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23/06/2023 18:22 1. Temps antiques | Cairn.

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1. Temps antiques
Patrick Berche, Stanis Perez
Dans Pandémies (2021), pages 35 à 72

Chapitre

É tablir des estimations en matière de démographie pour la période antique n’est


pas chose aisée. Et cela n’équivaut pas à obtenir un tableau des pathologies
réellement endurées par les populations. Des variables comme la longévité, le
1

seuil de tolérance à la douleur, la fréquence des épidémies et la résistance naturelle


aux infections sont trop délicates à utiliser même si a priori les sources sont plus
nombreuses et surtout plus variées. Textes, médicaux ou non, inscriptions diverses
et matériel archéologique peuvent faire écho au contexte épidémiologique de
l’époque. Mais cette abondance relative ne résout pas tous les problèmes. Utiliser des
inscriptions funéraires (qui ne mentionnent jamais la maladie ayant entraîné le
décès) afin de reconstituer la démographie antique n’est pas toujours efficace et les
travaux pionniers de Jean-Nicolas Corvisier ont été suffisamment critiqués par le
passé [1]. Décrire les ex-voto d’Épidaure (les plus fréquents sont ceux contre la
stérilité et la cécité) n’aide pas à savoir de quoi se plaignait la population grecque
dans sa majorité. Dater l’âge de décès d’anciens Grecs à partir de leur crâne bute
forcément sur le caractère très fragmentaire des restes utilisés [2]. Se contenter
d’étudier l’âge de décès de philosophes, de politiciens ou de poètes célèbres n’apporte
rien de très solide, même si la recherche part d’une bonne intention [3].

Plus efficace peut-être est l’utilisation des traités hippocratiques, en s’intéressant 2


notamment à la fréquence des dizaines de maladies différentes qui y sont décrites.
Si l’on met de côté le caractère forcément tronqué de ces textes destinés à des
médecins, on peut voir se dessiner quelques tendances lourdes : Corvisier a bien
montré qu’en opérant un relevé puis une classification des pathologies citées dans
Épidémies et Aphorismes, on aboutissait à des résultats significatifs. Les fièvres
paludéennes dominent nettement, avec des syndromes rappelant le typhus ou le
choléra. Les pneumopathies sont très présentes, même s’il est souvent impossible de

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faire la part entre pneumonies, bronchites et angines. Les trois grands types de
maladies décrites se résument aux troubles respiratoires, aux fièvres et aux ennuis
intestinaux. Tout le reste concerne les problèmes situés au niveau des membres
inférieurs, de l’épiderme ou de n’importe quelle autre partie du corps, sans
fréquence spécifique. Les cancers semblent d’autant plus rares que l’espérance de vie
est faible et l’on ne retrouve qu’une seule mention dans Aphorismes, puis quelques-
unes au sujet des seins et de la bouche dans Épidémies, ainsi que de la matrice dans
Nature de la femme. En réalité, les affections mentales semblent inquiéter et intriguer
davantage les praticiens. À ce titre, les malédictions inscrites sur des bornes
protégeant bâtiments et terrains sont révélatrices de ce qui terrorisait le plus les
Anciens : « Que Dieu le frappe d’indigence, de fièvre, de frisson, d’éréthisme
[excitation des organes], de vent destructeur, de démence, de cécité, d’égarement de
l’esprit [4]. » Une autre inscription, située sur l’Acropole, promettait au contrevenant
la fièvre quarte, les frissons et la lèpre [5]… Voilà à quoi s’exposaient les profanateurs.

De fait, le tableau clinique légué par Hippocrate et ses disciples n’a pas vocation à 3
remplacer des statistiques impossibles à établir avec certitude. Au demeurant, le
père fondateur de la médecine occidentale ne semble pas avoir considéré ses
contemporains comme plus malades, ou plus fragiles, que les autres peuples de son
temps. Il considérait au contraire que le régime alimentaire s’était amélioré à son
époque et que les problèmes digestifs, pourtant récurrents dans le Corpus qu’il a
inspiré, étaient moins graves que par le passé [6]. Au sujet des personnes âgées, il
notait qu’elles étaient souvent en meilleure santé que les plus jeunes [7]. Pline l’Ancien
affirmait la même chose [8]. Certaines épitaphes allaient également dans ce sens, y
compris quand il s’agissait de médecins :

S’il y avait, pour le médecin, un moyen d’échapper à la mort, jamais le vieux Philon, 4
qui connaissait tous les remèdes, ne serait descendu sous terre. Pourtant, il a
atteint les limites de la vieillesse sans avoir été emporté par le poids des maladies ;
on pourrait donc, pour cela, dire qu’il a atteint une situation enviable, jouissant
[9]
d’une vieillesse bienheureuse, en honnête homme  .

Cependant, on savait aussi que les vieillards pouvaient mourir d’attaques cérébrales 5
ou souffrir de gâtisme ou de diabète…

À l’exception de certaines épidémies, rien n’est dit de l’état de santé « général » dans 6
les cités grecques, tout simplement parce que cette notion n’avait pas de sens.
Individuelle ou collective, la maladie demeurait un état passager, lié à l’âge, au sexe
ou aux saisons, mais n’était jamais considérée comme un phénomène quantifiable.
Qui se serait préoccupé, par exemple, de la santé des métèques ou des esclaves, voire
de celle des Barbares ? Inutile, en somme, de dénombrer les sujets malades et
d’espérer en tirer telle ou telle conclusion, le savoir médical n’en attendait aucune
source de guérison. Lorsque Hippocrate décrivit l’étrange épidémie de toux affectant
les habitants de Périnthe, il remarqua que les femmes étaient moins touchées que les

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hommes car elles sortaient moins, mais il indiqua aussi que les individus ayant de
grands yeux étaient plus frappés que les autres [10]. On pense aujourd’hui qu’il
s’agissait d’une épidémie de grippe.

En ce qui concerne l’Empire romain, de nombreux historiens se sont intéressés à la 7


démographie grâce aux inscriptions funéraires. Leurs conclusions peuvent sembler
très étonnantes par leur similarité avec la situation des temps modernes, voire de
l’ère contemporaine pour certains pays en développement : à la naissance,
l’espérance de vie est estimée à vingt et un ans, un chiffre qui passe à trente-trois ans
dès le premier anniversaire [11]. Le mécanisme est bien connu : l’espérance augmente
avec l’âge et la moyenne brute (autour de trente ans) n’est pas très significative en
raison de grandes variations selon l’environnement épidémiologique, les régions et
le contexte général [12]. Au fil des années, les individus ayant survécu jusqu’à l’âge de
vingt-cinq ans pouvaient espérer vivre jusqu’à cinquante et un ans, à cinquante,
jusqu’à soixante-trois ans, à soixante-dix ans, jusqu’à soixante-seize… Cependant, la
proportion des plus de soixante ans demeure très faible (probablement inférieure à
5 %). On manque toutefois d’indications fiables au sujet de la pyramide des âges,
c’est-à-dire la distribution des classes d’âge, abstraction faite du nécessaire
resserrement des effectifs à partir de cinquante ans [13]. Mais qu’en est-il de la
différence hommes-femmes et garçons-filles ? La mortalité en couches et la
morbidité consécutive aux accouchements les plus périlleux ont joué un rôle
déterminant, comme c’est encore le cas dans les pays du Sud aujourd’hui.

Qu’en est-il de la différence ville-campagne ? À ce sujet, l’historien Roger Woods a 8


proposé une critique radicale des estimations habituellement avancées en insistant
notamment sur la surreprésentation des zones urbaines et des milieux aisés [14]. Un
autre spécialiste a relevé l’importance de la variation saisonnière des décès, une piste
essentielle pour tenter d’évaluer le poids du climat et des températures sur la santé
des populations. En une période où les villes étaient souvent entourées de
marécages, quoique en proportions variables selon les régions, les cycles de
croissance des moustiques se lisent forcément en transparence à partir des courbes
du taux de mortalité : les reconstitutions établies par Brent D. Shaw montrent que
les mois d’août, septembre et octobre étaient de loin les plus meurtriers [15]. Mais, à la
vérité, Horace avait déjà tout dit lorsqu’il demandait à Mécène de prendre patience
en raison de ces mauvais mois que Pline le Jeune, de son côté, qualifiait de « 
insaluberrimum tempus [16] » :

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Mais, si tu tiens à me voir bien portant, il faut m’accorder, quand je redoute la


maladie, l’indulgence que tu ne me refuses pas quand je suis malade, surtout à
cette époque où les premières figues et les chaleurs entourent de ses noirs licteurs
le chef des cérémonies funèbres ; où il n’est point de père, de tendre mère qui ne
tremblent pour leur fils ; où les soins de l’amitié et les fatigues du barreau amènent
les fièvres et ouvrent les testaments. Quand l’hiver viendra blanchir de ses frimas
les plaines d’Albe, ton poète descendra vers la mer et, soigneux de sa personne,
s’enfermera avec ses livres ; puis il ira, cher ami, te revoir, si tu le permets, avec le
[17]
zéphyr et les premières hirondelles  .

Les lettrés disaient donc vrai… 10

La récurrence de ces « fièvres » évoquées constamment ne saurait étonner. Mais 11


point de statistiques et, comme on pouvait s’y attendre, les indications relatives aux
épidémies sont le plus souvent symboliques. On ne peut rien conclure des 30 
000 convois funéraires que dénombrait Suétone, en un seul automne, lors de la « 
peste » survenue sous le règne de Néron [18]. On ne saurait rien affirmer non plus des
2 000 morts par jour que signalait Dion Cassius à l’occasion de la peste « 
antonine [19] ».

Qu’est-ce qu’une « peste » dans l’Antiquité ?

D’un certain point de vue, toute épidémie est une métaphore des pires fléaux 12
susceptibles de frapper la cité :

La mort la frappe dans les germes où se forment les fruits de son sol, la mort la 13
frappe dans ses troupeaux de bœufs, dans ses femmes, qui n’enfantent plus la vie.
Une déesse porte-torche, déesse affreuse entre toutes, la Peste, s’est abattue sur
nous, fouaillant notre ville et vidant peu à peu la maison de Cadmos, cependant
[20]
que le noir Enfer va s’enrichissant de nos plaintes, de nos sanglots  .

Le prêtre de Zeus qui s’exprime au début d’Œdipe roi résume tout, et la proximité 14
entre loimos (la peste) et limos (la famine), voire polemos (la guerre) [21], suffit à éclairer
le champ sémantique d’un terme propice à tous les emplois. La peste tue autant que
la famine car elle est une famine ; elle porte la mort parce qu’elle est la mort en
puissance, celle que prédisent les maigres récoltes, celle que provoque
l’affaiblissement des corps et surtout la prolifération des miasmes. Dans Les Perses,
Darius pense tout d’abord que la défaite que lui annonce son épouse est due à une
épidémie parmi ses troupes. Ce fléau caractérise également les Euménides et leur « 
souffle empoisonné d’une peste éternelle » (Eschyle) [22], énième métaphore du mal,
même si, à la vérité, les auteurs grecs ont rechigné à trop décrire les maladies
s’abattant sur la cité dans leurs pièces. Paradoxe étrange si l’on considère que les
métaphores médicales étaient, quant à elles, fort nombreuses [23]. Mais les vases eux-
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mêmes n’ont jamais représenté la moindre épidémie et la figure ailée de la furieuse


Tisiphone (« la Vengeance ») ne devait pas beaucoup effrayer la clientèle des potiers.
Quant à la proximité géographique, à Athènes, entre le théâtre de Dionysos et le
temple d’Asclépios, elle ne prouve pas grand-chose.

Aussi, à côté des invocations aux dieux, les médecins tentaient de comprendre 15
pourquoi, ici ou là, de temps en temps, les populations et leurs troupeaux périssaient
en masse. Il convenait donc de distinguer différentes catégories de maladies :

Le médecin […] instruit sur la plupart de ces points [Hippocrate a énuméré ce que 16
le bon praticien doit observer], sur tous s’il est possible, arrivant dans une ville à lui
inconnue, n’ignorera ni les maladies locales, ni la nature des maladies générales,
de sorte qu’il n’hésitera pas dans le traitement, ni ne commettra les erreurs dans
lesquelles tomberait celui qui n’aurait pas approfondi d’avance ces données
essentielles. Ainsi préparé, il prédira, à mesure que la saison et l’année s’avancent,
tant les maladies générales qui affligeront la ville l’été ou l’hiver, que celles dont
[24]
chacun en particulier est menacé par le changement du genre de vie  .

Ces quelques lignes ont été déterminantes pour l’histoire de la médecine et la 17


séparation entre « maladie générale » et « maladie locale » a suscité beaucoup de
commentaires. Dans la vision hippocratique, une frontière nette sépare, d’un côté,
les pathologies liées au climat et à ses aléas, et, d’un autre, les maladies
spécifiquement liées au mode de vie (alimentation, activité physique,
accidents, etc.). En somme, il existerait, pour l’homme de l’art, une géographie des
maladies générales, de celles qui occupent en permanence de vastes zones que le bon
médecin doit identifier. En parallèle, les aléas du quotidien peuvent provoquer des
maux plus localisés, qu’ils soient individuels ou qu’ils découlent d’une épidémie
circonscrite dans un lieu donné. La santé des populations dépendrait de deux types
de facteurs, fixes et variables (plutôt individuels). Des précisions sont apportées
dans Nature de l’homme :

Les maladies proviennent les unes du régime, les autres de l’air, dont l’inspiration 18
nous fait vivre. On distinguera ainsi ces deux séries : quand un grand nombre
d’hommes sont saisis en même temps d’une même maladie, la cause en doit être
attribuée à ce qui est le plus commun, à ce qui sert le plus à tous ; or, cela, c’est l’air
que nous respirons. […] Au temps où une maladie règne épidémiquement, il est
clair que la cause en est non dans le régime, mais dans l’air que nous respirons et
[25]
qui laisse échapper quelque exhalaison morbifique contenue en lui  .

C’est ce qu’on appellera la théorie des miasmes. On a longtemps critiqué 19


l’argumentaire hippocratique en considérant qu’il était restrictif et, surtout, qu’il
s’opposait à la notion de contagion. En vertu de ce qui est énoncé, les pathologies ne

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transiteraient pas d’un malade à l’autre ; ce seraient des causes communes qui
expliqueraient la diffusion de telle ou telle pathologie jusqu’à atteindre les
proportions d’une épidémie.

Mais est-ce aussi simple ? L’expression « exhalaison morbifique » passe souvent pour 20
une preuve de la dérive « scolastique » de l’ancienne médecine, incapable qu’elle était
de décrire les agents infectieux responsables des grandes maladies. En réalité, la
situation est autrement plus complexe, et derrière l’idée selon laquelle l’air peut
menacer la santé (en raison d’une altération quelconque), on constate que, dans le
détail, cette interprétation laisse la place nécessaire à d’autres analyses. Non
seulement cela signifie que ce qui provoque les maladies est manifestement invisible
à l’œil nu, poisons ou morsures vénéneuses exclus, mais que le souffle expiré par une
personne souffrante peut, à son tour, déclencher la même pathologie chez celle qui
l’inspire à son tour. Tel est le cas, par exemple, du « grand mal » ou du morbus
comitialis qui imposait d’arrêter les comices, à Rome, par peur de la transmission de
l’épilepsie par l’haleine des patients [26].

Cette ambiguïté se retrouve, pour ne pas dire se confirme, dans la célèbre relation 21
que Thucydide a livrée de la « peste » d’Athènes. Une formule ne passe pas
inaperçue : « Les médecins étaient impuissants, car ils ignoraient au début la nature
de la maladie ; de plus, en contact plus étroit avec les malades, ils étaient plus
particulièrement atteints [27]. » Et, plus loin :

Ce qui était le plus terrible, c’était le découragement qui s’emparait de chacun aux 22
premières attaques : immédiatement les malades perdaient tout espoir et, loin de
résister, s’abandonnaient entièrement. Ils se contaminaient en se soignant
réciproquement et mouraient comme des troupeaux (καὶ ὅτι ἕτερος ἀφ’ ἑτέρου
θεραπείας ἀναπιμπλάμενοι ὥσπερ τὰ πρόβατα ἔθνῃσκον). C’est ce qui fit le plus de
victimes. Ceux qui par crainte évitaient tout contact avec les malades périssaient
dans l’abandon : plusieurs maisons se vidèrent ainsi faute de secours. Ceux qui
approchaient les malades périssaient également, surtout ceux qui se piquaient de
courage : mus par le sentiment de l’honneur, ils négligeaient toute précaution,
allaient soigner leurs amis ; car, à la fin, les gens de la maison eux-mêmes se
lassaient, vaincus par l’excès du mal, d’entendre les gémissements des moribonds.
C’étaient ceux qui avaient échappé à la maladie qui se montraient les plus
compatissants pour les mourants et les malades, car connaissant déjà le mal, ils
[28]
étaient en sécurité. En effet les rechutes n’étaient pas mortelles  .

Thucydide a-t-il soupçonné une forme de contagiosité inhérente à ce mal étrange ? 23


C’est fort probable ; et l’allusion aux personnes infectées du fait de leur proximité
avec les malades a suscité l’interrogation de nombreux spécialistes. Après les
réflexions de Lichtenthaeler, notamment sur le vocabulaire employé par
Thucydide [29], et juste avant celles de Coughanowr [30], Grmek a tenté de trancher
pour mettre un terme aux anachronismes [31]. Pas de contagion, au sens strict, dans

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l’esprit du stratège vaincu à Amphipolis, seulement l’application du principe


d’Hippocrate, bien plus ouvert et beaucoup plus souple qu’on ne le pense : exposé au
souffle d’un malade, le corps se remplit (sens du terme ἀναπιμπλάμενοι) et succombe
lui aussi, à moins qu’au préalable il n’ait déjà survécu au mal. Gardons-nous
toutefois de voir ici une prémonition de l’immunité… Au quotidien, loin des discours
savants, les épidémies faisaient fuir les populations et brisaient les familles, mais pas
forcément les amitiés. Le rhéteur Isocrate, par exemple, a raconté sa fuite avec son
ami Thrasylocus, un homme souffrant d’un mal non précisé et que ses proches, en
bonne santé, avaient laissé à son triste sort :

Ce qui suit fera voir, avec plus d’évidence encore et de certitude, quel a été mon 24
dévouement pour lui. Lorsqu’il se fut retiré à Égine dans l’intention d’y habiter, et
qu’il y eut contracté la maladie dont il est mort, je lui prodiguai mes soins avec une
telle abnégation que je ne sais pas si jamais un homme en a montré une semblable
pour un autre homme. Il resta dans son lit pendant six mois entiers sans qu’aucun
de ses parents le visitât, excepté sa mère et sa sœur qui, malades elles-mêmes,
vinrent de Trézène pour le voir, et, durant cette longue période, je le soignai, aidé
[32]
des secours d’un seul esclave  .

Mais qui nous dit qu’il n’a pas exagéré ? La mention d’une période de « six mois » 25
indique plutôt une maladie chronique… Après tout, en 396 av. J.-C., devant Syracuse,
les troupes de Denys, frappées par ce qui ressemble à la variole, éprouvèrent une
angoisse telle que les malades furent abandonnés par crainte de la contamination, et
Diodore explique, mais en s’inspirant peut-être de Thucydide, que « dans le
commencement, ils [les Carthaginois] ensevelissaient leurs cadavres ; mais bientôt,
en raison de la quantité des morts, et les gardes-malades étant eux-mêmes attaqués
de la maladie, personne n’osa plus approcher des souffrants [33] ».

En conséquence, si, sur le plan du discours savant, la notion de contagion n’existe 26


pas dans l’Antiquité, les principes hippocratiques n’ont pas neutralisé pour autant
toute réflexion sur la présence, dans les lieux infectés, d’éventuels agents
pathogènes. D’ailleurs, qu’est-ce qui rendait l’air si corrompu ? Les vents, le froid ou
la chaleur suffisaient-ils à déclencher les épidémies qui étaient observées ? Aristote a
abordé la question dans ses Problèmes :

27

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Toutes ces maladies se contractent d’autant plus vite qu’elles viennent de quelque
corruption, comme cela se voit dans les cas de peste. En s’approchant du malade,
on respire cet air pernicieux. On prend la maladie, parce qu’il y a dans cet air
quelque chose de morbide ; et on ne souffre absolument qu’à cause de l’haleine qui
a été expirée.
Les gens ne sont pas atteints lorsqu’ils respirent un autre air. On contracte la
même maladie, parce qu’on respire près du malade le même air qu’on expirerait
soi-même, si l’on était malade. La gale, ainsi que la lèpre et les affections analogues,
se contracte parce qu’elle est superficielle ; et que la matière qui sort alors de la
peau est visqueuse. Ces espèces de maladies causent des démangeaisons. On les
prend par le toucher précisément, parce qu’elles sont à la surface de la peau et
qu’elles sont visqueuses. Quant aux autres maladies, tantôt on ne les contracte pas,
parce que justement elles ne sont pas superficielles. Tantôt d’autres affections, qui
sont aussi à la surface, ne sont pas non plus contagieuses, à cause de la sécheresse
[34]
qu’elles conservent toujours  .

Si la première partie du texte s’inscrit dans le droit fil de la pensée hippocratique, la 28


fin innove singulièrement en évoquant une forme de contagion par le contact
physique, de peau à peau. Une étrange « matière visqueuse » est incriminée sans que
l’on sache exactement si elle découle des manifestations de la maladie elle-même ou
non. « Visqueuse » signifie, sans doute, à la fois « sèche » et « humide », pour
reprendre les catégories favorites du Stagirite. Logiquement, une matière trop sèche
ne se transmettrait pas facilement, alors que trop humide elle ne resterait pas sur le
corps et ruissellerait… Pour le reste, impossible d’en savoir davantage sur ce vecteur
de maladie, sinon qu’il complète la théorie de l’air corrompu. Les conséquences ne
doivent pas être minimisées pour autant : le passage cité suggère que l’air n’est pas le
seul facteur pathogène et que la proximité directe avec des corps infectés serait
doublement dangereuse (ne faisait-il pas allusion à certaines teignes alors très
répandues ?).

Si ceci ne suffit pas à établir une théorie de la contagion, certaines allusions 29


anciennes vont tout de même dans ce sens et ajoutent aux causes énoncées par
Hippocrate des facteurs supplémentaires. Varron, fort de l’observation des travaux
agricoles et de la vie rurale, a livré une réflexion dont l’équivalent ne se retrouve pas
dans la littérature médicale de son temps, tout au moins dans celle, très
fragmentaire, qui nous est parvenue :

Êtes-vous forcé de bâtir au bord d’un fleuve ? Ouvrez vos jours de l’autre côté, sans 30
quoi les habitations seraient froides pendant l’hiver et peu saines pendant l’été. Il
faut éviter avec un soin égal le voisinage des lieux marécageux : d’abord, parce que
les mêmes inconvénients s’y trouvent ; et puis, parce que les marais venant à se
dessécher engendrent une multitude d’insectes imperceptibles [« animalia quaedam
minuta »] qui s’introduisent par la bouche et les narines avec l’air que l’on respire,
[35]
et occasionnent ainsi des maladies graves  .
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À notre connaissance, et en vertu de ce qu’il subsiste des textes médicaux antiques, 31


aucun médecin ancien n’a jamais parlé de ces animaux minuscules qui, volant dans
l’air mais demeurant imperceptibles, pénétreraient à l’intérieur du corps en
perturbant la santé. Varron ne précise pas de quel type de maladies graves (« difficiles
morbo ») il s’agit, ni de quelle manière neutraliser ces créatures microscopiques…
Faut-il chercher chez Ovide un élément de réponse au sujet de ces mystérieux
organismes ? L’auteur des Métamorphoses affirmait en effet, à la suite d’une longue
tradition, que certains insectes naissaient spontanément sur notre corps (Aristote
expliquait ainsi la prolifération spontanée des poux sur la tête naturellement
humide des petits enfants [36]) en conséquence de la décomposition des tissus :

Nonne vides quaecumque mora, fluidoque liquore 32


[37]
Corpora tabuerint, in parva animalia verti   ?
(« Ne voyez-vous pas, par l’effet du temps ou de la chaleur,
Les corps liquéfiés être convertis en minuscules animaux ? »)

Mais, peut-on objecter, il s’agit là de petits animaux bien visibles et que l’on sent sur 33
soi. D’ailleurs, le fait qu’ils proviennent de nous-mêmes les rendrait inoffensifs :
comment des créatures nées de notre corps pourraient-elles nous nuire au-delà de
quelques démangeaisons ? Rien de comparable, en théorie, avec les insectes
nuisibles : les Éléens, selon Pline, invoquaient le dieu chasse-mouche Myagros
lorsque des pestilences éclataient [38]. Quant à Columelle, il semble avoir fait preuve
d’une grande perspicacité quand il a voulu dissuader ses lecteurs de bâtir leur ferme
près d’un marais car, prévenait-il, « les eaux stagnantes laissent échapper, par l’effet
des chaleurs, des miasmes empoisonnés, et engendrent des insectes armés
d’aiguillons offensifs [“et infestis aculeis armata gignit animalia”], lesquels fondent sur
nous en d’épais essaims ; on y est aussi infesté par des reptiles et des serpents qui,
privés de l’humidité des hivers, recueillent leur venin dans la fange et l’ordure de la
fermentation [39] ».

Il est intéressant de souligner que les notions, somme toute voisines, de 34


décomposition et de fermentation permettent d’élargir la théorie hippocratique de
l’environnement à bien d’autres nuisances. Après les miasmes, la vermine. Aristote
rapporte l’apparition spontanée en quelques jours de moisissures sur les aliments,
de mites sur la laine et de souris dans les vieux vêtements. Il formule dans l’Organon
la théorie de la génération spontanée, selon laquelle les matières en décomposition
engendrent des vers, de telle sorte que la terre ne produit que les plantes et les
animaux conçus dès l’origine par le Créateur, par l’intermédiaire de germes qui ont
été ensemencés dans les milieux favorables à leur développement [40].

À partir de l’époque romaine, les différents témoins se rendent compte que les 35
épidémies proviennent à la fois de l’air, de l’eau et, d’une façon plus générale, de ce
qui se corrompt en provoquant de mauvaises odeurs. Le récit que Diodore de Sicile a

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consacré à la célèbre épidémie de « peste » survenue à Athènes est à ce sujet très


éclairant :

Dans cette année, après quelque temps de répit, la population d’Athènes fut de 36
nouveau ravagée par le fléau de la peste. Cette maladie était si violente qu’elle fit
mourir plus de quatre mille hommes d’infanterie et quatre cents cavaliers, sans
compter plus de dix mille habitants tant libres qu’esclaves. Comme l’histoire a
recherché les causes de cette grave maladie, il faut en faire ici l’exposé. De grandes
pluies étaient tombées dans l’hiver précédent : la terre en était détrempée ; les eaux
s’étaient amassées dans les lieux bas et creux et avaient formé des étangs et des
flaques d’eau stagnante, semblables à des marécages. Sous l’influence de la chaleur
de l’été, ces eaux croupissantes se putréfiaient et produisaient des exhalaisons
épaisses et fétides qui s’élevaient, corrompaient l’air environnant, ainsi que cela se
voit dans les endroits marécageux où se manifestent les caractères pestilentiels. À
cette cause se joignit une mauvaise nourriture ; car dans cette même année les
fruits étaient entièrement gâtés par l’humidité et de mauvaise qualité. Une
troisième cause de maladie fut l’absence des vents étésiens dont le souffle frais
tempère considérablement la chaleur de l’été. Cette chaleur devint alors si intense
et l’air si embrasé, que le corps de l’homme, n’étant rafraîchi par aucun vent,
[41]
contracta des germes de décomposition (« γενομένης λυμαίνεσθαι συνέβαινε »)  .

Publié au xixe siècle, le texte mentionne hâtivement des « germes de 37


décomposition », une traduction qui ne serait pas retenue aujourd’hui. On parlerait
plutôt, en restant proche du grec ancien, de facteur de corruption [42]. Or si
l’hippocratisme est respecté, on a tout de même l’impression que, d’après Diodore,
ce n’est pas seulement la nature de l’air qui a été altérée par une chaleur excessive et
des pluies diluviennes : les vents auraient véhiculé autre chose de corrompu en eux et
c’est cet élément qui aurait déclenché la pestilence en s’introduisant dans des corps
devenus trop secs. Il est vrai que le médecin romain Celse préconisait d’éviter la
chaleur en période d’épidémie en raison de la sueur et du relâchement qu’elle
provoquait, celui-ci rendant le sujet « plus accessible aux maladies pestilentielles »
(« morbis pestilentibus corpus efficit ») [43].

Trancher en faveur de l’une ou l’autre de ces théories, au demeurant fort proches, 38


n’est pas facile ; toutefois, l’hypothèse d’une cause s’ajoutant à la température et au
degré d’humidité de l’air a dû s’imposer à l’époque de Galien. Jacques Jouanna a
d’ailleurs remarqué que, dans son commentaire de la description de la « peste »
d’Athènes par Thucydide, Galien avait juxtaposé les deux interprétations [44]. Air
corrompu et corruption dans l’air. Dès lors, relire le traité Vents d’Hippocrate n’est
pas superflu (notamment en raison de l’emploi de l’expression « souillé de miasmes
morbifiques » (« ἢ μεμιασμένον νοσεροῖσι μιάσμασιν »), surtout si l’on compare avec
Sur la différence des fièvres du médecin de Pergame [45]. Il est donc permis d’imaginer
une légère évolution de la théorie hippocratique à partir de l’idée de « miasmes », ces
semences de maladies véhiculées par un air de mauvaise température [46].
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Un problème subsiste : les épidémies décrites ici ou là étaient-elles aussi 39


fréquentes ? Si l’on considère le contenu des traités médicaux qui nous sont
parvenus, tout porte à croire que les maladies individuelles étaient bien plus
répandues et prises en considération que les infections à grande échelle. Trois
explications peuvent être avancées : fréquemment qualifiées de « divines », les « 
pestes » n’auraient pas intéressé des médecins confrontés à ce qui dépassait leurs
compétences dans la plupart des cas ; l’héritage hippocratique aurait suffi
amplement aux praticiens, il aurait donc été inutile d’ajouter quoi que ce soit aux
traités de l’école de Cos ; les épidémies soudaines et très meurtrières n’étaient peut-
être pas aussi répandues qu’on le pense communément, en dehors d’épisodes
spectaculaires très espacés dans le temps (peste d’Athènes, peste de saint Cyprien,
peste antonine, etc.).

Examinons rapidement chaque hypothèse. Tout d’abord, l’un des fondements de la 40


médecine hippocratique est la séparation rationnelle entre le naturel et le
surnaturel [47], le tout aboutissant, d’une certaine manière, aux lignes franchement
incrédules du traité De Divinatione de Cicéron :

Comment conviendrait-il qu’un malade consultât un interprète des songes plutôt 41


qu’un médecin sur le traitement à suivre ? Pense-t-on qu’Esculape, que Sérapis
puissent par le moyen du songe nous ramener à la santé ? Pourquoi Neptune n’en
ferait-il pas autant pour les pilotes ? Et si Minerve communique l’art de guérir en
se passant de médecin, pourquoi les Muses ne communiqueraient-elles pas aux
songeurs l’art d’écrire, de lire, toutes les connaissances qu’on voudra ? Si la
guérison d’une maladie était possible par ce moyen, tout ce que je viens d’indiquer
le serait aussi ; or cela n’est point, donc la guérison, elle aussi, n’est pas possible, et
[48]
si on ne l’admet plus les songes perdent tout crédit  .

Ensuite, il est vrai qu’aucun traité spécifique aux épisodes de pestilence ne nous est 42
parvenu, y compris au sein de l’abondante production de Galien, un auteur sur
lequel il faut revenir. Le lointain disciple d’Hippocrate aurait pu utiliser ses propres
observations pour composer un discours sur un problème aussi important, en
contredisant éventuellement son maître, sinon les autres écoles médicales
stigmatisées dans Des sectes. D’ailleurs, un passage de Méthode thérapeutique peut
laisser perplexe [49]. Alors qu’il soigne au cours de la peste antonine un jeune patient
présentant des ulcères à la trachée et dans les bronches, Galien teste les effets du
vinaigre et de la moutarde sur son patient avant de lui prescrire du lait…

La chronologie et l’évaluation des « grandes » épidémies de l’Antiquité et du haut 43


Moyen Âge doivent être revues et confrontées à ce que l’archéologie et l’analyse ADN
des restes humains peuvent nous apprendre. En plus d’être rares, les textes pèchent
sans doute par l’usage d’un lexique conventionnel qui n’aide pas l’historien à y voir
plus clair. Enfin, l’atteinte chronique des populations par certaines maladies
infectieuses brouillait forcément les pistes en amenant les médecins à confondre

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épidémies et endémies. Ces dernières devaient passer inaperçues au milieu des


catégories de fièvres que les savants s’évertuaient à cataloguer sans être capables
d’en établir ni la géographie précise ni le bilan humain. Or, on a pu établir que les
fameuses fièvres tierces étaient causées par Plasmodium vivax, les fièvres quartes par
Plasmodium malariae. Des études solides réalisées à partir de squelettes et de momies
retrouvées notamment en Égypte (pendant la période pharaonique) indiquent par
exemple qu’un parasite comme Plasmodium falciparum (la plus dangereuse des quatre
espèces de malaria) est présent dans plus d’un tiers des échantillons analysés.
Lorsque des lésions osseuses liées à un état d’anémie sont observées, c’est 90 % des
corps qui contiennent le germe [50]. Les moustiquaires décrites en son temps par
Hérodote n’ont bien sûr pas été suffisantes [51]. Pour l’Empire romain, on portera une
attention toute particulière aux résultats des fouilles d’un cimetière improvisé situé
à Lugnano : l’étude de l’ADN réalisée par Robert Sallares à partir des restes de
quarante-sept nourrissons, parmi lesquels une vingtaine de prématurés, a montré
qu’ils étaient morts de la malaria contractée par leurs mères à l’occasion d’une
épidémie foudroyante qui n’a laissé aucune trace dans la littérature [52]. De plus, cette
étude majeure pour la connaissance de l’histoire de la santé dans la Méditerranée
antique montre qu’initialement les Grecs n’avaient pas été confrontés à Plasmodium
falciparum avant leur installation en Italie. Par ailleurs, l’immunité des populations
romaines a dû s’adapter au fil des siècles pour mieux résister à la fièvre, notamment
aux demi-tierces également causées par le même germe très présent en Toscane :
mais cette région n’était-elle pas justement qualifiée de « sane gravis et pestilens [53] »
par Pline le Jeune ? Le cas d’Urbino est également intéressant : en dépit de la
présence de marécages propices à la malaria, l’analyse des ossements provenant
d’une nécropole périphérique (ier-iiie siècle après J.-C.) a nuancé la vision d’une
région où la maladie transmise par les moustiques serait la première cause de décès.
En fait, elle est peu présente dans les soixante et onze corps étudiés, et ce sont plutôt
les carences alimentaires et les blessures (de nombreuses lésions ont été repérées)
qui expliquent la très faible longévité des populations locales : avec une espérance de
vie à la naissance autour de vingt-sept ans, les habitants pauvres, puisque c’était le
cas, vivaient apparemment dans les mêmes conditions que leurs ancêtres du
Néolithique [54]. Plus globalement, on manque encore d’éléments probants sur les
autres régions de l’Empire, par exemple pour évaluer la morbidité des populations
vivant ou en altitude, ou dans les zones moins humides. Ainsi, d’autres études
s’appuyant sur l’ADN et l’analyse des lésions osseuses pourraient permettre, à partir
d’échantillons variés, de confirmer cette hypothèse qui, de fait, tend à relativiser
l’impact des pestilences exceptionnelles sur l’histoire sanitaire de Rome avant le
iie siècle après J.-C.

Premières pandémies antiques

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La révolution du Néolithique, avec le développement de l’agriculture et de l’élevage, a 44


entraîné une vie sédentaire en promiscuité, des régimes alimentaires monotones, de
nouveaux modes de déplacement et de communication comme l’écriture, une
technique qui ouvre la période historique. Conjointement, on assiste à un
accroissement des échanges, du commerce et des conflits pour défendre les
territoires. Il en est résulté une forte poussée démographique avec l’apparition de
villages, de bourgs et de cités pouvant rassembler plusieurs milliers d’habitants. Cela
a rapidement posé des problèmes sanitaires liés notamment à l’évacuation des
déchets et à l’accès à l’eau potable, ce qui a favorisé les diarrhées, les fièvres, les
rhumes ou encore certaines parasitoses dues à des vers. La densité de population et
le contact intime avec les animaux d’élevage, réservoirs de nombreux germes, seront
la cause de l’éclosion de nombreuses maladies infectieuses souvent épidémiques dès
cette époque. Cela est attesté par les données génomiques des agents infectieux,
montrant l’origine récente de nombreux fléaux, tels que la tuberculose, la lèpre, la
variole, la rougeole, la syphilis et bien d’autres. Beaucoup de ces maladies ont émergé
lors des récents millénaires, dès l’âge du bronze, où l’on trouve déjà des traces de
peste, puis à l’âge du fer qui fut le témoin de l’avènement de la tuberculose et de la
lèpre.

À partir du Néolithique, de nombreuses preuves archéologiques attestent de 45


phénomènes épidémiques régionaux qui ravageaient régulièrement les populations.
La création des grands empires, comme l’Empire romain qui assure un vaste espace
de communication et de commerce à travers la Méditerranée, jusqu’en Orient,
explique l’apparition de pandémies s’étendant sur de nombreuses régions. Les
populations ainsi exposées étaient particulièrement vulnérables à des germes
jusque-là inconnus ou rarement rencontrés, comme le virus de la variole, les bacilles
de la peste, de la lèpre, de la tuberculose… Les vagues épidémiques décimaient les
populations, notamment les très jeunes enfants qui payaient un lourd tribut. Ainsi
s’opérait, au fil des siècles, une sélection des individus les plus robustes à l’origine
d’une certaine immunité naturelle à des fléaux comme la tuberculose ou la variole.
Cependant, cette résistance aux infections pouvait être affaiblie, notamment par les
disettes, les famines, les migrations, les guerres, les aléas climatiques, les
catastrophes naturelles.

Dans son ouvrage Épidémies, Hippocrate distinguait certaines maladies 46


transmissibles à l’origine des épidémies, avec de nombreux cas groupés. Il attribuait
la cause de ces pathologies collectives à des modifications de l’environnement,
notamment l’air vicié que l’on respire, les miasmes. Il a décrit entre autres une
épidémie survenue en 412, à Périnthe, dans le nord de la Grèce : elle débutait avec
une fièvre brutale – une caractéristique de la grippe –, de vives douleurs, une toux et
une fatigue importante. Ces épidémies pouvaient prendre un caractère saisonnier
en sévissant pendant l’automne et l’hiver. Diodore de Sicile (90-30 avant J.-C.)
décrivit un autre épisode ayant frappé l’armée d’Athènes en Sicile. Cependant, la
cause reste discutée car les symptômes décrits sont souvent ceux de pneumopathies
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[55]
de causes diverses  . Toujours à cette époque, l’historien Thucydide fut le premier à
décrire une épidémie meurtrière à Athènes, en 430-429 avant J.-C., celle, bien
connue, qui emporta Périclès. L’épidémie aurait commencé en Éthiopie, se
répandant en Égypte et en Libye avant d’atteindre l’Attique par un bateau en
provenance d’Afrique du Nord ayant accosté au Pirée. Il en fut le témoin oculaire et
survécut lui-même à la maladie qu’il a décrite avec soin :

Les victimes, c’est sans aucun précédent, tout à coup, en pleine santé, étaient 47
prises en premier lieu de fortes chaleurs de tête, d’un érythème et d’une
inflammation des yeux ; les parties internes, pharynx et langue, devenaient
aussitôt sanguinolentes, la respiration sortait bizarre et fétide ; plus tard, à la suite
de ces phénomènes, survenaient de l’éternuement et de l’enrouement, et sans
tarder la douleur descendait sur la poitrine, accompagnée d’une forte toux […]. La
peau n’était ni trop chaude au toucher ni pâle, mais rougeâtre, plombée, couverte
de petites phlyctènes et de plaies. L’intérieur du corps était si brûlant que l’on ne
pouvait supporter le contact du plus léger vêtement ni de la toile et rien d’autre que
la nudité, et le plus grand plaisir eût été de se plonger dans l’eau froide […]. La
plupart mouraient le neuvième jour ou le septième jour du fait de la brûlure
interne, gardant encore de la vigueur […]. La maladie se répandait à travers le corps
tout entier en commençant par le haut après s’être fixée d’abord dans la tête, et si
l’on évitait les accidents les plus graves, le mal ne s’en révélait pas moins en
attaquant les extrémités […]. La maladie ne prenait pas deux fois la même
personne au point de la tuer […]. L’hiver suivant, la peste fondit une deuxième fois
sur les Athéniens : sans qu’elle eût jamais entièrement cessé, elle avait eu
cependant quelque intermittence. Elle ne dura pas, cette deuxième fois, moins
[56]
d’une année, mais précédemment elle avait duré deux années  .

En résumé, la maladie est d’apparition brutale, avec une forte fièvre, une éruption 48
vésiculaire et ulcéreuse ; elle est accompagnée de diarrhées, de vomissements
sanglants et parfois de convulsions ; elle est très contagieuse et saisonnière ; elle
aurait entraîné 25 % de mortalité dans la population d’Athènes. La nature de cette
épidémie régionale en Grèce demeure une énigme. S’agissait-il du typhus
exanthématique, d’une variole ou d’une fièvre hémorragique [57] ? Longtemps on n’a
connu que des épidémies circonscrites à une ville ou une région, qui résultaient
souvent d’exacerbations d’endémies locales. On accusait les miasmes, l’air pollué ou
encore quelque divinité courroucée pour des raisons obscures.

Quelques siècles plus tard, l’Empire romain fut frappé au cœur par plusieurs 49
pandémies qui pourraient avoir contribué à sa chute. Comment un empire très
peuplé, intégré, prospère à l’époque de Marc Aurèle (161-180), a-t-il pu devenir
méconnaissable cinq siècles plus tard ? Pourquoi la ville de Rome, peuplée d’un
million d’habitants au début de l’ère chrétienne, ne compte-t-elle plus que 20 
000 habitants au viie siècle ? Que s’est-il passé ? D’innombrables hypothèses ont été
avancées pour expliquer cet effondrement en quelques siècles. On a parlé de
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saturnisme, des multiples invasions des Barbares venant de l’Est, d’un naufrage
administratif puis militaire de l’Empire… L’émergence de pandémies qui ont frappé
le monde romain à de multiples reprises pourrait faire partie des causes favorisant
ce déclin, en synergie avec des changements climatiques qui ont amorcé de grandes
difficultés économiques.

À l’époque de la République, au iiie siècle avant notre ère, Rome avait connu un 50


climat très favorable qui s’était prolongé jusqu’au règne d’Antonin le Pieux, au
iie siècle. Cette période correspond à la phase d’expansion de l’empire fondé par
Auguste, amenant une prospérité « universelle » avec une agriculture et un
commerce florissants. A suivi une période d’annexion d’immenses provinces qui, à
l’époque de Marc Aurèle, s’étendaient sur trois continents, l’Europe, l’Afrique et
l’Asie, unifiées par la Pax Romana depuis l’Angleterre jusqu’à la Nubie. Cet empire
organisé en provinces était dirigé depuis Rome, le centre impérial qui assurait la
coordination du pouvoir militaire. L’empereur incarnait le pouvoir exécutif sous la
surveillance aléatoire du Sénat. L’unité de l’Empire était assurée en permanence par
trente légions romaines (environ 160 000 soldats) réparties de la Bretagne au Rhin et
au Danube, jusqu’à la mer Noire, de la Cappadoce à l’Arabie, à l’Égypte et la Nubie. À
ces forces s’ajoutent les unités auxiliaires constituées de Barbares recrutés dans les
provinces, soit en tout 500 000 hommes.

L’Empire romain atteignit alors son apogée avec une population qui est passée de 51
60 millions d’habitants à la mort d’Auguste, en l’an 14, à environ 75 millions sous le
règne de Marc Aurèle. Environ 80 % des gens vivaient à la campagne et 20 %
s’entassaient dans de nombreuses villes peuplées de plusieurs dizaines de milliers
d’habitants, à Rome, Alexandrie, Antioche, Pergame, Éphèse, Carthage, Séleucie,
Ctésiphon…

Contrastant avec les classes aisées jouissant de la prospérité, la population des villes 52
vivait dans des conditions souvent misérables. Témoin de leur mauvaise santé, la
malnutrition est attestée par la petite taille relevée par l’étude des squelettes.
Environ 30 % des enfants mouraient au cours de la périlleuse première année.
L’espérance de vie à la naissance était estimée à environ vingt-sept ans dans l’Égypte
romaine. On mourait souvent de diarrhées et de fièvres, notamment du paludisme.
Cette mortalité précoce était compensée par une forte fécondité. Les femmes
mettaient au monde en moyenne six enfants et la population de la Rome impériale
présentait un taux de croissance de 0,15 % par an entre les règnes d’Auguste et de
Marc Aurèle [58].

À partir de la fin du iie siècle, les données recueillies par les climatologues attestent 53
de changements climatiques marqués par de nombreuses intempéries alternant
sécheresse et inondations perturbant un empire au faîte de sa puissance. Pis, du
ve au viiie siècle, l’Europe connut un coup de froid avec le « petit âge glaciaire » de
l’Antiquité tardive, période de fort refroidissement avec des hivers glaciaux et des
étés humides à fortes pluies, engendrant de très mauvaises moissons et des famines.
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L’Empire s’effondra sous les coups des invasions barbares venant de l’Est et se
morcela en d’innombrables « féodalités » rivales. Cette période correspond au
déclenchement d’épidémies exceptionnelles par leur ampleur et leur mortalité. Ce
sont sans doute les premières pandémies de l’histoire de l’humanité.

La peste antonine

Ce qui s’est passé au iie siècle est un phénomène épidémique d’une magnitude 54


jamais observée jusqu’alors ; il est survenu à l’époque la plus heureuse et la plus
prospère de l’Empire romain, frappant subitement l’ensemble des provinces. Le
premier assaut eut lieu en 165, pendant le règne de Marc Aurèle (161-180). Il demeure
connu sous le nom de « peste antonine ». Or, nous disposons d’un témoin oculaire
exceptionnel, Galien de Pergame. Cet illustre médecin, formé notamment à
Alexandrie, était arrivé à Rome à trente-trois ans, en 162, la première année du règne
des empereurs Marc Aurèle et Lucius Verus. Rome était alors le réceptacle de toutes
les souffrances humaines, un endroit idéal d’apprentissage pour un médecin avide
de connaissances. La pestilence toucha l’Urbs en 166, en provenance de l’Orient. Au
cinquième livre de son ouvrage Méthode de traitement, Galien a décrit la maladie qui
frappa un jeune homme qu’il soignait à Rome. D’abord saisi d’une fièvre brutale avec
une toux brève qui s’aggrave, le malade s’est couvert de vésicules devenant des
pustules noires depuis la tête jusqu’aux pieds. Galien a livré un rapport détaillé de
l’éruption généralisée et de l’énanthème des voies respiratoires :

Un tout jeune homme avait alors le corps entier couvert de pustules, exactement 55
comme presque tous ceux des autres qui furent sauvés. À ce moment-là, il avait
une toux brève. Le lendemain, après un bain, il se mit aussitôt à tousser plus fort et
avec la toux remonta ce qui porte le nom de pellicule. Et notre homme avait
clairement la sensation que le long de la trachée-artère, à la hauteur du cou, la
partie voisine de la gorge était ulcérée. Et bien sûr en lui faisant ouvrir la bouche
toute grande, nous avons aussi examiné son pharynx, pour voir si par hasard la
plaie ne s’y tenait pas. Lors de notre examen, il ne nous est pas apparu que
l’affection était celle-là […]. Après le neuvième jour, le patient resta trois autres
jours à Rome, où précisément il avait été touché par la pestilence, après quoi il
embarqua sur un navire pour descendre le fleuve jusqu’à la mer et, trois jours plus
tard, sa navigation le conduisit à Tabies, et il a consommé un lait doté d’un pouvoir
[59]
réellement étonnant et qui n’a pas été loué en vain  .

Au neuvième jour, note le médecin, le patient crache des pellicules provenant 56


d’ulcérations profondes de la gorge et de la trachée-artère. Les pustules se
transforment, en quelques jours, en croûtes qui tombent « comme des écailles » et
cicatrisent, laissant des stigmates indélébiles. Le malade finit par guérir et, de
surcroît, après une telle épreuve, ceux qui ont la chance de survivre ne récidivent

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jamais. Dans son traité Sur la bile noire, Galien pense que la maladie est due à un
excès de bile noire, un facteur expliquant les symptômes des victimes (fièvre,
éruption vésiculaire puis pustuleuse, conjonctivite, ulcérations profondes de la
gorge, selles sanglantes noirâtres…). Une température corporelle élevée
contribuerait, selon lui, à putréfier le sang des victimes. Galien qualifie cette
épidémie de « grande pestilence ».

La légende rapporte qu’en 166 les troupes romaines assiégeaient Séleucie, sur le 57
Tigre, une ville hellénistique, en Babylonie, située au croisement de nombreuses
routes commerciales. La ville fut mise à sac après sa capitulation. Pendant le pillage,
les soldats auraient renversé un trône dans le temple d’Apollon à la longue chevelure.
S’échappa alors une vapeur pestilentielle accusée d’être à l’origine de la terrible
épidémie qui allait semer la mort dans tout l’Empire romain, jusqu’en Gaule et aux
rives du Rhin. Depuis le règne d’Auguste, Apollon, qu’Homère décrivait en archer
muni de flèches porteuses de la « peste », est devenu l’un des dieux syncrétiques les
plus importants de l’Empire. En réalité, les historiens ont montré que, dès l’an 165, la
pestilence avait atteint l’Égypte, le Moyen-Orient et l’Asie Mineure en provenance de
la mer Rouge. On rapporte qu’une autre peste aurait éclaté en Arabie, en 156, sous le
règne d’Antonin le Pieux.

La grande pestilence frappa donc Rome dans la seconde moitié de l’an 166. 58


L’empereur Lucius Verus y succomba. Rien ne semblait pouvoir arrêter le fléau qui
se propageait sans aucun obstacle vers l’Ouest. Cette première vague traversa
l’Empire d’est en ouest, ravageant des régions entières. Au hasard des déplacements
humains, elle accabla toutes les provinces de la Méditerranée occidentale, la Grèce,
l’Asie Mineure, l’Égypte, la Gaule, la Germanie et le Nord au-delà du Danube. La
pandémie fit rage parmi les troupes stationnées à Aquilée, en 168, passa d’une cité à
l’autre et se diffusa, de façon saccadée, dans tout l’ouest de l’Europe jusqu’en 172 au
moins. On releva un taux de mortalité de 15 à 20 % dans l’armée romaine, gravement
touchée. La peste antonine est encore attestée en 178-179 à Alexandrie et dans ses
environs. Une seconde vague majeure frappa Rome en 191, avec une forte mortalité,
de 30 à 50 % [60].

La peste antonine fut un phénomène létal d’une magnitude inconnue jusque-là, 59


touchant avec prédilection les régions côtières, donc les plus exposées aux échanges
maritimes. Elle faucha une génération entière, surtout les enfants et les jeunes
adultes. À Rome, au moins 300 000 habitants l’auraient contractée, dont la moitié
aurait péri. On estime que cette pandémie a entraîné une baisse de 10 à 20 % de la
population de l’Empire estimée à 75 millions d’âmes, soit environ 7 à 8 millions de
morts. Ce nouveau fléau « universel » frappa de stupeur les témoins de l’époque,
comme en attestent de nombreuses inscriptions apotropaïques. Son irruption a
attisé un réflexe primitif de terreur religieuse et marqué une entrée douloureuse
dans une époque de mutations.

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D’après les symptômes décrits par Galien, il fait peu de doute que la peste antonine 60
soit, en réalité, la variole, une maladie très contagieuse qui a sévi jusqu’au xxe siècle.
Après une incubation silencieuse de douze jours en moyenne, la variole débute par
une fièvre très brutale, à 40 °C, et qui va durer trois à quatre jours, période où le
patient devient contagieux. Les malades sont sujets à des vomissements, à une
diarrhée et à des douleurs dorsales. Une éruption vésiculaire apparaît, après
quelques jours, sur la peau et les muqueuses buccales. Elle est particulièrement
dense sur le visage et aux extrémités, gagnant ensuite l’ensemble du revêtement
cutané, tandis que la fièvre disparaît momentanément. En s’ouvrant, les vésicules
forment des pustules évoluant vers des croûtes, en cinq jours. La mort peut survenir
à la période critique, vers le dixième jour de la maladie. Si elles survivent, les
victimes sont défigurées par des cicatrices indélébiles.

La peste de saint Cyprien

Cette peste est rapportée, au iiie siècle, par les sermons du Berbère Cyprien, évêque 61
martyr de Carthage [61]. Les inscriptions, les papyrus, les vestiges archéologiques
insistent unanimement sur les conséquences considérables de cette pandémie qui
frappa Alexandrie en 249. Rapidement mortelle, elle se caractérise par un début
brutal avec fièvre, une soif inextinguible, une fatigue intense, des vomissements et
des selles sanglantes, des hémorragies des conjonctives, des brûlures
œsophagiennes, des atteintes graves aux extrémités. En deux à trois ans, l’épidémie
se répandit dans toutes les grandes villes côtières du pourtour méditerranéen,
progressant vers le nord et l’ouest. Rome fut touchée en 251, puis l’ensemble de
l’Empire romain. Elle frappa les cités grecques et des villes plus éloignées, comme
Néocésarée, au Pont-Euxin, ou Oxyrhynchos, sur la rive ouest du Nil, en Égypte. Les
grandes cités comme Alexandrie, Antioche, Rome et Carthage furent ravagées.
L’épidémie pénétra profondément à l’intérieur de l’Empire, n’épargnant pas les
campagnes. Les chroniques rapportent une seconde vague qui aurait duré de 249 à
262, avec des prolongements jusqu’en 270 [62].

La peste de Cyprien fut un redoutable fléau. La population d’Alexandrie aurait 62


décliné d’environ 60 %, passant de 500 000 habitants à 190 000. Un historien grec
prétendit que 5 000 personnes mouraient chaque jour à Athènes [63]. La maladie
frappait indistinctement, sans considération de l’âge, du sexe ou des conditions
sociales. Elle coûta la vie à deux empereurs, Hostilien, en 251, et Claude II le
Gothique, en 270. Le diacre Pontius, biographe de saint Cyprien, parle de l’épidémie
et de la terreur qu’elle inspirait [64]. Devant l’ampleur du désastre, il croyait assister à
la fin du monde et s’en réjouissait presque : le royaume de Dieu et sa bien-aimée
fraternité allaient advenir prochainement. La récompense de la vie, et la joie du salut
éternel, et le bonheur perpétuel, et la possession du paradis perdu arrivent
maintenant avec la fin du monde.

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On ignore aujourd’hui quelle fut la cause de la peste de saint Cyprien, car les 63
descriptions sont trop vagues. On a décrit une maladie d’apparition soudaine, avec
des fièvres ardentes, des troubles gastro-intestinaux graves, des saignements
digestifs, conjonctivaux, des lésions œsophagiennes et une nécrose des extrémités
accompagnée d’une mortalité élevée. On a aussi rapporté son caractère saisonnier,
débutant à l’automne et durant l’hiver, puis régressant fortement jusqu’à l’année
suivante. Sa forte contagiosité associée à une rapide propagation évoque une
transmission aérienne. Cela est attesté par l’atteinte de la majorité des personnes
vivant au contact du patient dans une demeure, incluant les soignants. Certains
pensaient qu’elle se transmettait par les vêtements ou même simplement par le
regard. S’agissait-il d’une variole hémorragique ? L’hypothèse est retenue par
certains historiens, toutefois aucune des rares sources ne décrit d’éruption cutanée.
La grippe ? On pourrait l’évoquer en songeant à son caractère saisonnier, mais on ne
rapporte pas de signes respiratoires. Une fièvre hémorragique virale ? Autre
hypothèse envisageable. Le mystère demeure, mais ce qui est certain, c’est que la
peste de Cyprien a porté un second coup fatal à l’Empire romain.

La peste de Justinien

L’Empire romain avait survécu, en Orient, avec l’Empire byzantin. Pendant l’été 541 64
de notre ère, une épidémie mortelle de peste bubonique éclata dans le port égyptien
de Péluse, une ville située sur le bord oriental du delta du Nil ; le mal provenait
d’Éthiopie. De là, le fléau frappa Alexandrie, le grenier à blé de l’Empire romain, d’où
il se répandit par voie maritime sur tout le pourtour méditerranéen, atteignant
d’abord les littoraux avant de pénétrer à l’intérieur des pays. À l’époque, on rapporta
l’existence de vaisseaux fantômes dont tout l’équipage était décimé [65]. La maladie
gagna par voie terrestre la Palestine, la Syrie, la Mésopotamie et l’Asie Mineure. Dès
février de l’an 542, Constantinople fut frappée par un épisode qui dura quatre mois.
Dans la capitale de l’Empire byzantin, les premières victimes furent des mendiants
sans domicile, mais la peste n’épargna personne, pas même l’empereur Justinien qui
survécut miraculeusement. On dénombra quotidiennement 5 000, puis 10 000 et
jusqu’à 16 000 décès. Sur une population de 500 000 habitants, il y aurait eu entre
250 000 et 300 000 morts, soit une mortalité d’environ 50 à 60 %. Puis la maladie
disparut mystérieusement de la capitale à l’automne. La peste se répandit partout,
surtout par voie maritime, infiltrant ensuite les régions rurales où vivaient 85 % de la
population. Cette première vague dura jusqu’en 544, laissant exsangue un Empire
byzantin qui semble avoir été totalement dépassé. Sa population, estimée à
30 millions d’habitants, aurait chuté à environ 15 millions après le premier assaut.
Une première résurgence se manifesta seize ans plus tard. Par la suite,
Constantinople fut frappée en moyenne tous les quinze ans entre 542 et 619 [66].

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De nombreux textes grecs, latins, syriaques et arabes relatent cette terrible 65


pandémie qui allait durer deux siècles avec de nombreuses reviviscences périodiques
jusqu’en 750. Mais les témoignages les plus précieux sont ceux des témoins oculaires
de la première vague du fléau, en particulier Procope de Césarée. Ce juriste et
historien, conseiller du général Bélisaire, gravitant dans l’entourage de Justinien,
livra une description sans émotion de la maladie. Il indique que la peste bubonique
commence brutalement par une fièvre élevée et persistante, avec frissons, maux de
tête, malaises et délire. En quelques jours apparaissent un œdème et des ganglions
localisés dans l’aine, aux aisselles, au cou ou aux cuisses. Ces bubons enflent comme
des oranges, ressemblant parfois à des grappes pendantes. Certains malades
présentent des taches noires sur le corps et sur les mains. La peste évolue vers la
mort en trois à cinq jours, quelquefois en quelques heures, avant même que les
bubons n’apparaissent. Certains d’entre eux deviennent très gros et libèrent du pus,
ce qui, selon Procope, était souvent associé à la guérison des patients gardant après
coup un état de faiblesse prolongé. L’historien rapporta aussi le traumatisme
psychologique profond de la population devant cette mortalité de masse. Les
chroniqueurs ne relatent pas de signes pulmonaires, contrairement à d’autres
épidémies de peste bubonique. Toujours selon Procope, les médecins prenant soin
des pesteux étaient épargnés, ce qui plaide contre l’existence d’une forme
pulmonaire très contagieuse, donc par voie aérienne, ce que l’on observera par la
suite.

Aux vie et viie siècles, la peste de Justinien fut surtout véhiculée par voie maritime, 66
du fait des nombreux échanges commerciaux entre Constantinople, Alexandrie,
Carthage et les ports de Ravenne, Rome, Gênes, Marseille et Narbonne. Partant de
ces cités, l’épidémie suit les grandes voies fluviales, le Rhône, la Saône et le Pô. Elle
gagne ainsi Arles, Lyon, Bourges, Chalon-sur-Saône, Clermont, Dijon et Reims. Au
sud, elle frappe Narbonne et Albi, à l’ouest, Nantes, d’où elle atteint l’Irlande et la
Cornouaille. Cependant, elle demeure confinée aux bassins fluviaux et pénètre peu à
l’intérieur des terres.

À partir du début du viie siècle, la peste demeure localisée en Italie, à Marseille et en 67


Languedoc, et ne circule plus le long du couloir rhodanien. Nous possédons le
témoignage bien connu de Grégoire (539-594), l’évêque de Tours ayant relaté la
première émergence de la peste bubonique en Gaule (543) dans son Histoire des
Francs [67]. Il fit également le récit de l’épisode qui frappa Marseille en 588. De retour
de voyage, l’ecclésiastique ne vit partout que prières, oraisons et processions. La
peste avait été amenée par un navire marchand venant d’Espagne. Elle frappa
d’abord des gens qui avaient acheté des marchandises sur le port, avec huit décès.
Grégoire écrit : « Les lueurs de l’incendie ne se répandirent pas aussitôt dans toutes
les demeures, mais, interrompu pendant un certain temps […], il explosa en un feu
mortel à travers toute la ville [68]. » L’épidémie se répandit brutalement dans tous les

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quartiers de la ville. Fuirent les habitants qui le purent… Le chroniqueur rapporte un


autre épisode survenu à Rome, en 590, qui emporta le pape Pélage II, à qui succéda
Grégoire le Grand.

Pendant deux siècles, environ tous les quinze ans, la peste a connu une vingtaine de 68
grandes vagues, chacune durant plusieurs années. Dix-huit ont frappé l’Orient et
onze l’Occident. Les derniers soubresauts ont eu lieu en 750 dans la vallée du
Jourdain et à Naples en 767. La peste disparut ensuite de façon énigmatique.
L’épisode de Justinien a entraîné des millions de victimes, décimant la moitié ou le
tiers de la population urbaine. Elle a sans doute amorcé l’inéluctable déclin de
l’Empire byzantin qui survivra avec peine jusqu’en 1453.

De la santé au salut

Le sujet est complexe, en vérité, car les raccourcis se révèlent nombreux, et 69


notamment celui qui consiste à assimiler le Christ à un médecin hors du commun.
Souvent qualifié de religion du soin ou de la guérison, le christianisme a misé très
tôt sur les miracles dont Jésus et les saints pouvaient se prévaloir [69]. Ces guérisons
miraculeuses, allant jusqu’à la résurrection, posent la question du lien entre foi,
rituels de santé et thérapeutique spirituelle. Est-ce à dire que le culte d’Asclépios a
été concurrencé puis remplacé par la nouvelle religion fondée autour d’un
thaumaturge ayant lui-même ressuscité ? La chose est possible même si la prudence
est de rigueur. Il ne suffit pas d’une métaphore pour expliquer le succès des
chrétiens, même si les Pères de l’Église ont glosé sur le sujet, mais évidemment à
dessein. Cyrille de Jérusalem a tout résumé : « Le nom de Jésus signifie donc en
hébreu Sauveur. Mais en grec il signifie encore : médecin. […] Ô vous qui êtes en proie
aux douleurs, prenez courage, armez-vous de confiance, approchez-vous de Jésus ;
car il guérit aussi les maladies du corps, et vous apprendrez que Jésus est le
Christ [70]. » Ainsi, il était plus facile de qualifier le Christ de médecin universel (« 
medico nostro » précise Diadoque de Photicé [71]) à partir de l’officialisation du
christianisme qu’au cours des années précédant la conversion de Constantin. De ce
point de vue, il convient de relire les sources en se référant à leur contexte : au
demeurant, ceux qui écrivaient pendant les persécutions étaient-ils plus subjectifs et
partiaux que ceux qui célébraient, en grande pompe, un culte devenu désormais
officiel au début du ive siècle ? Athanase d’Alexandrie pouvait-il convaincre ses
interlocuteurs quand il affirmait que le Christ n’avait jamais été malade afin de
ressusciter intact [72] ? On peut en douter.

Il n’empêche qu’une forme de concurrence s’est instaurée au moment où les anciens 70


cultes païens, toujours populaires, devaient coexister avec la nouvelle foi. En
l’occurrence, les passerelles étaient nombreuses, notamment le rôle des songes et de
l’incubatio, puisque les chrétiens pouvaient obtenir eux aussi leur consultation
surnaturelle dans leur sommeil. Il ne restait plus qu’à marginaliser Asclépios en le
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remplaçant par des saints guérisseurs autrement efficaces et accessibles. En effet, le


dieu d’Épidaure a été transformé en daimon, c’est-à-dire en un esprit démoniaque
honoré par les superstitieux et les fous. D’ailleurs, la légende de son arrivée à Rome
sous la forme d’un reptile ne suffisait-elle pas à couvrir les païens de ridicule ? C’est
ce que pensaient Lactance et saint Augustin [73]. Déifier la fièvre relevait pour eux du
même aveuglement et Cyprien de Carthage ne craignait pas de rire de telles
coutumes [74].

Les Pères de l’Église ont en réalité joué sur deux tableaux. Tout d’abord, ils se sont 71
approprié un vocabulaire spécifique à la médecine en le transposant dans la
dimension de la religion. En clair, ils ont considéré que leur foi devait servir
d’antidote aux malheurs du temps. Elle devait aussi aider à guérir les faibles contre
certaines hérésies alternatives. C’est ce qui explique la récurrence des métaphores
pathologiques dans les textes des penseurs chrétiens des premiers siècles. Saint
Prosper n’innovait pas beaucoup quand il comparait l’hérésie donatiste à une
maladie contagieuse [75]. D’autres parlaient également d’« infection spirituelle »,
toutes les divergences doctrinales passant pour de véritables maladies mentales. Or,
ce recours à des métaphores choisies au sein du lexique médical constitue une
véritable innovation par rapport aux Anciens. Jadis, ce qui souillait les cités, c’étaient
les comportements ou les actes impies, le refus des rituels, et non les croyances pour
elles-mêmes. Ce qui souillait l’Empire, c’était le refus de certaines pratiques, à la fois
en tant que gages de conformisme et que témoignage de fidélité à l’empereur. Les
Romains pouvaient martyriser les fidèles de Jésus sans les associer à une épidémie
puisque ceux qui sacrifiaient au Pater Patriae étaient laissés libres. Toutefois, avant
Constantin, on ne badinait pas avec le culte d’Esculape. L’un des meilleurs exemples
est sans nul doute celui des « Quatre Couronnés » (saints Claudius, Nicostratus,
Simpronianus, Castorius) – et d’un cinquième ( !), saint Simplicius. La légende
raconte que quatre tailleurs de pierre employés par Dioclétien pour sculpter des
statues à la gloire de l’empereur furent martyrisés en raison de leur refus
catégorique de participer à l’élaboration d’une figure du dieu de la Santé. En plus de
désobéir à leur impérial commanditaire, ils refusaient d’adhérer à un culte
manifestement très populaire et qui devait constituer un marqueur social et culturel
très fort [76]. Mais l’obstination était très sévèrement réprimée.

Ensuite, les Pères se saisirent du contexte pour associer, de façon étroite et peut-être 72
inédite sous cette forme, le salut et la santé. Non seulement il fallait croire au
pouvoir thaumaturgique du Christ et des saints, mais, en parallèle, il s’agissait
d’opter pour un positionnement spécifique à l’égard des épreuves envoyées par Dieu,
y compris en acceptant la déchéance physique. C’est là où, sur le plan des idées et des
discours, les choses se compliquent un peu : d’un côté, le christianisme représentait
une espérance nouvelle en matière de guérison, d’un autre côté, il enseignait la
résignation face à la souffrance en soulignant la gloire obtenue par le martyre. Le
tableau de la fin des temps, parfaitement illustré par les conséquences de « pestes »
qu’il serait vain de vouloir identifier, servait de parabole aux théologiens.
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En somme, les chrétiens devaient faire mieux que les païens et ne pas abandonner 73
leurs proches malgré le danger. Ammien Marcellin avait bien insisté sur la hantise
de la contagion, peut-être le signe que le contexte épidémiologique de l’époque
s’était dégradé : « Un valet est-il dépêché pour s’enquérir de la santé du patient ? à
son retour le logis lui est fermé, jusqu’à ce qu’il ait fait aux bains l’ablution complète.
On craint la vue d’un malade même par intermédiaire […] [77]. » Mieux, ces
circonstances devaient leur permettre d’apparaître tels des héros de la foi, tels des
athlètes capables de relever tous les défis sans craindre ni la maladie ni la mort.
Citant Cyprien, le diacre Ponce écrit :

La peur de la contagion enflamme les tièdes [une allusion aux fièvres ?], imprime 74
aux courages abattus une sainte énergie, donne aux plus lâches une noble audace
[…], elle ouvre le champ du repos à ceux qui ont blanchi dans les combats du
Seigneur ; l’arène aux jeunes athlètes nouvellement enrôlés dans sa milice, et
[78]
aguerris, pour le jour de la persécution, par le fléau dont nous avons à gémir  .

Ce point est d’autant plus essentiel que Julien l’Apostat reconnaissait lui-même que 75
les siens se comportaient mal en cas d’épidémie et qu’ils étaient loin de manifester la
charité dont les chrétiens faisaient preuve [79]. Il est fort possible que cette attitude ait
profondément marqué les esprits et que des conversions se soient produites dans un
contexte de crise sanitaire prolongée. En aidant les plus faibles, et notamment les
malades abandonnés, les chrétiens pouvaient mettre en pratique leurs conceptions
et dénigrer l’inefficacité d’Esculape et de ses prêtres [80].

Pourtant, il demeurait une difficulté de taille : si Dieu était à l’origine de toute chose, 76
pourquoi envoyait-il les épidémies, y compris contre les chrétiens ? Alors que les
dieux païens protégeaient les humains contre les maladies naturelles – sauf lorsqu’ils
se mettaient en colère –, le dieu des chrétiens pouvait les provoquer afin de punir les
hommes. Irait-on jusqu’à opposer le miracle inattendu et la volonté calculée du ciel
en matière de santé ou, pour le formuler différemment, un saint pouvait-il aller
contre la sentence de Dieu si ce dernier avait décidé d’envoyer une « peste » sur la
Terre ? En clair, il devenait urgent de préciser l’origine des fléaux, car les
contradictions s’accumulaient. Aussi, en contrepoint du discours apocalyptique sur
le châtiment des pécheurs, les Pères optèrent pour une interprétation quelque peu
matérialiste. Aussi étonnant que cela puisse paraître, nombre de théologiens des
premiers siècles ont affirmé que les épidémies ne provenaient pas du ciel mais
qu’elles émanaient de facteurs naturels utilisés ensuite par Dieu comme moyens de
sanction, sinon d’élévation. Lactance ajoute :

77

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[…] Si l’homme avait été exempt de maladies, il n’aurait eu besoin ni d’habits, ni de


maisons, puisqu’il n’aurait appréhendé ni le vent, ni la pluie, ni le froid, dont le
plus dangereux effet est de causer les maladies. C’est pourquoi toute la prudence
de l’homme consiste à défendre sa faiblesse contre les accidents qui la peuvent
incommoder. Que s’il est sujet aux maladies, comme à des accidents qui servent à
éprouver sa sagesse, il ne peut être moins sujet à la mort. Pour n’être sujet à aucune
maladie, il faudrait avoir une constitution tout à fait forte et inébranlable, qui ne
[81]
donnerait lieu ni à la vieillesse, ni à la mort, qui en est comme la suite  .

Vers 369, Basile de Césarée considérait également, à la suite de la tradition 78


hippocratico-galénique, que l’altération de l’air et les mauvais régimes étaient
responsables des grandes maladies, une réflexion contenue dans la célèbre homélie
intitulée Que Dieu n’est pas l’auteur des maux [82]. Les fléaux collectifs étaient censés
couper court aux péchés des hommes et remettre ces derniers dans le droit chemin,
comme une bonne indigestion rectifie celui qui abuse du vin [83]. Pour Anastase le
Sinaïte, au viie siècle, les épidémies ne sont déclenchées qu’en raison de la
corruption des éléments et de tout ce qui est vivant, donc putrescible. Cette
interprétation, développée dans la passionnante question 96, permettait notamment
d’expliquer pourquoi les oiseaux et les poissons sont la cible d’épizooties alors qu’ils
ne pèchent pas, une interrogation qui n’est pas sans rappeler celle de Virgile [84] ! De
même, le théologien remarquait que les païens et les idolâtres étaient préservés des
épidémies dans les régions sèches et salubres [85]… La colère de Dieu ne pourrait donc
pas aller contre la nature des éléments, mais seulement s’en servir comme
instrument. De là, le discours médical de l’époque (voir les Commentaires de
Stephanus d’Athènes, à peu près contemporains) était suivi à la lettre et rendu
compatible avec la pastorale chrétienne.

En combinant les approches, les Pères qui rechignaient à rendre Dieu responsable 79
de tous les malheurs de l’homme opéraient un syncrétisme théologico-médical
somme toute efficace et dont la critique ne semble pas avoir été très virulente [86].
Ainsi, saint Augustin a pu jouer sur les deux tableaux lorsqu’il rappelle les ravages
causés, en Afrique du Nord, vers 125 avant J.-C., par une épidémie à l’origine très
facile à déterminer : des nuées de sauterelles mortes en mer auraient souillé l’air de
la côte en atteignant le rivage [87]. La putréfaction de ces milliers d’insectes
s’échouant sur les plages aurait commencé, ajoute Orose, par rendre malades les
animaux puis les hommes [88]. Mais, l’intérêt de l’anecdote tient aussi aux
conséquences sur le plan démographique et spirituel :

80

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[…] Dans le seul royaume de Massinissa [ce souverain contrôlait une zone située
entre l’Algérie et la Libye actuelles], il périt, dit-on, huit cent mille hommes, et bien
davantage sur le littoral. De trente mille soldats renfermés dans Utique, on assure
qu’il n’en resta que dix. Est-il une seule de ces calamités qu’une démence semblable
à celle qui nous persécute et provoque nos réponses n’attribuerait au
christianisme, si l’ère chrétienne eût rien vu de tel ? Et cependant ils ne les
imputent point à leurs dieux ; et, pour détourner des infortunes, légères au prix de
ces anciens désastres, ils revendiquent ce culte impuissant à protéger leurs
[89]
ancêtres   !

Responsable de la chute de Carthage, l’alliance entre Massinissa et les Romains ne 81


doit pas être oubliée : à l’occasion, le saint réglait aussi ses comptes avec un traître.
Certes, il était toujours dangereux de se moquer de l’impuissance des dieux des
païens car, au moment de la « peste » antonine, aucun miracle d’envergure ne s’était
produit en faveur des chrétiens. Ensuite, l’observation des facteurs naturels de
l’épidémie aurait pu être faite par des Romains, sans forcément tenir les disciples du
Christ pour responsables (quel médecin sérieux l’aurait fait au demeurant ?).

Comme on le voit, ces questions sanitaires sont hautement stratégiques et, en 82


investissant la dimension de la santé, les Pères ont ouvert une urne de Pandore. D’un
côté, ils essayaient de stigmatiser les anciennes croyances, mais ils étaient bien
obligés de les remplacer par du neuf et du positif : l’homme malade a besoin
d’espérer, quel que soit le support de sa croyance ou de son rituel. Ainsi, il fallut
recourir à la thaumaturgie pour diffuser et enraciner le culte des saints, nombre de
personnages ayant le pouvoir de guérir et d’exorciser toutes les formes prises par le
Mal. Il s’agissait également de détourner les chrétiens des médecins païens qu’ils
pouvaient côtoyer malgré la conversion progressive de ces derniers, notamment en
Égypte [90]. Grande était, notamment, l’attention au sujet des moines à qui l’on
interdisait formellement de recourir aux praticiens restés fidèles – comme beaucoup
de malades encore ? – à Esculape. La spiritualité devait être le seul remède, comme
l’indique une Vie de saint Marôn, un moine qui « par sa bénédiction éteignait les
fièvres, faisait cesser les frissons, mettait les démons en fuite et soignait toute sorte
de maladies avec son seul médicament, car alors que les médecins utilisent plusieurs
drogues, Marôn se contente de la seule prière [91] ». Insensible à la lèpre, saint Martin
a sauvé tellement de malades que Sulpice Sévère, son hagiographe, a signalé que les
fils de ses habits pouvaient guérir les maladies et qu’il suffisait de les attacher aux
doigts ou au cou [92]. D’ailleurs, une simple lettre du pieux Martin avait réussi à
soigner la jeune fille du préfet chrétien Arborius : le document avait triomphé de la
redoutable fièvre quarte qui consumait la future religieuse [93].

On retrouve ici le principe de l’amulette, ce fragment de papyrus contenant des 83


invocations destinées à se préserver des épidémies et d’autres maux. Nombre de
sceaux ésotériques ou d’intailles mystérieuses bénéficiaient d’un pouvoir
prophylactique et, de ce point de vue, l’avènement du christianisme n’a pas marqué
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une rupture avec ce qui se pratiquait déjà dans l’ancienne Égypte. On recourait
volontiers au puissant sceau de Salomon contre les fièvres quartes, indique Pseudo-
Pline [94]. Cette habitude a même pu servir de marque de reconnaissance aux
premiers chrétiens persécutés si l’on se réfère au témoignage très significatif
d’Ammien Marcellin : « Vous aviez porté au cou quelque amulette, comme
préservatif contre la fièvre quarte ou toute autre maladie […] ; c’en était assez pour
être dénoncé et condamné à mort […] [95]. » Est-ce à dire que les Romains n’en
portaient pas ? Cela semble étrange car nombre de pendentifs et de pierres gravées
témoignent d’un usage très répandu. Au demeurant, la nature des inscriptions
portées par les chrétiens a pu faire la différence, et l’on peut appuyer cette hypothèse
sur un exemple, certes tardif, mais très évocateur. Il s’agit d’un texte grec inscrit sur
un papyrus ayant servi d’amulette aux alentours du vie siècle :

Le Christ est apparu 84


Le Christ a souffert
Le Christ est mort
Le Christ est ressuscité
[…]
Le Christ sauve [le nom du détenteur de l’amulette]
Qu’a mis au monde Gennaia [sa mère],
De toute fièvre brûlante
Et de toute sueur froide,
Quotidienne,
Journalière,
[96]
Déjà, déjà, vite, vite  .

Notes

[1] J.-N. Corvisier, Santé et société en Grèce ancienne, Paris, Economica, 1985 ; idem, La
Démographie historique antique, Paris, A. Colin, 1999 ; idem, « L’état présent de la
démographie historique antique : tentative de bilan », Annales de démographie
historique, 102, 2, 2001, p. 101-140.

[2] J. L. Angel, « The length of life in Ancient Greece », Journal of Gerontology, 2, 1, 1947,
p. 18-24.

[3] J. P. Griffin, « Changing life expectancy throughout history », Journal of the Royal
Society of Medicine, 101, 12, 2008, p. 577.

[4] L. Robert, « Malédictions funéraires grecques », Comptes rendus des séances de


l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 122, 2, 1978, p. 245-246.

[5] C. Wordsworth, Athens and Attica. Journal of a Residence There, Londres, J. Murray,
2e éd., 1837, p. 146. Voir B. Puech, Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions
d’époque impériale, Paris, Vrin, 2002, p. 77-78.

[6] Hippocrate, De l’ancienne médecine, op. cit., 3.

[7] Hippocrate, Aphorismes, 39.


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[8] Pline, Histoire naturelle, 7, 51.

[9] Épitaphe de Philon de Sicyone : E. Samama, Les Médecins dans le monde grec : sources
épigraphiques sur la naissance d’un corps médical, Genève, Droz, 2003, p. 79 et 121.

[10] Hippocrate, Épidémies, 6, 7 ; M. D. Grmek, « La description hippocratique de la


“toux épidémique de Périnthe” », Hippocratica, 3, Paris, Éditions du CNRS, 1980,
p. 199-221.

[11] T. G. Parkin, Demography and Roman Society, Baltimore, Johns Hopkins University
Press, 1992.

[12] Thèse de L. Mihăilescu-Bîrliba, Individu et société en Dacie romaine. Étude de


démographie historique, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2004.

[13] J.-N. Corvisier, « La vieillesse dans le monde antique : aspects démographiques et


conséquences sociales », Cahiers des études anciennes, 55, 2018, p. 17-36.

[14] R. Woods, « Ancient and early modern mortality : experience and


understanding », The Economic History Review, 60, 2, 2007, p. 373-399.

[15] B. D. Shaw, « Seasons of death : aspects of mortality in Imperial Rome », Journal of
Roman Studies, 86, 1996, p. 100-138.

[16] Pline le Jeune, Epistolae, 4, 2, 6.

[17] Horace, Épîtres, 1, 7.

[18] Suétone, Vie des douze Césars, Néron, 39.

[19] Dion Cassius, Histoire romaine, édition Gros, 72, 14.

[20] Sophocle, Œdipe roi, 1.

[21] Selon Pausanias (1, 3, 4), Apollon Alexicacos contribua à faire cesser la « peste »
d’Athènes et la guerre du Péloponnèse.

[22] Eschyle, Les Euménides, édition Halévy, p. 54. Voir aussi, J. Dumortier, Le Vocabulaire
médical d’Eschyle et les écrits hippocratiques, Paris, Les Belles Lettres, 1935.

[23] R. Mitchell-Boyask, Plague and the Athenian Imagination : Drama, History, and the Cult
of Asclepius, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 24 sqq.

[24] Hippocrate, Des airs, des eaux et des lieux, 2.

[25] Hippocrate, Nature de l’homme, édition Littré, 9.

[26] Voir P. Berche, Les Sortilèges du cerveau. L’histoire inédite de ce qui se passe dans nos têtes,
Paris, Flammarion, 2015, p. 91-94.

[27] Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, 2, 47.

[28] Ibid., 2, 51.

[29] C. Lichtenthaeler, « Thucydide a-t-il cru à la contagiosité de la “peste”


d’Athènes ? », Gesnerus, 19, 1962, p. 83-86.

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[30] E. Coughanowr, « The plague in Livy and Thucydides », L’Antiquité classique, 54,
1985, p. 152-158.

[31] M. D. Grmek, « Les vicissitudes de la notion d’infection, de contagion et de germe


dans la médecine antique », dans G. Sabbah (dir.), Textes médicaux latins antiques,
Saint-Étienne, Presses de l’université de Saint-Étienne, 1984, p. 53-70.

[32] Isocrate, Éginétique, 13.

[33] Diodore de Sicile, Histoires, 17, 71. Voir R. J. Littman, « The plague of Syracuse : 396
B.C. », Mnemosyne, 37, 1-2, 1984, p. 110-116.

[34] Aristote, Problèmes, 7, 8.

[35] Varron, De Re Rustica, 1, 12.

[36] Aristote, Problèmes, 1, 16.

[37] Ovide, Métamorphoses, 15, 8.

[38] Pline, Histoire naturelle, 10, 40.

[39] Columelle, De re rustica, 1, 5.

[40] Aristote, De la génération des animaux, 3, 11, et Métaphysique, Z, 7 ; P. Louis, « La
génération spontanée chez Aristote », Revue de synthèse, 49-52, 1968, p. 291-305.

[41] Diodore de Sicile, édition Hoefer, 12, 58.

[42] A. Bailly, Dictionnaire grec-français, Paris, 1935, p. 1208b, s.v. λυμαίνω. Le latin donne
un résultat plus neutre : « vitium contrahebant ». Diodori Siculi Bibliothecae […],
édition Müller, Paris, Didot, 1842, p. 448b.

[43] [Celse], Traité de médecine de A. C. Celse, trad. A. Védrènes, Paris, Masson, 1876, p. 61
(1, 10).

[44] J. Jouanna, « L’historien Thucydide vu par le médecin Galien », Comptes rendus des
séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 155, 3, 2011, p. 1443-1465.

[45] Hippocrate, Vents, 1 ; Galien, Sur la différence des fièvres, 1, 6.

[46] J. Jouanna, « Miasme, maladie et semence de la maladie. Galien lecteur


d’Hippocrate », dans D. Manetti (dir.), Studi su Galeno. Scienza, filosofia, retorica e
filologia, Florence, Università, 2000, p. 59-92.

[47] La transition entre la pensée présocratique et celle d’Hippocrate n’est pas facile à
décrire malgré les tentatives déjà opérées : J. Longrigg, Greek Rational Medicine.
Philosophy and Medicine from Alcmeon to the Alexandrians, Londres, New York,
Routledge, 1993, p. 82 sqq.

[48] Cicéron, De Divinatione, 2, 59.

[49] Galien, Méthode thérapeutique, édition Johnston, Horlsey, 5, 12 (Loeb Classical


Library, 2001, II, p. 85-87).

[50] A. G. Merlich, B. Schraut et al., « Plasmodium falciparum in Ancien Egypt », Emerging
Infectious Diseases, 14, 8, 2008, p. 1317-1318.

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[51] « On voit en Égypte une quantité prodigieuse de moucherons. Les Égyptiens ont
trouvé des moyens pour s’en garantir. Ceux qui habitent au-dessus des marais se
mettent à couvert de ces insectes en dormant sur le haut d’une tour : le vent
empêche les moucherons de voler si haut. Ceux qui demeurent dans la partie
marécageuse ont imaginé un autre moyen : il n’y a personne qui n’ait un filet »
(Hérodote, Histoire, 2, 95).

[52] R. Sallares, A. Bouwman, « The spread of malaria to Southern Europe in Antiquity :


new approaches to old problems », Medical History, 48, 3, 2004, p. 311-328 ; D. Soren,
« Can archaeologist excavate evidence of malaria ? », World Archaeology, 35, 2, 2003,
p. 193-209.

[53] Pline le Jeune, Lettres, 5, 6.

[54] R. R. Paine et al., « A health assessment for Imperial Roman burials recovered from
the necropolis of San Donato and Bivio CH, Urbino, Italy », Journal of Anthropology
Sciences, 87, 2009, p. 193-210.

[55] « Λοιμικῆς καταστάσεως » : Diodore, 13, 12 (les marais bordant le fleuve Anape sont
mis en cause) ; M. D. Grmek, Les Maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Paris,
Payot, 1983, p. 463-476.

[56] Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, 2, 47-51.

[57] R. J. Littman, « The plague of Athens : epidemiology and paleopathology », Mount
Sinai Journal of Medicine, 76, 2009, p. 456-467.

[58] K. Harper, Comment l’Empire romain s’est effondré. Le climat, les maladies et la chute de
Rome [2017], trad. française, Paris, La Découverte, 2019.

[59] Galien, Méthode de traitement, 5, 12 (édition Kuhn, X, p. 360-363).

[60] J. F. Gilliam, « The plague under Marcus Aurelius », American Journal of Philology, 82,
1961, p. 225-251 ; R. J. Littman et M. L. Littman, « Galen and the antonine plague »,
American Journal of Philology, 94, 1973, p. 243-255 ; B. Rossignol, « La peste antonine
(166 ap. J.-C.) », Hypothèses, 3, 1, 2000, p. 31-37.

[61] Cyprien, De la mortalité, dans Œuvres complètes de saint Cyprien, édition Guillon,
Paris, J. Angé, 1837, I, p. 153-173.

[62] K. Harper, « Pandemics and passages to Late Antiquity : rethinking the plague of
c. 249-70 described by Cyprian », Journal of Roman Archaeology, 28, 2015, p. 223-260.

[63] Histoire Auguste, Gallien, 5, cité par K. Harper, Comment l’Empire romain s’est
effondré…, op.cit., p. 213.

[64] Saint Ponce, Vie de Cyprien, 8.

[65] Procope, Guerre contre les Perses, 2, 22.

[66] L. K. Little, Plague and the End of Antiquity. The Pandemic of 541-750, New York,
Cambridge University Press, 2007.

[67] Grégoire de Tours, Histoire des Francs, 4, 31.

[68] Ibid., 9, 22.

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[69] A. Portefield, Healing in the History of Christianity, New York, Oxford University
Press, 2005.

[70] Cyrille de Jérusalem, Catéchèses, édition Faivre, 10.

[71] Sancti Diadochi Episcopi […], Florence, B. Sermatelli, 1573, chap. 53, p. 36.

[72] Athanase d’Alexandrie, De Incarnatione, 21, 6. Il interprétait à sa manière un


passage de Matthieu : « J’étais malade et vous m’avez visité » (25, 36).

[73] Lactance, Institutions, 2, 8 ; saint Augustin, Cité de Dieu, 3, 17.

[74] Œuvres complètes de saint Cyprien, op. cit., I, p. 143.

[75] PL, 51, col. 576a.

[76] P. Colombier, « Les Quatre Couronnés, patrons des tailleurs de pierre », Comptes
rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 96, 3, 1952, p. 512-515.

[77] Ammien Marcellin, édition Nisard, 14, 6.

[78] Œuvres complètes de saint Cyprien, op. cit., I, p. 165.

[79] The Works of the Emperor Julian, édition Wright, Londres, W. Heinemann, 1913, II,
p. 337.

[80] K.-H. Leven, « Athumia and philanthropia. Social reactions to plagues in Late


Antiquity and early Byzantine society », dans P. van der Eijk,
H. F. J. Horstmanshoff et P. H. Schrijvers (dir.), Ancient Medicine in its Socio-Cultural
Contexts, Amsterdam, Rodopi, 1995, p. 394-396.

[81] Lactance, De l’ouvrage de Dieu (De opificio Dei), 4.

[82] Basile de Césarée, PG, 31, col. 329-354.

[83] Vie de saint Timothée, PG, 114, col. 765.

[84] Virgile, Géorgiques, 3.

[85] Anastase, question 96 : PG, 89, col. 738-739.

[86] Signalons tout de même les réserves de l’auteur des Miracles de saint Démétrios
(édition Lemerle, 3, 33).

[87] Saint Augustin, Cité de Dieu, édition Moreau, 3, 31.

[88] Orose, 5, 11, 3-5.

[89] Saint Augustin, Cité de Dieu, op. cit.

[90] Voir la tablette de marbre de l’Ermitage portant l’inscription « […] Πετωσίρου


μονάκου και ιάτρου » (« Pétôsiris, moine et médecin ») : Revue épigraphique, 1, 1913,
p. 158 ; E. Samama, Les Médecins dans le monde grec…, op. cit., no 452, p. 504.

[91] Théodoret de Cyr, Histoire des moines de Syrie, II, Vie de Marôn, 16, 2, édition Canivet
et Leroy-Molinghen, Paris, Le Cerf, 1979.

[92] Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, édition Herbert, 18.


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[93] Ibid., 19.

[94] Plinii Secundi […] Medicina, édition Rose, Leipzig, Teubner, 1875, p. 89 : De Medicina,
3, 15.

[95] Ammien Marcellin, 19, 12.

[96] P. W. A. Th. van der Laan, « Amulette chrétienne contre la fièvre », dans


E. Boswinkel et P. W. Pestman (éd.), Textes grecs, démotiques et bilingues (P. L. Bat. 19),
Leyde, Brill, 1978, p. 98, planche XIV. Voir aussi T. S. De Bruyn et J. H. F. Dijkstra, « 
Greek amulets and formularies from Egypt containing christian elements : a
checklist of payri, parchments, ostraka, and tablets », Bulletin of the American Society
of Papyrologists, 48, 2011, p. 163-216.

Plan
Qu’est-ce qu’une « peste » dans l’Antiquité ?

Premières pandémies antiques

La peste antonine

La peste de saint Cyprien

La peste de Justinien

De la santé au salut

Auteurs
Patrick Berche

Stanis Perez

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