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Histoire Du Fascisme
Histoire Du Fascisme
of Contents
1. Couverture
2. Titre
3. Du même auteur
4. Copyright
5. Sommaire
6. Introduction. Qu’est-ce que le fascisme ?
7. 1. Au commencement était le socialisme
1. La grande Italie révolutionnaire du Risorgimento
2. L’Italie trop petite du XIXe siècle
3. Sus à Giolitti !
4. La nation avant tout
5. Un socialisme déjà national
6. Mussolini, l’homme qui voulait changer l’Homme
7. La guerre pour la révolution
8. 2. A l’assaut !
1. L’aristocratie des tranchées
2. Le fascisme de San Sepolcro
3. Fiume, le laboratoire du socialisme national
4. Gourdins et huile de ricin
5. La fronde du squadrisme
9. 3. Octobre noir
1. Un parti pour la révolution
2. La crise finale de l’Etat libéral
3. Que faire ?
4. Rome ou la mort !
10. 4. La normalisation du fascisme
1. Le chef de bande est devenu Premier ministre
2. Une nouvelle loi électorale
3. La crise du PNF
4. Matteotti, un cadavre bien encombrant
5. Un fascisme sans Mussolini
6. Le virage
11. 5. L’Etat totalitaire pas à pas
1. La révolution institutionnelle
2. L’Etat plutôt que le parti
3. La normalisation du PNF
4. L’économie au service de l’Etat
5. La construction du totalitarisme est lancée
6. L’infiltration du monde intellectuel
7. La révolution au milieu du gué
12. 6. Le fascisme aux commandes
1. Rome vaut bien une messe
2. Le fascisme éducateur
3. Le troisième temps de la révolution est arrivé
4. Le PNF de Starace
5. La fougue révolutionnaire
6. Un César d’un nouveau type
7. La déroute de l’antifascisme
13. 7. La fascisation des Italiens
1. Remodeler l’homme
2. La romanité fasciste
3. L’ordre moral fasciste
4. Tous à la campagne !
5. L’art n’échappe pas au fascisme
6. Rome fascisée
7. Consensus et répressions
8. Les Italiens, fascistes ou mussoliniens ?
14. 8. La géopolitique du fascisme
1. De l’importance de la guerre
2. Une diplomatie convenable ?
3. Les pulsions révisionnistes du fascisme
4. L’équilibre selon Grandi
5. Le danger allemand revient
6. Les mirages de l’Orient
7. La guerre fasciste en Ethiopie
15. 9. Le nouvel élan totalitaire
1. Le vertige du consensus
2. Le fascisme combat en Espagne
3. L’Axe sur le cadavre de l’Espagne et de l’Autriche
4. Guerre aux bourgeois !
5. Le fascisme antisémite et raciste
6. Un pas vers la république fasciste
7. L’alliance avec l’Allemagne hitlérienne
16. 10. La guerre mondiale et révolutionnaire du fascisme
1. Vers l’inévitable guerre
2. Des Alpes à la Russie
3. Une guerre de civilisation
4. Le fragile Empire italien
5. Le régime en guerre
6. L’effondrement des fronts
7. La chute
17. 11. La république de Salò et le retour aux sources
1. Tel un château de cartes…
2. La main de l’Allemagne
3. La république fasciste et socialiste
4. A mort les traîtres !
5. La République sociale veut sa Vendée
6. L’écroulement final
18. Conclusion. Le fascisme est mort
19. Bibliographie
20. Notes
21. Index
Landmarks
1. Cover
Du même auteur
Les Divisions du pape. Le Vatican face aux dictatures, 1917-1989, Paris, Perrin,
2016.
Victor-Emmanuel III. Un roi face à Mussolini, Paris, Perrin, 2015. Traduit en
italien.
Le Front yougoslave pendant la Seconde Guerre mondiale. De la guerre de
l’Axe à la guerre froide, Saint-Cloud, Soteca, 2012.
Juin 1940. La guerre des Alpes. Enjeux et stratégies (avec Max Schiavon), Paris,
Economica, 2010.
La Serbie, du martyre à la victoire, 1914-1918, Saint-Cloud, 14-18 éditions,
2008.
La France et l’Italie dans les Balkans, 1914-1919. Le contentieux adriatique,
Paris, L’Harmattan, 2006. Prix du mémorial du front d’Orient.
ISBN : 978-2-262-07640-5
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Titre
Du même auteur
Copyright
Introduction. Qu’est-ce que le fascisme ?
Sus à Giolitti !
La nation avant tout
2. A l’assaut !
L’aristocratie des tranchées
La fronde du squadrisme
3. Octobre noir
Un parti pour la révolution
La crise finale de l’Etat libéral
Que faire ?
Rome ou la mort !
4. La normalisation du fascisme
Le chef de bande est devenu Premier ministre
La révolution institutionnelle
L’Etat plutôt que le parti
La normalisation du PNF
Le fascisme éducateur
Le PNF de Starace
La fougue révolutionnaire
Remodeler l’homme
La romanité fasciste
L’ordre moral fasciste
Tous à la campagne !
Rome fascisée
Consensus et répressions
Les Italiens, fascistes ou mussoliniens ?
8. La géopolitique du fascisme
De l’importance de la guerre
Une diplomatie convenable ?
Le vertige du consensus
Le fascisme combat en Espagne
Le régime en guerre
La chute
11. La république de Salò et le retour aux sources
Tel un château de cartes…
La main de l’Allemagne
L’écroulement final
Conclusion. Le fascisme est mort
Bibliographie
Notes
Index
INTRODUCTION
La fronde du squadrisme
L’offensive squadriste, l’échec de D’Annunzio à Fiume et les financements
privés remirent le fascisme en selle après son échec électoral de 1919. Le
nombre de faisceaux passa de 88 à l’été 1920 à près de 1 000 un an plus tard !
D’un groupuscule presque sectaire, le fascisme se transforma en un mouvement
de masse grossi par l’arrivée de la petite et moyenne bourgeoisie qui en
constituait maintenant 90 % de ses membres. Il devenait ainsi une sérieuse
menace. Au biennio rosso de 1919-1920 succédait le biennio nero de 1921-1922,
les deux années de violences aiguës des fascistes.
Qui pouvait dans de telles conditions sauver l’Etat libéral ? Après la
démission de Nitti, de nombreux députés pensèrent que le salut résidait en
Giolitti. Son prestige, son expérience et sa rouerie politique lui permettraient à
n’en pas douter de résoudre la grave crise que traversait le pays. Le 15 juin 1920,
après six ans de mise à l’écart, le vénérable Piémontais retrouva son cher fauteuil
de président du Conseil bien décidé à montrer qu’à 80 ans il n’avait pas dit son
dernier mot. Or, le vieux chef libéral qui avait réussi à intégrer les catholiques et
les socialistes réformistes dans le parlementarisme s’était trompé d’époque. Les
manœuvres, les combinazioni, le trasformismo, le consensus avaient été des
instruments fort utiles et efficaces dans un temps et une société qui n’avaient pas
été ravagés par la guerre. Cependant, dans l’Italie déchirée de 1920, il devenait
difficile de les réutiliser. Certain de pouvoir convaincre les socialistes de revenir
à la raison, d’abandonner leur maximalisme et d’intégrer le jeu parlementaire,
Giolitti pensait pouvoir utiliser la menace fasciste – un mouvement somme toute
transitoire, lié à la crise – pour les pousser dans cette voie. Ainsi s’explique la
passivité avec laquelle les autorités réagirent aux occupations d’usines et aux
violences agraires, convainquant ainsi la bourgeoisie et les propriétaires de se
placer sous la protection des fascistes. Entre arrière-pensées, mauvaise analyse
de la situation et chimères politiques, Giolitti perdait la main.
Il lui restait une option : l’armée. Mais les militaires ne l’aimaient pas et
regardaient avec une indéniable sympathie ce mouvement fasciste peuplé
d’anciens du front. De plus, d’insistantes rumeurs de coup d’Etat circulaient
depuis des mois. Par prudence, Giolitti laissa son ministre de la Guerre, l’ancien
socialiste réformiste Ivanoe Bonomi, mettre en place une réforme vidant de sa
substance le pouvoir du chef d’état-major au profit d’un conseil de l’armée placé
sous l’autorité du ministre et donc de la tutelle du gouvernement. Scandale chez
les officiers ! Et surtout dangereuse décision qui dilua l’autorité au sein de
l’armée et favorisa l’autonomie des généraux50.
Le 4 avril 1921, un coup de théâtre éclata dans le ciel italien avec l’annonce
de la dissolution de la Chambre des députés que Giolitti venait d’arracher à
Victor-Emmanuel III pour obtenir une majorité plus solide, réduire le PSI et le
pousser vers davantage de modération. A cet égard, la scission au sein du parti
qui donna naissance le 21 janvier 1921 à Livourne au Parti communiste italien
suscitait bien des espoirs. Pour le fascisme, c’était l’occasion de prendre une
revanche sur 1919, et pour Mussolini celle de récupérer la direction du
mouvement. En effet, l’offensive du squadrisme agraire l’avait surpris par sa
force et son étendue, et ce d’autant plus qu’il ne le contrôlait pas. Les élections
ouvrant les portes sur le pouvoir, il devenait dangereux de laisser les milices
fascistes hors de contrôle, surtout que Giolitti, toujours à la manœuvre, proposa
avec succès aux fascistes d’entrer dans le Bloc national, ce groupement politique
électoraliste rassemblant giolittiens et nationalistes. Cela dit, le chef milanais
n’entendait pas renoncer à la violence – ce qu’il était de toute façon bien
incapable d’imposer comme la suite le prouva – mais voulait la canaliser pour
mieux l’exploiter à défaut de la commander. Cela tombait bien. Giolitti lui aussi
comptait sur le déchaînement squadriste pour la réussite de sa manœuvre
politique.
La campagne électorale se déroula donc dans un climat dramatique de
violences. Arrêtons-nous un instant sur les événements tragiques de Florence. Le
27 février 1921, sur la piazza degli Antinori, un attentat anarchiste contre un
défilé nationaliste fit deux morts, un étudiant et un carabinier. Dans l’affolement
général, un policier tira sur un militant socialiste pour le punir d’un geste de
mépris devant le corps du carabinier déchiqueté par la bombe. Le même jour,
Spartaco Lavagnini, directeur du journal communiste L’Azione communista, fut
assassiné à son tour par des squadristes. Le lendemain, à l’occasion d’une grève
générale déclenchée en mémoire de ces deux victimes, des barricades apparurent
dans les quartiers populaires. Au soir de cette journée de haute tension, un jeune
fasciste, Giovanni Berta, passant sur un pont au-dessus de l’Arno, fut agressé par
des communistes, poignardé, jeté dans le fleuve d’où il ne put s’extraire malgré
sa tentative de s’agripper à la rive, à cause des coups de pied que ses meurtriers
lui infligeaient sur les mains. Au nouveau martyr fut dédiée une chanson, Hanno
ammazzato Gianni Berta (« Ils ont tué Gianni Berta »).
Autre journée tragique, celle du 14 avril à Foiano della Chiana, dans la
province d’Arezzo. Une squadra y fut agressée à coups de fusils par une
cinquantaine de militants communistes qui s’acharnèrent sur les blessés avec des
bâtons et des fourches. Trois jeunes fascistes restèrent à terre. L’acharnement des
agresseurs épouvanta une grande partie de l’opinion publique encline désormais
à justifier les représailles. D’ailleurs celles-ci ne tardèrent pas. Une expédition
punitive dévasta tous les locaux socialo-communistes de la région dont beaucoup
finirent en cendres, et provoqua la mort de neuf militants de gauche. Au même
moment, de graves troubles touchaient Livourne, Florence, Pise, Belluno,
Vérone. Rien qu’entre le 8 avril et le 14 mai, veille du scrutin, 105 morts et
431 blessés furent comptabilisés. Pour la seule journée du 15, alors que les
Italiens se rendaient aux urnes, 29 personnes tombèrent aux côtés de 104 blessés.
La passivité, pour ne pas dire la complicité, des autorités publiques fut
souvent pointée du doigt dès l’époque. Le ministre de la Guerre Bonomi se
plaignait du manque de fermeté des préfets et des militaires dans l’application de
sa circulaire du 21 avril 1921 à propos de la protection du scrutin. Le
gouvernement se heurtait à une véritable inertie au sein de la police, de l’armée
et de la magistrature51. Mais il est vrai aussi que les ambiguïtés de Giolitti ne
facilitèrent pas la résolution de la crise.
Avec le vote du 15 mai 1921, le PSI passa de 156 députés à 123, le PPI de
don Sturzo en obtint 108, le PCI 15 et les nationalistes 10. Avec 36 élus, le
mouvement fasciste lavait l’affront de 1919. Outre Mussolini, la fine fleur du
futur régime fasciste entra à Montecitorio, le siège de l’Assemblée nationale :
Dino Grandi, Italo Balbo, Giuseppe Bottai, Roberto Farinacci, tous âgés d’une
vingtaine d’années (tout juste 24 ans pour Bottai), à tel point que l’élection de
Grandi, Bottai et Farinacci serait invalidée en mai 1922 (il fallait avoir 30 ans
pour être député). Ils apportèrent dans l’hémicycle – où ils s’installèrent à
l’extrême droite selon la volonté de Mussolini – leur fougue, leur indiscipline,
leurs vociférations et leur hostilité au jeu parlementaire. D’ailleurs, dès la séance
d’inauguration de la législature le 11 juin en présence du roi Victor-
Emmanuel III, ils firent plusieurs coups d’éclat. Nombre d’entre eux refusèrent
de siéger ce jour-là pour mieux affirmer leur adhésion républicaine, tandis que
les présents entonnèrent avec leurs militants postés dans les tribunes le chant
squadriste Giovinezza52. Pis encore, deux jours plus tard, les jeunes élus, armes
au poing, chassèrent de la salle le communiste Francesco Misiano accusé d’être
un déserteur, le traînèrent dehors et le jetèrent sur la place devant le bâtiment.
Des députés protestèrent, certains échangèrent des insultes et même des coups,
d’autres exigèrent du président du Conseil qu’il intervînt. Et Giolitti de répondre
laconiquement que « le gouvernement ne pouvait s’ingérer dans la police du
palais de Montecitorio53 ». On passa à autre chose…
Néanmoins, ce premier succès électoral entraîna bel et bien une
« parlementarisation » du fascisme qui, sous l’impulsion de Mussolini, tenta
d’entrer dans une politique de collaboration avec certains groupes politiques.
Des recompositions étaient en effet possibles, d’autant que les élections
n’apportèrent pas à Giolitti la majorité solide qu’il attendait. Aucun des grands
chefs libéraux (Salandra, Nitti, Orlando) ne le soutint, à tel point que le président
du Conseil préféra démissionner. Ivanoe Bonomi lui succéda le 4 juillet 1921.
L’ancien socialiste réformiste, avec son allure d’honnête notaire de province,
se révélait incapable, par faiblesse personnelle autant que politique, de restaurer
l’autorité et le prestige de l’Etat. Ne disposant pas des instruments pour ramener
le calme dans le pays par la force, il se résigna à favoriser une entente entre les
frères ennemis fascistes et socialistes avec l’aide du président de la Chambre,
Enrico De Nicola. L’idée d’associer le fascisme au pouvoir pour le calmer, si elle
circulait déjà, était encore écartée au profit d’une médiation gouvernementale.
Le plan de Bonomi correspondait d’ailleurs à l’état d’esprit de Mussolini qui
pensait emprunter la route de la conciliation sans trop de risques, d’où un
premier discours à la Chambre au ton fort modéré. Le bolchevisme ayant été
vaincu, une entente avec une gauche socialiste affaiblie s’avérait possible et
présentait l’avantage de renforcer l’autonomie du fascisme à l’encontre de la
majorité libérale avec laquelle les députés fascistes avaient été élus. Ainsi prit
forme l’idée de proposer aux adversaires un « pacte de pacification » qui
donnerait au fascisme un visage plus reluisant, plus acceptable pour l’opinion
publique, les dirigeants politiques et économiques. Il permettrait aussi à
Mussolini de reprendre la main sur le squadrisme dont les excès risquaient de
ruiner le succès du 15 mai et d’isoler le fascisme. Il s’agissait bien de
« démilitariser » le fascisme afin de consolider l’adhésion des classes moyennes.
Les événements survenus dans la ville ligure de Sarzana sonnèrent comme un
avertissement. Le 21 juillet 1921, les forces de police tirèrent dans un cortège
fasciste faisant près de vingt morts avec l’approbation d’une population locale
des plus hostiles. D’autres troubles éclatèrent à Parme, à Modène qui mirent les
fascistes en difficulté. Visiblement, la stratégie de la tension et de la violence
rencontrait ses limites.
Il fallait donc trouver des alliés. Les premiers à mordre à l’hameçon fasciste
furent les nationalistes. Avec leurs dix députés, ils constituaient une force non
négligeable. Leur chef, Luigi Federzoni, détenait en outre un grand prestige.
Volontaire en 1915, il était un chef respecté de son groupe parlementaire et une
des grandes plumes du journal nationaliste, L’Idea nazionale. Monarchiste
convaincu, il entretenait des liens solides avec le palais royal et disposait de
l’oreille des grandes figures libérales. Si jusque-là ses liens avec le fascisme
avaient été somme toute limités du fait de profondes divergences notamment
institutionnelles, il commençait par le considérer comme le plus solide rempart
contre la vague rouge qui menaçait à ses yeux de tout emporter. Lors de
l’investiture du cabinet Bonomi, il condamna les violences squadristes pour
mieux exprimer une « fraternelle sympathie » au mouvement fasciste et sa
disponibilité pour une entente54. La porte était entrouverte. Au fascisme
maintenant d’évoluer sur la question cruciale et non négociable de la monarchie.
Avec les socialistes, ce fut le lendemain des événements de Sazarna que
Mussolini lança les négociations. A la fin du mois de juillet, il en définissait avec
habileté l’enjeu en ces termes dans le Popolo d’Italia : « La nation est venue à
nous quand notre mouvement se présentait comme le crépuscule d’une tyrannie ;
la nation nous répudierait si notre mouvement prenait les aspects d’une nouvelle
tyrannie55. » Les discussions aboutirent le 3 août à la signature, dans le bureau de
De Nicola, du pacte de pacification. Les deux signataires s’engageaient à
renoncer à la violence, à se soumettre à des arbitrages et à opérer des restitutions
de biens. Or, ce succès déclencha au sein du mouvement fasciste une crise
majeure très riche d’enseignements pour l’histoire du mouvement et du futur
régime. En effet, Mussolini vit se dresser contre sa politique les principaux chefs
squadristes surnommés les ras (nom des chefs de tribus éthiopiens) qui s’étaient
construit de véritables fiefs provinciaux et avaient acquis grâce à leur élection à
la Chambre une dimension nationale de nature à concurrencer celle du fondateur
des faisceaux. Ils n’entendaient pas le laisser décider seul de l’orientation des
faisceaux. Deux hommes menèrent la fronde, Dino Grandi le ras de Bologne et
Roberto Farinacci, celui de Crémone.
Lui aussi Romagnol et fils d’une institutrice, ancien combattant doué pour
les études au point de revêtir la robe d’avocat, Grandi se sentait d’abord
mazzinien, socialiste modéré rêvant d’une démocratie nationale du travail. Dans
l’immédiat après-guerre, il espéra pouvoir détacher le socialisme italien du
maximalisme bolchevique et le faire renouer avec les thèmes nationaux. Devant
l’échec, il sauta le pas le 23 novembre 1920 en s’inscrivant au Faisceau de
Bologne par patriotisme et soif d’action. Ce converti, qui ne participa donc pas
au rassemblement de San Sepolcro, concevait le fascisme comme un mouvement
provisoire qui disparaîtrait une fois le danger rouge anéanti pour laisser la place
à un Etat nouveau, construit sur les préceptes de la démocratie du travail. Car
l’alliance avec les forces conservatrices ne correspondait pas à une défense de la
bourgeoisie à laquelle on imposerait à son tour « le dilemme même des
socialistes : ou se transformer ou périr56 ». Grandi était déterminé à achever le
Risorgimento, à poursuivre la lutte de Mazzini et de Garibaldi contre l’Italie des
lâches, des modérés et autres Giolitti. Elu député en 1921, il n’approuva pas la
décision de Mussolini de siéger à l’extrême droite de l’hémicycle car cela
donnait au parti une coloration réactionnaire. Il aurait de loin préféré une
installation des fascistes sur les sièges supérieurs de la salle, comme l’avaient
fait en leur temps les révolutionnaires français les plus radicaux, afin de
constituer « la Montagne de la gauche ». Ras de Bologne et député violent –
seule l’intervention du personnel de l’Assemblée l’empêcha un jour d’agresser
physiquement le réformiste Turati –, il n’en défendait pas moins une ligne
politique particulière. Selon lui, la violence squadriste devait absolument être
non pas supprimée mais encadrée, disciplinée. Toutefois, cela ne revenait pas à
dire qu’il fallait se compromettre avec l’ennemi ! D’où son opposition au pacte
de pacification.
Quant à Farinacci que nous avons déjà croisé, il s’était construit à Ferrare
une solide position qui le conduisit à s’opposer lui aussi à la ligne
mussolinienne. Déposer les armes revenait à ses yeux à perdre tous les acquis
engrangés sur le terrain par le squadrisme depuis un an, alors même que la
menace bolchevique s’exprimait encore dans les campagnes. Cette analyse le
poussa à s’entendre avec Grandi pour faire échouer la manœuvre d’apaisement.
Le 16 août, les chefs des principaux faisceaux de la vallée du Pô (Farinacci,
Grandi, Balbo, Finzi) se réunirent en l’absence de Mussolini pour signer un
ordre du jour affirmant que la pacification ne pouvait être ni poursuivie ni
atteinte « tant que perdurerait une agressive violence partisane qui tend au
monopole de la main-d’œuvre conquise et défendue avec des intimidations ». Du
haut de ses 26 ans, Grandi eut l’habileté de se draper dans le mythe de
D’Annunzio et d’en appeler à l’esprit de la charte du Carnaro57. Balbo proposa
alors d’envoyer Grandi et Marsich à Gardone pour convaincre l’écrivain de
participer à une marche sur Ravenne.
Le danger n’était donc pas négligeable pour Mussolini, d’autant que les
« putschistes » recevaient l’appui des nationalistes tout aussi réticents à la
pacification. Mais le politicien madré ayant appris dans un parti marxiste le sens
des manœuvres savait comment se sortir de ce mauvais pas. Le 18 août, il jeta sa
démission du comité central au visage de ses adversaires. Il disposait de belles
cartes en main. Il savait d’une part que D’Annunzio, qu’il avait tenté en vain de
rallier à sa cause avant les élections de mai 1921, condamnait le squadrisme et
donc ne suivrait pas – ce qui effectivement arriva, Grandi revenant marri de
Gordone où résidait le poète. D’autre part, persuadé que les frondeurs ne
rompraient pas avec lui, il comptait sur le vide insupportable que provoquerait
son départ. Le coup de poker réussit. Le conseil national tenu à Florence les 26
et 27 août repoussa les démissions de Mussolini et de Farinacci. Les frondeurs
acceptèrent un ordre du jour de compromis laissant aux faisceaux le soin
d’appliquer ou non le pacte de pacification sur le terrain58.
Le futur dictateur réussit donc à se sortir de l’ornière dans laquelle son choix
tactique l’avait conduit. Plusieurs enseignements pouvaient être tirés de la crise :
tout d’abord, si son leadership sur le mouvement en sortait indemne, une
sérieuse concurrence s’était exprimée contre lui. Il avait beau être le créateur des
faisceaux, le squadrisme ne lui devait rien, pas plus d’ailleurs que l’aventure de
Fiume, ces deux phénomènes propulseurs du fascisme. Les chemises noires
vouaient un culte à la patrie, pas encore à Mussolini auquel le succès du
mouvement ne devait pas grand-chose à ce moment-là. Grandi et Farinacci
réussirent donc à le contester en montrant leur force politique et à mettre en
échec sa stratégie de pacification. A cet égard, la marche en septembre 1921 de
2 000 squadristes sur la ville de Ravenne organisée par Balbo et Grandi et qui
ravagea tous les locaux socialistes sur leur chemin joua un rôle déterminant59.
Jusqu’en juillet 1943 et la fin de son régime, Mussolini ne cesserait de trouver
ces frondeurs en travers de son chemin, Grandi finissant même par être le
principal artisan de sa chute.
Ensuite, sur le fond, le coup de barre vers la gauche mit en danger l’unité du
mouvement. Mussolini comprit la leçon de cette crise entre l’aile militaire
incarnée par les ras et la direction politique du mouvement. Désormais, il
orienterait ses regards vers la droite libérale et conservatrice. De toute façon,
sans le soutien de la bourgeoisie et de l’armée, le pouvoir restait hors de portée.
Alors tant pis pour le pacte de pacification que l’on allait enterrer avec
discrétion ! Le fascisme, sans renoncer à la violence, jouerait désormais la carte
parlementaire, et pour cela il lui fallait un parti en bonne et due forme auquel le
squadrisme serait subordonné60.
3
Octobre noir
Que faire ?
Les victoires fascistes pendant l’été 1922 accélérèrent le processus menant à
la marche sur Rome. De multiples rumeurs circulaient, savamment entretenues
par les journaux et les dirigeants du mouvement. La question de la stratégie pour
la conquête du pouvoir fut débattue lors de la session du comité central du PNF
tenue à Milan les 13 et 14 août 1922. Deux lignes s’opposaient. La première,
défendue par Grandi et le député Acerbo, préconisait des élections anticipées,
alors que la seconde autour de Bianchi et de Farinacci appelait à une insurrection
armée. Le secrétaire général, auréolé du succès squadriste contre la grève
générale, et le ras de Crémone agitaient avec conviction le risque de voir les
socialistes soutenus par le gouvernement reconquérir leur influence pendant
l’hiver en profitant des difficultés économiques qui s’annonçaient. Il fallait agir
le plus vite possible, dès l’automne. Finalement le comité valida un ordre du jour
admettant le principe d’une insurrection mais seulement dans le cas où le
gouvernement refuserait de dissoudre la Chambre. Un commandement unique
des squadre fut installé entre les mains d’Italo Balbo, d’Emilio De Bono et
Cesare Maria De Vecchi avec mission de les préparer à un assaut, cette fois-ci
décisif22.
Le choix de ces trois hommes mérite que l’on s’y arrête un instant. De Bono
venait d’adhérer au PNF en juillet 1922. Ce général, qui rêvait de devenir
ministre de la Guerre, ne goûtait guère les jeux politiciens mais homme d’ordre
et d’autorité il trouva dans le fascisme la meilleure voie pour satisfaire ses
ambitions. Le PNF accueillit avec joie dans ses rangs cet officier supérieur
réputé très proche de la famille royale grâce à son amitié avec le cousin de
Victor-Emmanuel III, le duc Emmanuel-Philibert d’Aoste, ancien commandant
au front de la 3e armée. Ses compétences en faisaient l’homme idoine pour
l’organisation militaire des squadristes. Ce fut sur son indication que les deux
autres membres du directoire militaire furent choisis23. Balbo apportait à l’équipe
son prestige auprès des squadristes et son expérience. Quant à De Vecchi, lui
aussi ancien combattant, député depuis 1921 et chef squadriste de la région de
Turin, il représentait la tendance modérée et monarchique du fascisme, celle
considérant que la dynastie de Savoie incarnait la nation et qu’à ce titre elle ne
pouvait être renversée24.
Ces éléments tendaient à confirmer le poids désormais central de la question
monarchique. Le Statuto (la Constitution italienne) conférait au souverain des
pouvoirs étendus qui le rendaient incontournable dans la désignation du chef du
gouvernement. Or, l’inclination républicaine du fascisme depuis ses origines
socialistes constituait un obstacle de taille le privant du soutien des courants
monarchiques et conservateurs, d’une partie des masses attachées à la Couronne
et du roi lui-même. Le pragmatique Mussolini le savait. Il devait donner des
gages, rassurer, bref se rallier à la monarchie en renvoyant aux calendres
grecques la question du régime. Le 23 août 1922, dans un article du Popolo
d’Italia, il répondit à une injonction du journal libéral Il Giornale d’Italia en
écrivant que « la couronne n’[était] pas en jeu pourvu qu’elle ne [voulût] pas se
mettre en jeu ». Que le roi restât neutre dans la bataille et son trône ne serait pas
menacé. Lors d’un discours à Udine le 20 septembre, Mussolini répéta que le
fascisme ne traiterait pas de la nature du régime monarchique en Italie. Ses
lieutenants lui emboîtaient le pas, comme Farinacci qui exposa le problème en
ces termes : « Se substituer à l’Etat, s’en emparer ne veut pas dire se substituer
au régime en le transformant. La question institutionnelle nous intéresse
relativement peu. La monarchie n’est pas un obstacle à notre action. La question
du régime est au-dessus et en dehors de nos finalités et n’est pas en
discussion25. » Les conversions à la monarchie, ou plus précisément à l’idée
monarchique, se multipliaient y compris dans les rangs d’anciens futuristes
comme… Mario Carli, l’admirateur de Lénine à Fiume ! L’écrivain se
transforma au fur et à mesure de la montée du fascisme vers le pouvoir en
soutien de l’institution monarchique car elle seule, une fois la révolution
abandonnée, « pouvait garantir à “l’aristocratie de Vittorio Veneto” ce rôle
politique qui lui incombait pour les mérites acquis à la guerre ». Il fonda donc en
avril 1922 une nouvelle revue milanaise Il Principe (« Le Prince ») avec comme
sous-titre Hebdomadaire de l’idée monarchique, qui aida beaucoup le fascisme
dans le ralliement à sa cause des milieux monarchiques26.
La situation particulière de la maison de Savoie facilitait, il est vrai, les
ralliements des héritiers de Garibaldi en chemises noires. N’avait-elle pas en
1859-1860 renversé les trônes « réactionnaires » des Etats pré-unitaires, réalisé
l’unité nationale, rassemblé autour d’elle les peuples de la péninsule, garanti leur
intégration au sein de l’Etat, du moins en théorie… ? De plus, la transformation
de la monarchie en un régime autoritaire, hostile au parlementarisme et à la
démocratie, n’était pas incompatible avec le projet fasciste. Mais le roi lui-même
qu’en pensait-il ? Quels sentiments éprouvait Victor-Emmanuel III derrière ce
masque impavide qu’il arborait en toutes circonstances ? Le souverain était le
garant du respect du Statuto et du bon fonctionnement des institutions. Il lui
incombait donc d’assurer la défense de l’Etat contre les forces subversives. De
plus, l’homme qui avait libéralisé la vie politique après le règne autoritaire de
son père Humbert Ier, laissé Giolitti réformer le pays, avec toujours le souci
d’apaiser les relations sociales ne pouvait pas, en toute logique, laisser des
voyous s’installer au pouvoir et étrangler le régime libéral hérité de Cavour.
En vérité, l’impénétrable monarque était troublé. Pendant la guerre, il avait
passionnément aimé son séjour au front, la proximité avec les soldats, cette
existence de caserne faite de discipline, d’austérité, de sens du devoir et de
patriotisme à laquelle la paix l’avait arraché. L’achèvement du conflit l’avait
renvoyé à la vie politique, aux chamailleries des politiciens qu’il exécrait depuis
toujours, à ce parlementarisme impuissant à résoudre les immenses problèmes
qui se posaient à l’Italie. Avec les fascistes, il partageait le sens de la patrie, de la
communauté de soldats, les valeurs du front, la haine de la paix mutilée,
l’anticléricalisme absolu et le socialisme (au sens de prise en compte des
problèmes sociaux). S’il n’avait pas l’intention de les laisser mettre le pays à feu
et à sang pour s’emparer du pouvoir par la subversion, il craignait par-dessus
tout la guerre civile, une obsession depuis la violente crise des années 1896-1900
qui avait coûté la vie à son père. Pour l’instant, il ne bougeait pas, jouait son rôle
de monarque parlementaire et laissait le cabinet Facta gouverner, ce qui lui
évitait de faire ce qu’il détestait au plus haut point : prendre des décisions. Le
mystère sur ses intentions demeurait entier27.
Les chefs fascistes, de leur côté, montraient plus de détermination. Le
15 septembre, De Vecchi et De Bono présentèrent le nouveau règlement de la
Milice qui insistait sur la fidélité et l’obéissance absolues dues au parti et à ses
chefs. Il mettait surtout fin au principe électif au bénéfice de nominations par la
direction politique. Le parti-milice se dotait d’une véritable armée prête à en
découdre avec celle de l’Etat. La décomposition des forces politiques adverses
offrait en plus de larges opportunités. Le PSI traversa une grave crise interne à
l’occasion de son XIXe congrès, du 1er au 4 octobre 1922, qui vit s’affronter
maximalistes et réformistes. Ces derniers, expulsés du parti, fondèrent le Parti
socialiste unitaire (PSU) sous la direction de Turati et de Giacomo Matteotti,
emmenant avec eux plus de la moitié des 122 députés. Cette rupture aurait pu
favoriser une alliance avec les populaires, mais l’aile droite du parti de don
Sturzo ne voulait pas en entendre parler, pas plus d’ailleurs que Pie XI, hostile à
une telle compromission avec des socialistes. De l’autre côté de l’échiquier
politique, le camp des libéraux se fissurait lui aussi. Les plus conservateurs,
menés par Salandra, fondèrent le 8 octobre à Bologne le Parti libéral italien et se
déclarèrent favorables à une coalition gouvernementale avec le fascisme.
On remarquera qu’à ce stade peu de responsables politiques envisageaient un
cabinet dirigé par Mussolini, mais davantage une distribution de maroquins
ministériels à des fascistes, meilleur moyen, pensait-on, d’absorber le fascisme
dans les institutions. Le succès de cette combinaison reposait toutefois sur le
retour de l’incontournable Giolitti. Or, Mussolini redoutait plus que tout ce
scénario qui porterait au pouvoir l’homme qui n’hésita pas à envoyer l’armée
déloger D’Annunzio de Fiume. Un redoutable précédent en somme ! Non, une
simple participation du PNF à un gouvernement signerait son arrêt de mort. Il ne
restait plus que la solution de l’insurrection, de la guerre ouverte contre l’Etat
libéral28. Dans ces conditions, une prise de décision rapide s’imposait avec
l’approche des commémorations de la victoire du mois de novembre que les
autorités ne manqueraient pas d’exploiter à leur profit et au détriment du
fascisme.
Une nouvelle action squadriste confirma, dans les premiers jours d’octobre,
l’impuissance de Facta. En effet, le 24 septembre, quatre jours après son discours
d’Udine, Mussolini s’était rendu à Crémone, le fief de Farinacci pour une
réconciliation spectaculaire. Le ras y fit la démonstration de sa puissance locale,
tandis que le chef du fascisme exhortait les chemises noires hurlant « A
Rome ! » à se tenir prêtes. L’occupation par les squadristes des villes de Bolzano
et Trente, encore hostiles au fascisme, suivit ces retrouvailles. Le gouvernement
ne put que valider l’état de fait. Pour Farinacci, il n’y avait plus qu’une décision
à prendre : la marche sur Rome et maintenant !
Le rôle exact tenu par Mussolini dans la prise de décision alimente les
querelles entre historiens. Longtemps hésitant, il finit par se rallier à la solution
insurrectionnelle rejoignant sur ce terrain Bianchi le révolutionnaire, Balbo et
Farinacci. Le plus hostile restait Grandi, toujours défavorable à ce qu’il percevait
comme une militarisation du fascisme et convaincu des avantages d’une solution
parlementaire pour un gouvernement de coalition. Il se tint donc à l’écart de la
marche, ce que Mussolini ne lui pardonna pas. « Tu t’es trompé, lui dit-il plus
tard, tu n’as pas cru à mon étoile mais à l’inexistant courage de nos ennemis29. »
De Vecchi et De Bono eux aussi exprimèrent des doutes lors de la réunion
cruciale du 16 octobre tenue à Milan dans les locaux du faisceau via San Marco,
dont l’ordre du jour portait sur la stratégie de la marche vers la capitale. Y
participèrent, outre Mussolini et les deux membres du directoire de la Milice,
Balbo, Bianchi, les généraux Ceccherini et Fara, ainsi que deux autres militaires,
le chef de la squadra du Latium Ulisse Igliori et Attilio Teruzzi. De Bono
s’inquiéta de la présence des deux généraux et de leur interférence possible dans
le commandement de la Milice, mais jugea surtout les chemises noires peu
préparées à une éventuelle confrontation avec l’armée régulière. Si Mussolini le
rassura sur le premier point, il balaya ses objections à propos du second. La
réunion valida non sans réticences sa proposition d’un quadriumvirat constitué
de De Bono, Balbo, De Vecchi, Bianchi pour exercer un contrôle total sur les
opérations à la place de la direction politique du PNF. Cette solution avait
l’avantage évident de dégager sa responsabilité directe sur les événements à
venir. Ce fut sans Bianchi mais avec Teruzzi que les trois commandants de la
Milice se réunirent pour la première fois le 18 octobre 1922 dans la charmante
ville ligure de Bordighera. Ils mirent au point le plan d’action. Les squadre
venues de l’ensemble de la péninsule se concentreraient dans trois villes proches
de la capitale : à Santa Marinella pour les troupes d’Italie du nord, de Toscane et
de Ligurie, à Monterotondo pour celles de Vénétie, de Lombardie et de l’Emilie
et enfin à Tivoli pour celles des régions méridionales, du Latium, des Abruzzes
et des Marches. Elles marcheraient ensuite vers Rome. Une nouvelle rencontre,
les 20-21 octobre, permit de finaliser le plan : l’occupation des édifices publics
des principales cités du pays s’accompagnerait de l’envoi d’un ultimatum au
gouvernement exigeant la cession des pouvoirs au fascisme, suivi de l’entrée
dans Rome et de la prise des ministères. En cas d’échec, un repli général vers les
régions centrales serait organisé avec constitution d’un gouvernement fasciste et
préparation d’une nouvelle action sur Rome. L’opération débuterait à l’occasion
du congrès du PNF à Naples le 24 octobre, et le siège des opérations serait
installé à Pérouse30.
Dans toute cette affaire, la priorité de Mussolini restait politique, c’est-à-dire
qu’il donnait la priorité aux discussions devant lui ouvrir les portes de la
présidence du Conseil. Cela suffit-il pour affirmer qu’il n’accordait à la marche
qu’un rôle secondaire, simplement pour accélérer la conclusion d’un accord ? La
clé de compréhension de la marche résidait dans l’objectif des fascistes. Hors de
question que la constitution d’un gouvernement Mussolini, après le
renversement de l’insignifiant Facta, apparût comme un changement classique
de cabinet et le fruit de discussions de couloirs à Montecitorio ! Non, il fallait
bien montrer à l’Italie tout entière qu’une action subversive et donc
révolutionnaire était à l’œuvre31. Le fascisme s’emparerait du pouvoir par la
force. La marche, geste très présent dans la mythologie socialiste, rappelait
celles des révolutionnaires français vers la Bastille ou Versailles, celle des
insurgés du Risorgimento et même celle de D’Annunzio vers Fiume. Le fameux
virage à droite de 1921 ne doit pas faire illusion. L’acte fondateur du fascisme
devait être en lui-même une révolution.
Or, de quels atouts disposait-il pour la réussite de cette opération ? Sur le
papier, ils s’avéraient non négligeables : le contrôle d’une bonne partie de l’Italie
septentrionale et centrale par la violence, 320 000 militants déterminés, un Etat
en décomposition, un gouvernement à l’agonie et certains responsables
politiques prêts à céder une partie du pouvoir. Deux interrogations, et non des
moindres, se trouvaient toutefois sans réponse : Comment réagirait le roi ?
Quelle attitude adopterait l’armée régulière ? De la première, on le savait,
dépendait en très grande partie la seconde.
Rome ou la mort !
Ce cri garibaldien retentit plus d’une fois à Naples où les fascistes réunis en
congrès firent la démonstration de leur force dans une ville assez marquée par
l’antifascisme. Dans son discours d’ouverture au théâtre San Carlo, Mussolini
tonna contre l’infamie du monde politique romain et avertit ses adversaires :
« Nous fascistes, nous n’entendons pas aller au pouvoir par la porte de service. »
Néanmoins, en exigeant une réforme électorale, la dissolution de la Chambre,
cinq ministères (Affaires étrangères, Guerre, Marine, Travail, Travaux publics)
sans sa propre participation et en renouvelant son attachement à la monarchie, il
donnait l’impression de rester dans un cadre légal. C’était là toute l’ambiguïté de
la réunion de Naples. Ce qui n’empêcha Mussolini pas de déclarer depuis la
tribune installée devant les chemises noires massées sur la place du Plébiscite :
« Ou ils nous donneront le Gouvernement ou nous le prendrons par la force. »
Puis, il quitta Naples pour Milan. Habile décision qui lui permettait de mettre
entre lui et les squadristes une distance autant géographique que politique
propice à sa liberté d’action. En chemin, il prit le temps de s’arrêter à Rome pour
y rencontrer Raul Palermi, le grand maître de la Grande Loge d’Italie. Sans
connaître précisément le teneur de la conversation, on peut être certain qu’une
partie de la franc-maçonnerie, à laquelle appartenaient plusieurs chefs fascistes,
décida de lui apporter un soutien tout sauf négligeable mobilisant ses réseaux au
sein de l’armée comme l’amiral Thaon di Revel, le général Cittadini aide de
camp du roi, voire Victor-Emmanuel III lui-même32.
En réalité, la confrontation prit un visage bien éloigné de l’action
révolutionnaire brutale telle que les bolcheviques la menèrent en Russie cinq ans
auparavant. La prise du pouvoir se réalisa en grande partie sur le terrain des
intrigues politiques mais sur fond d’actions squadristes dont il convient de ne pas
sous-estimer l’importance. Car d’autres que Mussolini s’agitèrent en ces
journées fébriles, au premier rang desquels on trouvait Grandi et De Vecchi. En
effet, depuis le congrès de Naples, les deux chefs fascistes ne cessaient de
s’agiter pour contrecarrer le plan d’insurrection. Sitôt informés du lancement
imminent de la marche, ils en informèrent le roi par le truchement du prestigieux
amiral Thaon di Revel en poste à Naples33. Puis, ils se rendirent à Rome pour
tenter une combinaison politique susceptible d’enrayer le processus infernal. De
Vecchi opta pour un gouvernement de coalition dirigé par Salandra. L’ancien
président du Conseil avait en effet les faveurs des nationalistes bien décidés à ne
pas laisser les fascistes rafler la mise, mais aussi des conservateurs, et se disait
prêt à entrer dans le jeu. Les préférences de Grandi allaient davantage à Orlando.
Depuis Milan, Mussolini gardait le contact avec Giolitti retiré dans sa ville de
Cavour et ce malgré toutes les défiances que lui inspirait un cabinet dirigé par
l’octogénaire, véritable bête noire, rappelons-le, des fascistes. Seul Bianchi
continuait de pousser en faveur d’un gouvernement Mussolini et s’employait à
torpiller les initiatives de Grandi et de De Vecchi34.
Si, lors de ces premières journées de crise, Facta se montrait volontiers
serein, y compris dans sa correspondance avec Victor-Emmanuel III depuis sa
résidence toscane de San Rossore, c’est qu’il croyait encore pouvoir manœuvrer
les fascistes en faisant entrer leur chef dans son propre gouvernement ! C’était la
raison pour laquelle il demanda à ses ministres de démissionner lors du conseil
du 26 octobre. Or, il changea de ton aux premières heures du 27 octobre quand
commencèrent à affluer les nouvelles d’une action généralisée des chemises
noires. Le président du Conseil avertit alors le roi qui, fin politique, comprit très
vite la gravité de la situation et sauta dans son train. Pendant toute la journée, la
plupart des villes italiennes tombèrent entre les mains des fascistes qui
s’attaquaient aux préfectures, aux gares, aux postes de communications, etc. Pise
fut la première à céder. A Crémone, la prise de la préfecture provoqua des
combats tuant quatre personnes.
Il fallait désormais préparer la défense de Rome. Le commandant des forces
armées de la capitale, le général Pugliese, mit sur pied un plan fondé sur la
suspension des communications ferroviaires et la concentration de troupes sur
deux lignes de défense autour de la ville. A 20 heures, le souverain arriva dans la
capitale. Bien décidé, semble-t-il, à faire preuve de fermeté mais sans se lier les
mains, il refusa la démission de Facta en l’incitant à lui proposer plusieurs
scénarios de réaction. Le président du Conseil fit comme la plupart des autres
responsables, il alla… se coucher ! Mais pas pour longtemps. Car très vite des
nouvelles alarmantes arrivèrent. Même si c’était avec retard par rapport au plan
et sous une pluie diluvienne, la plupart des squadre commencèrent à marcher
vers leurs lieux de concentration dans la nuit du 27 au 28 octobre. Cette mise en
route se rajoutait à la liste des villes déjà tombées entre les mains des factieux.
Le danger prit soudain une autre allure. Aux premières heures de l’aube, Facta
rejoignit au ministère de la Guerre ses collègues Soleri, Taddei et le général
Pugliese qui se rejetaient mutuellement la responsabilité du désastre, puis il
convoqua un Conseil des ministres en urgence au palais du Viminal, siège du
ministère de l’Intérieur. Une décision capitale y fut prise : la validation du décret
instaurant l’état de siège. A partir de là, tout alla très vite : les préfets, puis la
population romaine en furent informés, pendant que l’armée se positionnait
autour des principaux bâtiments publics. L’Etat était prêt pour la bataille.
Tout bascula à 9 heures quand Victor-Emmanuel III refusa de signer le
décret que Facta lui présentait, sans que nous sachions avec certitude ce qui a
poussé l’énigmatique souverain à un tel revirement (Facta n’aurait pas engagé le
gouvernement sur la voie de l’état de siège sans l’accord du roi qu’il rencontra
peut-être très tôt le 28 octobre). La crainte obsessionnelle de provoquer une
guerre civile cohabita sans doute avec la conviction que les fascistes au pouvoir
se glisseraient dans les institutions parlementaires, selon le vieux schéma du
trasformismo. Pour résumer, Victor-Emmanuel III, souvent cynique dans son
rapport aux hommes et à la politique, se ralliait à l’idée de donner le pouvoir aux
fascistes ce qui impliquait qu’on ne les anéantirait pas !
D’ailleurs l’Etat en avait-il vraiment les moyens ? Autrement dit, le roi
pouvait-il compter sur la fidélité absolue de l’armée ? Le général Diaz lui aurait
dit, dans la nuit du 27 au 28 octobre : « Majesté, l’armée fera son devoir mais il
vaudrait mieux ne pas la mettre à l’épreuve. » Paroles rapportées et apocryphes ?
En tout cas, dans les premières heures du 28 octobre, les nouvelles confirmaient
les doutes sur la solidité de l’armée. Dans plusieurs villes, un manque évident de
résistance aux fascistes se faisait sentir. Sans doute s’agissait-il davantage d’une
sorte d’expectative en l’absence d’ordres clairs venus de Rome35. L’autre
angoisse venait de la propre famille du roi. Passe encore que sa mère, la
flamboyante, très patriote et peu démocrate reine Marguerite eut reçu trois des
chefs de la Milice dans sa villa de Bordighera le 18 octobre. La vieille femme
n’exerçait aucune influence politique. Plus inquiétants étaient les liens entre
certains fascistes et le duc d’Aoste. Le roi se méfiait de son cousin et de ses
ambitions, et plus encore de la solution de rechange qu’il constituait. Les
fascistes ne se privaient d’ailleurs pas de faire courir toutes sortes de rumeurs à
ce propos, d’autant plus infondées qu’il n’existe pas de preuves d’un complot sur
ce point.
Quoi qu’il en fût, la décision royale brisa la dynamique de résistance, alors
que Pugliese était persuadé de pouvoir facilement venir à bout des 26 000
chemises noires mal armées, trempées, pataugeant dans la boue aux abords de
Rome et sans communication avec le centre de commandement de Pérouse. De
Bono s’y trouvait depuis le 26 octobre mais, isolé et nerveux, il n’avait pas prise
sur les événements. Le 28 octobre au matin, il signa tout de même avec les trois
autres quadriumviri une proclamation affirmant leur détermination à ne pas
déposer les armes tant que Mussolini ne serait pas président du Conseil36. C’était
effectivement ce chemin qu’empruntaient les acteurs du drame en cours.
La démission de son gouvernement, que Facta remit à Victor-Emmanuel III
le 28 octobre à 11 heures, ouvrait les négociations pour lui trouver un successeur.
Le mieux placé pour l’emporter restait Salandra. Les efforts de De Vecchi,
secondé par le nationaliste Federzoni à Rome et relayés à Milan auprès de
Mussolini par un autre député nationaliste Alfredo Rocco, visaient à faire
admettre au chef fasciste sa participation à un gouvernement dirigé par l’ancien
président du Conseil. Or, ces hommes avaient un train de retard. Mussolini
manœuvrait à présent pour former son propre cabinet et se sentait suffisamment
fort pour ne pas agréer la demande de Victor-Emmanuel III de venir dans la
capitale. Il ne s’y rendrait que pour recevoir la charge suprême. Confiant, il
rencontra des représentants de la Confindustria, l’organisation du patronat
italien, afin de les rassurer sur ses intentions37. Les tractations politiques durèrent
encore pendant la nuit du 28 au 29 octobre mais se heurtèrent à l’intransigeance
du Romagnol qui posait l’alternative en termes clairs : un gouvernement
Mussolini ou pas de fascistes au pouvoir ; la seconde solution bien sûr
constituait un saut dans l’inconnu d’autant plus dangereux avec une marche
squadriste en cours… Au matin du 29 octobre, Salandra jeta l’éponge, annonçant
au roi qu’il ne pouvait en l’état former de gouvernement.
Mussolini gagnait la partie. Quand Grandi l’informa depuis le Quirinal de la
volonté royale de lui confier la direction du cabinet, il se paya le luxe d’exiger
un télégramme de l’aide de camp du souverain, le général Cittadini. Une fois le
message reçu, il prit encore son temps avant de prendre un train dans un
confortable wagon-lit pour Rome. Il y arriva le lendemain, 30 octobre, à 10 h 50.
Une voiture l’emmena au palais du Quirinal où l’attendait Victor-Emmanuel III.
Vêtu d’une chemise noire, il fut introduit dans le salon d’audience. Ce n’était pas
la première fois que les deux hommes se rencontraient. La première rencontre
avait eu lieu pendant la guerre quand le roi-soldat avait visité l’hôpital militaire
où le caporal Mussolini était soigné ; la seconde lors des consultations politiques
provoquées par la démission de Giolitti en 1921. Maintenant, l’héritier d’une des
plus prestigieuses dynasties européennes et le fils d’Alessandro le forgeron se
tenaient face à face, s’observaient, se parlaient. Mussolini, avec son art
consommé de la mise en scène, présenta ses excuses pour sa mise. « J’arrive de
la bataille, expliqua-t-il, qui s’est heureusement déroulée sans effusion de sang. »
Après que le roi lui eut proposé de prendre la tête du gouvernement, il s’en
retourna pour constituer son équipe ministérielle. Ayant troqué sa chemise noire
contre un costume officiel (frac et haut-de-forme !), il revint au palais dans la
soirée avec sa liste. Elle attribuait seulement trois postes à des fascistes (Justice,
Finances, Territoires libérés) et le reste à des non-fascistes (le nationaliste Luigi
Federzoni aux Colonies, deux populaires, deux démocrates, un libéral et un
indépendant, l’intellectuel Giovanni Gentile à l’Instruction publique) et certains
postes clés à de grandes personnalités proches de la Couronne comme le général
Diaz à la Guerre et l’amiral Thaon di Revel à la Marine. Mussolini se gardait
l’Intérieur avec Bianchi comme secrétaire général et les Affaires étrangères. De
Bono héritait quelques jours après de la direction générale de la sécurité
publique, poste stratégique qui le consolait quelque peu de ne pas avoir reçu le
portefeuille de la Guerre tant convoité ! La prestation de serment se déroula le
31 octobre dans le salon des Fêtes du palais du Quirinal.
Ce même jour, les chemises noires entrèrent dans Rome par la place du
Peuple, montèrent sur la colline du Quirinal où le roi, entouré de Diaz et Thaon
di Revel, les regarda depuis la loggia du palais, puis elles rejoignirent l’Autel de
la Patrie (le monument dit de Victor-Emmanuel II où reposait le soldat inconnu).
Dans le même temps, le quadriumvirat restitua ses pouvoirs à la direction
politique du PNF et ordonna la démobilisation des squadre. Or, tout ne se passa
pas aussi facilement. De nombreux incidents émaillèrent le triomphe fasciste du
fait de l’hostilité d’une partie de la population romaine. Les squadristes
répliquèrent par des brutalités, des injures, des passages à tabac. Le quartier
populaire de San Lorenzo connut les plus graves incidents. Plusieurs
appartements de personnalités politiques furent également dévastés comme le
pavillon de Nitti envahi par une soixantaine de chemises noires. La marche sur
Rome ne fut donc pas une simple promenade : elle se fit au prix de 22 morts.
On sait combien Mussolini craignait les effets négatifs des violences
squadristes. Il ne fallait surtout pas les laisser saboter le magnifique succès de
l’opération. Dès le 29 octobre, alors que rien n’était encore joué, un premier
avertissement tomba sous la forme d’un manifeste du commandant des centuries
romaines. « Tout conflit, prévint-il, est non seulement inutile mais nuisible au
Fascisme. On ordonne donc de la manière la plus catégorique à toutes les
chemises noires un calme absolu, de l’ordre et de la discipline. Chaque action
individuelle, chaque initiative personnelle est absolument prohibée […]. Tout
acte contre les institutions gouvernementales est une rébellion contre
Mussolini38. » Comme cela n’avait pas suffi à empêcher les violences, l’ordre de
démobilisation du 31 octobre fut accompagné d’une injonction très ferme :
« Retournez à vos occupations habituelles car maintenant l’Italie a besoin de
travailler tranquillement pour exploiter ses plus grandes chances. Que rien ne
vienne perturber l’ordre puissant de la victoire que nous avons remportée en ces
journées de superbe passion et de souveraine grandeur. »
En fait, la victoire politique n’atténuait pas le conflit latent entre Mussolini et
le mouvement squadriste. L’issue de la marche pouvait paraître bien décevante à
ces jeunes têtes brûlées, habituées à toutes formes d’excès contre leurs
adversaires diabolisés. Une question les tourmentait : était-ce donc cela la
révolution fasciste ? Et une incertitude : que ferait le nouveau gouvernement de
leur mouvement et de leur force militante ? C’était donc avec une grande
méfiance qu’ils remettaient certaines de leurs armes. L’entière démobilisation ne
s’acheva que le 7 novembre quand les autorités officielles reprirent le contrôle
des villes39.
En fin de compte, rien ne s’était passé comme prévu mais l’action subversive
atteignit un but inespéré : un gouvernement dirigé par Mussolini. La marche sur
Rome donna lieu dès l’époque à d’innombrables interprétations mais peu de
contemporains en saisirent vraiment la portée sur le long terme en imaginant que
l’arrivée au pouvoir de Mussolini entraînerait l’Italie dans une dictature inédite.
Pourtant, les discours des fascistes ne manquaient pas de clarté sur ce point.
Comme celui prononcé par Mussolini lui-même à Milan le 4 octobre. Il avait
alors divisé les Italiens en trois groupes, les indifférents appelés à rester chez
eux, les sympathisants du fascisme autorisés à circuler et les adversaires qui ne
circuleraient plus40 ! Les historiens de leur côté sont partagés entre ceux pour
lesquels la marche n’ayant aucune chance de réussite était un gigantesque bluff,
et ceux qui l’analysent comme un compromis entre le roi et le Duce du fascisme,
ce qui apparaît plus proche de la réalité41. Mussolini a réussi à imposer sa
volonté au souverain par la menace d’une insurrection armée. Le caractère du
monarque, ses analyses sur les rapports de forces, ses appréhensions firent le
reste, tandis que sa décision de ne pas signer l’état de siège précipita l’issue de la
crise. Le chef fasciste usa avec efficacité de ce subtil équilibre qu’il
n’abandonnerait jamais vraiment entre subversion et légalisme. Il en sortit
gagnant sur le court terme (la direction du gouvernement) et le moyen terme (la
dictature totalitaire) mais pas sur le long terme puisque Victor-Emmanuel III
conservant sa fonction de chef de l’Etat finit par destituer celui qu’il avait
nommé sous la contrainte.
En fin de compte, l’arrivée au pouvoir du fascisme se déroula dans le cadre
d’une violence incontestable qui coûta la vie à près de 4 000 personnes dans les
deux camps42. Mais ces chiffres nous interdisent de mettre la lutte fratricide
italienne sur le même plan que la guerre civile espagnole avec ses terribles
cortèges d’exécutions, de fosses communes et de batailles rangées. L’Italie
connut en fait une guerre civile de basse intensité dont profita le fascisme pour
s’emparer du pouvoir et réaliser son utopie révolutionnaire que l’on ne nommait
pas encore totalitaire.
4
La normalisation du fascisme
La crise du PNF
Le parti fasciste connut durant cette délicate période de transition de 1923 à
1924 une violente crise au centre de laquelle se trouvait la question de sa place et
de son rôle dans la construction de l’Etat nouveau. La volonté évidente de
Mussolini de réduire son influence et de le soumettre au gouvernement se heurta
à l’opposition radicale des « puritains ».
A leur tête on trouvait toujours Farinacci, le maître de Crémone, l’incisif
journaliste de Cremona nuova qui se posait en gardien attentif de la révolution
fasciste. La tentation politicienne qu’il croyait voir à l’œuvre à Rome ne le
satisfaisait pas, on s’en doute. Sa capacité de nuisance n’était d’ailleurs pas
négligeable comme le prouvèrent en décembre 1922 ses efforts victorieux pour
saboter un accord syndical que Mussolini espérait obtenir avec la CGL alors que
le ras exigeait l’absorption de toutes les organisations par les syndicats fascistes.
Par la suite, il écuma de rage devant la création de la MVSN et la réforme
électorale. Le ras avait bien compris ce qui se jouait dans ces polémiques : la
position du PNF au sein du régime. A ses yeux, elle devait être prépondérante. Il
fallait pour cela une cohérence interne, une unité de combat dans l’esprit du
squadrisme afin de lui assurer une suprématie sur toutes les institutions de l’Etat
et sur Mussolini lui-même. Dès lors, et non sans contradiction, il se mit à
revendiquer sa liberté de pensée et de parole pour contrecarrer la dangereuse
évolution mussolinienne.
Dès le mois de mars 1923, il remit sa démission de commissaire politique.
« Je reste dans ma belle province de Crémone où le fascisme conserve toute sa
pureté », écrivit-il à Mussolini en sous-entendant qu’à Rome le mouvement se
pervertissait. Car au lieu de se compromettre avec les ennemis, il fallait les
anéantir afin de montrer au pays tout entier que la révolution fasciste non
seulement n’était pas finie mais qu’elle commençait à peine. Le 9 juin, il lança
un avertissement dans son journal :
Le fascisme est le médecin qui doit soigner un grave malade ; la Nation, de la même façon qu’un
malade, doit obéir au docteur si elle veut recouvrer la santé et elle n’est donc pas libre de faire ce
qu’elle veut, mais elle doit se conformer aux prescriptions du docteur – et celui-ci, pour sa réputation,
tient à ce que ses ordres soient exécutés –, ainsi la Nation, c’est-à-dire tous les citoyens, doit obéir à
son médecin, le fascisme, qui avec la révolution d’octobre a commencé le soin salutaire.
Quelques semaines plus tard, il se fit plus menaçant encore, avec une
dialectique toute révolutionnaire :
Votre force, ô fascistes, doit être à la disposition de l’Italie et si arrive un ordre d’en haut vous serez
prêts à marcher de nouveau sur Rome pour y éradiquer les traîtres. La seconde vague nous l’avons
prônée, aujourd’hui nous en sommes à la veille. Nous voulons à tout prix que le Gouvernement puisse
marcher tranquillement sur son chemin […]. Notre force n’est pas dans le Parlement mais dans les
chemises noires, dans les baïonnettes. Sachez-le, ô adversaires […]. La seconde vague est nécessaire et
ne fera pas d’exceptions ; elle sera inexorable aussi contre les arrivistes qui sont entrés dans le parti16.
On l’aura compris, au-delà des militants et des adversaires, le message était
aussi adressé au gouvernement accusé de ralentir le flux révolutionnaire.
Mussolini crut amadouer le turbulent ras en le félicitant pour toute l’œuvre
accomplie. Mais le conflit rebondit en septembre 1923 quand Farinacci annonça
que ni lui ni ses consuls ne pouvaient rester membres de la nouvelle Milice. Le
chef du gouvernement lui répondit en assumant la responsabilité de la création
de la MVSN dont le but était de la libérer du parti, « vaste et pitoyable panorama
de querelles imbéciles et interminables », objet des ricanements de ses ennemis,
non sans rabaisser au passage le fascisme provincial incapable de s’arracher aux
querelles de clocher, alors que le gouvernement affrontait de graves problèmes.
Farinacci s’entêtant, Mussolini fronça alors les sourcils devant cette
insubordination. Sur son injonction, De Bono prescrivit au préfet de Crémone
d’envoyer un général de la Milice arrêter Farinacci. Celui-ci, sentant le vent
mauvais, fit marche arrière17.
Cette confrontation dépassait, on le voit, la simple querelle de personnes.
Elle opposait les ultras à la ligne gouvernementale sur à peu près tous les
terrains. Les premiers réfutaient les alliances électorales, exigeaient un monopole
syndical fasciste, voulaient faire de la Milice le bras armé du PNF, poussaient à
la construction du nouvel Etat et comptaient reprendre la lutte dans les régions
encore hors de contrôle. Or, le fascisme romain – que l’on pourrait qualifier
d’orthodoxie mussolinienne – procédait avec beaucoup plus de prudence, jouait
le jeu électoral et institutionnel et se glissait dans les arcanes du Statuto, bref se
normalisait18. A ce dialogue de sourds vint se rajouter une autre bataille, celle
opposant les intransigeants à un autre courant du PNF, celui des révisionnistes
dont la figure de prou était Giuseppe Bottai.
Intellectuel d’origine romaine, élégant et cultivé, franc-maçon, il appartenait
à cette génération qui s’enflamma par anticonformisme pour le futurisme dont il
finit par s’éloigner, heurté par les aspects socialisants du mouvement.
Antisocialiste virulent, il pensait pouvoir non pas « détruire la bourgeoisie mais
la régénérer19 », d’où son adhésion au fascisme qui associait l’antibolchevisme
au combat contre les bourgeois déliquescents. Son républicanisme laissa bientôt
la place à un ralliement à la monarchie, plus porteuse d’unité. Il n’y voyait
d’ailleurs pas de contradiction puisqu’il était très attaché à l’héritage du
Risorgimento auquel il rattachait le fascisme afin de lui donner plus de
profondeur intellectuelle. En 1922, une fois les rênes du pouvoir entre les mains
de Mussolini, il opta clairement pour la normalisation du fascisme, l’abandon de
la violence et de l’illégalité. Comme il l’expliqua dans un article du Giornale
d’Italia du 15 décembre 1922, étaient nés en octobre « un nouveau concept et un
nouveau projet de la révolution : une révolution au pouvoir, avec en main les
instruments et les organes nécessaires à l’exercice du pouvoir20 ». Revenir au
squadrisme ne servait donc plus à rien.
Le 15 juin 1923, il fonda ce qui allait devenir une revue de référence du
régime, Critica fascista, avec le dessein d’en faire l’instrument de la fascisation
des esprits et de la réforme du fascisme lui-même, et sans doute avec l’ambition
de devenir l’intellectuel du régime. Ce fut d’ailleurs un article de la revue, signé
de Massimo Rocca le 15 septembre 1923, qui mit le feu aux poudres. L’auteur,
un journaliste venu de l’ultra-gauche anarcho-syndicaliste, proche de Mussolini
depuis l’époque de la revue Utopia et membre de la direction du PNF, se
prononçait pour une réconciliation de l’Italie et du fascisme, étape nécessaire à
la fascisation de la société. Les révisionnistes allaient même plus loin : ils
appelaient à la dissolution du PNF devenu une entrave à l’action du président du
Conseil.
Mais les faucons du parti ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils se
groupèrent derrière Farinacci qui polémiquait avec âpreté avec Il Popolo d’Italia
via Cremona nuova, et obtinrent du comité exécutif du parti l’expulsion de
Massimo Rocca. Mussolini descendit dans l’arène et, conscient que le coup
visait sa propre ligne politique, refusa la décision, exigea la démission du comité
et renvoya le dossier devant le plus modéré Grand Conseil du fascisme. En
octobre, l’instance suprême du PNF rendit son verdict : il annulait l’expulsion de
Rocca, remplacée par une suspension provisoire de trois mois. Néanmoins,
Mussolini prit soin de rassurer Farinacci sur la pérennité du parti, tandis que
Francesco Giunta devenait secrétaire général21.
Cela n’enlevait rien au fait que la ligne intransigeante disposait de solides
soutiens au sein du mouvement fasciste. De Bono avait le plus grand mal à
contenir la virulence des chefs de la Milice dont l’obéissance restait limitée, à tel
point qu’il craignait, à la fin de l’année 1923, une seconde marche sur Rome22.
Le Duce cherchait donc à contourner l’obstacle. Les élections législatives d’avril
1924 ne devaient surtout pas déboucher sur une consolidation du PNF qui
pourrait reprendre l’offensive une fois ses chefs élus. C’est pourquoi il tenta
d’interdire leur présence dans le Listone, au nom de l’incompatibilité entre
fonctions politiques partisanes et mandat de député. Peine perdue. Le PNF
réussit à placer la majorité de ses hommes dont 18 des 22 membres du Grand
Conseil. Mussolini contre-attaqua, après les élections, en remplaçant Giunta à la
tête du secrétariat général par une direction collégiale de quatre personnes
(Roberto Davanzati, Giovanni Marinelli, Alessandro Melchiori et Cesare Rossi)
jugée plus docile23.
Les élections se déroulèrent dans un climat électrique. Le fascisme renoua
avec ses méthodes d’intimidations, d’agressions, de sévices, d’incendies, qui
n’épargnèrent pas non plus les fascistes dissidents. Ces actes illégaux, le climat
général et la loi Acerbo permirent, on s’en doute, la victoire des fascistes qui
recueillirent 66,3 % des voix et 374 députés sur 535. Le PPI tombait à 9,1 % des
voix, les socialistes réformistes à 5,9 %, les socialistes radicaux à 4,9 %. Cette
victoire ralluma la guerre entre les intransigeants et les révisionnistes, plus que
jamais décidés à favoriser des ouvertures vers le centre gauche, mais cette fois-ci
Mussolini prit fait et cause pour les premiers dont il avait besoin. Il laissa le
Directoire prononcer l’expulsion de Rocca et nomma, pour mieux le ligoter,
Farinacci membre du Comité de majorité (organe de liaison entre le
gouvernement et le groupe parlementaire). Car les plus durs ne comptaient pas
laisser ce qu’il restait d’opposition s’exprimer librement. La révolution fasciste
devait reprendre sa marche après ces élections quelque peu « encadrées ».
Le 24 mai, lors du discours du trône pour l’ouverture de la nouvelle
législature, Victor-Emmanuel III prononça des paroles perçues comme
encourageantes pour le gouvernement. Il utilisa un lexique fasciste en évoquant
la discipline, la jeunesse, la rénovation, la guerre, la victoire, et affirma même
que « cette œuvre énergiquement commencée doit être non moins énergiquement
poursuivie ». Peut-être faisait-il allusion au travail entrepris par les cabinets
d’avant 1922, mais en tout cas ce ne fut pas ainsi que les fascistes
l’interprétèrent. Bianchi comme Farinacci se montrèrent satisfaits du discours
royal24. La nouvelle assemblée fasciste, sous la présidence du juriste Alfredo
Rocco et la vice-présidence de Grandi, porta rapidement un premier coup à
l’autonomie du pouvoir législatif en abolissant les commissions parlementaires
qui disposaient en pratique d’un pouvoir d’autoconvocation de la Chambre25.
Plusieurs incidents émaillèrent les séances, tandis que les menaces contre les
députés de l’opposition se multipliaient, aussi bien à la Chambre que dans les
journaux fascistes, y compris le Popolo d’Italia. Farinacci, ragaillardi par ses
succès, écrivait : « Notre programme est l’étatisation du fascisme. Le fascisme,
plus qu’un parti, est Nation et la défense du sentiment national doit être exercée
par l’Etat26. »
Pour autant, l’opposition ne désarmait pas. Plusieurs socialistes montèrent au
créneau dans une ambiance électrique. Le 7 juin, dans sa réponse au discours du
trône, Mussolini souffla le chaud et le froid, alternant menaces et ouvertures,
affirmant sa force pour mieux endormir l’adversaire. Trois jours plus tard, une
nouvelle incroyable retentit : l’enlèvement du député socialiste réformiste
Giacomo Matteotti dont la voix ne cessait depuis des semaines de tonner à
l’intérieur de la salle des séances de Montecitorio !
Le virage
Le 3 janvier 1925, Mussolini monta à la tribune de la salle des députés de
Montecitorio pour y prononcer un discours qui scellait le sort du régime libéral.
La veille, il avait tenté d’obtenir de Victor-Emmanuel III un décret de dissolution
non daté dont il pourrait se servir contre l’opposition mais que le roi lui refusa,
en tout cas pour le moment. Ce que le monarque ignorait, c’était la teneur du
discours tonitruant du 3 janvier.
Contraint à l’offensive par les durs du fascisme mais aussi par de larges
secteurs de l’opinion, notamment bourgeoise, apeurée par la nouvelle vague des
violences, le chef du gouvernement assuma la responsabilité « politique, morale,
historique » de la mort de Matteotti et de toutes les violences commises jusque-
là. Puis, il passa à l’attaque. « Vous avez cru que le fascisme était fini parce que
je le retenais, qu’il était mort parce que je le corrigeais et vous avez surtout eu la
cruauté de le dire. Mais si je mettais à déchaîner la centième partie de l’énergie
que j’ai mise à le retenir, vous verriez alors. Cela ne sera pas nécessaire car le
Gouvernement est assez fort pour briser définitivement la sécession de
l’Aventin. » Ces paroles, tels des coups de poing, s’abattaient sur les députés
mais s’adressaient aussi aux ultras pour les calmer. Mussolini n’oublia pas non
plus de rassurer les conservateurs : « L’Italie, poursuivit-il, veut la paix, elle veut
la tranquillité, elle veut le calme du travail. Nous, cette tranquillité, ce calme du
travail, nous les lui donnerons avec amour si possible, avec la force si
nécessaire. » Il annonça enfin qu’avant quarante-huit heures, des mesures
énergiques seraient prises53.
Le message était clair : il n’y aurait ni sédition antifasciste ni subversion
fasciste. Mussolini tint parole. Le jour même, les préfets reçurent des
instructions très fermes sur le maintien de l’ordre, y compris contre les troubles
d’origine fasciste, tandis que la Milice désormais sous contrôle était mobilisée.
Mussolini sortait de la crise par la grande porte et la tête haute. Il sut avec
maestria exploiter les erreurs de ses adversaires qu’ils fussent dans l’Aventin ou
dans le PNF, tous divisés et incapables de trouver un chef derrière lequel se
rassembler pour lancer l’offensive décisive. En abandonnant la Chambre, les
partis de l’Aventin avaient sabordé le processus parlementaire, plaçant Mussolini
devant l’alternative de la prison ou de la dictature54. Les gardiens de la
révolution, de leur côté, crurent vraiment pouvoir profiter de la crise pour
s’emparer du pouvoir dont Mussolini les excluait jusque-là et pour imprimer une
orientation plus révolutionnaire. Leurs menaces jouèrent, c’est évident, un grand
rôle pour le pousser vers la dictature pleine et entière. Mais le chef du fascisme,
en politicien madré, exploita les événements, les circonstances et les hommes
pour se tirer d’affaire.
Pendant les deux années écoulées de son pouvoir, le fascisme montra déjà un
visage tout à fait particulier. La dictature en gestation s’insinuait dans l’Etat de
droit, le respectait en partie (rapports avec le roi, organisation des élections, lois
votées par le Parlement, vote de confiance des assemblées) pour mieux en
détruire les fondements libéraux. Remarquons aussi qu’il n’y eut pas en Italie
une nuit des longs couteaux qui aurait permis d’étouffer dans le sang les
contestations internes, pas plus que de grands procès de type soviétique pour
huiler les rouages du parti… Quant aux méthodes des squadristes, aussi illégales,
violentes, dégradantes fussent-elles, elles n’atteignirent jamais le stade des
massacres de masse de la Tchéka bolchevique.
L’issue de la crise Matteotti déboucha donc sur l’installation de la dictature
et l’élimination programmée de l’opposition. Les ultras pouvaient crier victoire,
enivrés par l’illusion d’avoir empêché la normalisation totale du fascisme. Leur
triomphe cachait en réalité leur défaite puisque ce fut Mussolini qui tira les
marrons du feu et continua à donner le tempo moderato de la révolution fasciste.
5
L’Etat totalitaire pas à pas
La révolution institutionnelle
Dans les jours qui suivirent le discours du 3 janvier 1925, les perquisitions
dans les locaux ou les habitations d’opposants, les dissolutions de groupes ou
d’associations, les arrestations se multiplièrent sur ordre de Federzoni et de
Grandi désireux de préserver le monopole étatique de la violence. Le fascisme
reprenait bel et bien la situation en main sans toutefois empêcher çà et là des
violences squadristes. Mais le régime ne se contenta pas de terroriser ses
adversaires. Il prit un certain nombre de mesures légales pour asseoir son
autorité, construire un Etat autoritaire nourrissant en son sein le totalitarisme et
détruire définitivement – tout en en conservant la façade institutionnelle – le
système parlementaire libéral que personne ne défendit vraiment.
Gardons bien à l’esprit que ce discours, aussi violent fût-il dans la forme, ne
constituait pas une rupture institutionnelle, au sens où il aurait été suivi
immédiatement de réformes autoritaires. Il fallut attendre la fin de l’année 1925
et surtout 1926 pour voir la dictature fasciste s’emparer vraiment de l’Etat, là où
les nazis mirent seulement trois mois pour anéantir la république de Weimar.
Cela étant, l’orientation autoritaire se fit rapidement sentir.
Dans cette entreprise, Mussolini s’appuya sur deux nationalistes
conservateurs : le nouveau ministre de la Justice, Alfredo Rocco, entré au
gouvernement le 5 janvier 1925 à l’occasion d’un remaniement, et son collègue
de l’Intérieur, Federzoni. Le premier objectif était de museler la presse. Les
brutalités des chemises noires avaient entravé la liberté d’expression des
journaux en détruisant les rédactions et les machines, brûlant les exemplaires,
molestant les journalistes. La mise sous contrôle du squadrisme lancée par le
gouvernement risquait de rendre aux opposants leur capacité à se faire entendre.
Un premier décret-loi, on s’en souvient, avait été pris en juillet 1923 mais jamais
vraiment appliqué. En décembre 1924, Federzoni relança l’affaire mais se heurta
à de nombreuses oppositions à la Chambre qui ralentirent le processus jusqu’au
20 juin 1925, date du vote de la loi.
Après avoir engagé le fer contre la mafia sicilienne dès le printemps 19241,
le régime s’engagea contre la franc-maçonnerie. Cela pouvait paraître curieux
quand on connaît le soutien qu’apporta la Grande Loge d’Italie à Mussolini lors
de la marche sur Rome. Or, plusieurs éléments le poussaient à rompre
« l’alliance » passée avec les Frères. Tout d’abord, l’univers de la maçonnerie
était inextricablement lié au système libéral qui ne pouvait être démantelé sans
anéantir la puissance des loges : députés, généraux, intellectuels et la Couronne
elle-même leur étaient liés. Ensuite, l’affiliation de très nombreux ras à la franc-
maçonnerie leur donnait un surcroît de pouvoir que le chef du fascisme ne
pouvait tolérer alors qu’il escomptait toujours mettre le parti au pas. Enfin, il
pouvait espérer porter un dernier coup à l’Aventin en anéantissant une partie de
ses réseaux. Or, sur ce terrain également, la lutte parlementaire se révéla rude.
Comme on peut s’en douter, les députés n’avalèrent pas d’une traite la thèse de
complot maçonnique contre l’Etat que leur présentait le gouvernement. Ils
comprenaient sans difficultés que l’obligation de présenter au préfet les statuts,
le règlement et la liste des membres d’une association signait l’arrêt de mort des
loges maçonniques. La loi n’en fut pas moins votée le 19 mai 1925.
Ce difficile succès ne permettait toutefois pas de dissoudre la franc-
maçonnerie. L’histoire présenta alors une occasion que Mussolini ne laissa pas
passer. En effet, le 4 novembre 1925, quelques heures avant que le Duce ne
prononçât un discours commémoratif de la victoire depuis le balcon du palais
Chigi, la police débarqua dans l’hôtel qui faisait face au bâtiment officiel. Elle y
trouva le député socialiste Tito Zaniboni qui s’apprêtait à tirer sur Mussolini. Au
centre du complot, en plus du député, on trouvait le général franc-maçon Luigi
Capello. L’occasion était inespérée. Le 20 novembre, le Sénat vota à son tour le
texte de loi et deux jours plus tard le grand maître dut procéder à la dissolution
des loges et du Grand Orient d’Italie. Le Parti socialiste unifié (PSU), lui aussi
dissous, fut l’autre victime de l’attentat avorté de Zaniboni2.
Le gouvernement fasciste ne comptait pas en rester là et lança sa grande
offensive institutionnelle à la fin de l’année 1925. Mussolini n’étant pas chef de
l’Etat et ne pouvant l’être – sauf à faire un coup d’Etat antimonarchique dont il
n’avait pas les moyens –, la solution pour construire l’Etat fasciste résidait dans
un accroissement des pouvoirs du chef du gouvernement au détriment aussi bien
du cabinet, du Parlement que de la Couronne à laquelle le Statuto attribuait le
pouvoir exécutif. Ce fut l’objectif assigné au ministre de la Justice Rocco qui
présenta un projet de loi en ce sens aux députés en novembre 1925. Son
argumentation reposait sur l’idée que le régime fasciste avait rendu au
gouvernement son unité dans un sens « plus organique et plus pratique », unité
lui permettant d’agir avec décision. Il rappelait en outre que le Parlement, depuis
le XIXe siècle, avait eu tendance à prendre trop de pouvoir par rapport à ce que lui
conférait la Constitution, le fascisme se contentant de revenir à l’esprit originel
de l’Etat italien. Cela ne l’empêchait pas de donner à la réforme un caractère
authentiquement fasciste. « Nous devons parler franchement, lança Rocco à la
Chambre le 14 décembre 1925. Le 28 octobre quelque chose de grave et de
décisif pour l’histoire de l’Italie est advenu ; un bouleversement que nous
n’hésitons pas à appeler révolution […]. Il y eut un changement de régime, pas
seulement de méthode de gouvernement, mais de mentalité, d’esprit politique, de
conception de l’Etat. » La conclusion qu’en tirait Rocco était limpide :
Il est en fait logique qu’on nous reproche de ne pas bien tenir notre poste, mais il n’est pas logique
de nous demander à nous fascistes de gouverner avec une mentalité libérale ou démocratique. On peut
tout exiger du gouvernement fasciste, sauf de ne pas être fasciste. Et puisque le gouvernement est
fasciste, il doit se faire le promoteur de réformes législatives aptes à adapter l’ordre juridique italien à
la nouvelle réalité politique et sociale, aptes à créer dans les lois ce qui existe déjà dans les habitudes et
la pratique : l’Etat fasciste3.
Les votes de la loi sur les prérogatives du président du Conseil à la Chambre
et au Sénat révélèrent encore une fois qu’entre les abstentions, les absents et les
votes hostiles, la majorité recueillie à chaque fois n’atteignait pas des sommets.
Les libéraux, qu’ils fussent partisans de Giolitti, de Nitti ou de Salandra,
résistaient toujours, et même parmi les rangs fascistes des défections s’étaient
fait sentir. Le 24 décembre 1925, la loi fut définitivement adoptée. Elle procédait
à un changement profond des pouvoirs conférés au Premier ministre. Désormais,
le chef du gouvernement, nommé et révoqué par le souverain, était responsable
devant lui de la politique du cabinet. Il proposait au roi la nomination des
ministres qui rendaient des comptes aux deux têtes de l’exécutif. En plus de
coordonner la politique gouvernementale, il convoquait le Conseil des ministres
et le présidait. Enfin, il recevait un droit de tutelle sur le conseil de la famille
royale, faisait fonction de notaire de la Couronne et devenait secrétaire de l’ordre
de l’Annonciade. Les deux assemblées perdaient l’initiative de leur ordre du jour
qui devait être validé par le Premier ministre. Celui-ci pouvait désormais, en cas
de rejet d’un projet de loi, exiger son réexamen trois mois plus tard. Le tout était
couronné par la nouvelle appellation de « président du Conseil et Duce du
fascisme ».
Cet ensemble de prérogatives nouvelles favorisait la fusion entre le fascisme
et les institutions politiques, le premier faisant de plus en plus corps avec les
secondes. Il consacrait une prééminence du chef du gouvernement qui altérait en
profondeur et à son bénéfice ses rapports avec les ministres, annihilait la
collégialité ministérielle et détruisait la dépendance à l’égard du Parlement, socle
du régime libéral. Même le roi perdait une grande partie de son pouvoir en se
trouvant privé de sa liberté de choix puisqu’il ne pouvait plus changer de
Premier ministre à la suite d’un vote de défiance de la Chambre. Mais si
Mussolini se libérait de la tutelle du Parlement, il remettait son sort entre les
mains du souverain. La capacité d’initiative de la Couronne n’était donc pas
totalement anéantie et plaçait le fascisme dans une dépendance qui finirait par lui
être fatale4. La loi du 24 décembre se heurtait à la réalité institutionnelle du
régime qui restait celle d’une monarchie et qui maintenait le Duce au rang de
Premier ministre. D’ailleurs, avec ce mélange d’ironie mordante et de respect
pointilleux des formes qui le caractérisait, Victor-Emmanuel III ne cessa jamais
de parler de « son gouvernement » et d’appeler Mussolini « Président ».
On le voit, il y avait encore en 1925 en Italie une vie parlementaire, une
opposition à la fascisation des institutions avec laquelle Mussolini devait
composer et qui ne courbait pas totalement l’échine. Depuis le début de l’année
1925, les entraves que les élus encore présents à Montecitorio ou au palais
Madame n’avaient pas manqué de placer devant les projets gouvernementaux
avaient été autant de signes de la fragilité de la majorité politique du cabinet.
Mais l’ère des compromis était désormais passée. Elle laissait sa place à une
politique beaucoup plus dure. Battant le fer encore chaud, le gouvernement fit
voter d’autres lois, comme celle sur la presse du 31 décembre 1925, puis celle du
26 janvier 1926 qui conférait des pouvoirs très étendus à l’exécutif. Celui-ci
pouvait désormais adopter des normes juridiques et des règlements indépendants
des lois existantes. Puis ce fut une véritable avalanche avec les lois de 1926
restées dans l’histoire comme les « lois fascistissimes ». L’autonomie des
pouvoirs locaux partit en fumée avec la nomination des maires, conseillers
municipaux et des conseillers provinciaux par l’Etat. De plus, Mussolini sut
profiter d’un événement imprévu : une nouvelle tentative d’attentat contre lui.
En effet, le 31 octobre 1926, alors qu’il se trouvait à Bologne, un jeune
anarchiste du nom d’Anteo Zamboni tenta de lui tirer dessus avant d’être lynché
par la foule. L’occasion était bonne de relancer la législation autoritaire et de
faire adopter une « loi de défense de l’Etat », en vérité déjà prête depuis
longtemps. Le 5 novembre, le Conseil des ministres approuva un projet de loi
présenté par Rocco et intitulé « Mesures pour la défense de l’Etat », tandis que
l’après-midi du même jour Federzoni présenta sa démission de ministre de
l’Intérieur. Mussolini récupéra alors la fonction qu’il garda jusqu’en… 1943 ! La
loi fut ensuite présentée aux députés le 9 novembre puis au Sénat le 20. Elle
jetait une véritable chape de plomb sur l’Italie. La suppression de tous les partis
non fascistes faisait du PNF le parti unique du régime, mesure renforcée par
l’interdiction des journaux antifascistes. La nouvelle législation prévoyait en
outre la peine de mort pour toute atteinte à la vie du couple royal et de leur
héritier, le prince du Piémont, ainsi que du Premier ministre. Une instance
spéciale fut créée, le Tribunale Speciale per la Difesa dello Stato (Tribunal
spécial pour la défense de l’Etat), chargé de la répression politique avec privilège
de rétroactivité et jugement sans appel. Deux structures policières traquèrent les
opposants, les Uffici politici investigativi (Bureaux politiques d’enquête) de la
MVSN et surtout l’OVRA (Organisation de vigilance et de répression de
l’antifascisme), la fameuse police politique du régime fasciste.
Cette mise à mort du système parlementaire libéral se fit sans rencontrer
d’obstacles. L’Aventin aurait été bien en peine de sauver quoi que ce fût. Miné
de l’intérieur, abandonné par le Saint-Siège, le PPI, sur proposition de son
directoire, envisagea bien un retour de ses députés à Montecitorio, mais il ne
pouvait accepter la déclaration de repentance et la reconnaissance de la légitimité
du fascisme que le gouvernement exigeait au préalable. Il tint son ultime congrès
les 28-30 juin 1925 qui fut le chant du signe de la première tentative de
démocratie chrétienne en Italie. Le Parti socialiste unitaire, on l’a vu, fut dissous
en novembre 1925. Les socialistes réformistes tentèrent de se reconstituer en un
Parti socialiste des travailleurs italiens sur lequel tomba le couperet de la loi du
9 novembre 1926. Le même jour, la Chambre vota la déchéance des députés
sécessionnistes, ce qui entraîna l’arrestation des députés communistes. Même le
Sénat, plus hostile au fascisme, valida la sanction. Aucune des assemblées
n’entrava le processus de leur propre décapitation. Quant à Amendola, la figure
de proue de l’Aventin, il fut victime d’une très violente agression, le 20 juillet
1925, prélude à son exil en France et à sa mort le 7 avril 1926. L’opposition était
en miettes.
La Couronne pouvait-elle être le dernier bouclier ? Les vaincus de l’Aventin
qui s’étaient eux-mêmes fourvoyés dans une impasse tournaient tous leurs
regards vers le Quirinal d’où viendrait, espéraient-ils, l’action royale qui
sauverait une Constitution que Victor-Emmanuel III s’était engagé à défendre
dans son serment d’accession au trône. Or, le sphinx royal ne bougeait pas. S’il
reçut en juin 1925 les chefs de l’Aventin, suscitant l’ire des ultras, il n’en
demeura pas moins inerte et silencieux devant les lois fascistissimes. Le
souverain se retranchait derrière l’absence d’initiative parlementaire qui ne lui
permettait pas d’agir contre Mussolini. Sans doute le considérait-il comme le
moins exalté des fascistes et donc le plus apte à gérer ses dangereuses troupes de
chemises noires, à moins qu’il ne craignît un coup d’Etat contre la monarchie ou
la guerre civile que déclencheraient des fascistes furieux de perdre le pouvoir5.
Quoi qu’il en fût, Victor-Emmanuel III laissa Mussolini attaquer le Statuto,
validant ainsi l’installation d’une dictature qu’il considérait comme conforme
aux intérêts de l’Italie et de la Couronne. Erreur fatale que la dynastie de Savoie
paya durement aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, par sa
seule présence à la tête de l’Etat, par sa légitimité dynastique, par la fidélité des
corps constitués dont l’armée, le roi constituait un pouvoir indépendant quoique
immobile. Et comme la mort ne vint jamais débarrasser Mussolini de cette figure
tutélaire comme elle le fit avec le maréchal Hindenburg pour Hitler un peu plus
d’un an après sa prise du pouvoir, le Duce du fascisme dut construire son
totalitarisme au sein d’une monarchie qui inévitablement le limitait. Le fascisme,
n’abolissant jamais officiellement le Statuto, conserva au moins jusqu’en 1939
toutes les institutions de la monarchie parlementaire. Mais il les vida d’une part
de leurs prérogatives en les fascisant de l’intérieur, et il élabora d’autre part à son
profit un pouvoir institutionnel et charismatique qui fit de Mussolini le centre
décisionnel du régime fasciste.
La normalisation du PNF
La destitution de Farinacci ouvrit la voie à la liquidation du PNF qui se fit en
cinq étapes19. La première fut la nomination d’Augusto Turati au secrétariat
général. Fasciste irréprochable et membre de la composante intransigeante,
docile à l’égard de celui à qui il devait son ascension au poste suprême, il
appliqua à la lettre sa feuille de route. D’un côté, le parti fut épuré (rien qu’en
avril, il expulsa plus de 7 000 membres parmi lesquels se trouvaient cinq
députés, puis ce fut le tour de près de 60 000 squadristes de 1926 à 192920) et de
l’autre ses portes furent largement ouvertes à un recrutement massif qui en
changea la physionomie sociologique. Le PNF cessa dès lors d’être le
mouvement de la petite bourgeoisie pour devenir celui de l’ensemble de la
société, des convaincus comme des ambitieux, des croyants comme des
opportunistes, des dévoués comme des profiteurs.
On passa ensuite à la réforme des statuts du parti. Officialisés en
octobre 1926, ils abolissaient les fonctions électives et plaçaient le Duce au
sommet de la hiérarchie. Venait ensuite le Grand Conseil, « organe suprême du
fascisme » à qui revenait la nomination des membres du Directoire national et du
secrétaire général. Ce dernier avait la haute main sur l’ensemble des secrétaires
fédéraux qui appliquaient sans discuter les directives de Rome. Certes, la loi
fascistissime du 6 novembre 1926 interdisant associations et partis politiques
hostiles à l’Etat fasciste plaçait le PNF en position de parti unique, mais la
circulaire aux préfets datée du 5 janvier 1927 assurait la prééminence de ces
derniers sur les secrétaires fédéraux. Ceux-ci devaient en effet obéir aux
représentants de l’Etat qui, par là même, devenaient des agents du régime
fasciste avec mission d’épurer l’administration publique. D’ailleurs, un vaste
mouvement de remplacement du corps préfectoral assura sa fascisation21. En
somme, la politique de Turati, les statuts de 1926 et le décret de 1927 mettaient
en pièces le dessein de Farinacci de faire du PNF un parti d’une minorité d’élus,
colonne vertébrale du régime totalitaire dans une situation proche de la dictature
du prolétariat exercée en URSS par l’intermédiaire du Parti communiste. On
assistait au contraire en Italie à « l’étatisation du parti » (Emilio Gentile).
La constitutionnalisation du Grand Conseil du fascisme constitua la
quatrième étape. Cette réforme était indissociable de celle de la loi électorale
présentée à la Chambre et votée le 16 mars 1928. En effet, elle donna au Grand
Conseil la faculté de dresser la liste des 400 candidats à partir du vivier électoral
constitué par les corporations. Cette réforme, qui n’était pas sans rappeler le
système plébiscitaire imaginé par Sieyès en 1799, ouvrait une porte vers
l’intégration d’une structure purement partisane au sein des institutions étatiques
qui fut définitivement réalisée avec la loi du 9 décembre 1928. Présenté par le
ministre de la Justice Rocco devant le Grand Conseil le 18 septembre 1928, le
projet visait à en faire « l’organe suprême qui coordonne et intègre toutes les
activités du Régime ». Autre élément crucial, le Grand Conseil, placé sous
l’autorité complète du Duce, perdait tout pouvoir d’initiative : le chef du
gouvernement le convoquait pour des réunions secrètes, le présidait, en fixait
l’ordre du jour, faisait la synthèse des discussions. Cela dit, le Grand Conseil
recevait des pouvoirs très larges puisqu’il se voyait chargé de présenter, en cas
de démission du chef du gouvernement, une liste de noms au roi dans laquelle
celui-ci choisirait le successeur. Ce système libérait totalement le Premier
ministre de la majorité parlementaire, abolissait les consultations royales en vue
de former un gouvernement et assurait la pérennité du fascisme dans le temps.
Beaucoup plus grave était l’immixtion du PNF dans le domaine royal puisqu’en
vertu des articles 12 et 13, la succession au trône relevait désormais des
compétences du Grand Conseil22. Le fascisme allait-il choisir le successeur de
Victor-Emmanuel III ?
La transformation du Grand Conseil en organisme d’Etat n’équivalait pas, on
l’a compris, à une subordination de l’Etat au parti, mais bien à la situation
inverse du fait de la position de commandement donnée au chef du
gouvernement et Duce du fascisme. Le PNF ne s’en trouvait que plus affaibli et
réduit dans ses marges de manœuvre. Mussolini savait l’importance du pas
franchi, y compris dans ses rapports avec la Couronne. Ainsi préféra-t-il d’abord
discuter de la loi au Sénat (novembre 1928) où, après avoir renouvelé son
loyalisme à l’égard de la monarchie, il obtint une majorité confortable de 62,5 %
des voix. A la Chambre des députés totalement aux ordres, le texte recueillit
82,7 % des suffrages23. Le Parlement était sous contrôle.
Le cinquième et dernier acte se joua autour d’une nouvelle réforme des
statuts du PNF, approuvés par décret royal le 20 décembre 1929. Ils placèrent le
parti directement sous les ordres du chef du gouvernement tout en poursuivant sa
fusion avec l’Etat. En effet, le secrétaire général devenait membre de plusieurs
organismes étatiques comme la Commission suprême de défense, du Conseil
supérieur de l’éducation, voire le Conseil des ministres où il pouvait être appelé.
Bien sûr, il s’agissait d’une infiltration purement de façade puisqu’à cette date le
PNF était sous le contrôle du gouvernement et surtout de Mussolini. « Le Parti
n’est qu’une force civile et volontaire aux ordres de l’Etat, de même que la
Milice volontaire pour la Sécurité nationale est une force armée aux ordres de
l’Etat24. » Ces paroles du Duce du 14 septembre 1929 claquaient au vent de la
révolution fasciste qu’il parvint à orienter dans sa direction.
Le fascisme éducateur
J’ai toujours pensé que les enfants étaient une propriété de l’Etat et que les parents n’en étaient que
les dépositaires ; que c’était à l’Etat à recevoir pour ainsi dire, l’enfant du sein de sa mère ; qu’il devait
s’en emparer comme de son bien le plus précieux ; qu’il fallait que l’enfant en ouvrant les yeux ne vît
que la patrie et que jusqu’à la mort il ne vît qu’elle9.
L’auteur de ce discours n’est pas Mussolini ou Lénine mais Antoine
Thibaudeau, un révolutionnaire français, député à la Convention nationale qui
avait repris mot pour mot une expression de Rousseau10. Une conception si
radicale de l’éducation puisait en effet ses origines dans la philosophie des
Lumières, laquelle opéra la première révolution anthropologique que l’Eglise
condamna puisqu’elle coupait l’homme de ses racines divines. L’intérêt des
philosophes pour les questions pédagogiques découlait du devoir d’« éclairer »
les individus, c’est-à-dire de les améliorer, pour ne pas dire les remodeler. D’où
la priorité accordée à l’éducation qu’il fallait arracher au monopole de l’Eglise.
Ce rêve d’appropriation des individus s’exprima bien sûr fortement chez
Rousseau qui, dans l’Emile, exhortait les autorités en ces termes : « Sitôt qu’il
[l’enfant] naît, emparez-vous de lui et ne le quittez plus qu’il ne soit homme. »
Le sermon rousseauiste fut entendu par les révolutionnaires français lancés dans
le processus de régénération de l’humanité. Dans ses Fragments sur les
institutions républicaines, Saint-Just, l’archange de la Terreur, écrivit : « Les
enfants appartiennent à leur mère jusqu’à cinq ans, si elle les a nourris, et à la
république jusqu’à la mort. » Dans une approche à la fois spartiate et romaine, il
préconisait une éducation marquée par une discipline rigoureuse, sans amour et
sans jeux, « militaire et agricole11 ».
Ces conceptions maximalistes passèrent des Jacobins à Marx qui, dans le
Manifeste du Parti communiste, annonçait sa volonté d’abolir la famille et la
transmission de la mission éducative des parents à l’Etat. Mussolini en hérita à
son tour lors de sa jeunesse socialiste, d’autant plus facilement qu’elles
correspondaient au dessein de pétrissage de l’homme qu’il nourrissait déjà. Les
premières mesures de contrôle de la jeunesse prises au milieu des années 1920
autant au sein de l’école qu’à côté (les Balilla) visaient à dégager les enfants de
l’emprise des parents et de l’Eglise. Comme le dictateur l’expliqua au journaliste
allemand Emil Ludwig : « L’individu, en l’an VI, est déjà en un certain sens
enlevé à la famille, et il lui sera rendu par l’Etat en l’an LX12. » Or, le contenu du
concordat suscita une inquiétude légitime chez les fascistes révolutionnaires.
Après avoir dû mettre en sourdine leur anticléricalisme viscéral, ils voyaient leur
chef s’entendre avec le Vatican. Etait-ce une nouvelle compromission avec les
forces de la réaction ? Un nouveau coup porté à la révolution fasciste ?
Mussolini chercha alors à les rassurer. Non, la célébration des accords du Latran
ne correspondait pas au De profundis des rêves fascistes. Il le fit comprendre à
ses compagnons du Grand Conseil : « Comme vous l’avez entendu, nous avons
fait la paix avec l’Eglise… Maintenant que la paix est faite, on peut donc
reprendre la guerre13 ! » Il profita ensuite du processus de ratification des accords
pour prononcer devant les députés puis les sénateurs des discours offensifs sur
l’éducation. A Montecitorio, le 13 mai, il réitéra le credo fasciste :
« L’enseignement doit être nôtre. Ces enfants doivent être élevés dans notre foi
religieuse mais nous avons besoin de donner à ces jeunes gens le sens de la
virilité, de la puissance, de la conquête » en précisant que « dans l’Etat, l’Eglise
n’est pas souveraine et encore moins libre14 ». Ses propos au Sénat furent encore
plus clairs : « Dire que l’instruction revient à la famille, c’est dire une chose qui
est hors de la réalité contemporaine. La famille moderne, assaillie par les
nécessités d’ordre économique, accrochée chaque jour à la lutte pour la vie, ne
peut instruire personne. Seul l’Etat, avec ses moyens en tout genre, peut assumer
cette tâche. » Difficile ne pas y voir un écho aux propos des Jacobins et une
continuité depuis les Lumières dans la volonté de modeler les esprits par
l’éducation. La transformation du ministère de l’Instruction publique en
ministère de l’Education nationale le 12 septembre 1929 eut à cet égard une
signification particulière. L’Etat ne se contentait plus de diffuser un savoir par
l’instruction mais prenait en charge l’éducation, domaine réservé des parents.
Pie XI ne pouvait l’accepter. Il s’engagea donc dans un combat frontal,
multipliant avec De Vecchi, choisi pour être le premier ambassadeur italien
auprès du Saint-Siège, les audiences tempétueuses. Sa colère culmina avec
l’encyclique Divini illius magistri datée du 31 décembre 1929 par laquelle le
magistère catholique dénonçait le monopole éducatif dont l’Etat moderne
cherchait à s’emparer.
Le troisième temps de la révolution est arrivé
La papauté percevait très bien que ces pressions sur l’éducation exprimaient
la tendance totalitaire de plus en plus affirmée du régime. En effet, l’année 1929
fut absolument capitale dans l’histoire du fascisme car elle correspondit à une
phase d’accélération de la construction du totalitarisme trop souvent sous-
estimée. Son étude approfondie conduit à nuancer la rupture que la radicalisation
opérée en 1936 aurait constituée. Après le succès de la conciliation avec l’Eglise
catholique, le régime fasciste aborda avec une certaine sérénité le vote général
prévu pour le mois de mars. C’était la première fois que les Italiens étaient
appelés aux urnes depuis l’établissement de la dictature. En lieu et place
d’élections démocratiques, les électeurs étaient appelés à se prononcer sur la liste
des députés désignés par le Grand Conseil du fascisme par le biais de deux
cartes, l’une en faveur du « oui », l’autre en faveur du « non ». Le secret du vote,
assuré en théorie, se trouvait en fait limité par l’obligation de verser le bulletin
négatif dans une urne placée dans l’isoloir tandis que celui exprimant le vote
positif était remis aux scrutateurs. Dans ces conditions, et en l’absence totale
d’opposition légale, les résultats électoraux du 24 mars 1929 furent sans appel :
98,33 % de « oui » contre 1,56 % de « non » !
Cette pratique électorale de nature plébiscitaire renvoyait à ce que les
fascistes eux-mêmes définissaient comme une « démocratie totalitaire »,
héritière de la souveraineté populaire et absolue chère à Rousseau, de son idée de
volonté générale et de ses imprécations contre le parlementarisme anglais15. La
plupart d’entre eux avaient conservé de leur passage par le socialisme et
l’extrême gauche un attachement sincère au suffrage universel, expression de la
souveraineté du peuple. Mais ils ne pouvaient le concevoir que dans le cadre
d’un système autoritaire puisqu’un tel suffrage utilisé dans un régime libéral
anéantissait l’unité du peuple en le fractionnant en une multitude d’individus
défendant leurs propres intérêts. Reprenant l’héritage de la tradition
démocratico-révolutionnaire, le fascisme exigeait l’approbation populaire et en
aucun cas une participation des citoyens au processus décisionnaire16. Ce fut
donc devant une assemblée dépouillée de ses attributs démocratiques et de ses
pouvoirs que Victor-Emmanuel III prononça, le 20 avril 1929, le traditionnel
discours du trône. Il reconnut que le gouvernement avait réalisé le « nouvel ordre
constitutionnel de l’Etat fasciste » et évoqua le succès des accords du Latran,
donnant l’impression d’apporter un satisfecit au régime. Ce fut sans doute cela
qui poussa un Farinacci jamais à court de flatterie pour la monarchie à clamer
que « le Roi [était] venu dans cet Hémicycle reconnaître l’Etat fasciste » et dire :
« Mon gouvernement fasciste », alors que jamais le souverain ne prononça, en
vingt ans de fascisme, une telle formule17.
Après ce succès électoral, Mussolini pouvait considérer que son régime
bénéficiait d’une rassurante solidité. Les opposants étaient bâillonnés, la société
exprimait une satisfaction pour les premières réalisations du gouvernement et
surtout pour le retour à l’ordre, tandis que l’Eglise, la monarchie et le grand
capital accordaient un soutien indispensable à la stabilité du pouvoir en place et
dont ils entendaient tirer profit. L’Italie paraissait pacifiée, bien tenue en main18.
Mais ces formidables acquis engrangés après plusieurs années de lutte étaient-ils
en mesure d’assurer la pérennité du fascisme sur le long terme ? Pouvait-on s’en
contenter pour construire l’Etat nouveau ? A l’évidence non. Le fascisme était
révolutionnaire et totalitaire. Il lui fallait donc constamment avancer, détruire et
construire. Ce fut la raison pour laquelle Mussolini décida de franchir une
nouvelle étape et de donner un coup d’accélérateur à la mise en place du
totalitarisme.
Le 15 août 1929, l’édition du Popolo d’Italia parut avec un éditorial non
signé et intitulé « Terzo tempo » (troisième temps). Faisant écho au deuxième
temps – celui de la consolidation du régime – évoqué en 1923 par Mussolini, il
annonçait le passage à la troisième phase de la révolution fasciste, celle de
l’approfondissement de la fascisation de l’Etat et de la société. Les lecteurs
purent y lire une sorte de programme pour les prochaines années :
Parler au monde, après la guerre et après la Révolution, signifiait compter sur la force compacte, sur
la solidarité intégrale, sur la maturité politique du peuple. Elle signifiait étendre les plans historiques de
la Révolution en résolvant ces deux problèmes fondamentaux : 1) placer le Parti dans l’Etat, figure
historique et juridique de l’Unité, en mettant le Parti au service de l’Etat ; 2) fasciser le peuple italien ;
le porter à la responsabilité politique, lui donner cette éducation morale qui formait le grand dessein
resté inachevé du Risorgimento ; en d’autres termes : réaliser la jonction entre le peuple et les élites.
Ces problèmes restaient entiers. Il fallait donc les résoudre avec la
conscience que « les vertus fascistes et italiennes ne sont pas un monopole des
membres du parti mais peuvent et doivent devenir la marque et les mœurs de
tous les Italiens19 ». Il devenait évident que le dictateur entendait mettre en
œuvre, d’une manière plus forte qu’auparavant, son projet anthropologique de
transformation des Italiens auquel il n’avait en fait jamais renoncé, qu’il portait
en lui depuis sa jeunesse militante au sein du socialisme italien. Transformer les
Italiens en un peuple de conquérants, de dominateurs, aptes à obéir, à combattre,
régénérés par la guerre et le combat, voilà quelle était désormais son ambition.
Tout serait réalisé par l’Etat auquel le parti resterait subordonné, comme le
clamait l’éditorial du 15 août. Il ne serait donc pas dissous mais placé au service
de l’Etat fasciste pour l’accentuation du totalitarisme. Tout espoir d’un retour en
arrière, vers un Etat libéral purgé de ses imperfections par un fascisme
transitoire, relevait d’une vue de l’esprit. Mussolini le déclara dans un discours
devant le PNF le 14 septembre 1929 : « Je n’ai jamais autant ressenti qu’en ce
moment toute la vive actualité de notre doctrine de l’Etat, centralisé et
autoritaire. Celle-ci, que les idolâtres du nombre informe appellent, avec un
geste de vaine exécration, “dictature”, nous la reconnaissons : la dictature est
dans les faits, c’est-à-dire dans la nécessité du commandement unique, dans la
force politique, morale, intellectuelle de l’homme qui l’exerce, dans les buts
qu’il fixe20. » Impossible donc de parler de rupture sur le fond dans le passage à
ce troisième temps, mais une simple accélération d’un dessein en germe depuis
les origines.
Un événement capital vint quelques mois plus tard donner une impulsion
majeure au fascisme révolutionnaire : la crise économique née du krach de Wall
Street du 24 octobre 1929. Les fascistes l’interprétèrent comme l’échec du
capitalisme, du libéralisme, du laisser-faire, incapables d’assurer l’emploi, les
ressources et le bien-être aux peuples occidentaux, mais aussi du système
démocratique libéral qui à leurs yeux lui était lié. En cessant d’être une simple
crise économique, l’écroulement de 1929 devenait une crise de la civilisation
libérale, capitaliste, démocratique dans son ensemble ; une crise de la liberté, de
la bourgeoisie, du matérialisme. Les thèses de Spengler sur la chute de
l’Occident diffusées en Italie au même moment apportèrent de l’eau au moulin
de tous ceux qui appelaient à un changement de civilisation. Le fascisme offrait
sa propre réponse au grand séisme venu d’outre-Atlantique, une troisième voie
entre capitalisme et communisme soviétique.
La volonté mussolinienne d’approfondir la fascisation du pays coïncida donc
avec la Grande Dépression, ce qui suscita les espoirs les plus fous de la
composante intransigeante du fascisme, de ces révolutionnaires que le Duce
avait muselés et déçus et qui, d’un coup, voyaient l’histoire leur présenter une
occasion inespérée d’appliquer leur programme. En effet, à partir de cette
époque, Mussolini ne cessa de leur donner des gages, d’orienter ses discours
dans leur sens, de les flatter. Leur soutien s’avérait d’autant plus indispensable
que la société italienne subissait les conséquences de la crise économique
mondiale et que le gouvernement faisait face à une vague inédite de contestation.
Jusque-là, une grande partie du monde ouvrier et paysan entretenait à l’égard du
fascisme une certaine hostilité due à la violence avec laquelle les squadristes
avaient démantelé leurs organisations politiques et syndicales. Toutefois,
l’appareil policier obligeait les récalcitrants à se maintenir dans un prudent
silence et la masse ouvrière à jouer la comédie de l’adhésion au régime. Or, les
difficultés économiques remirent en cause cette passivité. Avec une chute de la
production industrielle de 38 % entre 1928 et 1932, une baisse des exportations
de 60 % et une hausse concomitante du nombre de chômeurs qui de 414 000
monta à plus d’un million21, le mécontentement grandit pour atteindre son
apogée en 1931. Face à la fermeture des usines et des ateliers, à la réduction des
horaires de travail couplée à une intensification des cadences et aux baisses de
salaires, une agitation ouvrière s’exprima au grand jour dans plusieurs grandes
villes de la péninsule. Des grèves et des manifestations éclatèrent dans les
industries textiles et métallurgiques, les plus durement touchées par la
contraction du marché mondial, aussi bien à Naples qu’à Milan, mais aussi à
Novare, à Mantoue, à Piacenza. Les paroles du chant révolutionnaire Bandiera
rossa (drapeau rouge) que l’on n’avait pas entendues depuis longtemps se mirent
à raisonner dans les rangs ouvriers.
Le fascisme, ayant conquis le pouvoir par la promesse réalisée de rétablir
l’ordre dans le pays, s’il pouvait tolérer une contestation limitée dans l’espace et
le temps, refusait tout retour à la lutte des classes. Les classes moyennes, elles
aussi durement touchées par la crise, maintenaient leur confiance pour un régime
dont elles constituaient la base mais s’inquiétaient d’un possible réveil de la
subversion. Ce gouvernement demeurait le meilleur rempart, encore fallait-il
qu’il agît ! L’ordre arriva rapidement d’évacuer les usines occupées, de disperser
les manifestations et d’arrêter les meneurs. L’explosion sociale et politique n’eut
pas lieu. Le gouvernement tenait solidement le pays en main.
Cela dit, ce serait une erreur de lire ces événements uniquement en termes de
répression. Le fascisme ne fut jamais le bras armé et obéissant du patronat italien
et n’accepta pas, surtout en temps de crise, de jouer le rôle de briseur de grèves.
En fait, il se trouvait placé entre le marteau des industriels – source d’emplois et
soutien du régime – et l’enclume du peuple des travailleurs cher à la mythologie
fasciste et des petits propriétaires terriens dont la ruine entraînerait la sienne. Le
maintien de la paix sociale ne revenait pas à sacrifier l’essence socialisante de la
révolution, mais il fallait en même temps préserver les termes de l’entente avec
le grand capital : la politique au gouvernement et l’économie aux industriels. Les
baisses de salaires arbitraires et non négociées avec les syndicats fascistes, les
violations des contrats de travail, les licenciements abusifs, sans considération
pour l’âge, l’expérience ou la situation familiale mettaient à mal la crédibilité du
fascisme. Interpellé, Bottai, ministre des Corporations, envoyait des télégrammes
aux préfets pour qu’ils rappellent aux chefs d’entreprises leurs devoirs sociaux,
tandis qu’au sein des industries les militants politiques et syndicaux fascistes
veillaient au respect des règlements et s’opposaient aux abus22.
En réalité, nombre de fascistes voyaient beaucoup plus loin que ces mesures
homéopathiques pour résoudre non seulement les difficultés conjoncturelles
mais aussi la nature structurelle de la crise. L’effondrement du capitalisme libéral
ouvrait la voie à son dépassement par la mise en place du système corporatiste,
projet politique du totalitarisme fasciste aux allures économiques et sociales et
auquel furent associés de près le nom comme l’action de Giuseppe Bottai.
Travailleur infatigable et homme de lettres, cet intellectuel aimait le débat, les
discussions, les polémiques. Souvent présenté comme un fasciste modéré, il
n’appréciait guère les vociférations de l’aile dure du mouvement dont il s’était
souvent désolidarisé. Très vite, on s’en souvient, il appela à l’abandon de la
violence squadriste. Toutefois, sous des dehors tempérés et d’ouverture au
dialogue, Bottai entretenait une foi fasciste inébranlable et une adoration pour le
Duce qui n’en firent jamais un dissident. Comme il le précisa lui-même :
« J’aime la discussion mais il faut discuter et juger dans les limites, dans le
fascisme et non contre le fascisme, dans le Parti et non contre le Parti, dans
l’Etat fasciste et non contre l’Etat fasciste. » De plus, il nourrissait un projet
totalitaire qui n’a pas toujours été analysé à sa juste mesure. Bottai croyait en la
capacité de l’Etat à transformer l’homme en lui inculquant une foi politique
nouvelle. La révolution anthropologique passait tout naturellement par l’action
politique, par l’éducation, par la culture, bref par une fascisation de la société et
des individus. Le fascisme accoucherait d’une civilisation nouvelle et supérieure,
construite sur les ruines du libéralisme et de l’individualisme. Le drame de
l’Europe venait du fait que la bourgeoisie française avait récupéré à son profit et
donc perverti la Révolution de 1789 mais celle-ci avait montré le chemin.
Rédacteur de la Charte du travail de 1927, Bottai définissait le fascisme en
termes très explicites : « force de gauche, dépassement et non négation des
idéaux de 8923 », qui réunissait le peuple, non plus par la violence mais par le
consensus absolument indispensable pour sa survie sur le long terme.
A cet égard, l’économie corporatiste offrait un moyen idoine. Aucun doute
n’habitait Bottai quant à la capacité du fascisme à se présenter comme une
troisième voie entre capitalisme et socialisme. Sa conception du corporatisme
s’opposait à celle des courants conservateurs qui, à l’image des grands
industriels de la Confindustria, y voyaient seulement un moyen de protéger la
propriété privée et de supprimer la lutte des classes. La vision fasciste s’avérait
plus dynamique, plus novatrice, plus révolutionnaire. A vrai dire, Bottai ne niait
pas l’existence des classes ni celle des luttes les opposant. Son projet cherchait à
les dominer. Il espérait faire du corporatisme un mécanisme « de collaboration
de tous les acteurs économiques, au nom des intérêts supérieurs de la nation et
un instrument de la nationalisation des masses dont l’encadrement [resterait]
assuré par le parti unique24 », toutefois sous le contrôle étroit du ministère des
Corporations qu’il gérait depuis 1926, véritable maître d’œuvre de cette
révolution économique. La volonté de Bottai de voir émerger une élite de
technocrates rompus aux méthodes les plus contemporaines de gestion des
entreprises, outre qu’elle inscrivait sa pensée dans la modernité économique,
n’enlevait rien au primat du politique qui devait mettre l’économie à son service.
L’Etat, par le biais du technocrate, rationaliserait le monde économique pour le
rendre plus efficace mais surtout pour l’intégrer à la communauté nationale25.
En réalité, l’établissement du corporatisme suscitait un vif débat au sein du
fascisme. A cet égard, les positions du philosophe Ugo Spirito apparaissaient
comme les plus poussées. Auteur de plusieurs ouvrages sur la question, il
attaquait la propriété privée, fruit de l’esprit individualiste de la Révolution
française, et préconisait sa transformation en propriété corporative. Dans un tel
système, non seulement le capital et le travail se trouvaient unis mais en plus le
capital passait aux travailleurs. « Le capitaliste n’est plus étranger et n’ignore
plus comment s’administre sa propriété mais il l’administre lui-même en
coïncidant avec la figure du travailleur », écrivait-il en 1933 dans son
Capitalismo e corporatismo. Ainsi le travailleur se trouvait-il intéressé au
développement de son propre capital. Quant à l’Etat, il n’aurait plus besoin
d’intervenir directement dans une telle harmonie mais garderait le contrôle de
l’économie puisque la corporation resterait sous son autorité26. On le voit, Spirito
allait loin… en fait beaucoup trop loin en touchant à la propriété privée. Il avait
beau considérer son propre projet réalisable uniquement sur le long terme,
Mussolini mit un terme rapidement à ces dangereuses dérives.
En effet, non seulement le Duce attaqua par le biais des revues qu’il
contrôlait (Popolo d’Italia et Gerarchia) les thèses que Spirito exposa à un
congrès tenu à Ferrare en 1932, mais le 20 juillet de la même année il disgracia
Bottai et récupéra son portefeuille. Il se réservait ainsi la gestion de cette
question délicate qui touchait aux rapports avec le monde entreprenarial. En fait,
si les pressions du grand patronat ne furent sans doute pas étrangères à ce renvoi,
Mussolini lui-même n’entendait pas aller aussi loin et aussi vite sur la question
du corporatisme. Sur ce point aussi, son absence de dogmatisme jouait en faveur
d’une grande prudence et d’une mise en œuvre progressive et sur le long terme.
Et il était hors de question de toucher à la propriété privée ! Certes, il partageait
les certitudes sur l’échec du capitalisme libéral, sur son remplacement et sur la
nécessité d’une économie contrôlée et soumise à un Etat totalitaire. C’est ainsi
qu’il prononça le 14 novembre 1934 un discours capital devant l’assemblée
générale du Conseil national des corporations. Après avoir affirmé que le mode
de production capitaliste était entré dans une crise mortelle, il se lança dans un
panégyrique de l’économie corporatiste qu’il plaça dans une perspective
politique et idéologique sans ambiguïté. « La corporation, lança-t-il devant une
foule vibrante, joue sur le terrain économique comme le Grand Conseil et la
Milice jouent sur le terrain politique ! Le corporatisme est l’économie
disciplinée et donc aussi contrôlée parce qu’on ne peut imaginer une discipline
qui n’ait pas de contrôle. » Cet acte de décès du libéralisme économique fut suivi
d’un rappel de l’essence même du fascisme dont cette question économique ne
pouvait en fait s’extraire. « L’homme économique n’existe pas, il existe
l’homme intégral qui est politique, qui est économique, qui est religieux, qui est
saint, qui est guerrier. Aujourd’hui nous faisons de nouveau un pas décisif sur la
voie de la révolution27. » Une révolution bel et bien totalitaire. Mais, dans
l’esprit du Duce, le corporatisme sous sa forme la plus achevée réaliserait le vrai
socialisme en étant le fruit de la révolution anthropologique et non l’inverse. Les
corporations devaient donc rester un instrument de l’Etat garant en même temps
de la propriété privée et de l’esprit de responsabilité des entrepreneurs à l’égard
des travailleurs et du reste de la communauté nationale. C’était sur cette corde
raide que Mussolini marchait en équilibre. Le dictateur n’avait pas l’intention
d’entreprendre, du moins à ce stade, de rupture anticapitaliste. Ce faisant, le
système des corporations mis en place, rassemblant travailleurs et propriétaires
d’une même branche, ne satisfaisait véritablement personne, ni les employeurs ni
les employés28. Les technocrates, dans lesquels Bottai voulait voir le creuset
d’une nouvelle bourgeoisie moderne et audacieuse, ne purent contester le
pouvoir des élites traditionnelles. Pour résumer, le corporatisme, stoppé à mi-
chemin et transformé en une bureaucratie directive, ne tint pas ses promesses.
Face à l’urgence de la crise, le gouvernement fasciste préféra s’en tenir à un
interventionnisme poussé qui ne tranchait pas avec l’esprit des solutions
adoptées dans les démocraties occidentales (Etats-Unis, France, Belgique) tout
en allant beaucoup plus loin. Conseillé par le banquier Alberto Beneduce,
Mussolini mit en place un véritable dirigisme d’Etat visant à substituer
l’intervention publique aux capitaux privés désormais incapables de sauver les
entreprises. Le système bancaire étant le nerf de la guerre économique, il
procéda en deux étapes. Tout d’abord, la création de l’Institut de reconstruction
industrielle (IRI) le 23 janvier 1933, dont la direction fut confiée à Beneduce,
devait permettre un financement public des entreprises et donc leur mise sous
tutelle de l’Etat, même si celui-ci se gardait bien d’intervenir dans leur gestion.
Tous les grands secteurs industriels furent touchés, certes à différents degrés, par
cette prise de contrôle étatique. Ensuite, le gouvernement transforma, par la loi
bancaire du 12 mars 1936, la banque d’Italie en un établissement public, doté de
sa propre autonomie et libéré de tous les groupes privés présents au sein du
conseil d’administration. Dans aucun autre pays occidental la présence de l’Etat
dans la vie économique n’était si forte29. Elle fut accompagnée par un
engagement social lui aussi imprégné de politique. Le PNF reçut la consigne de
participer au soulagement des misères. Ainsi pendant l’hiver 1930 la section de
Milan aidait-elle près de 12 000 familles, tandis qu’un seul de ses centres de
ravitaillement nourrissait quotidiennement entre 800 et 900 personnes30.
Le PNF de Starace
La crise de 1929 apporta de l’eau au moulin de tous les fascistes convaincus
de la nécessité de poursuivre la révolution, de remettre en cause la société
traditionnelle et ses cadres, de progresser sur le chemin du troisième temps.
Mussolini était de ceux-là. Bien décidé à fasciser le peuple italien, il actionna
tous les leviers à sa disposition. Il désigna comme cible prioritaire la jeunesse,
porteuse de l’avenir et plus apte à subir la transformation anthropologique. La
question de l’éducation restait donc prioritaire. Ce fut la feuille de route que
reçut le nouveau secrétaire général du PNF, Giovanni Giuriati, en 1930. Bien
qu’il n’occupât la fonction qu’un an, cet homme cultivé, ancien de l’aventure de
Fiume, capable de réciter du Cicéron par cœur, eut le temps de mettre en place
les Faisceaux juvéniles de combat pour les jeunes entre 18 et 21 ans (les Avant-
gardistes pour les garçons, et Jeunes fascistes pour les filles). En 1929, le parti
n’avait pas accepté de bonne grâce le passage des Balilla et des Avant-gardistes
sous le contrôle du ministère de l’Education nationale. Ainsi Giuriati espérait-il
créer un vivier de futurs militants façonnés directement par le parti dans un
esprit de religiosité politique et d’ambiance militarisée, avec l’arrière-pensée de
combattre l’influence de l’Eglise31.
L’offensive que Mussolini encouragea contre l’Eglise catholique à peine un
an après la Conciliation ne dut en fait rien au hasard. Il s’agissait d’affaiblir, à
défaut d’abattre, un contre-pouvoir sur lequel le fascisme avait beaucoup moins
de prise que celui représenté par la monarchie ou la grande bourgeoisie
industrielle. La dynamique anticléricale, intrinsèque au mouvement fasciste et
mise en sommeil depuis la dissolution du PPI, retrouva toute sa vigueur.
L’éducation fut de nouveau le terrain privilégié du combat entre le Saint-Siège et
la dictature. Giuriati multiplia les attaques contre les prétentions éducatives de
l’Eglise. Pendant l’année 1931, les sbires fascistes passèrent des mots aux actes :
sièges d’organisations catholiques saccagés, militants catholiques agressés,
églises vandalisées. Même le siège de la chancellerie pontificale n’échappa pas
aux dévastations ! Ces violences, outre qu’elles confirmaient que le catholicisme
demeurait un ennemi au même titre que le socialisme défunt, n’avaient rien de
spontané. Pour preuve, la décision prise par le Duce lui-même le 30 mai 1931
d’ordonner la dissolution des mouvements de jeunesse encore indépendants32.
L’attaque contre les structures ecclésiastiques était frontale. Pie XI y répondit par
une nouvelle encyclique directement dirigée contre le pouvoir italien, Non
abbiamo bisogno (« Nous n’avons pas besoin ») datée du 5 juillet 1931. Le pape
y dénonçait encore une fois les prétentions monopolistiques de l’Etat sur
l’éducation des jeunes mais allait plus loin en s’attaquant, sans la nommer pour
autant, à l’idéologie du fascisme qu’il présentait comme une « statolâtrie
païenne ».
Toutefois, des deux côtés du Tibre, on voulait éviter la rupture. Dès
négociations s’engagèrent très vite et débouchèrent sur l’accord du 2 septembre
1931 qui établissait un modus vivendi entre le fascisme respectant les
organisations catholiques et l’Eglise réaffirmant l’apolitisme de ses troupes33. La
finesse politique de Mussolini, son absence de frénésie idéologique et sa
connaissance de la société italienne lui interdisaient de lancer son régime dans
une guerre de religion de laquelle il serait sans aucun doute sorti en miettes.
Toutefois, comme le note Emilio Gentile, « il ne [renonça] jamais au droit
indiscutable de l’Etat de définir la morale du citoyen et la fin ultime de son
existence34 ». Cela dit, jusqu’à la radicalisation de la fin des années 1930, plus
aucune crise ne vit s’affronter Mussolini et Pie XI. Pour autant, la guerre pour le
contrôle de la jeunesse continua mais d’une manière aussi subtile, feutrée que
réelle.
Plusieurs signaux indiquèrent, dans les derniers mois de 1931, une montée
en puissance du phénomène totalitaire. Retrouvant des accents socialisants, et
sans doute pour contrebalancer ses prudences dans le domaine économique,
Mussolini lança, le 25 octobre 1931 à Naples, un nouveau mot d’ordre : « Aller
résolument vers le peuple ! » Puis quelques semaines plus tard, il destitua le
secrétaire général du PNF, Giuriati. Celui-ci n’avait certes pas démérité mais
avait exécuté avec un zèle jugé excessif la demande du Duce de réduire le
nombre des adhérents au parti. Au lieu des 10 000 demandés, le nombre des
exclus s’éleva à… 120 000 ! Hors de lui, Mussolini le congédia le 12 décembre
et lui choisit comme successeur l’un de ses vice-secrétaires, Achille Starace.
Originaire des Pouilles, ce fils de commerçant connut un parcours assez
classique au sein de l’univers fasciste. Interventionniste puis soldat valeureux
pendant la guerre, il maudissait le retour à la paix, exécrait les socialistes et les
défaitistes et voulait continuer le combat. On le dit frustré socialement mais il
était davantage marqué par la violence idéologique de son temps, par son
patriotisme intransigeant, son caractère impulsif et sa soif d’action. La rencontre
avec Mussolini fut pour lui aussi une révélation quasi religieuse et, devenu ras
de Trente, il participa à l’aventure squadriste, monta les échelons au sein du
mouvement jusqu’à la consécration suprême du mois de décembre 193135.
Que n’a-t-on dit, à l’époque et jusqu’à aujourd’hui, sur Achille Starace !
Chez cet être fruste, inculte et ignorant, la vanité le disputait à la servilité.
Grossier et borné, il se serait adonné depuis sa jeunesse à une vie de débauches
et d’orgies pendant lesquelles femmes et hommes satisfaisaient ses plaisirs. Tout
cela était sans aucun doute vrai, bien que les fiches de la police fasciste qui
recueillaient ces détails croustillants soient à manier avec précaution. On
comprend donc les commentaires à la fois effarés et drôles que sa nomination
suscita. Le sous-secrétaire d’Etat à l’Intérieur, Leandro Arpinati, s’en ouvrit à
Mussolini en affirmant que Starace était un crétin. Et le dictateur de répondre :
« Je le sais, mais c’est un crétin obéissant. » Un crétin donc mais aussi un
fasciste convaincu et brutal qui mit son existence et sa fonction au service d’une
idéologie totalitaire à laquelle il croyait avec la foi d’un vrai croyant ; un homme
choisi par un Mussolini déterminé à faire progresser la révolution fasciste et qui
trouva en lui l’exécutant parfait, docile et zélé de sa volonté. Starace eut beau se
trouver au centre de multiples blagues suscitant l’hilarité des Italiens, son long
passage à la tête du PNF (qui dura jusqu’en novembre 1939) correspondit à la
phase la plus radicale de la construction du fascisme totalitaire. Tout cela fut en
fait très sérieux.
Starace adulait Mussolini dont il ne reçut qu’ingratitude et mépris. Lors des
cérémonies officielles dont il organisait la liturgie, il se tenait, tel un prince
consort, toujours un pas derrière lui. Reçu quotidiennement au palais de Venise,
le secrétaire général écoutait son demi-dieu donner ses ordres qui étaient ensuite
scrupuleusement exécutés. Chaque jour, il lui envoyait des rapports le tenant
informé des affaires du parti avec force détails et des annotations écrites de sa
main36. Le jour même de son entrée en fonction, le 12 décembre 1931, devant les
hiérarques du PNF rassemblés à cette occasion, il lança une initiative appréciée
par le dictateur. Lorsque celui-ci entra dans la pièce, Starace se plaça devant lui,
leva le bras et cria : « Salut au Duce ! » La formule devint par la suite officielle.
C’était donc dans un esprit d’obéissance aveugle qu’il entendait remplir sa
mission selon les directives données par Mussolini. Pour ce faire, il utilisait des
fogli di disposizioni, sorte de feuillets qu’il envoyait à l’ensemble du parti. Ils
contenaient des injonctions et autres recommandations sur le meilleur
comportement à adopter, dont certaines étaient particulièrement grotesques.
« Durant les sept heures de repos, ne dormir que d’un seul œil », préconisait l’un
d’entre eux, tandis qu’un autre remarquait : « Saluer à la romaine assis est peu
romain37. »
En ce qui concernait l’organisation du parti, il s’engagea avec fougue dans
une extension de son champ d’action avec un but bien précis : la conquête des
esprits des Italiens afin d’en faire des fascistes en quelque sorte naturels. Le
dixième anniversaire de la marche sur Rome en 1932 devait en effet marquer le
passage à l’âge mûr du fascisme, surtout avec la montée des jeunes générations
n’ayant pas connu les combats pour la conquête du pouvoir. Le PNF staracien
plaça ainsi sous son contrôle l’Œuvre nationale du Dopolavoro, grâce à laquelle
il espérait assurer le contrôle des classes laborieuses assez hostiles, on le sait, au
régime. La même année, les comités provinciaux intersyndicaux, créés en 1927
et présidés par le secrétaire fédéral de chaque province, furent officiellement
intégrés au parti. L’obtention d’un emploi prenait de plus en plus une tournure
partisane. Pour passer les concours de la fonction publique, la possession de la
carte du parti devint obligatoire en décembre 1932, obligation étendue en
juin 1933 aux organismes régionaux et semi-publics. Le fascisme s’insinua dans
le processus d’embauche par le biais des commissions administratives paritaires
des bureaux de placement dans lesquelles les encartés étaient privilégiés. Le
PNF assurait aussi des fonctions pédagogiques. Toujours à partir de 1932, lors
des « rassemblements dominicaux », la population des villages devait
pieusement écouter l’orateur envoyé par le parti pour diffuser la bonne parole.
Puis, en 1935, les jeunes d’une vingtaine d’années purent suivre des cours
d’éducation politique dispensés par les fédérations locales38. La même année fut
instauré le « samedi fasciste » qui permettait aux travailleurs d’interrompre leur
activité à 13 heures pour se consacrer à des activités physiques à caractère
militaire.
Cette extension progressive de la toile d’araignée du parti correspondait en
fait – et c’était là toute l’apparente contradiction – avec son affaiblissement et sa
subordination définitive à l’Etat. Les nouveaux statuts adoptés le 17 novembre
1932 par décret royal le confirmaient officiellement : « Le PNF est une milice
civile, aux ordres du Duce, au service de l’Etat fasciste. » En réalité, par un
processus de vases communiquants, le parti perdait son pouvoir au fur et à
mesure que celui de Mussolini grandissait. L’Etat restait le maître d’œuvre de la
construction du totalitarisme, et le Duce y tenait la première place. Mais il avait
besoin du PNF afin d’organiser et de mobiliser les masses, en un mot de les
fasciser ; comme il lui fallait définir à présent avec beaucoup plus de netteté les
contours idéologiques du fascisme qui jusque-là étaient restés bien vagues, d’où
sa tentative de définition dans l’article de 1932 publié dans l’Encyclopédie
italienne.
Désormais aux commandes du parti, Starace contribua à le transformer en
une immense machine bureaucratique. A l’occasion des commémorations pour
les dix ans de la révolution, il organisa une vaste opération d’inscriptions qui
permit de faire passer les effectifs de 825 000 en 1931 à 1,5 million en 1933 et
bientôt 2 millions. Bien évidemment, après avoir rendu obligatoire l’adhésion au
parti pour postuler à des emplois publics, le caractère spontané, idéologique et
désintéressé de ce vaste mouvement pouvait être mis en doute ! De fait, le PNF
vit arriver des militants opportunistes, de qualité intellectuelle et politique
médiocre. Ces effectifs pléthoriques accentuèrent les tendances au clientélisme
et à la corruption. Dans le même temps, Starace procéda à un renouvellement
des cadres en favorisant les générations les plus jeunes qui, n’ayant pas connu le
feu du squadrisme, n’en possédaient pas la légitimité politique. Arrivant après
les purges de Turati et de Giuriati, formés à l’école du parti et imprégnés de
mussolinisme, ils s’avéreraient plus dociles, du moins le croyait-il. Quant aux
hiérarques, Starace chercha à les neutraliser. Il profita certes de l’évolution du
parti qui transforma les fougueux chefs de l’après-guerre en bureaucrates
quelque peu embourgeoisés, attachés à leurs pouvoirs et à leurs prérogatives.
Mais face à de possibles concurrents, l’homme pouvait être féroce. Leandro
Arpinati s’en aperçut. Partisan d’une politique modérée et libérale en économie,
il ne correspondait plus à la ligne davantage révolutionnaire du régime. Starace
réactiva les rumeurs sur son éventuelle complicité dans le complot Zamboni, et
en avril 1933 Mussolini le priva de son poste de sous-secrétaire d’Etat à
l’Intérieur39.
Le problème posé par Italo Balbo s’avérait plus coriace. Le ras de Ferrare
n’avait rien d’un second couteau et était d’une trempe supérieure à celle
d’Arpinati. Tutoyant Mussolini, y compris lors des cérémonies officielles,
homme de caractère et de décision, orgueilleux et anticonformiste, il avait fait de
l’aviation italienne une arme prestigieuse et moderne, à coups d’audaces et
d’augmentations de budget pour le ministère de l’Aéronautique dont il hérita en
1926 à l’âge de 30 ans. Il bénéficiait en outre d’une incroyable popularité
internationale grâce aux quatre voyages en avion qu’il effectua en direction de
Los Alcázares en Espagne (1928), d’Odessa en URSS (1929), de Rio de Janeiro
au Brésil (1930) et surtout de Chicago aux Etats-Unis (1933). Le séduisant
Lindbergh italien devint le visage de l’Italie fasciste à l’étranger, donnant du
régime une image moderne, dynamique, héroïque. Un rien frondeur, populaire,
habile à utiliser les moyens de communication modernes, il se transformait en un
chef politique incarnant une alternative au sein du régime que le Duce, on s’en
doute, ne supportait pas. Bien que son embourgeoisement et son absence de
profondeur politique ne l’élevassent pas au rang de concurrent vraiment sérieux,
Balbo pouvait céder à la tentation, grisé par la sympathie que lui exprimait non
sans malice Victor-Emmanuel III. Le projet de réorganisation des forces armées
en faveur de la Marine et de l’Air qu’il présenta à Mussolini à son retour de
Chicago, et qui potentiellement pouvait faire de lui un chef d’état-major
dangereux, signa sa perte. Mussolini connaissait ses classiques, et Balbo aurait
dû se souvenir de la proximité de la roche Tarpéienne avec le Capitole. Le
23 août, le Duce organisa pour son héritier putatif un véritable triomphe romain
avec défilé sous l’arc de Constantin, puis le 23 octobre le destitua de sa fonction
ministérielle et le nomma gouverneur de Libye. Le poste était certes prestigieux,
et Balbo le démontra dans ses fonctions, mais il s’agissait bel et bien d’un exil.
Sa carrière ne s’en releva pas40. Starace vit donc s’éloigner avec satisfaction cette
grande personnalité qui se gaussait de ses feuillets…
Restait Farinacci. Réélu à la Chambre des députés en 1929, il ne put
toutefois garder son poste au Grand Conseil fasciste où Mussolini ne le voulait
plus. Il se replia alors sur son fief et utilisa son journal Regime fascista pour
mieux pourfendre la corruption et l’embourgeoisement qui rongeaient selon lui
le parti. Or, le révolutionnaire de Crémone engagé dans sa lutte en faveur de la
restauration des valeurs morales du fascisme – sans être lui-même un ange de
vertu ! – se heurtait à de puissants ennemis, au premier rang desquels se
trouvaient toujours Turati et Arnaldo Mussolini. La police politique surveillait
ses faits et gestes comme ceux de son entourage. Dans le « dossier Farinacci »
on trouvait de nombreuses pièces accusatrices mettant en évidence ses liens réels
avec des monarchistes et avec un parti du Principino, surnom affectueux donné
au prince de Piémont, Humbert. Farinacci ménageait-il l’avenir avec l’espoir de
bénéficier de l’appui de l’héritier du trône en cas de chute ou de mort du Duce ?
D’autres fiches mettaient en cause ses rapports mystérieux avec la franc-
maçonnerie internationale. Sa popularité restait en tout cas intacte auprès des
militants fascistes qui voyaient en lui l’image de la pureté de leur mouvement.
De plus en plus inquiet, Mussolini envisagea en 1931 son exclusion du PNF.
Mais Giuriati, qui l’appréciait et partageait certaines de ses analyses, l’en
dissuada en arguant des conséquences d’une telle rupture41.
De toute façon, Farinacci s’en tenait à sa ligne directrice : critiquer sans
fronde ouverte et renforcer son poids politique dans l’attente d’une vacance du
pouvoir. La mort d’Arnaldo Mussolini en 1931 le libéra d’un adversaire influent,
tandis qu’il joua un rôle central dans la manœuvre qui expédia Turati dans un
asile psychiatrique puis en résidence surveillée en envoyant à Mussolini des
documents compromettants sur les mœurs débauchées et violentes de son
ennemi mortel42. Starace, quant à lui, n’attendait que l’ordre de son bien-aimé
chef pour agir dans un sens ou dans l’autre. Pour l’instant, Farinacci, vent debout
devant la décadence du parti, toujours ostracisé, ne bénéficia pas du
renouvellement du Grand Conseil de novembre 1932, avant de subir durant l’été
1933 une violente campagne de presse mettant en cause ses qualités morales et
sa probité. Il faut dire qu’il avait envoyé en janvier un rapport d’une cruelle
vérité à Mussolini. Il y dénonçait la mutation du fascisme en mussolinisme,
mettait en évidence les fragilités du régime construit sur un consentement social
fragile et des alliances conjoncturelles, et en appelait à une restauration du PNF
dans toutes ses prérogatives. Surtout, il pointait du doigt avec acuité le problème
de la succession :
Tant que tu seras sain et fort, lui écrivait-il, il y aura la paix. Mais qui pense à l’avenir frissonne. En
Russie, grâce à la formidable organisation du parti et des cadres dirigeants, Staline a pu succéder à
Lénine en conservant la même force. C’est seulement ainsi qu’il a pu briser le mouvement de Trotski.
Mais en Italie nous aurons la lutte fratricide parce que tous les vieux et éminents hiérarques sont
divisés et je ne vois aucun homme qui puisse nous assurer la continuité du Gouvernement et du
régime […]. Donc, nous avons besoin d’hommes forts et sûrs (même si nous ne sommes pas
beaucoup) pour continuer l’œuvre du fascisme. Ces hommes, tu dois les préparer et les faire apprécier
et aimer du peuple […]. Président, qu’est-ce que l’Etat aujourd’hui ? La confiance en Mussolini. Nous
ne sommes pas encore arrivés à l’Etat qui donne force aux hommes. Il y a un homme qui donne force à
l’Etat. Mais qu’arrivera-t-il quand il n’y aura plus cet homme43 ?
Balbo exilé, Farinacci représentait le dernier véritable danger pour le pouvoir
de Mussolini. Les attaques de l’été 1933 l’affaiblirent d’une manière certaine.
Mais comme toujours avec son aile radicale, le Duce savait s’arrêter à temps.
Les ultras lui étaient utiles, surtout dans une période de tensions internes et
externes. Ainsi sut-il avec pragmatisme attraper la main de réconciliation que
Farinacci lui tendit lorsqu’il lui demanda une audience pour lui parler « avec une
absolue loyauté ». L’enfant terrible du fascisme arriva-t-il à l’entretien du
21 novembre 1933 fort de documents compromettants sur Mussolini comme cela
fut affirmé à plusieurs reprises44 ? Difficile à dire. Quoi qu’il en fût, cette
rencontre scella leur réconciliation. Farinacci put se présenter aux élections
législatives de mars 1934, Mussolini se rendit pour la première fois depuis dix
ans à Crémone, le 7 octobre 1934, et accepta le retour de son turbulent disciple
au Grand Conseil le 15 janvier 1935. A partir de ce moment, Farinacci rentra
dans le rang.
La fougue révolutionnaire
La normalisation du fascisme dans les années 1920 sembla consacrer la
défaite des intransigeants au profit des conceptions autoritaires et conservatrices
incarnées par le ministre de la Justice Alfredo Rocco. Même si sur le fond il n’en
était rien, on l’a vu, Mussolini donnait l’impression d’avaliser un tel tournant.
Les fascistes révolutionnaires se réfugièrent alors dans le monde de la culture
qu’ils cherchèrent à dominer. Ils y voyaient en effet le meilleur moyen de
conquérir, d’orienter et de dominer l’opinion publique. A travers une vision que
ne renierait pas le communiste Gramsci, la culture devenait l’instrument
privilégié du succès politique, le champ de bataille préalable à toute victoire sur
le long terme. Les lettrés du fascisme entendirent le mot d’ordre mussolinien
exprimé en 1931 « Aller vers le peuple » et le suivirent45. En fait, à l’égard de
son aile gauche, le dictateur alternait le chaud et le froid. Habile tacticien
politique, il la réprimait en la censurant quand les positions exprimées allaient à
l’encontre de ses objectifs gouvernementaux mais n’hésitait pas à lui donner des
gages. Une fois le régime consolidé et le troisième temps de la révolution lancé,
avec un PNF solidement tenu en main par ses statuts de 1932 et par le chien de
garde Starace, le Duce se sentit assez fort pour lancer une offensive contre la
bourgeoisie. Le ton se fit alors plus acerbe et les attaques plus directes. Le
18 mars 1934, il exprima dans un discours son aversion pour l’esprit bourgeois
fait de « satisfaction et d’adaptation, une tendance au scepticisme, au
compromis, à la vie facile, au carriérisme ». De telles valeurs étaient
incompatibles avec le fascisme car « le credo du fascisme est l’héroïsme, celui
du bourgeois l’égoïsme ». Face au danger que l’esprit bourgeois représentait
pour le nouveau régime, une seule solution : continuer la révolution fasciste46.
Rien de conjoncturel ou d’opportuniste dans cette guerre aux valeurs
bourgeoises : le fascisme était antibourgeois car par essence antidémocratique et
vice-versa.
Cette offensive se déroulait dans le contexte des élections législatives
prévues pour le 25 mars. Organisé dans des conditions identiques à celles de
1929, ce dernier scrutin électoral de l’histoire de l’Italie fasciste déboucha pour
le PNF sur un succès confinant au sublime : le parti récolta 99,84 % des votes !
La XXIXe législature s’ouvrit le 28 avril 1934 par le traditionnel discours du
trône qui confirmait le durcissement politique du régime fasciste. Le vieux roi à
la voix rauque évoqua la crise de 1929 et les réponses qui y furent apportées,
s’arrêta sur le thème colonial et réaffirma les priorités militaires. Il se déclara
surtout satisfait des changements positifs relevés au sein du peuple italien
désormais « uni et compact autour du Blason de [sa] Maison et du Licteur
romain47 ». Le Sénat tombait lui aussi sous la coupe du gouvernement, mais
d’une manière plus lente que la Chambre à cause des sénateurs nommés à vie. Il
fallait donc attendre que le temps fît son œuvre pour proposer des candidats
estampillés « fascistes » à la signature royale. L’infiltration s’opéra par le biais
de l’Union nationale fasciste, la cellule du PNF au sein du palais Madame
chargée d’attirer le maximum de sénateurs. Elle pouvait compter sur l’appui de
Giuriati qui cumula les fonctions de secrétaire général du parti et de président de
la Haute Assemblée. En 1932, une étape fut franchie. En effet, le nouveau statut
du PNF plaça, par son article 5, l’Union nationale sous le contrôle direct du
secrétaire général Starace qui ainsi gardait la main sur les activités au Sénat48. De
tous côtés, le régime paraissait solide et prêt pour la bataille.
Cette ambiance socialisante plaisait aux fascistes révolutionnaires qui
apportèrent un plein soutien à leur chef. La voilà enfin la révolution fasciste,
dans l’esprit de San Sepolcro, qu’ils attendaient depuis 1922 ! Les rapports entre
les « subversifs noirs » et le Duce se métamorphosèrent en une sorte d’idylle. Le
temps des désillusions arriva plus tard. Pour le moment, les grognards du
fascisme s’engageaient dans la révolution antibourgeoise sur le champ de
bataille culturel. Plusieurs publications se tenaient en première ligne dans ce
combat : L’Impero, Il Tevere, Roma fascista, L’Italia vivente. La littérature ne fut
pas en reste. A cet égard, les romans de Marcello Gallian publiés dans les
années 1930 étaient très symptomatiques. Son radicalisme antibourgeois
s’alimentait à une vision mêlant exaltation franciscaine de la pauvreté et
nostalgie rousseauiste d’un état de nature immaculé. L’homme dans sa pureté
originelle avait été en fait corrompu par la bourgeoisie, par son égoïsme et
surtout par l’argent. Seule une révolution anthropologique, conduite par une
armée d’apôtres autour d’un chef charismatique, pourrait le libérer de cet appétit
de luxe et de profit. De fait, les héros de Gallian prenaient souvent la forme de
vagabonds, de marginaux, de jeunes bourgeois en rupture sociale. En 1933, il
rédigea aussi un pamphlet, Colpo alla borghesia (« Coup à la bourgoisie »), dans
lequel il opérait une fusion entre le fascisme et le « peuple » paré justement des
vertus du mouvement : esprit de sacrifice, courage, défense du travailleur,
sobriété, etc. Il revenait donc aux fascistes animés de la foi squadriste de purger
la partie de la société contaminée par l’esprit bourgeois49.
De plus, l’aile socialisante du mouvement puisa dans le cataclysme
économique de 1929 une nouvelle inspiration pour ces attaques contre le monde
anglo-saxon mais surtout contre celui de l’argent. Déjà en 1927, l’écrivain et
journaliste Berto Ricci avait écrit dans la revue Il Selvaggio (« Le Sauvage ») :
« L’anti-Rome existe mais ce n’est pas Moscou. Contre Rome, cité de l’âme, il y
a Chicago, cité du porc. » Il récidiva dans cette haine pour le capitalisme en des
termes tout aussi virulents : « Une société d’hommes entre lesquels l’argent
représente encore une distinction de rang et un instrument de pouvoir personnel
ne peut se dire fasciste […]. La lutte politique du siècle est entre la civilisation
du travail et la circulation de l’argent […]. On ne peut transiger avec le monde
de l’argent c’est-à-dire avec la conception mercantile de la vie et avec celle
ploutocratique de la société50. » De l’exécration du capitalisme anglo-saxon on
passa vite à un certain intérêt teinté d’admiration pour l’URSS de Staline qui
s’exprimait par exemple chez Malaparte51. Bottai n’était pas le dernier à
rapprocher le fascisme du communisme. « L’Italie et la Russie, affirma-t-il en
novembre 1930, sont les seuls (et même authentiques) principes de rénovation
du monde moderne. Avec Mussolini, ou avec Lénine, il n’y a pas d’autre
échappatoire pour la décrépite société bourgeoise qui nous hait. » Ce fut donc en
toute logique qu’il préfaça en 1934 l’édition italienne d’un recueil d’articles de
Staline et d’autres dirigeants soviétiques, Bolcevismo e capitalismo. Trois ans
auparavant, sa revue, Critica fascista, avait accueilli dans ses pages un débat sur
« Rome ou Moscou ? Une discussion “ouverte” » duquel émergeait la conviction
d’une rencontre inévitable entre les totalitarismes. « Russie et Italie, écrivit l’un
des contributeurs, sont unies dans l’effort créateur d’un nouvel ordre et dans cet
effort se trouve pour moi la beauté de leur œuvre. Aujourd’hui, une croisade de
Rome contre Moscou déboucherait inévitablement sur une vague de réaction, et
cela le fascisme […] ne peut le vouloir52. » Le débat autour du corporatisme
favorisait ce type d’analyses et poussait le philosophe Giovanni Gentile à
affirmer : « Un communiste est un corporatiste impatient53. » Tous suivaient les
mots d’ordre mussoliniens du troisième temps et de la marche vers le peuple. Le
plus philocommuniste des fascistes restait sans nul doute Romano Bilenchi.
Journaliste, il collaborait aux revues les plus contestataires (Il Selvaggio, Il
Bargello, L’Universale et Critica fascista). Les deux régimes portaient, selon lui,
la même ardeur révolutionnaire. « Nous ne croyons pas, martela-t-il, aux
révolutions qui ne font pas de morts et qui n’enterrent pas totalement le passé. »
De surcroît, la haine de la démocratie libérale exprimait celle de toute nostalgie :
« Nous jurons de haïr chaque démocratie […]. Il faut être fasciste dans le sens
vrai du mot qui doit signifier pour nous force innovatrice, destruction de toute
idée passéiste, de toute civilisation décadente, de toute religion inutile54. »
Cette inclination pour la révolution bolchevique reposait, on l’a compris, sur
l’exécration pour la démocratie libérale et bourgeoise et son frère jumeau le
capitalisme. L’emprise totalitaire du communisme sur les individus, son
radicalisme idéologique, son caractère impitoyable exerçaient aussi une réelle
fascination sur des esprits imprégnés de l’idée révolutionnaire. Les fascistes les
plus ultras voyaient bien les limites de leur propre révolution, les compromis,
voire les compromissions avec les forces conservatrices, les petits pas et les
prudences pour se détacher du passé, tous ces obstacles sur la route de la
régénération générale de l’homme et de la société. Cela dit, le fascisme
conservait son antibolchevisme originel qu’il ne pouvait sacrifier, sauf à se
renier. Les révolutionnaires de Mussolini mettaient donc en avant l’absence de
valeurs spirituelles du marxisme matérialiste qui ramenait l’homme à un objet
économique. Ils insistaient sur le fait que le régime soviétique, né en réaction au
capitalisme, en était en réalité le fruit. Seul le projet fasciste permettrait de
dépasser le capitalisme.
Ces idées rencontraient un grand succès chez les plus jeunes. N’ayant pas
connu la période du squadrisme, ils n’en avaient pas hérité de la virulence
antisocialiste et anticommuniste mais, abreuvés de fascisme, ils faisaient
profession d’un antilibéralisme vibrant. Trop jeunes pour se souvenir de l’Etat
libéral, ils n’en avaient aucune nostalgie. L’Italie fasciste demeurait leur seul
horizon et Mussolini leur guide. L’intérêt que suscitait chez eux l’expérience
soviétique venait de l’insatisfaction éprouvée devant un fascisme qui, après avoir
réalisé la révolution dans le domaine politique, la retardait depuis 1922 dans le
domaine social et économique.
La jeunesse se trouvait au centre d’une compétition entre Mussolini et l’aile
intransigeante du PNF. Dans l’immédiat après-guerre, le fascisme avait incarné
la révolte de toute une génération, celle qui refusait le piétinement des sacrifices
imposés par la guerre et qui se dressait contre les générations plus âgées. Comme
la Révolution française, celle du fascisme était une affaire de jeunes cadres. Tous
ses chefs étaient représentatifs de cette tendance puisqu’en 1922 Mussolini, du
haut de ses 39 ans, était le plus vieux de ses compagnons. L’âge moyen des chefs
locaux se situait autour de 30 ans55. La normalisation du mouvement
s’accompagna de mesures de discipline afin de renvoyer la plupart de ces jeunes
gens à leurs chères études, tandis que la réforme Gentile introduisait une sévère
et très bourgeoise sélection pour les lycées et les universités. Pour autant, la
dynamique révolutionnaire comme sa matrice idéologique, aussi confuse fût-
elle, interdisait au fascisme de se couper de la jeunesse dépositaire de l’esprit des
origines. Le pouvoir comme les grognards savaient que la pérennité du régime
passait par sa fascisation.
Dès le début du mouvement, un investissement particulier visa le milieu
étudiant autant pour y recruter des soldats du fascisme que pour susciter des
adhésions au projet politique et social. Les Groupes universitaires fascistes
(GUF) furent ainsi fondés dès mars 1920 et maintenus une fois Mussolini au
pouvoir, puis restructurés en 1927. L’Université dans son ensemble demeurait
peu fasciste, nous l’avons vu plus haut. Les professeurs courbaient certes
l’échine, non sans se gausser de la grossièreté des nouveaux maîtres, tandis que
l’adhésion idéologique des étudiants, n’ayant pas été endoctrinés depuis leur
plus jeune âge, restait sujette à caution. Avec le tournant de 1929, le contrôle
totalitaire de la jeunesse estudiantine prit un nouvel élan. Au printemps 1930, le
Grand Conseil se pencha sur une réforme des GUF et de la formation qui y était
dispensée. C’était d’autant plus nécessaire que commençaient à arriver à
l’Université les étudiants passés par les structures propagandistes. Le parti,
désireux de stimuler leur esprit et de satisfaire leurs besoins de débats,
maintenait au sein des GUF une certaine liberté d’expression tout en cherchant à
sélectionner les meilleurs. Cet état d’esprit se retrouvait dans les Littoriali. Mis
en place à partir de 1934, ces concours annuels permettaient aux étudiants de
s’exprimer sur des sujets variés, de la politique à l’art, avec la participation
d’artistes, d’écrivains et même de hiérarques du régime comme Bottai. Chaque
GUF procédait à une sélection de candidats qui se soumettaient à un exercice
écrit ou oral et sportif. Les vainqueurs participaient alors aux finales nationales
organisées chaque année dans une ville différente de la péninsule56. Le parti
comptait donc sur les GUF pour la formation d’une élite spécifiquement fasciste,
pour parachever le travail idéologique commencé au berceau. Néanmoins, le
régime ne pouvait se contenter des fidèles déjà convaincus. Il fallait s’emparer
de toute la jeunesse du pays. D’où la mise en place, le 8 octobre 1930, des
Faisceaux juvéniles de combat comme nous l’avons vu plus haut57.
Les jeunes, sous l’impulsion du PNF, pouvaient ainsi donner libre cours à
leur volonté de participer, à leur manière et à leur niveau, à la révolution fasciste.
Mussolini cherchait d’ailleurs à les convaincre que la construction de l’Italie
nouvelle, commencée en 1922, se poursuivait avec toujours plus d’élan et qu’il
avait besoin d’eux. Les GUF remplirent alors leur mission : ils fournirent au
parti 54 secrétaires fédéraux, 10 membres du directoire national, 2 secrétaires
généraux adjoints et un secrétaire général58. Pour autant, les critiques
estudiantines en direction du PNF ne manquaient pas, loin de là ! Gardes noirs
de la révolution, ils pourfendaient la bureaucratisation, la corruption, le
clientélisme et surtout l’embourgeoisement des dirigeants désormais assis sur
des positions confortables de petits marquis locaux59. N’ayant pas connu la phase
héroïque du squadrisme, ils trouvaient dans les revues « contestataires » le
contenu intellectuel pour entretenir la flamme et en Bottai, Ricci, Maccari des
maîtres à penser. Ils aspiraient à vivre à leur tour une époque de ruptures et
percevaient les contradictions internes du régime pris entre le dynamisme
inhérent à son message et les prudences gouvernementales, d’où leur ambition
de les dépasser.
Or, ils comptaient pour cela sur Mussolini. Le dictateur exerçait sur eux une
fascination sans limite. Les jeunes voyaient en lui le plus grand révolutionnaire
du XXe siècle et rejetaient sur le parti et ses hiérarques affadis les manques
comme les retards de la révolution fasciste. Bien sûr, le Duce entretenait ces
illusions avec toute la force de sa démagogie. Comme le fit plus tard Mao au
moment de la Révolution culturelle, les jeunes militants lui servaient de ferments
révolutionnaires et d’armes contre ses adversaires au sein de l’Etat et du parti
mais solidement tenus entre les mailles de son pouvoir. Le moment n’était pas
encore venu de lâcher la meute.
Remodeler l’homme
La révolution anthropologique se nichait au cœur du projet fasciste. Elle
trouvait ses racines tout d’abord dans la philosophie des Lumières qui, au nom
d’une vision mécaniste de l’homme, avait ouvert le champ à la tentation d’agir
sur lui en s’arrogeant le droit de le corriger pour en faire un être meilleur. De
l’amélioration, la Révolution française passa à la régénération. Par la suite, la
contestation des effets de la modernité sur les individus et sur les sociétés
européennes réalimenta cette volonté d’engendrer un type humain différent,
ambition que la Grande Guerre accentua. Mussolini appartenait pleinement à ces
courants. Il décrivait sa mission selon la métaphore de l’artiste. Lors de
l’inauguration de l’exposition d’art Novecento (XXe siècle) à Milan en mars 1923,
il déclara : « Je me sens de la même génération que ces artistes. Moi j’ai pris une
autre route ; mais je suis moi aussi un artiste qui travaille une certaine matière et
poursuit certains idéaux déterminés1. » On l’a compris, cette matière dont parlait
le dictateur, c’était l’être humain. Il précisa en 1932 son dessein : « Notre façon
de marcher, de nous habiller, de travailler, de dormir et tout l’ensemble de nos
habitudes quotidiennes doit être réformé. » Il ne s’agissait donc pas d’une
transformation physique proprement dite. Mais retenons dès maintenant que
l’exigence d’une perfection corporelle puis d’une préservation raciale prirent un
poids sans cesse plus déterminant. Dès que le régime se stabilisa dans la seconde
moitié des années 1920, les fondements de cette transformation anthropologique
furent posés. Il adopta sa vitesse de croisière après l’accélération de 1929,
prélude à celle de la fin des années 1930.
Si le communisme soumettait l’Etat au parti en le rabaissant au rang de
simple instrument pour la réalisation de l’utopie sociale comme un prélude à sa
disparition, le fascisme le plaçait au centre de son action. L’Etat était une fin en
soi, plaçant l’idéologie fasciste aux antipodes du libéralisme. Une formule
célèbre, prononcée par Mussolini le 28 octobre 1925 au théâtre de la Scala à
Milan, résume la statolâtrie fasciste : « Tout dans l’Etat, rien en dehors de l’Etat,
rien contre l’Etat. » Elle faisait écho à celle exprimée au XVIIIe siècle par le
physiocrate Nicolas Baudeau pour lequel « l’Etat fait des hommes tout ce qu’il
veut2 ». L’Etat avait préexisté à la nation italienne et en avait accouché. La
seconde ne pouvait exister sans le premier qui en était l’essence3. Il fallait
poursuivre l’œuvre interrompue après le Risorgimento, redonner à la nation sa
vitalité en s’appropriant les esprits des Italiens par tous les moyens à disposition.
Sur ce point, le fascisme ne divergeait guère des méthodes usitées en son temps
par la Révolution française : les fêtes, les images, la sémantique, le calendrier,
les mises en scène, l’école, autant d’instruments dont Rousseau avait déjà
préconisé l’usage afin de forger à la manière de Sparte un corps de citoyens
patriotes4. Mussolini y tenait beaucoup : « Chaque révolution crée des formes
nouvelles, des mythes et des rites nouveaux ; il faut utiliser et transformer
d’anciennes traditions. Il faut créer des fêtes, des gestes et des formes nouveaux,
pour qu’eux-mêmes deviennent à leur tour des traditions5. » Ce lien avec la
Révolution française n’échappa pas au journaliste français Henri Béraud. Le
peuple italien, écrivait-il en 1929, « sous forme d’autels de la Patrie, de tables de
la loi, d’emblèmes macabres, d’arbres du souvenir, de chœurs et de cortèges
civiques imite la Révolution française dans sa mystique, sa rigueur et son
pittoresque – tout en proclamant qu’il nettoiera 1789 comme un plat de rougets à
la livournaise6 ».
Parvenu à ce stade de la réflexion, il faut s’interroger sur la signification de
la notion de peuple dans le vocabulaire fasciste. Mussolini apporta en 1932 une
réponse sans ambiguïté :
Nous sommes, comme en Russie, pour le sens collectif de la vie ; c’est ce sens collectif que nous
voulons renforcer aux dépens de la vie personnelle. Nous n’allons pas jusqu’à transformer les êtres
humains en chiffres ; toutefois, nous les prenons essentiellement du point de vue de leur fonction dans
l’Etat […]. Oui, voilà ce que le fascisme veut faire de la masse : organiser une vie collective, vivre,
travailler et combattre en commun, dans une hiérarchie, sans être un troupeau7.
Une fois encore, c’était le modèle jacobin, totalement étranger au
libéralisme, qui fournissait les représentations idéologiques. Au lieu de
concevoir le « peuple » comme un ensemble d’individus autonomes, le fascisme
le ramenait à « une unité indifférenciée et monolithique exprimant une seule
indivisible volonté8 ». Le caractère prétotalitaire de la Révolution française
découlait de ce schéma cher à Rousseau et de son concept de volonté générale.
« Les bonnes institutions sociales, écrivait-il dans l’Emile, sont celles qui savent
le mieux dénaturer l’homme, lui ôter son existence absolue pour lui en donner
une relative, et transporter le moi dans l’unité commune9. » Le député girondin
Lanthénas l’avait de nouveau exprimé à sa façon le 9 août 1793 à la
Convention : « Je ne cesserai de crier à la République : “Tu es tout ; les individus
ne sont rien10.” » On trouvait donc déjà dans la France révolutionnaire les
prolégomènes de ce « phantasme de l’unité » caractéristique de tous les
totalitarismes, de cette volonté d’agglomérer sous la férule de l’Etat centralisé.
1789 avait marqué l’entrée fracassante des masses dans l’histoire, mais le refus
de la personnification du pouvoir avait alors empêché l’émergence d’un guide.
Le fascisme résolut cette contradiction en donnant un chef au peuple, en
assumant ce lien et même en l’institutionnalisant. Les grands rassemblements
publics pendant lesquelles l’individu se fondait concrètement dans la multitude
et écoutait le Duce-pédagogue démontraient « la puissance de la société unie
autour du pouvoir » et exprimaient mieux que n’importe quel slogan la fusion
entre le peuple, le chef et l’Etat11.
Ce qui importait, c’était le contrôle de cette foule qu’en réalité Mussolini
méprisait. Convaincu de son incapacité à se gouverner elle-même, il ne voyait
qu’un seul moyen de l’extraire de sa nature de « troupeau de moutons » :
l’enthousiasme et l’intérêt que seule suscitait la révolution, ce mot qui « produit
sur les masses un effet mystique » et « donne à l’homme moyen l’impression de
participer à un mouvement extraordinaire », comme il l’affirma à Emil Ludwig
en 1932 avant de conclure : « Toute la question consiste à maîtriser la masse
comme un artiste12. »
Répétons-le, la condamnation de la Révolution française ne concernait que
certains de ses aspects, comme l’individualisme, l’égalité, les droits de l’homme.
Le fascisme n’en était pas moins son fils prodigue qui avait hérité de la promesse
de salut propre au phénomène révolutionnaire. Il se présenta non seulement
comme l’unique moyen de réunir le peuple italien divisé par la société,
l’économie et le système parlementaire du monde bourgeois mais aussi comme
le dernier espoir d’enrayer la décadence mortelle de l’Italie. Comment ? En lui
imposant par la force son projet de modernité alternative.
Car le fascisme exprima une modernité. Mussolini tenait à cette
caractéristique qu’il exposa sans ambiguïté dans la Doctrine du fascisme de
1932 : « Les négations fascistes du socialisme, de la démocratie, du libéralisme
ne doivent toutefois pas faire croire que le fascisme veuille renvoyer le monde à
celui d’avant 1789 […]. On ne retourne pas en arrière. La doctrine fasciste n’a
pas élu comme prophète [Joseph] de Maistre13. » Certes, le régime entretint des
rapports complexes avec la modernité. D’un côté, il encensait les avancées
technologiques, utilisait les moyens de communication les plus innovants,
vantait le progrès et développait un programme de modernisation économique et
sociale, mais de l’autre il s’engageait dans une défense de la société rurale et des
mœurs traditionnelles, s’opposait à l’urbanisation et à tous les éléments
dissolvants qu’elle portait. L’exaltation du passé romain et la politique ruraliste
ont longtemps permis de nier le caractère moderne du fascisme et de le ranger
dans la catégorie des régimes conservateurs, voire réactionnaires, en un mot
d’extrême droite. Or, il ne correspondait ni au scepticisme du conservatisme sur
le changement ni à la nostalgie du passé de la réaction. Bien au contraire, ses
regards étaient tournés vers le futur. Mussolini regrettait d’ailleurs que le
philosophe Oswald Spengler réduisît le fascisme à une défense de l’ordre établi
et qu’il ne l’associât pas, comme il le confia lui-même, « aux rêves jacobins de
Robespierre, de Saint-Just […], les purs de la révolution militante14 ». En fait, la
contradiction entre poids du passé et projection vers le futur n’était qu’apparente.
Le fascisme revisitait l’histoire pour mieux construire son propre projet d’avenir
et réaliser son ambition totalitaire de domination absolue sur l’être humain qu’il
voulait transformer en un citoyen-soldat et producteur.
La romanité fasciste
Les rapports avec le passé romain illustrèrent parfaitement cette dualité. Dès
ses origines, le fascisme plongea ses mains dans l’héritage de la Rome antique
pour en extraire les valeurs, les références, les codes, les gestes dont il estimait
avoir besoin pour son combat politique. Mais le lien l’unissant à la romanité
dépassait le simple stade de l’inspiration pour se retrouver au cœur de son
idéologie et de ses pratiques, déterminant son positionnement sur les questions
politiques, économiques, sociales et culturelles. Les mythes de Rome et de
Mussolini furent les deux pilastres du régime.
L’invocation des mânes des ancêtres romains n’avait en réalité rien de
spécifique au nouveau régime. L’Italie libérale s’y était très largement adonnée,
suivant en cela l’exemple des pères fondateurs de l’unité, Mazzini au premier
rang. A la fin du XIXe siècle, le nationalisme donna une impulsion nouvelle au
culte de la romanité qui fournissait l’exemple même des valeurs que les
nationalistes cherchaient à exalter : la force, la conquête, la soumission des
peuples faibles ; tout cela au profit d’un programme impérialiste qui trouva son
expression en 1911 avec la guerre de Libye. Les autorités politiques ne se
privèrent pas d’évoquer à cette occasion la mission civilisatrice de Rome que la
colonisation contemporaine reprenait à son compte et de comparer les soldats
italiens à des légionnaires revenant sur les rivages des Syrtes. Puis, au moment
de la poussée interventionniste, D’Annunzio comme Corradini présentèrent
l’entrée en guerre comme la manifestation de l’éternel génie latin. Cette
sémantique romanisante correspondait au bagage intellectuel des classes sociales
élevées, imprégnées de culture classique et d’humanisme, notamment dans la
petite bourgeoisie dont on sait le rôle dans l’émergence du fascisme. Dans une
société plongée dans les turbulences de l’après-guerre, le mythe de Rome
évoquait un temps glorieux avec lequel il était possible de renouer dans le cadre
d’un Etat autoritaire et restaurateur de l’ordre15.
Mussolini ne tarda pas à récupérer ce précieux héritage. Faisceaux, licteurs,
duce, autant de termes permettant d’associer l’Antiquité aux références politico-
culturelles de l’extrême gauche italienne. L’influence de Margherita Sarfatti fut à
cet égard déterminante pour l’éclairer sur la puissance mobilisatrice de la
romanité, de ces mythes capables de donner à la politique ce capital d’émotions
que le futur dictateur jugeait indispensable pour faire vibrer les foules16. A partir
de 1921, il émailla ses discours de références au passé romain des Italiens. Très
vite, il voulut inscrire le fascisme dans le temps historique long en choisissant la
date du 21 avril – jour de fondation de Rome – comme la journée fasciste. Il
l’annonça dans un discours du 3 avril 1921 où il multiplia les allusions à la
« race latine » :
Si les socialistes ont le 1er mai, si les populaires ont le 15 mai, si les autres partis d’autres couleurs
ont d’autres journées, nous fascistes nous en aurons une : et c’est le Noël de Rome, le 21 avril. Dans ce
jour, dans ce signe de la Rome Eternelle, dans le signe de cette ville qui a donné deux civilisations au
monde et donnera la troisième, nous nous reconnaîtrons et les légions régionales défileront avec notre
ordre qui n’est pas militariste et encore moins allemand, mais simplement romain.
La romanité avait aussi un autre avantage : elle permettait d’intégrer le
catholicisme dans l’histoire nationale revisitée par le fascisme, au moment où
l’ancien « bouffeur de curé » mettait en sourdine son anticléricalisme viscéral. Il
ne devait donc pas y avoir de contradiction entre la Rome antique et celle des
papes. Mussolini tint donc à le préciser à la Chambre des députés le 1er décembre
suivant :
Nous fascistes, nous ne pouvons oublier que Rome […] a déjà été le centre, le cerveau, le cœur de
l’empire ; nous ne pouvons pas non plus oublier qu’à Rome […] s’est réalisé un des miracles religieux
de l’histoire, grâce auquel une idée qui aurait dû détruire la grande force de Rome a été assimilée et
convertie en doctrine de sa grandeur17.
Après la marche sur Rome – lointain écho du franchissement du Rubicon par
César –, le nouveau pouvoir s’attela à l’exploitation idéologique du patrimoine
latin. L’historienne française Catherine Brice en a très bien présenté les enjeux.
L’Antiquité permettait d’élaborer une religion civile, de fournir un modèle pour
l’Italien nouveau et d’exploiter le mythe d’un temps glorieux de la race
italienne18. Insistons ici sur un point capital : ni lamentation sur un âge d’or à
jamais révolu ni volonté d’imitation n’accompagnaient cette démarche politique.
Non seulement l’histoire romaine serait revue à travers le prisme du fascisme,
mais celui-ci en tirerait uniquement ce dont il avait besoin. Rome se retrouva
ainsi au cœur d’une reconstruction idéologique qui traçait une ligne interrompue
entre l’Antiquité et le fascisme. Selon ce schéma, la civilisation latine et surtout
ses vertus immuables avaient continué d’irriguer la péninsule siècle après siècle.
Tout ce que l’Italie avait connu de glorieux en découlait, la papauté, les
républiques maritimes, la Renaissance, le Risorgimento. De César à Victor-
Emmanuel II, d’Auguste à Cavour, le fil ne fut jamais brisé19. Le fascisme et
Mussolini en recevaient le précieux don qu’ils allaient porter au firmament pour
réparer les fautes de l’Italie libérale qui avait dilapidé le précieux héritage.
Rajoutons qu’une telle filiation permettait aussi de prendre ses distances avec la
monarchie qui plongeait ses racines dans un passé différent et plus récent.
Tout alla donc très vite. Comme Mussolini l’avait annoncé, la date du
21 avril devint en 1923 une fête officielle, celle du travail, destinée à remplacer
celle du 1er mai, trop socialiste et trop marquée par la lutte des classes. Cela
donnait une première idée de la représentation des Romains proposée par le
régime : celui d’un peuple laborieux attelé au dur travail de la terre. A plusieurs
reprises, de grands projets furent présentés officiellement un 21 avril (Manifeste
de Gentile, Charte du travail, etc.). Toujours attentif aux questions culturelles, le
pouvoir encouragea en 1925 la création d’un Institut national du drame antique
et de l’Institut des études romaines, alors que Giovanni Gentile, dans son
Manifeste des intellectuels fascistes, louait le lien inextricable entre fascisme et
romanité.
De toutes les vertus que le fascisme attribuait au modèle antique, la
discipline apparaissait comme la plus conforme à ses objectifs. Dans son
discours du 3 avril 1921 cité plus haut, Mussolini exposait les raisons de cette
« romanophilie » : « Parce que nous voulons précisément instaurer une solide
discipline nationale, parce que nous pensons que sans cette discipline l’Italie ne
peut pas devenir la nation méditerranéenne et mondiale qui est dans nos
rêves20. » Bottai lui fit écho dans un article de 1923 intitulé « Disciplina » dans
lequel il présentait les marches militarisées comme une des raisons du succès
fasciste. Le Duce avait une vision en réalité très négative du peuple italien qui,
un brin anarchisant, avait perdu ce sens de la discipline au fil du temps et
sombrait trop souvent dans le désordre, l’exubérance, le tohu-bohu. Un matin où
selon son habitude il scrutait les passants depuis sa fenêtre du palais de Venise, il
se tourna vers Starace et lui dit : « Mais vous ne voyez pas comme les Italiens
marchent mal ? Ils ont tous l’air estropié. Nous devons leur apprendre à marcher
droit21. » Les chemises noires avaient été le réceptacle des vertus romaines. La
mission de l’Etat fasciste était désormais de les diffuser à l’ensemble de la
société. C’était d’autant plus indispensable que pour Mussolini – et c’est le
second point de son discours – la mise au pas des Italiens conditionnait la
réalisation du projet expansionniste22. Aucune conquête ne s’avérait possible
sans leur transformation en légionnaires. La guerre d’Ethiopie servira de cadre à
la naissance de ce Romain de la modernité.
Cette omniprésence de l’histoire antique posait la question du régime auquel
le fascisme se référait. S’agissait-il de la république ou de l’empire ? A première
vue, la période impériale ne convenait guère puisqu’elle pouvait être amalgamée
à une époque monarchique de décadence et de dissolution, marquée par
l’orientalisation des mœurs. Non, le système républicain correspondait
davantage aux critères du fascisme car il avait porté à leur apogée les fameuses
vertus romaines, fait du paysan un soldat et soumis le citoyen aux exigences de
l’Etat23. Il n’avait en outre jamais été une démocratie et surtout il recelait des
mécanismes de dictature républicaine séduisants. La Révolution française, qui en
avait fait son modèle, ne s’y était d’ailleurs pas trompée. Cela dit, l’empire
correspondait à l’apogée de la domination romaine qui avait alors atteint un
stade universel et à une société stabilisée par un pouvoir fort et personnel. De
quoi plaire à Mussolini qui opéra une nouvelle synthèse entre les deux Rome,
jusqu’au moment où la guerre d’Ethiopie et la nouvelle accélération totalitaire
firent définitivement pencher la balance en faveur de l’empire.
Tout était prétexte à exploitation propagandiste. Le régime ne laissa donc pas
passer les occasions offertes par le calendrier de commémorer en 1930 le
bimillénaire de la naissance de Virgile, historien de la grandeur de Rome et
chantre de la ruralité, puis en 1935 celui d’Horace, poète de la cité et de ses
dieux, et enfin en 1937 (un an après la conquête de l’Ethiopie) celui d’Auguste,
protecteur des deux précédents, restaurateur de la paix civile et maître de
l’empire universel. Une Exposition augustéenne de la romanité fut organisée à
cette occasion qui eut un succès considérable, au-delà même des frontières de
l’Italie24. Mussolini utilisa aussi sans vergogne sa propre famille à ses fins
idéologiques. Ainsi entoura-t-il la naissance en 1927 de son troisième fils d’un
halot de romanité. Son épouse Rachele fut priée d’accoucher à la Villa Carpena,
propriété acquise en 1914 dans la campagne profonde de la Romagne familiale,
telle une matrone obéissante et prolifique, donnant au pater familias un bon
garçon opportunément prénommé Romano. Ce prénom connut d’ailleurs un
grand succès dans les familles italiennes, concurrençant les Italo et autres
Romolo !
La romanité fasciste ne correspondit jamais à la réalité historique, et en
vérité cela importait peu puisque ce qui comptait, c’était l’utilisation de
l’héritage et pas son contenu exact. Gardons-nous de jeter un regard méprisant
sur cette entreprise tout à fait sérieuse et d’en sous-estimer les effets politiques.
Elaborée à l’aide de l’environnement culturel de l’Italie, de moyens
propagandistes performants et des structures de l’Etat totalitaire, elle permit au
régime et à son chef de favoriser le consensus de la population autour d’eux.
Tous à la campagne !
Plusieurs éléments poussaient le fascisme sur la voie de l’exaltation du
monde rural traditionnel. Les paysans, formant la masse des conscrits pendant la
Grande Guerre, avaient joué un rôle d’autant plus capital dans les combats que
les ouvriers apparaissaient comme des « embusqués » socialistes et grévistes.
L’hostilité au monde urbain et industriel, ventre de toutes les corruptions morales
et politiques, donnait par contrecoup à la civilisation rurale une valeur de
protection de l’Italie éternelle, voire de rédemption. Cet engouement pour les
champs dérivait aussi en grande partie de la romanité fasciste qui, nous l’avons
vu, alimentait l’idéologie du régime mussolinien. Le légionnaire romain n’était-
il pas avant tout un paysan vertueux travaillant avec constance sa terre, toujours
prêt à prendre les armes pour défendre la Cité ? Tout était donc lié, la terre, la
patrie et l’Etat. A cela s’ajoutaient les ravages de la crise de 1929 dans laquelle
les fascistes voyaient les méfaits du capitalisme. La bataille du blé, lancée à
grands coups de propagande en 1925, avait donné des fruits satisfaisants
(81 millions de quintaux produits), aptes à justifier la politique ruraliste. Au
début des années 1930, le gouvernement donna un nouvel élan au programme de
bonification intégrale des terres toujours piloté par Arrigo Serpieri, sous-
secrétaire d’Etat à l’Agriculture.
La loi du 13 février 1933 prévoyait la bonification de près de 5 millions
d’hectares dans l’ensemble du pays, avec une prédilection pour les marais
Pontins élevés au rang de symbole de cette vaste entreprise. L’Italien fasciste
reprenait ainsi le combat des Romains contre les espaces sauvages. Comme le
communisme soviétique, le fascisme voulait dompter la nature et la soumettre à
sa volonté. Une fois aménagées, ces terres reçurent des familles de colons.
Serpieri entendait y privilégier le métayage qui permettait à ses yeux cette
coopération entre le capital et le travail chère au fascisme et la disparition des
braccianti, moteur de toutes les contestations sociales et politiques. De fait, le
nombre de salariés agricoles tomba à 3 millions en 1936 contre 4,5 millions en
192141.
Preuve s’il en était besoin que cette politique ne relevait pas du pur
opportunisme, voire du soutien caché aux grands propriétaires fonciers grands
consommateurs de main-d’œuvre agricole, l’engouement de plusieurs
intellectuels fascistes pour cette politique ruraliste. On les trouvait réunis autour
de la revue Il Selvaggio et du courant strapaese. Antibourgeois et
révolutionnaire, ce mouvement dont les figures de proue étaient le caricaturiste
de talent Mino Maccari et l’écrivain Curzio Malaparte vitupérait la modernité
américaine et protestante au profit d’un retour à la terre et à la civilisation
agricole. Strapaese prit la défense des traditions folkloriques des régions
italiennes, d’où son engagement en faveur de la préservation des bourgs et des
centres médiévaux que le régime rasait. Il s’opposait ainsi frontalement à un
autre courant littéraire, stracittà, qui lui, au contraire, œuvrait à la réconciliation
totale du fascisme avec le monde moderne42.
N’imaginons pas qu’en dehors de l’Italie on se gaussait de cet anachronique
retour à la terre. Bien au contraire, dans un monde ravagé par la crise
économique, le ruralisme fasciste apparut comme une solution tout à fait
sérieuse et pertinente, offrant un modèle de développement alternatif crédible.
Cela dit, les résultats n’atteignirent pas les espoirs des autorités. L’économie
agricole italienne souffrait beaucoup de la grande dépression, des bas prix des
produits, des insuffisances de la production d’où le recours aux importations. Les
conditions de vie dans les campagnes demeurèrent très précaires, voire
dramatiques. La paysannerie méridionale devait se contenter d’une seule pièce
pour vivre, y compris avec les animaux comme c’était le cas en Sicile. Nombre
de villageois ne sortirent jamais de la misère, des habitats insalubres, sans
confort, sans eau courante ni électricité. Il suffit de lire la série des Don Camillo
écrite par Guareschi juste après la guerre pour se rendre compte de la misère
profonde dans laquelle les paysans du nord de la péninsule vivaient encore. La
seule solution restait les migrations saisonnières, l’exode rural dans les grandes
villes industrielles et l’immigration à l’étranger, ces plaies contre lesquelles le
fascisme s’échinait à lutter43. La distorsion entre les objectifs et la propagande
d’un côté, et les réalités économiques et sociales de l’autre devint abyssale.
L’art n’échappe pas au fascisme
La pratique totalitaire du régime fasciste soumettait l’ensemble des activités
humaines à sa révolution anthropologique. Le sport s’occupait du corps, le PNF,
via l’école et la propagande, de l’esprit. Quant à l’art, on attendait de lui un
décor dans lequel l’Etat pût modeler l’homme nouveau, un environnement dans
lequel les individus s’imprégneraient du message idéologique.
Disons d’emblée que rien ne fut plus complexe que la politique culturelle du
fascisme. Deux points sont à relever. Le premier concerne la différence de
traitement entre les différents arts visuels. Les historiens opèrent généralement
une distinction entre d’un côté les arts « nobles » – la peinture, la sculpture,
l’architecture – qui bénéficiaient d’une autonomie leur permettant d’échapper à
la mission d’endoctrinement et de l’autre le cinéma et la radio placés sous le
contrôle de la propagande. Comme nous allons le voir, cette vision exige
quelques nuances. S’il est certain que plusieurs personnalités influentes dans le
monde artistique comme Marinetti, Bottai ou Margherita Sarfatti combattaient
l’idée d’un art d’endoctrinement, la haute culture n’échappa pas à l’emprise
totalitaire pour autant44.
Second point : les conceptions de Mussolini en matière d’art. A priori, il se
montrait hostile « à toute idée d’encourager quelque chose qui ressemblerait à un
art d’Etat » en considérant que « l’art [appartenait] à la sphère de l’individu »,
comme il l’indiqua en mars 1923. Pourtant la dynamique totalitaire reprit vite le
dessus. Trois ans plus tard, en 1926, dans un discours prononcé pour
l’inauguration de l’Académie des beaux-arts de Pérouse, il exprima sa volonté de
voir les artistes élaborer un art nouveau – c’est-à-dire fasciste – qui fût
« traditionaliste et en même temps moderne ». La revue de Bottai Critica
fascista s’engouffra alors dans la brèche pour organiser un débat entre
octobre 1926 et février 1927. Ces hésitations comme ces pressions
contradictoires expliquent en grande partie les oscillations du pouvoir à l’égard
des artistes, l’absence de toute ligne claire et les différences avec la situation en
Union soviétique et au sein du Troisième Reich45. Pour résumer, les artistes
disposèrent dans l’Italie mussolinienne d’une certaine liberté de création mais
dans un cadre défini par l’Etat.
Loin d’être aculturel ou anticulturel, le régime fasciste pratiquait une
politique culturelle très active et exerça une attraction très forte sur les artistes et
les intellectuels. L’Etat, en les encourageant, cherchait à donner une dimension
internationale à la culture italienne régénérée par le fascisme. Rappelons qu’il y
eut, pendant le Ventennio, cinq éditions de la Biennale de Venise, une exposition
d’architecture à Rome en 1931, la très célèbre Exposition de la révolution
fasciste de 1932, deux expositions d’arts décoratifs à Gênes (1934) et à Rome
(1935). De plus, le fascisme ne rejetait pas des expressions artistiques de son
temps et ne fulmina pas de condamnations contre le cubisme, l’expressionnisme
et l’abstraction géométrique. Il offrait aux artistes non seulement des mythes
dans lesquels puiser leur inspiration mais aussi une position d’élites au sein de la
nouvelle hiérarchie sociale. Pragmatique dans son approche de l’art, le pouvoir
ambitionnait de toucher tous les publics – totalitarisme oblige ! –, ce qui
l’obligeait à laisser s’épanouir tous les talents et tous les styles46. A condition
toutefois de rester dans la ligne italo-romaine. On veillera donc à ne pas
présenter la haute culture comme immunisée et autonome par rapport au dessein
idéologique. Le fascisme sut parfaitement l’utiliser pour légitimer son action à
l’intérieur comme à l’extérieur des frontières.
A cet égard, un événement politico-artistique eut un retentissement
considérable, l’Exposition de la révolution fasciste de 1932. Organisée pour
célébrer les dix ans de la prise du pouvoir, elle fut opportunément inaugurée le
28 octobre à Rome dans le palais des Expositions de la via Nazionale. La façade,
jugée trop « giolitienne », subit une transformation radicale dans le plus pur style
fasciste. A l’intérieur, le visiteur suivait un parcours chronologique le long de
treize salles décrivant à l’aide de diverses œuvres d’art, de documents
historiques, de photographies, l’histoire de l’Italie depuis l’époque de
l’interventionnisme revue par le fascisme. Le circuit s’achevait par la salle
Mussolini et débouchait enfin sur le sanctuaire des martyrs où le visiteur-fidèle
venait vénérer le souvenir de ceux qui étaient tombés pour la cause sacrée. Cette
entreprise de fascisation de l’histoire nationale rencontra un succès considérable.
Alors que l’Exposition devait se clore le 21 avril 1933, elle ne ferma ses portes
que le 28 octobre 1934, permettant ainsi à près de 4 millions de personnes de la
visiter, avec la ferveur de pèlerins. Car c’était bien là le but : donner à cette
manifestation un caractère religieux, en faire un « temple » de la révolution
fasciste47. Elle suscita en outre l’intérêt des artistes et des intellectuels étrangers
que le régime chercha à exploiter48.
Modernité oblige, le fascisme ne négligea pas les puissants moyens de
communication de masse que représentaient la radio et le cinéma grâce auxquels,
pensait le Duce, « la révolution [avait] la possibilité d’influer sur la naissance et
l’affirmation de notre culture49 ». Au début des années 1920, en Italie comme
ailleurs, la radio dominait le paysage médiatique. Le 27 août 1924, un décret
royal créait une société mixte de diffusion radiophonique, l’URI, qui fut
transformée le 15 janvier 1928 en EIAR (Ente italiano per le audizioni
radiofoniche) bénéficiant d’un monopole des transmissions. La présence de
quatre délégués gouvernementaux et d’Arnaldo Mussolini à la vice-présidence
assurait un contrôle que le gouvernement voulait subtil. Les thèmes exaltaient la
romanité, le catholicisme romain, le corporatisme, le patriotisme, etc. L’émission
inaugurée en février 1930 « Condottieri e maestri » se chargeait de l’exaltation
des grandes et exemplaires figures du passé italien. La littérature, l’art, la
musique n’étaient pas oubliés, tandis que le temps accordé au journal radio ne
cessait d’augmenter, passant de 10,10 % des heures de transmissions en 1932 à
21,50 % au début de 193450.
A cette époque, les effets de la première radicalisation totalitaire se firent
aussi sentir à la radio. En 1934, Mussolini confia la direction de l’EIAR à
Giancarlo Vallauri, un très brillant ingénieur, officier de marine spécialiste des
communications radio et professeur à l’Ecole polytechnique de Turin depuis
1926. Sous sa direction, la radio d’Etat se modernisa en profondeur. Mais cela
allait de pair avec son asservissement au gouvernement qui, le 26 septembre
1935, la plaça sous l’autorité du nouveau ministère de la Presse et de la
Propagande. Le transfert du journal-radio de Turin à Rome eut à cet égard valeur
de symbole. Un an plus tard, le nombre de représentants de l’Etat passa de quatre
à sept dont l’un désigné par le PNF. Le régime ne cessa de multiplier les stations
de transmission dans la plupart des grandes villes, mais se heurtait à la pauvreté
des régions méridionales où la possession d’une radio relevait d’un luxe
inaccessible. Pour mieux pénétrer les couches populaires, il eut recours aux
écoutes dans les salles de classe qu’il dota de postes ainsi que dans les
entreprises, sans jamais pouvoir combler le déficit d’écoute du Sud par rapport
au Nord.
En ce qui concerne l’image, vecteur puissant d’infiltration propagandiste, le
fascisme ne laissa pas passer l’occasion d’utiliser le cinéma alors en plein essor,
et ce fut bien lui qui fit de l’Italie un des grands centres de productions
cinématographiques. Près de 700 films furent produits pendant le Ventennio
mais, sauf exception, leur audience ne dépassa pas les frontières de la péninsule,
contrairement à ceux réalisés dans l’après-guerre, par les « monstres sacrés » du
cinéma italien, dans l’ambiance de l’antifascisme triomphant. D’où l’idée que le
grand cinéma italien serait né sur les cendres du régime. A l’inverse, les fascistes
aimaient présenter l’œuvre cinématographique mussolinienne comme une
création ex nihilo. En vérité, ces deux allégations sont fausses.
Le cinéma italien naquit au début du XXe siècle autour de plusieurs sociétés
de production comme la Cines ou l’Itala, et pouvait s’enorgueillir d’un chef-
d’œuvre du muet devenu un classique, Cabiria, réalisé par Piero Fosco (alias
Giovanni Pastrone) et projeté en 1914 à Turin. L’influence nationaliste se faisait
déjà sentir dans plusieurs créations. D’Annunzio participa au scénario de
Cabiria, tandis que son propre fils dirigea l’adaptation à l’écran de son roman à
la gloire de la puissance maritime italienne, La Nave51. La guerre porta au
cinéma un coup qui aurait pu lui être fatal. Il fallut attendre l’introduction du son
dans La Canzone dell’amore (1930) et l’investissement du régime pour assister à
une renaissance. Certes Mussolini riait aux éclats devant les films de Laurel et
Hardy. Mais si les facéties des deux comiques américains l’amusaient, sa
cinéphilie ne dépassait pas le cadre du spectateur « bon public52 ». Ce n’était pas
le cas de son fils Vittorio, de Bottai ou de son gendre Galeazzo Ciano, nommé en
1934 sous-secrétaire d’Etat pour la Presse et la Propagande, mais aussi de
professionnels, d’hommes d’affaires et de producteurs avisés, bien décidés à
relancer la machine cinématographique.
L’Etat leur apporta une aide considérable en taxant, à partir de 1931, les
films étrangers. Car, on s’en doute, les œuvres hollywoodiennes inondaient déjà
le marché italien et concurrençaient les productions locales. Les autorités
soutinrent aussi la naissance en 1932 de la Mostra de Venise, grande compétition
internationale qui imitait les Oscars américains créés en 1929. Lors de la
première édition, le film en compétition de Mario Camerini, Les Hommes quels
mufles !, révéla au grand public un jeune et prometteur acteur, Vittorio De Sica.
A partir de 1934, la coupe Mussolini, ancêtre du Lion d’or, récompensa la
meilleure œuvre. Le succès fut tel que la Mostra devint annuelle à partir de 1935
et que, deux ans plus tard, un palais du cinéma sortit de terre sur le Lido pour
accueillir les projections et le public.
Le paradoxe du cinéma italien sous le fascisme résidait dans son faible
contenu idéologique, alors même qu’à partir des années 1930 le contrôle étatique
se fit plus fort et que Mussolini se lançait dans une concurrence frontale avec les
Etats-Unis. En 1934, en effet, Ciano confia la direction générale de la
cinématographie à Luigi Freddi, un futuriste et ancien squadriste. Proche du
Duce et bon connaisseur des questions de propagande au sein du parti, il
contribua, l’année suivante, à la mise sur pied du Centre expérimental de la
cinématographie, et quand un incendie détruisit les studios de la Cines, il
participa de près au projet de Cinecittà, le temple du cinéma italien, l’une des
grandes réussites du pouvoir fasciste. Son surnom d’Hollywood sur Tibre n’était
pas usurpé. Le régime comptait bien faire de ce vaste ensemble de studios la
ville du cinéma italien et fasciste, le cœur vibrant de la production
cinématographique, l’astre lumineux du 7e art le plus moderne. Mussolini en
personne vint en poser la première pierre, le 26 janvier 1936. Les travaux
avancèrent rapidement puisque le 28 avril 1937, il revint pour l’inauguration !
Cinecittà répondit aux attentes mises en elle. Non seulement près de 300 films
sortirent de ses studios dont 70 rien que dans la première moitié de 1943, mais
elle accueillit la nidation du talentueux cinéma de l’après-guerre.
L’erreur serait en effet de caricaturer les œuvres produites. En vérité, seule
une petite douzaine de films s’apparentait à de la propagande plus ou moins de
bon goût. En 1931, Alessandro Blasetti, dans Terra madre, exaltait la vie à la
campagne pour mieux déprécier les corruptions urbaines, dans la droite ligne du
ruralisme. Il y eut même des réminiscences du cinéma soviétique dans son 1860,
louange tournée en 1934 à la gloire de Garibaldi et d’un Risorgimento populaire
d’où la monarchie avait curieusement disparu. L’œuvre la plus apologétique de
Blasetti restait néanmoins Vecchia guardia (1935), une exaltation de la marche
sur Rome et des combats des noirs contre les rouges qu’Hitler, dit-on, apprécia
beaucoup53. Un an après la fin de la guerre d’Ethiopie sortit sur les écrans
Scipione l’Africano (1937) de Carmine Gallone, pour glorifier la victoire de
Rome sur Carthage. Il le fit tellement bien qu’il reçut la coupe Mussolini à
Venise ! Mais le public ne fut que rarement au rendez-vous. Car les Italiens
tournaient davantage leurs regards vers les œuvres américaines, les films
d’action ou de divertissement. Ils admiraient les acteurs d’Hollywood à tel point
que des concours du meilleur sosie de Greta Garbo, idole des années 1930,
étaient organisés. Ce fut d’ailleurs ainsi que la mère de Sofia Loren, Romilda
Villani, réussit une percée éphémère dans le monde du grand écran. Mussolini
avait parfaitement conscience des goûts de spectateurs. Ainsi veilla-t-il à ne pas
les braquer par des œuvres de grossier matraquage. La propagande tenait
solidement en main les documentaires et les informations grâce à l’institut Luce
fondé en 1924, beaucoup moins le travail des cinéastes.
Ainsi, contrairement à la légende, le néoréalisme, véritable révolution
esthétique née en Italie, ne surgit-il pas des ruines du fascisme mais de ses
studios. On le sent déjà présent dans Treno popolare de Raffaello Matarazzo,
tourné en extérieur avec peu de moyens sur des thèmes de la vie quotidienne et
dont la musique fut signée par un débutant, le jeune Nino Rota. Même pour
certaines œuvres de Blasetti comme 1860 ou dans celle d’Augusto Gennina
L’Assedio dell’Alcazar (le siège de l’Alcazar, haut fait d’armes de la guerre
d’Espagne) sorti en 1940, les méthodes de tournage annonçaient celles du
néoréalisme. En outre, les futurs grands cinéastes italiens firent leurs premières
armes à cette époque, comme Luchino Visconti écrivant dans la revue Cinema
dirigée depuis sa création en 1936 par Vittorio Mussolini, lequel présidait aussi
une maison de production dans laquelle travaillait Federico Fellini. Quant à
Roberto Rossellini, il signa pendant le Ventennio trois de ses œuvres, La Nave
bianca (1941), Un pilota ritorna (1942) et L’Uomo della croce (1943) en
utilisant déjà les modes de fonctionnement du néoréalisme54.
Rome fascisée
Le Mussolini socialiste n’avait jamais caché la répulsion que Rome lui
inspirait : ville des papes et de l’obscurantisme, cité ankylosée d’où la monarchie
de Savoie avait prudemment exclu les industries et les masses ouvrières, capitale
d’un Etat centralisé et autoritaire, peuplée de fonctionnaires serviles, de
prostituées et de prêtres ; bref, « un foyer d’infection nationale » selon ses
propres mots. Or, la récupération politique de la romanité l’obligea moins à
réviser son jugement qu’à porter un intérêt nouveau pour l’Urbs. Puisque le
fascisme révolutionnait le pays dans sa totalité, la capitale non seulement ne
pouvait y échapper mais en plus devait devenir une vitrine de l’Italie nouvelle où
le régime inscrirait dans la pierre son œuvre et son éternité. Certes, la romanité
fasciste obligeait Mussolini à s’intéresser de près aux monuments antiques. Mais
pas plus qu’une Rome de carton-pâte, la ville ne deviendrait un musée à ciel
ouvert. La modernité fasciste, tournée vers l’avenir, l’interdisait.
Le coup d’envoi fut donné à l’occasion de la remise de la citoyenneté
romaine au chef du gouvernement, le 21 avril 1924. Mussolini en profita pour
exposer les grandes lignes de son projet architectural et brosser le portrait de la
Rome du futur. Elle devait être à la fois extraordinaire et fonctionnelle, reflet de
sa propre grandeur et en même temps pourvue de logements et de voies de
communication modernes. L’objectif était simple : « Il [fallait] créer la Rome
monumentale du XXe siècle55. » Un an plus tard, il précisa sa pensée et, toujours
pressé, fixa une échéance :
Mes idées sont claires, mes ordres sont précis. Je suis certain qu’ils deviendront une réalité concrète.
Dans cinq ans, Rome devra émerveiller le monde entier : vaste, ordonnée, puissante, comme elle le fut
au temps du premier empire d’Auguste […]. Vous dégagerez tout autour du mausolée d’Auguste, du
théâtre de Marcellus, du Capitole, du Panthéon. Tout ce qui y a crû au long des siècles de la décadence
doit disparaître.
Pour ce faire, le dictateur réorganisa les autorités municipales, supprima en
janvier 1926 la fonction élective de maire au profit d’un gouverneur nommé par
ses soins et qu’il recruta toujours, sauf exception, dans l’aristocratie romaine,
tout en confiant les fonctions techniques à de véritables professionnels des
questions urbanistiques. Passionné par l’architecture, Mussolini suivit de très
près le dossier de la transformation de Rome à coups de directives péremptoires.
Tout d’abord, puisque le fascisme n’était pas imitation mais renouvellement,
il fallait définir un style qui lui fût propre. Ce ne fut pas une mince affaire à
cause de la violente querelle qui depuis 1928 opposait d’un côté les adeptes
d’une architecture dite rationaliste, très moderne, aux lignes droites et qui faisait
la part belle aux immenses baies vitrées, et de l’autre les défenseurs d’une vision
plus traditionnelle grande consommatrice de colonnades et d’arcades. Les
rationalistes finirent par perdre la bataille au profit des traditionalistes forts de
leurs liens avec la romanité56. A partir de 1931, la figure dominante de la scène
architecturale italienne fut Marcello Piacentini. Chef de file du courant classique,
il entretenait des liens distants avec le fascisme auquel il n’adhéra qu’en 1932. Il
n’en devint pas moins l’inventeur d’un style néoromain dit du licteur, habile
fusion entre les deux tendances architecturales destinée à matérialiser dans la
pierre la néoromanité. L’usage immodéré des colonnes et des arcs maintenait le
lien avec l’Antiquité, tandis que les lignes droites et sévères des bâtiments
correspondaient à la rigueur du fascisme. Cela dit, comme toujours avec les
artistes, le régime leur laissait une marge de manœuvre qui se limitait à
l’impératif de donner à leurs œuvres un caractère moderne.
Ensuite, le fascisme devait s’approprier un espace qui lui appartiendrait en
propre, sans résidus médiévaux ou, pire, de la période libérale, et dont il ferait le
cœur battant de l’Italie régénérée. Il jeta son dévolu sur la zone centrale
comprise entre le palais de Venise avec la place lui faisant face, le Vittoriano,
avec la tombe du soldat inconnu et le Capitole près duquel fut érigé en 1926 un
autel aux martyrs du fascisme57. Une question immédiate se posait : que faire des
monuments que l’histoire avait accumulés dans ce secteur restreint et désormais
encombré ? Dans les années 1920, deux tendances prévalaient. La première
entendait maintenir les lieux de pouvoir au cœur de l’Urbs et, pour ce faire,
rêvait de construire un gigantesque forum de style impérial avec de longs
portiques s’étendant de la place du Panthéon jusqu’à la place Colonna. La Rome
médiévale n’y aurait pas survécu. La seconde, quant à elle, épargnait la vieille
ville en déplaçant les centres directionnels dans des cités nouvelles créées à la
périphérie de Rome. Piacentini lui avait apporté une large contribution mais déjà
le Duce, lancé avec frénésie dans son œuvre urbanistique, perçait, détruisait,
éventrait pour construire les deux grandes avenues qui, partant de la place de
Venise, rejoignaient l’une le Colisée (via dell’Impero) et l’autre le Tibre (via del
Mare). Afin d’ouvrir l’espace entre la place de Venise et le cours Victor-
Emmanuel II, une église du XVIe siècle fut abattue sur le Largo Argentina, et il
s’en fallut de peu que les quatre élégants temples qui y furent découverts ne
subissent le même sort. La nouvelle aire, inaugurée le 21 avril 1929 après à
peine trois ans de travaux, offrait aux Romains l’expression visuelle du projet
mussolinien : « améliorer la circulation, préserver et “libérer” les monuments
antiques jugés emblématiques d’un passé glorieux, sans aucune considération
pour des constructions mineures et en menant les opérations rondement58 ».
Le même esprit présida au percement de la via dell’Impero (aujourd’hui via
dei Fori Imperiali) qui courait le long du vieux forum républicain et des forums
impériaux afin de permettre les défilés militaires d’inspiration romaine dont le
régime était friand. L’inauguration eut lieu dès 1932. Il en fut de même pour
l’aménagement du quartier depuis le Capitole jusqu’au théâtre de Marcellus. On
rasa les vieilles habitations, on déplaça une église et on dégagea les temples du
forum Boarium le long du Tibre. La via del Mare, qui structurait désormais cet
espace, devait rejoindre, comme son nom l’indique, la mer et le port d’Ostie afin
de matérialiser l’extension de la ville vers le sud. D’autres avenues ouvrirent de
larges perspectives : la via dei Trionfi du Colisée au cirque Maximus, la via del
Circo Massimo le long de la colline de l’Aventin, la via Rinascimento entre le
Tibre et le cours Victor-Emmanuel II et enfin la via della Conciliazione, percée
sur la destruction du labyrinthique quartier du Borgo pour relier le Vatican au
fleuve. Dans ce grand chamboulement, plusieurs reliquats antiques ne
survécurent pas davantage que les bâtiments médiévaux, comme la colline de la
Velia définitivement arasée ou la Meta sudans, vestiges de la fontaine antique
aux pieds du Colisée détruite pour faciliter les défilés militaires59, preuves s’il en
était besoin du caractère idéologique et non archéologique ou muséologique du
projet. Mussolini n’éprouvait aucune gêne à détruire un patrimoine ne se prêtant
à aucune utilisation de propagande. Palais ou églises, rien ne devait gêner
l’avancée des bulldozers du fascisme. A l’inverse, le dégagement des
monuments conservés répondit à des critères scientifiques rigoureux. Tous ces
travaux héritaient d’un intérêt historique déjà présent au sein des élites libérales.
Victor-Emmanuel III n’avait pas attendu le Duce pour s’intéresser de près à
l’archéologie et aux fouilles du vieux forum. Mais le fascisme donna à ces
réaménagements, qui font aujourd’hui le bonheur de l’homo turisticus, un
caractère inédit. La Rome semée de ruines qu’avaient tant aimées les
Romantiques au XIXe siècle n’existait plus. Certes, une partie des quartiers
médiévaux survécut dans le champ de Mars. Il n’empêche que Mussolini
remodela la cité pour en faire la ville du fascisme bâtie autour des vestiges de la
Rome impériale rendue à la lumière. Le temps n’était plus aux rêveries mais à
une admiration pour l’œuvre des empereurs bâtisseurs et de leur successeur…
Le plan régulateur adopté en 1931 confirma ce qui était déjà lancé mais
donnait aussi des perspectives d’avenir sur le très long terme. Il traçait en fait les
contours de ce que devait être la Rome de la fin du XXe siècle en termes de
percements de grandes avenues au centre de la ville ou de constructions de
quartiers à la périphérie. Beaucoup de ces idées ne virent pas le jour faute de
temps, mais aussi à cause des changements de cap imposés par le maître de
l’Italie. Toutefois, le régime eut tout de même l’occasion de faire sortir de terre,
sous la direction de Piacentini, plusieurs bâtiments très représentatifs. La Cité
universitaire construite dans le quartier du Castro Pretorio ou le ministère des
Corporations portaient la marque de l’Haussmann de Mussolini. Le cas du palais
Littorio, destiné à accueillir le siège du PNF, fut représentatif du manque de
continuité dans les projets. En 1934, les autorités organisèrent un grand concours
auquel participèrent les architectes italiens les plus prometteurs. Le cahier des
charges prévoyait un immeuble de très grande taille, massif, capable d’accueillir
la bureaucratie du parti, mais aussi l’Exposition de la révolution fasciste et
l’autel des martyrs fascistes. Puisqu’à l’origine le bâtiment devait se trouver au
débouché de la via Cavour vers le Colisée, un imposant balcon était prévu pour
permettre au Duce d’assister aux défilés sur la via dell’Impero. La proximité du
palais de Venise posait néanmoins un problème de concurrence, puisque le siège
du PNF devait refléter sa subordination à l’Etat et au Duce. Avant même le
lancement du concours, Mussolini entendait donc lui choisir un autre
emplacement. Il envisagea d’abord le long du viale Aventino, déjà plus excentré,
avant de se rabattre en 1937 sur le forum Mussolini, au nord-est de la ville.
Certes, cet ensemble monumental ne manquait pas d’envergure, d’autant qu’il
exprimait les ambitions architecturales et idéologiques du fascisme. Le siège du
parti était ainsi intégré aux installations sportives du forum où le régime forgeait
l’homme nouveau. Le Duce associait dans un même espace « le centre d’où
provient et se diffuse l’esprit de l’idée fasciste et la palestre où la nouvelle
jeunesse d’Italie fortifie son corps pour la plus grande gloire de la Patrie60 ». Le
transfert avait aussi un autre avantage : le PNF se retrouverait de fait à la limite
extrême de la ville, bien loin des centres du pouvoir étatique. Les travaux
commencèrent aussitôt pour faire surgir de terre un palais massif et écrasant, aux
formes carrées et austères, accompagné de la tour Littoria et de l’autel des
martyrs. Or en 1940, nouveau virage à 180 degrés ! Le bâtiment changea de
destinataire. Au lieu du PNF, ce serait le ministère des Affaires étrangères. On
renonça donc à la tour et à l’autel au profit d’un bâtiment dépouillé de ses
attributs partisans, achevé en 1943, et que les historiens connaissent bien
puisqu’il accueille toujours aujourd’hui le même ministère et ses archives…
Entre-temps, il est vrai, un autre et non moins ambitieux projet vola la
priorité à tous les autres, celui de l’E42. Il tirait son nom de l’Exposition
universelle qui aurait dû se tenir à Rome en 1942. Mussolini en tira prétexte pour
réaliser une idée qui lui tenait à cœur : l’extension de la ville vers la mer et sa
connexion avec Ostie. Il choisit un vaste espace dans la périphérie méridionale
pour accueillir la future manifestation et confia en 1937 à un groupe
d’architectes, sous la direction de l’incontournable Piacentini, la mission de
construire un complexe de bâtiments destinés à éblouir le monde entier. A la fois
zone d’habitations, de culture (musées, expositions) et d’administrations diverses
dont les archives d’Etat, l’E42 avait vocation à durer dans le temps, et sur ce
point l’objectif fut atteint puisque le quartier existe toujours sous le nom d’EUR.
La Seconde Guerre mondiale en interrompit certes les travaux, mais le régime
eut le temps de construire plusieurs édifices monumentaux, témoignages
précieux du style néoromain fasciste fait de rigueur classique des lignes, de
symétrie, de portiques et de colonnades doriques.
L’autre préoccupation que Mussolini avait exprimée dans son discours de
1924 concernait les questions de logement. L’étatisme du régime et sa
centralisation dictatoriale à Rome même créaient un gonflement démesuré des
emplois administratifs et donc un appel d’air pour l’immigration interne en
provenance des régions centrales ou méridionales. En 1931, la ville dépassait le
million d’habitants pour atteindre, lorsque la guerre éclata, 1,4 million. Les
autorités se lancèrent dans un vaste programme immobilier qui vit les immeubles
pousser dans et autour de la capitale. Les quartiers populaires croissaient au
rythme des migrations et s’étendaient le long des grandes voies de circulation.
Le régime finança la construction dans les faubourgs de logements neufs et bien
équipés (les borgate), notamment pour reloger les Romains expulsés du centre à
cause des grands travaux61. Tout cela dans une atmosphère de spéculation
immobilière qui remplit bien des poches…
Il faut remarquer que le fascisme ne limita pas son intérêt à Rome. Bien au
contraire, le pays tout entier fut touché par la fièvre de constructions. « Dans dix
ans, on ne reconnaîtra plus l’Italie », certifia le Duce-bâtisseur le 30 octobre
1926 à Reggio Emilia. La plupart des grandes cités de la péninsule se couvrirent
de bâtiments publics répondant aux normes idéologiques et architecturales du
régime, comme à Bergame où Piacentini supervisa la création d’un nouveau
centre urbain.
Le patrimoine historique des villes italiennes devant être préservé, le
fascisme préféra créer de nouvelles cités ex nihilo grâce auxquelles il se libérait
de toute contrainte. Cette politique exprimait la dynamique d’innovation qu’il
revendiquait sans cesse et correspondait en outre à deux versants de sa politique
liés l’un à l’autre, la romanité et le ruralisme. En effet, la romanité dans laquelle
le régime baignait l’obligeait à suivre l’exemple des Romains grands fondateurs
de cités. Mussolini ne pouvait être le nouvel Auguste sans créer à son tour des
villes pour l’éternité. La première le fut en 1928. Si l’URSS honorait ses grands
chefs avec Leningrad et Stalingrad, l’Italie eut elle aussi sa Mussolinia
(débaptisée depuis en Arborea). Onze autres nouvelles villes suivirent jusqu’en
1940, toutes implantées dans les vastes zones agricoles de bonification62, toutes
organisées autour d’un centre rassemblant les différents services publics, l’église
paroissiale, les commerces mis à disposition des colons répartis dans la
campagne. Loin d’être une sorte d’abcès sur le corps agricole, la ville appartenait
ainsi pleinement au monde paysan qui l’environnait. Sauf exception, les
architectes la concevaient donc de taille modeste pour répondre à l’objectif qui
lui était assigné : participer à la lutte contre l’urbanisation démesurée et favoriser
le retour à la vie rurale traditionnelle. Latinité oblige, sa création donnait lieu à
une cérémonie officielle pendant laquelle le Duce, devant les caméras de
l’institut national Luce, traçait les contours de la future colonie avec une charrue
mécanique. Le plan orthogonal de type romain répondait à des consignes
strictes : une place centrale au croisement de grands axes avec une tour Littoria,
symbole du contrôle fasciste sur les hommes, sur l’espace et sur le paysage,
autour de laquelle se trouvaient les édifices publics, de la mairie à l’école, en
passant par le siège du PNF et celui de la Milice.
Le sport servant à forger le physique de l’Italien fasciste, le régime consacra
aussi un soin tout particulier à la construction de stades et autres installations
sportives. A Rome, cette ambition prit les dimensions qui se voulaient
pharaoniques du forum Mussolini. En effet, celui qui ressuscitait les forums
antiques et se présentait comme l’héritier des Césars ambitionnait de laisser son
nom à ce type de monumentalité typique de la Rome ancienne. Le maître
d’œuvre en fut Renato Ricci, alors sous-secrétaire d’Etat à l’Education nationale
et chef de l’organisation des Balilla. Son choix se porta sur un vaste espace au
nord-ouest de la capitale, entre le mont Mario et le Tibre, et sur le brillant
architecte Enrico Del Debbio pour le plan régulateur. L’ensemble devait célébrer,
outre Mussolini, le rôle de la jeunesse dans le fascisme. Les premières
inaugurations eurent lieu le 4 novembre 1932, soit cinq ans à peine après le
début des travaux. Le Duce put ainsi admirer le bâtiment de l’Académie fasciste
d’éducation physique, le stade des Marbres avec ses célèbres statues d’athlètes
nus, le stade des Cyprès ainsi que l’obélisque Mussolini, taillé dans un seul bloc
de marbre de Carrare, haut de 17,40 mètres et portant l’inscription Mussolini
Dux en lettres capitales. D’autres édifices suivirent comme la Maison des Armes
(1935-1936) construite par Luigi Moretti ou le palais des Thermes avec ses
piscines couvertes de mosaïques figuratives de type romain par Costantino
Costantini. D’autres projets avortèrent, comme celui de la construction d’une
esplanade appelée l’Arengo, gigantesque stade de 400 000 places, flanqué d’une
immense statue de 130 mètres personnifiant le fascisme avec le visage de
Mussolini, comme un pied de nez à la coupole du Vatican voisine. Tout cela
resta dans les cartons. Le musée de l’ONB rêvé par Renato Ricci ne vit pas plus
le jour. En revanche, en 1937, Moretti put réaliser la place de l’Empire destinée
aux défilés et autres cérémonies fascistes.
Sport, jeunesse, monumentalité, romanité. Le forum Mussolini n’était pas
qu’une vitrine mais une vraie expression du fascisme, de cette union entre la
pratique sportive et la politique63. Ses agrandissements successifs exprimaient
aussi la démesure dont le régime fut saisi à partir des années 1930, l’obligeant à
voir toujours plus grand. L’ambition politico-sportive influençait constamment la
construction des stades dans les autres villes de la péninsule. Celui de Bologne,
inauguré le 31 octobre 1926, reçut le nom de baptême de stadio Littoriale, et se
voulait une synthèse du Colisée et des thermes de Caracalla. Une statue d’un
Mussolini à cheval, du plus pur style impérial, veillait devant l’immense tour de
Marathon, hommage aux performances des athlètes. Avec ses 37 000 places, il
dépassait le stade de Padoue (15 000) ou de Trieste (23 000). Celui de Florence
est considéré comme un chef-d’œuvre d’architecture sportive auquel on donna le
nom du martyr fasciste Giovanni Berta. Ces gigantesques complexes servaient à
un but bien particulier, résumé dans des instructions données aux préfets en
septembre 1927 : « L’antique palestre romaine devra revivre dans cette
institution où les jeunes affûtent leur corps par l’exercice physique et affinent
leur esprit combatif et d’émulation lors des compétitions gymniques. » Le stade
s’intégrait dans la liturgie fasciste comme un temple de l’unité où les classes
sociales s’effaçaient dans une communion collective. Tous les Italiens venaient y
admirer les sportifs, incarnations de l’endurance physique, produits des efforts
du fascisme pour fortifier la « race ».
En fin de compte, l’Italie de Mussolini, d’un point de vue artistique, n’était
pas la belle au bois dormant. Elle faisait preuve d’un foisonnement de projets, de
qualités créatives et d’une modernité qui attiraient vers elle les regards curieux
du monde entier.
Consensus et répressions
Le projet de l’homme nouveau conduisit le fascisme à exercer une pression
sur le corps social et les individus qu’il entendait remodeler. La violence, matrice
originelle du mouvement, ne disparut jamais. Or, la comparaison avec les
horreurs du communisme et du national-socialisme qui franchirent toutes les
limites dans la déshumanisation ramène inévitablement le fascisme au rang d’un
totalitarisme de basse intensité, en tout cas dans sa pratique coercitive.
Régime policier ou régime de police ? La question renvoie à la nature même
des répressions. Une fois installé, le fascisme ne renonça pas à l’exercice de la
violence qui changea toutefois de nature. Des squadristes on passa aux policiers
et aux juges mais dans un climat de guerre contre l’ennemi intérieur toujours
entretenu. Dans l’éventail des peines infligées aux opposants, la « relégation »
(confino) est la plus connue. Il s’agissait en fait de l’envoi d’un condamné
(politique ou pas d’ailleurs) dans les régions en principe les plus reculées et les
plus hostiles de la péninsule. Carlo Levi tira de cette expérience les pages
superbes de son chef-d’œuvre, Le Christ s’est arrêté à Eboli, publié en 1945.
Cette pratique fut institutionnalisée par la loi du 6 novembre 1926 et finit par
devenir l’instrument privilégié de la chasse aux antifascistes pris dans le sens le
plus large. Car tombaient sous cette accusation, comme nous l’avons vu, aussi
bien le militant communiste que le médecin avorteur ou l’homosexuel.
Afin d’être efficace, la répression devait planer sur chaque citoyen italien et
punir non seulement les actes mais aussi les intentions. Ainsi pouvait-on être
arrêté pour des faits proprement politiques (tracts, réunions secrètes, etc.) mais
aussi pour des plaisanteries lancées en public, des propos lâchés dans une soirée
arrosée, tout autant pour un style de vie non conforme aux préceptes du régime,
quand ce n’était pas sous le coup d’une simple présomption d’opposition, voire
une rumeur diffuse. La victime comparaissait alors devant une commission
composée du préfet, du questeur (responsable de la sécurité publique), du
commandant des carabiniers, d’un officier de la MVSN et du procureur du roi,
unique magistrat présent. L’absence de preuves ne constituait pas un problème
en soi, pas plus que l’absence d’avocat, de témoins, voire d’interrogatoire. Cette
réminiscence de la loi révolutionnaire française de prairial 1794 permettait
l’institution d’une justice d’exception, extrayant l’accusé du cadre judiciaire
classique64.
Les peines de confino variaient de un à cinq ans. Elles reléguaient le
condamné dans les régions méridionales les plus hostiles, dans des îles
(Pantelleria, Ventotene) ou sur la terre ferme. Le voyage n’avait rien d’agréable,
se déroulant dans des wagons cellulaires sans confort dans lesquels le prisonnier,
sans eau ni nourriture, transi de froid l’hiver et étouffant de chaud l’été, restait
menotté. Une fois arrivé et installé dans une maison, il commençait une morne
existence soumise à un règlement assez dur, laissé à la discrétion de gardiens
brutaux exerçant une surveillance pointilleuse. Il lui était en principe interdit de
fréquenter les lieux publics, de parler politique et de sortir de chez lui en dehors
des horaires fixés. La faible allocation reçue des autorités ne lui permettait pas
de se nourrir convenablement, d’où des carences alimentaires et des maladies qui
affaiblissaient le corps et l’esprit malgré les colis reçus de sa famille. Mais cela
importait peu puisque le but était atteint : les mauvais Italiens se trouvaient
séparés du reste du corps social sain. Le confino reflétait les préoccupations
épuratrices du fascisme mais aussi le souci pédagogique qu’il conférait, à l’instar
du système communiste, à la déportation. La peine et les souffrances devaient
permettre au déviant de s’amender. D’où les nombreuses amnisties que le Duce,
soucieux de son image de dirigeant magnanime, accordait lors des grandes
commémorations du régime comme celle de 1932. Le confiné quittait donc son
lieu d’infortune pour retrouver une vie sociale en vérité encore marquée du sceau
de sa condamnation. Car, outre une surveillance maintenue, trouver un logement
et un travail relevait d’un chemin de croix.
Avouons-le : on a beau tourner le problème dans tous les sens, on ne trouve
dans le système totalitaire fasciste ni terreur de masse ni expérience
concentrationnaire. On relève 5 620 individus ayant comparu devant le Tribunal
spécial, environ 17 000 condamnés au confino et 160 000 « surveillés
spéciaux ». Preuve s’il en était besoin de l’existence d’une opposition65.
Précisons toutefois que d’une part ces chiffres englobent les politiques et les
droits communs et que d’autre part, ils ne prennent pas en compte les exécutions
sommaires, les passages à tabac jusqu’à ce que mort s’en suive. Pas de Dachau
donc, ni de goulag, et encore moins d’Auschwitz ; ni famine ni génocide. La
peur plutôt que la terreur. D’ailleurs le régime avait-il réellement besoin d’une
violence d’Etat de forte intensité ? L’appareil policier, les institutions partisanes
ou étatiques et la propagande encadraient la population d’une manière efficace,
tandis que le réel consensus dont le régime et son chef bénéficièrent dans la
première moitié des années 1930 – et bien mis en lumière par Renzo De
Felice66 – rendait inutile une pression sanguinaire sur un corps social tout sauf
récalcitrant.
Pour résumer, la guerre comme instrument privilégié du totalitarisme et du
remodelage de l’être humain. Le fascisme reprenait l’ouvrage là où la paix de
1918 l’avait interrompu, en soumettant l’Italie à un état de tension permanente.
Au sujet de l’éducation des enfants, Mussolini confia : « Je les prépare à la lutte
pour la vie. Et aussi à la lutte pour la nation8. » L’existence humaine étant ainsi
ramenée à un antagonisme perpétuel, il incombait donc à l’Etat de pousser
l’individu à s’en montrer digne. Inutile de chercher bien loin la matrice de cette
lutte. « La guerre seule, expliqua le Duce, porte au maximum de tension toutes
les énergies humaines et imprime un cachet de noblesse aux peuples qui ont le
courage de l’affronter. » Le régime fixa comme objectif de faire des Italiens un
peuple guerrier et fier inspirant la terreur à ses adversaires. Cette éthique
guerrière qu’il tentait d’infuser dans les esprits ne relevait pas de la simple
cruauté, mais bien d’abord du processus d’unification de la nation, inaugurée par
le Risorgimento, et ensuite d’un projet messianique de régénération de l’espèce9.
Le vertige du consensus
Le soutien que l’opinion publique apporta à la dictature fasciste lors de la
guerre d’Ethiopie constitua une sorte de réponse à sa mise au ban des
démocraties. Un véritable consensus entoura le régime et son chef. En effet,
jamais Mussolini ne fut aussi populaire qu’aux lendemains de l’expédition
africaine, son gouvernement aussi solidement installé aux commandes,
l’opposition aussi amorphe. Bien sûr, les autorités ne lésinèrent sur aucun effort
pour s’assurer l’appui des Italiens. D’abord indifférents, puis inquiets de la
tournure des événements sur le terrain militaire, ceux-ci furent soumis à une
intense propagande. L’école bien sûr veillait à tenir en haleine les enfants par des
récits glorieux de la guerre en cours, tandis que d’innombrables photographies,
cartes postales, affiches, reportages cinématographiques présentaient les
Ethiopiens sous les traits hideux de barbares et l’entreprise italienne comme une
œuvre de civilisation, tout en alimentant les rêves de gloire, d’aventures, de
réussite sociale dans un pays de cocagne. La propagande trouva dans la personne
du général Rodolfo Graziani le symbole de la romanité retrouvée : un guerrier
ayant conquis un empire, un surhomme aux qualités viriles et autoritaires, un
chef militaire implacable menant ses troupes à la victoire1. La mise en valeur des
terres africaines permettait de transformer un peuple de braccianti en soldats
puis en colons. Le cinéma idéalisa ces soldats-laboureurs comme dans le film de
Corrado D’Errico Il cammino degli eroi (« Le Chemin des héros »). La radio
révéla à cette occasion toutes ses potentialités. De multiples chansonnettes s’en
donnaient à cœur joie contre l’empereur Haïlé Sélassié rabaissé au rang de nabot
primitif pour mieux illustrer la sauvagerie de son Etat mais aussi contre la SDN
et ses iniques sanctions2. La plus célèbre fut Faccetta nera (« Petit visage noir »)
écrite en avril 1935 par Renato Micheli et Mario Ruccione pour préparer les
esprits à la mission émancipatrice et civilisatrice de l’Italie :
Si du haut du plateau tu regardes la mer
Petite noire qui es esclave parmi les esclaves
Tu verras comme en rêve plein de navires
Et un drapeau tricolore flotter au vent pour toi
Petit visage noir de l’Abyssinie
Attends et espère car l’heure est proche !
Lorsque nous serons près de toi
Nous te donnerons une autre loi et un autre Roi
[…]
Petit visage noir, petite Abyssine,
Nous t’emmenons, libérée, à Rome
Par notre soleil tu seras embrassée
Et toi aussi tu seras en chemise noire
Petit visage noir, tu seras Romaine
Ton seul drapeau sera italien !
Nous marcherons auprès de toi
Et nous défilerons devant le Duce et devant le Roi.
En fin de compte, tous les secteurs de la société se sentaient concernés.
Nationalistes, conservateurs, syndicalistes, fascistes radicaux, tous trouvaient
une bonne raison d’adhérer à la guerre, de la gloire de la patrie à la résolution
des problèmes sociaux dans une terre lointaine où l’expérience fasciste pourrait
se développer sans les entraves de l’ancien monde. Le thème de la nation
prolétaire embrasa bien des cœurs contre l’égoïsme des Anglais injuriés à
longueur d’émissions radio ou d’informations cinématographiques. Les plus
jeunes, élevés dans le mythe de la Grande Guerre et frustrés de tenir un stylo
plutôt qu’un fusil, y voyaient une occasion inespérée de vivre à leur tour cette
expérience fondatrice ; et ce sur des terres à la fois étranges et fascinantes où
bien des aventures exotiques s’offraient sous les traits des belles Ethiopiennes…
Plus sobrement, de grandes personnalités du monde politique et intellectuel
apportèrent leur pierre à l’édifice du consensus, de l’ancien président du Conseil
Orlando au philosophe Benedetto Croce. Quant à l’Eglise catholique, elle
apporta un précieux consentement à une colonisation qui en sus de lui offrir un
terrain d’évangélisation fructueux, scellait les noces du catholicisme et du
fascisme devant l’autel de la romanité. Mgr Schuster, le puissant archevêque de
Milan, exprima un enthousiasme vibrant qui le conduisit à comparer Mussolini à
un nouveau Constantin. Les thuriféraires du régime exploitèrent au maximum
cette situation afin de renforcer le caractère religieux du fascisme. Envoyé en
Ethiopie comme correspondant du Popolo d’Italia, le journaliste Mario Appelius
parlait de héros et de martyrs, de l’inspiration venue de « la Rome des Césars,
des papes et des Fascistes ». Y avait-il encore une différence entre le Duce et
Dieu ? Le pas fut en tout cas franchi par plusieurs intellectuels, tels Marinetti ou
Marcello Gallian qui associaient par un lien inextricable la croyance en l’un et
en l’autre3. Le clergé joua le jeu en validant par exemple la grande cérémonie de
don de leurs alliances par les couples4. Organisée le 18 décembre 1935 sur la
place de Venise en présence de l’aumônier des armées, des hiérarques et même
de la reine Hélène qui offrit elle aussi sa bague, cette « journée de la Foi »
célébrait l’esprit d’abnégation, la loyauté et le patriotisme des Italiens à un
moment où le sort de la guerre paraissait délicat5. La participation de la
souveraine d’ordinaire si effacée marquait le plus précieux soutien dont
bénéficia alors le dictateur, celui du roi bien décidé à n’abandonner ni l’armée ni
la patrie en difficulté et finalement épaté comme tant d’autres par le succès
militaire. Bref, même si on peut supposer que les sanctions jouèrent un rôle plus
déterminant dans le réflexe d’unité autour du chef que la conquête en elle-même,
force est de constater la faiblesse des oppositions, vite étouffées d’ailleurs par les
dénonciations et la police. Ne sous-estimons pas néanmoins l’existence d’une
indifférence silencieuse, notamment dans les régions rurales les plus reculées où
l’on aurait eu bien du mal à situer l’Abyssinie sur une carte…
La déroute de l’antifascisme n’en était pas moins totale. Si le PCI chercha à
intensifier la lutte clandestine au début des années 1930, la solidité du régime
fasciste face à la crise économique de 1929 puis l’exaltation patriotique de la
guerre d’Ethiopie anéantirent tous les espoirs de renversement. Comme l’écrivit
l’antifasciste Carlo Rosselli au début de l’année 1936, « l’Etat totalitaire n’a pas
de précédent dans le monde moderne. Impossible donc de prévoir le mode de sa
chute et sa concrète succession6 ».
Le fascisme combat en Espagne
Fort de son succès africain, l’Italie fasciste ne se contenta pas de digérer sa
conquête mais maintint un engagement de premier plan dans les grandes
questions européennes. Le premier dossier brûlant dont il fallut s’occuper fut
l’Espagne ravagée à partir de juillet 1936 par une guerre civile sans merci,
symbole de la polarisation idéologique de l’Europe des années 1930. Mais la
gestion de ce conflit s’inséra dans une problématique plus large : celle des
rapports avec les autres puissances en général et avec l’Allemagne en particulier.
En réalité, Mussolini oscillait encore entre idéologie et pragmatisme, la première
prenant néanmoins le pas sur le second. Au mois de février 1936, il avait décidé
en outre de confier le ministère des Affaires étrangères à un diplomate de 33 ans,
son propre gendre, Galeazzo Ciano.
Fils de Constanzo Ciano, un hiérarque anobli, le jeune homme avait vu sa
vie prendre un tournant décisif après son mariage en 1930 avec Edda, la
volcanique fille du dictateur. Il gravit alors les échelons au sein des services de
propagande et de presse jusqu’au rang de ministre, avant de s’installer au palais
Chigi, siège du ministère, et d’entrer au Grand Conseil fasciste. On le présente
souvent comme un fasciste superficiel plus conservateur que révolutionnaire, et
sans aucun doute l’était-il. Nonobstant cette évidence, il procéda une fascisation
importante du corps diplomatique, accélérant la carrière de plusieurs de ses
proches, et fut l’homme de la guerre d’Espagne et de l’alliance avec l’Allemagne
nazie. Préférant les salons de l’aristocratie romaine aux vociférations
squadristes, il savait user de son charme et de son élégance pour mieux se glisser
dans les milieux diplomatiques. Nourri des gloires du Risorgimento et des hauts
faits d’armes de son père – qu’il chercha sans doute à imiter en s’engageant en
Ethiopie –, le désormais ministre-gendre voyait dans le fascisme une force
révolutionnaire source d’un monde nouveau et s’engagea donc à fasciser quelque
peu la politique étrangère. Pour autant, il chercha constamment à garder le fil
avec les Britanniques. Ne possédant ni l’expérience ni le poids politique ni la
forte personnalité de Grandi, il était surtout pétri de contradictions, incapable de
s’arracher à « ce mélange complexe de pureté et de corruption, d’habileté et de
légèreté, d’intelligence et de paresse intellectuelle, de persévérance et de
superficialité, d’enthousiasme et d’indolence7 » qui le caractérisait. Sa proximité
faite de confiance avec son beau-père, contre lequel il s’avéra incapable de se
dresser quand les circonstances le commandèrent et ce malgré son incontestable
clairvoyance, en fit l’exécuteur fidèle de la diplomatie sans cesse plus
idéologique du Duce.
Le feu qui bientôt embraserait l’Europe couvait en Espagne depuis
l’installation de la république en 1931. Mussolini scrutait avec méfiance ce
régime progressiste et fragile, déchiré entre factions politiques antagonistes et
qui avait succédé à la dictature du général Primo de Rivera (1923-1930) avec
lequel Rome avait noué des rapports corrects, à défaut d’être cordiaux. Or, le
fascisme avait au contraire besoin de s’assurer de la proximité, au mieux de la
neutralité, de la péninsule voisine pour l’établissement de son hégémonie en
Méditerranée occidentale. De discrets contacts, au centre desquels Balbo jouait
un rôle central, se nouèrent dès 1932 avec les milieux conspirateurs et
monarchistes. Ils aboutirent le 31 mars 1934 à la signature, au cours d’une
réunion entre Mussolini, Balbo et une délégation espagnole, d’un accord secret
prévoyant une livraison d’armes (qui n’arrivèrent jamais) et de subsides (qui
furent versés dès le lendemain). Selon toute vraisemblance, le Duce espérait un
renversement de la république au bénéfice d’une monarchie fondée sur le
système corporatif et dirigée par un dictateur militaire ou civil8. On le voit, le
régime italien servirait d’inspirateur mais pas dans une optique d’un fascisme
radical. Si l’éclatement de la guerre d’Ethiopie renvoya à plus tard la résolution
du problème espagnol, il réapparut avec force quand la gauche gagna les
élections de février 1936.
Lorsque les putschistes déclenchèrent le coup d’Etat du 18 juillet 1936, à la
suite de l’assassinat du député monarchiste José Calvo Sotelo, Mussolini ne
cacha pas sa circonspection devant un engagement dans le conflit. Tout d’abord
il hésita à répondre à la demande d’aide que le général Franco lui adressa dès le
21 juillet avant d’ordonner l’envoi de douze avions qui transportèrent les troupes
insurgées du Maroc en Andalousie ; ensuite il doutait de la pertinence d’une
présence sur le terrain de volontaires italiens pour finalement l’autoriser. Dans
les deux cas, Ciano usa de toute son influence pour convaincre son beau-père de
la nécessité d’une participation à ce conflit. Mussolini se rallia à ses arguments
parce qu’il le concevait à cette date comme un affrontement court, de type
presque squadriste, avec l’intensité et la rapidité d’une expédition punitive. Les
avantages à en tirer paraissaient prometteurs : empêcher la formation d’un front
antifasciste franco-espagnol, fragiliser le couple anglo-français en jouant sur
l’anticommunisme des élites britanniques, placer Rome en position de capitale
de la civilisation catholico-fasciste et revenir sur la scène internationale. L’Italie
établirait au passage son hégémonie sur le bassin occidental de la Méditerranée,
toujours au détriment de la France. L’ambiguïté sur les Baléares – Rome donnant
l’impression de vouloir récupérer l’archipel – donnait à la diplomatie fasciste
une carte qu’elle ne se gêna pas d’utiliser9.
L’Italie adhéra certes au Comité international de non-intervention de
Londres mais son représentant, l’ambassadeur Grandi, y déploya maints efforts
pour entraver l’efficacité des travaux. Dès la fin du mois d’août, l’engagement
prit une dimension plus forte, tandis qu’étaient jetés les fondements d’une
coordination avec l’Allemagne. Or, l’automne apporta une première contrariété :
l’échec de Franco devant Madrid. La victoire nationaliste étant renvoyée à plus
tard, la guerre civile se transformait en un conflit de longue durée que le général
ne pouvait pas remporter seul. Mussolini comprit alors qu’il devenait impossible
de rester au milieu de gué. Le 18 novembre, il reconnut le gouvernement
franquiste puis signa une série d’accords avec les insurgés qui changèrent la
nature de l’engagement italien. A la fin de l’année, ce furent 40 000 hommes
(trois divisions de chemises noires et une division de l’armée régulière, avec
soutien aérien) qui s’unirent aux forces nationalistes10. Le commandement échut
au général Roatta, ancien chef du SIM – les services secrets de l’armée – et qui à
ce titre avait déjà préparé le terrain pour une intervention par un efficace réseau
d’espionnage en Espagne. Ses pressions et ses initiatives parfois personnelles
jouèrent, à n’en pas douter, un rôle crucial, peut-être moins dans les décisions du
dictateur que dans l’organisation de la mission militaire auprès de Franco11.
Après l’expédition contre la barbarie africaine venait l’heure de la grande
bataille contre l’antifascisme international dans une Espagne redevenue une terre
de croisade. Le fascisme prit toute sa part dans cette lutte idéologique sans merci
qui poussait Ciano à ordonner de « passer par les armes les mercenaires
internationaux, et naturellement en priorité les renégats italiens12 ». Mais dans ce
combat aux dimensions européennes, pouvait-on se fier à Franco ? Patriote
intransigeant, clérical et conservateur, le généralissime n’inspirait guère
confiance aux fascistes qui lui préféraient de loin le mouvement de la Phalange.
Farinacci, envoyé en mission officielle en mars 1937, mettait en cause son vide
programmatique quant au futur de l’Espagne et ne cachait pas au Duce que
« l’homme est politiquement à jeun13 ». Une chose était sûre : le rusé Galicien ne
comptait pas devenir l’homme lige du condottiere de l’Italie jamais à court
d’idées pour vassaliser son pays. Ne venait-il pas de lui proposer le duc d’Aoste,
cousin de Victor-Emmanuel III, comme futur souverain espagnol ? Belle illusion
que le futur Caudillo écarta d’un revers de la main, de la même manière qu’il
éluda la proposition d’adopter la Charte du travail.
L’Axe sur le cadavre de l’Espagne et de l’Autriche
L’engagement en Espagne joua un rôle capital dans le renforcement de
l’entente entre le fascisme et le national-socialisme. Alors même que les deux
mouvements avaient été jusque-là assez éloignés, la guerre civile leur offrit
l’occasion de mener un combat commun et de jeter l’ébauche d’une future
alliance.
On se souvient que la guerre d’Ethiopie avait brisé la dynamique du front de
Stresa en dressant l’Italie contre les démocraties. Pour autant, rien n’était
définitivement perdu puisque Londres et Paris demeuraient des appuis
indispensables pour contenir l’expansionnisme allemand. Mussolini n’excluait
donc pas de retrouver un terrain d’entente mais à la condition expresse que le
statut impérial de l’Italie fût reconnu. Or, c’était justement là où le bât blessait,
les Occidentaux refusant toujours de lui accorder ce satisfecit. La France du
Front populaire, debout devant Mussolini et tétanisée devant Hitler, se montrait
là-dessus la plus hostile, écartant entre 1936 et 1938 la nomination d’un
ambassadeur à Rome qui serait accrédité auprès du roi d’Italie et empereur
d’Ethiopie. Dans de telles conditions, l’Allemagne devenait de facto un appui
pour sortir de l’isolement. Mais cela revenait-il à s’engager dans la voie d’une
alliance pure et simple ? Sur ce sujet, rien n’était simple. Le premier problème
résidait dans la nature du rapprochement. S’il existait un consensus dans les
cercles dirigeants italiens sur le changement en faveur de Berlin, des divergences
s’exprimaient sur la finalité. Les Allemands servaient-ils seulement pour les
traditionnels « tours de valse » comme le pensaient Grandi, Ciano et même le
souverain ? Ou envisagerait-on de donner un caractère idéologique à un
rapprochement définitif auquel aspiraient les durs du régime à l’instar de
Farinacci ? Mussolini, évoluant inexorablement vers la seconde interprétation,
apporta une réponse glaciale à la question.
L’autre problème concernait l’Autriche, inévitable victime sacrificielle des
épousailles italo-allemandes. Le Duce le savait. Il mit un doigt dans l’engrenage
fatal alors que les opérations militaires battaient leur plein en Ethiopie en
donnant son nihil obstat, en janvier 1936, à un accord austro-allemand signé le
11 juillet 1936. Tout en préservant son indépendance, ce texte vassalisait de facto
l’Autriche. L’expansionnisme allemand en Europe centrale commençait. De leur
côté, les nazis se donnaient bien du mal pour attirer vers eux une Italie
récalcitrante. Des discrètes livraisons de fournitures dont du charbon à l’époque
des sanctions et de secrètes manœuvres pour saboter l’accord Laval-Hoare
levèrent bien des obstacles. Le Führer multiplia aussi les pressions pour pousser
son alter ego dans la guerre civile espagnole, au nom de la solidarité fasciste,
avec sans doute l’arrière-pensée d’accélérer la décomposition du front de Stresa,
ce que soupçonnait à juste titre Grandi. Quoi qu’il en fût, la route vers Berlin
était dégagée. Ciano s’y engagea avec fougue, bien décidé à exploiter le combat
commun en Espagne, à agiter l’épouvantail allemand devant les Anglais, tout
cela au prix de la disparition de l’Autriche ; sacrifice pour lequel l’Italie attendait
néanmoins d’être payée en retour par une domination sur la Méditerranée14. Une
série d’échanges pendant l’été 1936 permit d’arriver à la signature d’un
protocole entré dans l’histoire sous le nom de l’Axe Rome-Berlin, le 25 octobre
1936.
Ce texte secret, signé lors du séjour du ministre italien en Allemagne, jetait
les bases d’une collaboration dans tous les domaines mais sans aucun contenu
contraignant. On ne le répétera jamais assez : rien à cette date n’impliquait une
orientation proallemande définitive et une alliance idéologique irréversible.
L’Axe ouvrait des perspectives, rien de plus ; et bien des forces internes
freineraient encore pendant longtemps cette attraction mortelle. D’ailleurs, le
discours que prononça le Duce à Milan le 1er novembre devant les chemises
noires révélait toutes les ambiguïtés de sa politique. S’il vitupéra la SDN et tout
ce qu’elle incarnait, s’il assuma la nouvelle direction de la politique étrangère et
employa l’expression d’« axe », s’il rappela l’importance vitale de la
Méditerranée pour son pays, il n’en exprima pas moins des velléités de paix et
d’ententes. Bref, le Royaume-Uni avait toute sa place dans cet axe encore en
gestation.
A Whitehall, on comprit très bien le message. L’entrée des troupes
allemandes en Rhénanie avait réactivé le danger allemand en Europe. Pour
certains dirigeants britanniques, cela nécessitait d’épurer le contentieux
éthiopien et de trouver un modus vivendi avec l’Italie en Méditerranée afin
d’empêcher son alignement sur Berlin ; d’où la signature, le 2 janvier 1937 d’un
accord appelé le Gentlemen’s Agreement. Cette reconnaissance mutuelle de la
liberté de transit en Méditerranée n’allait pas très loin, convenons-en. Si elle
signait le rétablissement des contacts anglo-italiens au détriment de la France,
elle n’était pas de nature à aplanir la route vers une entente plus solide. Bien des
obstacles se dressaient encore. Plusieurs journaux britanniques lancèrent de
nouvelles attaques à la suite de la défaite des troupes italiennes en Espagne, lors
de la bataille de la Guadalajara le 18 mars 1937. Dans le même temps, la
politique arabe de l’Italie fasciste prenait, toujours sous l’impulsion de Ciano,
une nouvelle ampleur. Lors d’un voyage en Libye en mars 1937, Mussolini prit
le titre de défenseur de l’islam, cherchant à attirer à lui les populations arabo-
musulmanes qui, hostiles au très chrétien Négus éthiopien, n’avaient pas caché
leur soutien au fascisme pendant la guerre. La carte arabe devenait ainsi une
monnaie d’échange pour convaincre Londres de revenir à de meilleures
dispositions15. Ce qui ne manqua pas d’arriver avec l’installation en mai 1937 au
10, Downing Street de Neville Chamberlain. En effet, le grand architecte de la
politique d’appeasement comptait parvenir à un accord avec l’Italie qui graverait
la réconciliation dans le marbre. A sa grande joie, Mussolini répondit
positivement à son appel du pied.
Il fallut près d’un an pour parvenir à la signature d’un accord. Du côté
anglais, on devait composer avec Anthony Eden, toujours à la tête du Foreign
Office, aussi hostile à l’expansion italienne en Méditerranée qu’à une entente
avec Rome. Les Italiens, de leur côté, en radicalisant la guerre sous-marine
qu’ils menaient au large des côtes espagnoles, entretenaient un climat guère
propice aux négociations. Mais ce fut surtout le voyage que Mussolini effectua
en Allemagne en septembre 1937 qui marqua les esprits16. Flanqué entre autres
de Ciano et de Starace, le dictateur italien, qui espérait ainsi réactiver la carte
hitlérienne pour forcer la main des Britanniques, découvrit entre le 24 et le
29 septembre les prodigieuses réalisations de la nouvelle Allemagne que des
nazis intéressés lui mettaient devant les yeux. Malgré la forte pluie qui s’était
abattue sur son séjour, il en revint transcendé après avoir affirmé publiquement
devant un Führer ravi : « Quand [le fascisme] a un ami, il marche avec lui
jusqu’au bout. » Avant même que la suite tragique des événements ne confirmât
la sincérité de cette promesse, Mussolini donna des gages à son nouvel ami. Le
6 novembre 1937, alors que le Japon avait envahi la Chine, Rome adhéra au
pacte anti-Komintern, décision éminemment hostile aux intérêts de Londres.
L’Italie sortait de l’isolement avant de quitter la SDN, le 11 décembre 1937.
Annoncée depuis le balcon de Venise par le Duce, cette décision rompait les
ponts avec l’Europe de Versailles, avec la sécurité collective et les démocraties.
Bien évidemment, Ciano pensait toujours forcer les Anglais à amorcer les
discussions en augmentant sans cesse la pression jusqu’à l’extrême limite d’un
conflit que ni lui ni son beau-père n’excluaient17. Pour le moment, il ordonnait à
Radio Bari d’accentuer la propagande antianglaise à longueur d’émissions
retransmises dans tout le monde arabe non sans une redoutable efficacité18.
A Londres, Chamberlain cherchait la meilleure voie pour parvenir à son but.
Il réussit à rassembler autour de lui la majorité des membres du cabinet, ce qui
entraîna la démission d’Eden le 20 février 1938 et son remplacement par Edward
Halifax, appeaser convaincu. Le Premier Ministre de Sa Majesté avait désormais
les coudées franches. Ce fut alors que l’Allemagne réalisa le coup de force tant
redouté : l’Anschluss. La réorientation de la diplomatie italienne en faveur du
Troisième Reich, l’affaiblissement des liens avec les démocraties et par
conséquent la fin du front de Stresa rendirent possible l’annexion d’une Autriche
abandonnée par Rome. Mais Hitler adopta à cette occasion une posture qui
devint récurrente et qui aurait dû ouvrir les yeux du Duce. Même s’il lui certifia
qu’il n’oublierait « jamais son attitude […], jamais, jamais, quoi qu’il arrive », il
mit son « ami » devant le fait accompli en le prévenant le 11 mars, alors que la
Wehrmacht entrait déjà dans le pays. Mussolini n’eut pas d’autre choix que
d’avaliser le rapt qui livrait l’Europe centrale à l’Allemagne. Du moins se
consola-t-il avec la promesse du maître de Berlin qu’aucune revendication ne
serait émise sur les populations germanophones du Trentin. L’Italie chercha
néanmoins – expression de la méfiance atavique éprouvée à l’encontre des
Allemands – à fortifier la barrière balkanique par un accord avec la Yougoslavie
et la consolidation de la présence italienne en Albanie qui finit par devenir « une
province italienne sans préfet19 ». Piètres compensations en réalité et qui
masquaient mal le renversement du rapport de force.
Loin de la germanophilie de plus en plus nette du Duce, Ciano cherchait les
moyens de freiner une politique qui lui échappait et de rééquilibrer la diplomatie
italienne avec un accord avec les Britanniques. C’était aussi la vision de Grandi
qui, depuis Londres, combattait la politique allemande du ministre-gendre,
habile moyen de le concurrencer dans la course à la succession, d’où sa mise à
l’écart. Pour le hiérarque persuadé des effets négatifs de l’Axe sur le réalisme du
chef, l’Anschluss commandait d’aller vers l’Angleterre au risque d’abdiquer
toute liberté d’action entre les mains des Allemands. Le 18 mars, il mit
Chamberlain devant une alternative claire : la négociation avec l’Italie qui avait
cessé d’être l’élément perturbateur en Europe ou l’alliance Rome-Berlin20. Le
Premier ministre, qui ne demandait qu’à être convaincu, trancha et engagea alors
des discussions qui débouchèrent sur les accords de Pâques du 16 avril 1938.
Négociés directement par Ciano et l’ambassadeur britannique lord Perth sur fond
de guerre d’Espagne et signés au palais Chigi, ils préservaient les intérêts des
deux pays dans le monde africain, établissaient les conditions d’une coexistence
harmonieuse en Méditerranée et ouvraient la voie à une reconnaissance de
l’annexion de l’Ethiopie. Bref, l’Italie parvenait à sortir de son isolement, à
imposer son statut de grande puissance et une sorte de parité impériale avec le
Royaume-Uni aux dépens de la France.
Le fascisme donnait l’impression de gagner sur tous les tableaux. Dans
l’attente de la ratification britannique des accords qui n’intervint que le
16 novembre 1938, le gouvernement italien maintint une vive pression
notamment par l’intermédiaire des émissions de Radio Bari dont le contenu
restait très agressif. Et si les liens avec le grand mufti de Jérusalem s’affaiblirent,
il n’en bénéficia pas moins d’une contribution financière substantielle. Quant
aux troupes fascistes en Espagne, elles demeuraient sur place pour le moment.
Enfin, l’orientation proallemande du régime ne subissait aucune inflexion, bien
au contraire, puisque, du 3 au 8 mai 1938, Hitler fut l’hôte de Mussolini.
Pour cette visite qui se voulait marquante, le fascisme déploya toute
l’ostentation de sa liturgie. Du Brenner à Rome, de Naples à Florence, le Duce
ne ménagea aucun effort pour impressionner le nouveau dieu païen venu du nord
et lui prouver que l’Italie régénérée par le fascisme valait bien l’Allemagne
nationale-socialiste. Défilés militaires à l’ombre des Césars sur les avenues de la
Rome fasciste, parades navales dans la baie de Naples, discours martiaux sur
l’Europe des peuples forts et autres bains de foule rythmèrent ces cinq jours de
visite officielle où les hiérarques fascistes purent côtoyer leurs homologues nazis
aux côtés desquels même leur violence de jeunesse paraîtrait bientôt bien
espiègle. Certes il y avait le roi, froid et distant à l’encontre des invités de son
Premier ministre, et qui n’avait jamais paru aussi rabougri. Mais comme le
susurraient certains fascistes avec un demi-sourire aux lèvres, on se
débarrasserait sous peu du trône… Hitler crut alors opportun de parler d’alliance
militaire. Or, Mussolini demeura dans le vague sur cette question, sa
circonspection instinctive vis-à-vis des Allemands et les pressions en sens
contraire de Ciano l’empêchant pour l’instant de franchir le pas.
Ces réserves n’enlevaient rien à la force de la révolution copernicienne que
la diplomatie fasciste opérait depuis 1936 et dont la grande perdante était la
France. La guerre civile espagnole et l’Anschluss détruisirent le cadre dans
lequel l’entente franco-italienne évoluait peu ou prou depuis la Grande Guerre.
S’ajoutèrent à la liste des contentieux, d’un côté les imprécations antifascistes du
Front populaire, le soutien aux opposants en exil en France, et de l’autre
l’assassinat à l’instigation du SIM via la Cagoule des deux frères Rosselli,
antifascistes de gauche, la fascisation de la politique étrangère, les anathèmes
antiploutocratiques du régime italien et les appétits annexionnistes sur des
colonies françaises. Pour les puritains du fascisme, les démocraties en général et
la France en particulier sombraient dans le bolchevisme, symptôme de leur
décadence et de la corruption des peuples faibles. Malgré les espoirs du ministre
des Affaires étrangères français, le pâle Georges Bonnet, le fil du dialogue se
rompait petit à petit entre les deux sœurs latines. A la suite de la visite d’Hitler,
Mussolini prononça le 14 mai 1938 un violent discours à Gênes prélude à une
virulente campagne gallophobe dans la presse21.
A la veille de la grande crise des Sudètes et de la conférence de Munich, le
fascisme pouvait donc se targuer d’avoir isolé la France, imposé un dialogue
d’égal à égal avec le Royaume-Uni, noué une relation privilégiée avec
l’Allemagne. Pour résumer il avait rendu l’Italie suffisamment forte pour
imposer sa marque en Méditerranée, choisir ses alliés, se jouer des uns et des
autres. Or, la course à la guerre engagée à partir de l’automne 1938 allait
déchirer le voile des illusions sur une réalité beaucoup plus cruelle, celle de la
vassalisation.
Le régime en guerre
La guerre totale reposait par définition sur la solidité du front interne qui
dépendait de l’adhésion des masses au conflit, à ses objectifs, à sa nature même.
Le fascisme trouvait à cette occasion le moyen de voir jusqu’à quel point il avait
réussi à remodeler la conscience des Italiens. Et le résultat fut sans appel !
La population soutint l’entrée en guerre en juin 1940 sur la promesse
implicite d’une guerre courte et victorieuse. A l’annonce de la défaite française,
des scènes de liesse éclatèrent dans les grandes villes et on entendait ici ou là des
critiques sur les conditions de paix somme toute modérées que l’Axe infligeait à
l’arrogante nation. Le Duce avait préservé le pays pendant plusieurs mois du
conflit, l’Angleterre serait bientôt battue, et l’Italie prendrait sa place sur les
océans. Bien des soldats envoyés sur le front grec y trouvaient l’atmosphère
virile et martiale que le régime avait exaltée pendant deux décennies, loin de la
vie confortable des bourgeois. Belles illusions en réalité que les défaites rapides
et surtout les duretés de la vie quotidienne balayèrent. En effet, si dès l’entrée en
guerre, le gouvernement avait bloqué prix et salaires, les difficultés étaient
encore supportables. Elles le devinrent beaucoup moins au bout d’une année de
campagne avec le rationnement du pain à 200 grammes par jour et par personne,
des pommes de terre à 800 grammes par personne tous les quinze jours et la
raréfaction du riz et des pâtes, aliments de base des couches populaires.
L’éminent spécialiste des questions agricoles Arrigo Serpieri tenta de rassurer la
population en affirmant dans une conférence à Florence que l’Italie était prête à
surmonter les difficultés grâce à l’économie corporative et au génie du Duce48.
Mais dans les faits, le pays ne pouvait plus importer les millions de quintaux de
blé nécessaires, alors même que le manque de main-d’œuvre et les carences en
matière de mécanisation limitaient la productivité. Dans les régions
méridionales, la situation ne cessait d’empirer, plus encore qu’au nord. Le pain
rare et de mauvaise qualité, les étals vides sur les marchés et dans les boutiques
ne permettaient plus de nourrir des enfants que le fascisme avait voulus
nombreux. On manquait de tout : de charbon, d’électricité, de bougies, de gaz,
de viande, de farine, de sucre, de café. Les espions de l’Ovra décrivaient dans
leurs rapports les disputes hystériques de femmes affamées dans les files
d’attente, leurs injures lancées aux chemises noires, les manifestations sur les
places qui dégénéraient, en Campanie ou en Sicile, en attaques contre la mairie49.
Le pays où le marché noir devenait la seule manière de subsister tombait en
morceaux au nom du chacun pour soi. Le Méridional abandonné contre le
privilégié du Nord, le paysan affamé contre l’ouvrier écrasé par les cadences de
travail, l’urbain bombardé contre le rural famélique, le riche contre le pauvre…
On avait l’impression que l’Italie tout entière se fracturait en groupes
antagonistes n’attendant qu’une occasion favorable pour régler leurs comptes.
Disons-le d’emblée, la propagande qui ne ménageait pourtant aucun effort
pour tenir la société se heurtait à un mur de scepticisme virant vite à l’hostilité
puis au rejet massif. Mussolini en avait confié en 1939 la direction à un homme
aussi cultivé que brutal, Alessandro Pavolini, un fasciste pur et dur, protégé de
Ciano. Placé à la tête du Minculpop, il transmettait aux directeurs de tous les
organes de presse les instructions officielles enjoignant d’entretenir le moral de
la population « afin de créer le climat nécessaire aux développements inévitables
et inéluctables qui nous attendent ». Et le Duce de préciser : « S’il y a résistance
de la part d’une certaine bourgeoisie, en temps opportun, nous la balaierons. »
Les journaux répétaient inlassablement les slogans du régime, exaltaient les rares
victoires, minimisaient les nombreuses déconvenues. L’institut Luce tournait
d’innombrables documentaires de guerre auprès des soldats, tandis que le
Minculpop nourrissait un public au ventre creux en courts-métrages sur la
légitimité des peuples forts à dominer et des Etats pauvres à exiger un partage
des richesses planétaires, sur les méfaits des Anglais et des juifs50. Les chansons
diffusées à la radio se moquaient des faiblesses sexuelles des Français, de la
grossièreté des Russes, de la perfidie des Anglais, de la violence des Américains,
et glorifiaient l’action des soldats et marins italiens51. Dans ce domaine, les
fascistes appliquèrent à la lettre l’anathème xénophobe autrefois lancé par
Robespierre : « En qualité de Français, de représentant du peuple, je déclare que
je hais le peuple anglais, je déclare que j’augmenterai autant qu’il sera en moi la
haine de mes compatriotes contre lui. » Mussolini ne disait pas autre chose dans
ce discours du 2 décembre 1942 : « On ne fait pas la guerre sans haïr l’ennemi
du matin au soir, à toute heure du jour et de la nuit, sans propager cette haine et
sans en faire l’essence même de son être. Il faut une bonne fois pour toutes
renoncer à tout faux sentimentalisme. Nous faisons face à des brutes, à des
barbares. Rome, bien que clémente après la victoire, était sans pitié quand il
s’agissait de l’existence du peuple romain52. » Loin d’être de la pure rhétorique,
ces paroles correspondaient à une haine personnelle si forte qu’il avoua à Bottai
avoir eu envie en Libye de tirer de ses propres mains sur une colonne de
prisonniers anglais53… Cette antienne était fidèlement reprise par les journaux
qui lançaient d’implacables appels à la vengeance.
Or, malgré tous leurs efforts, les fascistes échouèrent dans leur entreprise de
diabolisation de l’ennemi. Les rapports de l’Ovra attestaient non seulement
d’une absence de haine pour les Anglais mais surtout d’une anglophilie très forte
dans les différentes couches de la bourgeoisie qui considéraient que seule une
victoire des Anglo-Saxons sauverait le pays du désastre. Ni la propagande ni les
meurtriers bombardements alliés ne parvenaient à anéantir l’inclination teintée
de fascination pour les Etats-Unis, cet eldorado pour des milliers de pauvres
immigrants méridionaux. Même les Russes martyrisés par les nazis ne
suscitaient pas de haine viscérale. Bien au contraire, les récriminations visaient
l’incurie des autorités, la corruption des petits chefs du parti, l’incapacité de la
DCA à protéger les villes pilonnées. Si l’on cherchait des traces de détestation,
c’était à l’encontre des alliés allemands qu’on les trouvait, de ces nazis qui
rationnaient le pays en charbon, maltraitaient les travailleurs italiens envoyés
dans le Reich, massacraient sans vergogne Juifs et Slaves dans les plaines russes,
avant-goût amer de ce qu’ils pourraient faire à l’Italie elle-même54. L’Axe
apparaissait ainsi pour ce qu’il était : une prison d’où l’Italie sortirait esclave
d’un maître implacable.
Mussolini, sentant le sol se dérober sous ses pas, n’avait pas pour autant dit
son dernier mot. La guerre pour un ordre nouveau constituait un cataclysme dont
il entendait se servir pour abattre les restes de la civilisation bourgeoise à
l’intérieur de la société italienne. Ce qui lui restait de pragmatisme lui permettait
de discerner l’abîme séparant les mythes du fascisme et les réalités de la société.
Devant son gendre, il gémissait devant les piètres résultats de la révolution
anthropologique avec l’amertume d’un artiste raté. « C’est la matière qui me
manque. Même Michel-Ange avait besoin de marbre pour faire ses statues. S’il
n’avait eu que de l’argile, il aurait été un simple potier. » Au bout de deux ans de
combats, le même constat s’imposait, aussi sévère qu’injuste au vu du sacrifice
des soldats : « Cette guerre n’est pas faite pour le peuple italien. Il n’a pas la
maturité ni la consistance pour une épreuve aussi formidable et décisive. C’est
une guerre pour les Allemands et pour les Japonais, pas pour nous. » « La race,
ajoutait-il, est ce qu’elle est : on ne la corrige pas du jour au lendemain55. »
Certes il comptait sur l’épreuve du feu, sur les privations et même sur les
mauvaises conditions météorologiques pour l’endurcissement définitif des
individus, sauf qu’elles donnaient les résultats inverses.
Le dictateur mortifié crut alors s’attaquer à la racine du mal en intensifiant
d’une part la campagne antibourgeoise et d’autre part en renforçant le rôle du
PNF dans la construction totalitaire. Devant Bottai, il regrettait sa modération
passée : « Il y a trente ans, si j’avais connu les bourgeois italiens comme je les ai
connus durant ces années, j’aurais fait une révolution à côté de laquelle celle du
camarade Lénine serait passée pour une plaisanterie. » Puis, lors du Conseil des
ministres du 27 septembre 1941, il flétrit les possédants qui étaient « les plus
mauvais Italiens ». Grandi n’en revenait pas de ce « bolchevisme blanc […] dans
lequel il [avait] retrouvé le directeur du journal Lotta di classe qu’il avait
entendu dans sa jeunesse à Imola56 ». Mais il fallait pour cette bataille que le
parti fût en ordre de marche et bien commandé. Or, la nomination d’Ettore Muti
s’avérait une erreur. Inexpérimenté et désordonné, sans attrait pour la culture,
l’homme lige de Ciano s’était contenté d’épurer en masse le PNF des staraciens.
Au moment de l’attaque contre la Grèce en octobre 1940, le Duce le destitua au
profit d’Adelchi Serena. Aussi fidèle que fade, ce mussolinien n’en mena pas
moins une action de consolidation partisane sous la direction pointilleuse du
palais de Venise. Mussolini voulait en effet revoir la question des rapports entre
le parti et l’Etat au bénéfice cette fois-ci du premier. Conformément à la
conception religieuse du fascisme, le parti devait jouer pleinement son rôle
d’avant-garde d’élus. Edgardo Sulis, encore une fois dans la revue Gerarchia,
posait la question : « Qu’est-ce donc que le Parti ? C’est la Révolution qui
avance […]. Abattre tout ce qui est administration des choses et y substituer le
commandement des hommes : voilà la mission précise du Parti. La Révolution
s’appelle Mussolini57. »
Serena mit donc en œuvre plusieurs mesures visant à resserrer le contrôle sur
la société. Il consolida l’emprise sur les Groupes universitaires fascistes et la
Jeunesse italienne du Licteur, renoua des liens avec le monde de la culture et
obtint même pour le PNF le contrôle des prix et l’organisation du ravitaillement,
ce qui fit de ses cadres les cibles prioritaires du mécontentement général58. Les
jeunes loups crurent leur heure venue : la révolution reprenait sa marche ! Le
Duce allait enfin faire comme Staline, et leur permettre de chasser les traîtres et
les embusqués tapis dans les appartements bourgeois. Dans les provinces, une
pulsion squadriste s’empara des plus vieux comme des plus novices, tous
croyant revivre les belles années du fascisme de 1919. Violences et spoliations
firent tache d’huile, malgré les efforts des préfets, et contribuèrent au
détachement des classes moyennes du régime. L’écrivain Marcello Gallian
s’enivrait de cette fièvre qu’il justifiait en 1941 par ces mots : « Le squadrisme a
été l’essence même de la Révolution et donc l’essence même de l’Italie inventée
par Mussolini, de toutes pièces, à coups de combats, d’assauts, de sacrifices, de
morts et de martyrs59. » Pourtant, une fois encore, le Duce hésitait, pris entre les
nécessités de la guerre qui commandaient de conserver le soutien des classes
possédantes et la haine idéologique du révolutionnaire. Guerre oblige, il opta
pour la première solution, conformément à ce qu’il avait toujours fait, et se
sépara de Serena en décembre 1941 avant de lui choisir comme successeur Aldo
Vidussoni, un inconnu dont l’âge (27 ans) conférait un brevet de mussolinisme
de bon aloi.
Quant à Farinacci, le héraut de l’alliance italo-allemande, il bénéficiait
désormais d’une position très solide au sein du régime et d’une excellente
réputation à Berlin, à tel point que son nom circulait comme possible successeur
du Duce. Il tonnait sans cesse contre les défaitistes, contre l’indolence du parti et
appelait à une mobilisation du squadrisme, manière de critiquer l’œuvre de
Mussolini qui ne s’y trompait pas. Leurs relations se dégradèrent de nouveau
dans le courant de 1941, ce qui compta sans doute aussi dans le renvoi de Serena
et le choix de Vidussoni pour mieux contrôler le parti. Aussi isolé était-il au sein
du groupe des hiérarques, et critique à l’encontre des rêves de révolution sociale
de certains ultras, Farinacci n’en demeurait pas moins une menace, alors que
d’étranges rumeurs circulaient sur un soi-disant plan des nazis pour déposer
Mussolini et le roi en sa faveur. Berlin comptait aussi beaucoup sur le clan
proallemand du gouvernement dont faisaient partie le ministre de l’Intérieur,
Buffarini Guidi, ou celui des Corporations, Renato Ricci, dont le physique
avantageux faisait dire à Eugène Dollman, un membre de l’ambassade du Reich
à Rome : « Ricci est un beau prétorien du temps de la Rome impériale60. »
Mussolini s’en inquiétait d’ailleurs beaucoup, et ce fut l’une des motivations de
sa décision de février 1941 d’envoyer tous les hiérarques combattre sur les
différents fronts, autant pour satisfaire l’opinion publique que pour les éloigner
du pouvoir.
De toute façon, le parti concentrait sur lui toutes les haines et les
récriminations d’une population fatiguée de la guerre du fascisme. Le groupe des
élus se transformait en une sorte de corps étranger, minoritaire et de plus en plus
brutal, prélude à ce qu’il deviendrait dans la république de Salò.
La chute
La destitution de Mussolini se fit en deux actes. Dans la nuit du 24 au
25 juillet 1943, un vote de défiance du Grand Conseil fasciste l’obligea à rendre
ses pouvoirs militaires au roi, puis en fin d’après-midi du 25 juillet, Victor-
Emmanuel III le destitua et le fit arrêter. Deux étapes pour deux complots, celui
des hiérarques et celui du souverain. Au cœur de cette affaire, plusieurs
questions s’entremêlaient : la succession, la nature du pouvoir (personnel ou
collégial), la poursuite ou non de la guerre et le type de paix par laquelle le pays
devait sortir de la catastrophe.
Depuis le retournement du conflit à l’Est, Mussolini considérait que le salut
résidait dans la signature d’un armistice entre l’Allemagne et l’URSS, même au
prix de l’abandon de la Pologne, ce qui permettrait de se concentrer sur la lutte
en Méditerranée. Sa conviction que Staline n’exigerait pas un changement de
régime en Italie, contrairement aux Anglo-Saxons, entretenait chez lui le refus
d’une solution occidentale de la crise que préconisait pourtant Giuseppe
Bastianini, nouveau sous-secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères. « Le jour où,
affirmait-il, d’une manière ou de l’autre la Russie sera éliminée et neutralisée, la
victoire est à notre portée69. » Encore fallait-il convaincre Berlin. Afin d’y
parvenir, Mussolini séjourna du 7 au 10 avril 1943 à Klessheim, près de
Salzbourg, pour une rencontre décisive avec Hitler. Il y arriva muni d’un dossier
précis que lui avaient fourni les diplomates. Peine perdue. Les nazis ne voulurent
rien entendre et le Duce, une nouvelle fois, ne réussit pas à s’extraire du sortilège
que le Führer exerçait sur lui depuis au moins 1937. Or, le temps pressait. La
Tunisie tomba entre les mains des Alliés en mai, puis ce fut le tour de l’île de
Pantelleria le 11 juin. Enfin, le 10 juillet, les Alliés débarquaient en Sicile qu’ils
conquéraient sans trop de difficultés.
A Rome, l’affolement était perceptible. Victor-Emmanuel III recevait au
Quirinal des militaires appelant au renversement du fascisme, les écoutait tout en
leur demandant de ne rien faire. Outre l’admiration encore éprouvée pour
Mussolini, le vieux roi se méfiait de l’apparente fragilité du régime et voyait
dans le Duce la seule personne susceptible de convaincre les Allemands de
lâcher prise. Non sans habileté, il entretenait de bons rapports avec Grandi,
incarnation du fascisme modéré et institutionnalisé, qu’il décora du collier de
l’Annonciade en mars 1943 et qu’il jugeait plus fiable que Ciano, qui s’était
dérobé en 1940 à une première approche. « Fiez-vous à votre roi », ne cessait-il
de lui répéter pour mieux le retenir. Car l’ancien ambassadeur brûlait de passer à
l’action. Depuis la perte de l’Afrique, il jugeait le remplacement de Mussolini
indispensable pour échapper à la vassalisation définitive vis-à-vis de
l’Allemagne. Seule cette destitution restaurerait l’image de l’Italie à Londres et
Washington et lui éviterait une capitulation sans conditions. Son plan avait le
mérite de la cohérence : le roi chasserait le dictateur au profit d’un
gouvernement dirigé par le vénérable et peu compromis maréchal Caviglia et
composé d’anciens fiancheggiatori, ces compagnons de route du début des
années 1920. Ce régime autoritaire restaurerait les Chambres, affaiblirait le PNF
et supprimerait le Tribunal spécial, négocierait un armistice avec les
Occidentaux pour ensuite déclarer la guerre à l’Allemagne70. Ciano de son côté
faisait une analyse proche, convaincu de la nécessité d’un changement de
pouvoir pour sortir de l’Axe tout en continuant la guerre contre l’URSS.
Toutefois, Grandi se méfiait de lui à cause de ses liens familiaux avec le Duce.
On remarquera que l’idée d’un changement faisait aussi son chemin dans
l’esprit de Farinacci mais dans une optique radicalement différente. Pour le ras,
Mussolini n’était plus l’homme de la situation. Il avait beau le prévenir des
menaces de complots entre les militaires, les hiérarques et le Quirinal, le
dictateur n’ordonnait pas cette épuration pourtant indispensable pour liquider
tièdes et traîtres. Incapable d’arracher la victoire ou d’imposer la paix, il perdait
donc toute légitimité à gouverner. Une réorganisation du pouvoir s’avérait
nécessaire au profit d’hommes à la poigne de fer et capables de revivifier
l’alliance avec le Troisième Reich. Farinacci, en lien avec Scorza, pensait bien
sûr à lui et au portefeuille de l’Intérieur. Et dans un premier temps, sa ligne parut
prévaloir.
Le débarquement en Sicile accéléra les initiatives. Le 16 juillet, plusieurs
hiérarques, dont Farinacci, Bottai, De Bono, Suardo, Giuriati se réunirent au
siège du parti autour de Scorza, le chef du PNF, puis se rendirent au palais de
Venise. Ciano malade d’une otite et Grandi encore à Bologne n’y assistaient pas.
Mussolini, visiblement reposé et serein, écouta avec attention l’exposé de Bottai
qui lui assura être venu pour sauver le fascisme : « Nous demandons que la
révolution reconstitue ses organes pour agir comme l’heure l’impose. Nous ne
sommes pas ici pour demander une diminution de tes pouvoirs ; ni pour diviser
c’est-à-dire fractionner, ta responsabilité. Nous sommes ici […] pour demander
de partager ta responsabilité71. » Pour résumer, une révision du mode de
fonctionnement du régime dans un sens plus collégial. Le Duce finit par
satisfaire la demande d’une convocation du Grand Conseil fasciste. L’instance
suprême du PNF n’avait pas été réunie depuis décembre 1939 et apparaissait
comme le lieu idoine pour imposer une collégialité. La date fut fixée au
24 juillet. Farinacci rédigea un ordre du jour qui, tout en restituant les pouvoirs
militaires au souverain, en limitait la portée par le transfert des pleins pouvoirs
au PNF72. Meilleur moyen, pensait-il, d’arriver au pouvoir sans pression
allemande apparente.
Pour le moment, Mussolini avait un nouveau rendez-vous avec Hitler, le
19 juillet 1943 à Feltre, près de Trévise. Fort du soutien du Japon, il pensait
arracher à son allié le principe d’une paix séparée à l’Est. Mais la nouvelle de
l’échec de l’offensive allemande à Koursk en Russie, arrivée la veille, balayait
tout espoir de voir le Reich s’engager dans cette voie. De surcroît, le
bombardement de Rome advenu le même jour obligea Mussolini à un retour
précipité. Un échec complet donc qui scella le sort du fascisme en ayant raison
des dernières hésitations ; celles du général Ambrosio, chef d’état-major général
depuis février 1943 et de son adjoint Castellano, tous les deux proches de la
Couronne, comme celles du monarque désormais convaincu de l’impuissance
mussolinienne. Les hiérarques lui donnèrent le prétexte institutionnel qu’il
attendait pour une action politique.
On notera que Grandi ne joua aucun rôle dans la convocation du Grand
Conseil, mais il ne laissa pas passer cette occasion inespérée. Revenu à Rome le
20 juillet, il rédigea un ordre du jour le plus modéré possible afin de rallier la
majorité du Grand Conseil qu’il savait hostile à un renvoi de Mussolini. Le texte
ne parlait que de rendre au roi ses pouvoirs militaires et de laisser au Duce ses
prérogatives politiques mais avec un véritable Conseil des ministres. Grandi le
présenta d’abord à Bottai le 22 juillet puis à Mussolini. Par cette démarche et par
son argumentation en faveur d’un gouvernement national autour du souverain,
sans doute espérait-il atténuer les soupçons de conjuration et lui offrir une sortie
la plus digne possible. Mais il ne put rien obtenir. Puis le lendemain, il retrouva
Bottai pour une nouvelle discussion autour du texte dans le bureau de Scorza en
présence aussi de Ciano qu’il consentit à associer à son initiative sous la pression
de Bottai. Le 24 juillet, les trois conjurés cautionnèrent le texte définitif avant de
se rendre à 17 heures au palais de Venise, non sans s’être au préalable munis
d’armes gonflant leurs poches ! A ce stade, il était entendu que même si
Mussolini était débarqué, le pouvoir resterait aux mains des fascistes, d’une
manière ou d’une autre, avec l’assentiment royal. Or, au Quirinal, un autre
scénario avait été écrit. Les hommes du roi – le général Ambrosio, le ministre de
la Maison royale Pietro Acquarone – considéraient eux aussi que l’occasion ne
se représenterait pas et que, même dans la précipitation, il fallait se débarrasser
de l’encombrant dictateur.
Le décor était en place pour la tragédie finale. Une chaleur torride écrasait
Rome. Les rues étaient désertes. En arrivant au palais de Venise, De Vecchi
croisa De Bono qui, prêt à mener une rude bataille, s’était lui aussi muni
d’armes73 ! Tous entrèrent dans la salle du Grand Conseil fasciste. Mussolini, en
habit de milicien, s’assit au centre comme de coutume avec à sa droite De Bono
et De Vecchi et à sa gauche Scorza et Suardo. Il ouvrit la séance à 17 h 15 puis
parla pendant deux heures pour justifier sa politique et sa manière de conduire la
guerre en rejetant la responsabilité des désastres sur les militaires. L’ordre
suivant lequel les hiérarques parlèrent varie selon les sources. Mais quand
Grandi prit la parole pour lire et expliquer son ordre du jour, son discours selon
Bottai passa « comme un vent de tempête sur la petite assemblée ». D’autres lui
emboîtèrent le pas comme De Bono, De Vecchi, Suardo et même Ciano qui
mena une charge contre les trahisons des Allemands. Le plus modéré dans ses
attaques resta, contre toute attente, Farinacci. Mussolini écoutait sans rien dire
avec, selon De Vecchi, un regard et une pâleur qui trahissaient son épuisement
intérieur74.
Vers minuit, Scorza proposa un ajournement de la réunion qui fut refusé.
Seule une pause permit aux uns et aux autres de faire un premier compte des
votes. Mussolini semblait sans illusions si l’on en croit les billets qu’il envoya à
sa maîtresse Claretta Petacci pendant l’interruption de séance. Et en effet, quand
les débats reprirent et qu’on passa au vote sur l’ordre du jour de Grandi à
2 heures du matin, le texte reçut 19 oui contre 7 non. Même Ciano alla jusqu’au
bout de la trahison, tandis que Farinacci votait pour son propre texte. Mussolini
et Suardo s’abstinrent. Il était 2 h 40 du matin, le 25 juillet 1943.
En convoquant le Grand Conseil, Mussolini pensait parvenir à dégager une
majorité pour se maintenir au pouvoir et renforcer son autorité contre ses
ennemis. Son plan s’était retourné contre lui. Mais tout restait possible puisque
le Grand Conseil n’avait qu’une valeur consultative. Qui plus est, sa convocation
n’avait pas respecté les formes et les délais légaux ; arguments que Scorza
avançait devant son chef une fois tous les deux revenus dans son bureau après la
séance. En fait, le dictateur croyait dur comme fer au soutien du roi. Jamais il
n’imagina qu’il pût le destituer suite au vote de la nuit. Ainsi alla-t-il se coucher
à la villa Torlonia l’esprit tranquille. Quant aux hiérarques félons, tous se
faisaient d’identiques illusions. Ils eurent, c’est indéniable, un courage qui
manqua aux dirigeants soviétiques en juin 1941, celui de se servir de la défaite
pour se débarrasser du tyran. Mis devant un choix crucial, ils préférèrent la
loyauté à l’égard de l’Italie à celle pour Mussolini à qui pourtant ils devaient
tout. L’ambition eut bien sûr sa part d’influence puisqu’autant Ciano le
superficiel, Grandi le diplomate que Farinacci l’intransigeant attendaient d’être
appelés au pouvoir par le roi alors que le vieux renard du Quirinal s’apprêtait à
opérer une sorte de coup d’Etat liquidant le régime.
Le lendemain, arrivant vers 8 heures au palais de Venise, le Duce se mit au
travail avant de demander à être reçu par le souverain pour la fin de la journée.
Vers midi, il accorda une entrevue à l’ambassadeur japonais qui trouva un
homme certes éprouvé mais pas du tout abattu. Bien au contraire, le dictateur lui
confia sa conviction de pouvoir encore convaincre Hitler de signer une paix avec
l’URSS grâce à laquelle l’avancée des Alliés en Italie pourrait être arrêtée75.
Preuve s’il en était besoin de sa détermination à poursuivre la guerre contre les
Anglo-Saxons et de sa certitude de rester à son poste. Il partit donc confiant à la
villa Savoia, la résidence privée de Victor-Emmanuel III, pour torpiller le vote
de la nuit. Mais rien ne se passa comme prévu. Le roi lui annonça sa destitution
et son remplacement, non pas par un fasciste modéré, mais par le maréchal
Badoglio. Abasourdi, le dictateur ne réagit pas. Une fois raccompagné par le roi
jusqu’au perron, il s’apprêtait à reprendre sa voiture quand des carabiniers
l’arrêtèrent. Forcé de monter dans une ambulance, il fut transféré dans une
caserne de Rome76. Sans opposer aucune résistance, il se laissa embarquer avec
l’apathie d’un homme déjà absent, au regard perdu, victime d’un écroulement
psychologique provoqué par les trois chocs traumatiques subis en quelques
heures : le vote du Grand Conseil, le renvoi et l’arrestation. Vingt minutes
suffirent pour mettre fin à un régime qui gouvernait le pays d’une main de fer
depuis vingt ans.
11
La république de Salò et le retour aux sources
La main de l’Allemagne
Hitler ne s’illusionnait guère sur les possibilités de conserver le sud de la
péninsule que les Alliés en effet conquirent entre le 3 septembre, date du
débarquement en Calabre, et le 1er octobre, jour de leur entrée dans Naples. D’où
son obsession d’établir un contrôle draconien sur les régions centrales et
septentrionales, Rome comprise. Ainsi s’expliquent les directives cruelles émises
par l’OKW à l’encontre des soldats et officiers italiens résistant à la Wehrmacht.
Mais cela ne résolvait pas la question du type d’autorité que Berlin établirait sur
ces régions. Le 10 septembre, une réunion des principaux dirigeants nazis mit à
jour les divergences entre civils et militaires, les premiers favorables à une entité
autonome, les seconds à une administration directe. La solution politique
l’emporta car la restauration d’un Etat fasciste comportait un message en
direction des autres alliés du Troisième Reich éventuellement tentés eux aussi
par l’aventure. Berlin disposait en plus de la carte des fascistes ayant rejoint
l’Allemagne après la chute du régime : Giovanni Preziosi, ancien ministre d’Etat
que le 25 juillet avait surpris alors qu’il se trouvait déjà en Allemagne ;
Alessandro Pavolini, ancien ministre de la Culture populaire en fuite depuis le
27 juillet ; Renato Ricci qui déguerpit d’Italie après la mort de Muti ; le propre
fils du Duce Vittorio et enfin Farinacci. Celui-ci avait une nouvelle fois manqué
le coche en se lançant dans une violente critique contre Mussolini lors de son
entretien du 27 juillet avec un Hitler qui ne lui pardonna pas un tel blasphème.
Placé à l’isolement à Marienbad, en Bohême, il n’en fut sorti que le 8 septembre
pour s’entretenir pendant trois heures avec le chef du nazisme avant de rejoindre
le groupe des fascistes réunis au grand quartier général allemand. Pendant ce
temps, à Rome, le général Kesselring libérait des geôles plusieurs autres
personnalités comme Buffarini Guidi et Cavallero. Ce gouvernement de
survivants du fascisme devait servir aux nazis pour maintenir l’ordre en Italie. Ils
les laissèrent donc s’adresser aux Italiens à la radio dans la nuit du 9 septembre.
Or, le Führer n’éprouvait que mépris pour ces petits chefs, divisés par des
rancunes personnelles et sans réelle représentativité. Qui plus est, aucun ne
possédait le charisme de Mussolini pour lequel il nourrissait toujours une vive
admiration. Sa loyauté à son égard demeurait intacte, d’autant que sa
détermination à restaurer le fascisme dans sa patrie originelle rendait le retour du
fondateur indispensable. « Le Duce, écrivait Goebbels dans son journal intime,
sera le dernier Romain à entrer dans l’histoire ; mais dans l’ombre de cette
grande figure se cachait un peuple de bohémiens. » C’était la raison pour
laquelle, dans le radio-message du 9 septembre, l’annonce de la formation du
gouvernement provisoire néofasciste, prêt à s’installer en Italie dès que possible,
fut faite « au nom du Duce ». Encore fallait-il le trouver et ce avant que le
gouvernement italien ne le livrât aux Anglais comme le prévoyait l’armistice de
Cassibile. Quand ce fut chose faite, une opération commando, rondement menée
sous les ordres du commandant SS Otto Skorzeny, le délivra de sa résidence
surveillée du Gran Sasso, le 12 septembre 1943. Le lendemain, son avion atterrit
à Munich où il retrouva, encore hagard, son fils et sa brave Rachele, avant de
repartir pour Rastenburg, en Prusse-Orientale, où l’attendait son effrayant
libérateur.
Leur entretien fut certes cordial mais comme nous le prouvent les
confidences d’Hitler à Goebbels, la confiance dans le Duce s’était
singulièrement érodée. En effet, Mussolini, brisé psychologiquement par sa
chute, son arrestation et sa captivité, complètement isolé du monde extérieur
jusqu’à sa libération, n’était plus que l’ombre de lui-même et semblait sur le
point de se retirer. Or, les pressions comme les menaces d’Hitler, prêt, semble-t-
il, à « poloniser » l’Italie, le convainquirent de remonter en selle pour protéger le
pays. On prendra toutefois garde à l’argument, avancé par les fascistes pendant
et après la guerre, d’un Mussolini se sacrifiant pour préserver son pays des
dévastations allemandes, justification commode, alors même qu’à cette date la
victoire de l’Axe pouvait encore sembler possible et avec elle la renaissance
d’un Etat fasciste. En outre, quel intérêt les Allemands auraient-ils eu à dévaster
un pays dont ils avaient besoin pour combattre les Alliés ? Ce qui paraît
indiscutable, c’est que l’accord de Mussolini pour la création d’un nouvel Etat
brisa, comme l’a très bien expliqué Renzo De Felice, le caractère national et
purement antiallemand qu’aurait pu prendre la résistance, ce qui plongea l’Italie
dans la guerre civile en conférant au Parti communiste le pouvoir de la
transformer en guerre sociale4.
Le soir du même jour, Mussolini rencontra les chefs fascistes pour jeter les
fondements du futur Etat. Celui-ci reposerait avant tout sur une nouvelle milice
commandée par Renato Ricci et un nouveau parti unique, le Parti fasciste
républicain (PFR), confié à Alessandro Pavolini. L’ancien ministre du
Minculpop devenu le numéro deux de la RSI prit dès lors les traits d’un
Robespierre du fascisme, aussi cultivé qu’impitoyable, aussi incorruptible que
glacial, un brin romantique, aimant le flirt avec la mort et décidé à éliminer
impitoyablement les traîtres du 25 juillet, véritable traumatisme de sa vie5. Le
17 septembre, Mussolini put s’envoler pour Munich d’où, le 18, il prononça un
discours fondateur à la radio.
Chemises noires, Italiens et Italiennes ! Après un long silence voici que de nouveau vous parvient
ma voix et je suis sûr que vous la reconnaîtrez, c’est la voix qui vous a appelé au rassemblement dans
les moments difficiles et qui a célébré avec vous les journées triomphales de la patrie.
Passé ce moment d’émotion de nature à recréer le lien religieux entre le
Duce et son peuple, il jeta les pires imprécations contre la dynastie de Savoie
« agent principal du défaitisme et de la propagande antiallemande », beaucoup
plus attaquée que Badoglio. Puis, il traça les contours d’un programme
politique :
1. Reprendre les armes aux côtés de l’Allemagne et du Japon et des autres alliés. Seul le sang peut
laver une page aussi ignominieuse de l’histoire de la Patrie.
2. Préparer sans attendre la réorganisation de nos forces armées autour des formations de la
Milice. Seul celui qui est animé de la foi et combat pour une idée ne mesure pas l’ampleur des
sacrifices.
3. Eliminer les traîtres ; en particulier ceux qui jusqu’à 21 h 30 le 25 juillet militaient, parfois
depuis plusieurs années, dans le Parti et sont passés dans les rangs de l’ennemi.
4. Anéantir les ploutocraties parasitaires et faire du travail le centre de l’économie et la base
inviolable de l’Etat.
Le message s’acheva par un appel partisan :
Chemises noires fidèles de toute l’Italie !
Je vous appelle de nouveau au travail et aux armes. […]
Vous squadristes, reconstituez vos bataillons qui ont accompli des gestes héroïques.
Vous jeunes fascistes, engagez-vous dans les divisions qui doivent renouveler, sur le sol de la Patrie,
la glorieuse entreprise de Bir el Gobi6.
Vous aviateurs, retournez avec vos camarades allemands à vos postes de pilotage pour rendre vaine
et dure l’action ennemie sur nos villes.
Vous femmes fascistes, reprenez votre œuvre d’assistance morale et matérielle, si nécessaire au
peuple.
Pour ceux qui en auraient douté, le fascisme renouait avec sa violence
intrinsèque, autant verbale que physique pour reprendre le combat. Et on aura
noté que le Duce ne s’adressait pas à la nation mais bien aux fascistes. Car la
honte du 8 septembre, si elle était avant tout imputable aux traîtres, retombait
aussi sur l’ensemble du peuple italien qui fit, à cette occasion, la preuve de son
indignité. Le fascisme ressuscité ne pouvait donc s’appuyer sur cette « plèbe »
mais sur son élite exclusive au risque d’apparaître pour ce qu’il avait été à ses
origines, une faction.
A ce stade, deux questions restaient sans réponse. La première concernait la
formation du gouvernement. Le 17 septembre, Pavolini, nouveau chef du PFR,
arriva dans Rome occupée par les Allemands. Après avoir installé le siège du
parti au palais Wedekind, à l’angle de la place Colonna, il s’échina à recruter des
ministres. La mort mystérieuse du général Cavallero, la trahison de De Bono et
la fuite d’Ambrosio avec le roi limitèrent les choix pour le portefeuille de la
Guerre dont hérita le maréchal Rodolfo Graziani, ancien pacificateur de la Libye
et de l’Ethiopie, retiré des affaires depuis la campagne d’Afrique et ennemi de
Badoglio depuis toujours. L’Intérieur échut à Buffarini Guidi, les Affaires
étrangères à Serafino Mazzolini, l’Education nationale à Alberto Biggini, la
Culture populaire à Fernando Mezzasoma. On le voit, à quelques exceptions
près, des seconds couteaux. Farinacci se serait bien vu ministre de l’Intérieur
mais le veto du Duce l’en empêcha, et il se retira à Crémone dans une opposition
tout sauf silencieuse. Les ministres se réunirent pour la première fois le
23 septembre dans le bâtiment de l’ambassade d’Allemagne (tout un symbole !)
avant de prendre le chemin de Rocca delle Caminate, la résidence de campagne
du Duce où celui-ci s’était installé. Le premier Conseil des ministres se tint donc
là, le 27 septembre.
La seconde question était celle de la capitale du nouvel Etat. Rome bien sûr
s’imposait afin de laver l’affront du 25 juillet, de reprendre, depuis le palais de
Venise, le fil de l’histoire là où la trahison l’avait interrompu. Peine perdue.
Berlin s’y opposa sans doute par crainte des contacts secrets et subversifs avec
les administrations et la population romaines dont on avait vu le peu de fiabilité.
Milan alors ? Mais c’était exposer la ville-mère du fascisme aux bombardements
destructeurs des Anglo-Saxons. Le choix se porta alors sur la région des grands
lacs bordant la plaine du Pô, sur les contreforts des Alpes. Les ministères se
dispersèrent donc entre plusieurs villes : l’Intérieur à Maderno, la Justice à
Crémone, la Culture populaire à Venise, l’Education nationale à Padoue, la
présidence du Conseil à Bogliaco et les Affaires étrangères à Salò qui accueillit
aussi le sous-secrétaire d’Etat à la Propagande, donnant à la RSI le sinistre nom
avec lequel elle passa dans l’histoire. Le 10 octobre, Mussolini quitta sa
Romagne natale pour sa résidence officielle, la villa Feltrinelli, à Gargnano, sur
le lac de Garde dont il haïssait pourtant les paysages. Le 1er décembre, tout fut en
place : la RSI était officiellement proclamée, reconnue par les alliés de l’Axe
(Roumanie, Bulgarie, Slovaquie, Croatie, Japon, république chinoise de Nankin
et Mandchoukouo). Un moment tenté par une reconnaissance, le rusé Franco
maintint en fin de compte ses relations diplomatiques avec le cabinet Badoglio7.
L’écroulement final
Dans sa marche vers le totalitarisme, le fascisme usa de tous les moyens à sa
disposition. Renato Ricci tenta de ressusciter les Balilla, espérant même remettre
en selle les collèges et les académies de l’ONB pour l’année scolaire 1944-1945.
Les Avant-gardistes furent enrôlés dans des unités armées, y compris les filles
dans un corps d’auxiliaires45. A l’instar du Reich agonisant, la RSI revêtit de
l’uniforme de très jeunes adolescents « volontaires et précocement développés »
qu’il arma de fusils. Bien sûr, les services de propagande retrouvèrent leur rôle
de premier plan dans le combat pour le contrôle de l’opinion publique et son
ralliement à la RSI. Confié à Fernando Mezzasoma que le Duce recevait chaque
jour, le ministère de la Culture populaire se montra particulièrement actif dans la
production de matériel propagandiste : affiches, tracts, revues, cartes postales.
Même l’institut Luce et les services cinématographiques repliés à Venise
apportèrent leur pierre à cet édifice en faveur des chevaux de bataille du régime
républicain : la trahison royale, la fidélité à l’Allemagne, la mobilisation
patriotique, la cruauté des ennemis et les racines risorgimentales de la RSI46. La
réaffirmation du lien avec les grands ancêtres dérivait de la rupture
institutionnelle de 1943 et du retour au républicanisme des origines. Le fascisme
chercha de ce fait à séparer la monarchie de la nation italienne. « Plus que chez
les monarchistes, avait assuré Mussolini dans son discours du 18 septembre, la
liberté et l’indépendance de l’Italie furent voulues par le courant républicain et
par son plus pur et grand apôtre, Giuseppe Mazzini. » Inévitablement, la figure
de Garibaldi, le guerrier patriote et républicain, ne pouvait qu’être récupérée par
la propagande de Salò qui mit sa vie en parallèle avec celle du Duce47. Pourtant,
cette mobilisation ne permit pas à la RSI de gagner la guerre des esprits. La
compromission avec l’Allemagne nazie et les exactions en éloignaient
inexorablement la population.
Il est vrai que le Troisième Reich ne fit rien pour favoriser l’entreprise de
Salò. Hitler reçut à deux reprises son ancien mentor, le 22 avril 1944 à
Klessheim puis à Rastenburg le 20 juillet 1944, immédiatement après l’attentat
de von Stauffenberg. A chaque fois, il écouta ses doléances et ses demandes de
renforts, l’assura de son amitié et galvanisa sa détermination mais sans nouer
entre les deux régimes une véritable coordination stratégique. Le Führer ne
s’intéressait à la RSI qu’en fonction de ses intérêts militaires, indifférent à ses
vicissitudes politiques. Que le calme régnât dans les provinces septentrionales de
la péninsule était tout ce qu’il demandait, fût-ce au prix de terribles représailles
que les troupes de Kesselring ne manquaient pas de déchaîner. S’il ne fit rien
pour les arrêter, Mussolini n’en prit pas moins ses distances avec ses
encombrants alliés lorsque la fortune des armes semblait tourner à leur
désavantage comme à l’été 1944, et protesta auprès de l’ambassadeur Rahn pour
les conséquences désastreuses que les massacres de civils avaient sur sa
popularité. L’aversion pour les Allemands qu’il nourrissait depuis sa jeunesse
s’en donna de nouveau à cœur joie. La disgrâce de Ricci en août 1944 devait
aussi beaucoup à la dégradation de ses relations avec eux. Fort logiquement,
Berlin gardait toujours un œil attentif sur Farinacci, le thuriféraire de l’alliance
qui écrivait en octobre 1944 dans Regime fascista : « Il existe aujourd’hui un
seul problème immédiat, contribuer avec chaque effort, avec chaque moyen à la
victoire de l’Allemagne. Sans cette victoire, il ne peut y avoir de salut pour
nous48. » Berlin gardait donc dans sa manche la carte Farinacci comme
l’indiquaient en septembre 1944 les bruits de nomination à la tête du
gouvernement d’un homme que Mussolini cherchait à fragiliser par des rumeurs
sur son honnêteté.
A la faveur de l’automne et de l’hiver 1944, la situation militaire se stabilisa
en faveur de l’Axe. Les Alliés s’arrêtèrent devant une nouvelle ligne de défense
dite ligne Gothic, tandis que de vastes opérations de ratissage permirent le
démantèlement des « républiques partisanes ». Au niveau de la guerre en
Europe, l’usage de ses armes nouvelles par le Reich contre l’Angleterre (les
fameux V1 et V2) laissait entrevoir un retournement complet sur le champ de
bataille. Les dirigeants de la RSI reprenaient espoir. Graziani sentit alors la
situation suffisamment consolidée pour donner le 1er décembre 1944 un ordre de
modération de nature à contrebalancer les effets négatifs des répressions :
« L’illégalité et la criminalité doivent rester le triste privilège de nos ennemis. Le
but à atteindre est clair : prouver à notre peuple qu’il existe une très nette
différence entre l’Italie républicaine fasciste de l’ordre, de la légalité, de
l’honneur et de la lutte à outrance ; et l’Italie du chaos, de la trahison, de la
honte, de la capitulation et de l’asservissement à l’étranger. » Il appelait en
conséquence à protéger la population civile des réquisitions et des pillages49.
Le contexte permettait aussi de refaire de la politique. Mussolini qui, depuis
le début de l’aventure de Salò, vivait reclus comme l’ombre du tribun
charismatique qu’il avait été, se décida à se rendre à Milan où il songeait à
installer son gouvernement. Le 16 décembre, alors qu’Hitler jouait son va-tout
dans l’offensive des Ardennes, il entra dans la salle du théâtre Lirico où une
foule galvanisée l’attendait pour écouter ce qui devait être son dernier discours
public. Imprécations contre les traîtres, appels à la guerre à outrance,
exhortations à réaliser la socialisation des entreprises, incitations à préserver
l’esprit révolutionnaire du fascisme, diatribes contre le cosmopolitisme et
défense de l’unité des Européens émaillèrent ce sermon enflammé qui n’était pas
sans rappeler celui de Goebbels sur la guerre totale. Cela n’empêcha pas les
relations entre Berlin et Salò d’entrer dans une phase de turbulences. En
février 1945, Mussolini, fidèle à ses habitudes de gouvernement, chassa de son
poste de l’Intérieur le très collaborateur Buffarini Guidi. Hors de lui, le général
Wolff ordonna en réponse l’arrestation de deux hauts fonctionnaires de la police
italienne qu’il déporta à Dachau. Un mois plus tard, le Conseil des ministres
approuva les décrets d’application de la socialisation des entreprises à laquelle le
Duce voulut donner un coup d’accélérateur bien tardif. Plus cyclothymique que
jamais, déchiré entre la conscience de sa fin inéluctable et la folle espérance
d’une victoire arrachée in extremis au destin, l’ancien César aimait se présenter
comme un « vieux socialiste » qui ne cachait pas une certaine admiration pour
Staline, « le seul homme, disait-il, qui puisse se présenter avec les mains propres
devant le tribunal de l’histoire50 ». Après tout, le Géorgien n’était-il pas
l’inventeur lui aussi d’une sorte de socialisme national aux caractères russo-
slavophiles marqués ?
Ces décisions et allusions à son passé occupaient une place majeure dans les
manœuvres que ce politicien retors lançait avec les socialistes antifascistes. En
effet, désireux d’échapper à l’étreinte autant des Allemands que des puritains du
fascisme et préoccupé par la survie du fascisme, Mussolini se convainquit
rapidement de la nécessité de discuter avec les organisations jugées les moins
éloignées de son mouvement comme le Parti socialiste. Il pouvait s’appuyer au
sein du régime sur tout un courant conciliateur dans lequel évoluaient le ministre
Biggini, le philosophe Edmondo Cione, et les journalistes Concetto Pettinato et
Carlo Silvestri, tous ralliés à l’idée de négocier une reddition non pas avec les
Alliés mais avec des forces politiques italiennes. Cette politique dite des
« ponts », très sérieuse et directement liée à la socialisation, en plus de diviser le
camp antifasciste, pouvait atténuer la guerre civile, préparer une transition
politique et même préserver certains acquis sociaux du fascisme. Au-delà de ces
aspects internes, certains caressaient même le rêve d’une grande alliance
continentale favorisée par une paix séparée avec l’URSS – que Mussolini avait
demandé une nouvelle fois à Hitler dès le 14 septembre 1943 – et qui
rassemblerait Moscou, Berlin, Rome et les autres peuples européens unis contre
la ploutocratie anglo-saxonne51.
Lancé en août 1944 directement par Mussolini lors d’une audience accordée
à Cione, ce travail souterrain se poursuivit entre divers émissaires jusqu’à
l’extrême fin de la RSI comme nous le verrons. Il fut accompagné par une
campagne de presse menée par une série d’articles publiés dans le Corriere della
sera de mars à mai 1944, puis par un quotidien clairement socialiste L’Italia del
popolo, diffusé du 28 mars au 25 avril 1945. Les lecteurs trouvèrent dans le
premier numéro un article de Cione intitulé « L’ennemi, la propriété » et dans
lequel ils purent lire : « Peu nous importe que la socialisation soit faite par
Benito Mussolini ou par Pietro Nenni [secrétaire national du Parti socialiste
italien d’unité prolétarienne, proche du PCI] ; il nous importe qu’elle soit faite
réellement52. » Dressé du haut de son intransigeance, le noyau dur du régime
pilonnait ces tentatives de conciliations, tandis que leurs sbires attaquaient les
vendeurs de L’Italia del popolo.
L’ultime trahison des Allemands tomba avec les négociations menées par
différents truchements (le cardinal Schuster archevêque de Milan, le Saint-Siège,
les postes diplomatiques à Berne en Suisse) afin de négocier soit avec les
partisans un cessez-le-feu permettant l’évacuation des divisions de la
Wehrmacht, soit avec les Anglo-Saxons la capitulation sur le front italien pour
mieux concentrer les forces du Reich agonisant contre les troupes soviétiques à
l’Est. Les plus sérieuses furent celles menées sous la direction de Himmler par
l’intermédiaire du général SS Wolff avec Allen Dulles, chef de l’OSS (les
services secrets américains) alors présent à Berne. Ces discussions, connues sous
le nom d’opération Sunrise, étaient menées dans le dos de Mussolini, alors
même que le retrait des troupes allemandes sonnerait le glas de son régime53. On
peut toutefois émettre certains doutes sur sa méconnaissance totale de ces
pourparlers puisque, le 13 mars 1945, il confia à son fils Vittorio la mission de
transmettre à l’archevêque de Milan, Mgr Schuster, un texte de capitulation
prévoyant un désarmement préalable des partisans avant celui de la Milice pour
éviter de sanglantes représailles contre les fascistes. Le cardinal transmit la
proposition le 6 avril au Saint-Siège. Cinq jours plus tard, la réponse négative
des Alliés torpilla l’initiative54.
La situation militaire empirait. Une offensive alliée avait porté les troupes
ennemies sur le Pô. Les villes de la côte toscane ainsi que Bologne et Modène
tombaient entre leurs mains avec l’aide des partisans. Le cœur de la RSI était
désormais directement menacé. Cela dit, la mort de Roosevelt le 12 avril – un
des nombreux miracles que l’Axe à l’agonie attendait – réactiva les espoirs
d’une dislocation de la Grande Alliance. Le lendemain, lors d’une réunion avec
Mussolini, à laquelle assistait Anfuso en charge depuis le 26 mars du sous-
secrétariat d’Etat aux Affaires étrangères, l’ambassadeur Rahn insista pour qu’il
transmît à Hitler une nouvelle proposition de paix avec Staline. Le dictateur
écouta avec attention les arguments en faveur d’un plan qu’il n’avait cessé de
défendre depuis quatre ans et sans y croire s’exécuta. Aucune réponse ne parvint
de Berlin55.
Toutefois, le dictateur tint bon à propos de son départ pour Milan, auquel les
Allemands s’opposaient. Le 18 avril, il quitta donc Gargnano et s’installa à la
préfecture de Milan pour y jouer le dernier acte de la pièce débutée vingt-six ans
plus tôt. Il partait sans aucune illusion sur la pérennité de son Etat. L’échec était
patent, et encore une fois il en rejetait toute la responsabilité sur les Italiens. Lors
de leur dernier entretien, il avait confié à Anfuso : « Fou ou non, je crois que si
ma folie avait été accompagnée d’un peu de bonne volonté, d’un léger effort de
la part des Italiens, elle ne serait pas jugée comme elle l’est aujourd’hui […]. Si
j’avais été accompagné du même élan que tant d’Italiens ont mis à suivre la
cause des Anglo-Saxons, nous n’en serions pas où nous en sommes. » Et
lorsqu’il termina en affirmant : « Mais peut-être bien que cet effort n’était pas
aussi mince que je le considère aujourd’hui. Peut-être que, sans m’en apercevoir,
je leur ai demandé une révolution56 », jamais sans doute il ne fut aussi proche de
la vérité.
Grâce à d’autres confidences, celles-ci faites à Vincenzo Costa, fédéral de
Milan, nous connaissons son état d’esprit et ses objectifs politiques : parvenir à
un accord avec les forces antifascistes dans le cas où le front du Pô céderait.
« Dans ce grave moment, expliqua-t-il, nous avons le devoir d’empêcher que
lors d’un éventuel passage des pouvoirs n’éclate une guerre civile. Un acte
d’indiscipline commis par des fascistes ferait échouer les discussions, les
propositions et les tractations qui pourraient se conclure positivement. » Il faisait
allusion ici à la tentative d’intrusion de fascistes milanais dans l’hôtel Plaza où
se tenait une réunion des comités de libération, acte qu’il condamnait avec
fermeté. Car, continua-t-il, « je voudrais m’entendre avec les socialistes mais ils
sont hésitants : maintenant se profilent d’autres possibilités que je considère
comme les seules positives ». Toutefois, en cas de rupture du front, il envisageait
de quitter Milan pour ne pas livrer la ville à la destruction, de procéder ensuite à
la transmission des pouvoirs, de libérer les forces armées de leur serment de
fidélité et de se barricader dans la vallée alpine de la Valteline, que Pavolini
voulait transformer en un réduit inexpiable. Une fois niché dans cette
« forteresse », il pourrait négocier avec le nouveau gouvernement italien la
reddition, la protection des derniers fascistes et de leurs familles contre les
représailles et sa propre livraison à un tribunal italien qu’il espérait impartial.
« Je n’entends pas me livrer aux tribunaux anglo-saxons, affirmait-il avec force,
ils m’empêcheraient de parler, de dire une vérité qui les brûlera57. »
La capitale lombarde où tout avait commencé offrait donc le cadre idéal pour
une négociation en vue d’une transition politique entre Italiens. Et pourquoi pas
une fusion entre le fascisme et le socialisme ? C’était la thèse que défendit le
journaliste Silvestri lors de son entrevue du 22 avril avec un Mussolini tout sauf
désespéré et qui se déclara même « totalement en dehors et contre le système
capitaliste ». Le journaliste l’exhortait à choisir le camp de la gauche, seul apte à
sauver les réalisations du fascisme et à empêcher le retour de la monarchie et du
capitalisme. C’était avec le PSI qu’il fallait négocier la remise des pouvoirs sur
la base des propositions exprimées devant Vincenzo Costa quelques jours plus
tôt. Mais les efforts de Silvestri en ce sens se heurtèrent à une fin de non-
recevoir qu’exprima avec netteté le chef socialiste Sandro Pertini, le 24 avril :
« Dites à Silvestri qu’avec Mussolini il n’y a plus rien à traiter. » La veille, les
Alliés avaient franchi le Pô… Le lendemain matin, 25 avril, devant le philosophe
Edmondo Cione, Mussolini toujours déterminé exprima le fond de sa pensée :
« Je voudrais consigner la République à des républicains et à des socialistes et
pas à des monarchistes et des réactionnaires », non sans répéter à plusieurs
reprises : « Il n’y a plus de Mussolini58. »
L’ultime rencontre pour négocier la reddition se déroula au palais de
l’archevêché, le 25 avril, à 17 heures. La délégation conduite par Mussolini y
rencontra celle du CLNAI composée entre autres du démocrate-chrétien Achille
Marazza et du commandant militaire de la Résistance, le général Cadorna. Le
temps pressait puisque l’insurrection générale était déclenchée dans Milan. Les
représentants du CLNAI, en position de force, exigèrent une reddition sans
conditions. Quand Graziani tapa du poing sur la table en affirmant que rien ne
serait signé à l’insu des Allemands, ses interlocuteurs révélèrent la teneur de
leurs négociations avec ceux-ci. Mussolini blêmit comme s’il sentait le souffle
de la mort sur lui avant d’exploser de rage devant cette forfaiture. Il décida de
retourner à la préfecture pour y prendre sa décision finale. Refusant de livrer la
ville à la guérilla urbaine et ses partisans à la vindicte antifasciste, il se rallia au
plan de la Valteline. Vers 20 heures, le dictateur déchu se résolut à quitter Milan
pour Côme. Mais avant de plier bagages, il demanda à voir le consul d’Espagne
et lui exprima une étrange requête : entamer avec l’ambassadeur anglais à Berne
une négociation en vue d’une reddition préservant de l’anéantissement un
fascisme présenté comme une « force utile pour une ultérieure lutte contre le
bolchevisme59 ». L’accélération dramatique des événements ne permit pas au
diplomate de mener sa mission à bien. Il n’empêche. Cette ultime requête
montrait que jusqu’au bout le Duce refusait sa mort politique.
Désormais il fallait partir. Dans la cour de la préfecture, Mussolini étreignit
son fils Vittorio en lui disant : « S’ils imaginent me clouer au pilori comme une
bête féroce dans la tour de Londres ou à Madison Square Garden, ils se trompent
lourdement. » Conscient de marcher vers son destin, il salua ses partisans à la
romaine avant de monter dans une Alfa Romeo avec Nicola Bombacci à ses
côtés. Le long cortège traversa la capitale lombarde plongée dans un grand
silence que seules venaient percer quelques rafales de mitraillettes. Avec lui, un
dernier carré de fidèles parmi lesquels Graziani, Buffarini Guidi, Tarchi,
Mezzasoma et sa maîtresse Claretta Petacci.
Resté encore quelques heures à Milan, Pavolini, qui avait crié « Le Duce ne
se rend pas ! », comme pour mieux s’en convaincre, ordonna à ses Brigades
noires de rejoindre son inexpugnable réduit de la Valteline pour que le fascisme
pérît comme le nazisme, les armes à la main, dans la glorieuse apocalypse des
adeptes de la mort. Or, pour succomber héroïquement, encore fallait-il disposer
de troupes. Déjà à Milan, la Brigade noire Resega, la Garde nationale
républicaine et même la Decima Mas s’étaient débandées. Lorsque, aux
premières heures du 27 avril, Pavolini parvint à rejoindre son maître installé
depuis la veille dans la ville de Menaggio, sur les rives du lac de Côme, il ne lui
apporta qu’une dizaine d’hommes armés au lieu des 50 000 promis. Tout était
fini. Décidé à rejoindre le Tyrol encore aux mains des Allemands, Mussolini
reprit alors la route dans une colonne de blindés allemands qui fut stoppée à
Dongo par des partisans. Malgré l’uniforme allemand dont il s’était à contrecœur
revêtu, il fut reconnu et arrêté. Le lendemain 28 avril, dans des conditions encore
troubles aujourd’hui et sur ordre du CLNAI, un groupe communiste commandé
par Walter Audisio, dit colonel Valerio, le fusilla avec sa maîtresse,
officiellement devant le portail de la villa Belmonte, à Giulino di Mezzegra, sur
le lac de Côme. Le même sort attendait ses derniers fidèles. Pavolini se battit
comme un diable, arme au poing, jusqu’à se jeter dans le lac pour échapper aux
partisans mais, traqué et blessé, il finit par être arrêté puis fusillé en criant « Vive
l’Italie ! » Quant à Bombacci, ce fut aux cris de « Vive le socialisme ! Vive
Mussolini ! » qu’il tomba sous les rafales.
Il restait à accomplir un dernier acte, une dernière cérémonie d’expiation,
celle qui purgerait l’Italie du fascisme et romprait le lien avec le régime défunt
par la profanation des corps. Elle eut lieu à Milan où les partisans ramenèrent les
dépouilles, tels des trophées, pour les jeter aux ultimes heures de la nuit sur la
place Loreto, là où précisément en août 1944 une dizaine des leurs avaient reçu
un traitement identique. Le macabre spectacle pouvait commencer. Une foule
sans cesse plus nombreuse et hystérique, fatiguée de l’oppression fasciste,
saturée de souffrances et assoiffée de vengeance, s’acharna sur le cadavre de
Mussolini, sur ce corps autrefois objet de son adoration, comme pour mieux
anéantir cette incarnation physique du fascisme. Par une étrange ironie du sort, le
très fidèle et mal aimé Starace mourut à ses côtés. Reconnu le 27 avril dans une
rue de Milan par un jeune homme qui lui avait demandé « Où vas-tu Starace ? »,
l’ancien hiérarque partant pour son footing avait répondu : « Prendre un café ! »
Remis aussitôt aux partisans, inconscient du sort qui l’attendait, jugé en vingt
minutes par un tribunal populaire, il fut emmené à son tour place Loreto pour y
contempler le cadavre de son ancien dieu qu’il salua à la romaine. « Faites
vite », lança-t-il à ses bourreaux qui le mitraillèrent de dos contre un mur.
Comme de vulgaires morceaux de viande, les cadavres finirent par être pendus
par les pieds à la poutre d’une station d’essence et offerts en spectacle à la
multitude.
Y a-t-il dans la misérable fin des chefs fascistes et dans leur calvaire
posthume un contenu christique qui conférerait au fascisme un aspect religieux
jusqu’à l’extrême limite de son existence ? Dans ce cas, il s’agirait de l’ultime
pulsion de la religion de la mort entretenue depuis la Grande Guerre par les
disciples du Romagnol. L’obscénité païenne de la place Loreto constitua en tout
cas la représentation la plus visible de l’écroulement cette fois-ci définitive du
régime et de la destruction du « pacte charismatique entre Mussolini et les
Italiens », selon la belle expression de l’historien Sergio Luzzatto60. Bien
d’autres fascistes subirent une mort tout aussi violente infligée comme juste
châtiment pour leurs crimes, pour prix de la vengeance aveugle ou au nom de la
justice aussi hâtive que politique dont les communistes se faisaient alors une
spécialité dans toute l’Europe libérée. Farinacci, fuyant Crémone, tenta de passer
en Suisse avant d’être arrêté par les partisans, jugé en une heure par un tribunal
du peuple composé de résistants et condamné à mort. Refusant de mourir fusillé
dans le dos, il se retourna in extremis pour faire face aux balles. Celui qui aurait
pu être un autre Duce mourut le 28 avril, le même jour que Mussolini. Buffarini
Guidi, lui, attendit juillet 1945 pour être exécuté. Le maréchal Graziani, le prince
Borghese mais aussi les très fascistes Scorza et Ricci échappèrent à la mort ainsi
que Grandi ou même Bottai qui, en 1944, s’engagea dans la Légion étrangère à
l’âge de 50 ans et abjura sa foi fasciste pour celle de l’Eglise catholique.
D’autres, plus anonymes, payèrent de leur vie leur engagement et leurs atrocités
lors d’une épuration « au coin du bois » qui fit, selon différentes sources, entre
12 000 et 15 000 victimes venant s’ajouter aux 45 000 partisans et 10 000 civils
tués. Une répression légale tenta bien de donner un cadre institutionnel à
l’épuration par l’adoption de différents décrets pris entre juillet 1944 et
avril 1945. En tout, les tribunaux prononcèrent 259 condamnations à mort dont
91 seulement furent exécutées et 6 000 peines de prison partiellement
accomplies. Puis vint la loi d’amnistie signée le 22 juin 1946 par le chef du très
stalinien PCI Palmiro Togliatti, garde des Sceaux dans le gouvernement d’Alcide
De Gasperi. L’Italie tournait la page.
CONCLUSION
Le fascisme est mort
La bibliographie du fascisme étant immense, on ne présente ici que les titres qui ont le plus servi à cette
étude.
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2. Stéphane Courtois, Communisme et totalitarisme, Paris, Tempus/Perrin, 2009, p. 57-58.
3. Walter L. Adamson, « The Impact of World War I on Italian Political Culture » in European Culture
in the Great War. The Arts, Entertainment and Propaganda, 1914-1918, A. Roshwald and R. Stites eds.,
Cambridge University Press, 1999, p. 318.
4. Andrea Masseroni, « Dal “culto della patria” alla “religione fascista”. Momenti del processo di
auto-rappresentazione religiosa del fascismo » in Nuova Storia contemporanea, 2014/5, p. 15-16.
5. Cité in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 77.
6. Didier Musiedlak, Mussolini, op cit., p. 29-35.
7. Giuseppe Bottai, Diario, 1935-1944, a cura di Giordano Bruno Guerri, Milano, BUR, 2001, p. 38.
8. Mario Isnenghi, Giorgio Rochat, La Grande Guerra, 1914-1918, Milano, La Nuova Italia, 2000,
p. 401 sq. ; Michel Ostenc, Intellectuels italiens et fascisme, op. cit., p. 82-83.
9. Maurizio Serra, Malaparte. Vies et légendes, Paris, Grasset, 2011, p. 82-83 ; Michel Ostenc,
Intellectuels italiens et fascisme, op. cit., p. 70-71.
10. Cité in Nicholas Farrell, Giancarlo Mazzuca, Il compagno Mussolini, op. cit., p. 245.
11. Renzo De Felice, « L’interventismo revoluzionario » in Il trauma dell’intervento : 1914-1919, op.
cit., p. 289-290.
12. Cité in Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, ovvero delal rivoluzione fascista, Firenze, Le Lettere,
2007, p. 19.
13. Cité in Stéphanie Lanfranchi et Elise Varcin, « Mussolini et “coloro che ci sono stati” », Italies [en
ligne], no 19, 2015, mis en ligne le 30 mars 2016, consulté le 12 décembre 2016. URL :
http://italies.revues.org/5196.
14. Cité in Nicholas Farrell, Giancarlo Mazzuca, Il compagno Mussolini, op. cit., p. 256.
15. Frédéric Le Moal, La France et l’Italie dans les Balkans, op. cit., p. 339 sq.
16. Eric Vial, Guerres, société et mentalités. L’Italie au premier XXe siècle, Paris, Seli Arslan, 2003,
p. 106.
17. Ernst Nolte, « Révolution et contre-révolution en Europe » in Quand tombe la nuit, op. cit., p. 107.
18. Marco Mondini, La Politica delle arme. Il ruolo dell’esercito nell’avvento del fascismo, Bari-
Roma, Laterza, 2015, p. 13-26.
19. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 78-79 ; Emilio Gentile, Il mito dello
Stato nuovo, op. cit., p. 146-152.
20. Cité in Xavier Martin, S’approprier l’homme, op. cit., p. 39.
21. Michele Fatica, « Michele Bianchi » in Uomini e volti del fascismo, Ferdinando Cordova (dir.),
Roma, Bulzoni, 1980, p. 51-55.
22. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 84 ; Emilio Gentile, Il mito dello
Stato nuovo, op. cit., p. 153.
23. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 23.
24. Pierre Milza, Mussolini, op. cit., p. 239 ; Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 39.
25. Cité in Nicholas Farrell, Giancarlo Mazzuca, Il compagno Mussolini, op. cit., p. 271.
26. Il Popolo d’Italia, 6 octobre 1919.
27. Cité in Pierre Milza, Mussolini, op. cit., p. 239.
28. Cité in Romano Canosa, Farinacci. Il superfascista, Milano, Mondadori, 2010, p. 16.
29. Augusto Del Noce, L’Epoque de la sécularisation, Paris, Editions des Syrtes, 2001, p. 156-158.
30. Paolo Nello, « Fascismo perchè, fascismo che cosa. Dalle origine alla marcia sur Roma » in Nuova
Storia contemporanea, 2006/1, p. 26-27.
31. Frédéric Le Moal, Victor-Emmanuel III, op. cit., p. 264-266.
32. Didier Musiedlak, Mussolini, op. cit., p. 280-281.
33. Francesco Perfetti, Fiumanesimo, sindicalismo e fascismo, Roma, Bonacci editore, 2006, p. 17-19.
34. Francesco Perfetti, « D’Annunzio politico » in Nuova Storia contemporanea, 2013/4, p. 12-13 ;
Claudia Salaris, Alla festa della rivoluzione. Artisti e libertari con D’Annunzio a Fiume, Bologna, Il
Mulino, 2002, p. 42-43.
35. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 88-89.
36. Marco Mondini, La Politica delle arme, op. cit., p. 46-50.
37. Mimmo Franzinelli, Squadristi. Protagonisti e techniche della violenza fascista, 1919-1922,
Milano, Mondadori, 2003, p. 46.
38. Mimmo Franzinelli, Squadristi, op. cit., p. 22 et 26.
39. Paolo Nello, « Fascismo perchè, fascismo che cosa. Dalle origine alla marcia sur Roma », op. cit.,
p. 29-31.
40. Emilio Gentile, Il Mito dello Stato nuovo, op. cit., p. 157-158.
41. Eric Vial, « L’Italie post-guerre : logique pour une guerre civile ? » in Les Logiques totalitaires en
Europe, Stéphane Courtois (dir.), Monaco, Editions du Rocher, 2006, p. 259.
42. Marco Mondini, La Politica delle arme, op. cit., p. 52-58.
43. Mimmo Franzinelli, Squadristi, op. cit., p. 52.
44. Emilio Gentile, La Religion fasciste, op. cit., p. 54-58.
45. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, Roma-Bari, Laterza, 2006, p. 22 ; Marco Mondini, La
politica delle arme, op. cit., p. 54.
46. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 23-24.
47. Mimmo Franzinelli, Squadristi, op. cit., p. 58-68.
48. Salvatore Lupo, Le Fascisme italien. La politique dans un régime totalitaire, Paris, Flammarion,
2003, p. 109-113 ; Claudio Segré, « Italo Balbo », in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 10-11.
49. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 110-111.
50. Marco Mondini, La Politica delle arme, op. cit., p. 91.
51. Fabio Fabbri, Le Origine della guerra civile. L’Italia dalla Grande Guerra al fascismo, 1918-
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52. Renzo De Felice, Mussolini il fascista. I. La conquista del potere, 1921-1925, Torino, Einaudi,
1966, p. 94.
53. Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 36-37.
54. Sandro Setta, « Federzoni » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 255-256.
55. Cité in Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 41.
56. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 30.
57. Cité in Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 43 ; Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit.,
p. 62-63.
58. Renzo De Felice, Mussolini il fascista, op. cit., p. 172 sq.
59. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 53-54.
60. Paolo Nello, « Fascismo perchè, fascismo che cosa. Dalle origine alla marcia sur Roma », op. cit.,
p. 36-37.
3. Octobre noir
1. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 55.
2. Ernst Nolte, Fascisme et totalitarisme, édition établie et présentée par Stéphane Courtois, Paris,
Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2008, p. 348-349.
3. Emilio Gentile, « Le fascisme italien : une révolution au-delà de l’antimarxisme et de la contre-
révolution », in Fascisme et totalitarisme, op. cit., p. 243-245.
4. Cité in Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 45 ; Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit.,
p. 67.
5. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 32-34.
6. Marco Mondini, La Politica delle arme, op. cit., p. 144.
7. Emilio Gentile, Soudain, le fascisme. La marche sur Rome, l’autre révolution d’Octobre, Paris,
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8. A. Giardina, A. Vauchez, Il Mito di Roma. Da Carlo Magno a Mussolini, Roma-Bari, Laterza, 2016,
p. 215-224.
9. Cité in A. Giardina, A. Vauchez, Il Mito di Roma, op. cit., p. 217.
10. Cité in Ruth Ben-Ghiat, Fascist Modernities. Italy, 1922-1945, Los Angeles, University of
California Press, 2001, p. 17.
11. Emilio Gentile, Soudain, le fascisme, op. cit., p. 69-72.
12. Mimmo Franzinelli, Squadristi, op. cit., p. 147-152.
13. Cité in Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 57.
14. Marco Mondini, La Politica delle arme, op. cit., p. 147.
15. Frédéric Le Moal, Les Divisions du pape. La papauté face aux dictateurs, 1917-1989, Paris,
Perrin, 2016, p. 59-60.
16. Emilio Gentile, Pour ou contre César ? Les religions chrétiennes face aux totalitarismes, Paris,
Aubier, 2013, p. 87-93.
17. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 41.
18. Emilio Gentile, Soudain, le fascisme, op. cit., p. 103.
19. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 44.
20. Emilio Gentile, Soudain, le fascisme, op. cit., p 109-110 ; Marco Mondini, La Politica delle arme,
op. cit., p. 150-159.
21. Mimmo Franzinelli, Squadristi, op. cit., p. 153.
22. Paolo Nello, « Fascismo perchè, fascismo che cosa. Dalle origine alla marcia sur Roma », op. cit.,
p. 39.
23. Monte S. Finkelstein, « De Bono » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 181-182.
24. Marco Innocenti, Lui e loro. Mussolini e i suoi gerarchi, Milano, Mursia, 2012, p. 274.
25. Cité in Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 86 ; Frédéric Le Moal, Victor-
Emmanuel III, op. cit., p. 280.
26. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 94-95.
27. Frédéric Le Moal, Victor-Emmanuel III, op. cit., p. 280-281.
28. Marco Mondini, La Politica delle arme, op. cit., p. 160-162.
29. Cité in Marco Innocenti, Lui e loro, op. cit., p. 95.
30. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 71.
31. Emilio Gentile, Soudain, le fascisme, op. cit., p. 162.
32. Renzo De Felice, Mussolini il fascista, op. cit., p. 352-353.
33. Cesare Maria De Vecchi di Val Cismon, Il Quadrumviro scomodo. Il vero Mussolini nelle memorie
del più monarchico dei fascisti, Milano, Mursia, 1983, p. 70.
34. Emilio Gentile, Soudain, le fascisme, op. cit., p. 162.
35. Marco Mondini, La Politica delle arme, op. cit., p. 171.
36. Monte S. Finkelstein, « De Bono » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 184.
37. Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 67.
38. Cité in Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 125.
39. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 125-126.
40. Emilio Gentile, La Voie italienne au totalitarisme, Monaco, Editions du Rocher, 2004, p. 168.
41. A titre d’exemples, citons Marco Mondini et Giulia Albanese pour la première thèse, et Emilio
Gentile pour la seconde. Le compromis me paraît évident comme je le démontre dans ma biographie de
Victor-Emmanuel III.
42. Eric Vial, « L’Italie post-guerre : logique pour une guerre civile ? » in Les Logiques totalitaires en
Europe, op. cit., p. 252.
4. La normalisation du fascisme
1. Pierre Milza, Mussolini, op. cit., p. 313.
2. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 151-158.
3. Cité in Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 68.
4. Pierre Milza, Mussolini, op. cit., p. 315.
5. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 177.
6. Cité in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 115.
7. Paolo Colombo, La Monarchia fascista, Bologna, Il Mulino, 2010, p. 33.
8. Monte S. Finkelstein, « De Bono » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 187.
9. Giulia Albanese, La Marcia su Roma, op. cit., p. 179-180.
10. Paolo Colombo, La Monarchia fascista, op. cit., p. 45.
11. Yannick Beaulieu, « La presse italienne, le pouvoir politique et l’autorité judiciaire durant le
fascisme », Amnis [en ligne], no 4, 2004, mis en ligne le 1er septembre 2004, consulté le 13 juillet 2016.
URL : http://amnis.revues.org/673 ; DOI : 10.4000/amnis.673
12. Francesco Perfetti, Fascismo e riforme istituzionali, Firenze, Le Lettere, 2013, p. 23.
13. Emilio Gentile, Pour ou contre César ?, op. cit., p. 141-142.
14. Didier Musiedlak, Parlementaires en chemises noires, 1922-1943, Besançon, PUFC, 2007, p. 242-
249.
15. Car composée de cinq membres : Giunta, Acerbo, Bianchi, Finzi et Rossi.
16. Cité in Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 103 et 105.
17. Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 80-81.
18. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 107-108.
19. Frédéric Attal, Histoire des intellectuels italiens au XXe siècle. Prophètes, philosophes et experts,
Paris, Les Belles Lettres, 2013, p. 137.
20. Cité in Francesco Malgeri, « Giuseppe Bottai » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 115.
21. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 109-111.
22. Monte S. Finkelstein, « De Bono » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 187-188.
23. Didier Musiedlak, Parlementaires en chemises noires, 1922-1943, op. cit., p. 199-200.
24. Paolo Colombo, La Monarchia fascista, op. cit., p. 87.
25. Francesco Perfetti, Fascismo e riforme istituzionali, op. cit., p. 26.
26. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 129.
27. Domenico Vecchioni, Le Spie di Mussolini. Uomini, apparati e operazioni di intelligence
nell’Italia del Duce, Editoriale Olimpia, 2015, p. 20.
28. Didier Musiedlak, Parlementaires en chemises noires, op. cit., p. 251-252.
29. Cité in Romano Canosa, Farinacci, op. cit., p. 89.
30. Didier Musiedlak, Parlementaires en chemises noires, op. cit., p. 254.
31. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 81-82.
32. Paolo Colombo, La Monarchia fascista, op. cit., p. 47-49.
33. Renzo De Felice, Mussolini il fascista, op. cit., p. 658-659
34. Giuseppe Pardini, Roberto Farinacci, op. cit., p. 142-143.
35. Monte S. Finkelstein, « De Bono » in Uomini e volti del fascismo, op. cit., p. 190-191.
36. Matteo Baragli, « Catholicisme et nationalisme dans l’Italie fasciste : la réponse clérico-fasciste à
la sécularisation d’une nation catholique (1919-1929) », in Amnis [en ligne], 2012/11, consulté le 10 février
2016.
37. Emilio Gentile, Fascismo e antifascismo. I partiti italiani fra le due guerre, Firenze, Felice Le
Monnier, 2000, p. 131-132.
38. Frédéric Attal, Histoire des intellectuels italiens au XXe siècle, op. cit., p. 194-195.
39. Bernard Bruneteau, Les Totalitarismes, Paris, Armand Colin, 2005, p. 12.
40. Francesco Perfetti, Fascismo e riforme istituzionali, op. cit., p. 26.
41. Didier Musiedlak, Parlementaires en chemises noires, op. cit., p. 258.
42. Paolo Colombo, La Monarchia fascista, op. cit., p. 34.
43. Frédéric Le Moal, Victor-Emmanuel III, op. cit., p. 298-299.
44. Didier Musiedlak, Parlementaires en chemises noires, op. cit., p. 260.
45. Danilo Veneruso, « Alberto De Stefani, un liberista nel regime fascista » in Nuova Storia
contemporanea, 2013/5, p. 36.
46. Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 72-73.
47. Frédéric Attal, Histoire des intellectuels italiens au XXe siècle, op. cit., p. 133. Francesco Perfetti,
« Giovanni Gentile, tra liberalismo e fascismo », in Nuova Storia contemporanea, 2013/1.
48. Ibid., p. 161 ; Michel Ostenc, Mussolini, op. cit., p. 74.
49. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 137-138.
50. Ibid., p. 120.
51. Ivan Buttignon, Compagno Duce. Fatti, personaggi, idee e contraddizioni del fascismo di sinistra,
Hobby & Work Publishing, 2010, p. 79-81.
52. Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 147.
53. Le discours peut être lu dans son intégralité in Emilio Gentile, Fascismo e antifascismo, op. cit.,
p. 153-154.
54. Mario Luciolli, « Mussolini, uomo di sinistra », Nuova Storia contemporanea, 2011/5, p. 135.
8. La géopolitique du fascisme
1. Olivier Forlin, Le Fascisme, op. cit., p. 183-195.
2. Fabrice Jesné, « Les racines idéologiques de l’impérialisme italien dans les Balkans, 1861-1915 » in
Hypothèses, 2006/1 (9), p. 278-279.
3. MacGregor Knox, « Fascism : ideology, foreign policy, and war » in Liberal and Fascist Italy,
op. cit., p. 115.
4. Emil Ludwig, Entretiens avec Mussolini, op. cit., p. 96-97.
5. Cité in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 155.
6. Cité in Jean de Viguerie, Les Deux Patries. Essai historique sur l’idée de patrie en France, Bouère,
DMM éditions, 2003, p. 76.
7. Cité in Nunzio Dell’Erba, « L’idea di romanità durante il fascismo », op. cit., p. 53.
8. Emil Ludwig, Entretiens avec Mussolini, op. cit., p. 176.
9. Eric Vial, Guerres, société et mentalités, op. cit., p. 119-120.
10. Cité in Stefano Fabei, Le Faisceau, la Croix gammée et le Croissant, Saint-Genis-Laval, Akribeia,
2005, p. 38.
11. MacGregor Knox, « Fascism : ideology, foreign policy, and war » in Liberal and Fascist Italy,
op. cit., p. 116.
12. Federico Niglia, « Oublier l’ennemi, retrouver l’allié. L’attitude de l’Italie vis-à-vis de l’Allemagne
après la Première et la Seconde Guerre mondiale », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], no 88, 2014, mis
en ligne le 3 décembre 2014, consulté le 25 octobre 2016. URL : http://cdlm.revues.org/7390.
13. Giorgio Petracchi, La Russia Rivoluzionaria nella politica italiana. Le relazioni italo-sovietiche
1917-1925, Bari, Laterza, 1982, p. 147 sq.
14. Liliana Saiu, La Politica estera italiana dell’Unità a oggi, Roma-Bari, Laterza, 1999, p. 92-93.
15. Enzo Collotti, Fascismo e politica di potenza. Politica estera, 1922-1939, Milano, La Nuova Italia,
2000, p. 29-30.
16. Frédéric Le Moal, « L’analyse de la politique méditerranéenne de la France par l’Italie dans les
années 1880 » in Les Horizons de la politique extérieure française. Stratégie diplomatique et militaire dans
les régions périphériques et les espaces seconds (XVIe-XXe siècles), Frédéric Dessberg et Eric
Schnakenbourg (dir.), Bern, Peter Lang, 2011, p. 297 sq.
17. Frédéric Le Moal, « La France, l’Italie et l’Afrique dans la pensée de Paolo Orsini d’Agostino » in
Hervé Coutau-Bégarie et Martin Motte (dir.), Approche de la géopolitique, de l’Antiquité à nos jours, Paris,
Economica, 2013, p. 471 sq.
18. John Gooch, « Reconquest and suppression : fascist Italy’s pacification of Libya and Ethiopia,
1922-1939 » in The Journal of Strategic Studies, no 6, vol. 28, december 2005, p. 1006-1007.
19. Sur ces questions, voir Massimo Bucarelli, Mussolini e la Jugoslavia (1922-1939), Bari, Edizioni
B. A. Graphis, 2006 ; Eric Gobetti, “Da Marsiglia a Zagabria. Ante Pavelic e il movimento ustaša in Italia
(1929-1941)”, in Qualestoria, no 1, giugno 2002 ; François Grumel-Jacquignon, La Yougoslavie dans la
stratégie française de l’entre-deux-guerres, 1918-1935. Aux origines du mythe serbe en France, Bern, Peter
Lang, 1999.
20. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 89-90.
21. Renzo de Felice, « Alcune osservasioni sulla politica estera mussoliniana » in L’Italia fra Tedeschi
e Alleati : la politica estera fascista e la seconda guerra mondiale, a cura di Renzo de Felice, Bologna, Il
Mulino, 1973, p. 65.
22. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 96.
23. Jean-Marie Palayret, L’Alliance impossible : diplomatie et outil militaire dans les relations franco-
italiennes, Vincennes, Service historique de la Défense, 2004, p. 20-23.
24. Emmanuel Mattiato, introduction à l’étude Cosmopolitisme et réaction : le triangle Allemagne-
France-Italie dans l’entre-deux-guerres, Ute Lemke, Massimo Bucarelli, Emmanuel Mattiato (dir.),
Chambéry, Université de Savoie Mont Blanc, 2014, p. 27-28.
25. Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ? Histoire et interprétation, Paris, Gallimard, 2002,
p. 114.
26. Michel Ostenc, « La politica estera italiana e il concetto di civiltà (1914-1943) », in Nuova Storia
contemporanea, 2009/3, p. 16 sq.
27. Cités in Paolo Buchignani, La Rivoluzione in camicia nera, op. cit., p. 251.
28. Emil Ludwig, Entretiens avec Mussolini, op. cit., p. 98.
29. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 99 sq.
30. Sur ces questions, voir Michael Arthur Leeden, L’Internazionale fascista, Roma-Bari, Laterza,
1973 ; Davide Sabatini, L’Internazionale du Mussolini. la diffusione del fascismo in Europa nel progetto
politico di Asvero Gravelli, Volpe, 1999 ; Marco Cuzzi, L’Internazionale delle camicie nere. I CAUR,
Comitati d’azione per l’universalità di Roma, 1933-1939, Milano, Mursia, 2006 ; Monica Fioravanzo,
« Mussolini, il fascismo e “l’idea dell’Europa”. Alle origine di un dibatto » in Italia contemporanea,
2001/262, p. 7-27 ; Tommaso Visone, « La réaction au cosmopolitisme dans les années trente. L’idée
d’Europe chez Asvero Gravelli, Carl Schmitt et Drieu la Rochelle » in Cosmopolitisme et réaction, op. cit.,
p. 116-125.
31. Elisa Tizzoni, « Les politiques touristiques du fascisme et les relations internationales de l’Italie,
entre diplomatie publique et création d’une marque de destination-Italie », Cahiers de la Méditerranée [en
ligne], no 88, 2014, mis en ligne le 10 décembre 2014, consulté le 14 novembre 2016. URL :
http://cdlm.revues.org/7479.
32. Winston et Clementine Churchill, Conversations intimes, 1908-1964, présenté par François
Kersaudy, annoté par lady Mary Soames-Churchill, Paris, Tallandier, 2013, p. 374.
33. Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 145 sq.
34. Frédéric Le Moal, « Charles Maurras et l’Italie, la nécessaire amitié » in Entre la vieille Europe et
la seule France. Charles Maurras, la politique extérieure et la défense nationale, Georges-Henri Soutou et
Martin Motte (dir.), Paris, Economica, 2010, p. 214-215 ; François Huguenin, L’Action française. Une
histoire intellectuelle, Paris, Perrin, 2011, p. 426-430.
35. Christophe Poupault, « Cosmopolitisme “latin” et antigermanisme. Les réseaux intellectuels
franco-italiens au service de la promotion latine » in Cosmopolitisme et réaction, op. cit., p. 189-206.
36. Cité in Zeev Sternhell, Ni droite, ni gauche, op. cit., p. 233.
37. Tommaso Visone, « La réaction au cosmopolitisme dans les années trente. L’idée d’Europe chez
Asvero Gravelli, Carl Schmitt et Drieu la Rochelle » in Cosmopolitisme et réaction, op. cit., p. 138-139.
38. Cité in Thomas Siret, « Nationalistes et patriotes : un clivage révolutionnaires qui dure encore »,
op. cit., p. 76.
39. Robert Brasillach, Notre avant-guerre, Paris, Plon, 1941, p. 230.
40. Nicola D’Elia, « G. Bottai, “Critica fascisa” e il nazionalsocialismo » in Nuova Storia
Contemporanea, 2014/1, p. 15-32.
41. Giorgio Fabre, Roma a Mosca : lo spionaggio fascita in URSS e il caso Guarnaschelli, Bari,
edizioni Dedalo, 1990, p. 89-90 ; Giogio Petracchi, Da San Pietroburgo a Mosca. La diplomazia italiana in
Russia, 1861-1941, Roma, Bonacci, 1993, p. 317 sq.
42. Pierre Milza, Conversations Hitler-Mussolini, 1934-1944, Paris, Fayard, 2013, p. 32.
43. Christophe Poupault, Vers une Europe latine, op. cit., p. 123-124.
44. Gianluca Falanga, L’Avamposto di Mussolini nel Reich di Hitler. La politica italiana a Berlino
(1933-1945), Milano, Tropea, 2011, p. 71-76.
45. Ennio Di Nolfo, Dagli imperi militari agli imperi tecnologici. La politica internazionale nel XX
secolo, Roma-Bari, Laterza, 2002, p. 112-113.
46. Cité in Stefano Fabei, Le Faisceau, la Croix gammée et le Croissant, op. cit., p. 47-48.
47. Massimiliano Fiore, « La guerra delle parole : la propaganda anti-inglese di Radio Bari e le
contromisure britanniche (1935-1940) », Nuova Storia contemporanea, 2011/1, p. 67.
48. Stefano Fabei, Le Faisceau, la Croix gammée et le Croissant, op. cit., p. 49-51.
49. Yvon De Begnac, Taccuini mussoliniani, op. cit., p. 550.
50. Jason Davidson, « Italy, British resolve and the 1935-1936 Italo-Ethiopian War », Cahiers de la
Méditerranée [en ligne], no 88, 2014, mis en ligne le 3 décembre 2014, consulté le 14 novembre 2016.
URL : http://cdlm.revues.org/7428.
51. Max Schiavon, Mussolini. Un dictateur en guerre, Paris, Perrin, 2016, p. 71-80.
52. Renzo De Felice, Mussolini il Duce. Gli anni del consenso. 1929-1936, Torino, Einaudi, 1996,
p. 721-725 ; Paolo Nello, Dino Grandi, op. cit., p. 160-161.
53. Massimaliano Fiore, « La guerra della parole », op. cit., p. 171-172.
54. Nicola Labanca, Una guerra per l’impero. Memorie della campagna d’Etiopia, 1935-1936,
Bologna, Il Mulino, 2005, p. 47-48.
55. Cité in Gian Enrico Rusconi, Germania, Italia, Europa. Dallo stato di potenza alla « potenza
civile », Torino, Einaudi, 2003, p. 78.
Acerbo, Giacomo : 1, 2, 3, 4, 5.
Agnelli, Giovanni : 1.
Albertini, Luigi : 1, 2.
Alessio, Giulio : 1.
Alfieri, Dino : 1, 2, 3, 4.
Ambrosio, Vittorio : 1, 2, 3.
Amendola, Giovanni : 1, 2, 3, 4.
Anfuso, Filippo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.
Aoste, duc d’, Emmanuel-Philibert : 1, 2, 3, 4.
Aoste, duc d’, Amédée : 1, 2, 3.
Appelius, Mario : 1.
Aragon, Louis : 1.
Attolico, Bernardo : 1, 2, 3, 4, 5.
Babeuf, Gracchus : 1, 2.
Badoglio, Pietro : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17.
Bakounine, Mikhaïl : 1.
Balbo, Italo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28.
Barone, Domenico : 1.
Barthou, Louis : 1.
Bassani, Giorgio : 1.
Basso, Luigi : 1.
Bastianini, Giuseppe : 1, 2.
Baudeau, Nicolas : 1.
Bencini, Angiolo : 1.
Benedettini Alferazzi, Paola : 1.
Beneduce, Alberto : 1.
Benoît XV : 1.
Béraud, Henri : 1, 2.
Berta, Giovanni : 1, 2.
Bianchi, Michele : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15.
Biggini, Alberto : 1, 2, 3.
Bilenchi, Romano : 1, 2.
Bissolati, Leonida : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Blanc, Giuseppe : 1.
Blanqui, Auguste : 1.
Blasetti, Alessandro : 1, 2.
Bombacci, Nicola : 1, 2, 3, 4, 5.
Bonaparte, Napoléon : 1.
Bonnet, Georges : 1.
Bonomi, Ivanoe : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.
Borghese, Valerio : 1, 2.
Boris III : 1.
Boselli, Paolo : 1, 2.
Bottai, Giuseppe : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27,
28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50.
Bourguiba, Habib : 1.
Brandimarte, Piero : 1.
Brasillach, Robert : 1, 2, 3.
Briand, Aristide : 1, 2, 3.
Bucard, Marcel : 1.
Buffarini Guidi, Guido : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
Cachin, Marcel : 1.
Cadorna, Luigi : 1, 2, 3, 4.
Calcagno, Tullio : 1.
Camerini, Mario : 1.
Campioni, Inigo : 1.
Carli, Mario : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Castellano, Giuseppe : 1.
Cavallero, Ugo : 1, 2, 3, 4.
Caviglia, Enrico : 1, 2, 3.
Cavour, Camillo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Ceccherini, Sante : 1.
Chamberlain, Austen : 1.
Chamberlain, Neville : 1, 2, 3, 4, 5.
Churchill, Winston : 1, 2, 3, 4.
Ciano, Galeazzo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27,
28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46.
Cione, Edmundo : 1, 2, 3, 4, 5.
Cittadini, Arturo : 1, 2.
Clerici, Ambrogio : 1.
Colombo, Francesco : 1.
Contarini, Salvatore : 1, 2, 3, 4.
Corradini, Enrico : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Corridoni, Filippo : 1.
Costantini, Costantino : 1.
Costa, Vincenzo : 1, 2.
Croce, Benedetto : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
D’Annunzio, Gabriele : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25,
26, 27.
D’Errico, Corrado : 1.
Daladier, Edouard : 1.
Darwin, Charles : 1.
Davanzati, Roberto : 1.
De Ambris, Alceste : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.
De Begnac, Yvon : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
De Bono, Emilio : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27,
28.
De Gasperi, Alcide : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Del Vecchio, Giorgio : 1.
De Nicola, Enrico : 1, 2, 3.
De Stefani, Alberto : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
De Vecchi, Cesare Maria : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Diaz, Armando : 1, 2, 3.
Diderot, Denis : 1.
Di Giovara, Cesare : 1.
Di Vagno, Giuseppe : 1.
Dolfin, Giovanni : 1.
Dollfuss, Engelbert : 1, 2.
Dollman, Eugène : 1, 2.
Drieu la Rochelle, Pierre : 1, 2, 3, 4.
Dulles, Allen : 1.
Dumini, Amerigo : 1, 2, 3.
Eden, Anthony : 1, 2, 3.
Einaudi, Luigi : 1.
Evola, Giulio : 1.
Facta, Luigi : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13.
Fara, Gustavo : 1.
Farinacci, Roberto : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26,
27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53,
54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80,
81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93.
Federzoni, Luigi : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19.
Fellini, Federico : 1, 2.
Finzi, Aldo : 1, 2, 3, 4.
Franco, Francisco : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
Freddi, Luigi : 1.
Galbiati, Enzo : 1.
Gallian, Marcello : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Garibaldi, Giuseppe : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.
Gennina, Augusto : 1.
Gentile, Emilio : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Gentile, Giovanni : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26,
27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53,
54, 55, 56, 57.
Giolitti, Giovanni : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26,
27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35.
Giordani, Giulio : 1.
Giunta, Francesco : 1, 2, 3, 4.
Giuriati, Giovanni : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
Gramsci, Antonio : 1, 2.
Grandi, Dino : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28,
29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55,
56, 57, 58, 59, 60, 61.
Gravelli, Asvero : 1, 2, 3, 4, 5.
Graziani, Rodolfo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15.
Guariglia, Raffaele : 1.
Haïlé Sélassié : 1.
Halifax, Edward : 1.
Hélène, reine : 1, 2, 3.
Hervé, Gustav : 1, 2, 3, 4, 5.
Himmler, Heinrich : 1, 2.
Hitler, Adolf : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28,
29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53.
Hoare, Samuel : 1, 2, 3.
Hoppe : 1.
Horty, Miklós : 1.
Humbert, prince héritier : 1, 2, 3, 4.
Humbert Ier : 1, 2, 3.
Husseini, Mohammed Amin al- : 1, 2, 3.
Igliori, Ulisse : 1.
Iqbâl, Muhammad : 1.
Jandl : 1.
Jaurès, Jean : 1, 2.
Kappler, Herbert : 1.
Kesselring, Albert : 1, 2, 3, 4.
Koch, Pietro : 1.
Kochnitzky, Léon : 1.
Korherr, Richard : 1.
Labriola, Arturo : 1, 2.
Lanthénas, François : 1.
Lavagnini, Spartaco : 1.
Laval, Pierre : 1, 2, 3, 4, 5.
Le Bon, Gustave : 1, 2.
Lénine, Vladimir Ilitch : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17.
Levi, Carlo : 1.
Lloyd George, David : 1.
Lombroso, Cesare : 1.
Maccari, Mino : 1, 2, 3, 4.
Malaparte : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13.
Maltoni, Rosa : 1.
Manaresi, Angelo : 1.
Manni, Marcello : 1.
Marconi, Guglielmo : 1.
Marguerite, reine d’Italie : 1.
Marie-José, princesse : 1.
Marinelli, Giovanni : 1, 2.
Marinetti, Filippo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22.
Marx, Karl : 1, 2, 3, 4, 5.
Mascherpa, Luigi : 1.
Matarazzo, Raffaello : 1.
Matteotti, Giacomo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16.
Maurras, Charles : 1, 2, 3.
Mazzini, Giuseppe : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19.
Mazzolini, Serafino : 1, 2.
Melchiori, Alessandro : 1.
Mezzasoma, Fernando : 1, 2, 3.
Micheli, Renato : 1.
Mischi, Archimede : 1.
Misiano, Francesco : 1.
Montaldo, Giuliano : 1.
Montesquieu, Charles de : 1.
Moretti, Luigi : 1.
Mori, Cesare : 1.
Mosley, Oswald : 1.
Murgia, Diego : 1.
Mussolini, Arnaldo : 1, 2, 3.
Mussolini, Benito : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26,
27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53,
54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80,
81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105,
106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125,
126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 145,
146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 163, 164, 165,
166, 167, 168, 169, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 184, 185,
186, 187, 188, 189, 190, 191, 192, 193, 194, 195, 196, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 203, 204, 205,
206, 207, 208, 209, 210, 211, 212, 213, 214, 215, 216, 217, 218, 219, 220, 221, 222, 223, 224, 225,
226, 227, 228, 229, 230, 231, 232, 233, 234, 235, 236, 237, 238, 239, 240, 241, 242, 243, 244, 245,
246, 247, 248, 249, 250, 251, 252, 253, 254, 255, 256, 257, 258, 259, 260, 261, 262, 263, 264, 265,
266, 267, 268, 269, 270, 271, 272, 273, 274, 275, 276, 277, 278, 279, 280, 281, 282, 283, 284, 285,
286, 287, 288, 289, 290, 291, 292, 293, 294, 295, 296, 297, 298, 299, 300, 301, 302, 303, 304, 305,
306, 307, 308, 309, 310, 311, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 318, 319, 320, 321, 322, 323, 324, 325,
326, 327, 328, 329, 330, 331, 332, 333, 334, 335, 336, 337, 338, 339, 340, 341, 342, 343, 344, 345,
346, 347, 348, 349, 350, 351, 352, 353, 354, 355, 356, 357, 358, 359, 360, 361, 362, 363, 364, 365,
366, 367, 368, 369, 370, 371, 372, 373, 374, 375, 376, 377, 378, 379, 380, 381, 382, 383, 384, 385,
386, 387, 388, 389, 390, 391, 392, 393, 394, 395, 396, 397, 398, 399, 400, 401, 402, 403, 404, 405,
406, 407, 408, 409, 410, 411, 412, 413, 414, 415, 416, 417, 418, 419, 420, 421, 422, 423, 424, 425,
426, 427.
Mussolini, Edda : 1.
Mussolini, Rachele : 1, 2, 3.
Muti, Ettore : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Nietzsche, Friedrich : 1, 2, 3, 4.
Nitti, Francesco Saverio : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.
Ojetti, Ugo : 1.
Orano, Paolo : 1, 2, 3, 4.
Orlando, Vittorio Emanuele : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Orvieto, Arturo : 1.
Oxilia, Nino : 1.
Pacelli, Francesco : 1.
Palermi, Raul : 1.
Papini, Giovanni : 1, 2, 3, 4.
Pavese, Roberto : 1.
Pavolini, Alessandro : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.
Pellizzi, Camillo : 1, 2.
Pertini, Sandro : 1.
Petacci, Claretta : 1, 2, 3, 4.
Pettinato, Concetto : 1.
Piacentini, Marcello : 1, 2, 3, 4, 5.
Pie IX : 1.
Pie XI : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14.
Pie XII : 1, 2.
Pirandello, Luigi : 1.
Ponsonby, lord : 1.
Prato, Francesco : 1.
Preziosi, Giovanni : 1, 2, 3.
Prezzolini, Giuseppe : 1, 2, 3, 4.
Primo de Rivera, Miguel : 1.
Proudhon, Pierre-Joseph : 1, 2.
Rahn, Rudolf : 1, 2, 3.
Ribbentrop, Joachim von : 1, 2, 3.
Ricci, Renato : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21.
Roatta, Mario : 1, 2.
Robespierre, Maximilien : 1, 2, 3, 4.
Rocca, Massimo : 1, 2, 3.
Rocco, Alfredo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
Rolland, Romain : 1.
Roosevelt, Franklin Delano : 1, 2.
Rosselli, Carlo : 1, 2, 3.
Rossellini, Roberto : 1.
Rossi, Cesare : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Rossoni, Edmondo : 1, 2.
Rota, Nino : 1, 2.
Rousseau, Jean-Jacques : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17.
Ruccione, Mario : 1.
Saint-Just, Antoine de : 1, 2, 3.
Salandra, Antonio : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16.
Salvatorelli, Luigi : 1.
Salvemini, Gaetano : 1, 2, 3, 4.
Sarfatti, Margherita : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
Schuster, Alfredo : 1, 2.
Scorza, Carlo : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Selvi, Giovanni : 1.
Serena, Adelchi : 1, 2.
Serpieri, Arrigo : 1, 2, 3, 4, 5.
Sforza, Carlo : 1, 2, 3.
Shaw, Bernard : 1.
Silvestri, Carlo : 1, 2, 3, 4.
Skorzeny, Otto : 1.
Soffici, Ardengo : 1, 2.
Soleri, Marcello : 1, 2, 3.
Solmi, Arrigo : 1.
Sonnino, Sidney : 1, 2.
Sorel, Georges : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
Spengler, Oswald : 1, 2, 3, 4.
Spirito, Ugo : 1, 2, 3.
Spolète, duc de : 1.
Staline, Joseph : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15.
Starace, Achille : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27,
28, 29.
Stresemann, Gustav : 1, 2.
Sturzo, Luigi : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Suardo, Giacomo : 1, 2, 3, 4, 5.
Suckert, Curzio : 1, 2, 3.
Sulis, Edgardo : 1, 2, 3, 4.
Tacchi Venturi, Pietro : 1.
Taddei, Paolino : 1, 2, 3.
Tarchi, Angelo : 1, 2.
Teruzzi, Attilio : 1, 2.
Thaon di Revel, Paolo : 1, 2.
Thibaudeau, Antoine : 1, 2.
Togliatti, Palmiro : 1, 2.
Toussaint, Rudolf : 1.
Treccani, Giovanni : 1.
Treves, Claudio : 1.
Turati, Augusto : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13.
Turati, Filippo : 1, 2, 3, 4, 5.
Turiello, Pasquale : 1.
Vallauri, Giancarlo : 1.
Valois, Georges : 1.
Victor-Emmanuel II : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Victor-Emmanuel III : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25,
26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52,
53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64.
Vidussoni, Aldo : 1, 2, 3.
Villani, Romilda : 1.
Visconti, Luchino : 1, 2.
Volpe, Gioacchino : 1, 2, 3.
Volpi, Giuseppe : 1.
Voltaire : 1.
Weizmann, Chaïm : 1.
Wolff, Karl : 1, 2, 3, 4.
Zamboni, Anteo : 1, 2, 3, 4, 5.
Zaniboni, Tito : 1, 2.
Zappaterreni, Eusebio : 1.
Zocchi, Pulvio : 1.
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