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L'iran Face Au Retour Des Talibans
L'iran Face Au Retour Des Talibans
Bernard Chappedelaine
Ancien conseiller des Affaires étrangères
https://www.institutmontaigne.org/expressions/revue-de-presse-internationale-26-liran-face-au-retour-des-
talibans-kaboul
De fait, le rôle majeur joué par les États du Golfe dans les opérations
d’évacuation de Kaboul est souligné. Le Qatar, qui entretient depuis
longtemps des relations avec les Talibans, a construit un hôpital de
campagne dans les quartiers du US Central Command, tandis que les
Émirats arabes unis - seul État avec l'Arabie saoudite et le Pakistan à avoir
reconnu le précédent régime taliban - ont facilité le départ de plus de 40 000
personnes et mis en place une plateforme de transit, observe Bilal Y. Saab.
Au-delà de cette assistance humanitaire, Doha est devenu, selon The Arab
Weekly, "la seconde capitale de l'Afghanistan" ; en accueillant les
discussions entre responsables américains et représentants talibans et en
hébergeant les ambassades américaine et britannique repliées de Kaboul,
Doha se situe au cœur de l'activité diplomatique autour du dossier afghan.
"Sans la médiation qatarie, le retrait américain aurait été plus violent et
meurtrier", juge Zvi Bar'el. C'est Doha qui mène les négociations en vue de
la réouverture de l'aéroport de Kaboul, premier test international important
pour les Talibans, note le commentateur israélien. "Après la prise de pouvoir
des Talibans, l'Arabie saoudite se cherche un nouveau rôle",
remarque Middle East Eye. Le Prince Salman aurait demandé à Turki al-
Faisal, chef des services de renseignement du royaume de 1979 à 2001, de
reprendre langue avec les Talibans.
Il est tentant, note cet expert, de comparer les problèmes potentiels que crée
pour l’Iran l'arrivée au pouvoir des Talibans à Kaboul et les difficultés de
Riyad face à la rébellion des Houthis au Yémen. L'administration Trump et
les Saoudiens avaient nourri le projet de fomenter des troubles en Iran,
mais, souligne James M. Dorsey, "l'Afghanistan n'est pas le Yémen et les
Talibans ne sont pas les Houthis". L’évolution en Afghanistan pourrait
faciliter l'amélioration des relations saoudo-iraniennes, avance Seyed
Hossein Mousavian. L'ancien négociateur iranien évoque les discussions de
Bagdad en vue de la normalisation de leurs relations et considère que la
victoire des Talibans profite plutôt à Riyad et pourrait inciter les deux
capitales à se rapprocher. Elles ont un "intérêt renouvelé à coopérer", écrit
aussi Zvi Bar'el, car l'Arabie saoudite craint que les organisations islamistes
sur son territoire ne soient renforcées tandis que l'Iran redoute l'importation
du terrorisme sunnite. "Un vent de réconciliation souffle sur la
région, constate leTehran Times. Va-t-il inclure un dégel des relations Iran-
Arabie saoudite ? Trop tôt pour le dire", estime toutefois le journal proche du
régime iranien.
"De Taïwan aux États arabes du golfe persique, les alliés des États-Unis
commencent à douter de leur fiabilité [...]. Certains pensent que la ‘fuite
humiliante’ d'Afghanistan servira d'avertissement à ceux qui espèrent
toujours que Washington les protégera", écrit par ailleurs le Tehran Times.
Ce retrait ajoute un élément d'incertitude à la politique américaine au
Moyen-Orient, convient Farzim Nadimi. Selon le chercheur du WINEP, l'Iran
va l'exploiter et inciter ses nombreux supplétifs dans la région à se montrer
plus actifs dans les mois à venir. Téhéran sera tenté de mettre les États-
Unis sous pression avec encore plus de détermination, au Yémen mais
aussi en Syrie et en Irak. Ces derniers jours, dans une démarche
inhabituelle, Téhéran a demandé au gouvernement régional d'Erbil le départ
du "parti démocratique du Kurdistan d'Iran". Idris Okuducu s’en inquiète :
"l'opposition kurde iranienne pourrait subir les conséquences du retrait
américain d'Irak", prévu à la fin de l'année. Ancien chef du Mossad, Yossi
Cohen redoute les conséquences d'un retrait militaire américain "mal conçu
et précipité", de nature à accentuer les antagonismes entre communautés
irakiennes et susceptible de conduire l'Iran à renforcer sa présence militaire.
Une autre leçon peut être tirée de l'expérience afghane, selon Fatemeh
Aman : "un gouvernement dont l'existence dépend de la présence de forces
étrangères peut facilement disparaître quand ces forces se retirent, ce que
les Russes en Syrie et les Iraniens en Syrie et en Irak devraient méditer".