Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
1 Robert Frank, « Juin 1940 : La défaite de la France ou le sens de Vichy », in Alya Aglan et Robert Frank (dir.), 1937-1947. La
guerre-monde, tome 1, p.
l’État-major français que celles-ci sont infranchissables, on comprend que la décision
allemande de passer par les Ardennes plutôt que d’attaquer au centre de la
Belgique, a été une décision brillante. La réussite du « coup de faucille » allemand
vers la Manche a été extraordinaire, elle a surpris les Allemands eux-mêmes. Les
contingents belges, français et britanniques pris au piège sur le sol belge au nord de
cette percée de blindés, ont cédé à la pression allemande, jusqu’à ne laisser d’autre
choix, selon leurs profondeurs géostratégiques respectives, aux Britanniques que le
rembarquement à Dunkerque, aux Belges que la défaite sur place et aux Français
que le recul avec l’espoir d’un sursaut au sud du coup de faucille, renouvelant le
« miracle de la Marne » de 1914.
Mais le repli des structures essentielles du pays est tout à fait autre chose et il s’est
en général effectué de manière plus ou moins organisée. Le souhait général des
autorités belges est alors de continuer le combat aux côtés des Français et des
Britanniques, sur le sol français, renouvelant ainsi l’expérience de la guerre de 14-
18, centrale pour les hommes de 1940. Le gouvernement belge s’était alors replié à
Sainte-Adresse, près du Havre ? et avait mené la lutte aux côtés des Alliés,
abandonnant, par la logique des choses, la position de neutralité traditionnelle du
pays. Pour le gouvernement belge, en mai-juin 1940, fuir c’est donc résister.
Un des problèmes de la Belgique en 14-18, analysé par la suite, avait été que le
territoire belge avait été occupé presque entièrement par les Allemands. En
conséquence, le pays en guerre n’avait pu bénéficier ni de ses ressources
industrielles ni des classes d’âge qui auraient dû être appelées sous le drapeau en
1915, 1916, 1917 et 1918. C’est pourquoi, en mai 1940, d’une part une partie de
l’outil industriel belge, des services et de l’administration a été transférée en France,
en particulier dans le Sud-Ouest et d’autre part les jeunes gens de 14 à 18 ans ont
été appelés à rejoindre par tous les moyens dont ils disposaient, des centres de
regroupement, d’abord dans l’ouest de la Belgique puis en France. C’est ainsi que,
par dizaines de milliers, les adolescents belges sont partis, en train, en autocars, en
vélos, en groupes ou seuls. Malgré les difficultés, un grand nombre de ceux qu’on a
appelé les CRAB, d’après les noms de leurs lieux de rassemblement, les Centres de
regroupement de l’armée belge, est parvenu jusque dans le Midi de la France où ils
ont passé l’été entier, dans des conditions qui n’étaient pas toujours que négatives
pour eux, puisqu’ils étaient bien accueillis par la population.
Au total, c’est plus d’un million de Belges qui ont passé l’été 40 dans le Sud-Ouest
de la France. L’accueil de ces réfugiés, passé le premier choc, a pu s’organiser. En
fait, on peut penser que le repli belge et l’accueil français auraient sans doute
débouché, avec une bonne coordination des deux nations, sur une organisation
efficace. L’effondrement militaire français du mois de juin a rendu la question sans
objet.
Revenons un peu en arrière, à la fin du mois de mai en Belgique. Le roi des Belges a
décidé de rester sur le sol national, en désaccord avec le gouvernement tripartite,
composé de ministres catholiques, socialistes et libéraux et dirigé par le catholique
Hubert Pierlot, Le gouvernement s’est replié en France, à Paris d’abord, puis il a
suivi le gouvernement français dans sa descente vers le Sud-Ouest. Le 28 mai
Léopold III décide de proposer à l’ennemi la capitulation de l’armée belge. Il a été
accusé par la suite d’avoir capitulé trop tôt et de n’avoir pas prévenu ses alliés
britanniques et français, ce dont il s’est défendu et il a été défendu par des témoins
et par les historiens belges en général. Le président du conseil français Paul
Reynaud a alors prononcé à la radio un discours violent contre le roi des Belges,
dont on peut penser qu’il servait plus l’objectif de resserrer les rangs de la nation
française que le souci de la vérité. Pierlot parlant à sa suite à la radio française, délie
les officiers et les soldats belges de leur serment de fidélité au roi, ce qui lui a valu
beaucoup de reproches et même de haine de la part des Belges favorables à la
dynastie. Quelques Belges ont été molestés en France, mais assez peu finalement,
sans doute grâce au discours de Pierlot qui a permis de distinguer aux yeux de la
population française les « mauvais Belges », en l’occurrence le roi des « bons
Belges », le gouvernement et les réfugiés.
Le 18 juin, on l’a vu, trois ministres ne sont pas d’accord pour renoncer au projet
d’aller en Angleterre et ils vont jouer tous trois un rôle important dans l’étonnant
rebondissement qui fera d’un gouvernement abattu et démoralisé en juin un
gouvernement de lutte installé à Londres en octobre. Le premier à partir est Marcel-
Henri Jaspar, ministre de la santé, donc en charge entre autres des réfugiés. Il
connaît l’Allemagne, sa femme est juive, il ne veut pas tomber aux mains des nazis.
Dès le 18 juin, il embarque au Verdon sur un bateau qui va en Angleterre. Une fois à
Londres, il lance un appel aux Belges, le 22 juin, qui a des points communs avec
l’appel du 18 juin de De Gaulle, mais qui a eu moins de succès, pour des raisons
politiques, en premier lieu l’opposition de l’ambassadeur belge à Londres Cartier de
Marchienne, qui a lui aussi décidé de rallier les Anglais et qui, conservateur bon
teint, s’oppose à Jaspar. Le deuxième ministre qui le 18 juin refuse de rester en
France est Albert De Vleeschauwer, un catholique flamand qui, ministre des
Colonies, prend en charge les intérêts du Congo, officiellement pour mettre la
colonie à l’abri de tous les belligérants, mais en réalité pour mettre ses ressources à
la disposition des Britanniques. Il arrive à Londres le 4 juillet et tout de suite il
exhorte ses collègues restés en France de venir le rejoindre dans la capitale
anglaise pour éviter la reconnaissance par les Britanniques d’un gouvernement
Jaspar. Camille Gutt, ministre libéral des finance et troisième ministre « résistant »
du 18 juin, le rejoint en août, Pierlot et Spaak seulement en octobre.
III) Conclusion
Pour la population belge de l’exode, Bordeaux est une étape vers un lieu d’accueil
plus durable, jusqu’à l’organisation des retours au pays, qui commence en août 1940
et s’intensifie en septembre. Seules deux catégories de la population sont interdites
de retour par les autorités allemandes : les francophiles avant la guerre, considérés
comme antiallemands, et les Juifs. Parmi ceux-ci, une majorité était constituée
d’étrangers, réfugiés juifs venant d’Allemagne, d’Autriche, de Pologne, etc. et avaient
trouvé refuge en Belgique.
La Belgique n’a pas voulu agir comme une alliée des démocraties, aussi bien en
1936 quand elle prend ses distances avec la France qu’en 1940 quand elle renonce
à se rendre en Grande-Bretagne. Ces refus d’un petit pays à s’engager dans le
camp des démocraties sont en réalité des épisodes de leur défaite commune.
Bibliographie
Renaud Degrève, Entre exode et repli. Les populations et les structures belges dans
le Midi toulousain. Mai-juin 1940, Mémoire de master 2, Université de Toulouse-
Jean-Jaurès, 2014.
Jean-Claude Delhez, La déroute française de 1940 : la faute aux Belges ?, Paris,
Economica, 2015.
Robert Frank, « Juin 1940 : La défaite de la France ou le sens de Vichy », in Alya
Aglan et Robert Frank (dir.), 1937-1947. La guerre-monde, tome 1, pp. 207-259,
2015.
J. Gérard-Dubois et José Gotovitch, L’an 40. La Belgique occupée, Bruxelles,
CRISP, 1971.
José Gotovitch, « Les Belges du repli, entre pagaille et organisation », in Max
Lagarrigue (dir.), 1940, la France du repli. L’Europe de la défaite, pp. 50-64, Privat,
2001.
Jakob Hermann Huizinga, Paul-Henri Spaak de l’émeute à l’OTAN, Bruxelles,
Legrain, 1988.
Marcel-Henri Jaspar, Souvenirs sans retouche, Paris, Fayard, 1968.
Max Lagarrigue, 1940 la Belgique du repli. L’histoire d’une petite Belgique dans le
Sud-Ouest de la France, Imprimerie provinciale du Hainaut, 2005.
Sabine Meunier, « Les Juifs de Belgique dans les camps du Sud-Ouest de la
France »,in Max Lagarrigue (dir.), 1940, la France du repli. L’Europe de la défaite,
Privat, pp. 33-49, 2001.
Hubert Pierlot, « Pages d’histoire », Le Soir, 5 au 19 juillet 1947.
Pierre Renouvin et Jacques Willequet (dir.), Les relations militaires franco-belges de
mars 1936 au 10 mai 1940, Travaux d’un colloque d’historiens français et belges ,
Paris, CNRS, 1968.
Paul-Henri Spaak, Combats inachevés. Volume 1 De l’Indépendance à l’Alliance,
Paris, Fayard, 1969.
Jean Stengers, Léopold III et le gouvernement. Les deux politiques belges de 1940,
Paris-Gembloux, Duculot, 1980.
Fernand Van Langenhove, « À propos des relations militaires franco-belges, 1936-
1940 », Revue belge de philologie et d’histoire, 47-4, 1969.
Jean Vanwelkenhuyzen et Jacques Dumont, 1940. Le grand exode, Paris-
Gembloux, Duculot et Bruxelles, RTBF éditions, 1983.