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Conférence de René Descazeaux 13 mai 2011 Fac de Sciences de Pau

Les Mythes qui ont forgé l’histoire


connue ou secrète des Pyrénées

Introduction
Des définitions nécessaires :
Terme utilisé tardivement (pas avant le début du XIX°), bien après mythologie
et mythique. Origine obscure, du grec muthos, lié à la parole, suite de paroles
qui ont un sens, contenu des paroles, muthos donne le curieux doublet, muet et
mot ! (ce qui est dit et ce qui doit être tu ?). Désignant au départ des récits
fabuleux, le muthos devenu mythos, s’oppose à ce qui est fiable. Mythifier est
proche de mystifier ! Le mythe a pris de la respectabilité en devenant peu à
peu, un enseignement sous forme allégorique.
Le mythe s’est en fait rapproché de la définition de la légende.
En effet, jusqu’au XII°, la légende se traduisait par la lecture de la vie des
saints. Elle prit peu à peu le sens de récit merveilleux d’événements du passé,
héroïques ou fabuleux, fondés sur des traditions transmises, plus ou moins
authentiques.
Le mythe rejoignait la légende en quelque sorte.
Les mythes sont essentiels aux hommes :
L’humanité a besoin de mythes et de légendes. Mythes et légendes sont
l’expression d’un socle fondateur, de repères fondamentaux pour les peuples. Ils
constituent le début d’une aventure civilisatrice. Ils scellent une appartenance et
organisent la transmission des connaissances depuis l’origine par le truchement
d’images très fortes, de symboles puissants aisément lisibles par tous, parfois
même appréhendés inconsciemment. On pourrait même parler parfois d’un
« çà » mythique.
Spécificité des mythes pyrénéens :
La montagne jeune des Pyrénées, tombeau de Pyrène toujours recommencé,
est animée de courants et de vibrations qui en font une entité vivante. Les
mouvements tectoniques, les menaces de basculements incessants, libèrent des
forces radiantes comme on en connaît rarement ailleurs. Illustrant cette vitalité
prodigieuse de la nature, le féminin sacré inonde la montagne. Il n’y a pas un
autre lieu au monde où la Dame soit aussi régulièrement apparue que dans les
Pyrénées. C’est pourquoi aussi les Pyrénées portent un nom de femme.
Choix nécessaire dans un foisonnement :
Les légendes, récits héroïques ou fabuleux de tous ordres, sont innombrables
dans les Pyrénées avec leurs variantes. Beaucoup sont très spécifiques à telle
contrée, à telle vallée ou à telle tradition. J’ai donc cherché à ne conserver que
les grands thèmes mythiques, les idées forces pyrénéennes identifiantes en
quelque sorte, en m’efforçant de les classer dans une cohérence qui bien sûr peut
être contestable pour certains.
1 Au début, Pyrène bien sûr, mais laquelle ?
Quand on parle de mythe fondateur, de ce qui a forgé l’histoire originelle et
originale des Pyrénées, on pense bien sûr au mythe de Pyrène. Mais de quelle
Pyrène parle-t-on ? Car deux Pyrène au moins croisent la route d’Héraclès, le
demi-dieu civilisateur du monde ancien gréco-romain.
Les travaux civilisateurs qui conduisent Héraclès en extrême-occident :
Curieusement, Observons qu’Erakaslé en basque se traduit par l’initiateur,
celui qui enseigne. Coïncidence ?
On sait, selon les légendes, que le héros vient en Occident au moins à
l’occasion de deux de ses travaux fabuleux : ceux qui le verront rejoindre le pays
de Géryon pour y voler les secrets de l’élevage, dans l’île d’Erythie, dans
l’extrême-occident (les 10°), ceux qui scandent sa quête du Jardin des
Hespérides (les 11°). C’est vraisemblablement lors de cette ultime course
occidentale qu’il tombera amoureux de la jeune et jolie Pyrène.
Pyrène, la noire, mère de trois monstres-totems que doit détruire le demi-dieu :
C’est en Macédoine, chez les Crestoniens, alors qu’il traverse un bois sacré,
qu’Héraclès est interpelé par Lycaon, fils de Pyrène. Une première Pyrène.
Lycaon est le frère monstrueux de deux autres terribles adversaires dont
Héraclès s’est précédemment débarrassé, Cycnos, le Cygne et Diomède, roi de
Thrace, qui nourrissait ses juments de chair humaine.
Après avoir éliminé Diomède, le cheval et Cycnos, le cygne, le héros détruit
Lycaon, le loup. Pyrène, épouse secrète d’Arès, avait donc enfanté trois
monstres-totems qu’Héraclès avait peut-être obligation d’éliminer avant sa quête
des Hespérides. Héraclès quitte donc le bois sacré d’une Pyrène qui le maudit. Il
s’éloigne de ce pays crestonien que l’on appelait déjà Europe, du nom d’Europs,
grand-père de Pyrène.
Pyrène la blanche, fille de Bébryx, une jeune fille basque romantique :
Avant de prendre le chemin de l’Andalousie et de s’embarquer sur la barque
solaire qui l’emportera vers le Jardin des Hespérides, Héraclès traverse les
Pyrénées Centrales, remonte la vallée de l’Aude (passant près des sources de
l’Ister dont parle Hérodote) et atteint la cité basco ligure du roi Bébryx. Près
d’une source auprès de laquelle elle rêvait, la jeune Pyrène a vu approcher le
héros. Son cœur a immédiatement battu la chamade et, avec un adorable et
timide sourire, elle a offert très simplement de l’eau à cet homme étrange aux
yeux clairs. Le temps s’est alors immobilisé.
Condamné par la vindicative Héra à l’errance, aux amours éphémères et
tragiques, soumis aux arrêts du Destin, le héros s’est rapidement remis en route.
Pyrène, désespérée, s’est enfuie de la cité pour chercher la mort.
C’est alors que, pour la première fois, Héraclès va arrêter sa course fatale. Il
revient sur ses pas, le cœur déchiré, défiant l’ordre du temps, de l’espace et des
dieux. Il crie au ciel qu’il aime Pyrène comme il n’aima jamais.
Bouleversant le flanc des montagnes, renversant monts et vaux, le héros
cherche passionnément sa bien-aimée et l’écho de ses appels se multipliant dans
l’espace, déferle comme un ouragan furieux. Parcourant les forêts, escaladant
ravins et abîmes, Héraclès poursuit autant sa propre mort que la recherche du
corps de l’infortunée Pyrène. Quand il la retrouvera enfin, dit la légende, après
l’avoir disputée aux bêtes, il lui élèvera pierre après rocher, un tombeau
grandiose, la montagne des Pyrénées elle-même. Voilà le mythe fondateur.
Ces travaux ne figurent pas dans la liste des 12 travaux symboliques et
civilisateurs répertoriés. Pourtant, le héros brisant pour un temps sa course
fatale, a vaincu la fatalité par l’épreuve d’amour.
Silvius Italicus et Apollodore diront dans un récit que Pyrène séduite et
abandonnée mettra au monde avant de mourir, un serpent. Cet accouchement
symbolique c’est en fait aussi l’accouchement des Pyrénées elles-mêmes et les
Pyrénées, montagne au ventre formidablement animé, s’identifient à travers la
passion contrariée de Pyrène, à un autre péché originel, le feu originel, le serpent
primordial signe de vie.
Et depuis, la montagne tremble en permanence. Une étude récente portant sur
la seule période 1977-1997, montre qu’une cinquantaine de séismes importants
ont été enregistrés. Celui du 29 février 1980 dans la zone Arudy-Oloron, fut le
dernier mesuré avec une intensité supérieure à 6 sur l’échelle de Richter.
Que sait-on de la ville qui porta le nom de Pyréné ?
En fait, peu de choses. Avienus et Pline en parlent à la suite d’Hérodote (qui la
mentionne dès le V° siècle avant J.C.). Pyréné aurait été la première cité connue
des Pyrénées Orientales, à la limite de l’Ibérie et de la Gaule. Selon Avienus,
elle fut particulièrement prospère, entretenant des relations commerciales actives
avec Massilia. Cauco Illibéris, anciennement Collioure, prend le relais, et son
nom même renvoie au monde euskarien. C’était le pays des Xardanes (ou
Sordanes) selon plusieurs chercheurs.
2 Les archétypes fondamentaux, ou le « çà » mythique pyrénéen :
Mais le mythe très culturel de Pyrène et d’Héraclès ne saurait masquer
l’importance de mythes fondateurs plus anciens, même s’ils ne remontent par
bribes que comme des souvenirs.
2-1 Des catastrophes cosmo telluriques qu’on ne pourra jamais oublier :
Impactisme et tectonisme :
Le Gouf de Capbreton est une fosse de 340m de profondeur, de 4km de
largeur et de 10km de longueur. Cette déchirure a toujours intrigué. Elle
correspond à l’embouchure initiale de l’Adour. Une agitation sismo tellurique y
perdure. Cet à pic, cette fracture marine est-elle née avec les Pyrénées ?
Plusieurs légendes nous montrent un dragon gigantesque, Lehen Suge,
secouant la montagne, broyant les roches et bondissant dans les ravins de
l’Aphoura avant de se projeter vers les nues. Il scie de sa queue les grands
chênes d’Itza avant de percuter les contreforts des Arbailles et de plonger vers la
mer, ouvrant la blessure du plateau continental. Somptueuse image
d’impactisme en fait, la collision météoritique faisant exploser l’extrémité
occidentale de la chaîne.
Celui qui parcourt aujourd’hui encore la Forêt des Arbailles, découvre un
univers lunaire constitué d’une accumulation de blocs de pierres. On dirait qu’il
s’est produit ici une terrible collision avec un astéroïde. C’est bien ce qu’évoque
la légende.
Le règne des serpents géants et des Dragons :
Dans plusieurs récits euskariens, Lehen Suge, le grand dragon, projette ses 7
têtes enflammées vers le ciel dans une apocalypse de sifflements. Ainsi se
constituent, à l’origine, les 7 vallées basques.
En Bigorre, Lehen Suge, sous son nom euskarien, désigne bien le serpent
initial, le Dragon endormi sous la chaîne. Les récits en font état, la tête reposant
sur le pic du Midi de Bigorre, le corps allongé de Luz Saint-Sauveur à Gèdre, la
queue atteignant Gavarnie.
Comme le forgeron d’Aussurucq qui réveilla le serpent d’Ahusky en lui
faisant ingurgiter pendant 7 ans des barres de fer chauffées à blanc, le forgeron
d’Arbouix est celui qui va exciter la voracité du Dragon de Bigorre en portant
des barres à incandescence pour brûler ses entrailles. Réveillé brutalement, le
serpent gigantesque ébranle les sols, démolit la montagne et vomit le lac
d’Isaby. Cette expulsion brutale éjectant une masse d’eau souterraine n’est pas
rare dans les Pyrénées. Il porte le nom d’aygat. L’importance donnée aux
forgerons, semble dater la légende de la période néolithique.
Du passé et colorés par le mythe, remontent aussi par bribes les souvenirs
d’autres secousses tectoniques fantastiques. On sait aujourd’hui qu’un courant
hydro tellurique entre par l’embouchure de la Bidassoa et remonte son cours
atteignant Oiarzun. Festus Avienus cite cette ville comme l’aboutissement d’une
voie proto historique reliant la Catalogne à l’Euskarie par Lérida, Huesca et
Pampelune. Et savez-vous comment les anciens nommaient cette cité ? Ophiusa,
la ville du Serpent, sensée être le berceau de l’ébranleur de sols, Lehen Suge.
Les anciens savaient tout cela, eux qui placèrent sur le Jaïzquibel, un sommet
qui domine l’estuaire, la belle pierre d’Iskulin pour ausculter l’espace !
Les déluges pyrénéens :
On peut observer que la direction des vallées fluviales pyrénéennes
occidentales, suit l’axe d’une gouttière qui s’écoule vers le Gouf de Capbreton.
Barbazan, Ilhéou, Lourdes, Estaëns, Labastide-Villefranche, Biarritz ont en
commun de se trouver alignés sur cet axe menant au Gouf de Capbreton et de
conserver, dans leur histoire légendaire, le souvenir d’un déluge. Près de
chacune de ces localités, du reste, demeure un lac, trace ultime du déluge qui les
affecta et les affecta toutes de la même façon.
A des détails près, toujours le même récit. Un miséreux, Dieu lui-même ou son
envoyé Saint-Pierre, en mission chez les hommes pour éprouver leur générosité
et leur sens de l’hospitalité. Et partout, le rejet, l’exclusion, le refus même du feu
de la plupart des habitants, et partout une âme charitable, un pauvre ou un gueux
qui se met en frais pour accueillir l’étranger. Et partout, le départ au petit matin
de l’inconnu et le châtiment qui ravage le village égoïste n’épargnant que le
dernier des justes et sa masure. Christianisation d’un déluge pyrénéen réel.
Et revient bien sûr sur le tapis, comme partout, le père Noë et sa famille.
Japhet, un de ses fils, reçoit l’Europe en partage après le cataclysme. Tubal ou
Tubalcaïn, fils de Japhet, passe dans nombre de légendes comme l’ancêtre du
peuple basque. Le petit-fils de Japhet, Tolus, serait le fondateur légendaire de
Toulouse. Noë lui-même aurait débarqué dans la ria de la Noya y laissant son
nom. Son accostage en extrême occident pourrait avoir donné un sens à
l’antique voie néolithique vers la fin des terres. Mais il amarre aussi son arche à
un anneau de fer au pic Pédroux, au-dessus de Mont-Louis ou à la paroi du
Barbet sur le Canigou. D’autres récits le montrent parvenant même sur les
pentes du mont Aralar en Navarre, où il est désigné sous le nom basque d’Aïtor.
2-2 L’héritage des chamans magdaléniens :
Le temps des animaux-totems :
Norbert Casteret a fait opportunément parler les bouches d’ombre. Avec lui
nous avons redécouvert le cimetière d’ours du Poudac Gran dans le massif
d’Arbas. L’Ours, animal solaire fascinant pour les Pyrénéens qui saluaient
comme un sacre du printemps sa sortie d’hibernation. Cette réapparition de
l’animal-totem était bien sûr liée au renouveau de la nature et à son éternel
retour. Des simulacres de chasses à l’Ours furent organisés en Béarn et Bigorre
et en fait dans toutes les Pyrénées. C’était une véritable geste cosmique sous la
direction du tabaile, le meneur de jeu avec de multiples scènes et personnages ;
Jusqu’à une période récente, une variante impliquait Roseta, enlevée par un ours
et subissant des relations sexuelles de celui-ci. Cette sexualité animal-femme
faisait fantasmer tout un peuple et donnait une force exceptionnelle à l’attente du
réveil de la nature.
On a retrouvé en Ariège, dans la grotte de Montespan, une statuette très
ancienne, représentant un ours sans tête, criblée de trous, accessoire d’une
cérémonie magique de captation d’âme de cet animal-frère. Dans la grotte du
Régourdou en Dordogne, ont été dégagés en 1957, des squelettes d’ours
enfermés dans des coffres de pierres. Un ossuaire de crânes d’ours préparés a été
mis au jour au Mas d’Azil. On sait aujourd’hui qu’un impressionnant culte de
l’ours, hérité des néanderthaliens, a longtemps perduré dans les Pyrénées et que
des ossements d’ours ont, dans le passé, régulièrement accompagné des
sépultures humaines.
La formidable aventure de la domestication :
Les récits légendaires font état d’une sorte de nostalgie du temps où les
hommes parlaient aux bêtes. On peut considérer que c’est une façon symbolique
d’évoquer les longues « captations d’âmes », prolongées sur des centaines
d’années d’expérimentation et de relations magiques avec des animaux groupes.
Le cheval semble bien avoir été le fil rouge, le vecteur d’une irrésistible
diffusion artistique, culturelle et mythologique, le cheval aimé, ce frère
permettant de relier rapidement des habitats dispersés. Le nombre
impressionnant de chevaux sans tête, images terrifiantes ayant servi de support à
des actions magiques associées au cri guillotine de l’irrintzina, incroyable
hennissement qui scande encore les fêtes euskariennes.
Il faut s’imprégner des fortes images de la rotonde du Salon Noir à Niaux,
temple de l’Homme/Cheval, pour comprendre comment a pu se sceller la
fraternité des espèces-groupes et se préparer magiquement la formidable
aventure de la domestication, jamais renouvelée par les hommes.
Nous retrouvons dans le val des Légendes, le val de Laurhibar, à Haïtzcurutze,
la croix des vents, l’exaltation du cheval libre. Lieu surprenant et chargé de
mystère ! Tous les chevaux libres d’Euskarie se donnent ici rendez-vous quand
Orion apparaît dans le ciel à l’équinoxe d’automne. Le cheval sans tête
d’Estérenguibel y mène une sarabande effrénée et macabre. Un ricanement
terrifiant s’échappe de son cou mutilé. Ce cri si douloureux pour l’âme basque
devient la source de l’emblématique hennissement de l’irrintzina.
Il y aura un modèle achevé de l’union des esprits-groupes homme/cheval, ce
sera le Centaure, figure majeure d’initiation et de transmission des savoirs. On
verra plus loin comment Bayard, le cheval-fée glorieux pyrénéen, hérite
directement de ce modèle.
3 Pris dans un kaléidoscope merveilleux qui nous environne :
Les brassages, les invasions, les peuplements, adaptent à l’époque historique
les mythes aux besoins culturels des Pyrénéens.
3-1 Les mythes de la nostalgie matricielle :
Omniprésence du féminin sacré :
Les hommes entretiennent une nostalgie évidente et pathétique du ventre
maternel dont ils ont été expulsés. Un autre paradis perdu. Ils sont prisonniers
toute leur vie des reflets d’un miroir matriarcal qui les obsède.
Comme les basques féminisent tous les éléments de la nature qui sont toujours
« elle » (lune, étoiles), les peuples pyrénéens en général ont une compréhension
intuitive féminine de la vie et de la mort. Comme pour se rassurer.
C’est Apulée, au II° siècle, dans un conte symbolique intitulé « L’Ane d’Or »
qui fait parler la Dame avec ces paroles lourdes de sens qui illustrent le mieux le
concept de Féminin sacré : « Moi, la nature, Mère de toutes choses, divinité
suprême, inspiratrice des cieux : les voûtes lumineuses du ciel, les brises
salubres de la mer, les silences sinistres des enfers, c’est ma volonté qui les
gouverne. Je suis Isis, veuve de la lumière mais possédant la lumière intérieure
dispensatrice de la connaissance ».
Les fées, des entités qui n’ont pas d’équivalent masculin :
Les Fées, c’est strictement féminin. Il existe des entités masculines mais
aucune ne saurait être l’équivalent des fées. Pourquoi ? Parce que les fées sont
l’expression la plus sensible et la plus populaire du Féminin sacré et le féminin
sacré, c’est d’abord la Terre-Mère. Il y a deux catégories de fées :
- les fata de la tradition gréco-latine, nos hades, associées à la fatalité, aux
sorts, au destin ; elles vont par trois, l’une tirant du fuseau le fil de la vie,
l’autre l’enroulant doucement sur le rouet, l’autre le coupant brusquement
- les banshees (d’où nos blanquètes) de la tradition celto-atlantique, avec
leur lien vers l’au-delà entretenu par un pied de cygne ou une patte d’oie
Les Dames si présentes dans les Pyrénées, appartiennent plutôt à cette
catégorie de messagères qui font et défont le psychisme des intermédiaires
qu’elles se choisissent. Toutefois, les fées du Bergons, au-dessus de Luz, comme
leurs voisines du Léviste qu’elles rejoignent par un souterrain mystérieux, sont
des Dames qui brodent inlassablement la trame de nos vies, n’ouvrant les portes
de leur univers qu’une fois l’an, la nuit de Saint-Jean, au solstice d’été.
Il faut noter une constante étonnante chez les fées pyrénéennes : même dotées
de super pouvoirs, ces Dames ne semblent pas libres de faire ce qu’elles veulent.
Elles ont indiscutablement besoin de nous et de conditions particulières pour
apparaître et agir (conditions de clairvoyance et de clairaudience).
Les Dames pyrénéennes sont toujours vêtues de blanc, elles sont jeunes ou très
jeunes et atteignent un degré de beauté incomparable. La géographie pyrénéenne
joue un tel rôle dans l’approche des fées qu’elles sont toujours décrites par
référence au paysage : leurs yeux ont la couleur des gaves, leur robe à la légèreté
vaporeuse des cascades, elles sont « Daunes de hum et d’aygue », filles de
brume et d’eau comme les Dames d’eau du lac d’Estang.
Points de correspondance avec la Dame sur le terrain :
Au point de contact des courants telluriques qui serpentent dans l’écorce
terrestre (et que l’on redécouvre aujourd’hui), se créent des correspondances
radiantes qui peuvent engendrer d’étranges phénomènes comme les fontaines
magnétiques (entraînant troubles et malaises). A ces points ultra sensibles,
certains récepteurs peuvent enregistrer des apparitions diaboliques ou
angéliques, des hantises. Comme dans les légendes médiévales les adorateurs
des fées cygnes du cycle arthurien, les petits visionnaires de la Dame sont
captivés, hantés, et accèdent, devant ces miroirs magnétiques fragiles, à une
autre dimension.
C’est un fait qu’il n’y a pas un lieu au monde où la densité des captations
d’âmes des visionnaires soit aussi importante que dans les Pyrénées. C’est un
fait avéré ! Par un curieux rapport avec les vibrations subtiles et les oscillations
de la chaîne, le mécanisme des apparitions se déclenche comme une « prise de
ciel » ! Et à chaque fois, il y a des constantes sur le lieu, une source, une brume
légère, un arbre ou un buisson, un rocher ou une anfractuosité, des crépitements.
A Luz, Ellen la petite chevrière voit descendre du ciel une Dame en robe
blanche, avec des tresses d’or. A Garaison, dans un hameau près de la lande du
Bouc qui passait pour une terre de sabbat et de sorciers, Anglèse Sagazan, petite
bergère de 10 ans, voit sa Dame dans le décor marial par excellence, celui de la
source ombragée d’une aubépine. Les trois petites visionnaires de Nouillan sont
aussi des bergères qui voient une apparition émergeant d’un roncier, près d’une
source, une apparition qui ressemble à la statue miraculeuse mais à l’époque
oubliée, de l’église de Montoussé. Le lieu n’est pas neutre, c’est un Bédat, un
vétatus antique, un ancien bois sacré. Des voisines, adultes, intriguées, venues
par curiosité, ne verront pas l’apparition mais entendront des crépitements dans
un buisson avant d’être éblouies par une lueur insoutenable. Bruits, lueurs et
émissions d’odeurs de fleurs se répèteront plusieurs soirs durant. Qu’en
conclure ? Que la Dame vient à la rencontre de voyants qui ne sont pas là et
qu’elle semble attendre fidèlement. A Médous, près de Bagnères, c’est une
nouvelle vision sur fond classique (grotte, source, arbustes) qui entre en contact
avec Liloye, la jeune veuve. Les spéléologues ont observé en 1948 avec la
mission Lépineux, que la grotte du Médous était l’élément terminal de galeries
enchevêtrées investies autrefois pour des cultes de la déesse-mère, comme sous
la Falaise des Dames à Bétharram. A Bagnères de surcroît, nous sommes en
bordure d’une faille particulièrement active.
Toute la Bigorre est du reste une véritable marche du ciel pour la Dame qui se
manifeste à Saint-Pé de-Bigorre, à Bédouret, en vallée d’Aure où elle investit 8
sanctuaires qui ont chacun une histoire miraculeuse, ou sur les hauts monts, à
Tramezaygues ou à Héas ou bien sûr à Lourdes.
Eternelle Ana Mater :
Il faut dire que dans les Pyrénées, la Vierge ou la Dame ne sont pas seulement
en terrain favorable, elle est en pays conquis.
Ana Mater investit deux hauts lieux si emblématiques que la christianisation
n’a jamais osé même les débaptiser. La montagne d’Anie en vallée d’Aspe, est
la célébration éternelle d’Ana Mater et un dôme sacré. Aneto, pic d’Ana qui
gouverne Aran et Vénasque, est un haut lieu encore plus symbolique. De son
sein s’écoule un éventail de torrents dont la grande artère fluviale irriguant
l’Aquitaine, la Garonne. Par son positionnement, Aneto est la pierre d’angle des
Pyrénées, le point stratégique majeur de la chaîne, l’exacte ligne de partage des
eaux entre l’espace aquitain et l’espace méditerranéen. Ce n’est pas un hasard.
3-2 Les mythes souvenirs :
Chemins secrets d’Atlant :
Les géologues attribuent une origine volcanique à la grande fracture marine du
Gouf de Capbreton. La présence de courants chauds confirmerait depuis l’ère
tertiaire, l’existence d’une ligne souterraine active liant le piémont à l’océan.
C’est aux légendes navarraises que nous empruntons le curieux mythe
d’Atlant. Ce personnage mystérieux porte dans son nom la racine Atl rappelant
l’océan. Il surgit d’un long couloir souterrain qui le conduit du Valcarlos (val de
Luzaïde) au balcon sur la mer de Saint-Jean-de-Luz sur lequel il vient rêver
d’une arche perdue. C’est dans le val de Luzaïde qu’Atlant a son château secret.
Depuis ce lieu caché aux hommes, il s’enfonce dans les entrailles de la terre
pour surgir à Saint-Jean-de-Luz. Il y a d’autres secrets à découvrir dans ce val de
Luzaïde. Le nom lui-même : les Navarrais en font aussi Luzanne ou Lysane avec
une confusion des racines Luz, Lys et Ana. Luzaïde est aussi le berceau d’un
héros basque, du Noë basque devrait-on dire, Aïtor. Fils de Hay, une fée des
origines, Aïtor sauve le monde basque en accrochant son arche sur les flancs de
la montagne Aralar en Navarre. Ses 7 filles seront les têtes de lignée des 7 tribus
euskariennes originelles.
Nostalgie des Géants civilisateurs :
La vallée du Laurhibar qui s’étend du sommet sacré d’Occabé à Garazi, Saint-
Jean-Pied-de-Port, est appelée la vallée des légendes, ce n’est pas pour rien.
C’est le royaume des Mairiak, ces puissantes entités initiatrices. Elles habitent
des maisons surnaturelles, des tables d’écoute, les dolmens de Gatarre, Buluntza,
Gasteynia (dite du reste Mayru Etxea) et Armiaga. Ces Mairiak étaient avant
tout des constructeurs. Ils manipulaient les pierres comme des osselets. Les
Celtes nommaient Marres, Marses ou Martes ces forces inouïes. A Armiaga, une
fée-maïru est décrite dans un conte, portant une dalle sur sa tête, une sous son
bras, une dans son tablier-dorne. Elle trouvait encore le moyen de filer sa laine
durant le transport.
C’est dans cette vallée que Basa Andere, la Dame Sauvage, se fait voler un
chandelier d’or par un petit vacher de la maison Galharbeko Potxa, Martin Xipi,
qui se réfugie dans la chapelle de Saint-Sauveur d’Elichagaray malgré l’aide de
Yaun Gorri , le Seigneur Rouge qu’elle a alerté. Le petit vacher est un
Prométhée basque au petit pied ; il vole au Seigneur Sauvage la semence de blé
qui sera si utile à son peuple.
Le haut val du Laurhibar était en fait le pays des Seigneurs Sauvages. On
assura longtemps que de la maison Barnesborde, au pied du pic d’Orhy, tous les
ans, le 24 juin, au solstice d’été, on pouvait voir une fumée s’élever d’une grotte
située sur les flancs de la montagne. Cela indiquait que Yaun Gorri, le Seigneur
Rouge, fourbissait là les orages et les foudres.
Un autre Yaun Gorri, est-ce le même, fait germer des plantes merveilleuses
dans son jardin magique d’Aspe, sur les flancs du pic d’Anie. Il fourbit dans son
laboratoire des orages dévastateurs. Il faudra attendre le XVII° siècle pour que
des quêteurs affrontent les sortilèges et se hissent, non sans appréhension, sur le
sommet d’Anie.
3-3 Les mythes d’une montagne, miroir du ciel :
Le bandeau du chemin d’Etoiles :
Notons que le grand bandeau des latitudes 42°30/43°30, communément
désigné comme le Chemin d’Etoiles, englobe le plissement pyrénéen jusqu’à
Compostelle. Ce chemin est truffé d’innombrables toponymes liés à l’étoile, soit
sous la forme occitane, estelle, soit sous la forme euskarienne, izar.
La latitude 42°30 est une ligne rectiligne qui commence au cap Oullestreil,
près de Banyuls jusqu’à l’île de la Toja en passant par Estella. En pays catalan,
d’Oullestreil au pic de l’Estelle, puis au puig de l’Estelle puis au puig des Trois
Estelles, l’alignement rectiligne est absolument parfait. C’est peut-être un
mystère mais pas un hasard. Cette rigoureuse géométrie cosmique a bien sûr un
sens.
La latitude 42°50 mène des Eteilles près de Luzence dans les PO au Pico
Sacro (lieu du tombeau de Saint-Jacques) par Lizarra.
Les initiateurs du pèlerinage de Compostelle, tout en réutilisant une voie
datant de l’époque néolithique, vont tout faire pour organiser une véritable
marche à l’étoile (celle, selon la légende qui se tint au-dessus du tombeau). La
route à parcourir étant un reflet du ciel, celui de la voie lactée, en direction de la
constellation du Grand Chien.
L’esprit des lieux :
Tout le long de la chaîne des Pyrénées, d’est en ouest, s’inscrit une histoire qui
semble le reflet du ciel :
- Port-Vendres, le Port de Vénus, Port Veneris et son Aphrodision,
- Minerve et le Minervois,
- Montis Canigonis, le Canigou, un mont du Chien dominant la côte du
Roussillon, initialement désignée comme Côte Cynétique s’achevant au
cap Cerbère (notons ici que le nom de Canigou semble lié à l’apparition
de Sirius, le Grand Chien, pointant au-dessus du Canigou, il y a 8000 ans,
comme on vit monter les trois étoiles d’Orion montent en ligne sur le Pic
des Trois Estelles à la même époque),
- Le Lion avec le golfe du Lion qui fut golfe Ligustique puis Gaulois jusque
vers 1100, avec des pics du Lion et des Mauléons à foison,
- L’Ourse, animal solaire, très présente dans la toponymie du centre de la
chaîne vers Mauléon-Barousse,
- Bel et Bal et leur variante pyrénéenne Abelio ou Abeille, rêves de Béliers
et de Toisons d’or, surtout sur le plateau de Sault,
- Tarascon et son écho en tarasque, le dragon des fêtes des Rogations,
- Orion, que l’on ne retrouve de façon si dense que dans les Pyrénées, dans
l’entre-deux-gaves et au-dessus de Roncevaux,
- Ophiusa, la ville du Serpent occidental, ébranleur de sols, sur l’Atlantique.
G.R.Doumayrou a pu écrire joliment : « La chaîne des hauts lieux figure
d’immenses portiques qui tendent vers le ciel, la soif profonde de la terre ».
Ainsi retrouve-t-on les hauts lieux des Pyrénées en projection directe avec des
constellations et les grands signes zodiacaux :
- La Vierge sous ses multi formes du Minervois au Baztan, en passant par
les dômes sacrés d’Ana (Anie et Aneto)
- Le Grand Chien illustré par le sommet mythique du Canigou,
- Le Chariot, nom de la Dormante, du Sarcophage et de l’Ourse, appellation
secrète de Rheddae, la capitale wisigothique du Razès (les habitants de
l’ancienne Rheddae avaient une vénération particulière pour Arcturus,
principale étoile du Bouvier, conducteur du mouvement céleste entraînant
le grand Chariot,
- Le Bélier qui domine le plateau de Sault où 10 villages contiennent dans
leur nom le moteur identifiant Bel,
- Le Capricorne et la Licorne, le Capricorne reflet d’Argos, ville de la
Chèvre, identifiant le val Cabrère, et la Licorne attachée de façon
mystérieuse à Saint-Bertrand de Comminges, Lugdunum Convenarum,
- Orion, incontournable dans l’entre-deux-gaves et près de Roncevaux
- Le Navire, attaché à Saint-Jean-de-Luz (avec sa couleur sacrée, l’or, et ses
carènes renversées que les constructeurs reliaient à la geste d’Isis).
Minerve est partout :
Minerve est omniprésente dans la partie orientale de la chaîne. Elle est bien
sûr Vénus, déesse pélasgique, sur son balcon du golfe du Lion. Elle donne son
nom à une région, le Minervois, et à une ville antique, Minerve, qui fut capitale
d’un comté avant de tomber dans l’oubli.
Au centre de la chaîne, on trouve sa trace sur des inscriptions solennelles à
Lugdunum Consoranorum, Saint-Lizier, près de Saint-Girons.
Et à l’Ouest ? Le Damier est attaché symboliquement à Minerve. C’est son
emblème en quelque sorte. Si Minerve apparaît dans la géographie orientale de
la chaîne, elle ne semble pas présente dans la partie occidentale. Pourtant,
quelque chose d’insolite nous frappe quand nous parcourons le pays de Baztan.
Presque tous les hauts de portes des demeures bourgeoises arborent un blason
étonnant : un échiquier à 9 cases. Cet échiquier est parfois remplacé par un autre
motif qui semble n’avoir aucun lien avec lui : la sculpture d’une fée-sirène.
Et le lien est en fait surprenant. Le damier est bien ici dans son sens premier
d’espace des Dames, des fées ! Dès lors, tout prend une autre résonance. On
découvre que le Baztan est gouverné par le génie féminin basque Mari, qui est
aussi une déesse-mère Ama-Ana. Au reste, la ville majeure du Baztan est
Amaïur (avec les deux racines Ama, la mère, et ur, l’eau) et le col qui domine
cette ville est Maya, une autre figure de la déesse de la Nature. Sous une autre
forme, Minerve est donc ici terriblement ancrée.
Sur la partie occidentale de la chaîne, Minerve hérite donc en bloc du génie
euskarien Mari, être fantastique et multiple, de sa forme Maïa, la grande déesse
arborant le croissant lunaire. Dans le halo de la pleine lune, Mari-Maïa
symbolise la religion naturelle, émotionnelle. Elle est vent, feu, orage, écume de
la mer, oiseau blanc ou cavale rouge, arc-en-ciel ou globe de feu. Elle maîtrise le
tellurisme et la foudre et se fond dans l’espace avec Sugaar, le serpent de feu,
son amant fugace. Les sœurs de Mari sont des princesses de la nuit, parentes des
Hespérides. Ces fées de l’ombre sont les 7 vierges basques qui scintillent dans le
ciel formant la Grande Ourse et le cercueil translucide du grand chariot.
Les fées du Pont de Cristal :
A peu de distance d’Aneto, pierre d’angle des Pyrénées nous l’avons vu, le col
de Port en Haut Couserans constitue une ligne franche de séparation, un
kemmenon (qui a donné le mot Cévennes) auraient dit les Celtes.
Ce kemmenon institue une étonnante et parfaite coupure géographique et
culturelle entre deux mondes : l’univers aquitain et atlantique et l’univers
méditerranéen. Et que nous dit la légende pyrénéenne pour colorer cette fracture
de l’espace apparemment inexplicable ?
Des fées effroyables avaient jadis tendu un fantastique pont de cristal, de la
Tour Montorgueil au Château de Calamès. De ce pont jeté sur le Saurat qui
grossit l’Ariège à Tarascon, des Dames aux noirs desseins bondissaient sur les
enfants des hommes qui passaient à portée et les emmenaient pour les
emprisonner dans leurs repaires. Heureusement, Roland, venant du col de Port,
rompit le charme du tranchant de son épée.
Aucun récit historique ne décrit mieux que cette légende la ligne naturelle de
partage de l’espace constitué par le pont de cristal en même temps que l’unité du
massif pyrénéen rétabli par l’épée du paladin gigantisé.
3-4 Les mythes du dualisme symbolique :
Les rapports du Lion et du Verseau s’inscrivent puissamment dans l’espace
pyrénéen du golfe du Lion à l’Aquarius atlantique dans une confrontation duale
impressionnante. Omniprésence de l’orbe matriciel lunaire lié au féminin sacré
s’opposant ou complétant un arc solaire inspiré et guidé par le Lion.
Curieuse toponymie lunaire et solaire :
Le Pyrénéen a habillé de repères son univers, nommant des signes pour les
apprivoiser. D’une façon mystérieuse et inaccessible pour nous, il a désigné les
polarités et antagonismes qui le dépassaient. A l’irradiation solaire, masculine
du feu, symbolisée par le Lion et les dérivés d’Abélio, il oppose une lumière
intérieure, un reflet lunaire et féminin dominé par l’eau. Cet antagonisme
symbolique complexe, cette polarité fondamentale, domine et définit la
géographie mythique des Pyrénées. C’est un fait tout à fait extraordinaire car on
ne le perçoit pas ainsi dans d’autres régions du monde.
Il semble qu’on ne puisse échapper à cette respiration sidérale qui anime le
quadrant solaire méditerranéen du Lion et le quadrant lunaire atlantique du
Lys/verseau. On n’a plus aujourd’hui accès intuitivement à cette géographie
sacrée que ressentaient de façon naturelle les anciens. Ils ont inscrit dans la
toponymie tous ces symboles écrasants qui les dépassaient et nous ont transmis
les codes permettant d’appréhender le mariage cosmo tellurique unissant le ciel
à la montagne des Pyrénées.
Aux forces solaires d’Apollon/Abelio qui semblent naître et se nourrir des
eaux du golfe du Lion, répondent les forces lunaires de Minerve/Mari qui
semblent plonger pathétiquement vers l’océan occidental. Les unes portent
l’identifiant toponymique Bel ou Lion, les autres l’identifiant Is ou Lys.
Ce choix fondamental de faire de la terre le miroir du ciel, donne à la
mythologie pyrénéenne un sens profondément nostalgique car elle s’abreuve de
la lecture du mouvement apparent du soleil qui naît dans le golfe du Lion pour
rejoindre chaque soir l’arche perdue atlantique dans son engloutissement.
Les escaliers d’Isis :
Le dôme sacré d’Aspe est ceint d’une couronne de toponymes de racine is/iso
(Issaux, Iseye, Issarbe, Isaba, Issor). Pour ajouter encore à la symbolique, il faut
rappeler que c’est un Taureau qui découvre à Sarrance une étrange statuette
d’une déesse cornue et lunaire provenant d’un sanctuaire dédié à Astarté/Isis.
On retrouve autour d’Aneto, centre de dispersion des eaux, la présence
insistante du Lys (Bat du Lys, mont du Lis).
Autour du Bergons, au-dessus de Luz, l’identifiant is/lys souvent associé à
Luz, est particulièrement présent : cirque d’Eres Lys vers Pragnère, cirque et
crêt du Lys, éboulis du Lisey vers Cauterets, pic d’Izé à Superbagnères. Mieux
encore, le nom d’Isaby, le lac que vomit le dragon des Pyrénées, porta le nom
savant d’Isaurium, en fait le lac d’Isis aurea, Isis la Dorée. Et n’est-ce pas une
Dame aux tresses d’or justement qui descend du ciel et sourit doucement à
Ellen, la jeune chevrière, près de la fontaine de l’Ailée ?
Et que cette entité qui descend du ciel (ce n’est pas fréquent dans les Pyrénées
où les Dames ont plutôt une démarche ascensionnelle en surgissant du fond des
grottes) apparaisse au-dessus de Luz, n’est pas tout à fait un hasard. On pense
immanquablement aux anges allant et venant le long de l’Echelle que Jacob vit
en rêve. L’Ailée et son concert angélique se posent sur un point précis et subtil
de l’espace-temps. Cette colonne vibratoire conduit à l’aire sacrée de Luz, la
ville bleue, porte du ciel, comme dans le rêve entrevu de Jacob.
Et croyez-vous que ce soit une coïncidence si le nom du petit gave sur les rives
duquel la cité de Luz est bâtie, s’appelle …l’Yse ?
Luz, marche pied du ciel et de l’escalier d’Isis.
Variations autour des Luz pyrénéennes :
Il y a une indiscutable variation mythique possible autour des Luz
pyrénéennes. On ne trouve pas d’autres espaces du monde occidental avec une
présence aussi dense de cette curieuse racine Luz. Quant on sait la force
mystique de Luz, la ville bleue, le point secret et sacré de correspondance et
d’accès à une autre dimension matérialisé par l’échelle de Jacob, on est en droit
de se poser des questions.
Entre Saint-Sauveur de Luz et Saint-Jean-de-Luz, nombre de sites sensibles
sont des échos de Luz. J’admire les contorsions des linguistes pour tenter un
rapprochement de Luz la basco atlantique avec Lohi, les marais (effectivement
caractéristiques des embouchures des fleuves à proximité de Saint-Jean). Mais
on sent qu’il y a autre chose. La tradition ésotérique égyptienne par exemple,
parle d’une cité Luz sur le balcon atlantique, cité établie par le roi légendaire
Araarat pour développer des relations commerciales avec l’île d’Og et l’extrême
occident, le pays d’Orion du peuple rouge !
Et la légende navarraise d’Atlant surgissant des couloirs souterrains du
Luzaïde, le nom ancien du Valcarlos, vient bien à propos nous mettre en éveil.
Dimension secrète de l’Escaladieu :
L’Escaladieu va trouver son site définitif après de curieuses tribulations.
Initialement, en 1130, les Cisterciens avaient choisi d’implanter Scala Dei,
l’Echelle Dieu, à Capadur, en haute vallée de l’Adour. Et 12 ans plus tard, les
moines abandonnent le site pour s’installer à peu de distance de Tournay, sur les
rives d’un petit affluent de l’Arros. Ce transfert n’a pas été dû au hasard.
On a recherché d’évidence un nouveau site propice, donnant d’autres garanties
vibratoires pour le sanctuaire. Scala Dei correspond à une volonté exprimée de
ses bâtisseurs de trouver le lieu adéquat pour faire résonner la corde d’argent
reliant le monde des hommes à la ville bleue de Luz. Trouver le lieu élu a bien
entendu guidé les religieux dans leur mission mystique. Et savez-vous le nom du
petit affluent de l’Arros au bord duquel furent élevés les bâtiments monacaux ?
C’est Luz et ce n’est pas une coïncidence pas plus que Luz Saint-Sauveur n’est
construit par hasard au bord de l’Yse !²
3-5 Les mythes régénérateurs : Roland et Mélusine
La Chanson de Roland sur les voies de Compostelle :
Le Roland de la légende est un héros malgré lui. La Chanson qui va porter
cette légende ne s’est pas forgée en Aquitaine. Un écrivain normand inconnu
(vers 1070-1090) la dégage lentement des brumes épaisses des X° et XI° siècles,
en s’inspirant des grandes épopées du temps, celle de l’invasion de l’Angleterre
par les Normands et celle du projet de prise de Jérusalem par les Croisés.
Roland devient la pierre d’angle qui scelle un ensemble civilisateur, 300 ans
après les événements bien secondaires du col d’Ibaðeta relatés par Eginhard. La
Chanson de Roland va exalter les facettes emblématiques de l’univers médiéval.
L’extraordinaire succès populaire de la Chanson sur les routes de Compostelle,
bouleverse alors toutes les valeurs sociales existantes.
Tour de passe-passe réussi :
Par quel mystère ou quelle mystification, Roland passe-t-il d’un état ordinaire
de chevalier franc du nord à un statut extraordinaire de héros aquitain du sud ?
Broyant et mystifiant l’histoire réelle, le petit guet-apens dérisoire de
Roncevaux, devient un événement planétaire qui scelle l’avenir de l’empire
carolingien et transforme le misérable fiasco de l’Alto Biskar en promesse de
triomphe de la Reconquista sur les Infidèles.
Dès lors, Roland investit tous les chemins de la légende aquitaine, ceux des
fils Aymon, ceux de Gargantua (eux-mêmes tout imprégnés de la geste
d’Héraclès). Les voies de Compostelle font sa légende mais le couloir de la
Garonne où il s’engouffre scellent son mythe. Ce n’est plus désormais seulement
un guerrier ou un chevalier, il devient aussi un initiateur, un demi-dieu emporté
par une puissante aspiration tellurique.
L’épée du paladin circule dans l’espace :
Durandal, l’épée de Roland est mythifiée. Arme de la Reconquista, elle délivre
l’occident. Au moment où la Chanson de Roland prend son formidable essor,
portée par les pèlerins de Compostelle au début du XII° siècle, l’épée devient
une croix divine et un signe d’alliance. Dès lors, cette épée va circuler de façon
magique dans l’espace, entre trois sites caractéristiques :
- Rocamadour où le héros vient se recueillir avant son départ pour
l’Espagne (le corps du mythique saint Amadour/Zachée est découvert
miraculeusement en parfait état de conservation vers 1100 et l’explosion
de son succès est à rattacher à l’engouement pour Roland),
- Saint-Savin en Lavedan qui devient au début du XII° une véritable petite
Cluny pyrénéenne où Roland vient faire bénir son épée
- Roncevaux enfin d’où le paladin mourant projettera Durandal dans
l’espace en un ultime effort, l’épée dans un orbe prodigieux venant se
ficher sur un mur du sanctuaire Saint-Michel l’Archange de Rocamadour,
bouclant la boucle d’une histoire merveilleuse.
Le cheval-fée et la danse du baïart :
A Carnaval, le lundi, avant les jours gras, les jeunes d’Esquièze-Sère aux
portes de Luz en vallée de Barèges, organisaient l’étonnante danse du Bayart.
On y exaltait la bravoure du chevalier Renaud, un des quatre fils Aymon, qui
partit délivrer une jeune princesse captive d’un roi maure. La légende confond
des éléments du cycle aquitain de Renaud de Montauban et les incursions
redoutées et apocalyptiques des Maures en Bigorre.
Un ballet superbe dit de Bayard magnifie le courage de Renaud. Ce
personnage-chevalier porte devant lui une tête de cheval sculptée, comme le
Zamalzain basque des mascarades euskariennes. C’est le mythique cheval
Bayard. Renaud est habillé d’une veste courte, rayée de rouge et de blanc, avec
des rosettes bariolées et un casque en forme de diadème. Les Maures (qui ont
enlevé la fille d’un roi chrétien) sont dirigés par un patriarche porteur d’une
baguette enrubannée.
Par bien des aspects, les figures du Baïar puisent à d’immémoriales sources
chamanes. N’est-il pas curieux d’observer, que de nos jours encore, les sorciers
bouriates de Sibérie conservent pour leurs rites des cannes à poignées sculptées
d’une tête de cheval ? Ces cannes sont sensées incorporer en elles le double
astral de l’animal. Grâce à elles, le chaman assure se déplacer plus vivement sur
des plans occultes, chevauchant ces montures astrales.
Dans la danse d’Esquièze, Bayart est le cheval-fée des 4 fils Aymon en révolte
contre Charlemagne. Froissart déjà conte l’histoire de cet animal fabuleux et
établit sa route légendaire en Aquitaine. Au pied des Pyrénées, on retrouve les
traces de sa chevauchée à Pouillon, Labastide-Villefranche où son sabot
s’incruste dans la roche-talweg, à Luc Armau, Castéra-Loubix, le pont de
Bayard à Capbis, à Tournay, à Saint-Pé-de-Bigorre, et le voici en haute vallée de
Luz, il parvient au chaos de Coumély près de Gavarnie. Là, son sabot s’enfonce
dans le rocher quand il prend son élan avant qu’il ne soit projeté dans l’espace
par la brèche dite de Roland.
La geste Maugis, du XIII° siècle, d’où est inspirée la reconstitution
d’Esquièze-Sere, ouvre une perspective tout à fait saisissante. La résistance
aquitaine à l’impérialisme carolingien est symbolisée par le formidable
affrontement qui oppose au final Renaud de Montauban à Roland. C’est la
possession du cheval-fée qui est en jeu. Renaud et Roland deviennent les
Dioscures d’une histoire secrète des Pyrénées. Le lieu où doit se vider le
différent mortel entre les deux héros est désigné comme le Bois de la Serpente.
Le Bos de la Serpente et l’exaltation d’un nouveau Centaure :
Et une caractéristique de la scène d’Esquièze, c’est justement le mouvement
opéré par les protagonistes à un moment clé de la représentation. Ils quittent le
bourg pour se diriger vers un petit bois désigné comme le « Bos de la
Serpente », le bois de Mélusine, rappelant par là l’origine fabuleuse de Bayart.
Le géniteur de Bayart est ici bien identifié, c’est Léhen Suge, l’ébranleur de
sols, qui git entre deux soubresauts le corps allongé de Luz à Gèdre. L’ultime
combat pour la possession du cheval mythique, même si la pastorale d’Esquièze
et la geste Maugis n’en font pas ainsi état, se déroule donc près de Luz.
Roland a avalé tous ses adversaires et ses modèles. Il va fusionner dans le
dernier grand mythe pyrénéen créé pour lui, avec un Bayart/hippogriffe qui
prend appui sur le chaos de Coumélie pour un saut inouï dans l’espace. Le
nouveau Centaure peut s’engager dans la brèche gigantesque que le héros a
ouverte au préalable dans la montagne comme une déchirure du ciel.
La quête pyrénéenne de Jean d’Arras :
Jean d’Arras dédie au duc de Berry en août 1393, un roman en prose, « Le
Roman de Mélusine », consacré à la noble histoire de Lusignan. C’est l’acte de
naissance officiel de la fée Mélusine.
Mélusine apparaît désormais au grand jour mais la représentation de cette fée-
serpente ailée ne sort pas toute armée de la tête de Jean d’Arras. Pour parfaire
son œuvre, Jean d’Arras s’est rendu dans les Pyrénées où il est resté
longuement. Le roman de Mélusine sera donc une succession de déplacements
dans l’espace entre la montagne creuse du Northumberland en Ecosse et de
mystérieuses galeries secrètes sous le Canigou où la fée Palestine, sœur de
Mélior et de Mélusine, doit garder le trésor de son père Elynas.
Le Canigou n’est pas choisi par hasard. C’est le coffre mystique, le cimetière
des Géants inscrit dans le nom des pics Set Homes, Rioja, Très-Vent, Roc
Negra. Là aurait commencé la guerre des Titans en révolte contre le dieu des
dieux avant que celui-ci ne les foudroie et ne les écrase sous un cataclysme
d’éboulis et de déluges.
Jean d’Arras vient en 1380 s’imprégner de l’ambiance de ces hauts lieux. Il
fait alors la connaissance du joglar (jongleur) catalan, Bernard de So qui le
conduit dans la montagne et lui conte mille récits traditionnels.
C’est Bernard de So qui l’informe de la version catalane du « Partonopeus de
Blois » composée 200 ans avant (vers 1180), où on parle d’une Mélior (qu’on
retrouvera dans le roman de Jean d’Arras). En l’instruisant du nom des sommets
près du Canigou, Bernard de So induit les fils secrets de son roman de Mélusine.
Il n’y a pas de coïncidence. Voici le pic de la Dona (la Dame), à 2702m, voici le
pic du Géant (gardien du trésor), à 2882m et voici le pic de Gallinas (l’Elynas
Gallique), à 2624m, près de la caisse de résonance du Canigou.
Conclusion :
Nous avons vu comment les mythes donnent aux peuples un sentiment
essentiel d’appartenance, comment ils donnent aussi un sens d’Odyssée à leur
vie en transmettant à travers des récits et des images très fortes tout l’héritage
d’une histoire depuis les origines. Cette relation de l’homme au mythe est
profondément rassurante puisque c’est un dialogue avec l’universel.
Pourtant, nous avons le sentiment que les choses ont basculé depuis trois
siècles. La révolution copernicienne a été difficile à admettre puisqu’elle
amenait à ce terrible constat : l’homme n’est plus au centre de l’univers. Nous
avons alors assisté à une véritable dégringolade des mythes.
Les progrès et les conquêtes modernes ont suscité de nouveaux espoirs et
placé l’homme brutalement devant le secret de ses origines. L’appréhension de
l’instant zéro de la création nous amène désemparés derrière les décors de
l’univers. Un débat complexe s’ouvre aujourd’hui entre les chercheurs, sur le
temps imaginaire et l’énergie imaginaire qui précéderaient la naissance de
l’univers au moment du big bang, et ce débat risque plus de nous faire aspirer
par le vide que de nous faire entrevoir le « Visage de Dieu » (pour reprendre le
titre de l’ouvrage des frères Bogdanov).
Va-t-on assister désabusés à la mort des mythes ?
J’ai envie de terminer (et de vous laisser) sur un point d’interrogation moins
crucifiant. Le 31 mai 1950, une belle et jeune Dame apparaissait à Amsterdam à
une toute petite fille malade, Ida Perdeeman, pour lui laisser un message
d’apaisement. Et voyez-vous, j’ai noté qu’elle a dit ce jour-là à Ida quelque
chose qu’une autre Dame avait dit à peu près dans les mêmes termes, en 1858 à
une jeune lourdaise. Non, il ne s’agissait pas de la petite Bernadette, mais d’une
autre jeune fille, très discrète, qui ne fut jamais mise sous le feu roulant du
miracle. Il s’agissait de Marie Courech, servante du maire de Lourdes de
l’époque. Alors que la Dame après 18 apparitions disait un émouvant au-revoir à
Bernadette le 16 juillet 1858 devant la grotte, Marie Courech allait continuer à
entretenir une communication, un dialogue, avec sa belle vision jusqu’à Noël de
cette année-là. Et dans le petit cahier intime qu’elle conservera et ne cherchera
jamais à valoriser ou à médiatiser, elle reprendra ce message très très lourd de
sens : « Depuis longtemps, sous maintes formes, je suis bien souvent venue à
vous vers ce monde »…

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