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ÉDITIONS DU SEUIL
57, rue Gaston-Tessier, Paris XIXe
isbn 978-2-02-104809-4
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[…] le travail paye. Mais […] la France est un pays qui pense. Il n’est
guère d’idéologie dont nous n’ayons fait la théorie, et nous possédons
probablement dans nos bibliothèques de quoi discuter pour les siècles
à venir. […] assez pensé, assez tergiversé ; retroussons tout simplement
nos manches 1.
Ils vont grossir cette masse flottante de jeunes lettrés sans vocation
distincte, qui n’ont pu réussir dans aucune carrière, et se croient propres
à tout ; qui vendent leur indépendance contre une place quelconque,
dans une administration quelconque ; solliciteurs éternels, acharnés, qui
restent cramponnés aux plus minces emplois, par besoin, par vanité, par
espoir d’avancement. […] cette immense armée civile, improductive,
dévorante, dangereuse pour l’autorité, ruineuse pour les pays, difficile à
satisfaire, plus difficile encore à réduire, […] sera désormais un obstacle
effrayant à toute économie 8.
perpétuent des savoirs aussi légitimes que ceux des élites. Ils pourraient
bien, un jour, contester la suprématie qu’on prête aux intellectuels…
Perdiguier dénonce par quels artifices rhétoriques les intellectuels conti-
nuent d’accaparer la science pour mieux asseoir leur position sociale.
Que la Revue de Paris ait relayé un extrait de son allocution « À propos
d’une opinion de MM. Arago et Dupin 11 » ne suffit pas à engager le
débat ; mais, à un moment où une ambitieuse politique de travaux publics
accentue les tensions entre les ingénieurs (assimilés aux intellectuels)
et les gens de métier, ce texte actualise la dispute qui oppose, depuis
la Renaissance, les praticiens et les théoriciens de l’architecture. Et en
fait une archive du grand rêve ouvrier.
Dans la biographie du mathématicien Gaspard Monge qu’Arago
a exposée en mai 1846 devant l’Académie des sciences, Perdiguier
discerne une référence cachée : la querelle sur la coupe des pierres,
qui dressa en 1642 Jacques Curabelle – « meilleur appareilleur de son
temps 12 », il participa à l’édification de la Sorbonne – contre le mathé-
maticien Girard Desargues. Curabelle estimait que l’ouvrier n’avait
pas besoin de se plier à la méthode alambiquée établie par Desargues,
lequel espérait formuler des principes universellement justes, sans se
préoccuper de leur éventuelle application. Deux siècles plus tard, Arago
passe sous silence le nom de Curabelle, et reprend l’argumentation de
son contradicteur : pour lui, Girard Desargues ou Gaspard Monge sont les
véritables « inventeurs de la géométrie descriptive », quand bien même
les « anciens architectes » auraient noté les dimensions et les formes
qu’ils s’apprêtaient à reproduire, car ces derniers n’ont pas « fondé leurs
épures sur des principes mathématiques, et généralisé la méthode ».
Au contraire, « ils affectaient de considérer les préceptes qui leur servaient
de règle comme le fruit d’une pratique aveugle. Aussi, dès qu’on les tirait
des cas particuliers traités dans les plans de leurs portefeuilles, ils ne
savaient plus marcher même à tâtons ». Monge – auquel Arago succède
comme professeur de géométrie descriptive à Polytechnique – aurait
heureusement contribué à rendre cette science accessible à « la classe
ouvrière, malgré le peu d’instants qu’elle peut consacrer à l’étude 13 ».
Charles Dupin, élève de Monge à l’X (où il a majoré), affirmait déjà
en 1819 que son maître avait dû lutter « plus de vingt ans » contre le
« charlatanisme » et l’« empirisme » incarnés, à l’École de Mézières, par
un « charpentier » qui tenait à « ses routines ; et, pour prix du caractère
vigoureux qu’il déploya contre la raison, […] obtint d’enseigner toute
sa vie ses pratiques particulières, en dépit de toute théorie générale » 14.
[…] honorez vos semblables, […] nous nous joindrons à vous ; mais ne
nous dénigrez pas, ne faites pas de nous d’absurdes machines, ne nous
dépouillez pas de la pensée, ne nous contestez pas la légitime possession
du capital scientifique qui est à nous, que nous nous transmettons de
génération à génération, sans bruit, sans éclat, à l’insu des pouvoirs et
de vous-mêmes, et cela depuis la naissance des métiers 18.
veulent que tout un chacun puisse exercer tous les métiers mécaniques
à la fois, sans en avoir appris un seul » – allusion, sans doute, au fait que
dès 1828 Dupin voyait dans les métiers mécaniques un moyen d’enri-
chissement des petits fabricants ; « mais ils ne veulent pas qu’on puisse
exercer ce qu’ils appellent leur art ou leur science, sans les avoir appris
et sans avoir obtenu le diplôme ». Perdiguier, qui revendique une parole
sincère et fraternelle, en communion avec les travailleurs, sermonne les
mauvais représentants du peuple : « Ne faites pas tant de frais de science
aride et sèche, et livrez-vous aux inspirations du cœur 23. » Quand, deux
décennies plus tard, Marx se souviendra de ces débats, il exaltera à
son tour le caractère simple et concret des revendications ouvrières – savoir
quand commence et quand finit la journée de travail – contre le « pompeux
catalogue des inaliénables “droits de l’homme” 24 », que déroulent volon-
tiers les intellectuels.
Un même type de recommandations figure dans les Mémoires d’un
compagnon, lorsque Perdiguier introduit dans le cours du récit autobio-
graphique une réflexion sur l’autorité. Pour justifier ce qui pourrait
apparaître comme une digression, il raconte d’abord comment il est
devenu chef de sa société compagnonnique. Sous le prétexte de saluer
deux camarades qui lui ont prêté main-forte dans cette tâche, il brosse
leur portrait ; or ce portrait révèle, en négatif, celui du piètre meneur,
qui a les traits du rhéteur :
[…] pas […] de beaux esprits, des discoureurs élégants, non, mais des
hommes dévoués, fermes, probes. Ce sont rarement les beaux parleurs,
les fileurs de phrases qui sont le mieux à la tête des Sociétés ; car il ne
s’agit pas de dire mais de faire. Un homme d’esprit, s’il n’est en même
temps un homme de cœur, de caractère, je ne le choisirai pas pour
chef de Société. L’esprit ne peut rien sans le cœur, le cœur peut encore
beaucoup sans l’esprit, le pétillant esprit.
Ce que je dis ici est vrai pour les Sociétés d’ouvriers, il ne l’est pas moins
pour les empires, pour les républiques. Les sophistes sans moralité sont
partout des pestes. Plus leur influence est grande, plus en outre est grand
le nombre d’hommes sur lesquels leur autorité s’exerce, plus aussi leur
action amène de tiraillement, d’anarchie, de ruine.
gâter en singeant les bourgeois ? Aussi, plutôt qu’à imiter leur prose,
Perdiguier enjoint-il de privilégier une écriture descriptive, ancrée
dans l’actualité, vivante et variée. Interrogé sur la difficulté des feuilles
ouvrières à mobiliser un vaste public, il met en cause l’intellectualisme
du fond et de la forme :
Proudhon à la manœuvre
prophétique qu’ont développé les plus illustres d’entre eux reflète leur
paternalisme : or – estime Proudhon – pareil surplomb est incompa-
tible avec la démocratie, où l’intellectuel et l’artiste doivent se laisser
éclairer par le peuple.
Alphonse de Lamartine, auteur de best-sellers devenu chef du Gouver-
nement provisoire, incarne un peu plus ce manquement lorsqu’il rejette
le pavillon rouge au profit du drapeau tricolore sali par la monarchie.
Proudhon n’avait pas attendu qu’il accède aux plus hautes fonctions pour
lui chercher noise 34. Dès 1841, son Deuxième mémoire sur la propriété
égratignait l’écrivain ; et quoiqu’un rapprochement ait semblé possible
au temps des Contradictions économiques (1846), l’ancien conservateur
avait subi le même sort. Proudhon reproche moins à Lamartine – qui
a ignoré ses propositions, tout comme les ont ignorées ses collègues – de
porter la particule que d’être un baladin, un poète (au sens propre comme
au figuré ; l’intéressé lui-même revendique d’ailleurs cette étiquette) 35.
Alors qu’il faudrait agir, Lamartine s’enivre de discours, goûte ses
improvisations, vibre à ses images. Une éloquence qui sent le collège
et laisse percer une vanité de tribun, juge Proudhon, dont l’antiroman-
tisme naît peut-être à la Chambre.
Lamartine, orateur déjà installé sous Louis-Philippe, s’impose à la
tête de ce qu’on n’appelle pas encore le parti intellectuel. Un parti formé
par « les républicains, les économistes, les restes du St Simonisme [sic],
les libre-échangistes, les fouriéristes, les communistes » dont Proudhon
se dissocie dès 1847 dans des carnets non destinés à la publication.
ne serait chez elle qu’un dérivatif. Pas question, donc, de lui accorder
le droit de vote, ou qu’elle se présente aux élections. Proudhon, farou-
chement défavorable à ces revendications en 1848, conspuera ensuite
les femmes « aux doigts tachés d’encre 42 » qui se targuent de débattre
avec lui, comme Jeanne-Marie Poinsard – dite Jenny P. d’Héricourt –,
née elle aussi à Besançon dans une famille d’artisans 43.
À une époque où les machines rendent possible l’embauche de
femmes dans les imprimeries, la réaction viriliste que cette dernière
entraîne cherche à affirmer le caractère véritablement ouvrier de la
composition : éprouvante, technique, elle ne peut être confiée au sexe
faible, fût-il aux manettes de machines « quasi-intelligente[s] [sic] 44 ».
La misogynie proudhonienne garde peut-être la trace de cette rivalité.
L’auteur affirme en tout cas l’« influence » délétère « de l’élément féminin
sur les mœurs et la littérature française » depuis Rousseau, dont il fait un
étranger. Témoin l’œuvre de Lamartine. Proudhon, qui ferraille alors avec
lui au sujet du droit d’auteur, finit ironiquement par attribuer l’opportu-
nisme politique de son rival à un dysfonctionnement de l’intelligence.
La polysémie du verbe « pénétrer » sonne l’assaut :
les veines du corps social. Pas de tête qui dépasse, mais des millions
d’hommes plus intelligents » 58, écrit Vallès.
À cette date, il ne songe sans doute pas à une alliance populaire ;
mais n’invite-t-il pas déjà les créateurs à se libérer du mythe du génie
solitaire et maudit ? Quand il les appelle à sauter, rue Vivienne, de
la bibliothèque à la Bourse, il vise les avant-gardes qui affectent de
mépriser les contraintes financières, précisément les auteurs ayant
drapé l’art dans une pauvreté idéale. C’est au nom du réalisme que Vallès
s’en prend à ces semblables, ces frères : la bohème, « premier mythe
médiatique moderne », qui « manifest[e] la puissance du medium » 59,
devait être renversée de l’intérieur, par un journaliste qui la fréquentait.
Mais cela ne signifie pas qu’il dénie à la littérature toute valeur : n’est-ce
pas ce support qu’il choisit ? Quand il désigne la voie du Capital,
peut-être suggère-t-il simplement que les écrivains ne peuvent plus
ignorer l’économie.
Dès L’Argent sont en place le ton et les thèmes qui caractériseront
l’œuvre vallésienne : la critique des académies – « Les Quarante, des
orateurs bavards, des poètes finis, des philosophes tombés… » –, du bacca-
lauréat – « un meuble inutile » 60 –, et plus généralement des études, forme
le répertoire du chroniqueur qui signe désormais « Max », pseudonyme
inspiré d’un succès du temps – le roman Jérôme Paturot à la recherche
d’une position sociale. En 1861, quand décède Henry Murger, qui avait
donné à la bohème ses lettres de noblesse, Vallès espère enterrer cette
catégorie et lui substituer celle, plus actuelle, de « réfractaires » – un
terme qu’affectionnait Proudhon. « Les réfractaires » : c’est ainsi que,
le 14 juillet 1861, Vallès célèbre la fausse égalité promise en 1789 dans
un article où l’adjectif substantivé donne corps à un nouveau groupe
cimenté par la nécessité : artistes de fortune, lettrés contrariés, ratés
en quête de reconnaissance sont tous, à leur manière, des victimes
de la ville qui les mange, du livre 61 qui les a leurrés, et de la société
du spectacle. Simples silhouettes chez Murger, les bohèmes se méta
morphosent ici en individus de chair et d’os. Plus d’os que de chair,
hélas, car leur dénuement s’est accentué dans le Paris réformé par
Haussmann ; en quête de subsistance, une foule composite de traîne-
misère fuit les estaminets et les brasseries où d’autres languissent.
Vallès dit avoir plus de plaisir à boire et manger « loin des bureaux de
rédaction et des cafés d’hommes de lettres, avec des gens simples et bons
vivants, qui ne [lui] parlent ni d’Hugo, ni de Michel-Ange, et, au dessert,
ne font pas des mots, mais des mariages » qu’aux « repas littéraires du
Ô misère ! est-tu [sic] donc si dure pour l’ouvrier, ô fatigue ! est-tu [sic]
donc si pesante à l’établi, que ceux qui l’ont quitté n’y veulent plus
revenir et préfèrent se suicider comme penseurs, à condition de vivre
sans calus aux doigts, sans souci de la coche, sans peur du chômage !
Spectacle douloureux ! un homme de la hauteur de ce Tolain, qui, pour
ne plus louer ses bras, vend son cerveau […] 101.
Classes dangereuses
Mauvais procès
aurait agi par émulation. La faute à l’exécutant, qui a sans doute mésin-
terprété ce qu’on lui a enseigné, ou à son maître ? La morale doit-elle
limiter les prérogatives de la science ? Autant de questions que tranche
le roman : tout inculpe fatalement, avec Sixte, philosophe reclus dans
sa propre pensée, le legs scientiste qui entrave la génération de la
Débâcle. Cette génération connaît en 1889 une crise que mettent au jour
deux affaires impliquant l’armée. Telle qu’elle est présentée dans Le
Disciple, l’opposition ordinaire entre la pensée et l’action rejoint le débat
qu’entraînent, chez les contemporains, la loi Freycinet du 15 juillet
1889 sur le recrutement militaire, incluant désormais les bacheliers et
les étudiants, mais les faisant bénéficier d’un service réduit à dix mois
(au lieu de trois ans). Il est vrai que dans la pratique, beaucoup d’étu-
diants échappaient au service actif en se faisant classer dans l’armée
auxiliaire, ou en passant l’examen d’officier de réserve.
Depuis mars 1888, deux autres scandales interrogent le statut des
intellectuels en démocratie ; sans avoir la même portée ni la même
audience, l’« affaire Boulanger » et l’« affaire Descaves » défraient
la chronique. L’« affaire Descaves », aujourd’hui souvent réduite à
la réception de Sous-Offs (1889), éclate en fait avant que ce roman
antimilitariste ne paraisse. Aussi, quand s’ouvre le procès, le prévenu
jouit-il déjà d’une petite renommée littéraire. À moins de trente ans,
cet employé de banque passé par quatre années de caserne a renoncé à
sa position pour se consacrer à l’écriture. Il a publié plusieurs fictions,
dont Misères du sabre (1887), recueil de nouvelles naturalistes où
l’étude des turpitudes humaines justifie déjà une critique de l’insti-
tution militaire. Nanti du soutien des frères Daudet, Descaves a brigué
un fauteuil à la Société des gens de lettres. Mais, alors que le « plus
ignoré des bas bleus » est d’ordinaire admis sans difficulté, il se trouve
arbitrairement débouté. Un membre du comité – le critique et romancier
Gustave Toudouze – dénonce alors publiquement la « guerre aux lettrés »
que mènent les « ronds-de-cuir » de la Société. Les « éternels reproches
d’immoralité », l’« accusation de manque de patriotisme » dissimulent
à ses yeux un « abus de pouvoir » : c’est l’écrivain artisan, l’autodidacte
parvenu sans baccalauréat, le « travailleur » épris de « vérité » 5, l’écrivain
indépendant, que craignent les fonctionnaires de l’intelligence. Fils de
graveur comme Descaves, lui aussi employé de banque, familier du
grenier d’Auteuil, proche des patrons du naturalisme, Toudouze sert sa
chapelle ; ce faisant, il trace une ligne de partage que les crises anti-intel-
lectualistes qui se succèdent jusqu’aux années 1940 réactiveront peu ou
prou. Lorsque, dans ses Souvenirs d’un ours (1946), Descaves se peint
en « autodidacte » « fils de [s]es œuvres » et dur à la tâche, il maquille
stratégiquement la réalité : élevé dans une famille vivant assez douillet-
tement, l’enfant qu’il a été n’a simplement pas manifesté de goût parti-
culier pour l’étude. C’est en ce sens qu’il « ne doi[t] rien au collège ni
aux écoles spéciales dont les élèves, favorisés, sortent munis de diplômes
qui leur ouvrent de belles carrières » 6.
La plainte que Freycinet, ministre de la Guerre, dépose contre
Sous-Offs débouche sur un procès 7 où Descaves se retrouve « sur le
banc des assassins ». Tandis que l’avocat général désigne un « malfaiteur
de la plume », un « rôdeur de lettres », la défense insiste au contraire,
par la voix de maître Tézenas (qui assistera Esterhazy pendant l’affaire
Dreyfus), sur l’utilité d’hommes de lettres assez courageux pour se préoc-
cuper du progrès social plus que de leur propre bien-être. En peignant
Descaves en intellectuel ne recherchant ni la gloire ni la fortune, sacri-
fiant son confort à ses convictions, Tézenas convertit les débats en procès
de la « pensée » 8 désintéressée. Pour soutenir Descaves, une cinquan-
taine d’écrivains s’engagent à travers l’une des premières protestations
corporatives 9. Dans la liste, le nom de Maurice Barrès voisine avec celui
d’Émile Zola. Barrès et Zola, qui s’affronteront plus tard, s’engagent
ici en tant que professionnels de la littérature, via une pétition qu’ils
signent au nom de la liberté d’expression. Rien d’étonnant : cette cause
réunit les sensibilités politiques les plus dissemblables depuis le début
du siècle, et favorise par là même la constitution de groupes d’écrivains
et artistes soucieux de leur autonomie 10.
Que Barrès, fraîchement élu député boulangiste, soutienne un roman
cier antimilitariste s’explique aussi par le fait que son boulangisme n’a
pas, à cette date, la tonalité revancharde qu’il lui appliquera rétrospec-
tivement après l’affaire Dreyfus. C’est un désir de rupture qui le porte
à suivre l’homme fort que semble être Boulanger. Non sans participer
au jeu parlementaire, tous deux en dénoncent le fonctionnement biaisé.
Boulanger, ancien ministre de la Guerre, prétend ramener l’ordre dans
la République, en mettant fin à la corruption incarnée à ses yeux par le
pouvoir opportuniste (Jules Ferry, notamment), au nom du peuple. Le
« brav’ général » jouit depuis 1886 d’une large popularité, qu’il convertit
en outil électoral à grand renfort de propagande. Biographies mythi-
fiantes, brochures, chansons, affiches, articles le représentent combattant :
ici, sur son cheval ; là, en lutteur s’apprêtant à mettre symboliquement
au tapis ses adversaires politiques. De l’action plutôt que de beaux
aucun mort (elle n’était pas conçue pour tuer) ; elle détermine pourtant
la mise en place des « lois scélérates » et l’exécution de son concepteur
en février 1894. Le président Sadi Carnot, qui avait refusé de le gracier,
est poignardé l’été suivant par Sante Caserio, un militant formé en
Lombardie comme cordonnier, puis boulanger. Ses détracteurs feront
de lui un dangereux autodidacte « s’empoisonnant le cerveau d[e] livres
et d[e] brochure[s] » théoriques dont le sens lui échappe. C’est ainsi
que le présente Adolphe Retté, ancien libertaire que ses engagements
ont mené en prison au temps des « lois scélérates », et qui a signé la
pétition en faveur de Jean Grave. Depuis sa conversion au catholicisme
(1907), Retté a fait du récit de ses souvenirs l’occasion de fustiger la
culture anarchiste. À l’automne 1912, après l’arrestation des survi-
vants de la bande à Bonnot, il brosse dans La Revue antimaçonnique le
portrait de trois générations d’anarchistes viciées par leur intellectua-
lisme : celle des théoriciens bourgeois – des utopistes qui ne prônent
qu’une violence symbolique ; celle des propagandistes par le fait, qui
mettent le terrorisme au service de l’idéal ; celle des « bandits tragiques »,
la plus sinistre à ses yeux, parce qu’elle ne sert que le profit individuel.
Sous sa plume, Sante Caserio et Émile Henry altèrent les qualités qu’on
prête alors à l’intellectuel : la « concentr[ation] » de ces solitaires vire à
l’« idée fixe ». Émile Henry, que Retté a croisé dans les locaux du journal
L’En-dehors, apparaît comme un garçon réservé, dormant sur place, à
même un « tas de journaux » 20 s’il ne trouve pas mieux. Qui aurait pu
croire que, après la grande grève de Carmaux, un jeune homme si discret
attaquerait la compagnie des mines ? L’engin qu’il lance explose trop
tard, dans un commissariat. En février 1894, il récidive au café Terminus.
Ce dernier attentat ne révèle pas seulement la détermination des tenants
de la propagande par le fait ; il dévoilerait le malaise d’une nouvelle
« classe » dont l’« instruction universelle » légitime les prétentions
« aux pouvoirs et aux jouissances 21 ». Henry, fils de communard (il est
né en Espagne où son père était exilé), jeune lettré déclassé, appartient à
cette jeunesse à laquelle les ambitions d’un Rastignac ne suffisent plus.
Elle crève désormais les plafonds, rêve de faire table rase. Un procès
retentissant en cour d’assises (avril 1894) vaudra à Henry la guillotine.
Châtiment exemplaire, pour ce boursier méritant, bachelier à seize ans,
admissible à l’École polytechnique, devenu un symbole du déclassement.
Comment un être instruit a-t-il pu viser des innocents ? Les décla-
rations du prévenu semblent corroborer l’hypothèse commune : « Des
études scientifiques m’avaient graduellement initié au jeu des forces
Un nouveau prolétariat ?
Prendre parti
Sans diplôme, point de salut. Si vous êtes un sot portant cet engin formi-
dable, vous avez de l’esprit ; si vous êtes un homme de talent et que la
Faculté ne vous ait pas donné un certificat de votre intelligence, vous
êtes un sot 4.
« apporte son style comme on apporte son tempérament » ; car « il faut
sentir puissamment pour rendre avec intensité… » 18. Avec « clarté 19 »,
aussi. Voilà le mot du temps, qui persuade Zola que ni le symbolisme
ni le décadentisme n’auront la vie longue.
Le style se travaille, mais les forts en thème peuvent épargner leurs
efforts. Zola raille ceux qui, des petites classes à la Coupole, s’attachent
à la tradition désuète des concours et des prix. Et dire que, lorsqu’il
s’adressait en 1877 aux lecteurs russes, le journaliste s’émouvait au
souvenir des distributions de prix de son enfance ! À l’époque, il pointait
aussi la stérilité de l’« instruction classique » qui jette à la rue des bache-
liers sans aucune « direction pratique ». Vallès ne disait pas autre chose ;
Zola l’admire, mais juge qu’il s’est abaissé en se cantonnant dans la
négation :
Tant de colère lyrique dépensée n’amènera pas une réforme, tandis que
l’évolution du siècle refondra certainement notre Université. […] M. Jules
Vallès, qui divise le monde en réguliers et irréguliers, ne semble pas
se douter qu’il y a des réguliers d’intelligence vaste et libre, tandis que
certains irréguliers ne sont que des cabotins au crâne étroit, esclaves de
leur rhétorique, d’anciens bohèmes ayant des idées rances […]. D’ail-
leurs, pourquoi en veut-il autant au baccalauréat ? On en fait ce qu’on
peut. […] Quel désastre pour les lettres, s’il n’avait pas été bachelier 20 !
L’Affaire
Huret dès 1891 : « Il n’y a pas à dire, les gens ayant une intelligence
un peu vigoureuse sont tout de même plus intéressants que les “artistes”
attitrés. Et puis, savez-vous que Henri Heine n’est un poète si émouvant
que par les qualités qui font en même temps de lui un des plus profonds
penseurs de ce siècle… 38 » ?
L’anti-intellectualisme barrésien se formalise progressivement dans
cette tension. Le Culte du moi s’inspire notamment du philosophe
Eduard von Hartmann, lu en 1883 ; mais l’hostilité envers le personnel
républicain ne se concentre pas encore sur les intellectuels. Son cycle
bouclé, Barrès s’applique à lui donner une cohérence, et à consolider
son identité boulangiste. Dans une annexe dédiée à Paul Bourget – l’auteur
du Disciple l’avait soutenu alors qu’il débutait, et que la critique le
boudait, mais il lui avait reproché un style peu clair –, Barrès souligne
la portée anti-intellectualiste de l’ensemble : le héros ne se protégerait
pas des « “philistins” » ou des « “bourgeois” », mais « des êtres qui […]
possèdent un rêve opposé » au sien, « fussent-ils par ailleurs de fins
lettrés » 39. Dans les paragraphes qui suivent, une citation de Proudhon
caractérise un peu plus ce moi que le roman met à l’école de l’égotisme,
de la nature, de Loyola et de Boulanger ; le penseur bisontin, mythifiant
son enfance, s’y décrit en rural qui peine à retrouver dans les livres la
nature dont il se pénétrait jadis :
Après son échec aux législatives de 1893, Barrès avait imaginé peindre
les vices parlementaires dans un fort volume, finalement décliné en trois
romans. Le premier opus avance que l’instruction républicaine déforme,
plus qu’elle ne forme, les jeunes gens. La faute en incombe à la fois
aux structures et au personnel d’enseignement. Le romancier, dont on
connaît l’attachement citadin, plaide ici pour le grand air. Reprenant un
lieu commun vulgarisé notamment par Taine, il déplore que la lecture
des philosophes ne se fasse qu’en classe :
[L]es élèves, grandis dans une clôture monacale et dans une vision
décharnée des faits officiels et de quelques grands hommes à l’usage
du baccalauréat, ne comprennent guère que la race de leur pays existe,
que la terre de leur pays est une réalité […] 49.
L’apparente dignité de Zola, campé une main sur le torse, n’est qu’un
leurre, car cette main est glissée entre le gilet et une toge laissant les
bras nus. Or ces derniers sont couverts de poils qui rappellent les soies
des cochons. Napoléon de la fange, Zola conduit une armée de bêtes ;
il figure, sinon l’Antéchrist, du moins un anti-Christ 67.
Au centre de la planche, l’énorme caboche de Zola, en équilibre sur
un tronc court. Les codes de la caricature imposent certes ces propor-
tions. N’a-t-elle pas justement contribué à vulgariser l’image du penseur
qui n’est qu’une tête ? Le traitement de la figure de Victor Hugo, un des
Tiraillé entre son désir d’être reconnu comme écrivain, à une époque
où peuvent surtout y prétendre les héritiers, et la nécessité de subvenir
aux besoins de la famille qu’il fonde dès 1897, Péguy a fait des choix
qu’on a pu qualifier d’opportunistes, alors qu’ils témoignent d’un
sens aigu des réalités. Quoiqu’il ait renoncé à son statut de normalien
pour se jeter dans l’action militante et ouvrir une librairie, quoiqu’il
ait manqué l’agrégation de philosophie, il n’a cessé d’espérer qu’une
thèse de doctorat 102, puis une chaire pourraient assurer l’avenir des
siens. S’il clame son hostilité aux intellectuels arrivés et aux philoso-
phies arrêtées, il ne renie pas ses admirations de jeunesse ni ne méprise
les universitaires qui soutiennent les Cahiers.
Comment expliquer, alors, qu’il tourne brusquement le dos à ses
anciens camarades ? L’affaire de la Société nouvelle de librairie et
d’édition (SNLE), à laquelle les dreyfusards Lucien Herr et Léon
Blum – côtoyés à l’ENS – intègrent Péguy comme délégué à l’édition
lorsque sa propre librairie coule, apporte un premier éclairage : l’équipe
valorise les publications scientifiques, techniques même (la première
s’intitule Catalogue bibliographique, sciences sociales, économiques,
juridiques et politiques, histoire contemporaine, socialisme) ; Péguy
imagine une ligne moins positiviste… Que la SNLE compte, parmi ses
actionnaires, plusieurs sociologues n’est pas pour le réjouir. À François
Simiand, qui siège au comité d’administration, il confie qu’il aimerait
créer une revue socialiste pour les familles, un « journal vrai ». Les articles
seraient rédigés par des témoins, et tous les contributeurs – intellectuels
ou manuels – recevraient un salaire équivalent. Simiand, paternaliste,
juge que cela reviendrait à monter « une revue pour les imbéciles 103 ».
Son interlocuteur ne fera plus confiance aux sociologues 104 ; mais il
mènera à bien son projet, sous la forme des Cahiers de la quinzaine :
une école ouverte, le contraire de l’École socialiste créée par la SNLE,
où interviennent François Simiand et Marcel Mauss. La SNLE refuse
d’imprimer Jean Coste, roman d’Antonin Lavergne qui relate le quotidien
misérable d’un instituteur de village ? Péguy en fait un cahier. Cela
dérange ? Il y joint un autre, « De Jean Coste ». Quand son ancien maître
Herr le traite d’anarchiste, Péguy se flatte de ne pas être un « intellectuel
qui descend et condescend au peuple 105 », et martèle que ce dernier a
une connaissance du social qui excède celle dont se targuent les socio-
logues de métier. C’est entre les prolétaires et les clercs qu’aime à se
situer l’éditeur de Jean Coste – et plus tard d’Yves Madec professeur
de collège 106, récit tiré de faits réels.
Humeurs viriles
distillée dans la Revue des Deux Mondes 13. Par les contraintes qu’il fait
peser sur la jeunesse (horaires, programmes, bachotage, surveillance,
enfermement), l’enseignement secondaire s’avère aussi dangereux, car
il endigue une « énergie » qui, lorsqu’elle déborde, « peut constituer
un péril social ». D’où la nécessité, pour que l’École canalise l’énergie
au lieu de favoriser son dévoiement, d’intégrer la pratique sportive aux
cours, sans que celle-ci prenne la forme insidieuse de « l’exercice à la
prussienne 14 ».
En 1902, année de la grande réforme scolaire, Maurras se souvient
que, dans la cinquantième leçon (1839) du Cours de philosophie positive,
son maître Auguste Comte, répartissant les qualités humaines, attribuait
l’intelligence rationnelle aux hommes, et aux femmes la mission de la
tempérer. Un partage naturalisant commandé, à ce moment de l’évolution
comtienne, par la double nécessité de se démarquer du fouriérisme et
du saint-simonisme, et de se protéger de la concurrence des femmes 15.
Fort de cette caution, Maurras oppose un positivisme pratique au ratio-
nalisme solipsiste des Lumières, cette raison en désaccord « avec les
lois physiques de la réalité » autant qu’avec « les lois logiques de la
pensée ». Il se plaît à citer une déclaration de 1826, où Comte affirme
que « ni l’individu, ni l’espèce ne sont destinés à consumer leur vie dans
une activité stérilement raisonneuse, en dissertant continuellement sur
la conduite qu’ils doivent tenir ». À la condamnation de la « pédanto-
cratie » et de la « dégénération académique » 16 s’adjoint chez Maurras un
préjugé antidémocratique. Sans céder à l’exaltation d’un fonds instinctif,
par répugnance envers le populisme barrésien, Maurras dresse donc
contre la raison abstraite une intelligence qui prendrait en compte les
nécessités vitales ; une intelligence réservée, au contraire de la raison
jacobine, née de ce cartésianisme qui, en expliquant le monde, l’a rendu
accessible à la masse :
et si peu cartésienne, quoi qu’on ait dit, tire ses principaux défauts et
ses erreurs les plus volumineuses des impropriétés et des inaptitudes de
cet outil dangereux. Au contraire, l’interprétation des faits par l’expé-
rience, l’observation et l’analyse a des vertus solides et, comme disent
les artilleurs, rustiques, qui la défendent des aspérités du chemin 19.
Quand cet article paraît dans La Revue critique des idées et des
livres – l’organe littéraire de l’Action française –, Berth s’est éloigné du
Mouvement socialiste, pour lequel il a recensé les revues allemandes.
L’anti-intellectualisme de ce provincial brillant, qui lit Nietzsche et
Marx dans le texte, puise aux mêmes sources que Sorel, mais s’en saisit
sans médiation, avec une ardeur polémique exacerbée. Ayant renoncé
à préparer l’agrégation, Berth candidate à l’Assistance publique, qu’il
ne quittera plus. Travailler à la fondation Galignani, qui accueillait des
artistes et des écrivains dans le besoin, a-t-il conforté dans son esprit le
rapprochement entre intellectualisme et décadence ? L’égarement de Rome
et de Byzance, qui crurent à la suprématie de l’intelligence, nourrit en
tout cas chez lui une vision crépusculaire de la société contemporaine. La
démocratie – abstraction suprême – ne peut satisfaire le peuple de chair
et de sang, quoi qu’en disent ceux qu’on charge d’entretenir l’illusion,
ces « marchands », ces « intellectuels » et ces « politiciens » dont Berth
dénonce l’horrible commerce dans une série d’articles qui constitue une
de ses premières contributions notables 32. Mesurant l’Histoire à l’aune
de l’évolution économique, l’auteur voit dans le syndicalisme révolu-
tionnaire le moyen de refonder une société humaine sur la production,
en créant du lien là où les échanges individuels ont atomisé la commu-
nauté. C’est pourquoi Berth combat la démocratie parlementaire, dont
l’idéologie conciliatrice jugule la lutte des classes alors que la France,
pays fortement centralisé, pourrait enfanter une vaste grève générale…
Sans verser dans le bellicisme en vogue (la lutte des classes prime sur
les hostilités nationales), Berth développe donc une pensée martiale.
S’appuyant sur Proudhon, qui voyait dans le travail un équivalent de la
guerre, il fait du producteur, seule force historique capable de favoriser
l’émergence d’une société morale – c’est-à-dire libérée de l’activité
parasitaire – la clef de voûte de son socialisme révolutionnaire.
Il en expose les fondements dans l’article d’avril 1911 où il répond au
philosophe républicain Georges Guy-Grand. À la faveur d’un jeu d’oppo-
sitions, Berth renverse une série de préjugés : Proudhon et ses disciples
ne sont pas des « pragmatistes », comme le prétend Guy-Grand, mais des
Dans les deux décennies qui suivent l’affaire Dreyfus, qu’ils souhaitent
le retour à l’ordre monarchique ou l’avènement d’une société révolu-
tionnaire, les tenants de la culture classique répudient violemment la
nature, le sentiment et l’instinct tenus pour des qualités féminines. Cet
apparent paradoxe est pourtant formulé au nom de la raison. Comment
ceux qui perpétuent la condamnation proudhonienne des intellec-
tuelles et la dévirilisation de leurs collègues masculins auraient-ils pu,
sinon, préserver leurs prérogatives avec celles – surannées – de « l’honnête
homme » ?
Action directe
L’individu à la tribune
invite finalement à chahuter les UP, bien qu’elles l’aient d’abord séduit :
non seulement elles dépendent du pouvoir par leur financement, leur
orientation et leurs contenus ; mais, en leur sein, des experts insti-
tutionnalisés, pétris d’arrivisme, travaillent à faire des petites gens
des électeurs dociles. Quant au peuple, il cherche moins à s’instruire qu’à
s’évader par le théâtre, la musique et la danse proposés en animation
(les cours du soir se terminent souvent autour d’un jeu de quilles, ou à la
buvette). Avec l’aide de Paraf-Javal, Libertad organise donc la concur-
rence, sous la forme de causeries 6 engageant véritablement les masses
à transformer les rapports sociaux, par le dialogue. Les rendez-vous se
tiennent à Paris, dans un espace de sociabilité militante qui n’est pas le
café 7, car, dans leur souci de désaliénation, les individualistes luttent
contre les boissons alcoolisées ou excitantes, cet autre opium du peuple.
Le succès est tel qu’en découle un journal fondé lui aussi sur la confron-
tation des opinions : L’anarchie, feuille antimilitariste et abstentionniste
créée par Libertad et sa compagne, l’institutrice Anna Mahé (1882-1960),
détourne le genre bourgeois de la causerie qui, avant d’intégrer des
réflexions philosophiques et sociales, permettait de pratiquer une critique
familière, sur le mode de la conversation. Le format doit permettre aux
anarchistes d’exercer perpétuellement leur jugement, et d’ainsi éviter le
dogmatisme 8. La parole n’apparaît pas ici comme l’ennemie de l’action,
mais bien sa condition. Un rédacteur va même jusqu’à se réclamer du
byzantinisme reproché généralement aux intellectuels qui discutent au
lieu d’agir. Il affirme que, si l’on nomme « byzantinisme 9 » la confron-
tation des idées, alors il préfère être byzantin que dogmatique. Au grand
dam de Paraf-Javal, très impliqué dans les causeries, L’anarchie privi-
légie le dialogue à la connaissance, la propagande à la pédagogie. Deux
ans après la création du journal, Paraf-Javal, déçu, s’en éloigne. Ce
passionné de géométrie, qui prétendait établir une méthode rationnelle
permettant à chacun d’échapper à l’aliénation, monte alors un Groupe
d’études scientifiques qui se dote de son propre bulletin. Malgré des
tensions qui vont en 1910 jusqu’au meurtre d’un militant proche de
Paraf-Javal, L’anarchie connaît une longévité rare, marquée par un anti-
intellectualisme persistant. Il s’affiche notamment en première page,
sous la plume de Libertad. Homme d’action, se réclamant volontiers
d’Émile Henry, il s’est bâti une solide réputation d’orateur en clamant
son refus des médiations politiques et sociales. Libertad hait l’intel-
lectuel bourgeois qui, après avoir professé le socialisme, « rentre en
automobile 10 ». Il se déplace, lui, sur des béquilles qui ne l’empêchent ni
l’égalité des intelligences clamée par les socialistes. Dans les colonnes
de L’anarchie, l’instituteur « abruti[t] 19 » le prolétariat plus qu’il ne le
libère. Il fait figure d’embusqué, suivant la voie royale du fonctionnariat
plutôt qu’une vocation. Plus largement, les métiers de l’enseignement
protégeraient les classes moyennes des travaux pénibles : les hommes
les plus faibles se voient donc confier la tâche d’élever les autres ! Et
souvent, ils sont bien incapables de déceler la valeur d’un individu.
Linné, Hugo et Napoléon seraient passés inaperçus, si l’on n’avait jugé
que leur dossier scolaire.
Sciemment inféodé à l’État, le maître ne peut en outre façonner que
des suppôts du régime. Dans L’anarchie, les instituteurs, tantôt présentés
comme des « prostitu[é]s du capital », tantôt comme des « flics intellec-
tuels » 20, s’avèrent pires que les roussins, pires que les agrégés. En dépit
de son apparente raideur, un professeur anonyme mérite seul le nom de
pédagogue : celui qui engage ses élèves à être « quelconques 21 » et, lucide,
leur signale la vanité de ce qu’il leur enseigne. À rebours du système,
qui exige « des bacheliers de seize ans », une voix propose que jusqu’à
l’adolescence l’éducation se limite à l’« observation » 22. Foin de cette
histoire fondée sur la mémorisation de dates et de faits, des mathéma-
tiques abstraites ! Un enseignement enté sur la connaissance des lois
naturelles serait tellement plus profitable… Promouvoir les sciences
de la nature, la géographie, les cours en plein air, les travaux pratiques,
valoriser l’observation et l’expérimentation conjurerait bien des préjugés,
bien des faux-semblants ; seule l’utilité des langues mortes divise 23.
Mais il y a loin de la théorie à la pratique, et la mise en place effective
d’espaces libertaires autonomes a prouvé la difficulté à réaliser certaines
des propositions formulées dans le journal. Au sein de la colonie libre
que lui et sa compagne, l’ancienne institutrice congréganiste Émilie
Lamotte (1876-1909), avaient contribué à fonder à Saint-Germain-
en-Laye, le typographe André Roulot, dit Lorulot (1885-1963), qui avait
participé à la fondation de L’anarchie, supervisé un temps le journal
et les causeries après la mort de Libertad, se pose en intellectuel pour
mieux échapper aux corvées. Un jour où les autres suent à la tâche, ils
le trouvent perché sur une branche, lisant des vers en tenue d’Adam.
À ceux qui le tannent de mettre la main à la pâte, il répond sans sourciller :
« Vous, vous êtes les bras, travaillez ! Moi, je suis le cerveau, je pense 24. »
Henriette Maîtrejean, dite Rirette (1887-1968), rappelle cette anecdote
peu après le procès et l’exécution des survivants de l’affaire Bonnot, qui
a braqué les projecteurs sur l’équipe de L’anarchie, proche, à certains
Appels au meurtre
K. X. est le pire ennemi des artistes et écrit dans un journal, auquel ne
collaborent que des artistes ! (les anarchistes sont des artistes en socio-
logie…) […] K. X. est le pire ennemi de l’humanité intellectuelle,
l’ennemi mortel des orientateurs du mouvement humain 50.
Beaucoup de gens, tels que moi, n’ont jamais été à l’école, jamais rien
appris, connaissent la langue française comme un tzigane connaît la
musique, et cependant, peuvent apprendre à lire à tous les mannequins,
professeurs en Sorbonne ou d’universités [sic] 53…
Champs de bataille
chez cet amoureux du terroir un guide plus sûr, et s’enrôle par « haine
de ce qu’on nomme de nos jours l’intellectualisme » 4.
Bourrage de crâne
La guerre fait trembler sur ses bases le culte positiviste établi par
la République. Le savant patriote est certes porté au pinacle et, en
rapprochant les anti-intellectualistes conservateurs des dreyfusards qui
soutiennent la mobilisation 5, l’Union sacrée démantèle les camps formés
pendant l’affaire Dreyfus et la crise de la « Nouvelle Sorbonne » ; mais la
germanophobie qu’elles avaient mise au jour s’intensifie. Elle se cristallise
notamment autour des figures du professeur et du savant allemands 6,
avant de se voir élargie à mesure que le conflit dévoile l’atrocité de
certaines inventions martiales. Devant l’Académie des sciences morales
et politiques, qu’il préside, Bergson diabolise ainsi la science allemande.
En renonçant au principe de désintéressement pour soutenir l’industrie
martiale, les intellectuels d’outre-Rhin auraient naguère pactisé avec
Bismarck, ce « génie du mal ». Par soif de conquête et appât du gain,
ils auraient donné à la brutalité une justification « théori[que] » bientôt
acceptée par tous : ce crime prémédité met au service de la mécanique
guerrière les « forces de la civilisation » 7 normalement destinées à
enrayer la violence. Bergson a choisi son camp ; il n’ignore pas que
ce camp a lui aussi ses propagandistes (dont il fait partie) et ses inven-
teurs 8, mais considère l’Allemagne responsable du conflit, et assume
ce partage d’autant plus caricatural qu’il distingue moins la recherche
fondamentale de la recherche appliquée que l’esprit de la barbarie…
Les élites culturelles françaises ne sont pas à l’abri. Leur contribution
au « bourrage de crâne » comme la maladresse des intellectuels sur le
champ de bataille suscitent par ailleurs des critiques que ni la répression
ni la censure ne parviennent à étouffer. Celles qui touchent aux inter-
ventions publiques des intellectuels émanent aussi bien de partisans de
l’entrée en guerre que d’antimilitaristes ou de pacifistes. Romain Rolland
(1866-1944) et Julien Benda (1867-1956), que Péguy a tenus dans une
proximité houleuse, illustrent cette double postulation. Aucun n’admet
que les intellectuels compromettent, en s’engageant, les universaux que
l’un baptise Esprit, l’autre Raison. Que de choses séparent pourtant ces
anciens contributeurs des Cahiers de la quinzaine ! Benda, farouche
rationaliste qui a milité en faveur de la révision du procès Dreyfus, ne
s’oppose pas à la guerre ; quand éclate le conflit, Rolland, qui a tenu les
dreyfusards à distance et condamné le conformisme esthétique de son
temps, porte quant à lui la voix de la « dissidence 9 ». S’il faut attendre
la fin des années 1920 pour que Benda, éternel déçu quoiqu’il soit
bien introduit dans les milieux littéraires – le finaliste malheureux du
Goncourt 1912 a échoué à Polytechnique et abandonné sa formation à
l’École centrale, mais publie chez Grasset, dans la NRF –, reproche aux
clercs d’avoir trahi leur vocation à défendre les valeurs universelles, son
Belphégor, mûri pendant les combats, signale toutefois que, sous l’effet
d’une « haine de l’intelligence », la progression des approches sensitives
(romantisme, bergsonisme) a congédié les « esprit[s] puissant[s] » 10 au
profit d’ersatz mondains.
Le normalien Rolland, agrégé d’histoire spécialiste des arts, s’est
quant à lui distingué en publiant dans les Cahiers de la quinzaine, après
son manifeste en faveur d’un théâtre du peuple, un hymne à la culture
européenne, Jean-Christophe (1904-1912). Révulsé à l’idée que ladite
culture soit bafouée par le conflit qui oppose l’Allemagne à la France,
Rolland confie au Journal de Genève les huit articles que réunit Au-dessus
de la mêlée (1915). Malgré sa relative pondération, ce volume convertit
son auteur en cible des nationalistes. En 1916, le prix Nobel de litté-
rature assoit la stature que les circonstances ont conférée à Rolland.
Réfugié en Suisse, d’où il anime un véritable réseau, ce vitaliste 11 est
en effet tenu pour l’héritier de l’intellectuel dreyfusard auquel il avait
jadis refusé de s’identifier.
Les rhétoriques à l’œuvre durant l’affaire Dreyfus et la crise de la
« Nouvelle Sorbonne » sont ainsi investies par de nouveaux acteurs :
Benda et Rolland se réclament d’un universalisme que, parmi leurs
adversaires, peu contestent, tant ces derniers identifient le combat pour
la France au combat en faveur des valeurs universelles. Les dreyfusards
qui, en 1911, promouvaient les méthodes allemandes ont désormais rejoint
les défenseurs de la culture française, identifiée à la culture classique,
elle-même artificiellement confondue avec l’universalisme. Un rappro-
chement qu’imposent un peu plus les réactions au manifeste Aufruf an
die Kulturwelt daté du 3 octobre 1914. En replaçant ce texte au cœur du
maillage de citations, de traductions et de réponses qu’il a générées en
France, Anne Rasmussen a exposé comment, dès le début de la Grande
Guerre, il a façonné le stéréotype de l’« intellectuel collectif allemand »,
et produit « la constitution en retour d’entités nationales symétriques » 12.
Le monde académique français, traversé de fortes tensions, a ainsi
[…] il est faux […] qu’il n’y ait rien de spirituel et de moral dans l’effort
allemand ; […] il est très dangereux d’exalter la libre spontanéité etc.
par opposition à l’organisation massive ; ces antithèses absolues où se
plaît le philosophe, même celui de la continuité et du « réel » sont des
Sans savoir qu’il vit ses dernières semaines, Hertz fera encore l’éloge
du fatalisme presque religieux dont font preuve les « petits troupiers » « qui
y voient clair, qui ne se laissent pas “bourrer le crâne” et qui acceptent
tout résolument sans faire usage de leur raison si éveillée et si vive, parce
qu’il le faut ». Il conclura alors : « C’est une bénédiction de vivre parmi
eux, surtout pour un Juif 46. » Dans Histoire d’un sacrifice, Nicolas Mariot
a retracé avec finesse la manière dont chez Hertz, naturalisé français tardi-
vement (son père venait d’Allemagne), la judéité affermit l’engagement.
Conditionne-t-elle aussi la réaction anti-intellectualiste ? L’hypothèse
tiendrait si, dans la citation précédente, l’ajout final renvoyait implici-
tement à la figure du Juif talmudique, qui lit depuis des millénaires…
Finalement, dans les derniers mois de sa vie, Hertz souligne et légitime
ses réflexions sur l’éducation – une voie où il aimerait s’engager s’il
survit : « […] les fiches et l’écrivaillerie enfermé dans un cabinet de travail,
j’ai peur que cela ne me paraisse plus encore qu’auparavant confiné
et poussiéreux 47 », imagine-t-il. À mesure que la guerre dure, il perçoit
en effet plus nettement les limites de l’instruction telle qu’elle est
proposée, et le rôle que sa femme (et lui) pourraient jouer dans la « chaîne
ininterrompue d’efforts français pour briser le moule scholastique 48 ».
Relever la tête
L’esprit et la lettre
Connaître Dieu
[…] l’expression n’est pas de nous, elle est vôtre, nous vous la laissons.
C’est dommage tout de même que vous changiez le nom de votre
auberge. On se représentait ces malheureux intellectuels exhibant, sous
le porche de la Chartreuse, leur certificat médical qui, les classant parmi
les fatigués, leur donnait droit à une cellule. C’était d’un si gros ridicule
que même vous, Monsieur Perrier, avez dû y renoncer 53.
[…] j’ai trop de bon sang dans les veines pour me sentir intellectuel
parmi les gens qui travaillent adroitement et généreusement de leurs
mains, je hais le peu que je sais dès que le savoir menace de m’éloigner
des hommes au lieu de m’en rapprocher 74.
Un bolchevik chrétien
J’ai envie de répondre à Victor [Serge] que, si ce qu’il dit était vrai, ce
serait une preuve que notre société est ouvrière et paysanne autrement
qu’en paroles. Je ne veux pas supprimer les vrais et utiles savants, même
les écrivains ; mais il y en a une masse qui ne sont qu’un fardeau pour le
peuple ; si on les payait moins, un tri s’opérerait. Le travail intellectuel
a assez d’attraits par lui-même pour recruter. On n’a jamais rien essayé
pour mêler le travail manuel et le travail intellectuel. La plus grande
faillite du régime est justement dans l’organisation du travail 101.
Il n’est pas spécialisé comme l’homme des villes, il doit tout savoir du milieu
où il est placé, afin d’en tirer sa subsistance. Ce milieu, c’est, ici, et la terre
et la forêt, et cette science n’est pas faite seulement d’apports ances-
traux, de routine, elle exige constamment observation, appréciation,
prévision, initiative.
L’ouvriérisme en débat
Comment, au sein d’un parti de classe, former des cadres sans repro-
duire la division entre intellectuels et manuels, c’est-à-dire risquer
de perpétuer les hiérarchies qu’on prétend justement abolir ? Très tôt, le
PCF se heurte à la difficulté de consolider son appareil politique s’il se
prive des intellectuels. Il multiplie donc les stratégies : d’abord, pendant
la bolchevisation, il intègre de brillants éléments, quitte à maquiller leurs
origines ; ensuite, face à la barbarie nazie, il revendique la supériorité
de la culture communiste.
Faire « peuple »
Lui, il savait tout. Je comprenais au fond qu’une chose, c’est que j’étais
[…] méprisé de partout, même par la morale des Romains, par Cicéron,
par tout l’Empire et les Anciens… Il savait tout ça mon papa… Il avait
plus un seul doute…
Coups de force
guerre civile bat son plein, de visiter la Chine, ils feraient mieux, estime
Drieu, de se concentrer sur les « besoins humains » du travailleur français.
Redonner au « métier » toute sa place, comme le prône le PPF, devrait
favoriser l’avènement d’une « république syndicaliste, coopérative,
corporatiste » où les « chefs d’entreprise seront enfin appelés à prendre
leur responsabilité morale à l’égard de leurs hommes. Ils y parviendront
parce qu’avec ces hommes, ils auront discuté et eux-mêmes façonné
les lois en forme de contrat qu’ils auront à appliquer ». Quand les
métiers exerceront « leurs lois », comme le suggère Doriot, les inégalités
sociales se tasseront. L’expertise d’un simple garagiste vaudra autant
que celle du ministre de l’Économie s’il peut faire « profiter toute la
France de sa compétence particulière » en « parlant dans une réunion
locale de l’industrie automobile », alors qu’en tant que citoyen, réduit
au seul pouvoir du vote, il voit sa compétence ignorée, et son pouvoir
d’influence réduit à néant.
Les intellectuels, s’ils acceptent de mettre leurs compétences au service
de la communauté qu’espère rassembler le PPF, sont les bienvenus ; encore
faut-il que, cessant de tergiverser, ils adoptent une langue franche. Aux
romans sur la guerre d’Espagne, Drieu préfère ainsi le récit que d’anciens
ouvriers des Brigades internationales ont fait au Théâtre de Saint-Denis :
« […] les faits simples, nus, enchaînés dans la logique qui préside aux
actions humaines », un vrai morceau de « littérature populaire ». Il cite
également l’exemple de son ami écrivain Jean Fontenoy, passé du PCF
au PPF, après avoir voyagé en Chine et en Russie : ce boursier, auquel
l’École normale supérieure avait « appris à se ficher de tout, à renier sa
simple et bonne souche de paysan français et à faire le flambart qui a lu
tous les livres », rentre en France remonté contre les socialistes norma-
liens persuadés, comme Édouard Herriot, que « toute [l]a vie on peut
jouer entre le oui et le non ».
Doriot, que Drieu peint en orateur titanesque, parle au contraire cru
et dru. Au premier congrès du PPF, le « fils [de] forgeron », l’« ancien
métallurgiste », remonte ses manches. Lui qui a tâté du feu et de l’aventure
(il aurait participé à l’insurrection de Béla Kun en Hongrie et à l’expé-
dition de Fiume) se dresse « dans la houle de ses épaules et de ses reins,
dans le hérissement de sa toison, dans la vaste sueur de son front ». Son
« discours puissant » « étreint dans ses articulations musclées tour à tour
chacun des problèmes qui nous pèsent sur le cœur ». Ce bon vivant
en impose, quoiqu’il ne puisse se passer de verres correctifs – ce que
Drieu tient pour une défaillance, comme le font ailleurs les fascistes.
Pour que voie le jour une « France nouvelle », Pétain compte ratio-
naliser l’État à sa manière, avec l’aide de technocrates, et réformer de
fond en comble l’éducation nationale. Décentralisation, enracinement,
autorité devraient favoriser l’émergence d’un esprit moins intellectua-
liste et, de ce fait, moins « individualis[t]e ». Les universités pourront
ouvrir leurs portes à des chercheurs indépendants, des ingénieurs ou
des professionnels extérieurs ; les établissements des degrés inférieurs
seront organisés dans un même souci de « réalis[m]e ». S’il ne met pas
en place, comme en Allemagne nazie, des écoles où la part des exercices
physiques l’emporte sur les contenus intellectuels – réduits à la science
raciale, l’histoire et l’allemand –, le Maréchal s’« attach[e] à détruire le
funeste prestige d’une pseudo-culture purement livresque, conseillère de
paresse et génératrice d’inutilités ». La géographie et les mathématiques
ont leur place dans les petites classes, « mais selon des programmes
simplifiés, dépouillés du caractère encyclopédique et théorique qui les
détournait de leur objet véritable ».
ou articles qui ne sont pas tous diffusés de son vivant, Céline durcit sa
thèse du style – au singulier, comme est singulier son génie – contre
les idées – selon lui, la chose la mieux partagée du monde. Il complète
alors son argumentaire anti-intellectualiste, en élargissant la frise histo-
rique ébauchée dans les pamphlets, et en ajoutant un grief à son argumen-
taire : la place des jésuites dans l’enseignement en France laisse penser
qu’ils sont à l’origine d’une forme d’éloquence dogmatique, modelée sur
le latin. Une tradition d’imitation des classiques qui aurait condamné au
conformisme quiconque a suivi des études secondaires, et s’est préparé
au brevet ou au baccalauréat.
Céline, qui exalte la figure de l’inventeur contre celle de l’imi-
tateur, réclame plus que jamais une littérature franche, mâle, telle que
la pratiquait jadis Villon ; telle que la pratiquent, à l’époque contempo-
raine, Aymé, Morand, Mac Orlan ou Barbusse. C’est parce qu’elle s’est
identifiée aux idées, plutôt qu’au fonds populaire porté par sa langue,
que la France serait tombée en décadence. Le compassé traducteur de
Plutarque ayant eu raison de Rabelais, occupé à préserver ce patri-
moine des assauts des « docteurs », le français d’Amyot se serait imposé
avec l’appui des maîtres jésuites. Puis la civilisation de l’Encyclopédie
aurait introduit ce cartésianisme dont la production littéraire peine à
se départir jusqu’à l’orée du xxe siècle. Il n’y a bien que les existen-
tialistes, les communistes, pour croire qu’on fasse « raisonnablement
un enfant » 76, lorsque raison et création s’excluent l’une l’autre. Dans
un monde frelaté par les usages capitalistes, la langue donnerait accès
à l’authenticité perdue d’un temps légendaire où l’homme privilégiait
l’oralité, pratiquait la poésie, l’épopée. Bien avant, sans doute, que le
sacre des rhéteurs ne marque, dans la Grèce du iiie siècle, le passage de
la poésie à la prose. Un temps où l’homme vivait de rêve, croyait aux
fables, et pouvait espérer devenir autre chose qu’un ouvrier docile ou
un capitaliste écervelé. Dans les années 1950, Céline finit par regretter
le nivellement de la culture et la distribution élargie d’un « super-certi-
ficat d’études 77 » qui donne à beaucoup l’illusion de savoir écrire 78, alors
qu’avoir du style ne s’apprend pas. Cela, les écrivains qui se dispersent
en mondanités ne l’ont toujours pas compris : « Promotions, Sécurité
sociale, Légion d’honneur, pédérastie et messages : ils sortiront jamais
du collège… Toujours au réfectoire à goinfrer [sic], au dortoir à se
border ou se virer après la prière du soir, toujours conditionnés par les
lois de l’école, la grande vacherie des super-mômes… 79 », tonne Céline
en 1965, dans une de ses dernières interviews.
Désunion française
[…] sans nous, tu ne serais rien d’autre qu’une machine à penser, qu’un
vulgaire tambour qui résonne, certes, mais qui sous la peau n’a que du
vent. Pour que tu puisses faire rayonner notre pays, pour que ce que tu
veux traduire soit une réalité, il te faut, comme les racines de l’arbre :
aller chercher la substance au cœur même de la nation 10.
Pour faire taire ceux qui estiment que le poujadisme est mort, les rédac-
teurs de Fraternité française composent alors Poujade cet inconnu.
Ce manuel de propagande se propose de rétablir la vérité en donnant
à connaître la vie et l’œuvre du chef charismatique, photos à l’appui.
Ce dernier, qui parlerait à tous, est d’emblée opposé à de Gaulle, rencontré
à l’automne 1957. Le général, issu d’une famille de lettrés, lui-même
écrivain à ses heures (le premier tome de ses Mémoires est paru en
1954), y fait figure de « philosophe qui tourne en rond dans le cercle
de ses idées », tandis que Poujade apparaît, lui, en « homme d’action » :
Les vrais assassins […] ne sont pas les rebelles. Ce sont les intellec-
tuels et les politiciens français qui, depuis toujours, ont soutenu la cause
des tueurs 27.
La question
de mon cul. » Abd-el-Kader Belhadj, étudiant lui aussi, est accueilli par
des policiers qui s’amusent à faire du stylo un outil de torture 33. Alors
qu’il apporte des papiers d’identité à son frère, Djamal Amrani, dont le
père a bravement combattu pour la France pendant la Seconde Guerre
mondiale, est arrêté dans la rue pendant la grève générale de 1957,
en pleine loi martiale. Dès qu’il arrive à la villa Sésini, un adjudant
reconnaît en lui un « étudiant » (il a en effet entamé avant la grève des
études de sciences expérimentales). Le 5 février 1957, un lieutenant – qui
le nomme « l’intellectuel de la bande » – lui broie l’annulaire droit pendant
qu’il l’interroge sur ce qu’ont écrit Montaigne et Montesquieu. Il lui
fait égrener la bibliographie du baron de La Brède jusqu’à De l’esprit
des lois. Après quoi il lance : « L’Esprit des lois, tu ferais bien de le
connaître un peu mieux. Déshabille-toi » 34, et le soumet au supplice de
l’électricité. À la souffrance physique s’ajoute un profond boulever-
sement psychologique lorsque le tortionnaire se convertit en exami-
nateur sadique qui détourne les mots et les références. Il brouille ainsi les
partages habituels, puisqu’il endosse à la fois le rôle du militaire brutal
et celui de l’intellectuel en surplomb, qui pose les questions/soumet à
la question. Dans cet exercice d’humiliation, D. Amrani, qui a étudié
l’humanisme et les Lumières au lycée Bugeaud, est sommé de justifier
son statut de bachelier. Son bourreau supporte mal, sans doute, qu’un
indigène ait pu avoir un tel parcours ; il compte bien lui montrer de quel
côté sont l’autorité et la culture. Même juste, la réponse se retourne
contre son auteur : lui qui pensait que la connaissance l’émanciperait
se trouve tourmenté par elle, au pays des Lumières. Le lieutenant sait
peut-être que les nationalistes algériens invoquent Montesquieu pour
dénoncer la politique française 35. Il n’ignore pas en tout cas que De
l’esprit des lois conçoit chaque législation en lien avec des conditions
géographiques et historiques précises – ce qui, à ses yeux, autorise la
torture des populations colonisées si elles se rebellent. Il espère bien faire
sentir à D. Amrani ce qu’est « L’Esprit des lois » (ici sans italique, parce
qu’il désigne l’esprit plus que la lettre, c’est-à-dire l’interprétation du
tortionnaire). La référence aux Lumières se charge d’une ironie sinistre
quand on se souvient qu’un Jaucourt, à l’entrée « Question (Procédure
criminelle) » de l’Encyclopédie, jugeait la torture contraire à l’humanité.
Ces témoignages, qui seront repris en 1960 dans La Pacification et
Le Témoin, s’ajoutent à celui qu’Henri Alleg a consigné dans La Question
(1958), livre lui aussi interdit en France. Alleg, arrêté juste après son
ami Maurice Audin – assistant en mathématiques à l’université d’Alger,
disparu le 11 juin 1957 alors qu’il avait été arrêté par les parachutistes –,
y rapporte sa rencontre avec le capitaine René Faulques. Ayant envoyé
valser les lunettes de sa victime, le redoutable tortionnaire de la villa
Sésini se contente finalement de cracher son fiel sur « les écrivains,
les peintres communistes ou libéraux et les intellectuels en général »,
« avec beaucoup d’ignorance et une telle haine qu’elle transform[e] les
expressions de son visage, très mobile, en autant de rictus ». Ailleurs,
Alleg relate comment un para, voyant qu’il tenait bon, lui a « dit ironi-
quement, alors qu[’il] étai[t] encore incapable de [s]e lever : “C’est
dommage, tu aurais pu en raconter des choses, de quoi faire un gros
bouquin !” » 36. Une manière de discréditer à la fois les pratiques intellec-
tuelles et les pratiques de résistance, comme dans le supplice du stylo.
Les bourreaux se qualifient eux-mêmes de « spécialistes » ; par
sarcasme, le mot est parfois lancé au visage des intellectuels, cette
autre catégorie de spécialistes (n’est-ce pas ainsi que Staline les avait
désignés au moment des purges ?). Moussa Khebaïli, étudiant à l’École
des travaux publics, brutalisé lui aussi à la DST, a le courage de répondre
aux hommes qui lui demandent s’il sait où il est : « Chez les “intellec-
tuels” 37 » ; il renverse donc l’offense en jouant à son tour de l’ironie.
« Intellectuels » fonctionne en effet ici comme un synonyme implicite
de « spécialistes » ; il signale le détournement linguistique opéré par les
autorités françaises pendant la « pacification ».
À l’automne 1960, nouveau tour d’écrou : saisies, arrestations, annu
lation de sursis d’incorporation pour études. Tandis que se tient le procès
des soutiens du FLN rassemblés en réseau autour du philosophe Francis
Jeanson, gérant des Temps modernes, les manifestants défilant sur les
Champs-Élysées appellent à fusiller Sartre. Le gouvernement engage
une information contre X, inculpe une trentaine de personnes (l’une
d’elles est arrêtée), révoque et suspend des professeurs après la publi-
cation d’une « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre
d’Algérie », bientôt surnommée « Manifeste des 121 » en référence au
nombre des premiers signataires. Cette mise en accusation globale, qui
rappelle les grandes heures de l’affaire Dreyfus, est le résultat d’arbi-
trages internes qui n’ont pas convaincu tous les intellectuels opposés
à la répression (s’en dissocient les compagnons d’Esprit, ou ceux
d’Arguments, qui préfèrent se dire « philosophes » plutôt qu’« intel-
lectuels »). Leurs adversaires réagissent sur le même mode, en signant
dans Le Monde et Le Figaro un contre-manifeste. Les Hussards et Jules
Romains – veut-il faire oublier qu’il incarnait le « mauvais maître » sous
Alors que la « chasse aux sorcières » bat son plein aux États-Unis
(qu’en 1954, le Sénat ait rappelé à l’ordre Joseph McCarthy n’y a pas
mis un terme), la France exorcise à sa manière sa peur du rouge. Sur fond
de guerre d’indépendance algérienne, menaces de mort, perquisitions,
saisies d’ouvrages, emprisonnements, sévices, assassinats touchent, en
métropole comme dans les colonies, les militants indépendantistes et les
intellectuels qui dénoncent les manœuvres de l’État. Tous ne sont pas
communistes. Tandis que dans l’arène politique Pierre Poujade donne
libre cours à sa haine des élites, les intellectuels essuient une vaste
campagne de répression orchestrée par le gouvernement. L’anti-in-
tellectualisme français atteint alors des sommets de violence. Cette
dernière marque le corps des victimes, celui de la nation, et le discours
de l’extrême droite qui, après la décolonisation, prolongera les combats
en traquant désormais le « terrorisme intellectuel ».
on sait les griefs que retiennent contre lui plusieurs théoriciens révolu-
tionnaires, dont Sorel et Berth. Benny Lévy admet le caractère quelque
peu « ironiqu[e] » de ce patronage. Il le justifie toutefois par l’action
pédagogique du philosophe et son goût du dialogue comme ouverture
à l’autre. De ce point de vue, remarque-t-il, la maïeutique socratique
a souvent été mal comprise, puisque « “[c]onnais-toi toi-même” […]
a fini par signifier “rentre en toi-même” ». Dûment réhabilité, Socrate
apparaît comme un « amoureux du savoir » partagé, qui invite Benny
Lévy à nuancer ses anciennes positions :
La voie chinoise
Nous désirions de toutes nos forces nous baigner dans l’idiotie et geler
complètement notre esprit trop familier des gymnastiques intellectuelles
Mais, dans ses mémoires, il dit avoir été stupéfié qu’à la rédaction
de La Cause du peuple – l’organe de la Gauche prolétarienne, qu’il
dirige à partir de novembre 1968 – un membre ait pu souhaiter que tous
« fa[ssent] de [leur] cerveau une casserole vide ! » 15.
Crève salope
Étudiants, vous êtes des cons impuissants (cela nous le savons déjà),
mais vous le resterez tant que vous n’aurez pas : – cassé la gueule à vos
profs ; – enculé tous vos curés ; – foutu le feu à la faculté. NON, Nicolas,
la Commune n’est pas morte.
que, pour lui, l’idée n’est pas dissociable du corps, et même qu’elle est
« jouissance » 33 ; ces lignes, écrites après 68, n’invitent-elles pas à penser
sans entraves – intellectualiste comme anti-intellectualiste ?
Les pamphlets de Nizan connaissent eux aussi une nouvelle jeunesse
à partir des années 1960. Renaissance timide, qu’amorce la réédition
d’Aden Arabie chez Maspero. Le succès du livre, porté par la préface
où Sartre réhabilite son camarade diffamé, ne signifie pas que le public
soit acquis à Nizan. Ni à l’anti-intellectualisme, d’ailleurs ; le discours
anticolonial dont Sartre se fait le porte-voix séduit bien plus. Le jeune
Maspero republie ensuite Les Chiens de garde, qui accompagne la
contestation du système universitaire. La période encourage Maspero
à rééditer ce futur bréviaire des luttes étudiantes. Communiste élevé
dans une famille d’universitaires prestigieux, Maspero est un héritier ;
mais une scolarité chaotique le rend sensible aux Chiens de garde, qui
en « dévalu[ant] la réussite intellectuelle dès lors qu’elle est coupée de
l’action ne p[ouvait] que réévaluer subjectivement “l’action intellec-
tuelle”, même lorsqu’elle prend la forme d’un “commerce” 34 » comme
celui de la librairie. Le texte « suppose, pour être “actualisé” par le
lecteur, une transposition à l’université des années soixante, alors que
l’explosion scolaire n’a pas encore produit ses effets sur l’enseignement
supérieur » ; la greffe prend.
Au sortir du printemps, les revendications anti-intellectualistes
persistent sous la forme d’un ouvriérisme plus ou moins dilué. Sheila
s’enorgueillit de n’être « qu’une petite fille de Français moyen » ; la
chanson signée Georges Aber et Jacques Monty sera l’un des succès
musicaux de l’année 1968. Celle qui interprétait cinq ans plus tôt « L’école
est finie » a changé de look et de ton. Même enveloppée dans un anti-in-
tellectualisme de bon sens, la méfiance envers les pratiques ostentatoires
des élites culturelles ne fait pas de Sheila une pasionaria ; d’aucuns
n’apprécient pas en effet son éloge antibourgeois du travail manuel et
de « l’expérience » qui « vient avec le temps » 35.
De leur côté, les militants de l’UJC (ml) – dissoute en juin 1968 sur
ordre du ministère de l’Intérieur – prolongent leur engagement ouvrié-
riste au sein d’autres formations, dont la Gauche prolétarienne, tout en
se diluant dans la « contre-culture 36 » qui fait l’apologie du désir et qui,
au contact de l’underground, construit un au-delà de la lutte des classes
dans la valorisation d’espaces utopiques. Sont alors exaltées toutes les
marginalités : spatiale (voyage et retour à la terre) ; temporelle (primiti-
visme ou anticipation) ; spirituelle (prise de psychotropes et valorisation
Retour de bâton
Sur un plateau
États d’urgence
sont remplacés par des contrats à durée déterminée. Outrés par une mesure
qui bride le rayonnement international de tout un secteur en fragilisant
un corps, les directeurs des laboratoires publics démissionnent massi-
vement le 9 mars. De leur côté, les intermittents du spectacle réagissent
à la négociation, le 27 juin, d’une réforme de leur assurance-chômage,
qui condamne un tiers d’entre eux à la radiation. Ils se disent prêts à
interrompre les festivals estivaux.
Autant d’opérations destinées à se faire entendre d’un gouvernement
qui fait la sourde oreille, alors qu’il a épaulé buralistes et restaurateurs
en débloquant un milliard d’euros pour combler la diminution du chiffre
d’affaires sur la vente des cigarettes, et en baissant la TVA des restau-
rants à 5 %. Le 19 février 2004, Raffarin donne sa « Réponse à “l’appel
contre la guerre à l’intelligence” : l’immobilisme n’est pas une solution ! »
sur le site du club de réflexion « Dialogue et initiatives », geste destiné
à réduire la mobilisation à un épiphénomène parisien. Il adapte à cette
occasion la formule giscardienne qui avait mis la gauche mitterran-
dienne au tapis (« vous n’avez pas le monopole du cœur »), en accusant
les signataires dudit appel de se réserver le « monopole de l’intelli-
gence ». Le coup porte 13. Deux semaines plus tard, s’autorisant de son
expérience d’ancien ministre des Petites et Moyennes Entreprises, du
Commerce et de l’Artisanat, il clôture la convention de la Fédération
française du bâtiment en louant la « conscience intellectuelle et [la]
capacité cérébrale » des travailleurs de pointe, affirmant que « l’intel-
ligence de la main » « n’a pas de complexe à avoir, […] parce qu’elle
communique directement avec le cœur » 14.
Qu’on monopolise l’intelligence fâche toujours autant, à gauche
comme à droite ; pendant plusieurs mois, la contre-offensive à l’appel
des Inrockuptibles témoigne de cet agacement, et révèle la labilité de
débats où les adversaires se rejettent les mêmes griefs. Le rédacteur en
chef d’Alternatives économiques reproche aux signataires de faire le jeu
de leurs adversaires, en favorisant le « poujadisme 15 ». Le député UMP
Renaud Donnedieu de Vabres les accuse à son tour d’encourager le Front
national. On crie à l’électoralisation du débat. Coiffée de chapeaux réduc-
teurs, exploitant une éloquence que certains qualifient de « pompière »,
la pétition « contre la guerre à l’intelligence » paraît aussi simplificatrice
que le discours qu’elle dénonce, ne serait-ce que parce qu’elle prétend
les « intelligents » marginalisés, sans interroger leur contribution à « la
réussite politique et journalistique du discours néolibéral, [ou] le bilan
des hommes politiques “intelligents” jadis au pouvoir 16 ».
Évidemment, si l’on ne veut pas voir cela, je vous remercie d’être venu,
il y a de la lumière, c’est chauffé… On peut continuer, on peut écrire.
C’est une réalité et si la réalité est désagréable, ce n’est pas désagréable
parce que je le dis, c’est désagréable parce qu’elle est la réalité, c’est
quand même ça qu’il faut voir. Arrêtez de considérer comme sacrilège
celui qui dit une chose et voir si c’est la réalité [sic]. C’est la réalité
qu’il faut contester dans ce cas-là 42.
véhicule de police. Bien que tous les locaux attaqués ne représentent pas
l’autorité de l’État ou du savoir, plusieurs commentateurs rapportent cet
acte à une forme d’anti-intellectualisme qui prospérerait dans les milieux
populaires, notamment en banlieue, chez les descendants d’immigrés.
Sans cacher leur malaise face à la destruction des symboles de la mérito-
cratie, la journaliste Caroline Fourest et Safia Lebdi, cofondatrice des
Insoumis-es – qui se présente comme une association féministe antira-
ciste de terrain –, estiment que l’anti-intellectualisme n’est pas de ce côté
du périphérique. Elles s’indignent qu’un président qui « veut supprimer
des dizaines de milliers de postes d’enseignants alors qu’il faudrait en
embaucher pour faire baisser le nombre d’élèves par classe dans les
quartiers populaires… Pour les accompagner et leur redonner ce goût
de l’école que certains ont perdu et font même flamber » considère que
réfléchir aux causes de cette violence revienne à « expliquer l’inexpli-
cable » et « excuser l’inexcusable » 44. Sarkozy, friand de ces tautologies
qui dispensent d’argumenter, n’est certes pas le premier à incriminer la
« culture de l’excuse » ; cette expression attestée depuis près de quinze
ans dans le discours politico-médiatique français revient massivement
depuis la présidentielle de 2002 45. Sarkozy l’a d’ailleurs déjà utilisée à
propos d’autres émeutes urbaines lorsqu’il était ministre de l’Intérieur.
À chaque pic sécuritaire, elle accompagne la dénonciation de la
sociologie et de ceux qui la pratiquent. Ce discours ne s’apparente que de
loin à l’antisociologisme qu’ont professé, au tournant du xixe siècle ou
dans l’entre-deux-guerres, des individus d’horizons politiques contrastés
(Sorel, Lasserre, Mgr Simon Deploige), et qui a été notamment diffusé
par des normaliens (Nizan, Brasillach, Sartre) de formation philoso-
phique – cette discipline supportant mal la concurrence de la science
sociale. Bien établie désormais à l’Université, la sociologie est attaquée
pour la prétendue hégémonie intellectuelle qu’elle aurait acquise après
Mai 68. Fin 2015, dans un pays en état d’urgence après qu’une seconde
vague d’attentats terroristes a touché Paris, un Premier ministre socia-
liste s’en prend à elle. S’accommodant d’une rhétorique éprouvée à
droite dans les interventions sur les banlieues, Manuel Valls refuse
d’« expliquer » le jihadisme, sous le prétexte que ce serait « déjà vouloir
un peu excuser » l’inexcusable. Il lie ainsi implicitement le terrorisme
à la délinquance suburbaine. D’aucuns ont observé que son antisocio-
logisme tardif prenait le contre-pied de déclarations qu’il avait faites
après les premiers attentats, ce qui suggérerait de sa part une forme
d’opportunisme, voire d’électoralisme 46. Quoi qu’il en soit, le chef du
Dans les pays socialistes, on appelle ça les gens qui viennent peindre
l’usine. Ce ne sont pas des sociologues, je suis désolé. Pour moi c’est
pas des collègues, ce sont, ce sont des casseurs de métier, des jaunes.
[…] J’en ai rien à foutre de leur existence, ils ne me gênent en rien, sauf
qu’ils peuvent légitimer une certaine révolte générique contre le discours
des sociologues et ils peuvent justifier un anti-intellectualisme. […]
Le mouvement ouvrier français a crevé de cet anti-intellectualisme. Le
mouvement ouvrier français a été fondé sur une espèce d’ouvriérisme
qui autorisait les dirigeants à être bêtes et à demander la bêtise au nom
de la discipline de parti. […] parmi les facteurs explicatifs du fait que
le mouvement social ne s’organise pas, il y a cet anti-intellectualisme.
[…] Faites attention de ne pas laisser votre indignation légitime, cent
Ils passent leur vie le regard perdu dans une poubelle, les yeux fixés
dans son trou noir, puis ils affirment que tout a été dit. Dès lors, ils
peuvent courir la planète de colloque en colloque, noircir des pages de
revues confidentielles pendant la durée d’une longue carrière de général
de corps d’armée, soutenir une thèse soporifique et la délayer dans un
ou deux livres tout aussi dormitifs et lus par personne, ils seront les
VRP d’une vulgate qui leur vaudra salaire et retraite – avec brimbo-
rions institutionnels, statut hors classe, Légion d’honneur, doctorat
honoris causa, médaille du CNRS et autres sex toys pour abstinents
sexuels.
laisse croire que non : Onfray, salué dans Soumission, rend la pareille
au centuple, en convertissant Houellebecq en grand « éducateur » – « au
sens que Nietzsche donnait à ce mot quand il parlait de Schopen-
hauer » – persécuté par « l’intelligentsia, si prompte dans l’histoire à
jouir de la botte qui lui écrase le visage » 69, pour avoir dénoncé dans
son roman les nouveaux collabos islamophiles. Houellebecq et Onfray
ont mis au service de leurs intérêts le personnage nourri de Schopen-
hauer 70 et de Céline qu’ils se sont créé. Convergent dans ses effets,
leur anti-intellectualisme n’a cependant ni les mêmes motivations ni
la même forme. Ses conditions d’énonciation diffèrent, dans la mesure
où Houellebecq confond – y compris dans ses textes critiques ou en
interview – ses propres positions avec celles de ses créatures littéraires,
brouillage accentué par l’humour et l’ironie 71. En dépit de l’apparente
autorité dont ils se drapent, ses développements théoriques ne prétendent
pas formuler des lois, mais transmettre une vision qu’on ne peut infail-
liblement attribuer à l’écrivain.
Loin de répudier la raison, Houellebecq l’estime insuffisante, car
elle ne permet pas d’accéder à la vérité et de supporter la réalité. Il ne
renonce pas non plus aux savoirs, mais souhaite « redéfini[r] [l]es condi-
tions de la connaissance 72 ». Et pourquoi cracherait-il sur l’Université,
dont il n’est pas issu, avec laquelle il n’a pas de comptes à régler, et où
il a désormais droit de cité, puisque ses romans y sont étudiés ? Contrai-
rement à Onfray, Houellebecq ne tire pas sa fortune médiatique du
rejet de l’académisme ; formé en école d’ingénieurs, il n’a pas traîné
ses guêtres à la fac. L’Alma mater ou le CNRS lui inspirent une
forme de fascination-répulsion, comme en témoignent Les Particules
élémentaires (1998) ou Soumission (2015), qui mettent respectivement
en scène un chercheur en biologie moléculaire et un professeur de lettres
privés depuis longtemps de leur prestige social, et dénués de toute
puissance économique. Inoffensifs, en somme. Leur milieu, comme
tous les autres, est traversé de luttes internes ; mais elles n’affectent pas
directement Houellebecq, contrairement aux rapports de force propres
au champ critique. Les critiques sont, de fait, traités avec plus de férocité
que les universitaires – notamment hors de la fiction. Toutefois, dans
les textes non fictionnels, l’universitaire, le critique et l’intellectuel se
trouvent parfois confondus.
Chez Houellebecq, la satire de telle ou telle profession n’est que la
face immergée d’un anti-intellectualisme philosophique qui se construit
dans la tension entre science et littérature (cette dernière subsumant
Lucien Descaves était jugé aux assises pour avoir commis un roman
antimilitariste.
Sous la fausse linéarité d’une chronologie notamment marquée par
l’évolution de la conception du travail (au modèle compagnonnique
succèdent les modèles industriel et post-industriel), la progression du
discours anti-intellectualiste est moins nette qu’il n’y paraît, même si la
crise algérienne semble encourager les dépositaires du pouvoir d’État
à soutenir les violences faites aux intellectuels. L’intensification de ces
violences n’est pas continue, mais une certaine institutionnalisation
s’observe dans le passage des opérations « coup de force » lancées par
les ligues à la fin du xixe siècle aux destitutions, déportations et purges
ordonnées dans la Russie bolchevique, puis en URSS, en Allemagne
nazie, sous Vichy et pendant la Révolution culturelle. Il est toutefois
rare que les violences qu’encouragent textes et images soient converties
en actes, et l’observateur doit savoir reconnaître la provocation sous la
férocité de propos qui vont jusqu’à l’appel au meurtre.
Que la permanence de certaines oppositions thématiques (faire,
plutôt que dire ; le spirituel contre le temporel), la postérité de telle
citation (Barrès tenant l’intelligence pour une « petite chose » ou Le Bon
définissant l’éducation comme « l’art de faire passer le conscient dans
l’inconscient »), le patronage revendiqué de Proudhon, Maurras ou
Mao ne trompent pas : le discours anti-intellectualiste s’adapte à la
conjoncture historique et aux contextes d’énonciation. L’usage l’emporte
sur la grammaire. Tout en se plaçant dans le sillage des Universités
populaires, Michel Onfray peut ainsi s’approprier le vocabulaire
antidreyfusard. Combien d’autres termes ou syntagmes se voient recon-
vertis ! De manière générale, les polémiques mentionnées donnent à voir
les concurrences à l’œuvre pour le monopole des valeurs auxquelles
renvoient les mots « humanisme », « civilisation », « intelligence »…
Ce dernier terme se trouve au cœur des débats : l’anti-intellectualisme
se présente en effet comme une bataille pour l’autorité que confère
l’« intelligence » dans l’appréhension des réalités sociales. À cet égard,
il est moins une lutte contre l’intelligence supposément incarnée par les
intellectuels que pour la légitimité que confère l’intelligence sociale.
Il importait d’articuler aux circulations repérées sur la longue durée
une analyse synchronique des échanges, qui cerne la genèse et la trans-
formation des diverses positions. S’il s’appuie sur des traditions, l’anti-
intellectualisme tire en effet une grande part de son efficacité à chaud,
en tant que catégorie de démarcation visant à distinguer des ennemis
Introduction
14. Charles Dupin, Essai historique sur les services et les travaux scientifiques
de Gaspard Monge, Paris, Bachelier, 1819, p. 8.
15. « À M. Charles Dupin, député, PROFESSEUR DES OUVRIERS, et membre
de l’Académie des Sciences, les mutuellistes lyonnais », L’Écho de la Fabrique,
9 mars 1834, p. 2-3.
16. Voir François Jarrige, « “Nous ne sommes ni vos élèves ni vos amis” :
Charles Dupin face à la presse ouvrière sous la monarchie de Juillet », in Carole
Christen et François Vatin (dir.), Charles Dupin (1784-1873). Ingénieur, savant,
économiste, pédagogue et parlementaire du Premier au Second Empire, Rennes,
PUR, 2009, p. 223-234.
17. Cyrille Simonnet, « Le théorème contre le practème », Dessin/Chantier,
École d’architecture de Grenoble, n° 1, 1982, p. 11.
18. A. Perdiguier, « À propos d’une opinion de MM. Arago et Dupin », art. cit.,
p. 69-70.
19. Corinne Delmas, « Charles Dupin, académicien des Sciences morales et
politiques », in Charles Dupin (1784-1873), op. cit., p. 69 sq.
20. Voir Jean Briquet, Agricol Perdiguier, compagnon du Tour de France et
représentant du peuple, 1805-1875, Paris, Éditions de la Butte-aux-Cailles, 1981
[M. Rivière, 1955], p. 242-243.
21. A. Perdiguier, Discours du citoyen Agricol Perdiguier, représentant du
peuple, sur la fixation des heures de Travail, prononcé à l’Assemblée nationale le
8 septembre 1848, Paris, Marcel, 1849, p. 14, p. 15, p. 11, p. 9.
22. Id., Statistique du salaire des ouvriers : en réponse à M. Thiers et autres
économistes de la même école, Paris, La Révolution démocratique et sociale, 1849.
23. Id., Discours […] sur la fixation des heures de Travail, op. cit., p. 6.
24. Karl Marx, Le Capital. Critique de l’économie politique, livre premier,
4e édition allemande, édition sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre, Paris,
PUF, 1993, p. 338.
25. A. Perdiguier, Mémoires d’un compagnon [1854-1855], introduction d’Alain
Faure, Paris, Maspero, 1977, p. 328-329.
26. Id., lettre à Duquesne, 18 novembre 1843, La Ruche populaire. Première
tribune et revue mensuelle rédigée et publiée par des ouvriers, février 1844, p. 17,
p. 15.
27. Id., Question vitale sur le compagnonnage et la classe ouvrière, Paris,
Dentu, 1863 [1861], p. 105, p. 98.
28. Jacques Rancière, La Nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier, Paris,
Fayard, « Pluriel », 2012 [1981], p. 58. Sur la précarité à laquelle sont contraints
les typographes, voir p. 79.
29. Pierre-Joseph Proudhon, Système des contradictions économiques ou Philo-
sophie de la misère, Paris, Guillaumin et Cie, 1846, t. 1, p. 135, p. 136, p. 132, p. 136.
30. Voir Jean-Christophe Angaut, « Conflit, anarchie et démocratie : en repartant
de Proudhon », Astérion, n° 13, 2015, en ligne.
31. Voir Georges Navet, « Les Lumières et l’atelier », in L’Éducation : Proudhon,
proudhonisme, Paris, Société P.-J. Proudhon, « Cahiers de la Société P.-J. Proudhon »,
1995, p. 35-47.
32. Voir Pierre Haubtmann, Pierre-Joseph Proudhon. Sa vie et sa pensée (1809-
1849), Paris, Beauchesne, 1982, p. 27-28.
48. Ibid., p. 1058-1059.
49. Ibid., p. 1034-1035, p. 1038, p. 1053.
50. Id., « Ce que la Révolution doit à la Littérature », Le Peuple, 27 mai 1848,
p. 1. Repris dans Idées révolutionnaires, Paris, Garnier Frères, 1849, p. 48.
51. Id., Les Majorats littéraires. Examen d’un projet de loi ayant pour but de
créer au profit des auteurs, inventeurs et artistes, un monopole perpétuel, Bruxelles,
Office de publicité, 1862, p. 16.
52. Id., Correspondance, Paris, A. Lacroix, 1875, 14 t. : à Gustave Chaudey,
Ixelles, 22 septembre 1861, t. 14, p. 201 ; à M. Darimon, Bruxelles, 14 juin 1862,
t. 12, p. 127 ; à MM. Garnier frères, Bruxelles, 11 mars 1862, t. 12, p. 24 ; à
M. le rédacteur de L’Office de publicité, Bruxelles, avril 1862, ibid., p. 33.
53. Voir Dominique Sagot-Duvauroux, « La propriété intellectuelle, c’est le
vol ! Le débat sur le droit d’auteur au milieu du xixe siècle », L’Économie politique,
vol. 22, n° 2, 2004, p. 34-52.
54. Voir Roger Bellet, « Jules Vallès et le Livre : l’encre et le sang », Roman-
tisme, n° 44, 2e trimestre 1984, p. 61.
55. Jacques Girault, « Les étudiants et la Commune », La Nouvelle Critique,
numéro spécial Expériences et langage de la Commune, mars 1971, p. 96-97.
56. Voir François Marotin, Les Années de formation de Jules Vallès (1845-
1867). Histoire d’une génération, Paris, L’Harmattan, 1997.
57. Cécile Robelin, « Proudhon et Vallès. Une question d’autorité », in Sarah
Al-Matary (dir.), Autour de Vallès, n° 46, décembre 2016, p. 13.
58. Sauf mention contraire, toutes les références sont tirées de Jules Vallès,
Œuvres, édition de Roger Bellet, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade »,
2 t. (respectivement 1975 et 1990). Ici : L’Argent, par un homme de lettres devenu
homme de bourse, t. 1, p. 19, p. 8.
59. Alain Vaillant, « La bohème, mythe et réalités », La Vie intellectuelle en
France, op. cit., t. 1, p. 272.
60. J. Vallès, L’Argent, op. cit., p. 36, p. 30.
61. Id., « Les Victimes du livre », Le Figaro, 9 octobre 1862, repris dans Les
Réfractaires, t. 1, p. 230 sq. Voir à ce propos Roger Bellet, « Jules Vallès et les
Victimes du Livre » [1985], in Dans le creuset littéraire du xixe siècle, Tusson, Du
Lérot, 1995, p. 85-92 ; Corinne Saminadayar-Perrin et Florence Thérond (dir.),
« La mort du livre », Autour de Vallès, n° 45, décembre 2015.
62. J. Vallès, « Demain seulement… », L’Époque, 2 août 1865, puis La Rue,
op. cit., t. 1, p. 779.
63. Id., « Une poignée de monstres », Le Figaro, 17 août 1865, et L’Événement,
23 mars 1866, puis La Rue, repris dans Œuvres complètes de Jules Vallès publiées
sous la direction de Lucien Scheler, préface et notes de Pierre Pillu, Paris, Les
Éditeurs français réunis, 1969, p. 156.
64. Id., « Les chanteurs ambulants », L’Événement, 28 février 1866, puis La
Rue, op. cit., p. 171 ; « Le Bachelier géant », chapitre des Réfractaires (op. cit.,
p. 264 sq.), est formé de plusieurs articles repris avec quelques modifications dans
Le Figaro (24, 28, 31 juillet et 7 août 1864).
65. Id., « Laroche », L’Époque, 28 avril 1865, puis La Rue, op. cit., p. 137.
66. Id., « La Société des gens de lettres », La Rue, 21 décembre 1867, Œuvres,
op. cit., t. 1, p. 1028-1031.
67. Id., Les Réfractaires, Paris, Achille Faure, 1866. L’ouvrage sort en
novembre 1865, mais est daté de l’année suivante. Repris dans op. cit., t. 1, p. 139 sq.
Le recueil La Rue est publié en 1866 chez le même éditeur.
68. La Canaille, paroles d’Alexis Bouvier, musique de Joseph Lemaire dit
Darcier, Paris, Vieillot, 1865.
69. J. Vallès, « Proudhon », L’Époque, 8 et 16 juin 1865, puis La Rue, op. cit.,
t. 1, p. 808 sq.
70. Id., « La Rue. Le seizième numéro », La Rue, 14 septembre 1867, p. 1.
71. Voir Id., « Rome », La Rue, 26 octobre 1867, Œuvres, t. 1, p. 991-994.
72. C’est ainsi que Vallès nomme les hommes de lettres énergiques. Voir
« Mœurs et portraits littéraires. Les francs-parleurs », Le Courrier français, 19 et
26 août 1866, op. cit., t. 1, p. 898-906.
73. Id., « Cochons vendus », La Rue, 30 novembre 1867, p. 1-2., ibid., t. 1,
p. 1015.
74. Voir Roger Bellet, « Image de l’école chez Jules Vallès » [1979], in Dans
le creuset littéraire du xixe siècle, op. cit., p. 284.
75. Léon Paul Lagrange de Langre, Texte définitif de la nouvelle loi sur le recru-
tement de l’armée votée par l’Assemblée nationale le 27 juillet 1872, en dernière
lecture avec notes explicatives au-dessous de chaque article, Paris, Librairie du
« Moniteur universel », 1872, article 20, p. 14-15.
76. Jules Arnould, Considérations sur le degré d’aptitude physique du recru-
tement de l’École spéciale militaire pour l’année 1874-1875, Paris, s. n., 1875, p. 24.
77. Toutes les références à la trilogie sont extraites de Vallès, Œuvres, op. cit.,
t. 2. Ici : L’Enfant, p. 250.
78. J. Vallès, Le Bachelier, p. 654.
79. Dans La Faim (1890), roman d’inspiration autobiographique, le narrateur
est un écrivain réduit à une telle misère qu’il est prêt à accepter n’importe quel
emploi. Il tente d’entrer chez les sapeurs-pompiers, mais est refusé « à cause de
[s]es lunettes » ; ces dernières l’empêchent également de se « faire ferblantier »
(Paris, Le Livre de poche, 2014, p. 16, p. 98). Ayant mis au clou la plupart de ses
effets, il envisage d’engager ces lunettes qui font son malheur. En vain.
80. J. Vallès, L’Enfant, p. 246.
81. Id., « Mai », L’Époque, 6 mai 1865, puis La Rue, édition de Pierre Pillu,
op. cit., p. 85.
82. Id., L’Enfant, p. 297, p. 246, p. 269.
83. Voir Eric J. Hobsbawm et Joan W. Scott, « Des cordonniers très politiques »,
Revue d’histoire moderne et contemporaine, 5/2006, p. 29-50 ; Jacques Rancière,
« Histoire des mots, mots de l’histoire », Communications, n° 58, 1994, p. 94-95.
84. J. Vallès, L’Insurgé, p. 1036-1038.
85. Pierre Pillu, « Portrait de l’écrivain en cordonnier », Les Amis de Jules
Vallès, juin 1988, p. 7.
86. Eugène Sue, Martin l’enfant trouvé, ou les Mémoires d’un valet de chambre.
Les chapitres 4, 5 et 6 de la troisième partie (Bruxelles, H. Bourlard, 1846-1847,
4 vol.), où figure Léonidas Requin, sont à l’origine parus dans Le Constitutionnel
sous le titre « Martin ou les enfants trouvés » (26 juin 1846-5 mars 1847).
87. J. Vallès, « Boxeurs, lutteurs », L’Époque, 22 juin 1865, puis La Rue, édition
de Pierre Pillu, op. cit., p. 177.
1. Émile Zola, Au Bonheur des Dames, Paris, Charpentier & Fasquelle, 1895
[1883], p. 76-78, p. 373.
2. Id., L’Argent, Paris, Charpentier, 1891, p. 189.
3. Sauf mention contraire, les références aux articles d’Émile Zola sont extraites
des Œuvres complètes (OC) sous la direction d’Henri Mitterand, Paris, Nouveau
Monde éditions, 2007. Ici, « Lettres de Paris », t. 8, p. 643.
4. É. Zola, lettre à Jean-Baptistin Baille, 23 janvier 1859. Citée par Colette
Becker, Les Apprentissages de Zola. Du poète romantique au romancier natura-
liste, 1840-1867, Paris, PUF, 1993, p. 21.
5. Voir C. Becker, « Deux œuvres de jeunesse de Zola », Les Cahiers natura-
listes, n° 63, 1989, p. 191-192.
6. É. Zola, « Proudhon et Courbet », Mes haines, Paris, Flammarion, « GF »,
2012, p. 68 : « Proudhon a vu comme moi les tableaux dont je parle, mais il les
a vus autrement, en dehors de toute facture, au point de vue de la pure pensée. »
L’article est initialement paru en deux livraisons dans Le Salut public de Lyon, les
26 juillet et 31 août 1865.
7. Id., lettre à Francis Magnard, Paris, vers le 8 avril 1867, OC, op. cit., t. 2,
p. 712.
8. Id., Madeleine Férat, 3e édition, Paris, C. Marpon et E. Flammarion, 1878
[1868], p. 81, p. 56.
9. Cité par David Baguley, « L’anti-intellectualisme de Zola », Les Cahiers
naturalistes, n° 42, 1971, p. 120.
10. É. Zola, lettre à Édouard Béliard, Paris, 5 avril 1875, OC, op. cit., t. 7, p. 713.
11. Id., « Le naturalisme », Le Figaro, 17 janvier 1881, OC, op. cit., t. 11,
p. 756, p. 157.
12. Id., lettre à Édouard Béliard, op. cit.
13. Id., lettre à Marius Topin, Saint-Aubin, 27 août 1875, OC, op. cit., t. 7, p. 719.
14. Id., lettre à Louis Desprez, Paris, 9 février 1884, OC, op. cit., t. 14, p. 873.
15. Id., « L’École et la vie scolaire en France », Le Messager de l’Europe,
mars 1877, OC, op. cit., t. 8, p. 651.
16. René-Pierre Colin, « Politique », Dictionnaire du naturalisme, Tusson,
Du Lérot, 2012, p. 419.
17. É. Zola, « Nos hommes d’esprit », Le Figaro, 25 avril 1881, OC, op. cit.,
t. 11, p. 814-818.
18. Id., « Notre École normale », Le Figaro, 4 avril 1881, ibid., p. 805-809.
19. F. Gautier, « Zola et les décadents », Le Siècle, 14 février 1890, p. 2.
20. É. Zola, « L’École et la vie scolaire en France », art. cit., p. 650.
21. Id., « L’encre et le sang », Le Figaro, 11 octobre 1880, OC, op. cit., t. 11,
p. 714-715, p. 718.
22. Id., « La politique expérimentale », Le Figaro, 28 mars 1881, ibid., p. 801.
23. Id., lettre à Jules Lemaître, 14 mars 1885, OC, op. cit., t. 12, p. 893-894.
24. Id., lettre à Gustave Geffroy, 22 juillet 1885, non reprise dans ibid.
25. Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, édition de Daniel Grojnowski,
Paris, José Corti, 1999 [1891], p. 193.
26. Voir les propos d’É. Zola rapportés par G. D. dans « M. Zola & l’anarchie »,
Le Figaro, 8 mars 1894, p. 2. Sur ces questions, on consultera également Émile Zola
au pays de l’Anarchie, textes réunis et présentés par Vittorio Frigerio, Grenoble,
ELLUG, 2006.
27. C. Charle, Naissance des « intellectuels », op. cit., p. 127. Voir aussi p. 135.
28. R.-P. Colin, « Normaliens », Dictionnaire du naturalisme, op. cit., p. 382-384 ;
sur la critique des normaliens, voir Alain Peyrefitte, Rue d’Ulm. Chroniques de
Augustin Renouard, 1803, t. 2, p. 14. Le texte original est : « Dans ces prés fleuris /
Qu’arrose la Seine / Cherchez qui vous mène, / Mes chères brebis. »
67. « Zola et ses “intellectuels” », La France illustrée, 26 février 1898, p. 154.
68. On lit ainsi à l’article « Front » : « Large et chauve, signe de génie » (Gustave
Flaubert, Le Dictionnaire des idées reçues, édition de E.-L. Ferrère, Paris, Louis
Conard, 1913, p. 70).
69. Ségolène Le Men, « Les portraits-charges de Victor Hugo », Nouvelles de
l’estampe, n° 85, mars 1986, p. 16-22.
70. Max Nordau, Dégénérescence, traduit de l’allemand par Auguste Dietrich,
Paris, Alcan, 1903 [1894].
71. Léon Bazalgette cite cette pièce – qui ouvre Les Vies encloses. Poème
(Paris, Charpentier, 1896) – à l’appui de sa théorie (L’Esprit nouveau dans la vie
artistique, sociale et religieuse, Paris, Société d’éditions littéraires, 1898, p. 61-63).
72. Joints à l’exclamation, les points de suspension qui deviendront la marque
caractéristique de Louis-Ferdinand Céline ne rappellent-ils pas les usages polémiques
datant de l’affaire Dreyfus ? N’y voir qu’un moyen d’oralisation, n’est-ce pas
oublier les « trois points fatidiques » qui caractérisaient les articles de Drumont dans
La Libre Parole, « prolonge[a]nt indéfiniment, comme d’une sorte de glas, l’écho
de la dernière phrase », ainsi que le notait Georges Bernanos (La Grande Peur des
bien-pensants, in Essais et écrits de combat, édition d’Yves Bridel, Jacques Chabot
et Joseph Jurt sous la direction de Michel Estève, Paris, Gallimard, « Bibliothèque
de la Pléiade », 1971, t. 1, p. 283) ?
73. Sont notamment signées par Caran d’Ache dans Psst… ! : « Sollicitude intel-
lectuelle », 19 février 1898, p. 4 ; « Les “Bons bergers” », 12 mars 1898, p. 2 ; « Désar-
mement », 21 mai 1898, p. 3-4 ; « Devant la statue », 28 mai 1898, p. 4 ; « Avant
le Grand Prix. Le Favori des Intellectuels », 4 juin 1898, p. 4 ; « Aux champs »,
2 juillet 1898, p. 4 ; « Enquête sur l’Esprit français », 9 juillet 1898, p. 4 ; « À propos
de nobles blessures », 16 juillet 1898, p. 4 ; « Modes intellectuelles. Comment ces
Messieurs porteront leurs décorations », 6 août 1898, p. 4 ; « Noble dégoût », 20 août
1898, p. 4 ; « La chaleur », 27 août 1898, p. 3 ; « Avant l’ouverture de la chasse »,
ibid., p. 4 ; « Pendant la grève », 22 octobre 1898, p. 4 ; « Salons intellectuels »,
10 décembre 1898, p. 2 ; « Ligue des intelligents », 7 janvier 1899, p. 4 ; sans titre
(légende : « Le peuple : – “Va donc, hé… Savant en simili !” », 14 janvier 1899, p. 4 ;
« L’aristocratie de demain », 1er avril 1899, p. 3 ; « Un interviewé », 27 mai 1899,
p. 2. Grimaux et Duclaux sont évoqués le 23 avril 1898 (« Dans une Revue intel-
lectuelle », p. 2). Sauf mention contraire, les références à venir renvoient aux illus-
trations de Caran d’Ache dans Psst… !.
74. Bertrand Tillier, « Virulences verbales et graphiques au cœur de l’affaire
Dreyfus : le Psst… ! de Forain et Caran d’Ache », Ridiculosa, n° 6, 1999, en ligne.
75. « Page d’histoire. “Baptême intellectuel” », 12 février 1898, p. 3 ; « Petit
Salon (Suite) », 14 mai 1898, p. 3.
76. « Leurs soldats », 1er avril 1899, p. 2 ; « À moi d’Auvergne, voilà l’ennemi ! »,
20 mai 1899, p. 3 ; « Le Régiment Dreyfus », 19 août 1899, p. 3 ; « L’Armée de
l’avenir », 10 décembre 1898, p. 3.
77. « L’Intellectuel, son Fils et Dumanet », 16 avril 1898, p. 4 ; « Avril » (la légende
désigne un « Jouvenceau intellectuel ») 23 avril 1898, p. 4 ; « Petit Salon (Suite) »,
art. cit. (la légende indique : « Jeune intellectuel ») ; « Modern Style », 13 août 1898, p. 4.
1. La pièce pourrait cacher une défense ironique de Socrate, auquel l’auteur
s’identifierait ; mais les spécialistes ne s’accordent pas sur cette interprétation.
Voir Daniella Ambrosino, « Nuages et sens. Autour des Nuées d’Aristophane »,
Quaderni di Storia, Bari, n° 18, 1983, p. 3-60 ; Simon Byl, « Pourquoi Aristo-
phane a-t-il intitulé sa comédie de 423 “Les Nuées” », Revue de l’histoire des
religions, vol. 204, n° 3, 1987, p. 239-248 ; Marie-Pierre Noël, « Aristophane et
les intellectuels : le portrait de Socrate et des “sophistes” dans les Nuées », actes
du 10e colloque de la Villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer, 1er-2 octobre 1999, Cahiers
de la Villa Kérylos, vol. 10, n° 1, 2000, p. 111-128.
2. Sur la distinction entre misogynie et antiféminisme, voir Christine Planté,
La Petite Sœur de Balzac. Essai sur la femme auteur, avec une préface inédite de
Michelle Perrot et une postface inédite de l’auteure, Lyon, PUL, 2015 [1989], p. 86 sq.
3. Voir, outre l’ouvrage de Christine Planté déjà cité, Éliane Viennot, La France,
les Femmes et le Pouvoir, t. 2 : Les Résistances de la société (xviie-xviiie siècle),
Paris, Perrin, 2006, et Adeline Gargam, Les Femmes savantes, lettrées et cultivées
dans la littérature française des Lumières ou la Conquête d’une légitimité (1690-
1804), Paris, Champion, 2013, 2 t.
4. Voir notamment Honoré Daumier, Les Bas-bleus et Les Femmes socialistes,
respectivement publiés dans Le Charivari de janvier à août 1844 (40 planches) et
d’avril à juin 1849 (10 pièces), réunis dans Intellectuelles, « Bas bleus » et femmes
socialistes, préface de Françoise Parturier ; catalogue et notices de Jacqueline
Armingeat, Paris, M. Trinckvel, 1993 [1974].
5. Voir Juliette Rennes, Le Mérite et la Nature. Une controverse républicaine :
l’accès des femmes aux professions de prestige (1880-1940), Paris, Fayard, 2007.
6. Voir Natalia Tikhonov Sigrist, « Les femmes et l’université en France,
1860-1914 », Histoire de l’éducation, n° 122, 2009, p. 53-70.
7. Carole Lécuyer, « Une nouvelle figure de la jeune fille sous la IIIe République :
l’étudiante », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, n° 4, 1996, en ligne.
8. Wieland Mayr, L’Intellectuelle (un chapitre du féminisme), La Chaux-de-
Fonds, Librairie H. Baillod, 1908. Le substantif « intellectuelle » est cependant déjà
utilisé par la journaliste Jane Misme (« À travers les nouvelles carrières féminines.
Les sociologues », Le Figaro, 8 novembre 1898, p. 3).
9. Guillaume Léonce Duprat, « Revue des livres », Revue internationale de
sociologie, janvier 1901, p. 390.
10. Comme dans l’Antiquité, où Maurras puise son inspiration, le patronage
de la déesse masque en fait l’exclusion politique des femmes (voir Nicole Loraux,
Les Enfants d’Athéna : idées athéniennes sur la citoyenneté et la division des sexes,
Paris, Maspero, 1981). Il ne faut pas confondre cette Minerva d’avant-guerre avec
le grand illustré féministe qui porte ce titre entre 1925 et 1931.
11. Charles Maurras, Tragi-comédie de ma surdité [1945], Paris, L’Herne,
2016, p. 39.
12. Id., « Les Nouveaux Théoriciens de l’éducation et l’École de la paix sociale »,
La Réforme sociale. Bulletin de la société d’économie sociale et des unions de la
paix sociale fondées par P.-F. Le Play, 1er décembre 1887, p. 541, p. 539, p. 540.
13. Elme Caro, « La fin de la bohème. Les influences littéraires dans les derniers
événements », Revue des Deux Mondes, 15 juillet 1871, p. 241-267.
14. C. Maurras, « Les Nouveaux Théoriciens de l’éducation… », art. cit., p. 546.
15. Notamment de son épouse Caroline Massin. Voir Pascale Molinier, « Auguste
Comte et le génie féminin ou le roman d’une “fatale concurrence” », in Danielle
Chabaud-Rychter et al., Sous les sciences sociales, le genre, Paris, La Décou-
verte, 2010, p. 25-39.
16. C. Maurras, L’Avenir de l’intelligence, op. cit., p. 33, p. 128, p. 141, p. 146.
17. Cité sans référence par James McCearney, Maurras et son temps, Paris,
Albin Michel, 1977, p. 121.
18. Sur cette dernière distinction, voir Michael Sutton, Charles Maurras et les
catholiques français, 1890-1914. Nationalisme et positivisme, Paris, Beauchesne,
1994.
19. Lettre de Charles Maurras au professeur Jean David, Hôtel-Dieu de Troyes,
20 août 1951, BnF, NAF 18819, f. 63-65. La citation d’Anaxagore est donnée en
grec dans le texte, sans traduction.
20. C. Maurras, L’Avenir de l’intelligence, op. cit., p. 243, p. 248, p. 164,
p. 174, p. 203.
21. Cette expression, utilisée par Balzac dans « Des artistes » (La Silhouette,
11 mars 1830, Œuvres diverses, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade »,
1996, t. 2, p. 709), devient « Rois de la pensée » sous la plume d’Alfred de Vigny
(Journal d’un poëte [1843], Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de
la Pléiade », 1993, t. 2, p. 1192). Elle est reprise en 1858 par Théophile Gautier pour
désigner Balzac lui-même (« Honoré de Balzac », L’Artiste, 2 mai 1858, t. 3, p. 288).
22. C. Maurras, Les Princes des nuées, Paris, Tallandier, 1928, p. 13.
23. Id., « À Besançon », Cahiers du Cercle Proudhon, n° 1, janvier 1912, p. 4.
Ce texte, placé après la profession de foi des Cahiers, date en réalité de 1910.
24. Comme le note Didier Masseau, « Rousseau, proche à ce titre de toute
une frange de l’antiphilosophie, marque un refus tranché des pratiques cultu-
relles du siècle philosophique, récuse la figure du philosophe moderne, et accuse
ceux qu’on appellera plus tard les “intellectuels” d’avoir créé un espace public
exclusivement à leur profit. La critique […] ne coïncide pas exactement avec ce
qu’on peut appeler les anti-Lumières, même si par ailleurs la pensée religieuse
de Rousseau sur certains points s’en rapproche » (« Qu’est-ce que les anti-
Lumières ? », Dix-huitième siècle, 2014/1, p. 113). Robert Darnton associait quant
à lui la condamnation rousseauienne de l’élitisme à ses choix de vie – notamment
au fait de se tourner, « avec sa femme issue de la classe ouvrière et semi-illettrée,
vers une humble existence proche de la bohème littéraire » (« Dans la France pré
révolutionnaire… », art. cit., p. 78).
25. Un texte intitulé « Rousseau jugé par Proudhon » avait d’abord été placé
en tête des 3e et 4e Cahiers du Cercle Proudhon (mai-août 1912). Il reproduit une
page antirousseauiste de La Justice dans la Révolution et dans l’Église.
26. Voir Hugo Friedrich, La Pensée antiromantique moderne en France [1935],
édition critique par Clarisse Barthélemy, traduction par Aurélien Galateau, préface
de Frank-Rutger Hausmann, Paris, Classiques Garnier, 2015.
27. Rapporté dans C. Maurras, Enquête sur la monarchie, Paris, Nouvelle
Librairie nationale, 1925 [1901], p. 171.
siècle la place qu’on lui donnera ensuite, en oubliant souvent l’hétérogénéité des
références « théoriques » dont se réclame alors un mouvement lui-même hétérogène.
3. Voir notamment dans Le Révolté. Organe socialiste, « Aux jeunes gens »
(du 26 juin 1880, p. 1-2, au 21 août 1880, p. 1-2) et « Erreurs d’un professeur »,
4-10 décembre 1886, p. 4 ; dans L’Avant-garde cosmopolite, « Le pontificat scien-
tifique », 28 mai-4 juin 1887, p. 4, et « Question de logique », 11-24 juin 1887,
p. 1 ; dans Le Père Peinard, « Le bon fieu » et « Philosophes et chieurs d’encre »,
1er novembre 1896, repris dans Émile Pouget, Le Père Peinard, textes présentés
et choisis par Roger Langlais, Paris, Galilée, 1976, p. 319 sq.
4. Léon Israël, « L’ignorance des Intellectuels », L’anarchie, 6 juillet 1905,
p. 1 ; Levieux, « Artistomanie », ibid., 18 avril 1907, p. 2-3 et « Encore l’art », ibid.,
16 juillet 1908, p. 1-2 ; Auguste Boyer, « Aux Littérateurs », ibid., 15 octobre 1908,
p. 3 ; Ologue le cynique, « Artistes… », ibid., 12 novembre 1908, p. 2-3.
5. Voir Lucien Mercier, Les Universités populaires (1899-1914) : éducation
populaire et mouvement ouvrier au début du siècle, Paris, Éditions ouvrières, 1986.
Jugeant que le « certificat d’études […] donn[ait] des prétentions dangereuses, mais
point de direction », les animateurs des premières Universités populaires souhai-
taient compléter l’instruction primaire de manière à former des « hommes » plutôt
que des « érudits » (Georges Deherme, La Coopération des idées. Une tentative
d’éducation et d’organisation populaires, Paris, Union pour l’action morale,
s. d. [1901], p. 8, p. 13).
6. Ces causeries, pensées « sans statuts, sans inscription ni cotisation », sont
d’abord organisées Cité d’Angoulême, puis rue Muller, avant d’être transférées rue
du Chevalier-de-La-Barre, où s’installe le journal L’anarchie. Elles inspirent d’autres
rencontres, dans la capitale et sa région comme en province. Voir Jean Maitron,
« Paraf-Javal, Georges, Mathias » (notice complétée par Guillaume Davranche) ;
Anne Steiner, « Libertad (Albert, Joseph, dit) », Dictionnaire biographique du
mouvement libertaire francophone réalisé entre autres par Guillaume Davranche,
Rolf Dupuy, Marianne Enckell, Hugues Lenoir, Anthony Lorry, Claude Pennetier et
Anne Steiner, Paris, Éditions de l’Atelier, 2014, p. 618-620 ; p. 494-498 et en ligne.
7. Voir W. Scott Haine, The World of the Paris Café : Sociability among the French
Working Class, 1789-1914, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1999.
8. Voir Maurice Imbard, « Sur l’éducation. Pour acquérir des connaissances »,
22 avril 1909, L’anarchie, p. 2. Ni le scepticisme ni le stoïcisme ou le cynisme
dont on les a parfois rapprochés ne suffisent à caractériser les collaborateurs de
L’anarchie. Sauf mention contraire, les références qui suivent renvoient à ce journal.
9. André Lorulot, « Les Byzantins », 18 février 1909, p. 1.
10. Albert Libertad, « Les intellectuels nous quittent !! », 13 avril 1905, p. 4.
11. Franck Sutor, « Génie et prolétariat », 14 septembre 1905, p. 1.
12. Levieux, « Le Mot et la chose », 10 juin 1909, p. 1, et « L’Idéomanie »,
17 juin 1909, p. 1.
13. Robert Delon, « L’Éducation anarchiste », 11 mars 1909, p. 2-3.
14. Laure Hulot (Lorulot), « À bas la pédagogie ! », 14 novembre 1907, p. 2.
15. Cassius, « La fausse science », 1er février 1906, p. 1.
16. Franck Sutor, « Génie et prolétariat », art. cit.
17. Paraf-Javal, « Rapport sur le Congrès des soi-disant libres-penseurs tenu à
Paris les 4, 5, 6 et 7 septembre 1905 », 14 septembre 1905, p. 1-2 ; 21 septembre
1905, p. 2 ; 28 septembre 1905, p. 1-2. Voir aussi « L’absurdité des soi-disant
libre-penseurs [sic] », 31 août 1905, p. 1-2.
18. Mauricius, « À bas la Laïque », 2 décembre 1909, p. 1.
19. André Lorulot, « Contre les Abrutisseurs », 9 décembre 1909, p. 1.
20. Manarf, « L’instituteur », 7 novembre 1912, p. 2 ; Mauricius, « À bas la
Laïque », 2 décembre 1909, p. 1.
21. Maurice Montégut, « Cours de philosophie », 19 juillet 1906, p. 1-2.
22. Eugène Petit, « Hygiène intellectuelle », 20 février 1908, p. 2.
23. Débat entre Libertad et Binoff, « Le savoir inutile », 4 juin 1908, p. 3.
24. Rapporté par Rirette Maîtrejean, Souvenirs d’anarchie, Quimperlé, La
Digitale, 2005 [1913], p. 24.
25. Ibid., p. 44.
26. Lettre de Rirette à Mauricius, fonds IFHS, citée par Anne Steiner, Les
En-dehors. Anarchistes individualistes et illégalistes à la « Belle Époque », Paris,
L’Échappée, 2008, p. 49.
27. Albert Joseph, dit Libertad, Le Travail antisocial et les Mouvements utiles,
Paris, Librairie internationaliste, 1909, p. 8, p. 1, p. 5, p. 6-7.
28. Voir Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir. Ouvriers et révolu-
tionnaires face à la guerre (1909-1914), Montreuil/Paris, L’Insomniaque/Liber-
talia, 2014, p. 22 sq. La Ligue antimilitariste deviendra en 1904 une section de
l’Association internationale antimilitariste.
29. Georges Yvetot, « Chacun chez soi », La Révolution, 3 février 1909, p. 1 ;
Léon Jouhaux, « Chacun chez soi », La Bataille syndicaliste, 14 octobre 1911, p. 1 ;
G. Yvetot, « Chacun chez soi », ibid., 14 janvier 1912, p. 1 ; C.-A. Laisant, « Chacun
chez soi et tous pour tous », ibid., 26 janvier 1912, p. 1 ; G. Yvetot, « Chacun chez
soi. Arguments d’intellectuels », ibid., 31 janvier 1912, p. 1.
30. Gustave Hervé, « Vœux de nouvel an », La Guerre sociale, 29 décembre
1909, p. 1 ; Georges Sorel, « Les intellectuels contre les ouvriers », texte initia-
lement paru en italien dans Il Divenire sociale publié en janvier 1910, présenté
par Michel Prat, Mil neuf cent, n° 24, 2006, p. 166, p. 168.
31. Vendu à cinq centimes le numéro, La Bataille syndicaliste revendique
1 180 abonnés en octobre 1911, 2 384 en décembre 1912 ; puis le nombre d’abonnés
décroît, et le tirage baisse. Sur ce point, les chiffres sont peu précis. La Bataille
syndicaliste aurait tiré entre 37 000 et 45 500 journaux pour une vente effective
oscillant entre 22 000 et 27 500 exemplaires ; c’est un peu plus, pour la période
considérée, que L’Action française, qui tire à 22 000 exemplaires fin 1912 (La Libre
Parole tire, elle, à 44 000 exemplaires).
32. « Au Sénat. L’instruction publique », La Bataille syndicaliste, 4 juillet
1911, p. 2.
33. Voir Gilles Candar et Guy Dreux, Une loi pour les retraites. Débats socia-
listes et syndicalistes autour de la loi de 1910, Lormont, Le Bord de l’eau, 2010.
34. Jean-Marie Flonneau, « Crise de vie chère et mouvement syndical.
1910-1914 », Le Mouvement social, juillet-septembre 1970, p. 49-81.
35. R. Lafontaine, « La Littérature contre l’Action directe. Le Syndicalisme
contre les Humanités », La Bataille syndicaliste, 6 juin 1911, p. 1. Sauf mention
contraire, les références qui suivent renvoient à ce dernier périodique.
36. G. Yvetot, « Notre “Bataille” », 5 mai 1911, p. 1.
1914-1939, Paris, Agnès Viénot Éditions, 2003, et Gabriel Galvez-Behar, « Le savant,
l’inventeur et le politique. Le rôle du sous-secrétariat d’État aux inventions durant
la Première Guerre mondiale », Vingtième siècle, janvier-mars 2005, p. 103-117.
54. M. Barrès, « La grande pitié des laboratoires », discours à la Chambre,
11 juin 1920, repris dans Pour la haute intelligence française, Paris, Plon, 1925,
p. 145-163. Le titre fait écho à « La grande pitié des églises de France », campagne
menée par le même auteur entre 1910 et 1914 (voir le volume publié sous ce titre
en 1914 chez Émile-Paul Frères).
55. Id., Pour la haute intelligence française, op. cit., p. 145, p. 168, p. 78,
p. 47, p. 78, p. 42, p. 85.
56. Henri Massis, Maurras et notre temps, Paris-Genève, La Palatine, 1951,
p. 132.
57. « La fin de la Sorbonne », Clarté, 15 mai 1924, p. 174, éditorial.
58. Henri Barbusse, Le Couteau entre les dents. « Aux intellectuels », Paris,
Éditions « Clarté », 1921, p. 5, p. 61, p. 77, p. 31, p. 26, p. 55.
59. Jean David, Le Procès de l’intelligence dans les lettres françaises…, op. cit.
60. Voir Édouard Le Roy, Dogme et critique, Paris, Bloud, 1907 ; La Pensée
intuitive, Paris, Boivin, 2 t., 1929-1930 ; Les Origines humaines et l’évolution de
l’intelligence, Paris, Boivin, 1928. Pierre Rousselot, L’Intellectualisme de saint
Thomas, Paris, Alcan, 1908.
61. Voir Albert Thibaudet, « Le roman de l’intellectuel », 1er mai 1921, Réflexions
sur la littérature, édition d’Antoine Compagnon et Christophe Pradeau, Paris,
Gallimard, 2007, p. 538.
62. Voir notamment Gaëtan Bernoville, « Le Manifeste du Parti de l’Intel-
ligence », Les Lettres, 1er août 1919 ; « Les Catholiques et le “Parti de l’Intelli-
gence” », Les Lettres, 1er décembre 1920.
63. Voir Claude Langlois, « La naissance de l’intellectuel catholique », in
Pierre Colin (dir.), Intellectuels chrétiens et esprits des années 1920, Paris, Cerf,
1997, p. 213-223, et Hervé Serry, Naissance de l’intellectuel catholique, Paris,
La Découverte, 2004.
[Mgr], Les Francs-maçons. Ce qu’ils sont – Ce qu’ils font – Ce qu’ils veulent [Paris,
Tolra et Haton, 1867]. Sur le lien entre antimaçonnisme et antiphilosophie dans la
pensée contre-révolutionnaire, voir Jacques Lemaire, Les Origines françaises de
l’antimaçonnisme, 1744-1797, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles,
1985, p. 81-94, et Émile Poulat et Jean-Pierre Laurant, L’Antimaçonnisme catho-
lique, Paris, Berg International, 1994.
22. Voir le compte rendu des débats à la Chambre des députés, séance du
26 mars 1903, Journal officiel de la République française. Débats parlementaires,
Paris, Imprimerie du Journal officiel, p. 1341 et p. 1352.
23. L. Bonnet-Eymard et L. Dubey, « La question de la Grande Chartreuse.
Une souscription populaire », février 1927, p. 274.
24. Voir Pierre Barral, Le Département de l’Isère sous la Troisième République.
1870-1940, Paris, Armand Colin, 1962, p. 414.
25. Voir par exemple ibid., p. 273.
26. Outre une abondance d’articles, il lui consacre une brochure et deux ouvrages :
La Grande-Chartreuse : dix ans après l’expulsion, une enquête, préfacé par Maurice
Barrès, Imprimerie Allier Frères, 1912 ; Quelques notes pour servir à l’histoire
de la Grande-Chartreuse de 1903 à 1927, Imprimerie spéciale de La République
de l’Isère et du Sud-Est, 1927 ; Le Drame de la Grande-Chartreuse. 1901-1930.
Histoire documentaire avec 12 photographies, préfacé par Henry Bordeaux, Dijon,
Publications « Lumière », 1930 ; À la conquête de la montagne sainte. Comment
les Chartreux français sont rentrés à la Grande-Chartreuse, Lyon, Éditions Presse
lyonnaise du Sud-Est, 1941.
27. « Une thébaïde intellectuelle », article de Jules Wogue paru dans Le Journal,
21 août 1926, p. 4, et reproduit sous le titre « Une triste page » dans La Question
de La Grande-Chartreuse. La Chartreuse aux Chartreux, p. 89. La rédaction du
bulletin précise dans une note que Perrier n’a jamais été « professeur à la Faculté
des Sciences », contrairement à ce qu’affirme J. Wogue.
28. « Le Monastère de la Grande Chartreuse et les “Intellectuels fatigués” »,
juillet 1930, p. 179.
29. « La résurrection de la Grande-Chartreuse », Le Matin, 23 octobre 1927,
p. 1. Repris dans « La Chartreuse aux Chartreux. M. Perrier contre la Grande-
Chartreuse », novembre 1927, p. 214-215, ici p. 215.
30. Cité par Pierre Masson et Jean-Pierre Prévost, L’Esprit de Pontigny.
1910-1939, Paris, Orizons, 2014, p. 15.
31. Des établissements spécialisés, les sanatoriums universitaires, se dévelop-
peront à partir de 1922 (en France, le premier est ouvert l’année suivante). Ils
deviendront d’importants lieux de rencontre et de création (Paul Aron, « La socia-
bilité des chaises longues », COnTEXTES, n° 19, 2017, en ligne).
32. « La question de la Grande Chartreuse. La Chartreuse aux Chartreux »,
reproduction et commentaire d’un article paru sous le titre « La Chartreuse aux
Chartreux » dans La République de l’Isère le 10 juin 1928, juillet 1928, p. 39.
33. Voir Jean-Jacques Renoliet, L’Unesco oubliée. La Société des Nations et la
coopération intellectuelle (1919-1946), Paris, Publications de la Sorbonne, 1999.
34. « La question de la Grande-Chartreuse », La République de l’Isère, 27 août 1928.
Repris et commenté par « Un fielleux zélateur de la LDAC », septembre 1928, p. 108 ;
« Un vieux Grenoblois », « “Le drame de la Grande Chartreuse” », juillet 1930, p. 194.
104. Id., « Une âme russe et deux poèmes », Clarté, n° 9, 15 mars 1922, repris
dans Mon Journal de Russie, op. cit., t. 3, ici p. 42.
105. Le samedi, habituellement consacré au repos, les ouvriers offrent à la
cause six heures de labeur volontaire et gratuit. Dans un texte du 28 juin 1919 vite
publié en brochure, Lénine y voit la preuve qu’une organisation émancipatoire
du travail est possible. Il oppose l’action spontanée des travailleurs au « verbiage »
des ennemis de la révolution, spécifiquement des intellectuels bourgeois (mencheviks
et socialistes-révolutionnaires inclus, précise-t-il). Avant l’avènement du nouveau
régime, ils reprochaient aux communistes leur « utopisme » ; dans cette phase
de consolidation, ils manifestent leur « scepticisme ». Reprenant un raisonnement
de Marx, Lénine dresse l’expérience effective du travail volontaire contre les
abstractions de « ceux qui entendent résoudre le problème de la transition du
capitalisme au socialisme au moyen de lieux communs sur la liberté, l’égalité,
la démocratie en général, l’égalité de la démocratie du travail, etc. (comme le
font Kautsky, Martov et autres héros de l’Internationale jaune de Berne) ». La
Grande Initiative (L’héroïsme des ouvriers de l’arrière. À propos des « samedis
communistes »), Pékin, Éditions en langues étrangères/Paris, diffusion Éditions du
Centenaire, 1977, p. 23, p. 19, p. 15.
106. Cité par Sophie Cœuré, Pierre Pascal. La Russie entre christianisme et
communisme, Lausanne, Noir sur Blanc, 2014, p. 172. L’ensemble de notre analyse
s’appuie sur cette biographie de référence.
107. Pierre Pascal, « Mon village russe il y a quarante ans », Cahiers du monde
russe et soviétique, vol. 7, n° 3, 1966, p. 293-310, p. 309, p. 296.
108. Lénine, Lettres sur la tactique, paru en brochure en avril 1917, repris
dans Œuvres, Paris/Moscou, Éditions sociales/Éditions du Progrès, 1974, t. 24,
p. 35 : « […] le marxiste doit tenir compte de la vie, des faits précis de la réalité,
et non se cramponner à la théorie d’hier qui, comme toute théorie, est tout au
plus capable d’indiquer l’essentiel, le général, de fournir une idée approchée de
la complexité de la vie. “Grise est la théorie, mon ami, mais vert l’arbre éternel
de la vie” [Méphistophélès à l’écolier dans le second Faust de Goethe, 1832] ».
109. Voir Michel Heller, « Premier avertissement : un coup de fouet. L’histoire
de l’expulsion des personnalités culturelles hors de l’Union soviétique en 1922 »,
traduit du russe par Dominique Négrel, Cahiers du monde russe et soviétique,
avril-juin 1979, p. 132. Par « personnalités culturelles », Lénine désigne l’ensemble
de l’intelligentsia (enseignants, journalistes, médecins, ingénieurs, hommes de
lettres, etc.).
110. Antonella Salomoni, compte rendu de V. P. Zaharov, M. P. Lepehin,
E. A. Fomina (eds), Akademičeskoe delo 1929-1931 gg., vol. 1, Saint-Pétersbourg,
Biblioteka Rossijskoj Akademii nauk, 1993, Annales. Histoire, Sciences sociales,
vol. 52, n° 3, 1997, p. 660.
111. Cité par Dimitri Sorokine, Les Conceptions de Tolstoï sur l’Occident,
Lille, Atelier national de reproduction des thèses/Paris, YMCA-Press, s. d. [1986],
p. 238. L’un des personnages des Démons de Dostoïevski lance également : « Toute
la question est de savoir si Shakespeare est supérieur à une paire de bottes, Raphaël,
à un bidon de pétrole ! » (Les Démons. Carnets des Démons. Les Pauvres Gens,
introduction de Pierre Pascal, traduction et notes de Boris de Schlœzer et Sylvie
Luneau, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1955, p. 509). Les chaussures,
4. Voir Jean-Pierre Bernard, « Le Parti communiste français et les problèmes litté-
raires (1920-1939) », Revue française de science politique, n° 3, 1967, p. 520-544 ;
Jean-Pierre Morel, Le Roman insupportable. L’Internationale littéraire et la France
(1920-1932), Paris, Gallimard, 1985 ; Jean-Michel Péru, « Une crise du champ
littéraire français. Le débat sur la “littérature prolétarienne” (1925-1935) », Actes
de la recherche en sciences sociales, n° 89, 1991, p. 47-65.
5. Jérôme Meizoz, L’Âge du roman parlant (1919-1939). Écrivains, critiques,
linguistes et pédagogues en débat, préface de Pierre Bourdieu, Genève, Droz,
2001, p. 267.
6. Henry Poulaille, « La littérature et le peuple », Les Humbles, décembre 1937,
p. 11.
7. Id., Nouvel Âge littéraire, Paris, Valois, 1930, p. 111.
8. Jean-Charles Ambroise, « Écrivain prolétarien : une identité paradoxale »,
Sociétés contemporaines, n° 44, 2001, p. 42.
9. H. Poulaille, Nouvel Âge littéraire, op. cit., p. 149-150, p. 110, p. 334, p. 23,
p. 136, p. 113, p. 18, p. 150.
10. J.-C. Ambroise, « Écrivain prolétarien : une identité paradoxale », art. cit.,
p. 48.
11. Philippe Geneste, « Henry Poulaille et l’authenticité », in André Not et
Jérôme Radwan (dir.), Autour d’Henry Poulaille et de la littérature prolétarienne,
Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2003, p. 155.
12. Pierre Daix, Aragon, Paris, Flammarion, 1994, p. 310.
13. « Lettre d’autocritique », 1er décembre 1930, Tracts surréalistes et décla-
rations collectives, présentation et commentaires de José Pierre, Paris, Le Terrain
vague, 1980, t. 1 (1922-1939), p. 186.
14. André Breton, « À propos du concours de littérature prolétarienne organisé par
L’Humanité », Le Surréalisme au service de la Révolution, n° 5, mai 1933, p. 16-18.
15. Id., entretien radiophonique avec André Parinaud, Entretiens (1913-1952),
nouvelle édition revue et corrigée, Paris, Gallimard, 1969 [1952], p. 85. Dans
ces entretiens, Breton explicite à distance la « remise en question » de « toute la
psychologie de l’entendement » exprimée selon lui par le groupe surréaliste dès
son premier manifeste, en 1924. En pleine Seconde Guerre mondiale, lui qui a
vécu la Première admet que le monde meurt de « rationalisme fermé » et que, dans
de telles conditions, « le sauvetage de l’homme […] exige […] sa “désintellectua-
lisation” au profit d’une remise en valeur de ses instincts fondamentaux » (op. cit.,
p. 107 et p. 233).
16. Julia David, « Sens du sacré et anti-intellectualisme dans les idéologies
d’avant-garde durant l’entre-deux-guerres en France, une apocalypse sans
révélation », Quaderni, n° 58, automne 2005, p. 25-26.
17. Louis Aragon, Traité du style, Paris, Gallimard, 2004 [1928], p. 20, p. 154,
p. 55, p. 220, p. 123-124.
18. Voir Yves Pagès, Les Fictions du politique chez L.-F. Céline, Paris, Seuil,
1994, p. 43-107.
19. Pierre-Jean Launay, « L.-F. Céline le révolté », Paris-Soir, 10 novembre
1932, repris dans Cahiers Céline I (« Céline et l’actualité littéraire. 1932-1952 »,
textes réunis et présentés par Jean-Pierre Dauphin et Henri Godard, Paris, Gallimard,
1976), p. 21.
Le docteur X…, alias M. Céline. Une interview dans une clinique », L’Intransi-
geant, 8 décembre 1932. Repris dans Cahiers Céline I, op. cit., p. 31.
36. Id., Mort à crédit, Romans, éd. cit., p. 690, p. 840.
37. Frédéric Vitoux, notice de Mea culpa, Œuvres de L.-F. Céline, Paris, Éditions
du Club de l’honnête homme, 1981, t. 4, p. 89.
38. L.-F. Céline, Mea culpa, Œuvres, édition de Jean A. Ducourneau, Paris,
A. Balland, 1967, t. 3, p. 341, p. 338, p. 340.
39. Id., Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1938 [1937], p. 166.
40. Ce rapprochement sera popularisé dans l’est de l’Europe à partir de 1942
par le film de propagande Juden, Läuse und Wanzen (« Juifs, puces et blattes »,
parfois traduit « Juifs, poux et blattes » ou « Juifs, poux et typhus »).
41. Stéréotype qu’accréditent même des auteurs non antisémites. Ainsi Ch. Péguy,
lorsqu’il affirme que, contrairement au « catholique » qui n’est « lettré » que « depuis
Ferry », le Juif l’est « depuis toujours » (Note conjointe sur Monsieur Descartes…,
op. cit., p. 1297).
42. L.-F. Céline, Bagatelles pour un massacre, op. cit., p. 111, p. 192.
43. Voir Maurice Olender, Aryens et Sémites, un couple providentiel, préface
de Jean-Pierre Vernant, Paris, Seuil, 1989, p. 72, p. 129.
44. Propos cités par Robert de Saint-Jean dans son Journal d’un journaliste
(1974), repris dans Cahiers Céline I, op. cit., p. 51.
45. Entretien avec G. Jarlot, ibid., p. 166.
46. L.-F. Céline, Bagatelles pour un massacre, op. cit., p. 167.
47. Id., Guignol’s band I [citation extraite du texte liminaire à l’édition de
1944], Romans, op. cit., t. 3, p. 85.
48. Voir notamment la lettre à Albert Paraz du 10 septembre 1949, où l’écrivain
déclare : « J’ai piqué mes trilles dans le music-hall anglais certainement comme
Vallès, mais pas dans les babillages du music-hall ! dans le rythme, la cadence,
l’audace des corps et des gestes, dans la danse aussi [sic] dans la médecine aussi,
dans l’anatomie – dans la musique classique je l’avoue – dans tout ! ici ! là ! sauf
dans les livres ! […] », concluant : « Je demeure toujours en danse. Je ne marche
pas » (L.-F. Céline, Lettres, préface d’Henri Godard, édition d’Henri Godard
et Jean-Paul Louis, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1216-
1217).
49. Voir Isabelle Blondiaux, « Céline lecteur de Montaigne. De la mélancolie
à l’écriture ? », in Classicisme de Céline, Actes du XIIe colloque international
Louis-Ferdinand Céline (Abbaye d’Ardenne, 3-5 juillet 1998), Paris, Société
d’études céliniennes, 1999, p. 37-50.
50. L.-F. Céline, Bagatelles pour un massacre, op. cit., p. 218.
51. Les Beaux Draps ont paru depuis trois mois lorsqu’en juin 1941 Jean
Schlumberger s’interroge sur la responsabilité de Racine dans la dissolution des
mœurs. Les antisémites d’obédience maurrassienne ne le suivent pas. Voir Wolfgang
Babilas, « La querelle des mauvais maîtres », art. cit., p. 132. « Ce polisson de
Racine ! », lancé en 1830 dans une comédie antiromantique, s’était répandu au
point que les représentants de la jeune école en avaient fait un cri de ralliement.
Gustave Flaubert s’en souvient à l’entrée « Racine » de son Dictionnaire des idées
reçues : « Polisson ! » (op. cit., p. 89).
52. L.-F. Céline, L’École des cadavres, Paris, Denoël, 1938, p. 32, p. 252-253,
Céline secret, Paris, Grasset et Fasquelle, « Le Livre de poche », 2003, p. 65). Pur
produit de l’institution, Sartre se présentait volontiers (comme Céline) en créateur
ne devant rien à l’école.
69. « Entretiens avec le professeur… Brissaud », interview de L.-F. Céline par
André Brissaud pour le Bulletin du Club du meilleur livre, octobre 1954, repris
dans Cahiers Céline I, op. cit., p. 160. Quelques mois plus tôt, Céline déclarait
déjà : « Je ne suis pas un écrivain. Je suis tout ce qu’on voudra excepté un écrivain.
Je n’ai pas la prétention d’apporter un message. […] je ne veux être qu’un simple
médecin de banlieue… » (Madeleine Léger, « L.-F. Céline achève à Meudon son
voyage au bout de la tristesse », Semaine du monde, 23 juillet 1954, repris dans
ibid., p. 157).
70. La proximité du contenu de l’interview et des Entretiens avec le professeur Y
(toutes versions confondues) laisse penser que Céline connaissait son texte presque
par cœur, ou exigeait des journalistes qu’ils lui envoient leurs articles pour révision,
et en modifiait alors la teneur.
71. C. Péguy, Un nouveau théologien…, op. cit., p. 451. Céline entretient un
rapport complexe avec l’ancien dreyfusard. Mais il semble reconnaître en lui un
maître de l’anti-intellectualisme lorsqu’à la fin de sa vie il confie à Pierre Audinet :
« Péguy disait que les grands adversaires des créateurs c’étaient les gens intelli-
gents » (« Dernières rencontres avec Céline », Les Nouvelles littéraires, 6 juillet
1961. Repris dans Cahiers Céline II, op. cit., p. 199-200). Péguy s’inspire peut-être
lui-même de Victor Hugo, qui écrit dans le poème où il raille ses anciens profes-
seurs, des religieux qui défiguraient les classiques latins : « Le pluriel met une S [sic]
à leurs meâs culpâs » (« À propos d’Horace », Les Contemplations, op. cit., p. 41).
72. L.-F. Céline, Entretiens avec le professeur Y, Paris, Gallimard, 1983 [1955],
p. 20.
73. Claude Sarraute, « À propos de son second livre de souvenirs sur la défaite
nazie Céline nous dit comme il a fait “bouger la place des mots », Le Monde, 1er juin
1960 ; Stéphane Jourat, « Un visionnaire génial vous parle : Céline ! », La Meuse
[Liège], 5 juillet 1961, p. 6. Repris dans Cahiers Céline II, op. cit., p. 175, p. 228.
74. Jacques Izoard, « Un entretien avec L.-F. Céline », L’Essai [Liège],
novembre 1959. Repris dans ibid., p. 138.
75. [Madeleine Chapsal], « Voyage au bout de la haine… avec L.-F. Céline »,
L’Express, 14 juin 1957. Repris dans ibid., p. 30.
76. « Une interview de L.-F. Céline pour “Le Meilleur Livre du mois”. Rabelais,
il a raté son coup » [1957 ou 1959, suivant les versions], repris dans ibid., p. 133,
p. 136.
77. Céline interrogé par François Sentein, « Le guide noir des vacances (1) »,
Arts, 8-14 août 1956, repris dans Cahiers Céline I, op. cit., p. 169.
78. Voir [Madeleine Chapsal], « Voyage au bout de la haine… avec L.-F. Céline »,
art. cit., p. 21 ; André Parinaud, « Céline : “Je suis un pauvre homme brisé qui n’a
qu’une force : sa haine et son style” », Arts, 19-25 juin 1957, ibid., p. 39.
79. Pierre Audinet, « La dernière invective de Céline : “Le Blanc, la bombe
atomique lui pétera au cul” », Arts, 24-30 novembre 1965. Repris dans ibid., p. 202.
80. Roger Nimier, Le Grand d’Espagne, Paris, La Table ronde, 1962 [1950], p. 21.
81. Id., « Les écrivains sont-ils bêtes ? », Les Écrivains sont-ils bêtes ? Essais,
édition de Marc Dambre, Paris, Rivages, 1990 [1947], p. 11, p. 15.
82. Voir Jacques Laurent, « Les critiques seraient moins méchants si l’on parlait
quelquefois d’eux », Carrefour, 8 octobre 1952 ; « Savon noir et crème fouettée »,
Arts, 12-18 janvier 1955.
83. Id., Paul et Jean-Paul, op. cit., p. 55, p. 33, p. 25, p. 33-34.
84. Antoine Blondin, Certificats d’études, Œuvres, Paris, Robert Laffont, 1991,
p. 863, p. 759-760.
85. Patrick Louis, La Table Ronde : une aventure singulière, Paris, La Table
ronde, 1982, p. 158.
1. Sur les analogies avec l’affaire Dreyfus (entrée tardive des intellectuels,
isolement, opposition à l’Armée, défense des valeurs universelles, techniques
d’intervention), voir Jean-François Sirinelli, « Les intellectuels français et la guerre
d’Algérie : une nouvelle affaire Dreyfus ? », in Michel Leymarie (dir.), La Postérité
de l’affaire Dreyfus, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1998,
p. 141-150 ; Guy Pervillé, « La projection de la mémoire de l’affaire Dreyfus sur la
guerre d’Algérie », Mémoires, Identités, Représentations, Histoire comparative de
l’Europe, n° 5, 2001, p. 43-46 ; ainsi que les témoignages de Pierre Vidal-Naquet,
« Une fidélité têtue. La résistance française à la guerre d’Algérie », Vingtième
siècle, avril-juin 1986, p. 3-18, et « Les valeurs dreyfusardes qui m’imprègnent »,
interview par Claude Lecomte, Regards, janvier 1999, p. 46-47. C. Charle postule
que les similitudes thématiques signalées par Michel Winock dans « Les affaires
Dreyfus » (Vingtième siècle, janvier-mars 1985, p. 19-37) relèvent moins de la
référence généalogique à l’Affaire elle-même que du « rôle spécifique joué par
nouvelle catégorie socio-politique des “intellectuels” au cours [des différentes]
crises » envisagées (Naissance des « intellectuels », op. cit., p. 139).
2. François Mauriac, « La question », L’Express, 15 janvier 1955. Voir, antérieu-
rement, « Coûte que coûte, il faut empêcher la police de torturer », ibid., 13 novembre
1954, et la conférence « Le Christ aussi est un homme », prononcée au terme
de la semaine des intellectuels catholiques organisée par le CCIF le même jour
(reprise sous le titre L’Imitation des bourreaux de Jésus-Christ, Paris, Desclée de
Brouwer, 1984).
3. Notes d’un auditeur présent le 21 décembre 1955 au « Bal Lafon », citées par
Stanley Hoffmann et alii, Le Mouvement Poujade, Paris, Armand Colin/Presses de
la Fondation nationale des sciences politiques, 1956, « Annexe VIII. Une réunion
électorale poujadiste à Paris », p. 184. Poujade avait dit lors du même rassem-
blement : « Nous sommes gouvernés par une bande d’apatrides et de pédérastes.
[…] il faudrait bien mieux pour nous gouverner un vrai commerçant, un bon
métallo, un bon charcutier. (Applaudissements.) Ils ne seraient pas polytechniciens,
mais sains de corps et d’esprit. D’ailleurs les polytechniciens, en les payant, on
les aura. La technique on n’a qu’à la payer » (ibid., p. 181). La déclaration de
Le Pen, que d’autres sources présentent à tort comme extraite de L’Express du
18 mars 1955, n’y figure pas. Aucun numéro ne paraît d’ailleurs ce jour-là. Le
19 mars, un lecteur cite en revanche des propos que Poujade aurait tenus à Rouen
en février : « Je n’ai que la petite cervelle de l’homme du peuple, et je n’ai pas
d’instruction, bien que j’admire ceux qui en ont… mais les gens qui sont diplômés,
et qui ont un cerveau équipé par de longues études, souffrent en réalité d’une
hypertrophie de leurs facultés intellectuelles. Ils ont ainsi perdu la seule chose qu’ils
devraient posséder, et que possède notre monde des petites gens : c’est le bon sens.
En vérité, la France est atteinte d’une surproduction de gens à diplômes, polytech-
niciens, économistes, philosophes et autres rêveurs qui ont perdu tout contact avec
le monde réel, et que notre pays pourrait exporter à l’étranger sans avoir à ressentir
le plus petit regret » (« M. Poujade a-t-il une petite cervelle ? », p. 3).
4. Voir Raphaëlle Branche, « La masculinité à l’épreuve de la guerre sans nom »,
Clio, n° 20, 2004, en ligne.
5. Sur ces années, voir Goulven Boudic, Esprit, 1944-1982. Les métamor-
phoses d’une revue, Paris, Seuil, 2005 ; François Bédarida et Étienne Fouilloux
(dir.), La Guerre d’Algérie et les Chrétiens, Paris, CNRS, Cahiers de l’Institut
d’histoire du temps présent, octobre 1988 ; Jérôme Bocquet, « Les chrétiens et
la guerre d’Algérie », mémoire d’habilitation à diriger des recherches soutenu le
27 novembre 2014, EPHE. Les principales contributions d’Esprit au débat qui nous
intéresse sont reproduites dans Joël Roman (éd.), Esprit. Écrire contre la guerre
d’Algérie (1947-1962), Paris, Hachette, 2002.
6. Jean Lacroix, « La crise de l’Université », Esprit, 1er juillet 1946, p. 3.
7. Voir Romain Souillac, Le Mouvement Poujade. De la défense professionnelle
au populisme nationaliste (1953-1962), Paris, Presses de la Fondation nationale
des sciences politiques, 2007.
8. Voir Roland Barthes, « Quelques paroles de M. Poujade » et « Poujade et
les intellectuels », Mythologies, Paris, Seuil, « Points », 1970 [1957], p. 78 sq.,
p. 170 sq.
9. Voir P. Poujade, J’ai choisi le combat, op. cit., p. 25, p. 73, p. 119-120,
p. 31, p. 94, p. 134 ; « Avec les paysans… sur leur terroir… », Fraternité française,
1er mars 1955, p. 3.
10. R.V., « Si le grain ne meurt… », Fraternité française, janvier 1955, p. 1.
11. [non signé], « Pourquoi nous combattons », Fraternité française, supplément
au n° 31, décembre 1955, p. 1.
12. « Avec l’union », Fraternité française, février 1955, p. 1 ; Alex Rozières,
« Menacé dans ses libertés, à l’exemple de 1789 le peuple des braves gens s’élève… »,
ibid., 1er mars 1955, p. 1.
13. Annie Collovald, « Histoire d’un mot de passe : le poujadisme. Contribution
à une analyse des “ismes” », Genèses, n° 3, 1991, p. 115.
14. Notes et essais sur le poujadisme, Saint-Céré, s. n., 1957, p. 13-14.
15. Jacques Pruvost, in Poujade cet inconnu, Limoges, Les Presses rapides,
1961, p. 14-15.
16. Jean Rallon, in Poujade cet inconnu, ibid., p. 71.
17. Robert Barrat, « Un journaliste français chez les “hors-la-loi” algériens »,
France Observateur, 15 septembre 1955. Claude Bourdet, « Disponibles : quel
sursis ? », France Observateur, 29 mars 1956. Voir aussi « Y a-t-il une Gestapo
algérienne ? », L’Observateur (futur France Observateur), 6 décembre 1951 ; « Votre
Gestapo d’Algérie », France Observateur, 13 janvier 1955.
18. « Perquisition au domicile du professeur Henri Marrou en raison de l’article
publié dans “le Monde” du 5 avril », Le Monde, 11 avril 1956, p. 5.
Lyon, Bellier, 2003, p. 38). L’instituteur dont la vie a été retracée sous le nom de
Bernard Garigue écrit, lui, à sa femme : « Depuis quelque temps les militaires de
carrière s’étaient lancés dans une campagne anti-instituteurs, “ces gens qui n’aiment
pas l’armée”, “qui se prennent pour Jules César”, pour tout dire “des intellectuels,
quoi” » (lettre du 9 avril 1962 citée par Fabien Deshayes et Axel Pohn-Weidinger,
L’Amour en guerre. Sur les traces d’une correspondance, Paris-Algérie, 1960-1962,
Montrouge, Bayard, 2017, p. 247).
32. El Moudjahid, 20 juillet 1959, repris dans Hafid Keramane, La Pacifi-
cation. Livre noir de six années de guerre en Algérie, Paris, Les Petits Matins,
2013 [Lausanne, La Cité-Éditeur, 1960], p. 138-139.
33. La Gangrène, Paris, Minuit, 2012 [1959], p. 37 (voir aussi p. 55-56).
34. Djamal Amrani, Le Témoin, Paris, Minuit, 1960, p. 21, p. 33-34.
35. Pascale Pellerin, « Introduction générale », dans id. (dir.), Rousseau, les
Lumières et le monde arabo-musulman. Du xviiie siècle aux printemps arabes,
Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 27.
36. Henri Alleg, La Question, Paris, Minuit, p. 71, p. 67.
37. H. Keramane, La Pacification, op. cit., p. 167.
38. Voir Catherine Brun, « Genèse et postérité du “Manifeste des 121” », L’Esprit
créateur, hiver 2014, p. 78-89.
39. Voir Raymonde Temkine, « Un défenseur de la laïcité : Charles Péguy »,
Les Lettres nouvelles, décembre 1959-janvier 1960, p. 56-57 ; Henri Guillemin,
« Notes sur Péguy », ibid., mars-avril 1960, p. 111-140.
40. Maurice Nadeau, « Vers un “parti intellectuel” ? », ibid., février 1961, p. 6 ;
Charles Wright Mills, « Mort des idéologies ? Lettre à la Nouvelle Gauche », traduite
de l’anglais par Max Roth, ibid., p. 28-43. Voir aussi « Lettre à Jeanne Alexandre
sur le “parti intellectuel” », ibid., avril 1961, p. 3-13.
41. François Mauriac, « La grève sur le tas », Le Figaro littéraire, 16 août 1958,
D’un bloc-notes à l’autre, 1952-1969, Paris, Bartillat, 2004, p. 456.
42. Voir Nils Andersson, « L’histoire d’un livre », La Pacification, op. cit.,
p. 35-40.
43. Voir la contribution de Raoul Girardet aux Essais d’ego-histoire réunis par
Pierre Nora, Paris, Gallimard, 1987, p. 154, p. 145, p. 162.
44. Raoul Girardet, Pour le tombeau d’un capitaine, Paris, L’Esprit nouveau,
1962, p. 49, p. 27, p. 34, p. 27, p. 28, p. 44, p. 38.
45. Déposition retranscrite dans Comité Maurice Audin, Sans commentaire,
Paris, Minuit, 1961, p. 27, p. 30, p. 40, p. 41.
46. Jean-Marie Le Pen, Les Français d’abord, Paris, Carrère-Lafon, 1984,
p. 38, p. 9.
47. Id., Pour la France. Programme du Front National, Paris, Albatros, 1985,
p. 19-20.
48. Id., Les Français d’abord, op. cit., p. 27 ; Alain de Benoist, « Le terrorisme
intellectuel », Éléments, janvier-février 1973. A. de Benoist a une parfaite connais-
sance des corpus anti-intellectualistes, comme l’a prouvé en 2007 sa copieuse
introduction à la réédition des Méfaits des intellectuels (Paris, Krisis, p. 11-147).
Jeune disciple nationaliste de Louis Rougier, lequel met l’« empirisme logique »
au service d’une critique de l’essentialisme et du christianisme, A. de Benoist
se réclame déjà dans les années 1960 d’un « nominalisme » que certains traits
demande pas si j’ai le bac, j’ai que le rap ». Le refrain oppose aux études le
système D et le bagou (« c’est pas l’école qui m’/nous a dicté mes/nos codes, nan
nan »). Au début du quinquennat de N. Sarkozy, sa ministre C. Lagarde, chargée
de défendre le TEPA, cite en exemple, dans le discours où elle engage ses compa-
triotes à abandonner leur intellectualisme (10 juillet 2007, op. cit.), « les paroles
des chansons [de rap et de R’n’B] que les jeunes apprécient », lesquelles refléte-
raient le goût de l’entrepreneuriat et de la réussite financière.
Dans son analyse du rap français, la critique savante a souvent privilégié le
texte sur la musique, biais qui induit une approche intellectualiste de morceaux
pourtant en rupture avec la culture légitime (voir Rémi Wallon, « “Va te faire niquer
toi et tes livres”. Time Bomb, le triomphe d’un rap français “bête et méchant” », in
Bruno Blanckeman et Sabine Loucif (dir.), Fixxion, n°5 : Chanson/fiction, 2012,
en ligne). Mais Barrès, Gide et d’autres n’ont-ils pas eux aussi mis en scène leur
rejet des livres ? Depuis vingt ans, c’est moins la culture que l’institution scolaire
qui est condamnée. En témoigne « Jeune demoiselle », extrait de l’album cité plus
haut, où Diam’s situe son idéal masculin « entre l’intello et le beau gosse » : « Mon
mec c’est une encyclopédie, car il se cultive (ben ouais) ».
4. Dès 2000, Philippe Sollers souligne qu’il n’est pas anodin que la « vague
anti-intellectuelle » coïncide avec « le fait que certains des témoins et acteurs
des tortures en Algérie se sentent soudain “autorisés” à se souvenir et à parler »
(Roger-Pol Droit, « Grandeur et décadence des intellectuels français », Le Monde,
15 décembre 2000, p. 6).
5. R. Barthes, « Poujade et les intellectuels », art. cit., p. 176-177.
6. Harold Bernat-Winter, Des-montages. Le poujadisme hédoniste de Michel
Onfray, Les Noës-près-Troyes, Image et Développement, 2006 ; Thomas Yadan,
« Musso and co », Evene, 20 novembre 2008, en ligne.
7. Nathalie Heinich, De la visibilité. Excellence et singularité en régime média-
tique, Paris, Gallimard, 2012, p. 494.
8. Pierre Bourdieu, Sur la télévision, suivi de L’Emprise du journalisme, Paris,
Raisons d’agir, 2008, p. 30.
9. Robert Redeker, « Les biblioclastes contre Luc Ferry », Le Figaro, 16 mai
2003, p. 14.
10. Joseph Macé-Scaron, « La nef des fous », Le Figaro, 24 mai 2003, p. 9.
Le premier chapitre d’Histoire de la folie à l’âge classique s’intitule en effet
« Stultifera navis ».
11. Ivan Rioufol, « Le bloc-notes », Le Figaro, 29 mai 2003, p. 13.
12. James Graff, « Can this man tame France ? », Time, 13 octobre 2003, p. 33-36.
Cité en version originale et en traduction par Philippe Ridet dans « Jean-Pierre
Raffarin trouve un goût de bouchon aux intellectuels français », Le Monde, 9 octobre
2003, p. 1.
13. La formule est notamment reprise par Alain-Gérard Slama, Le Figaro,
23 février 2004, p. 13 ; Dominique Bussereau, Valérie Pécresse et Henri Plagnol,
« Si l’UMP n’existait pas, il faudrait l’inventer », Le Figaro, 24 février 2004, p. 13 ;
Jean-Michel Thénard, « Intellectuels. Défiance », Libération, 26 février 2004,
p. 3 ; Bernard Perret, « Intermittents, enseignants, médecins hospitaliers, psycha-
nalystes, archéologues, chercheurs doivent affronter des remises en cause », La
Croix, 11 mars 2004, p. 30.
Baldacchino, Adeline, 297, 373. Benda, Julien, 148, 149, 165, 230, 279,
Balibar, Étienne, 19, 315, 316. 341.
Balthasar, Hans Urs von, 350. Bénichou, Paul, 313.
Balzac, Honoré de, 113, 227, 245, 322, Benjamin, René, 232, 294.
334, 335, 359. Bennett, Andy, 369.
Bancquart, Marie-Claire, 46, 321. Benoist, Alain de, 365, 366.
Barbey d’Aurevilly, Jules, 225, 359. Béranger, Pierre-Jean de, 318.
Barbusse, Henri, 160, 161, 162, 196, Berdiaev, Nicolas, 189.
198, 205, 237, 344. Bérenger, Henry, 69, 70, 83, 324, 325.
Barral, Pierre, 346. Bergson, Henri, 17, 53, 96, 98, 105,
Barrat, Robert, 247, 363. 106, 108, 122, 125, 147, 148, 151,
Barrès, Maurice, 16, 57, 58, 68, 75, 82, 154, 155, 161, 162, 184, 198, 221,
83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 93, 94, 97, 309, 330, 332, 341, 353.
99, 104, 106, 116, 133, 147, 159, Bering, Dietz, 314.
160, 161, 177, 220, 221, 279, 287, Berl, Emmanuel, 196, 352.
308, 322, 327, 328, 330, 341, 343, Bernanos, Georges, 15, 163, 177, 178,
344, 346, 358, 370, 371. 179, 180, 181, 182, 183, 184, 189,
Barrillon, Raymond, 364. 214, 224, 227, 238, 239, 329, 349,
Barruel, Augustin (abbé), 168, 345. 350, 355.
Barthes, Roland, 239, 268, 272, 275, Bernard, Claude, 91.
280, 293, 306, 315, 331, 363, 369, Bernard, Jean-Pierre, 354.
370, 373. Bernat-Winter, Harold, 370.
Bataille, Georges, 206. Bernoville, Gaëtan, 165, 344, 345.
Baubérot, Jean, 337. Berry, Charles-Ferdinand d’Artois, duc
Baudelaire, Charles, 54, 227, 327, 359. de, 59, 322.
Baudrillard, Jean, 301. Berth, Édouard, 15, 110, 119, 120, 121,
Bauer, Alice, 153, 154, 155, 156, 158, 122, 203, 262, 279, 336.
342, 343. Berthe, Michel-Georges, dit Micberth,
Bäumler, Alfred, 358. 275, 369.
Baverez, Nicolas, 282. Bertillon, Alphonse, 98.
Bazalgette, Léon, 329. Beuve-Méry, Hubert, 248.
Beauvoir, Simone de, 270, 301. Bezsalko, Pavel, 186.
Bec, Georges, voir Bonnamour, George, Bidault, Camille, 331.
330. Bidault, Georges, 255.
Beckett, Samuel, 301. Billig, Joseph, 357.
Belhadj, Abd-el-Kader, 252. Birnbaum, Jean, 364.
Béliard, Édouard, 326. Birnbaum, Pierre, 332.
Bellessort, André, 231. Bismarck, Otto von, 68, 70, 148, 324.
Bellet, Roger, 319, 320. Bjørnson, Bjørnstjerne, 97
Belley, Pierre-Antoine, 344. Blayo, Yves, 367.
Belmont, R., 347. Blondel, Emmanuel, 328.
Beloteau, Marcel, dit K. X., 142, 143, Blondel, Maurice, 163, 164, 165, 198,
144, 202, 340, 341. 344, 345.
Ben Bella, Ahmed, 249. Blondiaux, Isabelle, 356.
Laurent, Jacques, 55, 238, 239, 321, Le Roy, Édouard, 162, 344.
362. Leroy, Géraldi, 331, 333.
Lautréamont (Isidore Ducasse, dit), Leroy-Beaulieu, Anatole, 315.
205. Le Roy-Ladurie, Emmanuel, 258.
Laval, Michel, 358. Le Solleu, Bernard, 364.
Lavergne, Antonin, 70, 101, 106, 325. Levieux (Michel Antoine, dit), 133,
Lavisse, Ernest, 104, 106, 124, 125, 338.
151, 154. Lévi, Sylvain, 215.
Lazare, Bernard (Lazare Bernard, dit), Lévi-Strauss, Claude, 268.
63, 136, 182, 332. Levinas, Emmanuel, 261.
Léandre, Charles, 150, 342. Lévy, Benny, 261, 262, 367.
Lebaron, Frédéric, 372. Lévy, Bernard-Henri, 295, 302, 303,
Lebdi, Safia, 290, 372. 374.
Le Blevennec, Nolwenn, 372. Lévy, Élisabeth, 372.
Leblond, Marius-Ary, 324. Lévy-Bruhl, Lucien, 154, 172.
Le Bon, Gustave, 70, 71, 88, 133, 308, Leymonnerie, Jean, 152, 342.
325, 366. Liard, Louis, 325.
Leclainche, Emmanuel, 215. Libertad, voir Joseph, Albert, 131, 132,
Lecomte, Claude, 362. 134, 135, 136, 338, 339.
Lecour, Charles et Hubert, 46. Lidsky, Paul, 368.
Lécuyer, Carole, 334. Lindenberg, Daniel, 279, 369.
Lécuyer, Raymond, 174, 348. Lindgaard, Jade, 282.
Le Dantec, Jean-Pierre, 267, 367. Linhart, Robert, 266.
Lefebvre, Henri, 268, 352. Linhart, Virginie, 367.
Lefebvre, Raymond, 221. Liniers, Antoine, voir Rolin, Olivier,
Lefèvre, Frédéric, 350. 367.
Le Fol, Sébastien, 372. Linné, Carl von, 134.
Lefranc, Jacques-François, 168, 345. Littré, Émile, 332.
Léger, Danièle, 367. Lombard de Buffières, Ph., 347.
Léger, Louis, 340. Lombroso, Cesare, 91.
Léger, Madeleine, 361. Loncle, François, 289, 372.
Le Grève, Pierre, 255. Loraux, Nicole, 334.
Lejeune, Max, 348. Lorulot, André (André Roulot, dit),
Lemaire, Jacques, 346. 134, 135, 338, 339.
Lemaître, Jules, 81, 326. Lory, Pierre, 347.
Le Men, Ségolène, 329. Loué, Thomas, 324.
Lemonnier, Léon, 201, 353. Louis, Patrick, 362.
Lénine (Vladimir Ilitch Oulianov, Louis-Philippe Ier, 32.
dit), 186, 187, 188, 191, 351. Louvel, Louis-Pierre, 59, 322.
Le Pen, Jean-Marie, 242, 246, 255, 258, Louÿs, Pierre (Pierre Félix Louis, dit),
280, 362, 365, 366, 372. 173.
Le Pen, Marine, 369. Loyola, Ignace de, 84.
Lermina, Jules, 135, 318. Lugné-Poë (Aurélien-Marie Lugné,
Leroux, Pierre, 337. dit), 97.
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305
Remerciements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311
Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377