Vous êtes sur la page 1sur 2

La Marseillaise

Buenos Aires COnfidential

“Une vie qui n’existe plus en ville”


La trentenaire Maria Ana a donc succombé à cette promesse de jours meilleurs.
L’experte-comptable et son époux, entrepreneur dans l’audiovisuel, ont acquis une
maison construite exactement sur le même modèle que toutes les maisons voisines du
quartier, avec une salle de bains, un dressing, un home cinéma et une piscine de
magazine qui surplombe le río. Un plus bien appréciable dans ce pays où les longs
étés australs étouffent la capitale. Jusqu’ici, ils venaient surtout le week-end.
Enceinte de trois mois, la jeune femme a décidé de s’y installer définitivement pour
offrir à l’enfant tant désiré « une vie qui n’existe plus en ville ». Ici, pas de pollution,
pas de bruit, pas d’embouteillages monstres comme dans le centre de Buenos Aires.
Les maisons n’ont pas de clôture, les portes peuvent demeurer ouvertes. La circulation
est limitée à 20 km/h. Les enfants font du vélo. Les oiseaux chantent. Seul le
ronronnement des tondeuses d’impeccables pelouses trouble le calme de ce quartier
qui semble tout droit sorti d’une série américaine. Même le chien des voisins est sous
contrôle : son collier lui envoie de petites décharges électriques dès qu’il met une
patte hors du jardin. Car, attention, toute déjection non ramassée fait l’objet d’une
amende. Et derrière leurs vitres, chacun guette. « Tout est très, très réglementé!  »
reconnaît Maria Ana.
Pourtant, cela semble la rassurer. « En Argentine, si tu as de l’argent et que tu veux
vivre en paix, tu es obligé de te protéger, explique-t-elle. Dans la capitale, tout le
monde a des barreaux aux fenêtres. » Elle-même a-t-elle été agressée?   « Non. » Mais
ses beaux-parents ont été victimes d’un enlèvement express dans leur propre voiture,
obligés de conduire des malfaiteurs à un distributeur automatique, avant d’être
relâchés dans la nature. Depuis, la famille vit dans l’angoisse du pire. Cela ne plaît pas
à Maria Ana, mais son mari s’est procuré une arme à feu.
Ses deux belles-sœurs ont également une maison dans le quartier. Ce samedi midi,
elles improvisent un déjeuner. La jolie brune remonte dans sa Jeep pour acheter des
fleurs au shopping center. En chemin, elle croise son coach sportif près des tennis,
jette un œil sur le programme du cinéma, et projette de revenir vers le yacht-club
situé en face de l’hôtel, où aime descendre Diego Maradona. « Le seul risque, c’est
l’isolement, car on n’a plus aucune raison de sortir…»
Le boom de ces bulles urbaines remonte en Argentine aux années 1990. Une vague de
libéralisme relance un temps l’économie de la troisième puissance latina, et les écarts
sociaux se creusent d’un coup. Une partie de la classe moyenne plonge dans la

Page 1
La Marseillaise

pauvreté, l’autre s’enrichit. « Pendant cette période de forte instabilité sociale, ceux
qui s’en sortent cherchent à ancrer leur position et à afficher leur réussite en
s’installant dans ces quartiers destinés aux plus aisés », analyse la sociologue
Maristella Svampa, auteur d’une enquête sur ces barrios. « Ils privatisent leur vie
comme l’État privatise les services publics, qui se dégradent brutalement. » Car

jusqu’alors les résidences privées, surnommées les «countries»,  étaient l’apanage de
l’élite traditionnelle.

Quelle est ton opinion sur les quartiers fermés ? As-tu des amis, des proches,
de la familles qui y vivent ? Quelle est leur expérience ?

Page 2

Vous aimerez peut-être aussi