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L’Altermondialisme
collectionboréalexpress
Les Éditions du Boréal
4447, rue Saint-Denis
Montréal (Québec) H2J 2L2
www.editionsboreal.qc.ca
L’Altermondialisme
DU MÊME AUTEUR
L’Altermondialisme
Boréal
Les Éditions du Boréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement
du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement
de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour ses activités d’édition
et remercient le Conseil des Arts du Canada pour son soutien financier.
Introduction 13
Le néolibéralisme 15
La mondialisation 18
La riposte 21
Réaction conservatrice 26
Antiaméricanisme 26
Indymedia 45
Les syndicats 53
Les zapatistes 54
Clivages 56
Les réformistes 57
Les radicaux 59
Contre-pouvoir ou antipouvoir 61
Diversité ou unité 63
Nord-Sud 66
Les féministes 66
Walden Bello 73
Miguel Benasayag 74
Noam Chomsky 74 9
Susan George 76
John Holloway 77
Naomi Klein 77
Arundhati Roy 80
Vandana Shiva 80
Joseph Stiglitz 81
L’économie 83
Les droits 85
La culture 87
Les médias 88
La guerre 88
La politique 89
La bataille de Seattle 95
Remerciements 119
Chronologie 121
Bibliographie 125
Poussée par le besoin de débouchés toujours plus
larges pour ses produits, la bourgeoisie envahit
toute la surface du globe. […] En exploitant le mar-
ché mondial, la bourgeoisie a donné une forme
cosmopolite à la production et à la consommation
de tous les pays. […] Les vieux métiers nationaux
ont été détruits et sont encore détruits jour après
jour. […] Les produits industriels sont consommés
non seulement dans le pays même, mais dans
toutes les parties du monde. Les anciens besoins,
satisfaits par les produits indigènes, font place à de
nouveaux qui réclament pour leur satisfaction les
produits des pays et des climats les plus lointains.
L’ancien isolement et l’autarcie locale et nationale
font place à un trafic universel, une interdépen-
dance universelle des nations. Et ce qui est vrai de
la production matérielle ne l’est pas moins des pro-
ductions de l’esprit.
MARX ET ENGELS,
Manifeste du Parti communiste, 1848
Contexte d’émergence
du mouvement
Le néolibéralisme
La mondialisation
La riposte
Antiaméricanisme
Le Black Bloc est une tactique à laquelle ont recours des acti-
vistes antiautoritaires et anticapitalistes lors de manifestations,
et qui consiste à se regrouper en bloc en fonction d’une esthé-
tique vestimentaire — le noir — qui exprime leur radicalisme.
Cette uniformité permet un certain anonymat qui réduit les
risques d’être ciblé individuellement par les policiers. Il ne s’agit
donc pas d’une organisation comme telle, mais plutôt d’unités
manifestantes composées d’activistes tout de noir vêtus, mas-
qués ou cagoulés. Cette tactique est apparue dans le réseau
des squats d’extrême gauche en Allemagne de l’Ouest, dans
les années 1980, et elle a permis en quelques occasions de
résister efficacement à des tentatives d’expulsion menées par
les policiers. La tactique du Black Bloc a par la suite essaimé
ailleurs en Occident, mais aussi au Mexique et en Turquie.
Depuis la bataille de Seattle en 1999, les médias ont beau-
coup parlé des Black Blocs aux cours des manifestations, et
les caméras cherchent à capter leurs gestes spectaculaires.
Ce sont même en grande partie les images diffusées par les
grands médias à Seattle qui ont encouragé la reprise de ce
type de tactique lors des manifestations suivantes. Les Black
Blocs restent minoritaires dans la nébuleuse d’activistes et de 37
manifestants qui décident plus ou moins spontanément
d’avoir recours à la force lors de manifestations. Mais leur
tenue si typée a facilité leur association à l’image du manifes-
tant violent. Cela dit, les Black Blocs n’ont pas toujours recours
à la force, et plusieurs Black Blocs ont défilé bien calmement,
se contentant par leur présence et leurs drapeaux anarchistes
noirs, ou rouges et noirs (anarchocommunistes), d’exprimer
une critique radicale au sein d’un plus grand rassemblement.
D’autres «blocs» existent dans le mouvement altermon-
dialiste en Occident, dont les Blocs Blancs ou Tutte Bianche,
issus du milieu de l’extrême gauche et des squats d’Italie.
Ils valorisent une forme particulière d’action directe et de
confrontation: se confectionnant des armures artisanales à
l’aide de caoutchouc-mousse et de casques, ils se proposent
de forcer les lignes de la police par le simple poids de leur
corps, sans porter de coups aux policiers. Les Blocs Roses (Pink
Blocs), ou blocs carnavalesques, s’inspirent des tactiques de
désobéissance et de contestation des groupes anglais comme
Reclaim the Streets et Rythms of Resistance. Ils proposent des
fêtes de rue mobiles, ou des manifestives, dont les participants
avancent déguisés et en musique vers les policiers, les nar-
guent et tentent de les contourner. L’un des objectifs est de
ridiculiser les policiers, qui paraissent en effet quelque peu
dérisoires lorsqu’ils matraquent ou arrêtent une manifestante
déguisée en clown ou en fée géante. Les «armées de clowns
révolutionnaires», qui sont entrées en scène en Écosse contre
le sommet du G8 de 2005, relèvent aussi de cette philosophie
du militantisme festif, et proviennent également des réseaux
de squat, cette fois du Danemark.
Indymedia
Les activistes ont aussi créé des lieux de rencontre virtuels, soit
de très nombreux sites Internet. Le réseau le plus important
reste Indymedia, contraction d’Independent Media Center,
dont la première antenne est apparue lors de la bataille de
Seattle en 1999. Chaque grand événement altermondialiste
est une occasion pour des journalistes indépendants — radios
associatives, journaux étudiants, etc. — de mettre sur pied un
46 centre des médias autonome et temporaire, où les journalistes
militants trouvent des ordinateurs et du matériel leur permet-
tant de réaliser des reportages et des entrevues sur diverses
plateformes: imprimé, audio ou vidéo. Indymedia est pour
sa part un site Internet qui propose la diffusion de nouvelles,
d’informations et d’analyses liées de près ou de loin au mou-
vement et aux enjeux qui le mobilisent: le capitalisme, la
guerre, etc.
Indymedia incarne une manière plus égalitaire et partici-
pative de concevoir les médias. Le réseau fonctionne sur le
mode de l’édition ouverte: tout le monde peut — en principe
— y publier des textes et des images. La publication pouvant
être presque instantanée, Indymedia est une source privilégiée
pour suivre les grandes manifestations pratiquement minute
par minute. Cela dit, le mode de l’édition ouverte peut provo-
quer certains problèmes. Indymedia reste marqué idéologi-
quement et ne peut se permettre d’être une plateforme où
s’exprimeraient des opinions s’opposant à la justice sociale. Or
il est arrivé, par exemple, que de nombreux textes antifémi-
nistes soient diffusés sur le site du Centre des médias alterna-
tifs du Québec (CMAQ), qui reprend la formule d’Indymedia,
ce qui a entraîné de vives critiques de la part de féministes et
des débats au sein du comité organisateur, qui peinait à défi-
nir des balises éditoriales suffisamment claires et efficaces pour
censurer ces prises de position réactionnaires.
S’il existe aujourd’hui plus d’une centaine d’antennes
Indymedia de par le monde, toutes n’ont pas su conserver leur
indépendance. En Belgique, par exemple, des membres d’un
parti communiste ont pris le contrôle d’un site Indymedia local.
Les syndicats
Les zapatistes
Clivages
Les réformistes
Les radicaux
Les radicaux, que l’on trouve par exemple dans les conver-
gences de luttes anti-capitalistes et parmi les participants aux
Black Blocs, s’entendent avec les réformistes pour associer le
système capitaliste à une force meurtrière qui provoque la des-
truction de l’environnement, se nourrit de la mort prématurée
de travailleuses et de travailleurs et encourage la répression
des contestataires. Pour les radicaux, cela dit, il ne s’agit pas
de réformer ce système pour qu’il soit plus «humain». Les
radicaux considèrent que les propositions des réformistes relè-
vent d’une approche du moindre mal. Le capitalisme est anti-
démocratique et injuste par essence, puisqu’il implique un cli-
vage entre les employeurs et les employés, les travailleurs et
les chômeurs, les propriétaires et les locataires, bref entre les
riches et les pauvres. Ce clivage implique des structures d’au-
torité qui permettent aux plus riches d’imposer leur volonté à
la majorité et de contrôler les profits et les biens produits col-
lectivement. L’objectif ultime des radicaux n’est donc pas de
réformer le capitalisme, mais de l’abolir.
Les radicaux méprisent toute forme d’autorité, de hiérar-
chie et de pouvoir, même celles en place dans les mouvements
sociaux en principe égalitaires. Toujours selon les radicaux, la
«démocratie» libérale n’a de démocratique que le nom, car le
peuple souverain se trouve départi de son pouvoir au profit
d’un individu — président ou premier ministre — lorsque vient
60 le temps de négocier des accords favorisant la mondialisation
du capital. Mais les radicaux ne se contentent pas de déplorer
un «déficit démocratique», comme les réformistes, et d’es-
pérer que d’autres voix puissent se faire entendre dans les par-
lements et les réunions internationales. Les décideurs, élus ou
non, constituent une véritable aristocratie qu’il convient de
dénoncer et de contester, plutôt que d’espérer en faire partie.
Quant au lien entre l’économique et le politique, les radi-
caux considèrent que les grandes compagnies privées dispo-
sent d’un pouvoir démesuré en comparaison des autres
acteurs politiques (politiciens élus ou mouvements sociaux), et
que toute démocratie participative — ou «étatisme associa-
tif» — sera donc incapable de réglementer suffisamment les
marchés tant que le capitalisme existera. Les radicaux aspirent
à une démocratie directe ou à l’anarchie, c’est-à-dire à une
organisation politique sans chef(s) où la participation directe
des individus au processus de prise de décision permet d’orga-
niser collectivement le vivre-ensemble. Le consensus est un
objectif politique et moral, car il respecte l’autonomie et la
volonté de toutes et tous, contrairement au règne de la majo-
rité qui s’impose directement ou par la voix de «représen-
tants» aux dépens de la minorité. Cette primauté du consen-
sus va de pair avec la liberté d’association et la décentralisation.
Les réformistes enjoignent aux radicaux de venir grossir
leurs rangs, de se «convertir» à la social-démocratie, pour
augmenter d’autant leur efficacité sur la scène électorale ou
dans leurs manœuvres de lobbyisme. Les radicaux, pour leur
part, considèrent les réformistes au mieux comme de sympa-
thiques idéalistes qui croient encore qu’il est possible de chan-
ger le système de l’intérieur, au pire comme des alliés objectifs
du système parlementaire et capitaliste, voire même comme
des carriéristes prêts, dans certains cas, à pactiser avec les
forces policières pour se débarrasser des radicaux, comme cela
s’est fait dans des manifestations altermondialistes.
Cela dit, plusieurs radicaux ne sont pas portés comme
leurs prédécesseurs de la génération de mai 68 par un espoir
révolutionnaire. Constatant que le rêve de la génération pré-
cédente ne s’est jamais concrétisé et que le rapport de force
actuel favorise leurs adversaires, ces radicaux préfèrent l’idéal
de la résistance et de la contestation. L’idéal révolutionnaire
survit toutefois, mais sa signification est transformée. On parle 61
de microrévolutions, de «zones autonomes libérées» ou de
liberté et d’égalité vécues «ici et maintenant». Les radicaux
expliquent alors que leur modèle n’est pas utopiste, puisqu’il
existe déjà dans leurs organisations politiques et dans des lieux
autogérés, comme les squats en Europe, les campements
autogérés ou les villages zapatistes. D’autres radicaux, atta-
chés à l’espoir d’un renversement global du système, n’hési-
tent pas à critiquer cette posture qu’ils jugent défaitiste, et en
appellent encore à la constitution d’un vaste mouvement de
masse de travailleurs révolutionnaires. Enfin, dans certains
pays comme la France, plusieurs radicaux de tendance anar-
chiste refusent de s’identifier au mouvement «altermondia-
liste», trop fortement associé à des personnalités ou à des
organisations réformistes, et condamné de ce fait pour sa
modération. S’ils participent de près ou de loin à des événe-
ments du mouvement altermondialiste, comme les manifesta-
tions, ils le font sur une base autonome, profitant de ces occa-
sions pour faire entendre leur critique radicale du système
libéral et de l’altermondialisme réformiste.
Contre-pouvoir ou antipouvoir
Diversité ou unité
Les féministes
Idées et discours
Noam Chomsky
Susan George
John Holloway
Naomi Klein
Née en Inde en 1961, elle est l’auteure d’un roman primé par
le prestigieux Booker Price et de plusieurs essais, dont Ben
Laden, secret de famille de l’Amérique (2001), L’Écrivain mili-
tant (2003) et Public Power in the Age of Empire (2004). Son
analyse s’exprime avant tout sous la forme polémique du
pamphlet, d’autant plus percutant en raison de son talent lit-
téraire. Adoptant une posture de résistance à la fois féministe
et postcoloniale, sa voix a la légitimité de la subalterne qui s’in-
surge contre le maître dominant. Ses cibles sont multiples: le
programme nucléaire indien, les effets néfastes des projets
de grands barrages en Inde, l’impérialisme des États-Unis et
les guerres contre l’Afghanistan et l’Irak. Selon elle, l’attaque
du 11 septembre 2001 est la conséquence des nombreuses
interventions militaires meurtrières des États-Unis au fil du
XXe siècle. Elle adopte une analyse des médias proche de celle
d’un Noam Chomsky, mettant en garde ses camarades contre
la mise en spectacle des crises humanitaires et même de la
résistance populaire. Elle participe au Forum social à Porto
Alegre, en 2003, et à Mumbai, en 2004.
Vandana Shiva
Joseph Stiglitz
Au-delà des analyses proposées dans des livres par des intel-
lectuels de renom, le discours militant du mouvement alter-
mondialiste s’articule — sur des sites Internet, dans des bro-
chures, lors de discussions formelles ou informelles et dans ses
slogans — autour d’un certain nombre de thèmes, ou d’axes,
soit l’économie, les droits, le biologique (la vie), les médias, la
culture, la guerre et la politique (ou la démocratie). Ces thèmes
ne sont pas mutuellement exclusifs et sont très souvent discu-
tés en simultané. Ils n’ont toutefois jamais fait l’objet d’un
consensus au sein du mouvement, ni en ce qui a trait à leur
importance respective, ni en ce qui concerne l’angle d’analyse
ou les solutions à privilégier.
L’économie
Le mouvement altermondialiste propose une critique écono-
mique du libéralisme national et international. Certaines de
ses analyses sont sans grande nuance, laissant entendre que la
mondialisation du capitalisme est déjà complètement réalisée,
que l’État providence n’existe plus ou encore que le chômage
est en grande partie le résultat de délocalisations d’entreprises,
alors que celles-ci n’affectent, dans les faits, que des secteurs
spécifiques, en particulier industriels et manufacturiers (pour
l’instant). Les porte-parole du mouvement cherchent surtout
à convaincre que l’activité économique actuelle produit des
inégalités au sein des pays et entre les pays, ce qui est d’ailleurs
confirmé par des organismes publics (comme Statistique
Canada) qui constatent un accroissement des écarts entre les
riches et les pauvres en Occident, et entre les employeurs et les
employés, les premiers touchant des parts toujours plus impor-
tantes des bénéfices alors que le salaire réel des employés tend
à stagner depuis de très nombreuses années. Cette inégalité
s’explique, entre autres raisons, par des syndicats faibles et un
chômage élevé. La pauvreté est d’autant plus pénible que des
compressions importantes ont été faites par les élites poli-
tiques, au nom de la logique néolibérale, dans les services
sociaux offerts aux plus défavorisés. De plus, nombre de gou-
vernements n’allouent que peu de ressources à la formation
84 des personnes ayant perdu leur emploi à la suite de l’effondre-
ment d’un secteur économique et qui se trouvent du coup
déclassées, parfois pour une très longue période, sinon jusqu’à
la fin de leurs jours.
Cela dit, l’analyse du mouvement exagère l’importance de
la mondialisation de l’économie réelle. Ainsi, le commerce
international du Canada est bien peu mondialisé, puisque près
de 90% de ses échanges internationaux se font avec les États-
Unis, pays dont environ 80% de l’économie reste nationale.
Le commerce extérieur de pays comme la France s’effectue
en majorité à l’intérieur du continent européen. L’analyse du
mouvement est également plutôt lacunaire en ce qui a trait
aux gains collectifs liés à la mondialisation, surtout dans les
pays surdéveloppés, où une très grande part de la population,
y compris la classe moyenne et les travailleurs, profitent du
coût de production très bas de biens en provenance des pays
pauvres (vêtements, café et fruits, équipement électronique,
etc.), sans parler du pétrole, ce qui leur permet de jouir de
conditions de vie et d’un pouvoir d’achat de loin supérieurs
à ceux des salariés du reste du monde. En d’autres mots, les
ordinateurs que les activistes utilisent avec joie pour partici-
per au réseau mondial de l’altermondialisme leur seraient
sans doute inaccessibles s’ils étaient produits et vendus
dans des conditions salariales répondant à leur idéal de justice
mondiale.
Enfin, une très grande part du travail accompli dans le
monde — sans doute la plus grande part, même — s’effec-
tue hors du capitalisme, qu’il soit national ou international,
et s’inscrit plutôt dans un cadre économique de type féodal
ou de subsistance (dans le cas de l’agriculture), ou encore
dans le cadre du patriarcat, pour ce qui est de l’exploitation par
les hommes du travail des femmes non salariées. Si des
groupes radicaux, comme ceux associés à l’Action mondiale
des peuples, dénoncent à la fois le féodalisme et le patriarcat,
il ne s’agit, le plus souvent, que de déclarations de principes.
Les actions réelles des activistes restent presque toujours inspi-
rées par leur obsession du capitalisme, identifié — même par
des féministes de la Marche mondiale des femmes — comme
l’ennemi principal.
Les droits 85
La culture
La guerre
La politique
C’est une véritable lutte des idées que se livrent les idéologues
néolibéraux et altermondialistes. Pour l’instant, l’idéologie
néolibérale reste la plus influente. Elle est active à la fois dans
les institutions internationales comme la Banque mondiale et
le FMI, dans les gouvernements et les principaux partis poli-
90 tiques, dans les médias de masse et dans les universités, à tout
le moins dans les départements importants d’économique et
de gestion qui forment les élites économiques de demain. Son
influence est si grande qu’elle relève pour plusieurs du sens
commun, voire de la nature humaine. Les crises financières
récentes en Asie, en Amérique latine et en Occident, ainsi que
divers scandales financiers très médiatisés (corruption, détour-
nements de fonds, etc.), ne semblent pas avoir miné de
manière significative l’influence des dogmes néolibéraux et la
sympathie des élites politiques et médiatiques à l’égard du
capitalisme.
À l’inverse, le discours altermondialiste est souvent perçu
comme archaïque et peu adapté aux réalités contemporaines.
À ce titre, pourtant, le néolibéralisme est également archaïque,
puisqu’il reprend des idées et des principes énoncés par des
économistes au XVIIIe siècle et redéfinis dans les années 1940
par des économistes «néolibéraux».
L’altermondialisme n’offre pas, comme le néolibéralisme,
un cadre d’analyse unifié et simple, puisqu’il s’exprime par plu-
sieurs voix, souvent discordantes. Mais si l’altermondialisme
tend parfois à simplifier la réalité, voire à se tromper au sujet
de certains enjeux et phénomènes, ce constat est tout aussi
vrai pour le néolibéralisme. Le plus important, c’est de savoir
si la pensée altermondialiste saura dans un avenir plus ou
moins rapproché miner la légitimité du néolibéralisme et son
influence réelle dans la vie des peuples fracturés par l’accrois-
sement des inégalités entre les riches et les pauvres.
Alors que le néolibéralisme est dans son fondement une
philosophie qui propose un individualisme égoïste, l’altermon-
dialisme encourage l’égalité et la solidarité. C’est sur cette
base qu’il convient, avant tout, d’évaluer la légitimité de l’une
et l’autre idéologie.
CHAPITRE IV
La bataille de Seattle
La stratégie des élites de tenir leurs réunions dans des lieux dif-
ficiles d’accès a réussi en partie à affaiblir la capacité de mobi-
lisation du mouvement altermondialiste et, conséquemment,
sa visibilité médiatique. En 2004, le sommet du G8 s’est tenu
à Sea Island, une île située à 40 milles marins de la côte de
104 l’État de Géorgie, aux États-Unis. À peine quelques centaines
de personnes ont répondu à l’appel d’une coalition de mani-
fester à Birmingham, un village situé sur la côte. Une fédé-
ration d’ONG des sept pays du G7 a émis une déclaration
exigeant des grands qu’ils mettent fin à l’endettement des
pays pauvres.
Le sommet du G8 en Écosse, en 2005, est organisé sur un
domaine isolé, mais tout de même accessible, ce qui permet
à nouveau au mouvement altermondialiste de se mobiliser
en masse. La Grande-Bretagne connaissait depuis la fin des
années 1990 deux types de militantisme particulièrement
dynamiques. D’un côté, des organisations, généralement
d’inspiration religieuse, exigeaient l’annulation de la dette des
pays les plus pauvres. À l’occasion du sommet du G8, ce mou-
vement organise une série de spectacles de musique dans plu-
sieurs grandes villes de par le monde, sous la bannière Live8,
lors desquels les personnalités du monde du spectacle vien-
nent exiger l’annulation de la dette. On reprend ici la formule
des spectacles de musique protestant contre la famine en
Éthiopie, dans les années 1980. On y retrouve d’ailleurs le
même porte-parole, Bob Geldof. Des centaines de milliers de
personnes ont assisté à ces spectacles.
Par ailleurs, la Grande-Bretagne avait vu à la fin des
années 1990 le développement de formes d’action directe fes-
tives et carnavalesques, qui s’incarnaient dans les fêtes de rue
du groupe Reclaim the Streets, ou encore dans le groupe
mobile de samba Rythms of Resistance. Organisant un cam-
pement autogéré à quelques kilomètres du lieu où se tient le
sommet, les activistes altermondialistes vont lancer des actions
manifestives, dont une parade de l’Armée rebelle de clowns
révolutionnaires. En apparence inoffensifs, ces clowns vont
tout de même se diviser en plusieurs groupes d’affinité et pas-
ser la nuit dans les boisés pour en sortir au petit matin et blo-
quer les routes menant au site du sommet. Voulant créer une
diversion, un Black Bloc quittera pour sa part le campement
militant pour attirer les policiers à sa suite, laissant du coup une
plus grande marge de manœuvre aux clowns révolutionnaires
et à leurs alliés.
Après avoir été critiqués vertement par des porte-parole
de la campagne Live8, dont Bob Geldof, qui accusent les
«anarchistes» d’être irresponsables, des activistes radicaux 105
vont répliquer en reprochant au Live8 d’entretenir une attitude
naïve à l’égard des grands du G8 et de favoriser la passivité des
masses, conviées à assister à des spectacles de musique plutôt
qu’à des manifestations de perturbation. Les mobilisations
seront toutefois stoppées à la suite de l’explosion de quatre
bombes dans le métro de Londres. Lorsque la nouvelle de
cette attaque islamiste parvient aux activistes, les assemblées
délibérantes sont suspendues, des vigiles sont organisées et
plusieurs font leurs bagages et rentrent à Londres, pour y vivre
le deuil avec leurs proches.
Le débat violence/non-violence
La répression policière
Bilan provisoire