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Les pièges qui guettent la

femme du pasteur
C’est au cours d’une rencontre de femmes de
pasteur, organisée par l’Union des Femmes Baptistes
et l’École Pastorale que Jeanne Farmer a donné cette
conférence. On y retrouve, appliqués à une situation
particulière, son regard de psychologue et
psychothérapeute ainsi que le fruit de ses
expériences personnelles.

La variété des situations

La femme du pasteur peut penser à son rôle de


différentes façons. Elle peut, comme c’est souvent le
cas dans l’implantation d’une Église, se considérer et
fonctionner comme la partenaire de son mari dans le
ministère. Elle peut assumer des responsabilités
importantes : évangélisation, hospitalité, travail avec
les enfants ou les jeunes, groupe de femmes,
musique éventuellement, ménage… Il est en effet
difficile d’imaginer un homme seul démarrant une
Église ; mais, à deux, le pasteur et sa femme
assument souvent un programme presque complet
pour le petit groupe de fidèles qu’ils servent. La
femme de pasteur qui fonctionne comme son
partenaire peut jouir de beaucoup de satisfaction
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dans ce ministère. Elle dispose d’une assez grande
liberté et autorité ; elle peut « laisser ses empreintes
» sur l’Église grandissante. Par contre, elle est aussi
exposée que son mari à des critiques et au
phénomène du transfert qui parfois empoisonne les
relations dans l’Église. Et le découragement pendant
les périodes de non-croissance peut l’affecter autant
que son mari.

Dans une Église plus importante et avec une


d’histoire plus longue, la femme du pasteur risque de
se trouver dans un premier temps avec moins de
liberté, puisque certaines structures et programmes
sont déjà en place. Il y aura peut-être des attentes
précises concernant son ou ses ministères et la
manière dont elle les accomplira. Le regard des
membres de l’Église risque d’être plus pesant dans ce
cas ; en revanche, elle aura peut-être la possibilité
d’être plus sélective dans ses engagements, puisque
tout n’est pas à créer.

La femme de pasteur qui a un travail en dehors de


l’Église est plus libre par rapport à l’Église, mais elle
a bien entendu des contraintes par ailleurs. Elle
dispose de moins de temps et elle aura un profil
beaucoup plus bas dans l’Église ; en même temps,
elle aura des relations et un investissement
émotionnel en dehors qui peut stabiliser le couple

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quand des difficultés surviennent dans l’Église.
Quel que soit son positionnement, certains « pièges
» la guettent en tant que femme de pasteur, certains
plus et d’autres moins selon le rôle qu’elle adoptera.

Le surfonctionnement

Le premier piège est un sens de responsabilité et de


consécration quelque peu mal avisé qui peut l’amener
à surfonctionner. Surfonctionner, c’est faire pour
quelqu’un d’autre ce qu’il est capable de faire pour
lui-même, et qu’il devrait normalement faire pour lui-
même. Toutes celles ici qui ont des enfants savent ce
que c’est, j’en suis persuadée, car la tâche d’élever
des enfants, en leur donnant progressivement des
responsabilités proportionnelles à leur âge, est un
chemin semé d’embûches. Il est facile de faire trop
pour nos enfants, et d’être frustrés quand ils
n’assument pas leurs responsabilités. Or,
surfonctionner et sousfonctionner (le fait de ne pas
assumer ses responsabilités) sont deux pas
complémentaires d’une seule et même danse. On ne
trouve jamais l’un sans l’autre. On ne peut pas
sousfonctionner longtemps sans être confronté de
manière pénible aux conséquences de nos actes - à
moins qu’il y ait quelqu’un qui passe derrière pour
boucher les trous ! Si un enfant oublie son goûter ou
son cartable, souvent sa maman fait un saut à l’école

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pour le lui apporter. Pas de forte motivation donc
pour s’en souvenir la prochaine fois. Mais s’il doit
avoir faim à l’heure du goûter parce qu’il l’a oublié, il
aura plus de chance d’y penser tout seul à l’avenir. Si
l’enfant ne range pas ses affaires et qu’il ne lui arrive
rien (être grondé ne compte pas à moins d’être suivi
d’une sanction plus lourde), il n’est pas motivé pour
apprendre à le faire. De toute façon, dans la suite des
événements, qu’il l’ait fait ou pas ne change pas
grand chose.

Nos Églises, ou certains de leurs membres, peuvent


fonctionner parfois comme des enfants
irresponsables. Si quelqu’un s’est engagé à faire le
ménage pendant la semaine ou à préparer l’école de
dimanche et que cette personne manque à ses
responsabilités, qu’est-ce qui se passe ? Est-ce que le
couple pastoral (ou quelques autres membres
dévoués et surchargés) assument ces responsabilités
en prenant le balai avant le culte, ou en prenant les
enfants quand même pour une leçon bricolée à la
dernière minute ? Si oui, il est vrai que l’Église est
présentable et que les enfants sont occupés ; mais
en même temps, les membres sont démobilisés car
leurs responsabilités sont assumées quoiqu’ils
fassent. C’est le sentiment d’être responsable de la
réussite de l’Église, ainsi que de son image auprès du
public, qui nous pousse à assumer des tâches qui ne

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sont pas les nôtres. Mais je suis persuadée qu’aucun
pasteur ou couple pastoral n’est capable d’assurer la
réussite, ni même la survie, d’une Église. Le couple
pastoral peut être cent pour cent fidèle, et l’Église
peut fermer malgré tout. Il n’y a que l’Église qui
puisse assurer sa bonne marche et son avenir ; le
pasteur ne peut assumer que son propre ministère.

Ce sont les femmes de pasteur qui s’impliquent aux


côtés de leur mari qui sont les plus exposées à ce
piège. Mais même celles qui ne sont pas impliquées
directement peuvent être prises dans l’engrenage par
le biais de leur mari. Si le mari surfonctionne au
niveau de l’Église, il y a toutes les chances qu’il
sousfonctionne à la maison, dans son rôle de mari et
de père. Et qui bouche les trous derrière lui ? Je me
souviens d’un pasteur retraité qui disait un jour, « Je
n’ai pas été beaucoup présent pour mes enfants, et
je le regrette. Mais au moins je leur ai choisi une très
bonne mère ! » Comme si l’un compensait pour le
manque de l’autre. Je ne pouvais pas m’empêcher de
répondre, « Mais une mère ne remplace pas un père.
Les enfants ont besoin des deux. »

Quand je me suis fiancée avec un homme que je


savais devoir devenir pasteur, j’ai changé mes projets
professionnels. Je savais que les pasteurs sont des
hommes très pris, et comme je voulais une vie de

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famille, je me disais que je ne pouvais pas poursuivre
une carrière professionnelle en concurrence avec la
sienne. J’avais été acceptée à l’époque dans un
programme menant au doctorat, mais j’ai choisi
d’arrêter mes études avant. En plus, c’est moi qui
subvenait aux besoins de notre couple pendant la
première année de mariage ; je poursuivais mes
études et travaillais à temps partiel, alors que Mark
travaillait bénévolement comme stagiaire dans notre
Église. Je faisais aussi la cuisine et la plupart des
tâches ménagères. Le stress était tel que j’ai attrapé
la mononucléose au bout de quelques mois. Je ne dis
pas ces choses pour accuser qui que ce soit. À
l’époque j’étais d’accord pour cet arrangement que
nous considérons aujourd’hui tous les deux
inéquitable. Comme c’était pour Dieu, et ma peur du
conflit aidant, j’ai mis de côté toute pensée de
revendication, voire toute défense légitime de mes
besoins et de nos besoins financiers. Je m’adaptais
pour une bonne cause, en prenant sur moi la plupart
du prix de notre « consécration ». Je surfonctionnais
pour mon mari pour garder la paix de notre foyer.

Parfois nous n’osons pas affronter nos maris ni le


regard des autres voire le nôtre quand on nous
demande ou qu’on nous impose des sacrifices. Au
nom de quoi allons-nous revendiquer ce que nous
voulons ou souhaitons ? Depuis longtemps on met

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l’accent sur le don de soi dans nos Églises, et surtout
on s’attend à ce que le pasteur et sa famille se
donnent pour le service du Seigneur. L’égoïsme est à
crucifier, n’est-ce pas ? Alors comment poser des
limites autour de la famille, de notre temps, de nos
ressources ? Aujourd’hui je vois plus clair dans ses
questions, et je sais qu’au nom de
mes responsabilités, responsabilité pour ma santé et
mon bien-être physique, pour mes enfants, pour mes
autres ministères, je peux dire « oui » ou « non » aux
attentes de mon mari et des membres de l’Église.

Peut-être que nous n’avons pas de difficulté à


réclamer des choses, mais que notre tentation est de
trop réclamer, car nous regardons vers notre mari
pour combler la plupart de nos besoins. Là aussi notre
besoin est de focaliser sur nos propres
responsabilités, y compris la responsabilité de nous
occuper de notre bien-être. Notre mari ne peut pas
garantir cela à notre place.

Si je dis tout ceci, ce n’est pas pour nous inciter à la


mutinerie face à nos maris. C’est simplement pour
reconnaître que nous pouvons tous avoir du mal à
repérer et à faire respecter les limites de notre
responsabilité devant Dieu. Nous pouvons être dans
la confusion sur ce que Dieu demande de nous dans
notre vie de tous les jours, et nos maris aussi. Je veux

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simplement dire que parfois nous aurons besoin de
tenir tête, non seulement à l’Église, mais aussi à notre
mari pour défendre les limites de ce que nous
pouvons donner avec confort. Car si l’Église
sousfonctionne, et que notre mari bouche les trous,
c’est comme si une série de dominos tombent l’un
après l’autre. Pour notre vie, c’est à nous de défendre
les limites, non pas en essayant de changer notre
mari, mais en définissant ce que nous sommes prêtes
à faire ou ne pas faire. Il y va de la longévité de notre
couple et de notre ministère. Ce n’est pas la peine de
faire des sacrifices au court terme que nous ne
pouvons pas maintenir au long terme, et qui finissent
par nous dégoûter de la vie de femme de pasteur.
Gardons de la marge dans notre vie, comme les cinq
vierges sages qui avaient de l’huile en réserve pour
les imprévus.

Auteur : Jeanne FARMER

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