à Rome ou à
Moscou, le conduisait tout naturellement sur la place San Sepolcro23.
Les débats furent houleux au sein de l’assemblée fondatrice du fascisme.
Mussolini, conscient de l’obligation d’associer des courants contradictoires, ne
ménagea pas ses efforts pour plaire à son auditoire hétéroclite. Son discours
d’ouverture donna le ton : « Nous nous permettrons d’être aristocrates et
démocrates, conservateurs et progressistes, réactionnaires et révolutionnaires,
légalistes et illégaux, selon les temps, les lieux, les situations où nous serons
contraints de vivre et d’agir. » Ses contradicteurs ne manquèrent pas de l’accuser
de démagogie et d’opportunisme, signe que l’on avait affaire à un politicien
redoutable. Le programme né de ces intenses discussions reprenait les thèmes
chers aux futuristes. Sur le plan politique, il préconisait l’établissement d’une
république avec suffrage universel y compris féminin, décentralisée au profit des
régions et des communes, respectant les libertés fondamentales, violemment
anticléricale (il était question d’exproprier les congrégations religieuses et même
de renvoyer le pape à… Avignon !). Dans le domaine social, les propositions très
avancées appelaient à une taxation des profits de guerre, à la journée de 8 heures,
à l’augmentation des pensions de guerre, à l’impôt sur le capital, à
l’expropriation foncière partielle au profit des paysans. En matière de politique
étrangère, les ambitions s’avéraient tout aussi progressistes, voire trop modestes
pour Marinetti chantre de la violence : fin de la diplomatie secrète, action sous
l’auspice des idéaux de la SDN, refus des guerres d’agression24.
Le reproche de confusion idéologique a souvent été formulé à l’encontre du
programme de 1919. Mais c’est oublier que le fascisme sansepolcrien avant
d’être un parti se voulait d’abord l’expression d’une volonté. Mussolini le
résuma ainsi dans un article du 3 juillet 1919 :

[Le fascisme] a limité son programme à peu de points essentiels et d’application immédiate. La
réforme électorale, l’expropriation des richesses, les conseils nationaux économiques. C’est là la
nouveauté intéressante du programme fasciste : la représentation intégrale. Pour les revendications
d’ordre prolétaire, le Fascisme est sur la ligne du syndicalisme national […]. Ajoutons encore que le
Fascisme ne s’oppose pas mais soutient, sur le terrain professionnel, l’action de la Confédération
Général du Travail, car le Fascisme […] ne peut être et n’est pas antiprolétarien. Le Fascisme est un
mouvement de réalité, de vérité, de vie qui adhère à la vie […]. Si la jeunesse des tranchées et des
écoles accourent aux Faisceaux, c’est parce que dans les Faisceaux il n’y a pas la moisissure des
vieilles idées, la barbe vénérable des vieux hommes, la hiérarchie des valeurs conventionnelles mais il
y a de la jeunesse, il y a de la passion et de la foi25.

Quelques mois plus tard, il rappela l’essence même des Faisceaux : « Ils ne
sont pas un parti mais plutôt l’antiparti. Ils ne sont pas une organisation de
propagande mais de combat. Plus qu’au prosélytisme […] ils tendent à l’action.
Ils n’ont pas de programme immuable. Ils ne se proposent pas de vivre à l’infini.
Ils ne promettent pas le paradis sur terre et le bonheur universel. Dans la vaste
démocratie de la civilisation, ils représentent l’aristocratie du courage.
Libertaires, ils sont par nécessité antidémagogiques. Rebelles, ils savent aller à
contre-courant. C’est une association d’hommes qui peuvent provenir de tous les
horizons26. » Ce que le fascisme élaborait, c’était déjà la « troisième voie » ;
autrement dit une alternative au marxisme et au libéralisme, une solution aux
problèmes que ces deux doctrines posaient à la nation et qui ne pouvaient être
résolus que par un dépassement du combat qu’elles se livraient.
L’esprit de San Sepolcro, pour confus qu’il fût, n’en devint pas moins le
point de référence quasiment mystique des courants les plus révolutionnaires du
fascisme quand celui-ci, sous l’impulsion de Mussolini, opéra une évolution
conservatrice. Et ce pour la simple et bonne raison que le programme de 1919
apparaissait comme le seul véritablement représentatif de la révolution fasciste.
Pour beaucoup d’historiens, plus rien, à cette date, ne rattachait Mussolini au
socialisme. Toutefois, Renzo De Felice maintint toujours l’idée que la réunion de
San Sepolcro était encore celle d’un socialisme mais en fait hostile à un PSI à
jamais souillé par le parlementarisme et le défaitisme. Mussolini fut très clair
dans son discours du 23 mars : « Nous déclarons la guerre au socialisme non
parce que socialiste mais parce qu’il a été contraire à la nation […], le parti
socialiste officiel a été nettement réactionnaire, absolument conservateur et si ses
thèses avaient triomphé, il n’y aurait pas pour nous aujourd’hui de possibilité de
vie dans le monde27. » Quant à Roberto Farinacci, il naviguait toujours entre
socialisme et fascisme expliquant aux lecteurs de son journal La Squilla que « le
socialisme constitue encore pour nous l’étoile polaire de notre chemin […]. Et
c’est parce que nous sommes socialistes que nous nous sentons profondément,
irréductiblement antibolcheviques car le bolchevisme, qui est obsédé par l’idée
de l’omnipotence magique de la dictature du prolétariat, est la caricature et la
négation du socialisme28 ». Bolchevisme et fascisme naquirent tous les deux à
l’extrême gauche du socialisme officiel. Mais si le premier demeura fidèle à
l’analyse scientifique et matérialiste de Marx, le second le fut aux idéaux
socialistes jacobins introduits en Italie par le Risorgimento mazzinien. Certes, il
devenait le premier mouvement à combattre le communisme mais il le faisait
d’un point de vue non réactionnaire, tandis que Mussolini se positionnait d’une
manière alternative et concurrentielle à Lénine et non antinomique29.
De toute façon, il était évident que ce fascisme primitif ne constituait pas une
structure partisane homogène mais une nébuleuse de groupes très divers et
autonomes. Certes, la fondation des faisceaux dans les différentes régions du
pays relevait presque systématiquement des interventionnistes de gauche. Mais
très vite, les nationalistes révolutionnaires, et même conservateurs voire
monarchistes s’y joignaient par antibolchevisme. Les faisceaux les plus à gauche
se trouvaient en Lombardie et en Ligurie. Ils s’opposaient parfois avec virulence
à ceux des autres régions septentrionales ou centrales plus perméables à
l’influence des interventionnistes de droite. D’autres enfin prônaient
ouvertement l’union de toutes les forces interventionnistes contre le péril
rouge30. Mais pour le moment le fascisme, mouvement groupusculaire
regroupant en 1919 17 000 adhérents, n’occupait pas le devant de la scène. La
date du 23 mars n’acquit son caractère mythique que bien plus tard. A l’automne
1919, les regards italiens et ceux des Européens se tournaient vers la ville de
Fiume où se déroulaient des événements fondateurs pour le fascisme.

Fiume, le laboratoire du socialisme national


Pour comprendre la genèse du coup de force de Gabriele D’Annunzio sur la
ville de Fiume, il nous faut revenir à la conférence de la paix de Paris. On se
souvient en effet que le président du conseil Orlando y avait revendiqué la
possession de ce port, se heurtant à la fin de non-recevoir des Alliés décidés à
favoriser le nouvel Etat des Slaves du Sud en construction (la future
Yougoslavie) sur les ruines de l’empire d’Autriche-Hongrie et à ne pas laisser les
Italiens maîtres de l’Adriatique. Occupée depuis le mois de novembre par des
troupes alliées qui tentaient d’y assurer l’ordre, Fiume se trouvait au cœur de la
compétition entre Italiens et Slaves. Les négociations prirent un caractère de plus
en plus âpre jusqu’à la rupture d’avril 1919 quand la délégation italienne quitta
Paris à grands fracas pour Rome. Elle y fut certes accueillie par une foule en
délire mais il fallut vite se rendre à l’évidence. Les Alliés négociaient sans elle
avec les vaincus ! Orlando reprit alors le train pour Paris où il arriva in extremis
pour la présentation du traité de paix à l’Allemagne. Quand la cérémonie
officielle se déroula sous les ors de la galerie des glaces de Versailles (28 juin
1919), le problème adriatique restait donc entier, alors que le cabinet Orlando
venait d’être renversé au profit d’un gouvernement présidé par Francesco
Saverio Nitti.
Ainsi donc les puissances occidentales mutilaient-elles la victoire italienne
au profit des barbares slaves ! Et cela avec la complicité passive de
gouvernements romains aussi faibles que couards ! Peu importait en fait qu’une
grande partie des terres irrédentes fût acquise (le Trentin, l’Istrie et Trieste)
quand la Dalmatie était donnée à l’Etat des Slaves honnis et que Fiume allait
connaître le même sort. Les patriotes ne pouvaient rester passifs devant un tel
renoncement. D’Annunzio, qui avait découvert pendant la guerre la vertu de
l’action, la beauté de la camaraderie sans renoncer pour autant au mythe du
surhomme nietzschéen, décida de se jeter dans le feu des passions nationalistes
et d’arracher Fiume à ses ennemis. Depuis Venise où il résidait, le poète auréolé
de gloire suivait de près les événements, nouant des contacts avec des groupes
nationalistes, des officiers tout en correspondant avec Mussolini. Le
12 septembre 1919, revêtu d’un uniforme d’arditi et à la tête de 157
légionnaires, il se mit en marche vers la ville, recueillant en chemin l’adhésion
de soldats subjugués, entraînant la fraternisation des troupes chargées de
l’arrêter. Tel Napoléon de retour de l’île d’Elbe, D’Annunzio volait vers la
victoire. Dans les dernières heures de la matinée, la colonne entra dans la ville au
son des cloches sonnant à toute volée et sous les vivats de la foule. Le
condottiere parla ensuite depuis le balcon du palais du gouvernement à une foule
grisée par la magie de son verbe.
Ainsi débuta l’occupation de Fiume qui s’étala jusqu’en décembre 1920. Le
défi lancé par D’Annunzio était majeur. Non seulement affluaient de partout les
volontaires bientôt au nombre de 20 000 mais le coup de force risquait de
provoquer des séditions dans toute l’armée, notamment dans la marine. Le poète
exerçait en outre une fascination très forte sur des millions d’Italiens imprégnés
de la geste de Garibaldi qu’ils pensaient retrouver dans le poète-soldat. Même la
branche cadette de la famille royale, les Aoste, subissait l’attraction irrésistible
du défi lancé au gouvernement, aux Alliés, à l’Europe. Le roi Victor-
Emmanuel III ne l’entendait pas ainsi mais, soucieux d’éviter la guerre civile et
manquant de leviers d’action, il tergiversait31. Il était de toute façon difficile pour
une nation et une classe dirigeante qui avaient fait de l’aventure de Garibaldi un
mythe national fondateur de condamner ce qui y ressemblait de près !
En attendant une hypothétique réplique gouvernementale, D’Annunzio
électrisait Fiume. Entouré d’une garde personnelle de légionnaires dont la devise
était « Me ne frego ! » (« Je m’en fous »), il administrait la ville tout en
organisant de grands rassemblements populaires, des défilés militaires et
déclamant des discours enflammés depuis le balcon du palais. Car celui que ses
partisans appelaient désormais le commandante se trouvait au centre de la
liturgie destinée à célébrer la nation. La figure du chef, point de rencontre entre
l’individu et la masse dont il interprétait la volonté, connut un développement
majeur dont l’aboutissement serait réalisé dans l’Etat totalitaire fasciste. Avec le
bras levé, les volontaires fiumains répondaient « A nous ! » à la question « A qui
est Fiume ? » que leur lançait D’Annunzio ; ou bien ils hurlaient « eia, eia,
alalà », le cri de bataille des hoplites grecs repris par les aviateurs italiens
pendant la guerre et dont le poète fit des paroles de ralliement. La théâtralité
politique prenait une contenance quasi religieuse : les victimes devenaient des
martyrs, le chef un apôtre, ses discours un sermon, les réunions des messes, les
soldats les défenseurs d’une cause sacrée, Fiume une ville sainte, la patrie une
idole. La préfiguration du fascisme paraît évidente32.
D’un point de vue idéologique, on remarquera une évolution révélatrice du
caractère révolutionnaire du projet d’annunzien. Durant les premiers mois, les
nationalistes exerçaient une influence déterminante dans l’aventure fiumaine,
notamment grâce au chef de cabinet de D’Annunzio, Giovanni Giuriati, un
Vénitien membre de l’association irrédentiste Trento e Trieste qu’il présida,
ancien combattant plusieurs fois récompensé. Leur objectif, en s’emparant de
Fiume, était de provoquer dans l’ensemble de la péninsule un séisme qui
entraînerait la chute du cabinet Nitti au profit d’un gouvernement national. Mais
cette situation prit fin le 13 janvier 1920 quand le commandante donna un coup
de barre à gauche en nommant à la place de Giuriati le syndicaliste
révolutionnaire Alceste De Ambris. Nous avons déjà croisé à plusieurs reprises
le nom de cet homme, charismatique, agitateur hors pair, interventionniste
passionné pour lequel le syndicalisme se résumait à l’action violente d’une
minorité déterminée. Son arrivée aux commandes provoqua une nette inflexion
du mouvement fiumain sans doute due à la pression des courants
révolutionnaires sur D’Annunzio, mais aussi à l’arrière-pensée de s’en servir
pour attirer à lui les courants les plus extrémistes alors que le soutien de
Mussolini restait ambigu à bien des égards. Le départ de Nitti et le retour au
pouvoir le 15 juin 1920 de Giolitti bien décidé à régler son compte à l’usurpateur
de Fiume n’arrangea rien, contribuant à radicaliser les positions.
L’influence syndico-révolutionnaire prit alors le dessus et se fit sentir dans la
rédaction du texte majeur que constituait la charte du Carnaro. Rédigée par De
Ambris et D’Annunzio qui y imprima son style, et publiée le 30 août 1920, elle
reprenait les idéaux de l’univers syndicaliste en préconisant une démocratie
directe et décentralisée, un système de corporations pour unir les travailleurs,
l’égalité homme-femme, la préservation des libertés individuelles. Mais la
nouveauté résidait dans le fait que ces idées pouvaient être réalisées d’abord à
Fiume puis dans le reste de l’Italie grâce à la révolution générale à laquelle rêvait
De Ambris33. Le national-syndicalisme du fascisme puisa son inspiration dans
cette charte.
Nombre de volontaires fiumains imaginaient donner à leur révolution un
caractère européen. D’Annunzio créa ainsi un Ufficio Relazioni Esteri (Bureau
des relations extérieures) qu’il confia à Léon Kochnitzky. Ce poète belge se fit le
propagandiste d’un ambitieux projet en fait très mazzinien de Ligue de Fiume
qui rassemblerait tous les peuples dominés et opprimés, tous les pays
injustement traités par les vainqueurs, bref tous ceux en lutte contre la « Sainte-
Alliance de la ploutocratie34 ». De Ambris lui emboîtait le pas, notamment quand
il affirmait en janvier 1920 : « Nous voulons forcer l’Italie à se mettre à la tête de
toutes les nations pauvres et exploitées. » Il y avait dans la sédition une nature
antioccidentale typique du monde révolutionnaire. Grand admirateur des Soviets,
Kochnitzky était représentatif du courant probolchevique très présent à Fiume.
Si Marinetti y fit un bref séjour qui ne répondit pas à son secret espoir de jouer
un rôle de premier plan, un autre futuriste, Mario Carli, y fonda la revue Testa di
Ferro dont les articles célébraient D’Annunzio et Lénine comme les deux chefs
charismatiques des temps modernes, faisaient de Fiume et de Moscou les deux
centres révolutionnaires mondiaux antiploutocratiques, antilibéraux, issus de la
guerre et conjointement menacés par les forces réactionnaires des « ploutocrates
occidentaux ». Carli tendait donc « la main avec sympathie et espoir à la
courageuse République orientale qui a payé généreusement de sa personne sa
furieuse volonté de rénovation et à son Chef génial et serein qui attend avec une
ironie souriante les diplomates podagres de la vieille Europe35 ».
Ainsi Fiume devenait-elle le cœur vibrant d’une révolution morale, sociale et
politique et se détachait-elle toujours un peu plus du reste de l’Italie. En effet, les
négociations que Giolitti menait avec les Yougoslaves risquaient d’anéantir
l’aventure et renforcèrent la conviction de D’Annunzio de rompre avec Rome
pour mieux faire échouer les pourparlers. Le 8 septembre 1920, il franchit le
Rubicon en organisant la sécession de la ville par la proclamation de la régence
du Carnaro. Cet Etat souverain – du moins en théorie – ne fut reconnu que par…
l’URSS de Lénine ! Mais pour Giolitti, la comédie avait assez duré. Le
12 novembre 1920, il signa avec les Yougoslaves le traité de Rapallo qui fixait la
frontière entre les deux Etats et faisait de Fiume un « Etat libre » indépendant
aussitôt reconnu par les puissances occidentales. D’Annunzio refusa bien sûr de
reconnaître l’accord et se barricada dans la ville. A la veille de Noël 1920, le
général Caviglia, à la tête d’une troupe de 20 000 soldats, investit le port. Après
plusieurs jours de combat, D’Annunzio capitula le 31 décembre au prix d’une
amnistie pour lui et ses hommes et se retira, amer, sur les rives du lac de Garde
pour un exil intérieur définitif.
Ce fut ainsi que prit fin l’expérience de Fiume absolument capitale dans la
genèse du fascisme. En fin de compte, D’Annunzio échoua face à un
gouvernement Giolitti décidé à reprendre la main. Homme de lettres avant d’être
un politique, il passa de l’idée à l’action sans séparer pour autant la seconde de la
première et resta un esthète romantique qui imprima à son aventure un caractère
hédoniste que l’austérité fasciste ne reprendrait pas. En revanche, la crise de
Fiume inspira le style du fascisme : la marche vers la ville, le militarisme, les
fanions, le poignard votif, le salut romain, les chants, les discours du chef à la
foule depuis le balcon. Surtout, D’Annunzio fusionna dans un identique projet
révolutionnaire l’héritage du Risorgimento, la droite nationaliste et subversive
avec l’anarcho-syndicalisme. De plus, son défi ruina l’autorité de l’Etat italien,
mit sa faiblesse au grand jour et injecta chez certains militaires des ferments
d’indiscipline contraires à la tradition d’apolitisme de l’armée. Par le coup de
poing infligé au gouvernement et à l’Europe, il incarna une sorte de « triomphe
de la volonté » avant la lettre. Les plus jeunes y furent très sensibles. Il y a dans
cette affaire un aspect générationnel considérable. La propagande de guerre
amplifiée après la crise de Caporetto avait touché de manière profonde les jeunes
officiers ou sous-officiers qui trouvèrent dans la défense de l’italianité de Fiume
la continuation logique du combat mené entre 1915 et 1918 et que rejoignit une
bonne partie du corps des officiers de réserve peu désireux de retourner à la vie
civile36.
Le commandante aurait pu renverser l’Etat bourgeois. Il n’y réussit pas. Son
échec ouvrait la voie à celui qui, moins artiste et plus politique, regardait
l’évolution de la crise avec intérêt : Mussolini. Certes, ce dernier retrouvait dans
le fiumisme bien des aspects de sa vision de l’homme et de la société – la
glorification des bolcheviques en moins ! – mais, méfiant et peu désireux de
s’effacer devant l’aristocrate, le meneur plébéien ne soutint l’insurrection que du
bout des lèvres, se gardant bien d’y compromettre ses troupes et sa propre
personne. C’était à Rome que se trouvait le pouvoir auquel le maître des
faisceaux aspirait.

Gourdins et huile de ricin


Caractéristique du fascisme dans sa phase la plus violente et la plus
révolutionnaire, le squadrisme tira son nom des escouades (squadre en italien)
formées au tournant de 1919-1920 pour briser le péril socialiste de type
bolchevique menaçant l’Italie durant cette période de troubles dite du biennio
rosso (les deux années rouges). Grèves, occupations d’usines et de grandes
propriétés foncières, violences diverses ponctuèrent ces deux années de chaos
pendant lesquelles l’Etat italien, entre impuissance et calcul politique, laissa les
fascistes s’emparer du terrain local. Ce mouvement, mi-désordonné mi-contrôlé,
révélait dans sa substance même les ambiguïtés du fascisme qui allait alterner
illégalité et légalité, à l’image de celui qui peu à peu s’imposait comme son chef.
Le squadrisme constituait « une sorte de négation de la médiation
parlementaire37 » dans le sens où il réglait directement, au niveau local et par la
violence les conflits sociopolitiques. Mussolini avait déjà annoncé dans un
discours aux arditi le 10 novembre 1918 cette transition vers des formes
nouvelles de luttes en lieu et place des traditionnelles manifestations ou grèves :
« Vous représentez l’admirable jeunesse guerrière de l’Italie ! L’éclair de votre
poing et le crépitement de vos bombes feront justice de tous ces misérables qui
voudraient empêcher le chemin de la plus grande Italie ! Elle est la vôtre ! Vous
la défendrez ! Nous la défendrons ensemble ! Flammes noires, rouges, de toutes
les couleurs, à qui l’honneur ? A vous ! » Les futuristes apportèrent à cet objectif
politique leur esthétisation de la vitesse et de l’action ; D’Annunzio et Fiume les
rituels et les mythes électrisants.
Un avant-goût du squadrisme s’était exprimé dès janvier 1919 quand de
jeunes militants interrompirent avec véhémence un discours de l’ancien
réformiste interventionniste Bissolati favorable à un compromis avec les Slaves.
Mais la première étape fut franchie quelques semaines à peine après la création
des Faisceaux de combat. Le 15 avril 1919, devant la cathédrale de Milan, un
défilé socialiste fut attaqué par une troupe d’environ 300 individus à la tête de
laquelle se trouvait Marinetti. Cette agression constituait une réponse à la grève
générale déclenchée par le PSI pour protester contre la mort de l’un de ses
militants tué dans des heurts avec la police. Elle se poursuivit avec le saccage et
l’incendie du siège d’Avanti !. Au soir de cette journée de violence, on releva
quatre morts (trois socialistes et un policier) et une vingtaine de blessés.
Mussolini non seulement avalisa la mise à sac du journal qu’il avait dirigé, se
félicita de la défaite du léninisme mais il légitima l’attaque en la comparant à un
assaut de tranchées : « Les squadristes des Faisceaux milanais, expliqua-t-il dans
un entretien au Giornale d’Italia, ont dû franchir des murs, briser des barrages,
défoncer des portes, affronter le plomb ardent que les agressés jetaient contre
leurs armes. C’est cela l’héroïsme. C’est cela la violence. C’est cela la violence
que j’approuve, que j’exalte. C’est cela la violence du Fascisme milanais38. » Le
journal socialiste put reparaître deux semaines plus tard. Mais la complicité des
autorités frappa les esprits. Le général Enrico Caviglia, ministre de la Guerre,
héros de la bataille du Piave et antisocialiste viscéral, rencontra Marinetti à
l’Hôtel Continental pour… le féliciter et assura de sa protection les principaux
responsables des heurts !
En vérité, les échauffourées milanaises correspondaient à une sorte de
déclaration de guerre entre le PSI et le fascisme. Néanmoins, la violence
squadriste reflua du fait de la crise de Fiume vers laquelle se tournaient les
regards et les espoirs. De plus, la politique reprit ses droits avec la campagne
électorale de novembre 1919, conséquence de la dissolution de la Chambre par
Nitti. Lors du premier congrès des Faisceaux tenu à Florence entre le 23 et le
25 octobre 1919, deux lignes s’affrontèrent. La première, soutenue par
Mussolini, préconisait une alliance électorale avec toutes les forces de
l’interventionnisme de gauche, alors que la seconde, celle de Bianchi, refusait de
s’entendre avec des groupes d’avant-guerre au nom de la nouveauté du fascisme.
Avec comme seuls alliés les futuristes et les arditi, le résultat du 16 novembre fut
sans appel : les électeurs infligèrent une sévère déroute au fascisme dont les
listes furent laminées au profit du PSI (32 % des voix, 156 députés sur 508) et du
Parti populaire italien, le parti catholique mené par un prêtre, don Sturzo (20 %).
Comme toujours dans un tel cas, le mouvement connut une grave crise interne
marquée par des divisions profondes et une érosion de ses militants
(800 adhérents seulement à la fin de l’année pour 37 faisceaux). Profitant d’une
nouvelle agression à la bombe menée par deux arditi contre une manifestation
socialiste, Nitti crut porter le coup de grâce en ordonnant une perquisition au
Popolo d’Italia – qui permit de récupérer un impressionnant stock d’armes –,
suivie de l’arrestation de Mussolini et de Marinetti pour « atteinte à la sûreté de
l’Etat et organisation de bandes armées ». Un simple coup d’épée dans l’eau en
fait puisqu’ils furent libérés le lendemain sur ordre du même Nitti…
Devant la déconfiture de leurs adversaires, les socialistes eurent beau jeu de
ricaner et de croire que le Romagnol renégat cette fois-ci n’y survivrait pas.
Comme en 1914, Mussolini tombait dans une sorte de trou noir qui affecta son
moral et sa combativité. Mais l’histoire ne s’arrêta pas avec les élections
législatives. La victoire du PSI et du PPI n’avait pas permis de dégager une
majorité stable du fait de leurs divergences de fond, instabilité qu’accentuaient
les divisions des libéraux déchirés entre partisans de Giolitti, de Salandra et de
Nitti, ce dernier restant aux commandes. Le fin politique qu’était Mussolini
savait que les socialistes auraient bien du mal à exploiter leur victoire électorale
en trompe-l’œil, que la crise politique restait béante et que le fascisme devait
désormais s’appuyer sur les classes moyennes effrayées par les convulsions du
pays.
C’était cette vision que Mussolini défendait bec et ongles dans un
mouvement qui conservait son extrême hétérogénéité puisque s’y côtoyaient
encore au début de 1920 des étudiants, des anciens combattants issus de la classe
moyenne et des ouvriers. Le 2e congrès des Faisceaux de Milan, les 24 et 25 mai
1920, en apporta la preuve. Mussolini y défendit la ligne suivante : puisqu’il
s’avérait impossible d’arracher le prolétariat à l’influence du PSI, puisque le
socialisme maximaliste était désormais et sans ambiguïté l’ennemi à abattre,
alors aucune hésitation n’était permise. Le fascisme devait rassembler tous les
adversaires du bolchevisme afin de préserver l’héritage de la guerre, les fruits de
la victoire et envoyer en enfer la classe dirigeante traditionnelle. Ainsi
apparaîtrait-il comme l’unique force politique apte à restaurer l’autorité de l’Etat
– et donc l’ordre – mais bien évidemment au profit d’un pouvoir autoritaire.
Dans ce combat pour une révolution nationale, la petite bourgeoisie inquiète et
aspirant au pouvoir constituait la meilleure des armées. Mussolini, habile à saisir
les variations de l’opinion et à les exploiter, en était certain.
Cette stratégie encore balbutiante se heurtait à deux courants au sein du
mouvement. Le premier s’exprimait chez les futuristes qui, vent debout devant
cette compromission avec les forces réactionnaires, refusaient d’abandonner
l’objectif de conquête des masses. Marinetti ne pouvait tolérer l’idée de se
mettre au service de la réaction sans parler du très à gauche Mario Carli ! Il
fallait aussi compter sur les héritiers du syndicalisme révolutionnaire qui ne
rêvaient que de purger le fascisme des nationalistes. En fin de compte, le congrès
opta sur le plan politique pour des alliances au cas par cas, laissant au Faisceau
local la responsabilité de transmettre ses recommandations au Comité central qui
les validerait ou non39. Les possibilités de rallier les forces conservatrices
nationalistes demeuraient ainsi préservées. Marinetti refusa d’avaler une telle
couleuvre et préféra quitter le bateau fasciste en pleine dérive. Il mit ainsi un
terme à sa carrière et au futurisme politique qui avait tant compté dans
l’émergence du fascisme40. L’artiste s’était rêvé en chef, mais ses qualités
n’équivalaient pas celles de l’ancien socialiste, politicien pragmatique sensible
aux mouvements de l’opinion, rompu aux manœuvres d’appareils.
Il fallait désormais passer à l’action. Dans ces conditions, le réveil du
squadrisme ne se fit pas attendre. En 1920, le mouvement prit son véritable
envol et devint l’acteur majeur de la guerre civile qui se jouait en Italie. Deux
éléments jouèrent un rôle central. Tout d’abord le combat contre les Slaves. En
plus de Milan, Trieste, située sur la ligne de faille de la confrontation italo-slave,
constitua un centre fasciste de premier plan. En mai 1920, des militants fascistes
conduits par Francesco Giunta y créèrent une squadra volontaria di difesa
cittadina (équipe volontaire de défense citadine). Quand deux officiers italiens
trouvèrent la mort lors de heurts dans la ville dalmate de Spalato, la squadra
organisa une expédition punitive le 13 juillet à Trieste contre l’hôtel Balkan,
siège des associations slavophiles. Le bâtiment fut pris d’assaut, mis à sac et
englouti dans un gigantesque incendie. En octobre, le journal socialiste Il
Lavoratore subit le même sort.
Le second élément vint de la radicalisation des socialistes provoquée par la
conjonction de la crise économique et de la grande lumière venue de Moscou.
Les classes laborieuses souffraient de l’augmentation des prix, du chômage, des
difficultés de ravitaillement. Des émeutes de la faim éclatèrent devant les
boulangeries ou les épiceries. A ces maux, le PSI proposait une solution : la
grève de type insurrectionnelle prélude à la révolution. Le 7 septembre 1920,
l’Avanti ! lança cet appel : « Prolétaires d’Italie, organisez-vous, disciplinez-
vous, armez-vous41. » Que le parti eût songé ou pas à prendre le pouvoir, et qu’il
fût soumis à la pression des anarchistes importait peu. Ce qui comptait, c’était la
multiplication des arrêts de travail avec occupation des usines, mode d’action
parti des centres industriels du nord et qui se propageait dans le reste du pays.
Les grévistes juchés sur des tables, entourés de drapeaux rouges frappés de la
faucille et du marteau et armés jusqu’aux dents avaient de quoi effrayer la
population en donnant un visage au danger subversif. Les socialistes prenaient
ainsi la tête des tumultes légitimant d’une part les violences et l’illégalité au nom
de l’idéal révolutionnaire et d’autre part organisant des ligues agraires dans le
nord du pays, des squadre rouges dans les villes, voire des sortes de
« républiques soviétiques » dans certaines régions de Toscane. Le danger
bolchevique prenait chair.
L’impuissance de l’Etat à rétablir la légalité paraissait totale. Les forces de
l’ordre, malgré leur croissance exponentielle en effectifs (65 000 carabiniers et
40 000 gardes royaux en 1922), reculèrent à plusieurs reprises devant les
groupes de militants bien armés et bien entraînés, motorisés et donc mobiles.
Mais à y regarder de plus près, les manœuvres politiques de Nitti eurent une
influence délétère sur le cours des événements. Le président du Conseil espérait
en effet attirer les députés socialistes dans l’orbite de sa majorité
gouvernementale, ce qui le conduisit à minimiser les répressions sur le terrain.
Mais quand la menace bolchevique prit une ampleur inquiétante, il ne lui restait
plus que deux options : utiliser l’armée pour réprimer le mouvement
insurrectionnel comme cela avait été le cas en 1898 et 1914 ou confier à des
groupes paramilitaires nationaux ou/et bourgeois le soin de rétablir l’ordre42.
Il était en effet impossible pour les militants squadristes de laisser le pays
s’enfoncer dans le bolchevisme. Mais qui étaient-ils donc ces activistes d’un
genre nouveau, pleins de colère et de rêves ? Ils appartenaient globalement à
deux groupes. Le premier que nous avons déjà évoqué se recrutait chez les
anciens combattants, ceux qui avaient connu le front et avaient ensuite adhéré
aux faisceaux. Le second était formé de jeunes, voire de très jeunes hommes,
trop jeunes en fait pour avoir vécu l’épreuve du feu. Collégiens ou lycéens
pendant le conflit mondial, ils n’en avaient pas moins été imprégnés de la
propagande de guerre diffusée dans l’ensemble de la société. L’engagement dans
le squadrisme devenait une occasion pour eux de vivre les sensations de leurs
aînés, la camaraderie, le combat, l’ennemi à abattre. Les étudiants souvent issus
de la petite bourgeoisie s’y taillaient la part belle avec environ 40 % des
effectifs. Mais on y trouvait aussi des mineurs, des lycéens, fascinés par ce
monde de rupture, cet univers d’hommes, de virilité, de combattants de la nation.
Le squadrisme devenait un rite d’initiation, de passage à l’âge adulte. Y avait-il
aussi pour eux un aspect festif, voire ludique dans les escarmouches ? Cela paraît
évident. En tout cas, ils participèrent pleinement aux violences, comme ce fut le
cas de ces garçons d’à peine 16 ans qui tuèrent à coups de revolver le député
socialiste Giuseppe Di Vagno à Mola (Pouilles) le 25 septembre 192143. Le
fascisme comme révolte générationnelle, comme expression de la vigueur
juvénile, comme refus du monde des anciens.
N’oublions pas que le squadrisme offrait un univers particulièrement
exaltant pour ceux voulant rompre avec la monotonie de la vie quotidienne.
Composée d’une dizaine à une quarantaine d’hommes, chaque squadra
préfigurait en fait la société future, homogène et disciplinée, dévouée à une
cause, dans laquelle le totalitarisme fasciste puiserait son essence. Tous ses
membres portaient une chemise noire, celle des volontaires de Fiume et qui
rappelait aussi bien l’uniforme des arditi que la chemise rouge des garibaldiens.
Le nouvel arrivant était intégré par le biais d’une cérémonie nocturne aux
flambeaux pendant laquelle il prêtait serment et recevait le fanion au son de la
litanie des morts et de chants. Parmi ceux-ci, se détacha rapidement la chanson
Giovinezza (« Jeunesse »), composée en 1909 par le compositeur Giuseppe
Blanc sur des paroles de Nino Oxilia pour une société étudiante de Turin et
réécrites par Marcello Manni pour les squadristes. Elle réutilisait toute la
sémantique fasciste en parlant de foi, de héros, de combats et de Mussolini. Le
fascisme en fit son hymne national en 1926. Une bénédiction, non pas donnée
par un prêtre mais par le chef squadriste, accompagnait le serment, expression de
la religiosité du combat. Le squadrisme était bien une croisade pour la patrie44.
Chaque milice avait son propre nom choisi parmi la liste des martyrs de la cause
fasciste ou dans la symbolique du mouvement (Lupi rossi, Me ne frego, La
Volante, Popoli, Giovinezza, etc.). L’armement restait quand même sommaire et
se limitait à des gourdins, des revolvers, des couteaux et autres nerfs de bœuf,
poings de fer, parfois quelques bombes à main ou des fusils, sans oublier la
mythique mais bien réelle huile de ricin ingurgitée de force par les adversaires.
Mais il s’agissait bien de tuer l’ennemi intérieur, par la bastonnade, la
défenestration, les coups de feu. Socialistes et fascistes baignaient dans le même
climat de violence qui ne datait pas de la crise de l’après-guerre mais des
convulsions de l’Italie d’avant guerre. La nouveauté résidait dans son utilisation
par des acteurs politiques pour la réalisation de leurs objectifs, dans sa
normalisation et dans l’échec des autorités légitimes à la juguler. Contrairement
aux futuristes, les fascistes ne s’embarrassaient pas de théories vaporeuses sur
l’esthétique de la brutalité. « Nous ne sommes pas des buveurs de sang ni des
esthètes de la violence », insista Mussolini avant de préciser : « Nous avons
toujours déclaré et nous déclarons que nous sommes prêts à accepter, quand cela
s’impose, la guerre civile et à la conduire avec l’énergie et l’intrépidité
nécessaires. » La faute était rejetée sur les socialistes contre lesquels les fascistes
étaient en fait entrés en lutte pour la conquête du pouvoir45.
Le squadrisme se développa tout d’abord dans les grandes villes du nord,
industrielles et prolétaires, les plus marquées par les grèves insurrectionnelles.
En plus de briser les mouvements sociaux, les fascistes urbains comptaient
s’emparer du pouvoir au niveau local, étape indispensable au renversement de
l’Etat libéral, et y déloger les socialistes en anéantissant toutes leurs structures
partisanes. Aux agressions dans les rues et aux saccages des chambres du travail
succédaient les occupations de quartiers ouvriers et des édifices communaux.
Les nombreuses victoires socialistes aux élections municipales d’octobre-
novembre 1920 radicalisèrent les squadristes, bien décidés à empêcher les
vainqueurs de s’installer aux commandes des villes. Florence, Ravenne, Ferrare,
Modène connurent toutes de violents incidents qui atteignirent leur apogée à
Bologne « la rouge », la capitale de l’Emilie-Romagne. L’installation de la
municipalité socialiste tourna à la bataille rangée. Après la prise de la chambre
du travail le 4 novembre, les squadristes se jetèrent sur l’hôtel de ville le
21 novembre. Neuf personnes y laissèrent la vie à côté d’une centaine de blessés.
A l’intérieur du bâtiment, dans la salle du conseil municipal, des coups de feu
retentirent. Le conseiller municipal et ancien combattant Giulio Giordani
s’écroula. Le fascisme avait son martyr. Cette mort provoqua une vague
d’indignation chez les militants. Dans les mois suivants, la vague squadriste
toucha toute la péninsule, principalement le Centre-Nord, préservant en revanche
les régions plus méridionales. Les socialistes furent délogés de la plupart des
villes, avec là aussi une complicité des autorités publiques qui se contentaient
d’y envoyer un administrateur judiciaire pour les gérer46. Le squadrisme fit ainsi
la démonstration de sa puissance, de sa capacité à entraver un processus électoral
et à se substituer au PSI.
L’automne 1920 vit émerger une nouvelle force fasciste, à la fois proche et
différente du fascisme urbain, et qui eut une influence déterminante sur l’histoire
du mouvement : le fascisme agraire. Né dans les campagnes, il constituait une
réaction des agriculteurs et des propriétaires fonciers ulcérés par les grèves et les
occupations des exploitations par des ligues d’ouvriers agricoles. Les agrairiens
ne se contentaient pas de créer des squadre et de les financer. Ils désignaient
leurs cibles, coordonnaient leurs actions et parfois même les commandaient le
cas échéant par l’intermédiaire de leurs fils. Se substituant à un Etat jugé
défaillant, ils s’appuyaient aussi sur les propriétaires plus modestes, sur des
fermiers et métayers tout aussi effrayés par la tournure des événements. Leur
implication dans la lutte antisocialiste donna au squadrisme rural un caractère
nettement plus conservateur ou réactionnaire, bref de droite, que son frère
jumeau des villes. Dans les centres urbains, à côté des combattants
antibolcheviques, on en trouvait d’autres qui ne reniaient pas une proximité avec
les révolutionnaires russes ni dans la forme (la violence la plus brutale) ni sur le
fond (haine de l’ennemi, hostilité à l’Etat bourgeois47). Rien de tout cela dans les
campagnes où la lutte visait au rétablissement de l’ordre social et hiérarchique au
profit des possédants.
On notera tout de même une tendance des historiens à droitiser le fascisme
agraire en faisant l’impasse sur un certain nombre d’éléments confirmant le
maintien des idéaux révolutionnaires socialisants. Les chefs squadristes pour la
plupart venaient de l’extrême gauche, avaient été touchés, sensibilisés par les
luttes sociales violentes dans les campagnes italiennes d’avant-guerre. S’ils
luttaient désormais contre les braccianti, la raison s’en trouvait moins dans
l’origine du combat – le problème de la propriété de la terre et les relations avec
l’aristocratie rurale – que dans leur ralliement au bolchevisme. Une fois anéantis
les syndicats et autres ligues agraires qui prétendaient exercer une sorte de
monopole de représentation des ouvriers agricoles auprès des propriétaires, les
fascistes prirent tout simplement leur place. Ils organisèrent la masse des
travailleurs dans des syndicats fascistes avec lesquels les agrairiens durent
constamment et durement négocier. Le secrétaire du faisceau de Ferrare, à la tête
de la plus importante section fasciste du pays, Italo Balbo, représentait assez
bien cette tendance. Créateur du premier syndicat fasciste tout en étant largement
financé par les agrairiens de la province, ce fils de médecin et ancien combattant
chercha avec constance le maintien d’un équilibre social entre les classes48.
En outre, l’étude attentive de la sociologie des chefs squadristes nous éclaire
sur leurs motivations. Recrutés dans la petite bourgeoisie, voire dans des couches
sociales plus pauvres, ils se pensaient comme les défenseurs du vrai peuple
italien, celui des combattants de la guerre contre les traîtres et les défaitistes. En
fin de compte, c’étaient eux les vrais révolutionnaires prenant les armes contre
une éthique et un système bourgeois dont les socialistes faisaient partie. C’était
dans les squadre que s’exprimait, vivant, le véritable fascisme, intransigeant,
intégral, protototalitaire. Le courant révolutionnaire continuait à exister y
compris dans les faisceaux. Le départ des futuristes ne déclencha pas une
hémorragie générale. Bien des radicaux restèrent au sein du fascisme, aux côtés
de Mussolini pour y défendre ce qu’ils appelleraient l’esprit de San Sepolcro et
du squadrisme originel49. Le socialisme constituait une menace immédiate, mais
l’Etat libéral restait bel et bien la cible prioritaire.
En réalité, squadristes urbains et ruraux formaient les deux faces d’une
même médaille. Les premières expéditions partirent des villes comme Milan,
Bologne, Ferrare à l’appel des campagnes. Montées sur des camions, les équipes
opéraient un « aller-retour » en une journée. C’était souvent à la faveur de la nuit
que les squadristes opéraient. Profitant de l’obscurité et de l’effet de surprise, ils
prenaient d’assaut les locaux des rouges, parfois leurs habitations, les
saccageaient, les pillaient et y mettaient le feu non sans avoir emporté avec eux
des prises de guerre : drapeaux, photographies de Marx et de Lénine, livres et
journaux qui seraient à leur tour jetés dans un bûcher purificateur. Les militants
socialistes bastonnés au coin du bois étaient souvent laissés pour morts ou
couverts de leurs propres excréments après avoir ingurgité de l’huile de ricin.
Dans un second temps seulement, les milieux agricoles organisèrent leurs
propres squadre avec les mêmes méthodes. Leur mobilité leur permettait en
outre d’opérer dans des régions voisines, d’apporter une aide ponctuelle à des
camarades en difficulté. L’activisme fasciste faisait ainsi tache d’huile. La spirale
des violences s’emballait au rythme des rixes sanglantes et des représailles. Les
fascistes rendaient coup pour coup. Chaque mort d’un des leurs entraînait une
expédition punitive. L’Italie s’enfonçait dans la guerre civile.

La fronde du squadrisme
L’offensive squadriste, l’échec de D’Annunzio à Fiume et les financements
privés remirent le fascisme en selle après son échec électoral de 1919. Le
nombre de faisceaux passa de 88 à l’été 1920 à près de 1 000 un an plus tard !
D’un groupuscule presque sectaire, le fascisme se transforma en un mouvement
de masse grossi par l’arrivée de la petite et moyenne bourgeoisie qui en
constituait maintenant 90 % de ses membres. Il devenait ainsi une sérieuse
menace. Au biennio rosso de 1919-1920 succédait le biennio nero de 1921-1922,
les deux années de violences aiguës des fascistes.
Qui pouvait dans de telles conditions sauver l’Etat libéral ? Après la
démission de Nitti, de nombreux députés pensèrent que le salut résidait en
Giolitti. Son prestige, son expérience et sa rouerie politique lui permettraient à
n’en pas douter de résoudre la grave crise que traversait le pays. Le 15 juin 1920,
après six ans de mise à l’écart, le vénérable Piémontais retrouva son cher fauteuil
de président du Conseil bien décidé à montrer qu’à 80 ans il n’avait pas dit son
dernier mot. Or, le vieux chef libéral qui avait réussi à intégrer les catholiques et
les socialistes réformistes dans le parlementarisme s’était trompé d’époque. Les
manœuvres, les combinazioni, le trasformismo, le consensus avaient été des
instruments fort utiles et efficaces dans un temps et une société qui n’avaient pas
été ravagés par la guerre. Cependant, dans l’Italie déchirée de 1920, il devenait
difficile de les réutiliser. Certain de pouvoir convaincre les socialistes de revenir
à la raison, d’abandonner leur maximalisme et d’intégrer le jeu parlementaire,
Giolitti pensait pouvoir utiliser la menace fasciste – un mouvement somme toute
transitoire, lié à la crise – pour les pousser dans cette voie. Ainsi s’explique la
passivité avec laquelle les autorités réagirent aux occupations d’usines et aux
violences agraires, convainquant ainsi la bourgeoisie et les propriétaires de se
placer sous la protection des fascistes. Entre arrière-pensées, mauvaise analyse
de la situation et chimères politiques, Giolitti perdait la main.
Il lui restait une option : l’armée. Mais les militaires ne l’aimaient pas et
regardaient avec une indéniable sympathie ce mouvement fasciste peuplé
d’anciens du front. De plus, d’insistantes rumeurs de coup d’Etat circulaient
depuis des mois. Par prudence, Giolitti laissa son ministre de la Guerre, l’ancien
socialiste réformiste Ivanoe Bonomi, mettre en place une réforme vidant de sa
substance le pouvoir du chef d’état-major au profit d’un conseil de l’armée placé
sous l’autorité du ministre et donc de la tutelle du gouvernement. Scandale chez
les officiers ! Et surtout dangereuse décision qui dilua l’autorité au sein de
l’armée et favorisa l’autonomie des généraux50.
Le 4 avril 1921, un coup de théâtre éclata dans le ciel italien avec l’annonce
de la dissolution de la Chambre des députés que Giolitti venait d’arracher à
Victor-Emmanuel III pour obtenir une majorité plus solide, réduire le PSI et le
pousser vers davantage de modération. A cet égard, la scission au sein du parti
qui donna naissance le 21 janvier 1921 à Livourne au Parti communiste italien
suscitait bien des espoirs. Pour le fascisme, c’était l’occasion de prendre une
revanche sur 1919, et pour Mussolini celle de récupérer la direction du
mouvement. En effet, l’offensive du squadrisme agraire l’avait surpris par sa
force et son étendue, et ce d’autant plus qu’il ne le contrôlait pas. Les élections
ouvrant les portes sur le pouvoir, il devenait dangereux de laisser les milices
fascistes hors de contrôle, surtout que Giolitti, toujours à la manœuvre, proposa
avec succès aux fascistes d’entrer dans le Bloc national, ce groupement politique
électoraliste rassemblant giolittiens et nationalistes. Cela dit, le chef milanais
n’entendait pas renoncer à la violence – ce qu’il était de toute façon bien
incapable d’imposer comme la suite le prouva – mais voulait la canaliser pour
mieux l’exploiter à défaut de la commander. Cela tombait bien. Giolitti lui aussi
comptait sur le déchaînement squadriste pour la réussite de sa manœuvre
politique.
La campagne électorale se déroula donc dans un climat dramatique de
violences. Arrêtons-nous un instant sur les événements tragiques de Florence. Le
27 février 1921, sur la piazza degli Antinori, un attentat anarchiste contre un
défilé nationaliste fit deux morts, un étudiant et un carabinier. Dans l’affolement
général, un policier tira sur un militant socialiste pour le punir d’un geste de
mépris devant le corps du carabinier déchiqueté par la bombe. Le même jour,
Spartaco Lavagnini, directeur du journal communiste L’Azione communista, fut
assassiné à son tour par des squadristes. Le lendemain, à l’occasion d’une grève
générale déclenchée en mémoire de ces deux victimes, des barricades apparurent
dans les quartiers populaires. Au soir de cette journée de haute tension, un jeune
fasciste, Giovanni Berta, passant sur un pont au-dessus de l’Arno, fut agressé par
des communistes, poignardé, jeté dans le fleuve d’où il ne put s’extraire malgré
sa tentative de s’agripper à la rive, à cause des coups de pied que ses meurtriers
lui infligeaient sur les mains. Au nouveau martyr fut dédiée une chanson, Hanno
ammazzato Gianni Berta (« Ils ont tué Gianni Berta »).
Autre journée tragique, celle du 14 avril à Foiano della Chiana, dans la
province d’Arezzo. Une squadra y fut agressée à coups de fusils par une
cinquantaine de militants communistes qui s’acharnèrent sur les blessés avec des
bâtons et des fourches. Trois jeunes fascistes restèrent à terre. L’acharnement des
agresseurs épouvanta une grande partie de l’opinion publique encline désormais
à justifier les représailles. D’ailleurs celles-ci ne tardèrent pas. Une expédition
punitive dévasta tous les locaux socialo-communistes de la région dont beaucoup
finirent en cendres, et provoqua la mort de neuf militants de gauche. Au même
moment, de graves troubles touchaient Livourne, Florence, Pise, Belluno,
Vérone. Rien qu’entre le 8 avril et le 14 mai, veille du scrutin, 105 morts et
431 blessés furent comptabilisés. Pour la seule journée du 15, alors que les
Italiens se rendaient aux urnes, 29 personnes tombèrent aux côtés de 104 blessés.
La passivité, pour ne pas dire la complicité, des autorités publiques fut
souvent pointée du doigt dès l’époque. Le ministre de la Guerre Bonomi se
plaignait du manque de fermeté des préfets et des militaires dans l’application de
sa circulaire du 21 avril 1921 à propos de la protection du scrutin. Le
gouvernement se heurtait à une véritable inertie au sein de la police, de l’armée
et de la magistrature51. Mais il est vrai aussi que les ambiguïtés de Giolitti ne
facilitèrent pas la résolution de la crise.
Avec le vote du 15 mai 1921, le PSI passa de 156 députés à 123, le PPI de
don Sturzo en obtint 108, le PCI 15 et les nationalistes 10. Avec 36 élus, le
mouvement fasciste lavait l’affront de 1919. Outre Mussolini, la fine fleur du
futur régime fasciste entra à Montecitorio, le siège de l’Assemblée nationale :
Dino Grandi, Italo Balbo, Giuseppe Bottai, Roberto Farinacci, tous âgés d’une
vingtaine d’années (tout juste 24 ans pour Bottai), à tel point que l’élection de
Grandi, Bottai et Farinacci serait invalidée en mai 1922 (il fallait avoir 30 ans
pour être député). Ils apportèrent dans l’hémicycle – où ils s’installèrent à
l’extrême droite selon la volonté de Mussolini – leur fougue, leur indiscipline,
leurs vociférations et leur hostilité au jeu parlementaire. D’ailleurs, dès la séance
d’inauguration de la législature le 11 juin en présence du roi Victor-
Emmanuel III, ils firent plusieurs coups d’éclat. Nombre d’entre eux refusèrent
de siéger ce jour-là pour mieux affirmer leur adhésion républicaine, tandis que
les présents entonnèrent avec leurs militants postés dans les tribunes le chant
squadriste Giovinezza52. Pis encore, deux jours plus tard, les jeunes élus, armes
au poing, chassèrent de la salle le communiste Francesco Misiano accusé d’être
un déserteur, le traînèrent dehors et le jetèrent sur la place devant le bâtiment.
Des députés protestèrent, certains échangèrent des insultes et même des coups,
d’autres exigèrent du président du Conseil qu’il intervînt. Et Giolitti de répondre
laconiquement que « le gouvernement ne pouvait s’ingérer dans la police du
palais de Montecitorio53 ». On passa à autre chose…
Néanmoins, ce premier succès électoral entraîna bel et bien une
« parlementarisation » du fascisme qui, sous l’impulsion de Mussolini, tenta
d’entrer dans une politique de collaboration avec certains groupes politiques.
Des recompositions étaient en effet possibles, d’autant que les élections
n’apportèrent pas à Giolitti la majorité solide qu’il attendait. Aucun des grands
chefs libéraux (Salandra, Nitti, Orlando) ne le soutint, à tel point que le président
du Conseil préféra démissionner. Ivanoe Bonomi lui succéda le 4 juillet 1921.
L’ancien socialiste réformiste, avec son allure d’honnête notaire de province,
se révélait incapable, par faiblesse personnelle autant que politique, de restaurer
l’autorité et le prestige de l’Etat. Ne disposant pas des instruments pour ramener
le calme dans le pays par la force, il se résigna à favoriser une entente entre les
frères ennemis fascistes et socialistes avec l’aide du président de la Chambre,
Enrico De Nicola. L’idée d’associer le fascisme au pouvoir pour le calmer, si elle
circulait déjà, était encore écartée au profit d’une médiation gouvernementale.
Le plan de Bonomi correspondait d’ailleurs à l’état d’esprit de Mussolini qui
pensait emprunter la route de la conciliation sans trop de risques, d’où un
premier discours à la Chambre au ton fort modéré. Le bolchevisme ayant été
vaincu, une entente avec une gauche socialiste affaiblie s’avérait possible et
présentait l’avantage de renforcer l’autonomie du fascisme à l’encontre de la
majorité libérale avec laquelle les députés fascistes avaient été élus. Ainsi prit
forme l’idée de proposer aux adversaires un « pacte de pacification » qui
donnerait au fascisme un visage plus reluisant, plus acceptable pour l’opinion
publique, les dirigeants politiques et économiques. Il permettrait aussi à
Mussolini de reprendre la main sur le squadrisme dont les excès risquaient de
ruiner le succès du 15 mai et d’isoler le fascisme. Il s’agissait bien de
« démilitariser » le fascisme afin de consolider l’adhésion des classes moyennes.
Les événements survenus dans la ville ligure de Sarzana sonnèrent comme un
avertissement. Le 21 juillet 1921, les forces de police tirèrent dans un cortège
fasciste faisant près de vingt morts avec l’approbation d’une population locale
des plus hostiles. D’autres troubles éclatèrent à Parme, à Modène qui mirent les
fascistes en difficulté. Visiblement, la stratégie de la tension et de la violence
rencontrait ses limites.
Il fallait donc trouver des alliés. Les premiers à mordre à l’hameçon fasciste
furent les nationalistes. Avec leurs dix députés, ils constituaient une force non
négligeable. Leur chef, Luigi Federzoni, détenait en outre un grand prestige.
Volontaire en 1915, il était un chef respecté de son groupe parlementaire et une
des grandes plumes du journal nationaliste, L’Idea nazionale. Monarchiste
convaincu, il entretenait des liens solides avec le palais royal et disposait de
l’oreille des grandes figures libérales. Si jusque-là ses liens avec le fascisme
avaient été somme toute limités du fait de profondes divergences notamment
institutionnelles, il commençait par le considérer comme le plus solide rempart
contre la vague rouge qui menaçait à ses yeux de tout emporter. Lors de
l’investiture du cabinet Bonomi, il condamna les violences squadristes pour
mieux exprimer une « fraternelle sympathie » au mouvement fasciste et sa
disponibilité pour une entente54. La porte était entrouverte. Au fascisme
maintenant d’évoluer sur la question cruciale et non négociable de la monarchie.
Avec les socialistes, ce fut le lendemain des événements de Sazarna que
Mussolini lança les négociations. A la fin du mois de juillet, il en définissait avec
habileté l’enjeu en ces termes dans le Popolo d’Italia : « La nation est venue à
nous quand notre mouvement se présentait comme le crépuscule d’une tyrannie ;
la nation nous répudierait si notre mouvement prenait les aspects d’une nouvelle
tyrannie55. » Les discussions aboutirent le 3 août à la signature, dans le bureau de
De Nicola, du pacte de pacification. Les deux signataires s’engageaient à
renoncer à la violence, à se soumettre à des arbitrages et à opérer des restitutions
de biens. Or, ce succès déclencha au sein du mouvement fasciste une crise
majeure très riche d’enseignements pour l’histoire du mouvement et du futur
régime. En effet, Mussolini vit se dresser contre sa politique les principaux chefs
squadristes surnommés les ras (nom des chefs de tribus éthiopiens) qui s’étaient
construit de véritables fiefs provinciaux et avaient acquis grâce à leur élection à
la Chambre une dimension nationale de nature à concurrencer celle du fondateur
des faisceaux. Ils n’entendaient pas le laisser décider seul de l’orientation des
faisceaux. Deux hommes menèrent la fronde, Dino Grandi le ras de Bologne et
Roberto Farinacci, celui de Crémone.
Lui aussi Romagnol et fils d’une institutrice, ancien combattant doué pour
les études au point de revêtir la robe d’avocat, Grandi se sentait d’abord
mazzinien, socialiste modéré rêvant d’une démocratie nationale du travail. Dans
l’immédiat après-guerre, il espéra pouvoir détacher le socialisme italien du
maximalisme bolchevique et le faire renouer avec les thèmes nationaux. Devant
l’échec, il sauta le pas le 23 novembre 1920 en s’inscrivant au Faisceau de
Bologne par patriotisme et soif d’action. Ce converti, qui ne participa donc pas
au rassemblement de San Sepolcro, concevait le fascisme comme un mouvement
provisoire qui disparaîtrait une fois le danger rouge anéanti pour laisser la place
à un Etat nouveau, construit sur les préceptes de la démocratie du travail. Car
l’alliance avec les forces conservatrices ne correspondait pas à une défense de la
bourgeoisie à laquelle on imposerait à son tour « le dilemme même des
socialistes : ou se transformer ou périr56 ». Grandi était déterminé à achever le
Risorgimento, à poursuivre la lutte de Mazzini et de Garibaldi contre l’Italie des
lâches, des modérés et autres Giolitti. Elu député en 1921, il n’approuva pas la
décision de Mussolini de siéger à l’extrême droite de l’hémicycle car cela
donnait au parti une coloration réactionnaire. Il aurait de loin préféré une
installation des fascistes sur les sièges supérieurs de la salle, comme l’avaient
fait en leur temps les révolutionnaires français les plus radicaux, afin de
constituer « la Montagne de la gauche ». Ras de Bologne et député violent –
seule l’intervention du personnel de l’Assemblée l’empêcha un jour d’agresser
physiquement le réformiste Turati –, il n’en défendait pas moins une ligne
politique particulière. Selon lui, la violence squadriste devait absolument être
non pas supprimée mais encadrée, disciplinée. Toutefois, cela ne revenait pas à
dire qu’il fallait se compromettre avec l’ennemi ! D’où son opposition au pacte
de pacification.
Quant à Farinacci que nous avons déjà croisé, il s’était construit à Ferrare
une solide position qui le conduisit à s’opposer lui aussi à la ligne
mussolinienne. Déposer les armes revenait à ses yeux à perdre tous les acquis
engrangés sur le terrain par le squadrisme depuis un an, alors même que la
menace bolchevique s’exprimait encore dans les campagnes. Cette analyse le
poussa à s’entendre avec Grandi pour faire échouer la manœuvre d’apaisement.
Le 16 août, les chefs des principaux faisceaux de la vallée du Pô (Farinacci,
Grandi, Balbo, Finzi) se réunirent en l’absence de Mussolini pour signer un
ordre du jour affirmant que la pacification ne pouvait être ni poursuivie ni
atteinte « tant que perdurerait une agressive violence partisane qui tend au
monopole de la main-d’œuvre conquise et défendue avec des intimidations ». Du
haut de ses 26 ans, Grandi eut l’habileté de se draper dans le mythe de
D’Annunzio et d’en appeler à l’esprit de la charte du Carnaro57. Balbo proposa
alors d’envoyer Grandi et Marsich à Gardone pour convaincre l’écrivain de
participer à une marche sur Ravenne.
Le danger n’était donc pas négligeable pour Mussolini, d’autant que les
« putschistes » recevaient l’appui des nationalistes tout aussi réticents à la
pacification. Mais le politicien madré ayant appris dans un parti marxiste le sens
des manœuvres savait comment se sortir de ce mauvais pas. Le 18 août, il jeta sa
démission du comité central au visage de ses adversaires. Il disposait de belles
cartes en main. Il savait d’une part que D’Annunzio, qu’il avait tenté en vain de
rallier à sa cause avant les élections de mai 1921, condamnait le squadrisme et
donc ne suivrait pas – ce qui effectivement arriva, Grandi revenant marri de
Gordone où résidait le poète. D’autre part, persuadé que les frondeurs ne
rompraient pas avec lui, il comptait sur le vide insupportable que provoquerait
son départ. Le coup de poker réussit. Le conseil national tenu à Florence les 26
et 27 août repoussa les démissions de Mussolini et de Farinacci. Les frondeurs
acceptèrent un ordre du jour de compromis laissant aux faisceaux le soin
d’appliquer ou non le pacte de pacification sur le terrain58.
Le futur dictateur réussit donc à se sortir de l’ornière dans laquelle son choix
tactique l’avait conduit. Plusieurs enseignements pouvaient être tirés de la crise :
tout d’abord, si son leadership sur le mouvement en sortait indemne, une
sérieuse concurrence s’était exprimée contre lui. Il avait beau être le créateur des
faisceaux, le squadrisme ne lui devait rien, pas plus d’ailleurs que l’aventure de
Fiume, ces deux phénomènes propulseurs du fascisme. Les chemises noires
vouaient un culte à la patrie, pas encore à Mussolini auquel le succès du
mouvement ne devait pas grand-chose à ce moment-là. Grandi et Farinacci
réussirent donc à le contester en montrant leur force politique et à mettre en
échec sa stratégie de pacification. A cet égard, la marche en septembre 1921 de
2 000 squadristes sur la ville de Ravenne organisée par Balbo et Grandi et qui
ravagea tous les locaux socialistes sur leur chemin joua un rôle déterminant59.
Jusqu’en juillet 1943 et la fin de son régime, Mussolini ne cesserait de trouver
ces frondeurs en travers de son chemin, Grandi finissant même par être le
principal artisan de sa chute.
Ensuite, sur le fond, le coup de barre vers la gauche mit en danger l’unité du
mouvement. Mussolini comprit la leçon de cette crise entre l’aile militaire
incarnée par les ras et la direction politique du mouvement. Désormais, il
orienterait ses regards vers la droite libérale et conservatrice. De toute façon,
sans le soutien de la bourgeoisie et de l’armée, le pouvoir restait hors de portée.
Alors tant pis pour le pacte de pacification que l’on allait enterrer avec
discrétion ! Le fascisme, sans renoncer à la violence, jouerait désormais la carte
parlementaire, et pour cela il lui fallait un parti en bonne et due forme auquel le
squadrisme serait subordonné60.
3
Octobre noir

Un parti pour la révolution


La crise de l’été 1921 s’était nouée autour de la démilitarisation du
mouvement voulue par Mussolini et refusée par les ras de province. Sorti
vainqueur de la fronde squadriste, le député n’en entendait pas moins conduire le
fascisme là où il voulait l’emmener : sa transformation en parti. La prise du
pouvoir était à ce prix. Elle nécessitait de l’ordre, de la discipline, une structure
hiérarchique dotée d’un chef et d’un programme de nature à rassurer son vivier
électoral dans la classe moyenne. Dès septembre 1921, Mussolini convainquit le
groupe parlementaire à la Chambre d’engager le processus qui aboutit à la
réunion du IIIe congrès des Faisceaux de combat, tenu cette fois-ci à Rome
même du 7 au 10 novembre.
Lors de la réunion dans la salle du théâtre Augusteo des 5 000 délégués,
l’affrontement entre les deux lignes politiques de Mussolini et de Grandi reprit
mais dans un ton que les deux parties voulurent raisonnable. Le premier afficha
sans ambiguïté sa ligne modérée et ouverte au monde conservateur : positions
économiques libérales, ouvertures en direction du Vatican, références purement
théoriques à l’esprit de la charte du Carnaro. Le second continua de défendre un
projet politique centré autour des syndicats, forces d’intégration des masses dans
l’Etat, mais en vérité les deux hommes convergeaient autour de la nécessité de
disposer d’un parti politique permettant d’alterner engagement parlementaire et
action révolutionnaire1.
Mussolini parvint donc à faire triompher sa vision mais une fois de plus au
prix d’un compromis. Le fascisme se dotait d’un parti structuré, le Parti national
fasciste (PNF), qui organisait les faisceaux en fédérations provinciales dirigées
par le secrétaire politique provincial élu par un directoire provincial. Un
secrétaire général, un conseil et un directoire (appelés à partir de 1924 Conseil
national et Directoire national) couronnaient l’édifice partisan. Mussolini laissa
le poste de secrétaire général à Michele Bianchi qui, venu de l’extrême gauche
syndicaliste et converti avec tout autant de radicalité au nationalisme de droite,
défendait avec sa rage habituelle l’alliance avec la bourgeoisie. Reconnu comme
le Duce du fascisme, il put imposer un nouveau programme au fascisme
davantage marqué par l’orientation conservatrice : exaltation de la nation,
réduction des compétences de l’Etat dans le domaine économique mais
instauration d’un pouvoir politique fort, limitation du droit de grève, garantie de
la propriété privée, création de syndicats fascistes, affirmation agressive de la
puissance italienne en Méditerranée.
A première vue, le repositionnement du fascisme à droite de l’échiquier
politique ne faisait plus aucun doute, surtout si on le compare aux thèses de San
Sepolcro de 1919. Les revendications comme le ton général avaient
singulièrement perdu de leur agressivité subversive. Mais cela conduit-il
forcément à considérer que le mouvement a perdu sa nature révolutionnaire ? Un
historien comme Ernest Nolte l’a affirmé en réduisant le fascisme à un
mussolinisme contre-révolutionnaire et antimarxiste2. De nombreuses objections
lui ont été opposées, toutes liées à la nature même du fascisme. Il ne s’agissait
pas comme nous l’avons vu d’une pure et simple riposte à une menace
bolchevique en grande partie anéantie au début de l’hiver 1921. Le fascisme
proposait une riposte de type révolutionnaire qui combattait avec une hargne tout
aussi forte la démocratie et le libéralisme. Le congrès de Rome préservait en fait
le squadrisme, l’essence même du mouvement en l’intégrant au parti, en
l’institutionnalisant en quelque sorte, ce qui eut des conséquences majeures.
Certes, le fascisme ne pouvait plus se positionner comme l’antiparti, mais il
n’en demeurait pas moins un parti différent des autres par cette fusion de la
politique et de la militarisation de l’action. Il devint le parti-milice pour
reprendre l’expression de Renzo De Felice qui, dans ses formes, ses rituels, ses
objectifs, son esprit entretenait ses racines squadristes et conservait le dessein de
renverser l’ordre établi, de bâtir une société nouvelle, nationaliste et unie, de
créer un Italien nouveau. Comme le montre Emilio Gentile dans l’ensemble de
ses travaux, ce projet constituait le cœur de la matrice totalitaire du fascisme,
« totalitaire parce que révolutionnaire ». Le PNF devenait l’instrument idoine
pour s’emparer de l’Etat, lequel servirait à anéantir le régime libéral et les
libertés qui lui étaient inhérentes3.
L’autre conséquence des reculades de Mussolini résidait dans la méfiance
viscérale dont il ne se départirait jamais à l’encontre des squadristes, des
chemises noires mais aussi du parti qui en entretenait la flamme. L’expérience de
1921 lui prouvait l’existence de courants plus radicaux qui refusaient de remiser
au placard les idéaux révolutionnaires que le nouveau Duce mettait en sommeil
pour mieux arriver au pouvoir. Le fascisme ne se résumait pas à cette date – et
d’ailleurs il ne le ferait jamais – à du mussolinisme. Si Grandi avait
publiquement embrassé le Duce à la fin du congrès, Roberto Farinacci restait sur
ses réserves. Il s’était tenu à l’écart des débats se contentant d’un rôle logistique
dans l’organisation du congrès. Il n’exprima aucune opposition à la création du
PNF ni même à sa propre exclusion des instances dirigeantes, n’intervenant que
pour empêcher le transfert du siège du parti de Milan à Rome. Le parti, pensait-
il, aurait au moins l’avantage de libérer le fascisme du cadre étouffant des
« blocs » électoraux comme cela avait été le cas en mai 1921. Mais le ras de
Crémone n’en défendait pas moins une ligne ferme en direction du prolétariat.
L’antisocialisme du fascisme s’expliquait par son refus des fractures de la lutte
des classes. Or, maintenant qu’il avait rétabli la paix et remis les travailleurs au
travail, il lui revenait de résoudre les questions sociales brûlantes. Le fascisme
restait aux yeux de Farinacci « le seul parti qui vraiment, sincèrement,
laborieusement prenait à cœur les intérêts du prolétariat4 ». Se plaçant ainsi en
réserve, il pensait devenir une solution alternative en cas de rejet de la ligne
mussolinienne.
Et pour ceux qui en doutaient encore, la réunion de Rome montra aussi que
le feu de la violence des chemises noires brûlait avec la même intensité. Le jour
de la clôture du congrès, un grand cortège fasciste défila dans la ville et fut
l’occasion de nombreuses bagarres avec les antifascistes qui s’achevèrent par
deux morts (un dans chaque camp). Une grève générale alourdit encore un peu
plus le climat dans la capitale5. Mussolini saisit l’occasion pour enterrer le pacte
de pacification artificiellement maintenu en vie depuis des semaines. Ces
sanglants incidents intervenaient alors que le président du Conseil Bonomi
tentait de restaurer l’ordre et de reprendre la main. Afin de ne pas laisser aux
fascistes le monopole du souvenir de la guerre, les cérémonies du 4 novembre
1921 autour de la tombe du soldat inconnu revêtirent un caractère
particulièrement vif. Mais au-delà du symbole, il fallait agir, nécessité confirmée
par les incidents de Rome. Le 21 décembre, le gouvernement prit un décret
permettant aux préfets de dissoudre les groupes armés. Mussolini riposta aussitôt
en annonçant l’intégration des squadre au PNF qui aurait alors dû être dissous6 !
Un gouvernement aussi faible que celui de Bonimi ne pouvait pas prendre une
décision politique aussi tranchante contre un parti qui avec ses 219 792 militants
constituait une force attrayante redoutable, à défaut d’être majoritaire dans le
pays.
Une force qui en outre s’organisait. En effet, au mois de janvier 1922, le
PNF valida un nouveau règlement qui mettait un peu d’ordre dans l’autonomie
anarchisante du squadrisme tout en en respectant l’esprit. Au sommet, un
commandant général chargé de la discipline générale ; à la base, des militants
appelés principii qui, au nombre variant de 20 à 50, composaient les squadre
avec à leur tête un chef ; entre les deux une série d’échelons hiérarchiques : une
centurie était formée de quatre squadre, une cohorte de quatre centuries, une
légion de trois à neuf cohortes. A la tête de la légion se trouvait un consul
disposant dans ses décisions d’une très grande autonomie qui venait s’ajouter à
la nature élective de tous les postes de commandement. Cette nécessité de
respecter la liberté d’action à laquelle tenaient tant les squadristes par rapport à
la direction politique du mouvement se heurtait toutefois à l’indispensable
contrôle que celle-ci devait assurer pour éviter l’anarchie. Ainsi fut-il donné au
secrétaire politique local le pouvoir de placer les squadre sous son autorité7.
Cette volonté de discipliner le mouvement squadriste s’exprimait non
seulement dans la hiérarchisation mais aussi dans l’utilisation toujours plus forte
de l’héritage romain. Les noms utilisés (centurie, cohorte, consul, etc.)
rejoignaient d’autres récupérations de la romanité pour un usage politique. Le
bras levé en faisait bien sûr partie avec son aspect martial, rapide, dynamique en
tout point conforme à l’esprit fasciste. Quant au terme Dux, il n’avait pas grand-
chose à voir avec le sens fasciste puisqu’il désignait à l’origine un commandant
militaire puis un chef politico-militaire à la fin de l’Empire romain et enfin un
condottiere, avant d’être repris par les syndicalistes révolutionnaires qui
l’utilisèrent à propos des chefs charismatiques capables de guider les militants.
Ainsi le Duce faisait-il le lien entre romanité, extrême gauche révolutionnaire et
fascisme. Il en était de même avec le symbole célèbre du faisceau du licteur. Au
XIXe siècle, ce symbole du pouvoir des magistrats constitué de verges liées autour
d’une hache (représentation du pouvoir de réprimer) et porté par le licteur en
avant du consul avait été récupéré par les groupes révolutionnaires et autres
faisceaux ouvriers et agricoles pour incarner leur force et leur unité8.
On le voit, la romanité participa très tôt de la mythologie fasciste, bien avant
la prise du pouvoir et l’instauration de la dictature, et ce pour un but précis.
Laissons Mussolini en donner lui-même la raison en 1921 : « Parce que nous
voulons instaurer une solide discipline nationale, parce que nous pensons que
sans cette discipline l’Italie ne peut devenir la nation méditerranéenne et
mondiale qui est dans nos rêves9. » La filiation avec l’Antiquité permettait bien
sûr d’exalter le passé glorieux de la nation mais elle servait avant tout à faire des
squadre un exemple de discipline qui irriguerait ensuite toute la société italienne
intrinsèquement portée aux désordres. Le régime allait porter, nous le verrons,
ces sentiments à l’incandescence. Notons toutefois que la sémantique romano-
fasciste établissait un autre lien, tout aussi prégnant, avec la culture
révolutionnaire italienne du XIXe siècle que les contemporains comprenaient plus
aisément que les nôtres…

La crise finale de l’Etat libéral


Le 25 février 1922, Mussolini écrivit ces mots révélateurs dans la revue
Gerarchia (« Hiérarchie ») qu’il venait de fonder avec sa maîtresse et égérie
politique Margherita Sarfatti : « Le fascisme doit-il restaurer l’Etat ou le
renverser ? Est-il ordre ou désordre ? Est-il possible d’être conservateur et
subversif à la fois ? Comment le fascisme entend-il échapper au cercle vicieux
des contradictions10 ? » Il s’apprêtait en fait à apporter la réponse : le fascisme
renverserait l’Etat pour en fonder un autre. A l’Etat libéral en pleine
décomposition se substituerait l’Etat fasciste. La question à résoudre était
simple : comment s’y prendre ? Par la voie légaliste et parlementaire ou le coup
de force ?
Une réponse s’avérait d’autant plus urgente que l’Etat italien entrait dans une
crise dont on se demandait si elle n’offrait pas les conditions propices à une prise
de pouvoir. Le 2 février 1922, la chute de Bonomi ouvrait la voie à un énième
retour de Giolitti qui ne put se concrétiser du fait de l’opposition du PSI et du
PPI. Le pouvoir échut à Luigi Facta, un homme bien ordinaire pour une époque
qui ne l’était pas. Aux yeux des observateurs, Facta jouait un rôle de transition
vers un nouveau cabinet Giolitti. Par l’apathie politique de la nouvelle équipe au
pouvoir, par l’insipidité même du chef du gouvernement, le système libéral
prouvait son incapacité à réagir avec force, à se trouver un sauveur, à envoyer
aux forces subversives un message de fermeté. L’inaptitude de la classe
dirigeante à sauver le régime et, par là, à se sauver elle-même éclatait au grand
jour.
Pourtant, le fascisme souffrait de nombreuses faiblesses. Malgré
l’augmentation de ses effectifs (plus de 300 000 membres au printemps 1922), il
n’en restait pas moins un parti minoritaire d’une trentaine de députés à la
Chambre, un mouvement traversé par des forces centrifuges, avec un chef
toujours contesté de l’intérieur. Mussolini profita de la réunion du comité central
des 3 au 5 avril 1922 à Milan pour poser les termes du débat sur la prise de
pouvoir. Il se prononça sans ambiguïté en faveur de la solution électorale et du
rejet de la violence gratuite, parvenant à convaincre les membres du comité à le
suivre sur cette voie11.
Le paradoxe est que cette ligne légaliste devait cohabiter avec le
bouillonnement squadriste qui se déchaîna très vite après la réunion de Milan.
Au printemps-été 1922, une grande offensive des squadre se déploya à travers le
pays à partir de son épicentre des régions padanes ; une offensive bien différente
de celle de l’année précédente puisqu’il s’agissait d’une part de groupes très bien
organisés et armés, et d’autre part d’une attaque des provinces pour s’emparer du
pouvoir à Rome. Le centre tomberait une fois les périphéries sous contrôle. Italo
Balbo joua un rôle moteur dans cette affaire. Peu à l’aise avec l’idéologie mais
squadriste dans l’âme, il fut le maître d’œuvre de la Milice en janvier 1922 en
cohérence avec sa vision du fascisme : une armée pour prendre le pouvoir par la
force. A la tête de plusieurs milliers de ruraux, de chômeurs solidement encadrés
par les squadristes, il envahit et occupa la ville de Ferrare (12-13 mai 1922) pour
contraindre les autorités à financer des travaux publics pourvoyeurs d’emplois.
Deux bombes ayant inopinément explosé, l’une à la mairie, l’autre au tribunal,
Rome comprit le message et se plia aux exigences des fascistes. Balbo sortit de
cette victoire auréolé d’un immense prestige. Devenu le maître de Ferrare, il put
imposer le départ du préfet Bladier et son remplacement par le profasciste
Cesare Di Giovara.
L’autre ville à conquérir était Bologne. La citadelle socialiste avait été
renforcée depuis la nomination en février 1921 d’un préfet énergique, Cesare
Mori, qui deviendrait par la suite célèbre grâce à sa lutte antimafia. Pour le
moment, il déployait une énergie farouche pour briser le mouvement fasciste.
Les arrestations de chemises noires se multipliaient (84 rien que pour le premier
semestre de 1922). Mori se trouvait tout naturellement dans le collimateur des
fascistes. La mort d’un chef squadriste dans l’assaut d’une coopérative donna le
prétexte pour investir la ville. Balbo lança l’attaque le 27 mai sur les bourses du
travail, les locaux des associations socialistes, les places de la cité romagnole.
Depuis la préfecture où il s’était barricadé, lâché par les milieux commerçants et
industriels, Mori pouvait entendre les cris des chemises noires hurlant : « Mori,
tu dois mourir ! » Devant une telle violence, Facta préféra plier. Il convoqua le
préfet à Rome le 1er juillet et le remplaça par le vice-préfet de Gênes. Les
squadristes acceptèrent alors de se retirer et de quitter la ville12.
Cette destitution humiliante porta un coup très rude à l’autorité de l’Etat et
motiva les autres ras à agir de même. En juillet, Viterbe, Novare, Rimini,
Ravenne connurent des occupations squadristes avec leurs litanies de locaux et
d’habitations saccagés et incendiés, d’adversaires rossés. A chaque fasciste tué
répondaient de violentes représailles. Les incendies illuminaient les nuits de l’été
italien. De son côté, Farinacci envoya le 3 juillet ses squadre dans les rues de
Crémone, véritable hold-up politique qui lui permit de se proclamer maire afin
de faire pression sur le préfet pour obtenir la dissolution de l’administration
socialiste. Facta envoya certes des instructions très fermes pour le rétablissement
de l’ordre mais qui ne furent pas suivies d’effet. La ville et ses principaux
bâtiments furent occupés tandis que le domicile du chef syndicaliste des paysans
catholiques était saccagé. Ces désordres durèrent jusqu’au 18 juillet, date à
laquelle un ordre de Mussolini vint tout arrêter : « Très cher Farinacci, il est
nécessaire de suspendre l’agitation, parce que les buts sont atteints. Poursuivre
deviendrait nuisible pour nous. Tu diffuseras donc à nos milices le manifeste
inclus. Je ne peux m’étendre. Il vaut mieux donner encore une fois un spectacle
de discipline et ne pas forcer les situations de manière à ne pas nous mettre dans
une voie sans issue13. » Et Farinacci de s’incliner devant la volonté
mussolinienne de garder le contrôle des opérations squadristes. Ces
démonstrations violentes montraient pourtant la force du fascisme, sa capacité à
briser la légalité, à piétiner la démocratie, à défier l’Etat. Le bilan parlait de lui-
même : près de 250 bâtiments (bourses du travail, coopératives, locaux de partis
politiques, maisons du peuple, etc.) pris d’assaut entre mars et juillet 192214. La
passivité et l’impuissance des autorités permettaient en plus à Mussolini de jouer
au modérateur.
L’une des victimes directes des événements de Crémone fut le cabinet Facta,
emporté par un vote défavorable à la Chambre le 19 juillet. D’interminables
discussions politiques s’engagèrent pour lui trouver un successeur mais en vain.
Néanmoins, elles furent l’occasion d’un rapprochement entre les socialistes
réformistes (l’un de leurs chefs de file Turati fut reçu en audience par le roi au
palais du Quirinal) et le Parti populaire de don Sturzo devenu à son tour une
cible du squadrisme. En effet, Mussolini avait certes atténué son anticléricalisme
forcené – autre héritage du Risorgimento – afin de rassurer l’Eglise catholique et
la papauté qui exerçaient en Italie une influence considérable. Les prêtres
restaient bien sûr pour lui des cafards à piétiner, le christianisme une corruption
de l’âme bonne pour les faibles et une religion indigne du surhomme
nietzschéen, mais le programme du PNF dans sa version de 1921 avait mis en
sommeil l’expropriation des congrégations religieuses… Sur ce point aussi, la
réappropriation de la mythologie romaine ouvrait de belles perspectives de
rapprochement. En outre, depuis le 6 février 1922, le trône de saint Pierre était
occupé par l’ancien archevêque de Milan, Achille Ratti. Régnant sous le nom de
Pie XI, cet anticommuniste virulent ne cachait pas une réelle admiration pour le
chef fasciste qu’il décrivait comme un « néoconverti15 ». En revanche, le Parti
populaire restait un adversaire politique redoutable et bien organisé, l’héritier des
neutralistes catholiques de la guerre et désormais une entrave à la prise du
pouvoir qu’il fallait éliminer. Ses adeptes subirent un premier cycle de violences
dès 1921 que Mussolini chercha tout d’abord à minimiser.
L’offensive de l’été 1922 franchit une marche supplémentaire. Les insultes
fusèrent contre don Sturzo et son parti dans les feuilles fascistes, tandis que ses
militants subissaient les bastonnades des chemises noires. C’était bien contre
l’ensemble des forces politiques de l’Etat libéral que le fascisme s’attaquait, car
don Sturzo espérait sauver le régime par une démocratie inspirée de l’Evangile et
intégrant en son sein les catholiques, projet que refusait Pie XI peu convaincu
des vertus de la démocratie16. Dans ces conditions, un gouvernement d’union de
plusieurs courants (réformistes, populaires, conservateurs, libéraux) contre la
subversion fasciste devenait possible. L’opposition de Giolitti à cette
combinaison en rendait néanmoins la concrétisation difficile. De toute façon,
Victor-Emmanuel III, de plus en plus fatigué par ces crises ministérielles à
répétition et les palabres parlementaires, finit par reconduire Facta dans ses
fonctions le 1er août 1922. Cette solution qui n’en était pas une s’expliquait par le
fait que le souverain fut pris au dépourvu par l’annonce le 30 juillet d’une grève
générale baptisée « grève légalitaire » – son objectif étant de pousser l’Etat à
reprendre la situation en main – et déclenchée par l’Alliance du travail, une
coalition de syndicats créée en janvier 1922. Il fallait donc un gouvernement à
l’Italie. Va pour Facta à défaut d’un autre !
La grève constitua une terrible erreur dont les forces syndicales de gauche
portaient l’entière responsabilité. En effet, il ne restait aux fascistes, inquiets des
tractations politiques en cours, qu’une solution pour éviter la marginalisation :
réactiver la guerre civile pour rejouer le scénario de l’année précédente et
apparaître comme les sauveurs du pays. L’Alliance du travail leur offrit une
occasion inespérée qu’ils ne laissèrent pas passer. La grève générale interrompit
les discussions parlementaires, précipita la formation du nouveau cabinet Facta
fait de bric et de broc et recréa une ambiance révolutionnaire propice à l’action
squadriste17. Le PNF publia aussitôt dans le Popolo d’Italia un véritable
ultimatum au gouvernement exigeant de lui qu’il brisât la grève avant quarante-
huit heures. « Passé ce délai, précisait le texte, le fascisme revendiquera sa pleine
liberté d’action et se substituera à l’Etat qui aura encore une fois démontré son
impuissance. » Le secrétaire général Bianchi, reçu par Facta et son ministre de
l’Intérieur Taddei, renouvela l’appel en termes clairs et fermes. Le mouvement
fasciste se mit en ordre de bataille. Ses activistes non seulement remplacèrent
bon nombre de grévistes mais s’attaquèrent aussi physiquement à eux. Rien
qu’en deux jours, les rixes firent 12 morts dont 8 fascistes, et 62 blessés18. Le
3 août, l’Alliance du travail, constatant amèrement son échec, ordonna la fin du
mouvement de protestation.
Ce recul n’empêcha pas les fascistes de se jeter à l’assaut non pas des
socialistes vaincus en rase campagne mais d’un Etat venant d’étaler aux yeux de
tous sa totale impuissance. Les violences s’amplifièrent une fois la grève
achevée le 3 août et ne cessèrent que le 8 août. Cette fois-ci, les cibles étaient les
villes qui n’avaient jamais vraiment été occupées par les squadre dans les mois
précédents. Milan constituait un objectif de premier plan, à la fois politique et
symbolique. Le 3 août, dans l’après-midi, un premier assaut des chemises noires
contre le palais Marino, siège du conseil municipal, se heurta à un cordon de
police efficace avant qu’une second tentative ne les rendît maître de l’édifice. Le
lendemain, le siège d’Avanti ! fut de nouveau mis à sac.
Face à l’ampleur de la crise politique, le cabinet Facta étalait ses divisions.
Le ministre de l’Intérieur Taddei ainsi que ses collègues de la Justice Alessio et
de la Guerre Marcello Soleri, officier de valeur sur le front mais giolittien et
ancien neutraliste, se déclaraient partisans de la force. Au matin du 5 août,
Taddei reçut un rapport du préfet de Milan, Lusignoli, qui préconisait en
substance une répression étendue à tout le pays à l’aide de moyens d’envergure,
y compris l’artillerie ! Le préfet envoya en même temps à Facta un télégramme
parlant d’un plan fasciste d’insurrection générale. Le Conseil des ministres se
réunit donc le 5 août dans une atmosphère pesante. Le ministre de la Justice
Alessio préconisa la mise en place de l’état de siège qui permettrait au
gouvernement de dissoudre les groupes fascistes. Les ministres préférèrent à
cette solution celle du transfert des pleins pouvoirs civils aux autorités militaires
dans les villes où la violence était la plus forte, ce qui élargissait la sphère de
responsabilité des officiers. Le soir du 5, Taddei transmit l’information aux
préfets et le lendemain demanda aux généraux concernés d’user de leurs armes si
cela s’avérait nécessaire19. L’Italie se trouvait à la croisée des chemins.
Or, l’armée elle non plus ne répondait pas aux attentes du gouvernement. Au
mois d’août, le ministre Soleri dut envoyer trois télégrammes pour rappeler aux
commandants des corps d’armée leur devoir de neutralité politique, ce qui
indiquait que sur ce point l’apolitisme militaire faisait défaut. Dans plusieurs
villes, la passivité complice des forces armées était évidente. La répression serait
certes chose facile mais sur quoi déboucherait-elle ? Sur une guerre civile
assurément et peut-être une résurgence de la menace socialiste, antimilitariste et
antipatriotique que les militaires refusaient. En outre, l’armée avait besoin d’une
classe politique résolue et claire dans sa détermination à écraser le fascisme et à
la soutenir, ce qui était loin d’être le cas20. Le roi qui, comme nous allons le voir,
observait en silence le déroulement de la crise n’était pas loin de partager cette
analyse réaliste.
Dans le reste de la péninsule, les villes tombaient les unes après les autres :
Naples, Gênes, Livourne, Ancône, Venise, Terni. Dans certaines, les fascistes se
heurtèrent à une véritable résistance comme ce fut le cas à Parme. Ils durent en
effet reculer devant l’action déterminée du préfet, du commandant militaire et
des Arditi del popolo, un groupe paramilitaire et antifasciste créé pendant les
troubles de l’été 1921, avant de l’emporter après cinq jours de combat. Au cœur
des combats on trouvait… Alceste De Ambris, l’ancien chef de cabinet de
D’Annunzio engagé les armes à la main dans la lutte antifasciste de gauche21.
A l’issue de ces journées fiévreuses, le fascisme ne renversa pas l’Etat mais
lui asséna des coups très sérieux. Le 6 août, le gouvernement lança un appel qui
se voulait solennel mais qui sonnait creux : « En cette heure de si graves troubles
de la paix intérieure, le Gouvernement s’adresse au Pays, à tout le Pays sans
distinction partisane pour un appel direct aux citoyens pour que cessent les
heurts sanglants et que les esprits s’élèvent vers un sentiment de solidarité
patriotique et humaine […]. Le Gouvernement a le suprême devoir de défendre
l’Etat, ses institutions, les intérêts généraux pour les intérêts particuliers, à
n’importe quel prix, avec n’importe quel moyen, obstinément contre quiconque
y porte atteinte. » Au-delà de cette fermeté de façade, quelle solution restait-il
aux dirigeants italiens puisque l’armée elle-même rechignait à noyer dans le
sang cette insurrection qui ne disait pas son nom sinon celle d’associer le
fascisme au pouvoir pour le canaliser, l’adoucir, le corrompre ? Mais cette issue
dépendait de nombreux facteurs, au premier rang desquels se trouvait la position
du roi, seul qualifié pour désigner le président du Conseil.

Que faire ?
Les victoires fascistes pendant l’été 1922 accélérèrent le processus menant à
la marche sur Rome. De multiples rumeurs circulaient, savamment entretenues
par les journaux et les dirigeants du mouvement. La question de la stratégie pour
la conquête du pouvoir fut débattue lors de la session du comité central du PNF
tenue à Milan les 13 et 14 août 1922. Deux lignes s’opposaient. La première,
défendue par Grandi et le député Acerbo, préconisait des élections anticipées,
alors que la seconde autour de Bianchi et de Farinacci appelait à une insurrection
armée. Le secrétaire général, auréolé du succès squadriste contre la grève
générale, et le ras de Crémone agitaient avec conviction le risque de voir les
socialistes soutenus par le gouvernement reconquérir leur influence pendant
l’hiver en profitant des difficultés économiques qui s’annonçaient. Il fallait agir
le plus vite possible, dès l’automne. Finalement le comité valida un ordre du jour
admettant le principe d’une insurrection mais seulement dans le cas où le
gouvernement refuserait de dissoudre la Chambre. Un commandement unique
des squadre fut installé entre les mains d’Italo Balbo, d’Emilio De Bono et
Cesare Maria De Vecchi avec mission de les préparer à un assaut, cette fois-ci
décisif22.
Le choix de ces trois hommes mérite que l’on s’y arrête un instant. De Bono
venait d’adhérer au PNF en juillet 1922. Ce général, qui rêvait de devenir
ministre de la Guerre, ne goûtait guère les jeux politiciens mais homme d’ordre
et d’autorité il trouva dans le fascisme la meilleure voie pour satisfaire ses
ambitions. Le PNF accueillit avec joie dans ses rangs cet officier supérieur
réputé très proche de la famille royale grâce à son amitié avec le cousin de
Victor-Emmanuel III, le duc Emmanuel-Philibert d’Aoste, ancien commandant
au front de la 3e armée. Ses compétences en faisaient l’homme idoine pour
l’organisation militaire des squadristes. Ce fut sur son indication que les deux
autres membres du directoire militaire furent choisis23. Balbo apportait à l’équipe
son prestige auprès des squadristes et son expérience. Quant à De Vecchi, lui
aussi ancien combattant, député depuis 1921 et chef squadriste de la région de
Turin, il représentait la tendance modérée et monarchique du fascisme, celle
considérant que la dynastie de Savoie incarnait la nation et qu’à ce titre elle ne
pouvait être renversée24.
Ces éléments tendaient à confirmer le poids désormais central de la question
monarchique. Le Statuto (la Constitution italienne) conférait au souverain des
pouvoirs étendus qui le rendaient incontournable dans la désignation du chef du
gouvernement. Or, l’inclination républicaine du fascisme depuis ses origines
socialistes constituait un obstacle de taille le privant du soutien des courants
monarchiques et conservateurs, d’une partie des masses attachées à la Couronne
et du roi lui-même. Le pragmatique Mussolini le savait. Il devait donner des
gages, rassurer, bref se rallier à la monarchie en renvoyant aux calendres
grecques la question du régime. Le 23 août 1922, dans un article du Popolo
d’Italia, il répondit à une injonction du journal libéral Il Giornale d’Italia en
écrivant que « la couronne n’[était] pas en jeu pourvu qu’elle ne [voulût] pas se
mettre en jeu ». Que le roi restât neutre dans la bataille et son trône ne serait pas
menacé. Lors d’un discours à Udine le 20 septembre, Mussolini répéta que le
fascisme ne traiterait pas de la nature du régime monarchique en Italie. Ses
lieutenants lui emboîtaient le pas, comme Farinacci qui exposa le problème en
ces termes : « Se substituer à l’Etat, s’en emparer ne veut pas dire se substituer
au régime en le transformant. La question institutionnelle nous intéresse
relativement peu. La monarchie n’est pas un obstacle à notre action. La question
du régime est au-dessus et en dehors de nos finalités et n’est pas en
discussion25. » Les conversions à la monarchie, ou plus précisément à l’idée
monarchique, se multipliaient y compris dans les rangs d’anciens futuristes
comme… Mario Carli, l’admirateur de Lénine à Fiume ! L’écrivain se
transforma au fur et à mesure de la montée du fascisme vers le pouvoir en
soutien de l’institution monarchique car elle seule, une fois la révolution
abandonnée, « pouvait garantir à “l’aristocratie de Vittorio Veneto” ce rôle
politique qui lui incombait pour les mérites acquis à la guerre ». Il fonda donc en
avril 1922 une nouvelle revue milanaise Il Principe (« Le Prince ») avec comme
sous-titre Hebdomadaire de l’idée monarchique, qui aida beaucoup le fascisme
dans le ralliement à sa cause des milieux monarchiques26.
La situation particulière de la maison de Savoie facilitait, il est vrai, les
ralliements des héritiers de Garibaldi en chemises noires. N’avait-elle pas en
1859-1860 renversé les trônes « réactionnaires » des Etats pré-unitaires, réalisé
l’unité nationale, rassemblé autour d’elle les peuples de la péninsule, garanti leur
intégration au sein de l’Etat, du moins en théorie… ? De plus, la transformation
de la monarchie en un régime autoritaire, hostile au parlementarisme et à la
démocratie, n’était pas incompatible avec le projet fasciste. Mais le roi lui-même
qu’en pensait-il ? Quels sentiments éprouvait Victor-Emmanuel III derrière ce
masque impavide qu’il arborait en toutes circonstances ? Le souverain était le
garant du respect du Statuto et du bon fonctionnement des institutions. Il lui
incombait donc d’assurer la défense de l’Etat contre les forces subversives. De
plus, l’homme qui avait libéralisé la vie politique après le règne autoritaire de
son père Humbert Ier, laissé Giolitti réformer le pays, avec toujours le souci
d’apaiser les relations sociales ne pouvait pas, en toute logique, laisser des
voyous s’installer au pouvoir et étrangler le régime libéral hérité de Cavour.
En vérité, l’impénétrable monarque était troublé. Pendant la guerre, il avait
passionnément aimé son séjour au front, la proximité avec les soldats, cette
existence de caserne faite de discipline, d’austérité, de sens du devoir et de
patriotisme à laquelle la paix l’avait arraché. L’achèvement du conflit l’avait
renvoyé à la vie politique, aux chamailleries des politiciens qu’il exécrait depuis
toujours, à ce parlementarisme impuissant à résoudre les immenses problèmes
qui se posaient à l’Italie. Avec les fascistes, il partageait le sens de la patrie, de la
communauté de soldats, les valeurs du front, la haine de la paix mutilée,
l’anticléricalisme absolu et le socialisme (au sens de prise en compte des
problèmes sociaux). S’il n’avait pas l’intention de les laisser mettre le pays à feu
et à sang pour s’emparer du pouvoir par la subversion, il craignait par-dessus
tout la guerre civile, une obsession depuis la violente crise des années 1896-1900
qui avait coûté la vie à son père. Pour l’instant, il ne bougeait pas, jouait son rôle
de monarque parlementaire et laissait le cabinet Facta gouverner, ce qui lui
évitait de faire ce qu’il détestait au plus haut point : prendre des décisions. Le
mystère sur ses intentions demeurait entier27.
Les chefs fascistes, de leur côté, montraient plus de détermination. Le
15 septembre, De Vecchi et De Bono présentèrent le nouveau règlement de la
Milice qui insistait sur la fidélité et l’obéissance absolues dues au parti et à ses
chefs. Il mettait surtout fin au principe électif au bénéfice de nominations par la
direction politique. Le parti-milice se dotait d’une véritable armée prête à en
découdre avec celle de l’Etat. La décomposition des forces politiques adverses
offrait en plus de larges opportunités. Le PSI traversa une grave crise interne à
l’occasion de son XIXe congrès, du 1er au 4 octobre 1922, qui vit s’affronter
maximalistes et réformistes. Ces derniers, expulsés du parti, fondèrent le Parti
socialiste unitaire (PSU) sous la direction de Turati et de Giacomo Matteotti,
emmenant avec eux plus de la moitié des 122 députés. Cette rupture aurait pu
favoriser une alliance avec les populaires, mais l’aile droite du parti de don
Sturzo ne voulait pas en entendre parler, pas plus d’ailleurs que Pie XI, hostile à
une telle compromission avec des socialistes. De l’autre côté de l’échiquier
politique, le camp des libéraux se fissurait lui aussi. Les plus conservateurs,
menés par Salandra, fondèrent le 8 octobre à Bologne le Parti libéral italien et se
déclarèrent favorables à une coalition gouvernementale avec le fascisme.
On remarquera qu’à ce stade peu de responsables politiques envisageaient un
cabinet dirigé par Mussolini, mais davantage une distribution de maroquins
ministériels à des fascistes, meilleur moyen, pensait-on, d’absorber le fascisme
dans les institutions. Le succès de cette combinaison reposait toutefois sur le
retour de l’incontournable Giolitti. Or, Mussolini redoutait plus que tout ce
scénario qui porterait au pouvoir l’homme qui n’hésita pas à envoyer l’armée
déloger D’Annunzio de Fiume. Un redoutable précédent en somme ! Non, une
simple participation du PNF à un gouvernement signerait son arrêt de mort. Il ne
restait plus que la solution de l’insurrection, de la guerre ouverte contre l’Etat
libéral28. Dans ces conditions, une prise de décision rapide s’imposait avec
l’approche des commémorations de la victoire du mois de novembre que les
autorités ne manqueraient pas d’exploiter à leur profit et au détriment du
fascisme.
Une nouvelle action squadriste confirma, dans les premiers jours d’octobre,
l’impuissance de Facta. En effet, le 24 septembre, quatre jours après son discours
d’Udine, Mussolini s’était rendu à Crémone, le fief de Farinacci pour une
réconciliation spectaculaire. Le ras y fit la démonstration de sa puissance locale,
tandis que le chef du fascisme exhortait les chemises noires hurlant « A
Rome ! » à se tenir prêtes. L’occupation par les squadristes des villes de Bolzano
et Trente, encore hostiles au fascisme, suivit ces retrouvailles. Le gouvernement
ne put que valider l’état de fait. Pour Farinacci, il n’y avait plus qu’une décision
à prendre : la marche sur Rome et maintenant !
Le rôle exact tenu par Mussolini dans la prise de décision alimente les
querelles entre historiens. Longtemps hésitant, il finit par se rallier à la solution
insurrectionnelle rejoignant sur ce terrain Bianchi le révolutionnaire, Balbo et
Farinacci. Le plus hostile restait Grandi, toujours défavorable à ce qu’il percevait
comme une militarisation du fascisme et convaincu des avantages d’une solution
parlementaire pour un gouvernement de coalition. Il se tint donc à l’écart de la
marche, ce que Mussolini ne lui pardonna pas. « Tu t’es trompé, lui dit-il plus
tard, tu n’as pas cru à mon étoile mais à l’inexistant courage de nos ennemis29. »
De Vecchi et De Bono eux aussi exprimèrent des doutes lors de la réunion
cruciale du 16 octobre tenue à Milan dans les locaux du faisceau via San Marco,
dont l’ordre du jour portait sur la stratégie de la marche vers la capitale. Y
participèrent, outre Mussolini et les deux membres du directoire de la Milice,
Balbo, Bianchi, les généraux Ceccherini et Fara, ainsi que deux autres militaires,
le chef de la squadra du Latium Ulisse Igliori et Attilio Teruzzi. De Bono
s’inquiéta de la présence des deux généraux et de leur interférence possible dans
le commandement de la Milice, mais jugea surtout les chemises noires peu
préparées à une éventuelle confrontation avec l’armée régulière. Si Mussolini le
rassura sur le premier point, il balaya ses objections à propos du second. La
réunion valida non sans réticences sa proposition d’un quadriumvirat constitué
de De Bono, Balbo, De Vecchi, Bianchi pour exercer un contrôle total sur les
opérations à la place de la direction politique du PNF. Cette solution avait
l’avantage évident de dégager sa responsabilité directe sur les événements à
venir. Ce fut sans Bianchi mais avec Teruzzi que les trois commandants de la
Milice se réunirent pour la première fois le 18 octobre 1922 dans la charmante
ville ligure de Bordighera. Ils mirent au point le plan d’action. Les squadre
venues de l’ensemble de la péninsule se concentreraient dans trois villes proches
de la capitale : à Santa Marinella pour les troupes d’Italie du nord, de Toscane et
de Ligurie, à Monterotondo pour celles de Vénétie, de Lombardie et de l’Emilie
et enfin à Tivoli pour celles des régions méridionales, du Latium, des Abruzzes
et des Marches. Elles marcheraient ensuite vers Rome. Une nouvelle rencontre,
les 20-21 octobre, permit de finaliser le plan : l’occupation des édifices publics
des principales cités du pays s’accompagnerait de l’envoi d’un ultimatum au
gouvernement exigeant la cession des pouvoirs au fascisme, suivi de l’entrée
dans Rome et de la prise des ministères. En cas d’échec, un repli général vers les
régions centrales serait organisé avec constitution d’un gouvernement fasciste et
préparation d’une nouvelle action sur Rome. L’opération débuterait à l’occasion
du congrès du PNF à Naples le 24 octobre, et le siège des opérations serait
installé à Pérouse30.
Dans toute cette affaire, la priorité de Mussolini restait politique, c’est-à-dire
qu’il donnait la priorité aux discussions devant lui ouvrir les portes de la
présidence du Conseil. Cela suffit-il pour affirmer qu’il n’accordait à la marche
qu’un rôle secondaire, simplement pour accélérer la conclusion d’un accord ? La
clé de compréhension de la marche résidait dans l’objectif des fascistes. Hors de
question que la constitution d’un gouvernement Mussolini, après le
renversement de l’insignifiant Facta, apparût comme un changement classique
de cabinet et le fruit de discussions de couloirs à Montecitorio ! Non, il fallait
bien montrer à l’Italie tout entière qu’une action subversive et donc
révolutionnaire était à l’œuvre31. Le fascisme s’emparerait du pouvoir par la
force. La marche, geste très présent dans la mythologie socialiste, rappelait
celles des révolutionnaires français vers la Bastille ou Versailles, celle des
insurgés du Risorgimento et même celle de D’Annunzio vers Fiume. Le fameux
virage à droite de 1921 ne doit pas faire illusion. L’acte fondateur du fascisme
devait être en lui-même une révolution.
Or, de quels atouts disposait-il pour la réussite de cette opération ? Sur le
papier, ils s’avéraient non négligeables : le contrôle d’une bonne partie de l’Italie
septentrionale et centrale par la violence, 320 000 militants déterminés, un Etat
en décomposition, un gouvernement à l’agonie et certains responsables
politiques prêts à céder une partie du pouvoir. Deux interrogations, et non des
moindres, se trouvaient toutefois sans réponse : Comment réagirait le roi ?
Quelle attitude adopterait l’armée régulière ? De la première, on le savait,
dépendait en très grande partie la seconde.

Rome ou la mort !
Ce cri garibaldien retentit plus d’une fois à Naples où les fascistes réunis en
congrès firent la démonstration de leur force dans une ville assez marquée par
l’antifascisme. Dans son discours d’ouverture au théâtre San Carlo, Mussolini
tonna contre l’infamie du monde politique romain et avertit ses adversaires :
« Nous fascistes, nous n’entendons pas aller au pouvoir par la porte de service. »
Néanmoins, en exigeant une réforme électorale, la dissolution de la Chambre,
cinq ministères (Affaires étrangères, Guerre, Marine, Travail, Travaux publics)
sans sa propre participation et en renouvelant son attachement à la monarchie, il
donnait l’impression de rester dans un cadre légal. C’était là toute l’ambiguïté de
la réunion de Naples. Ce qui n’empêcha Mussolini pas de déclarer depuis la
tribune installée devant les chemises noires massées sur la place du Plébiscite :
« Ou ils nous donneront le Gouvernement ou nous le prendrons par la force. »
Puis, il quitta Naples pour Milan. Habile décision qui lui permettait de mettre
entre lui et les squadristes une distance autant géographique que politique
propice à sa liberté d’action. En chemin, il prit le temps de s’arrêter à Rome pour
y rencontrer Raul Palermi, le grand maître de la Grande Loge d’Italie. Sans
connaître précisément le teneur de la conversation, on peut être certain qu’une
partie de la franc-maçonnerie, à laquelle appartenaient plusieurs chefs fascistes,
décida de lui apporter un soutien tout sauf négligeable mobilisant ses réseaux au
sein de l’armée comme l’amiral Thaon di Revel, le général Cittadini aide de
camp du roi, voire Victor-Emmanuel III lui-même32.
En réalité, la confrontation prit un visage bien éloigné de l’action
révolutionnaire brutale telle que les bolcheviques la menèrent en Russie cinq ans
auparavant. La prise du pouvoir se réalisa en grande partie sur le terrain des
intrigues politiques mais sur fond d’actions squadristes dont il convient de ne pas
sous-estimer l’importance. Car d’autres que Mussolini s’agitèrent en ces
journées fébriles, au premier rang desquels on trouvait Grandi et De Vecchi. En
effet, depuis le congrès de Naples, les deux chefs fascistes ne cessaient de
s’agiter pour contrecarrer le plan d’insurrection. Sitôt informés du lancement
imminent de la marche, ils en informèrent le roi par le truchement du prestigieux
amiral Thaon di Revel en poste à Naples33. Puis, ils se rendirent à Rome pour
tenter une combinaison politique susceptible d’enrayer le processus infernal. De
Vecchi opta pour un gouvernement de coalition dirigé par Salandra. L’ancien
président du Conseil avait en effet les faveurs des nationalistes bien décidés à ne
pas laisser les fascistes rafler la mise, mais aussi des conservateurs, et se disait
prêt à entrer dans le jeu. Les préférences de Grandi allaient davantage à Orlando.
Depuis Milan, Mussolini gardait le contact avec Giolitti retiré dans sa ville de
Cavour et ce malgré toutes les défiances que lui inspirait un cabinet dirigé par
l’octogénaire, véritable bête noire, rappelons-le, des fascistes. Seul Bianchi
continuait de pousser en faveur d’un gouvernement Mussolini et s’employait à
torpiller les initiatives de Grandi et de De Vecchi34.
Si, lors de ces premières journées de crise, Facta se montrait volontiers
serein, y compris dans sa correspondance avec Victor-Emmanuel III depuis sa
résidence toscane de San Rossore, c’est qu’il croyait encore pouvoir manœuvrer
les fascistes en faisant entrer leur chef dans son propre gouvernement ! C’était la
raison pour laquelle il demanda à ses ministres de démissionner lors du conseil
du 26 octobre. Or, il changea de ton aux premières heures du 27 octobre quand
commencèrent à affluer les nouvelles d’une action généralisée des chemises
noires. Le président du Conseil avertit alors le roi qui, fin politique, comprit très
vite la gravité de la situation et sauta dans son train. Pendant toute la journée, la
plupart des villes italiennes tombèrent entre les mains des fascistes qui
s’attaquaient aux préfectures, aux gares, aux postes de communications, etc. Pise
fut la première à céder. A Crémone, la prise de la préfecture provoqua des
combats tuant quatre personnes.
Il fallait désormais préparer la défense de Rome. Le commandant des forces
armées de la capitale, le général Pugliese, mit sur pied un plan fondé sur la
suspension des communications ferroviaires et la concentration de troupes sur
deux lignes de défense autour de la ville. A 20 heures, le souverain arriva dans la
capitale. Bien décidé, semble-t-il, à faire preuve de fermeté mais sans se lier les
mains, il refusa la démission de Facta en l’incitant à lui proposer plusieurs
scénarios de réaction. Le président du Conseil fit comme la plupart des autres
responsables, il alla… se coucher ! Mais pas pour longtemps. Car très vite des
nouvelles alarmantes arrivèrent. Même si c’était avec retard par rapport au plan
et sous une pluie diluvienne, la plupart des squadre commencèrent à marcher
vers leurs lieux de concentration dans la nuit du 27 au 28 octobre. Cette mise en
route se rajoutait à la liste des villes déjà tombées entre les mains des factieux.
Le danger prit soudain une autre allure. Aux premières heures de l’aube, Facta
rejoignit au ministère de la Guerre ses collègues Soleri, Taddei et le général
Pugliese qui se rejetaient mutuellement la responsabilité du désastre, puis il
convoqua un Conseil des ministres en urgence au palais du Viminal, siège du
ministère de l’Intérieur. Une décision capitale y fut prise : la validation du décret
instaurant l’état de siège. A partir de là, tout alla très vite : les préfets, puis la
population romaine en furent informés, pendant que l’armée se positionnait
autour des principaux bâtiments publics. L’Etat était prêt pour la bataille.
Tout bascula à 9 heures quand Victor-Emmanuel III refusa de signer le
décret que Facta lui présentait, sans que nous sachions avec certitude ce qui a
poussé l’énigmatique souverain à un tel revirement (Facta n’aurait pas engagé le
gouvernement sur la voie de l’état de siège sans l’accord du roi qu’il rencontra
peut-être très tôt le 28 octobre). La crainte obsessionnelle de provoquer une
guerre civile cohabita sans doute avec la conviction que les fascistes au pouvoir
se glisseraient dans les institutions parlementaires, selon le vieux schéma du
trasformismo. Pour résumer, Victor-Emmanuel III, souvent cynique dans son
rapport aux hommes et à la politique, se ralliait à l’idée de donner le pouvoir aux
fascistes ce qui impliquait qu’on ne les anéantirait pas !
D’ailleurs l’Etat en avait-il vraiment les moyens ? Autrement dit, le roi
pouvait-il compter sur la fidélité absolue de l’armée ? Le général Diaz lui aurait
dit, dans la nuit du 27 au 28 octobre : « Majesté, l’armée fera son devoir mais il
vaudrait mieux ne pas la mettre à l’épreuve. » Paroles rapportées et apocryphes ?
En tout cas, dans les premières heures du 28 octobre, les nouvelles confirmaient
les doutes sur la solidité de l’armée. Dans plusieurs villes, un manque évident de
résistance aux fascistes se faisait sentir. Sans doute s’agissait-il davantage d’une
sorte d’expectative en l’absence d’ordres clairs venus de Rome35. L’autre
angoisse venait de la propre famille du roi. Passe encore que sa mère, la
flamboyante, très patriote et peu démocrate reine Marguerite eut reçu trois des
chefs de la Milice dans sa villa de Bordighera le 18 octobre. La vieille femme
n’exerçait aucune influence politique. Plus inquiétants étaient les liens entre
certains fascistes et le duc d’Aoste. Le roi se méfiait de son cousin et de ses
ambitions, et plus encore de la solution de rechange qu’il constituait. Les
fascistes ne se privaient d’ailleurs pas de faire courir toutes sortes de rumeurs à
ce propos, d’autant plus infondées qu’il n’existe pas de preuves d’un complot sur
ce point.
Quoi qu’il en fût, la décision royale brisa la dynamique de résistance, alors
que Pugliese était persuadé de pouvoir facilement venir à bout des 26 000
chemises noires mal armées, trempées, pataugeant dans la boue aux abords de
Rome et sans communication avec le centre de commandement de Pérouse. De
Bono s’y trouvait depuis le 26 octobre mais, isolé et nerveux, il n’avait pas prise
sur les événements. Le 28 octobre au matin, il signa tout de même avec les trois
autres quadriumviri une proclamation affirmant leur détermination à ne pas
déposer les armes tant que Mussolini ne serait pas président du Conseil36. C’était
effectivement ce chemin qu’empruntaient les acteurs du drame en cours.
La démission de son gouvernement, que Facta remit à Victor-Emmanuel III
le 28 octobre à 11 heures, ouvrait les négociations pour lui trouver un successeur.
Le mieux placé pour l’emporter restait Salandra. Les efforts de De Vecchi,
secondé par le nationaliste Federzoni à Rome et relayés à Milan auprès de
Mussolini par un autre député nationaliste Alfredo Rocco, visaient à faire
admettre au chef fasciste sa participation à un gouvernement dirigé par l’ancien
président du Conseil. Or, ces hommes avaient un train de retard. Mussolini
manœuvrait à présent pour former son propre cabinet et se sentait suffisamment
fort pour ne pas agréer la demande de Victor-Emmanuel III de venir dans la
capitale. Il ne s’y rendrait que pour recevoir la charge suprême. Confiant, il
rencontra des représentants de la Confindustria, l’organisation du patronat
italien, afin de les rassurer sur ses intentions37. Les tractations politiques durèrent
encore pendant la nuit du 28 au 29 octobre mais se heurtèrent à l’intransigeance
du Romagnol qui posait l’alternative en termes clairs : un gouvernement
Mussolini ou pas de fascistes au pouvoir ; la seconde solution bien sûr
constituait un saut dans l’inconnu d’autant plus dangereux avec une marche
squadriste en cours… Au matin du 29 octobre, Salandra jeta l’éponge, annonçant
au roi qu’il ne pouvait en l’état former de gouvernement.
Mussolini gagnait la partie. Quand Grandi l’informa depuis le Quirinal de la
volonté royale de lui confier la direction du cabinet, il se paya le luxe d’exiger
un télégramme de l’aide de camp du souverain, le général Cittadini. Une fois le
message reçu, il prit encore son temps avant de prendre un train dans un
confortable wagon-lit pour Rome. Il y arriva le lendemain, 30 octobre, à 10 h 50.
Une voiture l’emmena au palais du Quirinal où l’attendait Victor-Emmanuel III.
Vêtu d’une chemise noire, il fut introduit dans le salon d’audience. Ce n’était pas
la première fois que les deux hommes se rencontraient. La première rencontre
avait eu lieu pendant la guerre quand le roi-soldat avait visité l’hôpital militaire
où le caporal Mussolini était soigné ; la seconde lors des consultations politiques
provoquées par la démission de Giolitti en 1921. Maintenant, l’héritier d’une des
plus prestigieuses dynasties européennes et le fils d’Alessandro le forgeron se
tenaient face à face, s’observaient, se parlaient. Mussolini, avec son art
consommé de la mise en scène, présenta ses excuses pour sa mise. « J’arrive de
la bataille, expliqua-t-il, qui s’est heureusement déroulée sans effusion de sang. »
Après que le roi lui eut proposé de prendre la tête du gouvernement, il s’en
retourna pour constituer son équipe ministérielle. Ayant troqué sa chemise noire
contre un costume officiel (frac et haut-de-forme !), il revint au palais dans la
soirée avec sa liste. Elle attribuait seulement trois postes à des fascistes (Justice,
Finances, Territoires libérés) et le reste à des non-fascistes (le nationaliste Luigi
Federzoni aux Colonies, deux populaires, deux démocrates, un libéral et un
indépendant, l’intellectuel Giovanni Gentile à l’Instruction publique) et certains
postes clés à de grandes personnalités proches de la Couronne comme le général
Diaz à la Guerre et l’amiral Thaon di Revel à la Marine. Mussolini se gardait
l’Intérieur avec Bianchi comme secrétaire général et les Affaires étrangères. De
Bono héritait quelques jours après de la direction générale de la sécurité
publique, poste stratégique qui le consolait quelque peu de ne pas avoir reçu le
portefeuille de la Guerre tant convoité ! La prestation de serment se déroula le
31 octobre dans le salon des Fêtes du palais du Quirinal.
Ce même jour, les chemises noires entrèrent dans Rome par la place du
Peuple, montèrent sur la colline du Quirinal où le roi, entouré de Diaz et Thaon
di Revel, les regarda depuis la loggia du palais, puis elles rejoignirent l’Autel de
la Patrie (le monument dit de Victor-Emmanuel II où reposait le soldat inconnu).
Dans le même temps, le quadriumvirat restitua ses pouvoirs à la direction
politique du PNF et ordonna la démobilisation des squadre. Or, tout ne se passa
pas aussi facilement. De nombreux incidents émaillèrent le triomphe fasciste du
fait de l’hostilité d’une partie de la population romaine. Les squadristes
répliquèrent par des brutalités, des injures, des passages à tabac. Le quartier
populaire de San Lorenzo connut les plus graves incidents. Plusieurs
appartements de personnalités politiques furent également dévastés comme le
pavillon de Nitti envahi par une soixantaine de chemises noires. La marche sur
Rome ne fut donc pas une simple promenade : elle se fit au prix de 22 morts.
On sait combien Mussolini craignait les effets négatifs des violences
squadristes. Il ne fallait surtout pas les laisser saboter le magnifique succès de
l’opération. Dès le 29 octobre, alors que rien n’était encore joué, un premier
avertissement tomba sous la forme d’un manifeste du commandant des centuries
romaines. « Tout conflit, prévint-il, est non seulement inutile mais nuisible au
Fascisme. On ordonne donc de la manière la plus catégorique à toutes les
chemises noires un calme absolu, de l’ordre et de la discipline. Chaque action
individuelle, chaque initiative personnelle est absolument prohibée […]. Tout
acte contre les institutions gouvernementales est une rébellion contre
Mussolini38. » Comme cela n’avait pas suffi à empêcher les violences, l’ordre de
démobilisation du 31 octobre fut accompagné d’une injonction très ferme :
« Retournez à vos occupations habituelles car maintenant l’Italie a besoin de
travailler tranquillement pour exploiter ses plus grandes chances. Que rien ne
vienne perturber l’ordre puissant de la victoire que nous avons remportée en ces
journées de superbe passion et de souveraine grandeur. »
En fait, la victoire politique n’atténuait pas le conflit latent entre Mussolini et
le mouvement squadriste. L’issue de la marche pouvait paraître bien décevante à
ces jeunes têtes brûlées, habituées à toutes formes d’excès contre leurs
adversaires diabolisés. Une question les tourmentait : était-ce donc cela la
révolution fasciste ? Et une incertitude : que ferait le nouveau gouvernement de
leur mouvement et de leur force militante ? C’était donc avec une grande
méfiance qu’ils remettaient certaines de leurs armes. L’entière démobilisation ne
s’acheva que le 7 novembre quand les autorités officielles reprirent le contrôle
des villes39.
En fin de compte, rien ne s’était passé comme prévu mais l’action subversive
atteignit un but inespéré : un gouvernement dirigé par Mussolini. La marche sur
Rome donna lieu dès l’époque à d’innombrables interprétations mais peu de
contemporains en saisirent vraiment la portée sur le long terme en imaginant que
l’arrivée au pouvoir de Mussolini entraînerait l’Italie dans une dictature inédite.
Pourtant, les discours des fascistes ne manquaient pas de clarté sur ce point.
Comme celui prononcé par Mussolini lui-même à Milan le 4 octobre. Il avait
alors divisé les Italiens en trois groupes, les indifférents appelés à rester chez
eux, les sympathisants du fascisme autorisés à circuler et les adversaires qui ne
circuleraient plus40 ! Les historiens de leur côté sont partagés entre ceux pour
lesquels la marche n’ayant aucune chance de réussite était un gigantesque bluff,
et ceux qui l’analysent comme un compromis entre le roi et le Duce du fascisme,
ce qui apparaît plus proche de la réalité41. Mussolini a réussi à imposer sa
volonté au souverain par la menace d’une insurrection armée. Le caractère du
monarque, ses analyses sur les rapports de forces, ses appréhensions firent le
reste, tandis que sa décision de ne pas signer l’état de siège précipita l’issue de la
crise. Le chef fasciste usa avec efficacité de ce subtil équilibre qu’il
n’abandonnerait jamais vraiment entre subversion et légalisme. Il en sortit
gagnant sur le court terme (la direction du gouvernement) et le moyen terme (la
dictature totalitaire) mais pas sur le long terme puisque Victor-Emmanuel III
conservant sa fonction de chef de l’Etat finit par destituer celui qu’il avait
nommé sous la contrainte.
En fin de compte, l’arrivée au pouvoir du fascisme se déroula dans le cadre
d’une violence incontestable qui coûta la vie à près de 4 000 personnes dans les
deux camps42. Mais ces chiffres nous interdisent de mettre la lutte fratricide
italienne sur le même plan que la guerre civile espagnole avec ses terribles
cortèges d’exécutions, de fosses communes et de batailles rangées. L’Italie
connut en fait une guerre civile de basse intensité dont profita le fascisme pour
s’emparer du pouvoir et réaliser son utopie révolutionnaire que l’on ne nommait
pas encore totalitaire.
4
La normalisation du fascisme

En octobre 1922, le fascisme s’installa aux commandes de l’Etat italien,


mais pas n’importe quel fascisme : celui de l’équilibre mussolinien qui prenait
en compte le rôle capital que les forces conservatrices (bourgeoisie, armée,
Eglise) et l’élite libérale – soutiens connus sous le terme de fiancheggiatori –
eurent dans sa victoire mais qui ne pouvait, sauf à disparaître, renier son projet
révolutionnaire. Le mouvement continua de se caractériser par sa très forte
profusion idéologique, par la multiplicité de ses courants internes. Loin d’être
dépourvu de toute idée, comme cela a parfois été écrit, il en avait presque trop.
Le pouvoir mussolinien dut dès ses débuts composer avec l’ébullition politique
que la victoire n’avait pas éteinte, bien au contraire. N’ayant pas l’âme d’un
épurateur, le nouveau président du Conseil joua les factions les unes contre les
autres, pour son plus grand bénéfice, comme le fit d’ailleurs Staline dans les
années 1920. A l’intérieur du fascisme, les compromis heurtaient les tenants
d’une ligne plus radicale et plus impatiente réunissant des hommes bien décidés
à utiliser toutes les potentialités révolutionnaires du mouvement, mais qui eux-
mêmes se divisaient très vite à propos de la ligne à suivre.

Le chef de bande est devenu Premier ministre


Mussolini choisit de s’installer au palais Chigi, élégante bâtisse du
e
XVI siècle à l’angle de la place Colonna et de la via del Corso d’où il pouvait
s’adresser à la foule. Son projet ne souffrait aucune ambiguïté : consolider son
pouvoir en intégrant le fascisme dans les structures de l’Etat, en transformant le
parlementarisme en sa faveur par la loi et en attirant dans l’orbite du fascisme
une partie de l’opposition socialiste et catholique. Or, cette tactique se heurta au
refus de la base militante qui trouva en Farinacci un chef contre lequel le Duce
dut mener bataille. Bref, le bloc squadriste qu’il voulait mettre au pas n’avait pas
dit son dernier mot.
Un premier débat apparut aussitôt sur la nécessité ou pas de dissoudre la
Chambre élue en 1921 et dans laquelle le PNF ne comptait que 36 députés.
Farinacci préconisait une dissolution accompagnée d’une réforme électorale en
faveur du scrutin uninominal. Le chef du gouvernement rejeta cette solution
mais entendait faire sentir aux députés la puissance de la main qui désormais
tenait le pays et qu’ils ne devaient qu’à lui de ne pas avoir été jetés dans le Tibre.
Le 16 novembre 1922, il prononça son premier discours à Montecitorio en tant
que président du Conseil afin d’obtenir l’investiture parlementaire. Prenant soin
de définir les événements d’octobre comme « la révolution des chemises noires »
qu’il comptait défendre et renforcer au maximum, il rappela qu’avec ses « trois
cent vingt mille jeunes armés de pied en cap, décidés et prêts à tout » il aurait pu
« faire de cette enceinte sourde et grise un bivouac de manipules1 ». Le fascisme
apportait dans ses bagages une transformation des rapports entre l’exécutif et le
Parlement, tandis que les menaces, pour voilées qu’elles fussent, n’en étaient pas
moins claires : il n’hésiterait pas à user de la violence. Les orateurs des différents
groupes prirent la parole et orientèrent la Chambre vers un soutien au
gouvernement. Le député Diego Murgia déclara : « Tout en n’approuvant pas le
mode avec lequel l’actuel ministère a conquis le pouvoir, il faut toutefois, pour le
bien de l’Italie, attendre l’œuvre que celui-ci développera. » Bien que plus
critique, Alcide De Gasperi, futur chef de la démocratie chrétienne et chef du
groupe du PPI, soutint lui aussi le cabinet sous conditions, en exigeant
notamment qu’il s’engageât dans « l’inexorable suppression de toute illégalité ».
D’autres voix tonnèrent contre le coup d’Etat fasciste et lui dénièrent tout
contenu révolutionnaire (PSI, PCI). Cela n’empêcha pas un vote de confiance de
306 voix et une très forte abstention. Le Sénat apporta lui aussi sa caution2.
L’autre scrutin crucial eut lieu le 24 novembre, quand les deux assemblées
votèrent les pleins pouvoirs au Premier ministre pour réformer l’administration
publique et remettre en ordre les finances.
Cela ne suffisait pas à rassurer le monde squadriste inquiet devant les
discussions politiques entamées par Mussolini, bien obligé de composer avec les
forces parlementaires soutenant son gouvernement. Le risque d’une
parlementarisation du fascisme – celle-là même qui avait été reprochée en son
temps au PSI – devait être combattu. Le 7 décembre, Farinacci, nommé
commissaire politique du PNF après la marche sur Rome, fit paraître dans son
journal Cremona Nuova un article au titre explicite : « Nous ne voulons pas que
notre révolution soit mutilée. Traiter avec les chefs des organismes adverses
serait une trahison. » Le contenu du texte apportait les précisions nécessaires :
« Nous ne devons nourrir aucune illusion, ni être abusés par personne. Les
ennemis d’hier sont et restent les ennemis d’aujourd’hui. Rien en eux n’est
changé : ni les convictions ni les habitudes […]. Arrivés au pouvoir, nous ne
pouvons, nous ne devons pas dévier […]. Nous devons simplement les mettre à
la porte3. » Le propos ne péchait pas par son manque de clarté…
Mussolini répondit à ces fulminations de plusieurs manières. La première
consista à asseoir son autorité sur le parti, ce qui passa par la création d’une
nouvelle structure au sein du PNF, le Grand Conseil du fascisme. La décision fut
prise le 15 décembre lors d’une réunion informelle avec plusieurs personnalités
dont Bianchi, De Bono, De Vecchi, dans l’appartement qu’il occupait encore
dans le Grand Hôtel de Rome. Cette organisation partisane définie comme
« l’organe suprême du fascisme » devait être une instance collégiale d’examen
des dossiers ayant trait aussi bien au PNF qu’au gouvernement, mais présidée
par le Premier ministre qui devait en théorie le convoquer chaque mois. C’était
en fait le premier pas vers la subordination du parti à l’Etat. Toutefois, il fut suivi
par de graves incidents à Turin. En effet, la mort dans des heurts de deux
militants fascistes et la fuite de l’assassin – le communiste Francesco Prato –
déclenchèrent de vastes représailles menées par le chef squadriste Piero
Brandimarte, laissant onze morts à terre. Le Duce protesta, ordonna la
dissolution du faisceau local tout en se gardant bien de faire juger les criminels4.
Les graves événements de la capitale piémontaise ne relevaient pas du
conflit interne au fascisme. Ils étaient l’expression de la volonté d’autonomie
locale des squadre par rapport au centre et de la figure mythique que prenaient
les expéditions punitives des années 1921-1922 parmi les jeunes militants. Bien
sûr, le chef du fascisme ne condamnait pas l’usage de la violence. Il continuait
même à en tirer profit pour écraser ses ennemis politiques, comme ce fut le cas
lors des élections municipales de Milan en décembre, marquées par des passages
à tabac d’adversaires, des arrestations arbitraires, des bulletins d’opposants partis
en fumée. Le fascisme ne pouvait renoncer à une pratique qui lui était
consubstantielle. Mais la brutalité devait aider le nouveau gouvernement et non
le desservir5. Il fallait la canaliser une bonne fois pour toutes.
Mussolini prit sa plume pour expliquer que la révolution fasciste entamait,
après la marche sur Rome, sa deuxième étape, ainsi qu’il l’expliqua le 1er janvier
1923 dans sa revue Gerarchia.

La révolution de Moscou, éliminant aussi par la mort physique les personnes, s’est jetée sur la
machine [de l’Etat] et l’a brisée en mille morceaux. Le pendule a été projeté à l’autre extrémité. Erreur.
Aujourd’hui il revient en arrière [nous sommes à l’époque de la NEP]. La révolution fasciste ne détruit
pas tout entière et tout à la fois cette délicate et complexe machine qu’est l’administration d’un grand
Etat : elle procède par étapes, par morceaux. C’est ainsi que Moscou revient tandis que Rome s’éloigne
– avec une régularité inexorable – du point de départ6.

Ce texte est capital car il signe en vérité la feuille de route du fascisme. Le
Duce tentait de rassurer ses compagnons les plus impatients sur le maintien des
objectifs révolutionnaires. Il ne ferait table rase ni du passé ni du présent, comme
dans la Russie bolchevique, mais n’en poursuivrait pas moins son chemin vers la
transformation totale de l’Etat. En attendant le troisième temps de la révolution
fasciste (qui adviendrait dès le début des années 1930), celui des compromis
restait nécessaire. Encore ne fallait-il pas commettre la faute qui remettrait en
cause les différents soutiens du régime, et en premier lieu celui indispensable du
roi.
Toujours en janvier 1923, Bianchi, secrétaire général du ministère de
l’Intérieur, proposa à son chef une réforme institutionnelle. Inspirée de la
Constitution de l’Empire allemand d’avant 1918, elle visait à détacher le
gouvernement du Parlement, lequel ne voterait plus que l’investiture du cabinet,
et à réduire les pouvoirs du monarque. L’idée fut écartée. On n’en était pas
encore là pour l’instant7. La priorité restait le contrôle du squadrisme. L’étape
décisive fut franchie quand Victor-Emmanuel III signa le décret du 14 janvier
1923 créant la Milice volontaire pour la Sécurité nationale (MVSN) qui intégrait
les squadre dans une milice au service du gouvernement et commandée par De
Bono.
La rapidité avec laquelle cette affaire fut menée prouvait l’urgence de la
question. Fruit de la réunion du 15 décembre au Grand Hôtel, ce projet arriva
très vite devant le Conseil des ministres qui le valida le 28 décembre. Une fois
signé par le roi, le décret fut publié dans la Gazzetta Ufficiale le 20 janvier
suivant ! Le texte plaçait la Milice sous l’autorité du président du Conseil, lui
donnait comme mission de maintenir l’ordre en collaboration avec les autres
corps d’armée, stipulait que les officiers seraient nommés par décret royal sur
proposition des ministres de la Guerre et de l’Intérieur. Il interdisait en outre
« toutes les formations à caractère ou encadrement militaire de quelconque
type » et prévoyait le versement de la Milice dans l’armée régulière en cas de
mobilisation. Dernier point et non des moindres : elle ne prêtait pas de serment
de fidélité au roi mais s’engageait à servir Dieu et la Patrie. Deux décrets royaux
précisèrent en mars 1923 le caractère militaire de la discipline et des valeurs
internes à la MVSN. De Bono aurait aimé aller plus loin dans cette
militarisation. Ainsi proposa-t-il en juillet 1923 que des officiers réguliers
occupassent les fonctions de commandement, que les miliciens fussent chargés
de l’instruction militaire des jeunes Italiens et enfin qu’un ministère de la
Défense nationale contrôlât l’ensemble des forces armées. Cette intrusion dans le
domaine de l’armée royale, lourde de menaces sur le soutien des militaires,
contraignit Mussolini à abandonner le projet8.
La création de la Milice ne suscita guère d’opposition, beaucoup y voyant le
meilleur moyen de mettre fin aux violences squadristes. Une voix néanmoins
s’éleva, celle du député socialiste Luigi Basso, pour rappeler son incompatibilité
avec l’article 5 du Statuto faisant du roi le seul chef des forces armées9. Mais le
caractère hybride de la nouvelle Milice permettait bien des accommodements :
une institution militarisée mais qui restait paramilitaire ; un organisme partisan
sous contrôle institutionnel du chef du gouvernement et pour le moment détaché
de la monarchie. Ce point était crucial. Car comme l’a fort bien remarqué un
historien italien, la MVSN rappelait les gardes nationales du Risorgimento
auquel une nouvelle fois le fascisme se rattachait. Ainsi cherchait-il à modifier la
substance du trinome monarchie-armée-Risorgimento en remplaçant la couronne
par le fascisme10.

Une nouvelle loi électorale


La prise de contrôle du squadrisme était concomitante avec le renforcement
politique du gouvernement auquel Mussolini se consacrait. En mars 1923,
l’alliance avec les nationalistes se concrétisa avec l’entrée au Grand Conseil du
fascisme de Federzoni. Dans le même temps, les atteintes à la liberté de la presse
se multipliaient. Certes, il n’y avait là rien de bien nouveau. On ne comptait plus
les saccages de journaux par les chemises noires. Le lendemain de la nomination
de Mussolini, plusieurs titres ne purent paraître. Avec la loi de juillet 1923
plaçant les journaux sous la surveillance scrupuleuse du gouvernement (des
sanctions pouvaient tomber en cas de critiques jugées trop fortes), le fascisme
tenta de museler la presse mais dut finalement reculer face à la pluie de
critiques11.
Ces manœuvres s’inscrivaient dans l’orientation antiparlementaire du
fascisme au pouvoir. En effet, le 8 juin 1923, Mussolini tint un discours
menaçant au Sénat. Selon lui, le Parlement ne pouvait plus se considérer comme
représentatif de la nation12. Or, dans le cadre du régime tel qu’il existait, le
fascisme ne pouvait pas s’en passer, sauf à faire un autre coup d’Etat
inenvisageable pour l’heure. Il fallait donc le transformer de l’intérieur. A cette
exigence s’en ajoutait une autre. Celle de bénéficier d’une majorité
parlementaire fasciste qui s’avérait d’autant plus urgente que la coalition
s’étiolait au fur et à mesure que le PPI avançait vers une posture d’opposition.
Le parti catholique, déchiré entre tenants du soutien au gouvernement et
partisans de la rupture, étala ses divisions lors du congrès du parti à Turin (12 au
13 avril 1923). Après un discours très virulent contre l’idolâtrie de l’Etat et de la
nation, Sturzo fut confirmé à la tête du parti. Le 23 avril, la sanction tomba : les
ministres populaires furent mis à la porte du gouvernement par Mussolini, qui
s’engagea dans des discussions avec le Saint-Siège pour la liquidation pure et
simple du PPI tandis que les chemises noires reprenaient leurs violences contre
ses militants13.
Pour se maintenir au pouvoir, le fascisme avait besoin d’une majorité et
d’une classe politique qui fussent les siennes. Afin d’obtenir la première, il lui
fallait réviser la loi électorale. Le 25 avril 1923, le Grand Conseil mit un terme
au débat entre scrutin uninominal et scrutin de liste majoritaire en tranchant en
faveur du second (c’était aussi l’avis de Mussolini…). Le 6 juin, une fois
l’accord du Conseil des ministres obtenu, le texte rédigé par Giacomo Acerbo,
sous-secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil et ancien franc-maçon, fut
soumis à l’avis d’une commission parlementaire composée de trois anciens
Premiers ministres (Giolitti, Salandra et Orlando) et des représentants de tous les
groupes. Ils découvrirent que la liste dépassant les 25 % des votes et arrivée en
tête recueillerait automatiquement les deux tiers des sièges à la Chambre, le tiers
restant étant réparti entre les autres listes. Les populaires tentèrent bien
d’amender le projet mais entre l’obstruction des fascistes, le silence de Giolitti et
de Salandra et les violentes pressions qu’ils subissaient eux-mêmes, ils ne purent
rien changer. Le coup de grâce arriva le 10 juillet avec la démission de Sturzo,
lâché par le pape Pie XI engagé lui aussi sur la voie de la normalisation avec le
fascisme. La loi Acerbo put alors être votée par les députés le 21 juillet 1923 par
223 voix contre 123. La droite du PPI apporta ses suffrages, ce qui entraîna
l’expulsion de neuf de ses députés. Au Sénat, le texte passa à une large majorité
(165 contre 41). Dans les deux cas, on est frappé par la forte abstention qui
confirme l’inertie de la classe politique libérale, surtout celle des sénateurs dont
beaucoup avaient pourtant été nommés sur la demande de Giolitti ou de Nitti14.
En fait, l’Etat libéral était miné de l’intérieur, incapable de se défendre comme le
prouva l’installation de la dictature à partir de 1925. Les fascistes s’attaquaient à
un corps malade qui ne produisait pas assez d’anticorps.
Le 25 janvier 1924, la Chambre put alors être dissoute. Une commission
appelée la Pentarchie15 se mit au travail dès le 1er février dans les bureaux du
palais du Viminal, siège du ministère de la présidence du Conseil. Le désintérêt
du Duce pour la cuisine électoraliste lui laissa toute latitude pour composer la
liste fasciste, dite Listone. On y trouvait 356 noms parmi lesquels des non-
fascistes, et même certaines grandes personnalités comme Salandra, Orlando ou
De Nicola, le président de la Chambre. Un bon moyen de paralyser les
adversaires, de rassembler au-delà du fascisme et surtout d’affaiblir le PNF.

La crise du PNF
Le parti fasciste connut durant cette délicate période de transition de 1923 à
1924 une violente crise au centre de laquelle se trouvait la question de sa place et
de son rôle dans la construction de l’Etat nouveau. La volonté évidente de
Mussolini de réduire son influence et de le soumettre au gouvernement se heurta
à l’opposition radicale des « puritains ».
A leur tête on trouvait toujours Farinacci, le maître de Crémone, l’incisif
journaliste de Cremona nuova qui se posait en gardien attentif de la révolution
fasciste. La tentation politicienne qu’il croyait voir à l’œuvre à Rome ne le
satisfaisait pas, on s’en doute. Sa capacité de nuisance n’était d’ailleurs pas
négligeable comme le prouvèrent en décembre 1922 ses efforts victorieux pour
saboter un accord syndical que Mussolini espérait obtenir avec la CGL alors que
le ras exigeait l’absorption de toutes les organisations par les syndicats fascistes.
Par la suite, il écuma de rage devant la création de la MVSN et la réforme
électorale. Le ras avait bien compris ce qui se jouait dans ces polémiques : la
position du PNF au sein du régime. A ses yeux, elle devait être prépondérante. Il
fallait pour cela une cohérence interne, une unité de combat dans l’esprit du
squadrisme afin de lui assurer une suprématie sur toutes les institutions de l’Etat
et sur Mussolini lui-même. Dès lors, et non sans contradiction, il se mit à
revendiquer sa liberté de pensée et de parole pour contrecarrer la dangereuse
évolution mussolinienne.
Dès le mois de mars 1923, il remit sa démission de commissaire politique.
« Je reste dans ma belle province de Crémone où le fascisme conserve toute sa
pureté », écrivit-il à Mussolini en sous-entendant qu’à Rome le mouvement se
pervertissait. Car au lieu de se compromettre avec les ennemis, il fallait les
anéantir afin de montrer au pays tout entier que la révolution fasciste non
seulement n’était pas finie mais qu’elle commençait à peine. Le 9 juin, il lança
un avertissement dans son journal :

Le fascisme est le médecin qui doit soigner un grave malade ; la Nation, de la même façon qu’un
malade, doit obéir au docteur si elle veut recouvrer la santé et elle n’est donc pas libre de faire ce
qu’elle veut, mais elle doit se conformer aux prescriptions du docteur – et celui-ci, pour sa réputation,
tient à ce que ses ordres soient exécutés –, ainsi la Nation, c’est-à-dire tous les citoyens, doit obéir à
son médecin, le fascisme, qui avec la révolution d’octobre a commencé le soin salutaire.

Quelques semaines plus tard, il se fit plus menaçant encore, avec une
dialectique toute révolutionnaire :

Votre force, ô fascistes, doit être à la disposition de l’Italie et si arrive un ordre d’en haut vous serez
prêts à marcher de nouveau sur Rome pour y éradiquer les traîtres. La seconde vague nous l’avons
prônée, aujourd’hui nous en sommes à la veille. Nous voulons à tout prix que le Gouvernement puisse
marcher tranquillement sur son chemin […]. Notre force n’est pas dans le Parlement mais dans les
chemises noires, dans les baïonnettes. Sachez-le, ô adversaires […]. La seconde vague est nécessaire et
ne fera pas d’exceptions ; elle sera inexorable aussi contre les arrivistes qui sont entrés dans le parti16.

On l’aura compris, au-delà des militants et des adversaires, le message était
aussi adressé au gouvernement accusé de ralentir le flux révolutionnaire.
Mussolini crut amadouer le turbulent ras en le félicitant pour toute l’œuvre
accomplie. Mais le conflit rebondit en septembre 1923 quand Farinacci annonça
que ni lui ni ses consuls ne pouvaient rester membres de la nouvelle Milice. Le
chef du gouvernement lui répondit en assumant la responsabilité de la création
de la MVSN dont le but était de la libérer du parti, « vaste et pitoyable panorama
de querelles imbéciles et interminables », objet des ricanements de ses ennemis,
non sans rabaisser au passage le fascisme provincial incapable de s’arracher aux
querelles de clocher, alors que le gouvernement affrontait de graves problèmes.
Farinacci s’entêtant, Mussolini fronça alors les sourcils devant cette
insubordination. Sur son injonction, De Bono prescrivit au préfet de Crémone
d’envoyer un général de la Milice arrêter Farinacci. Celui-ci, sentant le vent
mauvais, fit marche arrière17.
Cette confrontation dépassait, on le voit, la simple querelle de personnes.
Elle opposait les ultras à la ligne gouvernementale sur à peu près tous les
terrains. Les premiers réfutaient les alliances électorales, exigeaient un monopole
syndical fasciste, voulaient faire de la Milice le bras armé du PNF, poussaient à
la construction du nouvel Etat et comptaient reprendre la lutte dans les régions
encore hors de contrôle. Or, le fascisme romain – que l’on pourrait qualifier
d’orthodoxie mussolinienne – procédait avec beaucoup plus de prudence, jouait
le jeu électoral et institutionnel et se glissait dans les arcanes du Statuto, bref se
normalisait18. A ce dialogue de sourds vint se rajouter une autre bataille, celle
opposant les intransigeants à un autre courant du PNF, celui des révisionnistes
dont la figure de prou était Giuseppe Bottai.
Intellectuel d’origine romaine, élégant et cultivé, franc-maçon, il appartenait
à cette génération qui s’enflamma par anticonformisme pour le futurisme dont il
finit par s’éloigner, heurté par les aspects socialisants du mouvement.
Antisocialiste virulent, il pensait pouvoir non pas « détruire la bourgeoisie mais
la régénérer19 », d’où son adhésion au fascisme qui associait l’antibolchevisme
au combat contre les bourgeois déliquescents. Son républicanisme laissa bientôt
la place à un ralliement à la monarchie, plus porteuse d’unité. Il n’y voyait
d’ailleurs pas de contradiction puisqu’il était très attaché à l’héritage du
Risorgimento auquel il rattachait le fascisme afin de lui donner plus de
profondeur intellectuelle. En 1922, une fois les rênes du pouvoir entre les mains
de Mussolini, il opta clairement pour la normalisation du fascisme, l’abandon de
la violence et de l’illégalité. Comme il l’expliqua dans un article du Giornale
d’Italia du 15 décembre 1922, étaient nés en octobre « un nouveau concept et un
nouveau projet de la révolution : une révolution au pouvoir, avec en main les
instruments et les organes nécessaires à l’exercice du pouvoir20 ». Revenir au
squadrisme ne servait donc plus à rien.
Le 15 juin 1923, il fonda ce qui allait devenir une revue de référence du
régime, Critica fascista, avec le dessein d’en faire l’instrument de la fascisation
des esprits et de la réforme du fascisme lui-même, et sans doute avec l’ambition
de devenir l’intellectuel du régime. Ce fut d’ailleurs un article de la revue, signé
de Massimo Rocca le 15 septembre 1923, qui mit le feu aux poudres. L’auteur,
un journaliste venu de l’ultra-gauche anarcho-syndicaliste, proche de Mussolini
depuis l’époque de la revue Utopia et membre de la direction du PNF, se
prononçait pour une réconciliation de l’Italie et du fascisme, étape nécessaire à
la fascisation de la société. Les révisionnistes allaient même plus loin : ils
appelaient à la dissolution du PNF devenu une entrave à l’action du président du
Conseil.
Mais les faucons du parti ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils se
groupèrent derrière Farinacci qui polémiquait avec âpreté avec Il Popolo d’Italia
via Cremona nuova, et obtinrent du comité exécutif du parti l’expulsion de
Massimo Rocca. Mussolini descendit dans l’arène et, conscient que le coup
visait sa propre ligne politique, refusa la décision, exigea la démission du comité
et renvoya le dossier devant le plus modéré Grand Conseil du fascisme. En
octobre, l’instance suprême du PNF rendit son verdict : il annulait l’expulsion de
Rocca, remplacée par une suspension provisoire de trois mois. Néanmoins,
Mussolini prit soin de rassurer Farinacci sur la pérennité du parti, tandis que
Francesco Giunta devenait secrétaire général21.
Cela n’enlevait rien au fait que la ligne intransigeante disposait de solides
soutiens au sein du mouvement fasciste. De Bono avait le plus grand mal à
contenir la virulence des chefs de la Milice dont l’obéissance restait limitée, à tel
point qu’il craignait, à la fin de l’année 1923, une seconde marche sur Rome22.
Le Duce cherchait donc à contourner l’obstacle. Les élections législatives d’avril
1924 ne devaient surtout pas déboucher sur une consolidation du PNF qui
pourrait reprendre l’offensive une fois ses chefs élus. C’est pourquoi il tenta
d’interdire leur présence dans le Listone, au nom de l’incompatibilité entre
fonctions politiques partisanes et mandat de député. Peine perdue. Le PNF
réussit à placer la majorité de ses hommes dont 18 des 22 membres du Grand
Conseil. Mussolini contre-attaqua, après les élections, en remplaçant Giunta à la
tête du secrétariat général par une direction collégiale de quatre personnes
(Roberto Davanzati, Giovanni Marinelli, Alessandro Melchiori et Cesare Rossi)
jugée plus docile23.
Les élections se déroulèrent dans un climat électrique. Le fascisme renoua
avec ses méthodes d’intimidations, d’agressions, de sévices, d’incendies, qui
n’épargnèrent pas non plus les fascistes dissidents. Ces actes illégaux, le climat
général et la loi Acerbo permirent, on s’en doute, la victoire des fascistes qui
recueillirent 66,3 % des voix et 374 députés sur 535. Le PPI tombait à 9,1 % des
voix, les socialistes réformistes à 5,9 %, les socialistes radicaux à 4,9 %. Cette
victoire ralluma la guerre entre les intransigeants et les révisionnistes, plus que
jamais décidés à favoriser des ouvertures vers le centre gauche, mais cette fois-ci
Mussolini prit fait et cause pour les premiers dont il avait besoin. Il laissa le
Directoire prononcer l’expulsion de Rocca et nomma, pour mieux le ligoter,
Farinacci membre du Comité de majorité (organe de liaison entre le
gouvernement et le groupe parlementaire). Car les plus durs ne comptaient pas
laisser ce qu’il restait d’opposition s’exprimer librement. La révolution fasciste
devait reprendre sa marche après ces élections quelque peu « encadrées ».
Le 24 mai, lors du discours du trône pour l’ouverture de la nouvelle
législature, Victor-Emmanuel III prononça des paroles perçues comme
encourageantes pour le gouvernement. Il utilisa un lexique fasciste en évoquant
la discipline, la jeunesse, la rénovation, la guerre, la victoire, et affirma même
que « cette œuvre énergiquement commencée doit être non moins énergiquement
poursuivie ». Peut-être faisait-il allusion au travail entrepris par les cabinets
d’avant 1922, mais en tout cas ce ne fut pas ainsi que les fascistes
l’interprétèrent. Bianchi comme Farinacci se montrèrent satisfaits du discours
royal24. La nouvelle assemblée fasciste, sous la présidence du juriste Alfredo
Rocco et la vice-présidence de Grandi, porta rapidement un premier coup à
l’autonomie du pouvoir législatif en abolissant les commissions parlementaires
qui disposaient en pratique d’un pouvoir d’autoconvocation de la Chambre25.
Plusieurs incidents émaillèrent les séances, tandis que les menaces contre les
députés de l’opposition se multipliaient, aussi bien à la Chambre que dans les
journaux fascistes, y compris le Popolo d’Italia. Farinacci, ragaillardi par ses
succès, écrivait : « Notre programme est l’étatisation du fascisme. Le fascisme,
plus qu’un parti, est Nation et la défense du sentiment national doit être exercée
par l’Etat26. »
Pour autant, l’opposition ne désarmait pas. Plusieurs socialistes montèrent au
créneau dans une ambiance électrique. Le 7 juin, dans sa réponse au discours du
trône, Mussolini souffla le chaud et le froid, alternant menaces et ouvertures,
affirmant sa force pour mieux endormir l’adversaire. Trois jours plus tard, une
nouvelle incroyable retentit : l’enlèvement du député socialiste réformiste
Giacomo Matteotti dont la voix ne cessait depuis des semaines de tonner à
l’intérieur de la salle des séances de Montecitorio !

Matteotti, un cadavre bien encombrant


L’épisode est très connu. Le 10 juin 1924, le socialiste Matteotti,
pourfendeur du régime et de ses travers politico-financiers, fut enlevé en plein
centre de Rome par des hommes de main qui l’assassinèrent à coups de couteau
dans la voiture. La sinistre besogne avait été exécutée par des sbires appartenant
à une organisation secrète dont tout le monde ignorait l’existence même, la
Tchéka ! L’inspiration bolchevique du nom ne faisait bien sûr aucun doute, et
elle partageait avec son homologue russe la mission de lutter contre les ennemis
du parti. Cependant, la comparaison n’allait pas plus loin puisque si
l’organisation léniniste avait éliminé entre 1918 et 1922 près de
250 000 personnes, celle de Mussolini se consacrait avant tout à l’espionnage, à
la surveillance et parfois aux agressions physiques, comme ce fut le cas avec
Matteotti. Si la MVSN agissait dans la pleine légalité, la Tchéka, elle, se tapissait
dans l’ombre, non sans entretenir des liens étroits avec le gouvernement.
Organisée par Cesare Rossi, elle avait d’ailleurs son siège au palais du Viminal,
résidence du ministère de l’Intérieur. Amerigo Dumini, le chef de la section
romaine qui procéda à l’enlèvement du député socialiste, squadriste de la
première heure, dépendait de Giovanni Marinelli, membre du quadriumvirat
exécutif du PNF, lequel rendait des comptes à Aldo Finzi, sous-secrétaire d’Etat
à l’Intérieur, portefeuille entre les mains de… Mussolini27 ! La connexion était
sans ambiguïté.
Pourtant, encore aujourd’hui, il est difficile d’affirmer la responsabilité
directe du Duce dans l’enlèvement de Matteotti. Il n’existe aucune preuve d’un
ordre direct et écrit – preuve irréfutable aux yeux de l’historien –, même si
certains propos du chef du gouvernement (« Que fait donc cette Tchéka ? Que
fait Dumini ? Cet homme, après ce discours, ne devrait plus parler ») ont pu
convaincre ses subordonnés qu’ils avaient carte blanche pour éliminer le député
socialiste. Il resta convaincu, comme d’ailleurs plusieurs autres hiérarques,
qu’on lui avait « jeté un cadavre entre les jambes » ; bref, qu’il s’agissait d’un
complot pour le compromettre. Prévenu dès le 11 juin que non seulement le
député socialiste avait été enlevé mais aussi poignardé dans la voiture – que
Dumini gara dans la cour du Viminal ! – au cours d’une bagarre qui dégénéra,
Mussolini comprit tout de suite la gravité de la situation que lui confirma la
séance tempétueuse à la Chambre le lendemain. Il chercha alors des fusibles : le
14 juin, Cesare Rossi et Aldo Finzi se démirent de toutes leurs charges, De Bono
quitta son poste de directeur de la sécurité publique, tandis que le ministère de
l’Intérieur revint au nationaliste Federzoni. La Tchéka fut officiellement
dissoute… Le Premier ministre espérait ainsi calmer l’opposition et rassurer les
libéraux.
Peine perdue. La crise ne faisait en réalité que commencer. Revenu d’un
voyage en Espagne le 16 juin, Victor-Emmanuel III reçut Mussolini dès le jour
suivant au Quirinal pour une audience dont nous ignorons la teneur. Il venait de
lire le rapport de Finzi qui, pour se couvrir, chargeait le Duce. Mais le roi, selon
toute vraisemblance, ne croyait pas à sa culpabilité et resta sur la réserve. Fort de
ce qui apparaissait comme un soutien, Mussolini exprima lors de la séance au
Sénat du 24 juin son dégoût devant l’enlèvement, tout en tenant à rappeler que
son gouvernement restait le seul rempart contre la violence. De prestigieux
sénateurs comme l’homme de presse Luigi Albertini et le diplomate Carlo
Sforza eurent beau arguer que le fascisme était la violence même, la Haute
Assemblée vota quand même la confiance au gouvernement (248 voix contre
390). Il n’était pas question pour les vénérables sénateurs d’ouvrir une porte sur
l’inconnu et de remettre en cause la stabilité politique acquise depuis
novembre 192228. Ils laissèrent passer ici une occasion de se débarrasser du
fascisme, du moins en théorie. Car quelle aurait été la réaction des ras et des
intransigeants devant la perte du pouvoir ?
On en a une idée avec la manière dont Farinacci répondit aux exigences
formulées par l’Avanti ! à propos d’une démission du gouvernement, d’une
dissolution de la Milice et de la Chambre avec élections anticipées. « En Italie
nous sommes et nous y resterons. A Rome nous sommes et nous y resterons29 »,
prévint-il dans le numéro du 19 juin de Cremona nuova. Puis, le 22 juin, une
grande démonstration de force eut lieu à Bologne avec plus de 30 000 chemises
noires et 80 000 citoyens. Grandi y réaffirma le caractère irréversible de la
révolution fasciste, évoqua la menace d’une nouvelle marche sur Rome tout en
restant dans la ligne normalisatrice. Le ras de Crémone, quant à lui, fort de sa
grande popularité, put tenir un discours beaucoup plus radical et lancer de claires
menaces contre l’opposition. Trois jours plus tard, ce fut au tour de Mussolini de
recevoir le complet soutien des parlementaires fascistes qu’il convoqua le
25 juin au palais de Venise qu’il n’occupait pas encore. La grande bataille
commençait avec la décision des députés de l’opposition de ne plus siéger au
Parlement, d’où le surnom de l’Aventin donné à leur initiative, du nom de la
colline de Rome où se retiraient les tribuns de la plèbe de la Rome antique, dans
une forme de sécession symbolique.
Mussolini avait l’impression que le sol se dérobait sous ses pas. Le glorieux
chef du fascisme, l’orateur charismatique, l’homme à la poigne de fer connut
alors l’une de ses crises cyclothymiques d’abattement dont il fut victime à
plusieurs reprises, y compris lors de sa destitution du 25 juillet 1943. Envahi par
le doute, il ne trouvait plus la force nécessaire pour rebondir, reprendre la lutte et
anéantir ses adversaires. Le fascisme vacillait. Mais au profit de qui ? Des
squadristes prêts à une seconde marche sur Rome ? De l’opposition
parlementaire attendant l’autodissolution du fascisme ou son renvoi par Victor-
Emmanuel III ? Mussolini tenta une nouvelle manœuvre politique. Le 1er juillet,
un remaniement ministériel, dans le but d’élargir la majorité, ouvrit les portes du
gouvernement à quatre nouveaux ministres (deux libéraux, un ancien populaire,
et un nationaliste), auxquels il fallait ajouter deux sous-secrétaires d’Etat (dont
celui de la Guerre confié au général Clerici, aide de camp du roi30). Il confia
aussi le poste stratégique de sous-secrétaire d’Etat à l’Intérieur à Grandi. En tant
que fasciste favorable à la normalisation, sa nomination satisfaisait les
fiancheggiatori, rééquilibrait le ministère de l’Intérieur en plaçant un fidèle
mussolinien aux côtés du nationaliste Federzoni et confiait à un fasciste la
répression du radicalisme squadriste31. Mussolini donna aussi un autre gage par
sa décision du 4 août 1924 d’accélérer l’institutionnalisation de la MVSN en
l’intégrant dans les forces armées de l’Etat. Victor-Emmanuel III, dans son
discours du trône du 24 mai 1924, y avait fait une allusion directe en parlant
d’une Milice qui « complète les forces militaires de la Nation avec le concours
volontaire de la généreuse jeunesse désireuse de forger son enthousiasme et sa
foi dans l’entraînement aux armes ». La crise Matteotti poussa donc Mussolini à
franchir le pas. Désormais la Milice prêterait un serment de fidélité au roi et
recruterait ses officiers dans ceux en congé de l’armée32.
Cependant, les mauvaises nouvelles continuaient d’affluer, notamment des
profondeurs du pays. Les rapports des préfets comme ceux de la MVSN
alarmaient le gouvernement sur l’exaspération de l’opinion. Un signe ne
trompait pas : le nombre de ventes des journaux fascistes diminuait alors que
ceux de l’opposition connaissaient un net rebond, y compris dans les villes du
nord les plus favorables au fascisme. Une solution constitutionnelle à la crise se
dessinait à l’horizon avec un accord entre le PPI et le PSI qui aurait ouvert la
voie à un retour au pouvoir de Giolitti ou de Salandra, ce dernier disposant de la
faveur du Quirinal et de l’armée33. La vaste coalition d’intérêts qui avait porté le
fascisme au pouvoir se délitait.
Au début du mois d’août, Mussolini donna l’impression de s’orienter vers
une ligne plus ferme. Lors d’une séance du Grand Conseil, il releva que « si
l’antifascisme est normalisateur, le fascisme ne peut être, pour d’évidentes
raisons de survie, qu’antinormalisateur ». Il se ralliait de facto aux
préconisations formulées par Farinacci : « Absolue intransigeance à l’encontre
des antifascistes, réévaluation de l’autorité des chefs ; matraque à portée de
main ; normalisation uniquement et purement fasciste ; enlever la citoyenneté
italienne aux réfugiés italiens à l’étranger ; insérer la révolution dans l’Etat. » La
composition du nouveau Directoire du PNF fut validée. Le ras de Crémone y
était une sorte de primus inter pares au milieu des 13 membres, position
renforcée par son mandat à la Commission exécutive du parti. Sa position ne
cessait de se renforcer à tel point que la presse d’opposition le présentait soit
comme le vice-Duce, soit comme son grand adversaire, soit les deux ! Mais
Farinacci ne tomba pas dans le piège et ne cessa de renouveler sa fidélité à
Mussolini34.
La découverte dans la campagne romaine du cadavre en décomposition de
Matteotti le 16 août, les preuves trouvées sur son corps qu’il avait bel et bien été
victime d’un assassinat mirent le feu aux poudres. L’Aventin se radicalisa dans
son opposition. Une partie des libéraux fit défection. Le 3 septembre, le ministre
de l’Instruction Casati, entré au gouvernement un mois plus tôt, donna sa
démission. Le sang coula de nouveau : celui d’un député fasciste tué le
12 septembre à Rome en réponse à la mort de Matteotti ; celui des victimes des
représailles squadristes dans la capitale ou à Florence. De Bono à son tour subit
une offensive politico-judiciaire quand le directeur du journal du PPI Il Popolo
l’accusa de participation au complot contre Matteotti, d’aide aux assassins et de
complicité dans diverses agressions de députés. Un procès s’en suivit au terme
duquel il fut acquitté, non sans avoir dû quitter le commandement de la Milice35.
En fait, l’équilibre politique péniblement maintenu depuis le mois de juin
s’écroulait. En octobre, le congrès des libéraux à Livourne marqua leur
éloignement du gouvernement.
Lorsque Mussolini se rendit à Montecitorio le 12 novembre pour la
réouverture de la Chambre, sa situation pouvait paraître condamnée. Or, il
disposait d’un certain nombre de cartes en main. La première venait de ses
opposants eux-mêmes. En effet, les partis de l’Aventin souffraient d’abord de
profondes divisions aussi bien en leur sein qu’entre eux, illustrant à leur corps
défendant les faiblesses intrinsèques de l’antifascisme. Certes, ceux qui avaient
cru au compromis avec le fascisme rejoignaient désormais les opposants de la
première heure. Le 16 juillet 1924, De Gasperi avait reconnu que « la politique
de collaboration avec le fascisme aux fins de normalisation a désormais
échoué ». Mais Pie XI restait inflexible dans son opposition à une collaboration
avec les réformistes. Ses propres divisions achevèrent d’affaiblir le PPI qui
connut une scission avec la création le 12 août 1924 du Centro nazionale
italiano (Centre national italien) par ceux qu’on appelait les clérico-fascistes.
Ces partisans de l’entente avec le fascisme voyaient dans le régime autoritaire en
gestation la meilleure réponse au laïcisme agressif de la monarchie libérale et
l’instrument le plus adéquat pour rechristianiser le pays puisque, selon eux, le
catholicisme incarnait la nation. Bien évidemment, le pouvoir fasciste entretenait
leurs illusions. Le ministre de l’Intérieur Federzoni poussait les préfets à soutenir
l’expansion du CNI par tous les moyens. La convergence avec la Curie, autre
soutien direct du mouvement, était très forte sur ce point36.
Quant au Parti républicain, il souffrait lui aussi d’une grave fracture interne
entre la tendance favorable à une large union antifasciste, y compris avec les
monarchistes, et les radicaux hostiles à une telle hérésie. Pour résumer, l’Aventin
regroupait deux orientations contradictoires, celle voulant agir dans le cadre du
Statuto et restaurer la monarchie libérale (PPI, libéraux) et celle au contraire
aspirant à leur renversement (républicains, communistes). Les socialistes
réformistes auraient pu jouer le rôle de pôle de rassemblement mais ils
souffraient de la disparition de leur chef Matteotti, véritable cheville ouvrière du
parti37. De toute façon, la décision du PCI de retourner siéger fissura la muraille
aventine. Mais en réalité quoi de plus normal de la part de députés hostiles à
cette attitude politique qui n’allait pas à son terme logique à leurs yeux : la fin du
capitalisme et de la collaboration avec les forces bourgeoises. Le journal
communiste L’Unità avait salué leur retour avec un éditorial en forme de
condamnation : « La nullité de l’Aventin ».
Le vrai chef de l’opposition aventine était Giovanni Amendola. Fondateur du
journal Il Mondo, proche de Nitti, cet infatigable et intransigeant pourfendeur du
fascisme depuis ses débuts créa le 8 novembre 1924 l’Union nationale des forces
libérales et démocratiques, un parti rassemblant des personnes d’horizons
différents, comme l’ancien président du Conseil Bonomi ou le diplomate Sforza.
Imprégné de l’héritage libéral risorgimental et rallié à la démocratie, il voyait
dans le fascisme un Moloch étatique construit sur une soumission totale de
l’individu et la négation de ses libertés, d’où son opposition à l’alliance avec les
socialistes que préconisait un autre intellectuel libéral, Piero Gobetti, convaincu
de la nécessité d’une large coalition antifasciste38. C’est à Amendola que l’on
doit le terme de totalitarisme qu’il utilisa pour la première fois dans un article du
Mondo du 12 mai 1923, intitulé « Majorité et minorité39 ».
Mais l’Aventin pouvait bien se croire prêt pour la bataille finale, il n’en
restait pas moins qu’en désertant Montecitorio, il laissa le champ de bataille aux
fascistes et à leurs soutiens et se priva lui-même des moyens constitutionnels
pour agir. Comment l’opposition pouvait-elle renverser le gouvernement sans
siéger à l’Assemblée ? L’Aventin non seulement privait toute une partie du pays
de sa représentativité politique, mais entravait le fonctionnement normal du
régime parlementaire en empêchant la confrontation classique entre la majorité
et l’opposition. De politique la crise devenait institutionnelle40. Le retour des
communistes ne s’avérait pas suffisant pour renverser le gouvernement. Ce fut
donc tout naturellement que le 15 novembre la Chambre vota le budget du
ministère des Affaires étrangères malgré la défection de 40 députés dans les
rangs de la majorité. Le Sénat lui emboîta le pas avec un autre vote favorable, le
5 décembre, alors que, comme l’a très bien remarqué l’historien Didier
Musiedlak, avec 54 votes négatifs et surtout 140 sénateurs ne siégeant pas, la
Haute Assemblée comprenait plus de membres hostiles que de soutiens au
cabinet41. On a beau tourner le problème dans tous les sens, la responsabilité de
l’antifascisme paraît écrasante dans sa propre défaite, d’autant plus grave qu’elle
était aussi celle du régime libéral.
Notons aussi que Mussolini eut l’habileté de se montrer plus modéré que
pendant l’été, donnant l’impression qu’il était prêt à revenir sur la voie du
dialogue pour sortir de la crise. Au début du mois de septembre, une commission
de 15 membres avait été créée afin de réfléchir sur d’éventuelles réformes
institutionnelles. Cette organisation purement fasciste composée de sénateurs, de
députés, d’universitaires commença ses travaux le 24 octobre 1924 au palais de
Venise mais avec des instructions très modérées de Mussolini afin de ne pas
envenimer une situation déjà passablement compliquée42. Le 21 novembre, lors
d’une séance du Grand Conseil, le Premier ministre appela le PNF à respecter
l’ordre, la discipline, les institutions. Certaines démissions apparurent comme
des gages donnés aux partisans de la normalisation : Balbo, qui avait succédé à
De Bono à la tête de la Milice, la quitta à son tour au bénéfice du général
Gandolfo, puis le 19 décembre ce fut le tour du radical Giunta de lâcher la vice-
présidence de la Chambre. Mais cela suffirait-il pour calmer la clameur
antimussolinienne qui venait battre jusqu’aux fenêtres du Quirinal ? Son sort,
Mussolini le savait, dépendait aussi et surtout du soutien de Victor-
Emmanuel III.
Or, comme toujours avec le roi, rien n’était certain, ce qui alimentait les
craintes de Mussolini. Si le souverain le lâchait, sa majorité à la Chambre n’y
survivrait sans doute pas. Beaucoup, dans l’opposition comme parmi ses alliés,
n’attendaient qu’un signe du palais. Or, rien n’arriva. Victor-Emmanuel III
craignait beaucoup trop la guerre civile que les fascistes n’auraient pas manqué
de déchaîner pour franchir le Rubicon. Autre facteur capital : pour agir, le
monarque parlementaire attendait une décision politique des députés, un vote
négatif qui enclencherait le mécanisme constitutionnel et lui donnerait l’occasion
légale pour le changement de Premier ministre. Tant que la Chambre ne bougeait
pas, il en faisait de même43. Cela ne l’empêchait nullement de réfléchir à une
solution de rechange. Après tout, Giolitti et Salandra restaient des options
valables qui trouveraient sans trop de difficultés des soutiens surtout au Sénat.
Ces hypothèques mettaient en lumière la faiblesse du fascisme par rapport au
trône qui lui avait donné le pouvoir et pouvait le lui reprendre. Le Duce sentait
qu’il ne sortirait sans doute pas gagnant d’un heurt avec la Couronne et l’armée,
même au prix d’une guerre civile. Il fallait biaiser. Le 20 décembre, il proposa
un retour au scrutin uninominal qui divisa ses adversaires puisque, si les libéraux
le soutenaient, les socialistes comme les populaires s’y opposaient, tandis que les
fascistes, affolés à l’idée d’être laminés, devaient faire bloc avec leur chef44.
Mais en réalité, cette manœuvre ne réglait pas le problème de fond. Le fascisme
et son chef incarnaient-ils encore la révolution de 1922 ? Les tergiversations de
Mussolini n’indiquaient-elles pas que la page devait être tournée et qu’on
pouvait se débarrasser de lui ? Jusqu’où le double langage dont il avait usé et
abusé depuis le début de la crise pouvait-il fonctionner ?

Un fascisme sans Mussolini


Giovanni Amendola rêvait tout haut d’une dissolution du fascisme
provoquée par des contestations internes qui finiraient par le désintégrer. Son
rêve faillit bien devenir réalité à la fin de 1924 tant les divergences idéologiques
étaient fortes. Les oppositions s’exprimaient au grand jour. La crise Matteotti
constitua en fait pour les plus radicaux l’occasion de lancer la seconde vague
révolutionnaire et même d’envisager un fascisme sans Mussolini. Renzo De
Felice réussit à tracer les contours d’un véritable « cartel fasciste » opposé à la
ligne ondoyante du chef du gouvernement. On y trouvait l’ensemble des
courants ultras, certes divisés sur certains points cruciaux mais unis autour de la
lutte contre l’Etat libéral et bourgeois, contre l’ensablement du fascisme dans les
forces traditionnelles et contre l’abandon du programme socialisant de San
Sepolcro de 1919 devenu l’incarnation même du vrai fascisme.
Un ministre symbolisait cette orientation dénoncée par le « cartel » et
favorable aux intérêts de la grande bourgeoisie et du patronat, Alberto De
Stefani, en charge des Finances. D’origine vénitienne, il fut d’abord séduit par
l’épopée de D’Annunzio mais trouvant Mussolini plus politique et moins
romantique, il se rallia au fascisme. Il y défendit constamment une ligne
économique libérale hostile à l’interventionnisme étatique cher aux héritiers du
socialisme et du syndicalisme. Soucieux de se rallier le monde des grandes
entreprises, Mussolini le fit entrer au gouvernement dès le 30 octobre 1922. Le
ministre résuma son credo dans un discours prononcé en mars 1925 au Sénat,
alors qu’il se trouvait déjà dans une semi-disgrâce : « Ne croyons pas que la
grande Italie puisse être faite dans les ministères : elle se construit dans les
ateliers, dans les champs, sur les ponts de commandement des navires45. » Sans
opter pour des privatisations, il cherchait avant tout à libérer le monde
entrepreneurial de la bureaucratie, y compris les entreprises publiques. Il
manœuvra donc avec une réelle efficacité pour libéraliser l’économie italienne :
réforme fiscale, impôt progressif sur le revenu, baisse des dépenses publiques et
du nombre de fonctionnaires, libéralisation des prix, accords commerciaux avec
des pays étrangers. Cette politique « permit à l’Italie de retrouver en 1926 son
niveau économique d’avant la guerre46 ». Mais elle avait le défaut de s’opposer
au cœur même de la philosophie révolutionnaire du fascisme, l’absorption de la
société par la politique, c’est-à-dire par l’Etat.
Cette politique économique se heurtait donc à l’opposition des fascistes
radicaux qui détestaient tout autant la réforme scolaire entreprise en 1923 par le
ministre de l’Instruction publique, le philosophe Giovanni Gentile. Grande
figure du monde intellectuel, il entretenait dans ses travaux un véritable culte de
l’Etat, seul créateur de la nation. Sa lecture personnelle du Risorgimento le
poussait à glorifier Mazzini plus que Cavour, l’Etat révolutionnaire plus que le
libéralisme monarchique trop conservateur. La guerre avait eu selon lui le mérite
d’intégrer dans l’Etat chaque individu en exigeant de lui un « quasi holocauste
de sa personne47 ». Le fascisme se plaçait donc dans le sens de l’histoire de
l’Italie en restaurant l’ordre, en poursuivant l’œuvre de nationalisation et en
donnant une nature éthique à l’Etat. Le problème posé par Gentile se trouvait
justement dans sa conception aristocratique de l’Etat qui contrevenait à l’idéal
fasciste d’Etat populaire. Sa réforme transformait le système scolaire en une
structure élitiste fondée sur l’enseignement de la philosophie et une série
d’examens, privilégiant le lycée classique masculin et donnant aux professeurs
une grande autonomie. Elle rendait difficile l’accession de la petite bourgeoisie
aux lycées et ensuite à l’université, privant de toute perspective d’ascension
sociale les catégories sur lesquelles reposait justement le fascisme. Gentile
devint très vite une cible privilégiée des courants révolutionnaires qui voyaient,
non sans raison, dans sa réforme un obstacle à la fascisation de l’enseignement.
La chute des effectifs scolaires et des résultats aux examens d’Etat donna de
l’eau à leur moulin, mais Gentile bénéficiait du soutien de Mussolini, sensible au
prestige d’un intellectuel qui avait adhéré au PNF en 192348.
On le comprend, la contestation des révolutionnaires fascistes ne se situait
pas seulement sur le terrain des compromis politiques passés depuis 1922 ou des
faiblesses de Mussolini dans sa gestion de la crise Matteotti. La discussion
reposait sur la nature même du fascisme et sur la trahison des idéaux de San
Sepolcro que Mussolini n’avait pourtant jamais officiellement reniés, si ce
n’était sur la nature monarchique du régime. La politique de De Stefani comme
de Gentile prouvait que le gouvernement faisait fausse route et abandonnait le
projet révolutionnaire de transformer la société et l’homme italien.
L’accentuation de la crise dans les derniers mois de 1924 et l’impression de
flottement autour du palais Chigi convainquirent les intransigeants de sonner la
charge contre Mussolini.
Les courants d’extrême gauche au sein du fascisme étaient les plus virulents
et bénéficiaient d’un porte-parole de grande qualité en la personne de l’écrivain
Curzio Suckert (connu sous son nom de plume de Malaparte), sans doute le plus
antimussolinien des fascistes. Le titre donné à la revue qu’il fonda le 10 juillet
1924 résumait très bien son objectif, La Conquista dello Stato (« La conquête de
l’Etat »). Porteur d’un fascisme populaire et syndicaliste, Suckert voyait dans le
squadrisme provincial l’esprit préservé du fascisme des origines, l’incarnation
non pas d’une classe sociale mais du peuple italien tout entier régénéré par la
guerre. « Le Fascisme, expliqua-t-il en avril 1923, est par excellence anticlasse ;
il est surtout antibourgeois et antiprolétaire. Il n’admet ni historiquement ni
politiquement l’existence d’aucune “classe sociale” mais l’existence d’une seule
classe nationale. » Sa haine pour le monde capitaliste anglo-saxon et pour la
ploutocratie avide d’argent le poussait à éprouver une certaine admiration pour la
révolution bolchevique. Rome comme Moscou avaient réalisé deux révolutions
contre la civilisation occidentale et le monde moderne. Or, celle de Lénine,
privée d’une culture de remplacement, était condamnée, alors que celle de
Mussolini, nourrie du patrimoine latin, renouvellerait la civilisation
européenne49. Mais pour cela, il fallait rompre avec les demi-mesures et le
double langage dans lequel se complaisait le chef du gouvernement.
Le 21 décembre, Suckert lança l’offensive avec un article au vitriol publié
dans la Conquista dello Stato et intitulé « Il fascismo contro Mussolini ? » (« Le
fascisme contre Mussolini ? »). Renversant complètement la lecture de la marche
sur Rome, il se faisait le porte-parole des chemises noires provinciales en
affirmant que « ce n’est pas l’honorable Mussolini qui a porté les fascistes à la
présidence du Conseil, mais ce sont les fascistes qui l’ont porté au pouvoir.
L’honorable Mussolini, plus que recevoir la charge de la Couronne, a eu le
mandat des provinces fascistes. Un mandat révolutionnaire […]. De là le devoir
absolu de l’honorable Mussolini de réaliser la volonté révolutionnaire du
peuple ». Puis il posait le débat en termes tranchés pour mieux renvoyer
Mussolini devant ses contradictions : si le fascisme n’était pas révolutionnaire, il
fallait revenir à la situation d’avant 1922 ; mais s’il l’était, alors la nécessité de
réaliser la radicale transformation de la société s’imposait et tout de suite50.
Dans son combat pour un fascisme intégral, Suckert reçut l’aide d’une autre
revue, fondée quelques jours avant la sienne, Il Selvaggio (« Le Sauvage »), par
Angiolo Bencini et Mino Maccari. Héritier du courant antilibéral et populaire du
Risorgimento, de Garibaldi, de la Semaine rouge et des Faisceaux
interventionnistes, ce fascisme considérait lui aussi que le Risorgimento était une
révolution trahie qu’il fallait achever. Comment ? Par la violence
révolutionnaire, par la dictature, par la terreur de type jacobine et bolchevique51.
Encore fallait-il que le chef fût à la hauteur. Vis-à-vis de Mussolini, la revue
adoptait un positionnement ambigu, une sorte de soutien critique à un Duce du
fascisme qui ne se montrait pas à la hauteur de sa mission. Ainsi l’un des
contributeurs rappela-t-il en juillet 1924 : « La grandeur d’une nation a toujours
été l’œuvre d’un homme de génie, qu’il s’appelle César ou Napoléon, Cromwell
ou Bismarck, Cavour ou Mussolini ; jamais d’une assemblée d’ambitieux et de
médiocres. S’imposait et s’impose un gouvernement dictatorial pour dix ans ! Et
la guillotine52 ! » La normalisation opérée par Mussolini qui réintégrait les
hommes de l’ancien régime au risque de dissoudre le fascisme désespérait
Maccari, surtout à l’automne 1924 quand le chef du gouvernement multiplia les
concessions.
Aussi fins lettrés et bons polémistes étaient-ils, ces écrivains avaient besoin
d’un chef pour porter leurs idées dans le champ de la bataille politique. Farinacci
paraissait être l’homme idéal. Intransigeant, il menait un dur combat depuis
plusieurs années pour faire revenir le fascisme dans son lit naturel. Son prestige,
son autorité, ses réseaux dans le squadrisme provincial le désignaient pour
remplacer Mussolini. Jamais le fascisme ne parut plus près de devenir
« farinaccien » qu’entre 1924 et 1925. Et ce d’autant plus que les attaques contre
Mussolini dans les journaux se doublaient d’une nouvelle offensive squadriste en
Toscane et en Emilie avec son habituel cortège de violences contre les hommes
et les bâtiments qui visaient cette fois-ci le monde bourgeois.
Toutefois, deux obstacles se dressèrent pour enrayer le processus
révolutionnaire des radicaux. Tout d’abord, Farinacci lui-même ne se prêta pas à
la manœuvre. Il ne ménagea pourtant pas ses coups devant les hésitations de
Mussolini. A chaque reculade de ce dernier, à chacune de ses concessions en
faveur des modérés, le ras répliquait, attaquait dans la presse comme à
Montecitorio, prenant la défense de Dumini, de Balbo, de De Bono. La
confrontation avec Mussolini était forte, à tel point que le Duce refusa sa
nomination à la vice-présidence de la Chambre en novembre 1926. Mais
Farinacci ne franchit jamais la ligne rouge, ne se rêva pas en Duce de
substitution et ne cessa pendant toute la crise de réaffirmer sans aucune
ambiguïté son soutien à Mussolini. Le fascisme restait indissociable de son chef.
Or, justement, celui-ci finit par réagir. Il est vrai que dans les derniers jours
du mois de décembre 1924 la tactique de la tension des durs du fascisme
s’accéléra soudain. Curzio Suckert fit paraître le 28 décembre, un nouvel article
agressif : « Tous doivent obéir, y compris Mussolini, à l’avertissement du
fascisme intégral. » Certes, le même jour, l’éditorial de Farinacci dans Cremona
nuova réaffirmait son loyalisme. Pourtant, le 31 décembre, tout se précipita. Les
pressions sur Mussolini venaient de tous côtés. Farinacci n’hésita pas deux jours
plus tard à écrire que « le fascisme n’approuve pas la politique renonciatrice de
ces deux dernières années ». Un message d’une teneur identique apparut dans les
pages du journal L’Impero exigeant de Mussolini qu’il assumât son rôle de chef
de la révolution fasciste. Outre ces articles, près de 10 000 chemises noires se
réunirent ce jour-là à Florence où elles saccagèrent des sièges de partis politiques
et d’associations avant de marcher vers la prison de la ville pour y libérer leurs
camarades détenus. Le sous-secrétaire d’Etat à l’Intérieur Dino Grandi ordonna,
devant cette émeute contre l’Etat, aux carabiniers de faire usage du feu en cas
d’assaut contre la prison. D’autres troubles eurent lieu à Pise et à Sienne. C’est
dans ce contexte très lourd qu’une réunion cruciale eut lieu au palais Chigi.
Mussolini y avait fait venir les 33 consuls de la Milice croyant pouvoir les
convaincre d’apaiser les tensions dans les provinces. Or, les chefs squadristes en
profitèrent pour taper du poing sur la table. Il n’y avait plus d’échappatoire
possible : soit la démission, le tribunal et la fin du fascisme, soit l’épreuve de
force avec l’antifascisme et son anéantissement. Mussolini comprit qu’il était
acculé et se décida à faire ce que les « super-fascistes » attendaient de lui :
établir la dictature.

Le virage
Le 3 janvier 1925, Mussolini monta à la tribune de la salle des députés de
Montecitorio pour y prononcer un discours qui scellait le sort du régime libéral.
La veille, il avait tenté d’obtenir de Victor-Emmanuel III un décret de dissolution
non daté dont il pourrait se servir contre l’opposition mais que le roi lui refusa,
en tout cas pour le moment. Ce que le monarque ignorait, c’était la teneur du
discours tonitruant du 3 janvier.
Contraint à l’offensive par les durs du fascisme mais aussi par de larges
secteurs de l’opinion, notamment bourgeoise, apeurée par la nouvelle vague des
violences, le chef du gouvernement assuma la responsabilité « politique, morale,
historique » de la mort de Matteotti et de toutes les violences commises jusque-
là. Puis, il passa à l’attaque. « Vous avez cru que le fascisme était fini parce que
je le retenais, qu’il était mort parce que je le corrigeais et vous avez surtout eu la
cruauté de le dire. Mais si je mettais à déchaîner la centième partie de l’énergie
que j’ai mise à le retenir, vous verriez alors. Cela ne sera pas nécessaire car le
Gouvernement est assez fort pour briser définitivement la sécession de
l’Aventin. » Ces paroles, tels des coups de poing, s’abattaient sur les députés
mais s’adressaient aussi aux ultras pour les calmer. Mussolini n’oublia pas non
plus de rassurer les conservateurs : « L’Italie, poursuivit-il, veut la paix, elle veut
la tranquillité, elle veut le calme du travail. Nous, cette tranquillité, ce calme du
travail, nous les lui donnerons avec amour si possible, avec la force si
nécessaire. » Il annonça enfin qu’avant quarante-huit heures, des mesures
énergiques seraient prises53.
Le message était clair : il n’y aurait ni sédition antifasciste ni subversion
fasciste. Mussolini tint parole. Le jour même, les préfets reçurent des
instructions très fermes sur le maintien de l’ordre, y compris contre les troubles
d’origine fasciste, tandis que la Milice désormais sous contrôle était mobilisée.
Mussolini sortait de la crise par la grande porte et la tête haute. Il sut avec
maestria exploiter les erreurs de ses adversaires qu’ils fussent dans l’Aventin ou
dans le PNF, tous divisés et incapables de trouver un chef derrière lequel se
rassembler pour lancer l’offensive décisive. En abandonnant la Chambre, les
partis de l’Aventin avaient sabordé le processus parlementaire, plaçant Mussolini
devant l’alternative de la prison ou de la dictature54. Les gardiens de la
révolution, de leur côté, crurent vraiment pouvoir profiter de la crise pour
s’emparer du pouvoir dont Mussolini les excluait jusque-là et pour imprimer une
orientation plus révolutionnaire. Leurs menaces jouèrent, c’est évident, un grand
rôle pour le pousser vers la dictature pleine et entière. Mais le chef du fascisme,
en politicien madré, exploita les événements, les circonstances et les hommes
pour se tirer d’affaire.
Pendant les deux années écoulées de son pouvoir, le fascisme montra déjà un
visage tout à fait particulier. La dictature en gestation s’insinuait dans l’Etat de
droit, le respectait en partie (rapports avec le roi, organisation des élections, lois
votées par le Parlement, vote de confiance des assemblées) pour mieux en
détruire les fondements libéraux. Remarquons aussi qu’il n’y eut pas en Italie
une nuit des longs couteaux qui aurait permis d’étouffer dans le sang les
contestations internes, pas plus que de grands procès de type soviétique pour
huiler les rouages du parti… Quant aux méthodes des squadristes, aussi illégales,
violentes, dégradantes fussent-elles, elles n’atteignirent jamais le stade des
massacres de masse de la Tchéka bolchevique.
L’issue de la crise Matteotti déboucha donc sur l’installation de la dictature
et l’élimination programmée de l’opposition. Les ultras pouvaient crier victoire,
enivrés par l’illusion d’avoir empêché la normalisation totale du fascisme. Leur
triomphe cachait en réalité leur défaite puisque ce fut Mussolini qui tira les
marrons du feu et continua à donner le tempo moderato de la révolution fasciste.
5
L’Etat totalitaire pas à pas

La révolution institutionnelle
Dans les jours qui suivirent le discours du 3 janvier 1925, les perquisitions
dans les locaux ou les habitations d’opposants, les dissolutions de groupes ou
d’associations, les arrestations se multiplièrent sur ordre de Federzoni et de
Grandi désireux de préserver le monopole étatique de la violence. Le fascisme
reprenait bel et bien la situation en main sans toutefois empêcher çà et là des
violences squadristes. Mais le régime ne se contenta pas de terroriser ses
adversaires. Il prit un certain nombre de mesures légales pour asseoir son
autorité, construire un Etat autoritaire nourrissant en son sein le totalitarisme et
détruire définitivement – tout en en conservant la façade institutionnelle – le
système parlementaire libéral que personne ne défendit vraiment.
Gardons bien à l’esprit que ce discours, aussi violent fût-il dans la forme, ne
constituait pas une rupture institutionnelle, au sens où il aurait été suivi
immédiatement de réformes autoritaires. Il fallut attendre la fin de l’année 1925
et surtout 1926 pour voir la dictature fasciste s’emparer vraiment de l’Etat, là où
les nazis mirent seulement trois mois pour anéantir la république de Weimar.
Cela étant, l’orientation autoritaire se fit rapidement sentir.
Dans cette entreprise, Mussolini s’appuya sur deux nationalistes
conservateurs : le nouveau ministre de la Justice, Alfredo Rocco, entré au
gouvernement le 5 janvier 1925 à l’occasion d’un remaniement, et son collègue
de l’Intérieur, Federzoni. Le premier objectif était de museler la presse. Les
brutalités des chemises noires avaient entravé la liberté d’expression des
journaux en détruisant les rédactions et les machines, brûlant les exemplaires,
molestant les journalistes. La mise sous contrôle du squadrisme lancée par le
gouvernement risquait de rendre aux opposants leur capacité à se faire entendre.
Un premier décret-loi, on s’en souvient, avait été pris en juillet 1923 mais jamais
vraiment appliqué. En décembre 1924, Federzoni relança l’affaire mais se heurta
à de nombreuses oppositions à la Chambre qui ralentirent le processus jusqu’au
20 juin 1925, date du vote de la loi.
Après avoir engagé le fer contre la mafia sicilienne dès le printemps 19241,
le régime s’engagea contre la franc-maçonnerie. Cela pouvait paraître curieux
quand on connaît le soutien qu’apporta la Grande Loge d’Italie à Mussolini lors
de la marche sur Rome. Or, plusieurs éléments le poussaient à rompre
« l’alliance » passée avec les Frères. Tout d’abord, l’univers de la maçonnerie
était inextricablement lié au système libéral qui ne pouvait être démantelé sans
anéantir la puissance des loges : députés, généraux, intellectuels et la Couronne
elle-même leur étaient liés. Ensuite, l’affiliation de très nombreux ras à la franc-
maçonnerie leur donnait un surcroît de pouvoir que le chef du fascisme ne
pouvait tolérer alors qu’il escomptait toujours mettre le parti au pas. Enfin, il
pouvait espérer porter un dernier coup à l’Aventin en anéantissant une partie de
ses réseaux. Or, sur ce terrain également, la lutte parlementaire se révéla rude.
Comme on peut s’en douter, les députés n’avalèrent pas d’une traite la thèse de
complot maçonnique contre l’Etat que leur présentait le gouvernement. Ils
comprenaient sans difficultés que l’obligation de présenter au préfet les statuts,
le règlement et la liste des membres d’une association signait l’arrêt de mort des
loges maçonniques. La loi n’en fut pas moins votée le 19 mai 1925.
Ce difficile succès ne permettait toutefois pas de dissoudre la franc-
maçonnerie. L’histoire présenta alors une occasion que Mussolini ne laissa pas
passer. En effet, le 4 novembre 1925, quelques heures avant que le Duce ne
prononçât un discours commémoratif de la victoire depuis le balcon du palais
Chigi, la police débarqua dans l’hôtel qui faisait face au bâtiment officiel. Elle y
trouva le député socialiste Tito Zaniboni qui s’apprêtait à tirer sur Mussolini. Au
centre du complot, en plus du député, on trouvait le général franc-maçon Luigi
Capello. L’occasion était inespérée. Le 20 novembre, le Sénat vota à son tour le
texte de loi et deux jours plus tard le grand maître dut procéder à la dissolution
des loges et du Grand Orient d’Italie. Le Parti socialiste unifié (PSU), lui aussi
dissous, fut l’autre victime de l’attentat avorté de Zaniboni2.
Le gouvernement fasciste ne comptait pas en rester là et lança sa grande
offensive institutionnelle à la fin de l’année 1925. Mussolini n’étant pas chef de
l’Etat et ne pouvant l’être – sauf à faire un coup d’Etat antimonarchique dont il
n’avait pas les moyens –, la solution pour construire l’Etat fasciste résidait dans
un accroissement des pouvoirs du chef du gouvernement au détriment aussi bien
du cabinet, du Parlement que de la Couronne à laquelle le Statuto attribuait le
pouvoir exécutif. Ce fut l’objectif assigné au ministre de la Justice Rocco qui
présenta un projet de loi en ce sens aux députés en novembre 1925. Son
argumentation reposait sur l’idée que le régime fasciste avait rendu au
gouvernement son unité dans un sens « plus organique et plus pratique », unité
lui permettant d’agir avec décision. Il rappelait en outre que le Parlement, depuis
le XIXe siècle, avait eu tendance à prendre trop de pouvoir par rapport à ce que lui
conférait la Constitution, le fascisme se contentant de revenir à l’esprit originel
de l’Etat italien. Cela ne l’empêchait pas de donner à la réforme un caractère
authentiquement fasciste. « Nous devons parler franchement, lança Rocco à la
Chambre le 14 décembre 1925. Le 28 octobre quelque chose de grave et de
décisif pour l’histoire de l’Italie est advenu ; un bouleversement que nous
n’hésitons pas à appeler révolution […]. Il y eut un changement de régime, pas
seulement de méthode de gouvernement, mais de mentalité, d’esprit politique, de
conception de l’Etat. » La conclusion qu’en tirait Rocco était limpide :

Il est en fait logique qu’on nous reproche de ne pas bien tenir notre poste, mais il n’est pas logique
de nous demander à nous fascistes de gouverner avec une mentalité libérale ou démocratique. On peut
tout exiger du gouvernement fasciste, sauf de ne pas être fasciste. Et puisque le gouvernement est
fasciste, il doit se faire le promoteur de réformes législatives aptes à adapter l’ordre juridique italien à
la nouvelle réalité politique et sociale, aptes à créer dans les lois ce qui existe déjà dans les habitudes et
la pratique : l’Etat fasciste3.

Les votes de la loi sur les prérogatives du président du Conseil à la Chambre
et au Sénat révélèrent encore une fois qu’entre les abstentions, les absents et les
votes hostiles, la majorité recueillie à chaque fois n’atteignait pas des sommets.
Les libéraux, qu’ils fussent partisans de Giolitti, de Nitti ou de Salandra,
résistaient toujours, et même parmi les rangs fascistes des défections s’étaient
fait sentir. Le 24 décembre 1925, la loi fut définitivement adoptée. Elle procédait
à un changement profond des pouvoirs conférés au Premier ministre. Désormais,
le chef du gouvernement, nommé et révoqué par le souverain, était responsable
devant lui de la politique du cabinet. Il proposait au roi la nomination des
ministres qui rendaient des comptes aux deux têtes de l’exécutif. En plus de
coordonner la politique gouvernementale, il convoquait le Conseil des ministres
et le présidait. Enfin, il recevait un droit de tutelle sur le conseil de la famille
royale, faisait fonction de notaire de la Couronne et devenait secrétaire de l’ordre
de l’Annonciade. Les deux assemblées perdaient l’initiative de leur ordre du jour
qui devait être validé par le Premier ministre. Celui-ci pouvait désormais, en cas
de rejet d’un projet de loi, exiger son réexamen trois mois plus tard. Le tout était
couronné par la nouvelle appellation de « président du Conseil et Duce du
fascisme ».
Cet ensemble de prérogatives nouvelles favorisait la fusion entre le fascisme
et les institutions politiques, le premier faisant de plus en plus corps avec les
secondes. Il consacrait une prééminence du chef du gouvernement qui altérait en
profondeur et à son bénéfice ses rapports avec les ministres, annihilait la
collégialité ministérielle et détruisait la dépendance à l’égard du Parlement, socle
du régime libéral. Même le roi perdait une grande partie de son pouvoir en se
trouvant privé de sa liberté de choix puisqu’il ne pouvait plus changer de
Premier ministre à la suite d’un vote de défiance de la Chambre. Mais si
Mussolini se libérait de la tutelle du Parlement, il remettait son sort entre les
mains du souverain. La capacité d’initiative de la Couronne n’était donc pas
totalement anéantie et plaçait le fascisme dans une dépendance qui finirait par lui
être fatale4. La loi du 24 décembre se heurtait à la réalité institutionnelle du
régime qui restait celle d’une monarchie et qui maintenait le Duce au rang de
Premier ministre. D’ailleurs, avec ce mélange d’ironie mordante et de respect
pointilleux des formes qui le caractérisait, Victor-Emmanuel III ne cessa jamais
de parler de « son gouvernement » et d’appeler Mussolini « Président ».
On le voit, il y avait encore en 1925 en Italie une vie parlementaire, une
opposition à la fascisation des institutions avec laquelle Mussolini devait
composer et qui ne courbait pas totalement l’échine. Depuis le début de l’année
1925, les entraves que les élus encore présents à Montecitorio ou au palais
Madame n’avaient pas manqué de placer devant les projets gouvernementaux
avaient été autant de signes de la fragilité de la majorité politique du cabinet.
Mais l’ère des compromis était désormais passée. Elle laissait sa place à une
politique beaucoup plus dure. Battant le fer encore chaud, le gouvernement fit
voter d’autres lois, comme celle sur la presse du 31 décembre 1925, puis celle du
26 janvier 1926 qui conférait des pouvoirs très étendus à l’exécutif. Celui-ci
pouvait désormais adopter des normes juridiques et des règlements indépendants
des lois existantes. Puis ce fut une véritable avalanche avec les lois de 1926
restées dans l’histoire comme les « lois fascistissimes ». L’autonomie des
pouvoirs locaux partit en fumée avec la nomination des maires, conseillers
municipaux et des conseillers provinciaux par l’Etat. De plus, Mussolini sut
profiter d’un événement imprévu : une nouvelle tentative d’attentat contre lui.
En effet, le 31 octobre 1926, alors qu’il se trouvait à Bologne, un jeune
anarchiste du nom d’Anteo Zamboni tenta de lui tirer dessus avant d’être lynché
par la foule. L’occasion était bonne de relancer la législation autoritaire et de
faire adopter une « loi de défense de l’Etat », en vérité déjà prête depuis
longtemps. Le 5 novembre, le Conseil des ministres approuva un projet de loi
présenté par Rocco et intitulé « Mesures pour la défense de l’Etat », tandis que
l’après-midi du même jour Federzoni présenta sa démission de ministre de
l’Intérieur. Mussolini récupéra alors la fonction qu’il garda jusqu’en… 1943 ! La
loi fut ensuite présentée aux députés le 9 novembre puis au Sénat le 20. Elle
jetait une véritable chape de plomb sur l’Italie. La suppression de tous les partis
non fascistes faisait du PNF le parti unique du régime, mesure renforcée par
l’interdiction des journaux antifascistes. La nouvelle législation prévoyait en
outre la peine de mort pour toute atteinte à la vie du couple royal et de leur
héritier, le prince du Piémont, ainsi que du Premier ministre. Une instance
spéciale fut créée, le Tribunale Speciale per la Difesa dello Stato (Tribunal
spécial pour la défense de l’Etat), chargé de la répression politique avec privilège
de rétroactivité et jugement sans appel. Deux structures policières traquèrent les
opposants, les Uffici politici investigativi (Bureaux politiques d’enquête) de la
MVSN et surtout l’OVRA (Organisation de vigilance et de répression de
l’antifascisme), la fameuse police politique du régime fasciste.
Cette mise à mort du système parlementaire libéral se fit sans rencontrer
d’obstacles. L’Aventin aurait été bien en peine de sauver quoi que ce fût. Miné
de l’intérieur, abandonné par le Saint-Siège, le PPI, sur proposition de son
directoire, envisagea bien un retour de ses députés à Montecitorio, mais il ne
pouvait accepter la déclaration de repentance et la reconnaissance de la légitimité
du fascisme que le gouvernement exigeait au préalable. Il tint son ultime congrès
les 28-30 juin 1925 qui fut le chant du signe de la première tentative de
démocratie chrétienne en Italie. Le Parti socialiste unitaire, on l’a vu, fut dissous
en novembre 1925. Les socialistes réformistes tentèrent de se reconstituer en un
Parti socialiste des travailleurs italiens sur lequel tomba le couperet de la loi du
9 novembre 1926. Le même jour, la Chambre vota la déchéance des députés
sécessionnistes, ce qui entraîna l’arrestation des députés communistes. Même le
Sénat, plus hostile au fascisme, valida la sanction. Aucune des assemblées
n’entrava le processus de leur propre décapitation. Quant à Amendola, la figure
de proue de l’Aventin, il fut victime d’une très violente agression, le 20 juillet
1925, prélude à son exil en France et à sa mort le 7 avril 1926. L’opposition était
en miettes.
La Couronne pouvait-elle être le dernier bouclier ? Les vaincus de l’Aventin
qui s’étaient eux-mêmes fourvoyés dans une impasse tournaient tous leurs
regards vers le Quirinal d’où viendrait, espéraient-ils, l’action royale qui
sauverait une Constitution que Victor-Emmanuel III s’était engagé à défendre
dans son serment d’accession au trône. Or, le sphinx royal ne bougeait pas. S’il
reçut en juin 1925 les chefs de l’Aventin, suscitant l’ire des ultras, il n’en
demeura pas moins inerte et silencieux devant les lois fascistissimes. Le
souverain se retranchait derrière l’absence d’initiative parlementaire qui ne lui
permettait pas d’agir contre Mussolini. Sans doute le considérait-il comme le
moins exalté des fascistes et donc le plus apte à gérer ses dangereuses troupes de
chemises noires, à moins qu’il ne craignît un coup d’Etat contre la monarchie ou
la guerre civile que déclencheraient des fascistes furieux de perdre le pouvoir5.
Quoi qu’il en fût, Victor-Emmanuel III laissa Mussolini attaquer le Statuto,
validant ainsi l’installation d’une dictature qu’il considérait comme conforme
aux intérêts de l’Italie et de la Couronne. Erreur fatale que la dynastie de Savoie
paya durement aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, par sa
seule présence à la tête de l’Etat, par sa légitimité dynastique, par la fidélité des
corps constitués dont l’armée, le roi constituait un pouvoir indépendant quoique
immobile. Et comme la mort ne vint jamais débarrasser Mussolini de cette figure
tutélaire comme elle le fit avec le maréchal Hindenburg pour Hitler un peu plus
d’un an après sa prise du pouvoir, le Duce du fascisme dut construire son
totalitarisme au sein d’une monarchie qui inévitablement le limitait. Le fascisme,
n’abolissant jamais officiellement le Statuto, conserva au moins jusqu’en 1939
toutes les institutions de la monarchie parlementaire. Mais il les vida d’une part
de leurs prérogatives en les fascisant de l’intérieur, et il élabora d’autre part à son
profit un pouvoir institutionnel et charismatique qui fit de Mussolini le centre
décisionnel du régime fasciste.

L’Etat plutôt que le parti


La place occupée par le PNF devenu parti unique est une question centrale
puisqu’une des caractéristiques majeures d’un système totalitaire réside dans la
subordination de l’Etat au parti, dans le noyautage du premier par le second, la
structure partisane devenant la pièce maîtresse de la fabrication de l’homme
nouveau. Or, pour le fascisme, il n’en fut rien. Le parti perdit son autonomie et
recula face à l’Etat.
Mussolini, on s’en souvient, avait constamment croisé le fer avec les
courants les plus dogmatiques. Ces scrupuleux gardiens de l’esprit de 1919, forts
de l’indiscipline et de la violence des squadre, n’avaient cessé de le menacer
jusqu’à l’extrême limite de la sédition à la fin de 1924. Farinacci était vite
devenu leur figure de proue. Or, contre toute attente, ce fut à lui qu’échut le
12 février 1925 le poste de secrétaire général du PNF, une fois que Mussolini eut
décidé de mettre fin à la direction collégiale. Ce choix s’expliquait d’une part par
le rôle que le terrible ras avait joué dans toute la crise Matteotti, lui qui avait
revigoré à grands cris la volonté du Duce vacillant, et par l’appui que les
intransigeants lui avaient apporté pour étrangler l’opposition. Il fallait donc les
rassurer, leur apporter des gages, confirmer le virage autoritaire de janvier 1925.
A ce propos, les premières mesures répressives apparurent bien pâles aux plus
exaltés. Le parti grondait de plus en plus. D’autre part, de multiples dissidences
ou scissions dans de nombreuses fédérations en minaient la cohésion, et si le
Duce veillait à entretenir la faiblesse du parti, il avait quand même besoin d’une
structure disciplinée et unie derrière lui. Farinacci était l’homme adéquat,
populaire chez les chemises noires, autoritaire et fidèle, y compris dans les
moments les plus critiques.
L’homme à la poigne de fer arriva donc fort de ses convictions et bien décidé
à les concrétiser. A ses yeux, le parti constituait une armée politique, prête à
défendre le régime et à ce titre il devait être un acteur de premier plan de la vie
politique du pays et de la fascisation des masses. La discipline de type militaire,
l’obéissance totale au Chef devaient cohabiter avec le caractère électif de
nombreuses fonctions, élément indispensable pour la participation des masses et
les débats internes. De plus, les vannes du recrutement devaient être fermées afin
de lui garantir sa nature d’une minorité d’élus qui, tels des prophètes, mèneraient
le reste de la population vers le monde nouveau. « Le fascisme, affirma-t-il dans
un discours du 24 mars 1925, est une religion pour la Nation, pour l’avenir de la
Nation. Alors nous avons le droit de demander que tout soit fasciste, que tout
soit au service de la Nation […]. La révolution doit être portée à son terme […].
Nous disons que l’Italie de 1925 n’est plus l’Italie de 1848. Aujourd’hui il y a
une nouvelle conscience nationale et c’est notre droit d’adapter la constitution
aux exigences du peuple italien. C’est la base de notre révolution : révolution
que nous voulons accomplir. Nous le pouvons à travers les voies légales ou les
voies extralégales6. » Or, cette dynamique totalitaire que Farinacci entendait
imprimer nécessitait une pleine autonomie du parti par rapport au gouvernement.
Les deux devaient œuvrer dans le même sens mais côte à côte, sans lien de
subordination7. La période du secrétariat général de Farinacci correspondait bien
à celle du premier tournant totalitaire (1925-1926) mais il finit par se heurter à la
politique d’équilibre que poursuivait sans le dire Mussolini.
Fort de son autorité mais aussi de la crise d’ulcère du Duce qui le tint à
l’écart des affaires entre février et mars 1925, le secrétaire général se mit à
l’ouvrage. Il rétablit avec une incontestable efficacité l’ordre au sein des
fédérations régionales fascistes, parcourant le pays en tout sens et restaurant
l’autorité hiérarchique et le moral des troupes. Il ouvrit dans le même temps
plusieurs chantiers en vue de la fascisation de l’Etat. Il donna la carte du PNF à
21 sénateurs et prépara la formation d’un groupe parlementaire fasciste au Sénat.
Dans le même temps, il appuyait la nomination de Mussolini comme chef des
armées afin de fasciser le corps militaire ; il s’attaquait aussi au Saint-Siège, sa
bête noire, polémiquant avec le journal pontifical L’Osservatore romano qui
multipliait les condamnations des violences. Les fascistes « sont plus proches du
Christ qui chasse avec violence les marchands du temple que certaines personnes
qui l’invoquent mal à propos8 », osa-t-il écrire. Même le roi subit ses foudres
pour avoir reçu les chefs de l’Aventin.
Un tel activisme politique sans nuance détériora très vite ses relations avec
les ministres. Attelé à la normalisation du régime fasciste, le ministre de
l’Intérieur Federzoni envoya en mai 1925 une circulaire aux préfets pour les
exhorter à restaurer l’ordre public. Persuadé que Farinacci reconstituait les
squadre désormais dissoutes dans la Milice, il prit soin d’en envoyer une copie
au secrétaire général avec une lettre personnelle dans laquelle il lui rappelait la
nécessité impérieuse de laisser à l’Etat les charges de répression et de maintien
de l’ordre9. Mais Farinacci n’en avait cure ! Ne pouvant s’attaquer directement
au ministre, il manœuvra pour obtenir la tête de Grandi, toujours sous-secrétaire
d’Etat à l’Intérieur, que Mussolini finit par lui offrir le 14 mai 1925.
L’équilibriste Premier ministre le remplaça par Attilio Teruzzi, un proche de
Farinacci, non sans proposer à Grandi un poste prestigieux, celui de sous-
secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères10. Farinacci tonnait aussi contre le
général Antonino Di Giorgio, ministre de la Guerre, se rendant lui-même dans
les couloirs du palais Madame pour exhorter les sénateurs favorables au
gouvernement à batailler contre le ministre qui freinait la fascisation de
l’armée11.
Il est vrai que sa popularité au sein du parti atteignait des sommets. Le IVe et
dernier congrès du PNF, qui se tint à Rome les 21 et 22 juin 1925, lui donna
l’occasion de le vérifier. Après avoir décrit un parti uni, discipliné et réformé, il
fut réélu par acclamation au poste de secrétaire général et reçut les pleins
pouvoirs pour la composition du nouveau directoire. Un tel triomphe n’était pas
du goût de Mussolini, peu disposé à partager avec un autre l’ivresse de
l’adoration des foules12. L’insistance de Farinacci à demander au gouvernement
de réaliser le programme de la révolution fasciste et de voter des lois en ce sens
remettait en cause sa politique toujours prudente d’équilibre. Leurs relations se
dégradèrent dès l’été 1925 quand le Duce n’hésita pas à censurer Cremona
nuova, le journal du secrétaire général. Celui-ci, humilié, menaça de
démissionner tout en lui écrivant le 4 juillet 1925 : « Si tu t’étais adressé
directement à moi, je t’aurais obéi comme toujours. » Mais c’était sans doute ce
que cherchait Mussolini. D’étranges rumeurs se mirent à circuler dont l’écho
parvint jusqu’à Farinacci, prévenu par l’un de ses fidèles : « Il paraît qu’à Rome
on dit qu’une fois le procès [des assassins de Matteotti] fini, toi et tes amis –
nous – nous serons liquidés parce que nous ne servirons plus à rien13. »
Il n’en continuait pas moins à tracer son sillon. A l’automne 1925, il avança
un projet de réforme des statuts du PNF qui amoindrissait les pouvoirs du Grand
Conseil au bénéfice du secrétaire général et du Directoire élus par le congrès ;
tout cela au détriment du Duce qui perdait tout rôle statutaire. En somme, le parti
et son chef deviendraient les véritables interprètes de la nation et des masses.
Mais ce fut au même moment que Farinacci subit de violentes attaques liées à la
répression de la franc-maçonnerie à laquelle il appartenait, ce qu’il dut admettre
à demi-mot. Puis le 3 octobre de violentes échauffourées eurent lieu à Florence
(on releva huit morts) prouvant les capacités intactes d’un squadrisme latent. Or
Farinacci, au lieu de les condamner, les justifia, ce que Mussolini ne pouvait
tolérer ; et ce d’autant plus que quelques jours auparavant Farinacci, dans les
colonnes de son journal, avait affirmé que la troisième vague révolutionnaire,
celle des « lois de la reconstruction qui inséreront dans l’Etat le programme
totalitaire de notre révolution14 », était imminente.
Le 5 octobre, lors de la réunion du Grand Conseil, Mussolini fit voter un
ordre du jour qui condamnait le maintien du squadrisme sous n’importe quelle
forme, ordonnait la dissolution de toute formation extérieure à la MVSN et
l’expulsion du parti des récalcitrants. Puis il envoya quelques jours après une
lettre au préfet de Crémone réaffirmant sur un ton péremptoire son autorité
personnelle : « Mon ordre est précis. Toutes les formations squadristes seront
dissoutes à n’importe quel prix, je dis à n’importe quel prix. Il est grand temps
de faire la séparation nécessaire : les fascistes avec les fascistes, les délinquants
avec les délinquants, les profiteurs avec les profiteurs et surtout il faut pratiquer
une intransigeance morale, je dis morale15. » Pas question donc de sortir de la
route de la normalisation. Et afin d’être bien compris par le principal intéressé, il
exigea de Farinacci qu’il se rendît à Florence pour remédier à la situation au sein
de la fédération locale. La permanence du soutien des fiancheggiatori était à ce
prix.
Mussolini, suivant l’adage divide ut imperare, jouait constamment Federzoni
contre Farinacci pour mieux exercer sa fonction arbitrale. Cependant, suite à
l’attentat de Zamboni, le ministre de l’Intérieur dut démissionner. Ce fut une
victoire à la Pyrrhus pour le secrétaire général. Certes, il soutint de tout son
poids les lois liberticides de 1925 et de 1926 mais Mussolini, une fois sa
situation personnelle et son pouvoir consolidés, était bien décidé à
redimensionner à la baisse les pouvoirs du PNF et de son chef à qui il fut notifié
à plusieurs reprises une sèche interdiction de participer à des cérémonies
politiques, mesures vexatoires qui crucifièrent le pourtant fidèle Farinacci. Le
mal-aimé prit sa plume pour s’en plaindre : « Une seule chose m’attriste, le fait
que peu à peu mon action fascistissime et surtout mussolinienne soit regardée
par toi avec suspicion et paralysée par des interdits qui me mettent en position
humiliante face à quelque infidèle16. » Peine perdue. Le Duce ne tolérerait pas
que le parti devînt le cœur de la révolution fasciste au détriment de l’Etat. Le
procès des meurtriers de Matteotti, devant la cour d’assise de Chieti du 16 au
24 mars 1926, lui fournit l’occasion idéale. Farinacci y assura la défense de
Dumini et en profita pour faire avec arrogance le procès de l’opposition
antifasciste en général et de Matteotti en particulier, ce qui déplut à Mussolini
qui voyait ressurgir de l’ombre ceux qui n’étaient plus que des fantômes… Trois
des accusés, dont Dumini, furent condamnés à cinq ans de prison dont quatre
avec sursis ! Un succès donc pour l’avocat de la défense mais qui ne le sauva
pas. Le 28 mars 1926, Mussolini lui laissa le soin d’annoncer lui-même sa
démission lors du discours anniversaire de la fondation des faisceaux avant de la
présenter le 30 au Grand Conseil, mais il eut l’élégance de demander celle du
Directoire en même temps pour apaiser l’ultime humiliation infligée au plus
révolutionnaire de ses fidèles17.
Par ce renvoi, Mussolini brisa net la dynamique totalitaire du PNF qu’il
entendait récupérer en faveur de l’Etat. En effet, il ne faut pas analyser la chute
de Farinacci comme une victoire des forces modérées, car son sacrifice, s’il
correspondait à celui du fascisme intransigeant, n’impliquait pas celui du projet
totalitaire que portait le fascisme en lui-même quels que fussent les courants qui
le composaient. Le dessein de Farinacci avait sa cohérence, ses appuis dans la
petite et moyenne bourgeoisie mais il se heurtait à trois écueils : des forces
sociales puissantes (de l’Eglise à l’armée en passant par la monarchie et la
grande bourgeoisie) et dont Mussolini avait besoin18 ; la propre conception
mussolinienne de la hiérarchie entre le parti et l’Etat ; et la suprématie exercée
par le Duce. Il n’y aurait pas de dyarchie entre le dictateur et le chef du parti. Les
faucons du PNF perdaient encore une fois la bataille.

La normalisation du PNF
La destitution de Farinacci ouvrit la voie à la liquidation du PNF qui se fit en
cinq étapes19. La première fut la nomination d’Augusto Turati au secrétariat
général. Fasciste irréprochable et membre de la composante intransigeante,
docile à l’égard de celui à qui il devait son ascension au poste suprême, il
appliqua à la lettre sa feuille de route. D’un côté, le parti fut épuré (rien qu’en
avril, il expulsa plus de 7 000 membres parmi lesquels se trouvaient cinq
députés, puis ce fut le tour de près de 60 000 squadristes de 1926 à 192920) et de
l’autre ses portes furent largement ouvertes à un recrutement massif qui en
changea la physionomie sociologique. Le PNF cessa dès lors d’être le
mouvement de la petite bourgeoisie pour devenir celui de l’ensemble de la
société, des convaincus comme des ambitieux, des croyants comme des
opportunistes, des dévoués comme des profiteurs.
On passa ensuite à la réforme des statuts du parti. Officialisés en
octobre 1926, ils abolissaient les fonctions électives et plaçaient le Duce au
sommet de la hiérarchie. Venait ensuite le Grand Conseil, « organe suprême du
fascisme » à qui revenait la nomination des membres du Directoire national et du
secrétaire général. Ce dernier avait la haute main sur l’ensemble des secrétaires
fédéraux qui appliquaient sans discuter les directives de Rome. Certes, la loi
fascistissime du 6 novembre 1926 interdisant associations et partis politiques
hostiles à l’Etat fasciste plaçait le PNF en position de parti unique, mais la
circulaire aux préfets datée du 5 janvier 1927 assurait la prééminence de ces
derniers sur les secrétaires fédéraux. Ceux-ci devaient en effet obéir aux
représentants de l’Etat qui, par là même, devenaient des agents du régime
fasciste avec mission d’épurer l’administration publique. D’ailleurs, un vaste
mouvement de remplacement du corps préfectoral assura sa fascisation21. En
somme, la politique de Turati, les statuts de 1926 et le décret de 1927 mettaient
en pièces le dessein de Farinacci de faire du PNF un parti d’une minorité d’élus,
colonne vertébrale du régime totalitaire dans une situation proche de la dictature
du prolétariat exercée en URSS par l’intermédiaire du Parti communiste. On
assistait au contraire en Italie à « l’étatisation du parti » (Emilio Gentile).
La constitutionnalisation du Grand Conseil du fascisme constitua la
quatrième étape. Cette réforme était indissociable de celle de la loi électorale
présentée à la Chambre et votée le 16 mars 1928. En effet, elle donna au Grand
Conseil la faculté de dresser la liste des 400 candidats à partir du vivier électoral
constitué par les corporations. Cette réforme, qui n’était pas sans rappeler le
système plébiscitaire imaginé par Sieyès en 1799, ouvrait une porte vers
l’intégration d’une structure purement partisane au sein des institutions étatiques
qui fut définitivement réalisée avec la loi du 9 décembre 1928. Présenté par le
ministre de la Justice Rocco devant le Grand Conseil le 18 septembre 1928, le
projet visait à en faire « l’organe suprême qui coordonne et intègre toutes les
activités du Régime ». Autre élément crucial, le Grand Conseil, placé sous
l’autorité complète du Duce, perdait tout pouvoir d’initiative : le chef du
gouvernement le convoquait pour des réunions secrètes, le présidait, en fixait
l’ordre du jour, faisait la synthèse des discussions. Cela dit, le Grand Conseil
recevait des pouvoirs très larges puisqu’il se voyait chargé de présenter, en cas
de démission du chef du gouvernement, une liste de noms au roi dans laquelle
celui-ci choisirait le successeur. Ce système libérait totalement le Premier
ministre de la majorité parlementaire, abolissait les consultations royales en vue
de former un gouvernement et assurait la pérennité du fascisme dans le temps.
Beaucoup plus grave était l’immixtion du PNF dans le domaine royal puisqu’en
vertu des articles 12 et 13, la succession au trône relevait désormais des
compétences du Grand Conseil22. Le fascisme allait-il choisir le successeur de
Victor-Emmanuel III ?
La transformation du Grand Conseil en organisme d’Etat n’équivalait pas, on
l’a compris, à une subordination de l’Etat au parti, mais bien à la situation
inverse du fait de la position de commandement donnée au chef du
gouvernement et Duce du fascisme. Le PNF ne s’en trouvait que plus affaibli et
réduit dans ses marges de manœuvre. Mussolini savait l’importance du pas
franchi, y compris dans ses rapports avec la Couronne. Ainsi préféra-t-il d’abord
discuter de la loi au Sénat (novembre 1928) où, après avoir renouvelé son
loyalisme à l’égard de la monarchie, il obtint une majorité confortable de 62,5 %
des voix. A la Chambre des députés totalement aux ordres, le texte recueillit
82,7 % des suffrages23. Le Parlement était sous contrôle.
Le cinquième et dernier acte se joua autour d’une nouvelle réforme des
statuts du PNF, approuvés par décret royal le 20 décembre 1929. Ils placèrent le
parti directement sous les ordres du chef du gouvernement tout en poursuivant sa
fusion avec l’Etat. En effet, le secrétaire général devenait membre de plusieurs
organismes étatiques comme la Commission suprême de défense, du Conseil
supérieur de l’éducation, voire le Conseil des ministres où il pouvait être appelé.
Bien sûr, il s’agissait d’une infiltration purement de façade puisqu’à cette date le
PNF était sous le contrôle du gouvernement et surtout de Mussolini. « Le Parti
n’est qu’une force civile et volontaire aux ordres de l’Etat, de même que la
Milice volontaire pour la Sécurité nationale est une force armée aux ordres de
l’Etat24. » Ces paroles du Duce du 14 septembre 1929 claquaient au vent de la
révolution fasciste qu’il parvint à orienter dans sa direction.

L’économie au service de l’Etat


Dans de telles conditions, la politique libérale du ministre des Finances
Alberto De Stefani ne convenait plus. Son bilan était pourtant loin d’être négatif,
même si l’économie italienne souffrait des hausses des salaires ou de la montée
des prix immobiliers, ce qui eut pour conséquence une forte inflation et une
dépréciation de la lire. Le discours du 3 janvier 1925, annonçant le tournant
autoritaire, le conduisit à proposer sa démission que Mussolini refusa. Il attendit
le 10 juillet suivant pour s’en séparer. La distance entre les deux hommes s’était
en effet transformée en un fossé infranchissable. De Stefani s’opposait au
dirigisme étatique, à la politique nataliste, au corporatisme, à l’autarcie et se
montrait favorable à l’émigration et aux rapports étroits avec les puissances
extérieures ; bref, l’exact contraire de l’orientation que prenait Mussolini. Après
sa destitution, il devint une sorte de dissident au sein du fascisme25.
Mussolini lui choisit comme successeur le comte Giuseppe Volpi, bien qu’il
fût de tendance libérale mais, bien vu par les milieux d’affaires, il pouvait les
rassurer. Partisan d’une économie mixte, il parvint à assainir l’économie et à
réduire la masse monétaire en mettant en place l’appareil dirigiste voulu par le
palais Chigi et par le biais de mesures de rigueur. Mussolini s’investit avec force
dans ce qu’il qualifia de « bataille de la lire » visant à sa réévaluation par rapport
aux autres monnaies. Il voulait, pour des raisons politiques de prestige, une
monnaie forte capable de supporter la compétition internationale26. Cette
dynamique demeurait inséparable des autres batailles lancées par le fascisme,
celle du blé et celle des bonifications. Déclenchée le 20 juin 1925, la première
devait permettre d’atteindre l’autosuffisance alimentaire et « répondait aussi à un
socialisme national, l’Italie devant s’émanciper de l’esclavage du pain importé
de l’étranger27 ». Comment y parvenir ? Par une modernisation de l’agriculture
italienne via une extension des champs et l’augmentation des rendements. Avec
quels résultats ? Dès 1931, la production monta à 80 millions de tonnes faisant
du pays le 3e producteur mondial de blé. Cette bataille lancée dans un cadre
protectionniste et dirigiste très élevé exprimait l’ambition fasciste de juguler le
déficit commercial, d’assurer l’autosuffisance des Italiens, de flatter leur orgueil
national, de légitimer un projet autarcique. Elle se déroula à grand renfort de
propagande, d’images du Duce torse nu dans les champs, instruments agricoles
dans les mains, de slogans inscrits sur les murs et répétés à satiété dans les
écoles. Une autre bataille ne tarda pas, celle pour la bonification des terres, vieux
projet des gouvernements libéraux. Les fondations en furent établies dès 1923
avec la nomination comme sous-secrétaire d’Etat à l’Economie nationale
d’Arrigo Serpieri. Très hostile aux domaines latifundiaires et favorable à la petite
propriété, il poussa à la modernisation des exploitations afin de les rendre
compétitives en créant des instituts techniques agricoles et en menaçant
d’expropriation les grands propriétaires récalcitrants. Ces derniers finirent par
avoir sa tête en 1925. Mussolini n’en relança pas moins le projet de bonification
intégrale avec la loi du 31 décembre 1928 dont l’ambition visait la mise en
valeur de près de 8 millions d’hectares28 et qui ne donna sa pleine mesure que
dans les années 1930.
Mussolini chercha aussi à mettre au pas le monde du travail pour y faire
disparaître la lutte des classes. Les accords signés le 19 décembre 1923 au palais
Chigi contraignaient les syndicats et la Confindustria à collaborer mais – et la
précision est capitale – l’organisation patronale conservait toute son
indépendance. Il s’avérait difficile dans le contexte électoral de 1924 de se priver
de son soutien. Néanmoins, elle fut obligée par les accords signés au palais
Vidoni, siège du PNF, le 2 octobre 1925, à ne reconnaître comme interlocuteurs
que les syndicats fascistes. L’étape postérieure consista à placer le syndicalisme
sous le contrôle de l’Etat et à donner à une magistrature du travail la charge de
régler les conflits sociaux. La loi du 6 avril 1926, préparée par le ministre Rocco
et venant après celle du 3 avril interdisant les grèves, soumit la reconnaissance
officielle des syndicats à des conditions draconiennes : représenter au moins un
dixième des travailleurs d’une catégorie, assurer des charges éducatives et
d’assistance sociale et être dirigés par des personnalités à la foi nationale
irréprochable, autrement dit… fascistes ! Les corporations étaient officiellement
créées et confiées à un ministère des Corporations installé le 2 juillet 1926. Il
fallait un acte fondateur à cette œuvre sociale, ce fut la Charte du travail du
30 avril 1927. Composée de trente articles, elle rejetait le principe de la lutte des
classes, contraire aux intérêts de la nation, reconnaissait le capitalisme et la
propriété privée, garantissait les acquis sociaux29. Souvent présentée comme le
symbole de l’alliance entre le fascisme et le grand capital, elle n’en illustrait pas
moins la volonté du fascisme de prendre le contrôle des questions économiques
et sociales, de nier les intérêts individuels au profit de la masse et de chercher
une troisième voie entre capitalisme et communisme. La crise de 1929, nous le
verrons, accentua cette tendance profonde de la modernité fasciste. Le fascisme
prenait la voie du corporatisme qui confiait à l’Etat la direction de l’économie
sous une forme qu’il voulait dirigiste, sous une patine socialisante mais qui
laissait en vérité les travailleurs italiens sans réelle protection ni moyens de
défense.

La construction du totalitarisme est lancée


A force de parler de la normalisation du fascisme opérée par Mussolini,
d’évoquer la déconfiture des courants maximalistes, on en vient à oublier une
réalité pourtant incontournable. Mussolini lui-même lança la construction d’un
Etat totalitaire qui ne se limitait pas aux mesures liberticides et autoritaires de
1925-1926. Dès la prise du pouvoir, les premiers signes d’une évolution
particulière se firent sentir.
Le fascisme veilla tout d’abord à récupérer à son seul profit le patriotisme
afin d’apparaître comme le véritable et unique héritier des soldats de la Grande
Guerre et de l’aristocratie des tranchées. Le gouvernement créa ainsi une sorte
de monopole fasciste du culte de la patrie par une série de décrets et de
circulaires. L’école bien sûr jouait un rôle central dans cette action dont
l’ambition allait très loin. Il s’agissait ni plus ni moins de militariser
l’enseignement, étape indispensable pour la fascisation des enfants et
l’émergence de l’homme nouveau. Dès le 31 janvier 1923, le salut au drapeau fut
imposé dans les écoles. Les professeurs furent invités à organiser des voyages,
conçus comme des pèlerinages, auprès de la tombe du soldat inconnu à Rome.
Le mois suivant, une circulaire demanda la formation d’une garde d’honneur
pour les meilleurs élèves. Plus globalement, l’exposition du drapeau tricolore
devint obligatoire pendant toutes les cérémonies ou fêtes. De cette manière, le
fascisme pouvait espérer rassembler autour de lui tous les mouvements
patriotiques de diverses obédiences mais aussi la presque totalité de la
population attachée à la patrie, tout en mettant l’accent sur la nature
antipatriotique – et donc de traîtres – des opposants antifascistes30.
Dans le même temps, la fascisation de l’Etat passait par celle de ses
symboles. Là aussi, Mussolini lança très vite une première offensive puisqu’en
novembre 1922 le faisceau faisait son apparition sur le sceau du ministère des
Affaires étrangères – poste occupé par Mussolini lui-même – avant de figurer le
21 janvier 1923 sur l’une des faces des pièces de monnaie (l’autre étant occupée
par l’image du roi). A partir de décembre 1925 et de l’établissement de la
dictature, tout s’accéléra. Les faisceaux furent installés sur les bâtiments
ministériels, avant même de devenir l’emblème officiel de l’Etat. Mais quand
Mussolini voulut le faire apparaître sur le drapeau tricolore aux cotés de
l’écusson de la maison de Savoie qui en occupait le centre, Victor-Emmanuel III
s’y opposa catégoriquement, et le Duce préféra reculer31. Cet incident n’entrava
pas le mouvement général : le faisceau du licteur apparut sur les édifices, les
actes officiels, les ouvrages d’art jusqu’à remplacer les deux lions qui
soutenaient le blason des Savoie.
La mise en place du calendrier fasciste marquait la filiation directe avec la
Révolution française et l’œuvre de Fabre d’Eglantine. Elle illustrait leur
commune volonté de rompre avec le temps et d’inscrire l’homme dans un
environnement complètement nouveau, en dehors des racines chrétiennes du
pays. Mussolini en prit le premier l’initiative avec l’habitude prise à partir de
1925 de rajouter sous la date « 1er an de l’ère fasciste ». L’année suivante, cet
usage prit un caractère officiel avec l’obligation de faire figurer le nouvel an
fasciste en chiffre romain sur tous les actes officiels, puis sur l’ensemble des
documents administratifs. Le 29 octobre 1927 ouvrait l’an VI de l’ère fasciste32.
En toute logique, la marche sur Rome devint l’acte fondateur qu’il convenait de
célébrer avec un faste particulier. Comme le 14 juillet 1789 ou le 24 octobre
1917, la date anniversaire donnait lieu à des festivités étalées sur plusieurs jours
(du 28 au 31 octobre). Elles permettaient de mettre en scène le fascisme dans
une scénographie qui exaltait ses idéaux, ses pratiques, sa force, ses hommes et
le premier d’entre eux.
Si en 1919 Mussolini n’était qu’un chef parmi d’autres au sein du fascisme
protéiforme, il réussit à affirmer son autorité jusqu’à devenir en 1922 celui qui
avait permis l’accession au pouvoir. Avec les années, le processus
d’identification au fascisme s’accéléra, avec la concentration des pouvoirs entre
ses mains, en tant que chef du gouvernement et Duce. Le mythe Mussolini,
préexistant au fascisme – souvenons-nous de sa popularité auprès des jeunes
militants socialistes avant 1914 qu’avait brisée le choix interventionniste –,
connut une amplification très forte. Nous aurons l’occasion, plus loin, d’étudier
l’œuvre et l’influence des services de propagande jusque dans la vie quotidienne
des Italiens. Contentons-nous pour le moment de noter que le PNF joua un rôle
non négligeable dans la mise en place du culte de la personnalité autour de
Mussolini en remplacement de celui du faisceau. Turati ne ménagea aucun effort
pour pousser à cette « mussolinisation » du fascisme33, favorisée par les réformes
institutionnelles et les nouveaux statuts du parti de 1926. L’habileté du
Romagnol à utiliser les rivalités entre les courants, à jouer des ambitions des uns
contre les autres, à neutraliser ses adversaires par une posture toujours plus forte
d’arbitre finit par le rendre indispensable au maintien du fascisme au pouvoir.
Son incroyable charisme, sa force de conviction, sa personnalité hors du
commun, ses succès personnels comme ceux obtenus pour l’Italie suscitèrent des
fidélités que seuls les désastres de la Seconde Guerre mondiale finirent par
émousser, et encore pas chez tous les responsables du régime !
Le totalitarisme en gestation se manifestait aussi par l’infiltration de l’Etat
dans la vie privée des Italiens. La fin du système libéral coïncida avec la mise en
place de structures sociales d’encadrement idéologique très connues : l’Opera
nazionale del Dopolavoro (« Œuvre nationale de l’après-travail ») fondée en
mai 1925 et chargée sous la dépendance du Duce de prendre en charge le temps
libre des travailleurs tandis qu’un an plus tard, en avril 1926, voyait le jour
l’Opera nazionale Balilla (Œuvre nationale Balilla, du nom d’un jeune héros du
Risorgimento, ou ONB) grâce à laquelle le régime davantage que le parti
organisait l’éducation physique et politique des jeunes hommes de 8 à 18 ans34.
L’autre champ de bataille du fascisme, typique d’un système totalitaire, se
trouvait dans la chambre à coucher des Italiens puisque l’Etat s’intéressa de très
près à leur fécondité. Il ne s’agissait pas d’une simple question démographique
et d’un souci de voir la population croître, mais d’un problème idéologique très
vaste englobant aussi bien des aspects sociaux intérieurs que des problématiques
extérieures. Une loi du 30 décembre 1925 créa l’Opera nazionale maternità e
infanzia (Œuvre nationale de la maternité et de l’enfance) destinée à protéger les
mères et à favoriser les naissances. La taxe sur les célibataires, instituée le
13 février 1927, autant que les mesures prises contre les homosexuels illustraient
cette volonté prolifique mais aussi l’ambition de transformer les Italiens, leurs
habitudes, leurs mœurs, leur mentalité. On a souvent voulu voir dans ces
décisions l’expression du virage conservateur du fascisme. Pourtant il nous faut
là aussi nuancer cette vision. L’alliance purement conjoncturelle avec les forces
conservatrices n’effaça jamais le caractère moderne du fascisme, y compris dans
ses réalisations les plus traditionnelles, voire réactionnaires en apparence.
Arrêtons-nous un instant sur un discours fameux de Mussolini, celui dit de
l’Ascension, prononcé le 26 mai 1927 dans l’enceinte de Montecitorio. Après
avoir récité la litanie des mesures d’amélioration du quotidien, de lutte contre les
maladies, l’alcoolisme – en un mot d’hygiénisme social –, prises par son
gouvernement depuis cinq ans, il en vint à la question centrale de son exposé : le
problème démographique. L’Italie souffrait d’une dénatalité qui asséchait la
nation et affaiblissait sa puissance par rapport aux autres peuples. En prenant
l’exemple de la Basilicate, région du sud du pays parmi les plus pauvres où des
hommes virils faisaient beaucoup d’enfants à leur épouse, il désignait le
responsable : le monde industriel et urbain. Le fascisme prenait des allures d’un
ruralisme exaltant le monde paysan et sa culture. L’aspect antimoderne du
discours cachait en fait la permanence de références modernes dans les
instruments qui seraient utilisés pour redresser la situation et remettre les Italiens
dans le droit chemin : l’encadrement par les structures du parti, la coercition de
l’Etat, les moyens de propagande. Le discours de l’Ascension mettait aussi en
lumière les préoccupations raciales du chef du fascisme. Cette question des races
dominait l’horizon intellectuel et politique européen depuis la fin du XIXe siècle.
Bien loin de se limiter aux courants nationalistes, elle imprégnait tout autant les
débats de l’univers progressiste en général (souvenons-nous des discours
lyriques de Victor Hugo et de Jules Ferry en faveur de la colonisation de
l’Afrique) mais aussi des mouvements socialistes. Ces derniers furent très
sensibles au problème des races et de leur opposition, à la problématique de
l’eugénisme, de la qualité des corps et de la quantité des populations. Mussolini
en subit forcément l’influence35, sans parler de la manière dont il interpréta
Nietzsche.
Un autre philosophe allemand l’influença : Oswald Spengler, auteur du
célèbre livre Le Déclin de l’Occident publié en deux tomes en 1918 et 1922. La
dénatalité y était perçue comme le signe de la dégénérescence des races et des
nations, le signe des peuples faibles, le prélude à leur disparition, alors même
que l’Occident s’était toujours caractérisé par l’agressivité de ses populations.
En somme, forte démographie, combativité et expansion se trouvaient
inextricablement liées. Les thèses de Spengler se diffusèrent très vite en Italie, et
Mussolini s’y intéressa de près, à tel point qu’il prit conscience du problème
démographique au tournant de 1926 et 1927. D’où les mesures prises pour
revitaliser la fécondité des Italiens. Encore plus intéressante était la préface que
Mussolini rédigea pour la version italienne du livre d’un disciple du maître
allemand, Richard Korherr, au titre évocateur, Régression des naissances : mort
des peuples (1928) et dans laquelle il écrivit : « La race blanche dans son
ensemble, la race de l’Occident risque d’être submergée par les autres races de
couleur qui se multiplient à un rythme inconnu de la nôtre. Noirs et Jaunes sont
donc à nos portes. »
Gardons à l’esprit que cette obsession raciale ne correspondait pas à celle
que développaient les nationaux-socialistes puisqu’on ne parlait pas ici de
préserver la pureté biologique d’une race mais de défendre une identité
spirituelle et nationale d’un peuple, d’où le rôle crucial accordé au combat
culturel. Le fascisme en transformant l’homme sous la direction de l’Etat allait
sauver les Italiens et par là même le reste de l’Occident. On en revenait donc au
projet anthropologique fasciste qui nécessitait de contrôler les Italiens et leur
existence tout entière36. Mais il portait aussi une dynamique agressive dans le
sens où leur régénération devait servir à l’expansion territoriale du pays, comme
nous aurons l’occasion de le voir plus loin. Cette forme de racisme rattachait en
tout cas le fascisme à la modernité de son temps puisque les questionnements
raciaux étaient une caractéristique majeure depuis le XIXe siècle et touchaient
tous les types de régime.

L’infiltration du monde intellectuel


Le fascisme entretint des relations très complexes avec le monde intellectuel.
Une fois évacué le stéréotype faisant du gouvernement mussolinien un ramassis
de brutes épaisses, force est de reconnaître deux évidences. D’une part, le régime
donna lieu à un foisonnement de revues, de journaux, d’ouvrages, de travaux
intellectuels et de débats parfois de grande portée. D’autre part, les dirigeants
fascistes, mélange complexe d’hommes agressifs et de journalistes à la plume
acérée, professaient un anti-intellectualisme qui a souvent été mal interprété. Il
s’agissait en fait d’une critique de l’intellectuel dans sa tour d’ivoire coupé des
réalités vives de la nation, et non de la culture en tant que telle37. D’ailleurs, le
monde des lettres subit une attraction très forte de la part de ce régime totalitaire,
comme ce fut aussi le cas avec le marxisme sous toutes ses formes, y compris les
plus brutales (le stalinisme cher à Aragon), mais aussi avec le national-
socialisme magnifié par Brasillach. Le fascisme lança sa propre conquête de la
culture et n’exerça jamais de réelle contrainte sur les intellectuels, trouvant plus
pertinent, habile et efficace de leur laisser une certaine marge d’autonomie. Au-
delà du souci de respectabilité à l’intérieur même du pays comme à l’extérieur, la
nécessité d’assurer la cohésion des courants hétéroclites commandait une
utilisation subtile du monde lettré38. Notons que ce souci n’empêcha jamais la
propagande la plus grossière de fonctionner à plein régime !
La plus belle prise fut sans conteste le philosophe Giovanni Gentile, ministre
de l’Instruction publique et auteur de la réforme controversée de 1923. Après sa
démission du 1er juillet 1924, Mussolini lui confia une œuvre capitale : la
rédaction d’un manifeste des intellectuels. Cette décision reflétait une
préoccupation somme toute assez nouvelle chez lui. En effet, à l’aube du régime,
les dirigeants fascistes s’étaient désintéressés des questions culturelles, même si
certaines voix comme celle de Bottai s’étaient vite élevées pour rappeler
l’importance cruciale de la pensée même pour un mouvement exaltant la force et
l’action. La crise Matteotti, pendant laquelle plusieurs intellectuels se dressèrent
contre le régime, marqua alors un réel tournant en favorisant une prise de
conscience. En effet, jusque-là, le fascisme avait pu bénéficier de l’appui sans
réserve du philosophe et historien Benedetto Croce, qui voyait dans ce
mouvement le meilleur rempart contre le désordre, l’anarchie et la subversion.
Sénateur depuis 1910, ministre de l’Instruction publique de Giolitti entre 1920
et 1921, il appelait de ses vœux l’établissement d’un exécutif fort par réflexe
conservateur de la nation et de l’Etat, allant jusqu’à légitimer la violence. Mais il
n’en considérait pas moins le fascisme comme un expédient provisoire qui, après
avoir restauré l’autorité dans le pays, accepterait de se retirer, avec le sentiment
du devoir accompli, au profit de l’ancienne classe dirigeante39. Ainsi vota-t-il en
faveur du gouvernement Mussolini lors de la séance au Sénat du 24 juin 1924.
Mais peu à peu le voile se déchira, et le véritable visage du fascisme lui apparut :
il n’avait pas l’intention d’abandonner le pouvoir. Dès lors, la rupture fut
consommée.
Le régime avait donc besoin de rallier autour de lui de grands noms de la
pensée italienne. Le Bureau propagande du PNF organisa du 29 au 30 mars 1925
à Bologne un congrès qui réunit, sous l’égide de Giovanni Gentile, près de 250
intellectuels. Cette démonstration de force déboucha sur la rédaction du
Manifeste des intellectuels italiens fascistes aux intellectuels de toutes les
Nations publié le 21 avril, date anniversaire de la naissance de Rome. Gentile,
qui en fut le rédacteur, tentait de tracer les contours idéologiques du fascisme
présenté comme un mouvement de l’esprit incarnant l’essence même de la
nation italienne, l’héritier direct des idéaux de Mazzini et du Risorgimento. Le
système libéral y était durement attaqué pour son individualisme qu’il insinuait
dans la société, ce qui permettait de justifier l’établissement d’un régime
nouveau, fondé sur l’autorité et le sens du collectif. De grands noms de la
littérature apposèrent leur signature au bas du Manifeste de Gentile : Ugo
Spirito, Filippo Marinetti, Ugo Ojetti, Malaparte, Luigi Pirandello, Gioacchino
Volpe, etc. Mais c’était sans compter avec la contre-offensive lancée
immédiatement après par Benedetto Croce. Rassemblant 224 intellectuels (dont
Luigi Albertini, Luigi Salvatorelli, Gaetano Salvemini, Luigi Einaudi), il rédigea
une Réponse des écrivains, professeurs et publicistes italiens au manifeste des
intellectuels fascistes, sur une proposition d’Amendola qui la publia dans son
journal Il Mondo, le 1er mai 1925. Aussitôt devenu le Manifeste des intellectuels
antifascistes, le texte dénonçait l’engagement jugé indigne dans les luttes
politiques, appelait à la défense des libertés et condamnait l’idée maîtresse de
Gentile de faire du fascisme une religion40.
Cette réaction qui humilia Gentile n’empêcha pas le fascisme de poursuivre
sa route. Le ralliement massif des grands esprits restait l’objectif prioritaire qui
se trouvait au cœur d’une autre initiative prise au congrès de Bologne : la
création d’un Institut national de culture fasciste (INCF). Inauguré le
14 décembre 1925 à Florence où il siégea jusqu’à son transfert à Rome le 6 août
1926, il fut placé sous la présidence de Gentile. Or, son autorité restait de façade
puisque lui-même et ses vice-présidents étaient nommés par Mussolini, tandis
que de nombreux fascistes siégeaient dans le conseil d’administration41. Bref,
l’INCF demeurait sous le contrôle étroit du PNF, tout comme le fut dans une
certaine mesure la grande réussite du fascisme en matière culturelle, la mise en
œuvre et la rédaction de l’Encyclopédie italienne. Ce vaste projet émergea de
l’Institut de l’Encyclopédie italienne fondé à Rome le 18 février 1925 sous
l’autorité de l’industriel Giovanni Treccani et de l’incontournable Gentile
décidément couvert d’honneurs, et présidée par le prix Nobel de physique
Guglielmo Marconi. Avec beaucoup plus d’efficacité qu’en eut son Manifeste,
Gentile parvint à rassembler l’immense majorité des hommes de lettres italiens,
à de rares exceptions près (Croce), attirés par l’appel au patriotisme culturel à
moins que ce ne fût par l’ambition personnelle… Les contributeurs comme les
historiens se divisent autour de la question de l’objectivité scientifique d’une
œuvre dans laquelle Mussolini lui-même a écrit l’article « Fascismo » en 1932. Il
est certain que le caractère politique de l’entreprise lui donna immédiatement un
contenu idéologique qu’il serait vain de nier. Cela dit, le régime laissa une très
grande autonomie aux participants qui bénéficièrent d’une marge de manœuvre
comme aucun autre secteur de la société ne put en revendiquer. De plus,
l’influence catholique conservatrice renforcée par la Conciliation de 1929 avec
le Saint-Siège pesa très fortement et orienta les écrits dans un sens assez éloigné
de la matrice risorgimentale de la pensée de Gentile ou du fascisme le plus pur42.
Dans le même temps, un vaste réseau d’instituts culturels fascistes fut mis en
place dans le but d’imprimer une marque idéologique au monde des idées. En
plus de l’INCF et de toutes ses antennes provinciales, des organismes locaux
virent le jour comme l’Institut de culture fasciste à Milan sur l’initiative de Dino
Alfieri, et de l’université fasciste de Bologne créée par Leandro Arpinati.
D’autres subirent un processus de fascisation de l’intérieur, comme la vénérable
association nationaliste Dante Alighieri présidée par le non moins vénérable
Paolo Boselli qui reçut en 1924 la carte du parti ad honorem. L’institution
accueillit peu à peu des fascistes aux postes de responsabilité, ce qui lui fit
perdre son autonomie. D’autres établissements à vocation scientifique furent
directement créés par le pouvoir. Pour la période entre 1924 et 1925, citons
l’Ecole d’histoire moderne et contemporaine, l’Institut d’études romaines,
l’Ecole de sciences politiques, l’université de Milan. Tous avaient une commune
nature hybride, entre rigueur scientifique et objectifs politiques fixés par l’Etat,
les deux éléments s’imbriquant inextricablement. La volonté de concurrencer la
France et sa culture, qui avait tant influencé celle de l’Italie, conduisit à
l’inauguration, le 28 septembre 1929, de l’Académie d’Italie. Avec un
recrutement sur proposition du chef du gouvernement et un président membre du
Grand Conseil fasciste, elle perdait dès son origine toute indépendance par
rapport au pouvoir. A la fois lieu d’excellence pour la promotion d’une culture
spécifiquement italienne et formidable hochet pour satisfaire ambition et vanité,
l’Académie d’Italie démontrait au monde entier la fusion entre fascisme et
culture43. Elle illustrait la volonté de Mussolini d’assurer à son régime un
prestige international. Le ralliement des intellectuels prestigieux en était la
preuve.
A ce stade de la réflexion, il faut en effet poser la question des motivations
profondes de ces érudits dans leur participation au fascisme. Certes, chaque
individu offrait ses propres spécificités et, comme l’a écrit l’historien Frédéric
Attal, « on peut avoir été antifasciste en 1922, fasciste en 1925 – ou l’inverse –,
circonspect voire hostile jusqu’à ce que le consensus dont bénéficie le régime
emporte l’adhésion de l’intellectuel réticent44 ». Toutefois, à l’intersection de
tous ces parcours hétéroclites se trouvait la réponse que le fascisme apportait aux
déficiences historiques de l’Italie : la faiblesse, voire l’absence d’une culture
nationale solide, le fossé séparant le peuple de ses élites, l’absence d’intégration
des masses dans l’Etat, bref l’interruption du processus du Risorgimento
provoquée par les dirigeants post-unitaires. Les intellectuels ralliés à l’Etat
totalitaire se croyaient dès lors investis de la mission de réussir là où le régime
libéral avait échoué45. Ils perçurent l’ambition du fascisme d’agir sur l’âme, sans
se contenter d’améliorer des conditions matérielles chères au socialisme et au
libéralisme. Il offrait donc une réponse à la crise générale traversée par
l’Occident. Ce point contribua dans une très large mesure à l’adhésion des
intellectuels.
Toutefois, l’emprise sur le monde de la culture aurait été incomplète sans la
fascisation de l’enseignement. A partir de la seconde moitié des années 1920 et
de l’échec de la réforme Gentile, l’Etat s’intéressa au lycée et à l’université. Pour
l’enseignement secondaire, l’introduction d’un « livre unique d’Etat » en 1928 et
de matières jugées spécifiquement fascistes comme la culture militaire devait
compléter le travail des Balilla. En ce qui concerne l’université, la situation
s’avérait paradoxale. Le Manifeste antifasciste de Croce avait montré le
caractère frondeur du monde universitaire qui, pourtant, ne subit aucune
épuration qui pourrait être comparée aux 600 universitaires allemands chassés
dès décembre 1934. Les durs du régime ne manquaient pas de s’en plaindre,
présentant l’université comme « le dernier réduit des ennemis de l’Etat ». Certes,
de prestigieux professeurs durent céder leur poste, quitter le pays comme
Salvemini ou Nitti, mais avant tout parce qu’ils étaient engagés dans le combat
politique. D’autres bénéficièrent d’une mansuétude à peine croyable dans un
Etat totalitaire. Prenons l’exemple d’Umberto Ricci, professeur antifasciste
d’économie politique à l’université de Rome d’où il fut renvoyé en 1928 avant
de recevoir l’autorisation de Mussolini lui-même d’enseigner à l’université
du Caire et de revenir en Italie pour les vacances d’été ! Ou celui de Luigi
Montemartini, professeur de botanique à Pavie, destitué en 1926, placé en
résidence surveillée et qui, une fois libéré deux ans plus tard, reçut une chaire à
l’université de Palerme. Néanmoins, le pouvoir fasciste tenait solidement entre
ses mains les structures universitaires via les recteurs ou les présidents aux
ordres, tandis que l’échelle de mesures répressives permettait d’éviter la
destitution pure et simple comme le transfert dans des postes peu recherchés au
fin fond du pays46. Il pouvait en outre compter sur l’adhésion active ou passive
des universitaires attachés à ne pas perdre leur poste ou à en obtenir un…

La révolution au milieu du gué


Tout ce train de mesures posant les bases d’un régime totalitaire non
seulement n’apaisait pas les tensions internes au fascisme mais engendrait une
nouvelle interrogation sur la voie à suivre. Fallait-il considérer la révolution
fasciste comme accomplie par les multiples lois et décisions prises entre 1925
et 1929 comme l’affirmaient les « modérés » du mouvement, prêts à se contenter
d’un fascisme autoritaire ? Ou le régime devait-il aller plus loin encore, relancer
le processus révolutionnaire, en considérant cette période de compromis comme
une étape certes cruciale mais insuffisante, comme le pensaient les tenants du
fascisme totalitaire47 ?
L’aile gauche du PNF assistait impuissante à la normalisation mussolinienne
qu’elle avait cru affaiblie avec le discours du 3 janvier 1925. L’écrivain
Malaparte, l’un de ses plus virulents porte-paroles, comprit en fait très vite la
manœuvre. Dès le 4 janvier, il écrivit un article critique dans sa revue Conquista
dello Stato qui montrait qu’il ne tombait pas dans les filets mussoliniens : « Que
signifie cette manie de faire passer pour révolutionnaire un climat réactionnaire ?
Sommes-nous fascistes ou rétrogrades ? » La publication fut séquestrée par les
autorités ! Mais il récidiva quinze jours plus tard avec un texte au vitriol : « Le
fascisme révolutionnaire a donc été encore une fois pris au lasso de la politique
de normalisation du Gouvernement. Encore une fois l’honorable Mussolini a
réussi à imposer au fascisme sa volonté décidée de normalisation48. »
Cette normalisation ne convenait pas non plus à Bottai. La certitude que le
tournant de janvier 1925 n’en était pas un le poussa à se rapprocher des
intransigeants avec lesquels il avait pourtant polémiqué après 1922. Le 15 juillet
1924, en pleine affaire Matteotti, il répéta son credo révolutionnaire à ceux qui
en doutaient : « Nous n’avons pas le pouvoir parce que nous avons fait la
révolution, mais nous avons le pouvoir parce que nous devons faire la
révolution49. » Cependant, sa proximité avec les ultras ne dura pas. Bottai,
fasciste révolutionnaire rêvant d’un Etat nouveau, n’en était pas pour autant un
fanatique. Il n’avalisa pas les outrances du secrétaire général Farinacci et lança
cet avertissement : « Si aujourd’hui, une fois le camp des ennemis déserté, nous
continuions à nous maintenir en instance de guerre, nous ne serions pas une
révolution politique en marche mais la reproduction agrandie et pourtant
fidèlement exacte de l’un de ses “pronunciamento” d’une république sud-
américaine. Nous voulons qu’à travers le Parti on arrive à l’Etat et que cet Etat
soit créé avec des formes nouvelles mais surtout avec un esprit nouveau. Il faut
toutefois abandonner la rhétorique extrémiste qui a été jusqu’à aujourd’hui le
plat dominical de nos troupes50. » Le fascisme n’était pas réaction. Comme il
l’écrivit en 1924 : « Si notre révolution intellectuelle se rattache au grand sillon
de la critique de la Révolution française, cela ne signifie pas que le Fascisme
s’identifie à la critique négative d’un Bonald, d’un Maistre, d’un Burke, d’un
Taine rejetant l’idée même de l’Etat national qui est à la base de la Révolution
fasciste51. » Chez lui, le rejet de 1789 concernait l’individualisme, les libertés
civiles, l’atomisation du citoyen, les droits de l’homme. Tous ces héritages
néfastes devaient être soumis à la volonté collective dans laquelle Rousseau
avait vu le meilleur moyen de limiter le risque de dissolution du corps social,
ainsi qu’à l’autorité qui seule avait la capacité de protéger les personnes. Ce fut à
ce titre que ce partisan convaincu du corporatisme qu’était Bottai se rapprocha
des positions de Mussolini lorsque celui-ci attaqua les thèses de Rossoni sur le
syndicalisme intégral et posa les fondements de l’Etat corporatiste. En toute
logique, Mussolini lui confia en 1926 le sous-secrétariat d’Etat aux
Corporations, ce qui lui permit de préparer le texte de la Charte du travail que
finalisa Rocco, le ministre de la Justice. Pour Bottai, il s’agissait bien d’un point
de départ pour établir un nouveau contrat social capable d’unir tous les
travailleurs, quels qu’ils fussent, autour de la nation52.
De son côté, Farinacci ne restait ni silencieux ni inactif et constituait toujours
une menace potentielle pour le pouvoir en place à Rome. On s’en aperçut avec la
tournée qu’il effectua peu après sa destitution en Vénétie et dans le Frioul où des
foules nombreuses l’acclamèrent. Turati, son successeur, n’entendait pas lui
laisser une quelconque marge de manœuvre susceptible de le concurrencer. Il
renvoya donc très vite les plus proches collaborateurs de Farinacci et réorganisa
en sa faveur les sections locales du PNF. Mais le ras utilisait aussi son journal
rebaptisé en 1926 Il Regime fascista et y attaquait la politique du gouvernement
à coups d’éditoriaux incendiaires. Les polémiques prirent un tour si vif que
même la presse étrangère s’en fit l’écho. Mussolini, fatigué de ces attaques
incessantes, tentait de le modérer soit par l’intermédiaire du préfet de Crémone,
soit par le biais de la correspondance écrite que les deux hommes entretenaient.
Farinacci y protestait toujours de sa fidélité, comme dans cette lettre datée du
8 juillet : « Je savais, depuis que j’étais secrétaire, que tu étais injustement et
naïvement froissé de ma force. Je savais que beaucoup ont alimenté des
suspicions mais j’ai toujours espéré qu’en te servant avec dévotion tu te serais
persuadé de la mauvaise foi d’autrui et de ma loyauté. Et il n’y eut pas une
manifestation […] dans laquelle je n’ai déclaré ton absolue suprématie sur tous,
jusqu’au point de dire à Milan le 28 mars 1926 que seul Jésus-Christ pouvait te
remplacer. » Le Duce lui répondit sous forme d’un ordre et d’un avertissement :
« Encore une fois, et c’est la dernière, je te le répète : obéis à Turati, en perdant
cet air d’antipape qui attend ou fait mine d’attendre son heure ; réconcilie-toi
avec Federzoni qui n’a pas de rancœur envers toi, qui ne mérite pas tes soupçons
et qui est un serviteur fidèle du régime. Réconcilie-toi avec Balbo qui a lui aussi
des mérites indiscutables envers le parti […]. Et surtout évite la maçonnerie.
L’atmosphère s’éclaircira ; l’avenir te sera ouvert et les adversaires n’auront pas
la joie de te voir banni de la vie politique. Rappelle-toi que quiconque sort du
parti tombe et meurt53. »
Peine perdue. Farinacci maintenait la pression pour que la révolution fasciste
allât toujours plus loin. Il entrait dans une sorte de combat personnel contre le
groupe de ses ennemis formé de Turati, de Balbo devenu en 1926 sous-secrétaire
d’Etat à l’Aéronautique, du ministre de l’Intérieur Federzoni et d’Arnaldo
Mussolini, le propre frère du Duce et directeur du Popolo d’Italia. A l’été 1926,
la menace sembla se préciser et d’étranges rumeurs de coup d’Etat par les ultras
fascistes se mirent à circuler. Un opuscule rédigé par des intransigeants en juillet
dénonçait l’infiltration des nationalistes au sein du PNF, appelait les fascistes à la
mobilisation afin de lancer « une œuvre de clarification interne54 ». Tandis que
Turati continuait son épuration dans le parti, le gouvernement plaça alors le ras
de Crémone sous une surveillance pointilleuse, lisant ses lettres, écoutant ses
conversations téléphoniques, noyautant son entourage. C’était peut-être là le
sens de la phrase de Mussolini : « Rappelle-toi que quiconque sort du parti
tombe et meurt. » Quoi qu’il en fût, Farinacci n’offrit jamais à ses adversaires
l’occasion de l’abattre. Très prudent, il se tint toujours dans les limites
acceptables de la fronde, cherchant davantage à consolider son pouvoir dans les
provinces pour mieux peser à l’intérieur du parti et orienter le pouvoir dans un
sens révolutionnaire et totalitaire.
L’attentat de Zamboni de 1926 contre Mussolini jeta néanmoins le trouble.
S’il entraîna la chute de son pire ennemi Federzoni et le vote de loi sur la sûreté
de l’Etat qu’il approuva, Farinacci ne put en tirer profit. En effet, son nom fut
associé aux diverses hypothèses qui circulaient à propos d’une manipulation du
jeune homme par les durs du fascisme ou par des dissidents liés à la franc-
maçonnerie. Turati et le frère du Duce Arnaldo Mussolini, de leurs côtés,
n’avaient aucun doute quant à l’implication de Farinacci et de ses proches dans
la tentative d’élimination du Duce. La police quant à elle s’orientait aussi dans
cette direction jusqu’à ce que l’enquête fût brusquement interrompue. Encore
aujourd’hui les preuves manquent pour incriminer directement Farinacci qui ne
pardonna jamais à Turati sa tentative de le compromettre55.
En fait, le ras de Crémone avait saisi les limites de la dictature installée en
1926 et surtout la subordination du parti à l’Etat. Il maintenait la pression dans
Regime fascista qu’Arnaldo Mussolini jugeait en ces termes : « Un journal
dangereux parce que sous la forme d’une solidarité enthousiaste il ne fait qu’une
critique destructrice, conforme à la mentalité superficielle de la politique et plus
dangereuse que la critique des adversaires56. » Pis encore, son nom était scandé
par des militants lors des manifestations publiques dans plusieurs grandes villes
du pays. Lui-même entra dans la danse à l’occasion des célébrations pour
l’anniversaire de la marche sur Rome en octobre 1928 avec un discours offensif :
« Les opportunistes, les ambitieux, ceux qui ont tiré profit du fascisme ne
peuvent trouver de place dans nos rangs. Chaque fasciste doit être le carabinier
de l’autre. Un danger, pour un parti, ne peut venir des adversaires qui n’existent
plus mais peut venir des partisans qui ne suivent pas une direction morale
indispensable ! » Puis s’adressant directement à la foule avec toute la force de sa
voix, il lança : « Si depuis huit ans, je reste à votre tête et je suis digne de vous,
c’est parce que je connais un secret : la droiture morale et politique de chacun de
mes actes. Sur ce terrain, j’accepte la lutte d’où qu’elle vienne. »
Cette propension à attaquer le PNF sur le terrain de la morale et de
l’honnêteté, à en dénoncer la corruption rampante, insupportait Mussolini qui en
voyait tous les dangers. Il relança donc les hostilités contre le frondeur.
Lorsqu’en novembre 1927 celui-ci fit jouer à Crémone sa propre pièce de théâtre
aux qualités littéraires certes discutables mais surtout au ton subversif, la
sentence tomba très vite : elle fut interdite57 ! Puis en juillet 1928, le dictateur
nomma Turati et Carini lieutenants généraux de la Milice. Farinacci protesta
alors avec véhémence contre son exclusion. Comble de l’ironie dans laquelle la
politique peut parfois pousser les hommes, le super-fasciste de Crémone se
rapprocha de la monarchie qu’il ne cessait de flatter pour mieux jouer de la
dyarchie entre Victor-Emmanuel III et Mussolini et se distinguer du
républicanisme de son ennemi juré Balbo. « La monarchie – organisatrice de la
lutte pour l’indépendance, […] interprète et réalisatrice de la volonté de la
Nation – est et sera toujours pour nous le vénéré et aimé symbole de l’unité de la
Patrie, de la continuité spirituelle du temps […]. Mais la Monarchie est aussi
pour nous la suprême force modératrice des contrastes nationaux, l’arbitre
suprême qui au nom et par mandat de la Nation sait dans le moment où se décide
le sort de la Patrie, prononcer la parole souveraine et sans appel, choisir et
indiquer la voie58. » Cet article paru dans Regime fascista du 31 mai 1927 fut lu
par Mussolini qui en souligna certains passages. Malgré une tentative de
réconciliation avec Turati qui fit long feu, Farinacci ne pliait pas. Ce fut sans
doute la raison pour laquelle le Duce finit par le sortir de sa quarantaine et par le
faire entrer au sein du Grand Conseil fasciste en septembre 1928 sans que leurs
rapports en fussent apaisés pour autant. Les échanges acrimonieux ne cessèrent
en fait jamais entre les deux hommes qui pourtant ne s’engagèrent jamais au-
delà de la ligne de non-retour, Farinacci sur la voie du putsch et Mussolini sur
celle de l’expulsion ou de l’arrestation, manifestant ainsi une mansuétude dont
d’autres dissidents ne purent bénéficier59.
Le Duce, ayant circonscrit l’incendie, pouvait désormais lancer son régime
dans une nouvelle phase de la révolution telle qu’il la concevait.
6
Le fascisme aux commandes

Rome vaut bien une messe


Malgré de timides rapprochements, le divorce entre la papauté et l’Etat
italien, né de la prise de Rome le 20 septembre 1870 par les troupes de Victor-
Emmanuel II, demeurait complet. Il n’y avait pas de place dans la ville éternelle
pour deux souverains. La Grande Guerre avait favorisé un certain apaisement, le
clergé italien ayant assumé ses devoirs patriotiques malgré le neutralisme du
Saint-Siège. Les derniers gouvernements libéraux tentèrent alors de battre le fer
encore chaud mais les amorces de discussions s’enlisèrent rapidement. Si le pape
ne fulminait plus de condamnations contre l’Italie, il restait privé d’Etat
indépendant, confiné dans le Vatican d’où il ne sortait toujours pas. Une partie
du clergé ne cachait pas son hostilité à l’encontre du laïcisme agressif des
autorités publiques, tandis que la masse des fidèles adoptait des attitudes très
variées, marquées tout de même par une inexorable intégration politique.
La révolution fasciste allait-elle permettre de réaliser l’impensable, à savoir
la réconciliation entre l’Eglise et l’Italie ? A première vue, non. L’idéologie
fasciste, aussi confuse fût-elle, ne correspondait guère au message du Christ et à
l’enseignement de son Eglise. Le mouvement avait tout d’abord hérité aussi bien
du Risorgimento, du futurisme que du socialisme une hostilité à l’encontre du
catholicisme qui dépassait les limites de l’anticléricalisme militant pour devenir
franchement antireligieuse. Les prêtres appartenaient au monde ancien et
traditionnel, gardiens d’une société qu’ils voulaient immobile, celle des
hiérarchies immuables, du conservatisme et des traditions. Ils professaient une
vision de l’homme incompatible avec celle du fascisme. La Grande Guerre
révéla ensuite aux yeux des fascistes les dangers du pacifisme chrétien qui fit des
prêtres des traîtres potentiels animés d’un défaitisme guère différent de celui des
socialistes. Enfin, la violence politique, matrice essentielle de l’âme fasciste,
cohabitait mal avec les valeurs catholiques.
Pourtant, l’incompatibilité entre la Croix et le Faisceau se situait bien au-
delà de ces divergences politiques, aussi fortes fussent-elles. On la trouvait dans
deux caractéristiques majeures du fascisme : sa propre religiosité et son projet
anthropologique. Le mouvement trouvait l’une de ses matrices dans le refus du
rationalisme caractéristique de la pensée du XIXe siècle et dans la volonté de
donner à l’action politique une spiritualité. L’idéal comme moteur de l’Histoire,
c’était ce que Mussolini voulait dire lorsqu’il affirma en janvier 1922 : « Si le
fascisme n’était pas une foi, comment donnerait-il le stoïcisme et le courage à
ses partisans1 ? » Question cruciale en effet et à laquelle les squadristes
répondaient à leur manière. Ils entraient dans la lutte afin de préserver la patrie,
objet de leur foi et de leur vénération, de tous les dangers qui la menaçaient. On
se souvient des rituels religieux du squadrisme, de sa liturgie sacralisante, de
cette émotion quasi mystique qui touchait les jeunes intégrants. Mais avec la
prise du pouvoir, il fallait là aussi canaliser les pulsions anarchisantes du
mouvement en faveur de l’Etat. Le gouvernement s’employa dès lors à codifier
les croyances fascistes, à consolider la sacralisation de la nation et de l’Etat et à
instituer une religion laïque et politique dont il serait le premier bénéficiaire2.
Le culte de la patrie autant que la religion civile reliaient directement le
fascisme aux révolutionnaires français qui en leur temps sacralisèrent la
Révolution comme œuvre de rédemption et de régénération, comme nouveau
baptême pour la France et l’humanité3. Plusieurs penseurs comme Giovanni
Gentile virent aussi dans la religiosité du fascisme l’accomplissement des
promesses de Mazzini et du Risorgimento sur l’adoration de la nation. Mussolini
utilisa en 1932 son article sur le « Fascismo » dans l’Encyclopédie italienne pour
affirmer : « Le Fascisme est une conception religieuse de la vie dans laquelle
l’homme est perçu dans son rapport immanent à une loi supérieure, à une
volonté objective, qui transcende l’individu et l’élève au rang de membre
conscient d’une communauté spirituelle. » Et encore avait-il dû revoir, sous la
pression de Pie XI, le premier jet rédigé par Gentile afin de rappeler
l’importance du catholicisme.
Car les fascistes, et le premier d’entre eux, exécraient au fond le
christianisme, religion des faibles, corruption de l’âme virile des Italiens,
croyance amollissante. Le Mussolini socialiste et déjà violent s’était déchaîné
contre la religion ancestrale. Ecoutons-le en 1908 : « Nous sommes résolument
antichrétiens et nous considérons le christianisme comme un stigmate immortel
de l’opprobre de l’humanité4. » Se mêlaient ainsi dans son esprit aussi bien un
certain héritage des Lumières que de Nietzsche. Rousseau, le père de la religion
patriotique, n’avait-il pas affirmé dans le dernier chapitre du Contrat social que
« le christianisme ne prêche que servitude et dépendance. Son esprit est trop
favorable à la tyrannie pour qu’elle n’en profite pas toujours. Les vrais chrétiens
sont faits pour être esclaves ». Les fascistes, en déifiant l’Etat, ne renièrent pas la
conclusion du philosophe : « La loi chrétienne est au fond plus nuisible qu’utile
à la forte constitution de l’Etat5. » Il fallait donc la remplacer par une religion
civile, meilleur ferment d’unité de la communauté. Quant au surhomme, on ne le
trouverait pas dans le fidèle du Christ, et on peut affirmer que la pensée
nietzschéenne contribua indéniablement à la composante païenne du fascisme.
Fort d’un tel patrimoine, le fascisme fit de l’Eglise catholique, et surtout de
ses associations militantes, des cibles des violences squadristes. Cela dit,
Mussolini se rendit vite compte de la nécessité de composer avec cette institution
omniprésente dans le corps social italien. Pragmatique, il cherchait à contourner
l’obstacle. Héritier des Lumières et des Jacobins, il connaissait l’utilité de la
religion pour tenir le peuple et n’entendait pas l’éradiquer. Mais révolutionnaire,
il entendait bien parvenir à son objectif d’établir sa religion de substitution dans
l’âme des Italiens. Pour y parvenir, il fallait biaiser et convaincre les plus
récalcitrants que fascisme et catholicisme pouvaient fusionner, sans préciser que
cette assimilation se ferait au bénéfice du premier. La fastueuse liturgie
catholique autant que la rigide hiérarchie ecclésiastique ne faisaient-elles écho
aux propres pratiques du fascisme ? Bref, il convenait de récupérer l’héritage de
la romanité présent dans l’Eglise et le détourner au profit de la fascisation des
Italiens. On comprend mieux son étrange profession de foi exprimée en 1938 :
« C’est pour cela que je suis catholique et antichrétien6. »
Dès son premier discours à la Chambre des députés en 1921, Mussolini
donna le ton : « La tradition latine et impériale est aujourd’hui représentée par le
catholicisme. » Comme il apparaissait lointain le temps des exécrations
anticléricales et du programme de San Sepolcro menaçant d’expropriations les
congrégations religieuses ! La prise du pouvoir rendit la collaboration d’autant
plus nécessaire que le nouveau pouvoir, aux socles quand même fragiles, se
savait condamné à long terme s’il ne parvenait pas à rallier à sa cause la masse
catholique. Une collaboration devenait possible entre le Vatican et les nouvelles
autorités, à condition que le Saint-Siège renonçât à toute exigence temporelle et
politique. L’apolitisme de l’Eglise contre des avantages matériels et spirituels,
tels étaient les termes de l’échange.
Mais parvenu à ce stade, une question s’impose : qu’en pensait le chef de
l’Eglise ? Depuis février 1922, le trône pontifical était occupé par Pie XI.
Mussolini, qui se trouvait sur la place Saint-Pierre le jour de l’élection, dut être
bien surpris d’apprendre que les cardinaux venaient de choisir l’archevêque de
Milan, Achille Ratti. Celui-ci avait assisté à la montée du fascisme dont sa ville
était la capitale et avait adopté une attitude somme toute modérée à son égard.
Une réelle admiration pour Mussolini cohabitait avec une méfiance non feinte
pour un ambitieux et pour un mouvement violent. Mais en fait, le bien peu
démocratique cardinal voyait avec crainte l’Italie sombrer dans l’anarchie et le
bolchevisme. La chasse aux socialistes et la lutte contre la subversion
bolchevique constituaient un programme valable, bien que l’outrance
nationaliste heurtât celui qui en avait vu les effets délétères en Pologne juste
après la guerre. Ainsi le nouveau pape, à peine installé dans son palais, laissait-il
les jésuites condamner le fascisme tout en ne bougeant pas le petit doigt en
octobre 1922 pour sauver un régime libéral laïciste et impuissant.
Visiblement, le nouveau Premier ministre était pressé puisque, dès le
20 janvier 1923, une rencontre secrète lui permit de discuter avec le secrétaire
d’Etat, le cardinal Gasparri. Pour autant que nous en sachions, l’auguste prélat
resta sur la réserve à propos de négociations sur la conciliation. Après tout, rien
n’indiquait à cette date que le fascisme durerait. Pourquoi alors s’engager dans
de précoces pourparlers qu’une chute du gouvernement interromprait ? Le pape,
seul décisionnaire en la matière, avait beau appartenir à la tradition conciliatrice,
il entendait marcher avec prudence sur ce terrain miné. Les assurances
mussoliniennes n’effaçaient pas les violences squadristes dont les structures
ecclésiastiques faisaient l’objet. Il attendait des gages que Mussolini lui donna.
La réforme scolaire de Gentile supprima les discriminations dont les écoles
privées catholiques souffraient et rendit obligatoire l’enseignement religieux, ce
qui était aussi une façon d’assimiler l’héritage catholico-romain au fascisme. De
plus, l’Eglise applaudit sans réserve aux mesures prises contre sa vieille et
farouche ennemie, la franc-maçonnerie7. Lors de la tempête Matteotti qui faillit
l’emporter, le silence de Pie XI constitua un soutien non négligeable en faveur
d’un régime dont la disparition aurait ouvert la porte sur l’inconnu. Quant à don
Sturzo, on s’en souvient, son abandon par le Saint-Siège, sur fond de désaccord
politique brûlant, signa sa perte. Le terrain était dégagé pour une entente.
Une fois le fascisme solidement arrimé au pouvoir, des négociations secrètes
s’engagèrent en août 1926 entre d’un côté Francesco Pacelli, avocat et frère du
nonce à Berlin (le futur Pie XII) et de l’autre Domenico Barone, conseiller
d’Etat. Mussolini batailla contre Victor-Emmanuel III, anticlérical intransigeant
et vent debout devant ces discussions, pour lui faire admettre leur pertinence. Il
dut aussi désavouer les violences squadristes qui éclatèrent après la tentative
d’assassinat de Zamboni et retarder – de quelques mois seulement – la signature
du règlement des Balilla créés cette même année, supporter les récriminations
pontificales sur les activités politico-sportives du régime et écarter les
prétentions territoriales jugées excessives de la Curie8. Après la mort de Barone
le 4 janvier 1929, Mussolini, assisté d’Alfredo Rocco, reprit la direction des
négociations qui aboutirent finalement aux fameux accords du Latran.
Le 11 février 1929, Mussolini se rendit en cortège officiel au palais du
Latran où il arriva à 11 heures. Revêtu d’un costume civil, il rejoignit le cardinal
Gasparri dans la salle des papes. Ils prirent place au centre d’une grande table où
ils signèrent trois documents : un traité politique créant la Cité du Vatican sous la
souveraineté du pape, une convention financière dédommageant le Saint-Siège
pour les spoliations de 1870 et enfin un concordat. Le premier résolvait la
question romaine, réconciliait l’Italie avec l’Eglise qui reconnaissait l’Etat italien
avec Rome comme capitale, faisait de Mussolini un nouveau Bonaparte. Le
Duce accordait plusieurs privilèges à l’Eglise : reconnaissance du catholicisme
comme religion d’Etat, enseignement religieux dans les écoles primaires mais
aussi secondaires, valeur civile du sacrement du mariage, liberté du culte
catholique.
Les deux parties se quittèrent satisfaites. Quand Mussolini traversa en
voiture la place du Latran noire de monde, il pouvait s’estimer comblé d’avoir
réussi là où tous ses prédécesseurs avaient échoué. Présenté par le pape lui-
même comme l’homme d’une Providence à laquelle le Duce ne croyait pas, il
avait soutiré à l’Eglise des avantages non négligeables pour son régime :
apolitisme du clergé, serment de fidélité au roi et au gouvernement des évêques
pour la nomination desquels le gouvernement bénéficiait d’un droit de regard.
Impressionné, Victor-Emmanuel III reconnut son grand mérite en lui offrant un
titre de noblesse, proposition que le fils de forgeron éluda avec courtoisie…
Les accords du Latran réglaient un problème politique et territorial, tandis
que le concordat offrait un cadre favorable à une coexistence pacifique entre
l’Eglise et le fascisme. Mais en réalité aucun de ces deux textes ne réglait un
problème de fond insoluble : la divergence idéologique autour de la question
centrale et non négociable de la nature de l’homme telle que la Croix et le
Faisceau la concevaient. On s’en aperçut au moment de la ratification des
accords qui donna lieu à un conflit autour du problème de l’éducation.

Le fascisme éducateur
J’ai toujours pensé que les enfants étaient une propriété de l’Etat et que les parents n’en étaient que
les dépositaires ; que c’était à l’Etat à recevoir pour ainsi dire, l’enfant du sein de sa mère ; qu’il devait
s’en emparer comme de son bien le plus précieux ; qu’il fallait que l’enfant en ouvrant les yeux ne vît
que la patrie et que jusqu’à la mort il ne vît qu’elle9.

L’auteur de ce discours n’est pas Mussolini ou Lénine mais Antoine
Thibaudeau, un révolutionnaire français, député à la Convention nationale qui
avait repris mot pour mot une expression de Rousseau10. Une conception si
radicale de l’éducation puisait en effet ses origines dans la philosophie des
Lumières, laquelle opéra la première révolution anthropologique que l’Eglise
condamna puisqu’elle coupait l’homme de ses racines divines. L’intérêt des
philosophes pour les questions pédagogiques découlait du devoir d’« éclairer »
les individus, c’est-à-dire de les améliorer, pour ne pas dire les remodeler. D’où
la priorité accordée à l’éducation qu’il fallait arracher au monopole de l’Eglise.
Ce rêve d’appropriation des individus s’exprima bien sûr fortement chez
Rousseau qui, dans l’Emile, exhortait les autorités en ces termes : « Sitôt qu’il
[l’enfant] naît, emparez-vous de lui et ne le quittez plus qu’il ne soit homme. »
Le sermon rousseauiste fut entendu par les révolutionnaires français lancés dans
le processus de régénération de l’humanité. Dans ses Fragments sur les
institutions républicaines, Saint-Just, l’archange de la Terreur, écrivit : « Les
enfants appartiennent à leur mère jusqu’à cinq ans, si elle les a nourris, et à la
république jusqu’à la mort. » Dans une approche à la fois spartiate et romaine, il
préconisait une éducation marquée par une discipline rigoureuse, sans amour et
sans jeux, « militaire et agricole11 ».
Ces conceptions maximalistes passèrent des Jacobins à Marx qui, dans le
Manifeste du Parti communiste, annonçait sa volonté d’abolir la famille et la
transmission de la mission éducative des parents à l’Etat. Mussolini en hérita à
son tour lors de sa jeunesse socialiste, d’autant plus facilement qu’elles
correspondaient au dessein de pétrissage de l’homme qu’il nourrissait déjà. Les
premières mesures de contrôle de la jeunesse prises au milieu des années 1920
autant au sein de l’école qu’à côté (les Balilla) visaient à dégager les enfants de
l’emprise des parents et de l’Eglise. Comme le dictateur l’expliqua au journaliste
allemand Emil Ludwig : « L’individu, en l’an VI, est déjà en un certain sens
enlevé à la famille, et il lui sera rendu par l’Etat en l’an LX12. » Or, le contenu du
concordat suscita une inquiétude légitime chez les fascistes révolutionnaires.
Après avoir dû mettre en sourdine leur anticléricalisme viscéral, ils voyaient leur
chef s’entendre avec le Vatican. Etait-ce une nouvelle compromission avec les
forces de la réaction ? Un nouveau coup porté à la révolution fasciste ?
Mussolini chercha alors à les rassurer. Non, la célébration des accords du Latran
ne correspondait pas au De profundis des rêves fascistes. Il le fit comprendre à
ses compagnons du Grand Conseil : « Comme vous l’avez entendu, nous avons
fait la paix avec l’Eglise… Maintenant que la paix est faite, on peut donc
reprendre la guerre13 ! » Il profita ensuite du processus de ratification des accords
pour prononcer devant les députés puis les sénateurs des discours offensifs sur
l’éducation. A Montecitorio, le 13 mai, il réitéra le credo fasciste :
« L’enseignement doit être nôtre. Ces enfants doivent être élevés dans notre foi
religieuse mais nous avons besoin de donner à ces jeunes gens le sens de la
virilité, de la puissance, de la conquête » en précisant que « dans l’Etat, l’Eglise
n’est pas souveraine et encore moins libre14 ». Ses propos au Sénat furent encore
plus clairs : « Dire que l’instruction revient à la famille, c’est dire une chose qui
est hors de la réalité contemporaine. La famille moderne, assaillie par les
nécessités d’ordre économique, accrochée chaque jour à la lutte pour la vie, ne
peut instruire personne. Seul l’Etat, avec ses moyens en tout genre, peut assumer
cette tâche. » Difficile ne pas y voir un écho aux propos des Jacobins et une
continuité depuis les Lumières dans la volonté de modeler les esprits par
l’éducation. La transformation du ministère de l’Instruction publique en
ministère de l’Education nationale le 12 septembre 1929 eut à cet égard une
signification particulière. L’Etat ne se contentait plus de diffuser un savoir par
l’instruction mais prenait en charge l’éducation, domaine réservé des parents.
Pie XI ne pouvait l’accepter. Il s’engagea donc dans un combat frontal,
multipliant avec De Vecchi, choisi pour être le premier ambassadeur italien
auprès du Saint-Siège, les audiences tempétueuses. Sa colère culmina avec
l’encyclique Divini illius magistri datée du 31 décembre 1929 par laquelle le
magistère catholique dénonçait le monopole éducatif dont l’Etat moderne
cherchait à s’emparer.
Le troisième temps de la révolution est arrivé
La papauté percevait très bien que ces pressions sur l’éducation exprimaient
la tendance totalitaire de plus en plus affirmée du régime. En effet, l’année 1929
fut absolument capitale dans l’histoire du fascisme car elle correspondit à une
phase d’accélération de la construction du totalitarisme trop souvent sous-
estimée. Son étude approfondie conduit à nuancer la rupture que la radicalisation
opérée en 1936 aurait constituée. Après le succès de la conciliation avec l’Eglise
catholique, le régime fasciste aborda avec une certaine sérénité le vote général
prévu pour le mois de mars. C’était la première fois que les Italiens étaient
appelés aux urnes depuis l’établissement de la dictature. En lieu et place
d’élections démocratiques, les électeurs étaient appelés à se prononcer sur la liste
des députés désignés par le Grand Conseil du fascisme par le biais de deux
cartes, l’une en faveur du « oui », l’autre en faveur du « non ». Le secret du vote,
assuré en théorie, se trouvait en fait limité par l’obligation de verser le bulletin
négatif dans une urne placée dans l’isoloir tandis que celui exprimant le vote
positif était remis aux scrutateurs. Dans ces conditions, et en l’absence totale
d’opposition légale, les résultats électoraux du 24 mars 1929 furent sans appel :
98,33 % de « oui » contre 1,56 % de « non » !
Cette pratique électorale de nature plébiscitaire renvoyait à ce que les
fascistes eux-mêmes définissaient comme une « démocratie totalitaire »,
héritière de la souveraineté populaire et absolue chère à Rousseau, de son idée de
volonté générale et de ses imprécations contre le parlementarisme anglais15. La
plupart d’entre eux avaient conservé de leur passage par le socialisme et
l’extrême gauche un attachement sincère au suffrage universel, expression de la
souveraineté du peuple. Mais ils ne pouvaient le concevoir que dans le cadre
d’un système autoritaire puisqu’un tel suffrage utilisé dans un régime libéral
anéantissait l’unité du peuple en le fractionnant en une multitude d’individus
défendant leurs propres intérêts. Reprenant l’héritage de la tradition
démocratico-révolutionnaire, le fascisme exigeait l’approbation populaire et en
aucun cas une participation des citoyens au processus décisionnaire16. Ce fut
donc devant une assemblée dépouillée de ses attributs démocratiques et de ses
pouvoirs que Victor-Emmanuel III prononça, le 20 avril 1929, le traditionnel
discours du trône. Il reconnut que le gouvernement avait réalisé le « nouvel ordre
constitutionnel de l’Etat fasciste » et évoqua le succès des accords du Latran,
donnant l’impression d’apporter un satisfecit au régime. Ce fut sans doute cela
qui poussa un Farinacci jamais à court de flatterie pour la monarchie à clamer
que « le Roi [était] venu dans cet Hémicycle reconnaître l’Etat fasciste » et dire :
« Mon gouvernement fasciste », alors que jamais le souverain ne prononça, en
vingt ans de fascisme, une telle formule17.
Après ce succès électoral, Mussolini pouvait considérer que son régime
bénéficiait d’une rassurante solidité. Les opposants étaient bâillonnés, la société
exprimait une satisfaction pour les premières réalisations du gouvernement et
surtout pour le retour à l’ordre, tandis que l’Eglise, la monarchie et le grand
capital accordaient un soutien indispensable à la stabilité du pouvoir en place et
dont ils entendaient tirer profit. L’Italie paraissait pacifiée, bien tenue en main18.
Mais ces formidables acquis engrangés après plusieurs années de lutte étaient-ils
en mesure d’assurer la pérennité du fascisme sur le long terme ? Pouvait-on s’en
contenter pour construire l’Etat nouveau ? A l’évidence non. Le fascisme était
révolutionnaire et totalitaire. Il lui fallait donc constamment avancer, détruire et
construire. Ce fut la raison pour laquelle Mussolini décida de franchir une
nouvelle étape et de donner un coup d’accélérateur à la mise en place du
totalitarisme.
Le 15 août 1929, l’édition du Popolo d’Italia parut avec un éditorial non
signé et intitulé « Terzo tempo » (troisième temps). Faisant écho au deuxième
temps – celui de la consolidation du régime – évoqué en 1923 par Mussolini, il
annonçait le passage à la troisième phase de la révolution fasciste, celle de
l’approfondissement de la fascisation de l’Etat et de la société. Les lecteurs
purent y lire une sorte de programme pour les prochaines années :

Parler au monde, après la guerre et après la Révolution, signifiait compter sur la force compacte, sur
la solidarité intégrale, sur la maturité politique du peuple. Elle signifiait étendre les plans historiques de
la Révolution en résolvant ces deux problèmes fondamentaux : 1) placer le Parti dans l’Etat, figure
historique et juridique de l’Unité, en mettant le Parti au service de l’Etat ; 2) fasciser le peuple italien ;
le porter à la responsabilité politique, lui donner cette éducation morale qui formait le grand dessein
resté inachevé du Risorgimento ; en d’autres termes : réaliser la jonction entre le peuple et les élites.

Ces problèmes restaient entiers. Il fallait donc les résoudre avec la
conscience que « les vertus fascistes et italiennes ne sont pas un monopole des
membres du parti mais peuvent et doivent devenir la marque et les mœurs de
tous les Italiens19 ». Il devenait évident que le dictateur entendait mettre en
œuvre, d’une manière plus forte qu’auparavant, son projet anthropologique de
transformation des Italiens auquel il n’avait en fait jamais renoncé, qu’il portait
en lui depuis sa jeunesse militante au sein du socialisme italien. Transformer les
Italiens en un peuple de conquérants, de dominateurs, aptes à obéir, à combattre,
régénérés par la guerre et le combat, voilà quelle était désormais son ambition.
Tout serait réalisé par l’Etat auquel le parti resterait subordonné, comme le
clamait l’éditorial du 15 août. Il ne serait donc pas dissous mais placé au service
de l’Etat fasciste pour l’accentuation du totalitarisme. Tout espoir d’un retour en
arrière, vers un Etat libéral purgé de ses imperfections par un fascisme
transitoire, relevait d’une vue de l’esprit. Mussolini le déclara dans un discours
devant le PNF le 14 septembre 1929 : « Je n’ai jamais autant ressenti qu’en ce
moment toute la vive actualité de notre doctrine de l’Etat, centralisé et
autoritaire. Celle-ci, que les idolâtres du nombre informe appellent, avec un
geste de vaine exécration, “dictature”, nous la reconnaissons : la dictature est
dans les faits, c’est-à-dire dans la nécessité du commandement unique, dans la
force politique, morale, intellectuelle de l’homme qui l’exerce, dans les buts
qu’il fixe20. » Impossible donc de parler de rupture sur le fond dans le passage à
ce troisième temps, mais une simple accélération d’un dessein en germe depuis
les origines.
Un événement capital vint quelques mois plus tard donner une impulsion
majeure au fascisme révolutionnaire : la crise économique née du krach de Wall
Street du 24 octobre 1929. Les fascistes l’interprétèrent comme l’échec du
capitalisme, du libéralisme, du laisser-faire, incapables d’assurer l’emploi, les
ressources et le bien-être aux peuples occidentaux, mais aussi du système
démocratique libéral qui à leurs yeux lui était lié. En cessant d’être une simple
crise économique, l’écroulement de 1929 devenait une crise de la civilisation
libérale, capitaliste, démocratique dans son ensemble ; une crise de la liberté, de
la bourgeoisie, du matérialisme. Les thèses de Spengler sur la chute de
l’Occident diffusées en Italie au même moment apportèrent de l’eau au moulin
de tous ceux qui appelaient à un changement de civilisation. Le fascisme offrait
sa propre réponse au grand séisme venu d’outre-Atlantique, une troisième voie
entre capitalisme et communisme soviétique.
La volonté mussolinienne d’approfondir la fascisation du pays coïncida donc
avec la Grande Dépression, ce qui suscita les espoirs les plus fous de la
composante intransigeante du fascisme, de ces révolutionnaires que le Duce
avait muselés et déçus et qui, d’un coup, voyaient l’histoire leur présenter une
occasion inespérée d’appliquer leur programme. En effet, à partir de cette
époque, Mussolini ne cessa de leur donner des gages, d’orienter ses discours
dans leur sens, de les flatter. Leur soutien s’avérait d’autant plus indispensable
que la société italienne subissait les conséquences de la crise économique
mondiale et que le gouvernement faisait face à une vague inédite de contestation.
Jusque-là, une grande partie du monde ouvrier et paysan entretenait à l’égard du
fascisme une certaine hostilité due à la violence avec laquelle les squadristes
avaient démantelé leurs organisations politiques et syndicales. Toutefois,
l’appareil policier obligeait les récalcitrants à se maintenir dans un prudent
silence et la masse ouvrière à jouer la comédie de l’adhésion au régime. Or, les
difficultés économiques remirent en cause cette passivité. Avec une chute de la
production industrielle de 38 % entre 1928 et 1932, une baisse des exportations
de 60 % et une hausse concomitante du nombre de chômeurs qui de 414 000
monta à plus d’un million21, le mécontentement grandit pour atteindre son
apogée en 1931. Face à la fermeture des usines et des ateliers, à la réduction des
horaires de travail couplée à une intensification des cadences et aux baisses de
salaires, une agitation ouvrière s’exprima au grand jour dans plusieurs grandes
villes de la péninsule. Des grèves et des manifestations éclatèrent dans les
industries textiles et métallurgiques, les plus durement touchées par la
contraction du marché mondial, aussi bien à Naples qu’à Milan, mais aussi à
Novare, à Mantoue, à Piacenza. Les paroles du chant révolutionnaire Bandiera
rossa (drapeau rouge) que l’on n’avait pas entendues depuis longtemps se mirent
à raisonner dans les rangs ouvriers.
Le fascisme, ayant conquis le pouvoir par la promesse réalisée de rétablir
l’ordre dans le pays, s’il pouvait tolérer une contestation limitée dans l’espace et
le temps, refusait tout retour à la lutte des classes. Les classes moyennes, elles
aussi durement touchées par la crise, maintenaient leur confiance pour un régime
dont elles constituaient la base mais s’inquiétaient d’un possible réveil de la
subversion. Ce gouvernement demeurait le meilleur rempart, encore fallait-il
qu’il agît ! L’ordre arriva rapidement d’évacuer les usines occupées, de disperser
les manifestations et d’arrêter les meneurs. L’explosion sociale et politique n’eut
pas lieu. Le gouvernement tenait solidement le pays en main.
Cela dit, ce serait une erreur de lire ces événements uniquement en termes de
répression. Le fascisme ne fut jamais le bras armé et obéissant du patronat italien
et n’accepta pas, surtout en temps de crise, de jouer le rôle de briseur de grèves.
En fait, il se trouvait placé entre le marteau des industriels – source d’emplois et
soutien du régime – et l’enclume du peuple des travailleurs cher à la mythologie
fasciste et des petits propriétaires terriens dont la ruine entraînerait la sienne. Le
maintien de la paix sociale ne revenait pas à sacrifier l’essence socialisante de la
révolution, mais il fallait en même temps préserver les termes de l’entente avec
le grand capital : la politique au gouvernement et l’économie aux industriels. Les
baisses de salaires arbitraires et non négociées avec les syndicats fascistes, les
violations des contrats de travail, les licenciements abusifs, sans considération
pour l’âge, l’expérience ou la situation familiale mettaient à mal la crédibilité du
fascisme. Interpellé, Bottai, ministre des Corporations, envoyait des télégrammes
aux préfets pour qu’ils rappellent aux chefs d’entreprises leurs devoirs sociaux,
tandis qu’au sein des industries les militants politiques et syndicaux fascistes
veillaient au respect des règlements et s’opposaient aux abus22.
En réalité, nombre de fascistes voyaient beaucoup plus loin que ces mesures
homéopathiques pour résoudre non seulement les difficultés conjoncturelles
mais aussi la nature structurelle de la crise. L’effondrement du capitalisme libéral
ouvrait la voie à son dépassement par la mise en place du système corporatiste,
projet politique du totalitarisme fasciste aux allures économiques et sociales et
auquel furent associés de près le nom comme l’action de Giuseppe Bottai.
Travailleur infatigable et homme de lettres, cet intellectuel aimait le débat, les
discussions, les polémiques. Souvent présenté comme un fasciste modéré, il
n’appréciait guère les vociférations de l’aile dure du mouvement dont il s’était
souvent désolidarisé. Très vite, on s’en souvient, il appela à l’abandon de la
violence squadriste. Toutefois, sous des dehors tempérés et d’ouverture au
dialogue, Bottai entretenait une foi fasciste inébranlable et une adoration pour le
Duce qui n’en firent jamais un dissident. Comme il le précisa lui-même :
« J’aime la discussion mais il faut discuter et juger dans les limites, dans le
fascisme et non contre le fascisme, dans le Parti et non contre le Parti, dans
l’Etat fasciste et non contre l’Etat fasciste. » De plus, il nourrissait un projet
totalitaire qui n’a pas toujours été analysé à sa juste mesure. Bottai croyait en la
capacité de l’Etat à transformer l’homme en lui inculquant une foi politique
nouvelle. La révolution anthropologique passait tout naturellement par l’action
politique, par l’éducation, par la culture, bref par une fascisation de la société et
des individus. Le fascisme accoucherait d’une civilisation nouvelle et supérieure,
construite sur les ruines du libéralisme et de l’individualisme. Le drame de
l’Europe venait du fait que la bourgeoisie française avait récupéré à son profit et
donc perverti la Révolution de 1789 mais celle-ci avait montré le chemin.
Rédacteur de la Charte du travail de 1927, Bottai définissait le fascisme en
termes très explicites : « force de gauche, dépassement et non négation des
idéaux de 8923 », qui réunissait le peuple, non plus par la violence mais par le
consensus absolument indispensable pour sa survie sur le long terme.
A cet égard, l’économie corporatiste offrait un moyen idoine. Aucun doute
n’habitait Bottai quant à la capacité du fascisme à se présenter comme une
troisième voie entre capitalisme et socialisme. Sa conception du corporatisme
s’opposait à celle des courants conservateurs qui, à l’image des grands
industriels de la Confindustria, y voyaient seulement un moyen de protéger la
propriété privée et de supprimer la lutte des classes. La vision fasciste s’avérait
plus dynamique, plus novatrice, plus révolutionnaire. A vrai dire, Bottai ne niait
pas l’existence des classes ni celle des luttes les opposant. Son projet cherchait à
les dominer. Il espérait faire du corporatisme un mécanisme « de collaboration
de tous les acteurs économiques, au nom des intérêts supérieurs de la nation et
un instrument de la nationalisation des masses dont l’encadrement [resterait]
assuré par le parti unique24 », toutefois sous le contrôle étroit du ministère des
Corporations qu’il gérait depuis 1926, véritable maître d’œuvre de cette
révolution économique. La volonté de Bottai de voir émerger une élite de
technocrates rompus aux méthodes les plus contemporaines de gestion des
entreprises, outre qu’elle inscrivait sa pensée dans la modernité économique,
n’enlevait rien au primat du politique qui devait mettre l’économie à son service.
L’Etat, par le biais du technocrate, rationaliserait le monde économique pour le
rendre plus efficace mais surtout pour l’intégrer à la communauté nationale25.
En réalité, l’établissement du corporatisme suscitait un vif débat au sein du
fascisme. A cet égard, les positions du philosophe Ugo Spirito apparaissaient
comme les plus poussées. Auteur de plusieurs ouvrages sur la question, il
attaquait la propriété privée, fruit de l’esprit individualiste de la Révolution
française, et préconisait sa transformation en propriété corporative. Dans un tel
système, non seulement le capital et le travail se trouvaient unis mais en plus le
capital passait aux travailleurs. « Le capitaliste n’est plus étranger et n’ignore
plus comment s’administre sa propriété mais il l’administre lui-même en
coïncidant avec la figure du travailleur », écrivait-il en 1933 dans son
Capitalismo e corporatismo. Ainsi le travailleur se trouvait-il intéressé au
développement de son propre capital. Quant à l’Etat, il n’aurait plus besoin
d’intervenir directement dans une telle harmonie mais garderait le contrôle de
l’économie puisque la corporation resterait sous son autorité26. On le voit, Spirito
allait loin… en fait beaucoup trop loin en touchant à la propriété privée. Il avait
beau considérer son propre projet réalisable uniquement sur le long terme,
Mussolini mit un terme rapidement à ces dangereuses dérives.
En effet, non seulement le Duce attaqua par le biais des revues qu’il
contrôlait (Popolo d’Italia et Gerarchia) les thèses que Spirito exposa à un
congrès tenu à Ferrare en 1932, mais le 20 juillet de la même année il disgracia
Bottai et récupéra son portefeuille. Il se réservait ainsi la gestion de cette
question délicate qui touchait aux rapports avec le monde entreprenarial. En fait,
si les pressions du grand patronat ne furent sans doute pas étrangères à ce renvoi,
Mussolini lui-même n’entendait pas aller aussi loin et aussi vite sur la question
du corporatisme. Sur ce point aussi, son absence de dogmatisme jouait en faveur
d’une grande prudence et d’une mise en œuvre progressive et sur le long terme.
Et il était hors de question de toucher à la propriété privée ! Certes, il partageait
les certitudes sur l’échec du capitalisme libéral, sur son remplacement et sur la
nécessité d’une économie contrôlée et soumise à un Etat totalitaire. C’est ainsi
qu’il prononça le 14 novembre 1934 un discours capital devant l’assemblée
générale du Conseil national des corporations. Après avoir affirmé que le mode
de production capitaliste était entré dans une crise mortelle, il se lança dans un
panégyrique de l’économie corporatiste qu’il plaça dans une perspective
politique et idéologique sans ambiguïté. « La corporation, lança-t-il devant une
foule vibrante, joue sur le terrain économique comme le Grand Conseil et la
Milice jouent sur le terrain politique ! Le corporatisme est l’économie
disciplinée et donc aussi contrôlée parce qu’on ne peut imaginer une discipline
qui n’ait pas de contrôle. » Cet acte de décès du libéralisme économique fut suivi
d’un rappel de l’essence même du fascisme dont cette question économique ne
pouvait en fait s’extraire. « L’homme économique n’existe pas, il existe
l’homme intégral qui est politique, qui est économique, qui est religieux, qui est
saint, qui est guerrier. Aujourd’hui nous faisons de nouveau un pas décisif sur la
voie de la révolution27. » Une révolution bel et bien totalitaire. Mais, dans
l’esprit du Duce, le corporatisme sous sa forme la plus achevée réaliserait le vrai
socialisme en étant le fruit de la révolution anthropologique et non l’inverse. Les
corporations devaient donc rester un instrument de l’Etat garant en même temps
de la propriété privée et de l’esprit de responsabilité des entrepreneurs à l’égard
des travailleurs et du reste de la communauté nationale. C’était sur cette corde
raide que Mussolini marchait en équilibre. Le dictateur n’avait pas l’intention
d’entreprendre, du moins à ce stade, de rupture anticapitaliste. Ce faisant, le
système des corporations mis en place, rassemblant travailleurs et propriétaires
d’une même branche, ne satisfaisait véritablement personne, ni les employeurs ni
les employés28. Les technocrates, dans lesquels Bottai voulait voir le creuset
d’une nouvelle bourgeoisie moderne et audacieuse, ne purent contester le
pouvoir des élites traditionnelles. Pour résumer, le corporatisme, stoppé à mi-
chemin et transformé en une bureaucratie directive, ne tint pas ses promesses.
Face à l’urgence de la crise, le gouvernement fasciste préféra s’en tenir à un
interventionnisme poussé qui ne tranchait pas avec l’esprit des solutions
adoptées dans les démocraties occidentales (Etats-Unis, France, Belgique) tout
en allant beaucoup plus loin. Conseillé par le banquier Alberto Beneduce,
Mussolini mit en place un véritable dirigisme d’Etat visant à substituer
l’intervention publique aux capitaux privés désormais incapables de sauver les
entreprises. Le système bancaire étant le nerf de la guerre économique, il
procéda en deux étapes. Tout d’abord, la création de l’Institut de reconstruction
industrielle (IRI) le 23 janvier 1933, dont la direction fut confiée à Beneduce,
devait permettre un financement public des entreprises et donc leur mise sous
tutelle de l’Etat, même si celui-ci se gardait bien d’intervenir dans leur gestion.
Tous les grands secteurs industriels furent touchés, certes à différents degrés, par
cette prise de contrôle étatique. Ensuite, le gouvernement transforma, par la loi
bancaire du 12 mars 1936, la banque d’Italie en un établissement public, doté de
sa propre autonomie et libéré de tous les groupes privés présents au sein du
conseil d’administration. Dans aucun autre pays occidental la présence de l’Etat
dans la vie économique n’était si forte29. Elle fut accompagnée par un
engagement social lui aussi imprégné de politique. Le PNF reçut la consigne de
participer au soulagement des misères. Ainsi pendant l’hiver 1930 la section de
Milan aidait-elle près de 12 000 familles, tandis qu’un seul de ses centres de
ravitaillement nourrissait quotidiennement entre 800 et 900 personnes30.

Le PNF de Starace
La crise de 1929 apporta de l’eau au moulin de tous les fascistes convaincus
de la nécessité de poursuivre la révolution, de remettre en cause la société
traditionnelle et ses cadres, de progresser sur le chemin du troisième temps.
Mussolini était de ceux-là. Bien décidé à fasciser le peuple italien, il actionna
tous les leviers à sa disposition. Il désigna comme cible prioritaire la jeunesse,
porteuse de l’avenir et plus apte à subir la transformation anthropologique. La
question de l’éducation restait donc prioritaire. Ce fut la feuille de route que
reçut le nouveau secrétaire général du PNF, Giovanni Giuriati, en 1930. Bien
qu’il n’occupât la fonction qu’un an, cet homme cultivé, ancien de l’aventure de
Fiume, capable de réciter du Cicéron par cœur, eut le temps de mettre en place
les Faisceaux juvéniles de combat pour les jeunes entre 18 et 21 ans (les Avant-
gardistes pour les garçons, et Jeunes fascistes pour les filles). En 1929, le parti
n’avait pas accepté de bonne grâce le passage des Balilla et des Avant-gardistes
sous le contrôle du ministère de l’Education nationale. Ainsi Giuriati espérait-il
créer un vivier de futurs militants façonnés directement par le parti dans un
esprit de religiosité politique et d’ambiance militarisée, avec l’arrière-pensée de
combattre l’influence de l’Eglise31.
L’offensive que Mussolini encouragea contre l’Eglise catholique à peine un
an après la Conciliation ne dut en fait rien au hasard. Il s’agissait d’affaiblir, à
défaut d’abattre, un contre-pouvoir sur lequel le fascisme avait beaucoup moins
de prise que celui représenté par la monarchie ou la grande bourgeoisie
industrielle. La dynamique anticléricale, intrinsèque au mouvement fasciste et
mise en sommeil depuis la dissolution du PPI, retrouva toute sa vigueur.
L’éducation fut de nouveau le terrain privilégié du combat entre le Saint-Siège et
la dictature. Giuriati multiplia les attaques contre les prétentions éducatives de
l’Eglise. Pendant l’année 1931, les sbires fascistes passèrent des mots aux actes :
sièges d’organisations catholiques saccagés, militants catholiques agressés,
églises vandalisées. Même le siège de la chancellerie pontificale n’échappa pas
aux dévastations ! Ces violences, outre qu’elles confirmaient que le catholicisme
demeurait un ennemi au même titre que le socialisme défunt, n’avaient rien de
spontané. Pour preuve, la décision prise par le Duce lui-même le 30 mai 1931
d’ordonner la dissolution des mouvements de jeunesse encore indépendants32.
L’attaque contre les structures ecclésiastiques était frontale. Pie XI y répondit par
une nouvelle encyclique directement dirigée contre le pouvoir italien, Non
abbiamo bisogno (« Nous n’avons pas besoin ») datée du 5 juillet 1931. Le pape
y dénonçait encore une fois les prétentions monopolistiques de l’Etat sur
l’éducation des jeunes mais allait plus loin en s’attaquant, sans la nommer pour
autant, à l’idéologie du fascisme qu’il présentait comme une « statolâtrie
païenne ».
Toutefois, des deux côtés du Tibre, on voulait éviter la rupture. Dès
négociations s’engagèrent très vite et débouchèrent sur l’accord du 2 septembre
1931 qui établissait un modus vivendi entre le fascisme respectant les
organisations catholiques et l’Eglise réaffirmant l’apolitisme de ses troupes33. La
finesse politique de Mussolini, son absence de frénésie idéologique et sa
connaissance de la société italienne lui interdisaient de lancer son régime dans
une guerre de religion de laquelle il serait sans aucun doute sorti en miettes.
Toutefois, comme le note Emilio Gentile, « il ne [renonça] jamais au droit
indiscutable de l’Etat de définir la morale du citoyen et la fin ultime de son
existence34 ». Cela dit, jusqu’à la radicalisation de la fin des années 1930, plus
aucune crise ne vit s’affronter Mussolini et Pie XI. Pour autant, la guerre pour le
contrôle de la jeunesse continua mais d’une manière aussi subtile, feutrée que
réelle.
Plusieurs signaux indiquèrent, dans les derniers mois de 1931, une montée
en puissance du phénomène totalitaire. Retrouvant des accents socialisants, et
sans doute pour contrebalancer ses prudences dans le domaine économique,
Mussolini lança, le 25 octobre 1931 à Naples, un nouveau mot d’ordre : « Aller
résolument vers le peuple ! » Puis quelques semaines plus tard, il destitua le
secrétaire général du PNF, Giuriati. Celui-ci n’avait certes pas démérité mais
avait exécuté avec un zèle jugé excessif la demande du Duce de réduire le
nombre des adhérents au parti. Au lieu des 10 000 demandés, le nombre des
exclus s’éleva à… 120 000 ! Hors de lui, Mussolini le congédia le 12 décembre
et lui choisit comme successeur l’un de ses vice-secrétaires, Achille Starace.
Originaire des Pouilles, ce fils de commerçant connut un parcours assez
classique au sein de l’univers fasciste. Interventionniste puis soldat valeureux
pendant la guerre, il maudissait le retour à la paix, exécrait les socialistes et les
défaitistes et voulait continuer le combat. On le dit frustré socialement mais il
était davantage marqué par la violence idéologique de son temps, par son
patriotisme intransigeant, son caractère impulsif et sa soif d’action. La rencontre
avec Mussolini fut pour lui aussi une révélation quasi religieuse et, devenu ras
de Trente, il participa à l’aventure squadriste, monta les échelons au sein du
mouvement jusqu’à la consécration suprême du mois de décembre 193135.
Que n’a-t-on dit, à l’époque et jusqu’à aujourd’hui, sur Achille Starace !
Chez cet être fruste, inculte et ignorant, la vanité le disputait à la servilité.
Grossier et borné, il se serait adonné depuis sa jeunesse à une vie de débauches
et d’orgies pendant lesquelles femmes et hommes satisfaisaient ses plaisirs. Tout
cela était sans aucun doute vrai, bien que les fiches de la police fasciste qui
recueillaient ces détails croustillants soient à manier avec précaution. On
comprend donc les commentaires à la fois effarés et drôles que sa nomination
suscita. Le sous-secrétaire d’Etat à l’Intérieur, Leandro Arpinati, s’en ouvrit à
Mussolini en affirmant que Starace était un crétin. Et le dictateur de répondre :
« Je le sais, mais c’est un crétin obéissant. » Un crétin donc mais aussi un
fasciste convaincu et brutal qui mit son existence et sa fonction au service d’une
idéologie totalitaire à laquelle il croyait avec la foi d’un vrai croyant ; un homme
choisi par un Mussolini déterminé à faire progresser la révolution fasciste et qui
trouva en lui l’exécutant parfait, docile et zélé de sa volonté. Starace eut beau se
trouver au centre de multiples blagues suscitant l’hilarité des Italiens, son long
passage à la tête du PNF (qui dura jusqu’en novembre 1939) correspondit à la
phase la plus radicale de la construction du fascisme totalitaire. Tout cela fut en
fait très sérieux.
Starace adulait Mussolini dont il ne reçut qu’ingratitude et mépris. Lors des
cérémonies officielles dont il organisait la liturgie, il se tenait, tel un prince
consort, toujours un pas derrière lui. Reçu quotidiennement au palais de Venise,
le secrétaire général écoutait son demi-dieu donner ses ordres qui étaient ensuite
scrupuleusement exécutés. Chaque jour, il lui envoyait des rapports le tenant
informé des affaires du parti avec force détails et des annotations écrites de sa
main36. Le jour même de son entrée en fonction, le 12 décembre 1931, devant les
hiérarques du PNF rassemblés à cette occasion, il lança une initiative appréciée
par le dictateur. Lorsque celui-ci entra dans la pièce, Starace se plaça devant lui,
leva le bras et cria : « Salut au Duce ! » La formule devint par la suite officielle.
C’était donc dans un esprit d’obéissance aveugle qu’il entendait remplir sa
mission selon les directives données par Mussolini. Pour ce faire, il utilisait des
fogli di disposizioni, sorte de feuillets qu’il envoyait à l’ensemble du parti. Ils
contenaient des injonctions et autres recommandations sur le meilleur
comportement à adopter, dont certaines étaient particulièrement grotesques.
« Durant les sept heures de repos, ne dormir que d’un seul œil », préconisait l’un
d’entre eux, tandis qu’un autre remarquait : « Saluer à la romaine assis est peu
romain37. »
En ce qui concernait l’organisation du parti, il s’engagea avec fougue dans
une extension de son champ d’action avec un but bien précis : la conquête des
esprits des Italiens afin d’en faire des fascistes en quelque sorte naturels. Le
dixième anniversaire de la marche sur Rome en 1932 devait en effet marquer le
passage à l’âge mûr du fascisme, surtout avec la montée des jeunes générations
n’ayant pas connu les combats pour la conquête du pouvoir. Le PNF staracien
plaça ainsi sous son contrôle l’Œuvre nationale du Dopolavoro, grâce à laquelle
il espérait assurer le contrôle des classes laborieuses assez hostiles, on le sait, au
régime. La même année, les comités provinciaux intersyndicaux, créés en 1927
et présidés par le secrétaire fédéral de chaque province, furent officiellement
intégrés au parti. L’obtention d’un emploi prenait de plus en plus une tournure
partisane. Pour passer les concours de la fonction publique, la possession de la
carte du parti devint obligatoire en décembre 1932, obligation étendue en
juin 1933 aux organismes régionaux et semi-publics. Le fascisme s’insinua dans
le processus d’embauche par le biais des commissions administratives paritaires
des bureaux de placement dans lesquelles les encartés étaient privilégiés. Le
PNF assurait aussi des fonctions pédagogiques. Toujours à partir de 1932, lors
des « rassemblements dominicaux », la population des villages devait
pieusement écouter l’orateur envoyé par le parti pour diffuser la bonne parole.
Puis, en 1935, les jeunes d’une vingtaine d’années purent suivre des cours
d’éducation politique dispensés par les fédérations locales38. La même année fut
instauré le « samedi fasciste » qui permettait aux travailleurs d’interrompre leur
activité à 13 heures pour se consacrer à des activités physiques à caractère
militaire.
Cette extension progressive de la toile d’araignée du parti correspondait en
fait – et c’était là toute l’apparente contradiction – avec son affaiblissement et sa
subordination définitive à l’Etat. Les nouveaux statuts adoptés le 17 novembre
1932 par décret royal le confirmaient officiellement : « Le PNF est une milice
civile, aux ordres du Duce, au service de l’Etat fasciste. » En réalité, par un
processus de vases communiquants, le parti perdait son pouvoir au fur et à
mesure que celui de Mussolini grandissait. L’Etat restait le maître d’œuvre de la
construction du totalitarisme, et le Duce y tenait la première place. Mais il avait
besoin du PNF afin d’organiser et de mobiliser les masses, en un mot de les
fasciser ; comme il lui fallait définir à présent avec beaucoup plus de netteté les
contours idéologiques du fascisme qui jusque-là étaient restés bien vagues, d’où
sa tentative de définition dans l’article de 1932 publié dans l’Encyclopédie
italienne.
Désormais aux commandes du parti, Starace contribua à le transformer en
une immense machine bureaucratique. A l’occasion des commémorations pour
les dix ans de la révolution, il organisa une vaste opération d’inscriptions qui
permit de faire passer les effectifs de 825 000 en 1931 à 1,5 million en 1933 et
bientôt 2 millions. Bien évidemment, après avoir rendu obligatoire l’adhésion au
parti pour postuler à des emplois publics, le caractère spontané, idéologique et
désintéressé de ce vaste mouvement pouvait être mis en doute ! De fait, le PNF
vit arriver des militants opportunistes, de qualité intellectuelle et politique
médiocre. Ces effectifs pléthoriques accentuèrent les tendances au clientélisme
et à la corruption. Dans le même temps, Starace procéda à un renouvellement
des cadres en favorisant les générations les plus jeunes qui, n’ayant pas connu le
feu du squadrisme, n’en possédaient pas la légitimité politique. Arrivant après
les purges de Turati et de Giuriati, formés à l’école du parti et imprégnés de
mussolinisme, ils s’avéreraient plus dociles, du moins le croyait-il. Quant aux
hiérarques, Starace chercha à les neutraliser. Il profita certes de l’évolution du
parti qui transforma les fougueux chefs de l’après-guerre en bureaucrates
quelque peu embourgeoisés, attachés à leurs pouvoirs et à leurs prérogatives.
Mais face à de possibles concurrents, l’homme pouvait être féroce. Leandro
Arpinati s’en aperçut. Partisan d’une politique modérée et libérale en économie,
il ne correspondait plus à la ligne davantage révolutionnaire du régime. Starace
réactiva les rumeurs sur son éventuelle complicité dans le complot Zamboni, et
en avril 1933 Mussolini le priva de son poste de sous-secrétaire d’Etat à
l’Intérieur39.
Le problème posé par Italo Balbo s’avérait plus coriace. Le ras de Ferrare
n’avait rien d’un second couteau et était d’une trempe supérieure à celle
d’Arpinati. Tutoyant Mussolini, y compris lors des cérémonies officielles,
homme de caractère et de décision, orgueilleux et anticonformiste, il avait fait de
l’aviation italienne une arme prestigieuse et moderne, à coups d’audaces et
d’augmentations de budget pour le ministère de l’Aéronautique dont il hérita en
1926 à l’âge de 30 ans. Il bénéficiait en outre d’une incroyable popularité
internationale grâce aux quatre voyages en avion qu’il effectua en direction de
Los Alcázares en Espagne (1928), d’Odessa en URSS (1929), de Rio de Janeiro
au Brésil (1930) et surtout de Chicago aux Etats-Unis (1933). Le séduisant
Lindbergh italien devint le visage de l’Italie fasciste à l’étranger, donnant du
régime une image moderne, dynamique, héroïque. Un rien frondeur, populaire,
habile à utiliser les moyens de communication modernes, il se transformait en un
chef politique incarnant une alternative au sein du régime que le Duce, on s’en
doute, ne supportait pas. Bien que son embourgeoisement et son absence de
profondeur politique ne l’élevassent pas au rang de concurrent vraiment sérieux,
Balbo pouvait céder à la tentation, grisé par la sympathie que lui exprimait non
sans malice Victor-Emmanuel III. Le projet de réorganisation des forces armées
en faveur de la Marine et de l’Air qu’il présenta à Mussolini à son retour de
Chicago, et qui potentiellement pouvait faire de lui un chef d’état-major
dangereux, signa sa perte. Mussolini connaissait ses classiques, et Balbo aurait
dû se souvenir de la proximité de la roche Tarpéienne avec le Capitole. Le
23 août, le Duce organisa pour son héritier putatif un véritable triomphe romain
avec défilé sous l’arc de Constantin, puis le 23 octobre le destitua de sa fonction
ministérielle et le nomma gouverneur de Libye. Le poste était certes prestigieux,
et Balbo le démontra dans ses fonctions, mais il s’agissait bel et bien d’un exil.
Sa carrière ne s’en releva pas40. Starace vit donc s’éloigner avec satisfaction cette
grande personnalité qui se gaussait de ses feuillets…
Restait Farinacci. Réélu à la Chambre des députés en 1929, il ne put
toutefois garder son poste au Grand Conseil fasciste où Mussolini ne le voulait
plus. Il se replia alors sur son fief et utilisa son journal Regime fascista pour
mieux pourfendre la corruption et l’embourgeoisement qui rongeaient selon lui
le parti. Or, le révolutionnaire de Crémone engagé dans sa lutte en faveur de la
restauration des valeurs morales du fascisme – sans être lui-même un ange de
vertu ! – se heurtait à de puissants ennemis, au premier rang desquels se
trouvaient toujours Turati et Arnaldo Mussolini. La police politique surveillait
ses faits et gestes comme ceux de son entourage. Dans le « dossier Farinacci »
on trouvait de nombreuses pièces accusatrices mettant en évidence ses liens réels
avec des monarchistes et avec un parti du Principino, surnom affectueux donné
au prince de Piémont, Humbert. Farinacci ménageait-il l’avenir avec l’espoir de
bénéficier de l’appui de l’héritier du trône en cas de chute ou de mort du Duce ?
D’autres fiches mettaient en cause ses rapports mystérieux avec la franc-
maçonnerie internationale. Sa popularité restait en tout cas intacte auprès des
militants fascistes qui voyaient en lui l’image de la pureté de leur mouvement.
De plus en plus inquiet, Mussolini envisagea en 1931 son exclusion du PNF.
Mais Giuriati, qui l’appréciait et partageait certaines de ses analyses, l’en
dissuada en arguant des conséquences d’une telle rupture41.
De toute façon, Farinacci s’en tenait à sa ligne directrice : critiquer sans
fronde ouverte et renforcer son poids politique dans l’attente d’une vacance du
pouvoir. La mort d’Arnaldo Mussolini en 1931 le libéra d’un adversaire influent,
tandis qu’il joua un rôle central dans la manœuvre qui expédia Turati dans un
asile psychiatrique puis en résidence surveillée en envoyant à Mussolini des
documents compromettants sur les mœurs débauchées et violentes de son
ennemi mortel42. Starace, quant à lui, n’attendait que l’ordre de son bien-aimé
chef pour agir dans un sens ou dans l’autre. Pour l’instant, Farinacci, vent debout
devant la décadence du parti, toujours ostracisé, ne bénéficia pas du
renouvellement du Grand Conseil de novembre 1932, avant de subir durant l’été
1933 une violente campagne de presse mettant en cause ses qualités morales et
sa probité. Il faut dire qu’il avait envoyé en janvier un rapport d’une cruelle
vérité à Mussolini. Il y dénonçait la mutation du fascisme en mussolinisme,
mettait en évidence les fragilités du régime construit sur un consentement social
fragile et des alliances conjoncturelles, et en appelait à une restauration du PNF
dans toutes ses prérogatives. Surtout, il pointait du doigt avec acuité le problème
de la succession :

Tant que tu seras sain et fort, lui écrivait-il, il y aura la paix. Mais qui pense à l’avenir frissonne. En
Russie, grâce à la formidable organisation du parti et des cadres dirigeants, Staline a pu succéder à
Lénine en conservant la même force. C’est seulement ainsi qu’il a pu briser le mouvement de Trotski.
Mais en Italie nous aurons la lutte fratricide parce que tous les vieux et éminents hiérarques sont
divisés et je ne vois aucun homme qui puisse nous assurer la continuité du Gouvernement et du
régime […]. Donc, nous avons besoin d’hommes forts et sûrs (même si nous ne sommes pas
beaucoup) pour continuer l’œuvre du fascisme. Ces hommes, tu dois les préparer et les faire apprécier
et aimer du peuple […]. Président, qu’est-ce que l’Etat aujourd’hui ? La confiance en Mussolini. Nous
ne sommes pas encore arrivés à l’Etat qui donne force aux hommes. Il y a un homme qui donne force à
l’Etat. Mais qu’arrivera-t-il quand il n’y aura plus cet homme43 ?

Balbo exilé, Farinacci représentait le dernier véritable danger pour le pouvoir
de Mussolini. Les attaques de l’été 1933 l’affaiblirent d’une manière certaine.
Mais comme toujours avec son aile radicale, le Duce savait s’arrêter à temps.
Les ultras lui étaient utiles, surtout dans une période de tensions internes et
externes. Ainsi sut-il avec pragmatisme attraper la main de réconciliation que
Farinacci lui tendit lorsqu’il lui demanda une audience pour lui parler « avec une
absolue loyauté ». L’enfant terrible du fascisme arriva-t-il à l’entretien du
21 novembre 1933 fort de documents compromettants sur Mussolini comme cela
fut affirmé à plusieurs reprises44 ? Difficile à dire. Quoi qu’il en fût, cette
rencontre scella leur réconciliation. Farinacci put se présenter aux élections
législatives de mars 1934, Mussolini se rendit pour la première fois depuis dix
ans à Crémone, le 7 octobre 1934, et accepta le retour de son turbulent disciple
au Grand Conseil le 15 janvier 1935. A partir de ce moment, Farinacci rentra
dans le rang.

La fougue révolutionnaire
La normalisation du fascisme dans les années 1920 sembla consacrer la
défaite des intransigeants au profit des conceptions autoritaires et conservatrices
incarnées par le ministre de la Justice Alfredo Rocco. Même si sur le fond il n’en
était rien, on l’a vu, Mussolini donnait l’impression d’avaliser un tel tournant.
Les fascistes révolutionnaires se réfugièrent alors dans le monde de la culture
qu’ils cherchèrent à dominer. Ils y voyaient en effet le meilleur moyen de
conquérir, d’orienter et de dominer l’opinion publique. A travers une vision que
ne renierait pas le communiste Gramsci, la culture devenait l’instrument
privilégié du succès politique, le champ de bataille préalable à toute victoire sur
le long terme. Les lettrés du fascisme entendirent le mot d’ordre mussolinien
exprimé en 1931 « Aller vers le peuple » et le suivirent45. En fait, à l’égard de
son aile gauche, le dictateur alternait le chaud et le froid. Habile tacticien
politique, il la réprimait en la censurant quand les positions exprimées allaient à
l’encontre de ses objectifs gouvernementaux mais n’hésitait pas à lui donner des
gages. Une fois le régime consolidé et le troisième temps de la révolution lancé,
avec un PNF solidement tenu en main par ses statuts de 1932 et par le chien de
garde Starace, le Duce se sentit assez fort pour lancer une offensive contre la
bourgeoisie. Le ton se fit alors plus acerbe et les attaques plus directes. Le
18 mars 1934, il exprima dans un discours son aversion pour l’esprit bourgeois
fait de « satisfaction et d’adaptation, une tendance au scepticisme, au
compromis, à la vie facile, au carriérisme ». De telles valeurs étaient
incompatibles avec le fascisme car « le credo du fascisme est l’héroïsme, celui
du bourgeois l’égoïsme ». Face au danger que l’esprit bourgeois représentait
pour le nouveau régime, une seule solution : continuer la révolution fasciste46.
Rien de conjoncturel ou d’opportuniste dans cette guerre aux valeurs
bourgeoises : le fascisme était antibourgeois car par essence antidémocratique et
vice-versa.
Cette offensive se déroulait dans le contexte des élections législatives
prévues pour le 25 mars. Organisé dans des conditions identiques à celles de
1929, ce dernier scrutin électoral de l’histoire de l’Italie fasciste déboucha pour
le PNF sur un succès confinant au sublime : le parti récolta 99,84 % des votes !
La XXIXe législature s’ouvrit le 28 avril 1934 par le traditionnel discours du
trône qui confirmait le durcissement politique du régime fasciste. Le vieux roi à
la voix rauque évoqua la crise de 1929 et les réponses qui y furent apportées,
s’arrêta sur le thème colonial et réaffirma les priorités militaires. Il se déclara
surtout satisfait des changements positifs relevés au sein du peuple italien
désormais « uni et compact autour du Blason de [sa] Maison et du Licteur
romain47 ». Le Sénat tombait lui aussi sous la coupe du gouvernement, mais
d’une manière plus lente que la Chambre à cause des sénateurs nommés à vie. Il
fallait donc attendre que le temps fît son œuvre pour proposer des candidats
estampillés « fascistes » à la signature royale. L’infiltration s’opéra par le biais
de l’Union nationale fasciste, la cellule du PNF au sein du palais Madame
chargée d’attirer le maximum de sénateurs. Elle pouvait compter sur l’appui de
Giuriati qui cumula les fonctions de secrétaire général du parti et de président de
la Haute Assemblée. En 1932, une étape fut franchie. En effet, le nouveau statut
du PNF plaça, par son article 5, l’Union nationale sous le contrôle direct du
secrétaire général Starace qui ainsi gardait la main sur les activités au Sénat48. De
tous côtés, le régime paraissait solide et prêt pour la bataille.
Cette ambiance socialisante plaisait aux fascistes révolutionnaires qui
apportèrent un plein soutien à leur chef. La voilà enfin la révolution fasciste,
dans l’esprit de San Sepolcro, qu’ils attendaient depuis 1922 ! Les rapports entre
les « subversifs noirs » et le Duce se métamorphosèrent en une sorte d’idylle. Le
temps des désillusions arriva plus tard. Pour le moment, les grognards du
fascisme s’engageaient dans la révolution antibourgeoise sur le champ de
bataille culturel. Plusieurs publications se tenaient en première ligne dans ce
combat : L’Impero, Il Tevere, Roma fascista, L’Italia vivente. La littérature ne fut
pas en reste. A cet égard, les romans de Marcello Gallian publiés dans les
années 1930 étaient très symptomatiques. Son radicalisme antibourgeois
s’alimentait à une vision mêlant exaltation franciscaine de la pauvreté et
nostalgie rousseauiste d’un état de nature immaculé. L’homme dans sa pureté
originelle avait été en fait corrompu par la bourgeoisie, par son égoïsme et
surtout par l’argent. Seule une révolution anthropologique, conduite par une
armée d’apôtres autour d’un chef charismatique, pourrait le libérer de cet appétit
de luxe et de profit. De fait, les héros de Gallian prenaient souvent la forme de
vagabonds, de marginaux, de jeunes bourgeois en rupture sociale. En 1933, il
rédigea aussi un pamphlet, Colpo alla borghesia (« Coup à la bourgoisie »), dans
lequel il opérait une fusion entre le fascisme et le « peuple » paré justement des
vertus du mouvement : esprit de sacrifice, courage, défense du travailleur,
sobriété, etc. Il revenait donc aux fascistes animés de la foi squadriste de purger
la partie de la société contaminée par l’esprit bourgeois49.
De plus, l’aile socialisante du mouvement puisa dans le cataclysme
économique de 1929 une nouvelle inspiration pour ces attaques contre le monde
anglo-saxon mais surtout contre celui de l’argent. Déjà en 1927, l’écrivain et
journaliste Berto Ricci avait écrit dans la revue Il Selvaggio (« Le Sauvage ») :
« L’anti-Rome existe mais ce n’est pas Moscou. Contre Rome, cité de l’âme, il y
a Chicago, cité du porc. » Il récidiva dans cette haine pour le capitalisme en des
termes tout aussi virulents : « Une société d’hommes entre lesquels l’argent
représente encore une distinction de rang et un instrument de pouvoir personnel
ne peut se dire fasciste […]. La lutte politique du siècle est entre la civilisation
du travail et la circulation de l’argent […]. On ne peut transiger avec le monde
de l’argent c’est-à-dire avec la conception mercantile de la vie et avec celle
ploutocratique de la société50. » De l’exécration du capitalisme anglo-saxon on
passa vite à un certain intérêt teinté d’admiration pour l’URSS de Staline qui
s’exprimait par exemple chez Malaparte51. Bottai n’était pas le dernier à
rapprocher le fascisme du communisme. « L’Italie et la Russie, affirma-t-il en
novembre 1930, sont les seuls (et même authentiques) principes de rénovation
du monde moderne. Avec Mussolini, ou avec Lénine, il n’y a pas d’autre
échappatoire pour la décrépite société bourgeoise qui nous hait. » Ce fut donc en
toute logique qu’il préfaça en 1934 l’édition italienne d’un recueil d’articles de
Staline et d’autres dirigeants soviétiques, Bolcevismo e capitalismo. Trois ans
auparavant, sa revue, Critica fascista, avait accueilli dans ses pages un débat sur
« Rome ou Moscou ? Une discussion “ouverte” » duquel émergeait la conviction
d’une rencontre inévitable entre les totalitarismes. « Russie et Italie, écrivit l’un
des contributeurs, sont unies dans l’effort créateur d’un nouvel ordre et dans cet
effort se trouve pour moi la beauté de leur œuvre. Aujourd’hui, une croisade de
Rome contre Moscou déboucherait inévitablement sur une vague de réaction, et
cela le fascisme […] ne peut le vouloir52. » Le débat autour du corporatisme
favorisait ce type d’analyses et poussait le philosophe Giovanni Gentile à
affirmer : « Un communiste est un corporatiste impatient53. » Tous suivaient les
mots d’ordre mussoliniens du troisième temps et de la marche vers le peuple. Le
plus philocommuniste des fascistes restait sans nul doute Romano Bilenchi.
Journaliste, il collaborait aux revues les plus contestataires (Il Selvaggio, Il
Bargello, L’Universale et Critica fascista). Les deux régimes portaient, selon lui,
la même ardeur révolutionnaire. « Nous ne croyons pas, martela-t-il, aux
révolutions qui ne font pas de morts et qui n’enterrent pas totalement le passé. »
De surcroît, la haine de la démocratie libérale exprimait celle de toute nostalgie :
« Nous jurons de haïr chaque démocratie […]. Il faut être fasciste dans le sens
vrai du mot qui doit signifier pour nous force innovatrice, destruction de toute
idée passéiste, de toute civilisation décadente, de toute religion inutile54. »
Cette inclination pour la révolution bolchevique reposait, on l’a compris, sur
l’exécration pour la démocratie libérale et bourgeoise et son frère jumeau le
capitalisme. L’emprise totalitaire du communisme sur les individus, son
radicalisme idéologique, son caractère impitoyable exerçaient aussi une réelle
fascination sur des esprits imprégnés de l’idée révolutionnaire. Les fascistes les
plus ultras voyaient bien les limites de leur propre révolution, les compromis,
voire les compromissions avec les forces conservatrices, les petits pas et les
prudences pour se détacher du passé, tous ces obstacles sur la route de la
régénération générale de l’homme et de la société. Cela dit, le fascisme
conservait son antibolchevisme originel qu’il ne pouvait sacrifier, sauf à se
renier. Les révolutionnaires de Mussolini mettaient donc en avant l’absence de
valeurs spirituelles du marxisme matérialiste qui ramenait l’homme à un objet
économique. Ils insistaient sur le fait que le régime soviétique, né en réaction au
capitalisme, en était en réalité le fruit. Seul le projet fasciste permettrait de
dépasser le capitalisme.
Ces idées rencontraient un grand succès chez les plus jeunes. N’ayant pas
connu la période du squadrisme, ils n’en avaient pas hérité de la virulence
antisocialiste et anticommuniste mais, abreuvés de fascisme, ils faisaient
profession d’un antilibéralisme vibrant. Trop jeunes pour se souvenir de l’Etat
libéral, ils n’en avaient aucune nostalgie. L’Italie fasciste demeurait leur seul
horizon et Mussolini leur guide. L’intérêt que suscitait chez eux l’expérience
soviétique venait de l’insatisfaction éprouvée devant un fascisme qui, après avoir
réalisé la révolution dans le domaine politique, la retardait depuis 1922 dans le
domaine social et économique.
La jeunesse se trouvait au centre d’une compétition entre Mussolini et l’aile
intransigeante du PNF. Dans l’immédiat après-guerre, le fascisme avait incarné
la révolte de toute une génération, celle qui refusait le piétinement des sacrifices
imposés par la guerre et qui se dressait contre les générations plus âgées. Comme
la Révolution française, celle du fascisme était une affaire de jeunes cadres. Tous
ses chefs étaient représentatifs de cette tendance puisqu’en 1922 Mussolini, du
haut de ses 39 ans, était le plus vieux de ses compagnons. L’âge moyen des chefs
locaux se situait autour de 30 ans55. La normalisation du mouvement
s’accompagna de mesures de discipline afin de renvoyer la plupart de ces jeunes
gens à leurs chères études, tandis que la réforme Gentile introduisait une sévère
et très bourgeoise sélection pour les lycées et les universités. Pour autant, la
dynamique révolutionnaire comme sa matrice idéologique, aussi confuse fût-
elle, interdisait au fascisme de se couper de la jeunesse dépositaire de l’esprit des
origines. Le pouvoir comme les grognards savaient que la pérennité du régime
passait par sa fascisation.
Dès le début du mouvement, un investissement particulier visa le milieu
étudiant autant pour y recruter des soldats du fascisme que pour susciter des
adhésions au projet politique et social. Les Groupes universitaires fascistes
(GUF) furent ainsi fondés dès mars 1920 et maintenus une fois Mussolini au
pouvoir, puis restructurés en 1927. L’Université dans son ensemble demeurait
peu fasciste, nous l’avons vu plus haut. Les professeurs courbaient certes
l’échine, non sans se gausser de la grossièreté des nouveaux maîtres, tandis que
l’adhésion idéologique des étudiants, n’ayant pas été endoctrinés depuis leur
plus jeune âge, restait sujette à caution. Avec le tournant de 1929, le contrôle
totalitaire de la jeunesse estudiantine prit un nouvel élan. Au printemps 1930, le
Grand Conseil se pencha sur une réforme des GUF et de la formation qui y était
dispensée. C’était d’autant plus nécessaire que commençaient à arriver à
l’Université les étudiants passés par les structures propagandistes. Le parti,
désireux de stimuler leur esprit et de satisfaire leurs besoins de débats,
maintenait au sein des GUF une certaine liberté d’expression tout en cherchant à
sélectionner les meilleurs. Cet état d’esprit se retrouvait dans les Littoriali. Mis
en place à partir de 1934, ces concours annuels permettaient aux étudiants de
s’exprimer sur des sujets variés, de la politique à l’art, avec la participation
d’artistes, d’écrivains et même de hiérarques du régime comme Bottai. Chaque
GUF procédait à une sélection de candidats qui se soumettaient à un exercice
écrit ou oral et sportif. Les vainqueurs participaient alors aux finales nationales
organisées chaque année dans une ville différente de la péninsule56. Le parti
comptait donc sur les GUF pour la formation d’une élite spécifiquement fasciste,
pour parachever le travail idéologique commencé au berceau. Néanmoins, le
régime ne pouvait se contenter des fidèles déjà convaincus. Il fallait s’emparer
de toute la jeunesse du pays. D’où la mise en place, le 8 octobre 1930, des
Faisceaux juvéniles de combat comme nous l’avons vu plus haut57.
Les jeunes, sous l’impulsion du PNF, pouvaient ainsi donner libre cours à
leur volonté de participer, à leur manière et à leur niveau, à la révolution fasciste.
Mussolini cherchait d’ailleurs à les convaincre que la construction de l’Italie
nouvelle, commencée en 1922, se poursuivait avec toujours plus d’élan et qu’il
avait besoin d’eux. Les GUF remplirent alors leur mission : ils fournirent au
parti 54 secrétaires fédéraux, 10 membres du directoire national, 2 secrétaires
généraux adjoints et un secrétaire général58. Pour autant, les critiques
estudiantines en direction du PNF ne manquaient pas, loin de là ! Gardes noirs
de la révolution, ils pourfendaient la bureaucratisation, la corruption, le
clientélisme et surtout l’embourgeoisement des dirigeants désormais assis sur
des positions confortables de petits marquis locaux59. N’ayant pas connu la phase
héroïque du squadrisme, ils trouvaient dans les revues « contestataires » le
contenu intellectuel pour entretenir la flamme et en Bottai, Ricci, Maccari des
maîtres à penser. Ils aspiraient à vivre à leur tour une époque de ruptures et
percevaient les contradictions internes du régime pris entre le dynamisme
inhérent à son message et les prudences gouvernementales, d’où leur ambition
de les dépasser.
Or, ils comptaient pour cela sur Mussolini. Le dictateur exerçait sur eux une
fascination sans limite. Les jeunes voyaient en lui le plus grand révolutionnaire
du XXe siècle et rejetaient sur le parti et ses hiérarques affadis les manques
comme les retards de la révolution fasciste. Bien sûr, le Duce entretenait ces
illusions avec toute la force de sa démagogie. Comme le fit plus tard Mao au
moment de la Révolution culturelle, les jeunes militants lui servaient de ferments
révolutionnaires et d’armes contre ses adversaires au sein de l’Etat et du parti
mais solidement tenus entre les mailles de son pouvoir. Le moment n’était pas
encore venu de lâcher la meute.

Un César d’un nouveau type


L’historien Emilio Gentile définit le fascisme comme un césarisme totalitaire
qu’il décrit en ces termes : « Une dictature de type charismatique intégrée dans
une structure constitutionnelle complexe fondée sur un parti unique, la
subordination et l’intégration de la société dans l’Etat, l’organisation et la
mobilisation des masses60. » Stricto sensu, le césarisme renvoie à une forme de
gouvernement autoritaire où le pouvoir est exercé par une personnalité
charismatique soutenue par le peuple, tel que la France le connut avec les
régimes bonapartistes. Le fascisme, bien sûr, installa un régime dépassant les
limites d’un simple autoritarisme puisque motivé par un dessein de rupture
anthropologique et se caractérisa très vite par le poids politique, institutionnel et
propagandiste de Mussolini.
L’homme qui présidait aux destinées de l’Italie présentait un caractère fort
complexe qui le rendait insaisissable sur bien des points. Son apparente
robustesse physique, sa détestation de l’alcool et son style de vie assez spartiate
cachaient une santé fragilisée par le stress des responsabilités et des maux
d’estomac très douloureux. Sa brutalité naturelle s’exprimait dans son projet
politique, ses discours et dans sa froideur vis-à-vis de ses collaborateurs ou de
ses ministres qu’il licenciait facilement mais n’éliminait pas. Malgré sa rancune
tenace, il ne faisait pas preuve de la cruauté ou du sadisme dont ses comparses
dictatoriaux abusaient ; et s’il avait du sang sur les mains, il ne se rangeait pas
dans la catégorie des épurateurs sanglants dont l’Europe accoucha à cette
époque. Il pouvait même exprimer de la compassion pour les humbles et
n’hésitait pas à verser subsides, oboles et autres secours à des nécessiteux.
Autodidacte cultivé, il resta toute sa vie un homme de lettres, maniant le stylo,
rédigeant des articles pour les journaux ou les revues du régime mais sans jamais
renier ses racines prolétaires.
Son cynisme lui permettait de naviguer dans les eaux troubles de la politique
et il savait avec un don inégalable sentir les humeurs du pays, les exprimer pour
mieux les exploiter, tandis que ses capacités de travail en faisaient un chef de
gouvernement très bien informé. Tyran sans morale, il souffrait d’une réelle
timidité qui le poussait inexorablement à se retrancher derrière les murs du palais
de Venise ou de ses résidences privées, avant de communier avec la foule lors de
discours grandiloquents et théâtraux où des liens presque orgasmiques unissaient
la masse en adoration et l’orateur au visage de pierre. Le dictateur martelant ses
mots d’ordre, jouant des coups de menton et de son regard pénétrant, devenait
dans l’intimité un amant sentimental, voire mièvre, comme ce fut le cas avec sa
maîtresse Claretta Petacci qui le suivit jusque dans la mort. Cette jeune femme,
qui remplaça Margherita Sarfatti sans en avoir l’influence politique, atténuait la
solitude d’un Duce retranché de l’existence normale des hommes. Sa sexualité
débridée qui lui faisait accumuler les relations brusques et éphémères ne lui
causait aucun problème de conscience. Il était plutôt fier de ce signe de
robustesse et de virilité. Son épouse Rachele, toujours prête à le défendre et pour
laquelle il nourrissait une sincère tendresse, se tenait immobile et silencieuse
dans la villa Torlonia où il l’installa avec sa famille en 1925.
Le dictateur aimait l’exercice du pouvoir, avalant les dossiers comme
d’autres les plats, prenant peu de repos, enchaînant les entretiens, les audiences,
les réunions. Filippo Anfuso, diplomate et futur ministre de la république de Salò
note dans ses Mémoires que « l’ordre chronologique, le résumé, le tableau
synoptique, le détail propre à éclairer, la référence essentielle, étaient ses
délices61 ». Cette boulimie de travail s’ajoutait à sa défiance naturelle envers les
individus pour le pousser à concentrer entre ses mains le maximum de fonctions
étatiques. Obligé de partager l’autorité avec le souverain, Mussolini n’entendait
pas avoir d’autres concurrents, et encore moins d’égaux, mais seulement des
exécutants. Pendant tout le Ventennio, soit les vingt années du régime, il cumula
sa charge de président du Conseil avec d’autres portefeuilles. Il ne lâcha celui de
l’Intérieur qu’entre 1924-1926 au bénéfice de Federzoni et celui des Affaires
étrangères qu’à deux reprises en faveur de Grandi de 1929 à 1932 et de son
gendre Ciano de 1936 à 1943. Très souvent, à l’occasion de la destitution d’un
ministre, il reprenait sa fonction. Ainsi s’occupa-t-il des Colonies, des
Corporations, des Travaux publics, de la Guerre, de la Marine, de
l’Aéronautique. Pour alléger la masse de travail que cette accumulation
représentait, il s’appuyait sur de fidèles sous-secrétaires d’Etat comme Giacomo
Acerbo ou Giacomo Suardo62. Comme on le vit avec le choix des secrétaires
généraux du PNF, le critère de compétence jouait de moins en moins au profit de
celui de la fidélité servile. Il finit même par sombrer dans le népotisme en
favorisant la carrière politique de son gendre Galeazzo Ciano dont il fit son
dauphin putatif. Cette inclination trouvait son origine dans le tournant de la
première moitié des années 1930 qui vit le Duce couper les têtes de tous ses
rivaux potentiels : Balbo expédié en Libye, Grandi nommé à la tête de
l’ambassade d’Italie au Royaume-Uni, Bottai renvoyé à ses chères études. Aux
fonctions ministérielles s’ajoutaient la présidence du Grand Conseil, le
commandement général de la Milice, le pouvoir de choisir les titulaires de tous
les postes de responsabilité au sein du PNF et le contrôle de la presse. Ainsi,
lorsque son frère Arnaldo présidait Il Popolo d’Italia depuis Milan, le dictateur
prenait-il le temps chaque soir de lui téléphoner pour lui donner ses directives63.
Cette situation posait un certain nombre de problèmes sur le futur du régime
fasciste qui s’avérait incapable de fournir une élite gouvernementale solide, apte
à assurer un jour la transition d’un Duce à un autre. Comme l’avait fort bien
souligné Farinacci, tout le régime reposait sur Mussolini, et même si le
mécanisme de la succession était en théorie prévu dans les statuts du Grand
Conseil à l’article 13, la mort du fondateur aurait ouvert la porte sur l’inconnu.
Que se serait-il passé si cet événement était arrivé avant la guerre ? Le régime
fasciste aurait-il survécu ? Impossible à dire, même si l’exemple de la succession
de Staline en 1953, qui ne remit pas en cause le système soviétique, oblige à
rester prudent dans les hypothèses. De fortes personnalités comme Balbo,
Farinacci ou Grandi, même mises à l’écart, auraient joué de leur poids politique
pour reprendre le flambeau. A moins que la monarchie ne se décidât à ne pas
jouer le rôle qu’on attendait d’elle.
En effet, on néglige trop souvent que la loi fasciste confiait au souverain le
choix du nouveau Duce et maintenait ainsi entre ses mains une prérogative
importante. A force de ne voir que Mussolini, on en oublie qu’il n’occupa que le
poste de Premier ministre. Jamais il ne fut chef de l’Etat à l’instar d’Hitler. Et
comme Victor-Emmanuel III n’eut pas la bonne idée de mourir précocement,
Mussolini dut supporter jusqu’en 1943 sa tutelle, certes effacée et discrète mais
néanmoins réelle. Les deux hommes ne s’aimaient pas mais éprouvaient l’un
pour l’autre une curiosité teintée d’une sorte d’estime réciproque. Aucun
sentiment bien sûr n’entrait en jeu dans leurs rapports. Le descendant des habiles
ducs de Savoie et l’ancien socialiste connaissaient les règles du jeu politique au
sein du régime fasciste et chacun d’eux évitait de faire le faux pas qui signerait
la fin du modus vivendi construit depuis 1922. Détestant son métier de roi,
Victor-Emmanuel III exécrait depuis toujours le monde politique et ses intrigues.
Ainsi s’était-il replié sur sa vie familiale, loin des ors du Quirinal, délaissant à
ses présidents du Conseil le soin de gouverner et la joie de prendre des décisions.
Les désordres de la guerre accentuèrent ses défiances à l’encontre du système
parlementaire. Il avait avalisé la fin du régime libéral mis en place par ses
prédécesseurs et qu’il avait lui-même consolidé au début de son règne, laissant le
chef fasciste mettre le pays au pas. Du moment où la dictature fut solidement
établie, il n’entrava jamais son fonctionnement. Mise à part sa famille, le petit
roi n’aimait personne et certainement pas un homme politique. Mussolini
n’échappa pas à la règle. Mais incontestablement l’héritier de la prestigieuse
Maison de Savoie éprouvait une réelle admiration pour son œuvre politique,
pour ses succès tant internes qu’externes – la divergence n’éclata qu’à la fin des
années 1930 sur la politique étrangère –, pour la remise en ordre du pays et le
rétablissement de son prestige à l’étranger ; mais aussi pour l’homme en lui-
même, ce petit-bourgeois autodidacte fier de ses ascendances populaires qui
s’était élevé tout seul, loin des hystéries littéraires d’un D’Annunzio que le roi
n’avait jamais supportées. Il le gratifia même de plusieurs gestes dont ses
prédécesseurs n’eurent pas l’honneur. Notons bien que le monarque n’éprouva
aucune sympathie idéologique pour un régime dont les caractères parfois
bouffons l’amusaient. En fait, le fascisme transformait le pays en une sorte de
caserne, ce qui correspondait aux valeurs martiales de Victor-Emmanuel III et
son goût immodéré pour l’ordre. Il savait que le fascisme passerait avec le temps
et que la Couronne, qui en avait vu d’autres, avait pour elle l’éternité du temps et
de l’histoire. Pourquoi agir contre un gouvernement qui remportait autant de
succès et qu’il savait populaire auprès de l’opinion publique ? Non, il fallait
attendre, sauver ce qui était essentiel à ses yeux – comme les symboles pérennes
de la monarchie –, jauger les hiérarques pour savoir sur lequel s’appuyer le
moment venu. De toute façon, il demeurait hors de question pour Victor-
Emmanuel III d’envisager un retour à l’ordre ancien qui avait échoué sur toute la
ligne.
Si le roi n’adhéra jamais au fascisme, Mussolini quant à lui ne se convertit
pas à la monarchie. De son héritage familial et socialiste, ce révolutionnaire
conserva toute sa vie le républicanisme. La royauté appartenait au monde du
passé que le fascisme ensevelissait. Seul son pragmatisme politique lui avait
commandé en 1922 de rassurer la Couronne et de faire taire les courants les plus
intransigeants. La question du régime ne se posait plus. Mussolini joua donc au
Premier ministre qui chaque semaine se rendait au palais du Quirinal pour
s’entretenir avec le souverain et lui faire signer les documents officiels. Une fois
de plus, l’habile Romagnol faisait une bonne évaluation du rapport de forces.
Victor-Emmanuel III avait beau incarner à ses yeux la dégénérescence des fins
de race et la Couronne briller d’une lumière bien pâle, Mussolini ne se sentait
pas de taille à les affronter directement. Non pas que le froid souverain fût très
aimé de ses sujets, mais d’une part de larges secteurs de la société italienne
restaient attachés au principe monarchique, et d’autre part la dynastie bénéficiait
de la fidélité de l’armée, des carabiniers et des autres grands corps de l’Etat, ce
qui rendait hypothétique une victoire en cas de conflit direct. Très certainement
Mussolini attendait-il la mort du vieux monarque pour bloquer la succession et
abolir la monarchie, d’où le dossier que la police politique constituait sur les
mœurs que l’on disait particulières du très beau prince héritier Humbert.
La dictature était et resta jusqu’au bout une dyarchie, une construction
hybride dans laquelle cohabitaient deux pouvoirs, deux structures
institutionnelles qui « coexistaient dans une harmonie apparente alors qu’elles
vivaient dans une condition juridique confuse, périodiquement troublée par des
tensions et des divergences, exposées à des évolutions incertaines et
imprévisibles64 ». La révolution fasciste s’arrêta à mi-chemin entre 1922 et 1926.
Le maintien de la monarchie en était un autre symptôme qui alimentait les
inquiétudes des faucons du régime. Qui, de la Couronne ou du Faisceau,
gagnerait le bras de fer ultime et décisif ? La dictature avait aboli le lien
institutionnel unissant le chef du gouvernement et le Parlement mais, on l’a vu,
avait renforcé celui avec le roi devant lequel il était désormais responsable.
Mussolini avait pour lui la force de la dictature, l’efficacité de l’appareil
répressif et propagandiste, la puissance de son charisme, la ferveur des Italiens.
Mais il restait le numéro deux de l’Etat, ce que le protocole ne cessait de lui
rappeler. La signature royale demeurait en outre indispensable au bon
fonctionnement étatique. Quant au discours du trône, son maintien pendant tout
le Ventennio – y compris en 1939 quand la Chambre des députés fut transformée
en organe purement fasciste – démontrait, de la part du fascisme, une sorte de
besoin de légitimité que seule la Couronne pouvait lui assurer65. La manière dont
plusieurs hiérarques, et pas les plus modérés, flattaient le roi ou le prince de
Piémont confirmait que le Quirinal gardait des cartes en main, notamment en
vue de la succession du Duce. En fait, Mussolini, en acceptant du roi la charge
de président du Conseil, s’était lui-même placé dans les mailles de la monarchie
dont il ne se libéra jamais complètement. L’institution, aussi faible fût-elle,
préserva l’Etat de la fascisation totale et au bout du compte gagna le bras de fer.
La déroute de l’antifascisme
Le fascisme fut aussi fort de la faiblesse de ses adversaires. L’antifascisme
s’avéra non seulement incapable de combattre efficacement le régime, et encore
moins de le renverser, mais aussi de mobiliser la masse des Italiens contre lui.
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène.
La première venait des conditions de la lutte. Après le démantèlement des
partis officiels dans les années 1920, de nombreux opposants n’eurent d’autres
choix que de quitter le pays et de reconstituer à l’étranger les structures
politiques traditionnelles : les deux partis socialistes, le Parti républicain et le
Parti communiste, auxquels s’adjoignit en 1929 le groupe Giustizia e Libertà
(Justice et Liberté) créé à Paris par des antifascistes dont Carlo Rosselli. L’exil
les éloignait des réalités du pays, et beaucoup d’opposants refusèrent de croire à
la solidité d’un régime qu’ils exécraient. Coupés de la société italienne, ils
orientaient leurs actions en priorité vers le public français ou anglo-saxon.
Parfois, leur renommée leur permettait de se faire entendre des strates les plus
élevées du pays d’accueil. C’était le cas de Salvemini qui fit soixante-dix-huit
conférences au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, dont trois à Harvard, où ses
qualités intellectuelles et pédagogiques firent merveille66. Mais c’était aussi le
cas de Nitti, de Sturzo et d’un diplomate ambitieux qui avait quitté la carrière, le
comte Sforza. L’exil comme leurs écrits leur conféraient une légitimité dont ils
surent se servir lors de l’écroulement du régime. Cependant, aussi brillants
fussent-ils, ces honorables personnages, dans leur majorité, ne représentaient
pour le moment qu’eux-mêmes.
Rajoutons que l’antifascisme souffrait de ses divisions politiques et
idéologiques. Rien ne les rassemblait en dehors de l’hostilité au régime italien en
place et tout les opposait : héritages historiques, analyses philosophiques, projets
politiques. Les communistes, tenus sous la férule de Moscou, se voulaient les
seuls véritables antifascistes. Ils maintenaient en plus leur hostilité à l’encontre
d’un PSI qui en 1930 parvint à reconstituer son unité en s’engageant sur la voie
du réformisme67. De son côté, le secrétaire général du PPI, Alcide De Gasperi,
subissait des attaques toujours plus fortes de la part des fascistes, manière brutale
de jeter le parti catholique dans une semi-clandestinité. Le 14 décembre 1925, il
jeta l’éponge et démissionna avant d’être déchu de son mandat de député l’année
suivante. Arrêté le 11 mars 1927 puis relâché sous pression du roi, il trouva
refuge au Vatican68. Avec Sturzo en exil et De Gasperi isolé, le PPI entra en mort
clinique et fut dissous le 9 novembre 1926.
Tous les antifascistes n’étaient pas des démocrates convaincus, même en
dehors des communistes. Car il existait une opposition au fascisme recrutée dans
les cercles nationalistes d’annunziens qui n’étaient pas sans influence sur
certains jeunes esprits épris d’aventures. Néanmoins tous portaient un projet
régénérateur pour l’Italie une fois libérée du fascisme. Il existait aussi une
résistance culturelle chez des universitaires ou des esprits cultivés des classes
supérieures, riches de leurs réseaux à l’étranger69. C’était le cas dans les grandes
villes du nord, surtout Turin, ville cosmopolite mais aussi ouvrière qui devint un
centre antifasciste notable. Au sein de la famille royale, le très pieux prince
Humbert passait pour tiède à l’égard du régime. Mais la plus hostile restait son
épouse, la princesse Marie-José. Fille du roi des Belges Albert Ier, elle avait
épousé l’héritier du trône en 1929 et était arrivée en Italie nantie d’un bagage
démocratique et progressiste difficilement compatible avec son royaume
d’adoption. Le naufrage de son mariage, son exécration de sa belle-famille
autant que ses valeurs familiales la poussèrent à se rapprocher des antifascistes70.
Néanmoins, la misogynie de Victor-Emmanuel III comme son antipathie
personnelle bloquaient toute initiative de la princesse de Piémont pour peser sur
les événements. Quant à l’Eglise, elle maintenait une forme d’opposition sur le
plan doctrinal et non politique. Elle continuait donc à apporter un soutien
intéressé au régime tant que celui-ci ne touchait pas à la doctrine catholique, ne
remettait pas en cause le concordat, ne s’alignait pas sur le nazisme néopaïen,
préservait l’Italie du chaos et les Italiens de la subversion politique et de la
décadence morale. Une fois ces lignes rouges franchies à la fin des années 1930,
l’attitude du Saint-Siège se métamorphosa.
Les antifascistes se trouvaient en fin de compte bien isolés. Les plus
militants ne dépassèrent pas le niveau d’une infime minorité au sein du pays et
ils subissaient les coups très durs que la police politique leur portait. Mais cela
n’explique pas la faiblesse de l’emprise de l’opposition sur le pays. En vérité, le
discrédit des anciennes élites pesait toujours sur les esprits, autant que la
comparaison avec ce qu’avait été l’Italie avant 1922. Même si la partie la plus
politisée de la petite bourgeoisie, ossature du régime, pestait contre les
insuffisances de la révolution fasciste, la majorité de la classe moyenne et de la
haute bourgeoisie applaudissait aux réussites du fascisme71. Il existait bien sûr
une opposition silencieuse que l’historien a bien du mal à sonder et qui poussait
les individus à se replier sur eux-mêmes, à répéter sans croire, à suivre sans
conviction dans l’attente de l’écroulement de la dictature, à rire des barzellette
(les blagues) sur Starace. Rien de bien menaçant en somme…
7
La fascisation des Italiens

Remodeler l’homme
La révolution anthropologique se nichait au cœur du projet fasciste. Elle
trouvait ses racines tout d’abord dans la philosophie des Lumières qui, au nom
d’une vision mécaniste de l’homme, avait ouvert le champ à la tentation d’agir
sur lui en s’arrogeant le droit de le corriger pour en faire un être meilleur. De
l’amélioration, la Révolution française passa à la régénération. Par la suite, la
contestation des effets de la modernité sur les individus et sur les sociétés
européennes réalimenta cette volonté d’engendrer un type humain différent,
ambition que la Grande Guerre accentua. Mussolini appartenait pleinement à ces
courants. Il décrivait sa mission selon la métaphore de l’artiste. Lors de
l’inauguration de l’exposition d’art Novecento (XXe siècle) à Milan en mars 1923,
il déclara : « Je me sens de la même génération que ces artistes. Moi j’ai pris une
autre route ; mais je suis moi aussi un artiste qui travaille une certaine matière et
poursuit certains idéaux déterminés1. » On l’a compris, cette matière dont parlait
le dictateur, c’était l’être humain. Il précisa en 1932 son dessein : « Notre façon
de marcher, de nous habiller, de travailler, de dormir et tout l’ensemble de nos
habitudes quotidiennes doit être réformé. » Il ne s’agissait donc pas d’une
transformation physique proprement dite. Mais retenons dès maintenant que
l’exigence d’une perfection corporelle puis d’une préservation raciale prirent un
poids sans cesse plus déterminant. Dès que le régime se stabilisa dans la seconde
moitié des années 1920, les fondements de cette transformation anthropologique
furent posés. Il adopta sa vitesse de croisière après l’accélération de 1929,
prélude à celle de la fin des années 1930.
Si le communisme soumettait l’Etat au parti en le rabaissant au rang de
simple instrument pour la réalisation de l’utopie sociale comme un prélude à sa
disparition, le fascisme le plaçait au centre de son action. L’Etat était une fin en
soi, plaçant l’idéologie fasciste aux antipodes du libéralisme. Une formule
célèbre, prononcée par Mussolini le 28 octobre 1925 au théâtre de la Scala à
Milan, résume la statolâtrie fasciste : « Tout dans l’Etat, rien en dehors de l’Etat,
rien contre l’Etat. » Elle faisait écho à celle exprimée au XVIIIe siècle par le
physiocrate Nicolas Baudeau pour lequel « l’Etat fait des hommes tout ce qu’il
veut2 ». L’Etat avait préexisté à la nation italienne et en avait accouché. La
seconde ne pouvait exister sans le premier qui en était l’essence3. Il fallait
poursuivre l’œuvre interrompue après le Risorgimento, redonner à la nation sa
vitalité en s’appropriant les esprits des Italiens par tous les moyens à disposition.
Sur ce point, le fascisme ne divergeait guère des méthodes usitées en son temps
par la Révolution française : les fêtes, les images, la sémantique, le calendrier,
les mises en scène, l’école, autant d’instruments dont Rousseau avait déjà
préconisé l’usage afin de forger à la manière de Sparte un corps de citoyens
patriotes4. Mussolini y tenait beaucoup : « Chaque révolution crée des formes
nouvelles, des mythes et des rites nouveaux ; il faut utiliser et transformer
d’anciennes traditions. Il faut créer des fêtes, des gestes et des formes nouveaux,
pour qu’eux-mêmes deviennent à leur tour des traditions5. » Ce lien avec la
Révolution française n’échappa pas au journaliste français Henri Béraud. Le
peuple italien, écrivait-il en 1929, « sous forme d’autels de la Patrie, de tables de
la loi, d’emblèmes macabres, d’arbres du souvenir, de chœurs et de cortèges
civiques imite la Révolution française dans sa mystique, sa rigueur et son
pittoresque – tout en proclamant qu’il nettoiera 1789 comme un plat de rougets à
la livournaise6 ».
Parvenu à ce stade de la réflexion, il faut s’interroger sur la signification de
la notion de peuple dans le vocabulaire fasciste. Mussolini apporta en 1932 une
réponse sans ambiguïté :

Nous sommes, comme en Russie, pour le sens collectif de la vie ; c’est ce sens collectif que nous
voulons renforcer aux dépens de la vie personnelle. Nous n’allons pas jusqu’à transformer les êtres
humains en chiffres ; toutefois, nous les prenons essentiellement du point de vue de leur fonction dans
l’Etat […]. Oui, voilà ce que le fascisme veut faire de la masse : organiser une vie collective, vivre,
travailler et combattre en commun, dans une hiérarchie, sans être un troupeau7.

Une fois encore, c’était le modèle jacobin, totalement étranger au
libéralisme, qui fournissait les représentations idéologiques. Au lieu de
concevoir le « peuple » comme un ensemble d’individus autonomes, le fascisme
le ramenait à « une unité indifférenciée et monolithique exprimant une seule
indivisible volonté8 ». Le caractère prétotalitaire de la Révolution française
découlait de ce schéma cher à Rousseau et de son concept de volonté générale.
« Les bonnes institutions sociales, écrivait-il dans l’Emile, sont celles qui savent
le mieux dénaturer l’homme, lui ôter son existence absolue pour lui en donner
une relative, et transporter le moi dans l’unité commune9. » Le député girondin
Lanthénas l’avait de nouveau exprimé à sa façon le 9 août 1793 à la
Convention : « Je ne cesserai de crier à la République : “Tu es tout ; les individus
ne sont rien10.” » On trouvait donc déjà dans la France révolutionnaire les
prolégomènes de ce « phantasme de l’unité » caractéristique de tous les
totalitarismes, de cette volonté d’agglomérer sous la férule de l’Etat centralisé.
1789 avait marqué l’entrée fracassante des masses dans l’histoire, mais le refus
de la personnification du pouvoir avait alors empêché l’émergence d’un guide.
Le fascisme résolut cette contradiction en donnant un chef au peuple, en
assumant ce lien et même en l’institutionnalisant. Les grands rassemblements
publics pendant lesquelles l’individu se fondait concrètement dans la multitude
et écoutait le Duce-pédagogue démontraient « la puissance de la société unie
autour du pouvoir » et exprimaient mieux que n’importe quel slogan la fusion
entre le peuple, le chef et l’Etat11.
Ce qui importait, c’était le contrôle de cette foule qu’en réalité Mussolini
méprisait. Convaincu de son incapacité à se gouverner elle-même, il ne voyait
qu’un seul moyen de l’extraire de sa nature de « troupeau de moutons » :
l’enthousiasme et l’intérêt que seule suscitait la révolution, ce mot qui « produit
sur les masses un effet mystique » et « donne à l’homme moyen l’impression de
participer à un mouvement extraordinaire », comme il l’affirma à Emil Ludwig
en 1932 avant de conclure : « Toute la question consiste à maîtriser la masse
comme un artiste12. »
Répétons-le, la condamnation de la Révolution française ne concernait que
certains de ses aspects, comme l’individualisme, l’égalité, les droits de l’homme.
Le fascisme n’en était pas moins son fils prodigue qui avait hérité de la promesse
de salut propre au phénomène révolutionnaire. Il se présenta non seulement
comme l’unique moyen de réunir le peuple italien divisé par la société,
l’économie et le système parlementaire du monde bourgeois mais aussi comme
le dernier espoir d’enrayer la décadence mortelle de l’Italie. Comment ? En lui
imposant par la force son projet de modernité alternative.
Car le fascisme exprima une modernité. Mussolini tenait à cette
caractéristique qu’il exposa sans ambiguïté dans la Doctrine du fascisme de
1932 : « Les négations fascistes du socialisme, de la démocratie, du libéralisme
ne doivent toutefois pas faire croire que le fascisme veuille renvoyer le monde à
celui d’avant 1789 […]. On ne retourne pas en arrière. La doctrine fasciste n’a
pas élu comme prophète [Joseph] de Maistre13. » Certes, le régime entretint des
rapports complexes avec la modernité. D’un côté, il encensait les avancées
technologiques, utilisait les moyens de communication les plus innovants,
vantait le progrès et développait un programme de modernisation économique et
sociale, mais de l’autre il s’engageait dans une défense de la société rurale et des
mœurs traditionnelles, s’opposait à l’urbanisation et à tous les éléments
dissolvants qu’elle portait. L’exaltation du passé romain et la politique ruraliste
ont longtemps permis de nier le caractère moderne du fascisme et de le ranger
dans la catégorie des régimes conservateurs, voire réactionnaires, en un mot
d’extrême droite. Or, il ne correspondait ni au scepticisme du conservatisme sur
le changement ni à la nostalgie du passé de la réaction. Bien au contraire, ses
regards étaient tournés vers le futur. Mussolini regrettait d’ailleurs que le
philosophe Oswald Spengler réduisît le fascisme à une défense de l’ordre établi
et qu’il ne l’associât pas, comme il le confia lui-même, « aux rêves jacobins de
Robespierre, de Saint-Just […], les purs de la révolution militante14 ». En fait, la
contradiction entre poids du passé et projection vers le futur n’était qu’apparente.
Le fascisme revisitait l’histoire pour mieux construire son propre projet d’avenir
et réaliser son ambition totalitaire de domination absolue sur l’être humain qu’il
voulait transformer en un citoyen-soldat et producteur.

La romanité fasciste
Les rapports avec le passé romain illustrèrent parfaitement cette dualité. Dès
ses origines, le fascisme plongea ses mains dans l’héritage de la Rome antique
pour en extraire les valeurs, les références, les codes, les gestes dont il estimait
avoir besoin pour son combat politique. Mais le lien l’unissant à la romanité
dépassait le simple stade de l’inspiration pour se retrouver au cœur de son
idéologie et de ses pratiques, déterminant son positionnement sur les questions
politiques, économiques, sociales et culturelles. Les mythes de Rome et de
Mussolini furent les deux pilastres du régime.
L’invocation des mânes des ancêtres romains n’avait en réalité rien de
spécifique au nouveau régime. L’Italie libérale s’y était très largement adonnée,
suivant en cela l’exemple des pères fondateurs de l’unité, Mazzini au premier
rang. A la fin du XIXe siècle, le nationalisme donna une impulsion nouvelle au
culte de la romanité qui fournissait l’exemple même des valeurs que les
nationalistes cherchaient à exalter : la force, la conquête, la soumission des
peuples faibles ; tout cela au profit d’un programme impérialiste qui trouva son
expression en 1911 avec la guerre de Libye. Les autorités politiques ne se
privèrent pas d’évoquer à cette occasion la mission civilisatrice de Rome que la
colonisation contemporaine reprenait à son compte et de comparer les soldats
italiens à des légionnaires revenant sur les rivages des Syrtes. Puis, au moment
de la poussée interventionniste, D’Annunzio comme Corradini présentèrent
l’entrée en guerre comme la manifestation de l’éternel génie latin. Cette
sémantique romanisante correspondait au bagage intellectuel des classes sociales
élevées, imprégnées de culture classique et d’humanisme, notamment dans la
petite bourgeoisie dont on sait le rôle dans l’émergence du fascisme. Dans une
société plongée dans les turbulences de l’après-guerre, le mythe de Rome
évoquait un temps glorieux avec lequel il était possible de renouer dans le cadre
d’un Etat autoritaire et restaurateur de l’ordre15.
Mussolini ne tarda pas à récupérer ce précieux héritage. Faisceaux, licteurs,
duce, autant de termes permettant d’associer l’Antiquité aux références politico-
culturelles de l’extrême gauche italienne. L’influence de Margherita Sarfatti fut à
cet égard déterminante pour l’éclairer sur la puissance mobilisatrice de la
romanité, de ces mythes capables de donner à la politique ce capital d’émotions
que le futur dictateur jugeait indispensable pour faire vibrer les foules16. A partir
de 1921, il émailla ses discours de références au passé romain des Italiens. Très
vite, il voulut inscrire le fascisme dans le temps historique long en choisissant la
date du 21 avril – jour de fondation de Rome – comme la journée fasciste. Il
l’annonça dans un discours du 3 avril 1921 où il multiplia les allusions à la
« race latine » :

Si les socialistes ont le 1er mai, si les populaires ont le 15 mai, si les autres partis d’autres couleurs
ont d’autres journées, nous fascistes nous en aurons une : et c’est le Noël de Rome, le 21 avril. Dans ce
jour, dans ce signe de la Rome Eternelle, dans le signe de cette ville qui a donné deux civilisations au
monde et donnera la troisième, nous nous reconnaîtrons et les légions régionales défileront avec notre
ordre qui n’est pas militariste et encore moins allemand, mais simplement romain.

La romanité avait aussi un autre avantage : elle permettait d’intégrer le
catholicisme dans l’histoire nationale revisitée par le fascisme, au moment où
l’ancien « bouffeur de curé » mettait en sourdine son anticléricalisme viscéral. Il
ne devait donc pas y avoir de contradiction entre la Rome antique et celle des
papes. Mussolini tint donc à le préciser à la Chambre des députés le 1er décembre
suivant :

Nous fascistes, nous ne pouvons oublier que Rome […] a déjà été le centre, le cerveau, le cœur de
l’empire ; nous ne pouvons pas non plus oublier qu’à Rome […] s’est réalisé un des miracles religieux
de l’histoire, grâce auquel une idée qui aurait dû détruire la grande force de Rome a été assimilée et
convertie en doctrine de sa grandeur17.

Après la marche sur Rome – lointain écho du franchissement du Rubicon par
César –, le nouveau pouvoir s’attela à l’exploitation idéologique du patrimoine
latin. L’historienne française Catherine Brice en a très bien présenté les enjeux.
L’Antiquité permettait d’élaborer une religion civile, de fournir un modèle pour
l’Italien nouveau et d’exploiter le mythe d’un temps glorieux de la race
italienne18. Insistons ici sur un point capital : ni lamentation sur un âge d’or à
jamais révolu ni volonté d’imitation n’accompagnaient cette démarche politique.
Non seulement l’histoire romaine serait revue à travers le prisme du fascisme,
mais celui-ci en tirerait uniquement ce dont il avait besoin. Rome se retrouva
ainsi au cœur d’une reconstruction idéologique qui traçait une ligne interrompue
entre l’Antiquité et le fascisme. Selon ce schéma, la civilisation latine et surtout
ses vertus immuables avaient continué d’irriguer la péninsule siècle après siècle.
Tout ce que l’Italie avait connu de glorieux en découlait, la papauté, les
républiques maritimes, la Renaissance, le Risorgimento. De César à Victor-
Emmanuel II, d’Auguste à Cavour, le fil ne fut jamais brisé19. Le fascisme et
Mussolini en recevaient le précieux don qu’ils allaient porter au firmament pour
réparer les fautes de l’Italie libérale qui avait dilapidé le précieux héritage.
Rajoutons qu’une telle filiation permettait aussi de prendre ses distances avec la
monarchie qui plongeait ses racines dans un passé différent et plus récent.
Tout alla donc très vite. Comme Mussolini l’avait annoncé, la date du
21 avril devint en 1923 une fête officielle, celle du travail, destinée à remplacer
celle du 1er mai, trop socialiste et trop marquée par la lutte des classes. Cela
donnait une première idée de la représentation des Romains proposée par le
régime : celui d’un peuple laborieux attelé au dur travail de la terre. A plusieurs
reprises, de grands projets furent présentés officiellement un 21 avril (Manifeste
de Gentile, Charte du travail, etc.). Toujours attentif aux questions culturelles, le
pouvoir encouragea en 1925 la création d’un Institut national du drame antique
et de l’Institut des études romaines, alors que Giovanni Gentile, dans son
Manifeste des intellectuels fascistes, louait le lien inextricable entre fascisme et
romanité.
De toutes les vertus que le fascisme attribuait au modèle antique, la
discipline apparaissait comme la plus conforme à ses objectifs. Dans son
discours du 3 avril 1921 cité plus haut, Mussolini exposait les raisons de cette
« romanophilie » : « Parce que nous voulons précisément instaurer une solide
discipline nationale, parce que nous pensons que sans cette discipline l’Italie ne
peut pas devenir la nation méditerranéenne et mondiale qui est dans nos
rêves20. » Bottai lui fit écho dans un article de 1923 intitulé « Disciplina » dans
lequel il présentait les marches militarisées comme une des raisons du succès
fasciste. Le Duce avait une vision en réalité très négative du peuple italien qui,
un brin anarchisant, avait perdu ce sens de la discipline au fil du temps et
sombrait trop souvent dans le désordre, l’exubérance, le tohu-bohu. Un matin où
selon son habitude il scrutait les passants depuis sa fenêtre du palais de Venise, il
se tourna vers Starace et lui dit : « Mais vous ne voyez pas comme les Italiens
marchent mal ? Ils ont tous l’air estropié. Nous devons leur apprendre à marcher
droit21. » Les chemises noires avaient été le réceptacle des vertus romaines. La
mission de l’Etat fasciste était désormais de les diffuser à l’ensemble de la
société. C’était d’autant plus indispensable que pour Mussolini – et c’est le
second point de son discours – la mise au pas des Italiens conditionnait la
réalisation du projet expansionniste22. Aucune conquête ne s’avérait possible
sans leur transformation en légionnaires. La guerre d’Ethiopie servira de cadre à
la naissance de ce Romain de la modernité.
Cette omniprésence de l’histoire antique posait la question du régime auquel
le fascisme se référait. S’agissait-il de la république ou de l’empire ? A première
vue, la période impériale ne convenait guère puisqu’elle pouvait être amalgamée
à une époque monarchique de décadence et de dissolution, marquée par
l’orientalisation des mœurs. Non, le système républicain correspondait
davantage aux critères du fascisme car il avait porté à leur apogée les fameuses
vertus romaines, fait du paysan un soldat et soumis le citoyen aux exigences de
l’Etat23. Il n’avait en outre jamais été une démocratie et surtout il recelait des
mécanismes de dictature républicaine séduisants. La Révolution française, qui en
avait fait son modèle, ne s’y était d’ailleurs pas trompée. Cela dit, l’empire
correspondait à l’apogée de la domination romaine qui avait alors atteint un
stade universel et à une société stabilisée par un pouvoir fort et personnel. De
quoi plaire à Mussolini qui opéra une nouvelle synthèse entre les deux Rome,
jusqu’au moment où la guerre d’Ethiopie et la nouvelle accélération totalitaire
firent définitivement pencher la balance en faveur de l’empire.
Tout était prétexte à exploitation propagandiste. Le régime ne laissa donc pas
passer les occasions offertes par le calendrier de commémorer en 1930 le
bimillénaire de la naissance de Virgile, historien de la grandeur de Rome et
chantre de la ruralité, puis en 1935 celui d’Horace, poète de la cité et de ses
dieux, et enfin en 1937 (un an après la conquête de l’Ethiopie) celui d’Auguste,
protecteur des deux précédents, restaurateur de la paix civile et maître de
l’empire universel. Une Exposition augustéenne de la romanité fut organisée à
cette occasion qui eut un succès considérable, au-delà même des frontières de
l’Italie24. Mussolini utilisa aussi sans vergogne sa propre famille à ses fins
idéologiques. Ainsi entoura-t-il la naissance en 1927 de son troisième fils d’un
halot de romanité. Son épouse Rachele fut priée d’accoucher à la Villa Carpena,
propriété acquise en 1914 dans la campagne profonde de la Romagne familiale,
telle une matrone obéissante et prolifique, donnant au pater familias un bon
garçon opportunément prénommé Romano. Ce prénom connut d’ailleurs un
grand succès dans les familles italiennes, concurrençant les Italo et autres
Romolo !
La romanité fasciste ne correspondit jamais à la réalité historique, et en
vérité cela importait peu puisque ce qui comptait, c’était l’utilisation de
l’héritage et pas son contenu exact. Gardons-nous de jeter un regard méprisant
sur cette entreprise tout à fait sérieuse et d’en sous-estimer les effets politiques.
Elaborée à l’aide de l’environnement culturel de l’Italie, de moyens
propagandistes performants et des structures de l’Etat totalitaire, elle permit au
régime et à son chef de favoriser le consensus de la population autour d’eux.

L’ordre moral fasciste


La romanité constitua pour le fascisme un modèle indépassable qui irrigua
l’ensemble de son œuvre. On la trouve comme source d’inspiration dans des
domaines aussi différents que l’art, le modèle social, la politique familiale, la
moralité, tous reliés au projet anthropologique.
En ce qui concernait la politique morale, le régime s’engagea dès les
années 1920 sur le chemin de la défense des valeurs traditionnelles et de la
société patriarcale, ce qui a conduit nombre d’historiens à y voir la preuve de sa
nature réactionnaire et de l’influence conservatrice de l’Eglise. Pourtant, force
est de constater que le moralisme fasciste reposait sur sa propre dynamique
idéologique qui n’avait rien à voir avec la doctrine chrétienne, même s’il y eut
sur ce point une certaine convergence. Utiliser la politique nataliste et moraliste
du régime pour en faire un mouvement conservateur, c’est-à-dire de droite, c’est
oublier un peu vite le rigorisme à l’œuvre au sein de la gauche révolutionnaire
depuis le sans-culottisme jacobin.
L’objectif du fascisme était d’établir une correspondance entre le physique et
la moralité des individus dans la droite ligne de Rousseau qui avait affirmé : « Le
goût des exercices corporels détourne d’une oisiveté dangereuse, des plaisirs
efféminés et du luxe de l’esprit. C’est surtout à cause de l’âme qu’il faut exercer
le corps25. » Autrement dit, les mœurs, aussi droites que sévères, ressembleraient
aux corps. Un homme plongé dans la décadence et des conduites incontrôlées
devenait inapte à la guerre et incapable de répondre à l’appel de la patrie, ce qui
n’impliquait pas pour autant d’en faire un moine, loin de là ! L’épopée squadriste
avait été, nous l’avons dit, une sorte d’initiation, de passage à l’âge adulte pour
des jeunes hommes n’ayant pas connu l’expérience du front. Comme pendant la
guerre, le passage au bordel succédait au combat contre les ennemis de la patrie.
Le squadriste incarnait déjà l’homme nouveau, jeune, viril, agressif, athlétique ;
le contraire du jeune bourgeois aux allures élégantes, voire efféminées. La
masculinité, pleine de virilité, pouvait donner sa pleine mesure mais dans un
cadre précis dont les contours furent définis par l’Etat fasciste à partir de 1922.
De là découla le canon esthétique de l’Italien fasciste que l’on retrouve dans la
statuaire : des hommes musclés au regard dur et inquiétant, prêts à sortir l’épée
pour se battre contre les ennemis de la nation. La pratique sportive acquit en
toute logique une importance primordiale.
On sait combien le sport compta dans les régimes totalitaires obsédés par la
santé physique des individus. Le fascisme italien n’y fit pas exception. « Le
sport est un art fatal qui donne le dernier coup à la vieille mentalité prudente et
retardée […]. Dans ces lieux [les stades] il faut être jeune et rien d’autre que
jeune », expliqua l’écrivain Marcello Gallian, résumant ainsi la composante
politique que le totalitarisme plaçait dans une activité qui n’avait rien de
superficiel. On comprend donc la nécessité d’en prendre le contrôle. Cette
entreprise passait naturellement par l’école qui dispensait pour toutes les
tranches d’âge des exercices sportifs. Cependant, l’emprise totalitaire se fit sentir
en dehors du cadre purement étatique. En effet, le Comité olympique national
italien (CONI) créé en 1914 pour gérer l’ensemble des fédérations sportives se
trouva très vite dans le collimateur du PNF. En 1928, Turati cumula les charges
de secrétaire général du parti et de président du CONI. Son objectif était d’éviter
une confusion des missions entre les Balilla et les fédérations sportives. D’où la
rédaction d’une Charte du sport, rendue publique le 30 décembre de la même
année et qui imposait l’adhésion aux Balilla pour pouvoir s’inscrire au CONI, la
première s’occupant de l’éducation physique des jeunes, le second de leur
spécialisation dans tel ou tel sport. Les fédérations provinciales passèrent ensuite
sous le contrôle des fédérations locales fascistes, avant que Starace n’accentue la
militarisation du sport26. Mais son prédécesseur s’était déjà occupé de la
formation idéologique des professeurs de sport via la mise en place, le
20 novembre 1927, de l’Académie fasciste d’éducation physique. Le
Dopolavoro n’était pas en reste, offrant aux travailleurs un panel d’exercices
allant de la boxe au tir à l’arc en passant par les divers jeux de ballon. Loin
d’être une simple hygiène de vie, l’activité sportive constituait un entraînement
militaire pour la future guerre à laquelle l’Italien devrait un jour ou l’autre
participer, un endurcissement physique autant que mental, le stade devenant
l’équivalent d’une caserne. Car pour le régime le corps constituait avant tout une
enveloppe charnelle pour un esprit authentiquement fasciste.
Les manifestations sportives occupèrent donc une grande place pendant le
Ventennio. Diverses épreuves rassemblaient de jeunes athlètes comme celle du
concours Dux qui faisait s’affronter plusieurs milliers d’avanguardisti. Mais le
fascisme utilisa aussi à son profit les disciplines existantes et leur championnat.
Dans un premier temps, il se méfiait du football, sport populaire par excellence
mais déjà occasion de violences dans les tribunes qu’il ne pouvait tolérer. Il lui
préférait donc le rugby, sport de combat qui correspondait davantage à ses
valeurs. Mais très vite, il comprit les potentialités que lui offrait le ballon rond
pour construire le consensus autour de lui. La Coupe du monde de 1934 dont
l’Italie sortit vainqueur fut à cet égard un événement propagandiste équivalent
aux Jeux olympiques de 1936 pour le nazisme. L’Italie mussolinienne s’offrit
alors aux regards du monde27. D’autres manifestations retinrent l’intérêt des
fascistes comme le Giro, le tour d’Italie cycliste institué en 1909. Le régime fut
aussi à l’origine d’une grande course automobile aux accents futuristes, la Mille
Miglia, disputée à partir de 1927 sur une distance de 1 600 kilomètres aller-
retour entre Brescia et Rome. Bien entendu, nombre de hiérarques donnèrent
l’exemple comme Turati, escrimeur émérite et surtout le Duce, soucieux
d’apparaître comme un sportif accompli et ce dans toutes les disciplines :
natation, équitation, aviation, tennis, escrime28. La propagande se chargeait
ensuite de diffuser les images de l’athlète.
Cela dit, il était inutile pour le gouvernement de fabriquer des corps sains et
fascistes si l’esprit ne l’était pas. Sur ce point, le fascisme se caractérisa par un
moralisme imprégné de politique qui confirme sa nature révolutionnaire. Dans le
domaine des mœurs et du comportement sexuel, il se distinguait fortement du
futurisme. Poussé par son exaltation de la modernité destructrice de la société
traditionnelle, le mouvement de Marinetti concevait en effet la vie humaine
comme une fête permanente avec sexualité libre et pulsions érotiques masculines
satisfaites par des femmes rabaissées à des objets de désir. Cette émancipation
totale de l’homme soumis à ses instincts naturels reposait sur la destruction du
mariage par le divorce, la dévalorisation de la virginité, l’anéantissement de
l’autorité parentale, l’acceptation de l’amour libre. Cette exécration de la morale
bourgeoise imprégnait l’aventure de Fiume sur laquelle flottait une atmosphère
libertaire, qui trouvera dans la génération des militants gauchistes des
années 1960-1970 un curieux prolongement. Rien de tout cela dans le fascisme !
Non pas que Mussolini fût un ange de vertu dans sa vie privée, on le sait, mais la
nature totalitaire de son régime reposait d’une part sur le contrôle de la vie
privée des Italiens et d’autre part sur le refus de la moindre déviance, fût-elle
sexuelle.
Deux éléments poussaient les autorités dans cette rigueur morale. Tout
d’abord, le fasciste était un héros incorruptible. Militant désintéressé et sauveur
de la patrie, il pratiquait des vertus publiques qui reposaient obligatoirement sur
des vertus privées. Ensuite, la régénération du peuple italien, faisandé par des
siècles de mauvais gouvernements et par le libéralisme bourgeois, entraînait
inévitablement ses promoteurs sur la pente du moralisme car l’homme nouveau
ne pouvait prendre le visage d’un être gorgé de vices. La voie vers le
totalitarisme était ainsi ouverte puisqu’il fallait disposer d’un pouvoir absolu
pour arracher l’individu à ses mauvais penchants et l’aider à lutter contre ses
propres corruptions. Cette confusion entre la morale et la politique rappelle celle
du jacobinisme robespierriste qui déclara la guerre au vice caractéristique de
l’Ancien Régime, et ce au nom du nœud gordien entre vertu et citoyenneté.
« Les ennemis de la république, ce sont les lâches égoïstes, ce sont les hommes
ambitieux et corrompus », tempêtait Robespierre en 179229, avec des accents
purificateurs que Farinacci reprenait presque mot pour mot dans ses propres
articles.
Veillons néanmoins à ne pas peindre tous les fascistes sous les traits
d’austères moralisateurs. Mussolini prenait lui-même une certaine distance sur
les questions sexuelles : « Les hommes m’intéressent seulement de la ceinture à
la tête. » Pour autant, la pérennité du fascisme comme son ambition
anthropologique le conduisaient à s’intéresser à ce qui passait dans le foyer de
chaque Italien. Les lectures quotidiennes et assidues des fiches de police ne
relevaient pas d’une curiosité malsaine chez Mussolini. Elles lui permettaient
non seulement de vérifier la probité des responsables politiques mais aussi de
parfaire sa connaissance sur la nature humaine. De toute façon, la désignation de
l’ennemi sous les traits de l’être immoral et impur conduisait inévitablement le
gouvernement sur la pente dangereuse du contrôle total des individus et de la
purification de la société.
La défense de la famille fut d’emblée une priorité, ce qui paraissait
contradictoire avec la nature totalitaire du régime mais en fait ne l’était qu’en
apparence. En effet, le fascisme concevait la famille comme un des fondements
d’une société d’ordre, construite sur l’autorité du père, sur le respect des
hiérarchies, sur l’obéissance aux parents. Sa consolidation, après les ruptures de
la société industrielle et du mythe de la lutte des classes, signifiait le retour aux
solidarités sociales, la fin de l’individualisme égoïste et surtout la restauration du
cadre indépassable pour une natalité féconde dont on sait qu’elle obsédait le
Duce. La désintégration de la famille aurait entraîné celle de la nation tout
entière. C’était sur ce point que le fascisme reprenait la main et allait beaucoup
plus loin que la conception catholique du mariage. Cet enjeu vital interdisait une
neutralité de l’Etat dont la mission était de garantir la défense et l’intégrité du
foyer. L’Etat fasciste recevait donc le droit de s’immiscer dans le ménage pour le
modeler à l’image de la société corporatiste. Il voulait une famille qui lui fût
fidèle et lui abandonnât l’éducation de ses enfants. En aucune façon, elle ne
saurait être une institution privée.
A la famille fasciste, il fallait un père fasciste. Y compris dans sa vie privée,
celui-ci restait au service du gouvernement qui exigeait de lui une fécondité
virile sans reproche. Pas question de concevoir la sexualité uniquement en
termes de plaisir. L’héroïsme ne relevait pas de l’érotisme mais trouvait son
prolongement dans une abondante natalité. Lors de la normalisation des
années 1920, le pouvoir demanda aux squadristes de rentrer chez eux, de
renoncer à leur sexualité de jeunesse et de devenir de bons pères de famille. Ils
n’en restaient pas moins des militants, comme l’exprima Angelo Manaresi, le
maire de Bologne, avec une rare élégance : « Baisez et laissez-la dedans ! Ordre
du parti ! » Pas de coitus interruptus dans l’Italie mussolinienne30… L’homme
fasciste, le vrai, faisait beaucoup d’enfants à son épouse légitime. Les prostituées
étaient certes toujours là pour satisfaire ses désirs les plus inavouables mais elles
avaient été confinées loin des trottoirs, dans des bordels désormais sous le
contrôle de l’Etat qui, de cette façon, séparait avec netteté les honnêtes femmes
des filles de mauvaise vie. La femme se trouvait dès lors reléguée dans des
tâches domestiques au premier rang desquelles se trouvait la maternité. « Quand
vous retournerez dans vos cités […], dites aux femmes que j’ai besoin de
naissances, de beaucoup de naissances », affirma Mussolini en octobre 1927
devant des représentantes des organisations féminines du PNF. Cette image de la
femme victime d’une sorte de confinement intérieur trouva sa plus belle
expression dans le chef-d’œuvre cinématographique d’Ettore Scola, Une journée
particulière (1977). Mais sur ce point aussi, on prendra garde de ne pas
caricaturer une politique très complexe.
En vérité, le fascisme subit l’influence de forces contradictoires dans sa
politique à l’égard des femmes. L’obsession nataliste de Mussolini, sa hantise du
déclin démographique et de la submersion raciale autant que ses projets de
conquête le conduisirent, c’est évident, à espérer une augmentation de la
fécondité des Italiennes. Si dans les temps originels du fascisme révolutionnaire,
les femmes avaient pu jouer un rôle (comme c’était aussi le cas dans les
mouvements marxistes), le discours de l’Ascension de 1927 marqua une
évolution majeure en les réduisant à la maternité. D’ailleurs, tout se tenait pour
les fascistes puisque la crise de la famille était analysée comme une conséquence
du féminisme, de la société urbaine, de l’hédonisme, d’où l’obligation
impérieuse de retour aux traditions romaines et à la vie rurale. Il fallait enrayer la
dénatalité déjà engagée dans les provinces septentrionales du pays (14,6 ‰ à
Turin contre 33,7 ‰ en Basilicate). L’Italie nouvelle, afin d’augmenter la
population, exigeait des enfants en quantité et dont la qualité reposerait sur la
rééducation physique précédemment analysée31. La politique du régime prit donc
une direction clairement nataliste et en un sens très moderne puisqu’on y trouvait
les fondements de l’Etat-providence italien. En effet, le gouvernement créa tout
un réseau de services médicaux pour que la femme pût assumer son devoir
civique en toute sécurité. Des prêts accordés au moment du mariage devaient
pousser les jeunes gens à s’installer en couple légitime, tandis que les pères de
famille nombreuse pouvaient espérer voir leur carrière accélérée. A propos des
naissances, l’Œuvre nationale pour la maternité et l’enfance (ONMI) fournit à
partir de sa création en 1925 des contrôles sanitaires gratuits, des aides
financières, promut l’allaitement maternel, distribua médicaments, détergents et
autres désinfectants pour faire baisser le taux encore astronomique de la
mortalité infantile qui passa péniblement de 128,2 ‰ en 1922 à 102,71 ‰ en
1940. Elle chercha à médicaliser les accouchements dont elle payait les frais.
C’était aussi un moyen de lutter contre les accouchements clandestins des filles-
mères. En outre, son engagement répressif ne concernait pas seulement la lutte
contre l’avortement, mais aussi celle contre l’illégitimité des enfants, véritable
plaie de la société italienne. L’ONMI s’échinait ainsi à convaincre les séducteurs
de reconnaître le fruit de leur aventure et d’épouser la mère, faisant monter le
chiffre des enfants illégitimes reconnus à 77 % en 1930 contre 62 % en 191432.
L’épouse-mère se retrouva en toute logique au centre de la propagande du
régime. La date du 24 décembre fut choisie pour la célébration de toutes les
mères permettant ainsi de récupérer le culte de la Vierge Marie, mère de Dieu,
obéissante jusqu’au sacrifice ultime. En 1933, à cette occasion, une grande
manifestation permit de rassembler à Rome autour du Duce les mères les plus
prolifiques d’Italie, présentées par un haut-parleur non pas par leur nom mais par
le nombre de leurs enfants… De leur côté, les journaux ou les revues diffusaient
l’image d’une femme prolifique et forte, assurant avec la tranquillité que donne
la satisfaction du devoir accompli la régénération du peuple italien sous l’égide
du fascisme. Sus à l’ennemi qu’incarnaient les femmes trop maigres, a priori
infertiles, bannies des magazines !
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le fascisme fit donc de la femme un
acteur social et lui attribua un rôle dans son projet de renaissance de la nation
italienne. Il comprit qu’il lui fallait trouver une alternative au féminisme en plein
essor dans les sociétés occidentales, à l’image de Margherita Sarfatti, femme
engagée s’il en fut mais rompant dès 1923 avec les courants féministes33. Ainsi
laissa-t-il des femmes participer aux concours des Littoriali, écrire dans les
journaux, participer aux débats intellectuels du temps, obtenir des responsabilités
dans les organisations du parti ou les colonies de vacances. Certes, les divers
groupes fascistes féminins durent se plier à la politique autoritaire du PNF sous
la direction de Giuriati ou de Turati. Mais en même temps, ce dernier récupéra
au profit du fascisme le journal féministe modéré Il Giornale della donna (« Le
journal de la femme »), dirigé par une journaliste de grand talent, Paola
Benedettini Alferazzi, pour en faire l’organe officiel des faisceaux féminins. Il
créa également une revue, Giovani fasciste (« Jeunes fascistes »), destinée aux
jeunes filles de 18 à 21 ans. Le fascisme avait en fait besoin du soutien des
femmes, sans lesquelles le consensus serait demeuré bancal. Il cherchait donc à
élaborer une féminité, voire une sorte de féminisme latin, qui conduirait à une
amélioration de la situation des femmes dans la société sans l’arrière-fond
idéologique égalitaire des autres mouvements européens. Pour résumer, il donna
aux femmes « plus de responsabilité sans leur garantir de nouveaux droits34 ».
Sur ces divers points, l’Italie mussolinienne ne se distinguait guère de sa
voisine française où les républicains tenaient en horreur le suffrage féminin et
élaborèrent un code de la famille en 1939 extrêmement répressif. Il faut aussi
reconnaître que cette politique ambiguë fut un demi-échec. Là où de nombreuses
militantes féministes escomptaient une reconnaissance de la complémentarité
homme-femme, elles se heurtèrent à une conception hiérarchisée et autoritaire
des relations entre les sexes. Contradiction que le fascisme ne sut jamais
résoudre. La réalité socio-économique du pays aggravait de toute façon le fossé.
La baisse des salaires opérée en 1927 puis la crise de 1929 rendirent intenable
l’idée d’une épouse sans revenu. Bien des Italiennes durent prendre le chemin de
l’usine ou des bureaux, alors que le fascisme n’admettait que leur travail dans les
champs. Dans le même temps, les progrès de la consommation de masse et son
corollaire, la culture commerciale et publicitaire, multipliaient les images de
femmes aux envoûtements charnels bien éloignés de celui des matrones.
Epoux, épouse, enfants conçus dans les règles, tous servaient la nation.
Quant aux éléments pathogènes, le fascisme les trouvait dans plusieurs
catégories sociales. Tout d’abord, les marginaux : ivrognes, chômeurs,
vagabonds et autres mendiants de toute sorte qui faisaient « tache » en quelque
sorte dans l’Italie remise au travail depuis 1922. Au nom d’un hygiénisme social,
nombre de ces « improductifs » furent arrêtés et envoyés dans les îles les plus
reculées du pays. Certes, ces déportations n’atteignirent jamais le degré de
violences inouï que ces mêmes groupes de personnes connurent dans l’URSS
stalinienne à la même époque, mais la dynamique idéologique s’avérait
identique35. La délinquance quant à elle constituait une menace prise très au
sérieux, au même titre que l’opposition politique. Le sous-secrétaire d’Etat
Suardo présentait à ce titre la répression de l’une et de l’autre comme « deux
formes diverses d’une unique activité qui a un but commun : assurer la
tranquillité et la paix des populations qui travaillent et qui produisent36 ». Ces
comportements antisociaux rejoignaient celui des prostituées, des célibataires ou
des homosexuels. « La société actuelle, tonnait le ras de Lucques Carlo Scorza,
déteste les déserteurs, les maquereaux, les homosexuels, les voleurs. Ceux qui
peuvent mais qui ne font pas leur devoir envers la nation sont mis dans la même
catégorie. Nous devons les mépriser. Nous devons couvrir de honte les
célibataires et ceux qui ne mettent pas d’enfants au monde. Nous devons leur
faire courber l’échine et leur faire mordre la poussière37. » Joignant les actes à la
parole, le pouvoir fasciste imposa en 1927 une taxe aux célibataires à partir de
l’âge de 25 ans et dont le montant était fixé en fonction de l’âge, puis en doubla
le chiffre en 1934 pour les trentenaires.
La question de l’homosexualité est éclairante à plus d’un titre. Là aussi, le
film Une journée particulière a mis en lumière la répression dont les
homosexuels furent victimes dans l’Italie de Mussolini. En effet, accusés
d’empêcher la procréation, ils devinrent ennemis de l’Etat et subirent à ce titre
les foudres de la justice. Le « pédéraste » comme obstacle à la formation de
l’homme nouveau et à la restauration morale. Mais l’Italie sombra-t-elle pour
autant dans une répression tout azimut ? L’exemple de la réforme du code pénal
sous l’égide du ministre de la Justice Alfredo Rocco apporte un éclairage
intéressant. Dans un projet préliminaire, l’article 528 prévoyait l’inscription d’un
crime d’homosexualité mais seulement en cas de scandale public. De plus, cet
article disparut dans la version finale entrée en vigueur en 1931 sous le prétexte
que ce genre de pratiques était rare en Italie ! La coercition de l’Etat ne s’en
exprima pas moins. Constitution par les préfectures de listes de « pédérastes »,
descentes de police nocturnes dans les pissotières et les parcs publics,
emprisonnements rythmèrent le combat antihomosexuel. Notons cependant que
les condamnations au confino (une peine de relégation dans les régions les plus
hostiles) s’avérèrent rares : environ 300 cas recensés dans des archives
cependant lacunaires. Les autorités préféraient faire peur, agiter la menace de la
déportation et n’expédiaient dans les îles reculées que les récidivistes jugés
irrécupérables. Le fascisme ne pouvait se lancer dans une répression de grande
ampleur sauf à avouer l’existence de l’homosexualité en Italie38 !
On ne saurait trop insister sur le fait que la politique morale du fascisme
trouvait ses racines dans sa propre dynamique révolutionnaire. Le soutien
enthousiaste que l’Eglise catholique apporta au régime dans ce domaine ne doit
pas conduire à inverser les données du problème. La politique morale n’était pas
destinée à satisfaire l’Eglise, même si elle lui fit plaisir. C’est davantage dans
l’antiféminisme et la misogynie de la Révolution française et les imprécations
rousseauistes contre tout « ce qui effémine les hommes » qu’il faut chercher les
sources de la phallocratie fasciste39. On en trouvera une autre preuve dans
l’article 121 du code pénal soviétique de 1934 qui criminalisa l’homosexualité
en tant que pratique honteuse et bourgeoise, indigne du prolétaire et qui excluait
le coupable de la communauté des hommes. Deux ans plus tard, la loi du
27 juillet 1936 interdisait l’avortement, décision accompagnée d’une campagne
d’assistance à la maternité aux objectifs clairement natalistes40. Sauf à considérer
que Staline était sous l’influence des soutanes, il faut bien reconnaître que ce
moralisme était indissociable du projet totalitaire.

Tous à la campagne !
Plusieurs éléments poussaient le fascisme sur la voie de l’exaltation du
monde rural traditionnel. Les paysans, formant la masse des conscrits pendant la
Grande Guerre, avaient joué un rôle d’autant plus capital dans les combats que
les ouvriers apparaissaient comme des « embusqués » socialistes et grévistes.
L’hostilité au monde urbain et industriel, ventre de toutes les corruptions morales
et politiques, donnait par contrecoup à la civilisation rurale une valeur de
protection de l’Italie éternelle, voire de rédemption. Cet engouement pour les
champs dérivait aussi en grande partie de la romanité fasciste qui, nous l’avons
vu, alimentait l’idéologie du régime mussolinien. Le légionnaire romain n’était-
il pas avant tout un paysan vertueux travaillant avec constance sa terre, toujours
prêt à prendre les armes pour défendre la Cité ? Tout était donc lié, la terre, la
patrie et l’Etat. A cela s’ajoutaient les ravages de la crise de 1929 dans laquelle
les fascistes voyaient les méfaits du capitalisme. La bataille du blé, lancée à
grands coups de propagande en 1925, avait donné des fruits satisfaisants
(81 millions de quintaux produits), aptes à justifier la politique ruraliste. Au
début des années 1930, le gouvernement donna un nouvel élan au programme de
bonification intégrale des terres toujours piloté par Arrigo Serpieri, sous-
secrétaire d’Etat à l’Agriculture.
La loi du 13 février 1933 prévoyait la bonification de près de 5 millions
d’hectares dans l’ensemble du pays, avec une prédilection pour les marais
Pontins élevés au rang de symbole de cette vaste entreprise. L’Italien fasciste
reprenait ainsi le combat des Romains contre les espaces sauvages. Comme le
communisme soviétique, le fascisme voulait dompter la nature et la soumettre à
sa volonté. Une fois aménagées, ces terres reçurent des familles de colons.
Serpieri entendait y privilégier le métayage qui permettait à ses yeux cette
coopération entre le capital et le travail chère au fascisme et la disparition des
braccianti, moteur de toutes les contestations sociales et politiques. De fait, le
nombre de salariés agricoles tomba à 3 millions en 1936 contre 4,5 millions en
192141.
Preuve s’il en était besoin que cette politique ne relevait pas du pur
opportunisme, voire du soutien caché aux grands propriétaires fonciers grands
consommateurs de main-d’œuvre agricole, l’engouement de plusieurs
intellectuels fascistes pour cette politique ruraliste. On les trouvait réunis autour
de la revue Il Selvaggio et du courant strapaese. Antibourgeois et
révolutionnaire, ce mouvement dont les figures de proue étaient le caricaturiste
de talent Mino Maccari et l’écrivain Curzio Malaparte vitupérait la modernité
américaine et protestante au profit d’un retour à la terre et à la civilisation
agricole. Strapaese prit la défense des traditions folkloriques des régions
italiennes, d’où son engagement en faveur de la préservation des bourgs et des
centres médiévaux que le régime rasait. Il s’opposait ainsi frontalement à un
autre courant littéraire, stracittà, qui lui, au contraire, œuvrait à la réconciliation
totale du fascisme avec le monde moderne42.
N’imaginons pas qu’en dehors de l’Italie on se gaussait de cet anachronique
retour à la terre. Bien au contraire, dans un monde ravagé par la crise
économique, le ruralisme fasciste apparut comme une solution tout à fait
sérieuse et pertinente, offrant un modèle de développement alternatif crédible.
Cela dit, les résultats n’atteignirent pas les espoirs des autorités. L’économie
agricole italienne souffrait beaucoup de la grande dépression, des bas prix des
produits, des insuffisances de la production d’où le recours aux importations. Les
conditions de vie dans les campagnes demeurèrent très précaires, voire
dramatiques. La paysannerie méridionale devait se contenter d’une seule pièce
pour vivre, y compris avec les animaux comme c’était le cas en Sicile. Nombre
de villageois ne sortirent jamais de la misère, des habitats insalubres, sans
confort, sans eau courante ni électricité. Il suffit de lire la série des Don Camillo
écrite par Guareschi juste après la guerre pour se rendre compte de la misère
profonde dans laquelle les paysans du nord de la péninsule vivaient encore. La
seule solution restait les migrations saisonnières, l’exode rural dans les grandes
villes industrielles et l’immigration à l’étranger, ces plaies contre lesquelles le
fascisme s’échinait à lutter43. La distorsion entre les objectifs et la propagande
d’un côté, et les réalités économiques et sociales de l’autre devint abyssale.
L’art n’échappe pas au fascisme
La pratique totalitaire du régime fasciste soumettait l’ensemble des activités
humaines à sa révolution anthropologique. Le sport s’occupait du corps, le PNF,
via l’école et la propagande, de l’esprit. Quant à l’art, on attendait de lui un
décor dans lequel l’Etat pût modeler l’homme nouveau, un environnement dans
lequel les individus s’imprégneraient du message idéologique.
Disons d’emblée que rien ne fut plus complexe que la politique culturelle du
fascisme. Deux points sont à relever. Le premier concerne la différence de
traitement entre les différents arts visuels. Les historiens opèrent généralement
une distinction entre d’un côté les arts « nobles » – la peinture, la sculpture,
l’architecture – qui bénéficiaient d’une autonomie leur permettant d’échapper à
la mission d’endoctrinement et de l’autre le cinéma et la radio placés sous le
contrôle de la propagande. Comme nous allons le voir, cette vision exige
quelques nuances. S’il est certain que plusieurs personnalités influentes dans le
monde artistique comme Marinetti, Bottai ou Margherita Sarfatti combattaient
l’idée d’un art d’endoctrinement, la haute culture n’échappa pas à l’emprise
totalitaire pour autant44.
Second point : les conceptions de Mussolini en matière d’art. A priori, il se
montrait hostile « à toute idée d’encourager quelque chose qui ressemblerait à un
art d’Etat » en considérant que « l’art [appartenait] à la sphère de l’individu »,
comme il l’indiqua en mars 1923. Pourtant la dynamique totalitaire reprit vite le
dessus. Trois ans plus tard, en 1926, dans un discours prononcé pour
l’inauguration de l’Académie des beaux-arts de Pérouse, il exprima sa volonté de
voir les artistes élaborer un art nouveau – c’est-à-dire fasciste – qui fût
« traditionaliste et en même temps moderne ». La revue de Bottai Critica
fascista s’engouffra alors dans la brèche pour organiser un débat entre
octobre 1926 et février 1927. Ces hésitations comme ces pressions
contradictoires expliquent en grande partie les oscillations du pouvoir à l’égard
des artistes, l’absence de toute ligne claire et les différences avec la situation en
Union soviétique et au sein du Troisième Reich45. Pour résumer, les artistes
disposèrent dans l’Italie mussolinienne d’une certaine liberté de création mais
dans un cadre défini par l’Etat.
Loin d’être aculturel ou anticulturel, le régime fasciste pratiquait une
politique culturelle très active et exerça une attraction très forte sur les artistes et
les intellectuels. L’Etat, en les encourageant, cherchait à donner une dimension
internationale à la culture italienne régénérée par le fascisme. Rappelons qu’il y
eut, pendant le Ventennio, cinq éditions de la Biennale de Venise, une exposition
d’architecture à Rome en 1931, la très célèbre Exposition de la révolution
fasciste de 1932, deux expositions d’arts décoratifs à Gênes (1934) et à Rome
(1935). De plus, le fascisme ne rejetait pas des expressions artistiques de son
temps et ne fulmina pas de condamnations contre le cubisme, l’expressionnisme
et l’abstraction géométrique. Il offrait aux artistes non seulement des mythes
dans lesquels puiser leur inspiration mais aussi une position d’élites au sein de la
nouvelle hiérarchie sociale. Pragmatique dans son approche de l’art, le pouvoir
ambitionnait de toucher tous les publics – totalitarisme oblige ! –, ce qui
l’obligeait à laisser s’épanouir tous les talents et tous les styles46. A condition
toutefois de rester dans la ligne italo-romaine. On veillera donc à ne pas
présenter la haute culture comme immunisée et autonome par rapport au dessein
idéologique. Le fascisme sut parfaitement l’utiliser pour légitimer son action à
l’intérieur comme à l’extérieur des frontières.
A cet égard, un événement politico-artistique eut un retentissement
considérable, l’Exposition de la révolution fasciste de 1932. Organisée pour
célébrer les dix ans de la prise du pouvoir, elle fut opportunément inaugurée le
28 octobre à Rome dans le palais des Expositions de la via Nazionale. La façade,
jugée trop « giolitienne », subit une transformation radicale dans le plus pur style
fasciste. A l’intérieur, le visiteur suivait un parcours chronologique le long de
treize salles décrivant à l’aide de diverses œuvres d’art, de documents
historiques, de photographies, l’histoire de l’Italie depuis l’époque de
l’interventionnisme revue par le fascisme. Le circuit s’achevait par la salle
Mussolini et débouchait enfin sur le sanctuaire des martyrs où le visiteur-fidèle
venait vénérer le souvenir de ceux qui étaient tombés pour la cause sacrée. Cette
entreprise de fascisation de l’histoire nationale rencontra un succès considérable.
Alors que l’Exposition devait se clore le 21 avril 1933, elle ne ferma ses portes
que le 28 octobre 1934, permettant ainsi à près de 4 millions de personnes de la
visiter, avec la ferveur de pèlerins. Car c’était bien là le but : donner à cette
manifestation un caractère religieux, en faire un « temple » de la révolution
fasciste47. Elle suscita en outre l’intérêt des artistes et des intellectuels étrangers
que le régime chercha à exploiter48.
Modernité oblige, le fascisme ne négligea pas les puissants moyens de
communication de masse que représentaient la radio et le cinéma grâce auxquels,
pensait le Duce, « la révolution [avait] la possibilité d’influer sur la naissance et
l’affirmation de notre culture49 ». Au début des années 1920, en Italie comme
ailleurs, la radio dominait le paysage médiatique. Le 27 août 1924, un décret
royal créait une société mixte de diffusion radiophonique, l’URI, qui fut
transformée le 15 janvier 1928 en EIAR (Ente italiano per le audizioni
radiofoniche) bénéficiant d’un monopole des transmissions. La présence de
quatre délégués gouvernementaux et d’Arnaldo Mussolini à la vice-présidence
assurait un contrôle que le gouvernement voulait subtil. Les thèmes exaltaient la
romanité, le catholicisme romain, le corporatisme, le patriotisme, etc. L’émission
inaugurée en février 1930 « Condottieri e maestri » se chargeait de l’exaltation
des grandes et exemplaires figures du passé italien. La littérature, l’art, la
musique n’étaient pas oubliés, tandis que le temps accordé au journal radio ne
cessait d’augmenter, passant de 10,10 % des heures de transmissions en 1932 à
21,50 % au début de 193450.
A cette époque, les effets de la première radicalisation totalitaire se firent
aussi sentir à la radio. En 1934, Mussolini confia la direction de l’EIAR à
Giancarlo Vallauri, un très brillant ingénieur, officier de marine spécialiste des
communications radio et professeur à l’Ecole polytechnique de Turin depuis
1926. Sous sa direction, la radio d’Etat se modernisa en profondeur. Mais cela
allait de pair avec son asservissement au gouvernement qui, le 26 septembre
1935, la plaça sous l’autorité du nouveau ministère de la Presse et de la
Propagande. Le transfert du journal-radio de Turin à Rome eut à cet égard valeur
de symbole. Un an plus tard, le nombre de représentants de l’Etat passa de quatre
à sept dont l’un désigné par le PNF. Le régime ne cessa de multiplier les stations
de transmission dans la plupart des grandes villes, mais se heurtait à la pauvreté
des régions méridionales où la possession d’une radio relevait d’un luxe
inaccessible. Pour mieux pénétrer les couches populaires, il eut recours aux
écoutes dans les salles de classe qu’il dota de postes ainsi que dans les
entreprises, sans jamais pouvoir combler le déficit d’écoute du Sud par rapport
au Nord.
En ce qui concerne l’image, vecteur puissant d’infiltration propagandiste, le
fascisme ne laissa pas passer l’occasion d’utiliser le cinéma alors en plein essor,
et ce fut bien lui qui fit de l’Italie un des grands centres de productions
cinématographiques. Près de 700 films furent produits pendant le Ventennio
mais, sauf exception, leur audience ne dépassa pas les frontières de la péninsule,
contrairement à ceux réalisés dans l’après-guerre, par les « monstres sacrés » du
cinéma italien, dans l’ambiance de l’antifascisme triomphant. D’où l’idée que le
grand cinéma italien serait né sur les cendres du régime. A l’inverse, les fascistes
aimaient présenter l’œuvre cinématographique mussolinienne comme une
création ex nihilo. En vérité, ces deux allégations sont fausses.
Le cinéma italien naquit au début du XXe siècle autour de plusieurs sociétés
de production comme la Cines ou l’Itala, et pouvait s’enorgueillir d’un chef-
d’œuvre du muet devenu un classique, Cabiria, réalisé par Piero Fosco (alias
Giovanni Pastrone) et projeté en 1914 à Turin. L’influence nationaliste se faisait
déjà sentir dans plusieurs créations. D’Annunzio participa au scénario de
Cabiria, tandis que son propre fils dirigea l’adaptation à l’écran de son roman à
la gloire de la puissance maritime italienne, La Nave51. La guerre porta au
cinéma un coup qui aurait pu lui être fatal. Il fallut attendre l’introduction du son
dans La Canzone dell’amore (1930) et l’investissement du régime pour assister à
une renaissance. Certes Mussolini riait aux éclats devant les films de Laurel et
Hardy. Mais si les facéties des deux comiques américains l’amusaient, sa
cinéphilie ne dépassait pas le cadre du spectateur « bon public52 ». Ce n’était pas
le cas de son fils Vittorio, de Bottai ou de son gendre Galeazzo Ciano, nommé en
1934 sous-secrétaire d’Etat pour la Presse et la Propagande, mais aussi de
professionnels, d’hommes d’affaires et de producteurs avisés, bien décidés à
relancer la machine cinématographique.
L’Etat leur apporta une aide considérable en taxant, à partir de 1931, les
films étrangers. Car, on s’en doute, les œuvres hollywoodiennes inondaient déjà
le marché italien et concurrençaient les productions locales. Les autorités
soutinrent aussi la naissance en 1932 de la Mostra de Venise, grande compétition
internationale qui imitait les Oscars américains créés en 1929. Lors de la
première édition, le film en compétition de Mario Camerini, Les Hommes quels
mufles !, révéla au grand public un jeune et prometteur acteur, Vittorio De Sica.
A partir de 1934, la coupe Mussolini, ancêtre du Lion d’or, récompensa la
meilleure œuvre. Le succès fut tel que la Mostra devint annuelle à partir de 1935
et que, deux ans plus tard, un palais du cinéma sortit de terre sur le Lido pour
accueillir les projections et le public.
Le paradoxe du cinéma italien sous le fascisme résidait dans son faible
contenu idéologique, alors même qu’à partir des années 1930 le contrôle étatique
se fit plus fort et que Mussolini se lançait dans une concurrence frontale avec les
Etats-Unis. En 1934, en effet, Ciano confia la direction générale de la
cinématographie à Luigi Freddi, un futuriste et ancien squadriste. Proche du
Duce et bon connaisseur des questions de propagande au sein du parti, il
contribua, l’année suivante, à la mise sur pied du Centre expérimental de la
cinématographie, et quand un incendie détruisit les studios de la Cines, il
participa de près au projet de Cinecittà, le temple du cinéma italien, l’une des
grandes réussites du pouvoir fasciste. Son surnom d’Hollywood sur Tibre n’était
pas usurpé. Le régime comptait bien faire de ce vaste ensemble de studios la
ville du cinéma italien et fasciste, le cœur vibrant de la production
cinématographique, l’astre lumineux du 7e art le plus moderne. Mussolini en
personne vint en poser la première pierre, le 26 janvier 1936. Les travaux
avancèrent rapidement puisque le 28 avril 1937, il revint pour l’inauguration !
Cinecittà répondit aux attentes mises en elle. Non seulement près de 300 films
sortirent de ses studios dont 70 rien que dans la première moitié de 1943, mais
elle accueillit la nidation du talentueux cinéma de l’après-guerre.
L’erreur serait en effet de caricaturer les œuvres produites. En vérité, seule
une petite douzaine de films s’apparentait à de la propagande plus ou moins de
bon goût. En 1931, Alessandro Blasetti, dans Terra madre, exaltait la vie à la
campagne pour mieux déprécier les corruptions urbaines, dans la droite ligne du
ruralisme. Il y eut même des réminiscences du cinéma soviétique dans son 1860,
louange tournée en 1934 à la gloire de Garibaldi et d’un Risorgimento populaire
d’où la monarchie avait curieusement disparu. L’œuvre la plus apologétique de
Blasetti restait néanmoins Vecchia guardia (1935), une exaltation de la marche
sur Rome et des combats des noirs contre les rouges qu’Hitler, dit-on, apprécia
beaucoup53. Un an après la fin de la guerre d’Ethiopie sortit sur les écrans
Scipione l’Africano (1937) de Carmine Gallone, pour glorifier la victoire de
Rome sur Carthage. Il le fit tellement bien qu’il reçut la coupe Mussolini à
Venise ! Mais le public ne fut que rarement au rendez-vous. Car les Italiens
tournaient davantage leurs regards vers les œuvres américaines, les films
d’action ou de divertissement. Ils admiraient les acteurs d’Hollywood à tel point
que des concours du meilleur sosie de Greta Garbo, idole des années 1930,
étaient organisés. Ce fut d’ailleurs ainsi que la mère de Sofia Loren, Romilda
Villani, réussit une percée éphémère dans le monde du grand écran. Mussolini
avait parfaitement conscience des goûts de spectateurs. Ainsi veilla-t-il à ne pas
les braquer par des œuvres de grossier matraquage. La propagande tenait
solidement en main les documentaires et les informations grâce à l’institut Luce
fondé en 1924, beaucoup moins le travail des cinéastes.
Ainsi, contrairement à la légende, le néoréalisme, véritable révolution
esthétique née en Italie, ne surgit-il pas des ruines du fascisme mais de ses
studios. On le sent déjà présent dans Treno popolare de Raffaello Matarazzo,
tourné en extérieur avec peu de moyens sur des thèmes de la vie quotidienne et
dont la musique fut signée par un débutant, le jeune Nino Rota. Même pour
certaines œuvres de Blasetti comme 1860 ou dans celle d’Augusto Gennina
L’Assedio dell’Alcazar (le siège de l’Alcazar, haut fait d’armes de la guerre
d’Espagne) sorti en 1940, les méthodes de tournage annonçaient celles du
néoréalisme. En outre, les futurs grands cinéastes italiens firent leurs premières
armes à cette époque, comme Luchino Visconti écrivant dans la revue Cinema
dirigée depuis sa création en 1936 par Vittorio Mussolini, lequel présidait aussi
une maison de production dans laquelle travaillait Federico Fellini. Quant à
Roberto Rossellini, il signa pendant le Ventennio trois de ses œuvres, La Nave
bianca (1941), Un pilota ritorna (1942) et L’Uomo della croce (1943) en
utilisant déjà les modes de fonctionnement du néoréalisme54.

Rome fascisée
Le Mussolini socialiste n’avait jamais caché la répulsion que Rome lui
inspirait : ville des papes et de l’obscurantisme, cité ankylosée d’où la monarchie
de Savoie avait prudemment exclu les industries et les masses ouvrières, capitale
d’un Etat centralisé et autoritaire, peuplée de fonctionnaires serviles, de
prostituées et de prêtres ; bref, « un foyer d’infection nationale » selon ses
propres mots. Or, la récupération politique de la romanité l’obligea moins à
réviser son jugement qu’à porter un intérêt nouveau pour l’Urbs. Puisque le
fascisme révolutionnait le pays dans sa totalité, la capitale non seulement ne
pouvait y échapper mais en plus devait devenir une vitrine de l’Italie nouvelle où
le régime inscrirait dans la pierre son œuvre et son éternité. Certes, la romanité
fasciste obligeait Mussolini à s’intéresser de près aux monuments antiques. Mais
pas plus qu’une Rome de carton-pâte, la ville ne deviendrait un musée à ciel
ouvert. La modernité fasciste, tournée vers l’avenir, l’interdisait.
Le coup d’envoi fut donné à l’occasion de la remise de la citoyenneté
romaine au chef du gouvernement, le 21 avril 1924. Mussolini en profita pour
exposer les grandes lignes de son projet architectural et brosser le portrait de la
Rome du futur. Elle devait être à la fois extraordinaire et fonctionnelle, reflet de
sa propre grandeur et en même temps pourvue de logements et de voies de
communication modernes. L’objectif était simple : « Il [fallait] créer la Rome
monumentale du XXe siècle55. » Un an plus tard, il précisa sa pensée et, toujours
pressé, fixa une échéance :

Mes idées sont claires, mes ordres sont précis. Je suis certain qu’ils deviendront une réalité concrète.
Dans cinq ans, Rome devra émerveiller le monde entier : vaste, ordonnée, puissante, comme elle le fut
au temps du premier empire d’Auguste […]. Vous dégagerez tout autour du mausolée d’Auguste, du
théâtre de Marcellus, du Capitole, du Panthéon. Tout ce qui y a crû au long des siècles de la décadence
doit disparaître.

Pour ce faire, le dictateur réorganisa les autorités municipales, supprima en
janvier 1926 la fonction élective de maire au profit d’un gouverneur nommé par
ses soins et qu’il recruta toujours, sauf exception, dans l’aristocratie romaine,
tout en confiant les fonctions techniques à de véritables professionnels des
questions urbanistiques. Passionné par l’architecture, Mussolini suivit de très
près le dossier de la transformation de Rome à coups de directives péremptoires.
Tout d’abord, puisque le fascisme n’était pas imitation mais renouvellement,
il fallait définir un style qui lui fût propre. Ce ne fut pas une mince affaire à
cause de la violente querelle qui depuis 1928 opposait d’un côté les adeptes
d’une architecture dite rationaliste, très moderne, aux lignes droites et qui faisait
la part belle aux immenses baies vitrées, et de l’autre les défenseurs d’une vision
plus traditionnelle grande consommatrice de colonnades et d’arcades. Les
rationalistes finirent par perdre la bataille au profit des traditionalistes forts de
leurs liens avec la romanité56. A partir de 1931, la figure dominante de la scène
architecturale italienne fut Marcello Piacentini. Chef de file du courant classique,
il entretenait des liens distants avec le fascisme auquel il n’adhéra qu’en 1932. Il
n’en devint pas moins l’inventeur d’un style néoromain dit du licteur, habile
fusion entre les deux tendances architecturales destinée à matérialiser dans la
pierre la néoromanité. L’usage immodéré des colonnes et des arcs maintenait le
lien avec l’Antiquité, tandis que les lignes droites et sévères des bâtiments
correspondaient à la rigueur du fascisme. Cela dit, comme toujours avec les
artistes, le régime leur laissait une marge de manœuvre qui se limitait à
l’impératif de donner à leurs œuvres un caractère moderne.
Ensuite, le fascisme devait s’approprier un espace qui lui appartiendrait en
propre, sans résidus médiévaux ou, pire, de la période libérale, et dont il ferait le
cœur battant de l’Italie régénérée. Il jeta son dévolu sur la zone centrale
comprise entre le palais de Venise avec la place lui faisant face, le Vittoriano,
avec la tombe du soldat inconnu et le Capitole près duquel fut érigé en 1926 un
autel aux martyrs du fascisme57. Une question immédiate se posait : que faire des
monuments que l’histoire avait accumulés dans ce secteur restreint et désormais
encombré ? Dans les années 1920, deux tendances prévalaient. La première
entendait maintenir les lieux de pouvoir au cœur de l’Urbs et, pour ce faire,
rêvait de construire un gigantesque forum de style impérial avec de longs
portiques s’étendant de la place du Panthéon jusqu’à la place Colonna. La Rome
médiévale n’y aurait pas survécu. La seconde, quant à elle, épargnait la vieille
ville en déplaçant les centres directionnels dans des cités nouvelles créées à la
périphérie de Rome. Piacentini lui avait apporté une large contribution mais déjà
le Duce, lancé avec frénésie dans son œuvre urbanistique, perçait, détruisait,
éventrait pour construire les deux grandes avenues qui, partant de la place de
Venise, rejoignaient l’une le Colisée (via dell’Impero) et l’autre le Tibre (via del
Mare). Afin d’ouvrir l’espace entre la place de Venise et le cours Victor-
Emmanuel II, une église du XVIe siècle fut abattue sur le Largo Argentina, et il
s’en fallut de peu que les quatre élégants temples qui y furent découverts ne
subissent le même sort. La nouvelle aire, inaugurée le 21 avril 1929 après à
peine trois ans de travaux, offrait aux Romains l’expression visuelle du projet
mussolinien : « améliorer la circulation, préserver et “libérer” les monuments
antiques jugés emblématiques d’un passé glorieux, sans aucune considération
pour des constructions mineures et en menant les opérations rondement58 ».
Le même esprit présida au percement de la via dell’Impero (aujourd’hui via
dei Fori Imperiali) qui courait le long du vieux forum républicain et des forums
impériaux afin de permettre les défilés militaires d’inspiration romaine dont le
régime était friand. L’inauguration eut lieu dès 1932. Il en fut de même pour
l’aménagement du quartier depuis le Capitole jusqu’au théâtre de Marcellus. On
rasa les vieilles habitations, on déplaça une église et on dégagea les temples du
forum Boarium le long du Tibre. La via del Mare, qui structurait désormais cet
espace, devait rejoindre, comme son nom l’indique, la mer et le port d’Ostie afin
de matérialiser l’extension de la ville vers le sud. D’autres avenues ouvrirent de
larges perspectives : la via dei Trionfi du Colisée au cirque Maximus, la via del
Circo Massimo le long de la colline de l’Aventin, la via Rinascimento entre le
Tibre et le cours Victor-Emmanuel II et enfin la via della Conciliazione, percée
sur la destruction du labyrinthique quartier du Borgo pour relier le Vatican au
fleuve. Dans ce grand chamboulement, plusieurs reliquats antiques ne
survécurent pas davantage que les bâtiments médiévaux, comme la colline de la
Velia définitivement arasée ou la Meta sudans, vestiges de la fontaine antique
aux pieds du Colisée détruite pour faciliter les défilés militaires59, preuves s’il en
était besoin du caractère idéologique et non archéologique ou muséologique du
projet. Mussolini n’éprouvait aucune gêne à détruire un patrimoine ne se prêtant
à aucune utilisation de propagande. Palais ou églises, rien ne devait gêner
l’avancée des bulldozers du fascisme. A l’inverse, le dégagement des
monuments conservés répondit à des critères scientifiques rigoureux. Tous ces
travaux héritaient d’un intérêt historique déjà présent au sein des élites libérales.
Victor-Emmanuel III n’avait pas attendu le Duce pour s’intéresser de près à
l’archéologie et aux fouilles du vieux forum. Mais le fascisme donna à ces
réaménagements, qui font aujourd’hui le bonheur de l’homo turisticus, un
caractère inédit. La Rome semée de ruines qu’avaient tant aimées les
Romantiques au XIXe siècle n’existait plus. Certes, une partie des quartiers
médiévaux survécut dans le champ de Mars. Il n’empêche que Mussolini
remodela la cité pour en faire la ville du fascisme bâtie autour des vestiges de la
Rome impériale rendue à la lumière. Le temps n’était plus aux rêveries mais à
une admiration pour l’œuvre des empereurs bâtisseurs et de leur successeur…
Le plan régulateur adopté en 1931 confirma ce qui était déjà lancé mais
donnait aussi des perspectives d’avenir sur le très long terme. Il traçait en fait les
contours de ce que devait être la Rome de la fin du XXe siècle en termes de
percements de grandes avenues au centre de la ville ou de constructions de
quartiers à la périphérie. Beaucoup de ces idées ne virent pas le jour faute de
temps, mais aussi à cause des changements de cap imposés par le maître de
l’Italie. Toutefois, le régime eut tout de même l’occasion de faire sortir de terre,
sous la direction de Piacentini, plusieurs bâtiments très représentatifs. La Cité
universitaire construite dans le quartier du Castro Pretorio ou le ministère des
Corporations portaient la marque de l’Haussmann de Mussolini. Le cas du palais
Littorio, destiné à accueillir le siège du PNF, fut représentatif du manque de
continuité dans les projets. En 1934, les autorités organisèrent un grand concours
auquel participèrent les architectes italiens les plus prometteurs. Le cahier des
charges prévoyait un immeuble de très grande taille, massif, capable d’accueillir
la bureaucratie du parti, mais aussi l’Exposition de la révolution fasciste et
l’autel des martyrs fascistes. Puisqu’à l’origine le bâtiment devait se trouver au
débouché de la via Cavour vers le Colisée, un imposant balcon était prévu pour
permettre au Duce d’assister aux défilés sur la via dell’Impero. La proximité du
palais de Venise posait néanmoins un problème de concurrence, puisque le siège
du PNF devait refléter sa subordination à l’Etat et au Duce. Avant même le
lancement du concours, Mussolini entendait donc lui choisir un autre
emplacement. Il envisagea d’abord le long du viale Aventino, déjà plus excentré,
avant de se rabattre en 1937 sur le forum Mussolini, au nord-est de la ville.
Certes, cet ensemble monumental ne manquait pas d’envergure, d’autant qu’il
exprimait les ambitions architecturales et idéologiques du fascisme. Le siège du
parti était ainsi intégré aux installations sportives du forum où le régime forgeait
l’homme nouveau. Le Duce associait dans un même espace « le centre d’où
provient et se diffuse l’esprit de l’idée fasciste et la palestre où la nouvelle
jeunesse d’Italie fortifie son corps pour la plus grande gloire de la Patrie60 ». Le
transfert avait aussi un autre avantage : le PNF se retrouverait de fait à la limite
extrême de la ville, bien loin des centres du pouvoir étatique. Les travaux
commencèrent aussitôt pour faire surgir de terre un palais massif et écrasant, aux
formes carrées et austères, accompagné de la tour Littoria et de l’autel des
martyrs. Or en 1940, nouveau virage à 180 degrés ! Le bâtiment changea de
destinataire. Au lieu du PNF, ce serait le ministère des Affaires étrangères. On
renonça donc à la tour et à l’autel au profit d’un bâtiment dépouillé de ses
attributs partisans, achevé en 1943, et que les historiens connaissent bien
puisqu’il accueille toujours aujourd’hui le même ministère et ses archives…
Entre-temps, il est vrai, un autre et non moins ambitieux projet vola la
priorité à tous les autres, celui de l’E42. Il tirait son nom de l’Exposition
universelle qui aurait dû se tenir à Rome en 1942. Mussolini en tira prétexte pour
réaliser une idée qui lui tenait à cœur : l’extension de la ville vers la mer et sa
connexion avec Ostie. Il choisit un vaste espace dans la périphérie méridionale
pour accueillir la future manifestation et confia en 1937 à un groupe
d’architectes, sous la direction de l’incontournable Piacentini, la mission de
construire un complexe de bâtiments destinés à éblouir le monde entier. A la fois
zone d’habitations, de culture (musées, expositions) et d’administrations diverses
dont les archives d’Etat, l’E42 avait vocation à durer dans le temps, et sur ce
point l’objectif fut atteint puisque le quartier existe toujours sous le nom d’EUR.
La Seconde Guerre mondiale en interrompit certes les travaux, mais le régime
eut le temps de construire plusieurs édifices monumentaux, témoignages
précieux du style néoromain fasciste fait de rigueur classique des lignes, de
symétrie, de portiques et de colonnades doriques.
L’autre préoccupation que Mussolini avait exprimée dans son discours de
1924 concernait les questions de logement. L’étatisme du régime et sa
centralisation dictatoriale à Rome même créaient un gonflement démesuré des
emplois administratifs et donc un appel d’air pour l’immigration interne en
provenance des régions centrales ou méridionales. En 1931, la ville dépassait le
million d’habitants pour atteindre, lorsque la guerre éclata, 1,4 million. Les
autorités se lancèrent dans un vaste programme immobilier qui vit les immeubles
pousser dans et autour de la capitale. Les quartiers populaires croissaient au
rythme des migrations et s’étendaient le long des grandes voies de circulation.
Le régime finança la construction dans les faubourgs de logements neufs et bien
équipés (les borgate), notamment pour reloger les Romains expulsés du centre à
cause des grands travaux61. Tout cela dans une atmosphère de spéculation
immobilière qui remplit bien des poches…
Il faut remarquer que le fascisme ne limita pas son intérêt à Rome. Bien au
contraire, le pays tout entier fut touché par la fièvre de constructions. « Dans dix
ans, on ne reconnaîtra plus l’Italie », certifia le Duce-bâtisseur le 30 octobre
1926 à Reggio Emilia. La plupart des grandes cités de la péninsule se couvrirent
de bâtiments publics répondant aux normes idéologiques et architecturales du
régime, comme à Bergame où Piacentini supervisa la création d’un nouveau
centre urbain.
Le patrimoine historique des villes italiennes devant être préservé, le
fascisme préféra créer de nouvelles cités ex nihilo grâce auxquelles il se libérait
de toute contrainte. Cette politique exprimait la dynamique d’innovation qu’il
revendiquait sans cesse et correspondait en outre à deux versants de sa politique
liés l’un à l’autre, la romanité et le ruralisme. En effet, la romanité dans laquelle
le régime baignait l’obligeait à suivre l’exemple des Romains grands fondateurs
de cités. Mussolini ne pouvait être le nouvel Auguste sans créer à son tour des
villes pour l’éternité. La première le fut en 1928. Si l’URSS honorait ses grands
chefs avec Leningrad et Stalingrad, l’Italie eut elle aussi sa Mussolinia
(débaptisée depuis en Arborea). Onze autres nouvelles villes suivirent jusqu’en
1940, toutes implantées dans les vastes zones agricoles de bonification62, toutes
organisées autour d’un centre rassemblant les différents services publics, l’église
paroissiale, les commerces mis à disposition des colons répartis dans la
campagne. Loin d’être une sorte d’abcès sur le corps agricole, la ville appartenait
ainsi pleinement au monde paysan qui l’environnait. Sauf exception, les
architectes la concevaient donc de taille modeste pour répondre à l’objectif qui
lui était assigné : participer à la lutte contre l’urbanisation démesurée et favoriser
le retour à la vie rurale traditionnelle. Latinité oblige, sa création donnait lieu à
une cérémonie officielle pendant laquelle le Duce, devant les caméras de
l’institut national Luce, traçait les contours de la future colonie avec une charrue
mécanique. Le plan orthogonal de type romain répondait à des consignes
strictes : une place centrale au croisement de grands axes avec une tour Littoria,
symbole du contrôle fasciste sur les hommes, sur l’espace et sur le paysage,
autour de laquelle se trouvaient les édifices publics, de la mairie à l’école, en
passant par le siège du PNF et celui de la Milice.
Le sport servant à forger le physique de l’Italien fasciste, le régime consacra
aussi un soin tout particulier à la construction de stades et autres installations
sportives. A Rome, cette ambition prit les dimensions qui se voulaient
pharaoniques du forum Mussolini. En effet, celui qui ressuscitait les forums
antiques et se présentait comme l’héritier des Césars ambitionnait de laisser son
nom à ce type de monumentalité typique de la Rome ancienne. Le maître
d’œuvre en fut Renato Ricci, alors sous-secrétaire d’Etat à l’Education nationale
et chef de l’organisation des Balilla. Son choix se porta sur un vaste espace au
nord-ouest de la capitale, entre le mont Mario et le Tibre, et sur le brillant
architecte Enrico Del Debbio pour le plan régulateur. L’ensemble devait célébrer,
outre Mussolini, le rôle de la jeunesse dans le fascisme. Les premières
inaugurations eurent lieu le 4 novembre 1932, soit cinq ans à peine après le
début des travaux. Le Duce put ainsi admirer le bâtiment de l’Académie fasciste
d’éducation physique, le stade des Marbres avec ses célèbres statues d’athlètes
nus, le stade des Cyprès ainsi que l’obélisque Mussolini, taillé dans un seul bloc
de marbre de Carrare, haut de 17,40 mètres et portant l’inscription Mussolini
Dux en lettres capitales. D’autres édifices suivirent comme la Maison des Armes
(1935-1936) construite par Luigi Moretti ou le palais des Thermes avec ses
piscines couvertes de mosaïques figuratives de type romain par Costantino
Costantini. D’autres projets avortèrent, comme celui de la construction d’une
esplanade appelée l’Arengo, gigantesque stade de 400 000 places, flanqué d’une
immense statue de 130 mètres personnifiant le fascisme avec le visage de
Mussolini, comme un pied de nez à la coupole du Vatican voisine. Tout cela
resta dans les cartons. Le musée de l’ONB rêvé par Renato Ricci ne vit pas plus
le jour. En revanche, en 1937, Moretti put réaliser la place de l’Empire destinée
aux défilés et autres cérémonies fascistes.
Sport, jeunesse, monumentalité, romanité. Le forum Mussolini n’était pas
qu’une vitrine mais une vraie expression du fascisme, de cette union entre la
pratique sportive et la politique63. Ses agrandissements successifs exprimaient
aussi la démesure dont le régime fut saisi à partir des années 1930, l’obligeant à
voir toujours plus grand. L’ambition politico-sportive influençait constamment la
construction des stades dans les autres villes de la péninsule. Celui de Bologne,
inauguré le 31 octobre 1926, reçut le nom de baptême de stadio Littoriale, et se
voulait une synthèse du Colisée et des thermes de Caracalla. Une statue d’un
Mussolini à cheval, du plus pur style impérial, veillait devant l’immense tour de
Marathon, hommage aux performances des athlètes. Avec ses 37 000 places, il
dépassait le stade de Padoue (15 000) ou de Trieste (23 000). Celui de Florence
est considéré comme un chef-d’œuvre d’architecture sportive auquel on donna le
nom du martyr fasciste Giovanni Berta. Ces gigantesques complexes servaient à
un but bien particulier, résumé dans des instructions données aux préfets en
septembre 1927 : « L’antique palestre romaine devra revivre dans cette
institution où les jeunes affûtent leur corps par l’exercice physique et affinent
leur esprit combatif et d’émulation lors des compétitions gymniques. » Le stade
s’intégrait dans la liturgie fasciste comme un temple de l’unité où les classes
sociales s’effaçaient dans une communion collective. Tous les Italiens venaient y
admirer les sportifs, incarnations de l’endurance physique, produits des efforts
du fascisme pour fortifier la « race ».
En fin de compte, l’Italie de Mussolini, d’un point de vue artistique, n’était
pas la belle au bois dormant. Elle faisait preuve d’un foisonnement de projets, de
qualités créatives et d’une modernité qui attiraient vers elle les regards curieux
du monde entier.

Consensus et répressions
Le projet de l’homme nouveau conduisit le fascisme à exercer une pression
sur le corps social et les individus qu’il entendait remodeler. La violence, matrice
originelle du mouvement, ne disparut jamais. Or, la comparaison avec les
horreurs du communisme et du national-socialisme qui franchirent toutes les
limites dans la déshumanisation ramène inévitablement le fascisme au rang d’un
totalitarisme de basse intensité, en tout cas dans sa pratique coercitive.
Régime policier ou régime de police ? La question renvoie à la nature même
des répressions. Une fois installé, le fascisme ne renonça pas à l’exercice de la
violence qui changea toutefois de nature. Des squadristes on passa aux policiers
et aux juges mais dans un climat de guerre contre l’ennemi intérieur toujours
entretenu. Dans l’éventail des peines infligées aux opposants, la « relégation »
(confino) est la plus connue. Il s’agissait en fait de l’envoi d’un condamné
(politique ou pas d’ailleurs) dans les régions en principe les plus reculées et les
plus hostiles de la péninsule. Carlo Levi tira de cette expérience les pages
superbes de son chef-d’œuvre, Le Christ s’est arrêté à Eboli, publié en 1945.
Cette pratique fut institutionnalisée par la loi du 6 novembre 1926 et finit par
devenir l’instrument privilégié de la chasse aux antifascistes pris dans le sens le
plus large. Car tombaient sous cette accusation, comme nous l’avons vu, aussi
bien le militant communiste que le médecin avorteur ou l’homosexuel.
Afin d’être efficace, la répression devait planer sur chaque citoyen italien et
punir non seulement les actes mais aussi les intentions. Ainsi pouvait-on être
arrêté pour des faits proprement politiques (tracts, réunions secrètes, etc.) mais
aussi pour des plaisanteries lancées en public, des propos lâchés dans une soirée
arrosée, tout autant pour un style de vie non conforme aux préceptes du régime,
quand ce n’était pas sous le coup d’une simple présomption d’opposition, voire
une rumeur diffuse. La victime comparaissait alors devant une commission
composée du préfet, du questeur (responsable de la sécurité publique), du
commandant des carabiniers, d’un officier de la MVSN et du procureur du roi,
unique magistrat présent. L’absence de preuves ne constituait pas un problème
en soi, pas plus que l’absence d’avocat, de témoins, voire d’interrogatoire. Cette
réminiscence de la loi révolutionnaire française de prairial 1794 permettait
l’institution d’une justice d’exception, extrayant l’accusé du cadre judiciaire
classique64.
Les peines de confino variaient de un à cinq ans. Elles reléguaient le
condamné dans les régions méridionales les plus hostiles, dans des îles
(Pantelleria, Ventotene) ou sur la terre ferme. Le voyage n’avait rien d’agréable,
se déroulant dans des wagons cellulaires sans confort dans lesquels le prisonnier,
sans eau ni nourriture, transi de froid l’hiver et étouffant de chaud l’été, restait
menotté. Une fois arrivé et installé dans une maison, il commençait une morne
existence soumise à un règlement assez dur, laissé à la discrétion de gardiens
brutaux exerçant une surveillance pointilleuse. Il lui était en principe interdit de
fréquenter les lieux publics, de parler politique et de sortir de chez lui en dehors
des horaires fixés. La faible allocation reçue des autorités ne lui permettait pas
de se nourrir convenablement, d’où des carences alimentaires et des maladies qui
affaiblissaient le corps et l’esprit malgré les colis reçus de sa famille. Mais cela
importait peu puisque le but était atteint : les mauvais Italiens se trouvaient
séparés du reste du corps social sain. Le confino reflétait les préoccupations
épuratrices du fascisme mais aussi le souci pédagogique qu’il conférait, à l’instar
du système communiste, à la déportation. La peine et les souffrances devaient
permettre au déviant de s’amender. D’où les nombreuses amnisties que le Duce,
soucieux de son image de dirigeant magnanime, accordait lors des grandes
commémorations du régime comme celle de 1932. Le confiné quittait donc son
lieu d’infortune pour retrouver une vie sociale en vérité encore marquée du sceau
de sa condamnation. Car, outre une surveillance maintenue, trouver un logement
et un travail relevait d’un chemin de croix.
Avouons-le : on a beau tourner le problème dans tous les sens, on ne trouve
dans le système totalitaire fasciste ni terreur de masse ni expérience
concentrationnaire. On relève 5 620 individus ayant comparu devant le Tribunal
spécial, environ 17 000 condamnés au confino et 160 000 « surveillés
spéciaux ». Preuve s’il en était besoin de l’existence d’une opposition65.
Précisons toutefois que d’une part ces chiffres englobent les politiques et les
droits communs et que d’autre part, ils ne prennent pas en compte les exécutions
sommaires, les passages à tabac jusqu’à ce que mort s’en suive. Pas de Dachau
donc, ni de goulag, et encore moins d’Auschwitz ; ni famine ni génocide. La
peur plutôt que la terreur. D’ailleurs le régime avait-il réellement besoin d’une
violence d’Etat de forte intensité ? L’appareil policier, les institutions partisanes
ou étatiques et la propagande encadraient la population d’une manière efficace,
tandis que le réel consensus dont le régime et son chef bénéficièrent dans la
première moitié des années 1930 – et bien mis en lumière par Renzo De
Felice66 – rendait inutile une pression sanguinaire sur un corps social tout sauf
récalcitrant.

Les Italiens, fascistes ou mussoliniens ?


Ce fut aux tournants des années 1920 et 1930 que le culte de Mussolini
commença à tourner à plein régime. Il reposait sur le caractère exceptionnel de
sa personnalité qui conduisait tous ceux qui le croisaient, dès l’époque du PSI, à
parler d’un individu absolument hors du commun. Cet atout lui fut précieux dans
son combat pour imposer son autorité au sein du fascisme, qui pendant
longtemps ne se confondait en aucune façon avec sa personne. Comment
parvint-il à devenir le chef incontesté, vénéré, indépassable ? Le socialisme
subversif des années 1910, les combats contre les réformistes, l’engagement
interventionniste furent autant d’étapes dans la construction de sa propre
légende : Mussolini était un homme capable de transcender le réel.
Le dictateur s’appuyait tout d’abord sur un charisme dont il prit rapidement
conscience. D’aspect vigoureux, il en imposait à son auditoire et savait jouer du
magnétisme de son regard. A cela s’ajoutaient de redoutables qualités politiques.
Pragmatique et manipulateur, il jouait à merveille le rôle d’arbitre des diverses
tendances, devenant le point de ralliement des factions antagonistes. Par la suite,
les statuts successifs du PNF comme les transformations institutionnelles
officialisèrent sa position de chef du régime en concentrant entre ses mains
l’essentiel de l’autorité. La subordination du parti à l’Etat lui profita puisque le
régime se caractérisait désormais par une personnification du pouvoir. Au début
des années 1930, plus aucun hiérarque historique n’était en position de lui
contester son autorité. Non seulement leurs capacités de nuisance avaient été
neutralisées – et Mussolini savait quand et comment frapper, on l’a vu avec
Balbo – mais ils en subissaient tous, d’une manière ou d’une autre, le sortilège.
Seuls les désastres de la Seconde Guerre mondiale en poussèrent certains à jouer
les thermidoriens. De toute façon, il leur manquait la profondeur politique, la
puissance des intuitions, l’intelligence des situations et des hommes que
possédait le dictateur avant de sombrer dans ses propres travers, de croire à sa
propre légende et de laisser l’idéologie prendre le pas sur la réalité.
Le mythe de Mussolini servit de pilastres au culte de la personnalité. Celui-ci
fut d’abord un instrument au service de la consolidation du fascisme avant
d’occuper tout l’espace politique. Il est vrai que la faiblesse idéologique du
mouvement, malgré tous les efforts accomplis pour y pallier, contribua
grandement à cette évolution qui contrariait certains courants puritains restés
accrochés à la mythologie du squadrisme. L’objectif propagandiste était simple.
Puisque le fascisme appartenait au domaine de la foi politique, alors son Duce
devait être vénéré tel un dieu. Puisque l’objectif du régime résidait dans la
création d’un homme nouveau, alors Mussolini devait l’incarner physiquement.
Comme tous les peuples en crise, des millions d’Italiens se jetaient à corps perdu
dans le mythe de l’homme providentiel, comme une réponse à l’angoisse
générée par la crise de l’après-guerre. Les services de propagande que le
dictateur contrôlait de près élaborèrent ensuite une image destinée à confirmer
son statut de nouveau Messie. Il pouvait aussi compter sur les efforts de Turati et
de Starace pour devenir aux yeux des Italiens un prophète des temps nouveaux
annonçant la bonne nouvelle de la rédemption de l’Italie67. Bien entendu, la
romanité n’était pas oubliée par les services de propagande. L’histoire antique ne
manquait pas de personnages illustres pour opérer des comparaisons à l’avantage
du Duce. Mais lequel choisir ? Auguste possédait bien des qualités, sauf celle
d’avoir été un grand chef de guerre. A l’inverse, César réunissait en lui « la
volonté du guerrier et le génie du sage » et restait dans l’imaginaire collectif un
grand conquérant, qui sut se dresser contre le régime sénatorial de son temps et
un symbole de la détermination en politique. Mais il tomba victime des siens…
Mauvais présage ! A défaut, Sylla, à la fois homme d’action et dictateur,
convenait davantage, si ce ne fut sa cruauté dont Mussolini était et se voulait
dépourvu68.
Par l’image, Mussolini assurait son omniprésence. Les photographies
savamment diffusées le montraient torse nu dans les champs en train de lever des
bottes de paille, pioche à la main dans les marais en cours de drainage ou dans
des activités sportives. Elles exaltaient la virilité et la force du personnage, sa
participation directe à la construction de la nouvelle Italie. Sa photographie se
retrouvait dans les habitations des Italiens qui la vénéraient comme une image
sainte. Des statues le représentaient sous les traits d’un général ou d’un empereur
romain. Mais Mussolini voulait aussi être une icône vivante et charnelle pour
mieux toucher l’âme d’un peuple catholique imprégné du mystère de
l’Incarnation. Ses nombreux voyages à travers la péninsule annihilaient la
distance entre lui et le peuple. A la différence d’un Staline au visage grêlé et
enfermé derrière les murs clos du Kremlin ou d’un Hitler qui bientôt n’aurait
plus rien d’humain, Mussolini apparaissait au milieu du public, se mêlant à la
foule, aussi bien lors des cérémonies officielles que pendant ses vacances sur la
côte adriatique. A tel point que dans les campagnes les plus reculées, très
marquées par une piété simple et affective, les rumeurs de ces apparitions se
répandaient comme une traînée de poudre. Tel un saint populaire, le Duce venait
incognito auprès des plus pauvres avant de disparaître une fois reconnu69.
Ce type de présence à la fois concrète et surnaturelle allait de pair avec la
magie du verbe. Mussolini s’était construit par la parole, tandis que sa dictature
charismatique reposait sur sa capacité à électriser la foule, à communier avec la
masse au moyen de discours conçus comme le summum de la liturgie fasciste.
« Le Verbe s’est fait chair », dit l’Ecriture, et Mussolini connaissait très bien la
religiosité de ses concitoyens. La théâtralisation mussolinienne reposait sur les
gestes, la force de sa présence, la clarté de son propos et ce dialogue entamé
avec une foule à la fois vibrante et tétanisée. Par la parole, le Duce donnait des
ordres, éclairait l’avenir, dénonçait les ennemis internes ou externes, incitait les
Italiens à l’action70. Les cris et les acclamations exprimaient une adhésion,
fournissaient une légitimité, révélaient une foi. Ces cérémonies donnaient aux
gens les plus simples l’occasion de voir et d’entendre le nouveau dieu de l’Italie.
Certes, on ne lui attribuait pas encore de pouvoirs thaumaturgiques mais,
comme la propagande le martelait, « Le Duce a toujours raison » – formule que
d’ailleurs il n’appréciait pas. Et force est de constater que ce slogan comme bien
d’autres finit par infuser dans l’esprit de millions d’Italiens. Mussolini se
retrouva dépositaire d’une pureté qui le lavait de tous les défauts, les échecs,
voire les crimes du régime. Tous étaient imputables aux hiérarques, aux chefs
locaux, incapables, vaniteux et cupides. L’expression « Ah si Mussolini
savait ! » – écho de celle entendue dans l’Allemagne nationale-socialiste ou
l’URSS stalinienne – résonnait à travers la péninsule. Elle prouvait la forte
adhésion à la personne du Duce plutôt qu’au fascisme. A défaut d’être fascistes,
les Italiens furent mussoliniens71. Ainsi prirent-ils, avec la ferveur de pèlerins, le
chemin des lieux où vécut leur dieu. Sa maison natale de Predappio vit défiler
des écoliers, des militants, des associations mais aussi des anonymes qui, entre
curiosité, idolâtrie et intérêt voulaient absolument s’y rendre. Ce « ducisme »,
comme certains historiens le définissent par résonance avec l’hitlérisme, créait
un rapport particulier entre la société et le corps de Mussolini. Porteur du projet
fasciste, ce corps renvoyait ou en tout cas devait renvoyer l’image de ce que
serait l’Italien nouveau : athlétique, sportif, guerrier, viril, puissant jusque dans
sa sexualité. En outre, le fascisme réunissait ce que la tradition monarchique
avait séparé chez la personne royale, le corps politique et le corps physique. Le
corps de Mussolini, exposé à la foule pour être adoré, participait par sa gestuelle
à la légitimation de son autorité charismatique72.
Les Italiens ont-ils été fascisés ? La réponse ne peut qu’être prudente. Le
projet totalitaire fasciste a échoué, c’est indéniable. En 1943, les Italiens se
débarrassèrent du fascisme comme un serpent de sa peau usée. Ce qui ne revient
pas à dire qu’ils n’ont pas adhéré à plus d’un aspect du régime qui apporta des
réponses à l’angoisse sociale, politique et nationale née des tourments de la
modernité et de la guerre. Mussolini assurait la tranquillité interne, le pain et la
paix extérieure. Le problème résidait dans son incapacité idéologique à se
contenter d’un rôle de sauveur, certes un peu sévère mais avant tout bienveillant.
Il aurait dû davantage méditer le message que le pape Pie XI lui transmit, par
l’intermédiaire de l’ambassadeur De Vecchi, à l’aube des années 1930 : « Dites
de ma part à M. Mussolini, que sa façon de se diviniser me déplaît et lui fait du
mal, beaucoup de mal. Il ne doit pas se poser ainsi en l’air entre la terre et le ciel
sans plus garder les pieds sur terre. Faites-lui comprendre, en mon nom, que
Notre Seigneur est le seul Dieu. Il ne pourrait donc qu’être une idole, un fétiche,
ou un faux dieu ou, au maximum, un faux prophète. Invitez-le, toujours de ma
part, à se rappeler que les peuples, les foules, tôt ou tard finissent par abattre les
idoles. Dites-lui que s’il ne change pas de système il finira mal73. »
8
La géopolitique du fascisme

Mussolini ne produisit jamais un programme de politique étrangère aussi


précis que celui exprimé par Hitler dans Mein Kampf. Dans ce domaine aussi,
l’absence de doctrine établie se fit sentir. En lieu et place d’un dessein clair et
cohérent, qui aurait été méticuleusement appliqué, la diplomatie de l’Italie
fasciste se caractérisa par des oscillations, des va-et-vient, voire des
contradictions insurmontables. Le fascisme passa ainsi de l’entente avec les
démocraties à l’alliance mortifère avec l’Allemagne nationale-socialiste, des
sessions de la SDN dans la paisible Genève aux violentes guerres d’agression.
Ce jeu de bascule constant n’aide pas à la lisibilité de son action diplomatique,
notamment par les historiens. Fut-elle le fruit d’une improvisation d’un chef
irresponsable, sorte d’apprenti sorcier des relations internationales, comme le
proclama très vite l’antifascisme libéral ? Ou l’expression d’un véritable projet
idéologique dont la cohérence ne saurait être masquée par les catastrophes que sa
mise en œuvre provoqua, comme le pensent De Felice et ses héritiers ? Autre
interrogation : la diplomatie fasciste s’inspira-t-elle de celle de l’Italie libérale
dont elle reprit, certes en les amplifiant, les axes majeurs ou constitua-t-elle une
rupture nette avec l’ancien régime1 ? Apporter des réponses à ces questions
revient en fait à pénétrer au cœur de l’idéologie fasciste et à son degré de
responsabilité dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
De l’importance de la guerre
Dès sa prise du pouvoir, Mussolini accorda une place centrale aux questions
extérieures. Pour preuve, il s’empara en 1922 du portefeuille des Affaires
étrangères qu’il ne consentit à lâcher qu’à deux reprises au profit de fidèles
exécutants, Dino Grandi (1929-1932) et son gendre Galeazzo Ciano (1936-
1943). Le Duce devint ainsi le cœur battant de la diplomatie. Son pragmatisme
joua un rôle considérable dans ses prises de décision. Il devait néanmoins
prendre en compte les avis du souverain que son statut de chef d’Etat, son
expérience autant que ses vastes connaissances rendaient incontournable. En
outre, le dictateur subissait des pressions contradictoires venant aussi bien du
corps des diplomates imparfaitement fascisé que des faucons du parti, pressés
comme toujours de réaliser leurs desseins révolutionnaires et de damer le pion
aux conservateurs.
Il n’empêche que parmi toutes les variations de la diplomatie, ballotée par
les vents d’une Europe en crise et des impulsivités du dictateur, il existait un
objectif jamais renié : faire de l’Italie une grande puissance respectée, dotée d’un
statut impérial, matrice d’un changement de civilisation. Or, cette ambition
n’était réalisable que par la violence. Le reniement des droits de l’homme et ce
faisant de la part libérale de l’héritage de 1789 empêchait le fascisme de suivre
la Révolution française sur la voie de l’universalisme, ce qui ne l’empêcha
toutefois pas de reprendre le thème de l’émancipation des peuples et de dessiner
les contours de projets européistes. Loin d’être un nationalisme étroit, il
cherchait à achever le Risorgimento en tant que processus purement national et
italien qui, une fois réalisé, laisserait la place à une politique de puissance et
d’agression, telle que les gouvernements d’avant la Grande Guerre avaient
commencé à la pratiquer2. En réalité, tout était lié : le projet totalitaire interne
commandait l’activisme extérieur que le réaliste Mussolini savait adapter aux
circonstances. Ce n’était qu’une fois débarrassée des scories du régime libéral
que l’Italie deviendrait le cœur d’une « nouvelle civilisation centrée sur Rome
qui aurait la suprématie sur l’Europe et le bassin méditerranéen3 ».
Le projet géopolitique du fascisme reposait avant tout sur une ambition de
puissance. Mussolini voyait dans l’impérialisme, pas seulement pris dans son
sens militaire, « une des forces élémentaires de la nature humaine, précisément
comme volonté de puissance […]. Tant qu’on vit, on est impérialiste. Quand on
est mort, on ne l’est plus4 ». Bien sûr, le nationalisme hérité de la Révolution
française y occupait une place centrale puisque 1789 avait, de l’aveu de Bottai,
inventé « l’idée même de l’Etat national qui est à la base de la Révolution
fasciste5 ». La levée en masse et la guerre démocratique qui en est le corolaire, le
culte de la patrie érigé en religion civile, la conviction paranoïaque que la patrie
est environnée d’ennemis intérieurs et extérieurs, d’où l’obligation d’entretenir
au sein de la population une mobilisation permanente des corps et des esprits,
tout cela dérivait de la Révolution française.
La romanité constitua la seconde source à laquelle s’abreuva le fascisme
pour reprendre à son compte la conception romaine du patriotisme, qui faisait de
la patrie une abstraction divinisée confondant la terre et l’Etat, conception à
laquelle les Lumières et les Jacobins donnèrent un sens encore plus sévère.
« L’esprit patriotique, avait écrit Rousseau, est un esprit exclusif qui nous fait
regarder comme étranger et presque comme ennemi tout autre que nos
concitoyens. Tel était l’esprit de Sparte et de Rome6. » De ce point de vue,
Mussolini fut un de ses disciples.
Le fascisme ne pouvait en outre échapper à la guerre pour plusieurs raisons.
D’abord, elle constituait sa matrice idéologique. En 1922, ce fut la génération du
front qui prit le pouvoir. Ensuite, Mussolini n’abandonna jamais le lien
désormais inextricable chez lui entre guerre et révolution qui le fit basculer en
1914 dans le camp interventionniste. Le darwinisme social exerçait aussi une
influence déterminante en faisant de la conquête et de la soumission des faibles
la manifestation d’un peuple fort. Laissons la parole à Giovanni Selvi, auteur
d’un article paru en 1924 dans Gerarchia : « Dans le ventre de nos femmes, dans
la virilité de nos races, il y a le signe physique de cette puissante et ardente
jeunesse […]. L’Empire n’est que le but final indiqué par ces signes physiques et
spirituels. L’Etat fasciste qui réalise la plus complète expression de vie redonne à
l’Italie l’esprit impérial. » Il avait donc besoin de soldats et d’abord en grande
quantité, d’où la politique nataliste. L’enfant dans l’Italie fasciste portait en lui la
promesse des futures conquêtes. Le Balilla lisait dans les livres mis à sa
disposition que « l’aigle romain reprendra son vol sur le monde entier quand le
monde nous demandera encore une fois la parole éternelle qui donnera dignité à
la vie et orgueil au genre humain. Elle ne pourra être prononcée que de Rome.
Parce que seule Rome ne meurt pas : elle est encore le levain du monde7 ». La
militarisation de la société découlait de cet impératif. Elle trouva à s’exprimer
dans les 10 commandements du milicien fasciste adoptés en 1928 :

1. Le milicien ne doit jamais croire à la paix perpétuelle.
2. Les jours de prison sont toujours mérités.
3. On sert la patrie même en montant la garde autour d’un bidon d’essence.
4. Un camarade doit être pour toi un frère parce qu’il vit avec toi, parce qu’il pense comme toi.
5. Le fusil, la giberne te sont confiés pour être conservés pour la guerre.
6. Ne dis jamais : « C’est le gouvernement qui paie » car c’est toi-même qui paies, et le
gouvernement est celui que tu as voulu et pour lequel tu endosses l’uniforme.
7. La discipline est le soleil des armées.
8. Mussolini a toujours raison.
9. Un volontaire n’a pas de circonstances atténuantes quand il désobéit.
10. Une chose doit t’être chère par-dessus tout : la vie du Duce.


Pour résumer, la guerre comme instrument privilégié du totalitarisme et du
remodelage de l’être humain. Le fascisme reprenait l’ouvrage là où la paix de
1918 l’avait interrompu, en soumettant l’Italie à un état de tension permanente.
Au sujet de l’éducation des enfants, Mussolini confia : « Je les prépare à la lutte
pour la vie. Et aussi à la lutte pour la nation8. » L’existence humaine étant ainsi
ramenée à un antagonisme perpétuel, il incombait donc à l’Etat de pousser
l’individu à s’en montrer digne. Inutile de chercher bien loin la matrice de cette
lutte. « La guerre seule, expliqua le Duce, porte au maximum de tension toutes
les énergies humaines et imprime un cachet de noblesse aux peuples qui ont le
courage de l’affronter. » Le régime fixa comme objectif de faire des Italiens un
peuple guerrier et fier inspirant la terreur à ses adversaires. Cette éthique
guerrière qu’il tentait d’infuser dans les esprits ne relevait pas de la simple
cruauté, mais bien d’abord du processus d’unification de la nation, inaugurée par
le Risorgimento, et ensuite d’un projet messianique de régénération de l’espèce9.

Une diplomatie convenable ?


Lorsque le fascisme prit les commandes du pays, il héritait d’une situation
compliquée dont les racines plongeaient aussi bien dans un passé lointain que
dans les événements les plus récents. La pulsion nationaliste qui le porta au
sommet entendait rompre avec le cycle infernal des défaites accumulées depuis
les guerres d’indépendance jusqu’à Caporetto, en passant par Lissa (1866) et
Adoua (1896). La victoire de Vittorio Veneto en 1918 avait maintenu l’Italie
dans le camp des vainqueurs de la Grande Guerre, mais la conférence de Paris,
on s’en souvient, déboucha sur l’énorme frustration de la victoire dite mutilée.
Du coup, la plus petite des grandes puissances se trouvait dans une position des
plus inconfortables. D’un côté, l’application d’une partie du traité de Londres lui
permit d’annexer le Sud-Tyrol et ses populations germanophones ainsi que
l’Istrie avec ses communautés slaves. Rome appartenait donc avec ses alliés de
l’Entente (France, Royaume-Uni) au groupe des Etats définis comme
conservateurs car désireux de maintenir les nouvelles frontières. Mais d’un autre
côté, le veto sur Fiume, la perte de la Dalmatie octroyée au nouvel Etat
yougoslave, l’impossibilité de placer l’Albanie sous son protectorat autant que le
refus de lui donner des colonies supplémentaires rejetaient les Italiens dans le
camp des Etats révisionnistes et contestataires de l’ordre européen issus des
traités de paix. Avec un pied dans chaque camp, une profonde contradiction
minait la diplomatie transalpine.
Le programme de 1919 portait la marque profonde de ses origines socialistes
avec la référence à une Milice nationale défensive et à une abolition de la
diplomatie secrète, avec son refus des guerres d’agression et ses références à la
SDN. Mais très vite, l’orientation du mouvement vers les conservateurs
conduisit à des thèses plus impérialistes. La dynamique révisionniste était de
toute façon déjà très présente entre 1919 et 1922, puisque le combat fasciste
reposait sur la lutte contre des gouvernements libéraux mis au pilori pour leur
incapacité à imposer la voix de l’Italie à ses alliés. Elle était également présente
dans les efforts de D’Annunzio pour constituer depuis Fiume une Ligue des
peuples opprimés par les nations ploutocratiques, nous l’avons vu. L’héritage du
Risorgimento jouait à plein dans cette réaffirmation du rôle libérateur dévolu à
l’Italie. On en trouve des traces dans le positionnement de Mussolini à l’égard
des populations arabes encore sous le joug du colonialisme anglais. Le 28 avril
1919, il fulmina une virulente condamnation : « L’Angleterre écrase à coups de
canon les tentatives de libération des peuples soumis à son autorité et ne se
souvient de la doctrine Wilson que lorsqu’il s’agit non pas des intérêts mais des
droits de l’Italie […]. Nous répondons : Vive Malte ! Vive l’Irlande ! L’Egypte
aux Egyptiens10 ! » L’Italie allait-elle reprendre le flambeau de Mazzini et de
Garibaldi ?
En vérité, sur cette question aussi, le ton se fit plus tempéré au fil des années,
les courants conservateurs et nationalistes ne goûtant que fort peu ce
positionnement anti-impérialiste et cette défense de peuples musulmans. A partir
d’octobre 1922, le nouveau gouvernement mit sous le boisseau ses appels à
l’indépendance arabe et plus globalement au révisionnisme en général.
L’inexpérience de Mussolini lui commandait de surcroît de laisser en fonction le
secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Salvatore Contarini, et de
suivre ses conseils de modération. Incarnation vivante du diplomate de carrière
et spécialiste des questions coloniales, Contarini avait soutenu la politique
d’apaisement suivie par les cabinets préfascistes, notamment sur les questions
balkaniques, faisant preuve à cette occasion d’une réelle compétence technique.
D’autres facteurs jouaient de toute façon en faveur d’une politique raisonnable :
la fragilité du pouvoir fasciste jusqu’en 1926, les dettes de guerre, les
turbulences internes, les retards industriels et surtout la très forte dépendance en
charbon qui obligeait le pays à en importer un million de tonnes par mois11 !
N’omettons pas non plus l’influence du roi que l’apprenti dictateur n’avait pas
l’intention de froisser.
Le maître mot de cette première période (1922-1926) était donc la
prudence ! Toutefois, s’il n’était pas question de se lancer dans une politique
agressive et aventureuse, le nouveau président du Conseil n’avait pas l’intention
d’être un succédané de Giolitti. La révolution fasciste ne se limitait pas à la
politique intérieure et offrait une grille de lecture nouvelle de l’échiquier
international. Pour le moment, il s’agissait de rester dans le camp des alliés de la
guerre. Les relations avec la France étaient certes sorties du conflit et du congrès
de la paix dans un état de vives tensions. Mais l’ancien socialiste imprégné de
culture française gardait une réelle empathie pour le pays de Proudhon et de
Sorel et, à cet égard, la crainte du révisionnisme allemand était déterminante. Sur
ce point, le fascisme ne se différenciait pas de ses prédécesseurs. En effet, le
défunt empire des Habsbourg avait laissé la place à une Autriche réduite, sans
accès à la mer et qui regardait déjà vers l’Allemagne maintenue dans son unité.
Or, la réalisation de l’Anschluss (l’union des Autrichiens et des Allemands)
aurait porté les frontières allemandes sur la frontière du Brenner, au contact du
Sud-Tyrol annexé en 1919 et de ses populations germanophones. La défense de
l’indépendance autrichienne devint ainsi l’alpha et l’oméga de la politique
italienne dans une orientation antiallemande très forte, expression du revirement
germanophobe de l’opinion publique italienne auquel Mussolini avait participé
avec la Grande Guerre12. De cette intransigeance découlait une proximité avec la
France qui se concrétisa dans le soutien que lui apporta Rome lors de
l’occupation franco-belge de la Ruhr que condamnèrent aussi bien Londres que
le Vatican.
Alors que l’amitié anglaise – indispensable pour un pays avec
5 000 kilomètres de côtes – avait été le point cardinal de l’Italie libérale, le
fascisme inaugurait sa diplomatie par une dégradation des rapports avec le
Royaume-Uni. Le problème était tout d’abord structurel. Le soutien des
Britanniques à l’Allemagne, leur ambiguïté sur la garantie des frontières en
Europe autant que leur puissance navale et coloniale en Méditerranée poussaient
vers une confrontation. A cela s’ajoutait le contrôle anglais, via Gibraltar et
Suez, des deux portes de la Méditerranée par lesquelles transitaient le charbon et
le pétrole dont l’Italie avait absolument besoin. Cette infériorité géostratégique
devint vite insupportable au chef fasciste. Notons enfin qu’en sus de ce
problème, une question idéologique se posait : la haine du fascisme
révolutionnaire pour la « ploutocratie » de la City.
Ce qui précède nous confirme que l’Italie n’entendait pas signer des chèques
en blanc à qui que ce fût. Pour être clair, son révisionnisme encore pacifique
visait à obtenir de Paris et de Londres des concessions territoriales et la
reconnaissance d’une égalité de puissance. Dans cette optique, la défense du
statu quo se révélait chimérique. Les capitales européennes s’en aperçurent très
vite avec la crise de Corfou. En effet, le régime mussolinien n’était pas installé
depuis un an que déjà il provoquait une secousse internationale. De quoi
s’agissait-il ? Depuis l’automne 1921, Rome disposait d’un mandat international
de garantie de l’indépendance de l’Albanie. Or, le 27 août 1923, un groupe
d’officiers italiens chargés de délimiter la frontière gréco-albanaise fut assassiné
dans des conditions obscures qui ne permirent pas d’identifier les auteurs. Piqué
au vif, Mussolini incrimina le gouvernement grec qui reçut un ultimatum très dur
exigeant excuses, enquête, versement d’une indemnité. Le refus d’Athènes
entraîna le bombardement de l’île et son occupation par un corps expéditionnaire
italien. Londres prit fait et cause pour son allié grec, menaçant en termes à peine
voilés d’une intervention de la Royal Navy depuis Malte. L’affaire fut portée
devant la SDN à laquelle le Duce nia toute légitimité pour intervenir dans ce
dossier. Il se sortit de l’ornière en acceptant l’arbitrage d’une commission
d’enquête qui reprit en les adoucissant certaines dispositions de l’ultimatum. La
France, empêtrée dans l’affaire de la Ruhr et tout heureuse de voir les Anglais
aux prises avec les Italiens, apporta son soutien à ces derniers.
Cette tentative de coup de force sur une île qui verrouillait l’entrée dans
l’Adriatique et avait à ce titre déjà suscité les convoitises italiennes pendant la
guerre illustrait la contradiction entre la ligne modérée du secrétaire général du
ministère Contarini et la dynamique brutale du fascisme, le peu de cas que Rome
faisait de la SDN et du droit international, ainsi que la volonté d’affirmer le
prestige italien. Mais dans les faits l’issue de la crise laissait peu de doutes quant
à la faiblesse du pays pour imposer ses choix. Sortir de l’isolement devenait une
nécessité, et Contarini n’eut aucun mal à en convaincre Mussolini. Pour y
parvenir, l’habile Contarini avait plusieurs flèches dans son carquois.
La première consistait en une sorte de grand coup diplomatique qui vit
l’Italie fasciste reconnaître l’URSS frappée d’ostracisme depuis 1917. La
fonction d’équilibre que jouerait l’Union soviétique en Europe, l’image toujours
présente de la Russie comme barrière contre la « vague jaune » des peuples
asiatiques, la possibilité pour Rome de jouer les intermédiaires entre Moscou et
les capitales européennes et enfin les arrière-pensées de politique intérieure
(couper l’herbe sous le pied au PCI) comptèrent pour beaucoup dans la
reconnaissance du 8 février 192413. De fait, Mussolini brisa une sorte de tabou
qui confirma la pleine autonomie de la diplomatie italienne, décision qui ouvrit
pour l’Union soviétique la voie à une cascade de reconnaissances.
Dans le même temps, l’affaiblissement de la France ouvrait la fenêtre sur
une résolution avantageuse du contentieux avec les Yougoslaves en s’appuyant
sur les traités de Rapallo (1920) et de Santa Margherita (1922) qui avaient déjà
normalisé les rapports entre Rome et Belgrade. Des négociations furent lancées
pour aboutir au traité de Rome du 27 janvier 1924 grâce auquel l’Italie
récupérait enfin Fiume, cette ville symbole qui avait tant compté dans la crise de
l’après-guerre. Ebloui, Victor-Emmanuel III conféra au Duce le collier de l’ordre
de l’Annonciade, distinction qui faisait du fils du forgeron de Predappio… son
cousin !
La dernière flèche visait Londres. En effet, Contarini plaidait désormais pour
une réconciliation avec le Royaume-Uni. Avait-il d’ailleurs le choix ? Pendant la
crise de Corfou, les officiers de la Regia Marina s’étaient joints à lui pour mettre
en évidence l’impossibilité de défendre les côtes, les bases navales et le trafic
maritime contre la Royal Navy. La géographie commandait d’apaiser les
relations italo-britanniques, y compris au détriment de la France gouvernée
depuis le mois de mai 1924 par le Cartel des gauches, guère porté à ménager le
fascisme. Un tournant anglophile fut alors rendu possible par l’arrivée à la tête
de la diplomatie de Sa Gracieuse Majesté, en novembre de la même année, du
conservateur Austen Chamberlain, avec lequel Mussolini noua de solides
relations fondées sur la volonté du cabinet de Saint-James de préserver la
stabilité de l’Italie. Pour les très anticommunistes conservateurs britanniques,
Mussolini était l’homme de la situation. Il fallait le ménager. Londres accepta
donc d’octroyer à l’Italie des avantages économiques en Ethiopie et des
rectifications de frontières en Libye. Cette lune de miel anglo-italienne dura
jusqu’à la guerre d’Ethiopie en 193514.
Elle trouva une nouvelle concrétisation dans la participation de l’Italie au
traité de Locarno du 16 octobre 1925, symbole de la réconciliation franco-
allemande – en vérité pleine d’arrière-pensées – menée par Aristide Briand et
Gustav Stresemann. Cet accord avalisait la reconnaissance réciproque des
frontières occidentales de l’Allemagne désormais garanties par Londres et
Rome. Belle victoire en vérité pour une Italie fasciste reconnue à égalité par les
grandes puissances, soucieuse de marquer sa solidarité avec les Occidentaux
ainsi que son adhésion aux principes de la SDN et de la sécurité collective. Mais
victoire en demi-teinte quand même puisque son chef échoua à étendre la
garantie internationale à la frontière italo-autrichienne. Au surplus, ses
partenaires démocrates le reçurent à Locarno, où il se rendit en traînant les pieds,
avec une vexante froideur, humiliation difficile à digérer. Du moins pouvait-il se
rassurer en pensant que ce traité freinait l’esprit de revanche allemand15.

Les pulsions révisionnistes du fascisme


Jusqu’au milieu des années 1920, la tonalité générale avait donc été de toute
prudence, mis à part l’écart de Corfou. Or, il n’y avait rien de plus éloigné du
fascisme que l’esprit de Locarno, que ces réunions de chefs d’Etat
démocratiques, de diplomates distingués, tous méprisants à l’encontre d’un chef
de bande qui mettait en coupe réglée le régime libéral de son pays. Les pulsions
révisionnistes interdisaient de prendre avec conviction la route de Genève. La
décision de Mussolini de confier le sous-secrétariat d’Etat aux Affaires
étrangères au fasciste Dino Grandi (14 mai 1925) avait été un premier signe
annonçant un tournant politique, que la démission de Contarini officialisée le
6 avril 1926 et la suppression en février 1927 du poste de secrétaire général du
ministère confirmèrent. Le fascisme prenait définitivement en main la
diplomatie.
Une fois le régime solidement installé, Mussolini pouvait plus librement
donner libre cours à une politique d’envergure. Au centre de celle-ci, on l’a dit,
se trouvait l’ambition d’ériger l’Italie comme grande puissance, ce qui passait
par un renversement de l’équilibre des forces en Méditerranée. Bien que le
Royaume-Uni y tînt une place centrale, il n’était pas dans les capacités italiennes
de courir deux lièvres à la fois. La révolution géopolitique du fascisme viserait
donc d’abord à la destruction de l’Empire colonial français considéré depuis la
fin du XIXe siècle comme l’obstacle principal à la puissance de l’Italie16. Le
thème impérial refit surface et pas seulement à cause de l’influence des
nationalistes conservateurs. Mussolini n’avait pas eu besoin d’eux pour écrire le
18 décembre 1919 dans son journal : « Notre avenir est sur mer. Par sa structure
et sa position géographique, elle [l’Italie] doit se tourner vers la mer, elle doit
trouver dans l’élément qui l’entoure les routes de sa prospérité. » Ainsi ne se
trahissait-il pas en rappelant le 5 octobre 1926 dans un discours à Pérouse que
« sans la maîtrise de la mer, Rome n’aurait ni conquis l’empire, ni pu le
conserver ». Il reprenait le droit fil de la néoromanité qui devait faire de l’Italie
une nouvelle Rome et de lui un nouveau César. Plusieurs géopoliticiens
fournissaient des analyses précises à propos des faiblesses intrinsèques de
l’Empire français sur les ruines duquel les Italiens construiraient l’Eurafrique,
concept géopolitique unissant les deux continents autour de la Méditerranée17.
Mais avant de ravir aux Français leurs colonies, il convenait de garder bien
en main les siennes. Or, à cet égard, la situation n’était pas brillante. La colonie
de Somalie avait été agrandie vers le sud après la guerre mais la situation y
restait confuse. Quant à la Libye, Rome n’en contrôlait que les côtes et
l’immédiat arrière-pays, alors que les géopoliticiens en faisaient volontiers une
vitrine de la future domination italienne sur l’Afrique du Nord. La pacification
de la Somalie commença en 1923 et dura cinq ans. Mais il fallut quatre longues
années (1928-1932) pour venir à bout de la résistance en Cyrénaïque. Dans les
deux cas, de terribles exactions accompagnèrent la pacification. En Libye, les
généraux Graziani et Badoglio ne lésinèrent pas sur les moyens : emploi des gaz,
déportations, camps de concentration, maltraitance, famine eurent raison des
autochtones18. Ce fut en fait dans l’espace colonial que la violence du régime
s’exprima avec le plus de férocité. Ainsi entre 40 000 et 100 000 Libyens
moururent-ils dans les camps, victimes d’une répression qui n’avait toutefois
rien de spécifiquement fasciste, les divers massacres de masse commis par les
autres colonisateurs à différentes époques en faisant foi.
L’autre versant de cette politique révisionniste antifrançaise se trouvait dans
les Balkans. Jetant aux orties la tendance conciliatrice avec la Yougoslavie,
l’Italie lança un mouvement d’affaiblissement de ce pays pivot de la stratégie
française dans la région. Elle s’y prit de trois manières. Tout d’abord par un
encerclement diplomatique grâce à la signature de deux traités avec l’Albanie
(novembre 1926 et novembre 1927) qui plaçaient le pays des Aigles sous un
quasi-protectorat italien. Ensuite par une ingérence intérieure via le soutien aux
mouvements séparatistes croates et macédoniens opposés à la domination des
Serbes sur l’Etat yougoslave et l’installation dans la péninsule de leurs camps
d’entraînement19. Enfin, par la signature, le 5 avril 1927, d’un traité d’amitié
avec la Hongrie, la grande perdante de la guerre mutilée au profit de ses voisins ;
engagement prolongé par les efforts en vue d’éloigner la Roumanie de sa chère
alliée française. Car c’était bien là le but : réduire l’hégémonie que Paris exerçait
sur l’Europe danubienne et balkanique, bloquer ses projets de confédération
danubienne et fissurer la Petite Entente. La France, travaillée par un antifascisme
teinté d’italophobie, se cabra et renforça sa coopération avec Belgrade par le
traité du 11 novembre 1927.
Ajoutons pour être complet que Mussolini lança un programme militaire
qu’il jugeait indispensable pour donner tout son poids à sa diplomatie
déstabilisatrice, au moment où il prit en charge le portefeuille de la Guerre. Le
doublement des dépenses militaires de 1925 à 1931 exprimait sans ambiguïté sa
volonté d’une parité avec les autres grandes puissances, notamment dans le
domaine naval avec la France, et diminuait l’impact de l’adhésion italienne au
pacte Briand-Kellogg qui proclama, le 27 août 1928, la guerre hors-la-loi !

L’équilibre selon Grandi


La signature des accords du Latran, le 11 février 1929, apporta à Mussolini
un prestige international inouï. Le régime en sortit consolidé, d’autant que la
déroute de l’antifascisme apparaissait complète. N’étant plus menacé de
l’intérieur, le dictateur se sentait assez fort pour abandonner les huit portefeuilles
ministériels qu’il détenait jusque-là. Sa volonté d’imprimer à la politique
extérieure une dimension plus active – sans être exempte d’ambiguïtés – lui
commandait de disposer d’un ministre des Affaires étrangères à plein temps. Son
choix se porta sur Dino Grandi, promu le 11 septembre 1929 chef de la
diplomatie à 34 ans !
Le jeune hiérarque s’installa donc dans le palais Chigi délaissé par le Duce
au profit du palais de Venise. Fasciste convaincu, éprouvant pour son chef une
admiration confinant à l’adulation, l’ancien ras de Bologne entendait bien
fasciser de l’intérieur le corps diplomatique encore trop marqué à son goût par
les traditions de la carrière. La politique étrangère devait désormais intégrer deux
des présupposés idéologiques de la révolution de 1922 : la politique des masses
et la volonté de puissance. Un signe ne trompa pas : l’abandon par le nouveau
ministre de la langue française dans ses discussions officielles au profit de
l’italien. Pourtant, une fois installé, Grandi mena une politique apparemment
réaliste et rationnelle, sans influence idéologique, ce qui s’exprima notamment
dans son refus absolu de voir le PNF interférer dans les dossiers internationaux
ou placer sous son autorité les consuls à l’étranger20. Bien au contraire, il
préconisa une ligne politique qui ne manquait pas de qualités. En participant
pleinement aux mécanismes de la SDN et en jouant le jeu de la sécurité
collective et du désarmement, l’Italie donnerait une image modérée susceptible
de plaire aux travaillistes britanniques au pouvoir depuis juin 1929. Elle pourrait
dès lors se placer à équidistance entre les grandes puissances, jouer le rôle
d’arbitre, en particulier entre Paris et Berlin, et user de son « poids déterminant »
(peso determinante) en faveur d’un camp ou d’un autre en cas de conflit21.
On objectera que Mussolini ne se situait en aucune façon sur cette ligne
d’équilibre mais bien davantage sur celle d’un révisionnisme agressif et guerrier.
Or, la contradiction n’était qu’apparente. Outre le fait que jamais le dictateur
n’aurait laissé les coudées franches à son ministre pour une politique autonome
et que toute décision relevait de son autorité, les deux hommes manœuvraient de
concert. Mussolini connaissait mieux que personne les faiblesses de son pays et
la nécessité de bénéficier d’une période de paix encore longue avant de se lancer
dans une déstabilisation en profondeur du système international. C’était là
qu’intervenait Grandi dont le goût pour les mondanités et la maîtrise des usages
diplomatiques offraient le visage rassurant d’une Italie policée. Ainsi permettait-
il au Duce du fascisme de rassurer les durs du régime, atterrés par ce qu’ils
considéraient comme d’insupportables ronds de jambe devant les pacifistes
genevois. Mussolini le fit d’ailleurs à plusieurs reprises, notamment lors de deux
discours agressifs prononcés à quelques jours d’intervalle à Livourne (11 mai
1930) puis à Florence (17 mai 1930) où il rappela le caractère belliqueux de
l’Italie nouvelle. A chacun son rôle donc, Grandi lui-même confiant que sa
politique relevait du « plus éhonté langage du mensonge22 ». De toute façon, seul
l’éclatement d’une guerre en Europe pourrait donner à la politique du peso
determinante toute sa mesure et permettre aux Italiens d’engranger des bénéfices
en matière d’expansion coloniale23.
Grandi put alors mener sa politique avec le soutien de son chef. Pourtant,
leurs divergences ne cessèrent de s’élargir au fil des années en grande partie à
cause des évolutions en cours en Europe. En effet, la mort du chancelier
Stresemann en octobre 1929, principal architecte du rapprochement franco-
allemand, suivie de très près par la crise économique mondiale rabattaient de
nombreuses cartes. Ces événements eurent d’inattendues conséquences en
portant sur le devant de la scène un programme jusque-là confidentiel :
l’Internationale fasciste !
A première vue, rien de plus éloignée du fascisme que la volonté de créer, à
l’instar du socialisme, une Internationale en faveur d’une fascisation de
l’Europe. Expression d’un hypernationalisme, l’expérience italienne ne pouvait
être un produit d’exportation. Mais il convient d’éviter sur cette question une
erreur d’optique qui, une fois encore, reviendrait à en sous-estimer le caractère
révolutionnaire. Davantage que l’internationalisme, plusieurs fascistes parmi les
plus puritains exécraient le cosmopolitisme, pris dans le sens d’un rejet des
frontières physiques et d’un mélange des cultures tels que le concevait le
mondialisme anglo-saxon déjà à l’œuvre – point capital de convergence entre les
trois systèmes totalitaires24. Cela ne les empêchait donc pas de défendre un projet
de type européen, au nom même de la nature révolutionnaire du fascisme qui
cadrait mal avec une expérimentation enfermée dans des frontières nationales.
Ainsi imaginaient-ils un fascisme global, créateur d’« une civilisation nouvelle à
caractère supranational25 ». Rome, renouant avec son universalité, irriguerait le
corps malade du continent avec le sang régénéré de la révolution en chemise
noire, contribuerait au renversement des gouvernements démocratiques et
placerait l’Italie à la tête des pays ayant aboli la démocratie libérale. Démarche
somme toute assez proche de celle de Moscou !
Plusieurs auteurs ont avancé avec raison que Mussolini en rejeta pendant
longtemps l’idée et ne s’y convertit qu’en 1929 sous l’influence de trois
facteurs : tout d’abord les accords du Latran qui offraient au fascisme la
possibilité d’utiliser à son profit l’universalité du catholicisme romain ; ensuite
le projet d’Aristide Briand d’une Union européenne égalitaire et démocratique ;
et enfin la Grande Dépression26. Jusque-là, le dictateur avait maintenu ses
distances avec ces revendications subversives qui heurtaient sa diplomatie
encore tempérée. Puis tout bascula très vite. En octobre 1930, il présenta le
fascisme sous les habits d’un mouvement inspiré par un esprit universel, ce qui
lui faisait prévoir « une Europe fasciste, une Europe dont les institutions
s’inspireraient des doctrines et de la pratique du fascisme. Une Europe qui
résoudrait dans un sens fasciste le problème de l’Etat moderne, de l’Etat du
XXe siècle, bien différent des Etats qui existaient avant 1789 ou qui se formèrent
après. Le fascisme d’aujourd’hui répond à des exigences de caractère
universel ». Deux ans plus tard, pour les dix ans du régime, il enfonça le clou :
« Le XXe siècle sera le siècle du fascisme, il sera le siècle durant lequel l’Italie
reprendra pour la troisième fois la direction de la civilisation humaine, puisqu’en
dehors de nos principes il n’y a pas de salut ni pour les individus ni pour les
peuples […]. Dans dix ans, l’Europe sera fasciste ou fascisée27. » Ce revirement,
en réalité, ne devait rien au hasard mais bien au troisième temps de la révolution
fasciste qui, inauguré en 1929 comme nous l’avons vu, concernait aussi les
questions extérieures. Il lâcha alors la bride aux révolutionnaires du fascisme.
Ces derniers rêvaient certes d’une subversion à l’échelle continentale mais leurs
réflexions les poussaient aussi à s’interroger sur la mission du fascisme italien et
même sur l’identité de l’Europe. Ils participaient à leur manière au foisonnement
intellectuel de l’entre-deux-guerres sur la question de l’unité européenne.
Mussolini lui-même s’interrogeait sur cette union qu’il jugeait réalisable mais
seulement selon la conception de Charlemagne et de Charles Quint : « de
l’Atlantique à l’Oural28 ».
On retrouvait dans ce courant les noms si souvent croisés de Bottai,
Malaparte, Pellizzi, Arnaldo Mussolini mais l’un se détachait des autres, celui
d’Asvero Gravelli. Squadriste et fasciste intransigeant, il fonda en 1929 une
première revue, Antieuropea, qui se voulait le porte-drapeau de la lutte contre
l’Europe libérale, puis une seconde en 1932, Ottobre, définie comme la revue du
fascisme universel. Un objectif immédiat les rapprochait : « regrouper les
meilleurs éléments en Europe, incarner les expériences du fascisme, alimenter
l’esprit révolutionnaire fasciste, stabiliser les dévotions à la cause de la dictature
européenne », selon les mots mêmes de Gravelli. Fort de sa spiritualité, de la
romanité et de sa puissance régénératrice, le fascisme pouvait devenir l’épicentre
du séisme général qui anéantirait les démocraties ploutocratiques. Des ruines de
l’ancien monde surgirait ensuite une nouvelle civilisation construite sur une
hiérarchie de puissance : l’Europe revigorée à la tête des autres continents et
l’Italie au sommet des Etats européens. Beau programme en perspective mais
Mussolini, plus prudent que jamais, entendait garder sous son autorité toute cette
activité vis-à-vis de l’étranger. Trop d’implications étaient en jeu. Il fallait, pour
l’instant, éviter l’accusation d’ingérence et donc rester dans l’ombre.
Ces pressions rendaient difficile le maintien de Grandi au palais Chigi. Le
ministre, non sans cohérence, s’opposait à cette remise en cause de la légalité
internationale, à ce soutien aux mouvements subversifs, incompatibles avec sa
ligne genevoise. Il subissait en outre les attaques de plus en plus dures des
faucons du régime, Balbo en tête, ulcérés devant cette diplomatie jugée pacifique
et égalitaire. Car c’était là que se situait le problème de fond, entre la sécurité
collective fondée sur l’égalité des Etats, petits ou grands, et la vision
hiérarchique du fascisme. Grandi défendit sa ligne lors d’une houleuse réunion
du Grand Conseil fasciste tenue le 8 avril 1932 et continua sur son chemin,
outrepassant à plusieurs reprises les directives mussoliniennes dans ses
négociations internationales. Le 20 juillet suivant, le Duce trancha et sacrifia le
ministre des Affaires étrangères non sans le nommer ambassadeur au Royaume-
Uni29. Il donna ensuite un coup d’accélérateur à l’Internationale fasciste en
multipliant les initiatives : débats organisés à l’occasion du congrès scientifique
Volta à Rome (16-20 novembre 1932) où l’on parla davantage de décadence de
l’Europe que de sciences ; fondation des Comités d’action pour l’universalité de
Rome (les CAUR) chargés d’institutionnaliser l’idéologie universelle du
fascisme ; et enfin réunion du congrès international de Montreux (16-
17 décembre 1934) rassemblant les représentants des mouvements « amis30 ».
Le fascisme bénéficiait qui plus est d’une image positive dans de larges
secteurs de l’opinion européenne, tant de droite que de gauche, en particulier
auprès des jeunes bourgeois en quête de révoltes, que le régime italien exploitait
pour en tirer des avantages politiques. Le soft power fasciste, pour reprendre une
terminologie actuelle, reposait sur la remise en ordre du pays, la fin des grèves,
l’écrasement de la menace bolchevique, les trains qui arrivent à l’heure et les
promesses d’un ordre interne nouveau capable de répondre aux angoisses du
temps. Dans une démarche très moderne, le gouvernement favorisa le tourisme
international par le biais de l’Agence nationale pour les industries touristiques
qui, loin de se contenter du patrimoine historique, mit en valeur les foires
internationales, les villes thermales, les stations balnéaires ou de ski et les
voyages automobiles. Ainsi leurs séjours devaient-ils permettre aux étrangers de
se faire leur propre idée sur l’Italie nouvelle, sans passer par le prisme de la
presse, des gouvernements ou des diplomates antifascistes31.
A Londres, Grandi devenu ambassadeur s’activait lui aussi pour améliorer
l’image de son pays, et force est de constater que les soutiens au régime
mussolinien transcendaient les lignes politiques aussi bien au nom de
l’anticommunisme que de l’anticapitalisme. On connaît l’admiration que
Winston Churchill portait au chef fasciste et à son action tant intérieure
qu’extérieure. « C’est un grand personnage, écrivit-il à son épouse Clémentine
en 1926 après l’avoir rencontré. J’espère qu’il ne lui arrivera rien32. » Mais le
Labour ne tarissait pas non plus d’éloges sur une expérience de dépassement du
capitalisme. L’écrivain George Bernard Shaw n’hésita pas en 1927 à noter que
Mussolini allait encore plus loin « dans la direction du socialisme que n’oserait
le faire le parti travailliste s’il arrivait au pouvoir », ce que confirma non sans
exagération lord Ponsonby, membre éminent du Labour : « Il a fallu un an pour
reconstruire une grande partie de Rome et nous avons consacré trois années à ne
pas construire deux nouveaux ponts à Londres. » Le vénérable Lloyd George
joua aussi sa petite sérénade vantant les mérites du ruralisme et du corporatisme
comme réponses à la crise de 1929. Il existait en outre en Angleterre un
mouvement fasciste mené par Oswald Mosley que Grandi honorait de son intérêt
moins au nom de l’Internationale fasciste que pour consolider le prestige de
Mussolini à l’étranger33.
En ce qui concerne la France, la tradition antiparlementaire de la fin du
XIXe siècle, le poids de la Grande Guerre et la crise institutionnelle d’une
IIIe République s’enfonçant dans les sables mouvants de l’impuissance et de la
corruption donnaient à la révolution fasciste valeur d’exemple. Le mouvement
royaliste de l’Action française en était assez éloigné, même si son
positionnement restait très complexe, à l’image de la pensée de son chef Charles
Maurras. S’il admirait autant l’autoritarisme du régime construit au sein d’une
monarchie que son œuvre de restauration nationale, il en condamnait l’étatisme à
outrance. De toute façon, Rome demeurait un appui incontournable contre
l’ennemi éternel et renaissant : l’Allemagne34. L’union latine contre la barbarie
germanique en somme. Une approche que l’on rencontre aussi chez de
nombreux intellectuels français et italiens engagés dans la promotion d’une
commune culture latine censée permettre aux deux pays de se rapprocher. Tout
un réseau se structurait autour de l’idée d’un « cosmopolitisme latin »,
expression de l’espoir en une régénération nationale contre le germanisme35.
Au fond, c’était la gauche française, marquée par la rupture de 1789, qui se
montrait, on s’en doute, la plus perméable. Ancien anarchiste sorélien, converti
au royalisme de l’Action française, Georges Valois rompit avec le mouvement
maurrassien qu’il jugeait trop réactionnaire pour fonder son propre mouvement
fasciste, le Faisceau. Jamais sans doute cet individu dont Mussolini disait qu’il
lui était « plus cher qu’un autre » et qui haïssait autant que lui la bourgeoisie, ne
fut plus juste que lorsqu’il écrivait en 1926 : « Le fascisme est exactement dans
le fil du mouvement de 1789 ; il s’y rattache ; il le prolonge ; il le dépasse en lui
donnant une conclusion que les peuples cherchent depuis un siècle36. » De la
même manière, la conversion d’un autre ancien socialiste pacifiste, Gustave
Hervé, fondateur en 1919 du Parti socialiste national et qui salua en 1922 son
« ancien camarade Mussolini », constitua la matrice du mouvement franciste
fondé en 1933 par Marcel Bucard. Un an plus tard, l’écrivain Pierre Drieu la
Rochelle publia son étude sur le Socialisme fasciste. Fasciné par la spiritualité,
les valeurs viriles et le culte de la jeunesse qui irriguaient le fascisme, il voyait
dans l’adoption d’un régime semblable l’unique planche de salut non seulement
pour une France décadente mais aussi pour une Europe menacée par l’Amérique
et l’URSS37. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le futur chantre de la
collaboration remarquait que « si tous ces mouvements et ces régimes
[bolchevique, fasciste et nazi] sont si proches les uns des autres, c’est qu’ils ont
une filiation commune – et cette filiation n’est autre que le jacobinisme38 ».
Robert Brasillach, quant à lui, s’émerveillait de voir naître depuis 1922 « un type
humain nouveau, aussi différencié, aussi surprenant que le héros cartésien, que
l’âme sensible et encyclopédiste du dix-huitième siècle, que le patriote jacobin »,
l’homme fasciste39.
Le fascisme pouvait donc compter sur un pouvoir de séduction qui ne
demandait qu’à être exploité. Mais ne nous trompons pas sur la dynamique
politique de Mussolini dans la première moitié des années 1930. Malgré ces
perspectives somme toute intéressantes, la prudence en définitive restait de
mise : il n’y eut jamais de Komintern fasciste et le dictateur préférait pour le
moment respecter les règles internationales.

Le danger allemand revient


Le renvoi de Grandi coïncidait avec la montée vers le pouvoir du NSDAP, le
parti d’Adolf Hitler, face auquel le régime mussolinien devait se positionner. Or,
les fascistes se divisèrent sur cette question, les uns pensant trouver dans le
national-socialisme une sorte de mouvement frère respectueux de sa filiation
avec les chemises noires, les autres brandissant le racisme biologique et
l’antisémitisme comme preuves d’incompatibilité des deux mouvements.
L’émergence du nazisme dans les années 1920 avait suscité un premier intérêt
pour cette force politique nouvelle, et son leader qui ne cachait pas son
admiration sans bornes pour Mussolini avant que l’échec du putsch de la
brasserie à Munich en 1923 ne vînt couper les premiers contacts. Il fallut
attendre les succès électoraux du début des années 1930 pour que le regard de
Rome se portât de nouveau sur le NSDAP. La prise de pouvoir d’Hitler, devenu
chancelier le 30 janvier 1933, suivie par l’étranglement rapide de la république
de Weimar, changea les données du problème. Une nouvelle Allemagne,
nationale, socialiste et antisémite émergea, avec laquelle il fallait désormais
compter.
Mais une fois encore rien n’était simple. La revue de Bottai, Critica fascista,
ne cachait pas son hostilité. Influencée par la philosophie de Giovanni Gentile,
elle critiquait la conception raciale de la nation, là où le fascisme insistait sur les
valeurs, les sentiments, les idéaux, les coutumes comme autant de facteurs
d’unité. Le fascisme et le nazisme étaient dès lors présentés comme deux
produits de deux histoires singulières. Mussolini se situait quant à lui sur une
ligne discordante qu’exprimait sa revue Gerarchia. La victoire du national-
socialisme confirmait à ses yeux le déclin irrémédiable de la démocratie libérale
et venait renforcer l’idée d’un fascisme universel inspiré de l’expérience
italienne en pointe dans la régénération de l’Europe40. Cela dit, il ne
méconnaissait pas les risques géopolitiques induits par l’arrivée au pouvoir des
nazis à Berlin. La réalité politique prit le dessus sur l’idéologie.
De retour d’un voyage d’étude dans la nouvelle Allemagne, en
septembre 1933, Bottai le mit en garde. Si les nazis exprimaient des sentiments
positifs sur le fascisme, en réalité ils le méprisaient – à l’exception de la
personne du Duce – à cause de son absence rédhibitoire de racisme et
d’antisémitisme. Le programme pangermaniste suscitait de surcroît la plus vive
inquiétude puisqu’il entraînait en toute logique le nouveau régime à réaliser
l’Anschluss, voire à réclamer le Tyrol du Sud. L’Italie y perdrait alors ses acquis
de 1919 et son influence sur l’Europe centrale. Il fallait donc bloquer le
révisionnisme allemand ou, pour être plus précis, l’encadrer car la diplomatie
mussolinienne ne pouvait renoncer au principe même de la contestation des
frontières dont elle entendait se servir à son profit. Pour échapper à cette
contradiction, Mussolini proposa dès mars 1933 un accord connu sous le nom de
pacte à Quatre. Signé en juillet avec les Britanniques, les Français et les
Allemands, il inscrivait dans le marbre la possibilité d’une révision négociée des
frontières. Les grandes puissances espéraient ainsi contrôler l’Allemagne.
Toutefois, le pacte mourut de sa belle mort du fait de l’opposition des Etats
d’Europe centrale alliés de la France, tandis que l’Allemagne quittait la SDN en
octobre. Mussolini prophétisa alors : « A défaut de révision par le pacte à Quatre,
c’est Sa majesté le canon qui parlera. »
On trouvait le même souci de l’équilibre dans la politique soviétique de
Rome. Ainsi le 2 septembre 1933 le gouvernement italien signait-il avec l’URSS
stalinienne un pacte d’amitié, de non-agression et de neutralité dont on aura bien
compris qu’il devait, dans l’esprit du Duce, prolonger les discussions du pacte à
Quatre. Il permettait aussi d’associer l’Union soviétique aux démocraties
occidentales pour mieux refermer la porte orientale de la muraille enserrant
l’Allemagne. Par conséquent, Mussolini ordonna un silence total à la presse
italienne sur la terreur et les répressions que Staline exerçait sur son pays41.
Après la dérobade occidentale pour le pacte à Quatre, la diplomatie fasciste
n’avait plus d’autre choix que de défendre bec et ongle l’indépendance de
l’Autriche avec laquelle elle entretenait des rapports étroits, surtout depuis
qu’Engelbert Dollfuss occupait avec autorité la chancellerie. Dans les premiers
mois de 1934, les autorités fascistes accrurent leur pression sur l’Allemagne :
descente de police et perquisitions dans les locaux italiens du NSDAP, violente
campagne de presse antinazie et menaces d’une alliance avec les démocraties. A
Berlin, on chercha alors à désamorcer les tensions en proposant une visite
officielle du Führer auprès du Duce qui acquiesça. Or, la rencontre se déroula
dans une atmosphère glaciale. Mussolini, qui faisait encore figure de chef
respecté de la famille fasciste, reçut à Stra près de Venise et non à Rome le
nouveau chancelier dont il méprisait aussi bien la personne que les écrits. Hors
de question de lui rendre les honneurs romains ! L’Italie septentrionale, théâtre
de la lutte séculaire entre les Italiens et les Allemands, offrait un cadre
symbolique bien plus parlant. Le séjour se déroula selon le programme prévu :
discussions en tête-à-tête, visite de la Sérénissime, discours à la foule, défilé des
chemises noires, communiqués officiels adoucissant les points de divergence.
Mais le courant en définitive ne passa pas entre un Hitler, mal fagoté dans son
costume civil, lancé dans de violentes diatribes contre Dollfuss, la SDN ou les
juifs mais rassurant sur l’Autriche, et un Mussolini qui réussit quand même à
parler, conforté dans son jugement négatif sur cet « excité » et sur l’irréductible
opposition entre Germains et Latins42.
En fait, le Duce ne s’était pas trompé sur la détermination des nazis à
s’emparer de l’Autriche. Le 25 juillet 1934, à peine quinze jours après la
rencontre de Stra, les nazis autrichiens tentèrent un coup d’Etat à Vienne et
assassinèrent Dollfuss comme un chien dans un salon de la chancellerie.
Mussolini réagit en rapprochant le long de la frontière du Brenner cinq divisions
qui manœuvraient déjà dans la région pour bien indiquer au maître de Berlin
qu’il ne lui laisserait pas l’Autriche sans réagir. Cette action, couplée à la loyauté
de l’armée autrichienne et aux insuffisances des conjurés, fit échouer le putsch et
donna au dictateur italien l’image d’un allié des démocraties contre l’Allemagne.
Indéniablement, Mussolini se positionna en première ligne dans le combat
contre le révisionnisme hitlérien et fit feux de tous bois : soutien à l’entrée de
l’URSS au sein de la SDN (18 septembre 1934), annulation d’un contrat de
livraison à l’Allemagne de 24 avions de guerre Fiat et violentes diatribes de la
presse contre le national-socialisme, tandis qu’il se gaussait en public de
l’histoire somme toute peu glorieuse des Germains à l’époque de Rome. Mais
cela ne suffisait pas pour contenir l’Allemagne. Ne pouvant agir seul, le Duce
avait besoin des démocraties dont il espérait l’appui avec une sincérité difficile à
mettre en doute. La France, qui cherchait de son côté le meilleur moyen de
maintenir son inquiétant voisin dans de bonnes dispositions et où la fermeté
italienne pendant la crise autrichienne trouva un fort écho, se montra la plus
réceptive. L’ancien socialiste Pierre Laval, devenu ministre des Affaires
étrangères en octobre 1934 après l’assassinat de son prédécesseur Louis Barthou,
accordait une grande importance à l’Italie dans le dispositif préventif qu’il
comptait mettre en place pour convaincre Berlin de revenir à la table des
négociations. Le voyage qu’il fit à Rome constitua l’apogée du rapprochement
franco-italien et fut marqué par la signature le 7 janvier 1935 d’une série
d’accords sur les colonies, l’Autriche et la position à tenir face au réarmement
allemand. Une coopération dans le domaine culturel, autour de la notion de
latinité, devait renforcer cette proximité politique antigermanique43.
Or, une nouvelle initiative allemande mit à l’épreuve l’entente entre le
fascisme et les démocraties. Le 16 mars 1935, Hitler en personne annonça à
l’ambassadeur d’Italie livide le rétablissement du service militaire et la
formation d’une armée de 36 divisions et de 550 000 hommes. Le diplomate,
pourtant encore loin du compte, prévint alors Rome : « L’Allemagne impériale
est ressuscitée. » Mussolini réagit en proposant la réunion avec la France et le
Royaume-Uni d’une conférence internationale qui se tint à Stresa (11-14 avril
1935) dans le décor féerique du palais Borromée, sur une île du lac Majeur. Une
fois encore, ne doutons pas de sa détermination. « Aujourd’hui, expliqua-t-il à
un diplomate italien, tous les ponts sont rompus avec l’Allemagne. Si elle veut
collaborer à la paix en Europe, tant mieux. Sinon nous la bousculerons puisque
désormais nous sommes complètement alignés aux côtés des puissances
occidentales44. » Cette dernière réunion des trois vainqueurs de la Grande Guerre
accoucha certes d’une déclaration ferme sur leur détermination à « s’opposer par
tous les moyens appropriés à toute répudiation unilatérale des traités, susceptible
de mettre en danger la paix en Europe ». Mais le front de Stresa, si tant est qu’il
eût existé un jour, resta théorique d’abord parce que les Britanniques, derrière
lesquels les Français couraient, refusèrent de s’engager avec résolution dans un
front antiallemand ; et ce au nom de l’appeasement, qui allait connaître une
première manifestation avec l’accord naval anglo-allemand du 18 juin 1935.
Ensuite parce que Mussolini n’entendait jouer le rôle de prince de la paix que sur
la scène européenne, comme le démontra l’expression « en Europe » rajoutée à
sa demande dans le champ d’application de la défense de la paix, excluant de
facto l’Afrique… et l’Ethiopie45.

Les mirages de l’Orient


De toute façon, la convergence entre l’Italie fasciste et les démocraties
rencontrait vite ses limites. Mussolini ne limitait pas son action à une simple
défense du statu quo que la nature révolutionnaire du fascisme ne pouvait
avaliser. Déjà ses regards se tournaient vers l’Orient et l’Afrique. Son projet
géopolitique ne se limitait pas en effet à l’Europe. Le rêve impérial, la romanité
et la nature idéologique du régime poussaient à envisager des actions politiques
et militaires dans l’ensemble du bassin méditerranéen afin d’y établir le nouvel
empire fasciste. La confrontation avec la France et le Royaume-Uni apparaissait
de facto fatale.
A l’orée des années 1930, l’intérêt italien pour les mouvements nationalistes
arabes connut une nouvelle impulsion. Mussolini précisa en 1934 les contours de
revendications marquées par la rhétorique révolutionnaire de la nation
prolétaire : « Il ne s’agit pas de conquêtes territoriales […] mais d’une expansion
naturelle qui doit conduire à la collaboration entre l’Italie et les nations
d’Orient […]. Nous n’avons pas l’intention de revendiquer des monopoles ou
des privilèges mais nous demandons et nous voulons obtenir que les parvenus,
les rassasiés, les conservateurs ne s’ingénient pas à bloquer de toutes parts
l’expansion spirituelle, politique, économique de l’Italie fasciste. » Deux ans
auparavant, dans un discours devant l’Académie d’Italie, le poète philosophe
musulman Muhammad Iqbâl avait insisté sur les liens unissant le fascisme et
l’islam en ces termes : « La nation héritière de Rome, nourrie des anciennes
vertus, s’est rénovée, elle est revenue à la vie et à la jeunesse. La même
impatience vibre aujourd’hui dans l’esprit de l’islam46. » Plusieurs actes concrets
accompagnèrent ces paroles : lancement en 1930 de la foire du Levant à Bari,
création en 1933 de l’Institut d’études pour le Moyen et l’Extrême-Orient
(ISMEO) et en 1935 de l’agence de presse d’Egypte et de l’Orient installée
au Caire.
Mais la grande réalisation resta sans contexte celle de Radio Bari créée
spécialement en mai 1934 – année charnière dans la politique arabe du fascisme
– pour s’adresser aux populations arabo-musulmanes. Le Duce connaissait la
puissance de ce type de médias très utilisé à l’intérieur du pays. Il n’y avait
aucune raison de s’en priver pour l’extérieur. L’objectif liminaire était de
restaurer l’image de l’Italie auprès des masses arabes après les terribles
répressions en Libye mais on passa vite aux émissions aux accents
antibritanniques sans cesse plus marqués, motivées par le rêve – la chimère
diraient certains – de substituer l’influence italienne à celle des Anglais sur le
Proche-Orient. Les messages prirent une tournure de plus en plus agressive au
fur et à mesure de la dégradation des rapports italo-anglais à propos de
l’Ethiopie47, nous allons y revenir. Notons aussi que ce fut en 1934 que les
premiers contacts furent pris entre Rome et le très nationaliste grand mufti de
Jérusalem, Hadj Amine.
Toutefois cette ambitieuse politique arabe se heurtait à des contradictions et
à des réalités incontournables. Tout d’abord, se faire le héraut de la libération des
peuples arabes cadrait mal avec la dureté de la colonisation italienne sur ces
mêmes populations. Ensuite, les courants les plus conservateurs, notamment
catholiques, restaient de marbre devant les charmes supposés d’une entente avec
l’islam. Enfin, Rome ne désirait pas sauter le pas en direction d’une rupture avec
le Royaume-Uni et savait jusqu’où elle pouvait aller. L’exemple de la revue
italo-arabe L’Avvenire arabo (« L’avenir arabe »), inaugurée à grand renfort de
publicité en janvier 1932 puis abandonnée en octobre de la même année,
constitua une illustration des tensions internes au fascisme sur cette question. Ce
puissant instrument de propagande arabophile, qui enthousiasmait les fascistes
intransigeants, déplut au ministre des Colonies De Bono qui obtint sa
suspension48. Quant au projet d’une Maison arabe à Rome, il resta dans les
cartons.

La guerre fasciste en Ethiopie


Une guerre ! Il fallait une guerre au fascisme pour fonder son empire,
consolider la révolution, créer l’homme nouveau dans le fracas régénérateur des
armes, regarder de haut les anciennes élites, montrer que le fascisme ne se
limitait pas à des rodomontades clownesques comme l’affirmaient ses opposants,
rassurer les intransigeants et offrir un exutoire à leur désir de violences. Il ne
pouvait en être autrement. L’agression contre l’Ethiopie, ou guerre d’Abyssinie
comme l’appellent les Italiens, constitua un acte d’une gravité exceptionnelle
aussi bien dans l’histoire du régime que dans celle des relations internationales.
Loin d’être une simple conquête coloniale, elle fut conçue comme un conflit
opposant une « armée d’ouvriers et de paysans et les milices privées du Négus et
de ses grands féodaux49 » et comme un défi lancé à l’Europe de la SDN qui ne
s’en remit pas. Un premier pas vers la Seconde Guerre mondiale en réalité. Ses
ondes de choc se propagèrent à l’ensemble du pays et loin de fragiliser le régime
mussolinien, elle lui permit d’atteindre son apogée. Mais pourquoi l’Ethiopie ?
L’ancien royaume du prêtre Jean se trouvait depuis longtemps dans la ligne
de mire de Rome. La première tentative de colonisation, on s’en souvient, s’était
soldée par l’humiliante déroute d’Adoua (1896). Depuis, le pays du Négus Haïlé
Sélassié avait conservé son indépendance, confirmée par son entrée à la SDN en
1923. Sa conquête devenait l’occasion pour l’Italie mussolinienne de réussir là
où l’Italie libérale avait échoué et, une fois soumis, il deviendrait la pierre
angulaire du nouvel Empire romain. Mais sur la route d’Addis-Abeba, il y avait
l’Angleterre, maîtresse des mers et des terres coloniales de la Corne de
l’Afrique, arc-boutée sur la défense intransigeante de la route menant du Caire
au Cap et de l’équilibre en Méditerranée. C’était prendre le risque d’une crise,
voire d’un conflit italo-britannique, aux conséquences incalculables. Et elles le
furent.
Le principal acteur de cette pièce fut bien sûr Mussolini qui, à partir de 1932,
commença à réfléchir sérieusement à une agression. Le plan concocté par De
Bono à son retour d’Erythrée se heurta aux réticences des militaires et à une
situation internationale délicate, mais il plut au chef du gouvernement sensible à
l’argument que la guerre régénérerait autant le fascisme que les Italiens. Deux
ans plus tard, la situation semblait plus propice. Les premiers préparatifs
militaires commencèrent pendant l’été 1934. Un énième incident de frontières
entre Italiens et Ethiopiens, en décembre, détermina le passage à l’action. Sa
décision était prise, irrévocable. Le renforcement des troupes ne cessa plus
durant les premiers mois de 1935. Comme le prouvent les directives envoyées au
maréchal Pietro Badoglio, chef d’état-major de l’armée, le Duce était convaincu
que les Britanniques, derrière des protestations de façade, ne broncheraient pas
et avaliseraient le rapt. L’annexion de l’Ethiopie contre la défense de la paix en
Europe, voilà ce qu’il proposait et continuait d’espérer, y compris lors de la
conférence de Stresa.
Pourtant, dès le mois de février 1935, des signaux contraires ne manquèrent
pas d’arriver du Foreign Office. En vain. Passé l’été, Londres cessa de prendre
des gants. Le 11 septembre, le ministre des Affaires étrangères Samuel Hoare
prononça un virulent discours à la SDN où il assura que le Royaume-Uni
respecterait ses engagements tandis que la Royal Navy appareillait de Malte
pour Alexandrie50. Ce fut une douche froide pour Grandi, ce qui n’empêcha pas
Mussolini d’écarter tous les plans de paix d’un revers de la main. Il voulait sa
guerre. Le roi, fin connaisseur des réalités internationales en général et de la
politique britannique en particulier, freina des quatre fers avant de céder à son
tour à la détermination mussolinienne. Le 3 octobre 1935, les troupes italiennes
envahirent l’Ethiopie. La guerre commençait et se déroula sur deux fronts, l’un
militaire l’autre diplomatique.
Sur le premier, le commandement fut confié à De Bono, nommé en
mars 1935 commandant suprême des troupes d’Afrique orientale, choix politique
fait en faveur d’un fidèle hiérarque aux capacités toutes relatives et flanqué de
deux généraux compétents. L’offensive italienne chercha à prendre en tenaille
les forces éthiopiennes, De Bono marchant depuis l’Erythrée et le général
Graziani depuis la Somalie. Les premiers succès ne tardèrent pas avec la prise
d’Adoua et d’Axoum. Mais à Rome le Duce, rongé par l’impatience, tonnait
contre les prudences de De Bono. Envoyé en inspection comme un médecin
déterminé à tuer le malade, l’ambitieux maréchal Badoglio rédigea un rapport au
vitriol contre le commandant en chef. Sentant le souffle du couperet, De Bono
obéit aux injonctions de Rome et lança une nouvelle offensive qui lui permit de
s’emparer de Mékélé le 8 novembre avant d’ordonner une nouvelle pause à ses
troupes. Mussolini le destitua alors sans ménagement au profit d’un Badoglio
qui, fort de trois divisions supplémentaires, engagea une préparation méthodique
pour une offensive décisive. Le dictateur, qui sentait planer autour de lui les
fantômes d’Adoua, le bombardait de directives et d’injonctions dont le maréchal
se moquait totalement. Ce ne fut qu’en février 1936 qu’il déclencha une
opération d’envergure contre laquelle les soldats du Négus ne purent rien51. La
route d’Addis-Abeba était ouverte !
L’autre bataille, diplomatique celle-ci, mobilisa en premier lieu Grandi.
Revenu de ses illusions, l’ancien ras de Bologne préconisait une solution de
compromis sur le principe d’un contrôle italien de l’Ethiopie. Au milieu du mois
d’octobre, percevant une évolution positive du gouvernement de Sa Majesté sous
la pression des conservateurs et de la City, il s’engagea avec l’accord de
Mussolini dans une négociation avec le Foreign Office à laquelle les Français
s’associèrent. Il fallait faire vite. Les 11 et 19 novembre, la SDN avait certes
voté des sanctions économiques contre l’Italie mais en fait fort modérées.
N’excluaient-elles pas le pétrole des produits prohibés ? En outre, l’absence de
fermeture du canal de Suez par la Royal Navy n’indiquait-elle pas une sourde
volonté de laisser les Italiens opérer en Abyssinie ? En réalité, cette mansuétude
s’expliquait en partie par la pression de l’état-major britannique qui craignait de
perdre dans une guerre italo-anglaise les navires dont il aurait besoin dans une
guerre éventuelle contre le Japon. Les négociations débouchèrent sur le plan
Hoare-Laval (7 décembre 1935) qui réduisait le royaume du Négus Haïlé
Sélassié à un Etat croupion sous la domination de l’Italie qui en annexerait une
grande partie. Une fuite dans la presse souleva l’indignation de l’opinion
publique britannique et fit tout capoter. Le 18 décembre, le Grand Conseil du
fascisme se réunit afin de discuter de l’accord. Les échanges y furent âpres entre
les tenants d’une solution négociée (De Stefani, Federzoni) et les partisans de la
guerre (Farinacci). La nouvelle, transmise par Grandi, de la démission de Hoare
et de son remplacement par Anthony Eden, nettement plus anti-italien, tomba
pendant la réunion qui fut ajournée52. Deux jours plus tard, le plan fut
officiellement rejeté. Plus aucun doute n’était permis. Une aggravation des
sanctions se profilait. Pour retenir Londres, Radio Bari usa d’un ton beaucoup
plus agressif pour pousser les Arabes à la révolte en les inondant de fausses
nouvelles53.
La conquête s’acheva le 5 mai 1936 avec l’entrée de Badoglio dans la
capitale éthiopienne. Le soir même, depuis le balcon du palais de Venise, devant
une foule vibrante, le Duce annonça « à l’Italie et au monde que la guerre [était]
finie ». L’Ethiopie était italienne et l’empire officiellement rétabli le 9 mai.
Victor-Emmanuel III reçut le titre d’empereur. Cette guerre si ardemment voulue
avait été celle du fascisme, du peuple, de l’homme nouveau, un combat
idéologique contre un système international « qui préférait la paix à la guerre et
qui considérait les sujets de la communauté internationale égaux entre eux et
sans hiérarchie54 ». L’usage des armes chimiques, les bombardements de villes,
les massacres de civils et les terribles répressions opérées sur les territoires
conquis exprimaient certes la détermination de Mussolini d’éviter coûte que
coûte une défaite à laquelle il n’aurait peut-être pas survécu mais levaient aussi
le voile sur la nature idéologique du fascisme inséparable de la violence. Cette
aventure sanglante comblait les frustrations nationalistes, revivifiait l’esprit
futuriste et honorait Rome. Les hiérarques ne s’y trompèrent pas. Bottai, Ciano,
Farinacci, Starace, tous revêtirent l’uniforme pour participer à un combat
fondateur. Ce fut d’ailleurs ainsi que le dictateur le présenta lors de la cérémonie
de proclamation de l’empire le 9 mai. Après avoir demandé à la foule : « En
serez-vous digne ? », question à laquelle elle répondit par un « oui » frénétique,
il lança un avertissement : « Ce cri est comme un serment sacré qui vous engage
devant Dieu et devant les hommes à la vie et à la mort ! »
On ne saurait trop insister également sur la déstabilisation de l’ordre
international provoquée par l’agression contre l’Ethiopie. Alors que les regards
étaient braqués vers l’Afrique, Hitler en profita pour remilitariser la Rhénanie,
nouveau coup dur porté aux traités de Versailles et de Locarno. Face à une
Allemagne revancharde, contre laquelle Rome restait indispensable, les
démocraties se trouvèrent devant un choix cornélien. Fallait-il condamner l’Italie
au risque de la jeter dans les bras d’Hitler ou conserver son amitié au prix du
sacrifice de l’Ethiopie, de la SDN et des principes de la sécurité collective ?
Malgré leurs atermoiements, Paris et Londres optèrent en fait pour la première
solution avec sa conséquence inévitable pour un Mussolini vilipendé : se tourner
vers Hitler lui aussi isolé après l’affaire rhénane. L’ambassadeur d’Allemagne à
Rome, Hassel, trouva les mots justes : « Le Négus mérite un monument à Berlin
parce que c’est à lui seul que nous devons le rapprochement entre l’Allemagne et
l’Italie qui semblait pourtant inatteignable après les incidents à Vienne et les
rencontres de Stresa55. »
En fin de compte, on s’aperçoit que l’évolution de la diplomatie
mussolinienne vers l’Allemagne hitlérienne n’avait rien d’inéluctable car les
facteurs géopolitiques ont compté davantage que le prisme idéologique dans la
définition de la politique extérieure. Les dix premières années du régime se
caractérisèrent donc par une modération et un souci de l’équilibre qui ne cessent
d’étonner. La montée du nazisme amplifia même le mouvement portant Rome
vers une collaboration sans aucun doute sincère avec les démocraties
occidentales. Cela n’enlevait rien au fait que le fascisme ne pouvait, sauf à se
renier, se contenter de demi-mesures. Les rêves balkaniques, les ambitions
coloniales, la vocation impériale, l’exigence d’être traité comme une grande
puissance respectée, tout cela préexistait au fascisme. Mais il portait en son sein
un dessein qui, pour manquer de clarté, n’en était pas moins une remise en cause
profonde et révolutionnaire de l’ordre international libéral de 1919 qui s’exprima
avec la guerre d’Ethiopie. En 1936 commença une nouvelle phase de l’histoire
du totalitarisme fasciste qui devait le porter vers la Seconde Guerre mondiale.
9
Le nouvel élan totalitaire

Le vertige du consensus
Le soutien que l’opinion publique apporta à la dictature fasciste lors de la
guerre d’Ethiopie constitua une sorte de réponse à sa mise au ban des
démocraties. Un véritable consensus entoura le régime et son chef. En effet,
jamais Mussolini ne fut aussi populaire qu’aux lendemains de l’expédition
africaine, son gouvernement aussi solidement installé aux commandes,
l’opposition aussi amorphe. Bien sûr, les autorités ne lésinèrent sur aucun effort
pour s’assurer l’appui des Italiens. D’abord indifférents, puis inquiets de la
tournure des événements sur le terrain militaire, ceux-ci furent soumis à une
intense propagande. L’école bien sûr veillait à tenir en haleine les enfants par des
récits glorieux de la guerre en cours, tandis que d’innombrables photographies,
cartes postales, affiches, reportages cinématographiques présentaient les
Ethiopiens sous les traits hideux de barbares et l’entreprise italienne comme une
œuvre de civilisation, tout en alimentant les rêves de gloire, d’aventures, de
réussite sociale dans un pays de cocagne. La propagande trouva dans la personne
du général Rodolfo Graziani le symbole de la romanité retrouvée : un guerrier
ayant conquis un empire, un surhomme aux qualités viriles et autoritaires, un
chef militaire implacable menant ses troupes à la victoire1. La mise en valeur des
terres africaines permettait de transformer un peuple de braccianti en soldats
puis en colons. Le cinéma idéalisa ces soldats-laboureurs comme dans le film de
Corrado D’Errico Il cammino degli eroi (« Le Chemin des héros »). La radio
révéla à cette occasion toutes ses potentialités. De multiples chansonnettes s’en
donnaient à cœur joie contre l’empereur Haïlé Sélassié rabaissé au rang de nabot
primitif pour mieux illustrer la sauvagerie de son Etat mais aussi contre la SDN
et ses iniques sanctions2. La plus célèbre fut Faccetta nera (« Petit visage noir »)
écrite en avril 1935 par Renato Micheli et Mario Ruccione pour préparer les
esprits à la mission émancipatrice et civilisatrice de l’Italie :

Si du haut du plateau tu regardes la mer
Petite noire qui es esclave parmi les esclaves
Tu verras comme en rêve plein de navires
Et un drapeau tricolore flotter au vent pour toi

Petit visage noir de l’Abyssinie
Attends et espère car l’heure est proche !
Lorsque nous serons près de toi
Nous te donnerons une autre loi et un autre Roi
[…]

Petit visage noir, petite Abyssine,
Nous t’emmenons, libérée, à Rome
Par notre soleil tu seras embrassée
Et toi aussi tu seras en chemise noire

Petit visage noir, tu seras Romaine
Ton seul drapeau sera italien !
Nous marcherons auprès de toi
Et nous défilerons devant le Duce et devant le Roi.

En fin de compte, tous les secteurs de la société se sentaient concernés.
Nationalistes, conservateurs, syndicalistes, fascistes radicaux, tous trouvaient
une bonne raison d’adhérer à la guerre, de la gloire de la patrie à la résolution
des problèmes sociaux dans une terre lointaine où l’expérience fasciste pourrait
se développer sans les entraves de l’ancien monde. Le thème de la nation
prolétaire embrasa bien des cœurs contre l’égoïsme des Anglais injuriés à
longueur d’émissions radio ou d’informations cinématographiques. Les plus
jeunes, élevés dans le mythe de la Grande Guerre et frustrés de tenir un stylo
plutôt qu’un fusil, y voyaient une occasion inespérée de vivre à leur tour cette
expérience fondatrice ; et ce sur des terres à la fois étranges et fascinantes où
bien des aventures exotiques s’offraient sous les traits des belles Ethiopiennes…
Plus sobrement, de grandes personnalités du monde politique et intellectuel
apportèrent leur pierre à l’édifice du consensus, de l’ancien président du Conseil
Orlando au philosophe Benedetto Croce. Quant à l’Eglise catholique, elle
apporta un précieux consentement à une colonisation qui en sus de lui offrir un
terrain d’évangélisation fructueux, scellait les noces du catholicisme et du
fascisme devant l’autel de la romanité. Mgr Schuster, le puissant archevêque de
Milan, exprima un enthousiasme vibrant qui le conduisit à comparer Mussolini à
un nouveau Constantin. Les thuriféraires du régime exploitèrent au maximum
cette situation afin de renforcer le caractère religieux du fascisme. Envoyé en
Ethiopie comme correspondant du Popolo d’Italia, le journaliste Mario Appelius
parlait de héros et de martyrs, de l’inspiration venue de « la Rome des Césars,
des papes et des Fascistes ». Y avait-il encore une différence entre le Duce et
Dieu ? Le pas fut en tout cas franchi par plusieurs intellectuels, tels Marinetti ou
Marcello Gallian qui associaient par un lien inextricable la croyance en l’un et
en l’autre3. Le clergé joua le jeu en validant par exemple la grande cérémonie de
don de leurs alliances par les couples4. Organisée le 18 décembre 1935 sur la
place de Venise en présence de l’aumônier des armées, des hiérarques et même
de la reine Hélène qui offrit elle aussi sa bague, cette « journée de la Foi »
célébrait l’esprit d’abnégation, la loyauté et le patriotisme des Italiens à un
moment où le sort de la guerre paraissait délicat5. La participation de la
souveraine d’ordinaire si effacée marquait le plus précieux soutien dont
bénéficia alors le dictateur, celui du roi bien décidé à n’abandonner ni l’armée ni
la patrie en difficulté et finalement épaté comme tant d’autres par le succès
militaire. Bref, même si on peut supposer que les sanctions jouèrent un rôle plus
déterminant dans le réflexe d’unité autour du chef que la conquête en elle-même,
force est de constater la faiblesse des oppositions, vite étouffées d’ailleurs par les
dénonciations et la police. Ne sous-estimons pas néanmoins l’existence d’une
indifférence silencieuse, notamment dans les régions rurales les plus reculées où
l’on aurait eu bien du mal à situer l’Abyssinie sur une carte…
La déroute de l’antifascisme n’en était pas moins totale. Si le PCI chercha à
intensifier la lutte clandestine au début des années 1930, la solidité du régime
fasciste face à la crise économique de 1929 puis l’exaltation patriotique de la
guerre d’Ethiopie anéantirent tous les espoirs de renversement. Comme l’écrivit
l’antifasciste Carlo Rosselli au début de l’année 1936, « l’Etat totalitaire n’a pas
de précédent dans le monde moderne. Impossible donc de prévoir le mode de sa
chute et sa concrète succession6 ».
Le fascisme combat en Espagne
Fort de son succès africain, l’Italie fasciste ne se contenta pas de digérer sa
conquête mais maintint un engagement de premier plan dans les grandes
questions européennes. Le premier dossier brûlant dont il fallut s’occuper fut
l’Espagne ravagée à partir de juillet 1936 par une guerre civile sans merci,
symbole de la polarisation idéologique de l’Europe des années 1930. Mais la
gestion de ce conflit s’inséra dans une problématique plus large : celle des
rapports avec les autres puissances en général et avec l’Allemagne en particulier.
En réalité, Mussolini oscillait encore entre idéologie et pragmatisme, la première
prenant néanmoins le pas sur le second. Au mois de février 1936, il avait décidé
en outre de confier le ministère des Affaires étrangères à un diplomate de 33 ans,
son propre gendre, Galeazzo Ciano.
Fils de Constanzo Ciano, un hiérarque anobli, le jeune homme avait vu sa
vie prendre un tournant décisif après son mariage en 1930 avec Edda, la
volcanique fille du dictateur. Il gravit alors les échelons au sein des services de
propagande et de presse jusqu’au rang de ministre, avant de s’installer au palais
Chigi, siège du ministère, et d’entrer au Grand Conseil fasciste. On le présente
souvent comme un fasciste superficiel plus conservateur que révolutionnaire, et
sans aucun doute l’était-il. Nonobstant cette évidence, il procéda une fascisation
importante du corps diplomatique, accélérant la carrière de plusieurs de ses
proches, et fut l’homme de la guerre d’Espagne et de l’alliance avec l’Allemagne
nazie. Préférant les salons de l’aristocratie romaine aux vociférations
squadristes, il savait user de son charme et de son élégance pour mieux se glisser
dans les milieux diplomatiques. Nourri des gloires du Risorgimento et des hauts
faits d’armes de son père – qu’il chercha sans doute à imiter en s’engageant en
Ethiopie –, le désormais ministre-gendre voyait dans le fascisme une force
révolutionnaire source d’un monde nouveau et s’engagea donc à fasciser quelque
peu la politique étrangère. Pour autant, il chercha constamment à garder le fil
avec les Britanniques. Ne possédant ni l’expérience ni le poids politique ni la
forte personnalité de Grandi, il était surtout pétri de contradictions, incapable de
s’arracher à « ce mélange complexe de pureté et de corruption, d’habileté et de
légèreté, d’intelligence et de paresse intellectuelle, de persévérance et de
superficialité, d’enthousiasme et d’indolence7 » qui le caractérisait. Sa proximité
faite de confiance avec son beau-père, contre lequel il s’avéra incapable de se
dresser quand les circonstances le commandèrent et ce malgré son incontestable
clairvoyance, en fit l’exécuteur fidèle de la diplomatie sans cesse plus
idéologique du Duce.
Le feu qui bientôt embraserait l’Europe couvait en Espagne depuis
l’installation de la république en 1931. Mussolini scrutait avec méfiance ce
régime progressiste et fragile, déchiré entre factions politiques antagonistes et
qui avait succédé à la dictature du général Primo de Rivera (1923-1930) avec
lequel Rome avait noué des rapports corrects, à défaut d’être cordiaux. Or, le
fascisme avait au contraire besoin de s’assurer de la proximité, au mieux de la
neutralité, de la péninsule voisine pour l’établissement de son hégémonie en
Méditerranée occidentale. De discrets contacts, au centre desquels Balbo jouait
un rôle central, se nouèrent dès 1932 avec les milieux conspirateurs et
monarchistes. Ils aboutirent le 31 mars 1934 à la signature, au cours d’une
réunion entre Mussolini, Balbo et une délégation espagnole, d’un accord secret
prévoyant une livraison d’armes (qui n’arrivèrent jamais) et de subsides (qui
furent versés dès le lendemain). Selon toute vraisemblance, le Duce espérait un
renversement de la république au bénéfice d’une monarchie fondée sur le
système corporatif et dirigée par un dictateur militaire ou civil8. On le voit, le
régime italien servirait d’inspirateur mais pas dans une optique d’un fascisme
radical. Si l’éclatement de la guerre d’Ethiopie renvoya à plus tard la résolution
du problème espagnol, il réapparut avec force quand la gauche gagna les
élections de février 1936.
Lorsque les putschistes déclenchèrent le coup d’Etat du 18 juillet 1936, à la
suite de l’assassinat du député monarchiste José Calvo Sotelo, Mussolini ne
cacha pas sa circonspection devant un engagement dans le conflit. Tout d’abord
il hésita à répondre à la demande d’aide que le général Franco lui adressa dès le
21 juillet avant d’ordonner l’envoi de douze avions qui transportèrent les troupes
insurgées du Maroc en Andalousie ; ensuite il doutait de la pertinence d’une
présence sur le terrain de volontaires italiens pour finalement l’autoriser. Dans
les deux cas, Ciano usa de toute son influence pour convaincre son beau-père de
la nécessité d’une participation à ce conflit. Mussolini se rallia à ses arguments
parce qu’il le concevait à cette date comme un affrontement court, de type
presque squadriste, avec l’intensité et la rapidité d’une expédition punitive. Les
avantages à en tirer paraissaient prometteurs : empêcher la formation d’un front
antifasciste franco-espagnol, fragiliser le couple anglo-français en jouant sur
l’anticommunisme des élites britanniques, placer Rome en position de capitale
de la civilisation catholico-fasciste et revenir sur la scène internationale. L’Italie
établirait au passage son hégémonie sur le bassin occidental de la Méditerranée,
toujours au détriment de la France. L’ambiguïté sur les Baléares – Rome donnant
l’impression de vouloir récupérer l’archipel – donnait à la diplomatie fasciste
une carte qu’elle ne se gêna pas d’utiliser9.
L’Italie adhéra certes au Comité international de non-intervention de
Londres mais son représentant, l’ambassadeur Grandi, y déploya maints efforts
pour entraver l’efficacité des travaux. Dès la fin du mois d’août, l’engagement
prit une dimension plus forte, tandis qu’étaient jetés les fondements d’une
coordination avec l’Allemagne. Or, l’automne apporta une première contrariété :
l’échec de Franco devant Madrid. La victoire nationaliste étant renvoyée à plus
tard, la guerre civile se transformait en un conflit de longue durée que le général
ne pouvait pas remporter seul. Mussolini comprit alors qu’il devenait impossible
de rester au milieu de gué. Le 18 novembre, il reconnut le gouvernement
franquiste puis signa une série d’accords avec les insurgés qui changèrent la
nature de l’engagement italien. A la fin de l’année, ce furent 40 000 hommes
(trois divisions de chemises noires et une division de l’armée régulière, avec
soutien aérien) qui s’unirent aux forces nationalistes10. Le commandement échut
au général Roatta, ancien chef du SIM – les services secrets de l’armée – et qui à
ce titre avait déjà préparé le terrain pour une intervention par un efficace réseau
d’espionnage en Espagne. Ses pressions et ses initiatives parfois personnelles
jouèrent, à n’en pas douter, un rôle crucial, peut-être moins dans les décisions du
dictateur que dans l’organisation de la mission militaire auprès de Franco11.
Après l’expédition contre la barbarie africaine venait l’heure de la grande
bataille contre l’antifascisme international dans une Espagne redevenue une terre
de croisade. Le fascisme prit toute sa part dans cette lutte idéologique sans merci
qui poussait Ciano à ordonner de « passer par les armes les mercenaires
internationaux, et naturellement en priorité les renégats italiens12 ». Mais dans ce
combat aux dimensions européennes, pouvait-on se fier à Franco ? Patriote
intransigeant, clérical et conservateur, le généralissime n’inspirait guère
confiance aux fascistes qui lui préféraient de loin le mouvement de la Phalange.
Farinacci, envoyé en mission officielle en mars 1937, mettait en cause son vide
programmatique quant au futur de l’Espagne et ne cachait pas au Duce que
« l’homme est politiquement à jeun13 ». Une chose était sûre : le rusé Galicien ne
comptait pas devenir l’homme lige du condottiere de l’Italie jamais à court
d’idées pour vassaliser son pays. Ne venait-il pas de lui proposer le duc d’Aoste,
cousin de Victor-Emmanuel III, comme futur souverain espagnol ? Belle illusion
que le futur Caudillo écarta d’un revers de la main, de la même manière qu’il
éluda la proposition d’adopter la Charte du travail.
L’Axe sur le cadavre de l’Espagne et de l’Autriche
L’engagement en Espagne joua un rôle capital dans le renforcement de
l’entente entre le fascisme et le national-socialisme. Alors même que les deux
mouvements avaient été jusque-là assez éloignés, la guerre civile leur offrit
l’occasion de mener un combat commun et de jeter l’ébauche d’une future
alliance.
On se souvient que la guerre d’Ethiopie avait brisé la dynamique du front de
Stresa en dressant l’Italie contre les démocraties. Pour autant, rien n’était
définitivement perdu puisque Londres et Paris demeuraient des appuis
indispensables pour contenir l’expansionnisme allemand. Mussolini n’excluait
donc pas de retrouver un terrain d’entente mais à la condition expresse que le
statut impérial de l’Italie fût reconnu. Or, c’était justement là où le bât blessait,
les Occidentaux refusant toujours de lui accorder ce satisfecit. La France du
Front populaire, debout devant Mussolini et tétanisée devant Hitler, se montrait
là-dessus la plus hostile, écartant entre 1936 et 1938 la nomination d’un
ambassadeur à Rome qui serait accrédité auprès du roi d’Italie et empereur
d’Ethiopie. Dans de telles conditions, l’Allemagne devenait de facto un appui
pour sortir de l’isolement. Mais cela revenait-il à s’engager dans la voie d’une
alliance pure et simple ? Sur ce sujet, rien n’était simple. Le premier problème
résidait dans la nature du rapprochement. S’il existait un consensus dans les
cercles dirigeants italiens sur le changement en faveur de Berlin, des divergences
s’exprimaient sur la finalité. Les Allemands servaient-ils seulement pour les
traditionnels « tours de valse » comme le pensaient Grandi, Ciano et même le
souverain ? Ou envisagerait-on de donner un caractère idéologique à un
rapprochement définitif auquel aspiraient les durs du régime à l’instar de
Farinacci ? Mussolini, évoluant inexorablement vers la seconde interprétation,
apporta une réponse glaciale à la question.
L’autre problème concernait l’Autriche, inévitable victime sacrificielle des
épousailles italo-allemandes. Le Duce le savait. Il mit un doigt dans l’engrenage
fatal alors que les opérations militaires battaient leur plein en Ethiopie en
donnant son nihil obstat, en janvier 1936, à un accord austro-allemand signé le
11 juillet 1936. Tout en préservant son indépendance, ce texte vassalisait de facto
l’Autriche. L’expansionnisme allemand en Europe centrale commençait. De leur
côté, les nazis se donnaient bien du mal pour attirer vers eux une Italie
récalcitrante. Des discrètes livraisons de fournitures dont du charbon à l’époque
des sanctions et de secrètes manœuvres pour saboter l’accord Laval-Hoare
levèrent bien des obstacles. Le Führer multiplia aussi les pressions pour pousser
son alter ego dans la guerre civile espagnole, au nom de la solidarité fasciste,
avec sans doute l’arrière-pensée d’accélérer la décomposition du front de Stresa,
ce que soupçonnait à juste titre Grandi. Quoi qu’il en fût, la route vers Berlin
était dégagée. Ciano s’y engagea avec fougue, bien décidé à exploiter le combat
commun en Espagne, à agiter l’épouvantail allemand devant les Anglais, tout
cela au prix de la disparition de l’Autriche ; sacrifice pour lequel l’Italie attendait
néanmoins d’être payée en retour par une domination sur la Méditerranée14. Une
série d’échanges pendant l’été 1936 permit d’arriver à la signature d’un
protocole entré dans l’histoire sous le nom de l’Axe Rome-Berlin, le 25 octobre
1936.
Ce texte secret, signé lors du séjour du ministre italien en Allemagne, jetait
les bases d’une collaboration dans tous les domaines mais sans aucun contenu
contraignant. On ne le répétera jamais assez : rien à cette date n’impliquait une
orientation proallemande définitive et une alliance idéologique irréversible.
L’Axe ouvrait des perspectives, rien de plus ; et bien des forces internes
freineraient encore pendant longtemps cette attraction mortelle. D’ailleurs, le
discours que prononça le Duce à Milan le 1er novembre devant les chemises
noires révélait toutes les ambiguïtés de sa politique. S’il vitupéra la SDN et tout
ce qu’elle incarnait, s’il assuma la nouvelle direction de la politique étrangère et
employa l’expression d’« axe », s’il rappela l’importance vitale de la
Méditerranée pour son pays, il n’en exprima pas moins des velléités de paix et
d’ententes. Bref, le Royaume-Uni avait toute sa place dans cet axe encore en
gestation.
A Whitehall, on comprit très bien le message. L’entrée des troupes
allemandes en Rhénanie avait réactivé le danger allemand en Europe. Pour
certains dirigeants britanniques, cela nécessitait d’épurer le contentieux
éthiopien et de trouver un modus vivendi avec l’Italie en Méditerranée afin
d’empêcher son alignement sur Berlin ; d’où la signature, le 2 janvier 1937 d’un
accord appelé le Gentlemen’s Agreement. Cette reconnaissance mutuelle de la
liberté de transit en Méditerranée n’allait pas très loin, convenons-en. Si elle
signait le rétablissement des contacts anglo-italiens au détriment de la France,
elle n’était pas de nature à aplanir la route vers une entente plus solide. Bien des
obstacles se dressaient encore. Plusieurs journaux britanniques lancèrent de
nouvelles attaques à la suite de la défaite des troupes italiennes en Espagne, lors
de la bataille de la Guadalajara le 18 mars 1937. Dans le même temps, la
politique arabe de l’Italie fasciste prenait, toujours sous l’impulsion de Ciano,
une nouvelle ampleur. Lors d’un voyage en Libye en mars 1937, Mussolini prit
le titre de défenseur de l’islam, cherchant à attirer à lui les populations arabo-
musulmanes qui, hostiles au très chrétien Négus éthiopien, n’avaient pas caché
leur soutien au fascisme pendant la guerre. La carte arabe devenait ainsi une
monnaie d’échange pour convaincre Londres de revenir à de meilleures
dispositions15. Ce qui ne manqua pas d’arriver avec l’installation en mai 1937 au
10, Downing Street de Neville Chamberlain. En effet, le grand architecte de la
politique d’appeasement comptait parvenir à un accord avec l’Italie qui graverait
la réconciliation dans le marbre. A sa grande joie, Mussolini répondit
positivement à son appel du pied.
Il fallut près d’un an pour parvenir à la signature d’un accord. Du côté
anglais, on devait composer avec Anthony Eden, toujours à la tête du Foreign
Office, aussi hostile à l’expansion italienne en Méditerranée qu’à une entente
avec Rome. Les Italiens, de leur côté, en radicalisant la guerre sous-marine
qu’ils menaient au large des côtes espagnoles, entretenaient un climat guère
propice aux négociations. Mais ce fut surtout le voyage que Mussolini effectua
en Allemagne en septembre 1937 qui marqua les esprits16. Flanqué entre autres
de Ciano et de Starace, le dictateur italien, qui espérait ainsi réactiver la carte
hitlérienne pour forcer la main des Britanniques, découvrit entre le 24 et le
29 septembre les prodigieuses réalisations de la nouvelle Allemagne que des
nazis intéressés lui mettaient devant les yeux. Malgré la forte pluie qui s’était
abattue sur son séjour, il en revint transcendé après avoir affirmé publiquement
devant un Führer ravi : « Quand [le fascisme] a un ami, il marche avec lui
jusqu’au bout. » Avant même que la suite tragique des événements ne confirmât
la sincérité de cette promesse, Mussolini donna des gages à son nouvel ami. Le
6 novembre 1937, alors que le Japon avait envahi la Chine, Rome adhéra au
pacte anti-Komintern, décision éminemment hostile aux intérêts de Londres.
L’Italie sortait de l’isolement avant de quitter la SDN, le 11 décembre 1937.
Annoncée depuis le balcon de Venise par le Duce, cette décision rompait les
ponts avec l’Europe de Versailles, avec la sécurité collective et les démocraties.
Bien évidemment, Ciano pensait toujours forcer les Anglais à amorcer les
discussions en augmentant sans cesse la pression jusqu’à l’extrême limite d’un
conflit que ni lui ni son beau-père n’excluaient17. Pour le moment, il ordonnait à
Radio Bari d’accentuer la propagande antianglaise à longueur d’émissions
retransmises dans tout le monde arabe non sans une redoutable efficacité18.
A Londres, Chamberlain cherchait la meilleure voie pour parvenir à son but.
Il réussit à rassembler autour de lui la majorité des membres du cabinet, ce qui
entraîna la démission d’Eden le 20 février 1938 et son remplacement par Edward
Halifax, appeaser convaincu. Le Premier Ministre de Sa Majesté avait désormais
les coudées franches. Ce fut alors que l’Allemagne réalisa le coup de force tant
redouté : l’Anschluss. La réorientation de la diplomatie italienne en faveur du
Troisième Reich, l’affaiblissement des liens avec les démocraties et par
conséquent la fin du front de Stresa rendirent possible l’annexion d’une Autriche
abandonnée par Rome. Mais Hitler adopta à cette occasion une posture qui
devint récurrente et qui aurait dû ouvrir les yeux du Duce. Même s’il lui certifia
qu’il n’oublierait « jamais son attitude […], jamais, jamais, quoi qu’il arrive », il
mit son « ami » devant le fait accompli en le prévenant le 11 mars, alors que la
Wehrmacht entrait déjà dans le pays. Mussolini n’eut pas d’autre choix que
d’avaliser le rapt qui livrait l’Europe centrale à l’Allemagne. Du moins se
consola-t-il avec la promesse du maître de Berlin qu’aucune revendication ne
serait émise sur les populations germanophones du Trentin. L’Italie chercha
néanmoins – expression de la méfiance atavique éprouvée à l’encontre des
Allemands – à fortifier la barrière balkanique par un accord avec la Yougoslavie
et la consolidation de la présence italienne en Albanie qui finit par devenir « une
province italienne sans préfet19 ». Piètres compensations en réalité et qui
masquaient mal le renversement du rapport de force.
Loin de la germanophilie de plus en plus nette du Duce, Ciano cherchait les
moyens de freiner une politique qui lui échappait et de rééquilibrer la diplomatie
italienne avec un accord avec les Britanniques. C’était aussi la vision de Grandi
qui, depuis Londres, combattait la politique allemande du ministre-gendre,
habile moyen de le concurrencer dans la course à la succession, d’où sa mise à
l’écart. Pour le hiérarque persuadé des effets négatifs de l’Axe sur le réalisme du
chef, l’Anschluss commandait d’aller vers l’Angleterre au risque d’abdiquer
toute liberté d’action entre les mains des Allemands. Le 18 mars, il mit
Chamberlain devant une alternative claire : la négociation avec l’Italie qui avait
cessé d’être l’élément perturbateur en Europe ou l’alliance Rome-Berlin20. Le
Premier ministre, qui ne demandait qu’à être convaincu, trancha et engagea alors
des discussions qui débouchèrent sur les accords de Pâques du 16 avril 1938.
Négociés directement par Ciano et l’ambassadeur britannique lord Perth sur fond
de guerre d’Espagne et signés au palais Chigi, ils préservaient les intérêts des
deux pays dans le monde africain, établissaient les conditions d’une coexistence
harmonieuse en Méditerranée et ouvraient la voie à une reconnaissance de
l’annexion de l’Ethiopie. Bref, l’Italie parvenait à sortir de son isolement, à
imposer son statut de grande puissance et une sorte de parité impériale avec le
Royaume-Uni aux dépens de la France.
Le fascisme donnait l’impression de gagner sur tous les tableaux. Dans
l’attente de la ratification britannique des accords qui n’intervint que le
16 novembre 1938, le gouvernement italien maintint une vive pression
notamment par l’intermédiaire des émissions de Radio Bari dont le contenu
restait très agressif. Et si les liens avec le grand mufti de Jérusalem s’affaiblirent,
il n’en bénéficia pas moins d’une contribution financière substantielle. Quant
aux troupes fascistes en Espagne, elles demeuraient sur place pour le moment.
Enfin, l’orientation proallemande du régime ne subissait aucune inflexion, bien
au contraire, puisque, du 3 au 8 mai 1938, Hitler fut l’hôte de Mussolini.
Pour cette visite qui se voulait marquante, le fascisme déploya toute
l’ostentation de sa liturgie. Du Brenner à Rome, de Naples à Florence, le Duce
ne ménagea aucun effort pour impressionner le nouveau dieu païen venu du nord
et lui prouver que l’Italie régénérée par le fascisme valait bien l’Allemagne
nationale-socialiste. Défilés militaires à l’ombre des Césars sur les avenues de la
Rome fasciste, parades navales dans la baie de Naples, discours martiaux sur
l’Europe des peuples forts et autres bains de foule rythmèrent ces cinq jours de
visite officielle où les hiérarques fascistes purent côtoyer leurs homologues nazis
aux côtés desquels même leur violence de jeunesse paraîtrait bientôt bien
espiègle. Certes il y avait le roi, froid et distant à l’encontre des invités de son
Premier ministre, et qui n’avait jamais paru aussi rabougri. Mais comme le
susurraient certains fascistes avec un demi-sourire aux lèvres, on se
débarrasserait sous peu du trône… Hitler crut alors opportun de parler d’alliance
militaire. Or, Mussolini demeura dans le vague sur cette question, sa
circonspection instinctive vis-à-vis des Allemands et les pressions en sens
contraire de Ciano l’empêchant pour l’instant de franchir le pas.
Ces réserves n’enlevaient rien à la force de la révolution copernicienne que
la diplomatie fasciste opérait depuis 1936 et dont la grande perdante était la
France. La guerre civile espagnole et l’Anschluss détruisirent le cadre dans
lequel l’entente franco-italienne évoluait peu ou prou depuis la Grande Guerre.
S’ajoutèrent à la liste des contentieux, d’un côté les imprécations antifascistes du
Front populaire, le soutien aux opposants en exil en France, et de l’autre
l’assassinat à l’instigation du SIM via la Cagoule des deux frères Rosselli,
antifascistes de gauche, la fascisation de la politique étrangère, les anathèmes
antiploutocratiques du régime italien et les appétits annexionnistes sur des
colonies françaises. Pour les puritains du fascisme, les démocraties en général et
la France en particulier sombraient dans le bolchevisme, symptôme de leur
décadence et de la corruption des peuples faibles. Malgré les espoirs du ministre
des Affaires étrangères français, le pâle Georges Bonnet, le fil du dialogue se
rompait petit à petit entre les deux sœurs latines. A la suite de la visite d’Hitler,
Mussolini prononça le 14 mai 1938 un violent discours à Gênes prélude à une
virulente campagne gallophobe dans la presse21.
A la veille de la grande crise des Sudètes et de la conférence de Munich, le
fascisme pouvait donc se targuer d’avoir isolé la France, imposé un dialogue
d’égal à égal avec le Royaume-Uni, noué une relation privilégiée avec
l’Allemagne. Pour résumer il avait rendu l’Italie suffisamment forte pour
imposer sa marque en Méditerranée, choisir ses alliés, se jouer des uns et des
autres. Or, la course à la guerre engagée à partir de l’automne 1938 allait
déchirer le voile des illusions sur une réalité beaucoup plus cruelle, celle de la
vassalisation.

Guerre aux bourgeois !


Le retournement des alliances opéré par le chef fasciste correspondait à des
évolutions internes capitales en direction d’une aggravation du totalitarisme.
Entre 1936 et 1940, le régime connut une radicalisation intérieure qui déboucha
sur la guerre avec l’Allemagne et qui prit des aspects aussi bien grotesques que
tragiques. L’objectif n’en était pas moins des plus sérieux : réaliser enfin le
dessein révolutionnaire et totalitaire que le fascisme nourrissait depuis toujours
et dans lequel le « troisième temps » de 1929 avait été une première et cruciale
étape. Cela dit, c’est indubitable, en 1936 le régime se trouva devant un dilemme
capital : soit il prenait la voie d’un embourgeoisement menant inévitablement à
une libéralisation, soit il se laissait porter par un nouvel et cette fois-ci décisif
élan révolutionnaire qui le mènerait à l’achèvement final de l’entreprise :
l’émergence de l’homme nouveau. Mussolini opta pour la seconde solution que
la fondation de l’empire rendait incontournable sauf à périr.
Or, cette œuvre de longue haleine demeurait impossible sans l’élimination de
la bourgeoisie, cet ennemi de l’intérieur, cette classe sociale croyant manipuler le
fascisme pour la défense de ses propres intérêts, s’y étant ralliée du bout des
lèvres et freinant des quatre fers son accomplissement final, ce monde que les
fascistes et leur chef exécraient et qui les ramenait vers leurs racines socialistes.
Il était temps d’en finir ! Mais avec quoi au juste ? D’abord avec l’esprit
bourgeois car, on l’a compris, il ne s’agissait pas d’éliminer physiquement les
personnes, avec la brutalité radicale des bolcheviques, ni de porter atteinte au
capitalisme en tant que tel. La révolution antibourgeoise du fascisme serait
culturelle avant d’être sociale, et c’est sans doute pour cela que, y compris lors
du tournant antisémite et raciste consubstantiel à cette offensive, le fascisme ne
dégénéra jamais en bain de sang, même si Mussolini fit une allusion sur la
nécessité de créer des camps de concentration22. Notons bien que ces attaques
avaient commencé dès 1934. Ce qui changea en fait dans la seconde moitié des
années 1930, ce fut le ton plus agressif, les mesures plus concrètes, le tout dans
une volonté de stigmatiser le mode de vie, la mentalité, bref le caractère
bourgeois.
Conscient des lenteurs de sa révolution, Mussolini était bien décidé à opérer
un accouchement aux forceps de l’homme fasciste. Prisonnier de son propre
mythe et de sa prétendue infaillibilité, mais aussi physiquement déclinant, il crut
le moment arrivé de croiser le fer avec les forces ennemies, la bourgeoisie,
l’Eglise et la monarchie qui eurent in fine raison de lui. Jusqu’où était-il prêt à
aller ? L’écroulement du régime pendant la guerre, interrompant le processus
révolutionnaire, ne permet pas de répondre, même si certains indices furent
laissés sur la scène de crime. Les puritains du fascisme se tenaient quant à eux
prêts à reprendre le cours de l’histoire là où les compromis de 1922 l’avaient
laissé, à renouer avec les méthodes du squadrisme mais cette fois-ci contre le
véritable ennemi, les bourgeois. Il ne leur manquait que l’ordre qui ne vint
jamais23. Infiniment plus pragmatique que les gardes noirs de la révolution
fasciste, le Duce laissait pour le moment à l’Etat le soin de libérer les Italiens,
par les lois, par l’éducation et par la propagande, de cet esprit bourgeois importé
de la France depuis le XVIIIe siècle pour en faire un peuple de travailleurs et de
soldats. Le corporatisme assurerait de son côté une juste redistribution des
richesses, détruirait les privilèges et anéantirait le pouvoir de l’argent. Cet
ambitieux programme se trouvait résumé dans le livre collectif dirigé par
Edgardo Sulis Processo alla borghesia (« Procès à la bourgeoisie ») paru en
1939 et que Mussolini appréciait beaucoup.
Dans ce combat fondateur, le dictateur pouvait compter sur son fidèle
Starace qu’il surnommait le « molosse du fascisme ». Celui qui se mettait au
garde-à-vous quand il lui parlait au téléphone, qui fit attendre le roi Victor-
Emmanuel III à l’occasion d’une cérémonie officielle et qui opta pour le salut
romain devant la reine Hélène lors du séjour d’Hitler à Rome était l’homme
idoine pour orchestrer une campagne contre la bourgeoisie. Le secrétaire général
du PNF s’était en effet déjà distingué par ses imprécations contre les couches
sociales aisées rétives à la politique démographique et à l’esprit de sacrifice,
contre ces messieurs amateurs de poker et de bridge et ces dames du five o’clock
tea. Il soutint donc avec enthousiasme plusieurs initiatives destinées à
transformer les mœurs des Italiens. Se serrer les mains ? Une pratique
bourgeoise à bannir ! Se servir du pronom Lei comme formule de politesse ? Un
usage aristocratique venu de l’étranger qu’il fallait remplacer par le plus
populaire et plus romain Voi (« vous ») ! Parler en dialecte régional ? Une
atteinte à l’unité nationale ! Ajoutons que l’italianisation de la culture ne se
limitait pas à l’interdiction des anglicismes et s’infiltrait aussi dans le domaine
musical, en ciblant le jazz, « représentation musicale de l’amour libre et
sauvage » et « musique de la joyeuse stérilité » comme le martelait la
propagande. Son succès auprès des jeunes exprimait, il est vrai, un attachement
presque subversif à la civilisation occidentale et anglo-saxonne. A partir de
mars 1938, le Popolo d’Italia lança donc une campagne pour une autarcie
musicale qui visa rapidement les juifs. « Le judaïsme, peut-on lire dans un article
du 19 février 1939, cherche à accumuler de l’argent et à abrutir l’humanité pour
faire briller les inexistantes qualités du “peuple élu” et la musique moderne jazz
est une des armes juives les plus fortes et les plus sûres. » Pour autant, au nom
de l’attachement à une forme de modernité, les auteurs italiens étaient invités à
faire eux-mêmes du bon jazz italien24…
L’introduction du pas de l’oie, dit pas romain, dans les défilés militaires, si
elle suscita dès l’époque et plus encore aujourd’hui de méprisants ricanements,
correspondait au dessein anthropologique du fascisme, à son ambition de
sculpter le corps et de pétrir l’âme par l’héritage antique. Mussolini y apporta un
soutien sans faille qu’il exprima le 1er février 1938 : « Le pas de parade
symbolise la force, la volonté, l’énergie des jeunes générations du Licteur qui
sont enthousiastes […]. C’est un pas que les sédentaires, les bedonnants, les
déficients, les soi-disant freluquets ne pourront jamais faire. C’est pour cela qu’il
nous plaît25. » Et tant pis si les légionnaires n’avaient jamais marché de cette
façon grotesque ! Le nouvel Italien, lui, s’y adonnerait, y compris les hiérarques
ventripotents, sous la direction de l’intrépide Starace attelé à son utopie de
transformer le pays en une caserne et fasciné par le modèle nazi. En fait, si les
Italiens répondirent à cette innovation par une nouvelle diatribe (« Le loup est
vorace, l’aigle est rapace, l’oie est Starace »), elle n’en creusa pas moins le fossé
qui, peu à peu, commençait à séparer le fascisme du pays réel.
L’autre grand architecte de cette révolution culturelle fut le ministère de la
Culture populaire, créé le 2 mai 1937 pour succéder au ministère de la Presse et
de la Propagande. Confié à Dino Alfieri et connu sous le terme Minculpop, il
répondait à la nécessité de disposer d’un instrument de centralisation de
l’ensemble des moyens de propagande et de placer sous la surveillance du
fascisme toute l’activité culturelle du pays. Il prit par exemple le contrôle direct
du journal radio. La radio devint ainsi à la fin des années 1930 le plus puissant
instrument de propagande dont disposait le gouvernement, récitant à longueur
d’émissions la litanie des succès du régime. Les auditeurs furent ainsi
bombardés, aussi bien pendant le séjour de Mussolini en Allemagne que lors du
voyage de retour d’Hitler en Italie, de reportages sur la puissance allemande et la
grandeur du nouvel ami du Duce26. La pression idéologique monta d’un cran sur
le théâtre, la littérature et les arts plastiques de la part d’un régime qui utilisa
aussi l’Exposition internationale des arts et techniques organisée à Paris en 1937
comme un excellent support pour la démonstration de la supériorité de l’Italie
fasciste dans le domaine artistique et industriel et de son prestige à l’étranger27.
La politique autarcique amplifiée après le vote des sanctions contre l’Italie et qui
commandait de limiter les échanges avec l’extérieur au maximum pouvait aussi
être vue comme un moyen de briser la puissance des grands groupes capitalistes
au profit de l’Etat. Le renforcement de l’IRI qui absorba 40 % de la production
industrielle allait dans ce sens en accentuant le caractère antilibéral –
antimondialiste dirions-nous aujourd’hui – du fascisme28.
L’amplification de la construction totalitaire commandait de s’appuyer plus
que jamais sur les jeunes, apôtres d’une société future dans laquelle les individus
naîtraient fascistes et n’auraient pas besoin de le devenir. Or, au milieu des
années 1930, la situation apparaissait ambiguë dans une jeunesse à la fois trop
fasciste et pas assez. En effet, pour une partie non négligeable d’entre elle,
surtout dans le monde estudiantin, la révolution marquait le pas. Vénérant
Mussolini comme un demi-dieu, ces jeunes voyaient en lui le plus grand
révolutionnaire de tous les temps. Mais qu’attendait-il donc pour parachever son
œuvre, pour libérer les énergies destructrices et créatrices nichées au cœur de la
jeunesse ? De son côté, le Duce ne cessait de s’interroger sur le degré d’adhésion
de ces générations encore influencées par l’éducation parentale, les cadres
bourgeois et les prêtres. Son obsession de jouer à l’artiste avec les êtres humains
lui commandait d’engendrer une élite fasciste qui entraînerait tout le pays à sa
suite. Ainsi prit-il la décision en 1937 de regrouper toutes les organisations de
jeunesse dans un unique organisme, la Gioventù Italiana del Littorio (Jeunesse
italienne du licteur ou GIL) sous la direction exclusive du PNF. Cette volonté de
contrôler les structures de jeunesse provoqua un conflit entre Starace et Renato
Ricci qui avait reçu en 1927, à l’âge de 31 ans, la direction de l’ONB. Cet athlète
complet, incarnation de l’homo fascistus et ardent mussolinien, défendait pied à
pied ses prérogatives depuis des années. Mais il dut céder devant les accusations
de son rival qui affirmait que l’autonomie de l’ONB entravait la révolution
antibourgeoise mais aussi devant les inquiétudes du dictateur à propos de sa
popularité auprès des jeunes29. Des écoles primaires aux collèges, de la
formation spirituelle aux activités sportives, du contrôle des colonies de
vacances à l’organisation de voyages, rien n’échappait désormais à l’œil vigilant
du parti qui s’adonnait à ces expérimentations idéologiques sur près de
8 millions de jeunes, de 4 à 21 ans. Ce laboratoire fut complété trois ans plus
tard, à la veille de la guerre, par la mise en place d’un Centre national de
formation politique réservé aux adhérents les plus aptes de moins de 28 ans30. La
relève était ainsi assurée.
On s’en doute, l’école devait elle aussi jouer son rôle dans la fascisation des
esprits. S’il n’était pas question de la faire tomber dans l’escarcelle du parti, du
moins devait-elle transmettre un fascisme intégral. Le Duce confia cette tâche,
avec celle d’abattre la réforme Gentile, à Bottai nommé en novembre 1936
ministre de l’Education nationale. Il succédait à un autre hiérarque, De Vecchi,
qui avait accentué l’emprise étatique et idéologique sur les structures
d’enseignement. Cette fascisation s’avérait d’autant plus urgente que le pays se
trouvait confronté à une massification des effectifs qui avait entraîné un
doublement du nombre d’élèves. Bottai se mit à la tâche. Toujours imprégné de
son utopie de l’Etat totalitaire, il ne doutait pas de l’irréversible victoire du
fascisme sur l’ancien monde, de sa nature universelle et de la valeur de son
modèle. Critique mais jamais frondeur et encore moins conspirateur, il ne cessait
de penser à la pérennité du mouvement au-delà de la mort de son fondateur et
qui passait selon lui par la transmission de la foi via des institutions investies de
l’esprit saint du fascisme. Ce fut dans ce but qu’il rédigea une Charte de l’école
que le Grand Conseil fasciste valida en octobre 1938. Répondant à la
recommandation du Duce d’aller vers le peuple et prolongeant la Charte du
travail, ce texte répondait à l’aspiration de renverser le monopole bourgeois sur
l’école, de détruire le savoir élitiste de l’Italie libérale. Travail manuel introduit
dans les programmes, stages en entreprise obligatoires et enseignement du latin
pour tous accoucheraient d’une école populaire telle que le fascisme en rêvait.
Dans les faits, la réforme scolaire de Bottai, mise en œuvre pendant la guerre, ne
donna pas les fruits escomptés31.
Avant de clore ce récit, il convient de s’arrêter un instant sur une curieuse et
peu connue initiative du Parti communiste italien à l’été 1936. Ses dirigeants
cherchaient en effet le meilleur moyen de reprendre la main face à un régime aux
fondations si solides que son écroulement paraissait renvoyé aux calendes
grecques. D’où l’idée d’agir de l’intérieur même du système pour le faire
évoluer dans un sens « démocratique » – tel que le concevaient bien sûr les
militants marxistes – en s’appuyant sur la jeunesse fasciste la plus sensible aux
thèmes révolutionnaires. La thématique antibourgeoise et anticapitaliste, si
présente dans les revues politiques estudiantines, offrait un évident terrain
d’entente. Plutôt que de chercher à abattre la dictature, mieux valait récupérer le
programme de 1919, alpha et oméga des fascistes de gauche. En août 1936, la
revue Lo Stato operaio (« L’Etat ouvrier ») publia donc un manifeste rédigé
comme un appel aux « frères en chemises noires ». Se gardant bien d’attaquer
directement Mussolini, le texte s’adressait aux « fascistes de la vieille garde » et
aux « jeunes fascistes » dans une démarche de réconciliation afin de mieux lutter
contre les forces capitalistes.

Nous proclamons que nous sommes disposés à combattre avec vous et avec tout le peuple italien
pour la réalisation du programme fasciste de 1919 et pour chaque revendication qui exprime un intérêt
immédiat, particulier ou général, des travailleurs et du peuple italien. Nous sommes disposés à lutter
avec quiconque veut vraiment se battre contre les parasites qui saignent à mort et oppriment la Nation
et contre ses hiérarques qui les servent.

Or, malgré toute son habileté, la manœuvre se brisa devant les réserves de
plusieurs caciques du Parti communiste dont Togliatti mais également devant la
popularité du Duce et la solidité de son régime32. Elle exprimait certes le trouble
de l’antifascisme, désorienté par le consensus, mais aussi la porosité du mur
séparant une partie du fascisme et le communisme. La jeunesse s’avérait la plus
perméable car la mobilisation idéologique permanente dans laquelle elle vivait
créait cette impatience pour une révolution qui ne venait pas, pour cet élan
destructeur mais comprimé contre une bourgeoisie que le régime mussolinien lui
avait appris à haïr. S’il n’était pas question d’entrer en dissidence pour le
moment, nombre de jeunes piaffaient d’impatience derrière l’écrivain Berto
Ricci lançant en 1938 : « Depuis 1934, la Révolution est clouée. » L’apparent
paradoxe était que l’antibolchevisme continuait d’irriguer le fascisme et les
déclarations du Duce. Dans un discours prononcé à Milan le 1er novembre 1936,
il refusait de voir dans le communisme autre chose qu’un « super-capitalisme
d’Etat porté à sa plus féroce expression ». Ce n’était donc pas selon lui « une
négation du système [capitaliste] mais une poursuite et une sublimation de ce
système ». Pour les intransigeants gardiens du temple comme Berto Ricci, il
fallait détruire le monde capitaliste qui avait engendré le communisme en se
montrant plus révolutionnaire que Moscou. Comment ? Non pas en abolissant la
propriété privée mais en luttant contre l’accumulation des richesses, le
matérialisme, l’égoïsme, l’individualisme33. La désillusion en poussait déjà
certains comme l’écrivain Romano Bilenchi sur un chemin qui le mènerait plus
tard vers l’adhésion à un PCI qui avait retenu les leçons de Gramsci sur
l’importance de la culture.

Le fascisme antisémite et raciste


L’introduction d’un antisémitisme d’Etat à partir de 1938 constitue une
caractéristique majeure du nouvel élan totalitaire voulu par Mussolini. Après une
période de refoulement qui suivit la fin de la Seconde Guerre mondiale, cette
douloureuse question se trouve aujourd’hui au centre de nombreux débats
historiographiques, avec bien sûr en toile de fond les liens avec l’Allemagne
nationale-socialiste et la Shoah34.
Commençons par un constat : l’absence de références racistes et antisémites
au sein du fascisme. Le racisme de type biologique dont les nazis faisaient le
moteur de l’histoire de l’humanité ne correspondait pas aux continuels brassages
de peuples que la péninsule avait connus au long des siècles. L’identité italienne
ne reposait donc pas sur une appartenance raciale mais sur une communauté
populaire et nationale. En 1932, Mussolini avait été très clair sur ce point dans
ses conversations avec le journaliste allemand Emil Ludwig. Cette conception
fut confirmée dans l’entrée « Races humaines » de l’Encyclopédie italienne en
1935 : « Il n’existe pas de race, mais seulement un peuple et une nation
italienne. » Et dans un discours prononcé dans les ruines du Forum romain,
Mussolini loua en 1924 les capacités de Rome à intégrer les étrangers dans sa
civilisation35. De nombreux juifs peuplaient d’ailleurs les rangs du parti et
avaient apporté leur soutien au Popolo d’Italia à ses débuts, l’avocat Arturo
Orvieto, l’universitaire Giorgio Del Vecchio sans parler bien sûr de la maîtresse
et égérie Margherita Sarfatti. Aucune loi ne les désignait à la vindicte populaire
et n’en faisait les boucs émissaires des malheurs de l’Italie, aucun discours ni
écrit n’appelait encore moins à leur élimination. Deux éminentes personnalités
du monde juif, Chaïm Weizmann en 1926 et le grand rabbin de Rome en 1934,
bénéficièrent d’une audience officielle avec le Duce qui proposa d’offrir aux
juifs une colonie en Somalie, c’est-à-dire le plus loin possible de la Palestine
arabe. « La loi de Nuremberg, affirma-t-il plus tard, n’était pas ma loi36. »
Pourquoi, dans ces conditions, le fascisme tomba-t-il en 1938 dans une politique
de discrimination raciste et antisémite ? Par opportunisme ? Par incohérence
idéologique ?
L’alliance avec l’Allemagne a souvent été mise en avant du fait de la
concomitance des dates, et il serait erroné de nier sa contribution au tournant
antisémite. Pour autant, on veillera à bien en définir l’influence. Davantage
qu’un phénomène d’imitation, l’antisémitisme fasciste devait d’une part
renforcer la crédibilité du régime devant un Reich sans cesse plus puissant et
d’autre part rompre définitivement les amarres avec le monde des démocraties
libérales. Pour Farinacci par exemple, la politique antisémite dont il se voulait le
héraut renforçait le caractère totalitaire de l’Axe37. Ensuite, elle participait à la
construction accélérée du totalitarisme en offrant, notamment aux jeunes
impatients, un nouveau combat idéologique que le régime associait de surcroît à
la campagne contre la bourgeoisie facilement assimilée au judaïsme.
L’antisémitisme devenait ainsi un instrument de mobilisation contre deux
ennemis intérieurs liés l’un à l’autre, dans la logique d’épuration propre à toutes
les utopies totalitaires, ainsi qu’un moyen de détacher le fascisme des idéaux
universalistes et égalitaires imprégnant les sociétés démocratiques38. Soulignons
aussi le rôle indéniable de la colonisation italienne en Ethiopie dans
l’introduction d’un racisme d’apartheid, que le fascisme avait pourtant
condamné précédemment comme une caractéristique du monde anglo-saxon
protestant. Mais l’influence des thèses d’Oswald Spengler, l’obsession de la
décadence des peuples européens et la peur du mélange des races entre Italiens
et Ethiopiennes conduisirent Mussolini à interdire tout séjour en Ethiopie
supérieur à six mois sans son épouse, à punir de cinq ans d’emprisonnement tout
concubinage et à instaurer un régime de ségrégation stricte. Alors même que le
régime, dans les autres colonies, avait poussé jusque-là à une assimilation des
populations autochtones par l’italianisation et les mariages mixtes, tout cela
disparut avec les lois de 193839.
Enfin, il faut admettre que pour nombre de fascistes, l’antisémitisme était un
héritage du socialisme de leur jeunesse et de leur hostilité au christianisme qui
ne devait rien au nationalisme de l’après-guerre. Même si l’origine de la
méfiance de Mussolini envers les juifs reste pour une part obscure, il est quand
même difficile d’en attribuer la responsabilité à l’antijudaïsme de l’Eglise
catholique, monde auquel le futur dictateur n’appartenait pas. Son parcours, ses
écrits comme ses discours démontraient au contraire une détestation du
christianisme supérieure à celle du judaïsme. Il n’en côtoya pas moins le
stéréotype du juif banquier et usurier dans l’anarchisme de Bakounine, dans le
syndicalisme révolutionnaire, dans les idées et les articles aux relents antisémites
de Sorel, de Paolo Orano ou de Nietzsche. Notons bien que dans ce domaine
aussi les contradictions abondaient entre des écrits aux allusions antisémites et
d’autres clairement philosémites. Sans nul doute, la révolution russe accentua la
première tendance en associant juifs et bolcheviques. Quant au racisme, nul
besoin d’aller dans les mouvements de la droite la plus extrême pour le trouver.
Au XIXe siècle, les mouvements socialistes n’écartaient nullement – mais sans les
revendiquer pour autant – les théories sur l’opposition des races ou sur
l’eugénisme que les Lumières avaient déjà avancées, sans parler de
l’antisémitisme de Voltaire ou de Proudhon qui, tous les deux, parlaient des juifs
comme des « ennemis du genre humain40 ».
Les prémices de la campagne antisémite apparurent en 1934 quand Farinacci
publia dans son journal Regime fascista des articles au vitriol contre le sionisme
accusé de fragiliser le patriotisme des juifs italiens mais aussi d’être une arme
britannique contre les Arabes et l’islam. La guerre d’Ethiopie amplifia le
mouvement, permettant de dénoncer l’internationalisme judaïque. L’association
des juifs à l’univers anglo-saxon, à l’époque des sanctions, mit de surcroît en
cause leur fidélité. « Pour les autres Italiens, lit-on dans le numéro du
24 septembre 1936, catholiques ou protestants, il n’y a qu’un seul Etat et un seul
Parlement : l’Etat et le Parlement italiens ; mais pour certains juifs il semble
qu’il y ait deux Etats et deux Parlements41. » Cela dit, la réserve perceptible de
l’opinion publique empêchait le régime de passer à la vitesse supérieure.
Tout changea avec la parution, dans le Giornale d’Italia daté du 14 juillet
1938, d’un « Manifeste des hommes de sciences racistes » rédigé par
l’anthropologue Guido Landra sous la dictée de Mussolini. Elle fut suivie par
celle du « Manifeste de la race » le 5 août suivant, rédigé celui-ci par Mussolini
lui-même. L’existence d’une race italienne y était solennellement affirmée et
l’impérieuse obligation de la protéger martelée42. Ce fut alors une cascade de
mesures : création du Conseil supérieur pour la démographie et la race le
1er septembre ; décret contre les juifs étrangers leur ôtant la nationalité italienne
acquise après 1919 et les adjoignant à quitter le territoire national le
7 septembre ; décrets sur l’école interdisant la présence de juifs ; enfin
déclaration votée par le Grand Conseil le 6 octobre et transformée en décrets-lois
le 17 novembre. Puisque le « judaïsme mondial [avait] été l’instigateur de
l’antifascisme dans tous les domaines », il était désormais interdit aux
fonctionnaires d’épouser une étrangère et aux autres Italiens de le faire sans
autorisation du ministère de l’Intérieur. Les juifs perdaient le droit d’appartenir
au PNF, de posséder ou diriger des entreprises, de travailler dans le secteur de la
banque, des assurances, d’être notaire, de posséder plus de cinquante hectares de
terres et de faire leur service militaire.
Le fascisme espérait ainsi porter un coup fatal à la puissance et à l’influence
de la bourgeoisie juive mais comptait aussi effacer toute trace de présence
culturelle en rayant les noms des juifs des rues ou du bottin téléphonique… Le
ministre de l’Education nationale Bottai appliqua avec un zèle sans failles les
mesures d’épuration dans son administration. Près de 100 professeurs et 133
assistants furent chassés de l’Université sans guère de protestations de leurs
collègues pris entre indifférence et carriérisme. D’éminents universitaires
remplirent avec zèle les formulaires de non-judaïsme, y compris les grands noms
de l’époque libérale, comme les anciens présidents du Conseil Bonomi et
Orlando. Toutes les institutions culturelles du pays apportèrent leur pierre à
l’édifice de l’antisémitisme d’Etat avec l’aide de diverses facultés, dont celle de
médecine. Ainsi bien des scientifiques trouvèrent-ils dans leurs domaines
d’études les justifications anthropologiques ou culturelles dont le régime avait
besoin43. La revue lancée en août 1938 La Difesa della razza (« La défense de la
race ») ouvrit ses colonnes à des articles fort sérieux sur le racisme et
l’antisémitisme antiques. La romanité et ses plus brillants auteurs étaient ainsi
convoqués pour faire des juifs « les Carthaginois de la modernité », pour
démontrer la force du conflit entre Romains et Hébreux et condamner l’édit de
Caracalla de 212 qui avait offert la citoyenneté à tous les hommes libres de
l’empire. Un article publié en août 1938 mélangeait haine des étrangers, défense
d’une citoyenneté restreinte et gallophobie : « [L’édit] fut l’œuvre de l’empereur
Caracalla, né à Lyon et ainsi dénommé pour sa manière ridicule de se vêtir à la
façon des Gaulois. Le mal français, comme on le voit, est de très ancienne
fracture44. » De son côté, le Minculpop entreprit une chasse aux auteurs juifs et
veillait à ce que des vignettes antisémites parussent y compris dans les livres
pour enfants. Tous les journaux furent mis à contribution pour diffuser dans les
profondeurs de la société le combat contre les juifs.
Pourtant, ce tournant antisémite ne rencontra pas une adhésion générale ni
dans les cercles dirigeants ou intellectuels ni dans l’opinion publique. Sans
remettre en cause le consensus dont le régime bénéficiait, il n’en suscita pas
moins de réelles divergences. Lors de la séance du Grand Conseil du 6 octobre,
Balbo, Federzoni et De Bono exprimèrent leur opposition face à un Bottai
implacable. En fait, il existait un courant antisémite au sein du fascisme qui
recrutait chez des intellectuels comme Paolo Orano, Giovanni Preziosi très
influent auprès de Farinacci et surtout Giulio Evola, le plus proche des théories
raciales des nazis, qui voyait dans le Saint Empire romain germanique un réveil
de la romanité opéré par la race nordique aryenne. Giovanni Gentile, que
l’antisémitisme n’avait jamais affleuré, apporta une aide discrète aux persécutés
mais qui ne déboucha jamais sur une protestation publique. A l’inverse,
Benedetto Croce, Marinetti et même le fasciste intransigeant Mino Maccari ne
cachèrent pas leur réprobation45. La Chambre des députés vota sans broncher la
loi qui lui fut présentée le 20 décembre 1938. Et si au Sénat, le texte reçut un
nombre de voix identique à celui sur le monopole des bananes soumis le même
jour à la sagesse des membres de la Haute Assemblée, les 174 abstentions
démontraient le maintien d’une sourde opposition46. Quant à l’opinion publique,
elle resta globalement imperméable à l’antisémitisme qui frappait des
populations minoritaires, intégrées et tranquilles47. Perçue comme une
conséquence de l’alliance allemande dont nous aurons l’occasion d’analyser
l’impopularité plus loin, la persécution, même si elle s’appuyait des sentiments
antisémites préexistants, suscita indifférence à ses prolégomènes, stupeur au
moment des lois de 1938 puis franche hostilité48.
Face aux persécutions, les principaux intéressés adoptèrent des attitudes très
variées : recours juridique auprès du Conseil d’Etat, lettres indignées et
protestations de foi patriotique adressées à Mussolini, création d’un Comité des
Italiens de religion juive dans le but de combattre le sionisme mais aussi départs
en exil ou conversions au catholicisme pour échapper aux discriminations49.
Cette pluralité d’attitudes dont on trouve une description dans le film de
Giuliano Montaldo, Gli occhiali d’oro (« Les lunettes d’or ») tiré du roman
éponyme de Giorgio Bassani, exprimait la surprise et le désarroi d’une
communauté face à une politique hostile à laquelle elle n’était pas préparée.
Ajoutons pour être complet que la politique antisémite eut comme autre
conséquence de rallumer le feu de la bataille avec la papauté. Contrairement à la
vulgate soigneusement entretenue, le Saint-Siège n’adopta pas une attitude
passive mais engagea un réel bras de fer avec le gouvernement. Celui-ci n’avait
d’ailleurs sur ce point aucune illusion. Pour preuve l’ordre du ministre de la
Culture populaire, Dino Alfieri, émis dès le mois d’août 1938 d’interdire la
publication des discours de Pie XI contre le racisme dans les revues et journaux
catholiques. Le 9 septembre, alors que les premières lois antisémites tombaient,
le pape transmit à Mussolini, via son homme de confiance le père Tacchi
Venturi, un message sans ambiguïté : « Le Saint-Père comme Italien est très
attristé de voir oubliée toute une histoire de bon sens italien pour ouvrir la porte
ou la fenêtre à une vague d’antisémitisme allemand. » En tant qu’Etat souverain,
le Saint-Siège avait besoin d’un instrument juridique pour agir. Il le trouva dans
la violation de l’article 34 du concordat de 1929 que la législation sur
l’interdiction des mariages mixtes enfreignait. Pas question de laisser l’Etat
décider des mariages ! Les pressions s’exercèrent aussi en faveur des juifs
baptisés mais aussi de l’ensemble d’une communauté discriminée. Certes, tout
cela se fit avec prudence, la Curie veillant à ne pas s’engager dans un combat
frontal qui aurait pu jeter définitivement l’Italie dans les bras allemands. Il n’en
fut pas moins réel, se heurtant à l’intransigeance du Duce qui ne répondit pas à la
lettre que le souverain pontife lui adressa le 4 novembre 1938 pour l’inciter à
renoncer aux dispositions matrimoniales de la future loi50.
Les efforts du vieux pape qui jeta ses dernières forces dans cette bataille ne
menèrent à rien, mais Mussolini en fut très irrité. L’attitude réprobatrice de
l’Eglise et de la papauté a sans aucun doute beaucoup joué dans les réserves de
l’opinion publique à adhérer à la campagne antisémite. Le fascisme perdit à cette
occasion le soutien que le Saint-Siège lui avait apporté à sa création et lors de sa
stabilisation dans les années 1920, le pape condamnant ce qu’il percevait comme
une imitation dangereuse du paganisme à l’œuvre en Allemagne. Les durs du
fascisme montèrent au créneau. Farinacci, avec l’accord du Duce, s’engagea
dans une lutte frontale contre l’Eglise en multipliant articles et conférences. Il
pensait lui porter l’estocade en reprenant la tradition antijudaïque chrétienne
pour affirmer que le fascisme s’adaptait aux enseignements de l’Eglise et que la
nouvelle législation appliquait les prescriptions des conciles et du droit canon51.
De fait, l’échec de Mussolini à introduire dans l’âme italienne un
antisémitisme de type racial ne faisait pas de doute. Il se donnait pourtant
beaucoup de mal pour convaincre ses compatriotes que sa politique ne relevait
pas de l’imitation servile du nazisme, mais qu’elle trouvait ses racines dans
l’histoire de l’Italie en général et du fascisme en particulier. Le 25 octobre 1938,
devant le conseil national du PNF, il martela : « Nous sommes des Aryens de
type méditerranéen : une des rares races pures existantes en Europe. » Ce
racisme n’en restait pas moins cohérent d’une certaine manière avec le fascisme
dans le sens où il était plus « spirituel que matériel », plus culturel et politique
que sa variante nazie, correspondant aux conceptions élitistes et hiérarchiques
qui obsédaient son Duce52. Malgré des violences ici ou là, le fascisme ne versa
jamais dans la persécution physique et encore moins éliminationniste, y compris
pendant la guerre. Il en serait autrement pendant la république de Salò.

Un pas vers la république fasciste


La transformation des Italiens, relancée dans les années 1930, constituait le
fondement de la création de l’Etat nouveau, ce mythe irriguant la pensée
politique depuis la fin du XIXe siècle et que le fascisme avait repris à son compte.
Or, à cette date, le régime restait une construction hybride : ni monarchie
parlementaire, ni république autoritaire, ni dictature totalitaire accomplie. En
1922, le fascisme s’était glissé dans les habits de la monarchie constitutionnelle
qu’il avait ensuite vidée de sa substance mais sans jamais engager contre la
Couronne une bataille frontale débouchant sur l’instauration de la république.
Sur ce point aussi, Mussolini considéra que les équilibres devaient bouger en sa
faveur.
La fondation de l’empire, autant que le rapprochement avec Hitler face
auquel sa situation de Premier ministre devenait sans cesse plus humiliante, le
poussa à croiser le fer avec le trône. Prenant le souverain de court, il réussit, le
30 mars 1938, à obtenir par un vote de la Chambre des députés et du Sénat le
titre de premier maréchal de l’empire, titre partagé avec le roi. Cette attaque
contre le commandement royal sur les forces armées, qui mettait le Duce sur un
pied d’égalité avec le souverain, déclencha une froide colère de Victor-
Emmanuel III qui avala l’affront avec une rancune à peine dissimulée53. Cette
affaire démontra de surcroît la complète mise au pas bien sûr des députés mais
aussi du Sénat, pourtant dernier refuge des soutiens monarchiques. Le
gouvernement y disposait en fait d’hommes sûrs, dont le comte Giacomo Suardo
qui savait comment manœuvrer les vénérables sénateurs du palais Madame et
que Mussolini récompensa de son zèle en le nommant vice-président du Sénat en
juin 1938, puis président en mars 1939.
Malgré cette soumission d’institutions qui n’étaient plus représentatives de
rien, le dictateur entendait aller plus loin dans leur fascisation pour marquer aux
yeux de tous la marche continue de la révolution. Depuis 1936, une commission
composée de Costanzo Ciano, Starace, Bottai et dirigée par le ministre de la
Justice Arrigo Solmi réfléchissait à une réforme du Parlement et accoucha de la
réforme du 19 janvier 1939. La Chambre des députés devenait une Chambre des
faisceaux et des corporations dont les 682 membres n’étaient plus élus mais
recrutés dans le vivier du Grand Conseil, du conseil national du PNF ou des
corporations, dans le corps des secrétaires fédéraux, des présidents
d’associations, etc. Cette assemblée était censée assurer une véritable
représentativité de la nation en lieu et place des mystifications du régime libéral.
Expression de la volonté générale du peuple, elle devait instaurer une démocratie
autoritaire et centralisée en dépassant le modèle libéral de 1789 et en donnant le
pouvoir à l’élite du régime54. La précédente assemblée ayant été dissoute le
2 mars et les nouveaux députés nommés le 11, les nouveaux conseillers purent se
réunir le 23 mars 1939, date anniversaire de la fondation des faisceaux. Six jours
plus tard, Victor-Emmanuel III se rendit à Montecitorio pour prononcer ce qui
devait être son dernier discours du trône.
Le contenu antimonarchique de la réforme ne souffrait aucune ambiguïté.
Puisque le patriarche couronné ne se décidait pas à mourir et à offrir ainsi un
temps de transition fatale à l’institution, d’autres moyens devaient être
envisagés. Au printemps 1939, les relations entre les deux têtes de l’exécutif
entraient dans une phase de turbulences. Le fascisme préparait le terrain à une
abolition de la royauté sans qu’il soit possible de tracer avec précision la forme
qu’aurait prise cette attaque. Ce qui semble certain, c’est que le déclenchement
prématuré de la Seconde Guerre mondiale par l’Allemagne donna à la monarchie
un sursis en renvoyant à plus tard la question de sa liquidation.
Mais il existait une autre succession à laquelle tous pensaient sans en parler
et aux enjeux tout aussi vifs, celle de Mussolini. Agé en 1938 de 55 ans, le Duce
souffrait d’assez graves problèmes de santé, tant physiques que
psychologiques55. Cette réalité, manifestée par son hospitalisation d’avril 1938,
posait de redoutables problèmes, en tout premier lieu celui du successeur. Depuis
1936, Ciano faisait office de dauphin, du moins pour ceux qui voulaient y croire.
A la fois ministre, membre du Grand Conseil, fils de hiérarque et gendre, il
disposait d’un réseau solide, d’une popularité tant chez les fascistes que dans la
bourgeoisie, et surtout de la confiance de son beau-père. Partisan de l’abolition
de la monarchie, il attendait son heure. Mais l’ambitieux, un brin dilettante, se
heurtait à une très forte opposition de la part des grands du régime tels De
Vecchi et De Bono qui, n’ayant pas l’intention de laisser le jeune freluquet
s’emparer de l’héritage, s’opposèrent au projet du Grand Conseil de former un
triumvirat avec Grandi et Balbo en mars 1939. En outre, il ne fallait pas non plus
oublier que l’article 13 de la loi de ce même Grand Conseil remettait au
souverain le pouvoir de choisir un nouveau Duce. Or, malgré ses 69 ans, Victor-
Emmanuel III pouvait survivre au dictateur. Le vieux renard du Quirinal n’en
profiterait-il pas alors pour jeter le régime aux orties, prenant les fascistes à leur
propre jeu56 ? Personne pour le moment ne savait qui sortirait gagnant du subtil
jeu du chat et de la souris.
Mussolini toutefois veillait au grain en renforçant la position institutionnelle
du parti. Loin de vouloir le liquider, il donna à son chef le rang de ministre en
1937 et officialisa dans le statut de 1938 le qualificatif de « parti unique ». Mais
dans le même temps, la réforme institutionnelle de 1939 consolida sa propre
position car elle faisait du Duce le chef du gouvernement, lui donnant par là
même une assise juridique pérenne. Cela dit, le problème des liens entre chef du
parti et chef du gouvernement n’étaient pas réglés pour autant. Pour le moment,
le fondateur du régime fasciste restait fort de son charisme, de sa popularité, de
son prestige et de la fidélité que même les hiérarques les plus contestataires lui
exprimaient. Il ne manquait qu’une erreur pour que tout fût remis en cause.
Mussolini la commit en suivant l’Allemagne hitlérienne dans son projet
criminel.

L’alliance avec l’Allemagne hitlérienne


En septembre 1938, Hitler déclencha une nouvelle crise internationale en
réclamant la libération des Sudètes, cette minorité allemande vivant en
Tchécoslovaquie. Son objectif réel ? Détruire ce pays créé par les traités de paix
de 1919. Or, l’alliance de Prague avec la France pouvait conduire à une
intervention française et à une nouvelle guerre générale en Europe. Face à une
telle éventualité, Mussolini n’écartait aucune éventualité. Le 17 septembre, il
confia sa pensée à Ciano : l’Italie resterait neutre sauf en cas d’une intervention
des Anglais qui donnerait au conflit un caractère idéologique. Dans ce cas,
« l’Italie et le fascisme ne sauraient rester neutres57 ». On le voit, l’idéologie
constituait un puissant moteur de la politique mussolinienne. D’ailleurs, trois
jours plus tard, dans un discours public à Udine, le Duce fit monter la pression.
« Nous préférons, tonna-t-il, être craints et nous nous moquons de la haine des
autres parce que nous la leur retournons. Il faudra que le monde fasse
connaissance avec cette nouvelle Italie fasciste : une Italie dure, une Italie
déterminée, une Italie guerrière. » Toutefois, dans les coulisses, les diplomates
œuvraient pour trouver une issue pacifique à la crise qui, le 26 septembre,
atteignait son paroxysme. A Londres, Grandi réussit à convaincre Chamberlain
d’appeler à la médiation de Mussolini.
Le dictateur, malgré ses rodomontades, ne désirait pas la guerre pour le
moment. Conscient de la gravité de la situation, il écarta Ciano pour se réserver
la gestion de la crise. La détermination allemande et l’apparente fermeté des
Occidentaux le poussèrent à accepter de jouer le rôle qu’on lui proposait58. Hitler
accepta sa proposition d’une conférence internationale qui se tint à Munich les
29 et 30 septembre 1938. On en connaît le résultat : la Tchécoslovaquie
abandonnée par ses alliés, les Sudètes livrés au Troisième Reich, le reste du pays
préservé, la paix sauvée. Mussolini y gagna, en plus du crédit d’avoir écarté la
guerre, la réputation usurpée d’être le seul à pouvoir convaincre le Führer de
reculer. Le Duce prince de la paix ? Voilà une épithète bien exagérée qu’il
n’avait de toute façon pas l’intention d’assumer, lui qui assista effaré à la liesse
populaire lors de son retour d’Allemagne.
Pourtant, plusieurs membres de la délégation italienne ont confirmé sa
satisfaction au sortir de la crise tchécoslovaque59. A l’automne 1938, la position
en apparence solide de la diplomatie italienne dans le jeu des grandes puissances
était de nature à lui permettre de retrouver une autonomie par rapport à
l’Allemagne et un équilibre entre les forces rivales. La conférence de Munich
avait été le tombeau de l’Europe de Versailles et de l’hégémonie française sur le
continent. Rome se trouvait en position de force pour normaliser ses relations
avec les démocraties et opérer une détente dans les relations internationales60.
Mais c’était sans compter avec l’impulsion idéologique de Mussolini rappelant
le 7 octobre 1938 aux membres du Grand Conseil : « Je suis né pour ne jamais
laisser les Italiens en paix. D’abord l’Afrique, aujourd’hui l’Espagne, demain ce
sera autre chose encore61. »
Les relations avec la France entrèrent alors dans une phase de tensions
exponentielles marquées par la volonté, du côté italien, de la rabaisser dans un
rôle secondaire et de privilégier les relations avec Londres et, du côté français,
par une intransigeance teintée d’italophobie. L’échange de nouveaux
ambassadeurs entre Rome et Paris – impliquant de facto la reconnaissance de
l’empire – laissait pourtant entrevoir une normalisation, voire un espoir
d’apaisement mais il n’en fut rien. Le 30 novembre 1938, Ciano prononça un
discours à la Chambre en présence du nouvel ambassadeur de France, André
François-Poncet. Au moment où le ministre parla des « aspirations naturelles du
peuple italien », certains députés crièrent : « Tunisie ! Corse ! Nice ! Savoie !
Djibouti ! » Dans la même journée, des cortèges antifrançais se réunirent devant
le bâtiment. Ces manifestations à la spontanéité douteuse, derrière lesquelles
planait l’ombre de Starace, entraînèrent un raidissement du gouvernement
français dirigé par Edouard Daladier. Le taureau du Vaucluse se cabra devant les
exigences italiennes beaucoup plus qu’il ne l’avait fait devant Hitler à Munich et
opposa une fin de non-recevoir. Le 17 décembre 1938, Rome dénonça
officiellement les accords de 1935 et Daladier lança à la Chambre : « La France
ne cédera pas un pouce de ses territoires à l’Italie, dût-il en résulter un conflit
armé62. »
En réalité, les revendications bruyamment exprimées par les députés ne
constituaient que le haut de l’iceberg d’un programme d’expansion beaucoup
plus vaste. Le Duce en traça les premiers contours lors des séances nocturnes du
Grand Conseil des 30 novembre 1938 et 4 février 1939. L’Italie étant bloquée
dans une mer intérieure par Suez et Gibraltar, et surveillée par la Corse, la
Tunisie, Malte et Chypre, il fallait donc briser cet étau par une projection soit
« vers l’océan Indien en unissant la Libye à l’Ethiopie à travers le Soudan » soit
« vers l’Atlantique à travers l’Afrique septentrionale française ». En fait, la
France, avec laquelle la rivalité en Méditerranée datait du XIXe siècle, constituait
une cible de choix, qui plus est en pleine décrépitude. La Tunisie, la Corse et
même la Côte d’Azur jusqu’au Var devraient à terme tomber dans l’escarcelle
italienne63 !
Il n’échappa pas à Grandi que les Britanniques commençaient à être fatigués
des exigences italiennes jamais satisfaites et devenaient moins conciliants, même
si Chamberlain espérait toujours réconcilier les deux sœurs latines. Mussolini
décida comme à chaque fois de jouer la carte allemande. Les nazis ne cessaient
de pousser leurs amis italiens à signer une véritable alliance militaire que le
Duce, en janvier 1939, semblait prêt à accepter. Ciano, de même que
l’ambassadeur à Berlin, Attolico, n’en écartaient pas non plus le principe,
croyant disposer ainsi d’un instrument juridique capable de freiner les initiatives
intempestives des Allemands. Or justement Berlin en prit une, le 15 mars 1939,
sans prendre la peine ni de consulter ni de prévenir les chers amis italiens :
l’invasion de ce qu’il restait de Tchécoslovaquie. Ce mépris, davantage que la
violation des accords de Munich, ulcéra Mussolini et son ministre qui ne
voulaient pas voir que la politique hitlérienne signait la faillite de la leur. Ils
auraient alors pu faire machine arrière, renouer avec Paris et Londres mais trop
de rancœurs et de contentieux s’étaient accumulés – surtout avec la France –
pour permettre une ultime révolution diplomatique. De toute façon, les Français
ne voulaient rien entendre. Pas de discussions avec Rome64 ! L’Italie crut alors
répondre à Hitler en se jetant sur la proie qu’elle convoitait depuis près de
quarante ans : l’Albanie. Le 7 avril 1939, les troupes italiennes s’emparèrent
sans coup férir du petit pays de « quatre cailloux » comme le surnommait avec
mépris le roi. Loin d’être anodin, ce rapt voulu et mis en œuvre par Ciano,
préparé depuis près d’un an, durcit la position britannique à l’encontre de Rome,
d’où la garantie donnée par Londres à la Grèce le 13 avril, et accéléra l’alliance
avec le Troisième Reich65. L’Italie fasciste fit à cette occasion la démonstration
de sa volonté de conquêtes et de renversement de l’ordre international.
Plus rien désormais ne s’opposait aux noces sanglantes du fascisme et du
nazisme. Les discussions débouchèrent sur la signature du Pacte d’acier par
Ciano et Ribbentrop, le 22 mai 1939, dans la salle des ambassadeurs de la
nouvelle chancellerie du Reich. Cette alliance militaire agressive répondait à la
conviction de Mussolini sur l’inéluctabilité à court terme d’un conflit entre les
jeunes nations prolétaires et les Etats ploutocratiques, mais avec la condition
sans cesse répétée pendant les négociations que l’Italie n’était pas en mesure de
se lancer dans des opérations militaires avant trois ou quatre ans. Terrible marché
de dupes en vérité puisque le lendemain même de la signature Hitler réunissait
ses généraux pour leur exposer sa détermination à régler la question de la
Pologne, y compris au prix d’une guerre contre les puissances de l’Ouest. A ce
stade néanmoins, il n’était pas question de prévenir ni le Japon ni… l’Italie !
Mussolini avait exprimé sa volonté d’une « alliance pour changer la carte
géopolitique du monde » et en effet il l’obtint mais à son propre détriment.
Le voile se déchira lors des entretiens que Ciano eut avec son homologue
allemand à Salzbourg, du 11 au 13 août 1939. Ribbentrop, plus froid et cynique
que jamais, révéla la détermination allemande d’agresser la Pologne dès l’été.
« Il n’est pas possible de s’être laissé tromper à ce point », marmonna un Ciano
mis devant la forfaiture nazie66. Il crut pouvoir échapper au piège dans lequel il
s’était lui-même placé en tentant de convaincre son beau-père de s’extraire à
temps de la catastrophe annoncée. Le dictateur sembla hésiter mais, pris entre la
peur de la réaction allemande, la prégnance idéologique et l’appât d’un butin à
chaparder dans les Balkans, il maintint finalement l’alliance telle quelle.
L’ambassadeur Attolico apporta toute son aide à son ministre enfin sur la même
ligne que lui, mais se heurtait au mépris de Ribbentrop avec lequel il faillit
même en venir aux mains lors d’un entretien.
La signature du pacte germano-soviétique, duquel l’Italie fut exclue, ouvrait
la voie à la guerre. Ebahi par le coup de maître du Führer, Mussolini devait
désormais choisir entre trois options : rompre le Pacte d’acier, suivre Berlin dans
la guerre ou repousser une intervention tout en restant dans l’alliance. La
dernière hypothèse – la moins humiliante – avait sa préférence. Ainsi fournit-il à
son allié une liste ubuesque de fournitures pour une intervention militaire
immédiate, que Berlin était bien incapable de satisfaire : 7 millions de tonnes de
pétrole, 6 millions de tonnes de charbon, 150 batteries de DCA 67 ! Puis il
proposa le 31 août une nouvelle conférence internationale68. Enfin, quand la
détermination des Occidentaux à arrêter Hitler et l’agression allemande contre la
Pologne ouvrit la voie à un conflit général, il opta le 1er septembre pour la non-
belligérance, terme commode rompant avec la neutralité de 1914 et maintenant
intacte l’alliance avec l’Allemagne. Il n’empêche. Le fascisme se dérobait au
moment de la grande explication.
10
La guerre mondiale et révolutionnaire du
fascisme

Vers l’inévitable guerre


L’Italie fasciste fit donc faux bond à son allié. Pour Mussolini, ce fut une
torture. Il était à ses yeux inconcevable que l’Italie, après plus de quinze années
de fascisme, se comportât comme les dirigeants de 1914 qui, non contents de ne
pas avoir honoré leur signature et leur alliance avec les Empires centraux,
avaient évolué vers une intervention armée du côté adverse, au prix de
promesses territoriales finalement qu’en partie honorées. « Le neutre, avait-il
affirmé en 1932 à Emil Ludwig, est toujours antipathique, comme quelqu’un qui
se défile à l’heure de la bataille1. » Or, c’était précisément ce qu’il faisait ! L’idée
de rester à l’abri de la conflagration, d’être considéré comme un traître par les
Allemands, de confirmer à leurs yeux les « tours de valse » de l’Italie, et de
regarder le flux tempétueux de l’histoire depuis sa fenêtre le révulsait. Sans
parler du rôle de défenseur de la paix que certains en Europe souhaitaient lui voir
jouer2 ! La non-belligérance signifiait seulement que l’Italie retardait une entrée
en guerre inévitable aux côtés de l’Allemagne. Filippo Anfuso, principal
collaborateur de Ciano, ne se méprenait pas sur l’état d’esprit du Duce qu’il
décrit comme « un homme qui a renoncé à la partie, mais avec l’intention d’y
prendre part lorsque les forces lui seront revenues » avant d’ajouter : « Je le
revois encore, pareil à un reclus viril et tout couvert de chaînes […]. Les succès
allemands [lui] faisaient plaisir en ce sens qu’ils lui donnaient raison ; ils
l’attristaient parce qu’ils n’étaient pas italiens. Lorsqu’ils lui semblaient décisifs,
ils lui causaient de l’inquiétude3. »
Depuis ses entretiens de Salzbourg avec l’arrogant Ribbentrop, Ciano était
devenu un antiallemand viscéral. Jusqu’en juin 1940, il déploya le maximum
d’efforts pour arrêter la marche vers la guerre avec l’appui de son cabinet, des
diplomates du palais Chigi et de plusieurs ambassadeurs tels Attolico à Berlin,
Giuseppe Bastianini à Londres et Raffaele Guariglia à Paris. Tous demeuraient
convaincus que la neutralité offrait à l’Italie l’occasion de desserrer l’étau de
l’Axe et de retrouver une autonomie diplomatique. Ciano caressa pendant un
temps le projet d’une ligue des Etats neutres autour des pays balkaniques,
contrepoids efficace à l’expansionnisme allemand, mais qui se heurtait aux
propres ambitions territoriales de Mussolini. Son anticommunisme le poussait
aussi à condamner l’entente germano-soviétique que son beau-père, on l’a vu,
avait avalisée. Dans ce combat, le ministre des Affaires étrangères était rejoint
par plusieurs hiérarques, et non des moindres. Depuis 1938, bien que toujours en
poste en Libye, le charismatique Balbo s’opposa à toutes les orientations du
régime et rencontra le dictateur à plusieurs reprises pendant l’automne 1939 pour
le convaincre. Il en était de même pour De Bono qui, en tant qu’inspecteur des
troupes d’outre-mer, connaissait l’état de l’armée, ou dans une moindre mesure
pour Bottai et Renato Ricci, ministre des Corporations4. Plus efficace aurait pu
être l’action de Dino Grandi, ambassadeur à Londres. Or, en juillet 1939, le
dictateur l’avait rappelé pour lui confier le portefeuille de la Justice avec
interdiction de s’occuper d’affaires extérieures. Mais persuadé de la nécessité de
faire basculer la non-belligérance en faveur des Occidentaux, il se disait prêt à
retourner en Angleterre, ce que lui refusèrent Mussolini et même Ciano, peu
désireux de partager avec lui les lauriers de la paix5. De toute façon, aucun
d’entre eux n’était prêt à se dresser contre le chef car, comme le reconnaissait
Bottai dans son journal intime : « Notre génération est toute en Mussolini : elle
est Mussolini6. »
Face à eux, se dressait Farinacci. Revenu en grâce depuis plusieurs années,
apprécié des nationaux-socialistes, le ras de Crémone jeta sur la non-
belligérance les pires imprécations. Cette situation constituait une humiliation
pour le fascisme qu’il fallait laver en préparant une entrée en guerre dont il
présenta l’enjeu dans une lettre à Mussolini datée du 1er septembre en ces
termes : « L’Allemagne doit vaincre en très peu de mois, autrement si la guerre
devait durer plusieurs années, la victoire reviendrait assurément – malgré des
sacrifices énormes – à l’Angleterre et à la France, auxquelles les Etats-Unis ne
ménageraient pas leur appui. Certains voient déjà dans une victoire allemande un
danger pour l’Italie. A part que les Italiens sauraient défendre leur pays, il me
semble davantage que le danger serait que nous laissions l’Allemagne être
défaite, laquelle – il est bon que le pays le sache – en peu de mois retrouverait sa
puissance7. » La peur de l’Allemagne, toujours… Néanmoins, Farinacci se
trouva isolé lors de la réunion du Grand Conseil le 7 décembre 1939 qui
confirma la non-belligérance. Entre-temps, Ciano, efficacement secondé par sa
femme et sa belle-mère, avait obtenu la tête de Starace, son ennemi intime qu’il
présentait comme un bouffon belliqueux, ce qui ne correspondait qu’en partie à
la réalité. L’entreprise de démolition n’en avait pas moins porté ses fruits. Le
30 octobre 1939, Mussolini avait congédié son fidèle hiérarque comme un
domestique pour le remplacer par un affidé de Galeazzo au physique
d’aventurier, Ettore Muti. Le clan antiallemand avait donc de bonnes cartes en
main, d’autant que Victor-Emmanuel III, tout en restant au-dessus de la bataille,
se faisait le défenseur discret du maintien dans la paix. Ciano, sans jamais penser
à un renversement des alliances au bénéfice des Alliés, songeait plutôt à un rôle
de médiateur pour son pays. Il se crut alors suffisamment fort pour prononcer le
16 décembre, devant la Chambre des faisceaux, un discours à la tonalité hostile à
l’Allemagne.
Il est difficile d’imaginer que le ministre ait pu parler sans l’accord de son
beau-père qui jusque-là lui avait laissé une grande liberté de manœuvre. Or, à
partir de janvier 1940, une lente mais inexorable évolution s’amorçait qui
conduisit le Duce à reprendre les rênes de la diplomatie et à battre en brèche le
courant neutraliste. Le 5 janvier, il prit sa plume pour écrire à Hitler et justifier le
discours de son gendre en mettant en avant le trouble suscité en Italie par le
pacte germano-soviétique. Il y préconisait aussi la reconstitution d’une Pologne
réduite, déjudaïsée et démilitarisée, ce qui aurait selon lui le double avantage de
repousser l’URSS vers l’Est et d’ôter aux Occidentaux leur argument pour
continuer la guerre. Cela dit, le Duce assurait son complice que l’Italie même
neutre restait une alliée pour l’Allemagne8. Une dizaine de jours plus tard, Muti
prononçait à son tour un discours belliqueux et antioccidental qui inquiéta les
capitales alliées. Bref, à ce stade de la guerre, tout le monde se heurtait à
« l’énigme Mussolini », formule utilisée par l’ambassadeur de France pour
décrire le mutisme que gardait le dictateur sans doute par crainte des fuites
organisées par Ciano et son ministère.
D’autres forces agissaient en faveur de la paix pour des raisons, il est vrai,
très différentes les unes des autres. Pour les industriels, la non-belligérance
offrait la possibilité d’approvisionner les deux camps en matériel militaire.
Même si certaines petites industries subissaient avec plaisir et intérêt le
renforcement de l’attraction de la puissante économie allemande, nombre
d’entrepreneurs avaient conscience des faiblesses et des retards du pays, et
s’inscrivaient dans une « stratégie de paix » sans tenir aucun compte des
priorités politiques du régime9. Giovanni Agnelli, à la tête de l’empire FIAT,
était très représentatif de ce courant favorable aux démocraties anglo-saxonnes
avec lesquelles il désirait maintenir le contact. On est loin de la thèse des
capitalistes assoiffés de profits et qui avaient partie liée avec le diable fasciste
pour entraîner le pays dans une guerre consolidant leur emprise… De son côté,
la papauté exerçait une pression constante. Pie XII, élu en mars 1939, multipliait
les efforts pour maintenir l’Italie dans la paix et crut même trouver un allié en la
personne de Victor-Emmanuel III, auquel il rendit une visite officielle au palais
du Quirinal en décembre 1939, mais en vain10. Cet engagement réveillait
l’antichristianisme de Mussolini et sa haine pour l’Eglise catholique accusée
d’être « avec l’Autriche en 1915-1918 [et] contre l’Allemagne aujourd’hui »,
d’œuvrer « constamment [à] la ruine de la cause italienne », d’avoir « ramolli,
[…] dévirilisé » le peuple italien et de lui avoir « enlevé le goût de la
domination11 ». Quant à l’opinion publique, déjà marquée par la crise du
consensus de la fin des années 1930, elle se sentait à l’abri de la fureur des armes
derrière les murs de la neutralité. L’alliance avec Berlin restait toujours aussi
impopulaire dans une population haïssant les Allemands autant qu’elle les
craignait. Et plus ils accumulaient les victoires et plus elle se recroquevillait dans
la paix12.
Or, ces oppositions se heurtaient aux murs du palais de Venise derrière
lesquels le Duce mûrissait son dessein belliqueux renforcé par la certitude que
les Occidentaux victorieux lui feraient payer l’Ethiopie, l’Espagne et l’Albanie.
Le 10 mars, Ribbentrop apporta enfin à Rome la réponse à la lettre du 5 janvier.
Le Führer réaffirmait sa volonté de « régler la partie par les armes » et de voir
l’Italie à ses côtés. Mussolini ne put s’empêcher de confirmer sa détermination
d’entrer en lice et d’accepter une rencontre avec lui. Ciano vit immédiatement le
danger : « Il ne faut pas oublier, écrivit-il dans son journal intime, que le Duce
subit la fascination d’Hitler d’autant plus que cette fascination s’exerce dans le
sens même de sa nature intime : l’action. » Depuis Berlin, Attolico partageait la
même analyse : « Le Duce est comme une souris hypnotisée par un serpent13. »
La rencontre prévue au Brenner le 18 mars s’annonçait donc capitale, et en effet
elle le fut. Après avoir écouté l’habituel monologue hitlérien sur la victoire
inéluctable contre l’Ouest, Mussolini confirma une participation à la guerre. A la
suite de cette entrevue sous la neige, il fit rédiger un promemoria segretissimo
(mémoire très secret) daté du 31 mars et envoyé aux principaux responsables
politiques et militaires du régime. Il y exposait clairement l’impossibilité pour
l’Italie de rester neutre, « sans démissionner de son rôle, sans se disqualifier,
sans se réduire au niveau d’une Suisse multipliée par dix ». Désormais, le
problème était de savoir quand elle entrerait en guerre avec l’Allemagne.
Toutefois, Renzo De Felice relativisa la portée de ce texte qu’il n’interprétait pas
comme une décision d’intervenir rapidement, mais qui fixait seulement un cadre,
Mussolini pensant encore à la possibilité d’une paix négociée. Cependant,
l’invasion allemande du Danemark et de la Norvège lui fit comprendre que sa
liberté de manœuvre, notamment par rapport aux initiatives des Allemands,
s’amenuisait avec l’évanouissement des possibilités d’une paix négociée, sans
parler de la fascination qu’exerçaient sur lui les victoires allemandes en
Scandinavie14.
Une fois de plus, ce fut l’Allemagne qui décida du cours des événements en
déclenchant le 10 mai l’ouragan de fer et de feu sur le front occidental. Contre
toute attente, l’armée française plia devant la puissance de l’offensive allemande.
La rage mêlée au doute rongeait Mussolini qui ne pouvait plus supporter
l’attentisme mais craignait encore une nouvelle bataille de la Marne. Lorsqu’il
apparut avec clarté que rien n’arrêterait le rouleau compresseur de la
Wehrmacht, les dernières digues sautèrent. Il est vrai que les pressions des nazis
s’accentuaient. Mussolini leur avait donné un gage à leur offrant la tête du
compétent Attolico, remplacé à la tête de l’ambassade à Berlin par un fasciste
convaincu, aux compétences plus aléatoires que son prédécesseur, Dino Alfieri.
Celui-ci n’en appliqua pas moins avec zèle les directives de son Duce : fidélité
au Pacte d’acier, bonnes relations avec l’Allemagne et assurance d’une
participation italienne au conflit15. A présent, la chancellerie exigeait un
positionnement clair. Ce fut donc très probablement dans les derniers jours du
mois de mai que le dictateur prit la décision fatale de participer à la curée
générale contre une France que rien ne pouvait dorénavant sauver. C’était le seul
moyen de prendre sa part du butin, d’éviter le déclassement de l’Italie et de se
préserver d’une vengeance allemande qui l’obsédait et l’effrayait. « Après la
France, soutenait-il, ce pourrait être notre tour. Et ce serait un comble d’avoir
signé un pacte que nous disons d’acier pour être envahis par l’Allemagne16. »
Dans la nuit du 29 au 30 mai, il rédigea une lettre à son allié pour l’informer de
l’entrée en guerre de son pays pour le 5 juin. Pour toute réponse, le Führer se
contenta de demander un report de quelques jours. Le jour fatal fut donc fixé au
10 juin.
Ce jour-là, à 18 heures, le Duce se présenta sur le balcon du palais de Venise
pour adresser à la foule massée sur la place et aux Italiens à l’écoute de leur
poste de radio un discours fondateur, celui de l’entrée de l’Italie dans une guerre
fasciste contre la France et le Royaume-Uni.

Combattants de terre, de mer et de l’air, Chemises noires de la révolution et des légions, hommes et
femmes de l’Italie, de l’Empire et du royaume d’Albanie, écoutez : l’heure fixée par le destin sonne au
ciel de notre patrie, l’heure des décisions irrévocables. La déclaration de guerre a déjà été signifiée aux
ambassadeurs de Grande-Bretagne et de France. Nous descendons dans l’arène contre les démocraties
ploutocratiques et réactionnaires de l’Occident qui, de tout temps, nous ont créé des obstacles et ont
souvent menacé l’existence même du peuple italien. […]
Cette lutte gigantesque n’est qu’une phase dans le développement logique de notre révolution, c’est
la lutte des peuples pauvres et nombreux contre les affameurs qui détiennent férocement le monopole
de toutes les richesses et de tout l’or de la terre, c’est la lutte des peuples féconds et jeunes contre les
peuples stériles et décadents, c’est la lutte entre deux siècles et deux idées. Maintenant que les dés sont
jetés et que notre volonté a brûlé les vaisseaux derrière nos épaules, je déclare solennellement que
l’Italie n’a pas l’intention d’entraîner dans le conflit d’autres peuples qui lui sont limitrophes sur mer et
sur terre : la Suisse, la Yougoslavie, la Grèce, la Turquie, l’Egypte peuvent prendre acte de ces paroles,
car il ne dépend que d’eux, et d’eux seuls, que ces paroles soient rigoureusement respectées.
Italiens ! Au cours d’une réunion mémorable, celle de Berlin, j’ai dit que, selon les règles de la
morale fasciste, quand on a un ami, on marche avec lui jusqu’au bout. Nous l’avons fait et le ferons
avec l’Allemagne, avec son peuple et ses forces armées victorieuses. En cette veille d’un événement de
portée séculaire, portons notre pensée vers Sa Majesté le roi et empereur qui, comme toujours, a
incarné la patrie, et saluons, par nos acclamations, le Führer, le chef de la Grande Allemagne, notre
alliée.
L’Italie prolétaire et fasciste est, pour la troisième fois, sur pied, forte, fière et unie comme elle ne l’a
jamais été. Le mot d’ordre est unique, catégorique, obligatoire pour tous ; il soulève les cœurs des
Alpes à l’océan Indien : vaincre ! Et nous vaincrons ! Pour donner enfin une longue période de paix et
de justice à l’Italie, à l’Europe et au monde.
Peuple italien, cours aux armées et, par ta ténacité, démontre ton courage et ta valeur17.

Au-delà des acclamations sincères ou sur commande des militants du PNF,
les réactions restaient mitigées, pleines de sourdes appréhensions. Les rapports
de l’Ovra confirmaient le manque d’enthousiasme des Romains et la différence
avec l’exaltation de 1936. Une grande et révélatrice affluence dans les églises
était notée, même si un soutien certain s’exprimait au sein d’une opinion
publique acquise à l’idée d’une guerre courte et victorieuse. Même le roi se
laissa aller à cette certitude. Ciano quant à lui coucha sur son journal ses
sombres pensées : « Je suis triste, très triste. L’aventure commence. Que Dieu
assiste l’Italie. » Les autres hiérarques réunis autour de leur chef arboraient,
selon Bottai, « un air confus de circonstance18 ».

Des Alpes à la Russie


En fait, Mussolini ne pouvait pas faire autrement que de se jeter dans la
mêlée car la violence guerrière constituait la matrice du fascisme et de l’homme
nouveau. Et on serait tenté de dire que face à une population récalcitrante, la
seule réponse que le dictateur pouvait apporter était de la jeter justement dans les
combats. D’où cet état d’« exaltation métaphysique19 » dans lequel il vivait à
l’été 1940. Mais il commit la même erreur que ses prédécesseurs de 1915 qu’il
vouait pourtant aux gémonies : croire à un conflit suffisamment court pour ne
pas épuiser les maigres ressources de l’Italie et qui lui permettrait de siéger à la
table des vainqueurs. Mais ce beau scénario se brisa sur les réalités
géostratégiques du cataclysme mondial autant que sur les faiblesses intrinsèques
du pays. Malgré quelques succès ici ou là, la guerre de Mussolini se transforma
en un chemin de croix.
Car ce fut bien sa guerre. Le fonctionnement césariste du régime faisait de
lui le seul décideur et donc le seul responsable, celui qui balayait d’un revers de
la main les réticences du chef d’état-major des armées, le roué maréchal
Badoglio. Le roi, sans jamais lui mettre de bâton dans les roues, lui céda, non
sans un évident déplaisir, le commandement de l’armée et de facto la
responsabilité des événements. Conscient de l’impopularité de l’Axe et du
sentiment de subordination à Berlin, le nouveau César définit la stratégie d’une
« guerre parallèle » à celle de l’Allemagne, formule creuse qui plantait un décor
en carton-pâte vite tombé en morceaux.
L’offensive initiale, livrée sur le front des Alpes, résuma à elle seule les
carences politiques et militaires du pays. Le premier ordre d’attaque, lancé dans
la matinée du 17 juin, fut annulé dans l’après-midi pour permettre au chef du
gouvernement de rencontrer Hitler à Munich à la suite de la demande française
d’armistice. Les Italiens durent se plier aux exigences du vainqueur de ménager
la France, mais ils obtinrent quand même des garanties sur les futures zones
d’occupation jusqu’au Rhône. Le 20 juin, les six corps d’armée italiens reçurent
un nouvel ordre d’attaque pour se heurter aux solides lignes défensives
françaises. L’échec était cinglant. Ce fut donc dans une position ubuesque que
les délégués italiens signèrent un armistice à Villa Incisa avec les Français, le
24 juin. Le texte sanctionnait une victoire arrachée par les Allemands. Pour le
résumer en un mot, les vainqueurs étaient les vaincus. Mussolini ayant entre-
temps révisé à la baisse ses exigences, l’Italie se contentait de l’occupation des
maigres territoires conquis par ses soldats20.
En Afrique orientale, une offensive du duc Amédée d’Aoste permit à l’été
1940 la conquête de la colonie britannique du Somaliland. Mais le succès se fit
attendre en Afrique du Nord. Après la mort tragique de Balbo abattu par erreur
par la DCA italienne le 28 juin 1940, le commandement des troupes de Libye
échut au général Graziani. Celui-ci lança une offensive contre l’Egypte qui ne
permit pas de battre les troupes britanniques. Pire, celles-ci brisèrent le front
italien en décembre 1940, forçant l’armée à reculer. Tobrouk tomba le 22 janvier
1941 et la Cyrénaïque fut abandonnée. Dans de telles conditions, les Allemands
durent intervenir en envoyant l’Afrikakorps du général Rommel rétablir la
situation. Avec méthode, le renard du désert prépara son offensive lancée en
mars 1941 et qui lui permit de reconquérir toute la Libye. La Blitzkrieg du désert
fut fulgurante et porta les troupes de l’Axe aux portes d’Alexandrie en juin 1942.
Mussolini n’en était que plus mortifié, ses troupes, bien que valeureuses, se
trouvant dans une position d’infériorité. La guerre parallèle était devenue
subalterne.
La campagne dans les Balkans confirma ce statut. Après avoir hésité entre la
Yougoslavie et la Grèce, Mussolini opta pour une invasion du pays des Hellènes
dont l’occupation renforcerait la domination italienne sur le bassin
méditerranéen. Il s’agissait aussi de répondre à l’entrée des troupes allemandes
en Roumanie dont une fois encore Rome ne fut pas informée. « [Hitler] saura par
les journaux que j’ai occupé la Grèce », maugréa le Duce. Ciano le poussait dans
cette voie. Le 13 octobre, le dictateur convoqua Badoglio pour l’informer de sa
décision, balaya ses objections et déclencha l’invasion depuis l’Albanie, en plein
automne, le 28 octobre 1940. Or, l’armée grecque non seulement résista mais
repoussa l’envahisseur, se payant le luxe d’entrer en Albanie. Le spectre d’une
défaite et d’une armée jetée à la mer dansait devant un Mussolini mortifié qui se
souvenait peut-être de ses propres paroles : « Si nous n’étions pas en mesure de
battre promptement les Grecs, je donnerais ma démission d’Italien21. » Il ne lui
restait plus qu’à appeler les Allemands au secours. Hitler, qui préparait
l’invasion de l’Union soviétique, ne pouvait perdre son allié et laisser les
Anglais gagner des points dans les Balkans ; et ce d’autant plus qu’il cherchait à
attirer depuis des mois la Yougoslavie dans l’orbite du Reich. Il crut y parvenir
lorsque le 25 mars 1941 le régent Paul accepta l’adhésion au pacte tripartite que
Berlin, Rome et Tokyo avaient signé le 27 septembre 1940. Or, lorsqu’un coup
d’Etat militaire à Belgrade renversa le régent le lendemain même, le Führer
écuma de rage et ordonna l’invasion de la Yougoslavie et de la Grèce. Le 6 avril
1941, la tempête de feu se déchaîna contre le malheureux pays qui s’effondra en
moins de douze jours, bientôt suivi par la Grèce. Même si les troupes italiennes
avaient participé à la conquête le long des côtes adriatiques, force était de
constater que les lauriers de la victoire revenaient une fois de plus à la
Wehrmacht.
Enfin, le fascisme ne pouvait être absent de la guerre contre l’URSS.
Comme toujours, Hitler mit son comparse devant le fait accompli puisqu’il ne
l’informa du début de l’invasion que dans la nuit du 21 au 22 juin 1941 ! D’un
point de vue politique, Mussolini condamnait cette décision qui brisait le
rapprochement opéré par l’Italie avec l’URSS. En effet, des discussions très
sérieuses avaient été engagées depuis la défaite de la France au sujet d’un
partage de zones d’influence dans les Balkans, que le brutal retournement
d’Hitler venait saboter. Le dictateur affirma plus tard à Bottai qu’il défendait
encore l’entente avec Moscou dix jours avant l’attaque. « D’abord l’alliance,
affirmait-il, après la guerre22. » Mais malgré ses craintes d’une défaite militaire,
il cautionna l’agression qui ôtait au Royaume-Uni un allié continental et qui
correspondait à l’anticommunisme matriciel du PNF. « Si nous sommes absents,
martela-t-il, le fait même que ce soit moi qui aie le premier combattu le
communisme n’aura aucune valeur devant notre absence23. » Nonobstant cette
évidence, la perspective d’une participation italienne ne suscitait guère
d’enthousiasme à Berlin, et il fallut toute la force de persuasion de Mussolini
pour qu’Hitler acceptât l’envoi d’un corps d’armée de 61 000 hommes baptisé
Corpo di spedizione italiano in Russia (« Corps expéditionnaire italien en
Russie »). Ces soldats ne déméritèrent pas dans les combats en Ukraine et
reçurent au début de 1942 l’appui d’Alpini mieux entraînés pour la guerre dans
les glaces de l’hiver russe. Car la victoire, là aussi, se faisait attendre24.

Une guerre de civilisation


La guerre dans laquelle le fascisme se lança en 1940 ne se limitait pas à un
impérialisme classique dont l’objectif se réduisait à asseoir la domination
italienne. Si cette composante était bien sûr présente, elle n’en constituait pas la
matrice qu’il faut chercher dans la nature révolutionnaire du régime. « Les
rectifications de frontières qui pourraient être stabilisées par les traités de paix
représenteront une part relativement secondaire des résultats de la guerre ; elle a
comme principal objectif d’affirmer dans le monde de nouvelles valeurs
politiques, économiques et morales de nature universelle destinées à
révolutionner à l’intérieur des nations les rapports entre catégories sociales et à
l’extérieur les rapports entre les nations », pouvait-on lire dans un article du
Popolo d’Italia daté du 10 juillet 1940. Les fascistes conçurent la Seconde
Guerre mondiale comme un choc de civilisations, une lutte idéologique, quasi
religieuse, entre des systèmes politiques incompatibles, afin de créer un ordre
nouveau pour l’Europe et pour le monde car leur mouvement ne fut jamais
conservation ou imitation mais création. Giovanni Gentile l’exprima
parfaitement en présentant la lutte en cours comme un « véritable jugement de
Dieu » qui résoudrait « la querelle entre deux principes antagonistes campés l’un
contre l’autre dans la certitude exaspérée du vita tua mors mea25 ». La révolution
fasciste se glissa ainsi très aisément dans la forme de conflits idéologiques
inaugurée par les Français en 1792 entre des régimes intrinsèquement différents
et hostiles. Depuis cette époque, comme l’a justement écrit Henry Kissinger, on
avait affaire à une « lutte planétaire d’idéologies qu’il convenait de mener par
tous les moyens disponibles et en mobilisant tous les éléments de la société26 ».
La guerre totale en somme d’où surgit l’Etat totalitaire du XXe siècle.
Sauf à se renier, le fascisme ne pouvait faire autrement que de considérer le
conflit comme l’acte révolutionnaire par excellence tel que Mussolini l’avait lui-
même théorisé en 1914. Il existait donc une continuité entre 1915 et 1940 qu’il
exprima en ces termes : « Je suis entré en guerre [en 1940] lorsque ne pas le faire
eût signifié non seulement renier son passé mais encore renoncer à l’avenir de
l’Italie27. » Nombre de puritains lui emboîtèrent le pas tel l’écrivain Berto Ricci
pour lequel « cette guerre fera avancer cette Révolution » en offrant l’occasion
unique et tant attendue de détruire l’ennemi principal du fascisme : la civilisation
bourgeoise et ses avatars, le libéralisme et le capitalisme. Et sur les ruines de ce
monde vermoulu l’Italie mussolinienne bâtirait une nouvelle civilisation. « Notre
guerre, expliqua Farinacci dès le 12 juin 1940, comme celle de l’Allemagne est
révolutionnaire et totalitaire : en elle se joue le tout pour le tout, et à tout prix
nous devons vaincre28. »
On sait combien l’exaltation nationaliste imprégna le fascisme depuis ses
origines. Or, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que la guerre accéléra
l’éclosion d’un projet véritablement impérial aux dimensions européennes. Pour
plusieurs intellectuels dont Bottai, après l’époque du Risorgimento et de
l’unification des nations, venait celui des grands empires. Comme l’écrivait en
1942 Edgardo Sulis dans son étude Nuova civiltà per la nuova Europa
(« Nouvelle civilisation pour la nouvelle Europe ») : « La révolution n’a jamais
été nationale [et] ne peut être la somme des révolutions nationales : elle a besoin
d’un espace vital révolutionnaire. » L’Europe de demain serait ainsi réorganisée
selon une conception hiérarchique et non plus égalitaire des peuples, autour de
grands empires qui satelliseraient les Etats faibles. L’Italie était bien sûr appelée
à y jouer un rôle moteur au nom de l’idéologie néoromaine du fascisme, de sa
vocation universelle et de la vision absolue de l’Etat totalitaire29. Cette question
souleva d’intenses débats qu’illustra notamment la tenue d’un colloque en
novembre 1942 organisé par l’Institut national de culture fasciste30. Intéressants
à cet égard furent aussi les articles publiés entre 1939 et 1942 dans la revue
Geopolitica, créée sous les auspices de Bottai. Reprenant le concept d’Eurafrica
développé par certains géopoliticiens, ces travaux cherchaient à justifier
l’impérialisme par l’existence d’un espace vital méditerranéen nécessaire à l’élan
italien31. De telles visions correspondaient aux réflexions géopolitiques à la
mode outre-Rhin où dominaient les théories du géographe Karl Haushofer sur
les grands blocs autarciques. C’était bien la mondialisation ouverte et libérale
des Anglo-Saxons qu’il fallait abattre, en même temps que l’ordre international
créé après la Grande Guerre et qui s’était révélé inopérant.
De surcroît, le projet fasciste comportait une autre dimension
révolutionnaire, sociale celle-ci, exprimée dès le discours du 10 juin 1940 de
Mussolini. En effet, la nouvelle civilisation en gestation serait celle des
travailleurs et de la justice sociale, puisque la guerre en cours était un combat
contre les démocraties ploutocratiques, un combat qui donnerait le pain et le
travail à ceux qui en étaient privés. Cela devint le leitmotiv de la revue
Gerarchia. A quoi bon se livrer à une lutte des classes dans un pays pauvre et
privé de ressources ? Non, il fallait d’abord opérer une juste répartition des
richesses entre les peuples pour ensuite les redistribuer aux individus. En fin de
compte, comme l’affirmait un article de novembre 1939 : « La lutte des classes
s’est transformée en lutte entre les nations pour cette justice sociale que Karl
Marx avait déjà grossièrement comprise mais que seul Mussolini, le premier, a
formulée et concrétisée : la lutte entre nations ploutocratiques et nations
prolétaires, entre les peuples qui ont tout et les peuples qui n’ont rien. » Le
combat faisait, on le voit, vibrer toute la thématique socialisante du fascisme qui
suscitait l’enthousiasme des milieux du syndicalisme fasciste et surtout des
jeunes qui avaient bu la haine antibourgeoise au sein de l’école et des Balilla. On
se mettait à rêver dans certains milieux à une abolition de l’or comme base du
système monétaire international, extravagance qui rejoignait les préoccupations
antisémites. « Supprimer l’or et ses équivalents, déclamait Roberto Pavese en
1939, signifie empêcher que les moustiques juifs piquent et vident de leur sang
les bras des travailleurs 32. »
Bien entendu, de telles conceptions eurent une influence majeure sur la
question des relations avec l’URSS et celle de la guerre à l’Est. Au moment de
l’effondrement de la France, l’ambassadeur d’Italie s’était en effet montré
confiant devant Molotov, le commissaire aux Affaires étrangères de Staline,
« sur la victoire finale des deux Etats totalitaires – c’est-à-dire des peuples forts
et jeunes, animés de l’esprit de la révolution fasciste contre les deux vieilles
démocraties ploutocratiques occidentales ». En somme, on n’attendait plus que
les Soviétiques…. Cela dit, le courant viscéralement anticommuniste vit dans
l’attaque de juin 1941 l’expression du combat de toujours du fascisme et lui
apporta son complet soutien. L’antisémitisme permettait en plus de faire le lien
entre tous les fronts comme l’exprima sans fard Farinacci : « Aujourd’hui, Rome
et Berlin combattent à visage découvert contre toutes les Jérusalem judaïques qui
se sont reproduites méchamment à Londres, à Moscou, à New York. » Bref,
comme la propagande le martelait, le fascisme combattait un seul ennemi, la
civilisation matérialiste, que ce fût sous sa forme individualiste ou collectiviste.
Pour autant, la guerre à l’Est n’enlevait rien aux caractères révolutionnaires
du combat fasciste. Camillo Pellizzi le proclama haut et fort dans la revue Civiltà
fascista dès le mois de juillet 1941 : « Les réactionnaires ne doivent pas se faire
cette ultime illusion. Notre lutte contre l’URSS n’atténue pas notre volonté
révolutionnaire et même elle la précise et l’engage. » L’entrée des Etats-Unis
dans le conflit mondial, en décembre 1941, arriva à point nommé pour légitimer
cette lutte antiploutocratique. Rien d’étonnant donc à ce que l’Italie fasciste
devançât de peu l’Allemagne dans la déclaration de guerre à la république
étoilée33. Et quand il s’agissait de dénicher un argument en faveur de la signature
d’une paix séparée entre l’Axe et l’URSS – objectif majeur du Duce nous y
reviendrons –, on le trouvait dans l’« inspiration prolétarienne » des trois Etats
totalitaires qui rendait possible leur collaboration contre les démocraties34.
L’ennemi prioritaire du fascisme restait Londres et Washington, la City et Wall
Street, Roosevelt et Churchill davantage vitupérés que Staline.
Ici se pose une inévitable et capitale question. Mussolini partageait-il ces
analyses ? Plusieurs signes ne trompent pas sur sa proximité avec les fascistes
révolutionnaires : les articles publiés dans Il Popolo d’Italia ou Gerarchia,
revues directement sous son contrôle, les textes écrits par Edgardo Sulis
considéré comme le « meilleur exégète de la pensée mussolinienne » et ses
propres confidences au journaliste Yvon de Begnac en 1939 : « Les guerres du
fascisme furent, sont des guerres contre le despotisme imminent. Ce furent, ce
sont des guerres à conduire, conduites, au nom du pouvoir social à rendre au
peuple salarié35. » Les premières défaites en Afrique le conduisirent en outre à
lancer un appel « aux grandes masses de l’Italie “prolétariennes et fascistes” » et
à vitupérer en Conseil des ministres les « bourgeois frondeurs » qui une fois la
guerre gagnée « [auraient] affaire à l’ancien socialiste de Romagne qu’ils
[avaient] réussi à réveiller en lui36 ». C’était là le véritable Mussolini qui n’avait
jamais cessé par haine de la bourgeoisie d’être le socialiste de sa jeunesse.
L’idéologie, telle une foi, restait le moteur de l’humanité en guerre. Dans un pays
à parti unique, l’armée devait être politique. D’où son admiration pour la
Wehrmacht dans laquelle il voyait une armée révolutionnaire, l’expression d’une
communauté nationale et sociale unie, mais aussi pour la Russie qui avait à ses
yeux valeur d’exemple : « Elle se bat parce qu’elle est communiste ; et aux
soldats russes on parle de communisme et de patrie, plus de communisme peut-
être que de patrie37 », alors que l’on sait qu’après l’invasion allemande Staline en
appela au patriotisme des Russes.
En se lançant dans la bataille planétaire, le fascisme pensait accélérer la fin
du cycle libéral-démocratique ouvert par 1789 au profit d’un monde dirigé par
les Etats totalitaires. Mussolini voyait dans ce combat titanesque le meilleur
moyen d’achever sa révolution anthropologique, de forger par le fer et le feu
l’Italien nouveau définitivement coupé de la morale amollissante bourgeoise.
Tout cela coûterait bien sûr des vies. Mais peu importait en vérité. Comme toutes
les patries révolutionnaires, l’Italie mussolinienne exigeait de ses fils jetés en
masse dans les combats le sacrifice ultime de leur vie. Le dictateur avait lancé,
en mai 1940, à un Badoglio sceptique sur les chances de succès militaires : « Je
n’ai besoin que de quelques milliers de morts pour m’asseoir à la table de la paix
en tant que belligérant. » Après tout Diderot n’avait-il pas noté en son temps
avec un brin de désinvolture : « Dans les guerres, je ne regrette pas les hommes :
les hommes se refont38. »
Le fragile Empire italien
Dans les premières années du conflit, l’Italie fasciste jeta les fondements de
ce qui aurait dû être son empire si elle avait remporté la guerre. Outre les
anciennes colonies africaines (Somalie, Libye, Ethiopie) ou méditerranéennes
(Rhodes, îles du Dodécanèse), elle plaça sous son autorité ou son influence
plusieurs territoires. La défaite de la France ouvrait d’intéressantes perspectives
d’annexions. Même si Hitler ne cessait de ménager Vichy – ce qui horripilait
Mussolini –, Rome comptait sur un partage avec Berlin, voire Madrid, de son
empire colonial au moment du traité de paix. L’invasion de la zone libre
française le 11 novembre 1942 permit en outre de lever bien des ambiguïtés. Les
Italiens y gagnèrent une considérable extension de la zone d’occupation des
Alpes jusqu’au Rhône (mais sans Lyon ni Marseille) et de la frontière suisse à la
Côte d’Azur, la Corse en sus. Le dépeçage de la détestée sœur latine et son
déclassement définitif paraissaient à portée de main.
En ce qui concerne les Balkans, le rapt de l’Albanie en avril 1939 constituait
une première étape vers une vassalisation complète qui connut une étape
supplémentaire avec les offensives d’avril 1941. Après avoir vaincu la
Yougoslavie, les puissances de l’Axe s’en partagèrent les dépouilles : les deux
tiers de la Slovénie à l’Allemagne, une partie des côtes et des îles de la Dalmatie
à l’Italie ; une Croatie indépendante et élargie à la Bosnie-Herzégovine, avec un
prince italien comme souverain et un gouvernement profasciste conduit par
l’implacable Ante Pavelić ; un Monténégro ressuscité ; enfin une Serbie réduite
sous contrôle allemand. Ce programme, assez proche de certains imaginés avant
la Grande Guerre, taillait la part belle à l’Italie, du moins en théorie. Car sur le
terrain, les troupes d’occupation se heurtèrent dès l’été 1941 à des insurrections
et à des mouvements de résistance partis du Monténégro qui contaminèrent vite
toute la région. De plus, une sourde compétition opposait Rome à Berlin pour le
contrôle des Balkans, de leurs routes et de leurs richesses qui tourna vite au
bénéfice des Allemands. En Grèce, Berlin ayant inopinément oublié d’associer
l’Italie à la signature de la capitulation, un second armistice fut signé le 23 avril
1941 qui accordait aux Italiens cette fois-ci l’occupation de certaines îles et de
toute la Grèce continentale à l’exception de Salonique, d’Athènes et du Pirée.
Une occupation en fait jamais complète, « en peau de léopard39 », qui en affaiblit
dès le début l’efficacité.
En s’emparant des Balkans, Mussolini réalisa des aspirations dont certaines
avaient déjà été celles de l’élite libérale et tenta d’y constituer un bloc plus ou
moins hostile au Troisième Reich uni autour de Rome. Dans cette entreprise, il
comptait sur les traditionnels liens dynastiques. La Bulgarie, dont le roi Boris III
était le gendre de Victor-Emmanuel III, la Croatie et le Monténégro, tous deux
gouvernés par un souverain italien, et enfin la Hongrie du régent Horty qui
pourrait à terme choisir elle aussi un Savoie comme roi, devaient entrer sous la
sphère d’influence de Rome. Cependant plusieurs lézardes minaient sur ses
fondations cette construction bien ambitieuse. Pour la Croatie, le choix de
Victor-Emmanuel III s’était porté sur son cousin Aimone d’Aoste, duc de
Spolète, qui aurait dû régner sous le nom de Tomislav II. Or, le jeune prince ne
mit jamais les pieds dans son royaume transformé en boucherie par le
gouvernement des Oustachis qui n’était de toute façon pas pressé de l’accueillir.
Quant au Monténégro, une fois écartée l’idée assez farfelue de le confier à la
reine d’Italie Hélène, on envisagea à Rome de rendre le trône à ses neveux de la
dynastie de Petrović Njegoš, avant que l’insurrection générale de juillet 1941 ne
renversât l’ordre des priorités40.
Nonobstant ce jeu classique, Mussolini voyait plus loin et imaginait un
empire qui ne se limitait pas à la turbulente péninsule mais englobait la
Méditerranée avec des prolongements jusqu’au Moyen-Orient. Puisque le conflit
mondial lui offrait l’occasion d’établir un ordre nouveau en Méditerranée au
détriment des Anglais honnis auxquels on ravirait Malte, sa politique arabe prit
une nouvelle envergure en récupérant le rêve panarabe dont l’ancien socialiste
connaissait la force. En mai 1941, une escadrille d’avions de chasse, des avions
de bombardement et des armes prirent le chemin de l’Irak insurgé contre le
Royaume-Uni, tandis que Radio Bari présentait l’Axe comme les libérateurs des
Arabes à coups d’émissions en faveur de l’islam et de l’arabisme. Plusieurs
chefs nationalistes purent y lancer des appels, comme le Tunisien Habib
Bourguiba le 6 avril 1943. Qui plus est, le grand mufti de Jérusalem séjournait
fréquemment à Rome où il rencontrait toute l’élite dirigeante fasciste. « Soyez
assuré, lui affirma Mussolini en octobre 1941, que les Arabes auront leur
gouvernement, leur indépendance, leur Etat selon leur aspiration. » Tous les
fascistes ne partageaient pas cette arabophilie, tel Grandi qui parlait d’une
nouvelle guerre punique :

Il faut créer, écrivait-il en septembre 1939, une ceinture de résistance latine et méditerranéenne. Il
faut résister à la pression asiatique, prête à se jeter sur l’Europe, non seulement depuis l’Est mais peut-
être aussi du Sud : la pression des peuples du Proche-Orient qui n’attendent que l’occasion de
reprendre la marche de destruction de la vieille Europe après des siècles d’arrêt41.

En fait, le fascisme ne pouvait s’extraire de la contradiction infernale entre
ce programme indépendantiste limité au Croissant fertile et ses desseins
colonialistes en Tunisie, au Soudan, en Somalie, en Egypte, qui l’empêchaient de
jouer jusqu’au bout la carte émancipatrice. Les géopoliticiens italiens avaient
beau opposer la colonisation fasciste à celle des ploutocraties42, leurs efforts ne
résolurent rien. En 1945, au bord de l’abîme, Hitler remâchait son amertume à ce
sujet : « L’allié italien nous a gênés presque partout […]. Tout l’islam vibrait à
l’annonce de nos victoires […]. La présence des Italiens à nos côtés nous
paralysait et créait un malaise chez nos amis islamiques qui voyaient en nous des
complices, conscients ou non, de leurs oppresseurs43. »
Au sujet des violences de guerre, on a longtemps établi une différence entre
les brutalités allemandes et la modération des Italiens présentés comme un
peuple de « brava gente » (« braves gens »). Une partie de l’historiographie
actuelle prend le contre-pied de cette vision réductrice en cherchant à mettre sur
un pied d’égalité nazis et fascistes. Vision toute aussi excessive que la
précédente. En réalité, même dans ce domaine, le fascisme n’échappait pas à ses
contradictions internes. Dans le domaine de l’antisémitisme, la pression se fit
sans cesse plus forte sur les juifs italiens qui, accusés d’espérer la victoire
ennemie, subirent de multiples avanies : inscription sur des listes de
recensement, surveillance pointilleuse, internement dans des camps touchant en
priorité des juifs étrangers ou antifascistes, travail obligatoire. Mussolini ne
cachait pas son hostilité à l’encontre d’un peuple auquel il reprochait l’invention
« de la démocratie, de la banque et du christianisme », réduisant son histoire à
celle d’un « peuple de pasteurs et d’agriculteurs sauvages, semée de traits
sensuels, presque obscènes44 ». Mais en même temps, en toute connaissance de
la Solution finale dès 1942, il ne céda pas aux pressions allemandes, notamment
au sujet du port de l’étoile jaune. Dans les pays étrangers, les consuls
s’opposèrent sur ordre à la déportation des juifs de nationalité italienne, et le
gouvernement fasciste ordonna le rapatriement en Italie de 1 500 juifs italiens
vivant en France45. L’exemple des Balkans est particulièrement éclairant. En
effet, l’armée italienne y apporta une incontestable protection aux populations
serbes exterminées par les Oustachis croates en les accueillant dans leurs
casernes et refusa de livrer des juifs placés sous son autorité en Dalmatie, ce qui
permit le sauvetage de plusieurs milliers d’entre eux. Bien sûr, plusieurs facteurs
se croisaient dans ces décisions, loin d’être toujours humanitaires : honneur du
drapeau et de l’uniforme, acte de souveraineté et de résistance à la domination
allemande, refus de l’imitation servile.
L’Italie fasciste garda-t-elle pour autant les mains propres ? Loin de là, en
vérité. Face aux insurrections partisanes, Rome mit en place une implacable
machine répressive au centre de laquelle se trouvait le général Roatta,
commandant de la 2e armée en Croatie, celui-là même qui sauvait juifs et Serbes.
En signant la directive 3C du 1er mars 1942, il légalisa les violences à l’encontre
des populations civiles : exécutions d’otages, rafles, déportations dans des camps
de concentration dont celui d’Arbe, dans une île dalmate, connu pour ses taux de
mortalité vertigineux. Tout cela se faisait avec l’aval de Mussolini qui notait
dans un rapport de juillet 1942 : « Je suis convaincu que, à la “terreur” des
partisans on doit répondre avec le fer et avec le feu. Le lieu commun qui dépeint
les Italiens comme des sentimentaux incapables d’être durs quand il le faut doit
cesser. Cette tradition de grâce et de tendresse dépassée sera interrompue46. » On
le voit, l’idéologie jouait un rôle capital pour expliquer cette violence à côté des
pratiques héritées des guerres coloniales et des faiblesses de l’occupation
italienne dans un pays en pleine insurrection47. Mussolini chercha jusqu’en 1943
à défendre bec et ongles et par tous les moyens l’empire fasciste pour construire
cet « espace vital » méditerranéen libéré de la tutelle d’une Allemagne qui, de
son côté, travaillait à la vassalisation de son allié non sans un réel succès.

Le régime en guerre
La guerre totale reposait par définition sur la solidité du front interne qui
dépendait de l’adhésion des masses au conflit, à ses objectifs, à sa nature même.
Le fascisme trouvait à cette occasion le moyen de voir jusqu’à quel point il avait
réussi à remodeler la conscience des Italiens. Et le résultat fut sans appel !
La population soutint l’entrée en guerre en juin 1940 sur la promesse
implicite d’une guerre courte et victorieuse. A l’annonce de la défaite française,
des scènes de liesse éclatèrent dans les grandes villes et on entendait ici ou là des
critiques sur les conditions de paix somme toute modérées que l’Axe infligeait à
l’arrogante nation. Le Duce avait préservé le pays pendant plusieurs mois du
conflit, l’Angleterre serait bientôt battue, et l’Italie prendrait sa place sur les
océans. Bien des soldats envoyés sur le front grec y trouvaient l’atmosphère
virile et martiale que le régime avait exaltée pendant deux décennies, loin de la
vie confortable des bourgeois. Belles illusions en réalité que les défaites rapides
et surtout les duretés de la vie quotidienne balayèrent. En effet, si dès l’entrée en
guerre, le gouvernement avait bloqué prix et salaires, les difficultés étaient
encore supportables. Elles le devinrent beaucoup moins au bout d’une année de
campagne avec le rationnement du pain à 200 grammes par jour et par personne,
des pommes de terre à 800 grammes par personne tous les quinze jours et la
raréfaction du riz et des pâtes, aliments de base des couches populaires.
L’éminent spécialiste des questions agricoles Arrigo Serpieri tenta de rassurer la
population en affirmant dans une conférence à Florence que l’Italie était prête à
surmonter les difficultés grâce à l’économie corporative et au génie du Duce48.
Mais dans les faits, le pays ne pouvait plus importer les millions de quintaux de
blé nécessaires, alors même que le manque de main-d’œuvre et les carences en
matière de mécanisation limitaient la productivité. Dans les régions
méridionales, la situation ne cessait d’empirer, plus encore qu’au nord. Le pain
rare et de mauvaise qualité, les étals vides sur les marchés et dans les boutiques
ne permettaient plus de nourrir des enfants que le fascisme avait voulus
nombreux. On manquait de tout : de charbon, d’électricité, de bougies, de gaz,
de viande, de farine, de sucre, de café. Les espions de l’Ovra décrivaient dans
leurs rapports les disputes hystériques de femmes affamées dans les files
d’attente, leurs injures lancées aux chemises noires, les manifestations sur les
places qui dégénéraient, en Campanie ou en Sicile, en attaques contre la mairie49.
Le pays où le marché noir devenait la seule manière de subsister tombait en
morceaux au nom du chacun pour soi. Le Méridional abandonné contre le
privilégié du Nord, le paysan affamé contre l’ouvrier écrasé par les cadences de
travail, l’urbain bombardé contre le rural famélique, le riche contre le pauvre…
On avait l’impression que l’Italie tout entière se fracturait en groupes
antagonistes n’attendant qu’une occasion favorable pour régler leurs comptes.
Disons-le d’emblée, la propagande qui ne ménageait pourtant aucun effort
pour tenir la société se heurtait à un mur de scepticisme virant vite à l’hostilité
puis au rejet massif. Mussolini en avait confié en 1939 la direction à un homme
aussi cultivé que brutal, Alessandro Pavolini, un fasciste pur et dur, protégé de
Ciano. Placé à la tête du Minculpop, il transmettait aux directeurs de tous les
organes de presse les instructions officielles enjoignant d’entretenir le moral de
la population « afin de créer le climat nécessaire aux développements inévitables
et inéluctables qui nous attendent ». Et le Duce de préciser : « S’il y a résistance
de la part d’une certaine bourgeoisie, en temps opportun, nous la balaierons. »
Les journaux répétaient inlassablement les slogans du régime, exaltaient les rares
victoires, minimisaient les nombreuses déconvenues. L’institut Luce tournait
d’innombrables documentaires de guerre auprès des soldats, tandis que le
Minculpop nourrissait un public au ventre creux en courts-métrages sur la
légitimité des peuples forts à dominer et des Etats pauvres à exiger un partage
des richesses planétaires, sur les méfaits des Anglais et des juifs50. Les chansons
diffusées à la radio se moquaient des faiblesses sexuelles des Français, de la
grossièreté des Russes, de la perfidie des Anglais, de la violence des Américains,
et glorifiaient l’action des soldats et marins italiens51. Dans ce domaine, les
fascistes appliquèrent à la lettre l’anathème xénophobe autrefois lancé par
Robespierre : « En qualité de Français, de représentant du peuple, je déclare que
je hais le peuple anglais, je déclare que j’augmenterai autant qu’il sera en moi la
haine de mes compatriotes contre lui. » Mussolini ne disait pas autre chose dans
ce discours du 2 décembre 1942 : « On ne fait pas la guerre sans haïr l’ennemi
du matin au soir, à toute heure du jour et de la nuit, sans propager cette haine et
sans en faire l’essence même de son être. Il faut une bonne fois pour toutes
renoncer à tout faux sentimentalisme. Nous faisons face à des brutes, à des
barbares. Rome, bien que clémente après la victoire, était sans pitié quand il
s’agissait de l’existence du peuple romain52. » Loin d’être de la pure rhétorique,
ces paroles correspondaient à une haine personnelle si forte qu’il avoua à Bottai
avoir eu envie en Libye de tirer de ses propres mains sur une colonne de
prisonniers anglais53… Cette antienne était fidèlement reprise par les journaux
qui lançaient d’implacables appels à la vengeance.
Or, malgré tous leurs efforts, les fascistes échouèrent dans leur entreprise de
diabolisation de l’ennemi. Les rapports de l’Ovra attestaient non seulement
d’une absence de haine pour les Anglais mais surtout d’une anglophilie très forte
dans les différentes couches de la bourgeoisie qui considéraient que seule une
victoire des Anglo-Saxons sauverait le pays du désastre. Ni la propagande ni les
meurtriers bombardements alliés ne parvenaient à anéantir l’inclination teintée
de fascination pour les Etats-Unis, cet eldorado pour des milliers de pauvres
immigrants méridionaux. Même les Russes martyrisés par les nazis ne
suscitaient pas de haine viscérale. Bien au contraire, les récriminations visaient
l’incurie des autorités, la corruption des petits chefs du parti, l’incapacité de la
DCA à protéger les villes pilonnées. Si l’on cherchait des traces de détestation,
c’était à l’encontre des alliés allemands qu’on les trouvait, de ces nazis qui
rationnaient le pays en charbon, maltraitaient les travailleurs italiens envoyés
dans le Reich, massacraient sans vergogne Juifs et Slaves dans les plaines russes,
avant-goût amer de ce qu’ils pourraient faire à l’Italie elle-même54. L’Axe
apparaissait ainsi pour ce qu’il était : une prison d’où l’Italie sortirait esclave
d’un maître implacable.
Mussolini, sentant le sol se dérober sous ses pas, n’avait pas pour autant dit
son dernier mot. La guerre pour un ordre nouveau constituait un cataclysme dont
il entendait se servir pour abattre les restes de la civilisation bourgeoise à
l’intérieur de la société italienne. Ce qui lui restait de pragmatisme lui permettait
de discerner l’abîme séparant les mythes du fascisme et les réalités de la société.
Devant son gendre, il gémissait devant les piètres résultats de la révolution
anthropologique avec l’amertume d’un artiste raté. « C’est la matière qui me
manque. Même Michel-Ange avait besoin de marbre pour faire ses statues. S’il
n’avait eu que de l’argile, il aurait été un simple potier. » Au bout de deux ans de
combats, le même constat s’imposait, aussi sévère qu’injuste au vu du sacrifice
des soldats : « Cette guerre n’est pas faite pour le peuple italien. Il n’a pas la
maturité ni la consistance pour une épreuve aussi formidable et décisive. C’est
une guerre pour les Allemands et pour les Japonais, pas pour nous. » « La race,
ajoutait-il, est ce qu’elle est : on ne la corrige pas du jour au lendemain55. »
Certes il comptait sur l’épreuve du feu, sur les privations et même sur les
mauvaises conditions météorologiques pour l’endurcissement définitif des
individus, sauf qu’elles donnaient les résultats inverses.
Le dictateur mortifié crut alors s’attaquer à la racine du mal en intensifiant
d’une part la campagne antibourgeoise et d’autre part en renforçant le rôle du
PNF dans la construction totalitaire. Devant Bottai, il regrettait sa modération
passée : « Il y a trente ans, si j’avais connu les bourgeois italiens comme je les ai
connus durant ces années, j’aurais fait une révolution à côté de laquelle celle du
camarade Lénine serait passée pour une plaisanterie. » Puis, lors du Conseil des
ministres du 27 septembre 1941, il flétrit les possédants qui étaient « les plus
mauvais Italiens ». Grandi n’en revenait pas de ce « bolchevisme blanc […] dans
lequel il [avait] retrouvé le directeur du journal Lotta di classe qu’il avait
entendu dans sa jeunesse à Imola56 ». Mais il fallait pour cette bataille que le
parti fût en ordre de marche et bien commandé. Or, la nomination d’Ettore Muti
s’avérait une erreur. Inexpérimenté et désordonné, sans attrait pour la culture,
l’homme lige de Ciano s’était contenté d’épurer en masse le PNF des staraciens.
Au moment de l’attaque contre la Grèce en octobre 1940, le Duce le destitua au
profit d’Adelchi Serena. Aussi fidèle que fade, ce mussolinien n’en mena pas
moins une action de consolidation partisane sous la direction pointilleuse du
palais de Venise. Mussolini voulait en effet revoir la question des rapports entre
le parti et l’Etat au bénéfice cette fois-ci du premier. Conformément à la
conception religieuse du fascisme, le parti devait jouer pleinement son rôle
d’avant-garde d’élus. Edgardo Sulis, encore une fois dans la revue Gerarchia,
posait la question : « Qu’est-ce donc que le Parti ? C’est la Révolution qui
avance […]. Abattre tout ce qui est administration des choses et y substituer le
commandement des hommes : voilà la mission précise du Parti. La Révolution
s’appelle Mussolini57. »
Serena mit donc en œuvre plusieurs mesures visant à resserrer le contrôle sur
la société. Il consolida l’emprise sur les Groupes universitaires fascistes et la
Jeunesse italienne du Licteur, renoua des liens avec le monde de la culture et
obtint même pour le PNF le contrôle des prix et l’organisation du ravitaillement,
ce qui fit de ses cadres les cibles prioritaires du mécontentement général58. Les
jeunes loups crurent leur heure venue : la révolution reprenait sa marche ! Le
Duce allait enfin faire comme Staline, et leur permettre de chasser les traîtres et
les embusqués tapis dans les appartements bourgeois. Dans les provinces, une
pulsion squadriste s’empara des plus vieux comme des plus novices, tous
croyant revivre les belles années du fascisme de 1919. Violences et spoliations
firent tache d’huile, malgré les efforts des préfets, et contribuèrent au
détachement des classes moyennes du régime. L’écrivain Marcello Gallian
s’enivrait de cette fièvre qu’il justifiait en 1941 par ces mots : « Le squadrisme a
été l’essence même de la Révolution et donc l’essence même de l’Italie inventée
par Mussolini, de toutes pièces, à coups de combats, d’assauts, de sacrifices, de
morts et de martyrs59. » Pourtant, une fois encore, le Duce hésitait, pris entre les
nécessités de la guerre qui commandaient de conserver le soutien des classes
possédantes et la haine idéologique du révolutionnaire. Guerre oblige, il opta
pour la première solution, conformément à ce qu’il avait toujours fait, et se
sépara de Serena en décembre 1941 avant de lui choisir comme successeur Aldo
Vidussoni, un inconnu dont l’âge (27 ans) conférait un brevet de mussolinisme
de bon aloi.
Quant à Farinacci, le héraut de l’alliance italo-allemande, il bénéficiait
désormais d’une position très solide au sein du régime et d’une excellente
réputation à Berlin, à tel point que son nom circulait comme possible successeur
du Duce. Il tonnait sans cesse contre les défaitistes, contre l’indolence du parti et
appelait à une mobilisation du squadrisme, manière de critiquer l’œuvre de
Mussolini qui ne s’y trompait pas. Leurs relations se dégradèrent de nouveau
dans le courant de 1941, ce qui compta sans doute aussi dans le renvoi de Serena
et le choix de Vidussoni pour mieux contrôler le parti. Aussi isolé était-il au sein
du groupe des hiérarques, et critique à l’encontre des rêves de révolution sociale
de certains ultras, Farinacci n’en demeurait pas moins une menace, alors que
d’étranges rumeurs circulaient sur un soi-disant plan des nazis pour déposer
Mussolini et le roi en sa faveur. Berlin comptait aussi beaucoup sur le clan
proallemand du gouvernement dont faisaient partie le ministre de l’Intérieur,
Buffarini Guidi, ou celui des Corporations, Renato Ricci, dont le physique
avantageux faisait dire à Eugène Dollman, un membre de l’ambassade du Reich
à Rome : « Ricci est un beau prétorien du temps de la Rome impériale60. »
Mussolini s’en inquiétait d’ailleurs beaucoup, et ce fut l’une des motivations de
sa décision de février 1941 d’envoyer tous les hiérarques combattre sur les
différents fronts, autant pour satisfaire l’opinion publique que pour les éloigner
du pouvoir.
De toute façon, le parti concentrait sur lui toutes les haines et les
récriminations d’une population fatiguée de la guerre du fascisme. Le groupe des
élus se transformait en une sorte de corps étranger, minoritaire et de plus en plus
brutal, prélude à ce qu’il deviendrait dans la république de Salò.

L’effondrement des fronts


L’origine de la chute du fascisme se trouve dans l’effondrement simultané du
front militaire et du front interne. C’eût été vrai pour n’importe quel système
politique, mais encore plus pour un régime construit sur le mythe de la violence
guerrière, sur le consensus des masses et l’infaillibilité de son prophète.
Le printemps 1942 avait apporté des éclaircies dans le ciel menaçant de
l’Italie en guerre. Las, les victoires attendues ne furent pas au rendez-vous.
Persuadé que le front égyptien allait être enfoncé et qu’il entrerait au Caire sur
un cheval blanc, l’épée de l’islam à la main, Mussolini s’envola pour la Libye et
y patienta en vain près de trois semaines. Les Britanniques arrêtèrent l’offensive
de Rommel dans les sables d’El Alamein, puis passèrent à la contre-attaque
jusqu’à la retraite du « renard du désert » ordonnée le 4 novembre 1942. La
tenaille se refermait. Le débarquement des Alliés au Maghreb le 8 novembre leur
livra le Maroc et l’Algérie, tandis que le général Montgomery conquérait toute la
Libye. Après la perte de l’Ethiopie reconquise par les Britanniques au printemps
1941, il ne restait rien de l’Empire colonial italien en Afrique. Les troupes
résistèrent dans le réduit tunisien jusqu’à leur reddition de mai 1943. La route de
la péninsule était désormais grande ouverte, d’autant qu’aucune bonne nouvelle
n’arrivait des plaines de Russie. Non sans héroïsme, la 8e armée italienne
résistait depuis août 1942 à la puissante contre-offensive soviétique le long du
Don afin de protéger le flanc de la 6e armée de von Paulus chargée de prendre
Stalingrad. La puissance de feu ennemie et les rigueurs de l’hiver russe eurent
raison de la combativité des Italiens qui reculèrent en décembre dans des
conditions apocalyptiques au prix de 85 000 morts. Sur les 70 000 prisonniers
tombés entre les mains des Soviétiques, seuls 10 000 rentrèrent dans leur foyer
après la guerre61.
La situation s’aggravait d’autant plus que l’Italie elle-même devenait un
champ de bataille pilonné par les bombardiers alliés. La terreur aérienne
s’accentua au fil des années et n’épargna que quelques villes d’art. Toutes les
autres, et en particulier les villes siciliennes ou celles du triangle industriel
(Turin, Milan, Gênes), connurent un déluge de bombes pour d’évidentes raisons
stratégiques. Entre octobre et novembre 1942, Milan, Savone, Gênes, Turin
subirent de violents assauts (huit pour les deux dernières), ainsi que Palerme,
Catane, Messine et Trapani. Lors du bombardement du 22 octobre 1942, Gênes
reçut un nombre de bombes équivalent à celui tombé sur Naples depuis 1941 !
Les victimes passèrent de 2 849 en 1942 à 21 408 en 1943. Terrorisées, les
populations n’avaient pas été préparées à subir de tels assauts. Le manque
d’anticipation était évident. La DCA souffrait de carences en moyens et en
budgets. Les abris antiaériens s’avéraient insuffisants. A titre d’exemple, il fallut
attendre octobre 1942 pour qu’un tel abri fût installé à la villa Torlonia,
résidence privée du Duce ! Nombre de citadins se sauvaient à la campagne
contribuant ainsi à la raréfaction des vivres. Près de 340 000 Turinois
abandonnèrent ainsi leur ville, à l’image des 300 000 Génois réfugiés dans les
alentours. A l’évidence, cette campagne de terreur brisa psychologiquement la
population italienne qui se retourna contre son gouvernement62. Le coup de grâce
fut donné le 19 juillet 1943 quand la Ville éternelle, censée être protégée par le
pape, fut à son tour touchée à deux reprises, ce qui accéléra le complot contre
Mussolini. Preuve que les bombardements stratégiques eurent en Italie un impact
politique indéniable dans la chute du régime (à la différence des cas britannique
et allemand). Le fascisme perdait sa guerre de civilisation.
Un événement ne trompa personne sur la fragilisation de la dictature : le
mouvement de grèves de mars 1943. Depuis le début de la guerre, la masse
ouvrière s’était maintenue dans une « attente vigilante63 », ce qui n’empêcha pas
des mouvements de protestations d’éclater à Modène, à Florence, à Ravenne ou
à Forli et dans lesquels les femmes montaient en première ligne. Pourtant
Mussolini veillait à ne pas mettre sous pression les ouvriers qui ne furent placés
sous juridiction militaire qu’en octobre 1942. Toutefois les privations,
l’augmentation des cadences de travail provoquée par les besoins du conflit, le
manque de main-d’œuvre et les bombardements alliés alimentèrent une colère
qui se transforma en fronde ouverte quand la nouvelle de la défaite allemande à
Stalingrad parvint dans la péninsule. En février, des arrêts de travail à Viareggio
et Varese annonçaient un mouvement de plus grande ampleur qui éclata le
5 mars à Turin, se propagea dans le reste du Piémont (Asti, Alessandria, Vercelli)
puis à Milan et en Lombardie pour déborder jusqu’en Emilie. L’action avait beau
rester limitée à quelques heures de débrayage, le coup porté au fascisme n’en
était pas moins rude. Non seulement la classe ouvrière exprimait son
mécontentement au grand jour et en pleine guerre, mais le régime révélait son
impuissance à étouffer des troubles uniquement résolus grâce à l’action
conjuguée des syndicats fascistes et des employeurs. La répression se limita sur
ordre du Duce à 2 000 arrestations (sur près de 100 000 grévistes), à des peines
de prison et à une chape de plomb jetée sur ces pénibles événements. Cela
n’empêchait les bases du fascisme de se fissurer avec l’échec de la propagande
anticommuniste dans le monde du travail. Tout aussi fatal était le basculement
dans son ensemble du patronat en faveur des Alliés64.
La gravité de la situation résidait aussi dans le caractère spontané des grèves.
Situation paradoxale, l’antifascisme ne jouait aucun rôle moteur dans
l’évanouissement du consensus et n’en profitait pas. Ses chefs en exil en
Angleterre ou aux Etats-Unis, inconnus pour certains, discrédités pour d’autres
comme les anciens chefs de l’Italie libérale, ou peu représentatifs, auraient été
bien en peine de coordonner un renversement du régime. Les militants du PCI,
renforcés par les victoires soviétiques et les grèves, tentèrent bien de récupérer à
leur profit le mécontentement général mais se heurtaient au réveil d’un
antifascisme plus modéré dans les forces de la gauche ou du catholicisme. Au
sein même du régime, une opposition subsistait au sein du Sénat, certes fragile,
divisée et pour tout dire impuissante, mais qui en 1943 exprimait ses critiques au
sein de la vénérable assemblée. L’armée elle aussi commençait à gronder devant
l’accumulation des déboires militaires et l’évidente subordination de l’Italie aux
Allemands. Mais il fallait un point de ralliement à ces courants protestataires qui
ne pouvait être que le roi. Or, comme à son habitude, Victor-Emmanuel III
s’enfermait dans un mutisme total. S’il lisait, écoutait, observait, il demeurait
réticent à passer à l’acte tant qu’il n’était pas certain que son coup de majesté
n’entraînerait pas une guerre civile.
Le Duce pouvait-il s’appuyer sur les gardes noirs de la révolution fasciste ?
De ce côté aussi, les critiques contre l’impuissance du régime, la corruption des
hiérarques, la lâcheté des dirigeants fusaient mais comme autant d’appels à
poursuivre la lutte contre la bourgeoisie, à renverser les cadres de cet Etat
bourgeois que le fascisme n’avait toujours pas liquidé. La reconquête des masses
prolétariennes était à ce prix. Ces jeunes impatients plaçaient encore tous leurs
espoirs en Mussolini, surtout lorsqu’il lançait en février 1942 : « Nous voulons
non seulement les porteurs de la carte [du parti], nous voulons surtout les
porteurs de la foi […]. Dehors les pacifistes ! Tous ceux qui disent : “Quand cela
finira-t-il ?” et non “Comment cela finira-t-il ?” » Mais il fallait se rendre à
l’évidence. La véritable révolution n’aurait pas lieu maintenant. Le dictateur,
préoccupé par les potentialités de subversion des fascistes révolutionnaires, leur
tenait toujours la bride au cou avec force65. Cela dit, les conservateurs ne
devaient pas crier victoire.
En effet, un remaniement ministériel décapita en février 1943 neuf
ministères sur douze. Ciano perdit le portefeuille des Affaires étrangères pour
prendre la tête de l’ambassade auprès du Vatican, Grandi celui de la Justice tout
en conservant la présidence de la Chambre, et Bottai l’Education nationale. Puis
le 19 avril, Vidussoni dut céder sa charge de secrétaire général du PNF à un
homme à poigne, Carlo Scorza, ancien fédéral de Lucques. Il devenait évident
que dans un contexte toujours plus tendu Mussolini cherchait à reprendre la main
sur l’appareil gouvernemental et le parti pour une politique beaucoup plus ferme.
C’était sans aucun doute pour lui un moyen de conjurer une possible intervention
allemande en faveur de Farinacci qui, fort de ses liens avec l’ambassade du
Reich à Rome et avec les chefs nazis à Berlin, aurait fait un parfait Duce de
substitution. Mais cette reprise en main ne freinait pas son affaiblissement
charismatique. Pendant la guerre, il ne prononça que quatre discours publics.
Retranché derrière les murs du palais de Venise, il ruminait son amertume,
alimentant les rumeurs les plus folles sur ses capacités à gouverner. Et lorsqu’il
se décida, le 2 décembre 1942, à parler pour la première fois depuis dix-huit
mois devant la Chambre des faisceaux, il le fit avec un tel réalisme sur la
situation qu’il démoralisa une bonne partie de la population ! Pourtant, son
prestige ne se dégradait que très lentement, plus auprès des civils que des
soldats, davantage dans les villes que dans les campagnes. Si son entourage
(Ciano, la famille de sa maîtresse Claretta Petacci) subissait les foudres de
l’opinion publique pour sa corruption, il resta presque jusqu’à la fin préservé des
critiques les plus acerbes66.
Affaiblissement physique aussi. Son état de santé ne cessait d’empirer. Les
désastres militaires, les désillusions, l’intensité du stress minèrent un homme au
pouvoir depuis vingt ans, brisé par la mort de son fils Bruno, le 7 août 1941. Sa
voix se faisait plus faible, ses gestes plus fatigués, trahissant un trouble intérieur
qui s’extériorisait par des douleurs d’estomac abominables. En juillet 1941,
Bottai le vit « pâle, émacié, seul, assailli par la vieillesse ». Il suffisait pourtant
d’une bonne nouvelle militaire pour illuminer son visage avant qu’une autre,
bien plus mauvaise, ne le replongeât dans les affres de la dépression comme ce
fut le cas à l’automne 1942. Usé par cette cyclothymie, le dictateur limitait son
temps de travail comme ses audiences, passait beaucoup de temps reclus à la
villa Torlonia ou dans sa résidence campagnarde de Rocca delle Caminate,
paralysant ainsi encore un peu plus le fonctionnement gouvernemental67. Il
n’était déjà plus en 1943 en état de gouverner un pays qu’il ne connaissait plus et
qu’il avait entraîné dans la catastrophe. La magie n’opérait plus non plus sur les
hiérarques qui l’avaient idolâtré. Bottai notait désabusé dans son journal le
22 janvier 1943 : « Cet homme qui nous avait habitués à croire à son alliance
avec le destin, ne sait plus lui-même quel est son destin68. »
En fin de compte, tout le monde s’estimait trahi. Le fascisme avait promis la
paix sociale, la prospérité, l’ordre interne et le prestige international à une Italie
qui ne récoltait que misères, désordres, destructions et défaites humiliantes. Les
puritains attendaient vainement que les écluses de la révolution s’ouvrissent
devant le flot de leur violence, tandis que le Duce mortifié contemplait
l’anéantissement de son rêve d’homme nouveau et de civilisation fasciste. Bref,
1943 sonnait la fin des illusions.

La chute
La destitution de Mussolini se fit en deux actes. Dans la nuit du 24 au
25 juillet 1943, un vote de défiance du Grand Conseil fasciste l’obligea à rendre
ses pouvoirs militaires au roi, puis en fin d’après-midi du 25 juillet, Victor-
Emmanuel III le destitua et le fit arrêter. Deux étapes pour deux complots, celui
des hiérarques et celui du souverain. Au cœur de cette affaire, plusieurs
questions s’entremêlaient : la succession, la nature du pouvoir (personnel ou
collégial), la poursuite ou non de la guerre et le type de paix par laquelle le pays
devait sortir de la catastrophe.
Depuis le retournement du conflit à l’Est, Mussolini considérait que le salut
résidait dans la signature d’un armistice entre l’Allemagne et l’URSS, même au
prix de l’abandon de la Pologne, ce qui permettrait de se concentrer sur la lutte
en Méditerranée. Sa conviction que Staline n’exigerait pas un changement de
régime en Italie, contrairement aux Anglo-Saxons, entretenait chez lui le refus
d’une solution occidentale de la crise que préconisait pourtant Giuseppe
Bastianini, nouveau sous-secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères. « Le jour où,
affirmait-il, d’une manière ou de l’autre la Russie sera éliminée et neutralisée, la
victoire est à notre portée69. » Encore fallait-il convaincre Berlin. Afin d’y
parvenir, Mussolini séjourna du 7 au 10 avril 1943 à Klessheim, près de
Salzbourg, pour une rencontre décisive avec Hitler. Il y arriva muni d’un dossier
précis que lui avaient fourni les diplomates. Peine perdue. Les nazis ne voulurent
rien entendre et le Duce, une nouvelle fois, ne réussit pas à s’extraire du sortilège
que le Führer exerçait sur lui depuis au moins 1937. Or, le temps pressait. La
Tunisie tomba entre les mains des Alliés en mai, puis ce fut le tour de l’île de
Pantelleria le 11 juin. Enfin, le 10 juillet, les Alliés débarquaient en Sicile qu’ils
conquéraient sans trop de difficultés.
A Rome, l’affolement était perceptible. Victor-Emmanuel III recevait au
Quirinal des militaires appelant au renversement du fascisme, les écoutait tout en
leur demandant de ne rien faire. Outre l’admiration encore éprouvée pour
Mussolini, le vieux roi se méfiait de l’apparente fragilité du régime et voyait
dans le Duce la seule personne susceptible de convaincre les Allemands de
lâcher prise. Non sans habileté, il entretenait de bons rapports avec Grandi,
incarnation du fascisme modéré et institutionnalisé, qu’il décora du collier de
l’Annonciade en mars 1943 et qu’il jugeait plus fiable que Ciano, qui s’était
dérobé en 1940 à une première approche. « Fiez-vous à votre roi », ne cessait-il
de lui répéter pour mieux le retenir. Car l’ancien ambassadeur brûlait de passer à
l’action. Depuis la perte de l’Afrique, il jugeait le remplacement de Mussolini
indispensable pour échapper à la vassalisation définitive vis-à-vis de
l’Allemagne. Seule cette destitution restaurerait l’image de l’Italie à Londres et
Washington et lui éviterait une capitulation sans conditions. Son plan avait le
mérite de la cohérence : le roi chasserait le dictateur au profit d’un
gouvernement dirigé par le vénérable et peu compromis maréchal Caviglia et
composé d’anciens fiancheggiatori, ces compagnons de route du début des
années 1920. Ce régime autoritaire restaurerait les Chambres, affaiblirait le PNF
et supprimerait le Tribunal spécial, négocierait un armistice avec les
Occidentaux pour ensuite déclarer la guerre à l’Allemagne70. Ciano de son côté
faisait une analyse proche, convaincu de la nécessité d’un changement de
pouvoir pour sortir de l’Axe tout en continuant la guerre contre l’URSS.
Toutefois, Grandi se méfiait de lui à cause de ses liens familiaux avec le Duce.
On remarquera que l’idée d’un changement faisait aussi son chemin dans
l’esprit de Farinacci mais dans une optique radicalement différente. Pour le ras,
Mussolini n’était plus l’homme de la situation. Il avait beau le prévenir des
menaces de complots entre les militaires, les hiérarques et le Quirinal, le
dictateur n’ordonnait pas cette épuration pourtant indispensable pour liquider
tièdes et traîtres. Incapable d’arracher la victoire ou d’imposer la paix, il perdait
donc toute légitimité à gouverner. Une réorganisation du pouvoir s’avérait
nécessaire au profit d’hommes à la poigne de fer et capables de revivifier
l’alliance avec le Troisième Reich. Farinacci, en lien avec Scorza, pensait bien
sûr à lui et au portefeuille de l’Intérieur. Et dans un premier temps, sa ligne parut
prévaloir.
Le débarquement en Sicile accéléra les initiatives. Le 16 juillet, plusieurs
hiérarques, dont Farinacci, Bottai, De Bono, Suardo, Giuriati se réunirent au
siège du parti autour de Scorza, le chef du PNF, puis se rendirent au palais de
Venise. Ciano malade d’une otite et Grandi encore à Bologne n’y assistaient pas.
Mussolini, visiblement reposé et serein, écouta avec attention l’exposé de Bottai
qui lui assura être venu pour sauver le fascisme : « Nous demandons que la
révolution reconstitue ses organes pour agir comme l’heure l’impose. Nous ne
sommes pas ici pour demander une diminution de tes pouvoirs ; ni pour diviser
c’est-à-dire fractionner, ta responsabilité. Nous sommes ici […] pour demander
de partager ta responsabilité71. » Pour résumer, une révision du mode de
fonctionnement du régime dans un sens plus collégial. Le Duce finit par
satisfaire la demande d’une convocation du Grand Conseil fasciste. L’instance
suprême du PNF n’avait pas été réunie depuis décembre 1939 et apparaissait
comme le lieu idoine pour imposer une collégialité. La date fut fixée au
24 juillet. Farinacci rédigea un ordre du jour qui, tout en restituant les pouvoirs
militaires au souverain, en limitait la portée par le transfert des pleins pouvoirs
au PNF72. Meilleur moyen, pensait-il, d’arriver au pouvoir sans pression
allemande apparente.
Pour le moment, Mussolini avait un nouveau rendez-vous avec Hitler, le
19 juillet 1943 à Feltre, près de Trévise. Fort du soutien du Japon, il pensait
arracher à son allié le principe d’une paix séparée à l’Est. Mais la nouvelle de
l’échec de l’offensive allemande à Koursk en Russie, arrivée la veille, balayait
tout espoir de voir le Reich s’engager dans cette voie. De surcroît, le
bombardement de Rome advenu le même jour obligea Mussolini à un retour
précipité. Un échec complet donc qui scella le sort du fascisme en ayant raison
des dernières hésitations ; celles du général Ambrosio, chef d’état-major général
depuis février 1943 et de son adjoint Castellano, tous les deux proches de la
Couronne, comme celles du monarque désormais convaincu de l’impuissance
mussolinienne. Les hiérarques lui donnèrent le prétexte institutionnel qu’il
attendait pour une action politique.
On notera que Grandi ne joua aucun rôle dans la convocation du Grand
Conseil, mais il ne laissa pas passer cette occasion inespérée. Revenu à Rome le
20 juillet, il rédigea un ordre du jour le plus modéré possible afin de rallier la
majorité du Grand Conseil qu’il savait hostile à un renvoi de Mussolini. Le texte
ne parlait que de rendre au roi ses pouvoirs militaires et de laisser au Duce ses
prérogatives politiques mais avec un véritable Conseil des ministres. Grandi le
présenta d’abord à Bottai le 22 juillet puis à Mussolini. Par cette démarche et par
son argumentation en faveur d’un gouvernement national autour du souverain,
sans doute espérait-il atténuer les soupçons de conjuration et lui offrir une sortie
la plus digne possible. Mais il ne put rien obtenir. Puis le lendemain, il retrouva
Bottai pour une nouvelle discussion autour du texte dans le bureau de Scorza en
présence aussi de Ciano qu’il consentit à associer à son initiative sous la pression
de Bottai. Le 24 juillet, les trois conjurés cautionnèrent le texte définitif avant de
se rendre à 17 heures au palais de Venise, non sans s’être au préalable munis
d’armes gonflant leurs poches ! A ce stade, il était entendu que même si
Mussolini était débarqué, le pouvoir resterait aux mains des fascistes, d’une
manière ou d’une autre, avec l’assentiment royal. Or, au Quirinal, un autre
scénario avait été écrit. Les hommes du roi – le général Ambrosio, le ministre de
la Maison royale Pietro Acquarone – considéraient eux aussi que l’occasion ne
se représenterait pas et que, même dans la précipitation, il fallait se débarrasser
de l’encombrant dictateur.
Le décor était en place pour la tragédie finale. Une chaleur torride écrasait
Rome. Les rues étaient désertes. En arrivant au palais de Venise, De Vecchi
croisa De Bono qui, prêt à mener une rude bataille, s’était lui aussi muni
d’armes73 ! Tous entrèrent dans la salle du Grand Conseil fasciste. Mussolini, en
habit de milicien, s’assit au centre comme de coutume avec à sa droite De Bono
et De Vecchi et à sa gauche Scorza et Suardo. Il ouvrit la séance à 17 h 15 puis
parla pendant deux heures pour justifier sa politique et sa manière de conduire la
guerre en rejetant la responsabilité des désastres sur les militaires. L’ordre
suivant lequel les hiérarques parlèrent varie selon les sources. Mais quand
Grandi prit la parole pour lire et expliquer son ordre du jour, son discours selon
Bottai passa « comme un vent de tempête sur la petite assemblée ». D’autres lui
emboîtèrent le pas comme De Bono, De Vecchi, Suardo et même Ciano qui
mena une charge contre les trahisons des Allemands. Le plus modéré dans ses
attaques resta, contre toute attente, Farinacci. Mussolini écoutait sans rien dire
avec, selon De Vecchi, un regard et une pâleur qui trahissaient son épuisement
intérieur74.
Vers minuit, Scorza proposa un ajournement de la réunion qui fut refusé.
Seule une pause permit aux uns et aux autres de faire un premier compte des
votes. Mussolini semblait sans illusions si l’on en croit les billets qu’il envoya à
sa maîtresse Claretta Petacci pendant l’interruption de séance. Et en effet, quand
les débats reprirent et qu’on passa au vote sur l’ordre du jour de Grandi à
2 heures du matin, le texte reçut 19 oui contre 7 non. Même Ciano alla jusqu’au
bout de la trahison, tandis que Farinacci votait pour son propre texte. Mussolini
et Suardo s’abstinrent. Il était 2 h 40 du matin, le 25 juillet 1943.
En convoquant le Grand Conseil, Mussolini pensait parvenir à dégager une
majorité pour se maintenir au pouvoir et renforcer son autorité contre ses
ennemis. Son plan s’était retourné contre lui. Mais tout restait possible puisque
le Grand Conseil n’avait qu’une valeur consultative. Qui plus est, sa convocation
n’avait pas respecté les formes et les délais légaux ; arguments que Scorza
avançait devant son chef une fois tous les deux revenus dans son bureau après la
séance. En fait, le dictateur croyait dur comme fer au soutien du roi. Jamais il
n’imagina qu’il pût le destituer suite au vote de la nuit. Ainsi alla-t-il se coucher
à la villa Torlonia l’esprit tranquille. Quant aux hiérarques félons, tous se
faisaient d’identiques illusions. Ils eurent, c’est indéniable, un courage qui
manqua aux dirigeants soviétiques en juin 1941, celui de se servir de la défaite
pour se débarrasser du tyran. Mis devant un choix crucial, ils préférèrent la
loyauté à l’égard de l’Italie à celle pour Mussolini à qui pourtant ils devaient
tout. L’ambition eut bien sûr sa part d’influence puisqu’autant Ciano le
superficiel, Grandi le diplomate que Farinacci l’intransigeant attendaient d’être
appelés au pouvoir par le roi alors que le vieux renard du Quirinal s’apprêtait à
opérer une sorte de coup d’Etat liquidant le régime.
Le lendemain, arrivant vers 8 heures au palais de Venise, le Duce se mit au
travail avant de demander à être reçu par le souverain pour la fin de la journée.
Vers midi, il accorda une entrevue à l’ambassadeur japonais qui trouva un
homme certes éprouvé mais pas du tout abattu. Bien au contraire, le dictateur lui
confia sa conviction de pouvoir encore convaincre Hitler de signer une paix avec
l’URSS grâce à laquelle l’avancée des Alliés en Italie pourrait être arrêtée75.
Preuve s’il en était besoin de sa détermination à poursuivre la guerre contre les
Anglo-Saxons et de sa certitude de rester à son poste. Il partit donc confiant à la
villa Savoia, la résidence privée de Victor-Emmanuel III, pour torpiller le vote
de la nuit. Mais rien ne se passa comme prévu. Le roi lui annonça sa destitution
et son remplacement, non pas par un fasciste modéré, mais par le maréchal
Badoglio. Abasourdi, le dictateur ne réagit pas. Une fois raccompagné par le roi
jusqu’au perron, il s’apprêtait à reprendre sa voiture quand des carabiniers
l’arrêtèrent. Forcé de monter dans une ambulance, il fut transféré dans une
caserne de Rome76. Sans opposer aucune résistance, il se laissa embarquer avec
l’apathie d’un homme déjà absent, au regard perdu, victime d’un écroulement
psychologique provoqué par les trois chocs traumatiques subis en quelques
heures : le vote du Grand Conseil, le renvoi et l’arrestation. Vingt minutes
suffirent pour mettre fin à un régime qui gouvernait le pays d’une main de fer
depuis vingt ans.
11
La république de Salò et le retour aux sources

A l’automne 1943, s’ouvrit le dernier chapitre de l’histoire du fascisme avec


l’installation dans le nord et le centre de l’Italie de la République sociale
italienne (RSI) passée dans l’histoire sous l’expression de république de Salò. Si
cet Etat fantoche prit parfois les traits d’un vaudeville amer ou d’une farce
sinistre, il n’en constitua pas moins l’expression sans fard du fanatisme de la
révolution fasciste. La RSI comportait en effet tous les traits d’un Etat
révolutionnaire : hantise du complot, soif d’épuration, élimination des traîtres,
luttes de clans entre modérés et radicaux, guerre civile à l’arrière du front
militaire et grands procès politiques. En réalité, jamais le fascisme, désormais
débarrassé de la monarchie et redevenu républicain, ne fut aussi en cohérence
avec lui-même que pendant les dix-huit mois d’existence de la république de
Salò. Né dans les provinces septentrionales de la péninsule, il y mourut, écrasé
par les Alliés et abandonné par les Allemands. Pour Mussolini et les siens, tout
avait commencé en 1919 à Milan et s’acheva en 1945 dans la même ville.
Comme l’expression du retour aux sources qui irrigua le fascisme dans sa phase
finale.

Tel un château de cartes…


La rapidité et la facilité avec lesquelles le régime fasciste se désintégra une
fois Mussolini sous les verrous stupéfièrent les contemporains et ne cessent
depuis lors d’interroger les historiens. En effet, sitôt la nouvelle de l’arrestation
transmise à la radio dans la soirée du 25 juillet, une multitude d’Italiens
descendirent dans les rues, à Rome et ailleurs, pour exprimer une joie
irrépressible pour la chute du dictateur et pour ce que tous prenaient pour le
premier pas vers la paix, alors même que Badoglio, prudent, avait précisé que la
guerre continuait. La foule s’attaqua aux symboles du régime : photographies
mussoliniennes déchiquetées et autres bustes renversés, sièges du parti saccagés,
militants agressés. Au milieu de cette grande fête expiatoire, sur laquelle flottait
le drapeau tricolore aux armes des Savoie fusaient les slogans patriotiques les
plus traditionnels : « Vive le roi ! Vive l’armée ! Vive l’Italie ! » Les Italiens se
débarrassaient du fascisme comme un reptile de sa vieille peau en le dissociant
de la nation dont il s’était voulu le seul représentant1. Le régime payait sa guerre
et ses désastres.
Tout aussi stupéfiante se révéla l’apathie du groupe dirigeant fasciste.
Badoglio, il est vrai, ne perdit guère de temps pour briser l’appareil partisan.
Puisque la principale menace venait d’une réaction hostile de la Milice, il l’isola
en coupant ses communications téléphoniques avant de faire encercler son
quartier général par l’armée. Dans la nuit du 25 au 26 juillet, son commandant,
le général Galbiati, céda sans résistance son autorité au général Armeline. La
Milice put ainsi être fondue au sein des forces armées. Le 27 juillet, une cascade
de mesures acheva de démanteler l’ancien régime : dissolution du PNF, du
Grand Conseil, du Tribunal spécial, de la Chambre des faisceaux, tandis qu’était
interdite toute manifestation, favorable ou hostile, au fascisme. Enfin, une vague
d’arrestations permit de mettre la main sur quelques figures potentiellement
dangereuses comme Scorza et le général Cavallero vite libérés une fois la
situation stabilisée. Dans le même temps, une campagne de presse virulente se
déchaînait contre les hiérarques, lâches, embusqués et corrompus.
Pourtant, les plus durs auraient pu saisir la balle au bond, résister au coup de
majesté en usant de la force et libérer Mussolini. C’était d’ailleurs ce qu’espérait
l’ambassade d’Allemagne à Rome qui s’attendait à voir arriver des hiérarques
décidés à en découdre, Farinacci au premier rang. Celui-ci, prévenu le 25 juillet
en fin d’après-midi par Scorza que quelque chose était arrivé à Mussolini, s’était
certes rendu prestement au siège du PNF, puis au ministère des Affaires
étrangères où il prit la mesure du délitement général. Il partit alors pour
l’ambassade du Troisième Reich où le colonel SS Eugène Dollman vit arriver un
homme « pâle et tremblant de peur », pressé de prendre un avion pour
l’Allemagne, ce qu’il fit le lendemain2. Aucun des autres hiérarques signataires
de l’ordre du jour Grandi ne se trouvait en état de réagir à cette journée des
dupes. Le Duce, pour une fois, avait eu raison. Sans lui, tout s’écroula. Son
arrestation disloqua en même temps que le césarisme totalitaire le ressort qui
animait les fascistes, soudain brisés par la perte de leur chef.
Un ultime coup leur fut porté au mois d’août. D’insistantes rumeurs circulant
dans la capitale au sujet d’un coup d’Etat opéré par les hiérarques, Badoglio
ordonna le 22 août d’embastiller ceux sur lesquels on pouvait encore mettre la
main : Bottai, le général Cavallero, l’ancien secrétaire à l’Intérieur Buffarini
Guidi. Quant à Muti, l’éphémère secrétaire général du PNF, il fut assassiné le
24 août lors de son arrestation dans des conditions assez troubles. De son côté,
Ciano, après avoir démissionné de son poste d’ambassadeur auprès du Saint-
Siège le 31 juillet et sentant le vent tourner, prit contact avec l’ambassade
d’Allemagne pour un départ vers l’Espagne. Les nazis lui affrétèrent alors un
avion qui effectivement lui permit de quitter la péninsule le 27 août mais pour un
voyage sans escale vers Munich… Pendant ce temps, l’ancien dictateur
naviguait de prison en prison. Après la caserne romaine, le gouvernement le
transféra sur l’île de Ponza, au large du littoral entre Rome et Naples, puis sur
celle de la Maddalena, entre la Corse et la Sardaigne, et enfin dans les Abruzzes,
au sommet du Gran Sasso, geôle que l’on pensait inexpugnable.
Dans ces conditions, le roi et Badoglio se croyaient suffisamment forts pour
négocier avec les Alliés un armistice leur permettant de sortir du conflit tout en
endormant un allié allemand qui avait, depuis longtemps, perdu toute confiance
dans le cabinet de Rome, qu’il fût fasciste ou pas. Passons sur les détails de ces
négociations pour arriver à leurs résultats : la signature de l’armistice de
Cassabile le 3 septembre suivie de son annonce officielle prématurée par les
Anglo-Saxons le 8 septembre. Pris dans une souricière, Badoglio annonça dans
la soirée à la radio la fin de la guerre à une Italie tétanisée. Aux premières lueurs
de l’aube du 9 septembre, Victor-Emmanuel III et une partie du gouvernement
s’échappèrent de Rome afin de ne pas tomber entre les mains des nazis et
échouèrent à Brindisi où ils installèrent ce qu’il restait d’Etat italien. A cette
secousse institutionnelle s’ajouta un écroulement total de l’armée qui, laissée
sans ordres précis, ne savait quelle attitude adopter face aux Allemands.
Or, ceux-ci savaient exactement quoi faire. Dès le 25 juillet, la Wehrmacht
avait dépêché neuf divisions supplémentaires dans la péninsule pour préserver
ses lignes de communications avec le front de Sicile. A l’annonce de l’armistice,
l’Allemagne prit le contrôle du pays et chercha à s’emparer des troupes
italiennes. Abandonnés à eux-mêmes, les officiers durent décider soit de résister
soit de se livrer à un allié devenu ennemi. Des milliers de soldats préférèrent
jeter l’éponge et s’enfuir pour échapper à la captivité, d’autres résistèrent et
furent impitoyablement massacrés comme dans l’île grecque de Céphalonie ou
dans les Balkans. Plus de 800 000 captifs prirent le chemin de la déportation vers
les camps allemands. Une grande partie de l’Italie passait sous l’occupation
ennemie. Seule la marine royale échappa à la nasse en rejoignant les Anglo-
Saxons. Bref, le 8 septembre, l’Italie connut un écroulement politique et militaire
aussi grave que traumatisant et qui rappelait celui de la France en juin 1940.
A l’instar de toute la société italienne, les fascistes vécurent l’effondrement
du 8 septembre, après la blessure du 25 juillet, comme une commotion qui
détermina bien des adhésions à la future RSI. Un triple traumatisme en réalité :
celui tout d’abord de l’humiliation de l’armistice, de la violation de l’alliance
avec l’Allemagne, de la fuite du roi ; celui ensuite de voir des soldats italiens,
forgés par vingt années de fascisme, déposer leurs armes sans combattre pour
rentrer chez eux, jetant ainsi à la face du monde l’échec de l’homme nouveau ;
celui enfin de la trahison du perfide Victor-Emmanuel III, du lâche Badoglio
mais surtout du déloyal et bien faible peuple italien qui explosa de joie à la chute
du Duce3. Le 8 septembre ou la mort de la nation fasciste : nous sommes là dans
le cœur idéologique du fascisme de Salò.

La main de l’Allemagne
Hitler ne s’illusionnait guère sur les possibilités de conserver le sud de la
péninsule que les Alliés en effet conquirent entre le 3 septembre, date du
débarquement en Calabre, et le 1er octobre, jour de leur entrée dans Naples. D’où
son obsession d’établir un contrôle draconien sur les régions centrales et
septentrionales, Rome comprise. Ainsi s’expliquent les directives cruelles émises
par l’OKW à l’encontre des soldats et officiers italiens résistant à la Wehrmacht.
Mais cela ne résolvait pas la question du type d’autorité que Berlin établirait sur
ces régions. Le 10 septembre, une réunion des principaux dirigeants nazis mit à
jour les divergences entre civils et militaires, les premiers favorables à une entité
autonome, les seconds à une administration directe. La solution politique
l’emporta car la restauration d’un Etat fasciste comportait un message en
direction des autres alliés du Troisième Reich éventuellement tentés eux aussi
par l’aventure. Berlin disposait en plus de la carte des fascistes ayant rejoint
l’Allemagne après la chute du régime : Giovanni Preziosi, ancien ministre d’Etat
que le 25 juillet avait surpris alors qu’il se trouvait déjà en Allemagne ;
Alessandro Pavolini, ancien ministre de la Culture populaire en fuite depuis le
27 juillet ; Renato Ricci qui déguerpit d’Italie après la mort de Muti ; le propre
fils du Duce Vittorio et enfin Farinacci. Celui-ci avait une nouvelle fois manqué
le coche en se lançant dans une violente critique contre Mussolini lors de son
entretien du 27 juillet avec un Hitler qui ne lui pardonna pas un tel blasphème.
Placé à l’isolement à Marienbad, en Bohême, il n’en fut sorti que le 8 septembre
pour s’entretenir pendant trois heures avec le chef du nazisme avant de rejoindre
le groupe des fascistes réunis au grand quartier général allemand. Pendant ce
temps, à Rome, le général Kesselring libérait des geôles plusieurs autres
personnalités comme Buffarini Guidi et Cavallero. Ce gouvernement de
survivants du fascisme devait servir aux nazis pour maintenir l’ordre en Italie. Ils
les laissèrent donc s’adresser aux Italiens à la radio dans la nuit du 9 septembre.
Or, le Führer n’éprouvait que mépris pour ces petits chefs, divisés par des
rancunes personnelles et sans réelle représentativité. Qui plus est, aucun ne
possédait le charisme de Mussolini pour lequel il nourrissait toujours une vive
admiration. Sa loyauté à son égard demeurait intacte, d’autant que sa
détermination à restaurer le fascisme dans sa patrie originelle rendait le retour du
fondateur indispensable. « Le Duce, écrivait Goebbels dans son journal intime,
sera le dernier Romain à entrer dans l’histoire ; mais dans l’ombre de cette
grande figure se cachait un peuple de bohémiens. » C’était la raison pour
laquelle, dans le radio-message du 9 septembre, l’annonce de la formation du
gouvernement provisoire néofasciste, prêt à s’installer en Italie dès que possible,
fut faite « au nom du Duce ». Encore fallait-il le trouver et ce avant que le
gouvernement italien ne le livrât aux Anglais comme le prévoyait l’armistice de
Cassibile. Quand ce fut chose faite, une opération commando, rondement menée
sous les ordres du commandant SS Otto Skorzeny, le délivra de sa résidence
surveillée du Gran Sasso, le 12 septembre 1943. Le lendemain, son avion atterrit
à Munich où il retrouva, encore hagard, son fils et sa brave Rachele, avant de
repartir pour Rastenburg, en Prusse-Orientale, où l’attendait son effrayant
libérateur.
Leur entretien fut certes cordial mais comme nous le prouvent les
confidences d’Hitler à Goebbels, la confiance dans le Duce s’était
singulièrement érodée. En effet, Mussolini, brisé psychologiquement par sa
chute, son arrestation et sa captivité, complètement isolé du monde extérieur
jusqu’à sa libération, n’était plus que l’ombre de lui-même et semblait sur le
point de se retirer. Or, les pressions comme les menaces d’Hitler, prêt, semble-t-
il, à « poloniser » l’Italie, le convainquirent de remonter en selle pour protéger le
pays. On prendra toutefois garde à l’argument, avancé par les fascistes pendant
et après la guerre, d’un Mussolini se sacrifiant pour préserver son pays des
dévastations allemandes, justification commode, alors même qu’à cette date la
victoire de l’Axe pouvait encore sembler possible et avec elle la renaissance
d’un Etat fasciste. En outre, quel intérêt les Allemands auraient-ils eu à dévaster
un pays dont ils avaient besoin pour combattre les Alliés ? Ce qui paraît
indiscutable, c’est que l’accord de Mussolini pour la création d’un nouvel Etat
brisa, comme l’a très bien expliqué Renzo De Felice, le caractère national et
purement antiallemand qu’aurait pu prendre la résistance, ce qui plongea l’Italie
dans la guerre civile en conférant au Parti communiste le pouvoir de la
transformer en guerre sociale4.
Le soir du même jour, Mussolini rencontra les chefs fascistes pour jeter les
fondements du futur Etat. Celui-ci reposerait avant tout sur une nouvelle milice
commandée par Renato Ricci et un nouveau parti unique, le Parti fasciste
républicain (PFR), confié à Alessandro Pavolini. L’ancien ministre du
Minculpop devenu le numéro deux de la RSI prit dès lors les traits d’un
Robespierre du fascisme, aussi cultivé qu’impitoyable, aussi incorruptible que
glacial, un brin romantique, aimant le flirt avec la mort et décidé à éliminer
impitoyablement les traîtres du 25 juillet, véritable traumatisme de sa vie5. Le
17 septembre, Mussolini put s’envoler pour Munich d’où, le 18, il prononça un
discours fondateur à la radio.

Chemises noires, Italiens et Italiennes ! Après un long silence voici que de nouveau vous parvient
ma voix et je suis sûr que vous la reconnaîtrez, c’est la voix qui vous a appelé au rassemblement dans
les moments difficiles et qui a célébré avec vous les journées triomphales de la patrie.

Passé ce moment d’émotion de nature à recréer le lien religieux entre le
Duce et son peuple, il jeta les pires imprécations contre la dynastie de Savoie
« agent principal du défaitisme et de la propagande antiallemande », beaucoup
plus attaquée que Badoglio. Puis, il traça les contours d’un programme
politique :

1. Reprendre les armes aux côtés de l’Allemagne et du Japon et des autres alliés. Seul le sang peut
laver une page aussi ignominieuse de l’histoire de la Patrie.
2. Préparer sans attendre la réorganisation de nos forces armées autour des formations de la
Milice. Seul celui qui est animé de la foi et combat pour une idée ne mesure pas l’ampleur des
sacrifices.
3. Eliminer les traîtres ; en particulier ceux qui jusqu’à 21 h 30 le 25 juillet militaient, parfois
depuis plusieurs années, dans le Parti et sont passés dans les rangs de l’ennemi.
4. Anéantir les ploutocraties parasitaires et faire du travail le centre de l’économie et la base
inviolable de l’Etat.


Le message s’acheva par un appel partisan :

Chemises noires fidèles de toute l’Italie !
Je vous appelle de nouveau au travail et aux armes. […]
Vous squadristes, reconstituez vos bataillons qui ont accompli des gestes héroïques.
Vous jeunes fascistes, engagez-vous dans les divisions qui doivent renouveler, sur le sol de la Patrie,
la glorieuse entreprise de Bir el Gobi6.
Vous aviateurs, retournez avec vos camarades allemands à vos postes de pilotage pour rendre vaine
et dure l’action ennemie sur nos villes.
Vous femmes fascistes, reprenez votre œuvre d’assistance morale et matérielle, si nécessaire au
peuple.

Pour ceux qui en auraient douté, le fascisme renouait avec sa violence
intrinsèque, autant verbale que physique pour reprendre le combat. Et on aura
noté que le Duce ne s’adressait pas à la nation mais bien aux fascistes. Car la
honte du 8 septembre, si elle était avant tout imputable aux traîtres, retombait
aussi sur l’ensemble du peuple italien qui fit, à cette occasion, la preuve de son
indignité. Le fascisme ressuscité ne pouvait donc s’appuyer sur cette « plèbe »
mais sur son élite exclusive au risque d’apparaître pour ce qu’il avait été à ses
origines, une faction.
A ce stade, deux questions restaient sans réponse. La première concernait la
formation du gouvernement. Le 17 septembre, Pavolini, nouveau chef du PFR,
arriva dans Rome occupée par les Allemands. Après avoir installé le siège du
parti au palais Wedekind, à l’angle de la place Colonna, il s’échina à recruter des
ministres. La mort mystérieuse du général Cavallero, la trahison de De Bono et
la fuite d’Ambrosio avec le roi limitèrent les choix pour le portefeuille de la
Guerre dont hérita le maréchal Rodolfo Graziani, ancien pacificateur de la Libye
et de l’Ethiopie, retiré des affaires depuis la campagne d’Afrique et ennemi de
Badoglio depuis toujours. L’Intérieur échut à Buffarini Guidi, les Affaires
étrangères à Serafino Mazzolini, l’Education nationale à Alberto Biggini, la
Culture populaire à Fernando Mezzasoma. On le voit, à quelques exceptions
près, des seconds couteaux. Farinacci se serait bien vu ministre de l’Intérieur
mais le veto du Duce l’en empêcha, et il se retira à Crémone dans une opposition
tout sauf silencieuse. Les ministres se réunirent pour la première fois le
23 septembre dans le bâtiment de l’ambassade d’Allemagne (tout un symbole !)
avant de prendre le chemin de Rocca delle Caminate, la résidence de campagne
du Duce où celui-ci s’était installé. Le premier Conseil des ministres se tint donc
là, le 27 septembre.
La seconde question était celle de la capitale du nouvel Etat. Rome bien sûr
s’imposait afin de laver l’affront du 25 juillet, de reprendre, depuis le palais de
Venise, le fil de l’histoire là où la trahison l’avait interrompu. Peine perdue.
Berlin s’y opposa sans doute par crainte des contacts secrets et subversifs avec
les administrations et la population romaines dont on avait vu le peu de fiabilité.
Milan alors ? Mais c’était exposer la ville-mère du fascisme aux bombardements
destructeurs des Anglo-Saxons. Le choix se porta alors sur la région des grands
lacs bordant la plaine du Pô, sur les contreforts des Alpes. Les ministères se
dispersèrent donc entre plusieurs villes : l’Intérieur à Maderno, la Justice à
Crémone, la Culture populaire à Venise, l’Education nationale à Padoue, la
présidence du Conseil à Bogliaco et les Affaires étrangères à Salò qui accueillit
aussi le sous-secrétaire d’Etat à la Propagande, donnant à la RSI le sinistre nom
avec lequel elle passa dans l’histoire. Le 10 octobre, Mussolini quitta sa
Romagne natale pour sa résidence officielle, la villa Feltrinelli, à Gargnano, sur
le lac de Garde dont il haïssait pourtant les paysages. Le 1er décembre, tout fut en
place : la RSI était officiellement proclamée, reconnue par les alliés de l’Axe
(Roumanie, Bulgarie, Slovaquie, Croatie, Japon, république chinoise de Nankin
et Mandchoukouo). Un moment tenté par une reconnaissance, le rusé Franco
maintint en fin de compte ses relations diplomatiques avec le cabinet Badoglio7.

La république fasciste et socialiste


Encore fallait-il faire fonctionner l’Etat. Les fonctionnaires en poste à Rome
ne se bousculèrent pas pour rejoindre leurs administrations. Mais ceux qui le
firent y arborèrent un « esprit garibaldien et fiumien8 ». Le corps des diplomates
était à cet égard révélateur de ce peu d’enthousiasme et de la fidélité au roi
maintenue malgré la crise du 8 septembre. Un ambassadeur néanmoins ne digéra
pas l’humiliation infligée à la patrie, Filippo Anfuso, chef de la légation de
Budapest. Ami de jeunesse de Ciano dont il devint le directeur de cabinet, il
rédigea aussitôt un message de fidélité : « Duce, avec vous jusqu’à la mort. » Et
Mussolini de lui répondre : « Anfuso, j’ai reçu votre télégramme, je n’attendais
pas autre chose de vous… » Le diplomate hérita donc de l’ambassade italienne à
Berlin avant de prendre la tête de la diplomatie à la mort de Mazzolini en
mars 1945. Mais la récolte s’avérait de toute façon maigre. Quelques grands
noms du monde intellectuel et artistique, comme Giovanni Gentile et Filippo
Marinetti, apportèrent un soutien qui ne compensait pas la fragilité
institutionnelle du régime.
Qui plus est, le territoire sur lequel la souveraineté de la république fasciste
s’exerçait ne correspondait pas aux limites officielles de l’Etat italien. En effet,
toujours occupé par la Wehrmacht, il était d’une part divisé entre la zone du front
sous commandement du feld-maréchal Rommel et celle de l’arrière, occupée par
les troupes de Kesselring. Il faut y ajouter les zones d’opérations des Préalpes
(Haut Adige) et du littoral adriatique (Dalmatie, Vénétie Julienne, Frioul)
placées sous l’autorité de deux gauleiters et de facto annexées par le Reich alors
qu’elles constituaient les anciennes provinces irrédentes. S’y ajoutaient deux
commandements SS, l’un à Rome, avec le général Kappler, et l’autre en Italie du
Nord, avec l’ex-chef d’état-major de Himmler, le général Karl Wolff. Enfin,
Mussolini avait auprès de lui un « plénipotentiaire du Grand Reich »,
l’ambassadeur Rudolf Rahn installé à Fasano et chargé de la défense des intérêts
allemands. On mentionnera pour être complet l’autorité du général Toussaint,
plénipotentiaire de la Wehrmacht en Italie et la présence autour du Duce de deux
officiers allemands, le colonel Jandl et le capitaine Hoppe. Sa mise sous
surveillance et l’écran que formaient Wolff et Rahn entre lui et les réalités
contribuaient à son isolement croissant. De tous côtés, sa marge de manœuvre
apparaissait étroitement encadrée.
Pourtant, il était bien décidé à construire un Etat digne de ce nom qui ne
serait pas la marionnette des nationaux-socialistes et à laisser dans l’histoire
l’image d’un grand législateur9. Pour cela, il se fixa trois objectifs : la mise sur
pied d’une armée autonome, la convocation d’une Assemblée constituante et la
socialisation des entreprises. Les embûches pour réaliser le premier objectif
éclairaient d’une lumière cruelle la subordination à l’Allemagne autant que les
divisions internes au groupe dirigeant. En effet, Mussolini s’était, on s’en
souvient, prononcé dans son discours du 18 septembre en faveur d’une armée
avant tout fasciste incarnée dans la Milice, ce qui correspondait aux vues des
deux étoiles du noyau dur fasciste, Pavolini et Ricci. Or, le maréchal Graziani,
ministre de la Guerre, mit tout son prestige dans la balance pour obtenir une
armée apolitique, reflet de la nation dans son ensemble. Il réussit à convaincre le
Duce lors d’une entrevue à la Rocca delle Caminate le 3 octobre et put partir en
Allemagne négocier un premier accord signé par son collaborateur le colonel
Canevari, prévoyant le recrutement de 12 000 hommes parmi les prisonniers
italiens, eux-mêmes futurs instructeurs de soldats enrôlés en Italie. Le Conseil
des ministres du 28 octobre s’avéra tempétueux, les « durs » contestant l’accord
et encore plus l’interdiction imposée aux soldats d’adhérer au PFR. Mussolini
trancha : l’armée resterait apolitique tandis que la Milice conserverait son
autonomie.
Les accords avec Berlin, finalisés entre le 1er et le 4 décembre, prévoyaient la
formation de quatre divisions italiennes (une Alpine et trois d’infanterie)
formées en Allemagne qui devaient être complétées par une conscription en
Italie même. L’humiliation était dure à avaler pour Mussolini, et ce d’autant plus
que la levée organisée pendant l’automne-hiver 1943 ne donna que peu de
résultats. Graziani dut alors signer un décret daté du 19 février 1944 menaçant de
mort les déserteurs. La levée d’avril 1944 ne rencontra pas plus de succès,
gonflant au contraire les rangs de la résistance et décrédibilisant encore un peu
plus la RSI. De toute façon, si Hitler avait apporté son appui à la constitution
d’une armée italienne pour consolider la RSI, il n’avait pas l’intention de
l’employer directement sur le front contre les Alliés – trop de méfiance subsistait
– alors qu’il s’agissait pour Mussolini d’un véritable point d’honneur. Un succès
aurait, il n’en doutait pas, fortifié sa république. « J’ai besoin d’une victoire,
assurait-il, donnez-moi une petite Valmy ! » Mais l’allié allemand préférant voir
ces soldats engagés dans la lutte antipartisane, les combats sur le front restèrent
très limités10.
L’autre conséquence de cet échec fut la montée en force d’unités militaires et
de groupes plus ou moins autonomes. Officiellement créée le 8 décembre 1943
et placée sous les ordres de Ricci, la Garde nationale républicaine (Guardia
nazionale repubblicana, GNR) devait jouer le rôle de police chargée du maintien
de l’ordre. Pendant l’hiver 1943-1944, elle se consacra au combat contre les
partisans avec des résultats très mitigés, son efficacité étant minée de l’intérieur
par l’hétérogénéité de sa composition faite de miliciens, de carabiniers, d’agents
de l’ancienne police de l’Afrique italienne. La quantité de ses effectifs (autour de
100 000 hommes) ne put jamais compenser la faiblesse de leur qualité11. La
rivalité pour le contrôle des forces armées permit qui plus est à des chefs
militaires de jouer aux « seigneurs de la guerre ». Ce fut le cas de Junio Valerio
Borghese. Issu d’une des plus prestigieuses lignées de l’aristocratie romaine, cet
ancien des guerres d’Ethiopie et d’Espagne refusa l’infamie du 8 septembre et
s’engagea pour l’honneur et l’intégrité de la patrie à la tête de son unité navale
baptisée la Decima MAS en souvenir de la Xe légion romaine de César. Une fois
la RSI installée, il vit ses effectifs gonfler à 100 000 hommes, ce qui lui permit
de créer une division très engagée dans les représailles sanglantes contre les
partisans assimilés à des traîtres. Pour autant, l’apolitisme du combat du « prince
noir », plus national que fasciste, posait problème aux faucons du régime12. Il fut
même brièvement arrêté en janvier 1944 avant de poursuivre son combat sur le
front de Vénétie Julienne menacée par l’avance des Slaves communistes menés
par Tito. Cette cause était suffisamment populaire pour que des jeunes
volontaires, enfants d’immigrés italiens en France, rejoignissent au printemps
1944 la Decima Mas, au sein de la compagnie Volontari di Francia (Volontaires
de France). Ils s’illustrèrent dans les combats pour la défense de Trieste à partir
de décembre 194413. En revanche, avec les 2 000 guérilleros de la Légion Muti
de Francesco Colombo, un malfaiteur exclu du PNF en son temps, le fascisme
retrouvait une squadra qui s’illustra dans les pires horreurs ; tout comme la
tristement célèbre bande de Pietro Koch qui exerça ses sanglants talents de
répression de l’antifascisme à Rome, puis à Milan avant d’être dissoute à la fin
de 1944 et son chef arrêté.
Le deuxième grand chantier concernait la rédaction d’une Constitution,
question éminemment politique et indissociable de l’idéologie du nouveau
régime. Une date et un lieu (le 15 décembre à Guastalla en Emilie-Romagne)
furent même annoncés pour la réunion d’une Constituante sans qu’aucune
convocation officielle ne fût toutefois lancée. Le 18 décembre, le gouvernement
renvoya la question aux calendes grecques. Ce projet n’en suscita pas moins des
discussions enflammées où l’on parla de multipartisme, de suffrage universel, de
liberté de la presse à tel point que Mussolini, ulcéré par ce qu’il qualifia de
« carnaval démocratique », finit par siffler la fin de la récréation.
Afin de bien saisir les enjeux de cette question, il faut rappeler que la RSI ne
constitua jamais un bloc homogène. Dès l’origine, Mussolini lui donna une
orientation antibourgeoise. « L’Etat que nous voulons instaurer, affirma-t-il dans
son discours du 18 septembre, sera national et social dans le sens le plus large du
mot : c’est-à-dire qu’il sera fasciste dans le sens de nos origines. » Persuadé
d’avoir été trahi par les forces bourgeoises, il entendait reprendre – et cette fois-
ci sans les limites imposées par les compromis de 1922 – la lutte contre le
capitalisme libéral commencée avec son engagement socialiste de jeunesse.
Ainsi choisit-il le nom de république sociale et non fasciste, pour mieux
rassembler mais aussi pour définir avec précision l’idéologie de son régime.
« Elle sera, martela-t-il, la république des travailleurs italiens et elle a déjà
commencé à réaliser avec décision ces postulats qui, durant quarante ans, furent
inscrits sur les drapeaux des mouvements socialistes14. » Il aurait même envisagé
le terme « socialiste ». Plusieurs journaux lui emboîtèrent le pas, comme Il
Lavoro fascista qui, dans un article de septembre 1943, affirmait : « Nous
retournons aux origines non pour détruire ce que nous avons fait, mais pour
purifier ce qui n’était pas pur » ; autrement dit, pour épurer le fascisme dénaturé
par vingt ans de compromissions avec la réaction, la monarchie, l’Eglise, le
grand capital. Le 28 octobre suivant, Pavolini, grand architecte de ce retour au
fascisme prolétaire et jacobin, annonçait de nouvelles réalisations qu’il n’avait
« aucune crainte à définir socialistes15 ». Cette orientation convainquit nombre
d’antifascistes de gauche à rejoindre les rangs de la RSI, comme l’ancien
compagnon de jeunesse de Mussolini Pulvio Zocchi, le philosophe Edmondo
Cione ou le journaliste Carlo Silvestri. Ce dernier voyait dans le nouvel Etat la
réalisation du socialisme fasciste comme le prouve sa lettre du 25 septembre
1943 à Mussolini :

Il y a deux ans une nouvelle révolution dans la révolution, qui aurait anéanti les ploutocraties
parasitaires et aurait fait du travail, selon la doctrine socialiste « le sujet de l’économie et la base
inviolable de l’Etat », une révolution qui aurait éliminé tous les profiteurs et les traîtres à l’Idéal alliés
de ces ploutocraties, aurait galvanisé le pays et les forces armées, aurait transformé en guerre du
peuple – et donc en guerre sociale – la guerre très impopulaire, aurait sauvé l’Italie et peut-être créé les
conditions préalables à une alliance entre les trois grandes révolutions prolétariennes, alliance qui
aurait pu – et pourrait – transformer la structure sociale et économique du monde, en réalisant ainsi les
grands, lumineux, généreux rêves de Votre et de ma jeunesse16.

On retrouva aussi à Salò Nicola Bombacci, l’un des fondateurs… du PCI !
Même s’il n’occupa jamais de poste ministériel, il joua auprès de Mussolini,
auquel le liait une vieille amitié, le rôle de conseiller actif car il voyait en lui le
seul capable de réaliser le socialisme national. « Si Mussolini réussit cette fois à
former une armée, pensait-il, il fera cette révolution qu’il n’a pas encore
réussie17. »
Son influence se fit surtout sentir sur les débats du congrès du PFR tenu à
Vérone du 14 au 15 novembre 1943. Pavolini y accueillit les délégués des
fédérations de toutes les provinces et des syndicats qui discutèrent dans une
ambiance survoltée et anarchique du rôle du parti et de son programme. Malgré
ce tumulte, l’orientation majoritaire qui se dessinait était aussi totalitaire (tout le
pouvoir au parti unique et à la Milice !) que socialisante. On entendit même le
fédéral de Belluno exiger la création « dans chaque ville d’un camp de
concentration en utilisant ceux déjà existants […]. Dans ces camps de
concentration nous ferons une œuvre politique pour redresser et récupérer les
récupérables et pour les autres ce seront les tribunaux18 ». Le Manifeste de
Vérone, qui sortit de ces échanges passionnés, reprenait en dix-huit points les
fondamentaux de 1919 et de la place San Sepolcro, du mazzinisme et du
socialisme (la nation et la révolution, la limitation de la propriété privée et la
défense de la petite propriété, l’installation de conseils de gestion dans les
entreprises) avec des accents nouveaux sur la défense de l’Europe.
Mussolini se montra très critique devant son secrétaire, Giovanni Dolfin, sur
cette « foire » où « les tendances les plus étranges [s’étaient] manifestées dont
certaines à la limite du communisme ». A ses yeux, « toutes ces manifestations
verbeuses [montraient] clairement combien peu nombreux [étaient] les fascistes
qui [avaient] quelque idée nette du fascisme ». Pourtant, le programme de
Vérone, comme il le confia plus tard à Anfuso, représentait bel et bien la
conclusion de ses propres expériences politiques. A ce titre, ce texte pouvait être
utile dans le sens où il cherchait « à équilibrer la production et le travail en
respectant, tout en les limitant, le droit de propriété, l’initiative privée et l’emploi
du capital ». Et le Duce de préciser : « Nous n’avons pas combattu le marxisme
pour chercher à le voir renaître ; mais ce que je veux faire en Italie, ce n’est pas
seulement rétablir une antithèse antibourgeoise mais renforcer le fascisme
toujours vivant19. »
Ce fascisme revivifié trouva son expression sans doute la plus aboutie dans
le décret présenté par Angelo Tarchi, en charge du ministère de l’Economie
corporative, et adopté le 12 février 1944 par le Conseil des ministres. Baptisé
« De l’administration socialisée de l’Entreprise », ce texte imposait à toute
entreprise privée au capital d’au moins un million de lires ou employant au
moins cent personnes un conseil de gestion. Cet organe serait composé, à parts
égales, des représentants des actionnaires et des travailleurs, choisis par
l’assemblée de l’entreprise. La loi enthousiasma l’aile la plus à gauche du
fascisme, certaine de disposer du moyen de réaliser enfin la révolution empêchée
pendant le Ventennio20. En plus d’exprimer l’aversion mussolinienne pour le
modèle capitaliste libéral, elle concrétisait, c’est certain, le rêve nourri depuis
toujours de la troisième voie entre capitalisme et communisme et de
dépassement de la lutte des classes et de la collaboration entre le capital et le
travail. Il ne s’agissait donc pas seulement des « nostalgies socialisantes » de
Mussolini mais bien de l’essence même du fascisme.
Disons-le d’emblée, la socialisation se heurta à plusieurs obstacles : la
résistance passive des grandes entreprises, attendant la fin de la guerre pour s’en
débarrasser définitivement ; l’hostilité du monde ouvrier, détaché depuis
longtemps du fascisme et qui répondit par la grève générale de mars 1944 à
laquelle se joignirent des dizaines de milliers de travailleurs ; et enfin les
réserves des Allemands peu enclins à ce genre d’initiatives. De fait, en
janvier 1945, seules 76 usines avaient été socialisées. Mais Mussolini, voulant
donner tort à tous ceux qui doutaient de sa détermination, s’y accrocha jusqu’au
bout. Il se justifiait en ces termes : « On dit que je fais la socialisation par dépit.
Je la fais maintenant parce que c’est le seul moment possible et parce que
maintenant, dans ce coin d’Italie qui nous reste, se trouvent les seuls gens qui
puissent la réaliser. Je la fais peut-être par désespoir, mais certainement pas par
dépit21. »
Au fond, le fascisme de la RSI demeurait aussi hétérogène que l’avait été
celui du Ventennio. On y trouvait un courant, représenté entre autres par le
philosophe Edmondo Cione ou le journaliste Carlo Silvestri, qui voyaient dans le
fascisme un mouvement pragmatique capable d’évoluer vers une sorte de
système pluraliste grâce à des compromis avec les socialistes. S’y opposait la
faction des intransigeants de la vieille garde comme Pavolini, auquel son
obsession de pureté idéologique et d’élimination des traîtres donnait les traits
d’un Saint-Just, et surtout Farinacci. Son retrait à Crémone n’avait pas mis fin à
la guerre de tranchées qui l’opposait au Duce. Toujours fervent partisan de
l’Allemagne, le ras appelait de ses vœux un Etat fasciste pur, absolu et
totalitaire, sans aucun compromis avec les adversaires, construit autour d’un
parti d’élites, soumettant à son autorité toutes les autres institutions dont le
gouvernement.

Nous nous levons, écrivait-il dans Regime fascista le 25 juin 1944, avec un programme de lutte
contre les ploutocraties, les démocraties, le communisme ; nous nous levons pour un ordre nouveau en
Europe et dans le monde contre Versailles ; nous nous levons pour l’élévation de nos travailleurs ; nous
n’avons renié aucun de ces postulats et nous ne les renierons jamais. Ce ne sont pas nous les traîtres.

Il n’en pourfendait pas moins la socialisation des entreprises qu’il jugeait
délirante et fixait comme unique priorité la guerre pour laver l’humiliation du
8 septembre22. Pourtant, à leur corps défendant, Farinacci autant que les autres
responsables de la RSI incarnaient une génération déjà dépassée pour les plus
jeunes. En effet, les Ricci, Buffarini, Pavolini appartenaient au régime qui avait
échoué, à la vieille génération compromise qui avait entaché l’authenticité de
l’idéologie. Ces enfants des GUF et des Littoriali, de l’Axe et de la guerre,
nourrissaient en leur sein un fascisme plus radical, plus marqué par l’expérience
nationale-socialiste, l’antiploutocratisme et l’antisémitisme. Le fascisme
connaissait donc une nouvelle révolte générationnelle comme celle de 1919 mais
cette fois-ci contre lui-même. Au milieu de ces tendances et de cette « guerre
froide à l’intérieur de la guerre civile » comme la nomma Renzo De Felice,
Mussolini cherchait à maintenir les équilibres, à garder la direction et à continuer
de faire de la politique23.

A mort les traîtres !


Comme bien des révolutionnaires, les fascistes de la RSI avaient soif de sang
et de celui des traîtres en tout premier lieu. Dès le 27 octobre, un Tribunal
révolutionnaire spécial fut institué afin de punir ceux qui, le 25 juillet, avaient
trahi « le Duce et l’Idée Révolutionnaire ». Ces enragés recevaient le renfort de
la radio fasciste de Munich qu’Anfuso qualifia d’« orthodoxe, intransigeante,
veinée de racisme et jacobine24 ». Les congressistes de Vérone prirent eux aussi
des intonations du club des Cordeliers de 1792 pour hurler leur haine des
responsables de la chute du régime. Avec la mentalité d’une minorité assiégée,
incapable de comprendre le 25 juillet autrement qu’à travers le prisme de la
trahison, ils exigeaient que des têtes tombassent et, à défaut de celle du roi, celle
de Ciano leur conviendrait très bien. L’ancien ministre incarnait en effet autant la
corruption que la forfaiture de la fin du régime. Son procès – et sa mise à mort –
devenait donc une sorte de test auquel le Duce ne pouvait échapper. Hitler avait
en effet été très déçu de son peu d’empressement à organiser un grand procès,
d’où la conclusion de Goebbels : « Il n’est pas un révolutionnaire à la manière
du Führer ou de Staline […]. Si le Duce avait été un révolutionnaire d’envergure,
il aurait demandé au Führer de livrer Ciano et il l’aurait châtié lui-même25. » Le
sang de son gendre comme certificat de révolution.
Mussolini dut donc céder aux ultras de son propre camp, et ce malgré
l’apaisement apparent de ses relations avec son gendre lors de leur séjour
commun en Allemagne. Livré aux autorités italiennes le 19 octobre, Ciano
comparut à partir du 8 janvier 1944 devant le Tribunal révolutionnaire siégeant
dans la forteresse médiévale de Vérone et composé de neuf juges, tous
squadristes. A ses côtés, six autres accusés dont le maréchal De Bono en
uniforme bardé de médailles. On l’a compris, cette instance mena un procès
aussi indigne que ceux de ses homologues soviétiques. Quand le ministre de la
Justice Pisenti s’inquiéta devant Mussolini du manque de preuves pour
l’accusation, la réponse fusa : « Mais vous Pisenti, vous voyez les choses d’un
point de vue seulement juridique, en avocat en somme ; mais nous ici nous
sommes dans un autre domaine : le fait politique, exceptionnel en lui-même et
pour les conséquences qui en dérivent, domine sur toute autre considération26. »
Le Duce aspirait-il vraiment à l’exécution du mari de sa fille chérie ?
Nourrissait-il secrètement l’espoir de le sauver in extremis ? En fait, quelles que
fussent ses inavouables pensées, la pression politique était trop forte. Comme
l’avait vociféré Pavolini lors du congrès du PFR, « pour des hommes comme
Ciano, la seule sentence possible est la mort ! ». Sans surprise, les Fouquier-
Tinville du Tribunal condamnèrent cinq des accusés à la peine capitale après un
jour et demi d’audiences. Dans une ultime manœuvre, Pavolini parvint à
empêcher les recours en grâce d’arriver jusqu’au bureau de Mussolini. Le
11 janvier 1944, Ciano, De Bono et les autres furent fusillés dans le dos, liés à
une chaise. Exécutions que l’on avait voulues infamantes et qui le furent malgré
la dignité avec laquelle l’ancien ministre tomba sous les balles.
La chasse aux traîtres comme ressort de la radicalisation et de la surenchère
des révolutions : le fascisme n’échappa pas à cette malédiction. L’appétit de
vengeance paraissait insatiable et exigeait sans cesse de nouvelles victimes.
Deux amiraux payèrent de leur vie le passage de la Regia Marina aux Alliés, le
contre-amiral Mascherpa et l’amiral Campioni, fusillés le 24 mai 1944 à Parme.
Or, même s’il avait affirmé à son secrétaire : « Maintenant que nous avons
commencé à faire rouler les têtes, nous irons en avant, jusqu’au bout ! »,
Mussolini n’entendait pas devenir le Staline italien. Parmi ceux qui échappèrent
aux purges, on trouvait Scorza. Arrêté en novembre 1943 sur ordre de Buffarini
Guidi pour avoir accepté le gouvernement Badoglio, l’ancien chef du PNF
moisit en prison jusqu’à son jugement en avril 1944 et sa libération sur ordre du
Duce. Son illustre prédécesseur Starace, qui incarnait aux yeux des nouveaux
puritains la dégénérescence du fascisme, fut enfermé dans un camp de
concentration près de Brescia d’où il ne sortit qu’en septembre 1944 pour un exil
intérieur à Milan. Son Duce ne voulait plus en attendre parler. Quant à Farinacci,
son aura avait certes diminué mais Mussolini préféra ne pas le frapper.
Craignait-il encore son vieil opposant ? Ses capacités de nuisance ? La réaction
des Allemands27 ? Il subsista entre les deux hommes une obscure retenue jusqu’à
leur mort. Une éventuelle épuration de l’armée s’avérait plus délicate encore du
fait de la protection que Graziani accordait aux généraux.
On remarquera également que, lors de son installation aux commandes, le
Duce semblait animé d’une sincère volonté d’apaisement. Il l’exprima lors du
premier Conseil des ministres du 27 septembre 1943 mais aussi dans un texte
écrit peu après sa libération dans lequel il fixait comme priorité de chasser
l’envahisseur. Une fois cette tâche accomplie, expliquait-il, et si les Italiens le
voulaient, serait organisé « un plébiscite sur la forme de gouvernement et sur les
chefs qu’ils voudront au pouvoir28 ». Même si les durs du régime bloquèrent la
diffusion d’un tel appel à la clémence, on vit dans plusieurs villes des ouvertures
en direction des antifascistes qui parfois débouchèrent sur des pactes de
pacification locaux. De son côté, le ministre de l’Education nationale Biggini se
garda d’épurer les recteurs nommés par Badoglio. En avril 1944, le
gouvernement proposa même aux partisans de déposer les armes en échange
d’une amnistie. Giovanni Gentile appuyait de tout son poids cette politique de
pacification dans ses discours et ses écrits. Son assassinat, le 14 avril 1944, par
des partisans profita en réalité à tous les radicaux qui, des deux côtés de la
barricade, se démenaient pour torpiller ce processus, ce qui conduit à ne pas
exclure une manipulation des durs de Salò29.
De toute façon, l’aspiration à reconstituer une sorte de consensus se heurtait
à plusieurs écueils. Le premier se situait dans l’absence de soutien de l’Eglise
catholique. L’engagement de certains ecclésiastiques en faveur de la RSI, comme
don Tullio Calcagno directeur de la revue Crociata italica (« Croisade italique »)
ou l’aumônier des Brigades noires don Eusebio Zappaterreni, restait tout à fait
marginal mais n’en exprimait pas moins une volonté de rupture avec le
positionnement réservé de la hiérarchie épiscopale et du Saint-Siège. Farinacci,
ulcéré par ces prudences, rêvait tout haut d’un schisme avec Rome et de
l’instauration d’un primat d’Italie détaché du siège de Pierre, bref d’une Eglise
catholique et nationale et donc fasciste. Tout aussi minoritaire était l’enrôlement
des clercs dans la résistance, même si Pie XII autorisa la présence d’aumôniers
dans les bataillons résistants. De toute façon, Mussolini ne voulait pas se lancer
dans une bataille contre les prêtres dont il connaissait l’issue et maintint
prudemment en vigueur le concordat sans se faire la moindre illusion sur le
positionnement d’une Eglise désireuse de jouer un rôle d’intermédiaire30.
Autre handicap dans la construction d’un consensus, l’impossibilité pour le
fascisme de se défaire de ce que l’historien Claudio Pavone a appelé « le
désordre comme instrument de l’ordre » et encore moins dans sa phase
radicalisée de Salò. Lors du congrès de Vérone, par exemple, alors que les
congressistes débattaient, une nouvelle stupéfiante leur parvint. Le fédéral de
Ferrare, Igino Ghisellini, venait d’être assassiné ! Aussitôt une expédition
punitive de type squadriste se mit en marche. Onze personnes furent fusillées et
leurs cadavres exposés. La violence et la mort que les fascistes côtoyaient depuis
les origines continuaient de les accompagner, dans le contexte sanglant de la
montée aux extrêmes des dernières années de la guerre. Elles les poussaient à
chanter : « Nous la mort ne nous fait pas peur/On s’y fiance et on lui fait
l’amour. » D’autres tombaient sous les balles des partisans en criant : « Vive la
mort ! » Sans aucun doute, la consolidation de la position de Pavolini au sein du
PFR, au moment du congrès de Vérone, accéléra cette dynamique de la guerre
civile dans laquelle sombrait l’Italie31. Le meurtre du fédéral de Ferrare
confirmait de surcroît l’existence d’une résistance qui commença à se cristalliser
dès les premiers mois d’existence de la RSI sous la forme de petits
rassemblements de partisans saboteurs mais aussi de groupes d’action
patriotique (GAP) du PCI plus déterminés et violents, et qui voyaient leurs rangs
gonflés par le refus de la conscription. La principale formation restait le Comité
national de libération (CLN) formé à Rome dès le 9 septembre 1943 rassemblant
la plupart des courants politiques et divisé entre le Comité de libération nationale
de la Haute Italie (CLNAI) et le Comité de libération nationale centrale (CLNC).
La résistance avait elle aussi un intérêt évident à briser toute dynamique
d’apaisement, notamment les communistes engagés dans une guerre sociale et
politique sans pitié. Du coup, les partisans ne lésinèrent pas non plus sur la
sauvagerie, exécutant sans jugement les miliciens après les avoir torturés et
suppliciant leur famille. Autant de crimes odieux qui devaient détacher la
population de Salò par le cycle infernal des représailles. On remarquera que cette
brutalité touchait les plus jeunes, ceux qui étaient passés par les structures de
dressage idéologique du fascisme, qui y avaient été éduqués dans la culture de la
virilité et du combat, dans un univers imprégné d’exaltation de la violence que
l’engagement marxiste entretenait à son tour avec soin32. Ce point est
absolument capital pour comprendre les atrocités qui ravagèrent la RSI
entre 1943 et 1945. Peu importe en vérité qui lança le premier la spirale de
violences puisque l’origine s’en trouvait dans la guerre civile de l’immédiat
après-guerre, que le fascisme avait mis sous le boisseau sans la résoudre. On ne
le répétera jamais assez, les Italiens renouaient au début de 1944 avec la lutte
idéologique fratricide des années 1920-1921 qui ressuscitait de ses cendres mal
éteintes.
Il reste encore aujourd’hui difficile de mesurer le degré d’adhésion populaire
à la RSI. S’il semble que l’opinion ait accueilli avec un certain soulagement le
retour d’un Etat italien après le vide provoqué par l’effondrement du
8 septembre, si la république suscita d’incontestables, sincères et fidèles
adhésions, notamment chez les femmes, très vite la majorité des Italiens, prise en
étau entre deux forces minoritaires et antagonistes, se réfugia dans un prudent
attentisme qui, comme en France, ne doit pas être vu comme un lâche refus de
choisir mais comme l’attente du départ des Allemands et de l’échec de leurs
affidés, bref de la fin de la tragédie. De toute façon, les fascistes les plus
intransigeants ne recherchèrent jamais vraiment le soutien d’un peuple qui avait
failli à sa mission et duquel ils se sentaient désormais étrangers33.

La République sociale veut sa Vendée


Alors que Mussolini échouait dans la réalisation de ses trois objectifs
initiaux (création d’une armée autonome, convocation d’une Constituante et
socialisation des entreprises), l’été 1944 marqua un tournant dans l’histoire de la
RSI qui s’engagea dans la voie sans issue de la radicalisation de la violence et
d’une répression tous azimuts. Pourquoi ? Tout d’abord, la situation stratégique
permettait de penser, non sans raison, que la victoire des Alliés était à portée de
main. Leur progression paraissait en effet fulgurante depuis que l’enfoncement
de la ligne Gustav, après l’éprouvante bataille du mont Cassin, les avait portés
jusqu’à Rome, libérée le 4 juin. Les villes toscanes tombèrent ensuite les unes
après les autres entre juillet et août. Dans le même temps, le débarquement en
Normandie et les offensives soviétiques à l’Est laissaient entrevoir un
effondrement allemand auquel la RSI ne survivrait pas. Ce retournement complet
profita, on s’en doute, à la résistance qui vit ses effectifs gonfler. Sa
consolidation permit même à certains réseaux de prendre le contrôle de vastes
espaces vidés de la présence fasciste et allemande et connus sous la terminologie
de « républiques partisanes » situées dans les vallées alpines et les contreforts
des Apennins. Le 28 juin 1944, un rapport alarmiste de Graziani informait
Mussolini que la RSI ne contrôlait plus que le centre de la plaine du Pô, le reste
se trouvant sous le contrôle des partisans. Leur élimination devint dès lors une
priorité pour les fascistes, qui ne pouvaient accepter que leurs alliés allemands se
chargeassent de cette besogne. Leur complexe d’infériorité le leur interdisait et il
en allait de leur crédibilité34.
Enfin, n’oublions pas que dans le cadre mental fasciste, la résistance était un
phénomène incompréhensible car antinational. Les fascistes réduisirent le
partisan à un mercenaire à la solde des ploutocrates ou des bolcheviques, lui
déniant sa qualité d’Italien et le rejetant hors de la communauté nationale. Réduit
au rang de bras armé de forces étrangères œuvrant au renversement de la RSI, sa
mise à mort en était légitimée et facilitée. Les termes de bandits et de rebelles
sans cesse usités dans les discours et documents officiels non seulement
empêchaient le fascisme de parler de guerre civile mais ouvraient aussi la voie à
une déshumanisation à laquelle les Jacobins – avec les mêmes formules notons-
le bien – avaient déjà procédé lors de la révolte de la Vendée. Or, c’était
exactement la grille de lecture qu’adopta Mussolini quand le 27 juin il transmit à
Graziani des ordres implacables :

L’organisation du mouvement contre le banditisme doit être telle qu’elle frappe psychologiquement
les gens et soulève l’enthousiasme dans nos rangs. Elle doit être la marche de la République sociale
contre la Vendée. Et puisque le centre de la Vendée monarchique, réactionnaire, bolchevique est le
Piémont, la marche, préalablement rassemblée à Turin, doit commencer par le Piémont35.

On ne peut s’étonner de trouver sous la plume de l’ancien socialiste cette
allusion à la guerre contre les Vendéens dont il avait sans aucun doute saisi le
caractère d’anéantissement (avait-il lu dans sa jeunesse l’ouvrage que Babeuf lui
consacra ?). Reprenant l’analyse jacobine qui avait fait de ces paysans insurgés
des traîtres à la Convention poignardant la République dans le dos, il la
transposait aux résistants antifascistes. « Valmy », « Vendée », autant de
références politico-culturelles qui n’avaient rien d’abstrait et dévoilaient au
contraire la matrice idéologique jacobine du Duce néorépublicain. Celui-ci
s’engageait dans une lutte sans pitié dont il connaissait à l’avance la dureté. Car
la rébellion, comme il l’expliqua à Hitler, « deviendra maintenant plus intense,
en cela que les partisans […] n’ont plus le choix et sont destinés à
l’anéantissement. Il est prévisible qu’ils chercheront à vendre chère leur peau ».
D’où l’obligation de disposer de plus de troupes, dont les SS italiens que
Kesselring lui refusa36.
Il fallut donc agir par soi-même. La sinistre tâche revint à Archimede
Mischi, chef d’état-major de l’Armée nationale républicaine, qui avait acquis
dans les Balkans une grande expérience de la contre-guérilla. Il prépara un vaste
plan d’opération avec le général Wolff dont l’accord était préalable à toute
action. L’armée pouvait compter aussi sur la mobilisation générale des fascistes
décrétée par Mussolini à la fin du mois de juin et qui trouva son expression dans
la création des Brigades noires, le 26 juillet 1944. Composées de tous les inscrits
au PFR âgés de 18 à 60 ans, ces quarante et une unités incarnaient une
militarisation à outrance du parti fondée « sur une levée en masse sur le modèle
de la Révolution française37 ». Qui plus est, l’absorption de la GNR par l’armée
nationale, sur ordre de Mussolini, ne mettait pas en cause la fascisation du
combat car, du fait des nombreuses désertions décimant les divisions armées, ne
restaient en leur sein que les plus fanatiques, ceux qui n’avaient plus rien à
perdre. Les dirigeants politiques apportèrent eux aussi leur pierre à l’édifice.
Pavolini tenta de ranimer la foi politique : « Les fascistes redeviennent des
combattants comme à leur origine. Combat pour l’ordre public, pour l’ordre
révolutionnaire, pour la lutte contre les bandits et les hors-la-loi38. » Il ne
manquait qu’un décret pour légaliser la terreur. Mussolini le signa le 16 août
1944 d’une main qui ne trembla pas. « Les partisans, pouvait-on y lire, capturés
pendant et après les combats seront immédiatement passés par les armes. » Le
même sort attendait les fugitifs capturés avec leurs armes.
Ce fut donc une guerre sans merci qui commença à la fin du mois de
juillet 1944. Si d’un point de vue militaire l’opération de ratissage se révéla
inopérante, elle se déchaîna contre les civils. Incendies, pillages, viols, prises
d’otages, exécutions sommaires avec exposition des cadavres suppliciés sur les
places publiques jalonnèrent l’avancée des groupes fascistes qui n’avaient rien à
envier aux troupes allemandes dans ce domaine. Le fascisme confirmait à cette
occasion non seulement sa violence intrinsèque mais aussi sa nature totalitaire
pour la simple et bonne raison que, à l’instar des régimes marxiste et national-
socialiste, il se retournait à présent contre son propre peuple, sans pour autant
atteindre la violence paroxystique à l’œuvre en Allemagne et en URSS.
L’accusation de traîtrise ne se limitait pas aux anciens hiérarques mais englobait
l’ensemble de la population italienne. La radicalisation fasciste lors de la RSI ne
peut donc être considérée comme un accident lié aux circonstances, mais à une
nouvelle accélération totalitaire au sein d’un corps libéré des entraves de la
monarchie et devenu étranger à la nation italienne.
L’aggravation de l’antisémitisme s’inscrivait aussi dans cette chasse aux
traîtres lancée dès l’automne 1943 et dans le grand règlement de comptes que les
fascistes entendaient opérer. Le titre de l’éditorial du journal Il Popolo
d’Alessandria du 16 novembre 1943 donna le ton : « Les grands coupables : les
juifs ». Si Mussolini semblait accorder moins d’importance à l’antisémitisme
que pendant la campagne de 1938, la mise en œuvre de la Solution finale par les
Allemands impliquait une participation de la RSI à une entreprise à laquelle le
régime fasciste s’était pourtant refusé jusqu’en 1943. En désignant, dans son
point 7, les juifs comme des étrangers ennemis de la nation, le Manifeste de
Vérone posait le cadre dans lequel les persécutions physiques allaient se
développer. Plusieurs dispositions légales furent prises : retour de la législation
antisémite abrogée par le gouvernement Badoglio ; ordonnance du ministre de
l’Intérieur Buffarini Guidi du 30 novembre 1943 sur l’enfermement de tous les
juifs italiens dans des camps de concentration, suivie de celle du 4 janvier 1944
sur la confiscation de leurs biens. Les vociférations antisémites de Preziosi lui
permirent de recevoir en mars 1944 la fonction de chef de l’Inspection générale
pour la race, sans qu’il ne parvînt pour autant à faire adopter son projet de loi
raciale copié sur les lois de Nuremberg39, tandis qu’une campagne de presse et
d’affiches se déchaînait. Si les grandes rafles – comme celle de Rome en
octobre 1943 – relevaient de la responsabilité des Allemands, les fascistes se
salirent les mains dans cette effrayante besogne par la collaboration entre les
polices, les déportations dans les camps de transit de Fossoli et de Bolzano ou
par l’ajout de 77 noms de juifs à la liste des victimes du terrible massacre des
Fosses ardéatines40.
On l’a compris, pour les zélotes de la RSI, partisans et juifs constituaient
l’ennemi intérieur au service des ploutocraties dont les forces envahissaient la
péninsule. Leur guerre gardait les traits d’une lutte de civilisation en faveur de
l’ordre nouveau européen contre des forces extra et même antieuropéennes41. Il
Fascio, journal du PFR milanais, dans son édition du 4 décembre 1943, appelait
ainsi à « créer une civilisation, un système dans lequel non seulement les juifs de
sang mais aussi ceux d’esprit ou d’âme ne puissent vivre ». En outre, la
participation des troupes maghrébines de l’armée française d’Afrique à
l’invasion alliée et les exactions et viols généralisés auxquels elles se livrèrent
donnaient un aspect concret à cette guerre de civilisation42. En avril 1944,
Mussolini tenta de galvaniser les soldats italiens de la division San Marco
formée en Allemagne en jouant sur ce choc des races qui se jouait en Italie :
« Au-delà du Garigliano sont les campements non seulement du Britannique
cynique et cruel mais aussi de l’Américain, du Français, du Polonais, de
l’Hindou, du Sud-Africain, du Canadien, du Néo-Zélandais, du Marocain, du
Sénégalais, du nègre et du bolchevique. Vous aurez la joie d’ouvrir le feu sur ce
ramassis de races bâtardes et de mercenaires qui, dans l’Italie envahie, ne
respectent rien ni personne43. » Leur entrée dans Rome constitua un véritable
traumatisme qui le poussa à écrire dans le mensuel Corrispondenza
repubblicana : « La pensée qu’entre le Colisée et la place du Peuple bivouaquent
des troupes de couleurs assaille notre esprit et nous inflige une souffrance qui se
fait d’heure en heure plus intense. Les nègres sont passés sous les arcs et les
routes qui furent construits pour l’exaltation des gloires antiques et nouvelles de
Rome. » Et le maréchal Graziani d’enfoncer le clou dans une déposition lors de
son procès en 1948 : « Pour nous, les Anglo-Saxons étaient des ennemis non
seulement de la république de Salò mais de la Patrie parce qu’ils voulaient
envahir le Piémont et la Ligurie. Nous ne voulions pas que les Marocains et les
Algériens vinssent à Turin ou à Cuneo […]. Les violences de la part de ces
hommes sont une chose que nous connaissons tous44. »

L’écroulement final
Dans sa marche vers le totalitarisme, le fascisme usa de tous les moyens à sa
disposition. Renato Ricci tenta de ressusciter les Balilla, espérant même remettre
en selle les collèges et les académies de l’ONB pour l’année scolaire 1944-1945.
Les Avant-gardistes furent enrôlés dans des unités armées, y compris les filles
dans un corps d’auxiliaires45. A l’instar du Reich agonisant, la RSI revêtit de
l’uniforme de très jeunes adolescents « volontaires et précocement développés »
qu’il arma de fusils. Bien sûr, les services de propagande retrouvèrent leur rôle
de premier plan dans le combat pour le contrôle de l’opinion publique et son
ralliement à la RSI. Confié à Fernando Mezzasoma que le Duce recevait chaque
jour, le ministère de la Culture populaire se montra particulièrement actif dans la
production de matériel propagandiste : affiches, tracts, revues, cartes postales.
Même l’institut Luce et les services cinématographiques repliés à Venise
apportèrent leur pierre à cet édifice en faveur des chevaux de bataille du régime
républicain : la trahison royale, la fidélité à l’Allemagne, la mobilisation
patriotique, la cruauté des ennemis et les racines risorgimentales de la RSI46. La
réaffirmation du lien avec les grands ancêtres dérivait de la rupture
institutionnelle de 1943 et du retour au républicanisme des origines. Le fascisme
chercha de ce fait à séparer la monarchie de la nation italienne. « Plus que chez
les monarchistes, avait assuré Mussolini dans son discours du 18 septembre, la
liberté et l’indépendance de l’Italie furent voulues par le courant républicain et
par son plus pur et grand apôtre, Giuseppe Mazzini. » Inévitablement, la figure
de Garibaldi, le guerrier patriote et républicain, ne pouvait qu’être récupérée par
la propagande de Salò qui mit sa vie en parallèle avec celle du Duce47. Pourtant,
cette mobilisation ne permit pas à la RSI de gagner la guerre des esprits. La
compromission avec l’Allemagne nazie et les exactions en éloignaient
inexorablement la population.
Il est vrai que le Troisième Reich ne fit rien pour favoriser l’entreprise de
Salò. Hitler reçut à deux reprises son ancien mentor, le 22 avril 1944 à
Klessheim puis à Rastenburg le 20 juillet 1944, immédiatement après l’attentat
de von Stauffenberg. A chaque fois, il écouta ses doléances et ses demandes de
renforts, l’assura de son amitié et galvanisa sa détermination mais sans nouer
entre les deux régimes une véritable coordination stratégique. Le Führer ne
s’intéressait à la RSI qu’en fonction de ses intérêts militaires, indifférent à ses
vicissitudes politiques. Que le calme régnât dans les provinces septentrionales de
la péninsule était tout ce qu’il demandait, fût-ce au prix de terribles représailles
que les troupes de Kesselring ne manquaient pas de déchaîner. S’il ne fit rien
pour les arrêter, Mussolini n’en prit pas moins ses distances avec ses
encombrants alliés lorsque la fortune des armes semblait tourner à leur
désavantage comme à l’été 1944, et protesta auprès de l’ambassadeur Rahn pour
les conséquences désastreuses que les massacres de civils avaient sur sa
popularité. L’aversion pour les Allemands qu’il nourrissait depuis sa jeunesse
s’en donna de nouveau à cœur joie. La disgrâce de Ricci en août 1944 devait
aussi beaucoup à la dégradation de ses relations avec eux. Fort logiquement,
Berlin gardait toujours un œil attentif sur Farinacci, le thuriféraire de l’alliance
qui écrivait en octobre 1944 dans Regime fascista : « Il existe aujourd’hui un
seul problème immédiat, contribuer avec chaque effort, avec chaque moyen à la
victoire de l’Allemagne. Sans cette victoire, il ne peut y avoir de salut pour
nous48. » Berlin gardait donc dans sa manche la carte Farinacci comme
l’indiquaient en septembre 1944 les bruits de nomination à la tête du
gouvernement d’un homme que Mussolini cherchait à fragiliser par des rumeurs
sur son honnêteté.
A la faveur de l’automne et de l’hiver 1944, la situation militaire se stabilisa
en faveur de l’Axe. Les Alliés s’arrêtèrent devant une nouvelle ligne de défense
dite ligne Gothic, tandis que de vastes opérations de ratissage permirent le
démantèlement des « républiques partisanes ». Au niveau de la guerre en
Europe, l’usage de ses armes nouvelles par le Reich contre l’Angleterre (les
fameux V1 et V2) laissait entrevoir un retournement complet sur le champ de
bataille. Les dirigeants de la RSI reprenaient espoir. Graziani sentit alors la
situation suffisamment consolidée pour donner le 1er décembre 1944 un ordre de
modération de nature à contrebalancer les effets négatifs des répressions :
« L’illégalité et la criminalité doivent rester le triste privilège de nos ennemis. Le
but à atteindre est clair : prouver à notre peuple qu’il existe une très nette
différence entre l’Italie républicaine fasciste de l’ordre, de la légalité, de
l’honneur et de la lutte à outrance ; et l’Italie du chaos, de la trahison, de la
honte, de la capitulation et de l’asservissement à l’étranger. » Il appelait en
conséquence à protéger la population civile des réquisitions et des pillages49.
Le contexte permettait aussi de refaire de la politique. Mussolini qui, depuis
le début de l’aventure de Salò, vivait reclus comme l’ombre du tribun
charismatique qu’il avait été, se décida à se rendre à Milan où il songeait à
installer son gouvernement. Le 16 décembre, alors qu’Hitler jouait son va-tout
dans l’offensive des Ardennes, il entra dans la salle du théâtre Lirico où une
foule galvanisée l’attendait pour écouter ce qui devait être son dernier discours
public. Imprécations contre les traîtres, appels à la guerre à outrance,
exhortations à réaliser la socialisation des entreprises, incitations à préserver
l’esprit révolutionnaire du fascisme, diatribes contre le cosmopolitisme et
défense de l’unité des Européens émaillèrent ce sermon enflammé qui n’était pas
sans rappeler celui de Goebbels sur la guerre totale. Cela n’empêcha pas les
relations entre Berlin et Salò d’entrer dans une phase de turbulences. En
février 1945, Mussolini, fidèle à ses habitudes de gouvernement, chassa de son
poste de l’Intérieur le très collaborateur Buffarini Guidi. Hors de lui, le général
Wolff ordonna en réponse l’arrestation de deux hauts fonctionnaires de la police
italienne qu’il déporta à Dachau. Un mois plus tard, le Conseil des ministres
approuva les décrets d’application de la socialisation des entreprises à laquelle le
Duce voulut donner un coup d’accélérateur bien tardif. Plus cyclothymique que
jamais, déchiré entre la conscience de sa fin inéluctable et la folle espérance
d’une victoire arrachée in extremis au destin, l’ancien César aimait se présenter
comme un « vieux socialiste » qui ne cachait pas une certaine admiration pour
Staline, « le seul homme, disait-il, qui puisse se présenter avec les mains propres
devant le tribunal de l’histoire50 ». Après tout, le Géorgien n’était-il pas
l’inventeur lui aussi d’une sorte de socialisme national aux caractères russo-
slavophiles marqués ?
Ces décisions et allusions à son passé occupaient une place majeure dans les
manœuvres que ce politicien retors lançait avec les socialistes antifascistes. En
effet, désireux d’échapper à l’étreinte autant des Allemands que des puritains du
fascisme et préoccupé par la survie du fascisme, Mussolini se convainquit
rapidement de la nécessité de discuter avec les organisations jugées les moins
éloignées de son mouvement comme le Parti socialiste. Il pouvait s’appuyer au
sein du régime sur tout un courant conciliateur dans lequel évoluaient le ministre
Biggini, le philosophe Edmondo Cione, et les journalistes Concetto Pettinato et
Carlo Silvestri, tous ralliés à l’idée de négocier une reddition non pas avec les
Alliés mais avec des forces politiques italiennes. Cette politique dite des
« ponts », très sérieuse et directement liée à la socialisation, en plus de diviser le
camp antifasciste, pouvait atténuer la guerre civile, préparer une transition
politique et même préserver certains acquis sociaux du fascisme. Au-delà de ces
aspects internes, certains caressaient même le rêve d’une grande alliance
continentale favorisée par une paix séparée avec l’URSS – que Mussolini avait
demandé une nouvelle fois à Hitler dès le 14 septembre 1943 – et qui
rassemblerait Moscou, Berlin, Rome et les autres peuples européens unis contre
la ploutocratie anglo-saxonne51.
Lancé en août 1944 directement par Mussolini lors d’une audience accordée
à Cione, ce travail souterrain se poursuivit entre divers émissaires jusqu’à
l’extrême fin de la RSI comme nous le verrons. Il fut accompagné par une
campagne de presse menée par une série d’articles publiés dans le Corriere della
sera de mars à mai 1944, puis par un quotidien clairement socialiste L’Italia del
popolo, diffusé du 28 mars au 25 avril 1945. Les lecteurs trouvèrent dans le
premier numéro un article de Cione intitulé « L’ennemi, la propriété » et dans
lequel ils purent lire : « Peu nous importe que la socialisation soit faite par
Benito Mussolini ou par Pietro Nenni [secrétaire national du Parti socialiste
italien d’unité prolétarienne, proche du PCI] ; il nous importe qu’elle soit faite
réellement52. » Dressé du haut de son intransigeance, le noyau dur du régime
pilonnait ces tentatives de conciliations, tandis que leurs sbires attaquaient les
vendeurs de L’Italia del popolo.
L’ultime trahison des Allemands tomba avec les négociations menées par
différents truchements (le cardinal Schuster archevêque de Milan, le Saint-Siège,
les postes diplomatiques à Berne en Suisse) afin de négocier soit avec les
partisans un cessez-le-feu permettant l’évacuation des divisions de la
Wehrmacht, soit avec les Anglo-Saxons la capitulation sur le front italien pour
mieux concentrer les forces du Reich agonisant contre les troupes soviétiques à
l’Est. Les plus sérieuses furent celles menées sous la direction de Himmler par
l’intermédiaire du général SS Wolff avec Allen Dulles, chef de l’OSS (les
services secrets américains) alors présent à Berne. Ces discussions, connues sous
le nom d’opération Sunrise, étaient menées dans le dos de Mussolini, alors
même que le retrait des troupes allemandes sonnerait le glas de son régime53. On
peut toutefois émettre certains doutes sur sa méconnaissance totale de ces
pourparlers puisque, le 13 mars 1945, il confia à son fils Vittorio la mission de
transmettre à l’archevêque de Milan, Mgr Schuster, un texte de capitulation
prévoyant un désarmement préalable des partisans avant celui de la Milice pour
éviter de sanglantes représailles contre les fascistes. Le cardinal transmit la
proposition le 6 avril au Saint-Siège. Cinq jours plus tard, la réponse négative
des Alliés torpilla l’initiative54.
La situation militaire empirait. Une offensive alliée avait porté les troupes
ennemies sur le Pô. Les villes de la côte toscane ainsi que Bologne et Modène
tombaient entre leurs mains avec l’aide des partisans. Le cœur de la RSI était
désormais directement menacé. Cela dit, la mort de Roosevelt le 12 avril – un
des nombreux miracles que l’Axe à l’agonie attendait – réactiva les espoirs
d’une dislocation de la Grande Alliance. Le lendemain, lors d’une réunion avec
Mussolini, à laquelle assistait Anfuso en charge depuis le 26 mars du sous-
secrétariat d’Etat aux Affaires étrangères, l’ambassadeur Rahn insista pour qu’il
transmît à Hitler une nouvelle proposition de paix avec Staline. Le dictateur
écouta avec attention les arguments en faveur d’un plan qu’il n’avait cessé de
défendre depuis quatre ans et sans y croire s’exécuta. Aucune réponse ne parvint
de Berlin55.
Toutefois, le dictateur tint bon à propos de son départ pour Milan, auquel les
Allemands s’opposaient. Le 18 avril, il quitta donc Gargnano et s’installa à la
préfecture de Milan pour y jouer le dernier acte de la pièce débutée vingt-six ans
plus tôt. Il partait sans aucune illusion sur la pérennité de son Etat. L’échec était
patent, et encore une fois il en rejetait toute la responsabilité sur les Italiens. Lors
de leur dernier entretien, il avait confié à Anfuso : « Fou ou non, je crois que si
ma folie avait été accompagnée d’un peu de bonne volonté, d’un léger effort de
la part des Italiens, elle ne serait pas jugée comme elle l’est aujourd’hui […]. Si
j’avais été accompagné du même élan que tant d’Italiens ont mis à suivre la
cause des Anglo-Saxons, nous n’en serions pas où nous en sommes. » Et
lorsqu’il termina en affirmant : « Mais peut-être bien que cet effort n’était pas
aussi mince que je le considère aujourd’hui. Peut-être que, sans m’en apercevoir,
je leur ai demandé une révolution56 », jamais sans doute il ne fut aussi proche de
la vérité.
Grâce à d’autres confidences, celles-ci faites à Vincenzo Costa, fédéral de
Milan, nous connaissons son état d’esprit et ses objectifs politiques : parvenir à
un accord avec les forces antifascistes dans le cas où le front du Pô céderait.
« Dans ce grave moment, expliqua-t-il, nous avons le devoir d’empêcher que
lors d’un éventuel passage des pouvoirs n’éclate une guerre civile. Un acte
d’indiscipline commis par des fascistes ferait échouer les discussions, les
propositions et les tractations qui pourraient se conclure positivement. » Il faisait
allusion ici à la tentative d’intrusion de fascistes milanais dans l’hôtel Plaza où
se tenait une réunion des comités de libération, acte qu’il condamnait avec
fermeté. Car, continua-t-il, « je voudrais m’entendre avec les socialistes mais ils
sont hésitants : maintenant se profilent d’autres possibilités que je considère
comme les seules positives ». Toutefois, en cas de rupture du front, il envisageait
de quitter Milan pour ne pas livrer la ville à la destruction, de procéder ensuite à
la transmission des pouvoirs, de libérer les forces armées de leur serment de
fidélité et de se barricader dans la vallée alpine de la Valteline, que Pavolini
voulait transformer en un réduit inexpiable. Une fois niché dans cette
« forteresse », il pourrait négocier avec le nouveau gouvernement italien la
reddition, la protection des derniers fascistes et de leurs familles contre les
représailles et sa propre livraison à un tribunal italien qu’il espérait impartial.
« Je n’entends pas me livrer aux tribunaux anglo-saxons, affirmait-il avec force,
ils m’empêcheraient de parler, de dire une vérité qui les brûlera57. »
La capitale lombarde où tout avait commencé offrait donc le cadre idéal pour
une négociation en vue d’une transition politique entre Italiens. Et pourquoi pas
une fusion entre le fascisme et le socialisme ? C’était la thèse que défendit le
journaliste Silvestri lors de son entrevue du 22 avril avec un Mussolini tout sauf
désespéré et qui se déclara même « totalement en dehors et contre le système
capitaliste ». Le journaliste l’exhortait à choisir le camp de la gauche, seul apte à
sauver les réalisations du fascisme et à empêcher le retour de la monarchie et du
capitalisme. C’était avec le PSI qu’il fallait négocier la remise des pouvoirs sur
la base des propositions exprimées devant Vincenzo Costa quelques jours plus
tôt. Mais les efforts de Silvestri en ce sens se heurtèrent à une fin de non-
recevoir qu’exprima avec netteté le chef socialiste Sandro Pertini, le 24 avril :
« Dites à Silvestri qu’avec Mussolini il n’y a plus rien à traiter. » La veille, les
Alliés avaient franchi le Pô… Le lendemain matin, 25 avril, devant le philosophe
Edmondo Cione, Mussolini toujours déterminé exprima le fond de sa pensée :
« Je voudrais consigner la République à des républicains et à des socialistes et
pas à des monarchistes et des réactionnaires », non sans répéter à plusieurs
reprises : « Il n’y a plus de Mussolini58. »
L’ultime rencontre pour négocier la reddition se déroula au palais de
l’archevêché, le 25 avril, à 17 heures. La délégation conduite par Mussolini y
rencontra celle du CLNAI composée entre autres du démocrate-chrétien Achille
Marazza et du commandant militaire de la Résistance, le général Cadorna. Le
temps pressait puisque l’insurrection générale était déclenchée dans Milan. Les
représentants du CLNAI, en position de force, exigèrent une reddition sans
conditions. Quand Graziani tapa du poing sur la table en affirmant que rien ne
serait signé à l’insu des Allemands, ses interlocuteurs révélèrent la teneur de
leurs négociations avec ceux-ci. Mussolini blêmit comme s’il sentait le souffle
de la mort sur lui avant d’exploser de rage devant cette forfaiture. Il décida de
retourner à la préfecture pour y prendre sa décision finale. Refusant de livrer la
ville à la guérilla urbaine et ses partisans à la vindicte antifasciste, il se rallia au
plan de la Valteline. Vers 20 heures, le dictateur déchu se résolut à quitter Milan
pour Côme. Mais avant de plier bagages, il demanda à voir le consul d’Espagne
et lui exprima une étrange requête : entamer avec l’ambassadeur anglais à Berne
une négociation en vue d’une reddition préservant de l’anéantissement un
fascisme présenté comme une « force utile pour une ultérieure lutte contre le
bolchevisme59 ». L’accélération dramatique des événements ne permit pas au
diplomate de mener sa mission à bien. Il n’empêche. Cette ultime requête
montrait que jusqu’au bout le Duce refusait sa mort politique.
Désormais il fallait partir. Dans la cour de la préfecture, Mussolini étreignit
son fils Vittorio en lui disant : « S’ils imaginent me clouer au pilori comme une
bête féroce dans la tour de Londres ou à Madison Square Garden, ils se trompent
lourdement. » Conscient de marcher vers son destin, il salua ses partisans à la
romaine avant de monter dans une Alfa Romeo avec Nicola Bombacci à ses
côtés. Le long cortège traversa la capitale lombarde plongée dans un grand
silence que seules venaient percer quelques rafales de mitraillettes. Avec lui, un
dernier carré de fidèles parmi lesquels Graziani, Buffarini Guidi, Tarchi,
Mezzasoma et sa maîtresse Claretta Petacci.
Resté encore quelques heures à Milan, Pavolini, qui avait crié « Le Duce ne
se rend pas ! », comme pour mieux s’en convaincre, ordonna à ses Brigades
noires de rejoindre son inexpugnable réduit de la Valteline pour que le fascisme
pérît comme le nazisme, les armes à la main, dans la glorieuse apocalypse des
adeptes de la mort. Or, pour succomber héroïquement, encore fallait-il disposer
de troupes. Déjà à Milan, la Brigade noire Resega, la Garde nationale
républicaine et même la Decima Mas s’étaient débandées. Lorsque, aux
premières heures du 27 avril, Pavolini parvint à rejoindre son maître installé
depuis la veille dans la ville de Menaggio, sur les rives du lac de Côme, il ne lui
apporta qu’une dizaine d’hommes armés au lieu des 50 000 promis. Tout était
fini. Décidé à rejoindre le Tyrol encore aux mains des Allemands, Mussolini
reprit alors la route dans une colonne de blindés allemands qui fut stoppée à
Dongo par des partisans. Malgré l’uniforme allemand dont il s’était à contrecœur
revêtu, il fut reconnu et arrêté. Le lendemain 28 avril, dans des conditions encore
troubles aujourd’hui et sur ordre du CLNAI, un groupe communiste commandé
par Walter Audisio, dit colonel Valerio, le fusilla avec sa maîtresse,
officiellement devant le portail de la villa Belmonte, à Giulino di Mezzegra, sur
le lac de Côme. Le même sort attendait ses derniers fidèles. Pavolini se battit
comme un diable, arme au poing, jusqu’à se jeter dans le lac pour échapper aux
partisans mais, traqué et blessé, il finit par être arrêté puis fusillé en criant « Vive
l’Italie ! » Quant à Bombacci, ce fut aux cris de « Vive le socialisme ! Vive
Mussolini ! » qu’il tomba sous les rafales.
Il restait à accomplir un dernier acte, une dernière cérémonie d’expiation,
celle qui purgerait l’Italie du fascisme et romprait le lien avec le régime défunt
par la profanation des corps. Elle eut lieu à Milan où les partisans ramenèrent les
dépouilles, tels des trophées, pour les jeter aux ultimes heures de la nuit sur la
place Loreto, là où précisément en août 1944 une dizaine des leurs avaient reçu
un traitement identique. Le macabre spectacle pouvait commencer. Une foule
sans cesse plus nombreuse et hystérique, fatiguée de l’oppression fasciste,
saturée de souffrances et assoiffée de vengeance, s’acharna sur le cadavre de
Mussolini, sur ce corps autrefois objet de son adoration, comme pour mieux
anéantir cette incarnation physique du fascisme. Par une étrange ironie du sort, le
très fidèle et mal aimé Starace mourut à ses côtés. Reconnu le 27 avril dans une
rue de Milan par un jeune homme qui lui avait demandé « Où vas-tu Starace ? »,
l’ancien hiérarque partant pour son footing avait répondu : « Prendre un café ! »
Remis aussitôt aux partisans, inconscient du sort qui l’attendait, jugé en vingt
minutes par un tribunal populaire, il fut emmené à son tour place Loreto pour y
contempler le cadavre de son ancien dieu qu’il salua à la romaine. « Faites
vite », lança-t-il à ses bourreaux qui le mitraillèrent de dos contre un mur.
Comme de vulgaires morceaux de viande, les cadavres finirent par être pendus
par les pieds à la poutre d’une station d’essence et offerts en spectacle à la
multitude.
Y a-t-il dans la misérable fin des chefs fascistes et dans leur calvaire
posthume un contenu christique qui conférerait au fascisme un aspect religieux
jusqu’à l’extrême limite de son existence ? Dans ce cas, il s’agirait de l’ultime
pulsion de la religion de la mort entretenue depuis la Grande Guerre par les
disciples du Romagnol. L’obscénité païenne de la place Loreto constitua en tout
cas la représentation la plus visible de l’écroulement cette fois-ci définitive du
régime et de la destruction du « pacte charismatique entre Mussolini et les
Italiens », selon la belle expression de l’historien Sergio Luzzatto60. Bien
d’autres fascistes subirent une mort tout aussi violente infligée comme juste
châtiment pour leurs crimes, pour prix de la vengeance aveugle ou au nom de la
justice aussi hâtive que politique dont les communistes se faisaient alors une
spécialité dans toute l’Europe libérée. Farinacci, fuyant Crémone, tenta de passer
en Suisse avant d’être arrêté par les partisans, jugé en une heure par un tribunal
du peuple composé de résistants et condamné à mort. Refusant de mourir fusillé
dans le dos, il se retourna in extremis pour faire face aux balles. Celui qui aurait
pu être un autre Duce mourut le 28 avril, le même jour que Mussolini. Buffarini
Guidi, lui, attendit juillet 1945 pour être exécuté. Le maréchal Graziani, le prince
Borghese mais aussi les très fascistes Scorza et Ricci échappèrent à la mort ainsi
que Grandi ou même Bottai qui, en 1944, s’engagea dans la Légion étrangère à
l’âge de 50 ans et abjura sa foi fasciste pour celle de l’Eglise catholique.
D’autres, plus anonymes, payèrent de leur vie leur engagement et leurs atrocités
lors d’une épuration « au coin du bois » qui fit, selon différentes sources, entre
12 000 et 15 000 victimes venant s’ajouter aux 45 000 partisans et 10 000 civils
tués. Une répression légale tenta bien de donner un cadre institutionnel à
l’épuration par l’adoption de différents décrets pris entre juillet 1944 et
avril 1945. En tout, les tribunaux prononcèrent 259 condamnations à mort dont
91 seulement furent exécutées et 6 000 peines de prison partiellement
accomplies. Puis vint la loi d’amnistie signée le 22 juin 1946 par le chef du très
stalinien PCI Palmiro Togliatti, garde des Sceaux dans le gouvernement d’Alcide
De Gasperi. L’Italie tournait la page.
CONCLUSION
Le fascisme est mort

Le fascisme s’acheva dans la violence en laissant derrière lui ruines, deuils,


haines et misères. Pouvait-il en être autrement pour ce mouvement
révolutionnaire aux racines jacobines, risorgimentales et garibaldiennes,
socialiste et nationaliste, ennemi implacable du libéralisme et de l’esprit
bourgeois, et qui se voulut religion civile de substitution au christianisme ? Venu
de l’extrême gauche socialiste, il voulut réconcilier nation et socialisme, en étant
porté par la classe moyenne qui, aux lendemains de la Grande Guerre, assuma un
rôle contestataire. Son projet de refonte des sociétés et de transformation de
l’homme portait en lui la violence comme les nuées portent l’orage. Pourtant,
force est de constater que l’Etat fasciste resta au stade d’un totalitarisme
incomplet et limité, plus fort dans l’intention que dans l’accomplissement si on
le compare à ses sanguinaires comparses soviétique et nationale-socialiste. Trop
de compromis, de forces hostiles, de corps autonomes se dressaient sur son
chemin pour lui permettre de s’emparer de l’esprit des Italiens et de détruire les
institutions traditionnelles. On est loin des horreurs du Goulag et d’Auschwitz.
Cette incontestable réalité ne dispense cependant pas de se poser une
question : jusqu’où serait allé le fascisme s’il n’avait pas été anéanti en 1945 ?
Aurait-il rejoint les deux autres totalitarismes dans l’échelle de l’horreur ? Ce
que l’on peut affirmer sans crainte d’être démenti, c’est qu’il connut une
inflexible montée en intensité, un crescendo dans la radicalité depuis les
compromis et la prudence de la première moitié des années 1920 jusqu’à la
brutalité de la RSI. Les années 1925, 1929, 1938, 1943 sont autant d’étapes vers
un Etat sans cesse plus oppressant, une violence toujours plus affirmée et légale,
une pression encore plus forte sur les consciences, tout cela au nom de la
révolution permanente.
Or, la révolution fasciste avorta et pas seulement à cause de l’échec militaire.
Elle avait échoué bien avant l’écroulement de 1943. On trouve les symptômes de
cette faillite déjà pendant le Ventennio et dans le fossé entre les mythes du
fascisme et les réalités sociales de l’Italie. L’homme nouveau ne surgit jamais du
pétrissage voulu par les chemises noires. La religion fasciste n’accoucha pas
d’une « communauté de croyants1 », mais d’une élite de fanatiques coiffant une
masse de sceptiques récitant des slogans creux, adorateurs sincères d’un Duce
dont ils se détournèrent dès qu’il se montra faillible et qu’ils abandonnèrent
quand les Judas du Grand Conseil le poussèrent vers la sortie. Mussolini réussit à
absorber une grande partie du fascisme dans sa propre personne. Ce fut la force
et la faiblesse du mouvement qui ne pouvait de ce fait que difficilement lui
survivre comme le démontra l’écroulement collectif de juillet 1943. Le maintien
de la monarchie, la puissance de l’Eglise, l’autonomie des grandes entreprises,
les différences sociologiques et géographiques de la société italienne et tout
simplement la nature même de l’être humain firent le reste pour entraver la
révolution anthropologique. Son échec n’enlève toutefois rien à sa nature
totalitaire. Il aurait même tendance à la confirmer.
L’histoire du fascisme, son programme, ses aspirations autant que ses
réalisations concrètes interdisent, on l’aura compris, de le considérer comme un
phénomène réactionnaire, terme que les fascistes réservaient à leurs adversaires.
Rien ne permet de douter de la prétention révolutionnaire des chemises noires.
Nous en avons donné d’innombrables preuves. Et c’est là la différence majeure
avec le régime du général Franco que son idéologie nationale-catholique
éloignait de la tabula rasa fasciste. Rien ne rattachait le Caudillo à la gauche
révolutionnaire ni dans son parcours personnel, ni dans sa vision du monde, ni
dans ses valeurs. Il ne céda pas, malgré d’incontestables tentations, aux sirènes
de la guerre mondiale, ne se laissa pas hypnotiser par l’Allemagne hitlérienne,
survécut au renversement des fascismes et mourut dans son lit en 1975. Ses
sentiments monarchistes lui firent même accepter le principe d’une restauration
de la Couronne qui assura à sa mort une transition vers le pluralisme
démocratique.
Soixante-dix ans après sa disparition, le fascisme hante encore l’Italie. Son
souvenir y est entretenu notamment à Predappio, autour de la maison natale du
Duce et du tombeau qui accueillit en 1957 sa dépouille après sa rocambolesque
disparition2. Depuis, la petite ville de Romagne est devenue un lieu de
pèlerinages dont l’ampleur, bien loin de celle de l’époque du régime, s’avère
néanmoins suffisante pour susciter réactions et polémiques. Il est vrai qu’on y
voit, lors des grandes dates anniversaires, des rassemblements de chemises
noires avec bras levés, au grand bénéfice de marchands du temple vendant cartes
postales et bustes du Duce ! Le reste du temps, des anonymes inscrivent sur les
registres placés dans la crypte familiale quelques mots souvent pleins
d’admiration pour le Duce du fascisme, d’exécration pour les politiciens,
d’angoisse pour l’avenir de l’Italie3. Tout cela reste néanmoins groupusculaire.
Sur le plan politique, le fascisme survécut sous la forme d’un parti politique
et ce malgré l’interdiction inscrite dans la Constitution de 1947 de toute
reconstitution d’une telle organisation. Créé dès 1946 par d’anciens partisans de
la RSI, le Movimento sociale italiano (« Mouvement social italien ») se
réclamait du fascisme révolutionnaire et s’inspirait directement du Manifeste de
Vérone. Mis au ban du système parlementaire mais bien enraciné, il connut des
succès électoraux notables à l’aube des années 1970, tout en étant tiraillé de
l’intérieur entre une ligne « droitière » et une autre plus révolutionnaire. A partir
de 1987, son chef, Gianfranco Fini, imposa de profondes évolutions doctrinales
qui aboutirent à la transformation en 1995 du MSI en Alleanza nazionale, parti
ouvertement de droite, et au reniement de tout le passé fasciste. Entré dans la
coalition de la droite libérale menée par Silvio Berlusconi, l’AN put ainsi
participer à plusieurs gouvernements. Le fascisme est définitivement entré dans
l’obscurité des groupuscusles4.
Autre héritage posthume, plus pérenne celui-ci : la survie de l’antifascisme.
En effet, on ne compte plus depuis 1945 les personnalités sur lesquelles a été
accolée l’étiquette infamante de fasciste. Pétain, Poujade, de Gaulle, l’OAS,
Chirac, Le Pen, Pinochet, Bush, Berlusconi, Poutine, Trump, Wilders, tous issus
d’un ventre décidément très fécond. En fait, le terme a été totalement galvaudé
après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale du fait de la récupération
politique opérée par les partis de gauche, qui réussirent à briser le lien ayant uni
une partie d’entre eux au fascisme pour réserver la passion révolutionnaire et le
salut des masses uniquement aux mouvements d’obédience marxiste. Une sorte
de succès posthume du Komintern en quelque sorte, comme l’a magnifiquement
analysé François Furet5. Le fascisme a ainsi été travesti en fruit indigne de la
bourgeoisie et en protecteur du capitalisme, alors que la haine pour ce monde
imprégna toute la vie de Mussolini et de la majorité de ses disciples.
Or, à force de voir des fascistes partout, on en oublie que le fascisme fut une
idéologie circonstanciée dans le temps, intrinsèquement liée à la crise du
tournant des XIXe-XXe siècles, à la Première Guerre mondiale, à la mauvaise paix
de 1919 et aux passions révolutionnaires de la première moitié du siècle. Cent
ans après la catastrophe de 1914-1918, notre monde n’a plus rien à voir avec
celui que les jeunes générations jetées dans la Grande Guerre ont connu. N’en
doutons pas, le fascisme est bel et bien mort en tant que mouvement de masse
dans les tragédies du second conflit mondial malgré la volonté de le voir
ressurgir ici ou là sous de nouvelles formes6. On prendra donc garde à ne pas le
confondre avec les mouvements contestataires actuels, dits populistes, dans
lesquels il est bien difficile de voir une remise en cause de la démocratie, tant sur
le fond que sur la forme, même si certains plus socialisants que les autres
reprennent l’antienne rousseauiste du combat entre les patriotes pauvres et les
riches cosmopolites, quand ce n’est pas celle de la lutte des classes entre le
« peuple » et les élites. Ce qui perdure en revanche, c’est la tentation de
remodeler l’être humain, de le transformer en fonction d’une idéologie, de
l’émanciper de sa propre et inaliénable nature. Ambition qui suppose toujours
pour sa réalisation un pouvoir de type totalitaire.
Bibliographie

La bibliographie du fascisme étant immense, on ne présente ici que les titres qui ont le plus servi à cette
étude.

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Notes

Introduction. Qu’est-ce que le fascisme ?


1. Renzo De Felice, Intervista sul fascismo, a cura di M. A. Leeden, Roma-Bari, 1975, p. 53-54.
2. Olivier Forlin, Le Fascisme. Historiographie et enjeux mémoriels, Paris, La Découverte, 2013.
3. Cité in Emilio Gentile, Renzo De Felice. L’Historien dans la cité, Monaco, Editions du Rocher,
2008, p. 118-119.
4. L’expression est de Fabrice Bouthillon in Nazisme et révolution. Histoire théologique du national-
socialisme 1789-1989, Paris, Fayard/Commentaire.
5. Alain Roux, Chiang Kaï-shek. Le grand rival de Mao, Paris, Payot, 2016, p. 192.

1. Au commencement était le socialisme


1. Jean-Yves Frétigné, Giuseppe Mazzini. Père de l’unité italienne, Paris, Fayard, 2006.
2. Pierre Milza, Histoire de l’Italie. Des origines à nos jours, Paris, Fayard, 2005, p. 669.
3. Francesco Guida, « Giuseppe Mazzini ou le romantisme politique » in Les Romantismes politiques
en Europe, sous la direction de Gérard Raulet, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2009,
p. 372.
4. Frédéric Le Moal, « L’Europe selon Cavour, l’antiromantisme ? » in Les Romantismes politiques en
Europe, op. cit., p. 351 sq.
5. Emilio Gentile, La Religion fasciste, Paris, Perrin, 2002, p. 14.
6. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, Paris, Flammarion, 1992, p. 60.
7. Mona Ozouf, entrée « Régénération » in Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris,
Flammarion, 1988, p. 821 sq.
8. Lire à ce propos les analyses profondes de Xavier Martin, S’approprier l’homme. Un thème
obsessionnel de la Révolution (1760-1800), Poitiers, DMM éditions, 2013, et Naissance du sous-homme au
cœur des Lumières. Les races, les femmes, le peuple, Poitiers, DMM éditions, 2014.
9. François Furet, La Révolution française, Paris, Quarto Gallimard, 2007, p. 969.
10. Zeev Sternhell, Les Anti-Lumières. Une tradition du XVIIIe siècle à la guerre froide, Paris, Fayard,
2006. Voir aussi son classique Ni droite, ni gauche. L’idéologie fasciste en France, 3e édition, Paris, Fayard,
2000.
11. Jean-René Suratteau, « Cosmopolitisme et patriotisme au siècle des Lumières » in Annales
historiques de la Révolution française, no 253, 1983, p. 368-369. Texte consultable sur
www.persee.fr/doc/ahrf_0003-4436_1983_num_253_1_1057.
12. Gilles Pécout, Naissance de l’Italie contemporaine (1770-1922), Paris, Nathan, 1997, p. 202-203.
13. Catherine Brice, Monarchie et identité nationale en Italie (1861-1900), Paris, EHESS éditions,
2010.
14. Emilio Gentile, Il Mito dello Stato nuovo, Roma-Bari, Laterza, 1982, p. 69-71.
15. Paul Aubert, « Pour une histoire idéologique et culturelle des nations méditerranéennes » in Crise
espagnole et renouveau idéologique et culturel en Méditerranée, fin XIXe-XXe siècle, sous la direction de
Paul Aubert, Aix-en-Provence, PUP, 2006, p. 6-7.
16. Francesco Gaeta, Il Nazionalismo italiano, Roma-Bari, Laterza, 1981, p. 105 ; Valerio Castronovo,
« Il mito dell’Italia grande proletaria » in Opinion publique et politique extérieure, 1870-1915, Rome, Ecole
française de Rome, 1981, p. 335.
17. Cité in Francesco Gaeta, La Crisi di fine secolo e l’età giolittiana, Milano, TEA, 1982, p. 330.
18. Gilles Pécout, Naissance de l’Italie contemporaine, op. cit., p. 336-337.
19. Mariella Rigotti Colin, « L’idée de Rome et l’idéologie impérialiste dans l’Italie libérale de 1870
à 1900 », op. cit., p. 8, 15-16.
20. Alberto Asor Rosa, « La cultura » in Storia d’Italia, vol. II, Giovanni Sabbatucci et Vittorio
Vidotto (dir.), Torino, Einaudi, 1975, p. 1253-1254.
21. Cité in Emilio Gentile, L’Apocalypse de la modernité. La Grande Guerre et l’homme nouveau,
Paris, Aubert, 2010, p. 55.
22. Emilio Gentile, La Religion fasciste, op. cit., p. 59.
23. Ibid., p. 154.
24. Pierre Milza, Histoire de l’Italie, op. cit., p. 780.
25. Antonis Liakos, « 1897 : les socialistes, les garibaldiens et la guerre » in Crise espagnole et
renouveau idéologique et culturel en Méditerranée, op. cit., p. 112.
26. Ibid., p. 113-114.
27. Alexander J. De Grand, The Italian Nationalist Associations and the Rise of Fascism in Italy,
Lincoln, University of Nebraska Press, 1978, p. 33.
28. Jacques Droz, « Georges Sorel et le nationalisme italien (1908-1914) » in La France et l’Italie
pendant la Première Guerre mondiale, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1976, p. 26-27.
29. Julien Freund, « Une interprétation de Georges Sorel », Revue européenne des sciences sociales,
no 36, 1976, p. 86-89.
30. Michel Ostenc, Intellectuels italiens et fascisme (1915-1929), Paris, Payot, 1983, p. 119-120.
31. Emilio Gentile, Le Origine dell’Italia contemporanea. L’età giolittiana, Roma-Bari, Laterza, 2003,
p. 265.
32. Voir Olivier Forlin, Le Fascisme. Historiographie et enjeux mémoriels, Paris, La Découverte,
2013.
33. Pierre Milza, Mussolini, Paris, Fayard, 1999, p. 23-24.
34. Ibid., p. 31.
35. Didier Musiedlak, Mussolini, Paris, Presses de Sciences Po, 2005, p. 189.
36. R. J. B. Bosworth, Mussolini. Un dittatore italiano, Milano, Mondadori, 2014.
37. Cité in Simone Visconti, « L’educazione rivoluzionaria di un Romagnolo in Svizzera » in
Mussolini socialista, a cura di Emilio Gentile e Spencer M. Di Scala, Roma-Bari, Laterza, 2015, p. 21.
38. Cité in Emilio Gentile, « Una rivoluzione per la Terza Italia » in Mussolini socialista, op. cit.,
p. 212-213.
39. Spencer M. Di Scala, « Benito Mussolini, i riformisti e la Grande Guerra », in Mussolini socialista,
op. cit., p. 113.
40. Michel Ostenc, Mussolini, une histoire du fascisme italien, Paris, Ellipse, 2013, p. 18 ; Simone
Visconti, « L’educazione rivoluzionaria di un Romagnolo in Svizzera » in Mussolini socialista, op. cit.,
p. 28-31.
41. Cité in Emilio Gentile, Il Mito dello Stato nuovo, op. cit., p. 111.
42. Didier Musiedlak, Mussolini, op cit., p. 231.
43. Cité in Stefano Biguzzi, « Un rivoluzionario in Trentino » in Mussolini socialista, op. cit., p. 47.
44. Didier Musiedlak, Mussolini, op cit., p. 223-224.
45. Cité in Emilio Gentile, « Una rivoluzione per la Terza Italia » in Mussolini socialista, op. cit.,
p. 175, 209-210.
46. Ibid., p. 226 ; Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 18.
47. Nicholas Farrell, Giancarlo Mazzuca, Il Compagno Mussolini, Soveria Mannelli, Rubbetino, 2013,
p. 196.
48. Ibid., p. 113 ; Georges Saro, « L’Italie à travers les comptes rendus et préfaces de Mussolini :
naissance d’une doctrine (1902-1914) », Cahiers de la Méditerranée [en ligne], no 88, 2014, mis en ligne le
3 décembre 2014, consulté le 10 janvier 2016. URL : http://cdlm.revues.org/7374 ; Marco Gervasoni,
« Conflits sociaux, révolution socialiste et démocratie parlementaire : mythes de la violence et mythes des
foules, 1898-1914 » in Quand tombe la nuit. Origines et émergences des régimes totalitaires en Europe,
Stéphane Courtois (dir.), Paris, L’âge d’homme, 2001, p. 45.
49. Renzo De Felice, « L’interventismo revoluzionario » in Il Trauma dell’intervento : 1914-1919,
Alberto Caraccioli (dir.), Firenze, Vallechi, 1968, p. 281 ; Marco Gervasoni, « Conflits sociaux, révolution
socialiste et démocratie parlementaire : mythes de la violence et mythes des foules, 1898-1914 », op. cit.,
p. 43-44 ; Marco Gervasoni, « Mussolini : un sindacalista rivoluzionario ? » in Mussolini socialista, op. cit.,
p. 94.
50. Cité in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera. Dalle origini al 25 luglio 1943, Milano,
Mondadori, 2006, p. 26.
51. Cité in Mariella Rigotti Colin, « L’idée de Rome et l’idéologie impérialiste dans l’Italie libérale
de 1870 à 1900 », op. cit., p. 24.
52. Frédéric Le Moal, « L’Italie et la crise de juillet 1914 : le choix de la neutralité » in La Crise de
juillet 1914 et l’Europe, Paris, Editions S.P.M., 2016, p. 265 sq. ; « Fra Giolitti e Salandra » in Gli Italiani
in guerra, vol. 3, La Grande Guerra, Mario Isnenghi et Daniele Ceschin (dir.), Torino, UTET, 2008.
53. Cité in Michel Ostenc, Intellectuels italiens et fascisme, op. cit., p. 35.
54. Spencer M. Di Scala, « Benito Mussolini, i riformisti e la Grande Guerra », in Mussolini socialista,
op. cit., p. 127-128.
55. Cité in Nicholas Farrell, Giancarlo Mazzuca, Il compagno Mussolini, op. cit., p. 188.
56. Cité in Emilio Gentile, « Una rivoluzione per la Terza Italia » in Mussolini socialista, op. cit.,
p. 238.
57. Renzo De Felice, Mussolini il rivoluzionario, Torino, Einaudi, 1970, p. 295-296.
58. Cité in Emilio Gentile, « Una rivoluzione per la Terza Italia » in Mussolini socialista, op. cit.,
p. 243.
59. Nicholas Farrell, Giancarlo Mazzuca, Il Compagno Mussolini, op. cit., p. 194-195.
60. Cité in Nicholas Farrell, Giancarlo Mazzuca, Il Compagno Mussolini, op. cit., p. 200.
61. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 73.
62. Mario Isnenghi, Il Mito della Grande Guerra da Marinetti a Malaparte, Roma-Bari, 1970, p. 98-
99.
63. Cité in Michel Ostenc, Intellectuels italiens et fascisme, op. cit., p. 49-50.
64. Frédéric Le Moal, Victor-Emmanuel III. Un roi face à Mussolini, Paris, Perrin, 2015, p. 204-207.
65. Brunello Vigezzi, L’Italia unita e le sfide della politica estera, dal Risorgimento alla repubblica,
Milano, Unicopoli, 1997, p. 199 ; Frédéric Le Moal, La France et l’Italie dans les Balkans. Le contentieux
adriatique, 1914-1919, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 67 sq.
66. Cité in Pierre Milza, Mussolini, op. cit., p. 195-196.
67. Cité in Nicholas Farrell, Giancarlo Mazzuca, Il Compagno Mussolini, op. cit., p. 211.
68. Martin Malia, Histoire des révolutions, Paris, Tallandier, 2006, p. 289.
69. Didier Musiedlak, Mussolini, op. cit., p. 272.

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2. Stéphane Courtois, Communisme et totalitarisme, Paris, Tempus/Perrin, 2009, p. 57-58.
3. Walter L. Adamson, « The Impact of World War I on Italian Political Culture » in European Culture
in the Great War. The Arts, Entertainment and Propaganda, 1914-1918, A. Roshwald and R. Stites eds.,
Cambridge University Press, 1999, p. 318.
4. Andrea Masseroni, « Dal “culto della patria” alla “religione fascista”. Momenti del processo di
auto-rappresentazione religiosa del fascismo » in Nuova Storia contemporanea, 2014/5, p. 15-16.
5. Cité in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 77.
6. Didier Musiedlak, Mussolini, op cit., p. 29-35.
7. Giuseppe Bottai, Diario, 1935-1944, a cura di Giordano Bruno Guerri, Milano, BUR, 2001, p. 38.
8. Mario Isnenghi, Giorgio Rochat, La Grande Guerra, 1914-1918, Milano, La Nuova Italia, 2000,
p. 401 sq. ; Michel Ostenc, Intellectuels italiens et fascisme, op. cit., p. 82-83.
9. Maurizio Serra, Malaparte. Vies et légendes, Paris, Grasset, 2011, p. 82-83 ; Michel Ostenc,
Intellectuels italiens et fascisme, op. cit., p. 70-71.
10. Cité in Nicholas Farrell, Giancarlo Mazzuca, Il compagno Mussolini, op. cit., p. 245.
11. Renzo De Felice, « L’interventismo revoluzionario » in Il trauma dell’intervento : 1914-1919, op.
cit., p. 289-290.
12. Cité in Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, ovvero delal rivoluzione fascista, Firenze, Le Lettere,
2007, p. 19.
13. Cité in Stéphanie Lanfranchi et Elise Varcin, « Mussolini et “coloro che ci sono stati” », Italies [en
ligne], no 19, 2015, mis en ligne le 30 mars 2016, consulté le 12 décembre 2016. URL :
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14. Cité in Nicholas Farrell, Giancarlo Mazzuca, Il compagno Mussolini, op. cit., p. 256.
15. Frédéric Le Moal, La France et l’Italie dans les Balkans, op. cit., p. 339 sq.
16. Eric Vial, Guerres, société et mentalités. L’Italie au premier XXe siècle, Paris, Seli Arslan, 2003,
p. 106.
17. Ernst Nolte, « Révolution et contre-révolution en Europe » in Quand tombe la nuit, op. cit., p. 107.
18. Marco Mondini, La Politica delle arme. Il ruolo dell’esercito nell’avvento del fascismo, Bari-
Roma, Laterza, 2015, p. 13-26.
19. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 78-79 ; Emilio Gentile, Il mito dello
Stato nuovo, op. cit., p. 146-152.
20. Cité in Xavier Martin, S’approprier l’homme, op. cit., p. 39.
21. Michele Fatica, « Michele Bianchi » in Uomini e volti del fascismo, Ferdinando Cordova (dir.),
Roma, Bulzoni, 1980, p. 51-55.
22. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 84 ; Emilio Gentile, Il mito dello
Stato nuovo, op. cit., p. 153.
23. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 23.
24. Pierre Milza, Mussolini, op. cit., p. 239 ; Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 39.
25. Cité in Nicholas Farrell, Giancarlo Mazzuca, Il compagno Mussolini, op. cit., p. 271.
26. Il Popolo d’Italia, 6 octobre 1919.
27. Cité in Pierre Milza, Mussolini, op. cit., p. 239.
28. Cité in Romano Canosa, Farinacci. Il superfascista, Milano, Mondadori, 2010, p. 16.
29. Augusto Del Noce, L’Epoque de la sécularisation, Paris, Editions des Syrtes, 2001, p. 156-158.
30. Paolo Nello, « Fascismo perchè, fascismo che cosa. Dalle origine alla marcia sur Roma » in Nuova
Storia contemporanea, 2006/1, p. 26-27.
31. Frédéric Le Moal, Victor-Emmanuel III, op. cit., p. 264-266.
32. Didier Musiedlak, Mussolini, op. cit., p. 280-281.
33. Francesco Perfetti, Fiumanesimo, sindicalismo e fascismo, Roma, Bonacci editore, 2006, p. 17-19.
34. Francesco Perfetti, « D’Annunzio politico » in Nuova Storia contemporanea, 2013/4, p. 12-13 ;
Claudia Salaris, Alla festa della rivoluzione. Artisti e libertari con D’Annunzio a Fiume, Bologna, Il
Mulino, 2002, p. 42-43.
35. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 88-89.
36. Marco Mondini, La Politica delle arme, op. cit., p. 46-50.
37. Mimmo Franzinelli, Squadristi. Protagonisti e techniche della violenza fascista, 1919-1922,
Milano, Mondadori, 2003, p. 46.
38. Mimmo Franzinelli, Squadristi, op. cit., p. 22 et 26.
39. Paolo Nello, « Fascismo perchè, fascismo che cosa. Dalle origine alla marcia sur Roma », op. cit.,
p. 29-31.
40. Emilio Gentile, Il Mito dello Stato nuovo, op. cit., p. 157-158.
41. Eric Vial, « L’Italie post-guerre : logique pour une guerre civile ? » in Les Logiques totalitaires en
Europe, Stéphane Courtois (dir.), Monaco, Editions du Rocher, 2006, p. 259.
42. Marco Mondini, La Politica delle arme, op. cit., p. 52-58.
43. Mimmo Franzinelli, Squadristi, op. cit., p. 52.
44. Emilio Gentile, La Religion fasciste, op. cit., p. 54-58.
45. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, Roma-Bari, Laterza, 2006, p. 22 ; Marco Mondini, La
politica delle arme, op. cit., p. 54.
46. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 23-24.
47. Mimmo Franzinelli, Squadristi, op. cit., p. 58-68.
48. Salvatore Lupo, Le Fascisme italien. La politique dans un régime totalitaire, Paris, Flammarion,
2003, p. 109-113 ; Claudio Segré, « Italo Balbo », in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 10-11.
49. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 110-111.
50. Marco Mondini, La Politica delle arme, op. cit., p. 91.
51. Fabio Fabbri, Le Origine della guerra civile. L’Italia dalla Grande Guerra al fascismo, 1918-
1921, Torino, Utet, 2009, p. 532-542.
52. Renzo De Felice, Mussolini il fascista. I. La conquista del potere, 1921-1925, Torino, Einaudi,
1966, p. 94.
53. Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 36-37.
54. Sandro Setta, « Federzoni » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 255-256.
55. Cité in Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 41.
56. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 30.
57. Cité in Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 43 ; Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit.,
p. 62-63.
58. Renzo De Felice, Mussolini il fascista, op. cit., p. 172 sq.
59. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 53-54.
60. Paolo Nello, « Fascismo perchè, fascismo che cosa. Dalle origine alla marcia sur Roma », op. cit.,
p. 36-37.

3. Octobre noir
1. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 55.
2. Ernst Nolte, Fascisme et totalitarisme, édition établie et présentée par Stéphane Courtois, Paris,
Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2008, p. 348-349.
3. Emilio Gentile, « Le fascisme italien : une révolution au-delà de l’antimarxisme et de la contre-
révolution », in Fascisme et totalitarisme, op. cit., p. 243-245.
4. Cité in Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 45 ; Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit.,
p. 67.
5. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 32-34.
6. Marco Mondini, La Politica delle arme, op. cit., p. 144.
7. Emilio Gentile, Soudain, le fascisme. La marche sur Rome, l’autre révolution d’Octobre, Paris,
Gallimard, octobre 2015, p. 45-50.
8. A. Giardina, A. Vauchez, Il Mito di Roma. Da Carlo Magno a Mussolini, Roma-Bari, Laterza, 2016,
p. 215-224.
9. Cité in A. Giardina, A. Vauchez, Il Mito di Roma, op. cit., p. 217.
10. Cité in Ruth Ben-Ghiat, Fascist Modernities. Italy, 1922-1945, Los Angeles, University of
California Press, 2001, p. 17.
11. Emilio Gentile, Soudain, le fascisme, op. cit., p. 69-72.
12. Mimmo Franzinelli, Squadristi, op. cit., p. 147-152.
13. Cité in Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 57.
14. Marco Mondini, La Politica delle arme, op. cit., p. 147.
15. Frédéric Le Moal, Les Divisions du pape. La papauté face aux dictateurs, 1917-1989, Paris,
Perrin, 2016, p. 59-60.
16. Emilio Gentile, Pour ou contre César ? Les religions chrétiennes face aux totalitarismes, Paris,
Aubier, 2013, p. 87-93.
17. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 41.
18. Emilio Gentile, Soudain, le fascisme, op. cit., p. 103.
19. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 44.
20. Emilio Gentile, Soudain, le fascisme, op. cit., p 109-110 ; Marco Mondini, La Politica delle arme,
op. cit., p. 150-159.
21. Mimmo Franzinelli, Squadristi, op. cit., p. 153.
22. Paolo Nello, « Fascismo perchè, fascismo che cosa. Dalle origine alla marcia sur Roma », op. cit.,
p. 39.
23. Monte S. Finkelstein, « De Bono » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 181-182.
24. Marco Innocenti, Lui e loro. Mussolini e i suoi gerarchi, Milano, Mursia, 2012, p. 274.
25. Cité in Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 86 ; Frédéric Le Moal, Victor-
Emmanuel III, op. cit., p. 280.
26. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 94-95.
27. Frédéric Le Moal, Victor-Emmanuel III, op. cit., p. 280-281.
28. Marco Mondini, La Politica delle arme, op. cit., p. 160-162.
29. Cité in Marco Innocenti, Lui e loro, op. cit., p. 95.
30. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 71.
31. Emilio Gentile, Soudain, le fascisme, op. cit., p. 162.
32. Renzo De Felice, Mussolini il fascista, op. cit., p. 352-353.
33. Cesare Maria De Vecchi di Val Cismon, Il Quadrumviro scomodo. Il vero Mussolini nelle memorie
del più monarchico dei fascisti, Milano, Mursia, 1983, p. 70.
34. Emilio Gentile, Soudain, le fascisme, op. cit., p. 162.
35. Marco Mondini, La Politica delle arme, op. cit., p. 171.
36. Monte S. Finkelstein, « De Bono » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 184.
37. Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 67.
38. Cité in Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 125.
39. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 125-126.
40. Emilio Gentile, La Voie italienne au totalitarisme, Monaco, Editions du Rocher, 2004, p. 168.
41. A titre d’exemples, citons Marco Mondini et Giulia Albanese pour la première thèse, et Emilio
Gentile pour la seconde. Le compromis me paraît évident comme je le démontre dans ma biographie de
Victor-Emmanuel III.
42. Eric Vial, « L’Italie post-guerre : logique pour une guerre civile ? » in Les Logiques totalitaires en
Europe, op. cit., p. 252.

4. La normalisation du fascisme
1. Pierre Milza, Mussolini, op. cit., p. 313.
2. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 151-158.
3. Cité in Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 68.
4. Pierre Milza, Mussolini, op. cit., p. 315.
5. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 177.
6. Cité in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 115.
7. Paolo Colombo, La Monarchia fascista, Bologna, Il Mulino, 2010, p. 33.
8. Monte S. Finkelstein, « De Bono » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 187.
9. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 179-180.
10. Paolo Colombo, La Monarchia fascista, op. cit., p. 45.
11. Yannick Beaulieu, « La presse italienne, le pouvoir politique et l’autorité judiciaire durant le
fascisme », Amnis [en ligne], no 4, 2004, mis en ligne le 1er septembre 2004, consulté le 13 juillet 2016.
URL : http://amnis.revues.org/673 ; DOI : 10.4000/amnis.673
12. Francesco Perfetti, Fascismo e riforme istituzionali, Firenze, Le Lettere, 2013, p. 23.
13. Emilio Gentile, Pour ou contre César ?, op. cit., p. 141-142.
14. Didier Musiedlak, Parlementaires en chemises noires, 1922-1943, Besançon, PUFC, 2007, p. 242-
249.
15. Car composée de cinq membres : Giunta, Acerbo, Bianchi, Finzi et Rossi.
16. Cité in Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 103 et 105.
17. Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 80-81.
18. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 107-108.
19. Frédéric Attal, Histoire des intellectuels italiens au XXe siècle. Prophètes, philosophes et experts,
Paris, Les Belles Lettres, 2013, p. 137.
20. Cité in Francesco Malgeri, « Giuseppe Bottai » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 115.
21. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 109-111.
22. Monte S. Finkelstein, « De Bono » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 187-188.
23. Didier Musiedlak, Parlementaires en chemises noires, 1922-1943, op. cit., p. 199-200.
24. Paolo Colombo, La Monarchia fascista, op. cit., p. 87.
25. Francesco Perfetti, Fascismo e riforme istituzionali, op. cit., p. 26.
26. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 129.
27. Domenico Vecchioni, Le Spie di Mussolini. Uomini, apparati e operazioni di intelligence
nell’Italia del Duce, Editoriale Olimpia, 2015, p. 20.
28. Didier Musiedlak, Parlementaires en chemises noires, op. cit., p. 251-252.
29. Cité in Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 89.
30. Didier Musiedlak, Parlementaires en chemises noires, op. cit., p. 254.
31. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 81-82.
32. Paolo Colombo, La Monarchia fascista, op. cit., p. 47-49.
33. Renzo De Felice, Mussolini il fascista, op. cit., p. 658-659
34. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 142-143.
35. Monte S. Finkelstein, « De Bono » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 190-191.
36. Matteo Baragli, « Catholicisme et nationalisme dans l’Italie fasciste : la réponse clérico-fasciste à
la sécularisation d’une nation catholique (1919-1929) », in Amnis [en ligne], 2012/11, consulté le 10 février
2016.
37. Emilio Gentile, Fascismo e antifascismo. I partiti italiani fra le due guerre, Firenze, Felice Le
Monnier, 2000, p. 131-132.
38. Frédéric Attal, Histoire des intellectuels italiens au XXe siècle, op. cit., p. 194-195.
39. Bernard Bruneteau, Les Totalitarismes, Paris, Armand Colin, 2005, p. 12.
40. Francesco Perfetti, Fascismo e riforme istituzionali, op. cit., p. 26.
41. Didier Musiedlak, Parlementaires en chemises noires, op. cit., p. 258.
42. Paolo Colombo, La Monarchia fascista, op. cit., p. 34.
43. Frédéric Le Moal, Victor-Emmanuel III, op. cit., p. 298-299.
44. Didier Musiedlak, Parlementaires en chemises noires, op. cit., p. 260.
45. Danilo Veneruso, « Alberto De Stefani, un liberista nel regime fascista » in Nuova Storia
contemporanea, 2013/5, p. 36.
46. Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 72-73.
47. Frédéric Attal, Histoire des intellectuels italiens au XXe siècle, op. cit., p. 133. Francesco Perfetti,
« Giovanni Gentile, tra liberalismo e fascismo », in Nuova Storia contemporanea, 2013/1.
48. Ibid., p. 161 ; Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 74.
49. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 137-138.
50. Ibid., p. 120.
51. Ivan Buttignon, Compagno Duce. Fatti, personaggi, idee e contraddizioni del fascismo di sinistra,
Hobby & Work Publishing, 2010, p. 79-81.
52. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 147.
53. Le discours peut être lu dans son intégralité in Emilio Gentile, Fascismo e antifascismo, op. cit.,
p. 153-154.
54. Mario Luciolli, « Mussolini, uomo di sinistra », Nuova Storia contemporanea, 2011/5, p. 135.

5. L’Etat totalitaire pas à pas


1. Pour plus de détails, voir entre autres Marie-Anne Matard-Bonucci, Histoire de la mafia des
origines à nos jours, Paris, Flammarion, 2001.
2. Didier Musiedlak, Parlementaires en chemises noires, op. cit., p. 262-272 ; Emilio Gentile,
Fascismo e antifascismo, op. cit., p. 133.
3. Cité in Francesco Perfetti, Fascismo e riforme istituzionali, op. cit., p. 61-62.
4. Paolo Colombo, La Monarchia fascista, op. cit., p. 56-57 ; Francesco Perfetti, Fascismo e riforme
istituzionali, op. cit., p. 55.
5. Frédéric Le Moal, Victor-Emmanuel III, op. cit., p. 303-304.
6. Cité in Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 158.
7. Emilio Gentile, La Voie italienne au totalitarisme, op. cit., p. 173-174.
8. Cité in Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 120.
9. Ibid., p. 111.
10. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 86-87.
11. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 156-158.
12. Renzo De Felice, Mussolini. Il fascista. Vol. II. L’organizzazzione dello Stato. 1925-1929, Torino,
Einaudi, 1968, p. 127.
13. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 175-176 et 183.
14. Ibid., p. 181.
15. Cité in Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 129.
16. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 192.
17. Ibid., p. 205-206 ; Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 140.
18. Renzo De Felice, Mussolini. Il fascista. L’organizzazzione dello Stato, op. cit., p. 66.
19. Jean-Yves Domargen, Logiques du fascisme, Paris, Fayard, 2008, p. 13.
20. Pierre Milza, Mussolini, op. cit., p. 375 ; Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera,
op. cit., p. 127.
21. Emilio Gentile, La Voie italienne au totalitarisme, op. cit., p. 185.
22. Paolo Colombo, La Monarchia fascista, op. cit., p. 69-75.
23. Didier Musiedlak, Parlementaires en chemises noires, op. cit., p. 281-282.
24. Emilio Gentile, La Voie italienne au totalitarisme, op. cit., p. 177-178.
25. Danilo Veneruso, « Alberto De Stefani, un liberista nel regime fascista », op. cit., p. 38.
26. Pierre Milza, Mussolini, op. cit., p. 386-388.
27. Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 148.
28. Elisabetta Novello, La Bonifica in Italia. Legislazione, credito e lotta alla malaria dell’Unità al
fascismo, Milano, Franco Angeli, 2003, p. 279.
29. Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 95-96.
30. Emilio Gentile, La Religion fasciste, op. cit., p. 75-83.
31. Frédéric Le Moal, Victor-Emmanuel III, op. cit., p. 321.
32. Emilio Gentile, La Religion fasciste, op. cit., p. 105.
33. Ibid., p. 261.
34. Michel Ostenc, L’Education en Italie pendant le fascisme, Paris, Publications de la Sorbonne,
1980, p. 237 sq.
35. Giorgio Fabre, Mussolini razzista. Dal socialismo al fascismo : la formazione di un antisemita,
Milano, Garzanti Libri, 2005, p. 198-200.
36. Didier Musiedlak, Mussolini, op. cit., p. 261-265.
37. Giovanni Belardelli, Il Ventennio degli intelletuali. Cultura, politica, ideologia nell’Italia fascista,
Roma-Bari, Laterza, 2005, p. 3.
38. Ruth Ben-Ghiat, Fascist modernities. Italy, 1922-1945, Berkeley, University of California Press,
2001, p. 21.
39. Frédéric Attal, Histoire des intellectuels italiens au XXe siècle, op. cit., p. 129.
40. Giovanni Belardelli, Il Ventennio degli intelletuali, op. cit., p. 12 ; Frédéric Attal, Histoire des
intellectuels italiens au XXe siècle, op. cit., p. 162.
41. Frédéric Attal, Histoire des intellectuels italiens au XXe siècle, op. cit., p. 163.
42. Giovanni Belardelli, Il Ventennio degli intelletuali, op. cit., p. 17-18.
43. Ibid., p. 18-23.
44. Frédéric Attal, Histoire des intellectuels italiens au XXe siècle, op. cit., p. 132.
45. Ruth Ben-Ghiat, Fascist Modernities, op. cit., p. 5-7.
46. Giovanni Belardelli, Il Ventennio degli intelletuali, op. cit., p. 26-31.
47. Emilio Gentile, La Voie italienne au totalitarisme, op. cit., p. 144.
48. Cité in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 124-125.
49. Ivan Buttignon, Compagno Duce, op. cit. p. 59.
50. Cité in Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 186.
51. Cité in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 155.
52. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 130 ; Francesco Malgeri, « Giuseppe
Bottai » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 127.
53. Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 146-150.
54. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 228.
55. Giuseppe Pardini verse de nouvelles pièces au dossier, cf. p. 232-236.
56. Cité in Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 237.
57. Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 170.
58. Cité in Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 262.
59. Harry D. Fornari, « Roberto Farinacci » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 231.

6. Le fascisme aux commandes


1. Cité in Didier Musiedlak, Mussolini, op. cit., p. 271.
2. Emilio Gentile, La Religion fasciste, op. cit., p. 114.
3. Mona Ozouf, entrée « Religion révolutionnaire » in Dictionnaire critique de la Révolution
française, op. cit., p. 612.
4. Cité in Emilio Gentile, Pour ou contre César ?, op. cit., p. 80.
5. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, op. cit., p. 162.
6. Galeazzo Ciano, Journal politique, I. août 1937-septembre 1939, préface de Maurizio Serra, Paris,
Perrin-Tempus, 2015, p. 333.
7. Giovanni Sale, La Chiesa di Mussolini. I rapporti tra religione e fascismo, Torino, Rizzoli, 2011,
p. 77-78.
8. Yves Chiron, Pie XI, Paris, Perrin, 2004, p. 224-227.
9. Antoine Thibaudeau à la Convention nationale, 1er août 1793, cité in Xavier Martin, S’approprier
l’homme, op. cit., p. 66.
10. Jean-Jacques Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne et sur sa réformation
projetée, version numérique http://www.espace-rousseau.ch/f/textes/considerations_pologne.pdf, p. 17.
11. Cité in Jacques Julliard, Grégoire Franconie, La Gauche par les textes. 1762-2012, Paris,
Flammarion, 2012, p. 102-103.
12. Emil Ludwig, Entretiens avec Mussolini, présentation de Maurizo Serra, Paris, Perrin, coll.
« Tempus », 2016, p. 160.
13. Cesare Maria De Vecchi di Val Cismon, Il Quadrumviro scomodo, op. cit., p. 130.
14. Cité in Emma Fattorini, Pio XI, Hitler e Mussolini. La solitudine di un papa, Torino, Einaudi,
2007, p. 30.
15. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, op. cit., p. 123.
16. Giovanni Belardelli, Il Ventennio degli intelletuali, op. cit., p. 251-252.
17. Paolo Colombo, La Monarchia fascista, op. cit., p. 92.
18. Simona Colarizi, L’Opinione sotto il regime, 1929-1943, Roma-Bari, Laterza, 2000, p. 33.
19. Cité in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 229.
20. Ibid., p. 232.
21. Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 161.
22. Simona Colarizi, L’Opinione sotto il regime, op. cit., p. 55-59.
23. Giuseppe Bottai, Diario, op. cit., p. 159 ; Giovanni Belardelli, Il Ventennio degli intelletuali,
op. cit., p. 248.
24. Frédéric Attal, Histoire des intellectuels italiens au XXe siècle, op. cit., p. 138.
25. Emilio Gentile, Il Mito dello Stato nuovo, op. cit., p. 215-216.
26. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 258.
27. Cité in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 244-245.
28. Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 160.
29. Ibid., p. 163.
30. Ivan Buttignon, Compagno Duce, op. cit., p. 135.
31. Emilio Gentile, La Voie italienne au totalitarisme, op. cit., p. 190.
32. Pierre Milza, Mussolini, op. cit., p. 597.
33. Frédéric Le Moal, Les Divisions du pape, op. cit., p. 68 sq.
34. Emilio Gentile, La Religion fasciste, op. cit., p. 140.
35. Marco Innocenti, Lui e loro, op. cit., p. 175-176.
36. Roberto Festorazzi, Starace. Il mastino della rivoluzione fascista, Milano, Mursia, 2002, p. 79.
37. Ibid., p. 83.
38. Emilio Gentile, La Voie italienne au totalitarisme, op. cit., p. 179 et 196.
39. Roberto Festorazzi, Starace, op. cit., p. 86-87.
40. Claudio Segré, « Italo Balbo », in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 20-21 ; Marco Innocenti,
Lui e loro, op. cit., p. 144-145.
41. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 346-347.
42. Ibid., p. 349.
43. Cité in Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 357.
44. Harry D. Fornari, « Roberto Farinacci » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 233.
45. Ivan Buttignon, Compagno Duce, op. cit., p. 20.
46. Cité in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 245-246.
47. Paolo Colombo, La Monarchia fascista, op. cit., p. 93.
48. Didier Musiedlak, Parlementaires en chemises noires, 1922-1943, op. cit., p. 298-300.
49. Paolo Buchignani, « Il fascismo rivoluzionario di Marcello Gallian » in Nuova Storia
contemporanea, 2009/1, p. 31 et 49.
50. Ivan Buttignon, Compagno Duce, op. cit., p. 66.
51. Maurizio Serra, Malaparte, op. cit., p. 166-168.
52. Cités in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 234-235. On lira aussi les
très intéressantes pages de Thierry Wolton, Une histoire du communisme. Essai d’investigation historique,
t. I, Les Bourreaux, Paris, Grasset, 2015, p. 374-376.
53. Mario Luciolli, « Mussolini, uomo di sinistra », op. cit., p. 137.
54. Ivan Buttignon, Compagno Duce, op. cit., p. 91-92 ; Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia
nera, op. cit., p. 242.
55. Bruno P. F. Wanrooij, « Italian society under fascism » in Liberal and Fascist Italy, edited by
Adrian Lyttelton, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 177.
56. Christopher Duggan, Ils y ont cru, op. cit., p. 306-307.
57. Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 141.
58. Emilio Gentile, La Voie italienne au totalitarisme, op. cit., p. 211.
59. Simona Colarizi, L’Opinione sotto il regime, op. cit., p. 173-174.
60. Emilio Gentile, « Parti, Etat, monarchie dans l’expérience totalitaire fasciste » in Quand tombe la
nuit, op. cit., p. 256.
61. Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac de Garde, 1936-1945. Mémoires d’un ambassadeur
fasciste, préface et notes de Maurizo Serra, Paris, Perrin, 2016, p. 97.
62. Marco Palla, « Per un profilo della classe dirigente fascista » in Classi dirigenti nella storia
d’Italia, a cura di B. Bongiovanni e N. Tranfaglia, Roma-Bari, Laterza, 2006, p. 157-160.
63. Pierre Milza, Mussolini, op. cit., p. 476.
64. Emilio Gentile, La Voie italienne au totalitarisme, op. cit., p. 227.
65. Paolo Colombo, La Monarchia fascista, op. cit., p. 97.
66. Frédéric Attal, Histoire des intellectuels italiens au XXe siècle, op. cit., p. 224.
67. Emilio Gentile, Fascismo e antifascismo, op. cit., p. 260.
68. Piero Craveri, De Gasperi, Bologna, Il Mulino, 2006, p. 92-93.
69. Frédéric Attal, Histoire des intellectuels italiens au XXe siècle, op. cit., p. 215-217.
70. Luciano Regolo, Così combattevamo il Duce. L’impegno antifascista di Maria José di Savoia
nell’archivio inedito dell’amica Sofia Jaccarino, Roma, Kogoi, 2013.
71. Simona Colarizi, L’Opinione sotto il regime, op. cit., p. 177.

7. La fascisation des Italiens


1. Cité in Giovanni Belardelli, Il Ventennio degli intelletuali, op. cit., p. 24.
2. Cité in Xavier Martin, S’approprier l’homme, op. cit., p. 25.
3. Florent Bussy, Le Totalitarisme. Histoire et philosophie d’un phénomène politique extrême, Paris,
Cerf, 2014, p. 69-71.
4. Jean-Jacques Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne…, op. cit., p. 10-11.
5. Emil Ludwig, Entretiens avec Mussolini, op. cit., p. 106.
6. Henri Béraud, Ce que j’ai vu à Rome, Paris, Les Editions de France, 1929, p. 82.
7. Emil Ludwig, Entretiens avec Mussolini, op. cit., p. 160.
8. Paolo Buchignani, « Il fascismo rivoluzionario di Marcello Gallian », op. cit., p. 34.
9. Cité in Thomas Siret, « Nationalistes et patriotes : un clivage révolutionnaire qui dure encore » in
Liberté politique, 2016/70, p. 62.
10. Cité in Xavier Martin, Naissance du sous-homme au cœur des Lumières, op. cit., p. 372.
11. Florent Bussy, Le Totalitarisme, op. cit., p. 201.
12. Emil Ludwig, Entretiens avec Mussolini, op. cit., p. 143, 157 et 162.
13. Cité in Giovanni Belardelli, Il Ventennio degli intelletuali, op. cit., p. 248.
14. Yvon de Begnac, Taccuini mussoliniani, a cura di Francesco Perfetti, Bologna, Il Mulino, 1990,
p. 598.
15. Nunzio Dell’Erba, « L’idea di romanità durante il fascismo » in Nuova Storia contemporanea,
2009/6, p. 34-39.
16. Françoise Liffran, Margherita Sarfatti, op. cit., p. 442.
17. Cités in Nunzio Dell’Erba, « L’idea di romanità durante il fascismo », op. cit., p. 40-41.
18. Catherine Brice, Histoire de Rome et des Romains de Napoléon Ier à nos jours, Paris, Perrin, 2007,
p. 296-300.
19. Nunzio Dell’Erba, « L’idea di romanità durante il fascismo », op. cit., p. 50-53.
20. Cité in Nunzio Dell’Erba, « L’idea di romanità durante il fascismo », op. cit., p. 40.
21. Roberto Festorazzi, Starace, op. cit., p. 80.
22. A. Giardina, A. Vauchez, Il Mito di Roma, op. cit., p. 218.
23. Ivan Buttignon, Gli spettri di Mussolini. la storia del fascismo raccontata attraverso i suoi
simboli, Hobby & Work Publishing, 2012, p. 78.
24. A. Giardina, A. Vauchez, Il Mito di Roma, op. cit., p. 229-230.
25. Jean-Jacques Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne…, op. cit., p. 15.
26. Daphné Bolz, Les Arènes totalitaires. Hitler, Mussolini et les jeux du stade, Paris, CNRS éditions,
2008, p. 31-32.
27. Paul Dietschy, Yvan Gastaud et Stéphane Mourlane, Histoire politique des coupes du monde de
football, Paris, Vuibert, 2006.
28. Pierre Milza, Mussolini, op. cit., p. 445-446.
29. Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur. Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794,
Paris, Fayard, 2000, p. 310-311.
30. Victoria De Grazia, Le Donne nel regime fascista, Venezia, Marsilio, 2001, p. 104-105.
31. Bruno P. F. Wanrooij, « Italian society under fascism » in Liberal and Fascist Italy, op. cit. p. 187.
32. Victoria de Grazia, Le Donne nel regime fascista, op. cit., p. 104-105.
33. Françoise Liffran, Margherita Sarfatti. L’égérie du Duce, Paris, Seuil, 2009, p. 395.
34. Bruno P. F. Wanrooij, « Italian society under fascism » in Liberal and Fascist Italy, op. cit., p. 188.
35. Lire à ce propos la stupéfiante étude de Nicolas Werth, L’Ile aux cannibales. 1933, une
déportation-abandon en Sibérie, Paris, Perrin, 2006.
36. Cité in Laurenzo Benadusi, Il Nemico dell’uomo nuovo. L’omosessualità nell’esperimento
totalitario fascista, Milano, Feltrinelli, 2005, p. 133.
37. Ibid., p. 105-106.
38. Ibid., p. 140-144.
39. Jean-Jacques Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne, op. cit., p. 14.
40. Alexandre Avdeev, Alain Blum, Irina Troitskaja, « Histoire de la statistique de l’avortement en
Russie et en URSS jusqu’en 1991 » in Population, 1994/49, p. 908-910.
41. Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 150 et 155.
42. Ivan Buttignon, Compagno Duce, op. cit., p. 73-75 ; Frédéric Attal, Histoire des intellectuels
italiens au XXe siècle, op. cit., p. 144-145 ; Maurizio Serra, Malaparte, op. cit., p. 127-130.
43. Bruno P. F. Wanrooij, « Italian society under fascism » in Liberal and Fascist Italy, op. cit. p. 183-
187.
44. Emily Braun, « The visual arts : modernism and fascism » in Liberal and Fascist Italy, op. cit.,
p. 198.
45. Giovanni Belardelli, Il Ventennio degli intelletuali, op. cit., p. 25.
46. Eugenia Paulicelli, « Art in modern Italy : from the Macchiaioli to the Transavanguardia » in The
Cambridge Companion to Modern Italian Culture, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 253 ;
Emily Braun, « The visual arts : modernism and fascism » in Liberal and Fascist Italy, op. cit., p. 198 ;
Catherine Brice, Histoire de Rome et des Romains, op. cit., p. 352.
47. Emilio Gentile, La Religion fasciste, op. cit., p. 225-227.
48. Maddalena Carli, « Immagini, rivoluzioni, frontiere. Sguardi francesi sulla Mostra della
rivoluzione fascista del 1932 » in Vers une Europe latine. Acteurs et enjeux des échanges culturels entre la
France et l’Italie fasciste, Catherine Fraixe, Lucia Piccioni et Christophe Poupault (dir.), Bern, Peter Lang,
2014, p. 97 sq.
49. Yvon de Begnac, Taccuini mussoliniani, op. cit., p. 375.
50. Alberto Monticone, Il Fascismo al microfono. Radio e politica in Italia (1924-1945), Roma,
Studium, 2000, p. 47-48.
51. Guido Aristarco, Il Cinema fascista. Il prima e il dopo, Bari, Dedalo, 1996, p. 63.
52. Pierre Milza, Mussolini, op. cit. p. 574.
53. Guido Aristarco, Il Cinema fascista, op. cit., p. 69.
54. Peter Bondanella, « Italian cinema » in The Cambridge Companion to Modern Italian culture,
op. cit., p. 218-219.
55. Catherine Brice, Histoire de Rome et des Romains, op. cit., p. 301-302.
56. Daphné Bolz, Les Arènes totalitaires, op. cit., p. 185-186.
57. Vittorio Vidotto, « La capitale del fascismo » in Roma capitale, Vittorio Vidotto (dir.), Roma-Bari,
Laterza, 2002, p. 396.
58. Catherine Brice, Histoire de Rome et des Romains, op. cit., p. 348-349.
59. A. Giardina, A. Vauchez, Il Mito di Roma, op. cit., p. 232.
60. Cité in Daphné Bolz, Les Arènes totalitaires, op. cit., p. 257.
61. Catherine Brice, Histoire de Rome et des Romains, op. cit., p. 358.
62. Il s’agit de Littoria, Sabaudia, Pontinia, Guidonia, Fertilia, Apulia, Arsia, Carbonia, Torviscosa,
Pomezia et Pozzo Littorio ; cf. A. Giardina, A. Vauchez, Il Mito di Roma, op. cit., p. 237.
63. Daphné Bolz, Les Arènes totalitaires, op. cit., p. 259.
64. Laurenzo Benadusi, Il Nemico dell’uomo nuovo, op. cit., p. 130.
65. Gianni Pasquale Santomassimo, « Classes subalternes et organisation du consensus », Revue
d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, no 139, 1985, p. 74-75.
66. Renzo de Felice, Mussolini il Duce. Gli anni del consenso, 1929-1936, Torino, Einaudi, 1974.
67. Emilio Gentile, La Religion fasciste, op. cit., p. 261.
68. Emil Ludwig, Entretiens avec Mussolini, op. cit., p. 100 ; A. Giardina, A. Vauchez, Il Mito di
Roma, op. cit., p. 246-247.
69. Christopher Duggan, Ils y ont cru, op. cit., p. 240-241.
70. Didier Musiedlak, Mussolini, op cit., p. 287.
71. Christopher Duggan, Ils y ont cru, op. cit., p. 250.
72. Sergio Luzzatto, Le Corps du Duce, Paris, Gallimard, 2014 pour l’édition française.
73. Cesare Maria De Vecchi di Val Cismon, Il Quadrumviro scomodo, op. cit., p. 223-224.

8. La géopolitique du fascisme
1. Olivier Forlin, Le Fascisme, op. cit., p. 183-195.
2. Fabrice Jesné, « Les racines idéologiques de l’impérialisme italien dans les Balkans, 1861-1915 » in
Hypothèses, 2006/1 (9), p. 278-279.
3. MacGregor Knox, « Fascism : ideology, foreign policy, and war » in Liberal and Fascist Italy,
op. cit., p. 115.
4. Emil Ludwig, Entretiens avec Mussolini, op. cit., p. 96-97.
5. Cité in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 155.
6. Cité in Jean de Viguerie, Les Deux Patries. Essai historique sur l’idée de patrie en France, Bouère,
DMM éditions, 2003, p. 76.
7. Cité in Nunzio Dell’Erba, « L’idea di romanità durante il fascismo », op. cit., p. 53.
8. Emil Ludwig, Entretiens avec Mussolini, op. cit., p. 176.
9. Eric Vial, Guerres, société et mentalités, op. cit., p. 119-120.
10. Cité in Stefano Fabei, Le Faisceau, la Croix gammée et le Croissant, Saint-Genis-Laval, Akribeia,
2005, p. 38.
11. MacGregor Knox, « Fascism : ideology, foreign policy, and war » in Liberal and Fascist Italy,
op. cit., p. 116.
12. Federico Niglia, « Oublier l’ennemi, retrouver l’allié. L’attitude de l’Italie vis-à-vis de l’Allemagne
après la Première et la Seconde Guerre mondiale », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], no 88, 2014, mis
en ligne le 3 décembre 2014, consulté le 25 octobre 2016. URL : http://cdlm.revues.org/7390.
13. Giorgio Petracchi, La Russia Rivoluzionaria nella politica italiana. Le relazioni italo-sovietiche
1917-1925, Bari, Laterza, 1982, p. 147 sq.
14. Liliana Saiu, La Politica estera italiana dell’Unità a oggi, Roma-Bari, Laterza, 1999, p. 92-93.
15. Enzo Collotti, Fascismo e politica di potenza. Politica estera, 1922-1939, Milano, La Nuova Italia,
2000, p. 29-30.
16. Frédéric Le Moal, « L’analyse de la politique méditerranéenne de la France par l’Italie dans les
années 1880 » in Les Horizons de la politique extérieure française. Stratégie diplomatique et militaire dans
les régions périphériques et les espaces seconds (XVIe-XXe siècles), Frédéric Dessberg et Eric
Schnakenbourg (dir.), Bern, Peter Lang, 2011, p. 297 sq.
17. Frédéric Le Moal, « La France, l’Italie et l’Afrique dans la pensée de Paolo Orsini d’Agostino » in
Hervé Coutau-Bégarie et Martin Motte (dir.), Approche de la géopolitique, de l’Antiquité à nos jours, Paris,
Economica, 2013, p. 471 sq.
18. John Gooch, « Reconquest and suppression : fascist Italy’s pacification of Libya and Ethiopia,
1922-1939 » in The Journal of Strategic Studies, no 6, vol. 28, december 2005, p. 1006-1007.
19. Sur ces questions, voir Massimo Bucarelli, Mussolini e la Jugoslavia (1922-1939), Bari, Edizioni
B. A. Graphis, 2006 ; Eric Gobetti, “Da Marsiglia a Zagabria. Ante Pavelic e il movimento ustaša in Italia
(1929-1941)”, in Qualestoria, no 1, giugno 2002 ; François Grumel-Jacquignon, La Yougoslavie dans la
stratégie française de l’entre-deux-guerres, 1918-1935. Aux origines du mythe serbe en France, Bern, Peter
Lang, 1999.
20. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 89-90.
21. Renzo de Felice, « Alcune osservasioni sulla politica estera mussoliniana » in L’Italia fra Tedeschi
e Alleati : la politica estera fascista e la seconda guerra mondiale, a cura di Renzo de Felice, Bologna, Il
Mulino, 1973, p. 65.
22. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 96.
23. Jean-Marie Palayret, L’Alliance impossible : diplomatie et outil militaire dans les relations franco-
italiennes, Vincennes, Service historique de la Défense, 2004, p. 20-23.
24. Emmanuel Mattiato, introduction à l’étude Cosmopolitisme et réaction : le triangle Allemagne-
France-Italie dans l’entre-deux-guerres, Ute Lemke, Massimo Bucarelli, Emmanuel Mattiato (dir.),
Chambéry, Université de Savoie Mont Blanc, 2014, p. 27-28.
25. Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ? Histoire et interprétation, Paris, Gallimard, 2002,
p. 114.
26. Michel Ostenc, « La politica estera italiana e il concetto di civiltà (1914-1943) », in Nuova Storia
contemporanea, 2009/3, p. 16 sq.
27. Cités in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 251.
28. Emil Ludwig, Entretiens avec Mussolini, op. cit., p. 98.
29. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 99 sq.
30. Sur ces questions, voir Michael Arthur Leeden, L’Internazionale fascista, Roma-Bari, Laterza,
1973 ; Davide Sabatini, L’Internazionale du Mussolini. la diffusione del fascismo in Europa nel progetto
politico di Asvero Gravelli, Volpe, 1999 ; Marco Cuzzi, L’Internazionale delle camicie nere. I CAUR,
Comitati d’azione per l’universalità di Roma, 1933-1939, Milano, Mursia, 2006 ; Monica Fioravanzo,
« Mussolini, il fascismo e “l’idea dell’Europa”. Alle origine di un dibatto » in Italia contemporanea,
2001/262, p. 7-27 ; Tommaso Visone, « La réaction au cosmopolitisme dans les années trente. L’idée
d’Europe chez Asvero Gravelli, Carl Schmitt et Drieu la Rochelle » in Cosmopolitisme et réaction, op. cit.,
p. 116-125.
31. Elisa Tizzoni, « Les politiques touristiques du fascisme et les relations internationales de l’Italie,
entre diplomatie publique et création d’une marque de destination-Italie », Cahiers de la Méditerranée [en
ligne], no 88, 2014, mis en ligne le 10 décembre 2014, consulté le 14 novembre 2016. URL :
http://cdlm.revues.org/7479.
32. Winston et Clementine Churchill, Conversations intimes, 1908-1964, présenté par François
Kersaudy, annoté par lady Mary Soames-Churchill, Paris, Tallandier, 2013, p. 374.
33. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 145 sq.
34. Frédéric Le Moal, « Charles Maurras et l’Italie, la nécessaire amitié » in Entre la vieille Europe et
la seule France. Charles Maurras, la politique extérieure et la défense nationale, Georges-Henri Soutou et
Martin Motte (dir.), Paris, Economica, 2010, p. 214-215 ; François Huguenin, L’Action française. Une
histoire intellectuelle, Paris, Perrin, 2011, p. 426-430.
35. Christophe Poupault, « Cosmopolitisme “latin” et antigermanisme. Les réseaux intellectuels
franco-italiens au service de la promotion latine » in Cosmopolitisme et réaction, op. cit., p. 189-206.
36. Cité in Zeev Sternhell, Ni droite, ni gauche, op. cit., p. 233.
37. Tommaso Visone, « La réaction au cosmopolitisme dans les années trente. L’idée d’Europe chez
Asvero Gravelli, Carl Schmitt et Drieu la Rochelle » in Cosmopolitisme et réaction, op. cit., p. 138-139.
38. Cité in Thomas Siret, « Nationalistes et patriotes : un clivage révolutionnaires qui dure encore »,
op. cit., p. 76.
39. Robert Brasillach, Notre avant-guerre, Paris, Plon, 1941, p. 230.
40. Nicola D’Elia, « G. Bottai, “Critica fascisa” e il nazionalsocialismo » in Nuova Storia
Contemporanea, 2014/1, p. 15-32.
41. Giorgio Fabre, Roma a Mosca : lo spionaggio fascita in URSS e il caso Guarnaschelli, Bari,
edizioni Dedalo, 1990, p. 89-90 ; Giogio Petracchi, Da San Pietroburgo a Mosca. La diplomazia italiana in
Russia, 1861-1941, Roma, Bonacci, 1993, p. 317 sq.
42. Pierre Milza, Conversations Hitler-Mussolini, 1934-1944, Paris, Fayard, 2013, p. 32.
43. Christophe Poupault, Vers une Europe latine, op. cit., p. 123-124.
44. Gianluca Falanga, L’Avamposto di Mussolini nel Reich di Hitler. La politica italiana a Berlino
(1933-1945), Milano, Tropea, 2011, p. 71-76.
45. Ennio Di Nolfo, Dagli imperi militari agli imperi tecnologici. La politica internazionale nel XX
secolo, Roma-Bari, Laterza, 2002, p. 112-113.
46. Cité in Stefano Fabei, Le Faisceau, la Croix gammée et le Croissant, op. cit., p. 47-48.
47. Massimiliano Fiore, « La guerra delle parole : la propaganda anti-inglese di Radio Bari e le
contromisure britanniche (1935-1940) », Nuova Storia contemporanea, 2011/1, p. 67.
48. Stefano Fabei, Le Faisceau, la Croix gammée et le Croissant, op. cit., p. 49-51.
49. Yvon De Begnac, Taccuini mussoliniani, op. cit., p. 550.
50. Jason Davidson, « Italy, British resolve and the 1935-1936 Italo-Ethiopian War », Cahiers de la
Méditerranée [en ligne], no 88, 2014, mis en ligne le 3 décembre 2014, consulté le 14 novembre 2016.
URL : http://cdlm.revues.org/7428.
51. Max Schiavon, Mussolini. Un dictateur en guerre, Paris, Perrin, 2016, p. 71-80.
52. Renzo De Felice, Mussolini il Duce. Gli anni del consenso. 1929-1936, Torino, Einaudi, 1996,
p. 721-725 ; Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 160-161.
53. Massimaliano Fiore, « La guerra della parole », op. cit., p. 171-172.
54. Nicola Labanca, Una guerra per l’impero. Memorie della campagna d’Etiopia, 1935-1936,
Bologna, Il Mulino, 2005, p. 47-48.
55. Cité in Gian Enrico Rusconi, Germania, Italia, Europa. Dallo stato di potenza alla « potenza
civile », Torino, Einaudi, 2003, p. 78.

9. Le nouvel élan totalitaire


1. Fabienne Le Houerou, L’Epopée des soldats de Mussolini en Abyssinie, 1936-1938. Les
« Ensablés », Paris, L’Harmattan, 1994, p. 54-57.
2. Pietro Cavallo, Pasquale Iaccio, Vincere ! Fascismo e società italiana nelle canzoni e nelle riviste di
varietà (1935-1943), Napoli, Liguori, 2003, p. 16-20.
3. Andrea Masseroni, « Dal “culto della patria” alla “religione fascista” », op. cit., p. 29-31.
4. A. Giardina, A. Vauchez, Il Mito di Roma, op. cit., p. 257.
5. Christopher Duggan, Ils y ont cru, op. cit., p. 274-275.
6. Cité in Emilio Gentile, Fascismo e antifascismo, op. cit., p. 353.
7. Michel Ostenc, Ciano. Un conservateur entre Hitler et Mussolini, Monaco, Editions du Rocher,
2007 p. 26.
8. Angel Viñas, « L’Italia e la sommossa militare spagnola del 18 luglio 1936 » in Nuova Storia
contemporanea, 2013/5, p. 46-49.
9. Enzo Collotti, Fascimo e politica di potenza, op. cit., p. 292-296.
10. Romano Canosa, Mussolini e Franco. Amici, alleati, rivali : vite parallele di due dittatori, Milano,
Mondadori, 2008, p. 120 ; Max Schiavon, Mussolini, op. cit., p. 85-87.
11. Domenico Vecchioni, Le Spie di Mussolini, op. cit., p. 49-50 ; Giuseppe Conti, Una guerra
segreta. Il Sim el secondo conflitto mondiale, Bologna, Il Mulino, 2009, p. 37.
12. Cité in Enzo Collotti, Fascimo e politica di potenza, op. cit., p. 319.
13. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 387.
14. Michel Ostenc, Ciano, op. cit., p. 39-40.
15. Stefano Fabei, Le Faisceau, la Croix gammée et le Croissant, op. cit., p. 99-100.
16. Christian Goeschel, « Staging friendship : Mussolini and Hitler in Germany in 1937 » in The
Historical Journal, 2017, 60/1, p. 149 sq.
17. Galeazzo Ciano, Journal politique, op. cit., p. 159.
18. Massimaliano Fiore, « La guerra della parole », op. cit., p. 80.
19. Giuseppe Bottai, Diario, op. cit., p. 115.
20. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 191-192. On lira aussi avec grand intérêt le livre d’Andrew
Roberts, The Holy Fox. The Life of Lord Halifax, London, Head of Zeus, 1991, p. 133-137.
21. Galeazzo Ciano, Journal politique, op. cit., p. 299.
22. Ibid., p. 320.
23. Paolo Buchignani, « Il fascismo rivoluzionario di Marcello Gallian », op. cit., p. 35-36.
24. Pietro Cavallo, Pasquale Iaccio, Vincere !, op. cit., p. 40.
25. A. Giardina, A. Vauchez, Il Mito di Roma, op. cit., p. 259.
26. Alberto Monticone, Il Fascismo al microfono, op. cit., p. 62-65.
27. Francescomaria Evangelisti, « L’arte fascista all’Esposizione di Parigi del 1937 » in Nuova Storia
contemporanea, 2014/4, p. 33-35.
28. Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 216-218 ; Eric Vial, Guerres, société et mentalités, op. cit.,
p. 150-155.
29. Giuseppe Zanzanaini, Renato Ricci. Fascista integrale, Milano, Mursia, 2004, p. 89-95.
30. Emilio Gentile, La Voie italienne au totalitarisme, op. cit., p. 208-210.
31. Francesco Malgeri, « Giuseppe Bottai » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 115 ; Michel
Ostenc, L’éducation en Italie pendant le fascisme, op. cit., p. 344 sq.
32. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 253-255 ; Emilio Gentile, Fascismo
e antifascismo, op. cit., p. 355-356.
33. Ibid., p. 328-330.
34. Olivier Forlin, Le Fascisme, op. cit., p. 275 sq.
35. Giovanni Belardelli, Il Ventennio degli intelletuali, op. cit., p. 67 ; A. Giardina, A. Vauchez, Il Mito
di Roma, op. cit., p. 262-263.
36. Yvon De Begnac, Taccuini mussoliniani, op. cit., p. 633.
37. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 380.
38. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 341 ; Nicola D’Elia, « G. Bottai,
“Critica fascisa” e il nazionalsocialismo », op. cit., p. 52.
39. Eric Vial, Guerres, société et mentalités, op. cit., p. 141 ; Alexis Rappas, « Gouvernance coloniale
en Méditerranée orientale : perspectives croisées italo-britanniques, 1920-1940 », Cahiers de la
Méditerranée [en ligne], no 89, 2014, mis en ligne le 1er juin 2015, consulté le 24 avril 2016. URL :
http://cdlm.revues.org/7646.
40. Giorgio Fabre, Mussolini razzista, op. cit., p. 198-200 ; Xavier Martin, Naissance du sous-homme
au cœur des Lumières, op. cit., p. 135-136 ; Pierre-André Taguieff, La Judéophobie des Modernes. Des
Lumières au Jihad mondial, Paris, Odile Jacob, 2008, p. 107 sq.
41. Cité in Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 379.
42. Marie-Anne Matard-Bonucci, L’Italie fasciste et la persécution des juifs, Paris, Perrin, 2007,
p. 81 sq.
43. Giovanni Belardelli, Il Ventennio degli intelletuali, op. cit., p. 65.
44. Cité in Philippe Foro, « Racisme fasciste et antiquité. L’exemple de la revue La Difesa della Razza
(1938-1943) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 78, 2003/2, p. 121-131. DOI : 10.3917/ving.078.0121.
URL : http://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2003-2-page-121.htm.
45. Nunzio Dell’Erba, « L’idea di romanità durante il fascismo », op. cit., p. 59 ; Frédéric Attal,
Histoire des intellectuels italiens au XXe siècle, op. cit., p. 155.
46. Didier Musiedlak, Parlementaires en chemises noires, 1922-1943, op. cit., p. 324-325.
47. La communauté juive s’élevait en Italie à 52 000 personnes en 1938 soit 1 % de la population. Cf.
Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 222.
48. Simona Colarizi, L’Opinione sotto il regime, op. cit., p. 242 sq.
49. Marie-Anne Matard-Bonucci, L’Italie fasciste et la persécution des juifs, op. cit., p. 333 sq.
50. Giovanni Sale, Le Leggi Razziali in Italia e il Vaticano, Milano, Jaca Book, 2009, p. 107-116.
51. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 384-385.
52. Giorgio Fabre, Mussolini razzista, op. cit., p. 455.
53. Frédéric Le Moal, Victor-Emmanuel III, op. cit., p. 360.
54. Francesco Perfetti, Fascismo e riforme istituzionali, op. cit., p. 138-165 ; Didier Musiedlak,
Parlementaires en chemises noires, 1922-1943, op. cit., p. 353.
55. Pierluigi Baima Bollone, La Psichologia di Mussolini, Milano, Mondadori, 2007, p. 126.
56. Michel Ostenc, Ciano, op. cit., p. 130-135 ; Emilio Gentile, La Voie italienne au totalitarisme,
op. cit., p. 232-238.
57. Galeazzo Ciano, Diario, op. cit. p. 363.
58. Renzo De Felice, Mussolini il Duce. Lo stato totalitario, 1936-1940, Torino, Einaudi, 1974, p. 516.
59. Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac de Garde, op. cit., p. 18-19 ; Mario Luciolli, Palazzo
Chigi, anni roventi. Ricordi di vota diplomatica italiana dal 1933 al 1948, Firenze, Le Lettere, 2011, p. 66.
60. Gianluca Falanga, L’Avamposto di Mussolini nel Reich di Hitler, op. cit., p. 145.
61. Galeazzo Ciano, Journal politique, op. cit., p. 389.
62. Frédéric Le Moal, Max Schiavon, Juin 1940. La guerre des Alpes. Enjeux et stratégies, Paris,
Economica, 2010, p. 23.
63. Galeazzo Ciano, Journal politique, op. cit., p. 436.
64. Donatella Bolech Cecchi, Non bruciare i ponti con Roma. Le relazioni fra l’Italia, la Gran
Bretagna e la Francia dall’accordo di Monaco allo scoppio della seconda guerra mondiale, Milano,
Giuffrè, 1986, p. 215-227.
65. Enzo Collotti, Fascimo e politica di potenza, op. cit., p. 422.
66. Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac de Garde, op. cit., p. 122.
67. Michel Ostenc, « La non-belligérance italienne, 4 septembre 1939-10 juin 1940 » in Guerres
mondiales et conflits contemporains, no 194, 1999, p. 81.
68. Pour les détails, voir Frédéric Le Moal, Max Schiavon, Juin 1940. La guerre des Alpes, op. cit.,
p. 27-28.

10. La guerre mondiale et révolutionnaire du fascisme


1. Emil Ludwig, Entretiens avec Mussolini, op. cit., p. 122.
2. Brunello Vigezzi, « Mussolini, Ciano, la diplomazia italiana e la percezione della “politica di
potenza” all’inizio della seconda guerra mondiale » in L’Italia e la politica di potenza in Europa, Milano,
Marzoti, 1986, p. 10-11.
3. Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac de Garde, op. cit., p. 99-100.
4. Claudio Segré, « Italo Balbo », in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 25-26.
5. Paolo Nello, Grandi, op. cit., p. 203.
6. Giuseppe Bottai, Diario, op. cit., p. 187.
7. Cité in Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 401.
8. Eugenio Di Rienzo, Emilio Gin, Le Potenze dell’Asse e l’Unione sovietica, 1939-1945, Soveria
Mannelli, Rubbettino, 2013, p. 105.
9. Gualberto Gualerni, Industria e fascismo, Milano, Vita e pensiero, 1976, p. 128 ; Eric Vial, Guerres,
société et mentalités, op. cit., p. 167.
10. Frédéric Le Moal, Victor-Emmanuel III, op. cit., p. 383-386 ; Frédéric Le Moal, Les Divisions du
pape. Le Vatican face aux dictatures, 1917-1989, Paris, Perrin, 2016, p. 144-150.
11. Giuseppe Bottai, Diario, op. cit., p. 187.
12. Simona Colarizi, L’Opinione sotto il regime, op. cit., p. 303 sq.
13. Galeazzo Ciano, Journal politique, vol. II, op. cit., p. 126 ; Gianluca Falanga, L’Avamposto di
Mussolini nel Reich di Hitler, op. cit., p. 186.
14. Renzo De Felice, Mussolini il Duce. Lo stato totalitario, 1936-1940, op. cit., p. 773-783.
15. Gianluca Falanga, L’Avamposto di Mussolini nel Reich di Hitler, op. cit., p. 194.
16. Cité in Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac de Garde, op. cit., p. 145.
17. Renzo De Felice, Mussolini il Duce. Lo stato totalitario, 1936-1940, op. cit., p. 842.
18. Galeazzo Ciano, Journal politique, op. cit., p. 194 ; Giuseppe Bottai, Diario, op. cit., p. 193 ;
Aurelio Lepre, Le Illusioni, la paura, la rabbia. Il fronte interno italiano, 1940-1943, Napoli, Edizioni
scientifiche italiane, 1989, p. 33.
19. Giuseppe Bottai, Diario, op. cit., p. 210.
20. Frédéric Le Moal, Max Schiavon, Juin 1940. La guerre des Alpes, op. cit., p. 362-372.
21. Giuseppe Bottai, Diario, op. cit., p. 228.
22. Ibid., p. 365.
23. Cité in Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac de Garde, op. cit., p. 206.
24. Max Schiavon, Mussolini, op. cit., p. 208-213.
25. Cité in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 360.
26. Henry Kissinger, L’Ordre du monde, Paris, Fayard, éd. française 2016, p. 48.
27. Cité in Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac de Garde, op. cit., p. 313.
28. Cité in Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 406.
29. Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ?, op. cit., p. 114.
30. Emilio Gentile, La Grande Italia : il mito della nazione nel XX secolo, Roma-Bari, Laterza, 2006,
p. 201-206.
31. Marco Antonisch, « La rivista Geopolitica e la sua influenza sulla politica fascista » in Limes,
1994/4, p. 273.
32. Cités in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 356 et 366.
33. Maurizio Serra, préface à l’édition française du livre de Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac
de Garde, op. cit., p. 24.
34. Eugenio Di Rienzo, Emilio Gin, Le Potenze dell’Asse e l’Unione sovietica, op. cit., p. 259.
35. Yvon De Begnac, Taccuini mussoliniani, op. cit., p. 569.
36. Galeazzo Ciano, Journal politique, op. cit., p. 298.
37. Giuseppe Bottai, Diario, op. cit., p. 167, 208, 213 et 349.
38. Cité in Xavier Martin, Naissance du sous-homme au cœur des Lumières, op. cit., p. 316.
39. Elena Aga Rossi, Maria Teresa Giusti, Una guerra a parte. I militari italiani nei Balcani, 1940-
1945, Bologna, Il Mulino, 2011, p. 31-32.
40. Frédéric Le Moal, Victor-Emmanuel III, op. cit., p. 405 sq.
41. Cité in Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 203.
42. Paolo Orsini d’Agostino, La Colonizzazione africana nel sistema fascista. Il problema della
colonizzazione nell’Africa italiana, Milano, Fratelli Bocca Editore, 1941, p. 35-36, cité in Frédéric Le Moal,
« La France, l’Italie et l’Afrique dans la pensée de Paolo Orsini d’Agostino », op. cit., p. 480.
43. Cité in Stefano Fabei, Le Faisceau, la Croix gammée et le Croissant, op. cit., p. 297.
44. Giuseppe Bottai, Diario, op. cit., p. 173 et 220.
45. Marie-Anne Matard-Bonucci, L’Italie fasciste et la persécution des juifs, op. cit., p. 362 sq.
46. Cité in Davide Rodogno, Il Nuovo Oridine Mediterraneo. Le politiche d’occupazione dell’Italia
fascista in Europa (1940-1943), Torino, Bollati Boringhieri, 2003, p. 405.
47. Pour toutes ces questions, voir Frédéric Le Moal, Le Front yougoslave pendant la Seconde Guerre
mondiale. De la guerre de l’Axe à la guerre froide, Saint-Cloud, Soteca, 2012 ; Elena Aga Rossi, Maria
Teresa Giusti, Una guerra a parte, op. cit.
48. Aurelio Lepre, Le Illusioni, la paura, la rabbia, op. cit., p. 42-43 et 83-85.
49. Simona Colarizi, L’Opinione sotto il regime, op. cit., p. 375-382.
50. Mario Isnenghi, « La propagande italienne pendant la Deuxième Guerre mondiale : cadre
d’ensemble, instruments, modalités » in Revue d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, 1986/143, p. 48
et 58.
51. Pietro Cavallo, Pasquale Iaccio, Vincere !, op. cit., p. 105.
52. Renzo De Felice, Mussolini l’alleato. L’Italia in guerra, 1940-1943. Dalla guerre breve alla
guerra lunga, I, Torino, Einaudi, 1996 p. 173.
53. Giuseppe Bottai, Diario, op. cit., p. 359.
54. Simona Colarizi, L’Opinione sotto il regime, op. cit., p. 364-366.
55. Galeazzo Ciano, Journal politique, op. cit., p. 199 et 496 ; Giuseppe Bottai, Diario, op. cit., p. 335.
56. Giuseppe Bottai, Diario, op. cit., p. 237 ; Galeazzo Ciano, Journal politique, op. cit., p. 378.
57. Cité in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 362.
58. Emilio Gentile, La Voie italienne au totalitarisme, op. cit., p. 241 sq.
59. Paolo Buchignani, « Il fascismo rivoluzionario di Marcello Gallian », op. cit., p. 37.
60. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 413-420 ; Giuseppe Zanzanaini, Renato Ricci,
op. cit., p. 125.
61. Max Schiavon, Mussolini, un dictateur en guerre, op. cit., p. 204-216.
62. Philip Morgan, The Fall of Mussolini, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 72-75
63. Simona Colarizi, L’Opinione sotto il regime, op. cit., p. 388.
64. Philip Morgan, The Fall of Mussolini, op. cit., p. 77-79.
65. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 383-389.
66. Christopher Duggan, Ils y ont cru, op. cit., p. 386-388.
67. Pierluigi Baima Bollone, La Psichologia di Mussolini, op. cit., p. 135.
68. Giuseppe Bottai, Diario, op. cit., p. 357.
69. Cité in Gianluca Falanga, L’Avamposto di Mussolini nel Reich di Hitler, op. cit., p. 264.
70. Paolo Nello, Grandi, op. cit., p. 216-218.
71. Giuseppe Bottai, Diario, op. cit., p. 397.
72. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 433-435.
73. Cesare Maria De Vecchi di Val Cismon, Il Quadrumviro scomodo, op. cit., p. 261.
74. Ibid., p. 263.
75. Eugenio Di Rienzo, Emilio Gin, Le Potenze dell’Asse e l’Unione sovietica, op. cit., p. 336-337.
76. Frédéric Le Moal, Victor-Emmanuel III, op. cit., p. 436-442.

11. La république de Salò et le retour aux sources


1. Angelo Ventrone, « Italia 1943-1945 : le ragioni della violenza », Amnis, [en ligne], 2015, mise en
ligne le 30 janvier 2015, consulté le 11 février 2016. URL : http://amnis.revue.org/2453 ; DOI :
10.4000/amnis.2453.
2. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 438-439.
3. Amedeo Osti Guerrazzi, Storia della Repubblica sociale italiana, Roma, Carocci, 2012, p. 40-41.
4. Renzo De Felice, Les Rouges et les Noirs. Mussolini, la république de Salò et la Résistance, 1943-
1945, Chêne-Bourg/Genève, Georg Editeur, 1999, pour l’édition française, p. 115.
5. Marco Innocenti, Lui e loro, op. cit., p. 237-247.
6. Bataille remportée en décembre 1941 en Libye sur les forces britanniques.
7. Romano Canosa, Mussolini e Franco, op. cit., p. 458.
8. Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac de Garde, op. cit., p. 294 et 344.
9. Renzo De Felice, Mussolini l’alto, vol. III, La Guerra civile 1943-1945, a cura di Emilio Gentile,
Luigi Goglia, Mario Missori, Torino, Einaudi, 1997, p. 357-359.
10. Adolfo Scalpelli, « La formazione delle forze armate di Salò attraverso i documenti dello Stato
Maggiore della RSI » in Il Movimento di liberazione dell’Italia, 72, 1963, p. 19-32, consultable sur
http://www.italia-resistenza.it/wp-content/uploads/ic/RAV0068570_1963_70-73_18.pdf ; Amedeo Osti
Guerrazzi, Storia della Repubblica sociale italiana, op. cit., p. 91-96.
11. Vincenzo Podda, La Marcia contro la Vandea. Guerra antipartigiana sotto Salò, Milano, Lo
Scarabeo, 2012, p. 221-222.
12. Renzo De Felice, Les Rouges et les Noirs. Mussolini, la république de Salò et la Résistance, 1943-
1945, Chêne-Bourg/Genève, Georg Editeur, 1999, p. 129-132.
13. Cet épisode peu connu est raconté par un ancien de la Decima Mas, Carlo Panzarasa, dans son
livre Volontari di Francia. Da Bordeaux alla venezia Giulia nella Xa Mas per l’onore d’Italia, 1943-1945,
2006.
14. Cité in Ernst Nolte, Fascisme et totalitarisme, op. cit., p. 396.
15. Ivan Buttignon, Compagno Duce, op. cit., P. 162-164.
16. Cité in Stefano Fabei, I Neri e i rossi. Tentativi di conciliazione tra fascisti e socialisti nelle
Repubblica di Mussolini, Milano, Mursia, 2011, p. 42.
17. Cité in Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac de Garde, op. cit., p. 367 ; Daniele Dell’Orco,
Nicola Bombacci, tra Lenin e Mussolini, Cesena, Historica, 2016, p. 151.
18. Cité in Amedeo Osti Guerrazzi, Storia della Repubblica sociale italiana, op. cit., p. 115.
19. Cité in Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac de Garde, op. cit., p. 353.
20. Ivan Buttignon, Compagno Duce, op. cit., p. 165-166.
21. Cité in Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac de Garde, op. cit., p. 418.
22. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 442-447.
23. Renzo De Felice, Les Rouges et les Noirs, op. cit., p. 126. Pour la typologie, voir l’introduction de
Giuseppe Parlato du livre de Stefano Fabei, I Neri e i rossi, op. cit., p. VII sq.
24. Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac de Garde, op. cit., p. 340.
25. Joseph Goebbels, Journal, 1943-1945, Paris, Tallandier, 2005, p. 275.
26. Cité in Amedeo Osti Guerrazzi, Storia della Repubblica sociale italiana, op. cit., p. 134.
27. Roberto Festorazzi, Starace, op. cit., p. 224-226 ; Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit.,
p. 444.
28. Cité in Stefano Fabei, I Neri e i rossi, op. cit., p. 8.
29. Renzo De Felice, Les Rouges et les Noirs, op. cit., p. 125-126.
30. Frédéric Le Moal, Les Divisions du pape, op. cit., p. 167-168 ; Claudio Pavone, Une guerre civile.
Essai historique sur l’éthique de la Résistance italienne, Paris, Seuil, édition française, 2005, p. 341-369.
31. Claudio Pavone, Une guerre civile, op. cit., p. 281-285 et 507-509.
32. Paul Dietschy, « Les partisans italiens et la découverte de la violence », Cahiers de la
Méditerranée, [en ligne], no 70, 2005, mise en ligne le 12 mai 2006, consulté le 15 novembre 2015. URL :
http://cdlm.revues.org/913.
33. Philipp Morgan, The Fall of Mussolini, op. cit., p. 174-175.
34. Claudio Pavone, Une guerre civile, op. cit., p. 291.
35. Cité in Vincenzo Podda, La Marcia contro la Vandea, op. cit., p. 234.
36. Vincenzo Podda, La Marcia contro la Vandea, op. cit., p. 228-231.
37. Amedeo Osti Guerrazzi, Storia della Repubblica sociale italiana, op. cit., p. 178.
38. Cité in Vincenzo Podda, La Marcia contro la Vandea, op. cit., p. 243.
39. Luigi Parente, Fabio Gentile, Rosa Maria grillo (a cura di), Giovanni Preziosi e la questione della
razza in Italia, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2005, p. 44.
40. Marie-Anne Matard-Bonucci, L’Italie fasciste et la persécution des juifs, op. cit., p. 406-412.
41. Philip Morgan, The Fall of Mussolini, op. cit., p. 178.
42. Julie Le Gac, Vaincre sans gloire. Le corps expéditionnaire français en Italie (novembre 1942-
juillet 1944), Paris, Les Belles Lettres/Ministère de la Défense-DMPA, 2013, 613 p.
43. Cité in Pierre Milza, Mussolini, op. cit., p. 859.
44. Cités in Amedeo Osti Guerrazzi, Storia della Repubblica sociale italiana, op. cit., p. 172 et in
Vincenzo Podda, La Marcia contro la Vandea, op. cit., p. 71.
45. Giuseppe Zanzanaini, Renato Ricci, op. cit., p. 152-153.
46. Mimmo Franzinelli, RSI. La Repubblica del Duce, 1943-1945. Una storia illustrata, Milano, Le
Scie Mondadori, 2009, p. 19-34.
47. Elena Pala, Garibaldi in camicia nera. Il mito dell’Eroe dei Due Mondi nella Repubblica di Salò,
1943-1945, Milano, Mursia, 2011, p. 20-29.
48. Cité in Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 456.
49. Vincenzo Podda, La Marcia contro la Vandea, op. cit., p. 272.
50. Cité in Pierre Milza, Mussolini, op. cit., p. 868.
51. Eugenio Di Rienzo, Emilio Gin, Le Potenze dell’Asse e l’Unione sovietica, op. cit., p. 387-388.
52. Cité in Stefano Fabei, I Neri e i rossi, op. cit., p. 200.
53. Pour cette affaire très complexe, voir Elena Ago-Rossi e Bradley F. Smith, Operation Sunrise,
Milano, Mondadori, 2005 ; Pino Adriano, L’Intrigo di Berna. Diplomatici, generali, agenti secreti : la
verità sulla fine della guerra in Italia, Milano, Mondadori, 2010.
54. Eugenio Di Rienzo, Emilio Gin, Le Potenze dell’Asse e l’Unione sovietica, op. cit., p. 395.
55. Gianluca Falanga, L’Avamposto di Mussolini nel Reich di Hitler, op. cit., p. 367.
56. Cité in Filippo Anfuso, Du palais de Venise au lac de Garde, op. cit., p. 423.
57. Cité in Stefano Fabei, I Neri e i rossi, op. cit., p. 229-231.
58. Stefano Fabei, I Neri e i rossi, op. cit., p. 291-302.
59. Romano Canosa, Mussolini e Franco, op. cit., p. 479.
60. Sergio Luzzatto, Le Corps du Duce, op. cit., p. 35.

Conclusion. Le fascisme est mort


1. Emilio Gentile, « Parti, Etat, monarchie dans l’expérience totalitaire fasciste » in Quand tombe la
nuit, op. cit., p. 258.
2. Voir Sergio Luzzatto, Le Corps du Duce, op. cit.
3. Christopher Duggan, Ils y ont cru, op. cit., p. 435-439 ; Marie-Anne Matard-Bonucci, « Predappio,
le musée qui divise l’Italie » in L’Histoire, no 424, juin 2016, p. 20-22.
4. Maddalena Gretel Cammelli, Fascistes du 3e millénaire. Un phénomène italien ?, Sesto San
Giovanni, Mimesis, 2017.
5. François Furet, Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au XXe siècle, Paris, Robert
Laffont, p. 596-599.
6. Lire à ce propos les analyses d’Enzo Traverso, Les Nouveaux Visages du fascisme, Paris, Textuel,
2017.
Index

Acerbo, Giacomo : 1, 2, 3, 4, 5.
Agnelli, Giovanni : 1.
Albertini, Luigi : 1, 2.
Alessio, Giulio : 1.
Alfieri, Dino : 1, 2, 3, 4.
Ambrosio, Vittorio : 1, 2, 3.
Amendola, Giovanni : 1, 2, 3, 4.
Anfuso, Filippo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.
Aoste, duc d’, Emmanuel-Philibert : 1, 2, 3, 4.
Aoste, duc d’, Amédée : 1, 2, 3.
Appelius, Mario : 1.
Aragon, Louis : 1.
Attolico, Bernardo : 1, 2, 3, 4, 5.

Babeuf, Gracchus : 1, 2.
Badoglio, Pietro : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17.
Bakounine, Mikhaïl : 1.
Balbo, Italo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28.
Barone, Domenico : 1.
Barthou, Louis : 1.
Bassani, Giorgio : 1.
Basso, Luigi : 1.
Bastianini, Giuseppe : 1, 2.
Baudeau, Nicolas : 1.
Bencini, Angiolo : 1.
Benedettini Alferazzi, Paola : 1.
Beneduce, Alberto : 1.
Benoît XV : 1.
Béraud, Henri : 1, 2.
Berta, Giovanni : 1, 2.
Bianchi, Michele : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15.
Biggini, Alberto : 1, 2, 3.
Bilenchi, Romano : 1, 2.
Bissolati, Leonida : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Blanc, Giuseppe : 1.
Blanqui, Auguste : 1.
Blasetti, Alessandro : 1, 2.
Bombacci, Nicola : 1, 2, 3, 4, 5.
Bonaparte, Napoléon : 1.
Bonnet, Georges : 1.
Bonomi, Ivanoe : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.
Borghese, Valerio : 1, 2.
Boris III : 1.
Boselli, Paolo : 1, 2.
Bottai, Giuseppe : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27,
28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50.
Bourguiba, Habib : 1.
Brandimarte, Piero : 1.
Brasillach, Robert : 1, 2, 3.
Briand, Aristide : 1, 2, 3.
Bucard, Marcel : 1.
Buffarini Guidi, Guido : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.

Cachin, Marcel : 1.
Cadorna, Luigi : 1, 2, 3, 4.
Calcagno, Tullio : 1.
Camerini, Mario : 1.
Campioni, Inigo : 1.
Carli, Mario : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Castellano, Giuseppe : 1.
Cavallero, Ugo : 1, 2, 3, 4.
Caviglia, Enrico : 1, 2, 3.
Cavour, Camillo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Ceccherini, Sante : 1.
Chamberlain, Austen : 1.
Chamberlain, Neville : 1, 2, 3, 4, 5.
Churchill, Winston : 1, 2, 3, 4.
Ciano, Galeazzo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27,
28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46.
Cione, Edmundo : 1, 2, 3, 4, 5.
Cittadini, Arturo : 1, 2.
Clerici, Ambrogio : 1.
Colombo, Francesco : 1.
Contarini, Salvatore : 1, 2, 3, 4.
Corradini, Enrico : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Corridoni, Filippo : 1.
Costantini, Costantino : 1.
Costa, Vincenzo : 1, 2.
Croce, Benedetto : 1, 2, 3, 4, 5, 6.

D’Annunzio, Gabriele : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25,
26, 27.
D’Errico, Corrado : 1.
Daladier, Edouard : 1.
Darwin, Charles : 1.
Davanzati, Roberto : 1.
De Ambris, Alceste : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.
De Begnac, Yvon : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
De Bono, Emilio : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27,
28.
De Gasperi, Alcide : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Del Vecchio, Giorgio : 1.
De Nicola, Enrico : 1, 2, 3.
De Stefani, Alberto : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
De Vecchi, Cesare Maria : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Diaz, Armando : 1, 2, 3.
Diderot, Denis : 1.
Di Giovara, Cesare : 1.
Di Vagno, Giuseppe : 1.
Dolfin, Giovanni : 1.
Dollfuss, Engelbert : 1, 2.
Dollman, Eugène : 1, 2.
Drieu la Rochelle, Pierre : 1, 2, 3, 4.
Dulles, Allen : 1.
Dumini, Amerigo : 1, 2, 3.

Eden, Anthony : 1, 2, 3.
Einaudi, Luigi : 1.
Evola, Giulio : 1.

Facta, Luigi : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13.
Fara, Gustavo : 1.
Farinacci, Roberto : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26,
27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53,
54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80,
81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93.
Federzoni, Luigi : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19.
Fellini, Federico : 1, 2.
Finzi, Aldo : 1, 2, 3, 4.
Franco, Francisco : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
Freddi, Luigi : 1.

Galbiati, Enzo : 1.
Gallian, Marcello : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Garibaldi, Giuseppe : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.
Gennina, Augusto : 1.
Gentile, Emilio : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Gentile, Giovanni : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26,
27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53,
54, 55, 56, 57.
Giolitti, Giovanni : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26,
27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35.
Giordani, Giulio : 1.
Giunta, Francesco : 1, 2, 3, 4.
Giuriati, Giovanni : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
Gramsci, Antonio : 1, 2.
Grandi, Dino : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28,
29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55,
56, 57, 58, 59, 60, 61.
Gravelli, Asvero : 1, 2, 3, 4, 5.
Graziani, Rodolfo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15.
Guariglia, Raffaele : 1.

Haïlé Sélassié : 1.
Halifax, Edward : 1.
Hélène, reine : 1, 2, 3.
Hervé, Gustav : 1, 2, 3, 4, 5.
Himmler, Heinrich : 1, 2.
Hitler, Adolf : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28,
29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53.
Hoare, Samuel : 1, 2, 3.
Hoppe : 1.
Horty, Miklós : 1.
Humbert, prince héritier : 1, 2, 3, 4.
Humbert Ier : 1, 2, 3.
Husseini, Mohammed Amin al- : 1, 2, 3.

Igliori, Ulisse : 1.
Iqbâl, Muhammad : 1.

Jandl : 1.
Jaurès, Jean : 1, 2.

Kappler, Herbert : 1.
Kesselring, Albert : 1, 2, 3, 4.
Koch, Pietro : 1.
Kochnitzky, Léon : 1.
Korherr, Richard : 1.

Labriola, Arturo : 1, 2.
Lanthénas, François : 1.
Lavagnini, Spartaco : 1.
Laval, Pierre : 1, 2, 3, 4, 5.
Le Bon, Gustave : 1, 2.
Lénine, Vladimir Ilitch : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17.
Levi, Carlo : 1.
Lloyd George, David : 1.
Lombroso, Cesare : 1.

Maccari, Mino : 1, 2, 3, 4.
Malaparte : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13.
Maltoni, Rosa : 1.
Manaresi, Angelo : 1.
Manni, Marcello : 1.
Marconi, Guglielmo : 1.
Marguerite, reine d’Italie : 1.
Marie-José, princesse : 1.
Marinelli, Giovanni : 1, 2.
Marinetti, Filippo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22.
Marx, Karl : 1, 2, 3, 4, 5.
Mascherpa, Luigi : 1.
Matarazzo, Raffaello : 1.
Matteotti, Giacomo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16.
Maurras, Charles : 1, 2, 3.
Mazzini, Giuseppe : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19.
Mazzolini, Serafino : 1, 2.
Melchiori, Alessandro : 1.
Mezzasoma, Fernando : 1, 2, 3.
Micheli, Renato : 1.
Mischi, Archimede : 1.
Misiano, Francesco : 1.
Montaldo, Giuliano : 1.
Montesquieu, Charles de : 1.
Moretti, Luigi : 1.
Mori, Cesare : 1.
Mosley, Oswald : 1.
Murgia, Diego : 1.
Mussolini, Arnaldo : 1, 2, 3.
Mussolini, Benito : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26,
27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53,
54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80,
81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105,
106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125,
126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 145,
146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 163, 164, 165,
166, 167, 168, 169, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 184, 185,
186, 187, 188, 189, 190, 191, 192, 193, 194, 195, 196, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 203, 204, 205,
206, 207, 208, 209, 210, 211, 212, 213, 214, 215, 216, 217, 218, 219, 220, 221, 222, 223, 224, 225,
226, 227, 228, 229, 230, 231, 232, 233, 234, 235, 236, 237, 238, 239, 240, 241, 242, 243, 244, 245,
246, 247, 248, 249, 250, 251, 252, 253, 254, 255, 256, 257, 258, 259, 260, 261, 262, 263, 264, 265,
266, 267, 268, 269, 270, 271, 272, 273, 274, 275, 276, 277, 278, 279, 280, 281, 282, 283, 284, 285,
286, 287, 288, 289, 290, 291, 292, 293, 294, 295, 296, 297, 298, 299, 300, 301, 302, 303, 304, 305,
306, 307, 308, 309, 310, 311, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 318, 319, 320, 321, 322, 323, 324, 325,
326, 327, 328, 329, 330, 331, 332, 333, 334, 335, 336, 337, 338, 339, 340, 341, 342, 343, 344, 345,
346, 347, 348, 349, 350, 351, 352, 353, 354, 355, 356, 357, 358, 359, 360, 361, 362, 363, 364, 365,
366, 367, 368, 369, 370, 371, 372, 373, 374, 375, 376, 377, 378, 379, 380, 381, 382, 383, 384, 385,
386, 387, 388, 389, 390, 391, 392, 393, 394, 395, 396, 397, 398, 399, 400, 401, 402, 403, 404, 405,
406, 407, 408, 409, 410, 411, 412, 413, 414, 415, 416, 417, 418, 419, 420, 421, 422, 423, 424, 425,
426, 427.
Mussolini, Edda : 1.
Mussolini, Rachele : 1, 2, 3.
Muti, Ettore : 1, 2, 3, 4, 5, 6.

Nietzsche, Friedrich : 1, 2, 3, 4.
Nitti, Francesco Saverio : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.

Ojetti, Ugo : 1.
Orano, Paolo : 1, 2, 3, 4.
Orlando, Vittorio Emanuele : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Orvieto, Arturo : 1.
Oxilia, Nino : 1.

Pacelli, Francesco : 1.
Palermi, Raul : 1.
Papini, Giovanni : 1, 2, 3, 4.
Pavese, Roberto : 1.
Pavolini, Alessandro : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.
Pellizzi, Camillo : 1, 2.
Pertini, Sandro : 1.
Petacci, Claretta : 1, 2, 3, 4.
Pettinato, Concetto : 1.
Piacentini, Marcello : 1, 2, 3, 4, 5.
Pie IX : 1.
Pie XI : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.
Pie XII : 1, 2.
Pirandello, Luigi : 1.
Ponsonby, lord : 1.
Prato, Francesco : 1.
Preziosi, Giovanni : 1, 2, 3.
Prezzolini, Giuseppe : 1, 2, 3, 4.
Primo de Rivera, Miguel : 1.
Proudhon, Pierre-Joseph : 1, 2.

Rahn, Rudolf : 1, 2, 3.
Ribbentrop, Joachim von : 1, 2, 3.
Ricci, Renato : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21.
Roatta, Mario : 1, 2.
Robespierre, Maximilien : 1, 2, 3, 4.
Rocca, Massimo : 1, 2, 3.
Rocco, Alfredo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
Rolland, Romain : 1.
Roosevelt, Franklin Delano : 1, 2.
Rosselli, Carlo : 1, 2, 3.
Rossellini, Roberto : 1.
Rossi, Cesare : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Rossoni, Edmondo : 1, 2.
Rota, Nino : 1, 2.
Rousseau, Jean-Jacques : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17.
Ruccione, Mario : 1.

Saint-Just, Antoine de : 1, 2, 3.
Salandra, Antonio : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16.
Salvatorelli, Luigi : 1.
Salvemini, Gaetano : 1, 2, 3, 4.
Sarfatti, Margherita : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
Schuster, Alfredo : 1, 2.
Scorza, Carlo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Selvi, Giovanni : 1.
Serena, Adelchi : 1, 2.
Serpieri, Arrigo : 1, 2, 3, 4, 5.
Sforza, Carlo : 1, 2, 3.
Shaw, Bernard : 1.
Silvestri, Carlo : 1, 2, 3, 4.
Skorzeny, Otto : 1.
Soffici, Ardengo : 1, 2.
Soleri, Marcello : 1, 2, 3.
Solmi, Arrigo : 1.
Sonnino, Sidney : 1, 2.
Sorel, Georges : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
Spengler, Oswald : 1, 2, 3, 4.
Spirito, Ugo : 1, 2, 3.
Spolète, duc de : 1.
Staline, Joseph : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15.
Starace, Achille : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27,
28, 29.
Stresemann, Gustav : 1, 2.
Sturzo, Luigi : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Suardo, Giacomo : 1, 2, 3, 4, 5.
Suckert, Curzio : 1, 2, 3.
Sulis, Edgardo : 1, 2, 3, 4.

Tacchi Venturi, Pietro : 1.
Taddei, Paolino : 1, 2, 3.
Tarchi, Angelo : 1, 2.
Teruzzi, Attilio : 1, 2.
Thaon di Revel, Paolo : 1, 2.
Thibaudeau, Antoine : 1, 2.
Togliatti, Palmiro : 1, 2.
Toussaint, Rudolf : 1.
Treccani, Giovanni : 1.
Treves, Claudio : 1.
Turati, Augusto : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13.
Turati, Filippo : 1, 2, 3, 4, 5.
Turiello, Pasquale : 1.

Vallauri, Giancarlo : 1.
Valois, Georges : 1.
Victor-Emmanuel II : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Victor-Emmanuel III : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25,
26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52,
53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64.
Vidussoni, Aldo : 1, 2, 3.
Villani, Romilda : 1.
Visconti, Luchino : 1, 2.
Volpe, Gioacchino : 1, 2, 3.
Volpi, Giuseppe : 1.
Voltaire : 1.

Weizmann, Chaïm : 1.
Wolff, Karl : 1, 2, 3, 4.

Zamboni, Anteo : 1, 2, 3, 4, 5.
Zaniboni, Tito : 1, 2.
Zappaterreni, Eusebio : 1.
Zocchi, Pulvio : 1.
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