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Coup d’œil impérial sur la rebelle province :petite histoire d’un


piratage réussi à l’époque des rébellions canadiennes (1837-1838)

Plassart, Anna et Suzanne Forbes (2019). « La “nationalité” dans les discours


parlementaires britanniques au XIXe siècle », Mots. Les langages du politique, 121, 3,
15-36.
Plassart, Anna et Hugo Bonin (2020). “Democratic struggle or national uprising? The
Canadian rebellions in British political thought, 1835-1840”, Global Intellectual
History, 5, 1, 1-19.

« Hear a little further,


And then I’ll bring thee to the present business
Which now ’s upon ’s, without the which this story
Were most impertinent. »
Shakespeare, The Tempest, I, ii, 135-138.

Deux métropoles

Phillip Buckner constatait naguère le « désintérêt quasi-total des historiens canadiens


envers la question du lien impérial » britannique (Buckner, 2005, 182). À quelques
exceptions près (dont Chevrier, 2019), la remarque garde encore toute son actualité.
Une des raisons de cette désaffection réside peut-être dans l’incapacité d’imaginer ce
qu’a (ou aurait) pu être le Canada avant l’établissement des institutions fédérales. On
veut bien croire que le gouvernement canadien, dans toutes ses composantes actuelles,
représente bien en miniature — moyennant la magie d’un transfert métonymique — la
nation en devenir dans son incandescente intégralité. Et pourtant, au plan de
l’enseignement le plus élémentaire de l’histoire, personne ne peut le contredire : le
Canada et les Canadiens ont bel et bien existé avant l’implantation des institutions
fédérales en 1867. D’un point de vue temporel dilaté s’échelonnant du XVIe siècle au
XIXe siècle, une des particularités du Canada et des Canadiens est même d’avoir eu
deux métropoles : Paris et Londres (Laurens, 2011)1. Deux métropoles, faut-il préciser,
ayant mutuellement entretenu des rapports complexes d’émulation et de rivalité sur
fond de lutte d’ascendance à l’échelle mondiale. Dans The Expansion of England par
exemple, l’historien de Cambridge Robert Seeley martèle l’idée « of a gigantic rivalry
between England and France, a kind of second Hundred Years’ War » à partir du règne

1
Selon le mot de Montesquieu que rapporte H. Laurens, « [l]a métropole est, dans le langage des anciens,
l’État qui a fondé la colonie » (2011, 70).

1
2

de Louis XIV jusqu’à la défaite de Napoléon à Waterloo en 1815 après vingt-cinq ans
de guerre contre-révolutionnaire (1883, 28-29). Ces rapports complexes n’ont pas pu
ne pas se répercuter sur le terrain colonial. L’idée même circulaient depuis longtemps
avant Seeley. Adam Thom, rédacteur en chef du Montreal Herald (1835-1838) en avait
fait ses choux gras (Deschamps-Philpot, 2016 ; Deschamps, 2019). De même qu’Alfred
Mallalieu dans le Blackwood Magazine de juin 1835:
We have indeed laid the foundation of two rival empires. Each differing from the other
in laws, language, and religion – we have laboured with might and main to transplant
the hatred, to eternise the wars and the national hostility of the Old in the New World
– between French Lower and British Upper Canada » (“The Canada Question”, 911).

Durham (où l’un des logogriphes à la solde du Colonial Office, si ce n’est Adam Thom
lui-même) présente dans le Rapport qu’il dépose en 1839 une variation intéressante sur
le même thème: « A jealousy between two races, so long habituated to regard each other
with hereditary enmity, and so differing in habits, in language and in laws, would have
been inevitable under any form of government » (1912b [1839], 63).

La longue période de gestation coloniale des institutions fédérales à l’intérieur de


l’incubateur impérial anglais défie, à vrai dire, les raccourcis simplistes. Pendant cette
période, on discerne quatre couches superposées : a) de la guerre de Conquête (1754-
1763) à la « création » d’une entité à demi fantomatique, la grande province de Québec
(1774) ; b) d’où a émergé la division du Canada sur une base ethnique en deux entités
détachables (1791-1838) ; c) ayant conduit à l’éclosion d’insurrections armées dans le
Haut-Canada (Ontario) et le Bas-Canada (Québec) ; d) avant leur réunification (1841-
1867). C’est à partir de ce noyau initial « canadien » que se sont agrégés par la suite les
membres disparates du British North America dont l’amalgame allait former un
ensemble distinct de la république fédérale voisine.

Mise sous tension adéquate

La période de tutelle impériale britannique avant 1867 est particulièrement cruciale en


ce qui concerne la mutation et altération de sens du mot « Canada » et de ses dérivés.
Élevé au rang de mythe fondateur, l’établissement progressif du self-government
continue d’exercer une fascination durable. Dans l’empressement à célébrer le caractère
novateur à l’échelle de l’empire du modèle canadien (et le type restreint, sinon atrophié
de participation citoyenne qui le sous-tend), on néglige de prendre en compte les
résistances profondes à cet avènement, la vivacité entre autres du modèle antérieur de

2
3

gouvernance et le type notamment de représentation des classes commerciales qu’elle


impliquait tant en Grande-Bretagne que partout ailleurs sur le terrain colonial. Il s’agit
beaucoup plus que d’une simple « touche tory » décorative, mais d’un aspect
fondamental dans la culture politique ayant présidé à la mutation des colonies
britanniques disparates d’Amérique en Dominion de la Couronne.

Depuis les années 1630 en Angleterre, existaient en fait deux conceptions


concurrentes de « représentation » politique avant que le Reform Bill de 1832
n’établisse les principes du réaménagement moderne encore en vigueur aujourd’hui:

a) celle que défend Burke par exemple, qui en fait une sorte de club privé dont les
membres n’ont pas vraiment de comptes à rendre au corps électoral qui les a
promus ;
b) et celle, de facture nettement plus républicaine, comme l’illustre le cas de figure
de John Hampden, selon laquelle les délégués élus, sous quelque bannière que
ce soit, ont l’obligation de mener à bien ce pourquoi ils ont été sélectionnés, à
défaut de quoi les électeurs-propriétaires et détenteurs de capital — armes en
main et regroupés si nécessaires en associations volontaires —, peuvent à tout
moment les déposer, en appeler même, en cas de nécessité, à l’établissement de
conventions (Goldie, 2010).

Par ailleurs, cette « scène primitive » d’avant 1867 requiert impérativement une mise
sous tension adéquate du rapport métropole/colonies blanches de peuplement. Époque
déjà lointaine où demeurait prononcé l’écart entre les vieilles monarchies héréditaires
européennes et ce que John Stuart Mill appelle encore en 1838 « this New World »
(CW6, 1838a, 363)2. Mrinalini Sinha souligne l’importance des colonies aux yeux des
classes dirigeantes à Londres qui les tenaient pour des laboratoires instructifs ou « sites
d’expérimentation »:

as various scholars have now demonstrated, the colonies themselves often served as the
“test-site” for the management and containment of threats to both the domestic and
imperial hegemony of the metropolitan ruling classes (2001, 496).
Cette double focalisation métropole/colonies blanches de peuplement est
indispensable : outre le thème de la représentation parlementaire, sous le rapport de

2
Voir The Online Library of Liberty, The Collected Works of John Stuart Mill, Volume VI. L’article de
janvier est intitulé: « Radical Party and Canada: Lord Durham and the Canadians » (ci-après 1838a,
CW6, 362-383); celui d’août: « Lord Durham and His Assailants » (ci-après 1838b, CW6, 384-388); et
celui de décembre: « Lord Durham’s Return » (ci-après 1838c CW6, 389-401).

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4

l’identité par exemple, on ne peut tenir compte uniquement de la façon dont les
« Canadiens » se considéraient à travers le discours de leurs porte-parole dans les
institutions représentatives, mais comment ils étaient perçus aussi à travers le regard
distancé de ceux au nom de qui s’exerçait la tutelle au Parlement impérial ou, sur le
terrain, par leurs concitoyens en provenance des îles britanniques ou des États-Unis
venus s’établir dans la colonie3.

Two subversive and little-used words

C’est à ce chapitre que deux études récentes de théorie politique suscitent un intérêt
particulier4. Elles se proposent de mesurer le sens et la portée de « two subversive and
little-used words » (PB4) qui, jusque-là, dans le discours des députés britanniques,
étaient lestés d’un fort coefficient négatif : démocratie et nationalité. Selon les
auteur(e)s, un constat initial s’impose : l’impact de ce qui est convenu d’appeler « les
rébellions canadiennes de 1837-1838 » sur le discours politique en Grande-Bretagne
n’a pas été apprécié à sa juste valeur. Celles-ci auraient permis aux supporteurs radicaux
anglais des insurgés patriotes de promouvoir au Parlement impérial ces deux termes.

Axé sur la compilation de données statistiques et/ou l’analyse du discours, ce projet


est novateur dans la mesure où les canaux hiérarchiques du pouvoir d’État— escortés
des moules conceptuels conventionnels (« Rule of Law », « checks and balances »,
« prérogative royale », « gouvernement mixte », etc.) — sont inversés au profit d’une
dynamique ascendante et centripète partant de la périphérie du « Nouveau Monde » et
investissant le centre magnétique impérial londonien. Ne disposant d’aucun point
d’appui dans les journaux bas-canadiens, l’exécution d’une telle entreprise demeure
cependant périlleuse5. Ce projet se base, en effet, presque exclusivement sur le discours

3
La question mériterait de longs développements. Catherine Hall a toutefois parfaitement encapsulé le
nœud de l’affaire: « identities were always constructed in a process of mutual constitution — the making
of self through the making of others » (2005, 24). De même que « Canada » résulte, par exemple, de
l’adoption du terme amérindien originel relayé par Jacques Cartier, l’expression « Canadiens Français »
— comme substantif ou épithète — découle d’un procédé comparable d’adaptation mutuelle de ce qui
au départ représentait la manière dont les Britanniques désignaient eux-mêmes les habitants du Canada
(« French Canadians » au sens de « Canadians of French extraction ») ou tout ce qui s’y rapportait. À
l’instar du « n-word », les connotations plus ou moins péjoratives, discriminatoires ou racistes dépendent
des inflexions dans le ton.
4
Pour simplifier les nombreux renvois, je désigne Plassart-Forbes 2019 par PF suivi du numéro de page
et Plassart-Bonin 2020 par PB.
5
Les spicilèges du Montreal Herald des années 1835-1840 à McGill, ainsi que les bobines du Herald
Abstract à la Collection nationale de la Grande Bibliothèque (MIC, 1 January 1835 - 22 December 1840,
ci-après HA : BAnQ) fournissent en contrepartie un ancrage sûr permettant des mises en contexte
minutieuses.

4
5

des adversaires du mouvement populaire patriote aux Communes. Or ceux-ci, pour la


plupart, ne pouvaient se former une opinion sur la « nationalité » canadienne que par
ouï-dire, leurs sources d’information reposant en grande partie sur la presse locale de
Québec et de Montréal. Les risques de distorsion sont d’autant plus élevés qu’une
interprétation correcte de tous les enjeux sémantiques et politiques autour de ces deux
mots exige une mise en contexte rigoureuse jumelée à la capacité de démêler les fils
enchevêtrés des « stratégies rhétoriques » (PB2) à l’œuvre.6 Il n’est pas sûr qu’en fin
de parcours le lecteur de bonne foi gagnera « a richer understanding of the political and
rhetorical strategies of British political writers in the late 1830s » (PB2). Il s’en faut
même de beaucoup.

Comme je vais le montrer, le mot « nationality » en particulier est trop bien ajusté à
l’hypothèse de départ des deux recherches pour ne pas éveiller des soupçons :
« nationality » = « French Canadians » = « souveraineté ». On discerne ici sous le
télescopage rétroactif un usage tendancieux de l’anachronisme. Dans le camp des
démocrates, la lutte d’émancipation anticoloniale des deux Canadas est conçue plutôt
en termes de « réforme » ou d’autonomie, par quoi on peut traduire « self-
government ». Le problème n’est pas tellement que ces théoricien(ne)s partagent, à près
de deux cents ans de distance, les préjugés de la grande majorité des députés
britanniques à l’endroit du caractère rétrograde, étroit, déphasé et peu entreprenant des
Canadiens dans le contexte anglo-protestant qui prévalait en Amérique du Nord, mais
que ce biais les empêche de déceler du point de vue même des radicaux anglais sous
enquête — Molesworth, Mill et Durham — leur mise en garde pourtant explicite face
aux appels insidieux à la solidarité ethnique anglo-saxonne afin de justifier, auprès du
grand public anglais, l’opposition des classes commerciales whig et tory à ce qui leur
apparaissait un dangereux mouvement populaire transfrontalier et antibritannique7.

Mon hypothèse est que, si on désire bien comprendre, du point de vue des radicaux
anglais, les tenants et aboutissants des débats sur la « nationalité » et la « démocratie »
au Bas-Canada au moment du soulèvement armée de 1837, il importe de coupler dans
le même cadre d’analyse les notions concurrentes de nationalité canadienne et ce que

6
À la différence de ce qui se passe ici, l’intérêt et la prolifération des études coloniales et impériales ne
se démet pas ailleurs. Sur les rapports entre impérialisme britannique, colonies de peuplement blanc et
discours, voir notamment Christie (2008), Devriendt (2018), Hall et Rose (2006), Harrington (2015),
Kidd (2004), Laidlaw (2012), Lester (2002), Stoler et Cooper (2013), Veracini (2013) et Wilson (2004).
7
Sur l’importance de l’opinion publique anglaise, voir infra n. 35 et n.38.

5
6

les chercheur(e)s désignent sans la définir par l’expression fourre-tout « a broader


‘British’ imperial identity » (PB11)8. Dans l’historiographie récente, le concept de
« britishness » occupe désormais une position dominante incontournable (Colley,
1992 ; Wilson, 2003 et 2004 ; Hilton, 2006 ; Skinner et Lester, 2012 ; Henderson,
2015). On sera peut-être surpris de constater qu’aux yeux de Molesworth, Mill et
Durham, il ne comporte pas seulement un sens inclusif et cosmopolite ouvert sur la
diversité culturelle et le respect des différences. Il pose en fait le problème fondamental
de l’extension des rapports nation britannique/colonies blanches de peuplement à
l’échelle de l’empire, dont les racines remontent au cas de figure irlandais au milieu du
XVIe siècle. Pour ma part, l’hypothèse que j’avance s’appuie sur ce que B. Anderson a
appelé, en référence explicite aux années 1830, « the fondamental contradiction of
English official nationalism, i.e. the inner incompatibility of empire and nation »9.

Dans ce qui suit, en marchant dans les pas de PF et PB, je vais conduire une analyse
des thèmes conjoints de la nationalité et de la démocratie chez William Molesworth
d’abord, puis chez Durham et John Stuart Mill. Pour ce qui est de ce dernier, je vais
montrer qu’une lecture trop sélective des trois articles importants qu’il a consacrés au
sort du « peuple canadien » ne permet pas d’identifier ce qui se cache derrière sa
volteface apparente dans ses articles d’août et décembre 1838 par rapport à sa position
initiale énoncée en janvier 1838, c’est-à-dire le lien fort entre nationalité canadienne,
lutte démocratique et institutions représentatives dans le cadre de ce qu’il appelait, à
l’instar de beaucoup de ses contemporains, une « guerre civile ». Loin de procéder à
une révision critique, la version rétrospective édifiante de 1861 que Mill peaufine pour
la postérité relève de l’auto-aveuglement volontaire (selbsttäuschung) en contradiction
flagrante avec ce qu’il observait trente ans plus tôt. Je ferai voir à cet égard que les
ornières nominalistes strictes des auteur(e)s comportent une autre lacune importante:
l’absence de lien significatif entre le thème de la « nationalité » et la notion centrale
occultée de lutte de prédominance au sein des institutions représentatives d’une colonie

8
À rebours de ce que postule PF2019, le sentiment d’appartenance nationale en Grande-Bretagne n’a
pas attendu pour éclore le cadre de l’État-nation dans les années 1860, ni sa mise en capsule sous le
vocable « nationality ». Des travaux antérieurs sérieux (Colley, Greenfeld, Mandler) cités pourtant, mais
sans vraiment être discutés (PB16 et PB32), démontrent de manière convaincante que, dès les années
1740, ce sentiment, cette identité ou cette conscience sont déjà bien implantés.
9
Benedict Anderson, 2006, 93. Sur ce point, C. Hall relève la position ambivalente des colons écossais
et irlandais « as both insiders and outsiders, colonized by the English and colonizing the sites of
empire » (2005, 23). De son côté, Buckner (2005) mise plutôt sur l’harmonisation des appartenances
multiples au sein du monde britannique et soutient, au contraire, que la double composante identitaire
nationale et impériale des colons britanniques était parfaitement compatible.

6
7

hybride de peuplement (Exécutif, Conseil législatif, Chambre d’assemblée, procès par


jury, milice, etc.). En conclusion, je reviens sur l’intention inaboutie exprimée par Mill
en janvier 1838 de discuter à fond la nature du passage à la violence armée en novembre
1837 et plaide en faveur d’un élargissement de perspective dans le temps et dans
l’espace. Seul celui-ci donne la mesure exacte du dilemme auquel faisait face les
autorités impériales dès la création de la « province of Quebec » en 177410. Ce dilemme
latent devait persister et s’intensifier jusqu’à l’explosion armée de 1837 — compte tenu
des résistances viscérales du petit groupe fusionnel ultra-tory de Montréal et Toronto à
la politique impériale de conciliation. J’esquisse en terminant les contours d’une étude
éventuelle du « British party » de Montréal et postule que le dénominateur commun de
ceux qui, par ailleurs, occupaient des positions stratégiques dans la presse, la
magistrature, la milice, le commerce extérieur, les banques, l’état-major et les régiments
de l’armée réside peut-être dans la sociabilité masculine hyper-sélective qu’ils
pratiquaient à travers l’affiliation assermentée au sein du réseau des loges orangistes et
maçonniques (dont la prestigieuse loge Saint Paul fondée à Montréal en 1770)11. Au
regard de l’administration de la justice et compte tenu du contexte unique de prise en
charge des autorités civiles par la caste militaire, on peut se demander en fin de
parcours, sous l’angle particulier du « monopole légitime de la violence », si les
membres de cette oligarchie dominante ne se sont pas retrouvés paradoxalement à
assumer, au nez et à la barbe du cabinet Melbourne de l’autre côté de l’Atlantique, les
rôles à la fois de plaignants, d’avocats de la défense, de juges d’instruction et
d’exécuteurs dans la promotion de leur propre cause.

10
Comme le démontre Aziz Rana, qui s’appuie lui-même sur Lawson (1990, 44), il s’agissait alors
essentiellement pour Londres au début des années 1770 de ne pas reproduire l’épineux cas irlandais en
Amérique en laissant libre cours, sans garde-fou, à la « Protestant ascendancy » ; voir Rana, 2010, « The
Quebec Act, Indirect Rule, and the Catholic threat » (73-79), infra n. 25 et Adam Thom (2019, Lettre
anti-française LIV) où l’éditorialiste en chef du Montreal Herald maintient encore, soixante ans plus
tard, que « [l]e but manifeste de la loi constitutionnelle de 1774, c’était que les Canadiens Français
contribuent à l’oppression des colonies anglaises ; et je pourrais même avancer, sans manquer à la charité,
que la voie de la conciliation qui s’ensuivit avait pour but de créer, à l’aide de ce peuple étranger, un
élément politique non-conducteur parmi le flux d’immigration anglaise à travers l’Amérique
britannique » (221). Le thème revient sous l’Union (voir infra, n. 50).
11
Voir Harland-Jacobs (2007) et Deschamps, « Une orange britannique », (2015, 153-187). Au chapitre
22 du Léviathan, Hobbes discute du caractère potentiellement séditieux de ce type de regroupement
« irrégulier ».

7
8

Identités ethniques, colonie hybride de peuplement et lutte de pouvoir


Chez PF2019, la revue des usages contrastés du mot « nationality » dans le discours
des députés britanniques apparaît, au départ, très stimulante : non seulement la
numérisation des données des Hansard’s Parliamentary Debates tout au long du XIXe
siècle permet de combiner approche quantitative, sérialisation et analyse du discours
axée sur les occurrences et cooccurrences du mot, mais, en plus — gain appréciable —
, elle facilite le traitement dans un même champ analytique des débats à la chambre des
Communes concernant la colonie turbulente du Bas-Canada au cours des années 1830
et, simultanément, le thème des « nationalités » au Royaume-Uni, en Irlande et ailleurs
en Europe. On pouvait espérer ainsi la remise en question d’un des résultats de l’enquête
de Varouxakis (2018), qui n’aurait pas repéré de « tournant significatif » relativement
à l’emploi du terme « nationality » dans le contexte des « rébellions canadiennes de
1837-1838 » (PF24). Soucieuses, quant à elles, de bien mettre en relief « les tensions et
évolutions sémantiques dont le mot nationality fait l’objet » (PF17), Plassart et Forbes
y décèlent, au contraire, dans le sillage des crises grecque et polonaise au sein d’autres
empires monarchiques, des inflexions significatives où des signes avant-coureurs
annoncent sa « politisation » « dans un sens proche d’“identité nationale” » (PF20;
PB5).

Le tri des données statistiques permet de départager, selon elles, deux périodes dans
l’usage du terme « nationalité » chez les parlementaires britanniques : une première
(1820-1842) où il se réfère essentiellement au contexte européen (Grèce, Pologne,
Belgique, Irlande) et colonial (Bas-Canada) ; et une seconde à partir de 1860 jusqu’à la
fin du siècle où il s’appliquerait au contexte social et politique à l’intérieur du
Royaume-Uni. Contrairement aux attentes, on n’assiste pas à une pointe significative
dans l’usage du mot lors de « l’année révolutionnaire de 1848 » (PF26), mais seulement
à partir de 1860, année marquée par « l’émergence du sentiment national britannique »
(PF28) » en lien avec la réforme constitutionnelle de 1867 et l’élargissement du cens
électoral masculin, mais non pas avec l’idée de « souveraineté d’un État-nation »
(PB24)12.

12
Ce cadre temporel où PF applique cette notion d’« identité nationale » au cas britannique est une
camisole de force théorique. Si pendant la période 1820-1860 le mot nationalité ne sert aux yeux des
parlementaires qu’à désigner les autres nations, cela ne prouve pas que le phénomène national était
étranger en Grande-Bretagne, dans l’empire, aux confins des zones d’influence en Méditerranée par

8
9

Le potentiel novateur de la recherche ne débouche cependant aucunement sur une


révision attendue des problématiques concernant des « rébellions canadiennes ».
L’esquisse qu’elles en donnent semblait pourtant prometteuse :
les rébellions canadiennes de 1837-1838 […] voient la majorité francophone du Bas-
Canada se révolter contre le gouvernement colonial britannique et la domination
politique et économique de la minorité anglophone (PF23).

Cette recherche, à vrai dire, ne sert en définitive qu’à cautionner la bonne vieille
interprétation grand public sur les vertus tempérées du gouvernement mixte à l’anglaise
où est promue, dans le sillage de la Glorieuse révolution de 1688, la synergie des trois
instances « King, Lords & Commons » dans le cadre du Rule of Law13. Réduit et
confiné à une dimension ethnologique et/ou identitaire, le « principe de [ou des]
nationalité[s] » ne serait recevable dans le monde britannique — toutes tendances
politiques confondues (whig, libérale, radicale et tory) — que dans son inscription
harmonieuse au sein d’un État multilingue, multinational et multiconfessionnel dont
l’ordre fédéral canadien aurait hérité au berceau. Partant de là, les deux politicologues
parviennent, sans trop de difficulté, à indexer ce postulat de base en fonction de « la
reconnaissance formelle de l’existence d’une identité ethnique ou linguistique, qui peut
exister dans un cadre légal spécifique, mais qui n’implique pas nécessairement le droit
à la souveraineté » (PF2019, 24)14. Ce faisant, comme on le constatera, ce sont la
complexité du conflit bas-canadien exacerbé par le soulèvement armé de 1837 et l’enjeu
important du sort de la Chambre d’assemblée populaire à Québec qui, aux yeux mêmes
des radicaux anglais, sont occultés.
Mais puisque dans la bouche des parlementaires britanniques le mot « nationality »
ne renvoie qu’aux « French Canadians » (de manière polémique, unilatérale, sinon
vexatoire), deux éléments fondamentaux au cœur de la plaidoirie des radicaux anglais
sont évacués : la question de l’identité ethnique et civique des ressortissants britannico-
américains établis en sol québécois, ainsi que la notion de lutte d’ascendance
surplombant les critères d’appartenance ethnique non pas entre une minorité

exemple ou le long des côtes américaines. Le phénomène que subsume maintenant le concept de
« britannicité » a très bien pu se manifester sous d’autres vocables. Voir entre autres à ce sujet Linda
Colley (2006), Kathleen Wilson (1988) et Colin Kidd (2004 et 1999), ainsi que mes remarques en
conclusion.
13
Rappel opportun de R. W. Kostal, pour qui « law and legality were important elements of the self-
idealization of the British governing class » (2002, 462, n. 12).
14
Exemple typique en histoire des mirages du cercle herméneutique : l’enquête ne sert en définitive qu’à
confirmer ce qu’on savait déjà.

9
10

anglophone et une majorité francophone, mais plutôt entre ce qu’ils désignaient sous
les espèces du petit nombre (oligarchie) et du grand nombre (démocratie). Le tandem
PB va encore plus loin dans cette entreprise de rabaissement : ayant adopté le parti pris
de la plupart des parlementaires britanniques à l’endroit du caractère prétendument
révolu, étroit et réactionnaire de la nationalité canadienne face aux courants de la
modernité anglo-protestante, ils saluent en Durham le concepteur éclairé qui en aurait
annoncé l’incontournable mutation dans le sens d’une participation civique élargie,
éclipsant du coup le filon de l’humanisme civique au cœur du projet républicain des
patriotes que Louis-Georges Harvey (2005) a exhumé15.

Molesworth travesti, défiguré


Voyons maintenant de plus près ce qu’il retourne de l’analyse du passage retenu de
l’allocution de William Molesworth. La citation qui revient dans les deux articles est
extraite du discours retranscrit qu’il a prononcé à chaud aux Communes en janvier 1838
au moment du débat concernant la suspension de la Chambre d’assemblée du Bas-
Canada. Il faut noter d’entrée de jeu qu’à rebours de ce que laissent entendre les articles,
Molesworth ne traite pas « des rébellions canadiennes de 1837-1838 », mais
uniquement de l’éclosion de la violence armée survenue deux mois plus tôt à Montréal
et dans les campagne environnantes. Plassart, Forbes et Bonin l’assignent à comparaître
afin de prouver leur thèse selon laquelle, en regard de la sympathie des parlementaires
britanniques à l’endroit du cas polonais en 1830-1831, ceux-ci auraient signifié, de
manière unanime, toutes tendances politiques confondues, une « hostilité aux
revendications des francophones canadiens » (PF24); si Molesworth en particulier les
approuve et les soutient « dans une perspective démocratique », d’autre part, il « refuse
explicitement de considérer la “nationalité” comme cause légitime de soulèvement »
(PB24, mot souligné par moi). Suit la citation écourtée de Molesworth traduite à la fin
de l’article :
si la [Grande-Bretagne] venait à accorder le contrôle du territoire à ce parti au Canada,
en raison d’une différence de race ou de langue, alors les demandes du parti équivalent
en Irlande en seraient renforcées par dix fois. (PF32 ; PB24-25).
La citation complète de l’extrait du discours de Molesworth dans PB vise de manière
encore plus expresse à marquer sa désapprobation à l’endroit de la direction du parti

15
Voir infra n. 32 et Harvey (2019b) dans la section intitulée « The Durham Report, Reform, and Race »
(226-231).

10
11

patriote, « a small faction whose object was power; who, for that purpose, appealed to
disgraceful national antipathies » (PB10). Jouant au ventriloque, les deux universitaires
font dire à Molesworth que la « dimension “nationale” des rébellions aurait été
fabriquée à des fins politiques » (ibid), qu’il n’y avait pas en fait de « véritable lutte de
races dans la province du Bas-Canada » (ibid), en rajoutent même : la « nationalité »
ne constituerait pas aux yeux de Molesworth « une base légitime pour asseoir les
prétentions à la souveraineté » (ibid). Du coup, celui-ci aurait « explicitly rejoined the
Tory argument by highlighting the dangerous consequences of the logic of national
sovereignty, when applied to Ireland : »
[But] if, on the grounds of being dissimilar in race, and of speaking a different
language, they were to accord dominion to this party in Canada, then tenfold was the
claim of the analogous party in Ireland to supremacy over a people whose native
language was far more dissimilar to our tongue, and who sprung from a stock far less
akin to ours than that of the French.

Le lecteur bienveillant suppose ici que « this party in Canada » renvoie bien, dans
l’esprit du député Molesworth, au parti patriote. Le sens du rapprochement Québec/
Irlande serait ainsi : oui aux revendications démocratiques de « ce parti au Canada »
compatibles avec l’appartenance à l’empire, mais non, décidément, à la reconnaissance
de la souveraineté sur une base raciale et/ou linguistique. Plassart et Bonin tirent de leur
interprétation la conclusion que loin d’être hostiles à toute forme d’identité culturelle
souvent décrite en termes de « nationalité », les Radicaux anglais tâchaient de le
délester du sens péjoratif proche de repli craintif sur soi et de grégarisme qu’il aurait eu
dans les siècles précédents afin de le rendre compatible avec un sens élargi de l’identité
civique. « Nationality » serait ainsi passé d’un « old, narrow understanding » (PB16, n.
77) vers une acception plus large (au sens d’esprit civique) à la base du Rapport Durham
(1839) dont s’inspireront les penseurs libéraux dans les décennies à venir. Le concept
de nationalité se serait formé par l’accrétion de couches superposées de sens évoluant
d’une strate primitive caractérisée par un « excessive or bigoted attachment to a nation
or ethnic group » (incluant le radicalisme armé dans le cas des « nationalistes irlandais »
(PB8) vers « a fully political concept » à la fin des années 1840 intégrant les
composantes identitaires, affectives et éducationnelles sous-jacentes. Le rôle de passeur
joué à cet égard par les Radicaux anglais leur apparaît crucial, parce que

11
12

they tended to see ethnic or cultural identity (often described in terms of ‘nationality’)
as perfectly compatible with a broader civic identity embodied in a multi ethnic state
with shared values and shared sovereignty (PB10)16.

Je vais montrer maintenant en quoi une lecture bien faite de cet extrait du discours de
Molesworth nécessite une remontée de quelques lignes à peine afin d’en respecter les
sinuosités et d’en saisir le mouvement même. Il est facilement disponible en ligne pour
quiconque s’en donne la peine (Hansard, vol. 40, sans pagination). On sera en mesure
de mieux comprendre, entre autres, que la référence au « ten times » dans le parallèle
Québec/Irlande constitue en fait l’aboutissement d’une itération martelée.
Mais avant tout, un constat s’impose et crève les yeux : Plassart, Forbes et Bonin ont
complètement compris de travers le sens de « this party in Canada » dans la bouche de
Molesworth. Il ne désigne aucunement le parti patriote, mais bien… le parti
oligarchique tory de Montréal assimilé au parti orangiste irlandais ! C’est à lui seul
qu’est attribué le « so-much-talk-of nationality of the French Canadians » (1838c, 396)
dont se plaindra J. S. Mill en décembre 1838. En outre, il n’est absolument pas question
de « souveraineté » ni d’une quelconque « utilisation souple du mot » nationalité que
Plassart et Forbes décèlent (PF25). Il s’agit là de considérations intercalées qui falsifient
le sens littéral du texte17. Il défigure le sens du plaidoyer que Molesworth développe en
se basant sur un extrait du Rapport de la Commission royale d’enquête mise sur pied
en 1835 suivant lequel, affirme Molesworth, la seule objection avancée pour justifier le
refus du Colonial Office d’accéder à la demande patriote d’un Conseil législatif électif
était la peur d’une insurrection de « l’autre parti, le parti antipopulaire » (Hansard, vol.
40, ma traduction)18.
Toute la diatribe de Molesworth constitue en fait une mise en garde à l’endroit de ses
collègues députés. Ceux-ci, avance-t-il, pourraient être tentés de se laisser séduire par
les sirènes d’une rhétorique identitaire transatlantique de certains de leurs congénères
expatriés au Bas-Canada qui ne cessent, eux, dans leur campagne de presse, de souffler

16
La base documentaire sur laquelle ils s’appuient à la note 68 pour étayer cette prise de position demeure
cependant extrêmement ténue.
17
En contrepartie, un petit coup de sonde dans la presse locale en décembre 1835 aurait permis de
constater, au moment de la création du British Rifle Corps à Montréal, que la menace « of the actual
establishment of a French republic on the banks of the Saint Lawrence » avalisée par le cabinet
Melbourne était la pièce de choix de la théorie du complot que les milieux d’affaires ultra-tory
peaufinaient. La citation du Montreal Herald du 17 décembre 1835 est prélevée du spicilège de Robert
Mackay, s. d., Rare Books and Special Collection Division, Université McGill, Ms 174 M19.
18
Mill et Durham ont mis le doigt tous deux sur cet aspect gênant du loyalisme tory. Voir infra n. 41 et
42.

12
13

sur la braise des « antipathies nationales » franco-anglaises en vue d’obtenir leur appui.
Prétendre comme le font PF et PB que Molesworth avait en tête le parti patriote lorsqu’il
jette le blâme sur « a small faction, whose object was power; who, for that purpose,
appealed to disgraceful national antipathies » (PB10) est une erreur d’interprétation
indéfendable19.
En revanche, une interprétation impartiale devrait montrer que Molesworth défend la
thèse qu’au Bas-Canada on ne se trouve pas dans « la prétendue (et hautement
improbable) lutte de races », mais dans un combat entre un groupe oligarchique et une
majorité démocrate plus ou moins relâchée qui transcende les clivages ethniques20. Or,
à rebours de ce que la presse tory sème à tout vent dans la vallée du Saint-Laurent, les
grandes villes américaines de la côte Est et à domicile, les véritables « oppresseurs de
la race anglaise », dit-il, ne sont pas les députés qui font partie de la majorité à la
Chambre d’assemblée, mais bien le groupuscule des ultra-torys « qui se désignent eux-
mêmes le parti Anglais ». Aveuglés par les appels à la solidarité raciale de la presse
tory, les députés aux Communes pourraient ainsi être conduits
à cautionner les désirs pervers et à satisfaire les passions odieuses d’hommes rusés et
peu scrupuleux, qui n’ont en tête que le pouvoir et dont les visées sont plus blâmables
que celles de la faction orangiste21.

Se basant toujours sur le Rapport de 1836 des Commissaires Gosford, Grey et Gipps,
Molesworth aborde ensuite la question délicate de la représentation des citoyens
d’origine britannique dans un parlement dominé par une forte majorité d’expression
française. Il fait voir qu’en regard des Seigneuries où prédominaient massivement les
Canadiens Français, la création de comtés dans les Townships (Ottawa, Missisquoi,
Shefford, Stanstead, Sherbrooke, Drummond et Mégantic) avait pour but de pourvoir
au besoin éprouvé par la population britannique ou appartenant à « la race anglo-

19
Qu’une telle méprise flagrante ait pu passer sous le nez des trois membres anonymes du comité de
lecture demeure une énigme…
20
« […] if the supposed (and highly improbable) contest of races were to take place ». Contrairement à
ce que prétendent nos auteur(e)s, Molesworth ne récuse pas « the ‘national’ nature of the
rebellions » (PB13, n. 19), il tient la dimension raciale de la lutte en cours dans le camp patriote pour
« hautement improbable » ; ce sont eux plutôt qui gomment la nuance dans le propos de Molesworth et
font montre d’une « highly tendentious reading of the quote ».
21
« […] they should be induced to sanction the wicked desires, and gratify the odious passions of cunning
and unscrupulous men, whose only object was power and whose purposes were more hateful even than
those of the Orange faction » (Hansard). Créé en 1795 dans le comté d’Armagh, l’ordre d’Orange s’est
propagé à l’échelle de l’empire par l’entremise des régiments de l’armée. Selon Frank Neal que cite
Kinealy (2006, 90, n. 66), en Grande-Bretagne, « the Irish Orange Order provided the model for Ultra
Tories in England who wanted to harness working class support in defence of the Church and
Constitution ».

13
14

saxonne — c’est-à-dire, composée à la fois d’émigrants de ce pays [le Royaume-Uni]


ou de colons américains » — d’une représentation adéquate. Sur la base du recensement
de 1831, Molesworth précise que les Commissaires en sont arrivés à la conclusion que
« la population britannique comptait deux fois plus de représentants en proportion de
leur nombre que la population française ». Insatisfaits de ce rééquilibrage approuvé
pourtant par la majorité canadienne à la Chambre basse, les torys désiraient que la
population d’expression anglaise élise des députés dans la proportion de 1/2,600
électeurs, tandis que la proportion du côté francophone serait de 1/24,000, ce qui serait
revenu à une représentation « dix fois »22 plus importante par rapport à la population.
Toutefois, enchaîne-t-il, les résultats aux élections de 1834 ont démontré de manière
péremptoire que la moitié de ces comtés anglophones nouvellement créés a élu des
députés se rangeant du côté du parti populaire ; de plus, il appert « que la majorité des
colons en provenance des États-Unis se sont rangés du côté des Français plutôt que du
parti Anglais » ; d’où la conclusion du Commissaire Gipps : « en autant que la lutte
puisse être présentée comme une lutte non pas de nationalité [je souligne] mais de
principe politique, les Américains, et même une partie des Britanniques, seront du côté
démocratique »23.
Selon Molesworth, l’usage de la langue anglaise est le seul dénominateur entre ce
« prétendu parti Anglais » et « la majorité de leurs concitoyens » (les émigrants
britanniques établis au Bas-Canada ou simplement de passage) ; « faction infime », à
vrai dire qui, dans sa tentative en vue de s’arroger tout le pouvoir,
recourt aux scandaleuses antipathies nationales et a osé faire des demandes
extravagantes […] en revendiquant comme son droit une part décuplée24 dans la
représentation de la province — clique odieuse et prédatrice, source de tout le mal,
origine de toutes les disputes qui agitent depuis si longtemps ce malheureux pays.

C’est rendu à ce carrefour que Molesworth établit un parallèle « entre ce soi-disant


parti anglais du Bas-Canada et la faction orange en Irlande » : « [t]out sentiment odieux,
tout principe haineux, tout préjugé malicieux qui caractérisait l'un appartenait

22
Première occurrence du rapport 1/10: « that the British should have ten times as many representatives,
in proportion to their numbers as the French » (je souligne).
23
Opinion explicitement contredite par Durham qui renvoie dos à dos loyalistes et réformateurs: « each
class assuming false designations and fighting under false colours — the British professing exclusive
loyalty to the Crown of England, and the Canadians pretending to the character of reformers » (1912b,
321). Contrairement au Rapport (1839), ici on peut être sûr que c’est Radical Jack qui écrit.
24
Deuxième occurrence: « […] and claimed as their right a tenfold share in the representation of the
province » (je souligne).

14
15

également à l'autre faction », lance-t-il25. Suit la phrase litigieuse que Plassart, Forbes
et Bonin interprètent tout de travers pour la plier à leurs idées préconçues.

Le sens de la comparaison Québec/Irlande qu’établit Molesworth serait alors le


suivant : si, en définitive, la langue et l’appartenance à un groupe ethnique étaient les
justifications ultimes du pouvoir (ce qu’il récuse explicitement) — compte tenu des
vases communicants transatlantiques —, en cédant aux réclamations du « parti
prétendument anglais » au Bas-Canada, la minorité protestante [« the analogous party
in Ireland »] serait dix fois plus justifiée à la mainmise sur les institutions en raison de
l’écart plus prononcé entre le gaélique et l’anglais qu’entre l’anglais et le français26. On
aura remarqué qu’on a affaire à une proposition hypothético-déductive dont tout le
poids repose sur la locution conjonctive « But if ». On se trouve en outre face à une
ellipse. En accédant aux réclamations du groupe fusionnel ultra-tory de Montréal,
Molesworth craint, en effet, que le Parlement impérial n’ouvre une boîte de Pandore
qui compromettrait les avancées timides du Reform Bill, celle relative en particulier à
la conversion d’une cinquantaine de « bourgs pourris » (rotten boroughs) en faveur de
la députation catholique irlandaise.
On le constate d’emblée : l’appel explicite de Molesworth à l’impartialité des élus a
pour but de contrer la penchant inverse, car il redoute que plusieurs d’entre eux ne
soient enclins à asseoir leur jugement en faveur des réclamations de leurs compatriotes
sur la base d’une solidarité ethnique (la « race » et la « langue ») en vue de consolider
leur domination, comme c’est le cas d’ailleurs un peu partout au même moment dans
l’empire (en Jamaïque, au Bengale, en Australasie, etc.) où des colonies de peuplement
britanniques côtoient des populations endogènes27. En l’absence du mot « nationality »,
on a néanmoins ici une référence non équivoque à un aspect potentiellement partisan,
chauvin et, à la limite, ségrégationniste de l’« identité ethnique et linguistique » en
vogue at home et abroad parmi les colonies britanniques de peuplement éparpillées aux
quatre coins du globe. On se trouve en fait aux antipodes d’un cosmopolitisme bon chic

25
On voit bien ici que pour Molesworth le sens de l’appartenance « nationale » des Britanniques
comporte à l’échelle de l’empire une face obscure. C’est en ce sens que Rana parle de l’importance du
cas irlandais dans la conception même du Quebec Act de 1774 en prenant appui sur les propos du
Solliciteur général A. Wedderburn (2010, 75).
26
Linda Colley (2006) présente exactement le même argument : l’Irlande comporte un degré d’altérité
(« otherness ») plus grand que la France dans la formation identitaire britannique au XVIIIe siècle. Voir
là-dessus Christine Kinealy, dans Hall et Rose, 2006, 81.
27
« The white settlements colonies of British North America were governed by oligarchies aptly
described as “merchantocracies”» (Harland-Jacobs, 2007, 163).

15
16

bon genre. Cet aspect embarrassant témoigne en tout cas des résistances manifestes, au
sein même de la culture politique britannique, à la tendance évolutive de l’identité vers
un sens civique axé sur le respect des différences. À vrai dire, Plassart, Forbes et Bonin
ont laissé passer une belle occasion de débusquer les « stratégies rhétoriques » sous
enquête en procédant à une extension de sens : dans le réquisitoire que dresse William
Molesworth gît en effet sous le « n-word » un complexe identitaire commun à toutes
les formes exacerbées de nationalisme scandé par trois épithètes : « disgraceful »,
« odious », « hateful »28. À cette dénonciation en règle des usages partisans, abusifs,
voire xénophobes, à l’endroit des Canadiens dans la presse tory et aux Communes se
joint le commentaire dépourvu d’ambiguïté de l’ex-gouverneur en chef Gosford :
We suppose Lord Gosford must have had his eye on the [Montreal] Herald when he
penned the following sentence of incomparable severity. “The violent and unjustifiable
attacks which have been made by the ultra Tory party upon the French Canadians
generally have caused an animosity which Mr. Papineau does not fail to turn to
account.”29

Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce ne sont pas tous les députés radicaux qui se
sont rangés avec la majorité bien-pensante whig et conservatrice. S’il est vrai que la
crise canadienne leur a fourni l’occasion de mettre à l’épreuve « their emerging
conception of a modern, civic ‘nationality’ in the context of British colonial policy »
(PB10), il importe de souligner que pour Molesworth (et Mill comme on va voir),
l’obstacle principal à la réalisation d’un tel objectif ne résidait pas tant dans le caractère
soi-disant dépassé et stationnaire de la nationalité canadienne que dans l’intolérance
d’une bonne partie du milieu des affaires, de la magistrature et du haut commandement
militaire à Québec, Montréal et Toronto dominés par ce que F. M. Greenwood (1992)
a appelé une « mentalité de garnison ». La plaidoirie de Molesworth s’oriente plutôt
vers l’alliage harmonieux, dans le camp des démocrates canadiens, d’un sens civique
ouvert sur la diversité et d’un patriotisme bien compris. Mais pourquoi s’arrêter en si
bon chemin ? Poursuivant la lecture roborative de Molesworth, Plassart, Forbes et
Bonin auraient pu aussi s’attarder sur la charge à fond de train qu’il engage à l’endroit
de l’incompétence crasse des gestionnaires impériaux reclus dans les « recoins sombres

28
Ce que Keith Hancock a appelé les « connotations racistes virulentes » à l’endroit de la « nationalité
canadienne-française » (Dubow, 2010, 114, n. 37).
29
Deschamps, 2015, 86-87. Les italiques sont dans l’original. Pour ce qui est en particulier du chef
patriote, toute l’affaire devait conduire en novembre 1837 à une extravagante chasse à l’homme digne
du Far West où la « tête » de Papineau allait être mise à prix. Mais il est clair qu’avec sa victoire à
l’arrachée aux élections à Montréal, Papineau pour les torys était, dès novembre 1834, l’homme à abattre.
Sa désertion pendant quelques années équivaut ni plus ni moins à un arrêt d’ostracisme.

16
17

du Colonial Office — dans ces tanières de la concussion et du pillage ». L’attaque


culmine par la critique virulente des Résolutions Russell adoptées en mars 1837 par ce
même Parlement, « the great—the master grievance of all » justifiant la fronde
populaire de l’automne face à l’ingérence du Colonial Office dans les affaires internes
de la colonie :
Those resolutions virtually destroyed the Constitution of Lower Canada—it was the
grossest absurdity to call together last autumn the House of Assembly, for the purpose
of informing them that the Imperial Legislature had deprived them of their most
valuable rights, and he [Molesworth] contended that the conduct of the House of
Assembly was on that occasion most praiseworthy, and consistent with the spirit and
determination which they had always evinced […]30.

Sous le mot fétiche « nationality » gît aussi et surtout dans la bouche de Molesworth
le sort incertain de la Chambre d’assemblée populaire à Québec dont la presse tory
exigeait à cors et à cris depuis des années la dissolution au motif que l’indélogeable
majorité canadienne entravait la croissance économique, compromettant ainsi le
développement de tout le British North America31. Comme on va maintenant s’en
rendre compte avec John Stuart Mill, cet enjeu décisif, de même que celui relatif au sort
des prisonniers politiques dans le contexte de reprise anticipée non pas de « rébellion »,
mais de « guerre civile » — (1838a, CW6, 371, 377, 380 ; 1838b, CW6, 386), « the
most ruinous, the most dishonourable, and the most fratricidal of wars » (1838c, CW6,
392) —, est complètement passé sous silence dans Plassart et Bonin.

Mill 1838a

“the character of the Canadian insurrection must be thoroughly understood,


and we are prepared thoroughly to discuss it.” (CW6, 1838a, 369)

PB2020 se distingue de l’étude précédente sous différents rapports : délaissant les


canons de la statistique et ajustant les lentilles d’approche uniquement sur les
« rébellions canadiennes », la discussion autour des « two subversive and little-used
words in British political discourse » (PB, 12) ne se limite plus, d’une part, aux discours

30
Durham a été encore plus cinglant à ce chapitre: « it is quite clear that a representative government in
a colony must be a mockery, and a source of confusion » (1912a, 80). À contre-courant de toutes les
platitudes autour de la notion désuète de « gouvernement mixte », l’idée de base sous-jacente à la
pratique sanctionnée aux Communes est que, sous la férule du Premier ministre dirigeant un cabinet
solidaire, la majorité élue forme l’exécutif, contrôle le budget et procède aux nominations. Sur la « mort
étrange » du concept de « gouvernement mixte » au XIXe siècle, voir Henk te Velde (2018).
31
Voir infra, n. 46, le mot assassin de James Stuart (« their fancied existence as a separate nation ») et
Lamonde (2015, 179).

17
18

des parlementaires, mais scrute l’apport d’auteurs renommés (Tocqueville, Durham et


J. S. Mill) ou moins bien connu, tel le journaliste Alfred Mallalieu, qui signe en juin
1835 un article brûlot dans le Blackwell Magazine ; à l’instar de PF, PB intègre, d’autre
part, les données sous enquête dans un schéma téléologique marquant le passage
présumé d’une conception jugée étroite, obsolète et exclusive de la « nationalité »
canadienne (à base ethnique, raciale, domestique et/ou communautaire) vers un modèle
civique, ouvert, plus tolérant et « moderne » mieux assorti aux vues des administrateurs
coloniaux à Westminster (PB10-11)32.
Dans ce qui suit, je vais montrer que l’erreur d’interprétation de PB découle d’une
mise sous tension déficiente entre le point de vue des radicaux anglais et les stratégies
rhétoriques ultra-tory. Comme je l’ai souligné, le défaut de conception de leur recherche
repose sur le maniement non critique de la notion de « ‘British’ imperial identity »
(britannisme ou britannicité si on préfère) comme si elle ne comportait qu’une face
lumineuse, inclusive et ouverte. Le regard admiratif qu’ils tournent vers le Rapport
Durham (1839) est, à cet égard, largement surfait et trompeur. Il ne rend pas compte du
contexte éminemment périlleux de sa production, ni du sabotage de la mission
pacificatrice du Haut-Commissaire britannique par la caste ultra-tory canadienne et
leurs supporteurs à la Chambre des Lords. On sera en mesure de le constater par
l’entremise de Bell (2010) et Varouxakis (2018) : l’interprétation correcte du point de
vue de J. S. Mill sur la mission de Durham nécessite une mise en contexte rigoureuse
et oblige à tenir ensemble dans la même problématique « the so-much-talk of
nationality », la question pressante de l’administration de la justice dans un cas
exceptionnel de « guerre civile » et le sort incertain d’un parlement « séparé » à
Québec.

Nationalité canadienne et britannisme impérial exacerbé

32
Ce en quoi cette interprétation se trouve damer le pion aux travaux québécois qui s’inscrivent dans le
sillage du livre phare de L.-G. Harvey (2005) sur l’« humanisme civique » inscrit au cœur du projet
patriote d’émancipation anticoloniale. Face au postulat d’une avancée présumée vers une conception
civique, Adam Smith nous invite à plus de cautèle : « nos bons offices effectifs ne peuvent que très
rarement être étendus à une société plus large que celle de notre pays » (TSM, VI, ii, 3); et ailleurs :
« l’indigne principe du préjugé national est souvent fondé sur le noble principe de l’amour de notre pays »
(TSM, VI, ii, 2). Comme je le montre plus bas, dans The Wealth of Nations, la mise en garde à l’endroit
de « l’indigne principe du préjugé national » inclut notoirement l’ordre des marchands en Grande-
Bretagne (IV, viii).

18
19

L’extrait prélevé de la « Proclamation d’octobre 1838 » de Durham avant son retour


en catastrophe à Londres est la pièce de résistance des deux chercheurs. Radical Jack
s’y inspire du modèle de vertu qui a été depuis longtemps, dit-il, « the glory of
Englishmen » en vue d’octroyer à la rebelle province un cachet authentiquement
britannique. À cette fin, il entrevoit une mutation par laquelle seront fusionnées « the
petty jealousies of a small community, and the odious animosities of origin, in the
higher feelings of a nobler and more comprehensive nationality » (PB, 11)33. Si, d’après
PB, l’opération concerne au premier chef l’inclusion « of a French Canadian
identity into a broader ‘British’ imperial identity », elle impliquerait aussi,
subsidiairement — suggèrent-ils en passant —, « a number of Tory and Whig tropes
about the inferiority of French Canadian nationality » (PB, 11). L’approximation,
certes, n’est pas fausse ; mais en ce qui a trait, sur le terrain, au programme radical tory,
il s’agit en fait beaucoup plus que de simples figures de style. Il aurait fallu creuser
davantage et suivre ce filon. Comment ne pas voir qu’aux « odious animosities of
origin » de Durham répondent en écho les « disgraceful national antipathies » de
Molesworth sur la braise desquelles soufflent les apprentis sorciers ultra-tory ? Suit la
mention d’ « une tension non résolue » entre, d’une part, la prise de position initiale de
John Stuart Mill où il défendait en janvier (1838a) le recours aux armes dans le camp
des démocrates patriotes et, d’autre part, l’article de fin d’année (1838c) louangeant le
plan de fédération de Durham. Si de fait Mill a soutenu
the Canadians’ claims of ‘nationality’ against hypocritical Tory attacks, why then did
he praise Durham’s plan of ‘destroying’ French Canadian ‘nationality’ and merging it
into a broader British identity? (PB, 11).

Pirouette, volte-face, résipiscence ? Le passage est délicat et exige un examen


minutieux. Relevons d’abord qu’il n’est nullement question dans cet extrait de
« destruction » de la nationalité canadienne, mais de sa mutation dans « a nobler and
more comprehensive nationality ». Là on force le trait en poussant Durham dans le sens
de la caricature qui en est venue à prédominer. Comment, par ailleurs, Plassart et Bonin
ne se sont-ils pas aperçus que l’idée de « destruction » contredit de front leur hypothèse

33
L’antidote au préjugé de Durham à l’endroit des « petites communautés » se trouve entre autres dans
Adam Smith, TMS (III, 3 et VI, ii, 2). Par ailleurs, le point de vue pondéré que Durham exprime dans
cette Proclamation est difficilement conciliable avec certaines phrases choc du Rapport comme celle-
ci où se laisse entrevoir plutôt la griffe d’Adam Thom: « There can hardly be conceived a nationality
more destitute of all that can invigorate and elevate a people, than that which is exhibited by the
descendants of the French in Lower Canada, owing to their retaining their peculiar language and manners.
They are a people with no history, and no literature » (1912b, 294).

19
20

de départ à propos de la souplesse du régime monarchique britannique à englober


harmonieusement différentes communautés nationales ? You can’t eat your cake and
have it, too. Quant à l’idée d’intégration à un niveau supérieur ou de « fusion », elle
nécessite et mérite, comme on va le voir avec Mill, une élaboration plus nuancée.
J’opterais plus, pour ma part, en faveur de l’idée de « scission » ou de scissiparité, car,
du point de vue de Mill et de Durham, la mutation envisagée ne s’adresse pas seulement
aux Canadiens, mais inclut aussi la greffe de la souche britannique sur ce fond canadien
originel dans la perspective de l’extension à l’échelle du continent d’une politie
distincte de la république fédérale voisine34. Même si le point de vue de Durham se
distingue de celui de Molesworth et de Mill en ce qui concerne l’aspect « stationnaire »
de la nationalité canadienne, l’important est qu’il applique mesure pour mesure en le
contrebalançant avec la remise en question de l’« exclusive loyality to the Crown of
England » des tories35. Une analyse plus approfondie de tous les enjeux autour de la
nationalité canadienne aux yeux des radicaux anglais ne peut, à vrai dire, se passer du
parallèle constant qu’ils ont établi avec ce qui leur apparaissait le britannisme impérial
exacerbé du « parti anglais » et de leurs supporteurs à la Chambre des Lords, aux
Communes et dans l’opinion publique « éclairée »36. Quand Durham évoque « the petty
jealousies of a small community, and the odious animosities of origin », il vise en fait
autant les aspects rétrogrades de l’un des nationalismes en cause que de l’autre. Le
modèle de civisme qu’il propose comme horizon indépassable au libéralisme canadien
naissant semble toutefois une flamme bien chétive au milieu du chaos qu’allait entraîner
à son départ les débordements inévitables dans la répression du deuxième soulèvement
armé. Déjà dans sa « missive secrète et confidentielle » au Colonial Office d’août 1838,
il avait écrit au sujet de l’éclosion de la violence armée dans la rebelle province:

the sentiment of national hostility has been aggravated to the uttermost, on both sides,
by that excessive inflammation of the passions which always attends upon bloodshed

34
Voir concernant cette « greffe » infra, Annexe 1.
35
Durham, 1912b, 321, “EXTRACT of a DESPATCH from the Earl of Durham, G.C.B., to Lord
Glenelg. Castle of St. Lewis, Quebec, 9 August 1838”. Il s’agit d’une version pieusement censurée grand
public. Durham y rapporte notamment que les oiseaux de haut vol tory de Montréal étaient même prêts
à s’annexer aux Etats-Unis, plutôt que de se soumettre plus longtemps à quelque assemblée majoritaire
d’expression française que ce soit. Voir aussi à ce sujet, infra, n. 39. Sur le remodelage de la notion de
« loyalisme » au tournant du XIXe siècle, voir Deschamps, 2020, 86, n. 5.
36
Des exaltés tory de Montréal, Mill écrira aussi en décembre: « It had alone the ear of the English
public. It was called the British party. All that was known of it by ninety-nine men out of a hundred was
that it was the “loyal” party—the party of British connection. It had all the Tory and almost the whole of
the Liberal press for its organs » (1838c, CW6, 391). Le propos de Mill sur la presse britannique rejoint
exactement ce qu’il en dira trente ans plus tard à propos de la répression sauvage en Jamaïque (voir ci-
après, n. 38).

20
21

for such a cause, and still more by this unusual circumstance, that the victorious
minority suffered extreme fear at the beginning of the contest, and that the now subdued
majority had been led to hope everything from an appeal to force (1912b, 323). Les
italiques sont les miennes.

Mill considère lui aussi que l’état réel où se trouvait le « pays » lors du passage en
coup de vent de Durham était celui d’une guerre civile larvée avec menace d’invasion
des supporteurs américains :
A country, the two divisions of whose inhabitants had just been cutting each other’s
throats, and in which the majority openly sympathised with an insurrection just
suppressed, and suppressed only by a military force which they were physically unable
to resist; one party still crying loudly for the blood of the other, which in its turn was
muttering vengeance for the blood already shed (1838c, CW6, 391-2)37.

Allégeance multiple et institutions représentatives

L’article de Mill paru en janvier 1838 dans la Westminster Review est en parfaite
synchronie avec l’allocution de Molesworth. L’un et l’autre procèdent d’une
conception gémellaire sous l’angle d’approche des mots nationalité et démocratie :
même mise en garde à l’endroit des parlementaires contre le pathos de la solidarité
ethnique anglo-saxonne martelé par la presse ultra-tory aux abois at home et abroad
dépeignant les meneurs du parti populaire comme des maîtres chanteurs habiles dans
leurs manœuvres d’extorsion face à la veulerie des autorités coloniales; critique
identique à l’endroit de l’oligarchie locale dans sa lutte contre les avancées
transnationales de la cause populaire au Bas-Canada (Québec) prenant appui sur le
Rapport des commissaires Gosford, Grey et Gipps ; évocation idoine du cas anticipé de
contagion dans le parallèle Bas-Canada (Québec)/Irlande (1838a, CW6, 380) au cas où
Downing Street favoriserait l’orangisme des classes commerciales d’obédience ultra-
tory. Il faut une certaine dose d’intoxication idéologique pour ne pas voir que, loin
d’être antinomiques comme le titre de l’article de PB le laisse entendre, les thèmes de
la démocratie et de la nationalité sont parfaitement compatibles chez Molesworth et
Mill. La lutte d’ascendance en cours entre deux groupes ethniques rivaux crève les
yeux. Mill cherche seulement à désamorcer la question litigieuse de la nationalité
canadienne maniée par les adversaires du parti démocrate dans une juste perspective :
« All this cry of a hostility to the English race, and a disposition on the part of the

37
Sur les idées connexes de vengeance et de représailles, voir infra n. 40, Harvey, 2019a et Deschamps,
2015, 249, n. 178.

21
22

Assembly to tyrannize over them, is a mere work of art » (1838a, CW6, 278)38. Sa
stratégie éditoriale se déploie en deux temps. Dans le court terme, l’accent mis par les
meneurs de la majorité à la Chambre d’assemblée sur l’opposition démocratie/
oligarchie lui apparaît parfaitement recevable. Les colons américains établis dans les
Townships ont élu en effet en 1834 des députés patriotes, sans compter que des comtés
à forte majorité francophone ont élu des députés anglophones ; en outre, ajoute-t-il, des
vingt-deux députés anglophones siégeant au parlement de Québec (le quart de la
députation totale), un peu plus de la moitié parmi eux (treize en fait) appuient le
« French party », tandis que neuf seulement s’y opposent. Plassart et Bonin auraient pu,
à cet égard, nuancer un peu plus leur propos en affirmant que les Canadiens dans leur
ensemble ne se cramponnaient peut-être pas aussi obstinément à une conception
« obsolète » et « étroite » de leur nationalité.
Toujours en s’appuyant sur le Rapport de la commission royale d’enquête de 1836,
Mill s’efforce aussi de montrer sur le long terme que le clivage national perceptible
dans les années 1830 découle en ligne droite du clientélisme partisan des autorités
coloniales à l’endroit de la minorité britannique dans la magistrature et les Conseils
législatif et exécutif. En ce qui a trait en particulier à ce dernier, il précise :
the Executive Government took part with one race, against the other—it took part with
the English race, instead of being the umpire and arbitrator between both. All the
honours and emoluments flowed in the same channel, and thus the popular institutions
were severed, for the Canadians, from the Government, and they obtained no advantage
through them (CW6, 378-9). (Les italiques sont dans l’original).

Prétendre que ce sont les Canadiens qui attisent la haine entre les communautés
nationales relève de la calomnie pure et simple, car c’est le contraire en fait qui est
exact :
remembering that the local oligarchy, represented by the Council, have done their
utmost to inflame those national differences which enable them to identify their cause
with that of the British settlers and even of the mother country; is it to be wondered at
that such animosities should exist? (CW6, 379).

Les « opinions libérales » de Mill se distinguent cependant en ce qu’elles lui inspirent,


en janvier 1838, une défense véhémente du recours aux armes dans le camp des

38
Si les radicaux anglais évitaient de présenter le conflit sous l’angle racial, c’était principalement en
raison de la faveur dont jouissait ce discours nationaliste et impérial auprès du lectorat anglais. Mill
recourra à la même stratégie trente ans plus tard dans le cas de la répression militaire en Jamaïque :
« Mettre l’accent sur le rôle joué dans ces crimes [dans la répression militaire] par les antagonismes
raciaux revenait potentiellement à exonérer leurs auteurs aux yeux d’une opinion publique britannique
qui se sentait davantage proche de la classe des planteurs blancs. En faisant l’impasse sur la dimension
raciale, Mill évitait de faire le jeu des avocats de Eyre » (Pitts, 2005, 180).

22
23

patriotes canadiens, de même qu’une discussion serrée sur les causes proches et
lointaines du basculement du conflit dans ce qui lui apparaît non pas une « rébellion »,
mais une « guerre civile » (1838a, CW 6, 371, 377, 380 ; 1838b, CW6, 386 ; 1838c,
CW6, 392)39. Il redoute même que les braises encore fumantes de cette guerre civile
occasionnent une seconde flambée de violence. Mill est tout particulièrement soucieux
à cet égard de l’épineux problème d’administration de la justice qui attend Durham
revêtu pour l’occasion d’un pouvoir dictatorial d’exception, au moment où la presse
tory ulcérée réclame la tenue immédiate d’une Cour martiale en vue de procéder au
châtiment expéditif des prisonniers politiques accusés du crime de haute-trahison
envers la Couronne — éventualité que Mill qualifie d’« indiscriminate judicial
massacre, at the prospect of which the ascendancy party in the colony are expressing
so much delight » (1838a CW6, 369)40. L’annonce de l’amnistie générale que
prononcera Durham en juin 1838 aura l’effet d’une douche froide. D’où le sabotage de
sa mission conciliatrice à partir de là. L’acquittement en septembre par un jury
« canadien » des meurtriers présumés du délateur Chartrand ne fera qu’envenimer le
débat en accentuant le désir de représailles dans le camp des défenseurs de l’ordre et de
la loi formulé sur un mode qui rappelle le spectre dans Hamlet ou anticipe le spiritisme
fin de siècle: « Loyal Canadians, the shade of the murdered Chartrand beckons you to
avenge him or die in the attempt ! » (HA : 10 septembre 1838, BAnQ).
Selon Mill, le recours aux armes par les Canadiens n’est ni trahison ni rébellion, mais
l’acte de guerre d’un peuple contre « a foreign government », étant donné que leur
allégeance première ne va pas à la Couronne ou au Parlement impérial, mais à la

39
On a ici un lien intéressant quoique inexploité avec « nationalité ». L’expression « guerre civile »
revient onze fois dans Thom [1836], 2019. Deux porte-parole du milieu des affaires, W. Badgley et G.
Moffatt, y recourent également dans un rapport de l’association constitutionnelle de Montréal en mars
1837 (Deschamps, 2015, 53). Voir aussi, sur ce point, Henry Samuel Chapman, le secrétaire du député
radical J. A. Roebuck, An Impartial and Authentic Account of the Civil War in the Canadas, London: J.
Saunders, Jr., 1838, ainsi que le compte rendu des événements dans la Democratic Review aux États-
Unis subsumés sous la rubrique « Civil War in the British North American Provinces !» (Harvey, 2019b).
40
C’est précisément sur ce point que l’article de décembre de Mill marque un retournement
incompréhensible, l’amnistie générale prononcée par Durham ayant, selon lui, reçu l’approbation de la
« faction dominante » : « but when they [“the French Canadians”] learnt from the despatch laid before
Parliament that “Sir John Colborne and the heads of what is called the British party” had approved of it
[…] that a governor who had done but one great act, and that act in concert, as it now appeared, with the
dominant faction, should not yet have made much progress in attaching the other party to his
government » (1838c, CW6, 400). Mill ici erre totalement: le Montreal Herald et The Gazette
réclamaient des châtiments exemplaires à coups de pendaison et de bannissement des « traîtres »
agrémentés de rétributions en guise de reconnaissance pour services rendus. Voir à ce sujet la position
du Montreal Herald à ce sujet à l’Annexe 2.

23
24

Chambre d’assemblée et aux représentants qu’ils ont élus41. La justification de


l’insurrection armée dans le camp démocrate se base sur deux raisons : l’adoption par
le Parlement impérial des Résolutions Russell en mars 1837 et les menaces
d’insurrection du « parti loyal » proférées depuis 1835 au cas où Londres acquiescerait
à la demande patriote d’un Conseil législatif électif42.
Pour ce qui est du premier point, Mill est persuadé que les Résolutions Russell
constituent un cas flagrant d’ingérence dans les affaires internes de la colonie qui
enfreint les conditions d’allégeance et justifie la fronde populaire. Afin de prouver que
la nature du conflit n’a rien à voir avec le ressassement obsessionnel de la question de
la « nationalité » canadienne, mais oppose d’un côté partisans des droits populaires et
des institutions libérales et, de l’autre, partisans de l’oligarchie et des privilèges de
naissance, sur les traces de Molesworth, Mill avance en s’appuyant sur Gosford, Grey
et Gipps
that the majority of settlers from the United States have hitherto sided with the French,
rather than the English party. The representatives of the counties of Stanstead and
Missisquoi have not been sent to Parliament to defend the feudal system, to protect the
French language, or to oppose a system of registration. They have been sent to lend
their aid to the assertors of popular rights, and to oppose a government by which, in
their opinion, settlers from the United States have been neglected or regarded with
disfavour.

Quant au deuxième point, Mill endosse de manière elliptique les vues des
commissaires Gosford, Grey et Gipps selon qui, dans la perspective d’une guerre civile
entre les deux races, « the English party would be the aggressors » (CW6, 377). En août
1838, Durham confirmera cette prolepse au détour d’une proposition subordonnée de
type concessif43. Sans entrer dans le détail des liens et des manœuvres unissant dans un
même esprit de corps l’état-major, les miliciens volontaires, le Conseil de la
magistrature et l’élite commerciale ultra-tory, Mill était scandalisé que ce parti
britannique montréalais

41
« The people of Canada had against the people of England legitimate cause of war. They had the
provocation which, on every received principle of public law, is a breach of the conditions of allegiance »
(CW6a, 370). Voir ci-après n. 43 le mot de Durham à ce sujet et Bell, 2010, 48. Il y a dans Smith (1789),
Théorie des sentiments moraux, III, 3 ; VI, 2, une justification théorique à cette primauté (ci-haut n. 32
et 33).
42
Dès 1835, le rédacteur en chef du Montreal Herald, Adam Thom, l’avait claironné — plutôt trois fois
qu’une — dans l’une de ses Anti-Gallic Letters : « An English insurrection, however, a conciliatory
cabinet may wisely dread—an insurrection not against a British King but against a French Viceroy. Such
an insurrection is to be dreaded, not only as comparatively probable, but as absolutely certain of ultimate
success » (Deschamps-Philpot, 2016, 76-77 et Thom, 2019, 63).
43
« The consequent rebellion, although precipitated by the British from an instinctive sense of the danger
of allowing Canadians full time for preparation, could not, perhaps, have been avoided » (1912b, 323).

24
25

have actually the presumption (or somebody has it for them) to expect that the political
constitution of a long-settled country is to be shaped to suit their convenience (CW6,
380)44.

Et de fait, à rebours de sa propre tendance à surévaluer la majesté de la loi, il avait lui-


même reconnu du bout des lèvres qu’en dernière instance ce n’est pas l’État de droit
qui trancherait le nœud du litige, mais la violence partisane brute sur laquelle les
autorités impériales allaient se trouvées contraintes de fermer les yeux : « [s]ince, then,
not justice, but the apprehension of rebellion, and that from the loyal party, was to
decide the case » (1838a, CW6, 377).

« Tension non résolue » ?


Reste à décrypter le sens assez nébuleux de la citation de Mill dans PB2020 :
[…] it was the only legitimate means of destroying the so-much-talked-of nationality
of the French Canadians. It would compel them to consider themselves, not as a
separate family45, but an integral portion of a larger body; it would merge their
nationality of race in a nationality of country; instead of French Canadians it would
make them British Americans; and this without bringing into their house and home,
into their social and domestic relations, the customs of another people (which, whether
practised on all of them or on a part, would be one of the last excesses of despotism)
[…] (1838c, CW6, 396).

Avant de procéder à l’analyse de ce passage, deux précisions s’imposent concernant


« the only legitimate means of destroying the so-much-talked-of nationality of the
French Canadians ». Contrairement à ce qu’avance PB, il n’est nullement question ici
de l’appui de Mill au plan de Durham en vue de « détruire » la « French Canadian
‘nationality’ ». Exactement dans le même esprit que l’intervention de Molesworth en
janvier 1838, Mill vise, à quelques rares exceptions près, l’ensemble de la classe
politique britannique trop facilement leurrée par les subterfuges de la rhétorique
incendiaire ultra-tory à l’endroit du « peuple canadien ». Par ailleurs, le propos de Mill
sur la nationalité canadienne en tant que « famille séparée » met le doigt sur une
récrimination persistante des loyalistes ultra-tory. En fait, il saisit au bond le lien

44
Mill ici marche dans les pas paternels. Dans “On Colonies”, qu’il signe en 1825 pour l’Encyclopaedia
Britannica, James Mill a en effet écrit: « It never ought to be forgotten, that, in every country, there is a
“Few,” and there is “a Many”; that in all countries where the government is not very good, the interest
of “the Few” prevails over the interest of “the Many” and is promoted at their expense. It is according to
the interest of “the Few” that colonies should be cultivated. »
45
Et non pas « separate body » (Bell, 2020, 48). Mill surfe sur ce même registre familial en 1861:
« England was like an ill brought-up elder brother, who persists in tyrannizing over the younger ones
from mere habit, till one of them, by a spirited resistance, though with unequal strength, gives him notice
to desist » (Essays on Representative Government, CW19, 199).

25
26

essentiel établit de longue date dans leur plaidoirie anti-canadienne. Comme l’a bien vu
Yvan Lamonde (2015, 179), le fil conducteur remonte au moins jusqu’à James Stuart
(1824, 94) où, relativement à la « population Française du Canada » et au second projet
d’union législative des deux provinces canadiennes, il était question d’une menace à
peine voilée de recours aux armes dans le camp des loyaux sujets de Sa majesté au cas
où devait prendre forme « their fancied existence as a separate nation »46.
Le plan en question, d’autre part, se rapporte à l’espèce d’« union fédérale » assez
floue que Durham avait en tête. Mill en avait d’ailleurs évoqué la possibilité à la fin de
son article en janvier: « What may be done for the less numerous race, if it is found
impossible that both should live harmoniously under one government, is to give them
separate Legislatures » (1838a, CW6, 381. Les italiques sont dans Hansard)47. Il faut
bien voir à cet égard que ce qui se profile sous les mots du discours manifeste est le sort
pendant de la Chambre d’assemblée à Québec, c’est-à-dire « the representative
constitution of a free people » (1838b, CW6, 384). Il s’y attarde un instant, le temps de
décrocher une apostrophe aux députés:
[…] under the pressure of alleged necessity, you have confiscated the free constitution
of a people and thrust aside all the acknowledged principles of a constitutional
government […] (1838b, CW6, 385).

Suit le passage épineux sur l’idée non pas de destruction mais de fusion « de leur
nationalité de race en nationalité de pays ». Ici manifestement Mill s’approprie le terme
controversé en le pliant à un projet encore extrêmement flou moyennant lequel la
restitution de la Chambre d’assemblée où prévaudrait encore une majorité « française »
serait enchâssée dans une structure fédérale. On peut, à vrai dire, tirer à peu près tout
ce qu’on veut de ce genre d’énoncé amphigourique. La conversion anticipée des
Canadiens en « British-Americans » sonne comme du pur verbiage. La notion de
« nationality of country » apparaît non moins fumeuse. Mais il est clair que Mill vise
quelque chose qui s’apparente à ce qu’on appellerait aujourd’hui, avec un accent bien
senti de vertueuse réprobation, le nationalisme ethnique des Canadiens. Duncan Bell

46
« PETITION of the Subscribers, His Majesty's dutiful and loyal Subjects, of British birth or descent,
Inhabitants of the City and County of Montreal in the Province of Lower Canada » (1824, 94). En fait,
ces pétitionnaires auraient très bien pu s’accommoder d’une nationalité canadienne séparée si Montréal
et la péninsule de Vaudreuil avaient été rattachés au Upper-Canada. Jusque vers les années 1920,
Montréal est le pivot géostratégique autour duquel se structure tout le British North America.
47
Citant le Rapport des commissaires Gosford, Grey et Gipps, les attributions d’un tel pouvoir se seraient
limitées à: « the navigation of the St. Lawrence, the duties by which their commerce is to be regulated,
their railroads, their bridges, their internal communications, and their monetary system » (1838a, CW6,
382).

26
27

suggère plutôt d’y voir la marque d’un projet utopique cherchant à « combining the best
characteristics of each “race” […] », en vue de privilégier « a sense of commitment to
the state as opposed to the particularism of ethnic interests » (2010, 48). Cette
interprétation colle plus, à mon avis, au plan fédéral que Mill avait en tête.
L’idée de « fusion » d’un type de nationalité primaire vers un type plus artificiel et
plus élaboré demeure cependant maladroite, sinon tout à fait contradictoire, car le
processus qu’il envisage à long terme devait se réaliser de manière insensible en partant
du haut vers le bas, c’est-à-dire, à travers d’abord la formation d’une classe politique
fonctionnelle par-delà les rivalités de partis et se propager ensuite vers la société civile
sans ingérence directe dans la sphère privée, c’est-à-dire un domaine de relations
sociales qui ne se confond ni avec la société civile, ni avec les institutions politiques,
mais concerne les rapports domestiques de genre, la langue d’usage, les manières et les
différents aspects de la vie communautaire de ce peuple.
Au lieu de « fusion », il semble plus approprié peut-être de parler de « scission » ou
de scissiparité du noyau canadien originel. Duncan Bell a bien mis le doigt sur le nœud
du dilemme : dans les vues utopistes de Durham et de Mill, le plan fédéral devait
éventuellement « eliminate one of the residual problems encountered in Canada: the
problem of nationalities » (2010, 48). Dans l’esprit des radicaux anglais, le projet
d’amalgamation comporte ainsi un aspect complémentaire fondamental eu égard à la
mutation et altération de la nationalité canadienne : le processus inverse —
chiasmatique si on veut — moyennant lequel les défenseurs exaltés de l’intégrité
inviolable de l’empire ralliés à l’heure du péril sous la « red cross banner » contre
l’établissement d’une « French Democracy (HA : 7 mars 1837, BAnQ) étaient
inévitablement destinés à devenir, tôt ou tard, des Canadiens. Quant aux termes
génériques sous lesquels devait se produire l’amalgame identitaire fantasmé à travers
le « plan fédéral » de Durham, dans une sorte de quadrature du cercle, « Canada » et
« canadien » étaient désormais voués à intégrer les dimensions nationalitaires française,
britannique et américaine.
Or, c’est précisément sur ce point que le concept d’« identité impériale ‘britannique’ »
avancée par PB aurait gagné à être développé en le confrontant à la notion revampée de
« nationalité de pays » chez J. S. Mill. Comme on l’a vu, pour ces deux universitaires,
il ne comporte rien de « nuisible » ; il n’offre qu’une face bienveillante, cosmopolite,
émancipatoire. À travers les lentilles de leur périscope Plassart et Bonin n’en voient pas
la partie submergée, celle que révèle au grand jour les Radicaux anglais et qui existait
27
28

aussi bien at home qu’à l’échelle de l’empire parmi la diaspora, une face moins
inclusive allant bien plus loin que de simples clichés vexatoires ; cette face ténébreuse
est marquée de fait par l’intolérance envers les communautés nationales autres, voire
carrément ségrégationniste. Du coup est compromis sinon torpillé de l’intérieur
l’objectif louable d’acquérir une « compréhension plus approfondie des stratégies
rhétoriques et politiques des écrivains politiques en Grande-Bretagne à la fin des années
1830 » (PB2). Ce n’est qu’en détaillant les composantes de ce qu’il faut bien appeler
ce chauvinisme xénophobe antifrançais parmi la caste ultra-tory (qui remonte à la
création même de la Province of Quebec en 1774) qu’on pourra comprendre la raison
du report pour une génération du plan de fédération durhamien et le torpillage de sa
mission conciliatrice.
Rien n’est plus trompeur à cet égard que la vue édifiante que Mill peaufinera en 1861
pour la postérité dans son miroir enchanté :
We were wise enough not to require a second warning. A new era in the colonial policy
of nations began with Lord Durham’s Report; the imperishable memorial of that
nobleman’s courage, patriotism, and enlightened liberality, and of the intellect and
practical sagacity of its joint authors, Mr. Wakefield and the lamented Charles Buller
(CW19, 199).

Bel exemple de ce que Mill appelait les petits tours de prestidigitation


(« legerdemain », CW6, 1838a, 382 ) qui pimentent la vie politique. Mais il ne faut pas
s’y tromper. Sur une tonalité marquant sa désillusion aux antipodes de cette vision
rétrospective à l’eau de rose, Mill a écrit en effet en 1838 : « the appointment of that
person [Durham] is a mockery; and if he be a sane man, he has only been induced to
undertake the office by a disgraceful fraud » (1838b, CW6, 386). Duncan Bell
confirme:
Following Durham's humiliating resignation, Mill attempted to defend him, suggesting
that he had demonstrated his fitness to lead the “great reform party of the empire.” This
represented the triumph of hope over reality. By 1840 the plan was dead: Durham's
activities had alienated many radicals, and he was not interested in the role that Mill
envisaged for him (2010, 48)48.

Pour John Stuart Mill, l’impossibilité de la restauration prochaine d’un parlement


provincial « séparé » à Québec repose sur deux données fondamentales imbriquées :
d’une part, la nature exceptionnelle de « guerre civile » dans la belle province invalidant
à la racine toute administration impartiale et diligente de la justice (rouvrir le parlement

48
Tout comme le chef patriote Papineau, Durham aura été en fait l’agneau sacrifié sur l’autel du
libéralisme impérial triomphant.

28
29

en procédant à des élections ne ferait que rouvrir les plaies non cicatrisées encore
saignantes de cette guerre intestine) ; d’autre part, l’intransigeance des officines ultra-
tory et orangiste dans l’armée et les classes commerciales à Montréal et Toronto qui,
par le sabotage de la mission de paix de Durham et son plan d’union fédérale, sont
parvenues dans les faits, avec leurs alliés à la Chambre des Lords, à infléchir et à dicter
au Colonial Office la ligne à suivre, dont l’article premier, connu depuis vingt-cinq ans,
était la confiscation de toute assemblée populaire où prédominerait une majorité
d’expression française49. Était exclue à leurs yeux quelque réactivation que ce soit d’un
parlement « français » séparé, même assujetti en dernière instance à une autorité
fédérale. Bel exemple non pas de tension, mais de renversement des rapports allégués
de subordination métropole/colonie !
C’est en cela précisément que consistent les contorsions rhétoriques de Mill. Au
moment de l’arrivée de Durham en juin, il espérait encore un règlement pacifique :
When Lord Durham landed in Canada the insurrection was already suppressed; the
work of the sword was done, and what remained was to heal its wounds, and obviate
the necessity of again drawing it (CW6, 1838c, 393).

Mais avec le déclenchement du second soulèvement, il a dû prendre acte de


l’impossibilité non seulement d’un règlement pacifique, mais de l’instauration
prochaine d’un gouvernement véritablement responsable dans le cadre d’un parlement
français séparé à Québec ; restaurer dans un contexte de guerre civile et d’invasion en
provenance des États-Unis la Chambre d’assemblée populaire à Québec fournirait une
nouvelle occasion aux partis en lice de rouvrir des plaies encore sensibles. Ce ne sera
en définitive que par un décret d’annexion du Bas-Canada au Haut-Canada au sein d’un
parlement uni (sans le consentement des principaux intéressés) qu’il semblera alors
possible
to make it apparent that if there ever had been, there no longer was, any quarrel between
the races [italiques de Mill], and that representative institutions might be restored
without giving rise to a permanent conflict between the English and the French
population (CW6, 1838c, 393)50.

49
« […] its days are numbered », vaticinait déjà A. Mallalieu en juin 1835 à propos de ce qu’on appelait
encore à l’époque les « Communes du Bas-Canada ». Dans son article programmatique du Blackwood
Magazine que cite de travers Plassart et Bonin (2020, 7), il écrit notamment: « The catalogue of its crime
and its follies is long enough to justify, not alone the cashiering of the Assembly, but the castigation of
its leading members »; voir là-dessus, Deschamps, 2015, 103-104.
50
Ne témoignent pas tout à fait en faveur des vues iréniques de Mill le spectre d’une « French
domination » au moment de l’incendie du Parlement « canadien » par des émeutiers loyalistes à Montréal
en avril 1849 suivi du manifeste annexionniste en septembre (Deschamps, 2013). Loin de d’adoucir les
antagonismes identitaires, Varouxakis cite un article anglais de 1843 intitulé symptomatiquement « The

29
30

À rebours de l’idée de formation d’une « nationalité de pays », l’oligarchie ultra-tory


de Québec, Montréal et Toronto tenait coûte que coûte, en revanche, à maintenir intact
et inviolé le cordon impérial en soudant rattachement à l’empire et création d’une nation
britannique ultramarine au moyen d’une émigration massive51. Les autorités coloniales
à Westminster n’ont eu d’autre choix, à vrai dire, que d’endosser le projet impérial par
défaut des insurgés loyalistes en manœuvrant au mieux, alors que le « vaisseau de
l’État » n’était plus qu’une épave52. Dans la genèse réactive et modulaire des divers
« nationalismes officiels » au cours des années 1830 au sein des régimes monarchiques
en Europe, Benedict Anderson parle à ce sujet des « maneuvers that required in many
cases some diverting acrobaties » en vue de « stretching the short, tight, skin of the
nation over the gigantic body of the empire » (2006, 86). Le cas canadien offre une
illustration probante de ce phénomène de détournement et de parasitage d’un
authentique mouvement national et anticolonial au profit du « nationalisme officiel »
hyper-british des « High Flown Tories »53. Il favorisera plus tard l’éclosion de la notion
jumelle de « Greater Britain » qui survivra bien encore quelque temps avant que de
disparaître en douce lors du démembrement effectif de l’empire amorcé à la fin de la
Deuxième Guerre mondiale54.
Force est d’admettre par ailleurs que J. S. Mill n’est jamais parvenu à surmonter
l’ambivalence de sa prise de position face au prétendu « British party » : comme je l’ai
souligné, s’il observe judicieusement que « [s]ince, then, not justice, but the
apprehension of rebellion, and that from the loyal party, was to decide the case » (1838a,
CW6, 377), il n’en croyait pas moins à la capacité des autorités coloniales de
s’interposer efficacement entre les deux groupes radicalisés :
When a country is in a state of civil war it is hardly possible to execute a constitution.
When a country is divided into two parties, exasperated, by the taste of each other’s
blood, beyond the possibility of a peaceful accommodation, an armed umpire with

Nationality Fever » où est exprimé le danger de reproduire sous l’Union “an Ireland on the other side of
the Atlantic” (2018, 146).
51
Voir supra, n. 8 et 9, ainsi que « Le mythe de l’empire-nation » (Lefebvre, 1970, 80-128).
52
« […] the vessel of the State is not in great danger only, as I had been previously led to suppose, but
looks like a complete wreck » (Durham [1838] 1912b, 319).
53
L’expression est d’un membre libéral démissionnaire en 1836 de l’association constitutionnelle, Adam
Ferrie. Voir, Deschamps, 2015, « Schisme à la CAM et mainmise des éléments radicaux ultra-tory », 46-
47.
54
Sur la notion de « Greater Britain », voir notamment Dilke (1868), Gould (1999), Armitage (1999) et
Pitts (2012). Au Square Dorchester à Montréal, on peut encore admiré la statue colossale érigée en
souvenir de la guerre des Boers où est inscrit sur un des côtés « Imperium et Libertas ».

30
31

strength to make himself obeyed by both, is a blessing beyond all price, and such a
mediator it behoves the mother country to be. (1838a, CW6, 380).

Les faits têtus lui donnent tort. À vrai dire, Mill a eu nettement tendance à surévaluer
les pouvoirs proconsulaires consentis à Durham qui lui aurait permis non seulement de
commander à l’armée, aux milices volontaires et aux services secrets, mais de
s’interposer effectivement comme arbitre impartial entre les radicaux des deux camps.
Bien qu’il demeure extrêmement critique envers le petit groupe factieux « loyal » établi
à Québec, Montréal et Toronto, Mill n’a pas poussé l’analyse des affinités électives que
ce groupe avait nouées avec des gouverneurs militaires à la poigne dure tels Craig ou
Dalhousie et entretenait toujours du reste avec Colborne, le « héros constitutionnel »
qui, après l’éviction de Gosford en février 1838, allait prendre les commandes de l’État
à la tête du Conseil spécial55. À travers le réseau des loges maçonniques et orangistes
dans les régiments et la société civile — pour ne rien dire des associations sans statut
légal mais tolérées du type Doric Club —, la haute gomme des entrepreneurs ultra-tory
et l’état-major formaient, à vrai dire, sous l’étendard loyaliste, un groupe fraternel en
symbiose capable d’infléchir la politique impériale56.
Les lacunes, contresens et apories dans les articles de J. S. Mill invitent à pousser les
recherches sur quelques points sensibles qu’une revue des recherches actuelles met bien
en relief: les « intérêts britanniques » dans une perspective d’expansion impériale ; le
rôle partisan de l’état-major en milieu colonial à l’endroit des élites commerciales ; le
concept de guerre civile et les mesures d’exception, etc.

Conclusion.

À moins de pratiquer un nominalisme intégral, dans le contexte des rébellions


canadiennes de 1837-1838, le mot « nationality » dans PF et PB est loin d’être un
indicateur toujours sûr de ce à quoi il se rapporte. De nature éminemment polémique,

55
« Sir John Colborne relied with unbounded confidence on the unswerving loyalty and indomitable
courage and perseverance of the children of the sea girt isles and their descendants, and he did not rely
in vain. At his call, they rallied round the red cross standard of Britannia, eager to show their devotion to
their Queen and country at the expense of their treasure and their blood; and against whom were they
called on to rally, but “the great majority of the people,” who were either secret or avowed rebels? »
(Extrait de la sélection hebdomadaire parue le 9 juin 1838 (MH, BAnQ).
56
Elinor Senior a bien encapsulé le phénomène en rapprochant l’« émeute » orchestrée de 1832 et
l’incendie du Parlement canadien à Montréal en 1849 marquant, selon elle, la fin de « la vieille alliance
entre la garnison et le Parti britannique qui s’est nouée en 1832 et s’est épanouie durant les rébellions »
(1981, 107).

31
32

il est trop bien ajusté à l’objet qu’il prétend décrire. Pour être fidèle aux propos des
députés radicaux aux Communes ainsi qu’à John Stuart Mill, le mot gagne à être couplé
avec tout ce qu’englobe aujourd’hui le concept dominant de « britishness ». Pour ne
rien dire de « Britannia », « old England », « parent State », « Englishmen »,
« fatherland », « mother country », « home », « Albion », « John Bull », « Anglo-
Saxon race » ou « own natural born island subjects », l’examen des emplois foisonnants
de « British » (dans le Montreal Herald entre autres) s’avérerait extrêmement utile ; il
ferait voir à quel point était cruciale, à cette époque maintenant bien révolue, la question
des repères identitaires relatifs aux affects liés à l’origine (ou aux origines). « British »,
en effet, est associé dans le Montreal Herald à « origin » bien sûr, mais aussi à
« subjects », « birthrights », « freedom », « party », « blood », « feeling »,
« constitutional liberty », « settlers », « capital », « emigrants », « language », etc.57.

On serait peut-être surpris de constater toute la charge imaginaire que la notion de


britannicité comporte et le type de connexion inattendue qu’elle a pu susciter. En
réaction au persiflage de Papineau à la suite de sa victoire aux élections de 1834 à
l’endroit des supporteurs du candidat tory Stanley Bagg, un lecteur cultivé du Herald
n’a pas craint, par exemple, d’associer le thème de l’expansion impériale britannique à
cannibalisme en référence aux propos de Sir John Davies, procureur général en Irlande
à la fin du XVIe siècle. Sous la plume d’Adam Thom, ce lien allait faire florès dans les
années à venir (Thom-Deschamps, 2019, 155, n. 227).

On peut pousser aussi les recherches sur l’imaginaire impérial tory de Montréal en
aval. Point Counterpoint d’Aldous Huxley (1928) par exemple s’y prête bien. Dans le
roman de Huxley, il est question notamment de la réunion d’un groupe proto-fasciste à
Hyde Park, la Brotherhood of British Freemen. Certains passages dans le discours de
son dirigeant permettent des rapprochements intéressants avec certains thèmes
développés dans le Montreal Herald des années 1830, tels le statut de « hors-la-loi » et
la régression à l’état de nature des membres qui se trouve en parfaite correspondance
avec les propos d’Adam Thom lors de la Saint-Jean de 1835 ou au moment de la
création du British Rifle Corps en décembre de la même année. Autre illustration : la
référence à la résistance héroïque des Spartiates aux Thermopyles dans le roman de

57
La même excursion avec anti-British assurerait une récolte non moins abondante: « anti-British
majority », « anti-British faction », « anti-British policy », « anti-British Frenchmen », « anti-British lip-
loyalists », etc.

32
33

1928 est curieusement la même qu’évoque « Legion » en 1840 pour rejeter l’idée de
fusion des milices canadienne et britannique.

(Huxley, 1928):

It is for us free and disciplined Englishmen to deliver our country from the slaves who
have enslaved it. Three hundred fought at Thermopylae against tens of thousands.
(Legion, MH: BAnQ, 5 mars 1840):
We do not desire to be mixed up with persons in whom we could have no confidence.
We only stipulated to be left alone and then if circumstances should again require it, it
will be found that the little band of Leonidas are fully able to defend the passes of
Thermopiles.

On a besoin d’une étude en vue de sonder la validité du lien entre culture impériale,
sociabilité masculine et le complexe d’obsidionalité des Tories montréalais. Dans le
rang des volontaires, « esprit de corps » encore vivace en 1840. Un article d’avril 1840
y invite :

The government is bound to protect the civilians against enemies from without and foes
from within, and it is only in cases of the utmost emergency, such as occurred in 1837
and 1838 in this Province, that the Government can be justified in appealing to the
loyalists and forming them into volunteer force. A like emergency may again occur,
and we think it would be no more than prudent in the Government to keep alive, to a
certain extent, the esprit de corps which animated, and still does animate, the volunteers
– to preserve to them a local habitation and a name, and to cherish, instead of attempting
to extinguished, the vis vivida which still burns in their bosoms (MH: 18 avril 1840
BAnQ).

L’affiliation assermentés à des clubs privés comme les loges maçonniques dans les
coins les plus reculés de l’empire ne constitue-t-elle pas « the centre and symbol of
British imperialism... with its cult of exclusiveness, superiority » (Sinha, 2001,
490) ? George Orwell exprime parfaitement cet aspect des choses lorsqu’il évoque dans
Burmese Days (1934) les cinq principaux commandements du pukka sahib:

Keeping up our prestige; The firm hand (without the velvet glove); We white men must
hang together; Giveth em an inch and they’ll take an ell: and Esprit de Corps.
Rien en somme qui ne contredise non plus, semble-t-il, la « mentalité de garnison »
(Greenwood) dans la magistrature, la milice et la finance de Craig à Colborne. Il faut
pousser la réflexion sur les rapports entre le centre métropolitain (Londres) et les divers
milieux culturels de la diaspora britannique et comparer ce qui est comparable à
Montréal, Kingston, Le Cap ou Madras. Comme le remarque encore Sinha:

33
34

This new scholarship, indeed, has drawn attention to what John Mackenzie has
identified as the “centripetal” dimension of imperial influence. In contrast to the
hegemonic model of “centrifugal” analyses, which focus primarily on the radiation of
imperial influence from the British metropole outward to the colony, the focus of much
of the recent work in British imperial historiography has been on the imprint of empire
on “national” British culture at home (2001, 495-6).

Par ailleurs, il y a une façon de bien faire comprendre que le thème des luttes
démocratiques au sein des institutions représentatives ne se réduisait pas au Bas-Canada
à la question de la « nationalité » canadienne ; elle consiste à les recadrer dans une
optique comparative continentale. En effet, au premier abord, les préventions des
« bloody Tories » à Montréal envers la Chambre d’assemblée populaire semblent tout
à fait en phase avec la méfiance des élites fédérales aux États-Unis à l’endroit des
assemblées populaires et de ce que Madison lui-même a appelé les périls de la « pure
démocratie » où sévirait le caractère coercitif, discriminatoire et « tyrannique » du vote
majoritaire envers les groupes minoritaires ou les lobbys d’affaires (Volk, 2009).

Il faut pousser les recherches aussi sur le projet impérial britannique au XIXe siècle.
À la fin des guerres contre-révolutionnaires et napoléoniennes (1789-1815), la
contradiction fondamentale du projet impérial britannique réside en effet dans la
coexistence d’un esprit de conquête toujours axé sur la violence et la ségrégation,
l’indéniable esprit de tolérance et le pragmatisme des autorités coloniales envers la
diversité des communautés réparties aux quatre coins du globe et leur foi dans la valeur
du libre commerce en tant que substitut à la guerre et vecteur d’émancipation au cœur
même de la « modernité »58. Une des touches ironiques de la « rébellion » canadienne
de 1837 à cet égard est qu’on peut la considérer à la fois comme bouclant le cycle des
révolutions atlantiques et inaugurant la première d’une série de plus de soixante-dix cas
de répression militaire musclée pendant le long règne de la reine Victoria (1837-
1901)59. Les trente ans qui s’écouleront avant qu’elle ne devienne reine du Canada

58
Selon H. Laurens (2009, ), la différence spécifique entre territoires dominés et colonies de peuplement
blanc se rapporte aux « garanties d’emprunts accordées par la métropole » comme dans le cas du projet
de canalisation du Haut-Canada financé par la banque Barings de Londres.
59
En plus des cas de proclamation de la loi martiale (Barbade, Ceylan, cap de Bonne-Espérance,
Céphalonie, Guyana et Saint-Vincent, ce règne a été ponctué de nombreuses guerres et campagnes
comme le rappelle Phiroze Vasunia (Kelly, 2009, 100, n. 65) : 1839-42, guerre de l’opium en Chine ;
dans les années 1840, conquête du Punjab, ainsi que guerres contre les Kafirs en Afrique du sud et les
Maoris en Nouvelle-Zélande ; 1854-56 guerre de Crimée ; 1854, conquête du sud de la Birmanie ; 1856-
60, seconde guerre de Chine ; 1857, attaque contre la Perse et « mutinerie » indienne ; 1865, répression
sauvage en Jamaïque ; 1866, expédition d’Abyssinie ; 1870 ; refoulement des expéditions des Fenians
au Canada ; 1871, écrasement de la résistance Maori ; 1874 campagne contre Ashantis en Afrique du
sud ; et 1882, conquête de l’Égypte.

34
35

(1837-1867) marquent sans doute une période de probation dans la conscience


historique afin que soit scellée de manière emblématique ce que Benedict Anderson
appelle « la soudure d’une nation et d’un empire » (2006, 88).

L’étude minutieuse de R. W. Kostal (2002) de la répression militaire en Jamaïque


(1865) et de ses répercussions en Grande-Bretagne a montré, à ce chapitre, que les
poussées tentaculaires de l’empire ont toujours été escortées de mesures d’exception
parfaitement arbitraires. « [T]he abrasive logic of empire, note-t-il dans un raccourci
saisissant, stripped away the placid surface of English constitutional law » (486). Le
règne tant vanté de la loi ou État de droit (Rule of Law) se trouvant ainsi mis
provisoirement en sourdine, l’État impérial se devait en revanche de couvrir le pouvoir
discrétionnaire de ceux qui, sur le terrain, avaient invoqué la nécessité de telles mesures.
Il reste que « la période prolongée de violence sanctionnée par l'État sous la loi martiale
constituait un grave abus de confiance »60. Sont ainsi correctement posés les termes du
problème effleuré par John Stuart Mill des limites de ce que Kostal appelle « la
responsabilité sans partage du pouvoir politique et militaire envers le droit
civil » (465)61.

Du même angle d’approche, John Darwin, un des spécialistes de l’impérialisme


britannique à l’ère victorienne, se demande si la trajectoire plutôt erratique au XIXe
siècle de l’expansion britannique aux quatre coins du globe « découle principalement
de la logique des décideurs politiques ou était-elle vraiment le résultat d'un système
politique décentralisé et pluraliste qui ne pouvait qu'occasionnellement imposer une
discipline et une direction à son activité extérieure » (1997, 614, ma traduction). Les
« tensions perpétuelles entre le “siège” de l'empire et les branches locales » (628-9)
mettent bien en relief le rôle déterminant, à son avis, des agents locaux en périphérie.
Darwin en déduit que « les intérêts privés britanniques devaient forcer le rythme vers
le changement économique là où ils le pouvaient, là où ils osaient et commandaient le
soutien du centre impérial » (619, ma traduction). D’où le concept de « tête de pont »
(« bridgehead ») pour rendre compte de la « forme déroutante » de l’empire. Puis il
conclut :

60
« […] the prolonged period of state-sanctioned violence under martial law was a grievous breach of
trust » (2002, 461). On pourrait aussi traduire la queue de la phrase par « manquement grave à
l’obligation fiduciaire » entre gouvernants et gouvernés.
61
Je ne peux rien faire de mieux ici que renvoyer aux études de Fecteau, Greenwood et Watt dans
Greenwood et Wright (2002).

35
36

Le rôle du gouvernement était parfois de faciliter, de réguler cette dynamique expansive


multiple. Le gouvernement avait ses propres objectifs: contenir ses engagements
financiers et militaires; éviter l'embarras diplomatique ou pire […]. Mais il pouvait
rarement se permettre de faire obstacle à de puissants groupes expansionnistes ou de
s'identifier trop étroitement ou trop longtemps à l'un d'entre eux. Étant donné que ces
groupes d'intérêt se sont collectivement élargis et se sont fait entendre à la fin du XIXe
siècle, il n'était pas surprenant que les gouvernements dans toutes les sphères politiques
aient accédé promptement à leurs souhaits (641, ma traduction).
Le cas canadien sous enquête laisse bien voir que la capacité des milieux d’affaires
coloniaux à se « faire entendre » des autorités impériales à Londres ne se rapporte pas
seulement à la fin du XIXe siècle, mais englobe aussi tout le siècle62.

Annexe 1. Américanité

Je reprends la métaphore de la « greffe » à Cole Harris. Afin de marquer le passage du


régime français au régime britannique, il écrit : « Ces gens [les Canadiens] ont vécu au
Canada depuis des générations, ils ont en commun la langue française, la religion
catholique ainsi qu’une mémoire historique et une expérience de l’environnement
communes; ils constituent alors, dans le Bas-Canada, comme dans le Québec
d’aujourd’hui, l’élément central autour duquel se sont greffés les autres » (2012, 224).
Sabrevois de Bleury nous invite à étendre à l’échelle du continent ce tableau des mœurs
du peuple canadien où il discerne, jusque dans l’organisation de la société secrète des
Frères Chasseurs de 1838, le rappel « de ce mélange de sauvagerie et de civilisation
dans les traites qui se font dans le commerce des pays d’en haut » (1839, 108).
Bien que le journaliste du Herald recourt à une mise en perspective historique dans le
but de prouver le caractère retardataire des Canadiens au plan économique, le parallèle
avec le propos de Cole Harris est saisissant :
It must be always borne in mind that Lower Canada became a French Colony nearly
three hundred years ago – tell it not in Michigan, publish it not in the streets of Arkansas
– and that the very oldest English settlement on this continent is nearly a century
younger, a fact which incontestably proves that the French inhabitants of this Province
are not worthy of being entrusted with the political, the social and the commercial
destinies of a fair and fertile country, even if they had not exhibited themselves as
traitors of the deepest dye – traitors to a Government which had loaded them with
kindness and conciliation even at the hazard of disgusting its own natural born island
subjects, who, in the hour of need showed they were as loyal as they were enterprising,
and who demand the re-union of the Provinces for their own sakes, for the sake of the
permanent connection of the Canadas with the parent State, and as a measure which

62
Voir à cet égard la Lettres anti-françaises (XXIV) où le rédacteur en chef du Montreal Herald promet
aux ministres du cabinet Melbourne qu’à Montréal la « voix transatlantique de tonnerre » saura se faire
entendre à « la plus infidèle des mémoires » (2016, 103; 2019, 94).

36
37

will be as much benefit to the Canadians themselves as to the other portion of Her
Majesty’s subjects (HA: 6 février 1840, BAnQ).

Annexe 2. Colborne, les officiers de l’armée et les volontaires


We observe that Sir John Cam. Hobhouse moved in the House of Commons that the
thanks of the House be given to the officers of the army, for their good conduct and
gallant exertions during the late operations to the westward of the Indus, and that the
motion was agreed to. This is as it should be, but why, we would ask, was not a similar
motion made in favor of Sir John Colborne, the officers of the army and the volunteers
for suppressing two rebellions in the Canadas, where as much British blood was shed,
far more British suffering inflicted and endured, and where the contest was protracted
for a much longer period, than in the Indian engagements? The neglect or oversight, or
call it what you like, was a consequence of the accursed system of conciliation, a fear
of wounding the amour propre of the Canadians, dictated by the same spirit which has
induced every Cabinet which had ruled England since the Conquest of Canada; for have
they not, one and all, like a conclave of Quakers ashamed of a temporary display of
pugnacity, attempted to bury in oblivion General Wolfe’s ungentlemanly violence, by
not allowing any one regiment of the conquering army to have the word “Quebec,”
emblazoned on its banners ? (HA: 2 avril 1840, BAnQ).

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