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Sarah Andrieu
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/volume/4042
DOI : 10.4000/volume.4042
ISSN : 1950-568X
Éditeur
Association Mélanie Seteun
Édition imprimée
Date de publication : 10 juin 2014
Pagination : 89-111
ISBN : 978-2-913169-35-7
ISSN : 1634-5495
Référence électronique
Sarah Andrieu, « Les valeurs de la création chorégraphique ouest africaine », Volume ! [En ligne], 10 :
2 | 2014, mis en ligne le 01 juin 2016, consulté le 01 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/
volume/4042 ; DOI : 10.4000/volume.4042
par
Sarah Andrieu
Université de Nice, IMAf
des « Rencontres chorégraphique de l’Afrique et saient leur entrée dans les Revues des music-hall
de l’Océan Indien », un festival-concours au sein parisiens (Décoret-Ahiha, 2004), la paternité
duquel des compagnies de différentes régions du de la première compagnie de danses africaines
continent sont sélectionnées, jugées puis primées scéniques est généralement attribuée à Fodeba
par un jury international regroupant des experts Keita, écrivain et metteur en scène originaire de
européens et africains. L’événement, dont la pre- Guinée 11. Alors âgé d’une trentaine d’années, cet
mière édition se tiendra en 1995 à Luanda puis ancien élève de l’École Normale William-Ponty 12
à Antananarivo à partir de 1999, avant de deve- créa en 1952 ses « Ballets Africains » à Paris. Il
nir itinérant, permit à de nombreuses compa- combina son savoir-faire en mise en scène théâtrale
gnies de danse d’accéder à une reconnaissance des « coutumes et traditions indigènes » acquises
internationale, notamment à travers « la tournée au sein de l’institution coloniale 13 à sa décou-
des lauréats » organisée par Afrique en créations. verte d’autres formes artistiques observées sur les
Ce festival participa, en outre, à la naissance de scènes théâtrales parisiennes. La troupe, initiale-
vocations ainsi qu’à la structuration d’un mouve- ment composée d’étudiants africains rencontrés
ment artistique à l’échelle continentale 8. Néan- par Keita à Paris 14, proposait un spectacle où des
moins, ce que le programme « Pour une danse danses issues de différentes régions d’Afrique de
africaine contemporaine » ne réalisa pas, à l’opposé l’Ouest étaient amalgamées et théâtralisées dans
d’une vision partagée par de nombreux critiques le cadre de tableaux intitulés : « L’initiation »,
européens, c’est le passage d’une danse africaine « Le mariage », « Le chasseur », « Le son des tam-
dite « traditionnelle » à une danse africaine dite bours », « La danse du possédé » (Cohen, 2011 :
« contemporaine 9 ». Au delà du fait que les danses 25). D’abord au programme des salles parisiennes,
cataloguées comme « traditionnelles » par le regard le spectacle s’exporta ensuite dans différents pays
occidental sont en réalité tout à fait contempo- d’Europe, puis poursuivit sa tournée en AOF et
raines puisqu’elles sont pratiquées aujourd’hui et en AEF pour se terminer aux États-Unis à la fin
n’ont eu de cesse de se transformer 10, l’élaboration des années 1950. En dépit du succès mondial que
de pratiques chorégraphiques scéniques en Afrique reçurent les « Ballets Africains », un article rédigé
ne date aucunement du début des années 1990. En par Gilbert Rouget encouragea Keita à défendre
effet, ce passage de la scène cérémonielle à la scène son projet dans un texte intitulé « La danse afri-
à l’italienne qui constitue une étape majeure du
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autour de cette notion que portait la critique de ajoute-t-il, au public auquel s’adresse le spectacle.
Rouget. L’ethnomusicologue décrivait le spectacle En effet, signale Keita, « certains costumes afri-
créé par Keita comme une « parodie » de pratiques cains donnent sur scène l’impression contraire à
culturelles privées de leurs raisons d’être, portant celle qu’ils engendrent traditionnellement au vil-
« sur la scène un art qui n’est pas fait pour la lage » (ibid.). Fondé sur un principe d’adaptation,
scène » (Rouget, 1956 : 140). Face à cette critique, le projet de Keita repose ainsi tout autant sur des
Keita se pose en porte parole légitime de la culture valeurs patrimoniales qu’esthétiques. L’important,
africaine et écrit : pour le metteur en scène, est en effet de parve-
« Au fait ! Authentique par rapport à quoi ? À une idée
nir à récréer l’atmosphère « originelle » des pra-
plus ou moins fausse qu’on s’est faite de la sensation- tiques chorégraphiques d’Afrique pour un public
nelle primitivité de l’Afrique ? Non ! Un spectacle folk- étranger afin de proposer une image du continent
lorique authentique est celui qui représente fidèlement distincte de celle inventée par le regard colonial
les aspects les plus caractéristiques de la vie qu’il veut (Mudimbe, 1988). Cependant, cette quête d’au-
faire revivre sur scène. » (Keita, 1957 : 206) thenticité ne signifie pas conformité avec l’origi-
Fondant son argumentation sur le fait que les nal car en aucun cas, indique Keita, « le plateau
musiques et les danses sont inscrites dans une ne doit être considéré comme un musée » (Keita,
historicité, Keita insiste sur l’importance à 1957 : 208). Dès lors, sans perdre « l’esprit » de ces
prendre comme source d’inspiration les pratiques pratiques, il est indispensable, note le metteur en
anciennes mais aussi les pratiques actuelles car, scène, d’opérer une composition qui oscille entre
indique-t-il : « Il serait d’autant plus absurde de adaptation scénique et innovation afin que s’opère
river notre folklore au seul passé de notre pays, la traduction culturelle souhaitée.
qu’aucun folklore n’est pur de tout mélange » En 1960, deux ans après la proclamation de l’in-
(Keita, ibid.). Au-delà de la prise en compte dépendance de la Guinée, Fodéba Keita mit ses
des « mélanges » culturels, le metteur en scène Ballets au service de la politique culturelle pronée
détaille dans son texte les procédés par lesquels il par Sékou Touré. Nationalisés et rebaptisés « Les
fait passer des savoir-danser populaires ou rituels Ballets Africains de la République de Guinée », le
au rang de spectacle scénique. Restriction de la répertoire de la troupe sert désormais la construc-
durée, sélection de moments emblématiques et tion et la promotion de l’identité culturelle de la
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En prônant l’ouverture aux esthétiques choré- cienne directrice de Mudra Afrique d’une école de
graphiques globales, Acogny, alors directrice de danse à Toubab Dialaw dans la banlieue de Dakar
l’école de danse Mudra Afrique créée en 1977 à en 1998 lui permit de poursuivre sa démarche de
Dakar par Maurice Béjart et le président Senghor, transmission et de se poser, auprès des jeunes dan-
effectue « le chemin inverse » du chorégraphe fran- seurs du continent, comme « la mère de la danse
çais (Senghor in Acogny, 1980 : 3). En effet, si pour africaine contemporaine 18 ».
Béjart l’ouverture aux traditions chorégraphiques
africaines est essentielle à la « régénération » d’une
danse occidentale qui s’épuise (Amselle, 2005 :
146), pour Acogny l’ouverture à la danse classique « On ne peut pas créer
européenne permet de structurer et de donner sans rétroviseur »
une existence réellement artistique à la « danse Cette phrase et ses variantes 19 ponctuèrent de
africaine ». La chorégraphe met ici en pratique le nombreux entretiens et discussions au cours de
paradigme senghorien de « l’enracinement et de
mes recherches de terrain dans le monde de la
l’ouverture » (Senghor, 1964). Dans ce contexte,
création chorégraphique burkinabè 20. L’idée que la
« l’ouverture aux danses du monde » occupe avant
tout un rôle contre-acculturatif. Il est question « danse traditionnelle » constitue le point de départ
d’agir sur les flux culturels plutôt que de les subir. à partir duquel le chorégraphe peut inventer un
Proche de la formule de Senghor « assimiler et non langage propre est en effet une doxa bien partagée
pas se laisser assimiler », elle écrit : parmi les danseurs et chorégraphes. Néanmoins,
« L’influence est un fait ; les éléments étrangers s’intro-
des conflits inter-générationnels viennent troubler
duisent si nous le voulons ou pas. Au lieu de laisser tout cette entente de façade. Repris par les promoteurs
au hasard, mieux vaut que nous, Africains, nous diri- des politiques culturelles burkinabè 21, le para-
gions nous même cette évolution et que nous la plaçions digme senghorien de l’enracinement et de l’ouver-
à un niveau supérieur en choisissant nous même, dans
la plénitude des influences, les meilleures, les plus enri-
ture, peut en effet se décliner de mille manières.
chissantes. » (Acogny, op. cit. : 24) Dans ce contexte, les anciens reprochent aux plus
jeunes de trop s’écarter de leurs racines tandis
Refusant la décontemporanéisation de la danse
que ces derniers, lassés de ces critiques, cherchent
promue par les ballets nationaux, affirmant le
à imposer d’autres visions esthétiques sans néan-
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Irène Tassembedo avait 21 ans lorsqu’elle fut sélec- et en vient à la conclusion qu’elle fait du « Irène
tionnée par Germaine Acogny pour faire partie Tassembedo ». Néanmoins, cette proclamation
de la première génération d’élèves de Mudra- d’une singularité artistique n’empêche pas la cho-
Afrique 22. La chorégraphe, aujourd’hui directrice régraphe d’admettre qu’un danseur africain est
d’une compagnie et d’une école de danse à Oua- contraint de partir de « sa base », la danse tradi-
gadougou, conserve des souvenirs doux-amers de tionnelle, pour créer : « Jamais je ne vais la jeter
son expérience dakaroise. L’impression d’avoir parce que sinon je n’existe pas » indique-t-elle.
été considérée comme des « choses » et non des Élément essentiel de son identité artistique et de
individus, des « petits africains dociles » à qui son identité tout court, la tradition devient une
l’on apprenait la danse classique occidentale, des matière première qu’il est possible de mélanger
« bêtes de foires » que les ambassadeurs et autres à d’autres sources. Dans la pièce Wakatti (1996),
représentants officiels étrangers venaient contem- la chorégraphe joue, par exemple, sur la juxta-
pler, alterne, dans son récit, avec l’idée que cette position entre deux savoirs l’un chorégraphique,
école était un lieu d’une « incroyable richesse » l’autre musical, tous deux « traditionnels », mais
par la diversité des savoirs transmis. Le regret de issus d’univers géographiques éloignés. Dans un
la chorégraphe porte sur le manque de communi- des tableaux de la pièce, les danseuses réalisent
cation entre enseignants et élèves, sur le caractère une chorégraphie constituée de mouvements
rigide de la transmission (« prenez ça et basta ! ») apparentés à des styles chorégraphiques guinéens
qui, selon elle, a abouti à une « castration » de la sur une musique celtique où prédomine le son
créativité et in fine à l’effet inverse des ambitions du violon. Un jeu de miroir identique est mis en
d’Acogny et de Béjart. Cependant, le passage par scène dans Le Sacre du tempo (2008), pièce trai-
Mudra a profondément modifié son habitus cor- tant du vol d’un tabouret sacré dans un village et
porel. En découvrant que son corps « bougeait dif- du désordre social et émotionnel qui en résulte.
féremment » désormais 23, en ayant des prises de Autour du tabouret en bois, la danseuse d’origine
positions esthétiques plus fermes quant à ce qu’elle indienne Saageeta Isvaran réalise des mouve-
souhaitait et ce qu’elle ne souhaitait pas faire, en ments typiques du Bharata Natyam tandis que les
particulier « vendre une Afrique exotique », elle quatre danseurs burkinabè et les deux danseuses
s’engagea dans une démarche artistique person- italiennes exécutent des mouvements d’ensemble
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nelle, « un laboratoire » pour reprendre ses mots. parfaitement réglés où des gestuelles typiques des
Expatriée à Paris, elle élabora, tout en la trans- danses burkinabè (les mouvements de sternum des
mettant, une danse que son public (stagiaires, danses gourmantché par exemple) sont entrecoupés
institutionnels, spectateurs) ne parvenait pas à de sauts et de tours inspirés des danses classique
catégoriser. Était-ce de la « danse traditionnelle », et moderne occidentales. Au delà de cette esthé-
du « traditionnel-moderne », de « l’Afro-jazz », de tique que l’on pourrait qualifier de « trans-tradi-
« l’Afro-africain » ? La chorégraphe ne tranche pas tionaliste », le genre développé par la chorégraphe
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Les valeurs de la création chorégraphique ouest africaine
repose sur un certain nombres d’éléments qui per- une population originaire de l’est du pays. Si ces
mettent aux spectateurs de reconnaître un « style débats s’inscrivent dans des enjeux de pouvoir et
africain » malgré les innovations réalisées. Parmi d’autorité plus vastes, c’est certainement autour de
ces éléments, on trouve : la présence quasi-systé- l’idée de reconnaissance ou non du pattern que se
matique d’un orchestre composé de jembe, dunun cristallise le conflit qui oppose les anciens, comme
et balafon, la forte interdépendance entre musique Irène Tassembedo et Alassane Congo, aux choré-
et chorégraphie, la prédominance des mouvements graphes plus jeunes.
d’ensemble et enfin, l’accent mis sur la prouesse
technique (vitesse, acrobaties…). On retrouve
ainsi dans les créations de la chorégraphe certains Métamorphoser les danses
des principes esthétiques qui ont fait la réputation traditionnelles
des « Ballets » de danses néo-traditionnelles afri-
caines en Occident 24. Elle donne néanmoins à ce Les deux chorégraphes formés à Mudra reviennent
genre un style singulier mêlant les chorégraphies très régulièrement sur le fait que les artistes qui
africaines à d’autres « danses du monde » mais s’inscrivent dans le mouvement de la « danse
aussi en faisant intervenir des tours, des passages contemporaine africaine » ne connaissent pas la
au sol ainsi que des « attitudes » typiques de genres danse traditionnelle. Dès lors, expliquent-ils, ils
chorégraphiques occidentaux. Au final, ce qui copient « la danse contemporaine européenne »
ressort des spectacles d’Irène Tassembedo, c’est la tandis qu’eux « partent » de la danse traditionnelle
possibilité pour le spectateur (européen ou afri- et lui donnent une dimension contemporaine. En
cain) de reconnaître les « patterns » (Amselle, 2008 fait, ce conflit intergénérationnel est d’autant plus
cité par Olivier, 2012 : 20) qui ont donné nais- lié aux trajectoires d’apprentissage des acteurs et
sance à la création singulière de la chorégraphe. aux valeurs qui y sont attachées qu’à la maîtrise
Lorsque Saageeta Isvaran apparaît sur scène vêtue d’un savoir-danser conçu comme traditionnel. En
d’un sari, ses mouvements de bras, sa gestuelle de effet, formés au sein de troupes de Ballet puis à
mains et ses frappes de pieds au sol renvoient ins- Mudra, Irène Tassembedo et Alassane Congo ont
acquis leur connaissance selon une « logique de
tantanément à l’idée de la « danse indienne 25 ». Il
la discipline » (Faure, 2000) insistant sur la par-
en est de même des danseurs burkinabè lorsqu’ils
faite maîtrise technique des mouvements tandis
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Salia Sanou et Seydou Boro. Après une longue col- danse à soi. Selon ce principe, l’idée que la danse
laboration avec la chorégraphe française Mathilde traditionnelle puisse constituer une « base » n’est
Monnier, les deux chorégraphes, aujourd’hui pas évacuée. Salia Sanou le répète régulièrement
reconnus à l’échelle internationale, ont fondé aux plus jeunes en indiquant qu’apprendre des
en 1995 leur propre compagnie, Salia nï Seydou, techniques différentes ne signifie pas « mettre la
ainsi qu’un festival dédié à la création chorégra- danse traditionnelle dans les vestiaires », tandis
phique à Ouagadougou 26. En 2006, ils ont inau- que Seydou Boro les met en garde contre le risque
guré un Centre de développement chorégraphique de « copier » la danse contemporaine européenne.
baptisé La Termitière dans le quartier Samandin Aux yeux des deux artistes, l’important est d’être
de la capitale burkinabè, espace qui, en quelques suffisamment formé et informé sur des genres
années, est devenu un pôle de référence en matière chorégraphiques hétérogènes afin d’être ensuite
de formation et de création chorégraphique en capable de faire des choix personnels qui appuie-
Afrique. ront des créations originales. Dans ce contexte
Salia Sanou et Seydou Boro, en proposant des sont élaborés des processus créateurs singuliers
formations basées sur l’improvisation et sur le visant à donner une nouvelle « couleur » aux
principe d’individualisation des mouvements, danses traditionnelles 27. L’une des logiques fré-
en invitant des chorégraphes aux horizons esthé- quemment adoptées repose sur la dissolution de
tiques et géographiques divers partageant cette l’adéquation, « un rythme = une danse », qui est
logique de la singularité, ont insufflé l’idée que le au fondement de nombreuses pratiques musicales
danseur doit accumuler un stock de savoir-danser populaires mais aussi de la danse traditionnelle de
divers afin d’être ensuite en mesure de créer une Ballet. Ici, l’influence de la danse contemporaine
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pel », pièce créée en 2002 par la compagnie Salia d’ambiance », dans « Weeleni », elle devient « une
Nï Seydou, ce travail autour de la musique est par- danse de compassion » dégageant de la tristesse.
ticulièrement prégnant. Optant pour une création Sayouba Sigué, Adonis Niébié et Idrissa Kafando
musicale qui mêlent jembe, guitare folk et percus- de la compagnie Teguerer danse dans leur pièce
sion marocaine 28, les trois danseurs de la pièce, intitulée « À suivre » (2011) s’emparent eux aussi
Salia Sanou, Seydou Boro et Ousseni Sako jouent de cette danse. Dans cette pièce, le tempo rapide
sur le ralentissement des gestes. Dans une des de la danse est conservé, mais les trois danseurs,
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Sarah Andrieu
perruques « afro » sur la tête et chaussés de cla- « Chacun a une danse à inventer »
quettes, exécutent le mouvement dans un silence
complet. Plus précisément, ce sont les frappes de Le 22 juillet 2011 étaient réunis dans la salle de
pieds au sol des danseurs amplifiés par les cla- spectacle de l’École internationale de danse Irène
quettes qui produisent le support musical. Ici, au Tassembedo (EDIT), une cinquantaire de jeunes
delà du travail de décomposition de la relation danseuses et danseurs burkinabè, inscrits dans
musique/danse, un jeu créatif est réalisé autour de des formations chorégraphiques diverses 31. Venus
l’hybridation et du détournement des styles cho- assister à la projection d’un film réalisé par Seydou
régraphiques. Boro retraçant la trajectoire d’Irène Tassem-
bedo 32, ces derniers eurent l’occasion d’entendre la
Si dans ces exemples, il est possible pour un spec-
« vision » de la création artistique défendue par la
tateur averti de reconnaître la danse ayant fait l’ob-
jet d’un détournement créatif, dans d’autres pièces chorégraphe mais aussi celle, distincte, de Seydou
la « distortion du modèle » est telle que la « res- Boro. En effet, si les deux chorégraphes s’entendent
semblance familiale » (Amselle, 2008) n’est plus sur le caractère indispensable de la formation, ce
évidente au regard. Ainsi, Ousséni Sako résume : dernier ne défend pas l’idée que la « danse tradi-
tionnelle » constitue une base autour de laquelle
« Si tu prends un mouvement de danse lobi 30, tu peux
viennent s’articuler d’autres techniques chorégra-
le modifier, le faire autrement. Et toi, même si tu es lobi,
si tu regardes ça, tu vas dire : ‘‘Non ! moi je ne connais phiques. Il s’inscrit en effet dans une conception
pas.’’ Alors que c’est la danse lobi, seulement c’est sa globalisée de l’artiste comme « être inspiré et sou-
transformation. » verainement libre » (Moulin, 1992 : 251) et, en
In fine, si la danse traditionnelle continue de ce sens, n’accepte aucun précepte créatif. Ainsi
constituer une base pour le chorégraphe, la explique-t-il aux jeunes danseurs :
logique de singularisation des mouvements fait « Danse contemporaine, ça ne veut rien dire
que lui seul peut-être en mesure de remonter le aujourd’hui ! Il n’y a rien de fixé ! C’est à toi de déci-
fil de son inspiration. Le spectateur, quant à lui, der. La vérité c’est la formation. Après chacun a une
ne verra que l’image chorégraphique finale de ce danse à inventer. Sur l’écriture, il n’y a pas de vérité. Il
processus. C’est dans ce contexte, où les valeurs n’y a pas une seule manière, chacun cherche. Je pense
de singularité mais aussi d’intériorité prennent le que chacune, chacun a une danse à inventer. Donc du
coup, il n’y a que des milliers de danses, des milliers de
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Cheminement individuel, la création chorégra- formés pour se muer en gestes nouveaux. Dans la
phique selon cette conception ne répond à d’autres pièce pour deux danseurs et deux danseuses Anhu-
règles que celle de l’originalité. Dans ce contexte, manus (2010), le chorégraphe Aguibou Sanou ori-
la formation consiste tout autant à apprendre un ginaire de Bobo-Dioulasso joue sur ce croisement
nombre important de genres chorégraphiques, de références chorégraphiques.
qu’à acquérir un « savoir créer » qui se caracté- La pièce débute par du coupé-décalé ivoirien
rise par un savoir transformer, combiner, mêler, et l’espace scénique, pris d’assaut par une quin-
citer ou encore détourner différentes techniques zaines de spectateurs complices, est transformé
du corps en fonction du « propos » que l’artiste en boîte de nuit. S’ensuivent plusieurs tableaux
souhaite traiter dans sa pièce. Dans son solo au sein desquels la lumière et la scénographie ont
intitulé « Concert d’un homme décousu », pour un rôle prédominant. L’espace scénique, recouvert
lequel Seydou Boro sonde « la complexité de l’être de papier journal froissé, passe de la pénombre au
humain 33 », le chorégraphe s’inspire tout autant vert puis au rouge. Le spectateur ne distingue que
du rythme vocal et corporel du chanteur nigé- les jambes des interprètes, ou qu’un seul d’entre
rian Fela Kuti que de la salsa ou du flamenco, eux réalisant un long solo constitué uniquement
danse qu’il exécute à la fin du spectacle vêtu d’une de mouvements au sol, une spécificité de la danse
longue robe rouge. Si la reprise des gestes de Fela contemporaine occidentale. Vient ensuite un pas-
constitue un hommage respecteux à ce musicien sage où les interprètes occupent l’espace par des
engagé contre la corruption et la dictature, celle mouvements marchés proches de certains gestes
du flamenco permet à la fois de jouer sur l’idée de capoeira, une discipline qu’Aguibou Sanou
de cross-over 34 qui appuie le caractère résolument pratique depuis de nombreuses années. Puis, les
« décousu » du spectacle, mais aussi de traiter de lumières multicolores réapparaissent et la scène
la labilité des identités de genre, une thématique redevient dancing mais cette fois-ci c’est la chan-
chère à l’auteur 35. Dans ce spectacle, la prouesse son « Natty dread » de Bob Marley qui fait lever
technique cède le pas à l’originalité et à l’émotion les bras et les genoux des danseurs. Cette pièce,
que le danseur transmet aux spectateurs. Cette indique Aguibou, interroge « l’origine de l’homme
originalité, leitmotiv des chorégraphes ouagalais, et son absurdité » et « n’est pas vraiment faite pour
s’incarne régulièrement dans une esthétique du être comprise ». Quittant résolument le cadre de la
narration, le chorégraphe souhaite ici transmettre
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Figure 6 : Échauffement proposé par Mathilde Monnier aux élèves du programme « Je danse donc
je suis », La Termitière, Ouagadougou, Décembre 2012.
ressources » mis sur un plan d’égalité. Aussi, tement disparu pour laisser la place à des valeurs
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aux yeux de cette nouvelle génération de choré- qui ne seraient que d’ordre esthétique. En effet, la
graphes, il n’est pas plus légitime de s’inspirer des question de l’identité et celle du patrimoine, qui
danses traditionnelles que des danses modernes lui est intimement liée, sont au cœur des réflexions
africaines, de la capoeira que du flamenco, de la des artistes. Cependant, si l’héritage a longtemps
salsa que de la danse contact. Ceci ne veut pas dire été synonyme de tradition pour un grand nombre
cependant que les valeurs identitaires ont complè- de créateurs et d’intellectuels burkinabè, pour
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Les valeurs de la création chorégraphique ouest africaine
les chorégraphes contemporains, il ne s’y limite ailleurs les ressources nécessaires à la régénération
pas. L’histoire politique du continent, celle de ses de leur art. Cependant, les enjeux et les valeurs
grands leaders 37 mais aussi celle de ses nouvelles guidant ces appropriations conjointes, qui ont de
figures de la réussite 38 (Warnier & Banegas, 2001) tout temps été distincts pour les artistes africains
font désormais partie intégrante du patrimoine et européens, ne sont pas les mêmes aujourd’hui
dans lequel les chorégraphes souhaitent s’inscrire que dans les décennies post-indépendances. Si,
et auquel ils font référence dans leurs pièces. pour Fodeba Keita mais aussi pour Germaine
Acogny l’appropriation de certaines techniques
scénographiques ou chorégraphiques occidentales
Conclusion servaient la réhabilitation des danses tradition-
nelles d’Afrique longtemps perçues par le regard
Lors d’une récente édition des Rencontres chorégra-
occidental comme des danses « primitives », pour
phiques de l’Afrique et de l’Océan indien, désormais
les jeunes chorégraphes burkinabè l’enjeu n’est
intitulées « Danse l’Afrique danse », qui s’est tenue
pas de faire reconnaître la valeur de la « culture
du 29 octobre au 4 novembre 2010 à Bamako, le
africaine » mais de se faire reconnaître soi-même
président du jury, le chorégraphe français Ange-
comme créateur. On passe ainsi d’une valorisation
lin Preljocaj 39, constatait qu’en quelques années
du « typique » à celle de « l’unique » ; de régimes
la création chorégraphique africaine était réelle-
créatifs fondés sur les valeurs de communauté à
ment devenue « contemporaine ». « On a assisté
celle de singularité (Heinich, 1998). Ce passage
cette année, expliquait-il aux journalistes de Jeune
d’un registre de valeur à un autre débouche sur
Afrique, à une danse véritablement contempo-
la mise en œuvre de principes créatifs nouveaux,
raine : elle s’intéresse aux questions sociales, au
fondés sur une esthétique du branchement assu-
politique, à l’économique, à l’urgence du quo-
mée et sur une quête d’originalité entraînant une
tidien, même si elle part de la tradition ; mais ce
forte singularisation des mouvements. Dans ce
n’est plus comme avant du recyclage de la tradition
contexte, si la danse traditionnelle continue d’être
pour la maquiller de modernité. » Dans la suite
une source d’inspiration (majeure ou mineure
de l’interview, Angelin Preljocaj insiste sur l’émer-
selon les cas), elle est loin d’être l’unique ressource
gence d’esthétiques nouvelles et sur le caractère
créative de ces chorégraphes passés maître dans
« absolument » original des créations primées. Il
l’art de la capture des pratiques et des savoirs dis-
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tiques établies (Heinich, 1998b) et accèdent ainsi s’assurer un avenir plus durable que celui, souvent
à une reconnaissance artistique pleine et entière incertain, des tournées internationales. Elle sert,
à l’échelle du monde de l’art occidental. Néan- enfin, une volonté de s’engager pleinement dans
moins, si cette reconnaissance internationale un processus de changement social par la promo-
permet à de nombreux chorégraphes de s’enga- tion de nouvelles valeurs morales au sein de leur
ger dans un processus d’individualisation qui pays d’origine. En effet, l’individualisation des
déborde largement le cadre de la création stricto- pratiques de création et les logiques de « branche-
sensu, celle-ci reste incertaine et engendre un cer- ments » adoptées servent à la fois la promotion
tain nombre de tensions puisqu’elle va à l’encontre de nouvelles formes de subjectivité mais aussi
de valeurs éthiques et civiques défendues par les des projets de réformes sociales. En s’écartant de
artistes. En effet si, pour les générations précé- formes spectaculaires chorégraphiques fondées
dentes de créateurs, l’enjeu était de faire accéder sur la valorisation du « patrimoine culturel natio-
la « danse africaine » à la scène artistique inter- nal » et en créant des pièces qui dérangent par leur
nationale, pour les chorégraphes « contempo- esthétique ou leur propos (parfois explicitement
rains » burkinabè et plus généralement africains politique), les chorégraphes souhaitent bousculer
ayant réussi à intégrer les circuits très fermés de l’ordre établi. Néanmoins, pour pouvoir « parler »
la danse contemporaines occidentales, l’enjeu à un public, il faut que ce dernier puisse se recon-
est aujourd’hui d’accéder à une reconnaissance naître, se rattacher affectivement à ce qu’il voit
qui soit à la fois internationale et locale. Cette pour adhérer aux messages que le créateur lui
re-localisation de leurs pratiques artistiques vise adresse. Et dans un contexte où les « patterns »
d’une part à se libérer du patronage des grandes (anciens ou récents, locaux ou globaux) ne sont
institutions culturelles européennes et des rela- plus systématiquement reconnaissables, la sensi-
tions de dominations afférentes, et, d’autre part, à bilité esthétique du public local est à conquérir.
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Les valeurs de la création chorégraphique ouest africaine
Bibliographie
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Les valeurs de la création chorégraphique ouest africaine
Notes
1. En témoigne le nombre important d’ouvrages consacrés Sables de Toubab Dialaw (Sénégal), le Centre de Déve-
à ce mouvement. Voir notamment Goldwater, 1938 ; loppement Chorégraphique de Ouagadougou (Bur-
Laude, 1968 ; Rubin, 1984 ; Clifford, 1996. kina Faso) et l’espace chorégraphique Gaara Projects
2. Commentant certains projets au sein desquels des de Nairobi (Kenya). Ce projet est financé par l’Union
artistes du Nord créent des actions concertés avec des Européenne et son programme « ACP-Cultures ».
populations du Sud dans l’optique d’une « esthétique Cf. http://www.leschrysalides.com/
relationnelle », Catherine Choron-Baix indique, par 7. Alphonse Tierou est notamment l’auteur de Dooplé.
exemple : « De fait, les productions réalisées dans le Loi éternelle de la danse africaine (1999).
cadre de ces programmes mettent en œuvre des savoirs 8. Pour une présentation détaillée des actions d’Afrique
et des capacités de distanciation, de jeu avec la norme, en créations, se rapporter à Amselle (2005 :142-161).
que ne maîtrisent pas toujours les milieux dans lesquels
ils sont menés. Dans les sociétés non occidentales où 9. Parmi ceux qui défendent cette ligne de pensée, citons
sont conduits certains de ces projets, les artistes et arti- le critique d’art Jean-Loup Pivin qui écrit en 1994, dans
sans ont une vision traditionaliste de leur art qui pri- le propos introductif d’un numéro de la Revue Noire
vilégie la répétition immuable des modèles ancestraux, consacrée exclusivement à la danse : « On s’étonne
une conception collective de la création, l’anonymat des qu’en Afrique, mise à part l’Afrique Australe où le sys-
œuvres. » (Choron-Baix, 2007 : 320) tème ancien de colonisation a transformé le rapport à
l’art selon des codes européens, il n’y ait pas de danse
3. Signalons, en outre, que cette incompréhension peut africaine contemporaine ou de façon très marginale
très bien surgir au sein même des sociétés dont sont ori- et souvent implantée dans les grandes capitales, Paris,
ginaires ces artistes. Londres ou New York : c’est que tout simplement une
4. Cette labellisation a fait l’objet d’intenses débats et de danse se danse en Afrique et que les danses à regarder
rejets par certains chorégraphes africains ne souhaitant n’existent pas sinon dans des rituels qui laisseront tôt
pas que leur danse soit inféodée à la « danse contem- ou tard l’occasion à chacun de dire par son corps ce
poraine occidentale ». Au Burkina Faso, Salia Sanou et qu’est la danse. » (Pivin, 1994 : 1)
Seydou Boro ont tenté d’imposer le label « danse créa-
10. Pour exemple, le warba, danse que les populations
tive ». On constate cependant que la grande majorité
moose du centre du Burkina Faso considèrent
des danseurs burkinabè inscrits dans ce mouvement
comme typique de leur tradition, repose sur diffé-
utilise l’expression « danse contemporaine africaine »
rentes variantes de mouvements, sans cesse sujets à
ou plus simplement « danse contemporaine ».
transformation. Si la base de cette danse repose sur
5. S’il ne fait aucun doute qu’« une » danse africaine de rapides mouvements du bassin (pivot de droite
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n’existe pas en soi (Lassibille, 2004), l’expression à gauche) amplifiés par une large ceinture de fils
« danse contemporaine » est, quant à elle, sujette à une de coton blanc entourant la taille des danseurs,
double lecture : soit elle renvoie au label artistique occi- les mouvements de bras font l’objet d’innovations
dental de « l’art contemporain » soit elle se rapporte à la constantes. Ainsi, dans la localité de Zorgho, l’une
temporalité et désigne une danse d’aujourd’hui. de ces variantes durant laquelle les danseurs ont la
6. La formation chorégraphique « Chrysalides », regrou- tête et le bras tendus vers le ciel, est appelée « Regarde
pant vingt jeunes danseurs originaires de différents en haut, l’avion du blanc passe ». D’une manière plus
pays d’Afrique se déroule, par exemple, entre l’École des générale, sur le caractère contemporain de la tradi-
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Sarah Andrieu
tion, se rapporter notamment aux travaux de Jean 17. Le chorégraphe ivoirien Alphonse Tierou s’engagea lui
Pouillon (1977) et Gerard Lenclud (1987) et sur le aussi, à la fin des années 1990, dans un processus de
caractère « inventé » de certaines d’entre elles, voir rationalisation de la « danse africaine » en dégageant
l’ouvrage collectif dirigé par Eric Hobsbawn et un mouvement de base qu’il intitule « Dooplé » autour
Terence Ranger (1983). duquel gravitent neuf autres mouvements de base. Ces
11. Nathalie Coutelet signale néanmoins qu’en 1933 le dix mouvements seraient selon l’auteur communs à
danseur dakarois Feral Benga, résidant à Paris, cho- toutes les danses du continent. Cf. Tierou, 1999 ; pour
régraphie en partenariat avec le danseur français Jean une critique de cette théorie, voir Lassibille, 2004.
Fazil une pièce intitulée « Gala de danse blanc et noir ». 18. Cette expression est fréquemment utilisée sur les sites
Benga initie ensuite un projet de ballet réunissant des internet dédiés à la trajectoire de Germaine Acogny.
danseurs de différentes régions d’Afrique. Cependant, Elle est reprise par les journalistes africains et euro-
faute de moyens, le projet n’aboutira pas. Pour plus de péens mais aussi par certains danseurs et chorégraphes.
détails sur la trajectoire de ce danseur, voir Coutelet, Voir par exemple la page « biographie » de Germaine
2012. Acogny sur la revue en ligne Africultures : http://www.
12. Basée au Sénégal, cette institution coloniale avait africultures.com/php/?nav=personne&no=3819
comme objectif de former les instituteurs et cadres 19. La plus fréquente étant « Pour savoir où l’on va, il faut
« indigènes » de l’Afrique Occidentale Française savoir d’où l’on vient ».
(AOF). 20. Ces recherches ont été menées entre 2003 et 2007 dans
13. Dans la ligne de la nouvelle politique scolaire de « ré- le cadre de ma thèse de doctorat puis à partir de 2010
africanisation » des élites indigènes pronée par Hardy, dans le cadre du projet ANR « Création musicale,
Charles Béart, professeur de français puis directeur de circulation et marché d’identités en contexte global »
William Ponty, encouragea vivement la pratique du (GLOBAMUS) coordonné par Emmanuelle Olivier.
théâtre par les élèves de l’institution. Décidé à créer 21. Thomas Sankara, premier Président du Burkina Faso à
un théâtre « franco-africain », il mit en place un pro- avoir considéré que la « culture » était un secteur stra-
gramme au sein duquel les élèves devaient « récolter », tégique pour l’État, s’exprime par ces mots aux artistes
durant les congés scolaires, les spécificités culturelles dans son discours d’orientation politique du 2 octobre
de leur région respective afin de les intégrer ensuite 1983 : « Il faut savoir puiser ce qu’il y a de bon dans
à des créations choréographico-théâtrales. Sur ce le passé, c’est-à-dire dans nos traditions, ce qu’il y a de
« théâtre des instituteurs », voir notamment Man- positif dans les cultures étrangères pour donner une
chuelle (1995) et Jézéquel (1999). dimension nouvelle à notre culture. »
14. Des danseurs, chanteurs et percussionnistes guinéens, 22. Cette première promotion comptait une vingtaine
sénégalais, ivoiriens et malien seront par la suite recru- d’élèves sélectionnés dans différents pays de la sous-
tés par Keita.
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gens regardaient. C’était un mélange bizarre, c’était de ce programme, étaient présents les élèves inscrits
un truc un peu hybride que les gens aimaient et que en formation à l’EDIT ainsi que plusieurs apprentis
j’aimais aussi. » danseurs de la formation « Je danse donc je suis » du
24. La chorégraphe a elle-même été à l’origine de la créa- CDC-La Termitière.
tion tardive du Ballet National du Burkina en 1998. 32. Boro Seydou (2002), « La danseuse d’ébène », film
C’est elle qui a composé le répertoire de l’institution à documentaire (52 minutes).
travers la sélection et la chorégraphie d’une dizaine de 33. Extrait de la note d’intention du spectacle.
danses « représentatives » du territoire national.
34. Pour une lecture stimulante de la variété des formes
25. Cette danse est connue du public ouest-africain à tra- que peut prendre la reprise, « Hommage respecteux,
vers les feuilletons indiens diffusés sur les chaînes télé- critique du passé, temoignage d’une appartenance
visées nationales. à une scène et/ou à une tradition musicales, pillage,
26. Pour plus de précisions sur la trajectoire de ces deux récupération marchande, crédibilisation, parodie,
artistes se rapporter à Mayen (2006) et Sanou (2008). cross over, pastiche, rituel d’apprentissage, exercice de
27. Notons que les savoir-danser locaux sur lesquels style » (Saladin, 2010 : 3) voir les numéros 7 (1 et 2) de
s’appuient les chorégraphes de cette génération sont Volume ! La revue des musiques populaires (2010).
en large mesure extraits du répertoire des troupes de 35. Dans « Weeleni-l’appel », Seydou Boro interprétait
ballet et ont déjà subi des transformations formelles. déjà un solo intitulé « Féminin-masculin ».
C’est donc à partir de cette tradition chorégraphique 36. La pièce a été créée suite à un séjour en Corée du Sud
« parallèle » (Shay, 2002 :13) que les artistes élaborent de six mois au cours duquel Aguibou Sanou, lauréat
leurs nouveaux langages gestuels. d’une bourse, a suivi une formation en danse contem-
28. Disposés en arc de cercle au fond de l’espace scénique, poraine. Si le chorégraphe indique que cette expé-
les musiciens occupent une place importante dans ce rience l’a beaucoup inspiré pour composer cette pièce,
spectacle présenté comme « une pièce pour trois dan- cela n’est guère perceptible par le spectateur.
seurs et quatre musiciens ». Seydou Khanzaï, Ibrahim 37. Le président burkinabè Thomas Sankara est, par
Boro et Dramane Diabaté sont originaires du Burkina exemple, au cœur de deux solos récents, « Solitude
Faso tandis que Youssef el Mejjad est marocain. d’un homme intègre » créé par Serge Aimé Coulibaly
29. Cette danse, déjà évoquée plus haut, est fondée sur de et « Tourments noirs » d’Auguste Ouédraogo.
rapides mouvements du sternum qui mettent en mou- 38. Dans la pièce « Babemba » de la compagnie Faso Danse
vement l’ensemble de la colonne vertébrale du danseur Théâtre, le danseur Sayouba Sigué met en danse des
pour finir en vibration de l’ensemble du tronc. gestes footballistiques pour rendre hommage au came-
30. Les populations lobi sont originaires du sud-ouest du rounais Samuel Eto’o.
Burkina Faso. 39. Figure majeure du champ chorégraphique français,
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31. Cette projection-rencontre était organisée par Bien- Angelin Preljocaj est le directeur du Pavillon Noir,
venue Bazié et Auguste Ouédraogo, tous deux à l’ori- centre chorégraphique national d’Aix-en-Provence.
gine du projet de formation « Engagement féminin » 40. « À Bamako, on a assisté à de la danse contemporaine
destiné à promouvoir la professionnalisation des dan- africaine », Jeune Afrique, 4/11/2010 http://www.jeu-
seuses d’Afrique de l’Ouest. En plus des 16 stagiaires neafrique.com/Article/ARTJAWEB20101104210718/