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Quinzaine de la Francophonie 2023

L’appel du Recteur de l’Université d’Etat d’Haïti aux Etats et


aux communautés francophones du monde entier

Je suis très heureux de participer au lancement de l’édition 2023 de la Quinzaine


de la Francophonie en ma qualité de Recteur de l’Université d’Etat d’Haïti
(UEH). Je suis d’autant plus heureux que l’UEH est pionnière de cette célébration
en Haïti, tant il est vrai que, pendant longtemps, il revenait à notre Université, à
travers notre Faculté de Linguistique Appliquée, de battre le rappel de la
Francophonie.

Cette année encore, comme toutes les années, l’UEH se fait un point d’honneur
de marquer sa présence, en dépit de la situation délétère, en dépit de toutes les
incertitudes qui assaillent notre quotidien et affectent substantiellement notre
capacité de penser, de circuler, de travailler, de vivre tout simplement.

Qui eût dit que notre pays serait arrivé à ce point d’instabilité, d’insécurité, de
désespérance, d’effritement social, de misère économique, de déperdition de
l’Etat, de perte de repères ?

Et qui eût cru qu’en l’an de grâces 2023, chaque Haïtien tendrait à se considérer
comme un mort en vacances, avec une espérance de vie de 24 heures
renouvelables, ne sachant pas quand son heure arriverait d’être agressé, vandalisé,
kidnappé, assassiné, sous les yeux impuissants de forces de l’ordre et des
autorités compétentes ? Si vrai que notre université envisage sérieusement un
arrêt provisoire de ses activités pour cause d’insécurité.

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Quinzaine de la Francophonie 2023 / L’appel du Recteur de l’UEH
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Haïti se meurt et c’est bien le moment de nous rappeler que nous ne devrions pas
nous sentir si seuls, si désemparés, que nous sommes membres d’une
communauté de plus de 300 millions de membres à travers le monde, une
communauté d’hommes et de femmes qui se veulent solidaires, en quête de paix,
de prospérité, de développement. C’est en effet ce que se propose la Francophonie
qui est passée de cet organisme simplement défenseur de la langue française à
cette communauté plurielle en perpétuelle construction et ambitieuse d’apporter
sa pierre à l’amélioration des conditions de vie de tous ses membres et à l’éclosion
d’un monde meilleur.

Le lancement de cette Quinzaine nous parait être une excellente occasion pour
appeler à la solidarité de toute la communauté francophone du monde en faveur
d’Haïti.

Solidarité et générosité dans les relations internationales : un vœu pieux ?

Une telle posture peut paraitre surprenante ou même incongrue.

Ne devrions-nous pas être gênés à produire une telle requête au nom d’Haïti dont
on connait bien la légendaire sensibilité patriotique ?

Pourquoi la Francophonie octroierait à Haïti un traitement aussi particulier ? Et


puis, ne serait-ce pas de la pure naïveté que d’évoquer les notions de solidarité,
de générosité et de fraternité dans le contexte des relations internationales alors
qu’il est clair que, dans ce domaine, seul l’intérêt des Etats compte.

Disons-le tout net : nous n’éprouvons aucune gêne à faire appel à l’appui et au
support de nos partenaires. Et à le concevoir dans le cadre de la solidarité, de la
fraternité, de la bienveillance et de la générosité des peuples et des Etats.

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Et la raison en est simple : nous l’avons déjà fait pour d’autres, pour beaucoup
d’autres. L’Amérique Latine - du Venezuela à l’Equateur, en passant par le
Panama, la Colombie, la Bolivie, le Pérou - en sait très long. La République
Dominicaine, la Grèce, l’Ethiopie, la Lybie peuvent en témoigner également.

Lorsque, par exemple, au début du XIXe siècle, le Président Alexandre Pétion


offrait au Liberador Simon Bolivar hospitalité, armes, munitions, combattants,
argent, conseils et autres pour aller libérer la Grande Colombie, il ne réclamait
aucun droit de suzeraineté sur les territoires concernés. Et lorsque Bolivar, une
fois vainqueur, lui demande comment il peut le remercier de ses bienfaits, il lui
rappela simplement son vœu relatif à la libération des esclaves du sous-continent.
La même histoire se répètera lorsque le Président Boyer aidera les nationalistes
grecs à recouvrer l’indépendance du « Berceau de la Civilisation ».

Mais, direz-vous, en quoi cela concerne la Francophonie ?

Rappelons simplement qu’Haïti constitue l’un des membres les plus légitimes de
la Francophonie, dont l’apport au prestige du français dans le monde et à la
croissance du monde francophone demeure incontestable.

Faut-il rappeler qu’Haïti a déjà amplement prouvé sa solidarité et sa générosité


envers avec la communauté francophone du monde entier ?

Faut-il rappeler qu’Haïti et la France demeurent les porteurs de deux (2) des trois
(3) plus grandes Révolutions Mondiales du XVIIIe siècle, dont les tenants et
aboutissants continuent d’inspirer les meilleurs idéaux de l’humanité ?

Faut-il rappeler qu’Haïti et le Canada sont les seuls pays francophones de tout le
continent américain, les deux par qui le français s’établit comme une des langues
officielles de l’Organisation des Etats Américains (OEA) ?

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L’exemple de la Révolution Haïtienne

Faut-il rappeler la longue histoire de solidarité et de générosité, d’Haïti vis-à-vis


de l’Afrique, histoire dont se rappellent certainement nos frères d’Ethiopie, du
Congo, du Liberia, d’Afrique du Sud, de la Lybie, du Sénégal, qui considèrent la
Première République Noire du Nouveau Monde comme leur référence, leur
inspirateur, leur défenseur, leur mentor.

La contribution d’Haïti au rayonnement de la langue française est


incommensurable ; le rôle d’Haïti dans l’accession du français au statut de langue
officielle dans plusieurs institutions internationales est très connu.

La participation d’Haïti à la construction et à la prospérité du monde francophone


est substantielle. Ce n’est pas ici le lieu d’inventorier toutes les actions conduites
ou tous les sacrifices consentis par Haïti, consciemment ou inconsciemment, au
service du monde francophone. Les peuples de France et de Navarre, du Canada
et du Québec, de l’Afrique francophone, entre autres, ne sauraient ne pas s’en
souvenir.

Haïti a donc payé son tribut de générosité et de solidarité envers la communauté


francophone.

Aujourd’hui, la communauté francophone peut-elle demeurer indifférente au sort


d’un de ses membres les plus conséquents ? Peut-elle assister silencieuse et
inactive à la mort lente ou à la disparition de cette référence incontournable de la
Francophonie ? Quel sens auraient alors la Francophonie et tous les idéaux
qu’elle dit inspirer ?

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Mais, se demande-t-on, que peut bien faire la Francophonie ? Dans ce monde en


proie aux préoccupations et aux risques que l’on sait, l’heure est-elle vraiment à
la solidarité envers ce pays qui ne possède pas les dimensions de l’Ukraine ?

En tout premier lieu, ne limitons pas nos regards aux seuls pays riches de la
Francophonie. Notre appel s’adresse à toute la communauté francophone du
monde entier. À toute la Francophonie dans toute sa diversité, dans sa pluralité,
dans sa multiplicité. À la Francophonie dans ses idéaux les plus nobles, les plus
généreux, les plus humanistes.

Il faut d’abord que la vision de la Francophonie et de toute la communauté


internationale sur Haïti change drastiquement pour une redéfinition de la
coopération entre notre pays et ses partenaires.

Qu’Haïti soit considérée pour ce qu’elle est réellement, dans son histoire, dans sa
culture, dans ses richesses, dans son patrimoine, dans ses faiblesses, dans ses
difficultés, dans ses malheurs, dans ses espérances, dans ses potentialités, dans
ses projets.

Transformer les relations internationales d’Haïti

Qu’il soit admis que, sans vouloir ignorer les actions néfastes de ses fils les plus
dénaturés, Haïti n’est pas la seule responsable de cet état dans lequel il se trouve
maintenant. Qu’il lui arrive souvent de ne pas avoir la maitrise du choix de ses
dirigeants, des résultats de ses élections, des programmes et projets qu’elle met
en œuvre ou qu’on met en œuvre à sa place. Que ses ressortissants ne sont pas
toujours les plus grands acteurs ou les plus grands bénéficiaires des actes de
corruption et des grands trafics transnationaux qu’on réalise en son nom.

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Qu’il soit reconnu qu’Haïti a ses propres projets, ses propres ambitions, ses
propres espérances, qu’elle sait clairement où elle veut aller et comment y arriver.
Mais qu’elle en a été empêchée. Que, pour y arriver, elle a besoin de l’appui, de
la solidarité, de la bienveillance de ses partenaires.

La Francophonie peut déjà s’évertuer à mieux connaitre Haïti, à mieux respecter


ses choix et permettre à la communauté internationale de poser un regard plus
objectif sur la Première République Noire du Nouveau-Monde

Pour mieux favoriser l’émergence de cette solidarité et de cette bienveillance,


peut-être devrions-nous éviter de nous en tenir à l’action des seuls Etats. Il
faudrait laisser ouverte une large fenêtre pour les autres acteurs collectifs et
individuels et les autres instances des communautés francophones.

Quels mécanismes ? Quelles actions ? Quelles modalités ? Comment mobiliser


cette société civile de la Francophonie ?

Voilà un champ fertile qui s’offre à l’Organisation Internationale de la


Francophonie (OIF) et autres institutions s’y rapportant, aux Etats, aux
intellectuels, aux universitaires, aux citoyens de la communauté francophone
mondiale pour vivifier la Francophonie, pour la rapprocher un peu plus, un peu
mieux, de ses idéaux, pour mettre en œuvre de manière concrète la solidarité
qu’elle prône pour aider un de ses membres les plus représentatifs à se sortir de
cette spirale diabolique dans laquelle il se trouve. Et aussi pour en faire un
exemple vivant de ce que peut être une francophonie véritablement solidaire.

Dans cette perspective, le cas d’Haïti et la réponse des peuples et des Etats
francophones à cet appel peuvent offrir le modèle adéquat pour la concrétisation
des idéaux de la Francophonie, tels que définis par ses initiateurs et ses
concepteurs.

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L’appel aux peuples et aux Etats francophones

Nous demandons à toutes les personnalités et institutions ici présentes, tous ceux
qui auront pris connaissance de cet appel, de bien vouloir le diffuser le plus
amplement que possible pour qu’il puisse être entendu par les oreilles les plus
appropriées de tous les Etats et de toutes les communautés francophones.

De manière symbolique, j’en remets une copie au Ministre des Affaires


Etrangères et des Cultes et a la Ministre de la Culture et de la Communication de
la République d’Haïti, au Représentant de l’OIF en Haïti et au Directeur de
l’Agence Universitaire de la Francophonie pour la région Amérique pour qu’il
soit transmis aux autorités et instances appropriées, notamment aux
représentations diplomatiques d’Haïti à travers le monde francophone, à Madame
la Secrétaire Générale et autres instances de l’OIF, au Président de l’Agence
Universitaire de la Francophonie (AUF), à son Recteur et à toutes les universités-
sœurs, membres de l’Agence.

À nous tous, je souhaite une excellente Quinzaine de la Francophonie 2023.

Je vous remercie de votre attention.

9 mars 2023

Fritz DESHOMMES
Recteur de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH)

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Quinzaine de la Francophonie 2023 / L’appel du Recteur de l’UEH

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