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23/06/2023 09:03 Archéo-anthropologie funéraire et épidémiologie

Socio-anthropologie
22 | 2008
Archéo-anthropologie funéraire

Archéo-anthropologie funéraire
et épidémiologie
Réflexions autour des sépultures de crise liées aux épidémies
de peste du passé

Michel Signoli
p. 107-122
https://doi.org/10.4000/socio-anthropologie.1155

Full text
1 Selon les cas, selon les auteurs, selon que l’on soit dans un échange oral ou dans la
production de l’écrit, des termes différents seront utilisés pour désigner ces sépultures.
Charniers, fosses communes, sépultures multiples et simultanées, sépultures de masse,
sépultures de catastrophe ou encore sépultures de crise… la grande variabilité du verbe
témoigne en premier lieu de la diversité des situations rencontrées tant au niveau
archéologique que dans des contextes contemporains pour désigner les lieux
d’inhumations en relation avec des périodes où le tempo de la mortalité s’emballe. En
second lieu, il faut bien en convenir, ces errances traduisent la difficulté pour les
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spécialistes de nombreuses disciplines (anthropologie, archéologie, démographie,
ethnologie, histoire, médecine légale, sociologie…) à trouver une expression unique
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des contextes
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différents, mais toujours chargés de sens et parfois même d’un pathos particulier.
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situations qui sont à l’origine de la mise en place de ce type de lieu
d’inhumation sont fort heureusement peu nombreuses. Il s’agit toujours d’évènements
soudains, brefs et très intenses provoquant une telle augmentation de la mort (ou une
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telle crainte de son augmentation) que la normalité de sa gestion par les sociétés
humaines en est totalement perturbée. Ces contextes funéraires traduisent donc un
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adaptatif des vivants par rapport à une anormalité de la mort (réelle ou
redoutée). Catastrophes naturelles, épidémies majeures, batailles et massacres sont à
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l’origine de la mise en place de ce type de sépultures. Toutefois ne nous y trompons pas,
chaque catastrophe naturelle ou chaque épidémie ne nécessitera pas forcément la mise
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en place d’une sépulture de crise. Plus que la cause, plus que le nombre absolu des
victimes, c’est le passage d’une mortalité ordinaire à une mortalité extraordinaire, le

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risque sanitaire résultant d’une rupture d’équilibre entre le nombre des victimes et celui
des survivants qui va entraîner la création de ces entités funéraires.
3 À la suite de batailles ou de massacres, ce type de sépultures peut également avoir un
autre sens, celui de cacher des corps. Après une opération militaire, le belligérant qui
occupe la place peut choisir de sélectionner les dépouilles qui seront inhumées. Ce
choix peut trouver sa légitimité dans une volonté de cacher aux unités qui arrivent en
renfort l’importance réelle de la mort de leurs frères d’armes. Nous citerons ici, à titre
d’exemple, le témoignage d’Albrecht Adam suite à la bataille de Smolensk (1812) où les
soldats de la Grande Armée furent inhumés alors que les dépouilles des soldats russes
furent laissées sur place1. Parfois, la position conquise ou conservée est d’avenir
incertain et l’on choisit alors d’enterrer seulement les copains2. Mais la création de ces
sépultures multiples et simultanées peut également trouver son origine dans une
volonté de cacher les cadavres résultants d’exécutions sommaires, plus ou moins
massives. Le xxe  siècle nous a malheureusement offert une multitude d’exemples de
cette nature.
4 De fait, la reconnaissance de ces zones d’inhumations originales est donc très
différente de celle des “cimetières” traditionnels. Dans les cas de conflits entre des
armées, ces sépultures de crises se trouvent le plus souvent sur les lieux même de
l’explication militaire ou à proximité immédiate des champs de bataille. Dans les autres
contextes, et ce sont les plus nombreux, ces zones d’inhumations liées à des situations
d’urgence sanitaire ou à des choix politiques seront installées sur des secteurs
marginalisés de communautés urbaines ou villageoises. De ce fait, c’est le plus souvent
de façon fortuite (Bizot et al., 2005 ; Signoli, 2006 ; Signoli et al., sous presse ; Castex
et Cartron, 2007  ; Tzortzis et al., 2007), ou au prix d’un travail de recherche de
bénédictin (Adam, 2006 ; Rigeade, 2007) que l’existence de ces sites sera portée à notre
connaissance.
5 Un autre paramètre caractérise ce type de site funéraire, il s’agit quasiment toujours
de site “d’une seule utilisation”. À la différence des cimetières ou des nécropoles, il n’y a
quasiment jamais de continuité dans la fonction funéraire de ces lieux pour gérer
plusieurs crises dans le temps. Ainsi, quand survient une épidémie de peste dans une
communauté, une structure tout à la fois d’isolement et de prise en charge des malades
est mise en place rapidement à l’écart de celle-ci. Une zone funéraire est créée à
proximité de cette infirmerie. Sitôt la crise passée et le temps de quarantaine écoulé,
l’infirmerie est détruite, incendiée, et ainsi toute trace de cet évènement disparaît. Les
assauts de peste à venir seront gérés par la même communauté, de façon similaire, mais
en d’autres lieux. Au final, il n’y a guère que la toponymie (quartier Saint-Roch, champ
des morts, malprés…) qui peut permettre d’orienter le chercheur dans un travail de
prospection. Pour autant, parmi les sites d’inhumation de pestiférés aujourd’hui
connus3, il existe un lieu qui fait exception à cette règle, c’est le Lazzaretto Vecchio de
Venise. Dans ce cas, c’est en un même lieu (une petite île de la lagune et à proximité du
Lido) que les autorités de la cité ont géré (sur le plan sanitaire comme au niveau
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funéraire) l’ensemble des épidémies qui touchèrent la Sérénissime entre le XIVe siècle
et le XVIIe siècle (Gambaro et al., 2007).
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Rappels historiques
6 Tirant son étymologie du latin pestis  : le fléau, la peste constitue le plus haut
pathogène que les populations historiques aient eu à subir. L’Apocalypse avait reconnu
à la peste, fléau divin et collectif par excellence “le pouvoir d’exterminer sur le quart de
la terre”.
7 La peste constitue donc un sujet d’étude particulier pour l’anthropologue, dans la
mesure où il s’agit du mal épidémique qui a eu, sous nos latitudes et dans les siècles
passés, les conséquences démographiques les plus graves et de façon récurrente. Son
caractère hautement transmissible, la brutalité de son action, sa haute pathogénicité et

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l’absence totale de thérapeutique avant le XXe  siècle, lui ont conféré une sinistre
particularité. Génératrice d’une succession de crises démographiques sévères et assez
bien connues dans le monde occidental, la peste a largement influé sur l’évolution des
sociétés, tant sur un plan biologique que culturel.
8 L’histoire de la peste dans les siècles qui précèdent l’ère chrétienne nous est
totalement inconnue. Tout au plus peut-on envisager sa présence à travers des textes
métaphoriques, le plus souvent à portée théologique, qui rendent impossible la
reconnaissance de symptômes cliniques4. De fait cette histoire ne débute pour nous
qu’avec la généralisation de l’écrit et que par l’intermédiaire des sources qui nous sont
parvenues5. Encore convient-il de noter que la finalité des auteurs et des œuvres
disponibles n’était bien évidemment pas de renseigner l’épidémiologiste du XXIe siècle
(Brossollet et Mollaret, 1994).
9 La première pandémie pesteuse (appelée également peste de Justinien) prit
naissance au milieu du VIe  siècle de notre ère, en Egypte ou en Ethiopie. Suivant les
axes d’échanges, la peste infecta rapidement de nombreuses régions côtières du bassin
méditerranéen et prit un caractère endémique jusqu’au milieu du VIIIe  siècle. Les
raisons de sa disparition pendant plusieurs siècles restent aujourd’hui encore
extrêmement mystérieuses.
10 La seconde pandémie semble avoir pris naissance en Crimée au tournant des années
1330-1340, avant de se répandre sur les rivages de la mer Caspienne et de la mer Noire.
La première manifestation de la Peste noire nous est rapportée à travers un épisode
fameux. L’armée du Khan de Kiptchak, encerclant le comptoir génois de Caffa en
1346,  se livra au premier exemple connu de guerre bactériologique en lançant par
l’intermédiaire des pierrières des cadavres de pestiférés dans la ville assiégée. Le retour
des vaisseaux génois vers leur cité fit le reste. Du port de Caffa, la maladie se diffusa à
Constantinople, puis à l’ensemble de l’Afrique du Nord et de l’Europe occidentale, et
cela entre 1347 et 1350. À la suite de ce premier assaut, la peste s’installa en Europe, en
Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Asie, prenant alors un caractère endémique et
provoquant régulièrement des flambées épidémiques. La présence de la peste et la
récurrence de ses épidémies marquèrent profondément les populations. À partir de la
seconde moitié du XVIIe  siècle, les épidémies furent moins nombreuses et moins
meurtrières en Europe. Plusieurs facteurs peuvent expliquer le recul de la maladie dans
les régions septentrionales  : règlements sanitaires plus draconiens, meilleure hygiène
publique, modifications des écosystèmes et donc des relations insectes-
vecteurs/rongeurs-réservoirs.
11 Il convient malgré tout de signaler d’importantes flambées épidémiques entre 1709 et
1720 en Europe centrale et en Europe du Nord, mais surtout de rappeler l’existence de
deux épisodes célèbres qui marqueront les hommes du XVIIIe siècle : la peste de 1720-
1722 en Provence (Bertrand, 1723 ; Giraud, 1721 ; D’Antrechaux, 1756) et l’épidémie de
1770-1771 à Moscou (De Merteins, 1774  ; Samoïlowitz, 1783). Le caractère presque
emblématique de ces deux Contagions est lié d’une part à l’ampleur du désastre démo-
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graphique (plus de 100  000 morts dans les deux cas) et d’autre part à l’aspect
anachronique que revêtent ces épidémies. Pour autant, après le XVIIIe siècle, la peste
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continua à faire des ravages au Moyen-Orient, comme entre 1798 et 1801 par exemple
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avec l’épisode célèbre des soldats de Bonaparte à Jaffa, mais aussi à Malte en 1813, ou
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encore en Afrique du Nord (1818-1820 en Tunisie ; 1834-1835 en Egypte…).
12 La troisième pandémie pesteuse débuta en Chine dans la seconde moitié du
XIXe siècle. C’est dans ce contexte que le médecin français Alexandre Yersin découvrit
le bacille de la peste (Yersinia pestis), à Hong Kong, en 1894 (Yersin, 1894). À
l’occasion des troubles politiques et de déplacements de populations, la peste se
répandit rapidement dans plusieurs provinces chinoises et dans le sous-continent
indien. Par l’intermédiaire des échanges commerciaux, mais profitant désormais du
chemin de fer et de la navigation à vapeur, la peste atteignit de nombreuses régions, y
compris des pays qui jusqu’ici avaient échappé aux précédentes pandémies.

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Rappels épidémiologiques
13 Si dans les années 1970, l’éradication mondiale de la peste a pu être envisagée, celle-
ci doit être désormais considérée comme une utopie. À la différence d’autres hauts
pathogènes (comme la variole par exemple), la peste est une affection frappant
sélectivement et primitivement les rongeurs qui constituent un réservoir permanent de
la maladie, ce n’est qu’exceptionnellement qu’elle revêt un caractère humain. Une
éradication de la peste sous-entendrait donc l’élimination de l’ensemble des espèces de
rongeurs concernées, soit environ 200 espèces. En ce début du XXIe siècle, la peste est
localisée au niveau de foyers limités, mais dispersés sur trois continents  : Afrique,
Amérique, Asie. Mais l’extension de ces foyers depuis quelques années et le
développement des moyens de communication font craindre une extension
géographique qui pourrait être redoutable si l’on ne disposait d’antibiotiques efficaces.
Récemment d’ailleurs, l’augmentation des cas humains, la réapparition de la maladie
dans des régions où on la croyait disparue6 ainsi que l’extension de foyers existants, ont
fait classer cette maladie dans le groupe des maladies ré-émergentes.
14 L’éradication mondiale de la peste est donc loin d’être en vue. Sans pour autant
envisager un scénario catastrophe, il convient de considérer comme le déclarait
Monsieur le Professeur H. H. Mollaret : « La peste a un passé, elle a un présent, mais
ne faudrait cependant pas sous-estimer ses capacités d’avenir ». La découverte récente
à Madagascar (district d’Ambalavao) d’une nouvelle souche multi-résistante du bacille
de Yersin est venue réactualiser d’anciennes craintes. Cette souche de Yersinia pestis
orientalis 17/95 (Galimand et al., 1997) s’est avérée résistante à huit antibiotiques
couramment utilisés (la streptomycine, la gentamicine, les tétracyclines et le
chloramphénicol) ou pouvant constituer une seconde ligne de traitement (ampicilline,
kanamycine, spectino-mycine et minocycline, Carniel, 2002). Le patient, un adolescent
de 16 ans, n’a finalement pu être sauvé que par l’administration d’un antibiotique plus
puissant (la triméthoprime). Le traitement des malades atteints par cette nouvelle
souche du bacille nécessite donc une antibiothérapie plus coûteuse, ce qui laisse
entrevoir des conséquences inquiétantes  : une épidémie importante sera plus
difficilement contrôlable dans les pays en voie de développement et risque de connaître
à nouveau une diffusion accrue. Par ailleurs, la découverte de cette souche multi-
résistante vient nous rappeler, si besoin était, que les bactéries s’inscrivent également
dans un cadre darwinien d’évolution et d’adaptation à leur environnement.

Qui est Yersinia pestis ?


15 Au début des années 1980, des travaux montrèrent une proximité génomique entre
Yersinia pestis et Yersinia pseudo-tuberculosis (Bercovier et al, 1980). Une étude
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récente portant sur l’évolution des Yersinia pathogènes a permis de mettre en évidence
que Y. pestis était une espèce ayant émergé de Y. pseudo-tuberculosis. Cette émergence
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un intervalle chronologique compris entre 20000 et 1500 ans avant
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notre ère (Achtman et al., 1999).
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bacilleto de
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la peste est un coccobacille Gram-négatif de la famille des
entérobactéries et du genre Yersinia. Il s’agit de l’un des micro-organismes les plus
pathogènes du monde bactérien. Si la survie de la bactérie est brève sur les cadavres en
putréfaction, à l’inverse, elle résiste parfaitement à l’obscurité, ce qui lui permet une
conservation prolongée dans les terriers (jusqu’à plusieurs années) et lui confère la
capacité d’infecter de nouveaux rongeurs venant réoccuper ces espaces. Trois biotypes
de Yersinia pestis (Y. pestis Antiqua, Y. pestis Medievalis, Y. pestis Orientalis) ont été
différenciés sur leurs caractéristiques biochimiques7 (Devignat, 1951). Le pouvoir
pathogène des trois biotypes est identique. Au delà du résultat des examens
biochimiques, la taxinomie de chacun de ces trois biotypes s’est faite sur la base de la
répartition géographique actuelle de Y. pestis Antiqua : Afrique centrale, Asie centrale,

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région des Grands Lacs africains  ; Y. pestis Medievalis  : région de la Mer Caspienne,
Sibérie ; Y. pestis Orientalis : Asie du Sud-Est, Afrique du Sud, Amérique du Nord et du
Sud, et sur des témoignages historiques (régions géographiques semblant être le point
de départ de chacune des trois pandémies). C’est ainsi qu’une biotypo-chronologie a été
élaborée  : Y. pestis Antiqua  : responsable de la première pandémie  ; Y. pestis
Medievalis : responsable de la seconde pandémie ; Y. pestis Orientalis : responsable de
la troisième pandémie (Devignat, 1951).

Les sources disponibles pour étudier


les épidémies du passé
17 Poser une problématique de recherche autour des épidémies du passé (ici autour de
la peste) nécessite en tout premier lieu de faire le point sur la documentation existante.
En fait, deux types de sources sont disponibles.
18 Il s’agit, d’une part des archives historiques, c’est-à-dire des fonds d’archives
publiques ou privées qui constituent un corpus aussi important quantitativement que
qualitativement. Ces fonds permettent, à travers une multitude de prismes (listes de
victimes, registres paroissiaux, comptes des communautés, règlements sanitaires,
archives notariales et hospitalières, correspondances privées…), de dresser la
chronologie des épidémies et de mesurer les impacts de celles-ci sur les groupes
humains (conséquences démographiques, ralentissement des échanges, emprunts des
communautés, perception de l’idée de contagion, recours au religieux…). Bien entendu,
la richesse de ces archives est avant tout fonction de la période envisagée et l’on ne
s’étonnera donc pas d’être mieux renseigné sur les épidémies du XVIIIe siècle que sur
les contextes du XIVe siècle.
19 L’autre source est constituée par les archives biologiques, c’est-à-dire des squelettes
exhumés de sites d’inhumation de pestiférés, lors d’opérations de fouilles
archéologiques. Ces inhumations et ces sites vont tout à la fois nous renseigner sur les
morts et sur la Mort en temps de crise. L’étude des squelettes permet notamment de
connaître le profil démographique et l’état sanitaire de cet échantillon de population.
Par la lecture précise des faits archéologiques, la fouille fine de ces sites permet
d’objectiver les gestes funéraires, les modalités de gestion de l’espace et bien souvent de
mesurer la plus ou moins grande célérité de la crise. La présence de vêtements, d’objets
personnels au contact direct des squelettes traduit une inhumation dans l’urgence, une
récupération des cadavres (parfois déjà en état de décomposition avancée) et non plus
des malades. À l’inverse, l’inhumation des corps sans vêtements, parfois dans des
linceuls, objective une prise en charge de ces malades par une structure sanitaire
(hôpital, infirmerie, lazaret…).

Figure 1
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Comparaison entre les données issues des archives biologiques (fosse de l’Observance) et des archives
historiques (liste de victimes, liasse GGL 349, Archives municipales de Marseille) lors de la rechute
épidémique de 1722, à Marseille.
La sous-représentation des plus jeunes immatures (absence de moins de 1 an et faiblesse du nombre des 1
à 4 ans) s’explique par la surmortalité de ces classes d’âges lors de la première phase épidémique de 1720-
1721 et le manque de temps que celles-ci ont eu pour pouvoir se reconstituer, avant la rechute épidémique
du printemps 1722.
20 Lorsqu’elle est possible, la lecture simultanée des deux sources (historique et
biologique) permet de replacer dans le contexte topographique et épidémiologique du
moment la réalité du lieu qui fut utilisé pour la prise en charge et/ou l’inhumation des
victimes. Une comparaison entre les profils de mortalité attendue lors d’épidémie de
peste et les profils correspondant aux séries exhumées est également possible (figures 1
et 2).

Figure 2

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Comparaison (en pourcentages) par groupes d’âges de la mortalité normale de la population de Martigues
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entresite
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et 1719, and vivante à la veille de l’épidémie de peste de 1720-1721 et des victimes
de la population
de l’épidémie.
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On peut observer la proximité des profils entre la population vivante pré-épidémique et la mortalité par peste
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qui témoigne de la non-sélectivité de cette épidémie en fonction de l’âge des victimes.

21 Mais le plus souvent, il faut bien avouer que le chercheur est contraint à la myopie ;
un seul type de sources (historique ou biologique) lui est accessible. Mais myopie n’est
pas cécité et il est indispensable d’étudier le matériel disponible aussi fragmentaire soit-
il. La multiplication des cas, toujours originaux et particuliers à certains titres, participe
à un travail de synthèse et à une approche qui va bien au-delà du simple regard
anthropologique.
22 L’étude de ces séries de squelettes permet une approche différente de celle qui est
habituellement mise en œuvre sur les nécropoles traditionnelles. Effectivement,
puisque la crise démo-graphique, frappe de la même manière les plus jeunes comme les
plus âgés, les hommes comme les femmes8, ce n’est plus une simple étude
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paléopathologique que le chercheur peut envisager, mais bien une approche quant à
l’état sanitaire des populations, en calculant la prévalence de certaines pathologies
infectieuses (Bello et al., 2000) ou en montrant par exemple combien d’individus morts
de la peste en 1720-1722 portent encore les traces de stress anciens liés à des périodes
de famine : crise de 1693-1694, Grand Hiver de 1709-1710 (Chaumoître et al., 2007).

Un intérêt qui n’est pas seulement


archéologique et historique
23 Depuis une quinzaine d’années, les opérations archéologiques autour de sépultures
multiples et simultanées, qu’elles puissent être qualifiées de crise  : fosse de
l’Observance (Signoli, 2006), cimetière des Fédons (Bizot et al., 2005) ou cimetière de
Lariey (Signoli et al., 2007) ; ou véritablement de catastrophe : Lazzaretto Vecchio de
Venise (Gambaro et al., 2007) ou les sites du Délos et des Rayettes à Martigues pour
l’épidémie de 1720-1721 (Tzortzis et al., 2007) se sont multipliées. Elles ont permis de
porter un regard nouveau sur les épidémies du passé par l’intermédiaire d’approches se
situant à l’interface de plusieurs disciplines des sciences humaines. Cette nouvelle
source documentaire que constitue les squelettes de pestiférés peut ouvrir d’autres
horizons pour peu que l’on dispose aussi de nouveaux outils. C’est en 1998, que le pas
fut franchi. L’Unité des Rickettsies de la Faculté de Médecine de Marseille réussit à
confirmer la présence d’ADN ancien de Yersinia pestis dans la pulpe dentaire de
plusieurs individus exhumés du site de l’Observance (Drancourt et al., 1998). À la
lecture des faits archéologiques comme par l’intermédiaire des données issues des
archives historiques aucun doute ne pouvait exister sur la nature pesteuse du contexte
ayant prévalu à l’inhumation des corps découverts dans cette fosse. Mais, le fait de
disposer d’un matériel offrant de telles certitudes permit aux chercheurs de mettre en
place un protocole parfaitement fiable d’identification. Aujourd’hui, cette approche va
bien au-delà de la simple confirmation d’une hypothèse envisagée lors de la fouille,
puisque c’est la souche même de l’agent pathogène qui peut être identifiée. Les résultats
obtenus sur plusieurs sites datant de la première et de la deuxième pandémie sont
venus bouleverser les théories jusqu’alors en vigueur.
24 Effectivement, jusqu’au début des années 2000, la théorie de R. Devignat était
unanimement admise  : chaque pandémie avait pour origine un biotype de Yersinia
pestis. Les travaux récents de microbiologie viennent ébranler cette certitude, puisque
les typages faits sur des inhumations contemporaines de la première (Drancourt et al.,
2004) et de la deuxième pandémie (Drancourt et al., 2004  ; Drancourt et al., 2007)
montrent la présence exclusive de la souche orientalis, c’est-à-dire du biotype que l’on
croyait jusqu’ici seulement responsable de la Troisième Pandémie. Ainsi donc, à partir
des sources archéologiques, d’un travail précis sur les contextes d’inhumations et sur
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leur appartenance chronologique, c’est à une meilleure connaissance des phénomènes
évolutifs de certains hauts pathogènes que l’archéo-anthropologue participe. Cela est
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d’être andd’intérêt dans un contexte, comme nous l’avons vu
dénué
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précédemment, d’apparition de souches de Yersinia pestis multirésistantes aux
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antibiotiques.

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Notes
1  The day after a battle is always woeful. Calculating casualties is a sorrowful task and one which
played tricks. For, in order to make the right impression on our soldiers, we were in the habit of
clearing the field of our dead as quickly as possible but leaving the enemy’s fallen on display; Of
course, it was also natural that we scoured the field for our own wounded, and tended to them,
before turning our attention to those of our adversary. Here we see a group of French wounded;
these are but a few selected from among the many victims of that bloody day at Smolensk (North,
2005).
2   À titre d’exemple, nous renvoyons le lecteur aux toutes premières pages du roman d’E. M.
Remarque (L’île d’Espérance) qui se situe sur le front russe durant la Deuxième Guerre mondiale.
3  C’est-à-dire sur lesquels des études historiques comme archéologiques ont pu être conduites.
4  Nous citerons ici l’exemple de la Bible où à trois reprises au moins l’existence d’une épidémie
de peste peut être envisagée  : l’Arche des Philistins, le Châtiment de David, la déroute de
Sénnachérib.
5  Par exemple Procope de Césarée, Evagre, Paul le Diacre et Grégoire de Tours pour la première
pandémie pesteuse.
6  À ce titre, la réémergence de la peste humaine en Algérie en 2003, soit 50 ans après le dernier
cas antérieurement connu, ainsi que la découverte probable d’un foyer naturel jusqu’ici inconnu
démontrent à nouveau que la répartition géographique des foyers naturels n’est pas immuable
(Organisation Mondiale de la Santé, Relevé Epidémiologique Hebdomadaire, La peste humaine
en 2002 et 2003, Genève, 79, pp. 301-308, 2005).
7  Fermentation du glycérol et réduction des nitrates : Y. pestis Antiqua : glycérol +, nitrate + ; Y.
pestis Medievalis : glycérol +, nitrate - ; Y. pestis Orientalis : glycérol -, nitrate +.
8  Une inégalité sociale existe devant la peste. S’agissant d’une maladie épidémique et infectieuse,
ce sont les organismes les plus fragiles (notamment ceux qui souffrent de carences alimentaires
quantitative et qualitative) et les groupes humains vivants dans une grande proximité avec leurs
semblables qui seront les plus sensibles. Les quartiers les plus paupérisés et les plus densément
occupés sont naturellement les plus touchés.

List of illustrations
Title Figure 1
Comparaison entre les données issues des archives biologiques (fosse
de l’Observance) et des archives historiques (liste de victimes, liasse
GGL 349, Archives municipales de Marseille) lors de la rechute
épidémique de 1722, à Marseille. La sous-représentation des plus
Caption jeunes immatures (absence de moins de 1 an et faiblesse du nombre
☝🍪 des 1 à 4 ans) s’explique par la surmortalité de ces classes d’âges lors
de la première phase épidémique de 1720-1721 et le manque de temps
que celles-ci ont eu pour pouvoir se reconstituer, avant la rechute
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Title Figure 2
Comparaison (en pourcentages) par groupes d’âges de la mortalité
normale de la population de Martigues entre 1702 et 1719, de la
Caption population vivante à la veille de l’épidémie de peste de 1720-1721 et des
victimes de l’épidémie. On peut observer la proximité des profils entre la
population vivante pré-épidémique et la mortalité par peste qui témoigne
de la non-sélectivité de cette épidémie en fonction de l’âge des victimes.
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23/06/2023 09:03 Archéo-anthropologie funéraire et épidémiologie

References
Bibliographical reference
Michel Signoli, “Archéo-anthropologie funéraire et épidémiologie”, Socio-anthropologie,
22 | 2008, 107-122.

Electronic reference
Michel Signoli, “Archéo-anthropologie funéraire et épidémiologie”, Socio-anthropologie [Online],
22 | 2008, Online since 14 October 2009, connection on 23 June 2023. URL:
http://journals.openedition.org/socio-anthropologie/1155; DOI: https://doi.org/10.4000/socio-
anthropologie.1155

This article is cited by


Anstett, Élisabeth. (2018) A Companion to the Anthropology of Death. DOI:
10.1002/9781119222422.ch13

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About the author


Michel Signoli
Unité d’Anthropologie bioculturelle, UMR 6578 CNRS-EFS-Université de la Méditerranée,
Faculté de Médecine de Marseille & UMR 6130, CNRS-Université de Nice-Sophia Antipolis

By this author
L’archéo-anthropologie funéraire [Full text]
Présentation
Published in Socio-anthropologie, 22 | 2008

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