Vous êtes sur la page 1sur 51

Presses de

l’Université
de
Montréal
Histoire de l’éthique médicale et infirmière  | Guy Durand, 
Andrée Duplant ie,  Yvon Laroche,  et al.

Chapitre 3. La
Renaissance (XVe et
e
XVI siècles)
p. 101-136

Texte intégral
1 Un renouveau sans précédent éclate au XVe siècle, faisant
retour à la culture gréco-romaine masquée par la
«  civilisation barbare  » et l’influence chrétienne. C’est
l’irruption de l’humanisme dans l’art, les sciences, la
philosophie... Humanisme chrétien encore, mais n’en
constituant pas moins un tournant culturel important.
C’est le début de la laïcité ou du laïcisme en politique,
marqué par la querelle entre les pouvoirs religieux et
politique, et accentué par le développement du
protestantisme. C’est la croyance naïve dans le pouvoir
de l’être humain, amplifiée par la découverte (ou la
conquête) du Nouveau Monde1.
2 L’état de santé des populations reste précaire comme
dans les siècles précédents, mais les gouvernements
commencent à s’engager sérieusement dans
l’organisation de la médecine et des soins. On voit la
fondation de nombreux hospices ou hôpitaux pour
recevoir les malades et miséreux de toutes catégories,
mais la médecine ne s’exerce pas nécessairement là.
C’est plutôt le champ des soins infirmiers.
3 La médecine se détache graduellement des philosophies,
avec leurs visions essentialistes de la santé et de la
maladie, et des religions, avec leurs préjugés et leurs
rites, pour explorer vraiment les faits et donner priorité
à l’observation. On fait des bonds prodigieux grâce aux
progrès de l’anatomie et de la chirurgie, mais les
retombées pratiques des connaissances sur la thérapie
et les soins n’apparaîtront que plus tard.
4 La réflexion éthique médicale quant à elle se poursuit
selon trois perspectives (déontologique, laïque,
religieuse) qui ne sont pas d’ailleurs en opposition. Sur
des points particuliers, les controverses sont favorisées
par la liberté de pensée. Cependant, comme la
profession elle-même, l’éthique infirmière n’a pas
vraiment d’autonomie  : elle reçoit son contenu
d’ailleurs. Son temps n’est pas encore arrivé.

INTRODUCTION SOCIOCULTURELLE
5 Une partie du XVe siècle et le XVIe siècle en entier sont
considérés comme faisant partie de la Renaissance.

Principaux événements
6 Sur le plan sociopolitique, cette période connaît
l’ouverture de l’Europe au Nouveau Monde et aux
routes commerciales et maritimes des Indes (1492-
1500). Il suffit de mentionner les noms de Jean Cabot, de
Christophe Colomb et de Vasco de Gama. Mais la récente
chute de Constantinople a des répercussions immédiates
plus considérables.
7 De nouveau, les grandes puissances européennes se
disputent les territoires environnants. C’est la péninsule
italienne qui leur sert de champ de bataille (guerres
d’Italie : 1494-1559). Le sac de Rome par les troupes de
Charles Quint demeure célèbre. François Ier et Charles
Quint sont les deux grandes figures de cette période.
Mais Elizabeth d’Angleterre domine la politique
occidentale dans la seconde moitié du XVIe siècle.

Essor culturel
8 L’aristocratie militaire domine dans la majorité des
États issus du Moyen Âge. Un pays fait exception  :
l’Italie. Dans les grandes villes (Venise, Florence, Gênes,
Milan, Vérone, Sienne), pivots du système financier et
commercial du monde médiéval, se développe, dans un
cadre social et politique original, un système de valeurs
nouveau. Parmi les marchands, les banquiers, les
médecins et les juristes qui forment l’élite dominante de
ces villes, un groupe d’intellectuels, les «  humanistes  »,
recherchent dans l’étude de l’Antiquité qu’ils veulent
faire renaître (la « Renaissance ») une vision nouvelle de
l’homme et de sa place dans le monde. Paradoxalement,
cette pensée nouvelle profite d’un essor scientifique et
technologique sans précédent1.
9 La découverte de l’imprimerie permet la diffusion de
manuscrits grecs et latins que des savants byzantins
expatriés de Constantinople apportent en Italie. On ne se
contente plus de copies ou de traductions arabes ou
juives du Moyen Âge. Sur le plan scientifique, une
nouvelle cosmologie fait son apparition, laquelle remet
en cause la croyance que la terre est le centre de
l’univers  : les œuvres de Nicolas Copernic (1473-1543),
Giordano Bruno (1548-1600), Tycho Brahé (1546-1601) et
Galileo Galilei (1564-1642) amorcent une révolution
scientifique qui oblige l’homme à se penser dans un
univers dont il n’est plus le centre. Sur le plan de
l’inventaire existant du monde vivant, la découverte du
Nouveau Monde oblige géographes, zoologues et
botanistes à accroître et renouveler leur savoir. La
redécouverte des ingénieurs grecs sera un stimulant
dans la promotion de la technique et de la maîtrise du
monde  : imprimerie, gravure, architecture, instruments
de navigation, horlogerie, métallurgie (les premiers
canons), etc.
10 De toute cette floraison naît « l’humanisme » où l’ici-bas
prime sur l’au-delà, où la liberté individuelle prend le
primat sur la collectivité, où l’on célèbre la beauté du
monde et en particulier celle du corps humain. Cette
mutation se manifeste d’abord par l’approche de la
nudité. La peinture et la sculpture commencent à
représenter des corps dévêtus dans des œuvres à
caractère religieux impliquant Adam et Ève par
exemple. Michel-Ange ose peindre et sculpter Jésus,
homme et fils de Dieu, entièrement nu. Le goût pour
l’Antiquité et la mythologie intensifie par la suite la
représentation du corps humain. Hercule, Apollon, les
nymphes et sylphides retiennent alors l’attention tandis
que de nouveaux critères esthétiques s’établissent. Le
respect de l’exactitude des proportions anatomiques
devient une règle incontournable.

L’Église et la Réforme
11 Nous avons vu comment, à la fin du Moyen Âge, la
papauté avait perdu du prestige. Une autre épreuve
atteint l’Église catholique  : la Réforme. Il s’agit d’un
vaste mouvement religieux aux formes variées qui veut
une Église plus pure. La Réforme sera à l’origine des
Églises «  protestantes  » fondées au XVIe siècle qui
soustraient à l’autorité de l’Église catholique une partie
de la chrétienté européenne. Luther, Calvin et Érasme
défendent l’autorité de la Bible aux dépens de celle de
l’Église. Le concile de Trente (1545-63) tente alors une
contre-réforme qui vise une clarification des problèmes
doctrinaux et un renouveau disciplinaire, et qui remet
en activité l’Inquisition2.
12 Cependant, même si la Réforme remet en question
l’autorité de l’Église et prône la primauté de la liberté
individuelle, l’homme de la Renaissance, habitué à un
système sécurisant, s’accroche encore à de l’irrationnel :
il réclame à l’astrologie, à l’alchimie, à la magie et à la
divination un savoir et un pouvoir aptes à maîtriser les
mystères du monde visible et invisible3.

SITUATION SANITAIRE
13 Les épidémies réapparaissent vers la fin du XVIe siècle,
d’autant plus que les voyages vers l’Inde et le Nouveau
Monde font surgir de nouvelles maladies contagieuses.
Une certaine croissance démographique se manifeste
toutefois, alors que les États se relèvent lentement des
conséquences désastreuses de la peste noire.

Maladies et épidémies
14 Au XVIe siècle, la peste, la lèpre et l’ergotisme font
encore des ravages, mais de nouvelles maladies
apparaissent, telles que la suette anglaise (fortes fièvres
et attaques cardiaques), la trousse-galant (mélange
d’influenza et d’encéphalite), le tac ou horion (variété de
grippe pulmonaire). Les voyages des explorateurs et les
grands mouvements de peuples qui ont agité l’Europe à
cette époque vont susciter deux fléaux caractéristiques
de la Renaissance  : la variole (ou petite vérole) et la
syphilis (ou grosse vérole)4.
15 S’il est vrai que la variole n’a jamais pris l’aspect
terrifiant des grandes épidémies de peste, elle n’en a pas
moins régné à l’état endémique pendant des siècles,
autant en Europe qu’en Amérique. Dans son compte
rendu de la mort de la reine Marie d’Écosse, mère de
Marie Stuart, l’historien Macaulay en parle ainsi :
Le désastre de la peste avait été infiniment plus
rapide ; mais la peste n’atteignit nos rivages qu’une ou
deux fois de mémoire d’homme, tandis que la variole
était toujours présente 5.
16 La situation est plus grave dans le Nouveau Monde.
L’Empire aztèque est alors autant sinon davantage
décimé par cette maladie (la moitié de la population en
meurt) que par les armées des conquistadors, les deux
provenant d’outre-mer.
17 Quant à la syphilis6, on pense qu'elle a été introduite en
Europe par l’équipage de Christophe Colomb revenant
de l’île Hispaniola (Haïti) en 1493 et propagée par les
soldats et les commerçants. Toujours est-il qu’elle se
répand considérablement en France, en Espagne, en
Angleterre et au Portugal. Elle atteint aussi l’Afrique et
l’Extrême-Orient. Elle figure au premier rang des
méfaits que les Portugais apportent aux Indes. Ne
connaissant pas le mode de contagion, les mesures
préventives sont difficiles. On suppose que l’agent se
transmet dans l’air. En 1497, en France, on publie même
un décret pour interdire à tout malade, sous peine de
mort, de «  converser  » avec le monde extérieur. Les
Écossais sont les premiers à se douter que la syphilis
peut être transmise par contact sexuel.
18 Enfin, il ne faut pas négliger cette maladie bizarre,
appelée «  possession démoniaque  », qui donne lieu à
une multitude de procès de sorcellerie de 1560 à 1640.
Paradoxalement, la Renaissance constitue une époque
où le rôle déterminant donné aux puissances
surnaturelles (Dieu et Satan) et aux astres dans le
déclenchement des maladies épidémiques conduit à la
recherche de boucs émissaires. Les femmes, les juifs, les
étrangers et les marginaux (mendiants, prostituées) en
font les frais7.

Facteurs démographiques
19 Il y a moins de données démographiques se référant à
cette période qu’à celle de la fin du Moyen Âge. Les
dénombrements de population restent exceptionnels. Au
début du siècle, il existe des registres paroissiaux, mais
ils sont tenus très irrégulièrement. Avec le temps, la
situation change considérablement  : on veut connaître
les adeptes des diverses confessions, on veut dénombrer
les bras qui assurent les ressources et fournissent les
armées, etc.8.
20 Il n’y a pas non plus beaucoup de données disponibles
au sujet des taux de mortalité et d’espérance de vie. Les
décès d’enfants sont mal enregistrés. Une étude de Louis
Henry sur la bourgeoisie genevoise de l’époque fixe
l’âge moyen à 32 ans et en déduit que de 45 à 50 % des
enfants meurent avant d’avoir atteint l’âge adulte. À la
fin du siècle, à Venise, l’âge moyen au décès est de 26,6
ans et 20 % de la population seulement dépasse 50 ans9.
21 Malgré des données parcellaires, il semble que la
Renaissance connaît une croissance démographique
assez marquée. Vers l’an 1500, le niveau de peuplement
atteint à la veille de la peste noire n’est pas encore
retrouvé  : par exemple, la France, qui comptait
approximativement 19 millions d’habitants en 1340,
n’en a plus que 16 millions en 1500  ; de même, l’Italie
est passée de 9,3 millions à 5,5 millions. En dépit de ces
baisses dramatiques, il semble pourtant qu’autour de
1570 l’Europe occidentale atteint de nouveaux maxima.
Et la progression se maintient même si, au dernier tiers
du siècle, l’Europe connaît une nouvelle série de
catastrophes causées par des guerres, des crises de
subsistance et des retours de la peste.
22 Tel que déjà mentionné, l’Italie est le principal théâtre
d’une des guerres qui ont marqué ce siècle. Le sac de
Rome en 1527 entraîne de nombreuses morts, mais la
famine et la peste qui suivent causent encore plus de
dommages. Comment expliquer alors que la population
de Rome va pratiquement doubler en 30 ans (1530-
1560)  ? Retour des exilés, immigration urbaine...
diverses raisons ont pu influencer cette augmentation.
23 Rome n’est pas le seul cas d’expansion. L’Espagne — la
Catalogne en particulier—, l’Angleterre, l’Allemagne et
la ville de Lisbonne connaissent une poussée
démographique sans précédent. Les épidémies de peste
semblent être plus virulentes en France, au sud de la
région parisienne en particulier, et à Venise, qui perd
50  000 habitants (1576-1577). En Angleterre, la
population double en l’espace de deux siècles (1379-
1579). La poussée démographique est là un stimulant
des progrès économiques, à la fois dans l’agriculture et
l’élevage et dans les industries extractives et textiles.
24 L’humanisme en général et la Réforme en particulier ont
certes favorisé une attitude nouvelle face à
l’accroissement de la population. Alors que Botero,
écrivain italien, déclare qu’il faut équilibrer la virtus
generativa avec la virtus nutritiva, Luther incite les
jeunes gens à se marier au plus tôt, à procréer et ainsi
être fidèles au diktat de la Genèse  : «  croissez et
multipliez  ». Un des grands humanistes de la
Renaissance, Castiglione (1478-1529), a plutôt le souci de
son train de vie  : «  Je me suis contenté d’un fils, et n’ai
pas voulu étendre ma fortune ou mon affection à un
autre  », ce qui reflète assez bien la mentalité des cours
royales d’Europe où avortements et naissances hors
mariage n’ont certes pas contribué à l’expansion
démographique. Mais ces constatations ne peuvent
exprimer tout à fait correctement ce qui se passe dans la
population. Un fait est certain : au début du XVIIe siècle,
la population de l’Europe occidentale, surtout en
Allemagne et en Angleterre, connaît une forte croissance
démographique.

ORGANISATION DE LA MÉDECINE ET DES


SOINS INFIRMIERS
25 Dans le prolongement de l’effort entrepris à la fin du
Moyen Âge, l’Église catholique et les universités
s’efforcent de contrôler l’exercice de la médecine. La
survivance de croyances plus ou moins scientifiques, le
foisonnement de charlatans de tout acabit et les
tensions entre médecins, chirurgiens et autres soignants
entraînent toutefois beaucoup de rivalités entre les
différents soignants.

Diversité des soignants


26 Le malade de la Renaissance peut s’adresser à une
multitude de personnes qui, croit-il, peuvent le soulager
ou le guérir. Il y a d’abord les médecins, surtout dans les
villes ou à la cour. Diplômés d’université, ils parlent
latin et grec, appartiennent à la bonne bourgeoisie,
jouissent de privilèges fiscaux dans la plupart des pays
d’Europe. Ils se regroupent en collèges pour assurer la
permanence de leur fonction et de leurs privilèges. Ils
sont davantage voués au savoir encyclopédique qu’à
l’efficacité thérapeutique. Ils sont malgré tout bien
considérés. Le peuple est souvent impressionné par leur
savante argumentation, leur érudition, leur statut social
ou leur appartenance à la maison d’un grand
personnage. Les vrais médecins sont néanmoins peu
nombreux et la population fait donc appel à divers
autres soignants10.
27 Au premier rang de ceux-ci se situent les chirurgiens.
Contrairement aux médecins, il s’agit d’artisans,
exerçant un métier manuel, ne parlant pas latin. Ils sont
méprisés par les docteurs. La séparation des professions
durera 200 ans, même si la formation des chirurgiens
devint de plus en plus réglementée et exigeante avec les
ans. Les chirurgiens peuvent être répartis en trois
catégories  : les maîtres-chirurgiens ou chirurgiens de
longue robe tel Ambroise Paré, les barbiers-chirurgiens ou
chirurgiens de robe courte et enfin les empiriques. Ces
derniers sont des illégaux qui exercent la médecine sans
aucune formation reconnue. Le terme «  charlatan  »
apparaît à cette époque11. Les apothicaires sont un peu à
part.
28 D’autres groupes encore interviennent dans les soins.
C’est le cas des religieuses et des moines qui continuent
de distribuer des remèdes à leurs fidèles. Les seigneurs
et leurs épouses jouent aussi un rôle non négligeable en
soignant les gens de leurs domaines dans une
perspective de bienfaisance teintée de paternalisme12.
29 Il importe néanmoins de noter le relatif déclin des soins
infirmiers. Certains historiens parlent même de la
«  période noire  » de la pratique infirmière qui connaît
les pires conditions de son histoire. De façon générale,
les querelles religieuses peuvent être tenues
partiellement responsables de la période sombre
traversée par les soins infirmiers, surtout en Angleterre.
La confiscation des biens de l’Église par Henri VIII
entraîne la fermeture des monastères et hôpitaux
religieux où étaient formées et œuvraient les
infirmières. Les infirmières formées par les religieuses
sont négligées et remplacées par du personnel issu des
classes illettrées ou même sorti de prison. Les femmes
qui s’adonnent alors aux soins sont avant tout des
ménagères d’âge moyen. Elles ne font partie d’aucune
organisation et ne jouissent d’aucun statut social. Elles
sont mal payées et, si elles sont mères de famille,
cherchent souvent à compenser le manque à gagner par
la prostitution. Plusieurs sombrent dans l’alcoolisme13.
30 Cette multiplicité de soignants crée un climat de
désordre auquel la recherche d’une certaine
institutionnalisation va essayer de remédier.

Institutions médicales et formation


31 Deux impératifs semblent se dessiner sur ce plan : d’une
part, veiller à ce que les soignants possèdent une
formation reconnue et, d’autre part, voir à ce que les
malades les plus démunis soient pris en charge.
Différents facteurs vont intervenir en ce sens.
32 Les institutions (facultés et corporations) mises en place
au Moyen Âge continuent d’exister, mais ne se limitent
plus à la fonction d’enseignement. Elles deviennent un
moyen de se faire reconnaître socialement en tant que
profession et une façon de lutter contre la concurrence
des autres soignants. Les rivalités entre médecins et
chirurgiens illustrent ces luttes parfois âpres.
33 Ainsi, en France, la Faculté de médecine est autant une
corporation veillant à défendre ses droits et ses
membres qu’une structure enseignante. La «  licence  »
confère le droit d’exercer la médecine, mais cette
formation porte davantage au goût des humanités qu’à
la rigueur scientifique proprement dite. Tournés vers
l’action et l’efficacité, les chirurgiens apparaissent
comme les grands rivaux des médecins. Il n’est pas
surprenant alors qu’une Faculté de médecine soucieuse
de protéger ses privilèges voit d’un mauvais œil des
chirurgiens qui empiètent souvent sur son propre
domaine14.
34 Depuis le XIIIe siècle, la chirurgie est en effet considérée
par la médecine comme une besogne manuelle et
subalterne. Les maîtres en chirurgie possèdent tout de
même un collège où, pour être couronné chirurgien de
longue robe, il faut étudier quatre ans, subir un examen
en latin et soutenir une thèse. Leur plus cher désir
consiste à se soustraire à l’autorité de la Faculté de
médecine.
35 La lutte des chirurgiens pour leur reconnaissance
sociale se trouve néanmoins entravée par des querelles
internes. Il existe en effet une rivalité entre maîtres-
chirurgiens et barbiers-chirurgiens. Ces derniers
doivent se limiter aux saignées, à la cure des abcès, aux
ventouses et aux pansements. Ils ont leur propre
corporation. En 1577, ils demandent leur intégration à
l’université, ce qui rebute les chirurgiens de longue robe
qui font annuler la mesure. Cette autonomie face à
l’université se révèle peut-être bénéfique dans la mesure
où elle permet à certains praticiens tel Ambroise Paré
d’échapper au monde intellectuel rigide et statique de la
médecine universitaire française de la Renaissance.
36 Bien plus, en France, l’étroitesse d’esprit démontrée par
les collèges, universités et facultés amène le pouvoir
politique à critiquer l’isolationnisme du monde
scientifique et à créer le Collège royal dont il nomme les
professeurs. Le français y remplace le latin dans
l’enseignement. D’autres pays suivent cet exemple,
chacun privilégiant sa propre langue. Les universités
manifestent leur aigreur en s’opposant à la fois à
l’enseignement dans les langues vernaculaires et à
l’utilisation de ces langues par les chirurgiens lorsqu’ils
s’adressent aux blessés.
37 Deux autres groupes de soignants se basent sur une
formation plus poussée pour faire reconnaître leur
spécificité sans que des conflits aussi marqués ne
surgissent. C’est le cas des apothicaires qui, avec le
développement des universités au XIIIe siècle, se
distinguent bientôt des médecins pour préparer les
remèdes et, dans une moindre mesure, des sages-
femmes dont la formation devient plus rigoureuse à
partir de 156015.
38 L’accroissement de la demande de soins médicaux,
causé par l’augmentation de la population, l’apparition
des grandes villes et le développement du commerce, se
solde donc par une formation plus poussée de la plupart
des soignants. Cette formation a toutefois pour
corollaire la marginalisation de l’élément féminin. La
plupart des universités européennes excluant les
femmes, celles-ci ne peuvent guère devenir elles-mêmes
médecins, chirurgiens ou apothicaires. Elles sont donc
désormais cantonnées à un rôle subalterne. La quasi-
égalité des sexes du Moyen Âge tend à disparaître16.

Soins infirmiers et hôpitaux


39 Au début de l’époque, la situation des hôpitaux et des
soins infirmiers est catastrophique. En Angleterre, la
confiscation des biens d’Église entraîne la fermeture de
nombreuses institutions de santé, d’où le renvoi de
plusieurs soignants, moines et religieuses, qui
jusqu’alors assumaient les soins aux malades. Les
hôpitaux deviennent des places d’horreur, puisque
aucun groupe de personnes qualifiées ne peut
remplacer ces soignants appartenant à des ordres
religieux. Le nouveau personnel n’a pas de formation et
n’en reçoit pas. Aucun statut social ne peut être rattaché
à cette fonction de soignante. De surcroît, la suprématie
masculine de l’époque laisse les infirmières sans voix
tant en ce qui concerne la dispensation des soins que
l’organisation et la gestion des institutions hospitalières.
Dans ces conditions, personne n’est intéressé à devenir
infirmière.
40 Quoique la situation ne soit pas si noire en dehors de
l’Angleterre, elle s’est quand même détériorée. En
France, par exemple, les hôpitaux devenus riches
excitent les convoitises  : des administrateurs peu
dévoués sont nommés  ; des biens sont détournés  ;
malgré la permanence de beaux engagements, les
mœurs des soignants ont changé. Brigitte Rossignol
illustre cet état de fait à partir de la ville de Lyon. Elle
constate qu’à l’Hôtel-Dieu de cette ville pourtant
prospère, il n’existe aucun personnel attitré pour les
soins quotidiens des malades. Le médecin, le chirurgien,
le barbier-chirurgien et l’apothicaire les visitent tour à
tour et les soignent du mieux qu’ils peuvent, mais on ne
fait jamais allusion à une personne qui ressemblerait de
près ou de loin à une infirmière. Ceci laisse supposer
que c’est la population qui s’organise pour soigner les
malades17.
41 Le XVIe siècle voit poindre une certaine amélioration. On
assiste à une deuxième vague de fondations dans les
régions catholiques. Plusieurs conciles, surtout le concile
de Trente (1545-1563), tentent de réformer la situation
en transformant les libres associations de soignants en
congrégations religieuses strictes. Aux quatre vœux
connus (pauvreté, chasteté, obéissance, service des
pauvres), on en ajoute un cinquième, celui de la clôture,
c’est-à-dire de l’interdiction de sortir du couvent ou du
monastère. Finies les communautés mixtes du Moyen
Âge. Finies les associations de laïques visiteuses18.
42 Dans les zones réformées, la suppression des
communautés religieuses est compensée par des
interventions de l’État et des municipalités. Dans les
hôpitaux supervisés par des comités de notables locaux,
les soignantes, placées sous l’autorité d’une matrone,
prennent trois figures différentes  : des laïques
pauvrement payées  ; des «  sœurs  » qui, sans être
incorporées dans une communauté formelle, vivent en
célibataires en se consacrant entièrement à leur tâche
charitable  ; enfin, des «  sœurs  » appartenant à des
« sociétés » protestantes vouées au soin des malades19.

Politiques de santé
43 Au début de la période, les mesures de santé publique
s’avèrent fort déficientes. Ainsi que cela a été mentionné
plus haut, l’Angleterre supprime les ordres religieux
catholiques et les monastères qui assuraient jusqu’alors
les soins hospitaliers aux pauvres et aux malades. Les
souverains de l’époque, Henri VIII et Élizabeth Ire,
consacrent plus d’énergie à combattre la mendicité par
des mesures répressives qu’à s’attaquer à la source des
problèmes20. Quant à la France, l’étude réalisée par
Rossignol sur la ville de Lyon démontre que la
splendeur de celle-ci n’est que relative : le centre animé
de la rue Mercière et des bords de la Saône abrite dans
des maisons vétustes et privées d’hygiène une
population désemparée devant les maladies et, plus
particulièrement, les épidémies21. Sous l’effet des
désordres économiques et sociaux, la pauvreté continue
en outre d’augmenter au point de menacer l’ordre
public.
44 Cette situation conduit les pouvoirs publics non
seulement à exiger une plus grande formation des
médecins, mais aussi à établir des établissements
d’hébergement provisoires. Puis, peu à peu, les
communautés urbaines se substituent à l’Église et aux
princes dans la gestion des hôpitaux, non seulement
sous l’effet de la Réforme, mais aussi en raison des
difficultés financières éprouvées par ceux-ci. Cette
laïcisation progressive, du moins au niveau
administratif, s’opère à la fois dans les pays catholiques
et protestants22.
45 Comme au Moyen Âge, les hôpitaux et hospices servent
davantage à héberger les pauvres et les infirmes qu’à
soigner les malades. Quelques salles spécialisées sont
réservées aux aliénés mais, dans ce XVIe siècle aussi
appelé «  siècle de la mélancolie  », il n’est pas encore
question de les soigner23.
46 Dans l’exploration du Nouveau Monde, les colonisateurs
amènent avec eux plusieurs membres d’ordres religieux
qui deviennent enseignants, infirmiers et médecins dans
les colonies. En 1521, Cortés conquiert Tenochtitlan,
capitale aztèque rebaptisée Mexico, qui, dès 1524,
devient le site du premier hôpital existant sur le
nouveau continent  : l’Hôpital de l’Immaculée-
Conception24.

DÉVELOPPEMENT DES CONNAISSANCES ET


DES TECHNIQUES
47 La médecine ne reste pas à l’écart du bouillonnement
intellectuel de la Renaissance. Beaucoup de praticiens
sont aussi mathématiciens, physiciens, astrologues et
même alchimistes. Ils commencent aussi à remettre en
question les dogmes médicaux et traditions jusque-là
acceptés en adoptant une démarche inductive basée sur
l’observation et, plus particulièrement, sur l’étude de
l’anatomie25. Ceci ne signifie pas pour autant que le
recours à la superstition et l’approche déductive soient
immédiatement oubliés. Il arrive en effet à la médecine
de souffrir encore de son apriorisme, de son
attachement à la scolastique et de son désir de plaire.
ÉRASME est sévère à ce propos :
La médecine, surtout comme la plupart de nos
docteurs la pratiquent aujourd’hui, n’est plus que l’art
de plaire à un malade, et à ce point de vue, elle a
quelque rapport avec la rhétorique 26.
48 Le perfectionnement de l’anatomie et le culte du corps
humain amènent une collaboration inédite entre
médecins et artistes eux aussi attachés à l’étude de
l’homme et à sa représentation physique27. Globalement,
les perspectives se révèlent différentes. L’artiste ne
regarde pas le corps humain de la même façon que
l’homme de science : l’un recherche l’esthétique, l’autre,
la rigueur et la précision, quoique l’inverse soit parfois
vrai. Il semble difficile de concilier l’observation
rigoureuse avec la sensibilité dont l’artiste ne peut
s’affranchir28. Les deux groupes se trouvent pourtant
contraints de travailler ensemble  : les anatomistes
fournissent les données et descriptions indispensables à
toute représentation cherchant la perfection esthétique,
tandis que les peintres illustrent ce que les hommes de
science veulent diffuser.
49 En bref, il semble donc difficile de parler de renaissance
médicale avant le XVIIe siècle, malgré l’existence de
certaines grandes figures et malgré certains progrès
réalisés notamment quant à la connaissance de
l’anatomie.

Grandes découvertes
50 La découverte de l’anatomie constitue indéniablement
la plus grande contribution de la Renaissance au
développement des connaissances médicales. Comme les
artistes, les médecins dirigent alors leurs observations
vers le corps humain.
51 Les premiers amphithéâtres d’anatomie apparaissent à
Padoue en 1490, à Montpellier en 1551, à Bâle en 1588
et à Paris en 1606. Chaque université reçoit un
contingent de cadavres, limité à trois ou quatre,
provenant généralement des corps de condamnés à
mort non réclamés par la famille. Avec le temps, on
dispose de cadavres à volonté. L’école de Padoue détient
la plus grande influence en ce domaine. Elle regroupe un
grand nombre de professeurs ayant à la fois identifié
des structures anatomiques qui portent encore leur nom
et diffusé leur savoir et leur technique à de nombreux
élèves. André Vésale, F allope, Acquapendente découvrent le
corps humain  ; William H arvey établit la circulation du
sang ; Ambroise Paré s’enhardit à opérer des vivants29.
52 Mais alors qu’à l’origine la dissection servait davantage
à confirmer les thèses de Galien, Aristote, etc., elle
commence vraiment à donner ses fruits, c’est-à-dire à
devenir une nouvelle méthode de connaissance, centrée
sur l’observation et la découverte des faits empiriques.
Une approche inductive apparaît ou, mieux, si l’on veut
tenir compte d’une tradition oubliée, réapparaît,
s’affirme et se précise.

Léonard de Vinci (1452-1519)

53 Les études anatomiques de Léonard de Vinci se


poursuivent pendant 45 ans grâce à de multiples
dissections. Ses représentations de la conformation des
muscles se révèlent exactes. Le meilleur exemple du
souci de perfection énoncé plus haut réside
probablement dans le mythe du «  nombre d’or  » qui
l’amène à présenter comme symbole de la beauté idéale
un homme bien proportionné dans un cercle. Il
s’intéresse en outre au cœur, organe de vie, dont il
parvient à illustrer avec une grande précision les quatre
cavités, cordages et valvules inclus. Il mesure le pouls en
fonction du temps et évalue à sept onces le volume de
sang présent dans les cavités cardiaques30.
54 Il n’échappe pourtant pas à l’influence philosophique de
son époque. Certaines erreurs de ses dessins ne sont
explicables que par la croyance contemporaine selon
laquelle «  la nature est pleine d’infinies raisons qui ne
sont jamais apparues dans l’expérience  ». Il vient au
seuil de la découverte de la circulation sanguine, mais
en est empêché par l’acceptation de la théorie de Galien
quant à l’existence de pores invisibles dans les parois
internes du cœur31. Ses reproductions n’atteignent qu’un
public restreint, bien qu’elles se répandent après 1570.

Paracelse (1493-1541)

55 Philippus Aureolus Theophrastus Bombastus Von


Hohenheim, dit Paracelse, est un médecin, alchimiste et
philosophe suisse. Il rejette Aristote et Galien de
manière spectaculaire, allant jusqu’à brûler en public
les œuvres de Galien. Très controversée, sa pensée est
centrée sur un système général de correspondance  :
l’âme est l’image du monde et réunit en elle tous les
éléments constitutifs de ce monde. Chaque viscère est
associé à un astre en rapports réciproques, le cœur au
soleil, le foie à Jupiter par exemple. Plus que par la
contemplation des objets extérieurs et par le
raisonnement sur eux, l’être humain peut arriver à la
connaissance par une sympathie entre l’objet et ce qui
lui correspond à l’intérieur de lui-même. Selon lui,
médecin et chirurgien sont complémentaires : judicando,
tu es médecin, curando, chirurgien32.
56 Ce médecin célèbre est à l’origine d’une école de pensée,
l’iatrochimie, qui fonde la théorie et la pratique
médicales exclusivement sur des éléments chimiques. Il
réalise certaines percées thérapeutiques en appliquant
ses principes au traitement des plaies dues aux armes et
améliore ainsi le traitement de celles-ci par des
pansements émollients non douloureux. Il introduit
aussi les terres dans la pharmacopée et préconise
l’emploi de métaux et métalloïdes tels les sels
d’antimoine pour le traitement de nombreux états
cliniques. Il recommande en outre le mercure pour
guérir la syphilis, bien que les effets secondaires soient
souvent tragiques.
57 Il aurait pu être considéré comme le père de la chimie
pharmaceutique, mais son influence demeure limitée en
raison de son attachement à certaines traditions du
Moyen Âge et de son originalité associant à la fois
rationalité et occultisme33.

Vésale (1514-1564)

58 D’origine flamande et fils d’apothicaire, Andreas Vesalius


naît à Bruxelles. Le souci d’observation et la précision
du trait le caractérisent. Il soutient sa thèse de doctorat à
Padoue en 1537. Il publie à Bâle en 1543 De humani
corporis fabrica, œuvre monumentale considérée par
certains comme le fondement de l’anatomie moderne. Il
y établit une nomenclature des os, muscles et vaisseaux
grâce à des illustrations nombreuses et admirables
réalisées par un élève de Titien. Une deuxième édition
de 1555 met en doute les «  pores  » de la cloison
interventriculaire décrits par Galien. Ces «  pores  »,
d’abord qualifiés d’invisibles, deviennent inexistants et
le «  sang qui transpire à travers la cloison  » est
désormais réputé transpirer à travers la cloison. Malgré
sa grande admiration pour Galien, en cinq ans de travail
Vésale note 200 inexactitudes dans l’œuvre galénique, y
compris la reconnaissance d’éléments humains (  !) qui
ne se trouvent que chez les singes ou les chiens. Il en
vient à penser que son illustre prédécesseur n’avait
jamais pratiqué de dissection humaine, se contentant
d’inférer chez l’humain à partir de dissections animales.
Il fait par ailleurs une véritable révolution pédagogique,
alors qu’il est professeur de faculté, en disséquant lui-
même les cadavres, commentant ses gestes, ajoutant des
explications, montrant les spécimens, s’accompagnant
de grands schémas ou d’un squelette pour aider les
étudiants à se situer34. Cette innovation lui attire à la
fois des éloges et des critiques.
59 Vésale n’établit pourtant ni l’étanchéité de la cloison
cardiaque ventriculaire ni la présence de valvules
veineuses qui invalideraient les concepts galéniques. Les
travaux d’Ibn-al-Nafis, disparus dans la tourmente qui a
touché le Moyen-Orient, ne semblent pas avoir atteint
l’Occident. L’originalité de Vésale réside d’une part dans
sa quête de rationalité et, d’autre part, dans son souci
constant d’établir une nomenclature anatomique. Il
révolutionne en partie les concepts anatomiques
galéniques. Surtout, il parvient à transformer les
méthodes purement théoriques de l’enseignement
anatomique de son époque35.

Ambroise Paré (1509-1590)

60 Ambroise Paré est un chirurgien français né à Laval, en


Mayenne. D’abord barbier-chirurgien, il devient par la
suite stagiaire à l’Hôtel-Dieu de Paris puis chirurgien
militaire. En 1554, il entre dans la confrérie de Saint-
Côme, formée de chirurgiens de longue robe qui doivent
soutenir une thèse en latin devant les médecins. Il va
bientôt soigner autant les «  pauvres soldats  » que les
grands personnages dont le roi Henri II. Son époque est
celle de l’apparition des armes à feu et des blessures qui
en résultent. Paré s’y intéresse et utilise un modèle
mécanique et balistique qui contredit le modèle
traditionnel de la médecine, soit celui de
l’empoisonnement par le projectile. Pour soigner Henri
II blessé à l’œil par une lance, il fait reproduire la
blessure chez quatre suppliciés de la Bastille avant de
les disséquer pour mieux comprendre les
caractéristiques de la blessure. Bien avant l’ère de la
radiologie, il peut repérer ce projectile dans le corps du
blessé et le retirer. Il soigne aussi les traumatismes
crâniens et va jusqu’à utiliser la trépanation. Pourtant,
comme les chirurgiens de son époque, il œuvre dans le
cadre de la médecine humorale qu’il ne renie pas. Il n’en
reste pas moins que sa connaissance de la pathologie
externe est souvent plus précise et parfois plus efficace
que celle de ses contemporains plus érudits. On dit
même que ses lacunes académiques l’ont aidé à devenir
un excellent chirurgien. Ce que d’autres qualifiaient de
« rudesse » ou même de « brutalité », Paré le voit comme
autant de qualités de «  promptitude  » et d’«  urgence  »
qui rendent la profession « socialement indispensable et
quasi royale36 ».
61 Bien qu’il ne cesse d’affirmer la primauté de
l’expérience et de l’observation, il reste tributaire des
idées de son temps. Il a fait faire des bonds importants à
la chirurgie. Selon Sournia, il doit surtout sa gloire à ses
qualités humaines et à son œuvre encyclopédique37.

Méthodes diagnostiques et thérapeutiques


62 Si certains innovateurs accroissent les connaissances,
transforment les concepts médicaux et l’approche de la
maladie, il ne faut pourtant pas conclure que la pratique
suit immédiatement. Les grandes découvertes
scientifiques ne contribuent pas toujours
immédiatement à l’évolution de la pratique.
63 Malgré des avancées spectaculaires, par exemple en
chirurgie avec Tagliacozzi, les médecins ne peuvent
encore utiliser leur savoir anatomique sur le plan
clinique pour deux raisons majeures. En premier lieu,
les interventions sur les viscères profonds se révèlent
impossibles à cause des risques d’infection. De plus,
l’anatomie reste descriptive et les médecins demeurent
très ignorants de la fonction des organes qu’ils
découvrent38. Une rupture apparaît ainsi entre
«  connaissances  » et «  soins  » tandis que la quête des
premières semble primer sur les seconds. En effet, si les
unes connaissent une nette progression, les autres
demeurent basés sur la tradition. La formation des
médecins les rend de plus en plus savants, mais ils
disposent toujours de peu de moyens techniques, et,
donc, d’une faible efficacité thérapeutique. Il plaît en
outre à certains d’utiliser un langage savant marquant
leur supériorité par rapport aux patients. La dichotomie
entre les aspects cognitifs et thérapeutiques des soins de
santé s’élargit ainsi au fur et à mesure que se
développent les connaissances.
64 Dans la pratique, l’ensemble des autres soignants
demeurent beaucoup plus proches des malades, leur
parlent dans leur langue et se préoccupent davantage
de leur bien-être  ; mais il leur manque alors les
connaissances indispensables pour être efficaces sur le
plan médical. Les chirurgiens peuvent être cités en
exemple. À la différence des médecins, ils se
caractérisent par leur quête d’efficacité thérapeutique et
leur habitude de s’adresser aux malades dans la langue
usuelle du pays. Ils ne rejettent pas pour autant la
recherche de connaissances puisqu’ils suivent une
formation de plus en plus rigoureuse et s’efforcent de
s’intégrer dans la pratique des dissections d’abord
réservée aux médecins. En fait, la nature même de leur
travail les pousse à établir des liens entre les
connaissances, anatomiques notamment, et leurs
applications pratiques au niveau des soins. Ils allient
donc à la fois le souci du patient hérité de la tradition
hippocratique et la quête de connaissances basée sur
l’observation issue de la Renaissance39.
65 En conséquence, la thérapeutique de la Renaissance
reste donc, dans son ensemble, rudimentaire et collée à
celle des siècles précédents.
66 L’approche médicale considère toujours que la maladie
résulte d’un déséquilibre des humeurs. Il s’agit dès lors
de commencer par diagnostiquer le trouble humoral.
Pour ce faire, le médecin, après avoir inspecté
succinctement l’état des téguments et des muqueuses,
palpe le pouls d’une façon purement qualitative, puis
passe à l’examen des humeurs au moyen de la saignée,
de l’analyse des excrétions et des urines. Il va même
jusqu’à les goûter. Son savoir-faire réside dans
l’administration d’une thérapeutique contraire au
tempérament morbide de l’individu ou de l’organe
atteint tout en prenant en compte que tout viscère a son
correspondant sidéral. Ce sont les mouvements des
planètes qui règlent les périodes de purgation, de
saignées et de coupe de cheveux. Enfin, l’horoscope du
malade peut aider à choisir le moment le plus favorable
pour la prise de médicaments ou la date d’une
opération40.
67 Il importe donc d’éliminer les humeurs « peccantes » au
moyen de saignées, purgations, lavements et d’une
pharmacopée faisant appel aux trois règnes. Cette
pharmacopée va s’accroître énormément à la
Renaissance, favorisée d’une part par l’intérêt porté à
l’alchimie et à la chimie et, d’autre part, grâce à la
découverte de la faune et de la flore du Nouveau Monde.
Salsepareille, millepertuis, fleur de la passion et bois de
gaïac (utilisé contre la syphilis) sont largement
employés. La chair de vipère est recommandée jusqu’au
XIXe siècle. L’iatrochimie montre finalement combien les
médicaments métalliques tels le mercure, l’antimoine et
même certaines pierres précieuses peuvent être en
vogue41.
68 D’un autre côté, les approches religieuses et magiques
continuent cependant d’avoir cours, surtout lorsque se
produisent des épidémies. Il importe alors d’invoquer
Dieu et les saints  : à chaque maladie se rattache la
dévotion à un saint spécifique. Le recours à la magie,
plus clandestin, est cependant courant  : mages, devins,
astrologues prospèrent et proposent amulettes,
formules incantatoires, philtres et remèdes mais aussi
poisons et antidotes42.

Apport de l’imprimerie
69 La Renaissance est néanmoins le théâtre d’une
innovation majeure dont les conséquences indirectes
sur les soins de la santé révéleront toute la portée dans
les siècles suivants. Les progrès de l’imprimerie
permettent en effet la publication et la diffusion
d’ouvrages médicaux. Les dissections étant en effet
réservées par la force des choses à un public restreint,
les professeurs d’anatomie se trouvent encouragés à
utiliser les livres pour reproduire et diffuser le fruit de
leur travail. Berengario da Carpi (1470-1530), professeur à
Bologne, est le premier à faire imprimer des pages
d’anatomie illustrées et expliquées. Bien que les
premières représentations négligent les règles de la
perspective et aboutissent à des dessins plats sans relief,
ces règles commencent à être employées en 1517 et se
généralisent par la suite. Le livre médical apparaît à la
fin du XVIe siècle. Des traités d’hygiène alimentaire se
multiplient alors dans toutes les langues. D’abord situés
à Lyon, les principaux ateliers se retrouvent à Paris dès
le XVIIe siècle43.
70 En somme, malgré l’ouverture d’esprit de ses
intellectuels et malgré des progrès considérables, la
Renaissance ne parvient pas à échapper totalement à
l’influence des dogmes et traditions, ce qui limite
indéniablement la portée de ses découvertes. Il reste
beaucoup de flou concernant la physiologie du corps
humain et les rapports entre les divers organes. Par
exemple, malgré des progrès considérables depuis
Galien sur le fonctionnement du cœur, les connaissances
restent approximatives. Il faudra attendre le siècle
suivant pour comprendre vraiment la circulation
sanguine44. La contribution du XVIe siècle au niveau de
l’anatomie descriptive constitue néanmoins une étape
indispensable et irréversible de l’évolution de la science
médicale.
ANTHROPOLOGIE MÉDICALE ET
CULTURELLE
71 La conception de la santé et de la maladie ne connaît
pas de changement majeur pendant la Renaissance. Les
courants médicaux et chrétiens demeurent dominants.
Le bouillonnement intellectuel du XVe siècle entraîne
néanmoins une certaine évolution de chacun de ces
courants et, surtout, des relations entre les deux. Le
nouveau regard posé sur le corps humain illustre
particulièrement bien cette situation. Le courant
féminin, toujours présent, perd toutefois de
l’importance.

Courant médical
72 Pour les scientifiques de la Renaissance (médecins,
anatomistes et autres), comme pour ceux de la période
précédente, il y a une unité profonde de l’univers. Le
microcosme et le macrocosme se rejoignent. L’univers
terrestre est en lien et en interaction avec l’univers
sidéral.
73 Reprenant et complétant les connaissances de siècles
précédents, ils tiennent pour acquis que le corps
humain, comme tous les objets, est composé des quatre
éléments  : feu, terre, air, eau, qui se conjuguent selon
des proportions diverses avec les quatre qualités  : le
chaud, le froid, le sec et l’humide. La santé résulte de
l’équilibre des humeurs, notamment la bile, le phlegme...
Lequel équilibre est en rapport avec la nourriture, le
régime de vie, l’hygiène, ainsi qu’avec le monde sidéral.
Tout viscère, comme nous venons de le dire, a son
correspondant astral  ; chaque organe corporel est
corrélé avec un signe du zodiaque : ainsi le cœur est régi
par le soleil, le cerveau par la lune, etc. La santé dépend
donc aussi bien de la bonne disposition des astres que
du régime global de vie.
74 En contraste, la maladie résulte d’un déséquilibre des
humeurs. Le corps humain subit des altérations en
liaison avec le mouvement des planètes. Ainsi les
comètes déclenchent les pestes, le moment de la
naissance conditionne l’état de la santé d’un chacun, les
lignes de la main déterminent le caractère. Cardano,
Paracelse, Ficin, Fernel, tous relient vicissitudes
astronomiques et physiologiques45.

Courant chrétien
75 Alors que les médecins cherchent à savoir de quoi est
composé le corps humain, les courants religieux issus du
catholicisme et de la Réforme s’interrogent sur la place
de l’être humain dans l’ensemble de la création divine.
Globalement, la pensée chrétienne ne se distingue pas
de la pensée scientifique. D’une part, les savants sont
presque tous chrétiens, souvent même théologiens.
D’autre part, les théologiens intègrent (sauf exceptions)
la vision «  scientifique  » de leurs contemporains sur le
corps, la santé, la maladie, y compris l’influence des
astres et des esprits. Mais souvent s’y mêlent des
dogmes religieux et des superstitions de toute nature46.
La présence récurrente des épidémies y joue un rôle
important.
Pour l’Église, le mal a pénétré dans le monde par le
péché originel, et la liaison entre le mal moral et le
mal physique reste très vivante. Épidémies et
maladies diverses sont envoyées par Dieu pour châtier
les hommes  ; catholiques et protestants s’accordent
sur ce point, et Calvin fera brûler quatorze personnes
accusées d’avoir attiré la peste sur Genève par leurs
incantations. Ambroise Paré pense que les
phénomènes monstrueux sont dus à la colère divine.
Sorciers, juifs, conjonctions astrales et démons sont
des agents pathogènes plus puissants que nos virus, et
bien des médecins, comme l’Espagnol Luis Lobera
d’Avila, l’Italien Silvatico, le Français Ranchin,
souhaiteraient la constitution d’une médecine
catholique, fondée sur la morale autant que sur la
pathologie 47.
76 La folie est souvent assimilée par les théologiens et le
peuple à la possession diabolique. On comprend que,
dans cette perspective, les malades n’aillent pas voir le
médecin, mais fassent prières, neuvaines, pèlerinages et
autres exercices pieux.
77 Cette conception du mal et de la maladie fait presque
perdre de vue un autre élément essentiel du mystère
chrétien qui porte sur la beauté et la bonté du corps
humain créé par Dieu et racheté par le Christ, ainsi que
sur la grandeur de l’intelligence et le légitime souci de
pousser le plus loin possible les limites des
connaissances. C’est en quoi le courant humaniste
heurte par moment les autorités ecclésiales et soulève
ses réserves sinon ses condamnations.

Courant féminin
78 La dichotomie connaissances/soins présentée plus haut
prévaut aussi dans les soins infirmiers. On commence à
réaliser qu’un nursing efficace est basé sur une
connaissance minimum de l’anatomie. Mais la
Renaissance, dans sa quotidienneté, n’a pas été propice
à une évolution rapide à ce propos. Le principe de base
du nursing demeure celui de la charité chrétienne et non
celui de l’hygiène et de l’efficacité48. Le recul de la
religion et la marginalisation des femmes dans la
formation universitaire s’additionnent pour rendre à
peu près muet le courant féminin pendant la
Renaissance.

ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE MÉDICALES


79 Comment les gens de la Renaissance se sont-ils situés au
plan éthique ? L’évolution avec le siècle précédent est à
peine perceptible. Le changement de mentalité ne se
fera sentir que plus tard. Pour le moment se poursuit un
mélange de déontologie laïque et de théologie morale,
tandis que s’amplifient les controverses sur la moralité
de certains comportements.

Perspective déontologique
80 Comme par le passé, on insiste moins sur la compétence
que sur l’honorabilité, la bonne réputation et la
personnalité du médecin49. Ainsi les règlements internes
des corporations et collèges de médecins, d’apothicaires
et de chirurgiens, aussi bien à Londres qu’à Amsterdam,
ont bien plus pour but de surveiller la conduite de leurs
membres que leur professionnalisme. Ils distinguent
très rarement une pratique illicite d’une faute
professionnelle (malpractice), soulignant que lors de
leur demande d’accréditation les postulants ont à
prouver qu’ils sont de bonnes personnes autant par leur
honorabilité que par leurs connaissances. Le même
point de vue se retrouve dans la littérature et les tracts
dénonçant le charlatanisme qui a proliféré à la
Renaissance. Encore ici, on ne fait pas de distinction
entre la réputation du charlatan et sa pratique. John
Cotta en 1612 va jusqu’à affirmer que même un bon
remède peut causer du tort lorsque recommandé par
tous ces charlatans n’ayant pas la connaissance et les
vertus des médecins50. À l’inverse, le chirurgien F abricius
(1533-1619) affirme que «  même les mauvais remèdes
pourraient être efficaces lorsque administrés par un
médecin honnête et dévot51  ». On peut deviner qu’une
telle prise de position, au début de l’ère moderne, ne
peut que renforcer l’attitude des «  dogmatistes  » qui
privilégient la raison au dépens de l’intuition et de
l’expérience. À moins d’y voir aussi, pour une part, une
application de ce qu’on appelle aujourd’hui l’«  effet
placebo ».
81 Certains textes de l’époque nous instruisent sur la
mentalité populaire face à la pratique de la médecine.
Ainsi, beaucoup de médecins découvrent que l’aspect
commercial, mercantile, de leur profession n’est pas
bien considéré par le public  : accepter des frais à
l’avance est vu comme digne des charlatans. Les
médecins auront tôt fait de parler d’honoraires et non
de frais. Plusieurs d’entre eux continuent à traiter les
pauvres gratuitement52.
82 Selon Abel Lefranc, «  l’un des ouvrages les plus riches
d’expérience et les plus pénétrés de la réalité que nous
ait transmis le XVIe siècle au sujet de la pratique
médicale est sans conteste celui de Laurent Joubert   »,
médecin ordinaire des rois de France et de Navarre,
chancelier et juge de la faculté de médecine de
Montpellier. Analysant une plainte adressée aux grands
médecins de Paris concernant la durée des visites à
domicile, Joubert fait une analyse minutieuse de
l’emploi du temps de ces praticiens et conclut par un
commentaire où voisinent observations et déontologie.
Il s’ensuit nécessairement que chacune de ces
dernières [visites] ne seront guère que d’un demi-
quart d’heure, car il faut contenter chacun des
malades. De la sorte, le médecin ne fait qu’entrer et
sortir. Il s’informe en courant de l’état du patient,
touche le pouls, voit l’urine, dit un mot de ce qu’il faut
faire, et passe à un autre. Certes, on ne peut lui
reprocher sa trop grande rapidité, puisqu’il ne lui est
pas possible de faire autrement et que tous ceux qui
l’appellent savent à quoi s’en tenir.
83 Suit une série de notations qui prouvent combien
Joubert veut coller à la réalité.
Il arrive, en effet, que le médecin répond qu’il ne peut
se rendre à l’appel qu’il reçoit, vu le grand nombre de
malades qu’il a à secourir. On lui réplique alors  :
« Monsieur, vous ne ferez qu’entrer et sortir, le malade
pensera être guéri seulement par votre vue. Qu’il vous
voie une fois le jour en passant, et il sera satisfait  ».
Autant en disent un autre et un troisième et un
quatrième. Que faire en la circonstance  ? Mais, dira
quelqu’un, ne faut-il pas avoir égard à la qualité des
personnes et s’arrêter plus longuement auprès de
hauts personnages  : grand seigneur, évêque, abbé,
comte, baron, président, conseiller, trésorier général
des finances et autres gens d’honneur qui ont de quoi
le reconnaître et récompenser, plutôt qu’auprès de
gens de condition plus modeste. [L’auteur répond à
cela] qu’il faut bien faire son devoir envers tous et
s’acquitter fidèlement de sa charge. En outre, il y a des
clients plus recommandés, comme les proches parents,
les alliés, amis, familiers, et ceux à qui on a quelque
grande obligation. Ceux-là doivent être préférés aux
autres, quels que soient le grade et le rang qu’ils
tiennent 53.
84 Sans mettre en doute l’honnêteté de l’ensemble des
praticiens, il est clair que certains d’entre eux, peu
scrupuleux, emploient des procédés louches ou
charlatanesques pour attirer la clientèle. Par exemple,
un médecin d’une petite ville du Poitou fait interroger
ses patients par sa femme  ; il écoute secrètement les
informations données par le patient  ; et, quand il se
montre et regarde les urines, il peut rapidement
diagnostiquer plein de choses, à la grande admiration
du patient.
85 Le prix des visites et des consultations varie
considérablement d’un lieu à l’autre, d’un praticien à
l’autre, d’un malade à l’autre. Les médecins des grands
personnages sont rémunérés grassement  ; chez
beaucoup de médecins de ville et de campagne, les
honoraires sont bas, voire inexistants. Certaines villes
passent des contrats de service avec certains médecins
et exercent alors un contrôle sur les honoraires. Pour
prévenir la collusion, dans nombre de villes, les
autorités prennent soin d’interdire de la manière la plus
formelle toute entente entre le médecin et
l’apothicaire54.

Atmosphère religieuse
86 Toute la pratique médicale baigne encore dans une
atmosphère religieuse. Le médecin a des devoirs
religieux, notamment celui de voir à ce que les malades
aient accès à la confession et à l’extrême-onction. À la
suite d’une bulle du pape Pie IV, les nouveaux docteurs
de Lyon, d’Avignon et de Paris doivent jurer d’inviter
leurs malades à appeler le prêtre dès la seconde visite
pour être confessés, et de cesser les soins s’ils ne s’y
résolvent pas après la troisième visite55.
87 Avant d’être reçus, les apothicaires parisiens doivent
prêter un serment analogue à celui des médecins. Le
serment implique, entre autres, « de vivre et de mourir
en la foi chrétienne  ». En encore  : «  de ne toucher
aucunement aux parties honteuses et défendues des
femmes, que ce ne soit pas grande nécessité, c’est-à-dire
lorsqu’il sera question d’appliquer dessus quelques
remèdes56 ».
88 La plupart des auteurs insistent sur un juste équilibre à
trouver entre les connaissances académiques et la vertu
d’un bon praticien. Selon plusieurs, cette dernière vient
de Dieu bien plus que d’une connaissance académique.
De là à conclure que les médecins «  inspirés  » sont
supérieurs aux praticiens formés aux idées païennes ou
islamiques ayant cours dans les facultés de médecine, il
n’y a qu’un pas à franchir. Paracelse s’inscrit dans cette
perspective57.
89 Si la sorcellerie et le mysticisme peuvent encombrer les
connaissances et les pratiques, la croyance peut aussi
être équilibrée. On a beaucoup insisté sur la profonde
piété chrétienne d’Ambroise Paré. La préface de son
livre publié en 1545 se termine par une humble prière
au Créateur. Combien significative surtout la phrase
célèbre qu’il répète tant de fois à la fin de ses
descriptions cliniques  : «  Je le pansai, Dieu le guérit.  »
Beaucoup de livres de médecins arabes portent la
formule  : «  Après ce traitement, le malade guérira, si
Dieu le veut58. »
90 Mais les mentalités différentes vont surtout se
manifester quant à la fonction du médecin sur les plans
spirituel et corporel59. Le médecin catholique Condrochi a
souligné abondamment le lien étroit entre l’esprit et le
corps et leur influence réciproque, un sujet éminemment
important pour tous les praticiens œuvrant en pays
catholiques. «  Puisque la sympathie entre le corps et
l’âme est si étroite que les vices de l’esprit influencent le
corps et qu’en retour les maladies du corps affaiblissent
l’esprit  », Condrochi en arrive à la conclusion que le
médecin doit s’occuper de la guérison du corps, la partie
la plus grossière de l’humain, mais aussi de celle de
l’âme60. C’est à peu près la pensée d’Érasme (1466-1536)
qui, louangeant la médecine, déclare que les médecins
non seulement déterminent effectivement si le patient
est mélancolique ou possédé, mais qu’en rétablissant
l’équilibre des humeurs ils font en sorte que la
possession diabolique s’avère impossible61. Rodrigo
Castro, lui, insiste sur les moyens naturels de guérir la
maladie, fidèle à sa philosophie de l’importance du
corps en médecine.

ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE INFIRMIÈRES


91 Comment parler d’une éthique infirmière au cours de
cette période tant décriée comme la période noire des
hôpitaux et du nursing  ? Il est difficile de porter des
jugements trop sévères à l’égard des femmes qui
remplissent ces fonctions parce qu’elles n’ont pas
d’autres choix pour survivre62. Curieusement, ni les
médecins ni les autorités de l’époque ne se portent à la
défense de la qualité des soins offerts à la population du
temps. Dans ce contexte, peut-on parler alors d’une
absence d’éthique de soins chez les infirmières sans
s’interroger sur l’absence d’une éthique institutionnelle
chez les principaux décideurs du temps ?
92 Cependant, même si les hôpitaux sont en détresse, tout
n’est pas perdu de la générosité et des acquis des siècles
précédents. Un peu partout en Europe, des soignants et
des soignantes, religieux et laïques, se dévouent auprès
des malades et des souffrants de toute catégorie. Surtout
à partir du XVIe siècle. On ne risque pas de se tromper
en évoquant, comme pour la période précédente, d’une
part, une éthique de la compassion, de la sollicitude et
de la bienfaisance et, d’autre part, une éthique du
respect de la vie, de l’honnêteté, de la confidentialité, de
la vérité. Il n’y a rien, cependant, qui ressemble à une
éthique professionnelle spécifique. C’est plutôt l’éthique
religieuse qui suscite et anime les gens concernés.
93 Il n’est pas superflu de mentionner que le mot
«  nursing  » n’est pas étranger aux premiers
balbutiements éthiques des soins infirmiers. Issu du mot
français nourrice, lui même provenant du latin nutrire
et nutrix, le « nursing » signifie nourrir, allaiter, abriter,
bercer, prendre soin de... Tous ces mots se rattachent à
des comportements caractérisés par le don de soi. Il est
facile d’y déceler les qualités ou les vertus attendues
d’une infirmière et d’y reconnaître les attributs propres
au rôle féminin63.

QUESTIONS ÉTHIQUES PARTICULIÈRES


94 On connaît déjà les grandes préoccupations des
médecins, des soignantes, des Églises chrétiennes pour
le respect de la vie, l’interdit du meurtre, la compassion,
la vérité et la bienfaisance. Tout cela demeure. Mais à
l’aube des Temps modernes, suite au développement de
la science médicale et de l’ouverture au monde,
beaucoup de penseurs non chrétiens et même chrétiens
occidentaux remettent en question ou relativisent
certains diktats ou interdits de la morale séculaire.

Confidentialité
95 Diversement selon les pays, Italie, Espagne, France, plus
marquée en France pour la chirurgie que pour la
clinique, l’exigence du secret médical revient dans
l’espace public à la Renaissance. Les théologiens
distinguent entre le secret naturel (relevant de la loi
naturelle) dont fait partie le secret médical, et le secret
de la confession. Mais le premier reste très important.
Chez F rançois Ranchin , le secret médical est d’ailleurs
toujours assimilé au secret de la confession. En 1598, les
nouveaux statuts de la Faculté de médecine de Paris
édictent  : «  Que personne ne divulgue les secrets des
malades, ni ce qu’il a vu, entendu ou compris. » Dans la
confrérie des chirurgiens de Bordeaux, le nouveau venu
doit jurer, entre autres choses, « de garder les secrets de
ses clients  ». Dans les statuts de la corporation de
Montbéliard, il est interdit de violer le secret médical
sous peine d’amende64.
96 Cependant, comme au Moyen Âge, le secret ne s’étend
pas à la protection de l’identité du malade dans les
publications scientifiques. Ambroise Paré, par exemple,
donne le nom de ses patients comme preuve de
l’authenticité de ses affirmations65.

Vérité au malade
97 Doit-on informer le malade de son diagnostic et de son
pronostic pour qu’il prenne en toute connaissance de
cause les décisions concernant sa santé et sa vie  ? La
question ne se pose pas véritablement ainsi, même si on
peut imaginer qu’un minimum d’information est donné
par le médecin au malade, ne serait-ce qu’afin qu’il
puisse suivre la thérapie proposée.
98 Doit-on ou non mentir afin de protéger la santé d’un
malade  ? Telle est la question qui s’est posée à la
Renaissance, surtout dans la péninsule Ibérique. Les
positions officielles protestante et catholique ne
semblent pas être différentes : mentir est immoral. Elles
ne font pas l’unanimité. D’un côté, on voit un médecin
aux prises avec ce dilemme moral consulter un expert
en théologie. Mais d’un autre côté, on connaît d’autres
médecins soutenant que la décision d’employer la ruse
est du domaine de la médecine et non de la théologie.
C’est ainsi que H enriques écrit une dissertation contre
toute forme de tromperie, pendant que Castro, fort de sa
formation hippocratique et galénique, justifie la ruse en
vue d’aider la guérison66.

Contraception
99 L’influence augustinienne dévalorisant la sexualité a
pratiquement disparu. La menace de l’hérésie cathare
condamnant la procréation a perdu de sa force. On ne
sent pas encore le danger de surpopulation, d’autant
plus que les enfants meurent jeunes et que de
nombreuses épidémies déciment les populations.
Pourtant, bien des couples démunis trouvent lourd
d’avoir un nouvel enfant. Des bourgeois et des nobles ne
veulent pas fragmenter le patrimoine. Aux pauvres et
aux riches désirant limiter leur famille se présentent les
possibilités suivantes  : d’un côté la continence des
époux, l’étreinte réservée et le mariage tardif  ; de
l’autre, potion contraceptive, coït interrompu, rapport
oral ou anal. Il n’y a pas de contraceptifs vraiment
différents de ceux qui existaient depuis l’Antiquité67.
100 Il semble que les médecins ne se soient pas intéressés à
la contraception. « À l’encontre des ouvrages médiévaux
comme ceux d’Avicenne et de Gaddesden , les livres de
gynécologie publiés à cette époque ne renferment
aucune information sur la contraception. » Par exemple,
le traité d’Eucharius Roesslin en 1513 et celui d’Ambroise
Paré sont silencieux sur le sujet.
101 Certains théologiens, sans nécessairement encourager la
contraception, insistent sur certains aspects du mariage
mis en veilleuse jusque-là. L’un d’eux essaie d’accorder
l’amour spirituel et l’amour charnel dans le mariage. Un
autre ose avancer que les penchants sexuels de l’être
humain sont par eux-mêmes naturels et bons. Dans le
même sens, on va jusqu’à affirmer : « Il n’y a pas plus de
péché à s’unir pour le plaisir qu’à manger une pomme
pour le plaisir qu’elle procure.  » Enfin, le spécialiste de
la théologie du mariage de cette période, Tomas Sanchez
(1550-1610), admet les contacts sexuels entre époux en
dehors du coït et, ce faisant, légitime l’amour et
l’érotisme comme des valeurs distinctes de la
procréation. Il y a là les germes d’une nouvelle attitude
envers le mariage et la sexualité. Mais ils n’auront guère
de suite.
102 Globalement, la contraception continue d’attirer la
réprobation des autorités civiles et religieuses en étant
identifiée à l’homicide. Martin Le Maistre, professeur
réputé de Paris et moraliste écouté, considère que le coït
interrompu et l’usage de poisons contraceptifs sont
pires que la fornication, car ces actes sont perpétrés
« contre la vie d’un homme à naître68 ». Pour la première
fois, un concile œcuménique, celui de Trente (1545-
1563), parle du rôle de l’amour dans le mariage, mais
l’allusion à l’amour est subordonnée à la fin principale
du mariage et aucune conséquence ne suit sur le sens
des rapports sexuels69. Les autorités de l’Église
continuent d’appliquer le canon Si aliquis (voir chapitre
précédent). Le catéchisme romain publié en 1566 et la
bulle de Sixte V en 1588 ne font pas dans la nuance : la
contraception contrevient au cinquième commandement
de Dieu et constitue un homicide.
Avortement
103 Au sujet de l’avortement, les grandes questions éthiques
de la Renaissance sont les suivantes : Quand le fœtus a-
t-il une âme humaine ? L’avortement peut-il être permis
lorsque le fœtus n’est pas encore animé  ? Peut-il être
permis si la vie de la mère est en danger  ? On connaît
déjà ces questions : la Renaissance va donner l’occasion
aux casuistes de raffiner les distinctions entre fœtus
animé et inanimé, intention directe ou indirecte, acte à
double effet, doute et certitude, etc. Mais il existe
constamment une tension entre ces théologiens
moralistes, les médecins philosophes et surtout la
législation papale. Alors que certains veulent remettre
en question la prohibition absolue de l’avortement, la
tendance à Rome est d’opter pour la prudence dans
l’optique de protéger les droits de l’embryon incapable
de se défendre lui-même. Quant aux médecins
philosophes, ils trouvent souvent vaines les discussions
sur l’animation du fœtus.
104 Pour sa part, Tomas Sanchez énumère certains cas où
l’avortement pourrait être permis : par exemple, en cas
de viol ou si la mort de la mère ne peut être évitée à
l’occasion d’une naissance. Il se sert alors du principe du
double effet : l’intention de tuer est indirecte si l’objectif
premier de la mère est de sauver sa propre vie70.
105 D’autres théologiens et canonistes tels que Antonin de
F lorence (1581) et Navarrus, déjà cité au chapitre
précédent, jugent la moralité de l’acte en rapport avec
l’âge du fœtus. Leur opinion s’appuie sur la théorie,
commune à l’époque, selon laquelle le fœtus ne possède
pas d’âme rationnelle avant plusieurs jours. C’est
pourquoi, disent-ils, si on a le moindre doute que le
fœtus soit animé et que l’on procède à l’avortement, on
pèche mortellement71  ; mais, si l’on est certain que le
fœtus est inanimé, l’avortement serait moralement
acceptable dans certaines circonstances graves.
106 Le médecin et philosophe Paolo Z acchia conteste en 1621
les distinctions basées sur Aristote qui voyait le fœtus
comme étant doté successivement d’une âme végétative,
animale, puis humaine. Défendant le principe thomiste
de l’unité de la personne, Zacchia affirme qu’il y a une
âme humaine dès le début de l’existence de l’embryon.
Toutefois, sur le plan légal, le médecin est d’accord avec
des pénalités légères si on avorte avant 40 jours et des
peines plus sévères après ce temps.
107 Sur le plan canonique, en 1588, le pape Sixte V, désirant
surtout éradiquer la prostitution à Rome, publie la bulle
Effraenatam qui proclame que tout avortement — et il
ne fait pas d’exception pour l’avortement thérapeutique
— est un homicide et passible d’excommunication. Et
cela s’applique quel que soit l’âge du fœtus. Trois ans
plus tard, tenant compte de la controverse existant chez
les théologiens, le pape Grégoire XIV temporise  : il juge
tout avortement immoral, mais l’excommunication
s’applique seulement lorsque le fœtus « a une âme72 ».

Suicide
108 La pensée catholique officielle sur le suicide se résume
en deux phrases. Nous ne pouvons quitter ce monde
sans la permission expresse de Celui qui nous y a placés.
C’est Lui qui devrait nous en retirer quand cela lui plaît
et non pas nous.
109 Séduit par la pensée et les coutumes gréco-romaines,
l’écrivain français Michel de Montaigne (1533-1592) au
mitan de sa vie se fait le défenseur de pensées peu
orthodoxes :
La plus belle mort, c’est celle qu’on se donne
volontairement [...]. Dieu nous donne la permission de
poser un tel geste lorsqu’il nous réduit à une condition
telle que vivre serait pire que mourir [...]. Une
souffrance intolérable et la crainte d’une mort
horrible me paraissent des motivations dignes de
pardon73.
110 À l’époque où il écrit ce texte (livre II, chap. 3), soit vers
1573-1574, «  Montaigne, encore sous l’influence de
Sénèque et des stoïciens, éprouve une admiration
philosophique pour la mort volontaire  ». Selon André
Lanly, les événements de la vie politique ont fait évoluer
sa pensée. Sa philosophie dernière, ses idées sur la
douleur et la mort, son idéal moral, se trouvent dans le
livre III, chapitre 12, écrit quelque 10 ans plus tard  : il
pense alors qu’il faut rejeter les leçons des philosophes
stoïciens et suivre simplement la nature. Le type
d’homme qu’il admire n’est plus Caton d’Utique qui s’est
suicidé froidement, mais Socrate qui a accepté
dignement sa condamnation et surtout les paysans qu’il
voit souffrir et mourir simplement quand la vie (c’est-à-
dire ici la guerre et la peste) les y force74.

Eugénisme
111 Les idées portant sur la nécessité de protéger la qualité
de l'espèce humaine et notamment de sélectionner les
meilleurs sujets pour l’œuvre procréatrice,
réapparaissent avec force à cette époque. Des auteurs
comme Rabelais, Érasme et Montaigne s’en montrent
constamment préoccupés.
112 Les méfaits de la consanguinité ont été signalés depuis
des siècles. Le livre d’Érasme, De matrimonio christiano,
paru en 1650, est le premier réquisitoire sérieux contre
elle. Les mariages consanguins continuent d’être
prohibés par les législations civiles et religieuses de
manière très étendue. Le moraliste Tomas Sanchez, déjà
cité, qui a rédigé la majorité des écrits canoniques de
l’époque sur le mariage, affirme que le fondement le
plus solide à propos de la prohibition des unions
incestueuses est que le partage du sang parmi les
proches parents fait qu’il s’affaiblit au cours des
générations suivantes. Si on attend que plusieurs
générations passent avant de permettre la procréation,
on protège ainsi les descendants. Malgré les
imprécisions scientifiques et un certain simplisme,
commence à poindre à l’horizon une prise de conscience
eugénique75.
113 Dans un autre ordre d’idées, aussi surprenant que cela
puisse paraître, Michel de Montaigne pose déjà une
question que seule la génétique moderne a pu résoudre.
Au sujet de la douleur épouvantable que son père et lui
partageaient, douleur due à des pierres à la vessie, il
écrit :
Je suis né il y a plus de 25 ans avant que mon père ne
tombe malade et au moment où il était en pleine santé.
Où donc cette tendance naturelle à une telle infirmité
couvait-elle  ?... Comment est-elle restée si cachée en
moi que je ne l’ai ressentie que plusieurs années
après  ? Quelqu’un peut-il m’éclairer au sujet de ce
processus76 ?
114 Avec de telles questions, nous pouvons affirmer que
nous nous trouvons à l’aube des Temps modernes.

Euthanasie
115 L’idée d’euthanasie est parfois liée à celle d’eugénisme.
Le texte de la Renaissance le plus connu sur le sujet est
celui de Thomas More, juriste et homme d’État
britannique (1478-1535). Dans son livre Utopia, écrit en
1516, réfléchissant sur le meilleur gouvernement
possible, Thomas More imagine un pays où la mort
puisse être provoquée dans certains cas, sous le contrôle
des autorités et dans l’intérêt du bien commun,
cependant non sans le consentement du malade.
Ils soignent les malades avec la plus grande sollicitude
et ne négligent rien qui puisse contribuer à leur
guérison, ni en fait de remède, ni en fait de régime. Si
quelqu’un est atteint d’une maladie incurable, ils
cherchent à lui rendre la vie tolérable en l’assistant,
en l’encourageant, en recourant à tous les
médicaments capables d’adoucir ses souffrances. Mais
lorsque à un mal sans espoir s’ajoutent des tortures
perpétuelles, les prêtres et les magistrats viennent
trouver le patient et lui exposent qu’il ne peut plus
s’acquitter d’aucune des tâches de la vie, qu’il est à
charge à lui-même et aux autres, qu’il survit à sa
propre mort, qu’il n’est pas sage de nourrir plus
longtemps le mal qui le dévore, qu’il ne doit pas
reculer devant la mort puisque l’existence lui est un
supplice, qu’une ferme espérance l’autorise à s’évader
d’une telle vie comme d’un fléau ou bien à permettre
aux autres de l’en délivrer  ; que c’est agir sagement
que de mettre fin par la mort à ce qui a cessé d’être un
bien pour devenir un mal, et qu’à obéir aux conseils
des prêtres, interprètes de Dieu, c’est agir le plus
pieusement et saintement. Ceux que ce discours
persuade se laissent mourir de faim, ou bien sont
endormis et se trouvent délivrés sans même avoir
senti qu’ils meurent. On ne supprime aucun malade
sans son assentiment et on ne ralentit pas les soins à
l’égard de celui qui le refuse. Mourir ainsi sur le
conseil des prêtres est à leurs yeux un acte glorieux.
Celui en revanche qui se tue pour quelque raison qui
n’a pas été approuvée par les prêtres et le sénat n’est
jugé digne ni d’une sépulture ni d’un bûcher  ; il est
honteusement jeté dans quelque marais77.

116 Ce texte, rarement cité en entier d’ailleurs, appelle


plusieurs commentaires.

Il concerne d’abord les circonstances d’une maladie


intolérable, incurable, qui enlève tout plaisir à
l’existence.
Il exige le consentement du malade mais aussi
l’autorisation des autorités, prêtres et magistrats.
L’acte est moins une question de droit personnel du
malade que de souci du bien commun.
L’acte est entièrement justifié par l’espérance dans
l’au-delà. Le contexte général est d’ailleurs celui
d’une existence et d’une culture qui a acquis une
grande familiarité avec la mort et l’au-delà. La mort
est la réponse au désir le plus profond et le plus
général des utopiens.
Quoique l’idée de suicide et d’euthanasie soit claire
de prime abord, la pensée s’avère de fait plus
subtile. Il y est question de se laisser mourir de faim
(inanition) ou de prendre de l’opium (s’endormir),
selon l’interprétation du texte latin de Marie
Delcourt et certaines traductions anglaises
anciennes.
Enfin, certains commentateurs se demandent
sérieusement si More, fervent catholique, mort
martyr, prenait sa fiction au sérieux ou s’il n’y
voyait qu’une simple fantaisie. L’œuvre contient des
éléments pour justifier les deux interprétations. Il
est manifeste à tout le moins que l’auteur imagine
une société idéale telle que la raison naturelle peut
la concevoir avant le complément qu’apporte la
Révélation chrétienne. Le livre se termine pourtant
par cette remarque  : «  Il y a dans la république
utopienne bien des choses que je souhaiterais voir
dans nos cités...  » Mais comment savoir
lesquelles78 ?

Dissection
117 La préoccupation de l’anatomie requiert une évolution
des mentalités à l’égard de la dissection des cadavres. Le
dilemme posé par ces opérations se manifeste dans
toute son acuité  : d’un côté, l’être humain créature
divine dont la dépouille mortelle mérite le respect  ; de
l’autre, la quête de connaissances et les bienfaits
susceptibles d’en résulter pour le même être humain. La
tradition favorisant le progrès des connaissances, la
dissection des cadavres s’accentue79.
118 Les pouvoirs publics et l’Église catholique continuent de
faire preuve d’une tolérance grandissante quand ils ne
les approuvent pas explicitement. Les dissections sont
d’abord acceptées dans les circonstances précises de
l’enseignement médical et se limitent aux corps non
réclamés des condamnés à mort. Elles le sont aussi, et
encore plus peut-être à cette époque, pour permettre
aux artistes de peindre ou sculpter leurs chefs-d’œuvre.
En 1482, le pape Sixte IV, qui avait étudié dans les deux
universités italiennes, Bologne et Padoue, apporte son
appui à l’Université de Tübingen, en publiant une bulle
qui déclare la dissection humaine permise si le clergé
local ne s’y oppose pas80. En 1492, le prieur de l’église du
Saint-Esprit à Florence autorise le jeune Michel-Ange à
faire des dissections. Les dissections se passent
d’ailleurs souvent dans les églises en présence des
membres du clergé, comme l’illustrent des dessins de
l’époque. Au XVIe siècle, la question est réglée  : le pape
Clément VII (1523-1534) autorise officiellement
l’enseignement pratique de l’anatomie.
119 Généralement, les cadavres sont fournis au compte-
goutte. La résistance vient des médecins, peu intéressés
par l’opération, et des autorités civiles. Vésale lui-même,
au début de sa carrière, à Paris, doit en voler sur les
gibets et dans les cimetières  ; mais la faculté de Paris
n’est pas la plus progressiste. Durant un séjour à
Louvain, il raconte lui-même comment il a rapporté un
squelette chez lui morceau par morceau, pour ne pas
être découvert. Précaution bien inutile, car, quand il
demande un cadavre pour ses dissections, le
bourgmestre lui-même lui en fournit un. Plus tard, à
Padoue où il enseigne, les autorités lui fournissent
autant de cadavres qu’il lui faut. Il leur arrive même de
surseoir aux exécutions tant que Vésale n’a pas besoin
d’un nouveau sujet. Fallope, Acquapendente, Harvey
utilisent autant de cadavres qu’ils veulent. À la fin du
XVIe siècle, on note un nombre élevé de dissections
pratiquées. Dans les universités italiennes, à Montpellier
et à Paris, des cadavres autres que ceux des condamnés
à mort sont utilisés81.
120 Au XVe siècle, entre autres à Montpellier, les dissections
donnent lieu à un véritable cérémonial religieux au
cours duquel une messe est célébrée pour le disséqué et
pour les intervenants. L’autopsie peut se prolonger trois
ou quatre jours  ; elle se termine par une réunion
solennelle comprenant concert, banquet et même une
représentation théâtrale. La sépulture est toujours
donnée aux corps suppliciés82.

Expérimentation sur l’animal


121 La controverse sur l’utilisation des animaux en
laboratoire continue. Les religions (et les cultures) qui
croient à la métempsycose s’y opposent
vigoureusement. Quelques penseurs occidentaux s’y
rattachent. Mais la tradition occidentale (Aristote,
Galien, Augustin, Thomas d’Aquin) dans son ensemble
va massivement dans un autre sens. L’homme est au
centre de la création, voire le maître. Il est donc légitimé
de se servir des animaux pour ses besoins : nourriture,
transport, expérimentation. Même si cet
anthropocentrisme a été entendu parfois comme
justifiant tous les excès, la tradition occidentale insiste
de plus en plus sur la nécessité d’éviter la cruauté et le
gaspillage83.
122 À la Renaissance, cela n’est pas surprenant,
l’anthropocentrisme triomphe autant en philosophie
qu’en théologie. C’est l’opinion, par exemple, de Michel
de Montaigne  : tout en reconnaissant qu’il existe des
ressemblances entre l’homme et l’animal, et que
l’animal est une créature de Dieu digne d’un certain
respect, il juge légitime l’expérimentation sur les
animaux, mais condamne la cruauté envers eux.

Discrimination
123 Un nouveau sujet controversé, à la Renaissance, est celui
du traitement des malades difficiles et des ennemis.
Rodrigo Castro, ayant lui-même souffert de
discrimination en tant que juif, déclare dans sa préface
de Medicus Politicus : « Même si le médecin est dérangé
par le délire, la divagation, l’emportement de son
patient, il n’a pas le droit de lui refuser son aide84. » En
ce sens, il est en désaccord avec Alessandrini, un
médecin catholique, se basant supposément sur
Hippocrate, qui affirme que l’aide médicale ne devrait
pas être prodiguée à de mauvaises gens, à des êtres
humains sans valeur et aux ennemis. Au contraire,
Castro, dans un second livre, et son neveu Benedict
plaident en faveur du médecin tendant la main à
l’ennemi, ce qui devient un beau témoignage en faveur
de l’humanisme séculier85.

Prévention
124 L’apparition de la syphilis à la Renaissance va poser une
nouvelle question éthique86. Au moment où les Écossais
découvrent qu’il y a un rapport entre la syphilis et les
relations sexuelles, le puritanisme ambiant invente une
interprétation moralisatrice. Comme aux époques
précédentes, la chrétienté considère que la maladie est
une punition divine et aussi une occasion de réfléchir à
ses péchés et finalement de se convertir. À une époque
où la chasse aux sorcières est loin d’être terminée, les
boucs émissaires sont nombreux  : les autres nations
ayant apporté d’Amérique la maladie, les femmes, les
marginaux par qui passe la dépravation morale. Pour
William Clowes the Elder (1540-1604), pourtant médecin,
la prévention passe par une réforme morale et non par
des conseils sur l’hygiène postcoïtale que prônent
certains auteurs plus humanistes.
125 Dans les pays au sud des Alpes, même si l’interprétation
théologique de la syphilis est semblable à ce qui
précède, on admet plus facilement les « faiblesses » des
hommes  : «  Au moins qu’ils trouvent des femmes non
infectées  », déclare Gaspar Torrella de Valencia.
L’anatomiste Gabriele F allopio (1523-1562) croit avoir
trouvé une méthode de prévention afin d’éviter la
maladie «  française  »  : envelopper le pénis dans un
bandage avec un onguent approprié. Il prétend lui aussi
que la maladie est d’origine divine, mais ne peut
expliquer qu’elle touche des sages-femmes et des
enfants. Pour Rudio Eustachio (1551-1611), la meilleure
prévention est d’éviter les prostituées, «  non pas pour
préserver la santé de ces dernières, mais pour la santé
de leurs clients ».
126 Daniel Sennert , professeur à Wittenberg (1572-1637),
quant à lui, croit que la prévention rendra les hommes
irresponsables. Il se situe entre les praticiens
méditerranéens, qui fournissent des moyens
prophylactiques tout en continuant d’invoquer Dieu, et
les médecins et chirurgiens anglais, qui voient d’abord
la maladie à travers les lentilles de la morale87. Mais
l’argumentation ne cache-t-elle pas l’intuition de
l’inefficacité des moyens médicaux et la perception du
danger des maladies vénériennes ?
127 La nouveauté de la question — et la peur liée à la
syphilis — ramène au temps des superstitions. Chez la
plupart des auteurs de la Renaissance, les femmes sont
les agents infectieux actifs de la maladie. Plusieurs
auteurs, y compris Paracelse, ont même fait des
rapprochements entre la lèpre et la syphilis  : «  Cette
dernière vient des rapports sexuels entre un Français
lépreux [sic] et une prostituée ayant des lésions
utérines88.  » Et en 1620, J. C. Scaliger écrit  : «  Le pauvre
homme pourrait être guéri en ayant des relations avec
une vierge.  » Il ajoutait qu’en Afrique d’où provient la
maladie, la guérison venait d’une femme de Numidie ou
d’Éthiopie89.

Obligation de soigner en cas d'épidémie


128 Durant les épidémies, il n’y a pas d’obligation
déontologique explicite de soigner les pestiférés,
quoique cela semble relever du devoir général de
bienfaisance. La plupart des soignants acceptent
cependant de le faire. Comme au XIVe siècle, diverses
mesures les incitent et même les forcent à le faire. Il est
vrai qu’il existe déjà diverses mesures protectrices  :
quarantaine, isolement des malades contagieux dans un
hôpital particulier, dispositions des cadavres. En Italie,
on peut affirmer publiquement que le médecin peut
éviter la contagion. En France, on invente une nouvelle
mesure protectrice  : ceux qui soignent les contagieux
doivent se distinguer en portant une longue robe de lin,
enduite d’une pâte aromatisée, susceptible d’éviter la
contagion. En certains endroits, ceux qui s’engagent
auprès des malades contagieux doivent renoncer à
fréquenter les personnes saines90.
*
129 Malgré un renouveau sans précédent (comparable en
partie à celui du XIe siècle), notamment dans les
domaines artistique, littéraire et scientifique, la
médecine et les soins changent relativement peu à la
Renaissance. Les nouvelles connaissances issues de
l’anatomie et de la chirurgie ne porteront véritablement
leurs fruits que plus tard. L’éthique médicale et
infirmière elle-même ne change pratiquement pas. Elle
n’apparaît guère comme une préoccupation majeure. Il
n’y a pas d’ailleurs de figures marquantes qui se
détachent véritablement des autres.

L’éthique médicale et infirmière reste dans une


perspective de chrétienté, ou mieux de religiosité, la
pensée protestante ne se séparant guère de la
catholique sur ce point, et la pensée juive et
islamique se situant dans la même perspective.
Les controverses sur les questions éthiques
particulières sont cependant plus vives  :
avortement, contraception, vérité, dissection,
discrimination, obligation de traitement en cas
d’épidémie, etc. On y sent une conséquence de la
liberté de pensée. Et peut-être, quoique ceci
apparaîtra davantage plus tard, une conséquence
de visions différentes sur le corps humain et la vie
présente, sur l’intelligence et la soif de connaître.
Toujours est-il qu’on peut y déceler une
démarcation qui ne fera que se développer dans les
siècles à venir  : un courant qui voit l’éthique sous
l’autorité culturelle et juridique des médecins (plus
tard, des cliniciens) et un autre qui considère
l’éthique médicale au sein d’un système culturel et
religieux plus large.
Pour le reste, on se retrouve comme dans la période
précédente. Les mêmes valeurs sont prônées  :
respect de la vie, respect du corps humain,
bienfaisance, honnêteté, confidentialité, vérité, etc.

Notes
1. Benichi et al., in J. Marseille (dir.), Histoire. Les fondements du
monde contemporain, Paris, Nathan, 1996, p.  109  ; Marie-Josée
Imbault-Huart, «  La Renaissance, la médecine et la chirurgie  »,
dans B. Crenn (dir.), Ambroise Paré et son temps, Actes du colloque
international 1990, Laval (Mayenne), Assoc. pour la
commémoration du quadricentenaire de la mort d’Ambroise Paré,
1991, p.  95-107  ; Jean-Charles Sournia, Histoire de la médecine,
Paris, La Découverte, 1992, p. 120 et suiv.
2. Benichi et al., p. 120.
3. Idem, p. 105.
4. Patrice Boussel, Histoire de la médecine et de la chirurgie de la
Grande Peste à nos jours, Paris, Éditions de la Porte verte, 1979,
p.  22-30  ; Kenneth Watker, Histoire de la médecine, Verviers,
Marabout Université, 1962,248-255.
5. Cité par Walker, p. 254-255.
6. Ce nom dérive d’un poème écrit par Frascator en 1530. Il décrit
les souffrances d’un jeune berger, Syphilis, lequel, ayant encouru la
colère des dieux de l’Olympe, fut frappé d’un mal répugnant.
L’auteur parle aussi du traitement de la maladie par le gaïac —
bois sacré — et le mercure, remèdes importés du Nouveau Monde,
peu après l’apparition de la maladie en Europe. (Walker, p. 248).
7. Boussel, p. 30-31 ; Imbault-Huart, p. 115-116.
8. Marcel Reinhard, A. Armengaud et J. Dupaquier, Histoire
générale de la population mondiale, Paris, Monchrestien, 1968 (3e
éd.), p. 108 et 125.
9. Idem, p.  114, citant L. Henry, Anciennes familles genevoises,
I.N.E.D., 1956.
10. Imbault-Huard, p. 127-129 ; Sournia, p. 153-154 ; Harold Cook,
«  History of Medical Ethics  : Europe  », dans W. Reich (dir.),
Encyclopedia of Biœthics, Londres, Collier MacMillan, 1995 (2e éd.),
p. 1538-1539 ; Sherwin B. Nuland, Les héros de la médecine, traduit
de l’américain par D. Authier et J. Lahana, Paris, Presses de la
Renaissance, 1989 (éd. angl., 1988), p. 107.
11. Les empiriques, ces illégaux, comprenaient les renoueurs, qui
réduisaient les fractures et les luxations  ; les inciseurs qui
opéraient les hernies, abaissaient les cataractes, faisaient les
trépanations et châtraient les hommes et les animaux  ; les
lithotomistes qui incisaient le périnée afin d’atteindre la vessie
pour en extraire le calcul  ; les dentistes, le plus souvent des
bateleurs dans une atmosphère de foire  ; les sages-femmes
(Imbault-Huart, p. 128-129).

Selon Sournia, le mot « charlatan » tire son origine du verbe italien


«  ciarlare  » qui signifie crier et fait référence à ceux qui vendent
leurs remèdes sur les tréteaux des foires et marchés, en rameutant
les clients à grands cris (Sournia, p. 154).

Selon Nuland, les chirurgiens de longue robe n’existaient qu’à


Paris, regroupés dans la Confrérie de Saint-Côme.
12. Sournia, p. 153-154.
13. Gerald J. Griffin et Johanne King Griffin, History and Trends of
Professional Nursing, St. Louis (Mo.), The C.V. Mosby Company, 1973
(7e éd.), p. 25.
14. Imbault-Huard, p. 124-132; Sournia, p. 153-154.
15. Imbault-Huard, p. 128-129.
16. Cook, p. 1540.
17. Brigitte Rossignol, Médecine et médicaments au XVe siècle à Lyon,
Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1990, chap. 3, p. 39-57.
18. J.-C. Guy, «  La vie religieuse et la santé de l’homme  ;  » dans
Religieuses dans les professions de la santé, 277/278 (mai-août 1980),
p. 251-252.
19. André Petitat, Les infirmières. De la vocation à la profession,
Montréal, Boréal, 1989, p. 43.
20. Josephine Dolan, Louise M. Fitzpatrick et E. K. Herman, Nursing
in Society  : A Historical Perspective, Philadelphie, W. B. Saunders,
1983 (15e éd.), p. 87.
21. Rossignol, p. 5-7.
22. G. Rosen, «  The Hospital: Historical Sociology of a Community
Institution », dans From Medical Police to Social Medicine : Essays on
the History of Health Care, New York, Science History Publications,
1974, p. 284.
23. Sournia, p. 153; Imbault-Huard, p. 107-109.
24. Dolan et al., p. 97.
25. Sournia, p. 156.
26. Érasme, 43, chap. 3, p. 9.
27. Sournia, p. 141 et 148.
28. La nécessité esthétique impose un compromis où les
observations des scientifiques se trouvent en quelque sorte
déformées. Ainsi, le maniérisme, caractérisé par des corps
allongés, presque étirés, des têtes souvent trop petites et des
silhouettes ondulées marque l’iconographie anatomique du
seizième siècle. Le baroque influencera de la même manière la
représentation anatomique au siècle suivant (Sournia p. 144).
29. Philippe Meyer et Patrick Triadou, Leçons d’histoire de la pensée
médicale, Paris, Odile Jacob (coll. Sciences humaines et sociales en
médecine), 1996, p. 53 ; Sournia, p. 140.
30. Meyer et Triadou, p. 54 ; Sournia, p. 139-142.
31. Boussel, p. 34.
32. Sournia, p. 151 ; Boussel, p. 62.
33. Sournia, p. 151.
34. Roger Rullière, Abrégé d’histoire de la médecine, Paris, Masson,
1981, p. 98 ; Meyer et Triadou, p. 55 ; Sournia, p. 143-144 ; Nuland,
p. 69-97.
35. Boussel, p. 50 ; Sournia, p. 143-144.
36. Anne-Marie Moulin, « Ambroise Paré : stratégie professionnelle
et périple intellectuel », dans Ambroise Paré et son temps, Actes du
Colloque international 1990, p. 173-185.
37. Sournia, p. 145-147.
38. Idem, p. 148.
39. Idem, p. 154.
40. Imbault-Huart, p.  116-147  ; G. Minois, L’Église et la science.
Histoire d’un malentendu, tome 1 : De saint Augustin à Galilée, 1990,
Paris, Fayard, p. 300.
41. Imbault-Huart, p. 117-118.
42. Idem, p. 118.
43. Sournia, p. 141-155.
44. L’idée est pourtant déjà présente chez Michel Servet, médecin
espagnol et théologien protestant, brûlé à Genève pour hérésie et
dont les ouvrages furent presque tous détruits.
45. Minois, p. 299-300.
46. Sournia, p. 139 ; Minois, p. 298-301.
47. Minois, p. 299.
48. Imbault-Huart, p. 136.
49. Cook, p. 1541.
50. Idem, citant John Cotta, « A Short Discovery of the Unobserved
Dangers of Several Sorts of Ignorant and Unconsidered Practisers
of Physicke in England », Londres, William Jones et Richard Boyle,
1612.
51. Idem, p.  1541-1542, citant Hildanus Gulielmus Fabricius,
« Lithotomia Vesicae: That is, an Accurate Description of the Stone
in the Bladder », Londres, Jolin Norton, 1640.
52. Idem, p. 1540.
53. Cité par Abel Lefranc, La vie quotidienne au temps de la
Renaissance, Paris, Hachette, 1963, p. 162-165.
54. Lefranc, p. 167-169.
55. Raymond Villey, Histoire du secret médical, Paris, Seghers, 1986,
p. 70.
56. Minois, p. 299.
57. Cook, citant Allen G. Debus, The Chemical Philosophy:
Paracelsian Science and Medicine in the Sixteenth and Seventeenth
Centuries, New York, Science History Publications, 1977.
58. Nuland, p. 110; Sournia, p. 147.
59. Winfried Schleiner, Medical Ethics in the Renaissance,
Washington D.C., Georgetown University Press, 1995, p. 204-206.
60. Idem, p. 204-205, citant Battista Condrochi, De christiana ac tuta
medendi ratione, Ferrara, 1591.
61. Idem, p.  205, citant Erasmus, Collected Works, vol.  29, Toronto,
Toronto University Press, 1989.
62. Griffin, p. 25.
63. Danielle Blondeau, «  Évolution et définition du service
infirmier  », dans D. Blondeau (dir.), Éthique et soins infirmiers,
Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1999, p. 121.
64. Bernard Hoerni et Michel Bénézech, Le secret médical.
Confidentialité et discrétion en médecine, Paris, Masson, 1996, p. 8 ;
Villey, p. 32-38.
65. Villey, p. 71-73.
66. Schleiner, p. 204. Il cite Henrique Jorge Henriques, Retrato del
perfecto medico, Salamanca, 1595, ainsi que Rodrigo Castro, Medicus
Politicus, Hambourg, 1614. Castro était un médecin juif espagnol
pratiquant à Hambourg.
67. John T. Noonan, Contraception et mariage. Évolution ou
contradiction dans la pensée chrétienne, trad. de l’anglais par
Marcelle Jossua, Paris, Cerf, 1969 (éd. amér., 1966), p.  387-490
(attention, ces pages vont du XVe au XVIIIe siècle).
68. Idem, p. 460, citant Martin Le Maistre, Questions morales, II, fol.
62v-63r.
69. Idem, p.  411, citant la session 24 du concile de Trente, 11
novembre 1563.
70. John T. Noonan et al, The Morality of Abortion: Legal and
Historical Perspectives, Cambridge (Mass.), Harvard University
Press, 1970, p. 27-35.
71. Idem, p.  26-27, citant saint Antonin de Florence, «  The Various
Vices of Physicians  », dans Summa sacrae theologiae, Venise, 1581,
3.7.2.
72. Idem, p.  33, citant Effraenatam, Codicis iuris fontes, Rome, R
Gasparri, 1927, et Sedes apostolica, Codicis iuris fontes, I, p. 330-331.
73. Pierre Villey, Les essais de Michel de Montaigne, Paris, PUF, 1978
(3e éd.), 2e vol., renvoyant au livre II, chap. 3, p. 351-362. Les mêmes
idées se retrouvent au livre I, chap. 20.
74. Michel de Montaigne, Essais, adaptation et traduction en français
moderne (éd. par André Lanly), Genève/Paris, Éditions Slatkine,
1987, 3 tomes. Pour les commentaires de A. Lanly, voir tome II,
p. 26, note infrapaginale 23 et tome III, p. 247, note 1 ; p. 260, note
134 et p. 261, note 142.
75. W. W. Bassett « Eugenics and Religious Law: Christianity », dans
W. Reich (dir.), Encyclopedia of Bioethics, 1995 (2e éd.), p.  779-782.
Citant Tomas Sanchez, « De impedimentis », dans Disputationum de
sancto matrimonio sacramento, vol.  3 (1605)  ; Jean Sutter,
L’eugénique. Problèmes, méthodes, résultats, Paris, PUF, 1950, p. 57.
76. Michel de Montaigne, Les essais, livre II, chap. 37, p. 763-764.
77. Thomas More, L’Utopie ou Le traité de la meilleure forme de
gouvernement, texte latin édité et traduit par Marie Delcourt,
Genève, Droz, 1983,2e partie, p. 109-110.
78. On ne pourra probablement jamais trancher avec certitude.
Voir Marie Delcourt, citée dans la note précédente, 1re partie, p. 22-
24 et 160, puis 2e partie, p. XI ; Peter Ackroyd, The Life of Thomas
More, Doubleday, 1998 ; Minois, p. 449.
79. Minois, p. 299 ; Sournia, p. 140 ; Nuland, p. 73-86.
80. Nuland, p. 73.
81. Signalons le cas du professeur Rondelet qui fit scandale à
Montpellier en faisant disséquer devant lui le cadavre de son fils,
puis celui de sa belle-mère. Voir les notes historiques de
Marguerite Yourcenar à la fin de L’Œuvre au noir, p. 462,465, 466.
82. Minois, p.  196. Voir aussi Philippe Castan, Naissance médiévale
de la dissection anatomique, Montpellier, Éd. Sauramps Médical,
1985, p. 175-189.
83. Alberto Bondolfi, «  La relation entre les êtres humains et les
animaux en Occident », dans T. Leroux et L. Létourneau (dir.), L’être
humain, l’animal et l’environnement. Dimensions éthiques et
juridiques, Montréal, Thémis, 1996, p. 13-32.
84. Schleiner, p. 73-78, citant Castro, Medicus Politicus, Hambourg,
1614.
85. Idem, p.  206, citant Castro, Flagellum calumniantium,
Amsterdam, 1631.
86. Idem, p. 162-190.
87. Idem, p. 181-182, citant Daniel Sennert, Opera omnia, Lyon, 1666.
88. Idem, p.  184-185, citant Paracelsus, Chirurgia magna,
Strasbourg, 1573.
89. Idem, p. 189-190, citant J. C. Scaliger, Exoticarum exercitationum
liber de subtilitate, Hanovre, 1620.
90. Daniel M. Fox, «  The Politics of Physicians’ Responsability in
Epidemics: a Note on History », dans Hastings Center Report (avril-
mai 88), p. 5-10. On peut voir une allusion à cette pratique dans M.
Yourcenar, L’Œuvre au noir, p. 126.
Notes de fin
1 Selon les auteurs, deux dates sont proposées pour le début de la
Renaissance  : 1453, la chute de Constantinople  ; et 1492, la
découverte de l’Amérique et la fin de la Reconquista dans la
péninsule Ibérique. La période couvre tout le XVIe siècle.

© Presses de l’Université de Montréal, 2000

Licence OpenEdition Books

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique


par reconnaissance optique de caractères.

Référence électronique du chapitre


DURAND, Guy ; et al. Chapitre 3. La Renaissance (XVe et XVIe siècles)
In  : Histoire de l’éthique médicale et infirmière  : Contexte
socioculturel et scientifique [en ligne]. Montréal  : Presses de
l’Université de Montréal, 2000 (généré le 10 mai 2023). Disponible
sur Internet  : <http://books.openedition.org/pum/14322>. ISBN  :
9791036513633.

Référence électronique du livre


DURAND, Guy ; et al. Histoire de l’éthique médicale et infirmière  :
Contexte socioculturel et scientifique. Nouvelle édition [en ligne].
Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 2000 (généré le 10
mai 2023). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/pum/14309>. ISBN : 9791036513633.
Compatible avec Zotero

Vous aimerez peut-être aussi