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La liste complète des ouvrages est consultable sur le site du Comité d’histoire :
www.culture.fr/culture/comite-histoire.htm
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Sous la direction de
Philippe Poirrier
Travaux et documents no 28
2011
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Les publications du Comité d’histoire du ministère de la Culture et de la Communication sont placées sous la
responsabilité de Geneviève Gentil.
Selon l’usage, les opinions exprimées par les auteurs n’engagent qu’eux-mêmes et ne représentent pas l’opinion
du Comité d’histoire. Le Comité a, en effet, pour mission générale de rassembler et publier – pour les mettre à
la disposition des chercheurs de disciplines diverses – des matériaux encore dispersés et provisoires (ou même des
témoignages), le plus rapidement possible sans attendre nécessairement qu’ils soient cimentés dans des œuvres
définitivement construites.
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Sommaire
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Malgré le caractère répétitif des titres, nous avons choisi de conserver les intitulés proposés
par les auteurs. Toutes les contributions en anglais ont été traduites par nos soins ;
les textes originaux sont disponibles sur le site du Comité d’histoire
(http://www.culture.fr/culture/comite-histoire.htm).
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Avant-propos
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Les cinquante dernières années ont en effet permis une avancée certaine des
politiques publiques de la culture, comme ce fut le cas antérieurement pour les
politiques sociales, éducatives et urbaines. Le lecteur relèvera des manières de faire
et des évolutions très différentes selon les pays, en retrouvant cependant une
constante : la volonté d’un élargissement de l’accès à la culture.
Par ailleurs, l’implication grandissante des acteurs locaux marque la conception
même de la culture, comme le souligne Pierre-Michel Menger dans sa contribution :
« La crise économique ouverte au milieu des années 1970 a contraint le modèle de
l’État-providence à s’adapter à un contexte de faible croissance économique, ainsi la
culture n’est plus seulement considérée comme le territoire d’exception des valeurs
civilisatrices, non marchandes et anti-utilitaristes […] elle entre en résonance avec le
spectaculaire développement des industries culturelles. »
Je me félicite que cet ouvrage ait été l’occasion d’une collaboration efficace avec
l’université de Bourgogne et qu’il réponde bien au programme défini par les membres
du Comité d’histoire qui, lors de la séance plénière du 10 décembre 2010, ont
souhaité un renforcement des liens du Comité avec le milieu de la recherche
historique. Les observateurs les plus attentifs ont souligné le rôle majeur joué, depuis
sa création en 1993, par le Comité d’histoire du ministère de la Culture dans le
champ de l’histoire des politiques et des institutions culturelles2. La dernière présen-
tation en date, issue du Comité, publiée dans le cadre d’une livraison de Culture et
recherche, consacrée à « Cinquante ans de recherche au ministère de la Culture »,
pouvait afficher un sous-titre volontariste : « Le Comité d’histoire du ministère de la
Culture. un nouveau lieu de recherche3. »
Cet ouvrage a également permis d’établir avec un certain nombre d’universitaires
étrangers, ce dont je me réjouis particulièrement, des relations qui devraient se
prolonger dans les mois qui viennent. Le jeu des échelles – du local au national, du
national à l’international, sans oublier le rôle des institutions transnationales – est
aujourd’hui au cœur des problématiques historiennes et permet de dépasser des
perspectives longtemps restées trop franco-centrées.
Je souhaite que ce premier développement des travaux du Comité d’histoire vers
l’international contribue à élargir la vision de ce que doit être une véritable politique
publique au service de la culture.
2. Les états des lieux les plus récents : Loïc Vadelorge, « quinze ans d’histoire des politiques culturelles.
État, institutions, collectivités locales », dans Laurent Martin et Sylvain Venayre (dir.), l’Histoire culturelle
du contemporain, Paris, Nouveau Monde, 2005, p. 153-170 et Pascale Goetschel, « Les politiques cultu-
relles. un champ neuf pour l’histoire culturelle ? », dans Benoît Pellistrandi et Jean-François Sirinelli (dir.),
l’Histoire culturelle en France et en Espagne, Casa de Velasquez, 2008, p. 3-21.
3. Geneviève Gentil, « Le Comité d’histoire du ministère de la Culture. un nouveau lieu de recherche »,
Culture et recherche, 2010, no 122-123, p. 78-79 (http://www.culture.gouv.fr/culture/editions/documents
/cr122-123_p78-79.pdf ).
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Introduction
Philippe PoirriEr*
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4. Marc Fumaroli, l’État culturel. Essai sur une religion moderne, Paris, Éditions de Fallois, 1991. Pour une
mise en perspective du débat : Vincent dubois, « Politiques culturelles et polémiques médiatiques. Lectures
croisées en guise d’introduction », Politix. Travaux de science politique, décembre 1993, no 24. p. 5-19.
5. Voir les actes du colloque du Cinquantenaire (13-15 octobre 2009) : Élie Barnavi et Mayvonne de Saint
Pulgent (dir.), Cinquante ans après. Culture, politique et politiques culturelles, Paris, Ministère de la Culture
et de la Communication, Comité d’histoire, coll. « travaux et documents no 27 », 2010.
6. Site : http://www.culture-europe-international.org. Voir, capitalisant la démarche de la revue : Anne-
Marie Autissier, « Politiques culturelles des États européens : pour une nécessaire refondation », Espaces-
Temps.net, textuel, 29 mars 2006. http://espacestemps.net/document1917.html
7. Voir les actes, publiés par diane Saint-Pierre et Claudine Audet en deux volumes : Tendances et défis
des politiques culturelles. Analyses et témoignages, Québec, Presses de l’université Laval, 2009 et Tendances
et défis des politiques culturelles. Cas nationaux en perspective, Québec, Presses de l’université Laval, 2010.
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8. Quelques exemples récents : Françoise Benhamou, les Dérèglements de l’exception culturelle, Paris, Le
Seuil, 2006 ; Jean tardif et Joëlle Farchy, les Enjeux de la mondialisation culturelle, Paris, Éditions hors
Commerce, 2006 ; Victor Ginsburgh et david rosby (eds), Handbook of the Economics of Art and
Culture, Amsterdam, Elsevier, 2006 ; david rosby, e Economics of Cultural Policy, Cambridge, Cam-
bridge University Press, 2010 et Jogendra Prasad Singh (ed.), International Cultural Policies and Power,
Palgrave Macmillan, 2010. À l’échelle européenne : Carla Bodo (éd.), « il governo della cultura in Europa »,
Economia della Cultura, 2010, no 2.
9. Quelques recherches pionnières consacrées aux politiques culturelles des collectivités locales se placent
d’emblée dans une perspective comparative : omas höpel et Steffen Sammler (dir.), Kulturpolitik und
Stadtkultur in Leipzig und Lyon (18.-20. Jahrhundert), Leipzig, Universitätsverlag, 2004 ; omas höpel,
Von der Kunst- zur Kulturpolitik. Städtische Kulturpolitik in Deutschland und Frankreich 1918-1939, Stutt-
gart, Franz Steiner, 2007 ; et id., »Die Kunst dem Volke«. Städtische Kulturpolitik in Leipzig und Lyon 1945-
1989, Leipzig, Universitätsverlag, 2011.
10. Bergen 1999 (Norvège), Wellington 2002 (Nouvelle-Zélande), Montréal 2004 (Canada), Vienne 2006
(Autriche), istanbul 2008 (turquie) et Jyväskylä 2010 (Finlande).
11. Site : http://www.connectcp.org/index.php?lang=fr
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12. Quelques jalons sur les rôles respectifs de l’Unesco (Chloé Maurel, Histoire de l’Unesco : les trente pre-
mières années, 1945-1974, Paris, L’harmattan, 2010 ; Jogendra Prasad Singh, Unesco: Creating Norms for
a Complex World, Londres, routledge, 2011), du Conseil de l’Europe (Étienne Grosjean, la Coopération
culturelle européenne : origines, réalisations et perspectives, Arles/Genève, Actes Sud/Centre européen de la
culture, 1997) et de l’Union européenne (A.-M. Autissier, l’Europe de la culture, Histoire(s) et enjeux, Arles/
Paris, Actes Sud/Maison des cultures du monde, 2005 et « Pour une politique culturelle européenne ? »
dans Philippe Poirrier (dir.), Politiques et pratiques de la culture, Paris, La documentation française, 2010,
p. 287-294).
13. Présentation du débat historiographique : Anna Boschetti (dir.), l’Espace culturel transnational, Paris,
Nouveau Monde, 2010. Quelques exemples qui démontrent les vertus heuristiques de l’histoire comparée
dans les domaines de l’histoire culturelle : Christophe Charle, les Intellectuels en Europe au xIxe siècle. Essai
d’histoire comparée, Paris, Le Seuil, 2001 [1996] ; C. Charle, éâtres en capitales, naissance de la société du
spectacle à Paris, Berlin, Londres et Vienne, 1860-1914, Paris, Albin Michel, 2008 ; Jean Baubérot et Séve-
rine Mathieu, Religion, modernité et culture au Royaume-Uni et en France, 1800-1914, Paris, Le Seuil,
2002. Voir aussi, dans une perspective de recherche collective : Christophe Charle et daniel roche (dir.),
Capitales culturelles, capitales symboliques, Paris et les expériences européennes xVIIIe-xxe siècles, Paris, Publi-
cations de la Sorbonne, 2002 ; C. Charle (dir.), Capitales européennes et attraction culturelle xVIIIe-xxe siècle,
Paris, Éditions rue d’Ulm, 2004 et C. Charle (dir.), le Temps des capitales culturelles xVIIIe-xxe siècles, Seys-
sel, Champ Vallon, 2009.
14. Lluis Bonet et Emmanuel Négrier (dir.), la Fin des cultures nationales ? Les politiques culturelles à l’épreuve
de la diversité, Paris, La découverte, 2008.
15. Arno Mayer, la Persistance de l’Ancien Régime en Europe, de 1848 à la Grande Guerre, Paris, Flamma-
rion, 1990 [1981] et Anne-Marie iesse, la Création des identités nationales, Paris, Le Seuil, 1999.
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16. Leora Auslander, Des Révolutions culturelles. La politique du quotidien en Grande-Bretagne, en Amérique
et en France, xVIIe-xIxe siècles, toulouse, PUM, 2010 [2009].
17. Pascal ory, la Belle illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire, 1935-1938, Paris, Plon,
1994 et P. Poirrier, « Culture nationale et antifascisme au sein de la gauche française (1934-1939) » dans
Serge Wolikow et Annie Bleton-ruget. (dir.), Antifascisme et nation. Les gauches europénnes au temps du
Front populaire. dijon, EUd, 1998. p. 239-247.
18. Stéphanie Corcy, la Vie culturelle sous l’occupation, Paris, Perrin, 2005 et Jean-Pierre rioux (dir.), la
Vie culturelle sous Vichy, Bruxelles, Complexe, 1990. Voir aussi Elizabeth Campbell Karlsgodt, Defending
National Treasures: French Art and Heritage under Vichy, Stanford, Stanford University Press, 2011 .
19. dans cette perspective, robert Wangermée, « tendances de l’administration de la culture en Europe
occidentale », Revue française d’administration publique, janvier-mars 1993, no 65, p. 11-24.
20. dans cette direction : Anne-Marie Bertrand, Bibliothèque publique et public library. Essai de généalogie
comparée, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2010 ; Catherine Ballé et dominique Poulot, Musées en Europe.
Une mutation inachevée, Paris, La documentation française, 2004 ; Anne-Solène rolland et hanna
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Murauskaya (dir.), De nouveaux modèles de musées ? Formes et enjeux des créations et rénovations des musées
en Europe. xIxe-xxIe siècles, Paris, L’harmattan, 2008 ; Anne-Solène rolland et hanna Murauskaya (dir.),
Musées de la nation : créations, transpositions, renouveaux. Europe, xIxe-xxIe siècles, Paris, L’harmattan, 2008 ;
P. Poirrier (dir.), Politique culturelle et patrimoines. « Vieille Europe » et « Nouveaux mondes », Arles, Actes
Sud, 2007 ; id., « Festivals et sociétés en Europe, xixe-xxie siècles », Territoires contemporains, 2011, no 3.
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omas HöPeL*
* Université de Leipzig, Allemagne. Je tiens à remercier Anne-Marie Pailhès (Paris) pour l’aide qu’elle m’a
apportée afin d’établir la version française de ce texte.
1. Chronologie : l’Allemagne est un empire (parfois appelé 2e Reich) de 1871 à 1919. De 1919 à 1933,
c’est la République de Weimar. De 1933 à 1945, le 3e Reich incarne le nazisme (nDe).
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2. Pour la mise en place de la politique culturelle publique en Prusse, voir Pascale Laborier, Culture et édi-
fication nationale en Allemagne. Genèse des politiques de la culture, thèse de science politique, Paris, ieP,
1996.
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3. La révolution de 1918 (qui se termina en janvier 1919 par l’échec du coup d’État et la chute de l’em-
pire allemand) fut menée par les sociaux-démocrates et les communistes (appelés aussi spartakistes).
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4. Voir Josef Olbrich, Geschichte der erwachsenenbildung in Deutschland, Bonn, Bundeszentrale für Poli-
tische Bildung, 2001, p. 151 sqq.
5. Paul Steinmetz, Die deutsche Volkshochschulbewegung, Karlsruhe, G. Braun, 1929, p. 22 ; J. Olbrich,
Geschichte der erwachsenenbildung…, op. cit., p. 146.
6. Le ministère de l’Éducation et de l’enseignement public informa toutes les universités populaires de
Saxe de la création du bureau régional dans une circulaire du 20 novembre 1920 (SächsHStA, 11125,
Ministerium des Kultus und des öffentlichen Unterrichts, nr. 18775, Bl. 129). Par contre, Johanna Klara
Böttcher indiqua le 1er juillet 1920 comme date de création (Johanna Klara Böttcher, Die Volkshochschule
in Sachsen seit 1918, erlangen, Phil. Diss., 1927 p. 21). Les dossiers du bureau régional furent détruits
pendant la Seconde Guerre mondiale.
7. Leipziger Neueste Nachrichten, 15 juillet 1922.
8. Le ministère de l’Éducation et de l’enseignement public à toutes les universités populaires, Dresde,
10 novembre 1920 (SächsHStA, 11125, Ministerium des Kultus und des öffentlichen Unterrichts,
nr. 18775, Bl. 129).
9. Le ministère de l’Éducation populaire au service chargé de l’éducation populaire à Leipzig, Dresde,
23 janvier 1925 (StadtA Leipzig, Kap. 10, nr. 408, Bl. 163).
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10. Paul Hermberg, Wolfgang Seifert (dir.), Arbeiterbildung und Volkshochschule in der Industriestadt, Bres-
lau, neuer Breslauer Verl., 1932, p. 157.
11. Manfred Boetzkes, Marion queck, »Die eaterverhältnisse nach der novemberrevolution«, dans
Weimarer Republik, Katalog zur Ausstellung, Kunstamt Kreuzberg, Berlin/institut für eaterwissenschaft
der Universität Köln (dir.), Berlin/Hambourg, elefanten-Press GmbH, 1977, p. 687-715, ici p. 694.
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12. Cela concernait particulièrement le théâtre, les orchestres, les musées et les bibliothèques nationales.
Bien que, dès 1918, certains théâtres municipaux épars eussent été municipalisés, la grande vague de com-
munalisation commença cependant seulement après la fin de la Première Guerre mondiale. Voir Konrad
Dussel, »eater in der Krise. Der Topos und die ökonomische Realität in der Weimarer Republik«, dans
Lothar ehrlich, Jürgen John (dir.), Weimar 1930. politik und Kultur im Vorfeld der NS-Diktatur,
Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, 1998, p. 211-223, ici p. 217. Concernant la communalisation des
bibliothèques populaires sous la République de Weimar, voir Wolfgang auer, Peter Vodosek, Geschichte
der öffentlichen Bücherei in Deutschland, Wiesbaden, Harrassowitz, 1990, p. 113 sqq.
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13. Voir omas Höpel, Von den Kunst- zur Kulturpolitik, Städtische Kulturpolitik in Deutschland und
Frankreich 1918-1939, Stuttgart, franz Steiner Verl., 2007, p. 150 sqq.
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14. La haute culture (Hochkultur) comprend les beaux-arts ou arts principaux. Ceux-ci se formèrent au
cours du xViiie siècle comme système de cinq domaines principaux : architecture, peinture, musique, poé-
sie, sculpture. Voir Paul Oskar Kristeller, »Das moderne System der Künste«, dans Paul Oskar Kristeller,
Humanismus und Renaissance, vol. 2 : philosophie, Bildung und Kunst, Munich, UTB, 1976, p. 164.
15. Boguslaw Drewniak, Das eater im NS-Staat, Düsseldorf, Droste, 1983, p. 15.
16. Henning Rischbieter souligna en opposition à Konrad Dussel l’importance du Reichsdramaturg et de
l’organisation centraliste de la politique culturelle dont le ministre de la Propagande était responsable.
Cependant, on peut abonder sur ce point dans le sens de Dussel parce que les programmes des théâtres
étaient déjà tellement élaborés sur place, que le Reichdramaturg devait à peine intervenir de manière
décisive. en tout cas, celui-ci n’imposait aucune pièce aux théâtres, si ceux-ci n’étaient pas d’accord pour
l’intégrer dans le programme. Rischbieter signala que les nationaux-socialistes remplacèrent en tout 75 diri-
geants de théâtre dans les villes allemandes et n’en laissèrent que 47 en poste. Cette mesure fut prise dès
mars 1933 avant que le poste du Reichsdramaturg fut créé. Ainsi on était déjà assuré qu’aucune pièce
déplaisant aux nationaux-socialistes ne serait intégrée au programme. Voir Henning Rischbieter (dir.),
eater im »Dritten Reich« : eaterpolitik, Spielplanstruktur, NS-Dramatik, Seelze-Velber, Kallmeyer, 2000,
p. 17-24 ; Konrad Dussel, ein neues, ein heroisches eater? NS-eaterpolitik und ihre Auswirkungen, Bonn,
Bouvier, 1988.
17. David Welch, “nazi film Policy: Control, ideology and Propaganda”, dans Glenn R. Cuomo (ed.),
National Socialist Cultural policy, new York, St. Martin’s Press, 1995, p. 95-120.
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18. Cette politique impériale des bibliothèques échoua surtout pendant les années de guerre car elle pré-
sumait de ses forces. Le programme d’organisation était constamment surdimensionné et les instances
centrales refusaient de plus en plus la collaboration avec les responsables des communes. Ainsi la survie
des nombreuses bibliothèques villageoises nouvellement créées était menacée à long terme. Voir engel-
brecht Boese, Das öffentliche Bibliothekswesen im Dritten Reich, Bad Honnef, Boch u. Herchen, 1987,
p. 341-348.
19. J. Olbrich, Geschichte der erwachsenenbildung…, op. cit., p. 233 sqq ; Hermann Weiss, »ideologie und
freiheit im Dritten Reich. Die nS-Gemeinschaft „Kraft durch freude“«, dans Archiv für Sozialgeschichte,
33, 1993, p. 289-303.
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surveillance sur les institutions culturelles municipales, les villes restèrent cependant
des acteurs importants de la politique culturelle. L’autorégulation privée des institu-
tions culturelles municipales, qui dominait au xixe siècle mais avait déjà évolué vers
une régulation impérative publique lors de la République de Weimar, se poursuivit.
Si la majorité des institutions culturelles semblaient demeurer intactes, en réalité les
nationaux-socialistes transformaient de manière massive les valeurs et les pratiques
qui les avaient guidées jusque-là.
La politique culturelle
dans les deux Allemagne de l’après-guerre
Les politiques culturelles mises en œuvre en RfA et en RDA se démarquèrent
totalement de la politique culturelle du régime national-socialiste. néanmoins, dans
les deux États furent maintenues des structures et des institutions qui s’étaient
développées et consolidées depuis le xixe siècle. Les forces d’occupation ainsi que les
partis politiques qui dominaient à ce moment-là marquèrent de leur empreinte ces
nouvelles politiques.
20. Voir à propos du Kulturbund : Magdalena Heider, politik-Kultur-Kulturbund. Zur Gründung und Früh-
geschichte des Kulturbundes zur demokratischen erneuerung Deutschlands 1945-1954 in der SBZ/DDR,
Cologne, Verl. Wiss. und Politik, 1993.
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21. Voir Sigrid Meuschel, Legitimation und parteiherrschaft in der DDR, francfort-sur-le-Main, Suhrkamp,
1992 ; P. Laborier, Culture et édification nationale en Allemagne, op. cit., p. 486 sqq.
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politique culturelle sur la scène municipale, nationale et régionale. Bien que le nSDAP
(parti national-socialiste des Travailleurs allemands, parti d’A. Hitler) ait vu tous ses
membres licenciés, ses structures furent reprises. Les décisions en matière culturelle
furent préparées à l’intérieur des comités internes du parti. La section de la culture
(Abteilung Kultur) du comité central du SeD avait la responsabilité de faire passer les
décisions de la direction du parti en ce domaine et de contrôler leur application.
Cette section, mise en place en 1946, immédiatement après la création du SeD, et
dirigée par Anton Ackermann, devait guider et contrôler la mise en œuvre de ces
décisions par les institutions publiques, sociales et artistiques telles que le Kulturbund,
les syndicats, les ministères et l’administration chargés de l’éducation du peuple.
L’appareil du SeD réussit ainsi à transmettre sa ligne de conduite à tous les acteurs de
la politique culturelle22. Le 4 juin de la même année, fut mis en place le Comité
culturel central (Zentraler Kulturausschuss) chargé de conseiller le parti, qui réunissait
les intellectuels membres du parti afin de discuter des problèmes de politique
culturelle préalablement à la prise de décision (ce comité ne survécut que jusqu’en
1948-194923).
Dès 1946, l’administration centrale dans les grandes villes fut transformée,
rebaptisée et ses compétences alignées sur le modèle des structures administratives
des Länder, et plus tard sur celui des structures administratives de la RDA. Ainsi, dès
le début, la voie à suivre pour une politique culturelle centralisée était indiquée par
Berlin-est. Lors des discussions sur le formalisme, en 1951, une commission d’État
pour les affaires artistiques (Staatliche Kommission für Kunstangelegenheiten), calquée
sur le modèle soviétique24, fut créée, dont la structure, extrêmement complexe,
comportait un appareil avec 232 collaborateurs répartis dans quatre secteurs
principaux : « Art figuratif et musique », « Arts plastiques », « Relève artistique et
institutions éducatives » et « Art en amateur », ainsi que deux services indépendants :
« Littérature » et « Relations culturelles avec l’étranger ». Des changements structurels
furent effectués dans l’appareil administratif en 1952 et 1953 à la suite de voyages
d’études en URSS : la commission reprit le pouvoir décisionnel sur le théâtre, la
musique, les arts plastiques, l’art amateur et la formation artistique, jusque-là sous
le contrôle du ministère de l’Éducation populaire ; furent créés en outre un service
pour la littérature et l’édition, ainsi que deux comités pour le cinéma et la radio. Ces
institutions servaient à diriger et à contrôler les institutions culturelles et les maisons
d’édition, ainsi qu’à leur attribuer des licences. Après le 17 juin 1953, à l’annonce
d’un « nouveau cours » et à la suite de critiques venant du milieu artistique, la
commission d’État et les autres services furent confondus dans le ministère pour la
Culture créé en 1954, dont le premier à occuper le poste fut Johannes R. Becher, le
22. Beatrice Vierneisel, »Die Kulturabteilung des Zentralkomitees der SeD 1946-1964«, dans Günter feist,
eckhart Gillen, Beatrice Vierneisel (dir.), Kunstdokumentation SBZ/DDR 1945-1999, Köln, DuMont, 1996,
p. 788-820.
23. M. Heider, politik-Kultur-Kulturbund, op. cit., p. 64.
24. Dagmar Buchbinder, »Kunst-Administration nach sowjetischem Vorbild: Die Staatliche Kommission
für Kunstangelegenheiten«, dans Heiner Timmermann (dir.), Die DDR. Analysen eines aufgegebenen Staates,
Berlin, Duncker und Humblot, 2001, p. 389-407.
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25. Voir à ce sujet Horst Groschopp, »Zwischen Klub- und Kulturwissenschaft. Aus- und fortbildung
für Kulturberufe in der DDR«, dans Christiane Liebald, Bernd Wagner (dir.), Aus- und Fortbildung für kul-
turelle praxisfelder, Hagen, Kulturpolitische Gesellschaft, 1993, p. 159-177.
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méfiance en raison de leur relatif éloignement de l’activité politique, les plaça sous
l’autorité des organisations de masse existantes lorsque éclata la guerre froide26. À
dater de cette décision, ces groupes furent dirigés par un organisme central, d’où
naquit le 25 janvier 1952 la Maison pour l’art amateur (Zentralhaus für Laienkunst)
à Leipzig. De cette façon, l’instruction artistique qui leur était prodiguée par cette
Maison était accompagnée d’une surveillance politique. Deux ans plus tard, ils furent
obligés par la loi de se faire enregistrer.
Dans les années 1940, furent créés des clubs et des maisons de la culture destinés
au mouvement pour la culture populaire. Au début, c’était les maisons de la culture
qui devaient être mises en place dans les entreprises, mais le plan biennal de 1949-
1950 proposa la création de clubs ouvriers dans quatre-vingts grandes entreprises.
Dans d’autres, on devait créer des salles et des espaces servant à des manifestations
et à des actions culturelles27. en matière de financement, l’État assura celui des
maisons de la culture, évinçant ainsi les syndicats. Dès 1950, les entreprises
nationalisées édifièrent des maisons de la culture imposantes, preuve de leurs résultats
et de leur grand sens des responsabilités. en 1954, les maisons de la culture furent
confiées aux syndicats mais continuèrent à être financées par l’État. Conçues comme
lieux d’une nouvelle culture ouvrière, se distinguant nettement de la culture
bourgeoise ancienne ainsi que de la culture populaire commercialisée, elles devaient
offrir une occupation culturelle et artistique de bon niveau appelée à remplacer le
simple amusement. Mais ce modèle ne put pas vraiment être mis en place car ces
divertissements furent qualifiés de « petits-bourgeois » dans les années 1950.
Les maisons de la culture avaient pour fonction de former et d’éduquer : elles
offraient donc des activités culturelles qui les différenciaient des palais de la culture
et des centres de loisirs. On les considérait comme des lieux où devaient être mises
en place une nouvelle culture festive, une nouvelle culture politique ainsi que de
nouvelles formes de sociabilité en dehors de la famille ; en outre, il était question d’y
organiser des manifestations culturelles de haut niveau. elles aspiraient à intégrer le
collectif ouvrier et le personnel des entreprises et devaient donc s’éloigner des formes
antérieures de socialisation des ouvriers. Comme y régnait l’aspiration à un travail
intense dans les différents domaines culturels, il ne fut pas question au début d’y
adjoindre des bars ou des restaurants.
Les maisons de la culture ayant occupé très tôt cette position centrale dans le
domaine culturel, on aspira vite à la professionnalisation de leur direction. Dès 1948-
1949, fut mise en place une formation pour les dirigeants de clubs, les responsables
culturels et autres fonctions dans le domaine culturel dans les universités populaires
des Länder (qui avaient été créées pour la formation des enseignants). C’est ainsi que
l’université populaire du Land de Saxe à Meißen-Siebeneichen, rebaptisée « école
centrale pour l’information culturelle », fut rattachée en 1954 au ministère de la
30
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Culture qui venait d’être mis en place et finalement, en 1956, fut transformée en
école pour les dirigeants de clubs et de maisons culturelles (voir supra). La formation
qui y était dispensée fut reconnue en 1958 comme une formation professionnelle.
Si la professionnalisation de la culture devint un cliché dans les projets de gestion
de la culture des districts, des cantons et des villes, dans les premières années elle
resta une simple déclaration d’intention. Ce n’est en effet qu’à la fin des années 1950
que cela changea du tout au tout. Lors du cinquième congrès du SeD de 1958, Walter
Ulbricht, stimulé par le débat sur l’orientation de la société soviétique après la mort
de Staline, déclara qu’il souhaitait créer une culture socialiste nationale et unir le
peuple et la culture, posant ainsi les jalons pour la « voie de Bitterfeld » (Bitterfelder
Weg28), concept de politique culturelle qui fut discuté lors de la conférence de
Bitterfeld en 1959.
À l’aide du concept de « révolution culturelle », W. Ulbricht essaya de recentrer
la confrontation entre le système communiste et le système capitaliste dans le champ
culturel. Le mouvement pour la culture fut ravivé dans les entreprises : en 1959, le
premier festival de culture ouvrière de RDA fut organisé à Halle-sur-la-Saale et cette
manifestation se répéta au début tous les ans, ensuite tous les deux ans. L’entreprise
fut à nouveau perçue comme la base de la nouvelle société socialiste. L’ouvrier qui
écrivait, chantait, peignait et jouait de la musique était associé au concept de
« nouvelle société » qui met les ouvriers et les artistes sur un pied d’égalité. Mais ce
concept passant à côté des besoins qu’avait la population dans le domaine de la
détente culturelle, endigua rapidement les possibilités de former concrètement une
critique de la société et de participer à la démocratisation (entre autres dans les
journaux de brigade29).
De manière plus ferme encore, la population ouvrière devait être guidée vers sa
propre activité culturelle et le rôle des artistes professionnels dans ce processus était
de rester impliqués en étant les conseillers artistiques des groupes d’art amateurs
(Laienkulturgruppen) et en orientant leur création sur des sujets « socialistes ». en
outre, l’initiation des ouvriers à la haute culture, c’est-à-dire « l’héritage culturel
humaniste et bourgeois », devait être poursuivie. Mais le SeD s’orienta aussi vers une
culture de divertissement et de loisir de haut niveau à travers le Bitterfelder Weg.
La révolution culturelle avait deux objectifs : élever le niveau culturel des ouvriers
en produisant ainsi le « nouvel homme socialiste » ; mais aussi cultiver la nouvelle
élite venant en grande partie du monde ouvrier qui occupait de nombreux postes
repris à l’ancienne élite bourgeoise ayant fui vers l’Ouest ou qui avait été expulsée.
Le SeD estimait en effet que le niveau culturel de cette nouvelle élite était trop faible30.
Dans le cadre de la campagne lancée pour atteindre ces objectifs, le centre de la
gestion culturelle se déplaça des entreprises vers les villes. en effet, comme le travail
28. Le Bitterfelder Weg fait de l’artiste un auxiliaire favorisant l’accouchement d’une culture ouvrière.
29. Sandrine Kott, »Zur Geschichte des kulturellen Lebens in DDR-Betrieben. Konzepte und Praxis betrie-
blicher Kulturarbeit«, dans Archiv für Sozialgeschichte 39, 1999, p. 167-195.
30. Dietrich Mühlberg, »notizen zur entstehung und entwicklung der Disziplin Kulturwissenschaft in
der DDR«, dans Kulturation. Online-Journal für Kultur, Wissenschaft und politik, no 7, 1/2006, Jg. 29(4),
p. 3.
31
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réalisé dans les entreprises en matière de culture culturel était jugé insuffisant, les
administrations culturelles des départements (Bezirke) et des villes durent réaliser le
nouveau programme et coordonner le travail culturel. La professionnalisation des
responsables culturels grâce aux études supérieures qu’ils avaient dû suivre représentait
un facteur déterminant pour réaliser cet objectif, car étant devenus des responsables
culturels professionnels actifs et fidèles à la ligne du parti ils étaient reconnus comme
des instruments centraux. ni les responsables culturels bénévoles venant des syndicats,
ni les artistes envoyés dans les entreprises pour animer les groupes d’art d’amateurs
ne pouvaient en fait accomplir cette tâche. Les études universitaires de science
culturelle alliaient en effet une formation de base dans le marxisme-léninisme, dans
l’esthétique socialiste et dans la politique culturelle à une formation dans une matière
artistique tels le théâtre, la littérature, la musique ou l’art. Les étudiants en culture
appliquée qui seraient plus tard les responsables culturels devaient être aussi bien
capables de s’approprier les bases scientifiques de l’esthétique et de l’art que de
reconnaître les objectifs politiques actuels du SeD et de les intégrer dans leur travail.
Dans les années 1960, il s’agissait en particulier d’appliquer le Bitterfelder Weg31.
Depuis le début de cette décennie, fut encouragé de plus en plus le travail culturel
dans les quartiers des villes où furent ainsi créées de nombreuses maisons de jeunes
et maisons de la culture. Dans les zones résidentielles, la vie culturelle se développa
grâce à différentes initiatives. Les adjoints aux maires pour la culture qui cherchaient
à animer la vie culturelle des entreprises, à la contrôler et à la mettre en relation avec
le travail culturel dans les quartiers de villes eurent de plus en plus d’influence dans
ces entreprises.
en outre, après la construction du mur de Berlin en 1961, une certaine libérali-
sation se produisit, qui se répercuta dans de nombreux champs culturels. Les maisons
de la culture s’orientèrent vers les besoins de la population en renforçant un program-
me concentré sur le divertissement culturel. À la DefA (studios de cinéma créés en
1946 en zone d’occupation soviétique), furent formés des groupes artistiques
autonomes qui réalisèrent des projets de films avec plus de liberté, ce qui provoqua
un essor visible de l’industrie du film en RDA et une acceptation plus grande par la
population des films produits dans le pays. Malgré les slogans unitaires, la séparation
entre art professionnel et art amateur s’élargit à nouveau, sans pour autant remettre
en question le Bitterfelder Weg dans son ensemble. Le ministre de la Culture Hans
Bentzien s’engagea pour la création massive de maisons de jeunes plus en accord avec
les besoins de la jeunesse (entre autres la musique pop et la place de la guitare32).
Cette phase de libéralisation relative s’acheva avec le 11e plénum du comité central
du SeD, la direction du parti ayant constaté que la libéralisation mettait en danger
31. Voir entwurf eines Studienplans zur Ausbildung von Kulturwissenschaftlern an den Universitäten und
Hochschulen der DDR, Berlin, 20 août 1963, Universitätsarchiv Leipzig (UAL), ZM 1811 ; Anweisung des
Staatsekretariats für das Hoch- und Fachschulwesen über die Hochschulausbildung von Kulturwissenschaft-
lern, 1er août 1963, UAL, R 321, Bd. 3, B. 120-122.
32. Dans une lettre du 27 mai 1963, Bentzien invita tous les responsables des institutions culturelles à
installer partout des maisons de jeunes. Voir Heinz Marohn, Zur entwicklung von Klubs und Kulturhäu-
sern in der DDR. eine kulturhistorische Untersuchung, Berlin, Phil. Diss., 1980, p. 96.
32
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ses propres possibilités d’action et craignant une perte de pouvoir croissante. Durant
le plénum, les influences culturelles et artistiques de l’Ouest furent condamnées
comme décadentes et dangereuses. Après le plénum, de nombreux hauts responsables,
dont H. Bentzien, furent licenciés, de nombreux films de la DefA interdits et de
nombreux livres pas publiés. La culture populaire des jeunes venant des pays
capitalistes (musique pop et rock33) fut combattue.
La propagande contre une culture de masse marchande, qu’on ne pouvait ni
planifier ni contrôler comme on le faisait avec l’art amateur, se pratiquait clairement.
La formation de groupes en dehors des organisations de masse et des maisons de
jeunes était crainte. Le travail culturel se retrouva confronté de manière plus forte à
des contraintes idéologiques lors de la seconde moitié des années 1960. Le rôle du
fDJ (Jeunesse allemande libre) devint plus important dans l’idéologisation et la
domestication de la jeunesse. L’influence de la musique pop occidentale devait être
réduite par la création du mouvement des clubs de chant du fDJ (FDJ-Singeklubs).
Les éléments idéologiques et de propagande furent renforcés de nouveau. Cependant,
la RDA pouvait de plus en plus difficilement se détacher des influences occidentales,
la généralisation de la télévision en RDA y contribuant fortement en encourageant la
privatisation des loisirs34.
Le passage de Walter Ulbricht à eric Honecker à la direction du parti et de l’État
de RDA conduisit à une réorganisation fondamentale de la politique culturelle.
Désormais, il ne fut plus question du Bitterfelder Weg et de l’assimilation de l’art des
ouvriers et de l’art professionnel, même si les activités culturelles populaires conti-
nuaient à être encouragées et les festivals d’art ouvriers à être organisés tous les deux
ans. e. Honecker, qui, en 1965 lors du 11e plénum, fut un des instigateurs de la
révision de la politique culturelle, se montra libéral après sa prise de pouvoir. Des
formes de culture populaire comme le jazz et la musique pop furent autorisées, la
création d’une scène rock et pop propre à la RDA fut encouragée. Le concept culturel
fut étendu dans son ensemble. en plus de l’aspect éducatif et culturel, les besoins en
divertissement et en détente qu’avait la population devaient être satisfaits. La notion
d’« art ouvrier » fut affaiblie. L’extension du concept en atténua les éléments
idéologiques : la culture n’était plus seulement considérée comme un mode de
création actif, dont le but était de créer des valeurs artistiques, mais comme un mode
de vie. La tendance à la convivialité fut légitimée et l’on cessa d’exiger une nouvelle
culture populaire socialiste. Dans les entreprises et les maisons de la culture, la culture
populaire prit de plus en plus les traits d’une culture de loisirs et d’une socioculture
s’adressant à des groupes sociaux spécifiques. Le SeD chercha ainsi à stabiliser la
société, mais il s’agissait d’une stabilité trompeuse car on ne proposait plus une
alternative à la RfA.
33. Monika Kaiser, Machtwechsel von Ulbricht zu Honecker. Funktionsmechanismen der SeD-Diktatur in
Konfliktsituationen 1962 bis 1972, Berlin, Akademie-Verlag, 1997, p. 220 sqq.
34. en 1970, 69 ménages sur 100 possédaient déjà un poste de télévision. Statistisches Jahrbuch der DDR
1976, p. 312.
33
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35. Voir entre autres S. Kott, »Zur Geschichte des kulturellen Lebens in DDR-Betrieben«, art. cité, p. 167-
195.
36. frank Trommler, »Kulturpolitik der Deutschen Demokratischen Republik«, dans Wolfgang R. Langen-
bucher, Ralf Rytlewski, Bernd Weyergraf (dir.), Kulturpolitisches Wörterbuch Bundesrepublik Deut-
schland/DDR im Vergleich, Stuttgart, Metzler, 1983, p. 395.
37. ian Wallace, »Die Kulturpolitik in der DDR 1971-1990«, dans Gert-Joachim Glaeßner (dir.), eine
deutsche Revolution. Der Umbruch in der DDR, seine Ursachen und Folgen, francfort-sur-le-Main, Peter
Lang, 1992, p. 94-108.
34
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38. ian Wallace, »Die Kulturpolitik in der DDR 1971-1990«, art. cité, p. 98.
39. Voir Joachim Wittkowski, »Die DDR und Biermann. Über den Umgang mit kritischer intelligenz.
eine gesamt-deutsches Resümee«, dans Aus politik und Zeitgeschichte, 20/1996, p. 37-45 ; i. Wallace, »Die
Kulturpolitik in der DDR 1971-1990«, art. cité, p. 94-108.
40. Annette Schumann l’a aussi tout récemment souligné dans sa publication sur le travail culturel du
fDGB dans les entreprises de RDA : Annette Schumann, Kulturarbeit im sozialistischen Betrieb. Gewerk-
schaftliche erziehungspraxis in der SBZ/DDR 1946 bis 1970, Cologne, Böhlau, 2006.
35
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du pays : elles intégrèrent d’une part des concepts communistes des années 1920
visant à une culture des brigades du travail socialistes, d’autre part les idéaux des
sociaux-démocrates, qui avaient soutenu les maisons populaires41. quant à la
professionnalisation des responsables culturels, elle s’inscrivit dans une tradition
allemande et ne se déroula dans aucun autre pays socialiste de la même façon.
41. H. Groschopp, »Der singende Arbeiter im Klub der Werktätigen«, art. cité, p. 90.
52. »entschließung der Kulturministerkonferenz von 18. Oktober 1949 in Bernkastel«, dans Handbuch
für die Kultusministerkonferenz 1984-1985, Bonn, 1985, p. 114.
43. Voir à ce sujet Werner Heinrichs, Armin Klein, Kulturmanagement von A bis Z. Wegweiser für Kultur-
und Medienberufe, Munich, Deutscher Taschenbuch Verlag, 1996, p. 157 ; Alexander endreß, Die Kul-
turpolitik des Bundes. Strukturelle und inhaltliche Neuorientierung zur Jahrtausendwende, Berlin, Duncker
und Humblot, 2005, p.105.
36
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aux questions allemandes. Au début il y eut des conflits, dont il arrivait que la
conciliation ne puisse être décidée que par le chancelier : dans le conflit, par exemple,
qui opposa en 1957 le ministère de l’intérieur et le ministère aux questions
allemandes, le chancelier Adenauer fit pencher la balance en faveur du premier, qui
se vit attribuer la responsabilité de toutes les missions culturelles. il subsista par contre
des conflits de compétence entre le ministère de l’intérieur et celui des Affaires
étrangères : il s’agissait de décider si les instituts artistiques et de recherche à l’étranger
devaient remplir des fonctions culturelles ou plutôt représentatives. La situation
s’enflamma en 1956 à propos de la direction de la villa Massimo, que le gouverne-
ment italien avait rendue à l’Allemagne44. Le ministère de l’intérieur finançait cet
institut mais celui des Affaires étrangères avait mené les négociations pour que
l’institut soit rendu, soulignant qu’il s’était trouvé sous son administration jusqu’en
1934 et devait donc y être rattaché à nouveau. Le conflit dura plusieurs mois et fut
finalement résolu par la Cour fédérale des comptes, qui proposa d’affecter les
questions culturelles et économiques au ministère de l’intérieur et les questions diplo-
matiques au ministère des Affaires étrangères45. La villa Massimo fut subordonnée
au ministère de l’intérieur, les instituts scientifiques affectés au ministère de la
Recherche en 196246.
Les situations conflictuelles n’existaient pas seulement entre ministres fédéraux.
Des querelles naissaient sans cesse entre la fédération et les Länder. Le principe de
souveraineté culturelle des Länder n’était pas écrit de manière explicite dans la loi
fondamentale mais il se déduisait des articles 30, 70 et 83, qui attribuaient certaines
missions aux Länder, dans la mesure où il n’existait pas de disposition contraire. il
ne s’agissait donc pas d’un concept obligatoire dans la juridiction mais plutôt d’une
notion, qui fut érigée comme une norme au fil du temps, même si certains Länder
n’avaient de cesse de déclarer que la souveraineté culturelle était fixée par la loi
fondamentale. Selon la constitution, la compétence culturelle n’était pas attribuée
uniquement aux Länder, mais l’était aussi à la fédération, même si c’était dans des
proportions différentes47. Mais, lorsque les initiatives de la fédération semblaient
porter atteinte à leurs prérogatives, les Länder se référaient toujours à leur souveraineté
culturelle. Pendant les premières années d’existence de la RfA, le ministère de
l’intérieur se préoccupa de la séparation des compétences entre la fédération et les
Länder en étudiant les pratiques dans d’autres pays dotés d’un système fédéral48. On
devait souvent négocier des questions de politique culturelle à différents niveaux de
l’administration, d’où de fréquents compromis. Le système fédéral de la RfA n’excluait
44. La villa Massimo est le siège de l’Académie allemande (Accademia Tedesca) à Rome et a une mission
culturelle. Le bâtiment érigé entre 1910 et 1913 fut offert par le banquier berlinois e. Arnhold à l’État
prussien pour accueillir les lauréats du prix de Rome de l’Académie prussienne des arts.
45. Le président de la Cour fédérale des comptes, Gutachten über die Zuständigkeit zwischen den Kultu-
rabteilungen des AA und des BMI, février 1958, BaKo B106/1058, p. 2.
46. À propos de ces conflits, voir P. Laborier, Culture et édification nationale en Allemagne, op. cit., p. 594.
47. Bernd Küster, Die verfassungsrechtliche problematik der gesamtstaatlichen Kunst- und Kulturpflege in der
Bundesrepublik Deutschland, francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 1990, p. 579-589.
48. Lastenverteilung zwischen Bund und Ländern, BMi, Abt. iii, Bonn, 9 septembre 1953, BaKo B 106/22.
37
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49. Le chancelier Willy Brandt avait été le premier à proposer, lors de sa déclaration de politique géné-
rale en 1973, une fondation culturelle nationale, le chancelier Helmut Schmidt avait confirmé cette pro-
position en 1976. Voir Armin Klein, Kulturpolitik. eine einführung, Opladen, Leske + Budrich, 2003,
p. 106.
50. Le Conseil culturel allemand fut fondé en 1981 comme groupe de travail des organisations et insti-
tutions culturelles et des médias qui agissaient à l’échelle nationale. il était politiquement indépendant.
en 1983, il devint la confédération reconnue par les fédérations culturelles allemandes. en 1995, il fut
transformé en association d’utilité publique, ce qui lui donnait une structure plus solide et plus maniable.
Ibid., p. 106.
38
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les seconds, alors que les recettes de la fédération oscillaient entre 2 % et 13 %51.
Cette répartition des dépenses montrait clairement la décentralisation de la politique
culturelle en RfA. Au niveau communal, avait été créé en 1905 le Deutsche Städtetag
pour servir d’association fédératrice des villes qui ne dépendaient pas du canton et
pour une partie ce celles qui en dépendaient. Cet organisme fut un protagoniste
important pour un engagement actif des villes dans la politique culturelle. Dans les
villes, furent maintenues, comme en RDA en 1945, les structures de gestion culturelle
mises en place sous le national-socialisme. Certes, les chefs du service culturel furent
remplacés, mais les structures des services culturels restèrent en place.
Au niveau conceptuel, la notion de « conservation de la culture » domina après
la Seconde Guerre mondiale et dans les premières années d’existence de la RfA : il
s’agissait de remettre sur pied les institutions culturelles détruites et de préserver
l’héritage culturel. La politique culturelle devait reconstruire les structures culturelles.
On se ralliait ainsi au concept culturel restreint développé par la bourgeoisie cultivée
au début du xixe siècle en liaison avec le nouvel humanisme et qui rassemblait
l’éducation et la culture52. Dans l’ensemble, la politique culturelle était très en retrait,
conservatrice. Les protagonistes de la nouvelle politique culturelle, comme Olaf
Schwencke, lui reprochaient d’être uniquement la prolongation de la culture de la
bourgeoisie cultivée, de négliger les liens, la perspective et les fonctions sociales des
arts, et d’ignorer les tendances de l’évolution moderne au niveau esthétique53. Cette
phase de politique culturelle s’est caractérisée par la mise en relief de la haute culture
(Hochkulturmotiv54), selon Gerhard Schulze.
Au milieu des années 1960, une réforme, prônée par les sociaux-démocrates et
les syndicats, fit que de passive la politique mise en œuvre devint plus active, et
emprunta des éléments à d’autres pays européens55. Les protagonistes de cette réforme
considéraient l’égalité des chances dans le domaine culturel comme l’une des
51. Les chiffres variaient en fonction des postes de dépense qu’elles contenaient. Les moyens mis en œuvre
pour la politique culturelle extérieure et pour la fondation des biens culturels prussiens ne furent pas
comptés dans la statistique du KMK, mais celui-ci inclut les dépenses pour l’enseignement religieux. Voir
P. Laborier, Culture et édification nationale en Allemagne, op. cit., p. 612 sqq.
52. Ce concept de culture comprenait surtout les sciences et l’art et servait de mode de distinction pour
la bourgeoisie vis-à-vis des autres classes et couches. Voir entre autres norbert elias, Über den prozess der
Zivilisation 1, Bern, Verlag francke AG, 1969, p. 1-42 ; Jürgen Kocka, »Bürger und Bürgerlichkeit als
Probleme der deutschen Geschichte vom späten 18. zum frühen 20. Jahrhundert«, dans Jürgen Kocka
(dir.), Bürger und Bürgerlichkeit im 19. Jahrhundert, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1987, p. 21-
63, surtout p. 42 ; omas nipperdey, »Kommentar: Bürgerlich als Kultur«, ibid., p. 143-148 ; Reinhart
Koselleck, Bildungsbürgertum im 19. Jahrhundert, Teil II, Bildungsgüter und Bildungswissen, Stuttgart, Klett,
1990, surtout l’introduction ; Hans-Ulrich Wehler, Deutsche Gesellschaftsgeschichte, Band 2: 1815-1845/49,
München, Beck, 1987, p. 212 ; Georg Bollenbeck, Bildung und Kultur. Glanz und elend eines deutschen
Deutungsmusters, München, insel, 1994.
53. Olaf Schwencke, »Kontinuität und innovation. Zum Dilemma deutscher Kulturpolitik seit 1945 und
zu ihrer gegenwärtigen Krise«, dans Olaf Schwencke, Klaus H. Revermann, Alfons Spielhoff, plädoyers
für eine neue Kulturpolitik, München, Hanser, 1974, p. 11-47, ici p. 13-18.
54. Gerhard Schulze, Die erlebnisgesellschaft. Kultursoziologie der Gegenwart, francfort-sur-le-Main/new
York, Campus, 1992, p. 499.
55. Olaf Schwencke, »Kulturpolitik im Spektrum der Gesellschaftspolitik«, Aus politik und Zeitgeschichte,
41/1996, p. 3-11, ici p. 9.
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conditions de base pour la vie et l’action dans une démocratie et étaient convaincus
qu’il fallait que la participation à la culture soit possible de manière active et passive
pour une large partie de la population. C’était une façon de se rattacher au mouve-
ment de la culture ouvrière datant de l’époque de Weimar.
L’objectif de démocratisation, auquel se vouait ceux de la génération d’Hermann
Glaser et d’Hilmar Hoffmann56, allait de pair avec l’objectif socioculturel, responsable
des conflits culturels qui marquèrent la période de changement profond comprise
entre les années 1960 et 1970, et propagé plutôt par la génération des étudiants nés
vers les années 1940. Cette génération refusait en effet par principe la « culture
affirmative » en laquelle elle voyait comme un moyen de distinction pour la bourgeoi-
sie, et n’aspirait à aucune démocratisation de l’accès à la culture bourgeoise de haut
niveau : ce qu’elle souhaitait, c’était une culture alternative57.
Depuis les années 1970, la « nouvelle politique culturelle » réunit les deux
concepts, partant du principe que l’art et la culture ont un potentiel pour critiquer,
innover et changer la société. Sous le slogan « la culture pour tous », il s’agissait
finalement de venir à bout d’un concept culturel étroit et isolé et de revitaliser l’art
et la culture en les considérant comme des médias pour la discussion et la
participation. en 1973, la Session allemande des villes (Deutscher Städtetag) rejoignit
officiellement cette conception de la politique culturelle – fondée sur l’idée que
l’épanouissement et l’évolution des possibilités sociales, communicatives et esthéti-
ques des hommes devaient être encouragés – avec la déclaration « des voies pour une
vie humaine ». elle adopta la même année le programme « formation et culture
comme des éléments du développement des villes », qui renouait avec les appels
insistants lancés dès les années 1960 : par le médecin, psychanalyste et écrivain
Mitscherlich par exemple, dans son ouvrage Die Unwirtlichkeit der Städte58, où il
déplorait le mitage et l’absence d’identité des villes et les suites sociales qui en
résultaient. La réappropriation de l’espace urbain était en effet un thème socioculturel.
Les diverses initiatives et les centres socioculturels – centres culturels, centres pour
la communication, groupes théâtraux libres, communauté d’artistes et ateliers
historiques – qui s’étaient développés dans les villes déjà dans les années 1970 se
trouvaient confrontés à cette préoccupation, même si toutes les initiatives ne
pouvaient pas être attribuées à la « nouvelle politique culturelle59 ». À francfort-sur-
le-Main, l’adjoint au maire à la culture Hilmar Hoffmann créa par exemple un centre
de communication, dans lequel devait être intégrée la bibliothèque publique, mais
56. Personnalités de premier plan (respectivement directeur des Affaires culturelles de nuremberg et ancien
président du Goethe-institute).
57. À propos des différents concepts de culture, voir G. Schulze, Die erlebnisgesellschaft…, op. cit., chap. 12.
Albrecht Göschel a mis en corrélation le mobile avec la succession des générations (Albrecht Göschel,
Klaus Mittag, omas Strittmatter, »Ziele und Konzepte der neuen Kulturpolitik«, dans A. Göschel,
K. Mittag, T. Strittmatter, Die befragte Reform. Neue Kulturpolitik in West und Ost, Berlin, DifU, 1995,
p. 21-54.
58. Alexander Mitscherlich, Die Unwirtlichkeit der Städte, Anstiftung zum Unfrieden, francfort-sur-le-
Main, Suhrkamp, 1969.
59. Tobias J. Knoblich, »Das Prinzip Soziokultur. Geschichte und Perspektiven«, Aus politik und Zeitges-
chichte, 11/2001, p. 7-14, ici, p. 9.
40
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aussi une université populaire, des ateliers audiovisuels, un cinéma communal et des
centres pour un apprentissage autodidacte60. À nuremberg, l’adjoint au maire à la
culture Hermann Glaser poursuivit la même conception avec les Kulturläden, mais
ceux-ci devaient être installés dans les quartiers afin de rapprocher la population et
la culture : « Celui-ci [le Kulturladen] doit être un lieu de communication et d’infor-
mation ; il fournit des informations et des conseils, aussi bien relatifs à un individu
que relatifs à un groupe. […] Le Kulturladen est une contribution politico-culturelle
concrète pour résoudre les problèmes de développement des villes. […] Le Kulturla-
den relie le public, la culture et l’art : il ne se trouve pas en opposition aux institutions
culturelles existantes […] mais comme un pendant important ; il légitime ces
institutions, en les rendant plus accessibles qu’avant, donc en démocratisant l’art et
la culture61. »
La « nouvelle politique culturelle » fut surtout une politique culturelle commu-
nale, orientée vers une démocratisation de la culture avec, pour objectif, de cultiver
et d’éduquer62. C’est sur ces bases que fut créée en 1976 la Société pour la politique
culturelle (Kulturpolitische Gesellschaft), qui se développa à partir des colloques de
l’académie évangélique Loccum. Cette société, au sein de laquelle on retrouvait les
acteurs de la nouvelle politique, devint rapidement un lieu de rencontre pour les
hommes politiques de tous horizons concernés par la politique culturelle et pour les
théoriciens de la socioculture et de la nouvelle politique. en 1993, elle comptait
1 300 membres individuels et 150 membres institutionnels. elle défendait les
objectifs de la nouvelle politique culturelle – faciliter le lien entre le monde esthétique
de l’esprit et la réalité du quotidien, l’éclosion des possibilités sociales, communica-
tives et esthétiques de tous les citoyens et le soutien d’une offre culturelle alternative
au-delà de l’offre culturelle traditionnelle. en même temps, elle cherchait à accélérer
la recherche culturelle en RfA et à y promouvoir les expériences internationales dans
le domaine de la politique culturelle63.
L’engagement pour une « nouvelle politique culturelle » conduisit à une augmen-
tation massive des dépenses des communes, mais également de celles des Länder et
de la fédération. Cette évolution se poursuivit jusqu’au milieu des années 1980 et
durant cette période une certaine réorientation de la politique culturelle se manifesta.
Mais la situation budgétaire devint précaire, les perspectives économiques des
institutions culturelles se trouvèrent remises en question, de nouvelles formes de
partenariat public/privé furent étudiées : Gerhard Schulze a qualifié la politique de
cette période comme « imprégnée par le motif économique » (ökonomiemotiv64). en
60. Hilmar Hoffmann, »Bibliothek der Zukunft: Mediathek«, dans Hilmar Hoffmann (dir.), perspekti-
ven kommunaler Kulturpolitik, francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1974, p. 372-384, ici p. 378.
61. Hermann Glaser, Karl-Heinz Stahl, Die Wiedergewinnung des Ästhetischen, perspektiven und Modell
einer neuen Soziokultur, München, Juventa-Verlag, 1974, p. 237-241.
62. Au sujet de la transformation de la politique culturelle à francfort-sur-le-Main entre 1960 et 1973,
voir Johanna elisabeth Chromik, Kulturpolitik in der Bundesrepublik Deutschland von 1960 bis 1973, ea-
terpolitik in Frankfurt am Main, Leipzig, 2004 (Magisterarbeit).
63. W. Heinrichs, A. Klein, Kulturmanagement von A bis Z…, op. cit., p.164.
64. G. Schulze, Die erlebnisgesellschaft…, op. cit., p. 499.
41
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effet, les espoirs et les projets en matière de sponsoring étaient peu réalistes et le
financement privé des événements culturels n’a pas abouti sous cette forme.
Cependant, la ligne de partage entre la culture d’un côté et le marché, l’argent et les
médias de l’autre fut franchie. Les événements culturels publics se virent attribuer
une grande importance pour le marché du travail et pour le rayonnement national
voire international. À partir du milieu des années 1980, moment où Albrecht Göschel
date le début de la société de l’événement65, sont soulignées la rentabilité du secteur
artistique et culturel ainsi que l’importance de la culture pour l’image de la ville.
Dans les grandes villes, mais aussi dans les villes plus petites66, l’offre culturelle fut
considérée de plus en plus comme facteur de mobilité régionale et d’amélioration
des infrastructures de l’habitat urbain67. Cela conduisit également à une « mise en
festivals » de la culture urbaine, qui conduisit à un boom de fêtes urbaines, de jeux
estivaux, de festivals, etc.68.
65. Voir A. Göschel, K. Mittag, T. Strittmatter, »Ziele und Konzepte der neuen Kulturpolitik«, art. cité,
p. 21-54.
66. Pour les petites villes, voir Christian Groh, »Kulturpolitik in Kleinstädten der Bundesrepublik
Deutschland«, dans Clemens Zimmermann (dir.), Kleinstadt in der Moderne, Ostfildern, orbecke, 2003,
p. 139-156.
67. Voir à ce sujet Jutta Schulze, Bernd Vorjans (dir.), Hauptstadt und Umland, Kulturpolitik in der Groß-
region. ein Vergleich zwischen Deutschland und Frankreich, Berlin, Stiftung für Kulturelle Weiterbildung
und Kulturberatung, 1994.
68. Hartmut Häußermann, Walter Siebel, Neue Urbanität, francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1987 ; id.,
»Die Politik der festivalisierung und die festivalisierung der Politik«, dans Hartmut Häussermann, Walter
Siebel (dir.), Festivalisierung der Stadtpolitik, Stadtentwicklung durch große projekte, Opladen, Westdeutscher
Verlag, 1993, p. 7-31.
69. O. Schwencke, »Kulturpolitik im Spektrum der Gesellschaftspolitik«, art. cité, p. 9.
42
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Avec le chancelier Kohl s’instaurèrent les premiers efforts pour renforcer le rôle
de la politique culturelle fédérale. L’État fédéral lança la création de musées et de
halls d’exposition comme le Deutsches Historisches Museum à Berlin en 1987, le Kunst-
und Ausstellungshalle der Bundesrepublik Deutschland à Bonn en 1992 et la Haus der
Geschichte der Bundesrepublik Deutschland à Bonn également en 1994. il soutint aussi
les travaux scientifiques qui avaient pour mission de définir sous quelle forme il
pourrait s’engager plus fortement dans le domaine de la politique culturelle et
comment on pourrait justifier cet engagement. en 1989, Karla fohrbeck et Andreas
Wiesand publièrent une étude dans laquelle ils demandaient que soient tirées les
conséquences des évolutions à l’échelon européen et développées les activités de
politique culturelle au niveau de la RfA70.
La réunification mit à l’épreuve l’État fédéral d’une manière très particulière car
la réorganisation de la politique culturelle centraliste de la RDA due à la création de
cinq nouveaux Bundesländer fit que la fédération se trouva en face d’immenses
problèmes de financement et de coordination. Les institutions culturelles furent trans-
férées aux Länder et aux communes. Sur la base de l’article 35 du contrat de réunifica-
tion, différents programmes fédéraux furent lancés dans le cadre desquels 2,8 milliards
de Deutsche Mark furent mis à disposition entre 1991 et 1993 pour aider financière-
ment à la restructuration culturelle dans les nouveaux Länder71. Certains établisse-
ments culturels furent incorporés dans le système de subventions fédérales aux
institutions culturelles significatives au niveau fédéral : à Berlin, l’opéra Unter den
Linden (Staatsoper), le théâtre allemand, le Schauspielhaus, l’opéra comique, le Berliner
ensemble et les institutions de la fondation des biens culturels prussiens, à Weimar
la fondation du classicisme de Weimar, à Dessau la fondation du Bauhaus, et aux
institutions culturelles des Slaves sorabes. Le financement de transition ne pouvant
être limité aux quatre années initialement prévues, la question d’un engagement plus
important de l’État fédéral fut tout particulièrement discutée72.
il ne s’agissait pas seulement de mettre en œuvre des mesures concrètes liées à la
situation particulière de la réunification. en effet, une question prit une grande place
dans la société allemande et fut l’objet d’une vive controverse : comment traiter les
institutions culturelles de l’ancienne RDA ? L’État fédéral avait défini ses responsabilités
en matière de culture à partir du moment où était signé le traité de l’unification. La
réunification permit alors de prendre conscience qu’elles concernaient les domaines
politique, juridique et administratif. Élisa Goudin, qui a pour thème de recherche
la politique culturelle en Allemagne, voit l’influence de la RDA dans la définition de
cette responsabilité car, si les structures de cette partie furent refusées en bloc, les
70. Karla fohrbeck, Andreas Wiesand, Von der Industriegesellschaft zur Kulturgesellschaft? Kulturpolitische
entwicklungen in der Bundesrepublik Deutschland, Munich, Beck, 1989.
71. A. Klein, Kulturpolitik. eine einführung…, op. cit., p. 111.
72. Au sujet de la discussion sur la nouvelle orientation de la politique culturelle après la réunification,
voir Élisa Goudin, les Inflexions de la politique culturelle allemande après l’unification à l’exemple de la ville
de Leipzig 1990-1998, thèse de doctorat de l’université de Paris, Sorbonne nouvelle, 2002. p. 447-450.
Du même auteur : Culture et action publique en Allemagne : l’impact de l’unification (1990-1998), Paris,
Connaissances et savoirs, 2005.
43
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acteurs de la politique culturelle qui venaient des nouveaux Länder apportèrent, eux,
l’idée qu’une responsabilité politique pour la culture incombait à l’État et que la
décentralisation était une reculade de l’État vis-à-vis de ses devoirs73. Cette conception
attira l’attention de la RfA où s’était développée, depuis les années 1970, une politique
culturelle engagée et active, qui avait le projet d’intégrer la société à l’aide de moyens
culturels.
il apparut en outre qu’à l’occasion de la construction de l’Union européenne, les
européens avaient davantage abordé les questions de politique culturelle européenne,
particulièrement dans le domaine des médias. Or la RfA, au contraire d’autres pays
européens, n’était pas représentée, comme le souligna Jack Lang, le ministre français
de la Culture : « Un ministre de la Culture allemand simplifierait à mon avis bien
des choses, pour l’Allemagne elle-même ainsi que pour ses partenaires […] À l’époque
de la vaste circulation et de la communication déréglementée, la conscience fière de
particularités bavaroises, rhénanes ou nord-allemandes ne suffit plus face au standard
d’une culture de masse mondiale. Les partenaires européens n’auraient pas à craindre
une position allemande plus soutenue dans le domaine culturel, au contraire. Les
Goethe-Institute réalisent un travail admirable. Un ministre de la Culture fédéral
pourrait prêter un visage et une voix à une vision nationale, qui devait aller au-delà
des différences entre les Bundesländer74. »
Avec la prise du pouvoir en 1998 par une coalition « sociaux-démocrates et verts »,
conduite par Gerhard Schröder, aboutissait l’évolution de la politique culturelle
ébauchée depuis la fin des années 1980 qui avait vu le rôle de la fédération amplifié
dans ce domaine. Par un décret du 27 novembre 1998, le chancelier socio-démocrate
G. Schröder créa le poste de responsable du gouvernement fédéral dans les affaires
de la culture et des médias (Beauftragter der Bundesregierung für Angelegenheiten der
Kultur und Medien) qui fut transformé en février 1999 en ministre d’État pour les
Affaires de la culture et des médias (Staatsminister beim Bundeskanzler für Angelegen-
heiten der Kultur und Medien) avec des responsabilités politico-culturelles. il obtint
des autres ministres les compétences en matière de culture, de médias, d’économie
cinématographique, d’édition et de subventions pour la culture dans la capitale. Pour
chacun de ces secteurs, les services correspondants furent transférés du ministère de
l’intérieur, de l’Économie et de la Construction vers la section culture et médias,
dirigée par le ministre d’État75. Cependant, certaines compétences ne changèrent pas
de main : la politique culturelle étrangère resta au ministère des Affaires étrangères,
la préservation de l’héritage culturel au ministère de l’intérieur, la formation des
métiers artistiques au ministère pour la formation et la Science76. en 1998, le comité
pour la culture et les médias du Bundestag, dont le domaine d’exercice comprenait
à côté du domaine de compétence du ministère d’État à la Culture aussi la politique
44
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77. Deutscher Kulturrat, Lobbyarbeit für die Kultur, Jahresbericht des Deutschen Kulturrats, mai 1998-avril
1999, p. 7.
45
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et l’ancienne RfA, fut conçue une politique culturelle qui avait pour finalité
d’encourager l’intégration nationale dans le cadre européen et, dans ce modèle, les
particularités régionales ont toujours une légitimité.
Bilan
Dans la période d’entre les deux guerres, une politique culturelle active et
publique fut créée en Allemagne, mais la discussion politique s’en empara aussitôt.
La politique culturelle pluraliste démocratique, soutenue par les libéraux et les socio-
démocrates, s’opposa rapidement à des concepts idéologiques de politique culturelle
organisés de manière unilatérale. Les nationaux-socialistes instrumentalisèrent et
centralisèrent les modèles nouveaux créés sous la République de Weimar. Le KPD/SeD,
animé par la puissance d’occupation soviétique, a perfectionné une politique et une
gestion culturelles centralisées, avec l’objectif d’initier une nouvelle culture populaire,
mais elle échoua en raison des contradictions inhérentes au projet.
Le modèle centraliste de politique culturelle mis en œuvre dans les régimes
allemands autoritaires dictatoriaux a été traité par les acteurs de la RfA par le retour
au fédéralisme, lequel devait lutter contre une instrumentalisation de la politique à
des fins politiques. Toutefois, les services culturels créés par les nationaux-socialistes
au niveau communal ne furent pas remis en question. Avec le rétablissement d’une
politique culturelle libérale et passive, la tentative de la République de Weimar
d’organiser et de démocratiser la société à travers la culture prenait fin et ce n’est que
depuis la fin des années 1960 qu’on renoua avec elle. Cependant, les protagonistes
de la « nouvelle politique culturelle » déclarèrent être en réalité les inventeurs de la
politique culturelle démocratique, et ce ne serait que depuis les années 1960 qu’aurait
été initiée « une politique culturelle engagée de manière consciente vis-à-vis des
principes démocratiques, accordant un plus grand poids aux fonctions sociales de
l’art78 ».
finalement, avec la réunification allemande, le rôle de la culture et de la politique
culturelle a été de nouveau inscrit à l’ordre du jour pour l’intégration nationale.
Certes, le ministère d’État allemand à la Culture et aux Médias n’était pas,
contrairement au ministère de la Culture français, le résultat d’un centralisme
politique, néanmoins, comme en 1959 en france, il réagit à une situation où la
cohésion nationale devait être renforcée. Voilà pourquoi, avec la création du ministère
d’État à la Culture, on ne mit pas le cap sur une République fédérale plus centraliste.
Une politique culturelle nationale vraiment active fut mise en place en Allemagne,
qui avait pour objectif de favoriser une identité nationale nouvelle chez les Allemands
à travers une politique culturelle cohérente, comme leur était apparue la politique
culturelle de la france. Ce qu’exprima Julian nida-Rümelin, le deuxième ministre à
la Culture de la République fédérale : « L’élément essentiel du fédéralisme de la
République fédérale est le fédéralisme culturel. Les compétences dans le domaine
78. Hilmar Hoffmann, Dieter Kramer, »Kulturpolitik und Kunstpflege«, dans Günter Püttner (dir.), Hand-
buch der Kommunalen Wissenschaft und praxis, Berlin, Springer, 1983, vol. 4, p. 226.
46
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culturel, que la loi fondamentale attribuait ex negativo aux Länder, étaient essentielles
pour son identité et sa légitimation. L’Allemagne ne se divise cependant pas en
régions. L’Allemagne n’est pas une union d’États indépendants. L’Allemagne est sans
aucun doute – en dépit de toutes ses caractéristiques fédérales – un État national.
[…] Le domaine d’action politique de l’État national a sans aucun doute aussi une
dimension culturelle79. »
Le soutien à la culture était de manière sûre l’impulsion principale pour la mise
en place d’un ministre d’État à la Culture et aux Médias. La place accordée au soutien
de la culture à l’est dans les bilans du premier ministre d’État en fut une preuve
éclatante80. Une fois qu’il fut mis en place, le ministre élabora des objectifs pertinents
pour toute la nation : une politique culturelle fédérale transparente, discutée de
manière publique, une représentation efficace des principes allemands lors de
l’élaboration d’une politique culturelle européenne et une responsabilité acceptée
pour la démocratisation de la culture81. L’amendement de la loi pour l’assurance
sociale des artistes en l’an 2000 et la création de la fondation de culture nationale
fédérale en 2002 en étaient des signes clairs.
47
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Katya JohAnSon*
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principalement des citoyens passionnés par les arts et qui avaient créé des organismes
philanthropiques destinés à lever des fonds pour des formes artistiques particulières.
Ils nourrissaient d’ambitieux projets de mise sur pied d’organisations culturelles
nationales mais les résultats concrets furent maigres parce que les autorités
gouvernementales considéraient que la culture ne constituait pas un domaine propice
à une action des pouvoirs publics. Cette conception commença à évoluer dans les
années 1960. Depuis le boom du financement artistique de cette décennie jusqu’aux
années 1980, la politique culturelle publique fut principalement l’œuvre d’organismes
de droit public chargés de répartir les fonds publics et de conseiller le gouvernement
fédéral dans ces matières. La politique culturelle mettait alors avant tout l’accent sur
les arts « nobles » comme l’opéra, le ballet et le théâtre, en raison du manque
d’enthousiasme du marché à soutenir par ses investissements ces formes artistiques.
Depuis les années 1980, la politique culturelle s’est centrée de plus en plus sur la
création d’industries culturelles. La reconnaissance de l’importance économique de
la culture australienne s’est renforcée et le département ministériel compétent au
niveau fédéral s’est donc davantage préoccupé de politique culturelle.
Ce chapitre identifie trois thèmes persistants et liés entre eux dans l’histoire de
la politique culturelle australienne. Tout d’abord, le processus de décision politique
en matière culturelle a été considérablement influencé par une forme d’anxiété relative
à l’identité culturelle de l’Australie dans un contexte international. La perception
d’un impérialisme culturel et le sentiment que le pays constituait un désert culturel
ont été fréquemment invoqués comme des éléments justificatifs d’une politique
culturelle. Cette anxiété est nourrie par le sentiment que l’Australie – un pays doté
d’un héritage principalement européen, situé à l’est de l’Asie, et accueillant un
nombre croissant d’immigrants provenant de pays non européens – est dépourvue
d’identité culturelle. Le déséquilibre entre le statut international et le statut local des
arts indigènes a également contribué à cette anxiété. Les arts plastiques indigènes
sont peut-être la forme culturelle australienne la plus internationalement reconnue
et cette reconnaissance a eu des effets économiquement et culturellement favorables
sur le bien-être de nombreuses communautés indigènes isolées2. Mais le niveau de
compréhension et d’appréciation des arts indigènes de la part des Australiens est
relativement faible. on peut affirmer que les cultures indigènes restent marginales
dans l’identité australienne ; très peu d’Australiens non indigènes apprennent les
langues indigènes, par exemple. La nécessité de tenir compte du statut international
des arts indigènes et de la faible connaissance de ces cultures au niveau local crée une
tension permanente dans le processus de décision politique en matière culturelle.
La politique culturelle a également été influencée par une évolution dans la
compréhension de la relation entre politique économique et politique culturelle. Le
chapitre décrit l’influence du keynésianisme sur les politiques culturelles naissantes
des années 1940, le passage d’une politique protectionniste à une politique plus
ouverte aux échanges dans les années 1970, l’influence de la mondialisation du
2. J. Altman, G. Buchanan et n. Biddle, “Measuring the `Real´ Indigenous Economy in Remote Aus-
tralia Using nATSSIS 2002”, Australian Journal of Labor Economics, vol. 9, no 1, mars 2006, p. 17-31.
50
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commerce sur la politique dans les années 1990 et les alliances commerciales dans
les années 2000. Chacun de ces « moments » dans les relations entre politique
culturelle et politique économique a influencé à la fois le statut et la place de la
politique culturelle dans la gouvernance au sens large et les objectifs spécifiques des
politiques culturelles.
Le troisième thème, étroitement lié aux deux autres, est celui de l’analyse politique
de la politique culturelle : comment déterminer le rôle et les limites de la politique
culturelle en fonction de nos conceptions du rôle d’un gouvernement dans une
démocratie libérale et compte tenu des évolutions démographiques de la société
australienne. Ce thème apparaît de manière évidente dans la position réitérée des
gouvernements de l’après-guerre selon laquelle la culture ne constituait pas un sujet
approprié pour une intervention des pouvoirs publics, mais aussi dans l’accent mis
de manière intransigeante sur les arts « nobles », qui a caractérisé la politique culturelle
durant la période de soixante ans étudiée ici ; il apparaît également dans la remise en
cause grandissante de cette priorité depuis les années 1980, et dans la question
lancinante de la manière de répondre aux besoins culturels des artistes et des
communautés indigènes. De manière générale, l’implication des gouvernements
fédéraux dans le financement public des arts est restée ambivalente jusqu’aux années
1990 et le niveau des subventions publiques est demeuré historiquement bas. Craik
relève qu’il s’agit d’un trait caractéristique des anciennes colonies britanniques de
peuplement, alors que dans le nord de l’Europe et au Royaume-Uni, les dépenses
tendent à être plus élevées3. Craik note également que dans les pays où la politique
culturelle est confiée à des organismes opérant de manière indirecte, comme c’est le
cas en Australie, le niveau de l’engagement public en faveur de la culture tend à être
moindre par rapport aux pays où le gouvernement finance directement des activités
culturelles4.
Les catégories décrites ci-dessus ont permis d’identifier les influences idéologiques
sur la politique culturelle australienne, mais il existe aussi des influences et des
contraintes pragmatiques dont les plus importantes sont la pression née de moyens
financiers limités face à des demandes toujours plus grandes de la part des organisa-
tions culturelles, et l’essor depuis la Deuxième Guerre mondiale des technologies des
communications et leurs relations avec la culture.
1945-1949
Les gouvernements fédéraux n’ont assumé que peu de responsabilités en matière
de politique culturelle avant les années 1960. Il n’existait avant la Deuxième Guerre
mondiale que deux organismes alimentés par des fonds publics et œuvrant en faveur
des arts : le fonds littéraire du Commonwealth (Commonwealth Literary Fund ou CLF)
et la Commission australienne de radiodiffusion (Australian Broadcasting Commission
51
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ou ABC). Le CLF avait été créé en 1908 pour fournir une modeste pension à un petit
nombre d’écrivains et à leurs familles en proie à des difficultés financières5. L’ABC a
été constituée en 1939 pour produire des programmes de radiodiffusion et plus tard
de télévision, et elle a permis la création de six orchestres au niveau des États.
Toutefois, durant les dernières années de la Deuxième Guerre mondiale, la valeur
de l’intervention des pouvoirs publics en faveur de la culture fut mieux reconnue.
Le ministère fédéral de la Reconstruction fut le théâtre de débats et de réflexions sur
les services culturels que pourrait offrir le gouvernement d’après-guerre. Des
fonctionnaires, des intellectuels et des hommes d’affaires avancèrent des idées sur les
formes que pourrait prendre ce soutien public à la culture. Ils imaginèrent un conseil
culturel ayant la responsabilité d’un certain nombre d’activités, notamment d’une
compagnie itinérante des arts de la scène, d’expositions itinérantes, de centres
communautaires, d’initiatives dans les domaines des beaux-arts et des arts appliqués
et de la littérature, d’un théâtre national et d’un conseil national du film.
Aujourd’hui, avec le recul, les arguments en faveur d’un soutien des pouvoirs
publics aux arts et à la culture, avancés par les responsables chargés de la reconstruc-
tion immédiatement après la guerre, apparaissent étonnamment riches : ils traduisent
les préoccupations politiques et sociales de l’époque, qui concernaient dans une large
mesure la place de l’Australie dans le monde de l’après-guerre. Elles exprimaient par
exemple de manière insistante la nécessité de voir l’Australie proposer à ses citoyens
les attractions culturelles que les pays communistes comme l’URSS offraient à leur
population, afin d’empêcher que les Australiens soient trompés par les promesses du
communisme : « notre opposition aux bases idéologiques du développement culturel
soviétique ne doit pas nous conduire à négliger les leçons que nous pouvons en tirer »,
écrivait ainsi un partisan d’une intervention accrue en matière culturelle, qui ajoutait :
« La vie artistique se prête bien davantage à une organisation qu’on ne le croit
généralement6. » La politique culturelle pourrait également, selon ses partisans,
contrer les effets « dégradants » des divertissements américains et la domination
culturelle créée par ces divertissements. Dans cette perspective, si les bandes dessinées,
les films et plus tard les programmes de télévision venus des États-Unis apparaissaient
comme un danger pour les habitudes et le style de vie à l’australienne, le théâtre, le
cinéma et la musique pouvaient en revanche, et grâce aux fonds publics, renforcer
le caractère national7.
La politique économique de la période inspirait également les demandes en faveur
d’une politique culturelle plus interventionniste : les plans favorables à un large
financement public des institutions culturelles reposaient en grande partie sur
l’adhésion largement répandue à la théorie économique keynésienne. En imaginant
un conseil culturel, les partisans de cette politique pensaient au tout nouveau Conseil
des arts de Grande-Bretagne (Arts Council of Great Britain), créé en 1946. Raymond
Williams a prétendu que ce conseil était une institution keynésienne : non seulement
6. Cultural Council and national eatre Papers, Manuscripts, national Library of Australia.
7. Voir R. Waterhouse, “Popular Culture”, dans P. Bell et R. Bell, Americanization and Australia, Sydney,
UnSW Press, 1998, p. 45-60.
52
Poirr-02-Australie:Poirrier-International 1/06/11 18:45 Page 53
John Maynard Keynes joua un rôle central dans la création du conseil, mais l’action
de cet organisme reposait sur quatre piliers qui reflétaient la théorie économique
keynésienne : mécénat public, rôle de relance des organisations artistiques, interven-
tion sur le marché pour éviter les distorsions « indésirables » et développement de la
culture populaire pour procurer « courage, confiance et occasion d’expérience8 ». En
Australie, la théorie économique keynésienne n’a pas constitué une motivation directe
de la campagne en faveur des activités culturelles, mais elle a constitué un élément
important du contexte politique qui a fourni les conditions préalables à cette
campagne. on a pu compter parmi les partisans d’une politique culturelle plus ambi-
tieuse plusieurs économistes keynésiens, dont Richard Downing et h. C. ‘nugget’
Coombs. L’accent mis par le keynésianisme sur la contribution des travaux publics
pour stimuler l’économie a conféré une légitimité à la dépense publique en faveur
des institutions culturelles. Comme le déclarait Richard Downing en 1938, « le
keynésianisme en est venu à remettre en cause la vertu que l’on attachait à la
limitation des dépenses9 ».
Sur le plan politique, les politiques culturelles envisagées devaient être inspirées
par des processus démocratiques. Leurs partisans mettaient l’accent sur les besoins
culturels et l’apport de « l’homme de la rue » : il fallait donc que ces politiques privilé-
gient les éléments qui touchent davantage les gens, comme les expositions artistiques
dans des entreprises et les festivals municipaux, plutôt que l’activité des professionnels
du secteur10. La politique culturelle, dans la perspective de ces « reconstructeurs »,
devait être formulée en intégrant cet apport démocratique : « Les groupes, les
organisations et les communautés peuvent élaborer leurs plans, établir des comités
communautaires, [et] former leurs membres sur la base des besoins de la
communauté11. »
À court terme, les plans progressistes ambitieux de ce petit groupe de militants
ne parvinrent pas à se concrétiser. Conscient de la sensibilité de l’électorat à la ques-
tion des dépenses publiques, le Premier ministre Ben Chifley rejeta l’idée d’un conseil
culturel et d’un théâtre national et lorsque, en 1949, le gouvernement conservateur
de Robert Menzies fut mis en place, il apparut rapidement et de manière évidente
que ce gouvernement ne soutiendrait pas une institution culturelle nationale financée
par des fonds publics et poursuivant les objectifs ambitieux que ses partisans avaient
définis12.
8. R. Williams, “Politics and Policies: the Case of the Arts Council”, dans e Politics of Modernism: Against
the new Conformists, Londres, Verso, 1989, p. 143.
9. Cité dans n. Brown, “Mr Downing Does his Best Work in a Rose Garden: An Economist in Can-
berra in the 1940s”, Canberra Bulletin of Public Administration, no 80, septembre 1996, p. 37.
10. Ross, dans Ross Papers, Manuscripts, national Library of Australia, 14 octobre 1944.
11. Dedman, news Release, dans Ross Papers, Manuscripts, national Library of Australia, n.d.
12. h. C. Coombs, Trial Balance, Melbourne, Macmillan, 1981, p. 218.
53
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1950-1968
À défaut d’une organisation culturelle nationale publique, les partisans les plus
déterminés d’une politique culturelle publique créèrent une organisation philanthro-
pique nettement plus appropriée au climat conservateur des années 1950 : l’Australian
Elizabethan eatre Trust (AETT). Même s’il s’agissait d’un organisme privé, sans
intervention directe des pouvoirs publics, cela vaut la peine d’en parler ici, pour deux
raisons : cette instance reflète le contexte politique et culturel dans lequel elle fut
créée et elle a joué un rôle dans la naissance de nombreuses sociétés qui opèrent
encore aujourd’hui dans le domaine des arts de la scène et qui sont devenues plus
tard des organismes publics : une société nationale d’opéra (1956), une compagnie
nationale de ballet (1962) et, en collaboration avec l’université de nouvelle-Galles
du Sud, l’Institut national d’art dramatique (national Institute of Dramatic Art, 1958).
L’AETT mit surtout l’accent sur les arts « nobles » européens, reflétant ainsi les
tendances culturelles et politiques dominantes des années 1950 et 1960. Le
gouvernement Menzies, sous lequel il fut établi, gouverna pendant dix-sept ans de
croissance économique forte. L’Australie de l’époque Menzies est considérée comme
un pays qui connaît le succès économique mais un appauvrissement sur le plan
culturel. Cet appauvrissement est souvent attribué à une attitude qualifiée par Arthur
Phillips en 1950 de « soumission culturelle » : l’incapacité des Australiens à échapper
à des comparaisons oiseuses entre leur propre culture et celle des Britanniques selon
une habitude qui a effectivement paralysé le développement culturel national13. En
ne s’affranchissant pas de cette « soumission culturelle », l’AETT a donné l’impression
que la culture était une valeur dont l’Australie était dépourvue mais que l’Europe
possédait. Pour « fournir des exemples d’excellence et établir des critères de
comparaison », l’AETT a cherché à faire venir en Australie « des compagnies et des
artistes individuels de niveau international14 ». Ses trois premiers directeurs généraux
furent des Européens : les deux premiers étaient anglais et le troisième autrichien.
Alors que le public australien se montrait étonnamment réticent face aux arts de la
scène, l’AETT et les compagnies formées par lui accrurent la part des productions
européennes au détriment des productions australiennes, en pensant que les
productions australiennes pâtissaient d’une réputation de médiocrité et faisaient fuir
le public15. L’AETT, en suivant le même raisonnement, réduisit également la part des
productions modernes ou expérimentales par rapport aux productions traditionnelles,
en dépit d’éléments prouvant que c’était l’inverse qui était vrai. C’est ainsi par exemple
qu’en 1957, le spectacle de Ray Lawler, summer of the seventeenth Doll, écrit et joué
par des Australiens dans la langue effectivement parlée en Australie, a connu un
immense succès, alors que dans le même temps, et en dépit des efforts déployés par
l’AETT, le public se montrait particulièrement tiède face à Shakespeare et à d’autres
spectacles classiques16.
54
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L’accent mis par l’AETT sur la mise en valeur des formes culturelles « nobles » de
provenance européenne était probablement le résultat de ses impératifs en matière
de financement. Il fallait avant tout séduire un Premier ministre anglophile qui, selon
son biographe, ne manifestait pas d’intérêt particulier pour les arts en dehors de la
marque de distinction sociale qu’ils pouvaient conférer17. La forme et le caractère de
l’Australian Elizabethan eatre Trust correspondaient parfaitement aux conceptions
de Menzies quant à ce que devait être une bonne gouvernance démocratique. Menzies
avait utilisé l’exemple de l’art pour évoquer le risque d’un contrôle gouvernemental
excessif : « Prenons le cas de la littérature et des beaux-arts : pourraient-ils survivre
en tant que ministère ? Sommes-nous prêts à n’éditer nos poètes qu’en fonction de
leur couleur politique ? La vérité est qu’aucun grand-livre n’a jamais été écrit et
qu’aucun grand tableau n’a jamais été peint de manière mécanique ou selon les règles
de la fonction publique : ces œuvres sont créées par un homme, pas par des
hommes18. »
L’AETT avait été fondé en réunissant des intérêts privés et publics. Il avait la forme
d’une entreprise privée, lancée principalement par des hommes d’affaires,
apparemment pour permettre à des citoyens de concrétiser leur intérêt pour le
domaine culturel en effectuant des dons prélevés sur leurs propres ressources. En tant
que tel, l’AETT semblait donc échapper à toute intervention directe des pouvoirs
publics et il ne correspondait pas à un engagement ou à un financement officiel et
durable de la part du pouvoir politique. Cette situation était conforme à l’approche
privilégiée par Menzies quant à la question du soutien public à la vie artistique.
Toutefois, vers le milieu des années 1960, l’AETT fut la cible de critiques lui
reprochant son manque de représentation démocratique. Ces critiques dénonçaient
un parti pris en faveur d’une « culture du théâtre » nationale artificielle, au lieu de
privilégier une culture authentique et diversifiée : l’AETT n’était donc pas représentatif
du public australien19.
on avait pourtant pu observer déjà quelques exceptions contredisant l’impression
que l’AETT ignorait la diversité culturelle de l’Australie au profit de reproductions
choisies de formes « nobles » de la culture européenne. E. M. Tildesley, par exemple,
estimait qu’avant la colonisation, les indigènes australiens étaient parvenus à réaliser
« une expression démocratique authentique de leur conscience collective dans leur
corroboree, à un niveau que nous, qui les avons supplantés, nous ne pouvons pas
encore envisager20 ». Dans une certaine mesure, l’AETT s’était également montré
ouvert à une reconnaissance de la position régionale de l’Australie. Dans les années
55
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1950, par exemple, il avait caressé l’idée de mettre sur pied des tournées de
compagnies australiennes qui auraient présenté leurs spectacles dans « certains centres
de pays asiatiques amis », ce qui pourrait constituer une « propagande précieuse en
faveur de notre pays21 ». Ce projet reflétait la prise de conscience grandissante, de la
part des Australiens, des opportunités que l’Asie offrait à la nation et à l’économie
du pays : entre 1959 et 1966, par exemple, la part du marché à l’exportation
représentée par le Japon était passée d’environ 13 % à 16 %, alors que celle du
Royaume-Uni tombait de plus de 30 % à 17 %22. Les liens de l’Australie avec
l’ancienne puissance coloniale commençaient à se relâcher.
Le plus grand succès remporté par l’AETT remonte à la fin des années 1960,
lorsque « le soutien financier du gouvernement à la vie artistique cessa d’être considéré
comme un flirt avec le socialisme23 ». L’AETT a joué un rôle pionner indispensable
avant les politiques culturelles sur grande échelle, longtemps attendues et menées à
la fin des années 1960 et durant les années 1970. Il a en effet recommandé au
gouvernement la création du Conseil australien pour les arts (Australian Council for
the Arts), en le présentant comme une « première étape dans le développement d’un
soutien accru en faveur des arts24 ».
1968-1975
La fin des années 1960 et le début des années 1970 marquèrent un tournant dans
le développement d’une politique culturelle. Comme le Royaume-Uni et le Canada,
et en se basant sur l’avis fourni par l’AETT, le gouvernement holt, une coalition
conservatrice réunissant les libéraux et le Parti national, institua un conseil de
financement et de consultance plutôt que d’accorder une place à un ministère chargé
de déterminer la politique de la culture. Le Conseil australien pour les arts avait
commencé à conseiller le gouvernement et à octroyer des subventions en 1967, avant
d’être constitué en tant qu’organisme de droit public en 1975. La Société pour le
développement du cinéma australien (Australian Film Development Corporation), qui
deviendra plus tard la Commission cinématographique australienne (Australian Film
Commission ou AFC), fut dotée d’un budget d’un million de dollars australiens en
1970 et devint une agence gouvernementale fédérale (Commonwealth government
agency) en 1975.
Ces organismes avaient été conçus comme des organes de droit public : leur
pouvoir de décision quant à la manière de répartir les fonds devait être indépendant
du gouvernement. Le Conseil australien pour les arts, par exemple, opérait de manière
autonome par rapport au gouvernement et sur la base d’un examen par les pairs, ce
21. hunt, “Memo of the AETT”, dans Latham Papers 1957, Manuscripts, national Library of Australia.
22. R. Maddock, “e Long Boom 1940-1970”, dans R. Maddock et I. W. McLean (eds), e Austra-
lian Economy in the Long Run, Melbourne, Cambridge University Press, 1987, p. 91.
23. R. Waterhouse, “Lola Montez and high Culture: e Elizabethan eatre Trust in Post-War Austra-
lia”, Journal of Australian studies, no 52, 1996, p. 148-158.
24. Australian Elizabethan eatre Trust (AETT), “Australian Council for the Arts: Establishment”, held
by national Archives of Australia, Canberra, Annual Report, 1967.
56
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qui signifie que les demandes de subventions étaient examinées par des artistes et
d’autres parties désignées plutôt que par des fonctionnaires publics. Pour mener à
bien son action, le Conseil (Council) était constitué de sept conseils (Boards) spécialisés
dans les politiques relatives à la littérature, au théâtre, à la musique, aux arts plastiques,
à l’artisanat, aux arts indigènes, au film et à la télévision25. De même, l’AFC prenait
ses décisions en matière de subventions indépendamment du gouvernement et
représentait « l’autorité finale dans les choix politiques26 ». Elle était constituée de
cinq branches : projet, marketing, film Australie (Film Australia), secrétariat du
développement et développement de la création (secretary’s and Creative Development).
Le gouvernement Whitlam, travailliste, (1972-1975) fut le premier à assumer la
responsabilité d’une politique culturelle sur une grande échelle. En 1973, le nouveau
gouvernement octroya un budget de 14 millions de dollars au Conseil australien
pour les arts, soit une augmentation de près de 100 % par rapport à l’année précé-
dente27. Il existait néanmoins une continuité entre le gouvernement travailliste et ses
prédécesseurs conservateurs en ce qui concerne l’approche suivie : l’établissement de
Conseils (Boards) qui, à l’exception du Conseil pour les arts indigènes (Indigenous
Arts Board), étaient basés sur des formes artistiques plutôt que de viser à exprimer
les besoins culturels d’une communauté, et cela dans le but de renforcer le caractère
sacré de l’objectif d’« excellence » et la priorité accordée aux manifestations artistiques
coûteuses. En réponse à une demande de subventions aussi considérable qu’inatten-
due, le Conseil opta pour une politique de subventions ne retenant qu’un petit
nombre de compagnies et d’artistes d’élite plutôt que de répartir ses subventions
entre un grand nombre de demandeurs.
L’influence de l’AETT se reflétait dans le fait que les bénéficiaires des subventions
du Conseil étaient essentiellement les arts de la scène et les formes artistiques
« nobles » d’origine européenne. En 1973-1974, au cours des deux premières années
de fonctionnement des sept Boards, le eatre Board et le Music Board attribuèrent
ensemble 48 % des subventions du Conseil alors que les quatre autres Boards ne
disposaient que de 38 % de ces moyens : la priorité accordée par le Conseil à
l’exécution en public d’œuvres théâtrales ou musicales s’en trouvait ainsi réaffirmée.
La plus grande partie des subventions accordées par le eatre Board et le Music Board
concernait les formes artistiques et les grandes compagnies qui avaient déjà le plus
bénéficié des subventions publiques par le biais de l’AETT. Le Music Board consacra
57 % du total de ses subventions (950 000 dollars dans chaque cas) à l’Australian
Opera et à l’AETT en 1973-197428. La notion d’« excellence » comme préalable à toute
subvention, qui avait déjà guidé l’AETT et qui reposait sur des présupposés privilégiant
les formes d’art européennes, était donc renforcée.
Cette approche connut toutefois certaines exceptions. Le Comité des arts
communautaires (Community Arts Committee), (1973-1975), qui devint plus tard
57
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un conseil à part entière (1975-2004), fut créé au niveau du Conseil pour s’attaquer
aux inégalités au sein de la population en matière d’accès aux arts et de participation
artistique et pour financer les formes artistiques qui n’entraient pas dans les catégories
des Boards et par conséquent apparaissaient « administrativement et esthétiquement
problématiques » comme les festivals dans les communautés29. Ce Comité, plutôt
que de distribuer des subventions sur la base de l’évaluation par les pairs de l’« excel-
lence » esthétique, les répartissait en fonction des avantages pour la communauté, les
objectifs étant définis par des communautés spécifiques. Comme le souligne
hawkins, le mouvement des arts communautaires n’a pas ménagé sa peine pour
contester le faible nombre de bénéficiaires de la politique des arts avant les années
199030. Cependant, entre 1973 et 2004, année où cette institution fut supprimée,
les arts communautaires n’ont jamais bénéficié de plus de 5 % des subventions
annuelles du Conseil.
La générosité de la politique menée par le gouvernement Whitlam se fondait sur
la prospérité dont jouissait l’Australie lors de l’arrivée au pouvoir des travaillistes. Au
début des années 1970, l’Australie venait de vivre trente ans de prospérité sans
précédent. Le gouvernement Whitlam pouvait attribuer des fonds publics importants
à un domaine aussi éloigné des besoins habituels de l’État-providence que le domaine
artistique en raison du sentiment dominant selon lequel la prospérité que connaissait
le pays était durable. « Les socialistes n’ont plus à gérer la pénurie mais à programmer
l’abondance », avait déclaré Whitlam en 196631.
Mais en 1975 – dernière année au pouvoir du gouvernement Whitlam – la foi
dans la pérennité de la prospérité et la confiance qu’inspirait la politique de mécénat
du gouvernement avaient toutes deux commencé à s’effriter. La conjonction observée
au début des années 1970 d’une croissance économique médiocre et de taux de
chômage et d’inflation élevés mina la foi dans les théories keynésiennes et dans la
valeur de la politique australienne de tarifs douaniers élevés et elle conduisit de
nombreux économistes à préconiser une réduction des dépenses publiques dans le
but de lutter contre l’inflation. La confiance mise par l’opinion publique dans la
gestion économique assurée par l’État déclinait, et il en alla de même quant au rôle
accru assumé par les pouvoirs publics dans différents domaines, dont la politique
culturelle. Par conséquent, et parce que les subventions publiques servaient
essentiellement à aider des formes d’art élitistes, les politiques culturelles des années
1970 furent remises en cause aussitôt qu’elles eurent été établies.
Le choc du renversement économique que le pays était en train de vivre se fit
sentir dans le domaine de la politique culturelle au travers de l’action menée par la
Commission d’aide à l’industrie (Industries Assistance Commission ou IAC). En 1976,
la IAC publia un rapport sur l’aide apportée aux arts de la scène au niveau fédéral, et
qui montrait que la forme d’assistance qui sous-tendait la plus grande partie des
29. G. hawkins, From nimbin to Mardi Gras: Constructing Community Arts, Sydney, Allen & Unwin,
1993, p. 39.
30. Ibid.
31. Cité dans G. Freudenberg, A Certain Grandeur: Gough Whitlam in Politics, Melbourne, Macmillan,
1977, p. 77.
58
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politiques culturelles des pouvoirs publics – à savoir des subventions aux interprètes
des arts de la scène – constituait un moyen inefficace et peu démocratique
d’encourager les arts. Le rapport prônait un arrêt de ces subventions. En lieu et place,
le rapport affirmait que les subventions seraient mieux utilisées si elles permettaient
de renforcer la diffusion des arts auprès des populations australiennes (par le biais de
captations télévisées des performances scéniques, par exemple) et de favoriser une
plus grande demande en la matière. Deux ans plus tard, la IAC publia un rapport sur
les secteurs de la musique enregistrée et de l’édition et adressa des critiques analogues
à l’organisation de la politique culturelle appliquée dans ces secteurs32.
Les recommandations de la Commission en matière de financement des activités
artistiques traduisaient l’influence d’une philosophie politique nouvelle. La tâche
assignée à la Commission était de réexaminer et de contribuer au remplacement du
système australien de tarifs douaniers élevés par des formes d’aide à l’industrie qui
soient plus sensibles à la demande et à la logique économique. La Commission, en
insistant pour que les formes du soutien financier aux activités artistiques soient
flexibles et qu’elles répondent aux besoins des consommateurs, plutôt que des produc-
teurs, ainsi qu’aux changements technologiques, ne faisait que refléter la politique
industrielle en train d’émerger. La IAC reprochait à la politique de financement
culturel de déboucher sur des « distorsions créées par des choix politiques », qui
créaient un écart entre « les désirs d’une communauté tels qu’ils se manifestent sur
le marché » et « la réponse que leur donnaient les producteurs d’œuvres artistiques33 ».
La plupart des recommandations de l’IAC furent initialement rejetées par le
gouvernement, et le modèle selon lequel le gouvernement octroyait des fonds au
Conseil pour qu’il les distribue aux producteurs de réalisations artistiques demeura
la forme dominante de politique culturelle. on peut cependant voir dans la position
de l’IAC un signe avant-coureur des tendances majeures qui domineront la politique
culturelle au cours des trois décennies suivantes. Comme on le verra plus loin dans
ce chapitre, la politique culturelle connut une renaissance dans les années 1990. Les
organismes mis sur pied durant la période que l’on examine ici continuent toutefois
d’être les acteurs majeurs de la politique culturelle du début du xxIe siècle.
1975-1991
En 1975, les Australiens portèrent au pouvoir un gouvernement conservateur de
coalition entre le parti libéral et le Parti national, dirigé par Malcolm Fraser, et le
processus de réforme économique connut un sérieux coup d’accélérateur. Les
organismes culturels publics adoptèrent un profil bas pour échapper aux critiques de
l’opinion publique. L’engagement public dans le domaine de la politique culturelle
ne fut pas pour autant interrompu. Une initiative significative datant de cette période
fut l’introduction d’avantages fiscaux pour les investissements privés dans les
32. Industries Assistance Commission (IAC), e Music Recording Industry in Australia, Canberra, AGPS,
1978 ; id., Draft Report on the Publishing Industry, Canberra, AGPS, 1978.
33. IAC, Draft Report on the Publishing Industry, op. cit., p. vii.
59
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Dans un premier temps, ces réformes parurent devoir menacer les politiques
culturelles en place. Tant le gouvernement travailliste de hawke que l’opposition se
montraient ambivalents, voire hostiles, à l’encontre du Conseil australien, par
exemple. Le Comité de vigilance contre les gaspillages constitué par l’opposition
attaqua les programmes du Conseil, en affirmant que « tant de gens sont assis autour
comme des drogués qui attendent leur prochaine dose de subventions gouvernemen-
tales. Ces dépenses très considérables ont miné le sens de la responsabilité collective
qui constituait jadis une composante importante de la civilisation australienne36 ».
L’idée selon laquelle le financement public d’activités culturelles servait l’intérêt public
fut remise en cause par une autre conception, qui voyait dans les subventions
publiques une forme improductive d’aide sociale pour les artistes. Dans les années
1970, Malcolm Fraser, alors qu’il était Premier ministre, avait utilisé le terme péjoratif
de dolebludger (terme d’argot australien signifiant à peu près fainéant assisté) pour
désigner les bénéficiaires d’allocations de chômage37. Dans les années 1980, cette
stigmatisation sociale sembla s’étendre plus largement à tous les bénéficiaires de fonds
publics, y compris aux bénéficiaires de subventions pour activités artistiques.
Toutefois, les chefs de file du monde artistique parvinrent à démontrer que
l’investissement public dans la culture pouvait favoriser la réalisation des objectifs
économiques du gouvernement, et ils ont ainsi pu défendre le principe d’un finance-
ment public de la culture. Dans cette perspective, ils ont eu recours à l’expression
« industrie des arts » pour désigner les bénéficiaires du financement public mais aussi
pour souligner leur valeur. Les politiques gouvernementales de libéralisation du
marché et de coupes dans les secteurs publics étaient toutes deux axées sur la
croissance des exportations et l’accroissement de la capacité de réaction de l’Australie
aux évolutions des marchés internationaux. Donald horne, président de l’Australia
Council, défendit l’idée que le Conseil pouvait à la fois servir les intérêts de la réforme
de l’industrie et la croissance, et répondre aux exigences, en termes d’infrastructures
sociales, qui pouvaient contribuer à la réalisation de ces objectifs, comme l’éducation.
Il suscita ainsi pour les activités du Conseil l’intérêt d’un éventail remarquable de
ministres tels John Dawkins, le ministre de l’Éducation, John Button, le ministre de
l’Industrie, et Barry Jones, défenseur de longue date du Conseil et devenu ministre
des Sciences.
horne réussit à promouvoir les arts comme un secteur économique postindustriel
par essence. En promouvant et en développant les arts par le biais de ses organismes
de droit public, prétendait horne, le gouvernement pouvait jouer un rôle essentiel
pour aider l’Australie dans sa transition vers une économie postindustrielle. Pour
illustrer l’importance des arts dans une économie postindustrielle, horne eut
fréquemment recours à l’exemple de deux constructions datant du début des années
1970 : d’un côté, le barrage sur l’ord, un projet public de 100 millions de dollars
destiné à irriguer pour l’agriculture le nord-est de l’État d’Australie occidentale. Lors
de l’achèvement du projet, en 1972, il semblait avoir été édifié « suivant les principes
36. A. Downer, dans Commonwealth Parliamentary Debates: Representatives, Canberra, AGPS, 1987, p. 3114.
37. F. Crowley, Tough Times: Australian in the seventies, Melbourne, heinnemann, 1986.
61
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économiques les plus solides – le genre de réalisation qui était essentielle pour le
progrès de ce pays ». D’autre part, la construction de l’opéra de Sydney, inauguré
l’année suivante, et qui paraissait à beaucoup de gens « un gaspillage d’argent
évident ». En 1986, horne prétendit que l’admiration suscitée par les qualités
architectoniques du barrage était l’une des rares choses à quoi il ait pu servir, alors
que l’opéra fonctionnait comme un important « multiplicateur » social, culturel et
économique. « C’est devenu la principale attraction touristique en Australie, visitée
par 62 % des personnes qui viennent passer leurs vacances dans notre pays38. »
Dans cette perspective, horne soutenait que les politiques culturelles pouvaient
être considérées comme des stratégies de recherche et développement d’une
importance cruciale pour soutenir « l’ensemble du secteur de la culture et des loisirs,
et, de ce point de vue, l’ensemble de l’industrie de l’information39 ». Les théoriciens
de l’économie postindustrielle affirmaient que la recherche-développement revêtirait
une importance toujours plus grande, de même que les industries de la « qualité de
la vie » et des services comme le secteur des loisirs. horne valorisait donc le travail
du Conseil dans la perspective du développement industriel futur.
Le fait que des réalisations culturelles australiennes réalisent des performances à
l’exportation contribua sans aucun doute à donner plus de poids aux arguments de
horne. En 1986, par exemple, le film australien Crocodile Dundee devint le plus gros
succès remporté au box-office américain pour un film étranger et le feuilleton popu-
laire Les voisins (neighbours) était diffusé chaque jour à la télévision britannique40.
En 1989, le gouvernement travailliste de Bob hawke créa la Société de financement
cinématographique (Film Finance Corporation ou FFC) sous la forme d’une société à
capitaux publics. Consciente des limites des incitants fiscaux pour encourager le
mécénat privé, la FFC assurait un financement public accru pour la production
cinématographique. Pour reprendre la description donnée par French, la FFC a
poursuivi dès sa création des objectifs essentiellement commerciaux, contrairement
aux organismes culturels publics plus anciens, « où l’accent était mis plus nettement
sur une visée culturelle nationaliste41 ». Le tourisme culturel représentait également
un secteur en essor rapide. L’affirmation selon laquelle l’Australie pourrait disposer
d’un avantage compétitif dans les industries culturelles, dans une époque de com-
merce international concurrentiel, pouvait donc s’appuyer sur des preuves concrètes.
En 1986, la Commission permanente des dépenses publiques de la Chambre des
représentants publia les résultats d’une enquête sur la politique culturelle dans
l’ensemble de l’Australie, connue depuis sous le nom de rapport McLeay. Dans la
perspective d’une mise en avant d’arguments en faveur d’un soutien des pouvoirs
publics aux arts, la tendance générale du rapport apparaissait d’emblée évidente,
lorsqu’il reconnaissait les vues à long terme et la rigueur de l’argumentation du
38. D. horne, Demystifying the Museum, Riverina-Murray Institute of higher Education, 5 novembre
1986.
39. Id., “Arts and Growth”, Australian society, vol. 4, no 12, décembre 1985, p. 16-19.
40. J. Given, America’s Pie: Trade and Culture after 9/11, Sydney, University of nSW Press, 2003, p. 38.
41. L. French, “Patterns of production and policy: e Australian film industry in the 1990s”, dans Ian
Craven (ed.), Australian Cinema in the 1990s, Londres, Frank Cass, 2001, p. 20.
62
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rapport de 1976 de l’IAC sur les arts de la scène42. Comme l’IAC, il affirmait que la
politique culturelle devrait chercher avant tout à servir « l’intérêt public » plutôt que
de prendre la défense des intérêts des artistes professionnels. Le rapport ne faisait
aucune distinction entre le secteur des arts et l’industrie des loisirs43. Ses
recommandations comportaient notamment la limitation des pouvoirs du Conseil
au profit d’une direction plus ministérielle et la limitation des fonctions du Conseil
quant à la définition de la politique culturelle.
Tout comme les proclamations bien intentionnées de horne sur les avantages
apportés par l’« industrie des arts » à l’économie australienne, le rapport McLeay
développait une argumentation en faveur de la politique culturelle appelée à se
développer toujours plus au cours des vingt années qui allaient suivre. L’« industrie
des arts » devint ensuite « industrie culturelle » puis, à la fin des années 1990
« industrie de la création » suivant en cela l’accent mis par le gouvernement
britannique sur la création dans une perspective de planning et de développement.
Le fait que des instances telles que l’Australia Council et l’AFC avaient commencé à
réunir les preuves de la contribution économique effective et potentielle des industries
culturelles et qu’elles incluaient de plus en plus cette dimension dans leurs
attributions, a également contribué à cette évolution.
1991-1996
En 1991, Paul Keating succéda à Bob hawke comme Premier ministre travail-
liste, ce qui se traduisit par un intérêt accru pour une politique culturelle d’envergure.
Keating était, en tant que leader politique, animé par une vision ambitieuse de l’avenir
de l’Australie – une vision profondément nationaliste. Il voulait une Australie écono-
miquement, politiquement et culturellement indépendante. Les trois instruments
permettant de concrétiser cette vision étaient le républicanisme, la réconciliation entre
les Australiens blancs et indigènes, et des relations régionales plus fortes entre
l’Australie et ses voisins asiatiques. En remplaçant le souverain britannique par un
chef d’État australien, le républicanisme devait aider les Australiens à se libérer de
leur passé colonial. Le « mouvement de réconciliation » donna lieu à une vague sans
précédent de recherches et de publications sur les cruautés et les injustices des
traitements infligés aux Indigènes australiens et sur la nécessité d’une réparation de
ces mauvais traitements. Pour le gouvernement Keating, ce mouvement n’était pas
seulement une question de justice et de réparation, mais une démarche nécessaire
pour le progrès de la nation. Enfin, Keating considérait que les alliances politiques
avec les voisins asiatiques de l’Australie constituaient une nécessité pour définir
l’Australie en tant que république, et pour assurer sa sécurité économique et politique :
il travailla avec ardeur à établir de bonnes relations avec les pays en question.
63
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44. P. J. Keating, “Statement by the Prime Minister, the honourable Paul Keating MP”, Distinctly Aus-
tralian: the Future of Australia’s Cultural Development, Canberra, AGPS, 1993, p. 4.
45. M. Lee, “e Projection of Australia overseas: e origins of the Council for Australia Abroad”, Aus-
tralian Journal of Public Administration, vol. 50, no 1, 1994, p. 9.
46. D. Cryle, “‘Redefining Australia: Cultural Policy and the Creative nation Statement”, southern Review,
vol. 28, novembre 1995, p. 283.
47. Department of Communications and the Arts, Creative nation, Canberra, Commonwealth of Aus-
tralia, 1994, p. 5-67.
48. Ibid., p. 6.
64
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Si l’on peut dire que Creative nation poursuivait un objectif précis, c’était celui
de l’intégration des activités culturelles et des technologies des communications dans
le but de faciliter l’indépendance des activités culturelles par rapport au soutien des
pouvoirs publics. Le document décrivait comment les paramètres de la politique,
tout comme ceux de la culture et du mécénat, étaient en train d’évoluer : « Il y a
quelques années encore, la politique en matière d’information, d’informatique, de
téléphonie et de radiodiffusion aurait été envisagée uniquement dans le contexte d’un
secteur industriel et de service. L’accent aurait été mis sur le hardware et ses
applications aux moyens de production et de distribution. […] Aujourd’hui, les
technologies de l’information ont progressé si rapidement qu’elles constituent un
média très large pour l’échange d’informations et d’idées. Les textes, les graphiques,
les sons et les images peuvent s’y déployer à présent pour fournir, non de simples
données, mais des concepts et des analyses, des éléments créatifs capables d’élargir
les horizons49… » Cette notion de « développement du contenu » était cruciale : « Si
les opportunités sont créées par les évolutions des technologies de la communication,
c’est le contenu qui sera l’élément déterminant50. »
Le Premier ministre Keating et Creative nation ont également relevé le statut des
arts indigènes, en affirmant les droits de propriété intellectuelle des artistes indigènes
et en promettant un centre national de « formation à l’excellence » pour les artistes
de la scène indigènes. C’est sous le gouvernement Keating que furent créées trois
importantes compagnies théâtrales indigènes – Ilbijerri, Yirra Yaakin et Koemba
Jdarra. Les gouvernements des différents États et d’autres organisations politiques et
culturelles ont également contribué à la reconnaissance des arts indigènes. L’AFC créa
une filiale pour le cinéma indigène ; le Conseil australien du droit d’auteur (Australian
Copyright Council) adopta une politique de protection de la propriété intellectuelle
indigène, et la Commission des populations indigènes et insulaires du détroit de
Torres (Indigenous and Torres strait Islander Commission) publia une déclaration cadre
de politique culturelle (Cultural Policy Framework) et une stratégie pour les industries
culturelles (Cultural Industries strategy). Toutes ces initiatives reflétaient la prise de
conscience grandissante de la place des cultures indigènes dans la société australienne,
mais elles s’inscrivaient également dans la conception de Keating selon laquelle les
cultures indigènes constituaient une richesse que l’Australie pouvait présenter au reste
du monde, un élément qui était « spécifiquement nôtre51 ». À la fin du mandat du
gouvernement Keating, les arts et la culture indigènes représentaient un secteur de
plusieurs millions de dollars. Terri Janke remarquait à l’époque que « des dessins
indigènes sont reproduits sur une large gamme de produits, comme des torchons à
vaisselle, des bouteilles de vin et des t-shirts. Des motifs indigènes sont utilisés comme
logo par des entreprises australiennes et pour faire la promotion d’événements
organisés en Australie. Il n’est pas rare de voir un spectacle de danse indigène lors de
49. Department of Communications and the Arts, Creative nation, op. cit., p. 41.
50. Ibid., p. 41.
51. Ibid., p. 5.
65
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52. T. Janke, “Protecting Australian Indigenous Arts and Cultural Expression”, Culture and Policy, vol. 7,
no 3, 2006, p. 13.
53. M. harris, “e Arts End of the World: Creating a Creative nation?”, Agenda, vol. 2, no 1, 1995,
p. 110-112 ; M. Barone, “Creative nation: What Does it Mean for Youth Performing Arts?”, Lowdown,
vol. 16, no 6, décembre 1994, p. 15-17.
54. D. Dixon, e Potential Impact of the Coalition’s Fightback Package on the Arts Industry, Report pre-
pared for Arts Action Australia, décembre 1992.
55. P. J. Keating, “Statement by the Prime Minister, the honourable Paul Keating MP”, art. cité, p. 5.
56. V. o’Donnell et h. Millicer, “Creative nation: But for Whom?”, Art Monthly Australia, no 76,
décembre 1994, p. 11.
66
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monde dépend de notre force en tant que nation, de notre foi en nous-mêmes et de
la manière dont nous exprimons cette foi ». C’est ce besoin de définir, de renforcer
et de représenter l’identité australienne qui explique l’importance de la politique cultu-
relle, parce que la culture est « le squelette, le cœur et l’esprit d’une communauté57 ».
Un commentateur a pu dire que même la largesse caractérisant Creative nation
rappelait les « pays qui dépensent le plus en matière culturelle » comme la France et
l’Allemagne, plutôt que le Royaume-Uni : « C’est cet héritage anglo-saxon que Paul
Keating attaque en donnant une telle place à la culture dans la politique du
gouvernement58. »
Creative nation, en reflétant le républicanisme du gouvernement, accordait la
priorité à la création de l’identité nationale et à sa projection à l’extérieur, au-delà de
son expérience locale. Parce que la monarchie australienne est une monarchie
britannique, la cause républicaine pendant les années 1990 était avant tout une cause
nationaliste. C’est ainsi que lorsque Creative nation attribuait des subventions à des
projets artistiques des insulaires du détroit de Torres, c’était en partie une conséquence
de leur « importance grandissante pour l’Australie, dans le tourisme et dans la
projection de la culture australienne à l’étranger59 ». À côté de l’exemple des arts
indigènes, la chaîne publique de télévision special Broadcasting service (SBS) se voyait
octroyer des subventions supplémentaires pour produire des fictions australiennes de
« première qualité », susceptibles d’être vendues sur le marché international. Les
organisations et les artistes qui semblaient les plus à même de projeter effectivement
au plan international un sentiment d’identité australienne furent, au moins dans un
premier temps, les bénéficiaires de ces subventions.
Les déclarations rhétoriques de Creative nation en faveur de l’idéal de la
démocratie culturelle étaient également une conséquence de cette vision républicaine.
Selon un argument en vogue dans la littérature universitaire australienne de l’époque,
« le républicanisme ne concerne que superficiellement la monarchie héréditaire ;
fondamentalement, c’est une question de démocratie, de consentement actif et
informé, d’autodétermination et d’égalité60 ». L’insistance de Creative nation sur le
fait que la politique culturelle devait se construire sur une tolérance sociale préalable
vis-à-vis de la diversité culturelle complétait les objectifs démocratiques de cette
idéologie du républicanisme, alors que l’accent mis sur les grandes organisations
professionnelles à succès entendait assurer la prise de conscience de l’Australie comme
nation culturellement indépendante.
Si l’orientation choisie par Creative nation s’explique en partie par une vision
républicaine, elle découle également de la vision développée par Keating quant à
57. P. J. Keating cité dans M. Ryan, Advancing Australia: e speeches of Paul Keating, Prime Minister, Syd-
ney, Big Picture Publications, 1995, p. 39.
58. McDonald, “A nation of Art Lovers for $252 million”, sydney Morning herald, 22 octobre 1994,
p. 14a.
59. Department of Communications and the Arts, Creative nation, op. cit., p. 21.
60. J. Warden, “Mr Boston’s Pig and Mr Keating’s Republic”, dans D. headon, J. Warden et B. Gam-
mage (eds), Crown or Country: e Traditions of Australian Republicanism, Sydney, Allen & Unwin, 1994,
p. 187.
67
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61. C. Johnson, “Shaping the Social: Keating’s Integration of Social and Economic Policy”, Just Policy,
no 5, février 1996, p. 9.
62. Department of Communications and the Arts, Creative nation, op. cit., p. 7.
63. Ibid., p. 55.
64. Ibid., p. 2 et 7.
68
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1996-2007
La défaite du gouvernement Keating lors des élections de 1996 a souvent été
présentée comme une réaction de l’électorat contre la place prépondérante occupée
dans l’agenda politique national par la vision de Keating sur l’avenir de l’Australie.
De fait, le gouvernement howard (1996-2007) se décrivit lui-même comme
pragmatique : howard fit barrage au mouvement républicain, refusa obstinément de
présenter des excuses publiques aux Australiens indigènes pour les atrocités passées
et ne renforça pas ouvertement les liens régionaux. En lieu et place, le nouveau
gouvernement favorisa une relation plus forte avec les États-Unis. Il se rangea à leurs
côtés lors de la deuxième guerre du Golfe, vota avec les États-Unis contre le protocole
de Kyoto des nations unies, et signa avec eux un accord bilatéral de libre-échange
qui risquait de défaire le travail accompli par les précédents gouvernements pour
développer les relations économiques au sein de la région de l’Asie orientale65.
À court terme, le gouvernement howard n’apporta que peu de changements aux
priorités de la politique culturelle. Il existe un adage selon lequel les partis radicaux,
quand ils arrivent au gouvernement, agissent rapidement et ouvertement pour
élaborer leur politique en fonction de leur idéologie, alors que les partis conservateurs
agissent lentement et sans faire de vagues. Telle fut en effet l’approche du
gouvernement howard en matière de politique culturelle : guidé par un Premier
ministre apparemment peu intéressé par le rôle que les arts et la culture pourraient
jouer pour définir ou faire progresser le pays66, le gouvernement « ne disposait pas
d’une politique culturelle qui lui soit propre », si bien que les priorités de Creative
65. A. Capling, All the Way with the usA: Australia, the us and Free Trade, Sydney, UnSW Press, 2005.
66. D. Marr, “eatre under howard: e Philip Parsons Memorial Lecture”, Belvoir eatre, 9 octobre
2005 (http://www.belvoir.com.au/downloads/PhILIP_PARSonS_LECTURE_2005.pdf ).
69
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nation ont par défaut été presque conservées pendant son premier mandat67, avec
toutefois des réductions dans les subventions pour certaines organisations culturelles
comme l’AFC et la Commission australienne de radiodiffusion (Australian
Broadcasting Commission) et des subventions accrues pour d’autres68. En particulier,
la notion d’« industries de la culture » continua à servir de formule magique pour
justifier et déterminer les dépenses culturelles du gouvernement.
Ce recours par défaut aux politiques antérieures fit peu à peu place à une
approche politique plus nette aux alentours du changement de millénaire, lorsque
fut publié le premier d’une série de rapports commandés par le gouvernement au
sujet des organisations artistiques. L’enquête sur les principaux arts de la scène (Major
Performing Arts Inquiry) – dite aussi enquête « nugent » – avait été commanditée par
le ministre des Arts Richard Alston face à la menace d’une crise financière au sein
des plus importantes compagnies des arts de la scène, crise causée par le chute de la
fréquentation et des abonnements, la stagnation des subventions publiques et
l’augmentation des coûts de production. Les recommandations du rapport nugent
prônaient une amélioration du management au sein des grandes compagnies des arts
de la scène et une meilleure gestion de ces compagnies par les pouvoirs publics. Le
rapport estompait la différence entre normes artistiques de succès et prospérité
financière, en affirmant que « la question n’est pas de faire de l’art pour de l’art, mais
de porter un jugement pragmatique sur les besoins et les attentes du public. Pour le
dire simplement, le public attend des spectacles offerts par les grandes compagnies
australiennes des arts de la scène qu’ils soient de classe internationale. Il ne se
contentera pas de moins. Si une compagnie ne vise pas ce niveau et si elle n’y parvient
pas au bout d’un certain temps, elle n’a pas d’avenir69 ». Le rapport recommandait
d’augmenter les subventions destinées aux principales compagnies selon des critères
spécifiques, pour qu’elles stabilisent leurs finances, et d’indexer ensuite ces
subventions.
L’enquête nugent fut la première d’une série de grandes enquêtes dans le monde
artistique. Trois ans plus tard, le rapport d’une enquête lancée à l’initiative des
autorités fédérales au sujet des arts plastiques et de l’artisanat contemporains
recommandait que les pouvoirs publics augmentent leurs subventions aux
organisations d’une certaine importance pratiquant ces formes artistiques, pour les
aider à développer des pratiques de gestion durables, à mieux saisir les opportunités
de mécénat, et à jouer un rôle leader accru70. En 2005, le gouvernement publia un
rapport sur les orchestres australiens qui recommandait que les six orchestres d’État
cessent d’être des filiales de l’ABC et soient plutôt constitués comme des sociétés
publiques, et que l’ensemble des huit orchestres qu’il avait examinés bénéficient de
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subventions publiques accrues pour établir des pratiques saines de gestion et rétablir
la stabilité financière.
Comme l’a indiqué Van Den Bosch, le fait pour le gouvernement de recourir à
des consultants pour évaluer la politique culturelle représentait un changement par
rapport au rôle de conseil assumé précédemment par les organismes indépendants
de droit public chargés de la vie artistique71. Une seconde lecture politique que l’on
a pu faire du choix de focaliser les enquêtes sur les principales organisations était que
le fondement de la politique culturelle du gouvernement howard n’est pas de
soutenir les arts, mais de soutenir les institutions culturelles − les grandes institutions
traditionnelles, même si, comme on l’a montré plus haut, elles étaient privilégiées
également par les prédécesseurs de howard72. L’approche politique mise en évidence
par les rapports était celle d’un encouragement des élites, où des organisations
sélectionnées bénéficient de fonds discrétionnaires sur la base d’un processus
d’examen qui atteste de leur capacité et de leur désir d’adopter une approche
commerciale de la gestion. Dans une certaine mesure, cette approche court-circuitait
l’Australia Council en tant qu’organe de conseil en matière de politique à mener et
elle se traduisait par un rôle accru dévolu au ministère dans le processus décisionnel
direct73. Craik décrit l’approche politique du gouvernement howard comme une
approche « multidirectionnelle », comprenant un « cycle de réexamen » des sous-
secteurs en proie à des difficultés financières, une « rencontre amoureuse entre les
arts et le commerce » et le retour à un « néomécénat » sous la forme d’un soutien
spécifique à une sélection d’organisations culturelles majeures74. Cette approche était
aussi très généreuse : lors de son dernier mandat, les subventions gouvernementales
au secteur culturel étaient en hausse de 68,5 % par rapport à son prédécesseur75.
La question de la politique en matière commerciale continua à influencer la
politique culturelle au début des années 2000, cette fois sous la forme de l’accord de
libre-échange (ALE) entre l’Australie et les États-Unis. L’ALE avait été signé en février
2004, après deux ans de débats et de controverses. Un des thèmes de ces débats
concernait l’implication de l’accord pour la production culturelle locale. Les
adversaires de l’accord ont fait observer que la dérégulation des échanges entre les
États-Unis et l’Australie serait très désavantageuse pour les productions australiennes
destinées au cinéma ou à la télévision. Les films et les programmes de télévision
provenant des États-Unis sont vendus à bon marché en Australie, alors que les
réalisations locales sont coûteuses à produire. Une série de mesures réglementaires
avaient donc été adoptées pour soutenir ce secteur, comme l’introduction de quotas
d’œuvres australiennes dans les programmes diffusés ou un soutien financier via la
Commission cinématographique australienne (Australian Film Commission) et la Film
71. Van Den Bosch, e Australian Art World…, op. cit., p. 173.
72. D. Marr, “eatre under howard: e Philip Parsons Memorial Lecture”, art. cité, p. 2.
73. J. Craik, Revisioning Arts…, op. cit., p. 19.
74. Ibid., p. 23.
75. E. Jensen, “Coming Soon: Culture Wars II”, sydney Morning herald, no 1, octobre 2007.
76. A. Capling, All the Way with the usA…, op. cit., p. 65 ; J. Given, America’s Pie…, op. cit.
71
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72
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81. P. Garrett, “Speech: new Directions for the Arts”, Sydney, septembre 2007, no 14 (http://www. peter-
garrett.com.au/443.aspx) ; voir aussi S. Smiles, “national Plan Aims to `Resurrect´ arts”, Age, 1er mars
2008, p. 9.
73
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Christophe Pirenne*
Introduction
L’histoire des politiques culturelles en Belgique se confond, depuis la fin de la
Seconde Guerre mondiale, avec la régionalisation du pays. D’État unitaire, la Belgi-
que est devenue un État fédéral dans un processus en constante évolution. La culture
est au centre de cette évolution comme matière (elle a été peu à peu confiée aux
communautés à partir de 1968) et comme manière (elle incarne les tensions entre
unité nationale et singularités régionales).
Mais le paysage culturel belge ne se limite pas à des distributions de compétences
entre État fédéral et entités fédérées. D’autres niveaux de pouvoir comme les
communautés, les régions, les provinces et les communes peuvent aussi se prévaloir
de compétences dans le domaine de la culture. La Belgique présente donc la
singularité de posséder quatre ou cinq (dans le cas de la partie francophone du pays)
niveaux de pouvoir ayant la culture dans leurs attributions.
75
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sorte de fédéralisme timide est esquissée puisqu’il est suggéré que les communautés
culturelles de langue néerlandaise et de langue française puissent obtenir une forme
d’autonomie afin de répondre aux besoins spécifiques de leurs citoyens1.
ni l’autonomisation de la culture ni sa singularisation linguistique ne s’imposent
d’emblée. Au sein du gouvernement bipartite socialistes/sociaux chrétiens de éo
Lefevre (1961-1965), la culture retourne dans le giron plus large d’un ministère de
l’Éducation nationale et de la Culture tandis que l’idée d’une distinction entre
régimes linguistiques ne s’affirme que lentement2. Le gouvernement suivant, celui
de Pierre Harmel (1965-1966), concrétisera les avancées de la décennie précédente
en créant la double fonction de ministre de la Culture française et de Minister voor
Nederlandse Cultuur. Paul de Stexhe et Albert De Clerck sont les premiers à assumer
ce rôle pour leur communauté respective3. Ce ne sera toutefois qu’après le scrutin
du 31 mars 1968, avec le début de la troisième révision de la constitution, que les
communautés obtiennent une véritable autonomie culturelle.
en 1966, la culture obtient donc une manière d’autonomie par rapport à l’Édu-
cation nationale, mais en même temps, en se séparant de l’école, elle semble renoncer
à l’une des aspirations les plus fortes de l’époque : la diffusion et la pratique culturelle
dans une société la plus large possible.
1. Mina Alzemberg Karny, Lili rochette-russe, « Centre Harmel », Encyclopédie du Mouvement Wallon,
t. 1, Charleroi, ijD, 2000, p. 241-242.
2. Aline Zajega, roland de Bodt, Liste des ministres de la Culture en Belgique francophone de 1958 à 2004,
Bruxelles, Observatoire des politiques culturelles, 2007, p. 3.
3. en Flandre, il existait déjà depuis 1960 un ministre et sous-secrétaire d’État aux Affaires culturelles
depuis 1960 (renaat Van elslande).
4. Alain de Wasseige, Communauté Bruxelles-Wallonie : quelles politiques culturelles, Gerpinnes, Quorum,
2000, p. 338.
76
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et les régions ne coïncident pas. L’élément constitutif des premières est déterminé par
la culture et la langue ; l’élément constitutif des secondes provient, lui, du territoire6.
Avec cette réforme de l’État, le principe de l’autonomie culturelle est acquis et
les révisions futures de la constitution ne feront qu’étendre les pouvoirs des commu-
nautés et des régions. Mais au tournant de la décennie si la notion de région demeure
imprécise, les matières culturelles régionalisées sont énumérées avec précision : la
défense et l’illustration de la langue ; les beaux-arts, y compris le théâtre et le cinéma ;
le patrimoine culturel ; les bibliothèques et discothèques ; la radiodiffusion et la
télévision. Y figurent aussi le tourisme, les sports et la formation des chercheurs7.
Cette répartition des compétences est tempérée par un chapitre de coopération entre
les communautés culturelles qui prévoit la mise en place d’une commission ayant
pour but de maintenir des liens entre elles8.
Durant l’été 1980, un nouveau train de décisions entraîne la quatrième révision
de la Constitution belge. La communauté culturelle néerlandaise devient la commu-
nauté flamande, la communauté culturelle française devient la communauté française
et la communauté culturelle allemande devient la communauté germanophone. Au-
delà de ces mutations terminologiques, chacune se voit dotée de compétences cultu-
relles étendues. Sept nouvelles matières sont ajoutées, presque toutes axées sur la for-
mation. Les communautés se voient également attribuer les matières dites « personna-
lisables », c’est-à-dire celles qui concernent les politiques de santé et d’aide aux
personnes9.
Cette extension des compétences s’accompagne toutefois d’un accroissement de
l’asymétrie du système institutionnel : « Les Flamands, principalement motivés par
la notion de communautés, se sont dotés d’un seul conseil et d’un seul exécutif
couvrant à la fois les compétences régionales (géographiquement liées à un territoire
défini) et celles de la communauté (liées aux personnes et institutions de Flandre et
flamandes de Bruxelles). tandis que du côté francophone, on distingue un conseil
et un exécutif wallons pour le territoire wallon, et un conseil et un exécutif français
pour les matières communautaires liées aux personnes et institutions de langue
française de Wallonie et de Bruxelles. Une communauté germanophone existe par
ailleurs, dotée de pouvoirs d’un exécutif et d’un conseil pour les 65 000 Belges
germanophones10. »
en 1988, les compétences des communautés sont à nouveau étendues par la
cinquième révision de la Constitution et par une loi spéciale du 8 août 1988 qui
apporte d’importantes modifications à la loi spéciale du 8 août 1980. L’enseignement
est communautarisé à l’exception de la fixation des limites d’âge de l’obligation
6. Xavier Mabille, Histoire politique de la Belgique. Facteurs et acteurs de changement, Bruxelles, CriSP, 2000,
p. 337-340.
7. « Loi relative à la compétence et au fonctionnement des conseils culturels pour la communauté cultu-
relle française et pour la communauté culturelle néerlandaise », Moniteur Belge-Belgisch Staatsblad, 21 juillet
1971, p. 8910.
8. Ibid.
9. « Des compétences », Moniteur Belge-Belgisch Staatsblad, 15 août 1980, p. 9435.
10. X. Mabille, Histoire politique de la Belgique…, op. cit., p. 359.
79
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scolaire, des conditions minimales d’octroi des diplômes et des pensions des
enseignants. en outre, les communautés deviennent compétentes en matière d’aide
à la presse écrite et de publicité commerciale diffusée par la radio et la télévision.
elles héritent également, dans les compétences d’aménagement du territoire, de la
gestion des monuments et sites11.
enfin, en 1992-1993, la Belgique devient un État fédéral composé de commu-
nautés et de régions, ce qui aura entre autres conséquences, de remettre périodique-
ment sur le devant de la scène le sort des institutions culturelles restées nationales.
Le fonctionnement des institutions culturelles, qu’elles soient fédérales, commu-
nautaires ou locales est régi depuis 1973 par le Pacte culturel, une loi garantissant la
protection des tendances philosophiques et idéologique au sein des instances
culturelles. en clair, cela signifie que la gestion des institutions culturelles créées par
les autorités publiques doit être effectuée en partie par des représentants des groupe-
ments d’utilisateurs, mais aussi par des représentants des différentes tendances politi-
ques proportionnellement aux pourcentages obtenus lors des scrutins électoraux12.
en cas de conflit au sein d’organismes qui ne respecteraient pas cette répartition, une
commission nationale permanente du Pacte culturel est chargée de trancher et
d’émettre des avis.
Ces aléas politiques ont fortement pesé sur la politique culturelle de la Belgique
et de ses communautés. Outre que les répartitions des compétences ont mobilisé
d’incroyables énergies, la culture a parfois été appelée à la rescousse, de part et d’autre
de la frontière linguistique, pour légitimer les nouvelles structures. D’expositions en
festivals, d’institutions en publications, la culture devient prétexte à la demande
d’autonomie supplémentaire en même temps qu’à l’affirmation des identités régio-
nales. Les régions usent aujourd’hui de la culture comme naguère les États-nations,
acceptant et parfois revendiquant pour elles-mêmes ses vertus légitimantes qu’elles
dénoncent par ailleurs dans le cadre de la nation.
11. « Loi modifiant la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles », Moniteur Belge-Belgisch
Staatsblad, 13 août 1988, p. 11367.
12. « Loi garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques », Moniteur Belge-Belgisch
Staatsblad, 16 octobre 1973. La clef de répartition des mandats est appelée « clef d’Hondt ».
80
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culturelles fédérales ayant une personnalité juridique propre. Parmi les quinze
établissements scientifiques fédéraux qui relèvent du service public de programmation
politique scientifique, on note : les archives générales du royaume et les archives de
l’État dans les provinces (AGr), la Bibliothèque royale de Belgique (BrB), l’institut
royal du patrimoine artistique (irPA), le musée royal de l’Afrique centrale (MrAC),
les musées royaux d’Art et d’Histoire (MrAH), les musées royaux des Beaux-Arts de
Belgique (MrBAB) ainsi que des établissements scientifiques et des établissements qui
relèvent du service public fédéral de la justice.
Les trois institutions culturelles fédérales ayant une personnalité juridique propre
sont : le Palais des Beaux-Arts (PBA), le éâtre royal de la Monnaie (trM) et
l’Orchestre national de Belgique (OnB). Le trM et l’OnB sont de surcroît des
organismes d’intérêt public, ce qui signifie que tout en relevant de l’autorité fédérale
ils ne font pas partie de l’administration et possèdent donc une autonomie très
importante (financière, administrative, décisionnelle). La tutelle fédérale est donc
seulement habilitée à définir le cadre et le statut du personnel.
S’y ajoutent diverses institutions de plus petite taille dont la Société des
expositions, la Société philharmonique, la Cinémathèque royale, le musée du Cinéma
et quelques autres institutions comme le Centre belge de documentation musicale,
europalia, la Chapelle musicale reine Élisabeth, qui organisent des manifestations
ponctuelles mais récurrentes. On peut enfin relever le cas particulier de la biblio-
thèque du Conservatoire royal de Bruxelles restée bicommunautaire, mais intégrée
dans une institution communautarisée.
Ces établissements scientifiques fédéraux – qui ne sont pas regroupés sous la
compétence d’un même ministre – sont actuellement confrontés à deux problèmes
majeurs : leur sous-financement et la menace permanente d’une régionalisation. Pour
le Palais des Beaux-Arts, le éâtre de la Monnaie et l’Orchestre national de Belgique,
cette communautarisation pourrait prendre la forme d’une tutelle « bicommunau-
taire » ou « cocommunautaire ». Dans le premier cas, les associations sans but lucratif
(ASBL) administrant ces institutions ont en quelque sorte un statut d’opérateur privé.
elles iraient donc chercher leur financement où elles le veulent, les opérateurs les
usant à leur discrétion. Dans le second cas, les deux communautés financeraient elles-
mêmes directement les institutions. Aucune de ces institutions n’est actuellement
demandeuse de l’une ou l’autre de ces solutions dont les limites ont été révélées par
la cotutelle exercée sur d’autres institutions.
Outre cette implication directe de l’État fédéral dans ces institutions
bicommunautaires, celui-ci a aussi une incidence indirecte sur la culture notamment
en participant au financement de l’Unesco, en restant l’interlocuteur privilégié au
sein de toutes les organisations internationales, en faisant transiter aux divers
ministères de la culture du pays une grande partie des gains issus de la Loterie
nationale, en exonérant les libéralités ou dons faits aux associations culturelles, en
fixant certains tarifs comme le prix du livre – les différentes tentatives d’instauration
d’un prix fixe ont pour l’instant échoué – ou les taux de tVA – la tVA sur les livres
est actuellement de 6 % alors que pour les produits audiovisuels, elle est de 21 %.
Les tentatives de diminuer le taux de tVA sur ces derniers ont également échoué. La
81
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La communauté flamande
Situation politique de la culture
Après la distribution des compétences aux communautés, la culture fut gérée en
Flandre par le Conseil culturel néerlandais, actif de 1971 à 1980. il fut ensuite
remplacé par le parlement flamand jusqu’en 1998 lorsqu’un nouveau Conseil de la
culture voit le jour. inspiré du Conseil culturel hollandais, cet organe a pour but de
proposer des avis destinés à favoriser une politique culturelle intersectorielle. Suite à
la réorganisation de l’administration flamande, ce Conseil de la culture est devenu
depuis 2007 le Conseil pour la culture, la jeunesse, les sports et les médias. Sont ainsi
rassemblés en une même structure : le Conseil de la culture, le Conseil des arts, le
82
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13. Voir iris Van riet (ed.), 10 Jaar Raad voor Cultuur : Een decennium cultuuradviserin, 2008 (http://www.
cjsm.vlaanderen.be/raadcjsm/ravocu/10jaar_ravocu/rvC_10jaar_2008_Lr.pdf ).
14. Pour un aperçu des politiques culturelles en Flandre et un état de la réflexion avant le vote du décret
de 2004, voir rudi Laermans, Het cultureel regiem : Cultuurbeleid in Vlaanderen, tielt, Lannoo, 2002 et
Pascal Gielen, Esthetica voor beslissers : aanzet tot een debat over de reflexive cultuurbeleid, tielt, Lannoo,
2001.
15. Moniteur Belge-Belgisch Staatsblad, 12 janvier 2005, p. 22-671.
83
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16. Luc Van den Brande, « La Flandre et Castilla y León, partenaires dans l’europe des cultures », Vlaan-
deren en Castilla y León, Amberes, 1995, p. XVii.
84
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de l’art contemporain, mais en décalage avec les aspirations d’une bonne part de la
population locale. La Flandre appuie donc le financement des deux extrêmes du
spectre culturel : d’une part un art très novateur, très créatif et parfois très élitiste et
d’autre part les loisirs actifs (fanfares), les pratiques patrimoniales, le folklore et les
traditions. Cette tendance est comme un héritage du XiXe siècle, lorsque les États-
nations émergentes appelèrent culture populaire et culture élitaire à la rescousse pour
s’autolégitimer. C’est ce même processus qui semble en marche en Flandre et dans
de nombreuses régions d’europe : soutien du folklore pour affirmer l’assise populaire
de l’État-région, soutien des avant-gardes pour assurer la place de la région auprès
de l’intelligentsia internationale.
La communauté française
Situation politique de la culture
en 1968, le ministre social-chrétien Pierre Wigny (1905-1986) avait proposé un
ambitieux « Plan quinquennal de politique culturelle » reposant sur six principes : la
liberté individuelle, la mise en place d’un seul réseau d’installations culturelles,
l’implication financière des prestataires culturels, la démocratisation « sans sacrifier
l’élite à la masse, ou inversement », l’égalité de toutes les matières culturelles et
sportives et enfin, dans une perspective tout à fait symptomatique de l’époque, la
participation active des citoyens dans leur pratique culturelle17. Pour atteindre ces
objectifs, la politique culturelle des années 1970 va se concentrer sur la construction
d’un véritable maillage institutionnel grâce à la création de foyers culturels au niveau
local et de maisons de la culture au niveau des arrondissements. Ce maillage sera
également appliqué à l’éducation permanente, au secteur des bibliothèques publiques
et aux médiathèques. L’objectif étant de permettre aux sections locales de services
culturels d’utiliser les collections plus vastes des sections provinciales ou régionales
pour rencontrer les demandes de leur public.
À partir de 1980, avec l’extension de la décentralisation de la culture, la
communauté française s’est vue attribuer les matières dites « personnalisables » au
rang desquelles figurent notamment la culture et plus particulièrement les arts de la
scène (théâtre, danse, musique, opéra), les lettres et le livre (la littérature et les biblio-
thèques), les langues, les arts plastiques et l’audiovisuel (cinéma, radio et télévision),
l’éducation permanente, les centres culturels et une part de la politique de la jeunesse.
il est à noter, d’une part, que la notion de matière culturelle ne prend pas en compte
les monuments et sites et que, d’autre part, elle a transféré aux régions wallonne et
bruxelloise une partie de ses matières culturelles suite à deux décrets de 1993. Une
seule des matières culturelles passées du giron de la communauté française à celui
des régions nous concerne directement, c’est celui du tourisme dont l’exercice de la
compétence a été intégralement régionalisé. On observe que la communauté s’est
17. Pierre Wigny (dir.), Plan quinquennal de politique culturelle. Vol. 1 : Introduction générale, Bruxelles,
Ministère de la Culture française, 1968, p. 7-9. Le premier des ministres de la Culture française, Paul de
Stexhe, avait proposé dès 1966 un plan intitulé « Une politique culturelle pour l’an 2000 » dans lequel il
tentait déjà de concilier les mouvements de démocratisation et de décentralisation culturelles.
85
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ainsi recentrée sur les aspects les plus « artistiques » de la culture, excluant par exemple
la promotion sociale, le sport ou la formation professionnelle de ses compétences.
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subventionnés comme les académies ou les jeunesses musicales. Cette situation pose
la question de l’accès au savoir. Loin de la démocratisation prônée dans les années
1960 et 1970, l’apprentissage artistique est aujourd’hui réservé aux classes les plus
aisées. La tendance consistant aujourd’hui à considérer que les matières artistiques
qui ne sont plus abordées pendant les heures scolaires peuvent être compensées par
les visites de musées, excursions ou fréquentation des multiples « centres
d’interprétation ».
enfin, parmi les créations récentes, il faut noter qu’en 2001, sous l’impulsion du
ministre de la Culture de l’époque, rudy Demotte, la communauté française s’est
dotée d’un observatoire des politiques culturelles dont les missions sont très sembla-
bles à celles de son homonyme français.
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18. Michel Jaumin, Caroline Houben, « En bref… le bilan de la culture en Belgique 1995-2003 ». Évolu-
tion des dépenses culturelles en Communauté française de 1984 à 2005, Bruxelles, Observatoire des poli-
tiques culturelles, 2007.
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19. M. jaumin, C. Houben, « En bref… le bilan de la culture en Belgique 1995-2003 »…, op. cit., p. 106-
107.
20. A. de Wasseige, Communauté Bruxelles-Wallonie…, op. cit., p. 122.
89
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Les communes
Historiquement, les communes sont les premières à avoir pris des initiatives
systématiques en matière de culture. Dès le XiXe siècle, les villes de moyenne et de
grande importance s’étaient dotées de théâtres, de salles de spectacles, de musées, de
conservatoires ou d’académies. Dans la première moitié du XXe siècle, certaines d’entre
elles créent des bibliothèques publiques. enfin, dans la seconde moitié du siècle,
essentiellement à partir des années 1970, l’État fédéral puis les communautés permet-
tent de financer des centres culturels dans des villes de moindre importance tandis
que de nombreux villages construisent des « salles des fêtes » qui accueillent tantôt
des spectacles itinérants, tantôt des manifestations sportives ou scolaires, tantôt encore
des fêtes locales.
La crise pétrolière du début des années 1970, conjuguée en Belgique à la fusion
des communes qui fait passer leur nombre de 2 359 en 1971 à 596 en 1977, va placer
certaines d’entre elles face à d’épineux problèmes financiers. Comme toujours, les
subventions culturelles sont les premières à être rognées de sorte que certains grands
opérateurs culturels (opéras, orchestres symphoniques, théâtres) se retrouvent en
difficulté. ils seront progressivement refinancés par les communautés et la plupart
d’entre eux finiront par sortir du giron communal pour intégrer les structures com-
munautaires. Ce glissement s’accompagnera d’un large changement patronymique.
L’orchestre philharmonique de Liège devient l’orchestre philharmonique de Liège et
de la communauté Wallonie-Bruxelles, les opéras d’Anvers et de Gand deviennent
le Vlaamse Opera…
À la suite de ces problèmes, les dépenses culturelles que les communes sont
obligées d’inscrire à leur budget ont été réduites. n’y subsistent que « le traitement
du personnel communal affecté à des tâches culturelles, les frais d’entretien des
bibliothèques publiques et les frais engagés pour la protection des monuments et
sites21 ». tout le reste est facultatif.
Le désengagement communal ne fut cependant pas homogène. C’est même à ce
niveau de pouvoir que la disparité du tissu socio-économique entre Flandre et
Wallonie se marque de façon la plus nette ; la seconde faisant particulièrement pâle
figure par rapport à la première. Sur les 12 567 600 000 euros consacrés à la culture
et au sport par les communes belges en 2003, 66 % ont été dépensés par les commu-
nes flamandes qui comprennent 58 % de la population. Les communes wallonnes,
qui regroupent 32 % de la population belge, ont investi 25 % de ce budget, tandis
que les 10 % restants représentent les dépenses engagées par les communes de la
région bruxelloise. en clair, cela signifie que les communes flamandes consacrent en
moyenne 134 euros par an et par habitant pour la culture et le sport. Les communes
wallonnes octroient quant à elles 88 euros par an et par habitant, soit 65 % des
subventions flamandes.
Ces chiffres représentent une moyenne et les disparités intrarégionales peuvent
être colossales. en Wallonie, les investissements culturels communaux vont de 9 euros
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à 687 euros par an et par habitant ! Les grandes villes étant logiquement presque
toutes au-dessus de ces moyennes régionales.
Conclusion
Dans les décennies de l’après-guerre, la politique culturelle belge a surtout permis
aux nouvelles institutions culturelles de s’autonomiser par rapport à l’entreprise
privée, comme ce fut le cas dans les domaines du théâtre et de la musique. en même
temps, les liens noués avec le champ politique vont introduire de nouvelles normes
fixées par l’État dans une esthétique dominée par un humanisme universaliste. C’est
la « grande » musique, le « grand » théâtre qui deviennent les vecteurs de l’émancipa-
tion démocratique. jusqu’à la fin des années 1960, et pour certaines formes artistiques
jusque dans les années 1970, l’État cultive la notion d’un « grand art pour tous ». La
musique, le théâtre et la télévision ont pour finalité première la formation du citoyen.
il semble alors acquis qu’il suffit de fréquenter des œuvres de grande valeur pour que
vienne la sagesse. La formation des auditeurs et des spectateurs est délaissée au seul
profit de leur alimentation.
Avec les changements sociétaux amorcés à la fin des années 1960, la culture
démocratique, c’est-à-dire celle qui a été mise à la disposition de tous par le biais des
théâtres, des centres culturels, des bibliothèques, des institutions musicales, cède la
place à la démocratie culturelle. il s’agit là aussi d’un vaste mouvement de fond qui
s’apparente au postmodernisme et qui va consacrer l’égalité des cultures, des peuples
et des classes sociales. en Belgique, dans un mouvement assez rapide, les cultures
flamandes et françaises obtiennent cette autonomie. Par contre, la démocratie entre
les matières culturelles reste largement utopique. L’économie, l’histoire et les pratiques
sociales permettent de comprendre pourquoi les pratiques artistiques collectives
comme les arts de la scène sont bien plus soutenues que les pratiques individuelles
comme l’écriture ou les arts plastiques. Mais on constate aussi qu’au sein de certains
secteurs, il subsiste des hiérarchies très nettes. Ainsi, dans le domaine du théâtre, les
arts de la rue apparaissent marginalisés ; dans le secteur musical, l’opéra et la musique
symphonique ne laissent que des moyens anecdotiques au jazz, au rock et à la
chanson ; et il est piquant de constater que la bande dessinée, l’un des secteurs qui
vaut à la Belgique l’essentiel de sa renommée culturelle internationale, est largement
ignorée par les pouvoirs publics.
il faut enfin signaler que depuis le début de la régionalisation, la vie culturelle
belge a eu tendance à se développer de façon de plus en plus autonome dans chaque
communauté. Les éléments de rencontre sont moins nombreux, en partie à cause de
l’absence d’université bilingue. Hormis les grandes institutions bicommunautaires,
il n’y a pas de médias communs et peu d’organismes dans lesquels toutes les
communautés sont représentées. en résulte une distanciation sans cesse croissante
entre la politique culturelle flamande sans doute plus « libérale » et les politiques
culturelles de la partie francophone de la Belgique plus « sociales ».
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Svetla MoUSSakova*
La culture bulgare
dans le contexte historique, social et politique (1878-1944)
Le jeune État bulgare né en 1878 après plusieurs siècles de domination ottomane
prête une attention particulière à l’évolution de la culture nationale comme une
poursuite des mouvements culturels et identitaires de la période du Réveil national
qui ont combattu pour la création de la culture laïque bulgare dans le contexte d’une
présence étrangère.
Commence alors l’époque de la construction des institutions politiques publiques
et culturelles de l’État moderne. Durant la période 1878-1944 une extraordinaire
évolution culturelle contribue à la mise en application d’une politique culturelle qui
peut dorénavant se mesurer à celle de l’Europe.
Institutionnalisation et législation
de la politique culturelle
L’acte fondateur du nouvel État bourgeois et démocratique fut la Constitution
dite de Tarnovo, votée par la première grande assemblée nationale le 29 avril 1879.
Elle traduit la tendance générale d’européanisation de la société bulgare qui se tourne
vers des modèles occidentaux en les adaptant dans le contexte national ; ainsi, cette
première constitution qui reste en vigueur jusqu’en 1934 est nettement inspirée par
la constitution belge. Plusieurs articles régissent l’action de l’État et sa participation
à la gestion et au financement de la culture au niveau national et local.
L’acteur principal de la politique culturelle de l’État bulgare à cette époque est le
ministère pour la Promotion du savoir qui définit et met en pratique l’ensemble des
registres du développement culturel. Son budget représente presque 5 % du budget
total du pays. La mission principale du ministère pour la Promotion du savoir est
l’organisation et la mise en œuvre de l’enseignement primaire obligatoire et gratuit
en réponse à une forte demande d’instruction nationale de la société bulgare.
L’intervention de l’État dans ce domaine est plus que nécessaire, car vers le début du
93
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1. Selon les statistiques officielles, en 1887 sur une population d’un peu plus de 3 millions d’habitants,
seulement 334 774 d’entre eux ont fréquenté l’école, ce qui représente 10,7 %. Ce chiffre augmente à
15,6 % en 1892. Les hommes qui savent lire et écrire représentent 17,1 % en 1887 et 24,3 % en 1892,
tandis que chez les femmes ces pourcentages sont respectivement 4,1 % et 6,6 %. Il faudrait noter égale-
ment que lors le recensement du début du xxe siècle, comme alphabète est considéré celui qui peut écrire
son nom ou simplement lire le titre d’un livre.
2. La première école secondaire bulgare est créée à Gabrovo en 1834 par vassil aprilov, un grand intel-
lectuel russophile et francophone, ancien étudiant à vienne puis à odessa. L’exemple de ce célèbre col-
lège, devenu l’emblème des luttes de libération nationale, est vite suivi par d’autres villes (Bolgrad en
1859, Plovdiv 1868, Gabrovo 1872) ; jusqu’à la fin du siècle existent 54 établissements secondaires.
3. Mikhail arnaoudov, Histoire de l’université de Sofia, Sofia, 1939, p. 34-37.
94
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Politique et culture
après une période de stabilisation, le mouvement général du développement
culturel a subi des changements pendant les deux guerres mondiales. La Première
Guerre mondiale impose une censure sévère dans tout le domaine culturel en
ralentissant sensiblement l’évolution culturelle. après 1918, la Bulgarie survit
difficilement après avoir été confrontée à une série de catastrophes nationales,
l’insurrection des soldats en 1918, le soulèvement des paysans en 1923 ; après le coup
d’État en 1934, le pays est plongé dans le tourbillon de la guerre civile.
Les gouvernements successifs ne respectent pas les principes de liberté et
d’autonomie des institutions culturelles, la censure est de nouveau omniprésente.
Dans ces conditions, il est évident que la politique culturelle ne peut pas fonctionner
pleinement, malgré la création de l’académie des beaux-arts, du Conservatoire
national, l’agrandissement de l’université de Sofia, l’action nationale et internationale
de l’académie des sciences bulgare. L’action principale des gouvernements se
manifeste par une plus forte centralisation qui conduit vite à un contrôle absolu de
toutes les activités culturelles.
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4. Selon les données analysées dans l’étude de nikolaï Gentchev (les Intellectuels bulgares dans l’époque du
Réveil national, Sofia, Presses universitaires, 1991), 19,6 % des intellectuels participent directement au
mouvement pour l’indépendance de l’Église ; 63,4 % sont impliqués dans les différentes organisations de
l’instruction nationale ; 2,6 % participent activement à la lutte armée de libération nationale dans les
années 1850-1870 ; 2,6 % ont fait partie des deux légions de Belgrade ; 21,1 % participent à l’insurrec-
tion d’avril de 1876 et 13,2 % dans la guerre de libération. Uniquement 12,2 % des intellectuels de la
période du Réveil national ont pris leur distance par rapport à la vie sociale et par rapport aux événements
politiques de cette période-là.
96
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5. Sur cette période d’une nouvelle organisation politique de la culture, voir vessela Tchitchovska, la Poli-
tique contre la tradition de l’instruction, Sofia, Éditions académiques, 1995 ; id., l’université de Sofia. Sou-
venirs, t. 1, Sofia, Presses universitaires, 1988 ; id., les Institutions étatiques bulgares 1879-1986. Documents,
Sofia, Éditions académiques, 1987.
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L’intellectuel et le pouvoir
Dans ces conditions les intellectuels bulgares, dont la grande majorité d’orien-
tation démocratique et progressiste soutient les actions des gouvernements successifs
de la coalition au pouvoir après 1944, participent activement à la création des
nouvelles institutions culturelles et deviennent des fonctionnaires d’État ; les unions
de créateurs deviennent les acteurs principaux du monopole d’État sur la culture.
À partir de la fin des années 1950, des relations ambiguës entre les intellectuels
et le pouvoir s’installent graduellement dans le paysage culturel. Ce fait illustre une
caractéristique spécifique de la politique de Todor Jivkov envers les milieux intellec-
tuels. Toute la période du socialisme bulgare est marquée par la figure de Todor
Jivkov, devenu premier secrétaire en 1954 ; il s’impose à la tête du parti communiste
et de l’État à partir de 1963 après le xxIIe congrès du parti communiste de l’Union
soviétique (PCUS) et le vIIIe congrès du Parti communiste bulgare. La représentation
politique de Jivkov se forge progressivement autour de l’image du libérateur progres-
siste, antistalinien, défenseur des véritables valeurs du communisme en comparaison
avec les leaders des années du stalinisme bulgare (1949-1953) et la période de la
première déstalinisation (1954-1955). Jivkov adopte une politique de négociations
et de discussions ouvertes avec les intellectuels, il les entoure d’attention, les protège
et leur accorde de multiples privilèges. En contrepartie, il exige l’abandon total de
toute critique politique et tout désaccord est sanctionné sévèrement6.
Cependant, ce flirt permanent avec les intellectuels n’empêche nullement l’exis-
tence de groupes de résistance, de cercles d’opposition, de dissidences individuelles
et collectives qui construisent toute une histoire parallèle de la période des années
1960-1970. La censure la plus sévère n’a jamais cessé de fonctionner depuis la période
la plus dogmatique, celle des années 1950 qui connaît toute une série de scandales
célèbres où sont impliqués les artistes les plus incontestables de la culture nationale7.
6. Ce mécanisme a été étudié d’une manière pertinente par l’historien John D. Bell qui, dans son ouvrage
e Bulgarian Communist Party from Blagoev to Zivkov (hoover Institution et Standford University, 1986),
explique notamment le fonctionnement du système de contrôle permanent de Jivkov afin d’« apprivoiser »
les intellectuels ; voir également les mémoires de l’un des collaborateurs les plus proches de Jivkov qui
décrit bien le mécanisme de faire et défaire des alliances dans des buts utiles, un jeu où excelle le prési-
dent bulgare : niko Yahiel, Todor Jivkov et le pouvoir personnel, Sofia, 1997.
7. Citons, entre autres, le « cas Jendov », célèbre dessinateur, caricaturiste et publiciste, exclu du parti en
1951 lors d’un procès retentissant dans la plus grande tradition stalinienne. vient ensuite le scandale de
Tabac de Dimitar Dimov, l’incroyable histoire du plus célèbre roman des années 1950, incriminé à plu-
sieurs reprises par la critique marxiste (1951-1954) ; suite à cela, son auteur devra ajouter 250 pages pour
améliorer la représentation du « héros positif ». Sans oublier le cas Piments rouges, recueil d’épigrammes
du poète Radoï Ralin, illustré par Boris Dimovski, qui est jugé subversif et dont l’ensemble du tirage est
brûlé en 1968.
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Jivkov est également une des figures centrales de la période d’un relatif assouplis-
sement des règles dogmatiques qui gèrent la culture après la guerre ; le Plénum d’avril
du comité central du parti communiste bulgare en 1956 lance la politique dite
« d’avril », durant une période qui, après le xxe congrès du PCUS, marque dans tous
les pays socialistes le début d’une relative libéralisation artistique et esthétique de
courte durée. D’autre part, le « printemps de Sofia » en 1968 met fin à la liberté de
la pensée et de la création pour céder la place à une période de plein épanouissement
de « l’art du réalisme socialiste ».
8. Ludmila Jivkova (1942-1981) a été nommée ministre de la Culture en juillet 1975 et depuis 1979 elle
est aussi membre du bureau politique du comité central du parti communiste bulgare.
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L’intensification des échanges culturels peut être illustrée, par exemple, par l’essor
de la traduction littéraire qui connaît un énorme succès9. La traduction de nombreux
auteurs jugés auparavant subversifs ou simplement « bourgeois » est désormais
possible et à cette occasion de nombreuses nouvelles collections sont créées dans les
plus grandes maisons d’édition. La traduction du patrimoine littéraire européen, qui
constitue incontestablement une rupture avec les tendances les plus strictes de
l’esthétique dominante, fait connaître au public bulgare les grandes œuvres dans le
domaine de la littérature européenne mais aussi dans le domaine des sciences sociales :
philosophie, histoire, sociologie, anthropologie, psychologie.
La politique culturelle de Ludmila Jivkova est un exemple d’une résistance
intellectuelle atypique, une certaine opposition à l’influence culturelle soviétique qui,
au sein du régime socialiste des années 1970, à égale distance entre Dubček et
Gorbatchev, défend un autre modèle de la culture socialiste qui revendique l’identité
culturelle nationale au nom de l’Europe.
9. Des œuvres de plus de 35 littératures nationales sont traduites en bulgare. Selon les statistiques offi-
cielles, entre 1944 et 1976 sont publiés 694 livres d’auteurs français, 488 livres d’auteurs américains,
477 livres d’auteurs britanniques, 192 livres d’auteurs italiens. En 1976, par exemple, 651 livres d’auteurs
étrangers sont publiés avec un tirage de 12 500 000 exemplaires. au cours de la période 1974-1975 sont
traduits 40 auteurs français, 32 britanniques, 25 américains. Plus de 3 500 ouvrages d’auteurs bulgares
sont édités à l’étranger.
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très bas, de même que le prix des livres et de la presse périodique ; l’entrée est gratuite
dans les galeries d’art, les musées, les expositions locales et nationales, etc.
De nombreux groupes sociaux comme les élèves, les étudiants, les militaires, les
retraités bénéficient des tarifs réduits pour les visites organisées des manifestations
culturelles à travers le pays. Un tourisme éducatif et culturel à des prix avantageux
se développe de plus en plus de même que des tournées culturelles par des ensembles
d’écrivains, de poètes, de musiciens et d’artistes amateurs. L’enseignement artistique
est gratuit dans les écoles, dans les centres de formation et les maisons de culture.
Les trois principes qui gèrent la culture, à savoir la gestion centralisée et planifiée
des institutions et des actions culturelles entièrement financées par l’État, représentent
une caractéristique essentielle de l’évolution de la politique culturelle socialiste dans
les années 1980.
Parallèlement à une crise qui émerge dans la société tout entière vers le milieu
des années 1980, plusieurs résultats négatifs de la politique culturelle se sont manifes-
tés. L’organisation de la culture est de plus en plus bloquée par une bureaucratie
disproportionnée et omniprésente qui continue à exercer un contrôle total. Le coût
de la culture devient de plus en plus important de sorte que la réalisation de la
production artistique et sa diffusion à bas prix auprès d’un large public pèsent
lourdement sur le budget de l’État ; la conséquence directe en est la réduction du
personnel administratif et le non-renouvellement des contrats artistiques dans tous
les domaines culturels. Inévitablement le prix des livres, des billets de cinéma et de
théâtre augmente, et il est mis fin à la gratuité des musées, des maisons de lecture et
des bibliothèques, dont le nombre diminue sensiblement.
Simultanément avec cette crise des structures, les élites culturelles manifestent de
plus en plus directement leur désaccord avec la politique de l’État en matière
culturelle. Leurs revendications sont d’ordre économique, mais aussi politique, en
relation avec le contrôle idéologique de plus en plus sévère. C’est à cette époque
qu’apparaissent les premières formations de dissidents sous l’égide d’intellectuels,
cinéastes, écrivains, acteurs connus qui organisent de nombreuses manifestations
contre les violations des droits de l’homme.
En terme général, on constate une baisse de la consommation et de la
participation de la population à la vie culturelle. Ce mouvement est, certes, un
résultat direct de la crise globale de la société, mais également une conséquence
logique des processus naturels comme, par exemple, l’éloignement progressif du
public massif des salles de cinéma en faveur de la télévision et des films vidéo.
Une deuxième conséquence négative de cette période de crise est issue des objec-
tifs idéologiques de la politique culturelle qui, durant de longues années, forge une
culture socialiste uniforme sans prendre en considération des différentes expressions
ethniques, religieuses, informelles. alors ce n’est pas étonnant que lorsque la culture
officielle subit une forte baisse d’activité, un affaiblissement des infrastructures et un
manque évident de rentabilité, on constate l’émergence rapide d’une culture infor-
melle, jeune et dynamique qui attire immédiatement le public. ainsi, après 1989,
apparaît un nouveau paradigme culturel qui nécessite une toute nouvelle organisation
et une toute nouvelle gestion des politiques culturelles.
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10. voir pour plus de détails à ce sujet anne-Marie iesse, natacha Chmatko, Miklos hadas, Svetla
Moussakova (dir.), Édition et marché du livre en Russie, Bulgarie, Hongrie. Les transformations de la pro-
duction culturelle après la fin du système communiste, Paris, CnRS, 1997 (rapport final) ; voir également deux
rapports du Conseil de l’Europe : la Politique culturelle en Bulgarie. Rapport national, Strasbourg, Conseil
de l’Europe, Conseil de la coopération culturelle, 1997 (programme européen d’examen des politiques
culturelles nationales) ; la Politique culturelle de la Bulgarie. Rapport d’un groupe européen d’experts présenté
par Charles Landry, Strasbourg, Conseil de l’Europe, Comité de la culture, 1997 (programme européen
d’examen des politiques de développement culturel national, transversal et sectoriel).
103
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11. voir à ce sujet également Politiques culturelles et sociétés en transformation, Strasbourg, Conseil de l’Eu-
rope, 1993.
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12. voir à ce sujet Raja Staïkova, “e Readiness of the Scolars in academic and Company Research for
Change in Professional orientation”, dans krassimira Baytchinska (ed.), Social Sciences and Social Change
in Bulgaria, Sofia, Marin Drinov academic Publishing house, 1998.
106
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Ces difficultés sont en relation avec la crise globale du statut de l’artiste qui, selon
les experts l’Unesco, affecte à la fois le statut et le prestige de l’artiste.
La crise du statut de l’artiste est avant tout de caractère économique ; il est à noter
qu’en 1992, environ 80 % des artistes travaillent déjà comme indépendants suite aux
suppressions d’emploi ; en Bulgarie le taux de chômage est particulièrement élevé
parmi les cinéastes.
Face à cette crise, la politique culturelle applique une série de mesures destinées
à améliorer la situation en apportant des aides directes et indirectes. En novem-
bre 2000 est créé le Fonds national de la culture sous l’égide du ministère de la
Culture dont l’objectif principal est le soutien de la culture nationale et l’aide à la
création et aux artistes. Depuis 2003, différents programmes du Fonds financent
aussi les déplacements des artistes selon des projets nationaux et internationaux. La
création de nombreux prix pour les artistes, comme le prix d’État Pasii Hilendarski,
ou l’Âge d’or du ministère de la Culture, de même que ceux des institutions,
organisations et formations culturelles à travers tout le pays.
Les syndicats professionnels participent également en apportant une aide
financière et sociale à leurs membres comme une assistance gratuite, des prêts à faibles
taux d’intérêt, la création de résidences secondaires pour artistes.
En réalité, la régulation de la situation des artistes a véritablement démarré avec
la mise en application de la nouvelle loi sur les droits d’auteur et droits associés votée
en 1993.
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Financements et mécénat
La tendance à subventionner les institutions culturelles sur le budget public est
en général présente dans la politique culturelle du pays, malgré les efforts de
multiplier les sources de financements.
Les institutions culturelles comme le théâtre, l’opéra et les musées reçoivent plus
de 50 % de leurs financements directement du budget du ministère de la Culture,
des municipalités et des autres institutions étatiques. La présence de l’État reste
considérable dans la vie culturelle, grâce à l’existence du réseau des instituts culturels.
Progressivement, des formes de culture non institutionnelles commencent à
bénéficier des financements publics, surtout après la mise en application en 2000 de
la législation sur les organisations culturelles non gouvernementales ; à partir de ce
moment se manifestent de nombreuses formations culturelles, des fondations, des
associations, des sociétés, des centres et des académies culturels qui sont la preuve
d’un dynamisme culturel et des possibilités élargies de création et de diffusion de la
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culture. L’impact des onG culturelles est considérable tant dans le développement
global de la culture que dans le processus de stabilisation de la société civile.
Globalement le budget public destiné à la culture reste stable ; tandis qu’une
redistribution se fait entre les institutions de niveau national ou local et les organismes
culturels non gouvernementaux, qui, eux, sont financés selon la présentation de leurs
projets.
ainsi, en 2002, les dépenses en matière culturelle atteignent à peine 1,09 % du
PIB, ce qui est le niveau de 1990 en valeur absolue ; ces dépenses augmentent
graduellement pour arriver à 1,84 % du PIB en 1998. Ces chiffres relativement bas
peuvent s’expliquer par la crise économique sévère en Bulgarie durant cette époque
et les restrictions budgétaires drastiques dans l’ensemble des financements publics.
Pour la période 1998-1999, les statistiques officielles en matière culturelle
montrent clairement la tendance vers un relatif accroissement lorsque le pourcentage
des dépenses publiques augmente d’environ 73 % car en 1996 le chiffre des dépenses
est de 0,44 % pour atteindre 0,78 % en 1999. Tandis que dans la période 2000-2006
l’augmentation des dépenses se stabilise autour de 0,7 %.
Mécénat et fondations
Le mécénat culturel, qui n’a pas de longue tradition en Bulgarie, se développe
rapidement avec l’adoption de la loi sur le mécénat votée en 2005 et d’autres textes
qui offrent de nouvelles possibilités pour le financement de la culture nationale.
De même les fondations nationales et internationales jouent un rôle actif dans
le financement de la culture dont les plus actives sont la fondation le 13 Centuries
Bulgaria National Donors Fund, la Cyril and Methodius International Foundation et
l’open Society Fund.
Une des premières est la fondation nationale 13 siècles, créée en 1981, dans le
but de pouvoir recueillir les dons de citoyens bulgares et étrangers au vu de la
célébration du 13e centenaire de la fondation de l’État bulgare, fondé en 681.
L’objectif principal de cet organisme, qui jusqu’à 1990 est intégré aux structures
étatiques, est le financement de la recherche scientifique et la constitution d’une base
de données concernant la collecte des documents et des objets liés à l’histoire du
pays. En 1994, la fondation change de nom et devient de 13 Centuries Bulgaria
National Donors organisation et son action principale est dorénavant orientée vers
le financement de projets de formation des Bulgares expatriés aux publications
littéraires et, finalement, la protection du patrimoine culturel national.
Une deuxième fondation nationale contribue activement à la réalisation de projets
culturels : il s’agit de la fondation Saints Cyril et Méthode créée, initialement en
1982, sous le nom de fondation Ludmila Jivkova. Son objectif principal est le finance-
ment de la formation artistique d’enfants dans le pays et à l’étranger ; la fondation
finance l’organisation de concerts et de festivals pour les jeunes artistes, soutient les
échanges culturels internationaux en finançant des troupes théâtrales et des
formations musicales. Elle finance également la constitution des collections d’œuvres
d’art destinées pour le musée d’art étranger Saints Cyril et Méthode.
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110
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Diane saInt-PIErrE*
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2. Voir Maurice Croisat, le Fédéralisme canadien et la question du Québec, Paris, Éditions anthropos, 1979,
p. 31.
3. Canada, Ministère de la Justice, Codification administrative des lois constitutionnelles de 1867 à 1982,
Ottawa, Ministère de la Justice, 1993.
4. rappelons à cet effet que le Québec est la seule province canadienne à avoir fait du français sa langue
officielle – la Charte de la langue française ou loi 101 (1977) –, alors que le nouveau-Brunswick est la
seule à avoir adopté une loi stipulant que le français et l’anglais sont les deux langues officielles.
114
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5. Voir Monica Gattinger et Diane saint-Pierre, “e ‘neoliberal turn’ in Provincial Cultural Policy and
administration: e Case of Québec and Ontario”, Canadian Journal of Communications, (sous presse).
6. Voir Diane saint-Pierre, la Politique culturelle du Québec : continuité ou changement ? Les acteurs, les coa-
litions et les enjeux, Québec, Presses de l’université Laval, coll. « Management public et gouvernance »,
2003 ; id., « Les politiques culturelles du Québec », dans robert Bernier (dir.), l’État québécois à l’aube du
millénaire, Québec, Les Presses de l’université du Québec, 2004, p. 231-259.
7. Id., « Politiques culturelles et patrimoines au Québec et au Canada », numéro thématique Philippe Poir-
rier (dir.), « Politique culturelle et patrimoines. Vieille Europe et nouveaux mondes », revue Culture et
Musées, Revue internationale. Muséologie et recherches sur la culture (France), juin 2007, no 9, p. 121-140 ;
id., « Identité et patrimoine… deux notions au cœur des interventions patrimoniales publiques du Qué-
bec et du Canada », dans Jean-Claude némery, Michel rautenberg et Fabrice uriot (dir.), Stratégies
identitaires de conservation et de valorisation du patrimoine, Paris, L’harmattan, 2008, p. 115-124.
8. Voir notamment anne-Marie autissier, « Politiques culturelles des États européens : pour une néces-
saire refondation », EspacesTemps.net, 2006 (http://espacestemps.net/document1917.html).
9. Monica Gattinger et Diane saint-Pierre, “toward Provincial Comparative Cultural Policy analysis in
Canada: Can national Models apply? an analysis of the Québec and Ontario Experiences”, International
Journal of Cultural Policy, août 2008, vol. 14, no 3, p. 335-353 ; id., avec la collab. d’alexandre Couture-
Gagnon, “towards sub-national Comparative Cultural Policy analysis: e Case of Provincial Cultural
Policy and administration in Canada”, Journal of Arts Management, Law and Society, hiver 2008.
115
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10. Voir sharon Jeannotte, « Chronologie des événements marquants de la politique culturelle fédérale
canadienne – de 1849 à 2005 », Patrimoine canadien, Observatoire culturel canadien et Culturescope.ca,
mai 2007 (en ligne, http://www.culturescope.ca/policy-timeline/cultural-policy-home_fr.htm, consulté le
19 septembre 2008).
11. andré Fortier, « Le pouvoir fédéral des actions culturelles dont la somme forme peut-être une poli-
tique », dans Pouvoirs publics et politiques culturelles : enjeux nationaux, actes du colloque tenu à Montréal
les 17, 18 et 19 octobre 1991, Montréal, hEC (chaire de gestion des arts), 1992, p. 97-108.
116
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12. Gérald-a. Beaudoin, avec la collab. de Pierre ibault, le Fédéralisme au Canada. Les institutions. Le
partage des pouvoirs, Montréal, Wilson et Lafleur LtÉE, 2000 (chap. 12 : « L’éducation, la culture et la
langue », p. 623-684 ; chap. 13 : « Le pouvoir d’imposer et le pouvoir de dépenser », p. 684-732).
13. andré Fortier et D. Paul schafer, Historique des politiques fédérales dans le domaine des arts au Canada
(1944-1988), préparé pour le ministère des Communications, Ottawa, Conférence canadienne des
arts/Canadian Conference of the arts, 1989, p. 6.
14. Jugeant la commission « constitutionnellement non compétente en matière d’éducation et d’arts », le
gouvernement du Québec refuse d’y prendre part, se démarquant ainsi des autres provinces canadiennes
(voir harold hyman, l’Idée d’un ministère des Affaires culturelles du Québec : des origines à 1966, thèse d’his-
toire, Montréal, Université de Montréal, 1988, p. 42).
117
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15. Voir a. Fortier, « Le pouvoir fédéral des actions culturelles dont la somme forme peut-être une poli-
tique », art. cité ; Fernand harvey, “Cultural Policies in Canada and Québec: Directions for Future
research”, dans Catherine Murray (ed.), Cultural Policies and Cultural Practice: Exploring the Links Bet-
ween Culture and Social Change, Ottawa, Canadian Cultural research network, 1998.
16. Royal Commission on National Development in the Arts, Letters and Sciences 1949-1951: Report, Ottawa,
Printer to the King’s Most Excellent Majesty, 1951.
17. Daniel Bonin, « La culture à l’ombre de deux capitales », dans Douglas Young et robert Young (eds),
Canada: e State of Federation 1992, Ottawa, Institut des relations intergouvernementales, 1992, p. 185.
18. D’ailleurs, à cette époque, la commission Massey-Lévesque constate « avec embarras » que les princi-
paux appuis financiers au secteur des arts au Canada proviennent de fondations étasuniennes, dont les
fondations Carnegie et rockefeller. « Le rapport conclut que le Canada a payé le prix fort pour cette
dépendance facile, par la perte de talents, l’appauvrissement de nos universités et l’acceptation aveugle
d’idées et de conceptions étrangères à notre tradition » (James Marsh et Jocelyn harvey, « historique de
la politique culturelle », l’Encyclopédie canadienne, Fondation historica, 2008, en ligne : http://www.thecan
adianencyclopedia.com, consulté le 15 septembre 2008). Par ailleurs, soulignons que la province de la
saskatchewan a mis sur pied le premier conseil des arts provincial au Canada, en 1948 (Diane saint-
Pierre, « Des approches de soutien aux arts et à la culture distinctes au sein des communautés canadiennes :
portrait des conseils locaux des arts », Loisir et Société/Society and Leisure (Québec), 2006, vol. 29, no 2,
p. 523-549).
19. Paul Litt, “e Massey Commission, americanization, and Canadian Cultural nationalism”, Queen’s
Quarterly, été 1991, vol. 98, no 2, p. 375-387.
20. F. harvey, “Cultural Policies in Canada and Québec: Directions for Future research”, art. cité, p. 3.
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21. D. saint-Pierre, « Politiques culturelles et patrimoines au Québec et au Canada », art. cité ; M. Gattin-
ger et D. saint-Pierre, “toward Provincial Comparative Cultural Policy analysis in Canada: Can natio-
nal Models apply? an analysis of the Québec and Ontario Experiences”, art. cité.
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22. Porté au pouvoir en 1985, le gouvernement libéral du Québec de robert Bourassa se met en devoir
de conclure une entente avec le gouvernement conservateur de Brian Mulroney et avec les autres pro-
vinces : l’accord du lac Meech (1987). sur la base de conditions posées par le Québec, cet accord est fina-
lement rejeté par trois provinces canadiennes en 1990 (D. saint-Pierre, la Politique culturelle du Québec…,
op. cit., p. 104-108 ; E. Brouillet, la Négation de la nation…, op. cit.).
23. L’entente constitutionnelle de Charlottetown, qui sera finalement rejetée à la suite d’un référendum
national, prévoyait notamment la reconnaissance de la compétence exclusive des provinces en matière
culturelle. Pour une critique des offres contenues dans l’entente, consulter henri Brun, Ghislain Otis,
Jacques-Yvan Morin, Daniel turp, José Woehrling, Daniel Proulx, William schabas et Pierre Patenaude,
« La clause relative à la société distincte du rapport du consensus sur la Constitution : un recul pour le
Québec », dans Référendum, 26 octobre 1992. Les objections de 20 spécialistes aux offres fédérales, 1992.
24. D. saint-Pierre, « Les politiques culturelles du Québec », art. cité.
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siren-Gélinas, 1986) qui, dans l’optique d’assurer aux artistes une meilleure sécurité
financière, recommande diverses modifications législatives. Quant au rapport
Financement des arts au Canada d’ici à l’an 2000 (rapport Bovey, 1986), il suggère
une hausse annuelle de 5 % du budget consacré aux arts par le fédéral, alors que le
rapport du groupe de travail sur la politique de la radiodiffusion (rapport Caplan-
sauvageau, 1986) recommande une hausse du financement public pour que les diffu-
seurs et producteurs, et ce, afin d’offrir davantage de contenu canadien sur les ondes
radio et à la télévision.
Poursuivant sur cette lancée de réflexions et d’actions, les années 1990 s’annon-
cent comme celles « de grands changements » en matière de politique culturelle
canadienne25. D’abord, les musées nationaux sont divisés en quatre sociétés de la
Couronne indépendantes ; elles ont notamment comme mandat d’accroître leur
autofinancement en sollicitant des fonds auprès du secteur privé. Puis, dans le cadre
de la réorganisation gouvernementale de 1993, le ministère du Multiculturalisme et
de la Citoyenneté, créé deux ans plus tôt, est aboli. Enfin, connu jusqu’alors sous le
nom de ministère des Communications, le ministère du Patrimoine canadien a
désormais la responsabilité d’élaborer les politiques relatives aux arts et de soutenir
financièrement des activités culturelles et artistiques. En outre, il est doté des respon-
sabilités des parcs nationaux, du sport amateur et des langues officielles ainsi que de
programmes pour les autochtones. En cette période d’austérité gouvernementale
croissante, presque tous les secteurs de la culture sont scrutés à la loupe, alors que la
mise en examen des programmes publics s’accompagne souvent de coupures budgé-
taires importantes. Il en est ainsi pour le ministère du Patrimoine canadien et pour
divers organismes d’État, dont la srC qui, après avoir fermé onze stations régionales
en 1990, faute de financement, voit à nouveau son budget amputé, en 1995, de
quelque 300 millions de dollars canadiens en trois ans. Entre-temps, la loi sur le
statut de l’artiste est adoptée en 1992, créant du même coup le conseil canadien du
statut de l’artiste et le tribunal canadien des relations professionnelles artistes-
producteurs. Enfin, le rapport Juneau, Faire entendre nos voix (1996), du comité
d’examen des mandats recommande la modification des mandats et du financement
de téléfilm Canada, de l’OnF et de la srC.
La décennie 1990 et le début des années 2000 sont aussi propices à la constitution
de différents fonds de développement dans les secteurs des industries culturelles en
général (1990), dans ceux plus spécifiques de la télévision et de la câblodistribution
(1996), du multimédia à téléfilm Canada (1998, renommé Fonds des nouveaux
médias du Canada en 2001), du long métrage et pour les magazines (tous deux en
2000) et, enfin, de la musique (2001). Entre-temps, le programme du multicultura-
lisme est renouvelé en 1996, alors que les activités de la Fondation canadienne des
relations raciales, un organisme autonome, débutent l’année suivante. En 1998, la
loi sur l’agence Parcs Canada a comme conséquence de la soustraire du ministère du
Patrimoine canadien pour en faire une agence distincte du gouvernement fédéral.
25. Voir s. Jeannotte, « Chronologie des événements marquants de la politique culturelle fédérale cana-
dienne – de 1849 à 2005 », art. cité.
121
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26. Depuis, par contre, d’autres dossiers portés sur la scène publique canadienne et québécoise par le gou-
vernement conservateur, élu en 2006, ont suscité des tollés dans les communautés artistiques et culturel-
les. C’est le cas du projet de loi C-10 qui, selon ses opposants, ouvrirait la porte à la censure au cinéma,
et de l’abolition, depuis le printemps 2008, de plusieurs programmes culturels, dont ceux destinés à finan-
cer les tournées d’artistes canadiens à l’étranger.
27. Ivan Bernier et hélène ruiz-Fabri, « Évaluation de la faisabilité juridique d’un instrument interna-
tional sur la diversité culturelle », groupe de travail franco-québécois sur la diversité culturelle, Québec,
2002 (en ligne, http://www.diversite-culturelle.qc.ca/index.php?id=133, consulté le 17 septembre 2008).
28. « Le rendement du Canada 2006-2007 : la contribution du gouvernement du Canada », Ottawa,
secrétariat du conseil du trésor du Canada, 23 novembre 2007 (en ligne, http://www.tbs-sct.gc.ca/reports-
rapports/cp-rc/2006-2007/cp-rc04-fra.asp#c13, consulté le 29 septembre 2008).
29. Conference Board du Canada, Valoriser notre culture : mesurer et comprendre l’économie créative du
Canada, Ottawa, Conference Board du Canada, août 2008 (en ligne, http://www.conferenceboard.ca/doc
uments.asp?rnext=2702).
122
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La question de l’identité…
au cœur des interventions du gouvernement du Québec
au Québec, et malgré les risques d’une grande simplification, trois approches
majeures de politique culturelle ont structuré les rapports entre État et Culture
jusqu’au début des années 1980, et ce en accord avec la conception que l’on se fait
à différentes époques de la notion de culture31.
tout d’abord, l’approche humaniste, qui imprégna largement l’esprit positiviste
et moderniste du xIxe siècle, a amené le gouvernement du Québec, à travers notam-
ment des politiciens et hauts fonctionnaires, à intercéder en faveur de la « culture
lettrée et élitiste » (le « culte du beau »). À cette époque, la plupart des initiatives
gouvernementales visent à accroître le patrimoine des Canadiens-Français : création
du bureau des archives de la Province de Québec en 1920 et de la commission des
monuments historiques du Québec en 1922, ouverture des écoles des beaux-arts de
Montréal et de Québec en 1922 et en 1923, inauguration du musée provincial de
Québec en 1933, mise sur pied du Conservatoire de musique de Québec en 1944,
30. Pour un survol intéressant du multiculturalisme canadien et des prises de position de différents intel-
lectuels canadiens et québécois, voir simon Langlois, « Le multiculturalisme canadien : une approche
sociologique », conférence publique prononcée dans le cadre de la chaire des amériques à l’université de
Paris I Panthéon-sorbonne, le 14 mars 2007 (en ligne, http://chairedesameriques.univ-paris1.fr, consulté
le 12 octobre 2008).
31. D. saint-Pierre, « Les politiques culturelles du Québec », art. cité.
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32. Dans Parti libéral – sa doctrine, ses buts, son programme (1956), on retrouve les propositions de créer
un office de la linguistique, un bureau provincial d’urbanisme, doté de pouvoirs étendus sur le classement
des sites historiques, un département du Canada français d’outre-frontières et un ministère des affaires
culturelles. Pour sa part, le programme du Parti libéral du Québec (1960) comprend 54 articles, dont le
tout premier propose la création d’un ministère national de la « Culture » (D. saint-Pierre, la Politique
culturelle du Québec…, op. cit.).
33. Consulter à cet effet les mémoires de Georges-Émile Lapalme, le Paradis du pouvoir. Mémoires III,
Montréal, Leméac, 1974. Par ailleurs, comme le note Colbert et al. : « […] the federal and provincial
governments each developed their own approach to this sector, with Canada and the English-speaking
provinces having adopted the British model of an arm’s-length Council for the arts, while Quebec having
chosen to follow the French model, predicated on a Ministry of Culture. is situation has, however,
evolved over the years, to the point that Canada now has a mixed system » ((François Colbert, a. d’as-
tous et M-a. Parmentier, “Consumer Evaluation of Government sponsorship in the arts”, Paper pre-
sented at the 3rd International Conference on Cultural Policy research, Montréal, École des hautes études
commerciales, 2004, p. 1, en ligne http://www.gestiondesarts.com/fileadmin/media/images/Francois_colbe
124
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38. Outre les auteurs cités, cette partie s’inspire également d’alexandre Couture-Gagnon, Chronologie de
l’administration publique de la Culture au Québec, document de travail (sous la dir. de D. saint-Pierre),
Québec, Institut national de la recherche scientifique, mars 2007.
39. Deux événements majeurs témoignent de ce tournant, dès 1978 : la tenue du sommet sur les indus-
tries culturelles du Québec et l’adoption de la loi constituant la société québécoise de développement des
industries culturelles. sanctionnée en décembre 1978 et s’inspirant du secteur privé, cette loi a notam-
ment pour objectifs d’« assurer le maintien sous contrôle québécois des entreprises culturelles » et de « favo-
riser le développement d’entreprises culturelles québécoises d’envergure internationale » (Pierre Fournier,
Yves Bélanger et Claude Painchaud, le Parti québécois : politiques économiques et nature de classe, 1978,
p. 15 (en ligne, http://classiques.uqac.ca/contemporains/fournier_ pierre/PQ_pol_econo_nature_de_classe
/PQ_pol_econo_de_classe.pdf, consulté le 18 septembre 2008).
40. La régie du cinéma, origine du bureau de surveillance du cinéma, lequel était le descendant immé-
diat du bureau de censure du cinéma, créé en 1945 par le gouvernement de Maurice Duplessis.
126
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la loi sur les biens culturels en 1986-1987 habilitent les municipalités à protéger des
immeubles ou des sites patrimoniaux. Le gouvernement crée aussi la commission
parlementaire sur le statut socio-économique de l’artiste et du créateur, dont les
travaux débouchent sur l’adoption de lois sur le statut des artistes en 1987 et 1988.
D’autres lois connaissent des modifications importantes (biens culturels, cinéma),
alors que la société de développement des industries de la culture et des
communications, créée en 1982, et la société générale du cinéma sont fusionnées en
1988 pour devenir la société générale des industries culturelles (et depuis 1995, la
société de développement des entreprises culturelles ou sodec).
Mais alors que les pressions exercées par et sur d’autres secteurs névralgiques
d’intervention de l’État (santé, services sociaux, éducation) se font insistantes, les
crédits alloués au ministère des affaires culturelles passent de 108,7 millions de dollars
(courants) en 1981-1982 à 288,7 millions, en 1990-1991. Bien plus, en tenant
compte de la part des budgets d’autres ministères qui soutiennent des activités
culturelles et artistiques, comme la formation des artistes, la radio-télévision publique,
les festivals populaires et les loisirs scientifiques, les dépenses publiques consacrées
aux arts et à la culture au Québec totalisent 900 millions de dollars en 199041. La
participation du gouvernement du Québec à la culture et aux arts est alors plus élevée
(47 %) que celles du fédéral (31 %) et des municipalités (22 %42). Bref, malgré ces
résultats appréciables, on assiste à une levée de boucliers dans le milieu de la culture
au cours de la seconde moitié des années 1980. L’explication à l’origine des
récriminations du milieu culturel se trouve dans les choix publics du gouvernement
de favoriser et d’investir dans tel secteur d’activités culturelles plutôt que dans tel
autre. Cette explication se trouve aussi dans de nouvelles directives de rationalisation
et dans un contrôle accru du gouvernement dans la gestion des fonds publics43, mais
aussi dans des constats peu reluisants : disparité des équipements culturels entre les
régions, pauvreté des créateurs et des artistes, vive concurrence entre les organismes
et institutions pour conquérir le public, « montréalisation » croissante de la culture
québécoise44.
41. andré Coupet (dir.), Étude sur le financement des arts et de la culture au Québec, Montréal, samson,
Bélair/Deloitte & touche, 1990, p. 103 (rapport pour le ministère des affaires culturelles du Québec).
42. « Dépenses publiques au titre de la culture au Canada, 1990-1991, statistiques de la culture », Cata-
logue 87-206 annuel, Ottawa, statistique Canada, mars 1993 (p. 34, tableau 2.5 : « Dépenses totales de
l’administration fédérale au titre de la culture, selon la fonction et la province ou le territoire, 1990-
1991 » ; p. 34, tableau 2.10 : « Dépenses totales des administrations provinciales au titre de la culture,
selon la fonction et la province ou le territoire, 1990-1991 » ; p. 25, tableau 2.11 : « Dépenses des admi-
nistrations municipales au titre de la culture, selon la fonction et la province ou le territoire, 1990 »).
43. D. saint-Pierre, la Politique culturelle du Québec…, op. cit.
44. a. Coupet (dir.), Étude sur le financement des arts et de la culture au Québec, op. cit.
127
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45. société de capital de développement destiné aux entreprises québécoises, le Fonds de solidarité FtQ
intervient dans le développement économique du Québec en investissant dans des secteurs d’activités de
l’économie (pour en savoir plus, consulter http://www.fondsftq.com/).
128
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46. Voir supra note 42 et Dépenses publiques au titre de la culture selon le palier de gouvernement et province
ou territoire, Canada, 2003-2004, Catalogue 87F0001xIF, 2005 (en ligne, http://www.statcan.ca/francais/f
reepub/87F0001xIF/2006001/data_f.htm, consulté le 7 septembre 2008).
47. Formule de conversion retenue : dollars courants × 100 ÷ indice = dollars constants. Dans ce cas-ci,
536 387 $ × 100 ÷ 75,8 = 707 733 $. L’auteure remercie monsieur Benoit allaire, conseiller en recherche
culture et communication de l’Institut de la statistique du Québec, pour les renseignements fournis.
48. Voir supra note 46.
49. Pourvoir la culture ensemble. Cahier de propositions, Québec, Ministère de la Culture et des Commu-
nications du Québec, mai 2005, p. 11.
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cations, notamment ceux de petite taille, une marge de sécurité financière pour faire
face à l’imprévu. Le second a pour but d’accroître les subventions destinées au secteur
du patrimoine. Également, en accord avec ce projet de décentralisation et de
régionalisation des responsabilités, le gouvernement conçoit en 2003 les conférences
régionales des élus, lesquelles sont devenues depuis des intervenants clés en matière
de développement culturel. Enfin, en conformité avec cet axe visant la réévaluation
des programmes existants, mais aussi face à des problématiques parfois très criantes,
divers rapports et études sont produits : la qualité de la langue dans les médias (2003),
les médias communautaires et télé-Québec (2005), les festivals de films à Montréal
(rapport Vaugeois, 2006), le milieu du cinéma québécois (rapport Macerola, 2007)
et l’industrie du doublage (rapport heenan, avril 200850).
Conclusion
au Canada comme au Québec, les fondements des interventions culturelles
publiques sont donc intimement liés à la question nationale, l’une canadienne, l’autre
québécoise. Dès les années 1960, voire bien avant avec le gouvernement de l’Union
nationale de Maurice Duplessis (1936-1939, 1944-1959), adversaire des politiques
centralisatrices d’Ottawa et défenseur de l’autonomie provinciale, le Québec pose un
problème politique délicat dont l’une des solutions réside dans l’affirmation culturelle
et identitaire. Quant au fédéral, principal promoteur de la culture et de l’identité
canadiennes, et souvent appuyé en cela par les autres provinces canadiennes, il se
donne comme finalités, au fil du temps, la création d’un environnement dans lequel
les arts, la créativité, le patrimoine et l’histoire sont accessibles à tous.
Face à un gouvernement fédéral qui prône une politique culturelle semblable
pour l’ensemble canadien, le Québec se tourne vers un allié de taille, la France, qui
lui inspire alors… des façons de faire. Cette proximité de vues entre les ministres
Lapalme et Malraux se concrétise d’abord avec la création du ministère des affaires
culturelles au Québec en 1961, une première au sein des amériques. Par cette action,
le gouvernement libéral de Jean Lesage met ainsi en place un véhicule par excellence
pour privilégier l’identité nationale… des Québécois. Mais très vite les spécificités
du régime québécois soumis à des influences anglo-saxonnes se distancient de
l’approche d’interventions culturelles à la française, notamment en intégrant la
pratique de l’administration à distance avec la création de sociétés d’État autonomes.
En fait, alors que le gouvernement fédéral multiplie ses interventions culturelles, tout
en innovant à l’époque avec sa politique du multiculturalisme, le modèle québécois
tend dès lors vers une hybridation des deux grands modes de fonctionnement, soit
la concession de responsabilités à des sociétés d’État et à des organismes de
financement autonome, largement inspirés du modèle anglo-saxon, et le maintien
du rôle central de la réglementation gouvernementale et d’un ministère de la Culture
dans l’attribution directe de financements gouvernementaux. Du côté du fédéral, par
50. Pour tous ces documents et rapports, consulter le site internet du ministère de la Culture, des Com-
munications et de la Condition féminine du Québec : http://www.mcccf.gouv.qc.ca.
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contre, une grande partie des politiques culturelles et des programmes publics en
découlant se réalisera grâce à des agences et des sociétés d’État, créées à compter des
années 1950.
Cela étant dit, soulignons que la démocratisation culturelle a également montré
ses limites au Québec, comme dans bien d’autres pays, et s’est vue dédoublée d’une
finalité nouvelle en termes de démocratie culturelle à partir des années 1980. Cette
finalité trouve aussi ses échos à Ottawa avec l’avènement de la politique sur le
multiculturalisme qui, à compter du remaniement gouvernemental de 1993, s’ajoute
aux autres responsabilités du ministère du Patrimoine canadien. rappelons aussi que
sous les effets combinés des difficultés économiques des années 1980-1990 et de la
remise en question de l’État-providence, le fédéral comme le gouvernement du
Québec révisent en profondeur leurs modes d’intervention publique dans le domaine
de la culture. ainsi, se multiplient les réorganisations gouvernementales et les révi-
sions de programmes publics. sont également élaborés des incitatifs à l’autofinance-
ment et à l’accroissement du mécénat et de partenariats publics-privés, alors que se
développent des modalités d’accès au capital financier pour les organismes et entrepri-
ses du secteur des industries culturelles, et ce, sans omettre ce rôle de plus en plus
croissant accordé aux milieux locaux dans le développement culturel.
Enfin, alors que les objectifs des politiques culturelles canadiennes et québécoises
évoluent de plus en plus dans un environnement changeant et mondialisé, émerge
à la fin des années 1990 cette nécessité de reconnaître l’importance de la diversité
culturelle. L’initiative d’élaborer un nouvel instrument fondateur en droit internatio-
nal, un projet de convention internationale, revient à des membres de la communauté
francophone. alors que le France promeut et défend, pour un temps, le dossier de
l’« exception culturelle », le Québec devient dès 1998 un ardent promoteur de la
« diversité culturelle », notamment avec la création de la Coalition pour la diversité
culturelle, qui regroupe alors une douzaine d’associations québécoises. Puis, en juin
1999, le gouvernement du Québec officialise sa position par une déclaration
ministérielle où il insiste sur la reconnaissance internationale de « la capacité des États
et des gouvernements de soutenir et de promouvoir la culture51 ». Bref, tout au cours
de ce débat – et pour une des rares fois dans les relations Ottawa-Québec dans le
domaine de la culture –, le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral
canadien travaillent de concert à promouvoir ce nouvel instrument qui, depuis son
adoption par la quasi-totalité des pays membres de l’Unesco en octobre 2005,
consacre le droit des États de définir et de conduire des politiques culturelles. Le
Canada devient d’ailleurs le premier signataire de la Convention sur la protection et
la promotion de la diversité des expressions culturelles.
51. Pour un historique intéressant de ce dossier et du rôle joué par le Québec ainsi que pour prendre
connaissance de cette déclaration de juin 1999, consulter le site internet du secrétariat gouvernemental à
la diversité culturelle du ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine du
Québec (en ligne, http://www.diversite-culturelle.qc.ca/, consulté en septembre 2008).
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Maite DE CEA*
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3. Vincent Dubois, la Politique culturelle : genèse d’une catégorie d’intervention publique, Paris, Belin, 1999.
4. Ibid., p. 86.
5. Anne-Marie iesse, la Création des identités nationales. Europe XVIIIe-XIXe siècle, Paris, Le Seuil, 1999.
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En plus des différents référents externes et internes, divers récits se sont développés
– en fonction de l’époque historique et du contexte politique et social – permettant
de caractériser cette identité chilienne dans le temps. Certains auteurs identifient ces
versions de l’identité comme étant d’abord « militaire raciale » ou « nationale mili-
taire », de par la lutte pour l’indépendance et les guerres postérieures contre le Pérou
et la Bolivie ; ensuite viendrait une identité « civique nationale », surtout au xxe siècle,
en raison de l’importance de l’État éducateur, de l’industrialisation et de l’expansion
de la démocratie ; puis le récit de l’« expulsion populaire » qui laisserait un grand
nombre en marge du processus de modernisation ; et, enfin, la version du « jaguar du
libre marché » où la consommation règne au cœur de la vie quotidienne des Chiliens.
En effet, la construction nationale au Chili commence après la guerre d’indépen-
dance du xixe siècle. Les premières années de l’indépendance sont consacrées à la
mise en place d’un État, d’une armée, d’une histoire, d’une littérature, d’une langue,
d’une presse et d’une jurisprudence. Le processus indépendantiste a donc un impact
identitaire profond. À cette époque, les facteurs d’opposition à l’Espagnol et la
recherche d’autres référents dans le monde anglo-saxon sont mis en avant.
L’idéalisation des Araucans et de leur très grande résistance à la conquête espagnole
a été fortement exaltée. Une fois passée cette période, l’État et l’élite entreprennent
un processus de nationalisation, qui, au cours de l’histoire du pays, prend toujours
forme dans deux postures antagoniques : un libéralisme républicain, dont le principe
d’orientation est la démocratie, versus un courant de pensée organique conservateur
de type autoritaire. historiquement, le concept de nation a été défini de deux
manières opposées : une définition politique, proche de la tradition française, et une
définition symbolique, plus proche de la tradition allemande. Pour cette dernière, la
nation serait, avant tout, une mémoire partagée, une âme, un esprit, et seulement
ensuite une géographie ou une matière sensible, alors que, selon la conception
française, la nation est une création politico-institutionnelle. Si l’on classifie le concept
de nation comme politique ou symbolique, le Chili s’oriente depuis ses origines vers
le premier. « L’idée directrice du Chili républicain consiste, dans une perspective
historique, à penser que c’est l’État qui a mis en place et affirmé la nationalité
chilienne au cours des xixe et xxe siècles ; et que la finalité de l’État est le bien
commun dans toutes ses dimensions : défense nationale, justice, éducation, santé,
développement de l’économie, protection des activités culturelles, etc.6. » Comme
nous le montre cette citation, à la naissance de l’État chilien président l’autorité, le
gouvernement, la préoccupation pour la chose publique, la référence centralisatrice
par-delà la démocratie. Le national apparaît associé à l’État en tant qu’entité orientée
par la recherche du bien commun.
L’historien chilien Mario Góngora pose comme thèse centrale que la nationalité
chilienne a été une construction verticale. Cela consisterait, selon l’auteur, en une
construction à partir de l’État, dans le plus pur style français. Góngora considère
6. Mario Góngora, Ensayo histórico sobre la noción de Estado en Chile en los siglos XIX y XX, Santiago, Edi-
ciones la Ciudad, 2003.
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7. PNUD, Desarrollo Humano en Chile. Nosotros los chilenos : un desafío cultural, Santiago, Programa de las
Naciones Unidas para el Desarrollo, 2002.
8. José Bengoa, « La diversidad como valor. La Torre de Babel », Patrimonio Cultural, 2007, no 44.
9. Mariana Aylwin, Carlos Bascuñan, Sofía Correa, Cristián Gazmuri, Sol Serrano et Matías Tagle, Chile
en el siglo XX, Santiago, Planeta, 1990, 298 p.
137
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de droite qui s’opposent à l’instauration d’une démocratie libérale et qui ont, par
moments, consenti à soutenir des régimes dictatoriaux10.
Si nous nous penchons sur le cas chilien, nous pouvons apprécier le fait que,
pendant cette période d’après-guerre et de guerre froide, il s’agit de l’un des pays
d’Amérique latine les plus favorables à la démocratie. Après avoir vécu une période
de relative instabilité11 pendant les années 1930, le Front populaire arrive au pouvoir
en 1938. Cette alliance de centre gauche qui regroupait radicaux, socialistes et commu-
nistes, au-delà de représenter les classes moyennes, les ouvriers et certains propriétaires,
cherche aussi bien la croissance industrielle que la réforme sociale12. Ce type d’alliance
marque une innovation en Amérique latine, il était en effet peu commun jusqu’alors
que différents partis s’unissent pour gagner une élection. Plus tard, des pactes
politiques et alliances stratégiques apparaîtraient sur l’ensemble du continent.
Ébranlé avec les débuts de la Seconde Guerre mondiale, le Front populaire
connaît une résurrection avec la fin de la guerre. La présence du Front populaire au
pouvoir ne change pratiquement rien à la domination économique de la droite
chilienne. La plus grande présence de l’État dans les affaires sociales et dans la
construction d’un système politique pluriel constitue l’élément le plus marquant de
ces gouvernements. C’est à partir de ce moment-là qu’au niveau international, le
Chili a consolidé son image de nation politiquement stable. Les radicaux et les
communistes s’allient pour être élus et proposer de nouveau un programme avec une
claire approche réformiste. Mais cette alliance dure peu de temps après la victoire
aux élections, car dès que González Videla devient président, il commence à inclure
dans son gouvernement des représentants de l’aile conservatrice de l’échiquier
politique chilien, dans le but d’obtenir une majorité au congrès. En réponse, le parti
communiste se retire de l’alliance et peu à peu le gouvernement devient plus
autoritaire, jusqu’à interdire par voie législative l’existence du parti communiste (ceci
durera de 1949 à 1958). Le Front populaire disparaît ainsi, alors que grandit un
mécontentement parmi les classes moyennes et populaires. Les dernières années de
la décennie 1950 ont été décisives dans la vie politique chilienne. Une alliance de
gauche se forme, derrière Salvador Allende, qui sera, jusqu’à la chute de la démocratie
en septembre 1973, un pôle permanent et clair de pensée idéologique. Cette
transformation définitive de la gauche chilienne l’amènera quelques années plus tard
à être la force politique capable de vaincre la classe dominante. En somme, la carte
des partis politiques accuse certaines modifications pendant l’après-guerre13.
L’aire d’ouverture politique qui règne sur le monde se retrouve également sur le
continent latino-américain. D’une part, les partis réformistes, qui répondaient aux
demandes des classes moyennes, finissent de se consolider en tant que force politique
10. Tulio halperin, Historia contemporánea de América latina, Madrid, Alianza Editorial, 1996, 750 p.
11. Au cours de l’année 1932, le Chili a vécu un soulèvement militaire à portée progressiste, mené par le
colonel des forces aériennes Marmaduke Grove, débouchant sur l’instauration de la « République socia-
liste » qui ne dure que quelques semaines. En octobre de la même année, Grove a en effet été battu par
Arturo Alessandri, le candidat conservateur, aux élections présidentielles.
12. Leslie Bethell, Historia de América Latina, Barcelona, Editorial Crítica, 2002, 378 p.
13. M. Aylwin et al., Chile en el siglo XX, op. cit.
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14. Olivier Dabène, La región América Latina. Interdependencia y cambios políticos, Buenos Aires, Corre-
gidor, 2001, 318 p.
15. José Del Pozo, Historia de América Latina y el Caribe. 1825 hasta nuestros días, Santiago, Lom, 2002,
309 p.
16. Olivier Dabène, América Latina en el siglo XX, Madrid, Síntesis, 1999, 255 p.
17. J. Del Pozo, Historia de América Latina y el Caribe…, op. cit.
18. Les programmes de Frei et Allende sont habituellement identifiés respectivement comme « la révolu-
tion en liberté » et « la voie chilienne vers le socialisme ».
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réformes structurelles afin d’apporter des solutions aux profonds problèmes sociaux
et à l’enlisement économique régnant au Chili à l’époque. Néanmoins, aucun ne
remplit ses objectifs, ce qui contribue à l’émergence d’une scène politique hautement
idéologisée et d’une opinion publique toujours plus polarisée19. La décennie des
années 1960 a été critique au niveau social, politique et économique. La société
chilienne s’est enfoncée dans l’échec du modèle économique de substitution des
importations, divers mouvements sociaux de protestation ont émergé, et le système
politique est déstabilisé. Dans ce contexte, le Chili – de même que nombre d’autres
pays de la région – doit vivre d’importantes transformations dans tous les secteurs.
La culture, bien entendu, n’est pas écartée de ce processus. Au milieu des années
1960, toute la responsabilité qui revenait alors aux universités étatiques et publiques
dans le domaine culturel est à nouveau assumée par l’État.
Le gouvernement d’Eduardo Frei Montalva (1964-1969) comme celui de
Salvador Allende (1970-1973) mènent des réformes structurelles dans le pays, tout
en étant à l’écoute des demandes sociales et culturelles croissantes de la population.
Dans le champ spécifique des interventions culturelles, le gouvernement d’Eduardo
Frei Montalva concentre son attention sur la démocratisation culturelle, introduisant
dans les secteurs populaires et ruraux d’autres formes de création telles que la culture
de masse et la culture populaire. L’idée fondamentale de ces deux gouvernements
était de rapprocher la culture des masses, cap qui fut maintenu tout au long de la
période 1964-1973 avant d’être brusquement modifié par le coup d’État militaire.
Les gouvernements de Frei Montalva et d’Allende ont aspiré à l’application d’une
politique culturelle active, où l’action de l’État s’étendrait au plus grand nombre avec
pour priorité les classes les plus populaires de la société.
Le gouvernement d’Allende a créé d’autres institutions dont les fonctions
comprenaient la démocratisation de la culture. C’est le cas de la réorganisation opérée
au niveau du département de la culture et des publications du ministère de l’Éduca-
tion. Jusqu’alors, la fonction de ce département était purement limitée à l’offre
culturelle, laquelle a été maintenue pendant l’Unité populaire, mais en donnant beau-
coup plus d’importance à la création artistique communautaire. Dans un contexte
idéologique de lutte des classes, la culture devait être en adéquation avec l’objectif
du projet socialiste, et elle finit de fait par être absorbée par le politique. Dans la
citation suivante – tirée du programme du gouvernement de l’Unité populaire – nous
pouvons voir l’orientation que prend l’action culturelle :
« Parce que la culture nouvelle ne sera pas créée par décret ; elle émergera de la
lutte pour la fraternité contre l’individualisme ; pour la valorisation du travail humain
contre son dénigrement ; pour les valeurs nationales contre la colonisation culturelle ;
pour l’accès des masses populaires à l’art de la littérature et aux moyens de commu-
nication contre sa commercialisation. Le nouvel État rendra possible l’incorporation
des masses à l’activité intellectuelle et artistique, aussi bien à travers un système
éducatif radicalement transformé, qu’à travers l’établissement d’un service national
19. Simon Collier et Sater William, Historia de Chile 1808-1994, Madrid, Cambridge University Press,
1999, 359 p.
140
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20. Gobierno de Chile, Programa de la Unidad Popular, Santiago, Editorial Prensa Latinoamericana, 1970.
21. La maison d’édition quimantú a produit des tirages à 50 000 exemplaires qui étaient distribués à tra-
vers l’ensemble du territoire national, faits sans précédent au Chili.
22. information du site officiel du musée Salvador Allende (http://www.museodelasolidaridad.cl).
23. J. Del Pozo, Historia de América Latina y el Caribe…, op. cit.
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Mais peu à peu il rencontre des obstacles : déficit de la production agricole, croissance
économique lente, expansion du marché noir, le blocus financier opéré par les États-
Unis étant l’un des facteurs importants de la déstabilisation du régime. L’inflation
ne tarde pas à s’installer, accompagnée par la raréfaction des biens.
La dictature militaire
En 1973, la légitimité du régime démocratique ne perdure pas et le coup d’État
fomenté par les militaires exploe. Le régime autoritaire de Pinochet se caractérise par
une personnalisation du pouvoir concentré dans ses mains et une faible
institutionnalisation. En parallèle, des mesures coercitives privatives de liberté, des
réformes économiques d’essence purement néolibérale sont menées dans le but de
moderniser l’économie du pays24. S’il y eut bien des essais néolibéraux dans presque
tous les pays de la région, la réduction du rôle de l’État est un titre de gloire presque
exclusif du régime autoritaire chilien, étant donné la force et la rigueur avec lesquelles
il imposa les mesures économiques qu’il avait lui-même dessinées25. En quelques
mots, le régime se caractérise par une forte répression, une violence, et un pouvoir
concentré entre les mains de Pinochet et de quelques proches. Et les réformes écono-
miques structurelles proposées à la Junte militaire par les Chicago Boys26 commencent
à être mises en œuvre. Les exportations et l’ouverture économique vers l’étranger
sont au cœur de la grande réforme, dont la règle de base est de partout laisser faire
le marché. L’objectif principal consistant à détruire tout vestige de marxisme, puisque
celui-ci constituait, aux yeux des Chicago Boys, une menace à l’ordre national.
Après de nombreuses tentatives de réforme de la constitution politique chilienne,
Pinochet signe une constitution en 1980, dans laquelle il prévoit un plébiscite pour
ou contre son maintien au pouvoir. Ce texte montre le succès du régime sur
l’opposition puisqu’il met, pour un temps, fin à la crise interne et fixe un cadre pour
les affrontements politiques. il montre également que la démocratie serait limitée s’il
ne gagnait pas l’élection de 198927. Les militaires fixaient ainsi l’avenir du Chili avec
les fameuses « enclaves autoritaires » définies par Manuel Antonio Garretón28.
À partir de 1981, la légitimité du régime de Pinochet s’affaiblit, et il doit faire
des concessions pour survivre face à l’opposition. Jusqu’en 1987, différents mouve-
24. Carlos huneeus, El régimen de Pinochet, Santiago, Editorial Sudamericana, 2001, 670 p.
25. Carlos Malamud, América Latina, Siglo XX la búsqueda de la democracia, Madrid, Editorial Síntesis,
2003, 170 p.
26. Économistes chiliens, dans leur majorité diplômés de l’université catholique et ayant suivi des études
de troisième cycle à l’université de Chicago pendant les années 1960, qui ont appliqué au Chili ce qu’ils
avaient appris de professeurs tels que Milton Friedman et Arnold harberger. ils ont instauré un pro-
gramme de privatisations et de réduction des dépenses publiques pour corriger la forte inflation et les
difficultés économiques héritées du gouvernement précédent.
27. O. Dabène, América Latina en el siglo XX, op. cit.
28. Parmi ces aspects « non démocratiques » de la démocratie consentie, on trouvait, jusqu’à très récem-
ment, des mesures telles que les sénateurs désignés, le système électoral binominal encore en vigueur aujour-
d’hui, la composition du Conseil de sécurité national, l’inamovibilité des commandants en chef des forces
armées, les sénateurs à vie – règle applicable aux anciens présidents de la République –, entre autres. Autant
d’aspects qui démontrent une forte participation des forces armées dans le processus politique.
142
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ments sociaux commencent à s’exprimer dans la sphère publique, faisant naître très
lentement un projet de gouvernement alternatif. Le 5 octobre 1988, l’alternative du
non gagne avec 54 % des voix. Un pacte politique est formé, la Concertation des
partis pour la démocratie29, dont le futur candidat, le démocrate-chrétien Patricio
Aylwin, remportera les élections avec 53,8 % des suffrages. Ce sera le début de la
transition vers la démocratie au Chili. À la différence des dictatures ou autoritarismes
ayant régné sur presque toute l’Amérique latine depuis les années 1960, qui ont
échoué dans leur gestion, amenant les militaires à renoncer en raison du rejet d’une
part de la population, le régime chilien reçoit jusqu’à la fin l’appui de presque la
moitié de la population (autour de 43 %) et présente un bilan économique positif.
De plus, le changement de régime vers la démocratie se fait en accord avec les
échéances établies dans la constitution de 1980, élaborée par le régime lui-même30.
Tous les documents existants relatifs aux actions culturelles mises en œuvre
pendant la dictature militaire offrent un panorama de désordre en la matière. Ceci
est dû à l’absence de cadre institutionnel – que ce soit organique ou normatif – sur
le terrain culturel. Sous Pinochet, il n’y a pas eu de politique culturelle de gouverne-
ment (et encore moins d’État), c’est-à-dire pas de ligne d’action publique cohérente
et suivie à long terme. L’État fait preuve d’ingérence dans presque tout ce qui est lié
aux activités culturelles, depuis les droits d’auteur jusqu’à la promotion et distribution
de livres. Le régime militaire se charge rapidement de désarticuler toute l’organisation
culturelle de l’État, sans qu’il y ait une ligne directrice explicite à suivre. Des recteurs
militaires sont nommés dans les universités, participant personnellement à toutes les
décisions culturelles au sein de ces lieux d’études. La citation suivante nous donne
un éclairage sur le climat créé au Chili au moment de l’instauration du régime de
Pinochet : « L’assaut donné aux installations de ChileFilms31, du musée d’Art
contemporain et du musée des Beaux-Arts, après un grotesque déploiement des forces
militaires dans le parc forestier, témoignent de ce que la guerre contre le communisme
se jouait également sur le plan de la culture32. »
Le coup d’État met fin à la dynamique existante. Cependant, la tendance posant
l’État comme acteur principal de l’action culturelle n’est pas bouleversée. Le régime
militaire a connu deux phases distinctes d’intervention quant aux politiques
publiques de la culture. Une première étape, du coup d’État jusqu’à la fin des années
1970, s’est caractérisée par une culture centralisée par le gouvernement, avec l’objectif
dela soumettre à des fins politiques, liées à une forte idéologie nationaliste. La seconde
étape durera jusqu’en 1989, caractérisée par le transfert de la régulation de la culture
aux forces du marché, bien que l’exécutif continue à établir un contrôle de l’offre.
La politique néolibérale du régime de Pinochet eut pour conséquence une nette
diminution des subventions directes au domaine de la culture.
29. Coalition politique qui réunissait des partis de gauche et du centre : la démocratie chrétienne (DC),
le parti radical (PR), le parti pour la démocratie (PPD) et le parti socialiste (PS).
30. C. huneeus, El régimen de Pinochet, op. cit.
31. Entreprise nationale de production cinématographique.
32. Arturo Navarro, Cultura, quién paga? Gestion, insfraestructura y audiencias en el modelo chileno de desar-
rollo cultural, Santiago, RiL Editores, 2006, 261 p. (p. 63).
143
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33. Cristián Antoine, « La nueva institucionalidad cultural de Chile », Ius Publicum, 2004, no 12, p. 89-
103.
34. Gobierno de Chile, Política Cultural del Gobierno de Chile, Santagio, Editora Nacional Gabriel Mis-
tral, 1975.
35. Ibid.
36. Carlos Catalan et Giselle Munizaga, Políticas culturales estatales bajo el autoritarismo en Chile, San-
tiago, Centro de indagación y Expresión Cultural y Artística, 1986.
144
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étant affectée aux corporations privées ou aux centres culturels des municipalités. Le
département d’extension du ministère de l’Éducation joue un rôle très réduit dans
le développement culturel du pays. L’idée de culture en tant que bien commercial
devient manifeste, puisque la logique du marché s’installe aussi dans le domaine
culturel. Cependant, il existe toujours une réticence de la majeure partie du monde
de la culture, ce qui rend cette transformation relativement lente.
Pour résumer en quelques mots les agissements en matière culturelle du régime
de Pinochet, nous pourrions dire qu’il existe pendant cette période une politique
d’autofinancement, d’exclusion et de censure. À travers la logique industrielle
régnante, la culture de masse constitue l’élément le plus diffusé par les médias
audiovisuels (contrôlés par l’État). La décentralisation de la culture est encouragée
(dans le sens d’un affaiblissement de la fonction étatique dans le domaine culturel)
et, dans une moindre mesure, l’idée de démocratiser la culture est présente – incarnée
par le ministère de l’Éducation – dans le but de toucher tous les Chiliens. L’État
remplit à cette époque un rôle complètement subsidiaire, et ne montre jamais un
grand intérêt pour la création d’un cadre institutionnel propre au champ culturel.
C’est uniquement à la fin du régime que la possibilité de créer une institution
culturelle commence à faire l’objet de discussions. Dans un document émis par le
département d’extension du ministère de l’Éducation, la création d’un ministère de
la Culture, d’un institut du patrimoine, d’un fonds national de la culture et d’un
institut du livre a bien été proposée, mais sans que cela ne mène à un projet concret.
Les débats reprendraient une fois la démocratie retrouvée, comme nous le verrons
par la suite.
Dans le contexte national, nous observons, pendant les années qui précèdent le
retour à la démocratie au Chili, un consensus de tous les secteurs de la société autour
de la nécessité de donner plus de cohérence aux interventions culturelles menées par
l’État. À la fin du régime de Pinochet (1989), une commission a ainsi été mise en
place dans le but de rédiger un programme de développement culturel. Elle a proposé
une nouvelle forme d’institutionnalisation, qui aurait comme principale fonction de
coordonner les différentes activités du domaine culturel. Cette commission a souligné
que l’État devait agir dans le champ culturel selon un principe de subsidiarité, c’est-
à-dire non pas créer un « art d’État », mais stimuler la créativité des individus et des
groupes, en leur facilitant les moyens nécessaires pour y parvenir.
D’un autre côté, les différentes alliances de partis politiques souhaitant arriver au
gouvernement en 1989 ont inclus dans leur projet de gouvernement la nécessité de
reconfigurer la politique culturelle existante. Évidemment, il y avait des différences
techniques relatives au type d’institutionnalisation qu’il fallait créer (les partis de
droite ne voulaient pas d’une intervention directe de l’État, mais plutôt que celui-ci
ait une fonction subsidiaire ; les partis de centre gauche préféraient la création d’un
organisme public stable pour coordonner les actions de l’État relatives à la culture).
Néanmoins, tous les arguments allaient dans le sens d’une critique radicale du schéma
existant.
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37. Samuel huntington, La tercera ola. La democratización a finales del siglo XX, Buenos Aires, Paidós,
1994, 329 p.
38. Pour plus de détails sur ce débat, voir Guillermo O’Donnell, Philippe C. Schmitter, Gerard Lehm-
bruch et Lawrence Whitehead (eds), Transitions from Authoritarian Rule. Comparative Perspectives, Mary-
land, e John hopkins University Press, 1986, 190 p. ; Guillermo O’Donnell et Philippe C. Schmitter,
Transitions from Authoritarian Rule. Tentative Conclusions about Uncertain Democracies, Maryland, e
John hopkins University Press, 1989, 81 p. ; Juan J. Linz et Alfred Stepan, Problems of Democratic Tran-
sition and Consolidation. Southern Europe, South America and Post-Communist Europe, Maryland, e John
hopkins University Press, 1996, 479 p. ; Manuel Antonio Garretón, « De la transicion a los problemas
en la democracia chilena », Politica, 2004, no 42, p. 179-206.
39. J. J. Linz et A. Stepan, Problems of Democratic Transition…, op. cit.
40. S. Collier et S. William, Historia de Chile 1808-1994…, op. cit.
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Continuité et changement
dans le modèle de politique culturelle au Chili
Comme cela a été écrit à propos des nations européennes, le soutien à la
production et à la consommation de culture, et des arts en général, est profondément
enraciné dans l’histoire des pays44. Dans le cas chilien, la culture a toujours été en
grande partie du ressort de l’État. À l’exception de la période du régime militaire, où
41. Pour plus de détails, voir Eugenio Tironi, « Cultura y Comunicaciones en una época de transición
(Chile, 1990-1994) », Proposiciones, 1994, no 25, p. 63-75 ; Manuel Antonio Garretón, Propuesta para la
Institucionalidad cultural chilena, Santiago, Ministerio de Educación, 1991 ; Milan ivelic, Chile está en
deuda con la cultura, Santiago, Comision asesora presidencial en materias artístico culturales, 1997 ; Ley
Número 19.891, Consejo nacional de la cultura y las artes, 2003.
42. Bernardo Subercaseaux, « Cultura y Democracia », dans E. Carrasci et B. Nagrón (dir.), La cultura
durante el período de la transición a la democracia. 1990-2005, Santiago, Consejo Nacional de la Cultura
y las Artes, 2006, p. 19-29.
43. Manuel Antonio Garretón, Cultura y Desarrollo en Chile. Dimensiones y perspectivas en el cambio de
siglo, Santiago, Andrés Bello, 2001, 247 p.
44. Annette Zimmer et Stefan Toepler, “e Subsidized Muse: Government and the Arts in Western
Europe and the United States”, Journal of Cultural Economics, 1999, no 23, p. 33-49.
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Structure administrative
de la nouvelle institution culturelle au Chili
Administrativement, le CNCA est organisé en deux branches : d’un côté, sont créés
des organes de conseil dont les membres travaillent ad honorem, suggérant que l’action
publique s’inspire d’un nouveau type d’accord avec les citoyens ; et d’un autre coté,
un service proprement dit. La première est composée d’un directoire national et de
son comité consultatif, structure reproduite au niveau des régions. La seconde est
constituée d’une présidence et d’une sous-direction qui se divise en six services :
administration générale, ressources humaines, service juridique, planification et
études, création artistique et citoyenneté et culture, chacun avec ses différentes unités
internes. Nous retiendrons la branche de conseil de la nouvelle figure institutionnelle,
puisque s’y retrouvent les éléments novateurs dans l’articulation entre la politique et
la société civile.
Le directoire national du CNCA est composé d’un président ayant le rang de
ministre, ce qui constitue la plus haute autorité du service, de deux ministres d’État
(Éducation et Affaires étrangères), de trois personnalités issues du domaine culturel,
désignées par le président de la République sur proposition des organisations
culturelles, de deux personnes issues du secteur de la culture désignées par le président
de la République avec l’approbation du Sénat, de deux intellectuels, l’un nommé par
le conseil des recteurs des universités chiliennes et l’autre par les recteurs des universités
privées et, finalement, d’un lauréat du prix national49, élu par ceux ayant été récom-
pensés par ce prix. Le directoire national, composé d’un côté de représentants de l’État
et, de l’autre, de représentants de la société civile50, a pour fonction principale de
prendre les décisions relatives au budget de la culture et aux programmes de travail.
il doit vérifier que les fonctions du CNCA sont effectives, approuver une fois par an
aussi bien le plan de travail que le budget prévisionnel, et s’assurer qu’il y a une bonne
coordination entre les différents ministères, organismes et services publics ayant un
lien direct avec le champ culturel. De la même façon, le Conseil devra soutenir la
48. Claudio Di Girolamo, Del país vivido al país soñado, Santiago, Ministerio de Educación, División de
Cultura, 1997.
49. Le prix national est une récompense décernée par le gouvernement du Chili, à travers le Conseil natio-
nal de la culture et des arts (et, avant sa création, par le ministère de l’Éducation). Ce prix comprend dif-
férents domaines : littérature, journalisme, sciences de l’éducation, histoire, arts plastiques, arts musicaux,
arts scéniques et audiovisuels, sciences humaines et sociales, sciences exactes, sciences naturelles, sciences
appliquées et technologiques.
50. Ley Número 19.891, Consejo Nacional De La Cultura y las Artes, 2003.
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relation entre ces institutions, les corporations et les organisations privées. Le directoire
doit proposer au président de la République les projets de loi et les activités adminis-
tratives relatifs au domaine culturel, artistique et patrimonial, ainsi qu’un projet de
distribution des ressources du fonds de développement culturel, tout en en contrôlant
l’utilisation. il devra désigner les membres des comités de spécialistes, ceux de la
commission des bourses, et le jury qui intervient dans la sélection et l’attribution des
ressources aux projets artistiques participant aux concours du Fonds national pour le
développement des arts (FONDART). Le président du Conseil est le responsable officiel
de la gestion du CNCA devant le président de la République. il doit veiller à
l’accomplissement des fonctions du Conseil et des accords établis par le directoire.
De son côté, le comité consultatif national est constitué de quinze personnes liées
à différents secteurs de la création artistique (musique, théâtre, danse, arts plastiques
et populaires), du patrimoine culturel, des industries culturelles, des universités, des
corporations culturelles du secteur privé, des entreprises et des cultures originelles.
Le comité consultatif national a pour fonction de conseiller le CNCA pour toutes les
activités culturelles. Ce comité doit désigner les spécialistes et les jurés qui intervien-
nent dans la sélection des projets en compétition pour l’obtention de financement
provenant du FONDART. ils doivent proposer au directoire des politiques, des projets
de loi et des règlements ayant pour but le soutien, le développement et la diffusion
des arts et du patrimoine. Au niveau régional, le CNCA est territorialement déconcen-
tré dans chacune des quinze régions du Chili, où un conseil régional de la culture et
un comité consultatif régional sont instaurés.
Comme on peut le constater, chaque instance, qu’elle soit de caractère national
ou régional, est composée de personnes provenant de différents milieux : la politique,
la culture, l’université, le monde associatif et l’entreprise privée. Ces personnes ont
pour mission de se réunir périodiquement pour débattre, et parvenir à un accord sur
la manière de mener à bien l’action publique dans le champ culturel. Ce type
d’institutionnalisation de la culture a été choisi pour diverses raisons, parmi lesquelles
les plus importantes sont, d’une part, le contexte de modernisation de l’État que
vivait le pays, dans lequel l’efficience et la coordination des différents organismes
culturels étaient vues comme fondamentales pour le développement du secteur. Et,
d’autre part, l’accent mis sur la participation des acteurs sociaux provenant de secteurs
aussi variés que l’État, l’entreprise privée, l’université et les associations, qui apporte
la preuve d’une plus grande démocratie dans la prise de décisions.
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Modernisation et mondialisation :
l’identité du Chili des trente dernières années
Si nous suivons l’analyse réalisée par Jorge Larraín, l’on serait rentré – depuis la
fin des années 1980 – dans une nouvelle étape de remise en question de l’identité
chilienne. Cette période se caractérise par les processus de modernisation accélérée
qu’a vécus le pays – de même que le reste du continent latino-américain – entre la
fin des années 1980 et aujourd’hui51. L’influence de la culture nord-américaine, les
avancées technologiques, la mondialisation économique et culturelle, la société de la
connaissance, placent le Chili face à une série de défis et, en même temps, l’oblige à
repenser son identité. Comme nous l’avons vu précédemment, a construction
politique de l’identité nationale est traversée par une dimension culturelle : la
sacralisation d’une histoire nationale et la transmission d’une culture nationale. On
peut observer ce phénomène à travers les politiques éducatives des xixe et xxe siècles.
Différents événements historiques ayant contribué à créer un climat national ont
ainsi servi de mécanismes pour institutionnaliser les représentations officielles de la
nation chilienne. Cette société centrée sur l’État s’est vue profondément transformée
au cours des dernières décennies par le système de marché néolibéral dominant. On
peut dire que la modernisation socio-économique a été accompagnée d’une
transformation de l’État ayant des conséquences directes sur la production culturelle.
Même si la mondialisation nous oblige à affronter un paysage complètement
nouveau – vitesse, passivité, hégémonie, etc. –, le contact culturel nous a obligés dans
le passé et nous oblige encore aujourd’hui à assumer l’identité nationale comme un
élément en mouvement. il existe aujourd’hui différents facteurs, tels que la
redéfinition de l’État-nation, le niveau élevé de la consommation, la mondialisation
et l’individualisation, qui ont contribué à établir ce passage depuis la lutte pour des
causes collectives, très commune au cours du xxe siècle, vers une individualisation
croissante, où l’essor de la consommation est à l’ordre du jour52. En se trouvant
immergés dans un système de marché néolibéral, où la consommation est la norme,
les Chiliens n’appréhendent pas la société en tant que sujet collectif53. Ainsi,
l’imaginaire chilien fondé sur une identité nationale de contenus serait de moins en
moins partagé. Cette tendance observée de l’identité nationale à se vider prolonge la
ligne historique du déficit d’épaisseur culturelle que nous avons abordé plus haut.
Nous pouvons affirmer que cette question de la faiblesse identitaire a été présente
tout au long de l’histoire du Chili. À l’époque actuelle, ni la famille, ni la religion,
ni l’État ne parviennent à incarner un « nous » commun à tous. Néanmoins, ils restent
toujours latents et orientent la perception de ce nouvel environnement mondial.
À partir du moment où l’État apparaît pendant les années 1990 comme un agent
de la mondialisation et se détache de ses bases sociales traditionnelles, la séparation
51. Jorge Larrain, Identidad chilena, Santiago, Lom Ediciones, 2001, 274 p.
52. Jorge heyne, « PNUD, Desarrollo humano en Chile 2002. Nosotros los chilenos : un desafío cultu-
ral. Reseña », Revista Perspectivas, 2002, vol. 6, no 1, p. 165-173.
53. PNUD, Desarrollo Humano en Chile…, op. cit.
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entre État et Nation mène à une crise de l’identité en tant que principe de cohésion
sociale. La crise de l’État-nation est le résultat, selon Alain Dieckhoff, de deux
phénomènes : d’un côté, l’affaiblissement de l’État en tant qu’agent régulateur et, de
l’autre, la crise idéologique de la nation comme formation sociale organisée par
l’État54. iesse ajoute à cet argument que les nouvelles formes de vie économique
exigent la constitution d’ensembles plus larges que les États-nations55. Nous pouvons
observer de quelle manière l’État se voit réduit aussi bien de l’extérieur qu’en son sein
même : depuis l’extérieur en raison de l’irruption de la mondialisation, qui réduit la
capacité d’action de l’État ; et en son sein, l’État se voit soumis à des tensions aux
niveaux local et régional, ce qui entrave ses fonctions redistributrices et régulatrices.
S’ajoutant à cela, on constate une tension d’ordre idéologique autour du concept de
nation en tant que communauté politique et catégorie juridique organisée par l’État56.
L’État a toujours été un puissant agent de l’institutionnalisation de la nation, dessinant
les contours de l’identité nationale dans le but de parvenir à une concordance entre
unité politique et unité culturelle. Néanmoins, ceci a été quasi impossible dans la
pratique, et encore moins actuellement, où la construction d’une identité nationale
unique devient toujours plus compliquée en raison de la démocratisation croissante
des différentes sociétés. Dans les années 1990, le Chili vit une transition vers la
consolidation démocratique et subit en même temps une influence mondiale
poussant vers une économie de libre marché, et par conséquent vers la logique
exacerbée de la consommation. L’influence de ces facteurs provoque une modification
des centres d’attention des individus dans leur vie et fait resurgir la question de
l’identité et de ses éléments constitutifs dans le débat public et académique.
L’Amérique latine a expérimenté au cours du xxe siècle une évolution d’un
système principalement bipartite (libéraux et conservateurs) vers un échiquier
politique modifié où coexistent de nouvelles options. Des acteurs sociaux différents
émergent pendant cette période : la gauche, le populisme, le nationalisme et l’anti-
impérialisme, qui ont marqué la majorité des idées et des mouvements politiques du
continent57. Le phénomène de mondialisation constitue un autre facteur, qui est
venu compliquer encore plus le paysage latino-américain à la fin du siècle. Les forces
mondialisatrices provoquent différentes transformations – économiques, politiques,
sociales et culturelles – dans la région et entrent à la fois en tension avec les histoires
nationales et surtout politiques des différentes nations latino-américaines.
54. Alain Dieckhoff, la Nation dans tous ses états. Les identités nationales en mouvement, Paris, Flamma-
rion, 2002, 355 p.
55. A.-M.iesse, la Création des identités nationales…, op. cit.
56. A. Dieckhoff, la Nation dans tous ses états…, op. cit.
57. C. Malamud, América Latina…, op. cit.
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Jens EngbErg*
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La politique culturelle du nouvel État bourgeois fut placée sous le ressort d’un
seul ministère, le ministère des Cultes et de l’instruction publique, dont la mission,
selon le premier ministre des Cultes, était de prendre en main le développement
intellectuel de la population. En 1922, ce ministère est scindé en un ministère des
Cultes et un ministère de l’instruction publique, la gestion des affaires culturelles
restant du ressort de ce dernier. Alors que sous la monarchie absolue, le roi avait fixé
les budgets des institutions culturelles, c’est à présent l’Assemblée nationale qui en
décide, raison pour laquelle les différents ministres des Cultes sont contraints de
justifier de leur légitimité. Des subventions sont accordées à des écrivains, dans la
capitale et en province sont construits de nouveaux musées, des théâtres sont
aménagés, les beaux-arts et la musique, considérés comme expressions nationales, se
voient accorder des subventions.
Parallèlement à la politique culturelle d’État est menée une politique culturelle
privée, jouissant de moyens considérables. En 1876, la fondation Carlsberg est établie
par J. C. Jacobsen, le fondateur des brasseries Carlsberg. La fondation encourage la
recherche en sciences humaines, en sciences sociales et en sciences de la nature et
accorde en outre un soutien financier à l’établissement et à la gestion du musée
d’Histoire nationale, situé au château de Frederiksborg. La fondation est élargie en
1902, lorsque Carl Jacobsen, le fils de J. C. Jacobsen, cède sa brasserie à la fondation
ny Carlsberg, qui avait pour objectif d’encourager les arts et les sciences des beaux-
arts ainsi que d’assurer la gestion de la glyptothèque ny Carlsberg avec sa collection
d’antiquités et de considérables collections d’art danois et français. Heinrich
Hirschsprung, fabricant de tabac, constitue une collection d’art contemporain à partir
des œuvres que le musée royal des beaux-Arts n’avait pas su apprécier et en fait don
à un musée d’art moderne. L’église de marbre que l’État absolutiste n’avait pas
achevée, faute de moyens, est finalement construite par le financier C. F. Tietgen
(1799-1888), manifestation éclatante du fait que la bourgeoisie menait à bonne fin
ce que la monarchie absolue n’avait pas pu faire.
Après la défaite du Danemark devant les Allemands en 1864, la bourgeoisie
danoise tourne le dos à l’Europe et, en matière de politique culturelle, c’est l’isolation-
nisme ultranationaliste qui est encouragé, celle-ci étant considérée comme une affaire
relevant de la haute bourgeoisie, les paysans et petits-bourgeois voyant d’un mauvais
œil les dépenses engagées mais ne s’y intéressant pas vraiment.
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formes sous lesquelles elle s’exprimait et furent en mesure d’en influencer le langage.
Toutefois ils ne firent pas d’adeptes en dehors de leurs propres milieux.
Le mouvement ouvrier, représenté par la social-démocratie, ne s’intéressait guère
à la politique culturelle bourgeoise. L’opinion répandue étant que la base devait se
construire avant l’étage supérieur, il convenait d’assurer les conditions de vie et de
travail avant qu’il soit possible de prendre position sur une politique de la culture.
Contrairement à la bourgeoisie qui s’était engagée dans la lutte contre l’aristocratie
avec sa culture bourgeoise, la classe ouvrière apparaissait sans culture propre et l’on
n’assistait qu’à quelques tentatives sporadiques de création d’une culture ouvrière. Le
mouvement ouvrier exigeait tout au plus que les travailleurs aient les mêmes droits
d’accès à la culture bourgeoise que la bourgeoisie. À partir de 1923, le mouvement
ouvrier s’efforça, par l’intermédiaire de l’Association pour l’éducation des travailleurs,
d’élever le niveau d’éducation de la classe ouvrière, à l’aide de conférences, de cercles
d’études, de cours du soir, d’écoles supérieures populaires dont certaines ciblant
spécifiquement les ouvriers. Au début des années 1930, Julius bomholt (1896-1969),
politicien social-démocrate, qui devint plus tard le premier ministre danois de la
Culture, estimait cependant que compte tenu de l’amélioration des conditions de
vie et de la réduction du temps de travail, il était possible de créer une culture ouvrière
et d’initier une politique de la culture ouvrière, se fondant sur la solidarité née des
expériences faites au cours des luttes ouvrières. Sous maints aspects, la tentative de
bomholt arrivait trop tard. Les efforts des travailleurs tendaient alors à une intégration
culturelle à la bourgeoisie. À cela s’ajoutait le fait que la social-démocratie s’efforçait
d’établir une large politique de front populaire, pour que les mouvements totalitaires
ne déferlent pas sur le pays. Aucune confrontation ne devait se produire entre la
bourgeoisie et le mouvement ouvrier. Le mouvement ouvrier devait donc renoncer
à mener une politique culturelle en opposition à celle de la bourgeoisie. Les sociaux-
démocrates adhéraient d’un côté à l’art bourgeois, tel qu’il se manifestait au théâtre,
à l’opéra, dans les arts plastiques, la littérature et la musique. De l’autre, le parti avait
instauré pour principe que la société danoise se fonde sur une forte solidarité
accompagnée d’une protection publique étendue, principe auquel elle est restée fidèle
dans sa lutte pour les valeurs centrales.
Pendant la Seconde guerre mondiale, le Danemark fut occupé par l’Allemagne.
Un petit parti nazi danois mena alors une politique culturelle agressive, cultivant le
passé « germanique » du Danemark et ses attaches à la culture nazie « aryenne » en
Allemagne. Ce parti ne fit que peu d’adeptes et sa politique culturelle ne tira pas à
conséquence. Par contre, les atteintes portées par l’occupant allemand à la liberté
d’expression eurent pour effet que des bornes furent mises à ce que les journaux
avaient le droit d’imprimer, la radio d’émettre et les théâtres de représenter, avec pour
résultat que le caractère national fut davantage vénéré qu’auparavant dans la littérature
et qu’une presse illégale considérable vit le jour. À partir des milieux liés aux écoles
supérieures populaires, fondées sur les idées de caractère national populaire de
n. F. S. grundtvig (1783-1872), on travailla à mobiliser la jeunesse. L’objectif était
de développer la compréhension du principe démocratique et de défendre l’esprit
national. Le mouvement fut renforcé par l’action du mouvement ouvrier, qui au lieu
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mentalement différentes et il était difficile avec une politique culturelle telle, qu’elle
était formulée par la commission aux affaires culturelles du parti, de faire une
distinction entre la politique culturelle social-démocrate et la politique libérale. il
recherchait l’expression d’une idéologie social-démocrate dans la politique culturelle,
œuvrant à la promotion des valeurs socialistes.
bomholt se fit alors le porte-parole de la conception des dirigeants du parti : « La
social-démocratie ne représente aucune école artistique particulière, ni le social-
réalisme ni le modernisme. nous voulons au contraire offrir une liberté de choix
réelle aussi bien à l’artiste qu’au public. Si nous avons une politique de l’art, c’est
une politique pluraliste. Place à tous ! » Déclaration erronée car la politique culturelle
ne devait pas encourager toutes les formes de culture, mais uniquement la culture
unitaire, représentant le plus grand dénominateur commun. La social-démocratie
était considérée comme un parti s’étirant de la base au sommet de la société, qui ne
souhaitait pas un débat idéologique mais la fixation d’objectifs pratiques pour la
politique culturelle : il convient ainsi d’affecter des sommes pour la décoration
artistique, tout en accordant des subventions individuelles aux artistes de mérite. La
politique culturelle devait être mise en œuvre par des comités culturels constitués
d’artistes et d’hommes politiques, chargés à la fois d’encourager les arts et de garantir
la liberté artistique. En 193, une grande manifestation d’artistes exigeant une
amélioration des conditions d’existence de l’art, bomholt mit en place une commis-
sion qui présenta en 19 une proposition de fondation des arts avec un conseil
d’administration comportant des membres du ministère de l’instruction publique,
de l’Académie royale des beaux-arts et diverses associations d’artistes.
Dans ce même esprit, il soumit en 196 un projet de loi portant sur la création
de deux fondations, la Fondation nationale pour la diffusion artistique, ayant pour
objectif de financer la décoration artistique de bâtiments publics nationaux et
communaux et la fondation Eckersberg-orvaldsen, du nom du peintre
C. W. Eckersberg (1783-183) et du sculpteur bertel orvaldsen (1768-1844), dont
la mission était de subventionner de jeunes artistes ou des artistes mûrs représentant
un potentiel important pour le Danemark. Ce projet rencontra la résistance du parti
Venstre, parti libéral s’appuyant sur un groupe important de propriétaires terriens, et
du parti conservateur, De Konservative, qui regroupe la bourgeoisie des villes. Ces
opposants estimaient qu’il valait mieux, pour les artistes, abaisser le taux d’imposition,
permettant ainsi d’accroître les revenus disponibles de la population, de sorte que
chacun puisse acquérir des œuvres d’art et pensaient qu’avec ces deux fondations,
l’État menaçait la liberté d’expression artistique. Malgré cette opposition, le projet
de loi fut adopté par une majorité composée de la social-démocratie et du parti
radical, un parti libéral modéré : avec cette loi, 2 % du budget des travaux publics
devaient être affectés chaque année aux fondations.
En 1964, les directives furent amendées, les allocations relevées, et la fondation
Eckersberg-orvaldsen supprimée, ses tâches étant désormais assurées par une
nouvelle fondation artistique aux larges compétences : elle avait pour rôle d’acquérir,
de sa propre initiative, des œuvres d’arts plastiques destinées à agrémenter les
bâtiments publics et de financer par ailleurs des travaux de décoration. Elle devait
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également créer des bourses triennales à l’intention des jeunes artistes, octroyer des
allocations à vie et des dotations à des artistes d’âge mûr et ayant fait leurs preuves
et accorder son aide à la famille en cas de décès. Sa vision était de mener une politique
culturelle empreinte de beauté, de compétence, de qualité, de créativité et de témérité.
Les expressions artistiques recevant des subventions publiques ne devaient pas être
soumises à la gestion de l’État. Son conseil de surveillance comprenait vingt-huit per-
sonnes : cinq représentants du Folketing (le parlement danois), trois des municipalités,
trois des universités et le reste est composé d’écrivains, de peintres, de musiciens et
de compositeurs. L’assemblée ne se distinguait en fait pas vraiment d’un cercle amical
sans autre compétence que d’élire des membres – la qualité de membre étant valable
trois ans, sans possibilité de reconduire la nomination – pour divers comités de
littérature, musique, arts plastiques et d’accorder des bourses. Les présidents de
comité étaient nommés par le ministre chargé des Affaires culturelles et c’étaient eux
qui se réunissaient en tant que conseil d’administration de la fondation.
Les amendements ne rencontrèrent guère d’opposition au parlement, le parti
libéral et les conservateurs estimant que des garanties pour la liberté artistique étaient
assurées. L’importance du principe « d’indépendance », selon lequel les comités
comportant une majorité d’artistes sont intercalés entre les responsables politiques
de l’allocation des crédits et la répartition des subventions est soulignée ; les artistes,
eux aussi, sont satisfaits. Certains estimèrent, toutefois, que les critères d’affectation
étaient vagues, que la peinture non figurative faisait l’objet d’un certain favoritisme
parce qu’elle cadrait avec les projets de décoration des architectes, et que cela
engendrait une élite restreinte d’artistes au sein du conseil de surveillance et un
prolétariat considérable en dehors. Ce à quoi, J. bomholt rétorqua qu’il en était ainsi,
que c’était à l’élite qu’il fallait s’en remettre et que le fait qu’on ne pouvait être
membre d’un comité plus de trois ans offrait une garantie contre la partialité.
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l’escroquerie : « Cheveux longs, gros pulls de laine et longues barbes, ce n’est pas ça
qui fait les artistes, cela donne des originaux, qui, eux, nous font des tableaux
modernes incompréhensibles. » D’autres travailleurs d’une sucrerie trouvaient que la
Fondation artistique récompensait « des poèmes pervers, de la peinture bizarre, si on
peut appeler ça de la peinture et des ramassis quelconques de vieux bouts de ferraille ».
Un autre groupe, des ouvriers d’abattoirs, se faisait l’interprète d’une indignation
sociale et d’un malaise général accrus en face de la rupture avec les modèles sociaux
traditionnels, notamment le modèle familial, au début des années 1960 : « Avec les
revenus que nous avons et les charges fiscales dont on nous accable, nous sommes
obligés de faire travailler nos femmes. » quant à des ouvriers d’une usine de conserves
de poisson, ils écrivaient que c’est déplacé de verser des salaires aux artistes « à une
époque où les Danoises sont obligées, par dizaines de milliers, d’abandonner foyer
et enfants pour entrer dans la vie active et gagner leur vie ».
Le rindalisme était un mouvement populaire provincial dirigé contre ce qui était
estimé être les excentricités d’une classe supérieure élitiste de la capitale. Les rindalistes
considéraient la politique culturelle comme une conjuration entre une élite et ses
artistes se retournant contre eux, le petit peuple raisonnable. Les ouvriers qui se
ralliaient au rindalisme ne souhaitaient pas que leurs impôts les élèvent à un niveau
culturel bourgeois. beaucoup représentaient la première génération d’ouvriers venus
de la campagne. ils ne voyaient pas quel intérêt présentait une politique culturelle
qui visait à les introduire au modernisme, et souhaitaient au contraire retrouver la
sécurité de l’existence qui avait caractérisé les villages. ils dénonçaient non seulement
qu’une culture qui n’était pas la leur était financée grâce à leur propre argent, mais
qu’en plus, elle leur était imposée.
Lorsque la fondation retira sa demande d’autorisation de dépassement budgétaire
auprès de la commission des finances, la houle de protestations s’apaisa. Le rindalisme
a toutefois laissé des traces profondes dans l’histoire de la politique culturelle danoise
et les points de vue des rindalistes ont persisté et, longtemps après que le mouvement
protestataire a culminé, les politiques craignaient toujours de déclencher de nouvelles
réactions. En outre, un grand nombre de leurs partisans furent récupérés par le parti
du progrès, un parti populaire protestataire qui s’élevait contre le dirigisme toujours
plus prononcé de l’État et luttait âprement contre le financement public de la culture.
En 1973, ce parti entra au Folketing, porté par un nombre important de voix. il se
désagrègea au milieu des années 1990, mais certains aspects de sa politique,
notamment sa répugnance à l’encontre d’une politique culturelle élitiste financée par
les petits contribuables, se perpétuèrent dans le parti du peuple danois, issu d’une
scission du parti du progrès qui obtint lui aussi un nombre de sièges important au
Folketing.
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« Cela ne fait aucun doute que la politique de médiation de la culture devra à l’avenir
aller au-delà de la simple subvention aux institutions culturelles traditionnelles », telle
était la conclusion du rapport. Pas un mot sur les institutions dont il s’agissait, bien
qu’il fut clair que cela couvrait des considérations de parité, ce qui rendait difficile
d’accepter que telle ou telle forme de culture ou d’expression artistique ait plus de
valeur qu’une autre.
Lors de sa présentation au Folketing en janvier 1969, le rapport sur la politique
culturelle reçut un accueil favorable. Tous les partis s’entendirent sur le fait qu’il
convenait de fonder la politique culturelle sur une conception plus large de la culture.
Seul le parti socialiste de gauche, Venstresocialisterne, objecta qu’aucune définition de
la culture n’ayant été proposée, les cibles pouvant faire l’objet de subventions et les
priorités à accorder étaient plutôt floues. Le débat dans la presse avança le même
argument, mais la question ne fut abordée ni au Folketing ni par le ministre de la
Culture.
Conformément au rapport, les finalités de la politique furent considérées comme
constituées de trois volets, aucun n’étant jugé plus important que les autres.
Premièrement, les établissements culturels centraux et nationaux de la capitale
devaient être aménagés. Deuxièmement, les fondations et comités de l’État devaient
d’une part accorder des aides publiques à des artistes et à des activités artistiques,
d’autre part assurer des activités de conseil auprès des instances publiques et privées
qui sont consommatrices de culture. Troisièmement, la culture de la province devait
être stimulée et encouragée grâce à des initiatives et des aides financières accordées
par exemple à des théâtres et des orchestres régionaux, à des musées d’histoire locale
et à des maisons de la culture. Tout le monde s’accorda sur le fait que le manque de
clarté dans la définition des activités à subventionner était compensé par le respect
strict du principe « d’indépendance », conférant aux experts indépendants des comités
et conseils la responsabilité des priorités.
En 1973, survint toutefois une affaire montrant que le principe d’« indépen-
dance » n’est pas inconditionnel. Jens Jørgen orsen (1932-2000), peintre et artiste
aux talents multiples, fit une demande de subvention, qu’il obtint, pour un film sur
la vie sexuelle de Jésus, auprès de l’institut du cinéma danois, qui régit les aides
financières à la production de films. De violentes protestations s’élevèrent, au
Danemark comme à l’étranger, et l’affaire devint un élément de la campagne
électorale qui, en décembre 1973, aboutit à l’entrée de cinq nouveaux partis au
Folketing, parmi lesquels le parti du progrès, tandis que les quatre grands anciens
partis perdirent un nombre considérable de sièges.
Au cours d’un débat au Folketing, niels Matthiasen (1924-1980), ministre social-
démocrate de la Culture, reconnut que la législation existante sur les aides publiques
aux arts rendait impossible l’annulation d’une décision de l’institut du cinéma. Mais
comme il avait été prévu que le film serait tourné en France et que cela ne pouvait
se faire à cause du scandale que l’affaire y avait provoqué, il était à présent possible
de retirer la subvention en invoquant cette raison. orsen remania cependant son
projet et envoiya une nouvelle demande, pour laquelle il obtint à nouveau des
subventions de l’institut du cinéma. Le ministre de la Culture transféra le dossier à
l’avocat du gouvernement, conseiller juridique de l’État. L’avocat du gouvernement
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estima que la décision de l’institut ne pouvait être annulée. Mais fort à propos,
l’avocat constata en même temps, que, malgré cela, le film ne pouvait recevoir de
subventions, étant donné que orsen portait vraisemblablement atteinte aux droits
d’auteur moraux des quatre évangélistes en remaniant leurs récits du nouveau
Testament. Pour ce motif étrange, les subventions furent rappelées et un débat se
poursuivit durant des années au Folketing, où des forces puissantes cherchèrent à
soumettre les attributions d’aide financière aux arts à un contrôle politique.
Le parti conservateur, suivi du parti libéral, exigea que le ministre de la Culture
soit autorisé à refuser une aide aux projets, qui comme celui de orsen,
scandalisaient la majorité de la population. Par ailleurs, le parti chrétien populaire
exigea que non seulement la valeur artistique soit prise en considération, quand on
évalue si un projet doit être subventionné, mais également le contenu moral et
religieux de ce projet. Le parti conservateur, le parti libéral et le parti chrétien
populaire estimèrent que leur proposition ne portait pas atteinte à la liberté
d’expression ou à la liberté artistique, personne n’empêchant les demandeurs écartés
de réaliser leurs projets à leurs frais. ils jugèrent également qu’un contrôle exercé par
le ministre de la Culture est démocratique, puisqu’il donne la possibilité aux
politiques élus par le peuple de sauvegarder les intérêts de la majorité de la population.
quant au nouveau venu au Folketing, le parti du progrès, il souhaitait que les aides
publiques aux arts soient tout simplement supprimées.
Des contre-arguments furent avancés par la social-démocratie. Le ministre de la
Culture, niels Mathiassen, estima que l’affaire orsen était un cas désagréable mais
isolé, où le cadre d’entente existant est éclaté, mais que cela ne justifiait pas un
revirement total en matière de politique culturelle, visant l’abandon du principe
d’« indépendance ». En outre, il ne pouvait par formuler un texte de loi permettant
une intervention politique, sans qu’il soit question de contrôle politique. Un contrôle
émanant du ministre équivalait à un dirigisme politique des subventions aux arts.
Cela aurait donc pour conséquence que certaines expressions artistiques auraient la
priorité par rapport à d’autres, selon la couleur politique au pouvoir. il importait
non seulement d’apporter une aide publique aux arts s’adressant à la majorité, mais
également d’encourager l’art expérimental, qui interpelle la société. Les seuls critères
décisifs étaient la qualité et le talent, tels qu’ils sont définis par les experts selon le
principe d’« indépendance ». Les décisions entraîneraient des désaccords, mais le
désaccord est la condition d’une démocratie.
Après quatre ans de débats au Folketing et l’émoi suscité par le film de orsen
s’étant calmé, la proposition d’amendement de la loi sur les aides publiques à l’art
fut rejetée. Cette affaire avait démontré, et ce pour des dizaines d’années et comme
une mise en garde pour tous les comités accordant des subventions, que le principe
d’indépendance n’est valable que s’il existe un consensus.
Le ministre de la Culture, niels Mathiassen, estima nécessaire de rendre compte
des principes et finalités de la politique culturelle. Le point de départ en était :
« Apparemment, nous ne sommes pas encore arrivés à un stade où il existe dans la
population une compréhension généralisée de l’importance des tâches de politique
culturelle. » quatre facteurs renforcent toutefois le besoin d’une vue d’ensemble sur
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permanents, est limité dans ses possibilités de mener une politique culturelle
innovante.
Pour des sommes réduites, les fondations acquièrent ainsi une influence déter-
minante sur la politique culturelle de l’État et par là, sur l’évolution de la société. Le
président de l’une des principales fondations explique que les valeurs fondamentales
se résument à Dieu, le roi et la patrie, et qu’elle peut, grâce à ses donations, réparer
certains des dommages causés du fait que l’enseignement scolaire néglige le caractère
national. Les objectifs sont donc bien politiques. Si le directeur de la fondation
A. P. Moeller nie que ce soit l’intention véritable de la fondation de marquer de son
empreinte l’évolution politique de la société, il estime d’un autre côté qu’elle peut
exercer une influence par l’exemple qu’elle donne « en subventionnant les bons
projets, nous espérons faire avancer les choses dans la bonne direction ».
Si la politique des fondations augmente les moyens de la culture, elle peut toute-
fois entraîner un appauvrissement et une stagnation de la vie culturelle : car il n’est
pas certain en effet qu’elles souhaitent spécialement subventionner l’art expérimental,
lequel ouvre de nouvelles perspectives et se montre provocateur. Pour ceux qui en
bénéficiaient, le système des fondations peut être délicat : artistes et directeurs de
musées sont agacés d’être dépendants des conseils d’administration des fondations,
qu’ils craignent et méprisent en même temps. ils se plaignent de la collusion de ces
conseils et des critères d’attribution pas forcément transparents. Cependant, ils ont
l’impression que cela ne nuit pas de faire partie des amis, ce qui se vérifie puisque
les conseils d’administration et les présidents des fondations attachent beaucoup
d’importance au fait d’obtenir des informations sur les demandeurs, auprès de ce
qu’ils appellent le réseau relationnel. Ainsi le principe d’« indépendance » que les
pouvoirs publics à la culture essayaient auparavant de maintenir dans l’octroi des
aides n’existe pas quand il s’agit de subventions provenant des fondations.
Le projet le plus spectaculaire récemment subventionné par une fondation est le
nouvel opéra du éâtre royal de Copenhague. En l’an 2000, le propriétaire du
groupe maritime et pétrolier A. P. Moeller-Maersk, Mærsk McKinney-Moeller (né
en 1913), décide de faire construire un opéra à Copenhague par sa fondation, la
fondation A. P. Moeller : il serait situé côté mer, dans l’axe traversant la place du Palais
royal d’Amalienborg, et aboutissant côté terre à l’église de marbre de C. F. Tietgen.
Choix malencontreux : la place du Palais royal, conçue par niels Eigtved (1701-
174), en est défigurée, la vue sur le port militaire et les « flots sombres » – fondement
même de la monarchie danoise – gâchée. Enfin, les conditions d’accès à l’opéra posent
problème. reste qu’en tant que manifestation de puissance, on ne pouvait trouver
site plus indiqué dans tout le royaume. Le nouvel opéra a coûté près de 30 millions
d’euros, comprend deux scènes, un foyer immense et environ 1 000 pièces, 41 000 m2
au total abritant bureaux, salles de répétition et d’accessoires. L’opéra devant être géré
par le éâtre royal de Copenhague, l’État fut contraint d’augmenter son budget
d’un tiers.
L’armateur Mærsk McKinney-Moeller en confie la conception à Henning Larsen
(né en 192), architecte de renommée internationale, connu en particulier pour son
élégant ministère des Affaires étrangères à riyadh en Arabie Saoudite. Henning
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Larsen propose un édifice aérien et lumineux, s’ouvrant sur la mer et le Palais royal.
Le projet est homologué par le conseil de l’Académie, conseiller de l’État en matière
de travaux publics. Lorsque la construction démarre, il s’avère toutefois que les plans
de Henning Larsen ont été modifiés, car l’armateur n’appréciait pas les façades en
verre. L’édifice était donc doté de larges bandes d’acier en travers de la façade, ce qui
faisait pour ainsi dire l’effet de la calandre chromée des voitures américaines des
années 1960.
Le conseil de l’Académie constata que la réalisation de ce projet remanié ne
donnait satisfaction à qui que ce soit, mais rien n’y fit. Du côté de la fondation, on
fit remarquer que cette critique était inconvenante, qu’elle émanait d’un relativement
petit nombre de personnes et que c’était M. Mærsk McKinney-Moeller qui payait,
et que la construction serait donc réalisée comme il l’exigeait. Lors de l’inauguration
de l’opéra en 200, l’architecte désavoué déclara que l’armateur était quelqu’un de
dur, mais le grand journal conservateur danois nota avec satisfaction ce message de
politique culturelle : « L’opéra est plus qu’un opéra, c’est un règlement de compte
avec la médiocrité, une admirable provocation face à une politique culturelle qui,
durant des décennies, a cultivé la banalité. »
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Dès son entrée en fonction comme Premier ministre, Anders Fogh rasmussen
annonce une nécessaire rupture avec cette mentalité d’esclave, grâce à une lutte
culturelle et une nouvelle méthode d’éducation de la population. il se retourne contre
le régime de politique culturelle élitiste, avec ses experts tyrannisant la population,
qui avait prévalu sous le gouvernement précédent. il s’agissait désormais de faire le
grand nettoyage dans les conseils et commissions de tutelle administrative, de mener
une politique adaptée à l’opinion de la majeure partie de la population. Plus besoin
d’experts, de connaisseurs ni de faiseurs d’opinion, décidant à la place des gens.
Selon le nouveau ministre de la Culture, brian Mikkelsen (né en 1966), non
seulement les gauchistes avaient exercé une tyrannie d’opinion dans les établissements
de formation et dans les médias, mais ils avaient également fait des ravages dans la
vie culturelle : ainsi il racontait qu’enfant, il avait personnellement été harcelé par
des enseignants socialistes. L’hégémonie de l’opinion gauchiste avait rendu impossible
tout débat libre, tolérant et ouvert, mais maintenant, disait-il, les choses allaient
changer : « nous avons enfin, après avoir pris les rênes du pouvoir, un espace où
exprimer les choses que nous n’avons pas pu dire pendant trente ans de tyrannie
d’opinion. » « Le changement » allait s’appuyer sur des enquêtes sur les origines et les
responsables de ces dérives.
Le parti du peuple danois, parti de soutien du gouvernement, estimait que ce
n’était pas seulement les sociaux-démocrates, mais aussi certains milieux libéraux et
conservateurs, qui s’étaient soumis au radicalisme culturel et avaient été imprégnés
de son mépris pour la population danoise ordinaire, considérée comme une espèce
de sous-humanité. Des vertus populaires, telles que la fidélité entre époux, la
compréhension de l’importance de la cohésion familiale, la satisfaction procurée par
le sentiment de danicité, la satisfaction dans le travail, avaient été bafouées, au titre
qu’il s’agirait de comportements réactionnaires et petits-bourgeois. il assura le
gouvernement de son soutien total à la mise en œuvre de la lutte culturelle.
Le Premier ministre expliqua qu’en modifiant le débat sur les valeurs, on pouvait
faire évoluer la population sur ses valeurs fondamentales. C’est seulement après cela
qu’il serait possible de mettre en œuvre les changements législatifs dont avait telle-
ment besoin la société danoise : « J’estime en réalité que le fait de fixer l’ordre du jour
dans le débat sur les valeurs entraîne plus de mutations dans la société que toutes ces
modifications législatives. Je parle ici de culture au sens large du terme : c’est l’issue
de la lutte culturelle qui décidera de l’avenir du Danemark. Ce n’est pas la politique
économique. ni les modifications technocratiques des systèmes législatifs. Ce qui est
décisif, c’est de savoir qui réussira à fixer l’ordre du jour dans le débat sur les valeurs. »
il faisait ainsi de la politique culturelle la pierre angulaire de la politique globale du
gouvernement.
Le ministre de la Culture s’empressa de fixer l’ordre du jour en annonçant que
le nouveau gouvernement allait, en matière de politique culturelle, prendre position
pour la culture élitiste, ce que le gouvernement précédent n’avait jamais osé faire :
« J’ai reçu mandat de mener une politique culturelle libérale. il s’agit de qualité. Pas
d’“étaler de la confiture”, comme le faisait mon prédécesseur radical. il s’agit de
prendre position et de faire des choix. » Dans un premier temps fut mise en œuvre
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une épuration parmi les experts et spécialistes, ces derniers étant notamment définis
par une personnalité du parti libéral comme des « politiques camouflés en cher-
cheurs ». il faisait savoir qu’on se trouvait à la veille des plus importantes modifi-
cations structurelles depuis la création du ministère de la Culture. quelques déléga-
tions, comités et commissions, qui n’avaient pas manifesté de dynamisme depuis
longtemps, furent officiellement dissous mais, plus important encore, un certain
nombre d’autres furent regroupés en nouvelles unités (le conseil artistique et la direc-
tion des arts) ou rebaptisés. Surtout, la composition des personnels fut modifiée : des
représentants élus furent remplacés par des fonctionnaires de ministères et les oppo-
sants à la politique culturelle du gouvernement durent céder la place à des partisans
de cette politique, désignés par le ministre. il s’agissait, pour reprendre les termes du
ministre de la Culture, « d’un règlement de compte avec ceux qui nous disent
comment nous devons vivre notre vie et comprendre le monde ». Les modifications
se traduisirent par une centralisation accrue et une gestion ministérielle plus pronon-
cée. Les adversaires soutinrent que l’on était passé du principe d’indépendance au
principe « du bras long » du ministre. Celui-ci vit cependant les nombreuses protes-
tations comme une confirmation du bien-fondé de son action : sa tâche n’était pas
d’être en bons termes avec les artistes, la seule chose qui comptait était la qualité de
l’art. il n’était pas question de mener une politique sociale par le truchement de la
politique culturelle.
Le budget de la culture fut rogné d’environ 10 millions de couronnes, les
institutions relevant du ministère de la Culture se virent imposer des économies de
10 % à 1 %. Dans les grands établissements culturels comme la bibliothèque royale,
le Musée national et les Archives nationales, il n’était pas possible de faire des
économies sur l’entretien des bâtiments, la sécurité, etc. : les économies furent alors
concentrées sur les prestations de service au public, la recherche et les achats de livres
et de revues. Sur les sept cents emplois environ du Musée national, soixante-dix à
quatre-vingts furent supprimés, et la bibliothèque nationale, qui comptait 29 colla-
borateurs, dut se séparer de quarante d’entre eux. Les licenciements et les menaces
de compressions supplémentaires de personnel étouffèrent les protestations. Les
réductions de personnel eurent pour conséquence qu’une partie du traitement
courant des nouvelles acquisitions dut être mise en veilleuse, et que les œuvres d’art
achetées furent en plus grand nombre emmagasinées sans être triées, ni répertoriées.
À la suite du changement de gouvernement en 2001, la politique culturelle fut
soumise aux règles de la vie économique privée. Des régimes de déductions fiscales
avantageux furent instaurés pour l’industrie et le commerce, de sorte que les
acquisitions d’œuvres d’art purent être déduites des impôts. Le ministère de la
Culture conclut des contrats finalisés pluriannuels, dont les termes précisaient que
pour pouvoir maintenir leurs budgets, les institutions étaient tenues de fournir les
preuves qu’elles avaient une collaboration positive avec les entreprises privées. De
plus, les conseils d’administration, jusque-là composés d’experts, furent modifiés en
sorte que dans les établissements culturels et les universités, des dirigeants de
l’industrie et du commerce furent constitués membres non professionnels et
présidents des conseils d’administration. Leur présence renforçait le sentiment de
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8. E. négrier, « políticas culturales : Francia y Europa del sur », Política y Sociedad, 2007, vol. 44, no 3.
9. les téléclubs espagnols avaient un double objectif : permettre la réception de ce média dans des terri-
toires enclavés, ruraux et aux ressources faibles, et encadrer cette réception par le truchement d’anima-
teurs très fortement liés au régime franquiste. le premier aspect ne se traduisit cependant pas par une dif-
fusion très large du réseau national de téléclubs, qui s’avéra obsolète au gré de l’équipement individuel
des ménages. le second fut, dans la pratique, bien moins idéologiquement performant qu’attendu. selon
chus cantero (« los téléclubs », Periférica, 2005, no 6, p. 105-128), la mise en œuvre des téléclubs donna
lieu à beaucoup plus de discussions pluralistes localisées qu’à un endoctrinement unilatéral.
10. À ceci près que l’identité « patrimoniale » de la culture vivante est, pour le franquisme, un folklore
massivement andalou (flamenco, corrida, etc.).
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soutien. très peu d’équipements se créeront durant cette période, et le legs franquiste
pourrait être ramené à un énorme déficit en infrastructures et, en conséquence, en
pratiques culturelles au sein de la population.
peut-on considérer la politique culturelle franquiste dans une quelconque
continuité historique, ou bien est-elle un radical contre-exemple à la notion de path
dependence ? la notion de transition démocratique ne doit pas tromper. les éléments
de continuité (existence d’un ministère, maintien de certaines prérogatives centrales,
maintien de certaines grandes institutions artistiques et de régulations datant du
franquisme) sont faibles, comparés au bouleversement qui a eu lieu à cette occasion.
l’hypothèse d’un legs franquiste se vérifie plus dans ce qu’il a provoqué d’inversion
de politique publique (crise radicale de la censure, décentralisation, crise de légitimité
de certains registres, patrimoniaux ou folkloriques) que dans ce qui en a concrètement
été préservé11. l’idée d’une communauté de destin (entre pays d’Europe du sud, par
exemple) liée à un passé commun (autoritaire) ne résiste pas davantage à l’examen
des différences considérables d’intensité, de durée, et de rapport à la culture de chacun
de ces régimes. Dirait-on, en s’appuyant sur une comparaison entre l’Espagne,
l’Allemagne voire l’italie, que ces pays ont fortement décentralisé leur politique
culturelle en raison d’un passé totalitaire ? Alors on peut se demander comment
interpréter le cas portugais qui est, depuis 1974, le pays européen le plus centraliste
en matière culturelle12, juste après la Grèce13, qui a également connu une période
autoritaire sans pour autant pratiquer la dévolution territoriale. Ainsi, la territo-
rialisation des politiques culturelles ne peut seulement s’expliquer comme « réaction
démocratique » à une phase autoritaire. Elle dépend surtout du processus de
construction symbolique des états-nations, de leur homogénéité interne, et de la
manière dont les élites orientent l’exercice démocratique du pouvoir.
11. pour l’anecdote, la transition dans les milieux culturels publics a obéi à des modalités particulières en
ce qui concerne les personnels, et notamment ceux qui furent transférés, depuis l’administration centrale
(franquiste), vers les nouvelles administrations autonomes. En catalogne, il fut décidé de ne laisser aucun
de ces fonctionnaires sans encadrement par au moins deux personnes de la nouvelle génération, afin de
tuer dans l’œuf toute velléité de « reproduction » chez les anciens cadres du régime autoritaire.
12. Eduardo coelho, « la politique culturelle portugaise depuis la révolution démocratique », Pôle Sud,
1999, no 10, p. 45-57.
13. D. Konsola, « la politique culturelle de la Grèce », Pôle Sud, 1999, no 10, p. 27-44.
182
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de mise à distance de l’influence des ecclésiastiques sur les biens culturels et leur mise
à disposition du public14.
l’idée d’une politique culturelle publique s’opère, comme ailleurs, par le double
phénomène de sécularisation et de publicisation des biens. sa traduction institution-
nelle, l’administration des Beaux-Arts, deviendra au cours du XiXe siècle, le siège d’un
conservatisme artistique et culturel que contesteront, d’une part, les villes et
provinces, et, d’autre part, les milieux bourgeois éclairés, qui fonderont, dans les cités
espagnoles, les Ateneos, cercles d’animation et de diffusion artistique et culturelle. on
retrouve une dialectique connue de l’essor des politiques culturelles, entre le mouve-
ment associatif urbain, bourgeois puis populaire, et l’institutionnalisation des corps
de professionnels, comme celui des archivistes et bibliothécaires, à la fin du
XiXe siècle15. À l’aube de la guerre civile, l’impératif culturel s’est donc diffusé sur
l’ensemble du territoire. il s’est également enrichi, au cours de la période républicaine
(1931), dont la constitution (articles 45 et 48) fait du service culturel une attribution
essentielle de l’état et consacre, par exemple, l’intérêt public national du patrimoine.
En attestant de cela, nous nous écartons de l’hypothèse d’une spécificité de
l’histoire des politiques culturelles dans les pays de tradition napoléonienne, puisque
ce sont des processus que l’on peut assez facilement repérer dans la plupart des pays
européens, et donc dans des pays qui n’appartiennent pas à cette tradition.
D’autre part, quel est le statut de l’homologie de processus et de forme, lorsque
l’on compare, cette fois de façon plus limitée, la France (terre imitée en théorie) et
l’Espagne (terre réputée d’imitation) ?
on constatera dans l’histoire, y compris la plus autoritaire, la permanence d’une
référence à la France dans les débats sur les politiques culturelles espagnoles. cela est
vrai de la constitution républicaine déjà mentionnée, mais encore des statuts de la
brève Mancommunitat de catalogne, qui fut très précoce à se doter d’une politique
culturelle. c’est également vrai des politiques suivies dans le cadre de la transition
démocratique. la création d’un ministère, la fixation de règles dérogeant au marché
libéral, l’identité, très francophile, de certains ministres (Jorge semprun ou Javier
solana ayant été les plus connus) : tout semble conjuguer politique culturelle
espagnole et révérence à l’égard de la France. Même un ministre franquiste tel que
Manuel Fraga iribarne n’hésitera pas, en pleine transition entre la phalange et l’opus
Dei dans la gouvernance franquiste, à se réclamer d’André Malraux à l’heure de
développer ses casas de cultura, qui n’ont pourtant que peu à voir avec les maisons
de la culture du ministre ci-devant brigadiste.
or cette homologie « napoléonienne » ne résiste pas à l’examen – au-delà des
apparences institutionnelles et discursives – des modalités de fonctionnement de tels
vecteurs de politique culturelle. lisons Jorge semprún nous parler de son incapacité
politique à faire valoir une préférence en matière muséale face à la corporation des
conservateurs de musées16. écoutons-le évoquer le subtil lacis de prérogatives
14. Fernández prado, La política cultural : qué es y para qué sirve, Gijón, Ediciones trea, 1991.
15. l. Bonet, « la politique culturelle en Espagne : évolution et enjeux », Pôle Sud, 1999, no 10, p. 58-74.
16. J. semprún, Federico Sanchez vous salue bien, paris, Grasset, 1993.
183
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17. A. Rubio, A. Aróstegui, « las contradicciones de la política cultural del Estado en los gobiernos popu-
lares : entre el ¿liberalismo ? y el continuismo socialista », Sistema, Revista de Ciencias sociales, juillet 2005,
no 187, p. 111-124.
18. D. Alcaud, la Politique culturelle italienne. étude sociologique et historique de l’invention d’une politique
publique, thèse, paris, iEp, 2003.
19. p. -M. Menger, Portrait de l’artiste en travailleur. Métamorphoses du capitalisme, paris, la République
des idées/le seuil, 2002.
184
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20. A. Rubio, La política cultural del Estado en los gobiernos socialistas : 1982-1996, Gijón, Ediciones trea,
2003.
21. l. Bonet et E. négrier, la Fin des cultures nationales. Les politiques culturelles à l’épreuve de la diversité,
paris, la Découverte, 2008.
185
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22. l. Bonet, A. Villarroya, “e performing Arts sector and its interaction with Government policies in
spain”, dans c. smithuijsen (ed.), State on Stage. e Impact of Public Policies on the Performing Arts in
Europe, Amsterdam, Boekman Foundation, 2008, p. 171-184.
186
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cette gestion des lieux et l’appui aux initiatives locales de production. De leur côté,
les communautés insulaires, forales (notamment en pays basque) et les députations
provinciales qui ont conservé leurs prérogatives, ont davantage vocation à soutenir
les circuits et réseaux, et à développer des politiques de soutien aux municipalités.
Même si les communautés autonomes sont le niveau de gouvernement le plus
compétent en la matière, toutes les administrations peuvent, en vertu de la
constitution, intervenir pour sa promotion. En conséquence, l’administration centrale
n’a pas une relation d’exclusivité avec l’inAEM et ses centres de production. Elle aide
également la production supracommunautaire et les initiatives de construction ou
réhabilitation de lieux de spectacle. De même, elle dispose d’une compétence
essentielle en matière fiscale et de droit du travail.
2001 2005
Millions d’euros % Millions d’euros %
Communautés autonomes 102,3 61,9 327,7 81,2
État 111,2 38,1 115,7 18,8
Total 213,5 100 443,4 100
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188
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23. l. Bonet, « le soutien gouvernemental aux industries culturelles », dans l. Bonet et E. négrier (dir.),
la Politique culturelle en Espagne, op. cit., p. 77-102.
24. pour ne prendre qu’un exemple, en 2004, outre l’édition de 52 707 titres en espagnol, l’industrie édi-
toriale a publié 10 151 titres en catalan, 1 681 titres en basque et 1 547 en galicien (Federación de gre-
mios de editores de España, 2005).
189
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distribution suivantes n’obtiennent qu’une moyenne de 140 000 euros. par ailleurs,
les dix meilleures ventes ont représenté 25,7 % du total des recettes en Espagne et
les vingt-cinq premières 43,4 %, une proportion très élevée si l’on considère que
1 782 films ont été projetés cette année-là. certes, les filiales des majors américaines
n’hésitent pas à distribuer des films espagnols quand ils peuvent leur rapporter des
bénéfices. Mais il faut immédiatement nuancer ce constat par le fait qu’en 2004,
parmi les vingt-cinq meilleures recettes en Espagne, seuls trois films étaient de
nationalité espagnole : Mar adentro en troisième position (oscar du meilleur film
étranger, distribué par Warner), et les deux autres en 22e et 23e position. selon les
données du ministère de la culture, la part de marché du cinéma espagnol dans les
salles, au cours des dix dernières années, oscille en fonction des succès de chaque
année entre 9,3 % (1996) et 17,8 % (2001).
Dans les autres secteurs culturels, la concentration du marché et le poids de la
production étrangère ne sont pas aussi accentués, mais leur tendance est à la hausse.
pour l’édition phonographique, on estime que la concentration du marché au profit
des trois majors (universal, sony-BMG et Warner-EMi) s’élève à 70 %. la marge de
manœuvre laissée aux labels nationaux et indépendants est donc relativement étroite
et plus spécialisée. Dans ce cas cependant, le poids du répertoire international est
relativement moindre et mieux distribué (pop-rock anglo-saxon, musiques latinos),
avec un taux de pénétration conjointe estimée à 69 %. pour le livre, la concentration
est légèrement inférieure, bien qu’également avérée : 4 % des maisons d’édition y
concentrent 62,2 % des revenus. la part des titres étrangers est moindre et les
traductions représentent seulement 25,8 % du total des titres édités, mais le paiement
des droits d’auteur étrangers est en augmentation et s’élève à 40 %25.
Dans un tel contexte, il s’agit maintenant de voir comment les politiques de
soutien à l’industrie des produits culturels s’organisent et s’orientent. Elles sont
essentiellement réparties entre l’administration centrale de l’état et les communautés
autonomes. En effet, au-delà de ces dernières, seules certaines grandes villes disposent
de politiques d’aide à l’industrie culturelle locale, si l’on ne tient pas compte du
soutien indirect que peuvent représenter les services culturels pour les infrastructures
municipales, ou des politiques d’encouragement de la demande (comme par exemple
le système des bibliothèques publiques ou les écoles municipales de formation
artistique26). parallèlement, on peut aussi mentionner les stratégies d’accès aux
différents programmes européens, depuis ceux qui sont spécialement culturels
(comme culture 2000, Media ou Eurimages), jusqu’aux fonds structurels de
développement régional (interReg, entre autres). ces ressources, en général
quantitativement peu importantes, possèdent la vertu de situer l’industrie culturelle
locale dans une logique d’alliance avec les autres partenaires communautaires et de
jouer le rôle de levier vers d’autres ressources publiques ou privées.
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27. le total des bénéfices fiscaux issus de la tVA dans le secteur culturel s’élève à 571 millions d’euros en
2003. En plus du taux extrêmement réduit pour le livre, 12 points en deçà du taux normal de 16 %, le
spectacle vivant bénéficie d’un taux d’imposition de 7 %.
191
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28. A. Rubio, A. Aróstegui, « las contradicciones de la política cultural del Estado en los gobiernos popu-
lares… », art. cité.
29. la rénovation de l’accord entre la Banque de crédit officiel, Radio télévision espagnole et la Fédéra-
tion des associations de producteurs espagnols, en vigueur depuis 1994, estimée à 75 millions d’euros
pour la période 2006-2008, est fondamentale pour viabiliser la production.
192
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qui impliquaient une situation évidente de dumping, mais aussi de subventions pour
l’achat de papier, un facteur de production fondamental en ce qui concerne la
fabrication de livres et de publications périodiques. ces subventions impliquaient en
plus la distribution d’une quote-part favorisant la corruption et un clientélisme
politique qui allait au-delà de la censure. Au plan fiscal, cette industrie a également
bénéficié d’aides significatives, qui se sont maintenues avec l’entrée en vigueur de la
tVA au milieu des années 1980. De son côté, l’industrie cinématographique a
bénéficié de certains modes de subvention et d’importants quotas de diffusion, depuis
les années 1940. À la fin des années 1960, la diminution des publics, celle des
capacités de production et de marché, ont été compensées par la mise en œuvre, au
cours de la décennie suivante, de politiques centrées sur l’œuvre cinématographique.
l’éclosion, au cours des années 1990, d’un star system audiovisuel (cinéma et
télévision) de réalisateurs et d’acteurs de grand prestige national et international, a
permis de consolider le cinéma espagnol comme l’un des plus puissants d’Europe.
un autre exemple de la promiscuité entre secteurs professionnels et administra-
tion publique nous est fourni par les nominations des grands responsables de la
politique du livre ou de l’audiovisuel des différents gouvernements de l’époque
démocratique. pour le gouvernement, le fait de nommer des professionnels reconnus
des différents secteurs aux postes de directeurs généraux du livre et de l’institut du
cinéma et des arts audiovisuels (icAA), ou de ses comités d’experts, lui a permis l’accès
à l’information stratégique et un bon niveau d’interlocution face à des collectifs dotés
d’une grande capacité de pression médiatique. pour les entreprises, le fait de pouvoir
compter, au sein d’un organe de l’administration comme le ministère de la culture,
sur des responsables capables de négocier avec le ministère de l’économie et des
Finances et, dans le même temps, connaisseurs bien disposés envers les nécessités
réelles du secteur, a traditionnellement été une garantie extrêmement utile. logique-
ment, le résultat de cette connivence n’a pas toujours été positif pour les uns comme
pour les autres. D’une part, l’interprétation de l’intérêt général a toujours été
influencée par le parcours antérieur du directeur général du moment (être producteur
ne revient pas au même qu’être réalisateur, ou ancien directeur exécutif d’une des
associations professionnelles). D’autre part, le niveau réel d’autonomie de chaque
responsable ou la sensibilité du gouvernement à l’égard du soutien au secteur ont
évolué, aboutissant parfois à des situations de crispation, de fortes campagnes de
mobilisation de la part du secteur.
comme nous l’avons signalé, avec la transformation du modèle politique et
administratif territorial au début des années 1980, les communautés autonomes
représentent l’autre niveau de gouvernement qui, à côté de l’administration centrale
de l’état, exerce une influence réelle sur la promotion de la culture et sur l’industrie
culturelle. ces communautés ont apporté dans leur ensemble 59 millions d’euros en
2003, avec une distribution presque paritaire entre les secteurs du livre et de
l’audiovisuel, mais avec une grande inégalité d’implication de la part des différentes
communautés. la catalogne (15,6 % de la population espagnole) a consacré, au
cours de cette année, 26,6 millions d’euros à son industrie culturelle, soit 45 % du
total apporté par l’ensemble des communautés autonomes. suivent la Galice avec
193
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Milliers d’euros %
Livre 30 599 51,7
Audiovisuel 28 538 48,3
Cinéma 23 076 39,0
Vidéo 766 1,3
Musique enregistrée 141 0,2
Autres 4 555 7,7
Total industries culturelles 59 137 100,0
Total culture 1 217 894
10,2 millions d’euros, et la communauté de Madrid avec 5,1 millions (un apport
très réduit par rapport à l’importance de son industrie culturelle). De manière globale,
le soutien au secteur du livre représente 51,7 % des ressources affectées par l’ensemble
des communautés autonomes, alors que 80 % des 23 millions d’euros destinés à
l’audiovisuel sont absorbés par le cinéma (autant pour la production de longs-
métrages que de téléfilms).
le soutien public aux industries culturelles se concentre ainsi presque
exclusivement, en Espagne, sur les secteurs du livre et du cinéma. ce sont des activités
qui ne représentent qu’une partie des pratiques des Espagnols vis-à-vis de l’offre de
biens culturels produits en série. si le volume des aides devait correspondre à la
nécessité de renforcer un tissu productif autochtone, avec des œuvres conçues au sein
d’environnements locaux pour un public à la recherche de produits compétitifs et
de qualité, alors l’ampleur des domaines concernés aurait dû croître à la mesure des
transformations dans les habitudes de consommation. cependant, l’appui à la
puissante industrie des jeux vidéo, à l’industrie phonographique, ou à celle des
expressions musicales les plus populaires est presque anecdotique. on pourrait penser
que cette situation répond alors à une option explicite de ne pas soutenir des activités
qui se développent de façon optimale dans le marché libre, ou des produits dont la
qualité culturelle est discutable. Mais alors une bonne partie du soutien aux secteurs
du livre ou du cinéma devrait en faire les frais.
la forte inertie des politiques publiques (structures institutionnelles et dispositifs
de subvention) ainsi que celle de l’origine et des profils professionnels de leurs hauts
responsables nous permettent de formuler une autre hypothèse. la capacité élevée
de lobbying des groupes d’intérêts des secteurs traditionnellement bénéficiaires du
soutien gouvernemental et la faible capacité d’influence des nouvelles activités
émergentes pèsent énormément sur l’évolution des politiques culturelles. celles-ci
sont déjà entravées par la grande rigidité du système administratif espagnol et la
194
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tradition d’éviter les changements s’ils impliquent un conflit avec des acteurs
disposant d’une surface médiatique importante. En général, les réformes législatives
et de la structure organique du ministère ne découlent que de la mobilisation
constante des intérêts corporatifs les plus influents, comme on a pu le voir à travers
les nouvelles lois sur le cinéma ou le livre, ou l’intégration dans le droit espagnol, en
2007, de la directive de 2001 sur les droits d’auteur et droits voisins dans la société
de l’information.
le ministère de la culture est organisé sur la base de directions sectorielles, dont
une partie sous la forme d’instituts autonomes comme l’inAEM ou l’icAA. cette struc-
ture n’a pratiquement pas changé depuis 1985. il a fallu attendre 2008 pour que,
sans bouleverser les directions du cinéma, du livre, des arts de la scène ou de la
musique, la vieille direction générale à la coopération et communication culturelles
se transforme en s’adjoignant le titre de « politique et industrie culturelles ». De cette
manière, on a pu annoncer, lors d’une conférence de presse le 16 octobre 2008, la
création pour 2009 d’une nouvelle ligne de subventions qui dépasse le cadre sectoriel
habituel.
les précédents à ce modeste changement doivent être recherchés dans la création,
en 2000, de l’institut catalan des industries culturelles, et dans d’autres initiatives et
projets associant les directions de la culture et de la promotion économique dans
certaines communautés autonomes, comme le projet lunar en Andalousie. De telles
initiatives se traduisent par des dispositifs de soutien beaucoup plus transversaux,
moins enracinés dans les vieilles pratiques de financement par secteur, et plus proches
des stratégies de développement d’un tissu d’entreprises et de projets créatifs. Dans
le cas catalan, la mise en œuvre de l’icic répondait à la demande des grandes entre-
prises culturelles de disposer d’une structure administrative plus souple, clairement
dédiée au soutien à ses projets d’investissement, et où elles pourraient disposer d’une
voix au chapitre, ainsi que d’une relation directe avec le ministère catalan de
l’économie et des Finances. comme pour d’autres initiatives gouvernementales
catalanes (le conseil de l’audiovisuel de catalogne, à la fin des années 1990, ou le
conseil national de la culture et des arts, en 2007), on crée alors une institution
hybride qui, si elle s’inspire du modèle britannique – le Royaume-uni avait mis en
œuvre sa propre politique de soutien aux entreprises créatives en 1997 – s’adapte à
la réalité et à la culture politique latines.
Conclusion
En matière de politique culturelle, l’Espagne est un vaccin efficace contre la
tentation ethnocentrique. En dépit de points communs avec les tendances mainstream
des politiques culturelles (liées aux trajectoires historiques, mais aussi aux enjeux les
plus contemporains), il serait vain d’y reproduire les mêmes schémas explicatifs, tant
les mêmes termes (ministère, transferts de compétence, diversité, par exemple)
renvoient à des réalités distinctes. cela n’en fait pourtant pas un cas si spécifique que
l’on puisse l’ériger en type isolé. plus qu’un modèle, l’Espagne des politiques
culturelles est un terrain particulier d’importation et d’assemblage des recettes
195
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Jean-Michel TOBELEM*
197
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7. États-Unis, peuple et culture, Paris, La Découverte, 2004 ; André Kaspi, François Durpaire, Hélène Har-
ter et Adrien Lherm, la Civilisation américaine, Paris, PuF, 2006 (2e édition) ; Adrien Lherm, la Culture
américaine, Paris, Le Cavalier bleu, 2002.
8. Frédéric Martel, De la culture en Amérique, Paris, Gallimard, 2006.
9. Que ne compense pas la création – en 2005 – du musée national des Indiens-Américains à Washing-
ton DC, ainsi que celle du futur musée national des Africains-Américains.
10. Pensons aux peintres paysagistes de la Hudson River School (Cole, Church, Durand, Kensett…).
198
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11. Maria-rosario Jackson et Joaquin Herranz Jr., Culture Counts in Communities. A Framework for Mea-
surement, Washington DC, e urban Institute, 2002.
12. Mark Meigs, “Professional Eccentrics and Eccentric Professionals: Changes in the Cultural Landscape
of Philadelphia, 1900-1930”, Paris, Cahiers Charles V, 2000, no 28.
13. John Kreidler, « La culture aux États-unis : le triomphe de la politique locale et des marchés », dans
Financement et gestion de la culture aux États-Unis et en France, Paris, Éditions de Bercy, 2004, p. 232.
14. Netzer Dick, “Cultural Policy: an American View”, dans Victor A. Ginsburgh et David rosby (eds),
Handbook of the Economics of Art and Culture, vol. 1, New York, Elsevier, 2006.
199
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15. ripley Dillon, e Sacred Grove. Essays on Museums, Washington DC, Smithsonian Institution Press,
1969 ; Philip D. Spiess II, “e Impossible Museum: e Smithsonian Celebrates 150 Years”, Museum
News, juillet-août 1996.
16. e National Endowment for e Arts. 1965-2000. A brief Chronology of Federal Support for the Arts
(édition révisée), Washington DC, NEA, 2000.
200
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inédits mis massivement en œuvre à cette occasion. En 1934 est instaurée une section
du département du Trésor dont la fonction est de passer des commandes à des
peintres et à des sculpteurs pour décorer les bâtiments fédéraux dans l’ensemble du
pays. Sous l’égide du Works Progress Administration (WPA), créé en 1935, le gouverne-
ment emploie 3 700 artistes dans le cadre de programmes fédéraux : le Federal Writers
Program, le Federal eater Project, le Federal Art Project (auquel participèrent par
exemple Philip Guston, Jackson Pollock, Lee Krasner ou encore Mark rothko) et le
Federal Music Project. Le WPA avait pour objectif de combattre les conséquences de
la crise de 1929 et les effets durables qui s’en étaient suivis dans les rangs de la
communauté artistique américaine, en recourant notamment à des commandes d’art
sur une très grande échelle, puisque portant sur plus de 200 000 œuvres au total.
Ces programmes furent supprimés en 1942, l’urgence de l’effort de guerre primant
sur toute autre considération, une fois remise en ordre de marche la puissance
productive de l’économie de la première puissance mondiale.
17. Michael Kammen, « Le financement des arts aux États-unis : un point de vue historique », dans Finan-
cement et gestion de la culture…, op. cit., p. 38.
18. On appelait Louis Armstrong « l’ambassadeur Satch ». Le jazz fut même considéré comme “the coun-
try’s ‘Secret Sonic Weapon’” (Fred Kaplan, “When Ambassadors Had rhythm”, e New York Times,
29 juin 2008).
19. Georges Armaos, « La CIA et le MoMA », dans Jean-Michel Tobelem (dir.), l’Arme de la culture. Les
stratégies de la diplomatie culturelle non gouvernementale, Paris, L’Harmattan, 2007.
201
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20. Jeanne Bouhey, « Paysage après le 11 septembre. Les nouveaux enjeux de la diplomatie culturelle amé-
ricaine », dans J.-M. Tobelem (dir.), l’Arme de la culture…, op. cit.
21. Cultural Diplomacy: Recommendations and Research, Washington DC, Center for Arts and Culture,
2004.
22. Bill Ivey, Arts, Inc.: How Greed and Neglect Have Destroyed our Cultural Rights, university of Cali-
fornia Press, 2008.
202
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brothers Fund intitulé e Performing Arts: Problems and Prospects, qui invite à
compléter le financement privé de la culture, y compris le spectacle vivant, par un
soutien financier des collectivités publiques et du gouvernement fédéral. Le National
Endowment for the Arts (NEA, présidé par roger L. Stevens) et le National Endowment
for the Humanities (NEH) voient enfin le jour en septembre 1965, le président Johnson
déclarant à cette occasion que « l’art constitue notre patrimoine le plus précieux ».
À leurs débuts, ces agences – dont la création représente une avancée majeure
dans la reconnaissance fédérale du rôle de la culture – disposent d’un budget très
modeste et de quelques employés seulement. Mais des programmes sont rapidement
mis en place par le NEA dans plusieurs domaines : la musique, la danse, la littérature,
les arts plastiques, le théâtre et l’éducation artistique puis, par la suite, l’architecture
et le design, le folklore, ainsi que les médias publics, permettant de commencer à
contribuer au financement d’institutions culturelles et d’artistes. Signe fort adressé à
la communauté artistique, une subvention de 100 000 dollars du NEA empêche fin
1965 la disparition de l’American ballet eatre, au moment où est également
subventionnée la Martha Graham Dance Company. Par ailleurs, à la suite d’un rapport
commandé par le National Council on the Arts, l’American Film Institute est fondé en
1967. Symbole d’une prise de conscience de l’ensemble de la société, 1968 voit la
naissance du business Committee for the Arts, sous l’impulsion notamment de David
rockefeller, dont l’objet est de stimuler le soutien des entreprises au secteur culturel.
En 1969 est présenté le rapport Belmont sur les musées (e Conditions and Needs
of America’s Museums), suivi en 1974 de la première enquête statistique sur les musées
américains, « Museums uSA ».
Dans cette atmosphère favorable au développement d’un large soutien à l’art et
à la culture à tous les niveaux de la société (institutions culturelles, artistes, établis-
sements scolaires, médias…), le président Nixon peut déclarer en 1971 : « Ce qui
compte désormais est que le gouvernement accepte le soutien à la culture comme
l’une de ses responsabilités – non pas seulement au niveau fédéral, mais aussi au
niveau des États et au niveau local. Et de plus en plus, à tous les niveaux, les pouvoirs
publics ne le voient pas seulement comme une responsabilité, mais aussi comme une
opportunité – parce qu’il existe une reconnaissance croissante qu’il existe peu
d’investissements dans le domaine de la qualité de la vie en Amérique qui rapportent
autant que l’argent dépensé pour favoriser l’essor des arts23. » De là découle également
le fait que l’on recherche dans quelle mesure la culture peut enrichir les programmes
fédéraux de toute nature et comment ces derniers pourraient bénéficier au secteur
artistique. Le nombre de comités consultatifs (avec une rotation régulière de leurs
membres, parmi lesquels le peintre roy Lichtenstein ou l’écrivain Toni Morrison)
augmente à mesure que se diversifient les secteurs aidés – l’opéra ou le jazz, par
exemple –, dans une période où le budget du NEA double chaque année : 8 millions
de dollars en 1970, 15 millions de dollars en 1971, 30 millions de dollars en 1972,
60 millions de dollars en 1974. Parmi les premiers artistes bénéficiaires des aides du
NEA, on peut mentionner Merce Cunningham pour la danse, Lee Friedlander pour
203
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la photographie ou encore Laurie Anderson pour la musique. Dès 1974 est adoptée
une résolution destinée à favoriser l’accès des équipements culturels aux personnes
handicapées.
Dix ans après sa création, le budget du NEA, qui emploie dorénavant plus de
250 personnes (il en comptera plus de 500 à son maximum, en 1992), dépasse
74 millions de dollars. Il est désormais précisé qu’une partie des subventions doit être
attribuée aux agences artistiques étatiques (réunies dans la National Assembly of State
Arts Agencies) et aux organisations régionales, dans l’objectif d’un soutien aux
programmes locaux. L’argent fédéral sert de levier et de catalyseur aux financements
privés et aux partenariats, comme celui qui voit le jour entre le NEA et l’entreprise
Exxon (dans le domaine des orchestres symphoniques et de la télévision publique
notamment). C’est en 1977 qu’est créé l’Institute of Museum Services, une agence
fédérale consacrée au secteur muséal (soit quelque 17 500 entités), qui deviendra en
1996 l’Institute of Museum and Library Services en étendant sa compétence aux
122 000 bibliothèques que comptent aujourd’hui les États-unis d’Amérique. Dès
1978, est fixé l’objectif de mieux prendre en considération la communauté artistique
d’origine hispanique. Les offices culturels locaux, quant à eux, passent de 150 en
1966 à 2 000 environ durant cette période.
En 1981, année où l’agence reçoit 27 000 demandes de subvention, le budget
du NEA dépasse 158 millions de dollars (contre 123 millions de dollars en 1978).
Avec l’arrivée de ronald reagan à la présidence, le climat change : il s’agit de revoir
les méthodes du NEA, de stimuler la participation du secteur privé. En 1982, le budget
de l’agence, qui demeure d’une ampleur limitée, est revu à la baisse. Il atteint néan-
moins 162 millions de dollars en 1984, année qui voit la création d’une médaille
nationale des arts et… le retrait des États-unis d’Amérique de l’unesco24. En 1989,
des attaques (donnant naissance aux « guerres culturelles ») sont lancées contre le
soutien apporté par le NEA à des artistes (robert Mapplethorpe, Andres Serrano…)
dont les productions sont jugées comme « obscènes » par le Congrès25. Si le budget
des NEA atteint son point haut en 1992 – 175 millions de dollars –, il ne va cesser
de décroître par la suite, pour atteindre 99 millions de dollars en 1996 et 97 millions
de dollars en 2000, sur fond de remise en cause par le Congrès de l’implication
fédérale dans le financement de la culture et de projets de disparition pure et simple
du NEA, l’action du NEH étant quant à elle moins controversée26. Le personnel de
l’agence est réduit en conséquence. Alors que celle-ci crée un site internet, manifesta-
tion de son implication croissante dans les nouvelles techniques de l’information et
de la communication, de nombreuses limitations et restrictions sont imposées à son
action par le pouvoir législatif. Enfin, après le thème de la créativité, c’est celui du
24. Leur retour se fera en 2003. Voir Divina Frau-Meigs, « Le retour des États-unis au sein de l’unesco »,
Annuaire français de relations internationales, 2004, vol. 5.
25. La Cour suprême se prononcera sur ce point à l’occasion de l’affaire NEA vs. Finley. Voir rothstein
Edward, “Where a Democracy and Its Money Have No Place”, e New York Times, 26 octobre 1997.
26. e American Assembly, e Arts and Government: Questions for the Nineties, New York, Columbia
university, 1990.
204
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tourisme culturel qui fait son apparition dans les démarches du NEA à la fin des années
1990, souvent corrélé à la thématique de la préservation du patrimoine27.
27. Peggy Wireman, Partnerships for Prosperity. Museums and Economic Development, Washington DC,
American Association of Museums, 1997 ; J.-M. Tobelem, « L’introuvable politique patrimoniale des États-
unis d’Amérique », art. cité.
28. John Kreidler, « La culture aux États-unis : le triomphe de la politique locale et des marchés », art.
cité, p. 234.
29. e American Assembly, e Arts and the Public Purpose, op. cit. ; Kevin F. McCarthy, Arthur Brooks,
Julia F. Lowell, Laura Zakaras, e Performing Arts in a New Era, Santa Monica, rand Corporation, 2001.
30. Sans même mentionner le National Park Service (responsable d’espaces naturels, de sites patrimoniaux
et, bien sûr, des parcs nationaux) ou encore la National Science Foundation, qui peut intervenir en faveur
des musées des sciences, des muséums d’histoire naturelle et autres science centers.
31. Ellen McCulloch-Lovell, « Les défis du modèle américain de soutien culturel », dans Financement et
gestion de la culture…, op. cit.
205
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32. randy Cohen, « Qui paie pour les arts et la culture ? », dans Financement et gestion de la culture…, op.
cit., p. 100.
33. Arthur C. Brooks, “In Search of True Public Arts Support”, Public budgeting and Finance, juin 2004,
vol. 24, no 2.
34. Leonard L. Silverstein, « L’architecture fiscale américaine du système de soutien aux activités carita-
tives : histoire et règles générales », dans Financement et gestion de la culture…, op. cit., p. 125.
35. Michael rushton, “Earmarked Taxes for the Arts: uS Experience and Policy Implications”, Interna-
tional Journal of Arts Management, printemps 2004, vol. 6, no 3.
36. Marc A. Scorca, « La complexité croissante des structures de soutien financier : comment les gérer ?
La diversification des partenaires : à quel prix ? », dans Financement et gestion de la culture…, op. cit.,
p. 161-162.
206
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37. « Jour après jour, année après année, minute après minute » (Karen Brooks Hopkins, « Étude sur le
cas de la collecte de fonds aux États-unis : e brooklyn Academy of Music », dans Financement et gestion
de la culture…, op. cit., p. 163).
38. Chris Walker, Stephanie Scott-Melnyk et Kay Sherwood, Reggae to Rachmaninoff: How and Why People
Participate in Arts and Culture. building Arts Participation, Washington DC, e urban Institute, 2002.
39. En 2002 par exemple, ruth Lilly a effectué un don de 120 millions de dollars au profit de l’organi-
sation Americans for the Arts.
207
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40. Jean-Michel Tobelem, Musées et culture, le financement à l’américaine, Lyon, Presses universitaires de
Lyon, 1990 ; id., le Nouvel âge des musées. Les institutions culturelles au défi de la gestion, Paris, Armand
Colin, 2005.
41. Alan riding, “Europe Still Gives Big Doses of Money to Help the Arts”, e New York Times, 4 mai
1995.
42. Karl E. Meyer, e Art Museum: Power, Money, Ethics. A Twentieth Century Fund Report, New York,
William Morrow & Co, 1979 ; Martin Feldstein (dir.), e Economics of Art Museums, Chicago, e uni-
versity of Chicago Press, 1991 ; J.-M. Tobelem, Musées et culture…, op. cit. ; id., le Nouvel âge des musées…,
op. cit.
208
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urbain et des équipements urbains de loisir. C’est ainsi que les municipalités de
Philadelphie, Boston, Baltimore, Pittsburgh, Seattle, Newark ou Charlotte ont
appuyé des projets de restructuration urbaine passant par le soutien au dévelop-
pement de quartiers artistiques et la modernisation ou la création d’institutions
culturelles tels que des salles de concert ou des musées43. Autrement dit, les profes-
sionnels de la culture doivent s’efforcer de démontrer aux pouvoirs publics que l’art
et la culture sont porteurs de bienfaits pour leur environnement, plutôt que d’espérer
les convaincre de l’utilité du financement de « l’art pour l’art44 ». Les avantages que
les analystes prêtent à la culture sont toutefois nombreux : le développement de
l’éducation artistique, la relation féconde avec les industries de la création, le
renforcement des liens sociaux, l’amélioration de la qualité de la vie, la restructuration
des centres-villes, etc.
Quoi qu’il en soit, en dehors des formes d’autorégulation (codes de bonne
conduite, chartes déontologiques et autres systèmes d’accréditation), les contrôles de
l’administration fiscale (Internal Revenue Service), du Congrès et des procureurs de
la république (district attorneys) font que les institutions culturelles – même indé-
pendantes par statut – constituent des entités qui participent à une forme de « service
public » de la culture45, ou du moins relèvent assurément d’une démarche d’intérêt
général qui sert de fait de justification aux exonérations d’impôts et aux déductions
fiscales qui les caractérisent. On l’observe dans le cadre juridique concernant les
fondations, mais aussi dans les affaires de deaccessioning46, où les institutions
culturelles qui souhaitent se défaire de certaines de leurs œuvres doivent en répondre,
en cas d’abus, devant les législations des États. Tout se passe donc comme si la
puissance publique « déléguait » aux multiples acteurs décentralisés du champ culturel
(professionnels, membres de conseils d’administration, donateurs, bénévoles…) le
soin de dessiner les contours de la politique culturelle des États-unis d’Amérique47.
43. Elizabeth Strom, “Cultural Policy as Development Policy: Evidence From the united States”, Inter-
national Journal of Cultural Policy, novembre 2003, vol. 9, no 3.
44. Investing In Culture. Innovations In State Policy, A report by the NCSL Cultural Policy Working Group,
Denver et Washington DC, National Conference of State Legislatures, 2003 ; Kevin F. McCarthy, Eliza-
beth H. Ondaatje, Laura Zakaras, Arthur Brooks, Gifts of the Muse. Reframing the Debate About the bene-
fits of the Arts, Santa Monica, rand Corporation, 2004 ; Arts and Economic Prosperity III, Washington DC,
Americans for the Arts, 2007.
45. “ese organizations are fundamentally public in their responsibilities and ultimate accountability”
(Stephen E. Weil, “Museums in the united States: e Paradox of Privately Governed Public Institu-
tions”, Museum Management and Curatorship, 1997, vol. 15, no 3, p. 249).
46. Lee rosenbaum, “At the New York Public Library, It’s Sell First, raise Money Later”, e Wall Street
Journal, 1er novembre 2005.
47. Kevin V. Mulcahy, “Cultural Policy : Definitions and eoretical Approaches”, International Journal
of Arts Management, Law, and Society, hiver 2006, vol. 35, no 4.
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48. Voir l’exposition consacrée aux influences européennes de Walt Disney (Paris, Grand Palais, 2007).
49. Peter Biskind, le Nouvel Hollywood, Paris, Le Cherche-Midi, 2002.
50. Sur le modèle, aux États-unis, de Public broadcasting System (PBS) pour la télévision, ou de National
Public Radio (NPr) pour la radio, qui datent des années 1960.
51. André Schiffrin, l’Édition sans éditeurs, Paris, La Fabrique, 1999, p. 63-64.
52. Citons, à titre d’illustration, la série policière e Wire (« Sur écoute ») de la chaîne HBO.
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musées et des arts plastiques est, lui, en bonne santé, porté par la demande du public,
la vitalité des galeries, l’attrait des grandes expositions et la frénésie d’achat des
collectionneurs, malgré des critiques récurrentes en termes d’éthique (voir par exemple
les « affaires » ayant touché la fondation Getty ou la Smithsonian Institution53).
53. Michael Kimmelman, “Art, Money and Power”, e New York Times, 11 mai 2005 ; Paul Werner,
Museum, Inc: Inside the Global Art World, Chicago, Prickly Paradigm Press, 2005.
54. rob reich, “A Failure of Philanthropy. American Charity Shortchanges the Poor, and Public Policy
is Partly to Blame”, Stanford Social Innovation Review, hiver 2005.
211
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55. e American Assembly, e Arts and Public Policy in the United States, New York, Columbia uni-
versity, 1984.
56. J.-M. Tobelem, Musées et culture…, op. cit. et F. Martel, eater…, op. cit.
57. K. F. McCarthy, A. Brooks, J. F. Lowell, L. Zakaras, e Performing Arts in a New Era, op. cit.
58. Judith H. Dobrzynskin, “Heavyweight Foundation rows Itself Behind Idea of a Cultural Policy”,
e New York Times, 2 août 1999.
212
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quelles ressources devraient être protégées et pourquoi. Ainsi il n’est pas risqué
d’affirmer que, loin de cela, les organisations culturelles et le travail des artistes
survivront ou disparaîtront en fonction de l’influence du marché, des intérêts person-
nels des mécènes et des préoccupations politiciennes, plutôt que selon n’importe quel
processus organisé ou réfléchi de mise en œuvre d’une politique culturelle59 ». Cet
éparpillement est certes stimulant en termes de dynamisme60, mais il est coûteux en
énergie, source de fragilité en cas de récession économique et il paraît accepter de
marginaliser certains types de production artistique. Le point essentiel est à cet égard
que la faiblesse des financements publics actuellement alloués à la culture61 permet-
trait facilement d’envisager une augmentation de ces ressources ; et cela, non pas
pour se substituer aux recettes propres ou aux financements privés, mais pour que
les revenus de la puissance publique permettent de stabiliser le fonctionnement des
institutions culturelles (par ailleurs hautement professionnalisées) dans le sens d’une
moindre dépendance à l’égard de certains types de donateurs, d’une plus large part
laissée à l’innovation et à l’expérimentation, et surtout d’une prise de risque plus
importante (qu’il s’agisse d’une exposition consacrée à un artiste peu connu, de la
présentation d’une pièce de théâtre d’un auteur exigeant ou encore de la program-
mation de l’œuvre d’un compositeur de musique contemporaine62). Dès lors, on
pourrait fort bien imaginer qu’à l’avenir, on assiste concomitamment à une
« américanisation » de la politique culturelle européenne et à une « européanisation »
de la politique culturelle américaine…
59. Marian A. Godfrey, « Politique et philanthropie au sein du système culturel des États-unis : le triomphe
de la politique locale et des marchés », dans Financement et gestion de la culture…, op. cit., p. 202.
60. National Endowment for the Arts, How the United States Funds the Arts, Washington DC, NEA, 2007
(édition révisée).
61. Stephen Kinzer, “Some States Propose End to Arts Spending”, e New York Times, 20 février 2003.
62. « Au sein des orchestres, la tendance affligeante de toujours se coller étroitement au répertoire alle-
mand du xIxe siècle, car on pense que le public sera moins attiré par un travail moins bien connu, est
renforcée dans les périodes économiquement difficiles. Dans des moments comme ceux-là, il semble
impossible – et pas seulement risqué – de programmer une nouvelle œuvre ou un répertoire peu fami-
lier, qui exigerait des répétitions additionnelles coûteuses et pourrait choquer et déplaire au public »
(M. A. Godfrey, « Politique et philanthropie au sein du système culturel des États-unis… », art. cité,
p. 196-197).
213
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Introduction
Les recherches sur l’histoire de la politique culturelle conservent toute leur
importance dans la perspective du développement d’une politique culturelle et de la
réflexion que cette politique doit mener sur elle-même, tant au plan national qu’inter-
national. Dans la plupart des sociétés capitalistes avancées, la manière d’envisager la
« politique culturelle » a connu au cours du temps une évolution reflétant les
préoccupations relatives à la viabilité commerciale des différentes pratiques culturelles
et esthétiques, d’une part, et les conceptions du rôle des pouvoirs publics pour assurer
la préservation de ce qui est traditionnellement perçu comme un bien public, d’autre
part.
L’histoire de la politique culturelle remonte au xVIIIe ou au xIxe siècle. La tradition
finlandaise d’implication de l’État dans le domaine des arts et du patrimoine est
inséparable de l’idée d’une culture nationale et de la construction d’un État-nation.
Au xIxe siècle, toutefois, le soutien des pouvoirs publics à la culture est resté très
limité. Les recherches sur l’histoire de la politique culturelle constituent un sous-
champ important des études sur la politique culturelle. Dans le contexte finlandais,
nous pouvons relever les travaux menés à cet égard par des auteurs comme
Heiskanen1, Ahponen2, Alasuutari3 et Kangas4, qui soulignent le rôle normatif que
la politique culturelle attribue à la culture, en particulier dans sa phase de plein
développement, lorsque, après la Deuxième guerre mondiale, on enregistra une nette
inflexion à la fois dans la formation de la politique culturelle et dans ses modes de
fonctionnement, alors que le processus d’institutionnalisation s’intensifiait. Ce
processus s’est traduit notamment par la spécialisation culturelle de services
21
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. Jim Mcguigan, Rethinking Cultural Policy, glasgow, open University Press, 2004, p. 33-61.
6. Matti Alestalo, Structural Change, Classes and the State: Finland in a Historical and Comparative Pers-
pective, Research reports, Research group for Comparative Sociology, University of Helsinki, 1986, p. 17.
216
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L’idée germa de créer un art national représentatif et par conséquent des fonds publics
furent consacrés à assurer l’existence d’institutions artistiques. Au cours de cette
période marquée par l’autonomie, la vie artistique finlandaise se développa rapide-
ment et l’importance des subventions s’accrut parallèlement à cet essor10. En raison
des rigidités de l’action administrative, un certain nombre de problèmes furent pris
en charge par des associations culturelles et artistiques qui menaient un lobbying actif
pour le développement de la vie culturelle11.
La tradition de la haute culture européenne (en particulier de la culture de cour)
n’eut qu’un impact limité12 et l’aristocratie finlandaise de langue suédoise ne possédait
que relativement peu de terres : les petits propriétaires fermiers constituaient la
colonne vertébrale de l’économie. Dans ce contexte, le mouvement nationaliste de
langue finnoise devait élaborer un programme politique qui ne remette pas en
question les acquis politiques déjà engrangés en termes d’autonomie et de position
particulière au sein de l’Empire russe, et qui lui conserve le soutien dont il pouvait
déjà bénéficier au sein des couches supérieures de la société. Le nouveau mouvement
nationaliste devait donc centrer ses revendications sur l’élévation de la langue majori-
taire, le finnois, au rang de langue officielle sur pied d’égalité avec la langue minori-
taire, le suédois, qui était alors administrativement et intellectuellement dominante.
Suite à quoi, des groupes divers (tant d’expression suédoise que d’expression finnoise)
promurent leurs propres conceptions de la nation finlandaise et de sa culture auprès
de l’opinion publique, en s’efforçant d’obtenir une reconnaissance légitime pour leurs
actions13.
Le mouvement dit « Fennoman » fut lancé au sein des milieux académiques et
intellectuels établis, et il bénéficia du soutien de l’Église luthérienne, de la classe
moyenne d’expression finnoise et de la paysannerie. Les associations représentant
différents mouvements sociaux tels que le mouvement travailliste, le mouvement
pour la tempérance, les brigades de pompiers et les associations de la jeunesse rurale,
jouèrent un rôle très important dans cette évolution. Ils furent de facto les premiers
instruments du développement de l’identité nationale dans la période allant de 1809
à 191714. Compte tenu de l’importance de la question de la langue, la littérature
occupait une position clé, comme le montre la création de la Société de littérature
finlandaise en 1831. La Société pour l’éducation populaire (Kansanvalistusseura) fut
fondée en 1874 : il s’agit de la plus ancienne organisation finlandaise de formation
des adultes, qui plonge ses racines idéologiques dans l’éveil national et culturel.
218
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La mise sur pied d’associations culturelles trouvait une de ses motivations essen-
tielles dans l’idée selon laquelle il fallait, pour créer une nation, « civiliser » le peuple,
l’éduquer pour lui faire comprendre la signification de sa propre culture et de ses
propres traditions pour renforcer le processus de formation d’un État. Cette « mission
civilisatrice » était au cœur des actions menées aussi bien par le mouvement des
Fennomans, d’expression finnoise et d’inspiration conservatrice (influencé par l’idéa-
lisme allemand), que par leurs rivaux, également d’expression finnoise, mais d’inspira-
tion libérale ou sociale (influencés par les conceptions anglo-saxonnes du libéralisme
social), mais aussi dans l’action de l’élite d’expression suédoise qui cherchait à
renforcer sa position de la langue suédoise et et celle de sa population dans l’État-
nation finlandais1. En général, les mouvements de la société civile et les associations
qui y étaient liées poursuivaient un objectif général d’amélioration des mœurs et du
mode de vie des classes populaires en cherchant à inculquer au peuple une manière
de vivre appropriée16. À cet égard, les relations pratiques et fonctionnelles entre l’État
et les acteurs légitimés au sein de la société civile ont joué un rôle important dans
l’éduction des citoyens conformément aux conceptions prédominantes de ce que
devait être et représenter l’État17.
La Révolution russe de 190 permit la création, en 1906, d’un nouvel organe
législatif destiné à remplacer les anciens États. Depuis lors, l’organe législatif a pris
le nom de Parlement, un parlement à une seule chambre. La création du Parlement
finlandais constitua la réforme parlementaire la plus radicale jamais vue en Europe :
la Finlande passa d’un seul coup d’une diète de quatre États à un parlement mono-
caméral élu au suffrage universel. Les femmes finlandaises furent les premières en
Europe à obtenir le droit de vote. Le droit de siéger au Parlement fut également
étendu aux deux sexes.
Le 6 décembre 1917, le Parlement approuva la déclaration d’indépendance. Dans
le même temps, toutefois, la rupture entre les partis de gauche et de droite était
devenue irrémédiable. La prise du pouvoir par les Bolcheviks en Russie en novembre
1917 avait soulevé une grande émotion en Finlande. Pour la classe moyenne, les
Bolcheviks incarnaient l’épouvantail du socialisme révolutionnaire. Les travailleurs,
en revanche, étaient enthousiasmés par l’apparente efficacité de l’action révolution-
naire. Le succès des Bolcheviks encouragea les ouvriers finlandais à se lancer dans
une grève générale en 1917. En janvier 1918, le gouvernement finlandais autorisa la
garde blanche à agir comme force de sécurité nationale pour rétablir la loi et l’ordre.
Cette décision incita à leur tour les ouvriers à déclencher une grève préventive et
dans les jours qui suivirent, des éléments révolutionnaires prirent la direction du
mouvement socialiste et appelèrent à une insurrection générale. Une guerre civile
éclata donc, qui se termina par la victoire « blanche » et la Finlande devint une
1. S. Sokka et A. Kangas, “From Private Initiatives towards the State Patronage”, art. cité, p. 118-121 et
130-131.
16. Pertti Pesonen et olavi Riipinen, Dynamic Finland. e Political System and the Welfare State, Hel-
sinki, Finnish Literature Society, 2002, p. 30-33.
17. S. Sokka et A. Kangas, “From Private Initiatives towards the State Patronage”, art. cité, p. 126-127.
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république indépendante l’été suivant. La guerre laissa des traces profondes dans le
pays, le divisant à la fois politiquement et culturellement18.
Après la guerre civile, les éléments les plus radicaux de la bourgeoisie victorieuse
tentèrent de modifier les valeurs de base de la culture nationale établie, dans le sens
d’une droite radicale, en soulignant la nécessité de combattre le communisme et de
créer une « plus grande Finlande » en annexant, dans un esprit de romantisme tribal,
des zones de Carélie orientale russe. Cette phase fut éphémère et la politique se
focalisa de nouveau sur les tâches familières de la période antérieure à l’indépendance :
poursuivre la construction de la nation en agissant sur le niveau d’éducation et de
culture de la population et en effectuant des réformes sociales19.
Prestige national
C’est au cours des années 1860 que le Sénat finlandais intégra pour la première
fois dans son budget des subventions destinées à la promotion des beaux-arts en
Finlande. Une des plus anciennes justifications à de telles subventions était la
contribution que la culture pouvait apporter au prestige national. L’État commença
à faire évoluer son administration des beaux-arts : le recours à l’expertise d’associations
culturelles nationales et de panels spécifiquement constitués à cet effet était une
préfiguration du système ultérieur des conseils en matière artistique. De nombreuses
associations et sociétés de promotion de la culture, de la musique, de la littérature,
des arts de la scène et des arts plastiques virent le jour, de même que des associations
regroupant les artistes et des institutions artistiques. L’introduction d’un système
d’enseignement général géré par les municipalités jeta les bases d’une participation
active des citoyens à la vie culturelle. L’État assuma progressivement la tâche de
soutenir les bibliothèques et la formation des adultes qui était assurée par des
associations de la société civile. Ce processus vit se constituer un pilier fondamental
de la politique culturelle finlandaise, à savoir la responsabilité conjointe de l’État et
des pouvoirs locaux pour soutenir la vie artistique et culturelle.
Durant les premières décennies du xxe siècle, le soutien aux arts était assuré par
les conseils pour les arts qui avaient été établis en 1918. Ces instances utilisaient le
pouvoir que l’État leur avait octroyé et qui leur permettait de pratiquer un contrôle
de leurs domaines artistiques respectifs20. La Société finlandaise de radiodiffusion fut
créée en 1926. La même année vit l’apparition d’un élément essentiel du soutien
financier à la vie artistique : la loterie nationale, dont une partie des bénéfices fut
utilisée pour soutenir les arts et les sciences21. Plus tard, en 1940, les paris furent
18. Seppo Zetterberg, Itsenäisen Suomen historia, Helsinki, otava, 199, p. 7-31 ; Jussi T. Lappalainen,
Itsenäisen Suomen synty, Jyväskylä, gummerus, 1977.
19. Ilkka Heiskanen, “Development of Finnish Cultural Policy: An outline”, dans Cultural Policy in Fin-
land. National Report, European Programme of National Cultural Policy Reviews, Council of Europe,
e Arts Council of Finland, Research and Information Unit, Helsinki, Nykypaino, 199, p. 29-62.
20. S. Sokka et A. Kangas, “At the Roots of Finnish Cultural Policy. Intellectuals, Nationalism and the
arts”, International Journal of Cultural Policy, 2007, 13 (2), p. 18-202.
21. P. Tuomikoski-Leskelä, Taide ja politiikka…, op. cit., p. 40-41.
220
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légalisés et le loto vit le jour en 1971. Une part importante de leurs profits était
consacrée au développement de la vie artistique et culturelle et de l’éducation civique.
Dans le même temps, l’industrie culturelle, c’est-à-dire le cinéma, l’industrie du
disque et la culture populaire, pénétrait sur les marchés et l’État profitait de ce
développement par le biais de la fiscalité (une taxe sur les films, par exemple).
La vie artistique était l’un des instruments à la disposition de l’État dans son
action visant à façonner la citoyenneté pour créer une communauté nationale. Des
bourses, des pensions et des chaires de professeur d’université furent utilisées pour
créer des artistes nationaux. Plus tard, le soutien apporté par l’État au fonctionnement
de diverses institutions et organisations artistiques (nationales et locales) rendit
possible la mise sur pied d’une politique culturelle reconnaissant les minorités
linguistiques et politiques ; des monuments, des fêtes, les programmes de la radio,
et plus tard les productions télévisées unirent le peuple tandis que le développement
du système d’enseignement assurait le niveau d’éducation du pays.
Comme pour une petite nation, le fait d’avoir son propre État n’a jamais constitué
un fait acquis, l’État a joué un rôle central en Finlande, et cela dès la fin du xIxe siècle.
Par conséquent, l’État s’est retrouvé au cœur du soutien aux activités et aux fonctions
sociales, et toute l’action politique s’est focalisée sur ce rôle central22. En dépit des
bouleversements politiques qui ont suivi la Première guerre mondiale, et qui allèrent
jusqu’à une guerre civile, l’idéal d’éducation et la tendance à l’unité de la culture
nationale (bilingue) fleurirent en fin de compte dans les discours officiels. Les institu-
tions publiques semblaient offrir un cadre apolitique pour les activités culturelles,
mais lorsque des acteurs de la vie culturelle voulurent obtenir des réformes, ils durent
faire alliance avec l’État. Différentes organisations de la société civile demandèrent
des subventions à l’État et définirent leur rôle comme celui d’agents d’une politique,
ce qui les inscrivait donc dans cette politique des pouvoirs publics. Les organisations
d’artistes, par exemple, comme de nombreuses organisations de la vie culturelle,
prirent ainsi une part essentielle au développement des formes de la politique
culturelle. Cette caractéristique, typiquement finlandaise (ou nordique), évolua, par
la suite, dans le sens du corporatisme. Les associations ont ainsi contribué à alimenter
le débat politique, et à réorienter des objectifs des politiques culturelles mises en
place.
Après la Deuxième guerre mondiale, comme l’a souligné Tuomikoski-Leskelä23,
la montée des partis de gauche (parti social-démocrate, Union démocratique du
peuple finlandais allié au parti communiste) a suscité un plus grand intérêt des
décideurs politiques pour les questions de politique artistique et culturelle. La phase
de croissance de l’après-guerre a permis à ces décideurs politiques de développer le
système public d’État-providence et ses services. on a pu estimer qu’entre les années
190 et 1990, les dépenses publiques destinées au maintien du revenu ont été multi-
pliées par douze. Dans le même temps, les dépenses de santé étaient multipliées par
22. Voir par exemple Pauli Kettunen, “yhteiskunta”, dans Hyvärinen, Kurunmäki, Palonen, Pulkkinen
et Stenius (eds), Käsitteet liikkeessä. Suomen poliittisen kulttuurin käsitehistoria, Jyväskylä, Vastapaino, 2003,
p. 191 ; Tuija Pulkkinen, “Valtio”, dans ibid., p. 214.
23. P. Tuomikoski-Leskelä, Taide ja politiikka…, op. cit., p. 208-210.
221
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dix, les dépenses d’éducation par cinq et les dépenses de sécurité sociale et de services
de santé par trois24. En outre, il n’a fallu que vingt-six ans (entre 1946 et 1972) pour
que la part de la main-d'œuvre employée dans l’agriculture ou le secteur forestier
passe de 0 % à 1 %, ce qui correspond à une baisse bien plus rapide que dans les
autres pays nordiques2. Durant cette période, l’organisation du ministère de
l’Éducation26 connut une restructuration et le nombre de ses fonctionnaires doubla,
de 30 à 60 en 1966 avant de continuer à s’accroître au début des années 1970. En
1972, le ministère comptait déjà 14 employés27. La plupart d’entre eux s’occupaient
d’éducation et de sciences, mais une unité chargée de la culture fut formée sur le
même plan que d’autres unités dans les ministères.
24. Matti Alestalo et Hannu Uusitalo, “Finland”, dans Flora (ed.), growth to Limits. e Western European
Welfare States Since World War II, Londres/New york, walter de gruyter, 1986.
2. P. Pesonen et o. Riipinen, Dynamic Finland…, op. cit., p. 39.
26. Le département des affaires ecclésiastiques du Sénat précéda ce ministère. Après l’indépendance (1917),
le département fut progressivement transformé en un ministère de l’Éducation (1922). Le département
préparait les questions ecclésiastiques et d’éducation pour les débats du Sénat. Il fut en outre appelé à
s’occuper d’un nombre grandissant de questions relatives à la culture. Le ministère reprit sans les modifier
la plupart des fonctions du département. Markku Heikkilä, opetusministeriön historia III : Kielitaistelusta
sortovuosiin 1869-1917, Pieksämäki, opetusministeriö, 198, p. 461.
27. Autio Veli-Matti, opetusministeriön historia IV. Suurjärjestelmien aika koittaa 1966-1980, Helsinki,
opetusministeriö, 1993, p. 0-2.
222
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28. A. Kangas, “New Clothes for Cultural Policy”, art. cité ; Esa Pirnes, Merkityksellinen kulttuuri ja kult-
tuuripolitiikka : laaja kulttuurin käsite kulttuuripolitiikan perusteluna, Jyväskylän yliopisto, Jyväskylä, 2008,
p. 201-204.
29. A. Kangas, “New Clothes for Cultural Policy”, art. cité.
30. L’administration de la culture en Finlande a été façonnée principalement par les lois suivantes : la loi
sur les bibliothèques publiques (1928), la loi sur la protection des édifices (198), la loi sur les subven-
tions et subsides aux auteurs et traducteurs (1961), la loi sur le droit d’auteur (1880, 1927 et 1961), la
loi sur la promotion des arts (1967), la loi sur les subventions aux artistes (1969), la loi sur les activités
culturelles municipales (1981), la loi sur la garantie de l’État pour les expositions artistiques (1986), la
loi sur le musée national des arts (1990), la loi sur les musées (1992), la loi sur les théâtres et orchestres
(1992), la loi sur l’éducation fondamentale en matière artistique (1992). La loi sur la promotion des arts
(1967) a créé le système des conseils des arts et des conseils régionaux des arts. La loi sur les subventions
aux artistes (1969) a notamment fixé les montants des subventions. Les lois sur les musées, les théâtres et
orchestres, les bibliothèques publiques, les activités culturelles municipales et l’éducation fondamentale
en matière artistique comprennent des dispositions financières selon lesquelles les subventions de l’État
pour la culture sont attribuées de manière forfaitaire aux municipalités qui les utilisent pour soutenir l’art
et la culture conformément à leur propre politique.
31. A. Kangas, “New Clothes for Cultural Policy”, art. cité.
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32. A. Kangas, “Kulttuuripolitiikan uudet vaatteet”, dans Kangas et Virkki (eds), Kulttuuripolitiikan uudet
vaatteet, Jyväskylä, SoPhi, 1999, p. 163-16.
33. Kansalaismielipide ja kunnat, Ilmapuntari 1993, Kunnallisalan kehittämissäätiö, Jyväskylä, Polemia-
Sarja, 1993.
34. Kansalaismielipide ja kunnat, Ilmapuntari 2008, Kunnallisalan kehittämissäätiö, Vammala, Polemia-
Sarja, 2008.
3. A. Kangas, “New Clothes for Cultural Policy”, art. cité, p. 27, et p. 36.
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36. Manuel Castells, « Castells tietää mistä tässä kaikessa on kysymys », Helsingin sanomat 2.1., 2000.
37. M. Alestalo, “e Decline of a Social Service State: e Case of Finland”, dans Rory o’Donnell et
Joe Larragy (eds), Negotiated Economic and Social governance and European Integration, Proceedings of
the Cost A7 workshop, Dublin, 24-2 mai 1996, Belgium, EC, 1998, p. 10-11.
226
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38. Mauro F. guillén, “Is globalization Civilizing, Destructive or Feeble? A Critique of Five Key Debates
in the Social Science Literature”, Annual Review of Sociology, 27, 2001, p. 20-21.
39. Stephen Knack et Philip Keefer, “Does Social Capital Have an Economic Payoff? A Cross-Country
Investigation”, Quarterly Journal of Economics, novembre 1997, vol. 112, Issue 4, p. 121.
40. Jukka Liedes, “International Copyright. New Perspectives”, Liber Quarterly, vol. 7, 1997, p. 31.
227
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41. Voir par exemple Kyösti Pekonen, “governance and the Problems of Representation in Public Admi-
nistration”, dans Kooiman (ed.), Modern governance. New government-Society Interactions, Londres, Sage
Publications, 1993, p. 8-88.
42. Voir P. Tuomikoski-Leskelä, Taide ja politiikka…, op. cit. ; Ilkka Heiskanen, Anita Kangas et Peter
Lindberg, “Cultural Policy Decision-Making and Administration”, dans Cultural Policy in Finland. Natio-
nal Report, European Programme of National Cultural Policy Reviews, Council of Europe, e Arts Coun-
cil of Finland, Research and Information Unit, Helsinki, Nykypaino, 199, p. 69-102.
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Schéma 1
Président – Parlement – Conseil d’État
État Régions Communes
Habituellement le ministère est dirigé par deux ministres, l’un chargé de l’Éducation
et des Sciences et l’autre de la Culture43. Les principaux organes de décision en
matière de politique culturelle au sein du ministère de l’Éducation (ministre de la
Culture) sont le département chargé de la politique culturelle, des sports et de la
jeunesse et, en tant qu’organes autonomes, le Conseil des arts de Finlande, les conseils
nationaux des arts, certains conseils nationaux et organismes non gouvernementaux
quasi autonomes, ainsi que d’autres organes experts. Ces organes forment aussi un
lien entre le ministère et les plus importants groupes d’intérêts et institutions au sein
de la société civile et du monde de la culture. Certaines organisations et institutions
concernées ont le « droit » de proposer les membres susceptibles de les représenter au
sein de ces organes. Les membres des commissions et conseils sont donc nommés
par des organisations et associations professionnelles artistiques et cette nomination
est ratifiée par le ministère de l’Éducation pour une période de trois ans. Les organisa-
43. Le ministère de l’Éducation a célébré son 200e anniversaire le 10 octobre 2009. À cette occasion, les
deux ministres ont proposé qu’à l’avenir, le ministère prenne le nom de ministère de l’Éducation et de la
Culture.
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tions concernées sont par ailleurs fréquemment invitées à donner leur avis sur les
questions relevant de la politique culturelle. Il existe en outre des conseils qui sont
responsables de tâches officielles (Conseil national du film, Conseil national du droit
d’auteur, Conseil de l’information populaire, etc.).
Le schéma 1 montre qu’il existe des organisations distinctes ayant un pouvoir de
décision en matière de gestion culturelle au niveau régional et au niveau local. En
Finlande, les municipalités jouent un rôle essentiel. Avec la décentralisation, les
citoyens ont la possibilité de prendre part au développement de leur communauté,
par exemple par la participation démocratique au processus décisionnel municipal.
La décentralisation apporte également aux pouvoirs locaux un niveau élevé
d’indépendance financière.
Depuis des décennies, la conception de la politique culturelle nationale en
Finlande implique que l’administration fournisse le cadre permettant de mener des
activités de création sans interférer avec le contenu de la création culturelle ou la
nature des activités culturelles librement pratiquées. En pratique, cette conception a
conduit à la reconnaissance de l’autonomie artistique et culturelle sous une triple
forme, qui souligne également le rôle actif important de la société civile dans le
fonctionnement du système : 1) la décentralisation au niveau municipal mais aussi
régional du processus décisionnel en matière de politique culturelle ; 2) le rôle indirect
mais important des organisations artistiques et culturelles dans le processus
décisionnel en matière de politique culturelle ; 3) le fait que le processus décisionnel
en matière de politique culturelle se trouve régi par le principe d’autonomie (par le
recours à des organes experts indépendants). Toutefois, il est difficile de concilier
l’autonomie octroyée aux activités culturelles et un soutien public fondé sur des
dispositions législatives et des fonds publics. D’une part, la législation et le finance-
ment public doivent se traduire par des solutions normalisées, interprétées ensuite
par le ministère de l’Éducation qui les utilise pour définir les activités « méritant » le
soutien des pouvoirs publics. D’autre part, il est difficile d’établir des organes experts
indépendants à la fois flexibles et impartiaux tout en disposant d’une expertise
suffisante. Enfin, l’attribution de tâches aux autorités municipales ne garantit pas
que le principe de subsidiarité – et encore moins la démocratie culturelle – soient
suffisamment mis en œuvre.
Le débat sur l’autonomie régionale remonte aux origines mêmes de l’indépen-
dance du pays. Mais ce n’est qu’au début des années 1990 que les premières formes
de pouvoir régional apparurent en Finlande. Selon une loi de 1994, la responsabilité
du développement régional incombe à l’autorité régionale. Il existe dix-neuf conseils
régionaux exerçant ce type de pouvoir en Finlande. Leur rôle est de promouvoir la
région en termes de développement économique et ils sont responsables de la politi-
que et de la planification régionales. Les conseils régionaux jouent un rôle important
vis-à-vis des programmes de l’Union européenne. La promotion des activités cultu-
relles est également de leur ressort, même si la part de ces activités dans les budgets
et les programmes varie considérablement entre les conseils et entre les régions.
Les conseils régionaux se verront accorder une responsabilité légale pour la
planification essentielle et les tâches de type préventif menées dans les régions. Le
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exécutif, dont les membres sont élus par le conseil municipal. Ces deux organes
décisionnels sont notamment responsables de la définition des objectifs de la politique
culturelle municipale. Une loi de financement permet d’octroyer des subventions de
l’État aux municipalités pour les différents services rendus sous la formes d’un
montant forfaitaire qu’elles peuvent utiliser pour les arts et la culture en fonction de
leurs projets.
Les différentes administrations municipales sont divisées en secteurs dirigés par
un conseil ayant une large base. Les conseils culturels municipaux ou les instances
équivalentes agissent comme des agents de médiation entre les autorités supérieures
ayant le pouvoir de décision et les institutions culturelles et artistiques locales. Ces
institutions locales comprennent les services des affaires culturelles, les bibliothèques,
les musées, les centres d’éducation pour adultes, les écoles d’art, les théâtres, les
orchestres, les centres culturels, les ateliers pour les arts des médias, etc. Le secteur
culturel est également impliqué dans plusieurs projets de développement qui
favorisent l’emploi et promeuvent l’image de la vie urbaine et qui sont partiellement
financés par les fonds structurels de l’Union européenne.
De manière générale, en Finlande, l’administration de la politique culturelle est
très développée, très bureaucratisée et très diversifiée. Le processus décisionnel peut
être considéré comme démocratique – du moins dans le sens où les intéressés peuvent
se fait entendre dans le système, au travers des organisations artistiques et culturelles
et par le biais des organes décisionnels experts et municipaux où leurs représentants
sont présents44. Toutefois, le niveau élevé de bureaucratisation pourrait également
indiquer que des « techniques administratives » peuvent être utilisées pour mettre en
œuvre la plate-forme conformément aux calculs de l’administration. L’Union
européenne a accru le recours à ces techniques administratives à tous les niveaux de
l’administration.
44. I. Heiskanen, A. Kangas et P. Lindberg, “Cultural Policy Decision-Making and Administration”, art.
cité, p. 71-104.
4. Kulttuurin satelliittikirjanpito. Pilottiprojektin loppuraportti, opetusministeriön julkaisuja 2008:20,
Helsinki, opetusministeriö, 2008.
233
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Le chiffre de 430 millions d’euros (6 %) pour la culture et les arts n’inclut pas
les dépenses culturelles de l’enseignement artistique universitaire et polytechnique.
Les bénéfices générés par la loterie nationale, le loto et le loto sportif doivent en
vertu de la loi 104/2003 être affectés en faveur des arts (46, %), des sports
(2,2 %), de la recherche scientifique (19,3 %), du travail des jeunes et des activités
de jeunesse (9,1 %) : il s’agit donc de montants affectés (10 % sont réservés à ces fins
sous la forme d’une utilisation annuelle discrétionnaire). Au fil des années, les
bénéfices globaux ont régulièrement augmenté, et par conséquent la part attribuée
aux arts a également connu une croissance en volume. Jusqu’au début des années
1990, ces montants affectés ont donc été la principale garantie du soutien public aux
arts. En plus des fonds obligatoirement affectés, certains fonds ont également été
libérés pour un usage discrétionnaire. Au cours des années 1990, la part des bénéfices
de la Veikkaus oy (une entreprise publique qui gère la loterie nationale, le loto sportif
et les paris sportifs) utilisée pour financer les arts et la culture a augmenté très
rapidement (de 29 % à 72 %). Le soutien public aux arts n’a donc pas baissé bien
que le montant total des dépenses de l’État ait subi des fluctuations dues aux effets
de la stagnation économique observée après 1991. Toutefois, selon Heiskanen46, la
croissance ininterrompue des bénéfices générés par la loterie nationale pourrait
connaître un coup d’arrêt, ce qui créerait immédiatement des problèmes pour les arts
46. Ilkka Heiskanen, Kulttuurin julkinen rahoitus Suomessa – tilastot ja todellisuus: Rahoitustilastojen käyttö-
kelpoisuudesta ja 1990-luvun rahoitustilanteesta taide- ja kulttuurilaitosten kannalta, Helsinki, Taiteen kes-
kustoimikunnan julkaisuja 2, 2000.
234
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47. Anita Kangas et Johanna Hirvonen, Euroopan Unionin rakennerahastot kulttuuripolitiikan välineenä,
opetusministeriön EU-rakennerahastot-julkaisu 3, Helsinki, opetusministeriö, 2000 ; ibid., Kulttuuri-
projekti. EU: n rakennerahastot, alueet ja kulttuuri, opetusministeriön EU-rakennerahastot -julkaisu 4.
Helsinki, opetusministeriö, 2001.
23
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En 200, le montant total du soutien aux arts était de 21,8 millions d’euros – ce
montant ne comprend pas les acquisitions d’œuvres d’art – alors qu’en 1997, il
s’élevait à 6,7 millions d’euros. Cet accroissement est dû à l’évolution favorable de
la conjoncture économique générale et ces fondations jouent aujourd’hui un rôle
important dans le financement culturel.
Même si le secteur non marchand – ou tiers secteur – finlandais est économique-
ment limité en termes de comparaisons internationales, il s’est avéré relativement
indispensable et indépendant. Il est par conséquent capable de constituer un
partenaire potentiel pour les municipalités. Selon Helander0, au début des années
1990, le nombre des organisations du tiers secteur en Finlande était estimé à 69 000.
La culture et les loisirs représentent le groupe le plus important, avec plus de 28 000
associations. La coopération entre les associations et les fondations culturelles et les
municipalités s’est traduit par différentes formules mixtes en matière de protection
sociale. Un certain nombre de petites et moyennes municipalités ont externalisé leurs
activités culturelles qui sont actuellement produites par différents acteurs du secteur
non marchand (coopératives, associations, petites entreprises, etc.).
Conclusion
Nous avons cherché à décrire comment la politique culturelle nationale finlan-
daise a évolué jusqu’à sa forme actuelle. Cette évolution semble avoir largement suivi
la même voie que celle que l’on a pu observer dans d’autres pays nordiques ou ailleurs
en Europe. Les nombreux points de rupture ou de jonction qui semblent avoir carac-
térisé l’évolution générale de la Finlande n’empêchent pas que de nombreux instru-
ments utilisés par la politique culturelle contemporaine remontent au xIxe siècle.
La détermination des objectifs et les implications politiques en termes de soutien
des pouvoirs publics à la culture n’ont pas rendu nécessaire un changement radical
quant aux instruments utilisés : de nouveaux instruments et de nouveaux groupes
d’intérêts se sont plutôt ajoutés à l’ancien système sans en changer les conditions
préalables. Une grande partie du débat sur le sentier de dépendance (path dependence)
réside dans le fait que les mêmes programmes sont mis en œuvre année après année,
et que les institutions impliquées sont également les mêmes. Toutefois, la conception
du « même » peut elle-même varier : ce qui est mis en œuvre peut être proche de ce
qui avait été mis en place antérieurement mais le niveau de reproduction sera
certainement imparfait.
En dépit du rôle important joué par l’État et l’administration publique, le
développement de la politique culturelle en Finlande résulte d’une interaction entre
l’État, la société civile et les marchés. Nous avons indiqué qu’à partir du xIxe siècle,
un des principaux objectifs sous-jacents de la prise en charge de la culture par le poli-
tique était d’améliorer la moralité et le mode de vie de la population, d’éduquer civile-
ment les citoyens conformément à la conception dominante de ce que à quoi devaient
0. Voitto Helander, Suomalainen kolmas sektori : rakenteellinen erittely ja kansainvälinen vertailu, Hel-
sinki, Sosiaali- ja terveysturvan keskusliitto, 1999, p. 322-331.
237
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1. Augustin girard, Cultural Development: Experience and Policies, Paris, Unesco, 1972.
2. Harry Hillman-Chartrand et Claire McCaughey (“e Arm’s Length Principle and the Arts: An Inter-
national Perspective-Past, Present and Future”, dans Cummings et Schuster (eds), Who’s to Pay for the Arts?
238
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e International Search for Models of Support, New york, American Council for the Arts, 1989) distin-
guent quatre rôles que jouent les États-nations en matière de soutien à la culture, qui diffèrent en termes
de moyens accordés par l’État pour financer la vie artistique et en termes de degré d’implication de l’État
pour façonner activement la culture qu’il soutient. 1) Un État facilitateur encourage le soutien privé aux
arts grâce à des mesures favorables de politique fiscale. 2) Un État mécène finance les arts par l’entremise
de conseils des arts indépendants, qui s’appuient sur des procédures d’examen par les pairs : ce sont donc
des professionnels de l’art et non des agents de l’État qui décident des formes et des œuvres d’art qui
méritent d’être soutenues. 3) Un État architecte s’appuie sur une administration ministérielle centralisée
pour soutenir l’art. Les ministères, bras du gouvernement où opèrent des fonctionnaires de l’État, se
fondent sur des critères sociaux autant qu’artistiques pour décider des formes artistiques qui méritent
d’être soutenues. 4) Un État ingénieur promeut l’art qui remplit un certain nombre d’objectifs politiques
et supprime le reste. Historiquement, la Finlande a joué le rôle d’État architecte par le biais de sa poli-
tique fiscale et elle a également présenté certains traits d’un État mécène depuis la création du Conseil
des arts (Taiteen keskustoimikunta) il y a quarante ans. À l’heure actuelle, elle cherche à évoluer vers un
système intégrant un modèle facilitateur.
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3. Voir Sarah owen-Vandersluis, Ethics and Cultural Policy in a global Economy, Londres, Macmillan,
2003.
4. Kathleen elen, “How Institutions Evolve”, dans Mahoney et Rueschemeyer (eds), Comparative His-
torical Analysis in the Social Sciences, New york, CUP, 2003, p. 22.
240
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Laurent MArtIn*
241
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3. Marie-Claude Genet-Delacroix, Art et État sous la IIIe République. Le système des Beaux-Arts, 1870-1940,
Paris, Publications de la Sorbonne, 1992 ; Christian Faure, le Projet culturel de Vichy. Folklore et Révolu-
tion nationale. 1940-1944, Paris-Lyon, Éditions du CnrS-Presses universitaires de Lyon, 1989 ; Pascal Ory,
la Belle illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire, 1935-1938, Paris, Plon, 1994 et Phi-
lippe Poirrier, « L’empreinte du front populaire sur les politiques culturelles (1955-2006) », dans xavier
Vigna, Jean Vigreux et Serge Wolikow (dir.), le Pain, la paix, la liberté. Expériences et territoires du Front
populaire, Paris, Éditions sociales, 2006, p. 349-360.
4. Vincent Dubois, la Politique culturelle, genèse d’une catégorie d’intervention publique, Paris, Belin, 1999.
5. Marc Fumaroli, l’État culturel. Essai sur une religion moderne, Paris, Éd. de Fallois, 1991.
6. Philippe Urfalino, l’Invention de la politique culturelle, Paris, Ministère de la Culture, Comité d’his-
toire/La Documentation française, coll. « travaux et documents no 3 », 2004.
242
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sans avoir le temps ni les moyens d’imprimer leur marque, le constat de crise
s’impose. nous en sommes là. Comment est-on passé d’une époque où tout paraissait
possible au désenchantement actuel, voilà la question à laquelle nous tenterons de
répondre au long des quatre parties de notre développement, qui épouseront les
grandes séquences historiques que nous avons distinguées7.
7. Pour une vue d’ensemble, lire Philippe Poirrier, Histoire des politiques culturelles de la France contempo-
raine, Dijon, Université de Bourgogne/Bibliest, 1996 et id., l’État et la culture en France au xxe siècle [2000],
Paris, Livre de poche, 2009. Une mise au point récente : xavier Greffe et Sylvie Pflieger, la Politique cultu-
relle en France, Paris, La Documentation française, 2009. Voir également emmanuel de Waresquiel (dir.),
Dictionnaire des politiques culturelles de la France depuis 1959, Paris, Larousse/CnrS éditions, 2001. Pour
un point de vue étranger, voir Jeremy Ahearne, French Cultural Policy Debates. A Reader, London/new
York, routledge, 2002 ; David Loosely, e Politics of Fun: Cultural Policy and Debate in Contemporary
France, Oxford and Washington DC, Berg, 1995 et id., “Cultural Policy in the twenty-First Century:
Issues, Debates and Discourses”, French Cultural Studies x, 1999, p. 5-20.
8. Peter novick, l’Épuration française, 1944-1949, Paris, Le Seuil, 1991. Christian Delporte, « La trahison
du clerc ordinaire : l’épuration professionnelle des journalistes, 1944-1948 », La Revue historique, octobre-
décembre 1994, p. 347-375.
9. hélène eck, « radio, culture et démocratie en France, une ambition mort-née (1944-1949) », Ving-
tième Siècle. Revue d’histoire, avril-juin 1991, no 30, p. 55-67.
243
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10. Philippe Maarek, la Censure cinématographique, Paris, Librairies techniques, 1982. Jean-Pierre Jean-
colas, « Cinéma, censure, contrôle, classement », dans Pascal Ory (dir.), la Censure en France à l’âge démo-
cratique, Bruxelles, Complexe, 1997, p. 213-221.
11. ierry Crépin et ierry Groensteen, « On tue à chaque page ! » : la loi de 1949 sur les publications
destinées à la jeunesse, Paris-Angoulême, Éd. du temps présent/Musée de la bande dessinée, 1999.
12. Programme du Cnr, 15 mars 1944, cité par Philippe Poirrier (dir.), les Politiques culturelles en France,
Paris, La Documentation française, 2002, p. 133.
13. Ibid., p. 160.
14. Ibid., p. 160.
244
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15. Jean-Pierre rioux, « Une nouvelle action culturelle ? L’exemple de Peuple et Culture », Revue de l’éco-
nomie sociale, avril-juin 1985, p. 35-47.
245
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16. Signalons également l’importante loi de 1957 sur la propriété littéraire et artistique, qui édicte le prin-
cipe d’une rémunération des auteurs proportionnelle à chacune des recettes de l’exploitation de leurs
œuvres au moyen des divers supports de diffusion.
17. P. Poirrier, l’État et la culture en France au xxe siècle, op. cit., p. 56.
18. Joëlle Farchy, le Cinéma déchaîné. Mutation d’une industrie, Paris, Presses du CnrS, 1996.
19. Sur la décentralisation théâtrale, lire robert Abirached (dir.), la Décentralisation théâtrale, t. 1 : le Pre-
mier âge, 1945-1958, Paris, Actes Sud, 1992. et Pascale Goetschel, Renouveau et décentralisation du théâtre,
1945-1981, Paris, PUF, 2004.
246
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ont fait leurs preuves : Jean Dasté à Grenoble puis à Saint-Étienne, hubert Gignoux
à rennes, roland Piétri à Colmar, Maurice Sarrazin à toulouse, Gaston Baty à Aix-
en-Provence. L’étoile la plus brillante de cette constellation est Jean Vilar, dont la
réussite comme fondateur du festival d’Avignon depuis 1947 décide Jeanne Laurent
à le placer à la tête du éâtre national populaire (tnP), institution prestigieuse
fondée en 1920 par Firmin Gémier. Chez tous ces protagonistes de la décentralisation
théâtrale, chez Vilar tout particulièrement, l’art, la culture, le théâtre sont conçus
comme des « services publics », des produits de première nécessité comme le sont le
gaz, l’eau et l’électricité. On retrouve, jusque dans l’esthétique privilégiée par Vilar,
la double dimension élitiste (répertoire classique, exigence de qualité) et populaire
ou plutôt unanimiste (le théâtre pour tous, sans distinction de condition) qui
caractérise l’utopie culturelle de l’après-guerre20.
Avec le concours des jeunes compagnies (1946), l’aide à la première pièce et les
subventions distribuées à une cinquantaine de festivals, le théâtre est le fer de lance
de l’intervention de l’État en matière culturelle sous la IVe république. Mais Jeanne
Laurent est remerciée sèchement en 1952 et l’extension du réseau des centres dramati-
ques arrêtée net. L’heure n’est venue ni d’un grand mouvement de décentralisation
ni d’une grande politique culturelle. La France, qui doit faire face aux tâches de la
reconstruction puis au coût des guerres coloniales, relègue à l’arrière-plan des matières
facilement jugées frivoles. Jeanne Laurent, réduite à l’impuissance, écrit en 1955 un
essai dans lequel elle fustige la faiblesse de l’État en matière culturelle et suggère un
programme d’action21. Celui-ci attendra encore quatre ans pour voir le jour.
20. emmanuelle Loyer, le éâtre citoyen de Jean Vilar. Une utopie d’après-guerre, Paris, PUF, 1997 ; et, de
la même auteure avec Antoine de Baecque, Histoire du festival d’Avignon, Paris, Gallimard, 2007.
21. Jeanne Laurent, la République et les Beaux-Arts, Paris, Julliard, 1955.
22. P. Urfalino, l’Invention de la politique culturelle, op. cit. Lire également les actes des journées d’études
organisées par le Comité d’histoire du ministère de la Culture, Augustin Girard et Geneviève Gentil (dir.),
les Affaires culturelles au temps d’André Malraux, 1959-1969, Paris, Ministère de la Culture, Comité d’his-
toire/La Documentation française, 1996. Voir aussi hermann Lebovics, Mona Lisa’s Escort. André Mal-
raux and the Reinvention of French Culture, Ithaca and London, Cornell UP, 1999.
247
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23. Charles-Louis Foulon, « Des Beaux-Arts aux Affaires culturelles (1959-1969) : les entourages d’An-
dré Malraux et les structures du ministère », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, octobre-décembre 1990,
p. 29-40.
248
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dont on prédit la fin prochaine que 0,4 % du budget de l’État. Il est vrai que Malraux
ne fait guère d’efforts pour obtenir plus.
Mais l’avorton survivra aux conditions difficiles de sa naissance et même à son
géniteur. Celui-ci a d’autres atouts à faire valoir que ses piètres talents de négociateur
budgétaire. D’abord, sa gloire d’écrivain célèbre, son parcours d’intellectuel engagé,
de résistant, de combattant de la France libre, son aura de monstre sacré, ses
compétences personnelles en matière d’art et de culture. toutes ces ressources rendent
sa légitimité difficilement contestable et désarmorcent bien des critiques. ensuite, sa
proximité avec le général de Gaulle, la confiance et la totale liberté que ce dernier
lui accorde ; on ne peut tout à fait traiter à la légère un homme qui a l’oreille attentive
du chef de l’État dans une république qui s’oriente vers un régime présidentiel. enfin
et surtout, Malraux a une vision, un projet de ce que doit être le rôle de l’État pour
l’art et la culture, et sa passion est contagieuse. La pauvreté des moyens est, dans une
certaine mesure, compensée par la grandeur du dessein et la puissance du verbe.
Quel est ce dessein ? Le décret du 24 juillet 1959 sur la mission et l’organisation
du ministère des Affaires culturelles fixe à ce dernier les tâches « de rendre accessibles
les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre
possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et
de favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent ». À première
vue, rien de bien nouveau : la démocratisation de la haute culture figurait déjà, on
l’a vu, parmi les objectifs de la république précédente. Sauf qu’ici, il n’est plus
question d’éducation, scolaire ou populaire. L’autonomisation des affaires culturelles
vis-à-vis de l’Éducation nationale – mais aussi des mouvements d’éducation
populaire – découple l’éducation et la culture. Comme l’indiqueront à plusieurs
reprises Malraux et son directeur des Arts et Lettres, Gaëtan Picon, l’art et la culture
(celle-ci étant largement identifiée à celui-là) relèvent de l’émotion qui naît au contact
direct de l’œuvre vivante, non du savoir, qui est affaire de choses mortes. nulle
pédagogie, nul intermédiaire savant ne sont requis pour que cette émotion naisse
dans le cœur des hommes, quels que soient leur niveau d’éducation ou leur position
sociale, pour peu que les conditions de la rencontre soient réunies − et telle est la
responsabilité de l’État. L’art est ce qui répond aux questions fondamentales que pose
la condition humaine et ce qui dresse l’homme face à son destin ; il est le seul à
pouvoir rassembler une société d’où la religion s’efface. La culture est communion
et l’art une mystique aux allures protestantes.
L’intéressant est que cette mystique rencontre des réalités bien concrètes pour
forger une « doctrine de l’action culturelle ». La conception malrucienne de la culture
entre en résonance avec la conception gaullienne de la nation, la construction de
l’État-providence prend une nouvelle dimension dans une France en croissance,
bientôt débarrassée de l’hypothèque algérienne, la montée en nombre et en influence
des classes moyennes dotées d’un capital scolaire et culturel important crée une
demande à satisfaire, le besoin d’équipements culturels s’accorde à la nécessité de
modernisation et d’aménagement du territoire. Le lieu de cette rencontre sera le Plan,
qui intègre à partir de la préparation du IVe Plan, en 1961, la dimension culturelle.
Le Plan fournit au jeune ministère des Affaires culturelles l’expertise, les moyens
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24. Les maisons de la culture constituent le cœur de son ouvrage l’Invention de la politique culturelle, op.
cit.
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25. Le FIC est l’un des trois organes créés à cette époque pour orienter la politique culturelle selon une
logique interministérielle, avec le Conseil du développement culturel et la commission interministérielle
pour la culture ; il fut certainement le plus efficace.
251
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culture de Paris26 ; Valéry Giscard d’estaing est à l’origine de pas moins de trois
grands chantiers culturels (le musée d’Orsay, l’Institut du monde arabe, la cité des
sciences de La Villette, auxquels on peut ajouter l’aménagement de La Défense). La
Ve république renoue avec la tradition du mécénat royal.
Ce volontarisme présidentiel et parisien contraste avec la modestie des ambitions
ministérielles. L’héritage malrucien est bien encombrant et tout l’art des successeurs
consiste à en faire l’éloge pour mieux s’en affranchir. C’est ce que réussit à faire
Jacques Duhamel de 1971 à 1973 qui, aidé de son directeur de cabinet Jacques
rigaud, infléchit notablement la politique de son illustre prédécesseur27 : prenant
acte d’un certain échec de la démocratisation et de l’action culturelles mais aussi des
aspirations révélées par mai 68, il met en avant la notion de « développement
culturel » pour prôner la diversification des voies d’accès à la haute culture (rupture
avec la théorie du « choc esthétique ») et l’élargissement du sens de la culture, en
direction de la vie quotidienne, des pratiques amateurs, des loisirs de masse. La
télévision a pris une place considérable dans la vie quotidienne des Français et le
ministère en charge des affaires culturelles ne peut plus affecter de l’ignorer. À une
définition classique et universaliste de la culture tend à se substituer, notamment
dans les deux premières « enquêtes sur les pratiques culturelles des Français » de 1973
et 1981, une vision anthropologique (tout est culture) et relativiste (à chacun sa
culture28). « La démocratie culturelle comme processus succède à la démocratisation
comme organisation de l’accès aux œuvres29. »
Le ministère veut également répondre au reproche de centralisme et de dirigisme.
Les directions régionales des affaires culturelles (DrAC), instituées par décret en 1977,
tentent d’ajuster la politique nationale aux réalités du terrain. Le temps des « cathé-
drales » culturelles est passé − aucune nouvelle maison de la culture n’est program-
mée −, voici venu le temps des « églises » que sont les centres d’action culturelle et
les équipements intégrés, polyvalents − sportifs, éducatifs, socioculturels − dans des
villes de plus petite taille qui fournissent l’essentiel du financement. À partir de
Michel Guy, secrétaire d’État à la culture en 1974-1976 et « innovateur méconnu30 »,
des conventions baptisées « chartes culturelles » sont passées entre l’État et les villes
pour établir en concertation des politiques culturelles globales et sur plusieurs années.
C’est que les villes développent et diversifient leur offre culturelle. La part de leur
contribution aux dépenses publiques culturelles augmente constamment au cours
des années 1970 pour représenter plus de la moitié (52,5 %) du total, loin devant
26. Jean-Claude Groshens et Jean-François Sirinelli (dir.), Culture et action chez Georges Pompidou, actes
du colloque des 3-4 décembre 1998, Paris, PUF, 2000.
27. Geneviève Gentil et Augustin Girard (dir.), les Affaires culturelles du temps de Jacques Duhamel, 1971-
1973, actes des journées d’étude organisées par le Comité d’histoire du ministère de la Culture, Paris,
Ministère de la Culture, Comité d’histoire/La Documentation française, 1995. et les nombreux essais de
Jacques rigaud, en particulier la Culture pour vivre, Paris, Gallimard, 1975.
28. Olivier Donnat, les Pratiques culturelles des Français, 1973-1989, Paris, Ministère de la Culture, Dépar-
tement des études et de la prospective, La Découverte/La Documentation française, 1990.
29. P. Urfalino, l’Invention de la politique culturelle, op. cit., p. 273.
30. Michèle Dardy-Cretin, Michel Guy, secrétaire d’État à la culture, 1974-1976, un innovateur méconnu,
Paris, Ministère de la Culture, Comité d’histoire, coll. « travaux et documents no 22 », 2007.
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l’État (37,8 %), les départements et les régions (8,8 %31). elles se dotent de structures
qui attestent l’importance nouvelle accordée à cette question : délégations culturelles
confiées à un élu, services culturels. rompant avec une image passéiste de la culture
municipale souvent dénoncée par les milieux culturels, ces villes, en particulier celles
que la gauche conquiert aux élections de 1977, affichent des ambitions novatrices
dans ce domaine, soit du côté de l’animation socioculturelle, soit du côté de la
création la plus exigeante. Quelle que soit l’option retenue, la question culturelle
devient un enjeu important dans le débat politique alors même que le pouvoir central
semble la délaisser. Le « parti des créateurs » et, derrière lui, les cohortes des
professions intellectuelles et culturelles rallient massivement la gauche unie, qui
l’emporte à l’élection présidentielle de 1981.
31. Jalons pour l’histoire des politiques culturelles locales, textes réunis et présentés par Philippe Poirrier, Syl-
vie rab, Serge reneau, Loïc Vadelorge, Paris, Ministère de la Culture, Comité d’histoire, coll. « travaux
et documents no 1 », 1995 ; Philippe Poirrier et Jean-Pierre rioux (dir.), Affaires culturelles et territoires
(1959-1999), Paris, Ministère de la Culture, Comité d’histoire/La Documentation française, coll. « tra-
vaux et documents no 11 », 2000 ; Vincent Dubois (dir.) avec la collab. de Philippe Poirrier, Politiques
locales et enjeux culturels. Les clochers d’une querelle, xIxe-xxe siècles, Paris, Ministère de la Culture, Comité
d’histoire/La Documentation française, coll. « travaux et documents no 8 », 1998 ; Philippe Poirrier et
rené rizzardo (dir.), Une ambition partagée ? La coopération entre le ministère de la Culture et les collecti-
vités territoriales (1959-2009), Paris, Ministère de la Culture, Comité d’histoire, coll. « travaux et docu-
ments no 26 », 2009. Voir aussi Pierre Moulinier, Politique culturelle et décentralisation, Paris, L’harmat-
tan, 2002.
32. Laurent Martin, Jack Lang, une vie entre culture et politique, Paris, Complexe, 2008.
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33. Jack Lang, compte rendu analytique officiel de l’Assemblée nationale, 2e séance du 17 novembre 1981.
34. Décret n° 82-394 du 19 mai 1982 modifié relatif à l’organisation du ministère de la Culture, article 1er.
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35. Budget voté. Brochure « La politique culturelle, le livre et la lecture, 1981-1991 », Paris, Ministère de
la Culture.
36. L’impératif culturel, Paris, la Documentation française, 1983.
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comme l’une de ses priorités le rééquilibrage des investissements publics entre Paris
et le « désert français ». Mais si les « grands projets de province », quoique assez
nombreux, ne pèsent effectivement pas du même poids que ceux engagés à Paris,
l’essentiel n’est pas là. Il tient à l’effet d’entraînement du pouvoir central vis-à-vis des
collectivités territoriales (notamment à travers les conventions de développement
culturel régional) et à l’émulation qui saisit ces dernières. Aux investissements des
villes et des départements se joignent ceux des régions, auxquelles les lois de
décentralisation de 1982 ont conféré de nouveaux pouvoirs et responsabilités. Les
critiques à l’égard du « dirigisme » parisien n’en sont que plus virulentes tandis que
les milieux artistiques s’inquiètent du désengagement de l’État.
Le concert de critiques enfle à la fin de la période. Cinq chefs d’accusation
principaux sont dressés par les nombreux articles et essais qui paraissent entre le
milieu des années 1980 et le milieu des années 199037. Le premier pointe l’échec
persistant de la démocratisation malgré l’inflation de la politique de l’offre culturelle ;
le deuxième dénonce les méfaits d’une politique spectaculaire, faite de « coups »
médiatiques telles les nombreuses « fêtes » − de la musique, du livre, de l’art, etc. −
au détriment de l’action de fond. L’action de Jack Lang est encore accusée d’utiliser
la culture à des fins politiques voire électoralistes ; ou d’instaurer un art officiel, de
se plier au bon plaisir du prince et d’engendrer des phénomènes de cour. Mais le
reproche le plus constant, le plus sonore en tout cas, est celui qui accuse le ministère
de la Culture de favoriser la confusion des valeurs culturelles en mettant sur le même
plan « Shakespeare et une paire de bottes ». La critique du « tout culturel » vise le
relativisme et l’extension indéfinie du périmètre d’intervention de l’« État culturel ».
elle sera l’une des pièces maîtresses de la mise en cause de la politique culturelle dans
la période la plus récente.
La « fin de la grandiloquence ».
Épuisement ou refondation du modèle culturel français ?
(depuis 1993)
Comme l’écrit le critique de théâtre Jean-Pierre Léonardini, « c’est avec des
sentiments mêlés qu’on peut considérer ces années-là [1980-1990] dans le rétroviseur.
Impression à la fois d’une respiration plus aisée dans les divers domaines de l’art en
même temps que d’une habile instrumentalisation des artistes et des intellectuels38 ».
On peut enrichir la vision : d’un côté, la France couverte d’un « blanc manteau
d’églises » culturelles, le consensus autour de l’intervention de l’État dans le champ
culturel, un ministère qui attire les meilleurs énarques ; de l’autre, les statistiques
37. Parmi les plus retentissants : Alain Finkielkraut, la Défaite de la pensée, Paris, Gallimard, 1987 ; Marc
Fumaroli, l’État culturel, op. cit. ; Jean Caune, la Culture en action. De Vilar à Lang, le sens perdu, Gre-
noble, Presses universitaires de Grenoble, 1992 ; Michel Schneider, la Comédie de la culture, Paris, Le
Seuil, 1993. La défense n’est guère représentée à cette époque que par le livre de Jacques renard, l’Élan
culturel, Paris, PUF, 1987.
38. Jean-Pierre Léonardini, « Le temps de l’illusion lyrique », Culture publique. Opus 1 : « L’imagination
au pouvoir », (mouvement)Skite/Sens & tonka, 2004, p. 58.
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une moindre mesure, de certains employés ; mais ces abus ne deviennent si voyants
qu’en raison, d’autre part, de l’augmentation incontrôlable du nombre des ayants
droit. L’appel d’air provoqué par la professionnalisation des activités artistiques au
cours des années 1980 et 1990 a rendu le système intenable. Là encore, la capacité
de l’État à financer durablement un champ culturel en constante expansion s’est
heurtée à la barrière budgétaire43.
Le désarroi et la colère des milieux artistiques et culturels auraient peut-être été
moindres si ne s’était en même temps imposé le sentiment d’un désengagement de
l’État, en dépit du maintien à niveau à peu près constant du budget du ministère.
La succession rapide des ministres, entre 1993 et aujourd’hui, y est sans doute pour
quelque chose44, qui s’est accompagnée d’une rétrogradation dans la hiérarchie
gouvernementale et d’une chute de prestige. Après la longue flambée de l’expérience
langienne, le ministère semble renouer avec la grise instabilité des années 1970. À
cette différence près − de taille − que l’État dans son ensemble apparaît aujourd’hui
menacé d’une perte de substance, rongé par le bas (l’essor des collectivités territoriales)
et par le haut (le marché planétaire et les organisations supranationales).
Le ministère de la Culture ne compte plus que pour un peu plus de 20 % dans
le financement public de la culture. Les relations entre l’État et les collectivités
territoriales évoluent vers une gouvernance culturelle partagée, au-delà des clivages
partisans. L’État, de tutélaire, se fait partenaire et tisse toute une série de rapports
contractuels avec les collectivités, une coopération autour de plans d’action concertés.
Des lois, en 2002 et 2004, ont étendu le champ de la décentralisation, en particulier
dans le domaine du patrimoine, où l’inventaire général est transféré aux régions. en
outre, les régions, départements et communes peuvent gérer directement certains
monuments historiques inscrits sur une liste dressée par l’État – qui conserve
cependant ceux qui sont les plus profitables. Il en est également résulté une
clarification des compétences entre les divers échelons territoriaux, notamment en
matière d’enseignement artistique (enseignement initial aux communes, écoles
nationales de musique, de théâtre et de danse aux départements, conservatoires
nationaux de région aux régions). Si ces dernières privilégient la création et la diffusion
artistique, les départements soutiennent surtout le patrimoine et l’animation, les
communes jouant un rôle dans tous les secteurs. Celles-ci, et les établissements qu’elles
contrôlent, contribuent pour environ 37 % aux dépenses culturelles publiques, les
43. Les entretiens de Valois, qui se sont clos en janvier 2009 après dix mois de concertation avec les repré-
sentants du spectacle vivant, avaient pour principal objectif d’apaiser les tensions sociales. Les conclusions
du rapport remis à la ministre préconisent la pérennisation du régime des intermittents et la fin du gel
des crédits à la création, la refondation des structures publiques, la mise en place de conférences par région
entre État, collectivités territoriales et professionnels du spectacle vivant pour établir une politique cohé-
rente dans chaque territoire, la création d’un fonds de soutien à la création et à la diffusion. en revanche,
aucune loi d’orientation sur le spectacle vivant n’est prévue, ce qui fait craindre à certains la remise en
cause prochaine de ces accords. Pour une réflexion plus fondamentale sur les intermittents du spectacle,
voir le livre de Pierre-Michel Menger, les Intermittents du spectacle. Une sociologie de l’exception, Paris, Édi-
tions de l’eheSS, 2005.
44. Jacques toubon (1993-1995), Philippe Douste-Blazy (1995-1997), Catherine trautmann (1997-
2000), Catherine tasca (2000-2002), Jean-Jacques Aillagon (2002-2004), renaud Donnedieu de Vabres
(2004-2007), Christine Albanel (2007-2009), Frédéric Mitterrand (2009-).
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45. Chiffres tirés de Chiffres clefs 2009. Statistiques de la culture, cités dans x. Greffe et S. Pflieger, la Poli-
tique culturelle en France, op. cit., p. 78. Aux 21 % du ministère de la Culture doivent être ajoutés les
27,5 % des autres ministères (3,8 milliards d’euros) mais le total reste inférieur à 50 % du financement
public de la culture.
46. La part qu’elles consacrent à la culture est dans tous les cas supérieure à celle de l’État central, du
moins si on ne prend en compte que le seul ministère de la Culture (environ 1 % du budget de l’État) :
2,2 % de leur budget pour les départements, 2,5 % pour les régions et 8,1 % pour les communes (de plus
de 10 000 habitants). Voir Chiffres clefs 2010…, op. cit.
47. en particulier depuis la loi du 1er août 2003 qui accorde une réduction de 60 % d’impôt pour les
entreprises, de 66 % pour les particuliers, en plus de mesures spécifiques pour le patrimoine et les musées.
Cette loi, si elle a incontestablement accéléré le mouvement des entreprises et des riches particuliers vers
la culture, ne l’a pas créé : depuis le début des années 1980 un ensemble de mesures fiscales a visé à encou-
rager le soutien économique des acteurs privés à la vie culturelle, même si la France reste en retard sur ce
plan par rapport à d’autres pays comparables. Voir à ce sujet robert Fohr, « essor et enjeux du mécénat
culturel », La Revue du trésor, mai 2008, 88e année, no 5, et id. (dir.), l’Essor du mécénat culturel en France.
témoignages et pratiques, Ministère de la Culture et de la Communication, Mission du mécénat, mai 2006.
48. Pour une vision à la fois globale et précise de la situation, voir Philippe tronquoy (dir.), « Culture,
État et marché », Cahiers français, Paris, La Documentation française, 2003 et Guy Saez (dir.), Institutions
et vie culturelle, Paris, La Documentation française, 2004.
260
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voit comme une forteresse assiégée par la culture de masse américaine. D’où une
politique plus défensive qu’offensive, en particulier en matière audiovisuelle et
cinématographique, défendant au niveau international le droit à l’exception puis à
la diversité culturelle, au niveau national les quotas d’œuvres francophones et
européennes et le respect des délais de diffusion selon les supports.
Ceux-ci sont cependant remis en cause par l’irruption de l’internet qui bouleverse
les modes d’accès et d’usage. Deux lois, l’une sur le droit d’auteur et les droits voisins
dans la société de l’information (DADVSI, 2006), l’autre instituant une haute autorité
pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (hADOPI, 2009)
ont fixé les règles en matière de téléchargement. De lourdes peines de prison et des
amendes sont prévues contre les éditeurs de logiciels permettant le « piratage » des
œuvres audiovisuelles ; par ailleurs une « réponse graduée » sanctionne le partage de
fichiers de pair à pair lorsque ce partage constitue une infraction au droit d’auteur :
un courriel d’avertissement en guise de premier rappel à la loi, puis un courrier
d’avertissement par lettre recommandée, et la coupure de la connexion internet en
dernier ressort. Cette dernière disposition a été rejetée par le Conseil constitutionnel
et beaucoup pensent que ces lois sont inapplicables ou déjà dépassées par les
évolutions technologiques49.
Si la crise d’efficacité que traverse la politique culturelle française paraît pour
l’heure insurmontable, c’est qu’elle se double d’une crise de légitimité, c’est-à-dire
d’une remise en cause des finalités de l’intervention de l’État dans le champ culturel.
La principale d’entre elles, constamment réaffirmée depuis 1959, était l’égal accès de
tous à la culture50. Or, cette ambition s’est vue doublement contestée : dans ses
résultats, puisque les enquêtes sociologiques ont toutes démontré que la politique de
l’offre culturelle n’avait pas amené vers la culture les populations qui en étaient
exclues ; dans ses principes, puisque l’idée même d’une culture dont la qualité
intrinsèque justifierait qu’on en favorise la diffusion est battue en brèche. D’un côté,
on s’interroge sur l’utilité de dépenser autant d’argent pour si peu de résultats ; de
l’autre, on se demande pourquoi il faudrait favoriser un contenu culturel plutôt qu’un
autre.
C’est pourquoi la priorité donnée à la démocratie culturelle, par le biais de la
légitimation des cultures minoritaires ou majoritaires, par l’élargissement du sens et
du champ culturel et, in fine, par celui de l’intervention de l’État a paru d’abord une
49. Voir Soon-Mi Peten et al., Cinéma, audiovisuel, nouveaux médias. La convergence : un enjeu européen ?,
Paris, L’harmattan, 2001. Création et diversité au miroir des industries culturelles, actes des Journées d’éco-
nomie de la culture coordonnées par xavier Greffe, Paris, Ministère de la Culture et de la Communica-
tion, DePS, 2006. xavier Cubeles, « Les politiques culturelles et le processus de mondialisation des indus-
tries culturelles », dans Lluis Bonet et emmanuel négrier (dir.), la Fin des cultures nationales. Les politiques
culturelles à l’épreuve de la diversité, Paris, La Découverte, 2008, p. 69-82. Philippe Bouquillion, les Indus-
tries de la culture et de la communication. Les stratégies du capitalisme, Grenoble, Presses universitaires de
Grenoble, 2008. emmanuel Derieux et Agnès Granchet, Lutte contre le téléchargement illégal : lois DADVSI
et HADOPI, Paris, Lamy, 2010.
50. en 2010 comme en 1959, le ministère a pour mission première « de rendre accessibles au plus grand
nombre les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France » (http://www.culture.gouv.fr/mcc/Le-
ministere2).
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solution de bon sens. De même que l’État se refusait à choisir, au sein de la « culture
cultivée », parmi les valeurs et les esthétiques et finissait par aider aussi bien la
tradition que les avant-gardes − au prix d’une paradoxale institutionnalisation de
celles-ci −, de même il reconnaissait comme légitimes et donc subventionnables toutes
sortes de formes et de genres d’expression ressortissant aussi bien à « l’art de vivre »
qu’à la « culture de masse ». Ainsi se trouvait satisfait l’impératif de la démocratisation,
effectivement réalisé dans la consommation des biens culturels de grande diffusion
délivrés par les industries culturelles. On passait dans l’ordre des pratiques « de
l’exclusion à l’éclectisme51 » et dans celui de la doctrine de la théorie de la légitimité
à celle du relativisme et du multiculturalisme52. Moyennant quoi, la « culture
cultivée » se trouvait reléguée au rang de culture minoritaire, certes respectable mais
de peu d’importance au regard des enjeux de la communication et de la coexistence
des cultures, la révolution numérique bouleversant toute l’économie de la culture et
jusqu’aux rapports de chacun aux pratiques culturelles53.
Face à ce « malaise dans la culture54 », deux options existent. Supprimer purement
et simplement le ministère de la Culture ou doubler la mise, relancer une grande
politique culturelle d’État avec des moyens accrus pour tenir compte de la place
grandissante de la culture au sens large dans les sociétés développées ? Beaucoup
d’analyses récentes prêchent les vertus de l’humilité55. Un État efficace serait un État
qui se concentrerait ou se recentrerait sur ses « missions fondamentales » : le patri-
moine, le soutien à la création, l’éducation culturelle, l’aide aux pratiques en amateur
et une politique audiovisuelle cohérente56 ; une démocratisation « réelle » par le
recours à l’école et aux médias ; le soutien à une création qui « réponde aux attentes
du public » ; le développement des industries culturelles et l’adaptation à l’univers
numérique ; le tout devant pouvoir être mesuré à l’aide d’indicateurs de résultat selon
les termes de la lettre de mission adressée par nicolas Sarkozy à Christine Albanel,
première ministre de la Culture de son nouveau gouvernement57. Particulièrement
51. Olivier Donnat, les Français face à la culture. De l’exclusion à l’éclectisme, Paris, La Découverte, 1994.
52. Éric Maigret et Éric Macé, Médiacultures, Paris, InA/Armand Colin, 2005.
53. Olivier Donnat, les Pratiques culturelles des Français à l’ère numérique. Enquête 2008, Paris, Ministère
de la Culture et de la Communication, DePS/La Découverte, 2009.
54. M. Bélit, le Malaise dans la culture…, op. cit.
55. Lire notamment « Fin(s) de la politique culturelle ? », La Pensée de Midi, octobre 2005 ; « Politique
culturelle de la France », Quaderni, automne 2005 ; « Quelle politique pour la culture ? », Le Débat,
novembre-décembre 2005 ; « Les mutations de la sphère culturelle », Raison présente, juin 2007 ; Jean-
Pierre Saez (dir.), Culture & société, un lien à recomposer, toulouse, Éditions de l’Attribut, coll. « Culture
& société », tome 1, 2008.
56. rapport de la commission d’étude de la politique de l’État présidée par Jacques rigaud, 18 octobre
1996. Lire également du même auteur les Deniers du rêve. Essai sur l’avenir des politiques culturelles, Paris,
Grasset, 2001.
57. Lettre du 1er août 2007 (à consulter sur http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/index-lettre2missi
on07.htm). relevons par ailleurs la création, en janvier 2009, d’un Conseil de la création artistique dont
l’animation a été confiée au producteur de cinéma Marin Karmitz. Il est évidemment trop tôt pour se
prononcer sur ce nouvel organe « dont la mission est d’éclairer les choix des pouvoirs publics en vue
d’assurer le développement et l’excellence de la création artistique française, de promouvoir sa diffusion
la plus large, notamment internationale, et d’arrêter les orientations de nature à permettre leur mise en
œuvre » (décret no 2009-113 du 30 janvier 2009 relatif au Conseil de la création artistique, Journal officiel
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remarquable, dans ces textes comme dans des essais parus au même moment, est
l’insistance sur l’éducation culturelle et artistique, sur la place des arts à l’école :
comme s’il fallait tout reprendre par le début, revenir aux « fondamentaux » et que
la coupure historique entre culture et éducation, de même qu’entre culture et médias,
n’avait plus lieu d’être.
Quant à la légitimité de l’intervention de l’État dans le champ culturel, elle passe
aussi, à lire nombre d’acteurs et d’observateurs actuels, par une cure de modestie, la
« fin de la grandiloquence58 », un « changement de discours59 » pour réduire la
distance entre les ambitions affichées et les résultats obtenus. La politique culturelle
ne peut pas changer la vie, la fonction sociale de l’art doit être revue à la baisse ; la
première fera déjà assez si elle assure les conditions matérielles d’une bonne santé de
la vie culturelle et la seconde doit se borner à présenter des alternatives aux consom-
mations de masse. Fin de l’illusion lyrique ou fin de toute ambition de la politique
culturelle ? La crise économique mondiale qui s’est ouverte en 2008 fait craindre à
beaucoup que la culture non immédiatement rentable ne serve de nouveau de variable
d’ajustement à la politique budgétaire d’un État impécunieux. La nécessité de réduire
les déficits publics risque d’entraîner des coupes sombres dans le financement public
de la culture60.
Cinquante ans après la fondation du ministère de la Culture, vingt-cinq ans après
le doublement de son budget, que reste-t-il de la politique culturelle de la France,
quelle « culture doit-elle défendre61 » ? Le débat n’a pas à être relancé : il n’a jamais
cessé, il accompagne en permanence les évolutions du « modèle culturel français »
dont les contours et le contenu sont constamment redéfinis en fonction des muta-
tions du paysage politique, économique, social, technologique dans lequel il s’insère62.
Bien qu’en voie de normalisation rapide, ce modèle préserve son statut d’exception
dans le monde contemporain. Pour combien de temps encore ?
no 0026 du 31 janvier 2009, p. 1863). Il est d’ores et déjà très contesté par une partie du monde politico-
culturel qui lui reproche d’utiliser des ressources dont manque déjà le ministère.
58. Philippe Urfalino, « Après Lang et Malraux, une autre politique est-elle possible ? », Esprit, mai 2004,
p. 55-72.
59. M. Bélit, le Malaise dans la culture…, op. cit.
60. Un état des lieux : Philippe Poirrier (dir.), Politiques et pratiques de la culture, Paris, La Documenta-
tion française, 2010.
61. Voir le dossier « Quelle culture défendre ? », Esprit, mars-avril 2002.
62. La Politique culturelle en débat. Anthologie 1955-2005, textes réunis et présentés par Geneviève Gen-
til et Philippe Poirrier, Paris, Ministère de la Culture, Comité d’histoire/La Documentation française, coll.
« travaux et documents no 21 », 2006. De Philippe Poirrier, lire aussi « Un demi-siècle de politique cultu-
relle en France », Diversité, no 148, mars 2007, p. 15-20. Sur le « modèle français », nous renvoyons à l’ar-
ticle de rené rizzardo, « Acquis et limites du modèle culturel français », dans Jean-Pierre Saez (dir.),
Culture & société, un lien à recomposer…, op. cit., p. 22-35 et à celui de Vincent Dubois, « Le modèle fran-
çais et sa crise : ambitions, ambiguïtés et défis d’une politique française », dans Diane Saint-Pierre et Clau-
dine Audet (dir.), tendances et défis des politiques culturelles : cas nationaux en perspective, Québec, Presses
de Laval, 2010, p. 17-52.
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2. Sur l’instrumentalisation multiple de la culture dans un contexte politique, voir : R. Hewison, Culture
and Consensus. England, Art and Politics since 1940, Londres, Methuen, 1995 ; o. bennett, “e Torn
Halves of Cultural Policy Research”, International Journal of Cultural Policy, 2004, 10-2 et id., “Cultural
Policy in the United Kingdom. Collapsing Rationales and the End of a Tradition”, European Journal of
Cultural Policy, 1995, 1-2 ; P. burke, What is Cultural History?, Cambridge, Polity, 2004 ; P. Poirrier, l’État
et la Culture en France au xxe siècle, Paris, Le livre de poche, 2000 et id., Art et pouvoir, de 1848 à nos jours,
Paris, CNdP, 2006 ; K. Mulcahy, “e Public Interest in Public Culture”, dans Andrew buchwalter (ed.),
Culture and Democracy: Social and Ethical Issues in Public Support for the Arts and Humanities, boulder,
Westview Press, 1992 ; j. McGuigan, Culture and the Public Sphere, Londres, Routledge, 1996 et id.,
Rethinking Cultural Policy, Londres, open University Press, 2004 ; P. bourdieu, la Distinction. Critique
sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979 ; E. belfiore, o. bennett, “Rethinking the Social Impacts of the
Arts”, e International Journal of Cultural Policy, 2007, 13-2 ; P. dueland, “Nordic Cultural Policies: A
Critical View”, International Journal of Cultural Policy, 2008, 14-1 ; P. Mangset et al., “Nordic Cultural
Policy”, International Journal of Cultural Policy, 2008, 14-1.
3. I. Nicolakopoulos, «Ελεγχόμενη δημοκρατία», art. cité ; I. Lampiri-dimaki, «Κοινωνική αλλαγή 1949-
1974 » dans V. Panagiotopoulos (ed.), Ιστορία του νέου ελληνισμού, vol. 9-10, op. cit.
4. Le Mataroa, un navire qui amena en France de jeunes étudiants et des artistes grecs en décembre 1945,
est resté célèbre. Grâce à la généreuse initiative d’octave Merlier et de Roger Millier, respectivement direc-
teur et sous-directeur de l’Institut français d’Athènes, plus de 200 bourses permirent à ces jeunes grecs de
poursuivre leurs études dans les académies des beaux-Arts et les universités françaises. beaucoup devin-
rent des intellectuels et artistes de renom : les philosophes K. Axelos et K. Kastoriades, l’historien Nicos
Svoronos, l’urbaniste G. Kandylis, le musicien Ianis Xenakis et bien d’autres. Voir N. Andrikopoulou, Το
ταξίδι του Ματαρόα, 1945, Athènes, Estia, 2008 et R. van boeschoten, “e Impossible Return: Coping
with Separation and the Reconstruction of Memory in the Wake of the Civil War”, dans M. Mazower,
After the War Was Over, Princeton, Princeton University Press, 2000.
5. Avoir l’esprit national signifiait : raisonner conformément à l’idéologie nationaliste du régime de l’après-
guerre civile.
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6. Les festivals d’Athènes et d’Epidaure (1954-1955), le prix de littérature décerné par l’État, le nouveau
centre hellénique de l’Académie d’Athènes (1957), le centre de recherches historiques de la Fondation
nationale de recherche (1968), le centre de recherches sociales d’Athènes (1959), la semaine du Cinéma
grec à essalonique (1960), le musée de delphes (années 1960), le Chariot de espis (fin des années
1950), le théâtre d’État de la Grèce du Nord à essalonique (1961). Ces organismes adhérèrent aux
structures culturelles de l’État d’avant-guerre comme le éâtre national (1930) ou des institutions datant
du XIXe siècle telles que le Musée archéologique national et la bibliothèque nationale.
7. d. Voudouri, Κράτος και μουσεία. Το θεσμικό πλαίσιο των αρχαιολογικών μουσείων, Athènes, Sakkou-
las, 2003 et d. Moschopoulos, « Administration du patrimoine culturel en Grèce : une approche histo-
rique », dans S. Fisch (ed.), National Approaches to the Governance of Historical Heritage over Time. A Com-
parative Report, Vienne, IoS Press, 2008 (Cahier d’histoire de l’administration no 9).
8. Le réseau de la Radio nationale avait été créé sous la dictature de Metaxas en 1938. Propriété de l’É-
tat, elle resta sous le contrôle strict et direct du gouvernement jusqu’à la fin des années 1980, période où
les premières stations de radio privées furent officiellement autorisées.
9. Amphithéâtres en plein air, sites des représentations du théâtre antique et des grands événements
culturels.
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10. M. Vitti décrit ce type de controverses idéologiques chez les écrivains et intellectuels grecs dans les
années 1930 (M. Vitti, Η γενιά του τριάντα, Athènes, Ermis, 1977).
11. G. Vestheim, “Cultural Policy and democracy : eoretical Reflections”, e International Journal of
Cultural Policy, 2007, 13-2.
12. Le présent document utilise quatre concepts distincts pour décrire la relation entre culture et démo-
cratie : l’illumination philosophique, comme discours général d’approche directive ; la mission civilisatrice,
comme concept opérationnel associant discours colonial et expérience ; la démocratisation, comme poli-
tique de diffusion de la grande culture à l’ensemble des citoyens, et de programmes éducatifs favorisant
un « niveau supérieur d’éducation culturelle de la population » ; et la démocratie culturelle comme résul-
tat de l’acceptation de la diversité, de la pluralité et de l’égalité des chances au sein d’un environnement
dans lequel les interventions de l’État tentent de marginaliser les injustices culturelles et la discrimina-
tion, supprimant les frontières entre élitisme et culture populaire. Sur d’autres discours fondés sur ces
concepts, voir N. Elias, e Civilizing Process (1939), oxford, blackwell, 1994 ; A. Kangas, behind the
beginnings of he Finnish Cultural Policy, ICCPR, 2006 ; G. Vestheim“Cultural Policy…”, art. cité.
13. Sur la relation entre le patrimoine et le tourisme, voir : R. Hewison, e Heritage Industry. britain in
a Climate of Decline, Londres, Methuen, 1987 et K. Gray, “Commodification and Instrumentality in Cul-
tural Policy”, International Journal of Cultural Policy, 2007, 13-2.
14. jusqu’aux années 2000, l’organisme grec du Tourisme fit également office d’institution culturelle par
l’intermédiaire de son département du festival d’Athènes (théâtre, concerts, danse). Par la suite, le festi-
val d’Athènes est devenu indépendant.
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15. A. dimaras, «Σχολική εκπαίδευση. Οι νέες μεταρρυθμίσεις», dans V. Panagiotopoulos (ed.), Ιστορία του
νέου ελληνισμού, op. cit., vol. 9.
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16. M. Repoussi, «Ο χώρος των γυναικών. Πολιτικά κόμματα, γυναικείες οργανώσεις και ομάδες», dans
V. Panagiotopoulos (ed.), Ιστορία του νέου ελληνισμού, op. cit., vol. 10.
17. Sur le rôle des intellectuels dans la vie culturelle, voir S. Sokka, A. Kangas, “At the Roots of Finnish
Cultural Policy: Intellectuals, Nationalism, and the Arts”, e International Journal of Cultural Policy,
2007, 13-2, p. 185-202.
18. Un style traditionnel de musique folklorique modale urbaine : l’expression du prolétariat dans des
chansons passionnées qui racontent les malheurs des gens ordinaires.
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La dictature
Néanmoins, le système politique ne put soutenir la pression des forces progres-
sistes pour plus de démocratisation, et le processus fut abruptement stoppé par la
mise en place de la dictature des Colonels le 21 avril 1967. La junte proclama la loi
martiale et l’abrogation des libertés politiques. Cette situation dura sept longues
années, jusqu’à la chute du régime en 1974. En même temps que l’opportunité d’une
démocratisation politique, tous les principes fondamentaux de la démocratisation
culturelle qui s’étaient développés – et avaient suscité de si grands espoirs – furent
brusquement enterrés.
Les Colonels choisirent comme slogan « une Grèce de Grecs chrétiens », réitérant
l’identité culturelle du pays, mélange de dévotion à la gloire de la Grèce antique et
de foi chrétienne. En même temps que les organisations et les partis politiques, toutes
les associations culturelles furent sommairement abolies : du jour au lendemain, le
pays se retrouva sans structures politiques et culturelles, à l’exception des institutions
officielles dont les administrations étaient ordonnées par les Colonels. Pour remplacer
l’ancienne culture publique qui avait été rejetée sans appel, la junte développa un
discours qui mêlait nationalisme, retour aux racines, anticommunisme, xénophobie
et isolationnisme, avec un élément didactique et la « civilisation gréco-chrétienne »
en point de référence de la plus haute importance : la supériorité culturelle de la
nation grecque et de sa civilisation. Les Colonels imposèrent un contrôle politique
19. G. Tsampras, «Η μουσική 1949-1974 », dans V. Panagiotopoulos (ed.), Ιστορία του νέου ελληνισμού
op. cit., vol. 9, p. 259-268. ; F. Lamprinos, «Κινηματογράφος», dans ibid., vol. 9 et 10 ; d. Spathis, «Το
θέατρο», dans ibid., vol. 9, p. 239-258. ; P. Mavromoustakos, Το θέατρο στην Ελλάδα 1940-2000, Athènes,
Kastaniotis, 2005.
20. Sur la relation entre le concept de culture et la culture politique, voir j. Lewis, T. Miller (eds), Criti-
cal Cultural Policy Studies, oxford, blackwell, 2003.
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21. « Changement » était le slogan des élections de 1981 qui portèrent Andreas Papandreou et le Mou-
vement socialiste panhellénique (PASoK) au pouvoir.
22. G. Voulgaris, «Η δημοκρατική Ελλάδα 1974-2004 », dans V. Panagiotopoulos (ed.), Ιστορία του νέου
ελληνισμού, op. cit., vol. 10.
23. E. Kotzia, V. Hatzivasileiou, «Η ελληνική λογοτεχνία 1974-2000 », dans ibid., vol. 10., p. 183-200.
24. M. Zorba, « Le livre et l’édition en Grèce depuis la Seconde Guerre mondiale », dans P. Fouche (dir.),
Dictionnaire encyclopédique du Livre, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2005. ; P. Mavromoustakos,
Το θέατρο στην Ελλάδα 1940-2000, op. cit. ; M.-E. Christofoglou, «Οι εικαστικές τέχνες 1974-2000 »,
dans V. Panagiotopoulos (ed.), Ιστορία του νέου ελληνισμού, op. cit., vol. 9 et 10.
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avec de nouveaux réalisateurs, une vision filmique et des thèmes différents, se tourna
vers l’aspect historique et contemporain de la société grecque. Préoccupé par de
nouvelles recherches et expériences esthétiques, il se distancia des films commerciaux
et entreprit de décoder les réalités sociales, en quête d’une nouvelle identité. dans
ce climat d’exploration sociale, les anciennes pratiques culturelles furent rénovées,
créant un ferment substantiel et soulevant de multiples questions relatives à la
nouvelle évolution des identités culturelles.
Le « Changement » socialiste
En 1981, la mission politique du « Changement » apporta, avec le nouveau
gouvernement, une immense vague de transformations socioculturelles. Melina
Mercouri, toute première ministre de la Culture (une fonction qu’elle occupa de
1981 à 1989 puis de 1993 jusqu’à sa mort en 1994), personnifia le changement et
la démocratisation de la culture publique grâce à sa vision culturelle particulière,
présentant clairement une nouvelle approche. Indépendamment de leurs opinions
politiques, les intellectuels les plus influents gardèrent leurs distances, estimant que
la démocratisation de la culture n’était ni requise, ni réalisable. dans la mesure où
ils se considéraient comme les gardiens de la qualité des œuvres d’art et les dépositaires
de la culture, la démocratisation ne représentait à leurs yeux rien de plus que du
populisme. Cette opinion n’était d’ailleurs pas complètement injustifiée : les
préoccupations de la vaste petite bourgeoisie concernaient davantage leur propre
ascension socio-économique que leur capital culturel25. Se basant sur le principe que
les gens ordinaires ne peuvent apprécier le grand art sans y avoir été initiés, les
intellectuels demandèrent à l’État de se charger de cette vaste mission d’éducation.
dans ce contexte, le discours en faveur de l’accès, la participation de tous à la culture
et la diversité était totalement inédit. C’était le devoir et le rôle de l’éducation, et
non celui d’une politique culturelle, de préparer les gens à apprécier la culture. Les
intellectuels s’engagèrent au service de la civilisation et de la culture. Ayant peu de
sympathie pour les pratiques culturelles populaires, ils éclipsèrent la portée
anthropologique de la culture.
Néanmoins, de nombreuses questions relatives à cette évolution des identités
culturelles furent soulevées. Le gouvernement socialiste tenta d’y répondre. Pour la
première fois, Melina Mercouri combina nationalisme et démocratisation, proposant
ainsi une nouvelle expression du patriotisme. dans ce cadre, la composante populaire
fut louée et acceptée sans aucun snobisme. Les petits bourgeois – classe montante
socialement et économiquement – y trouvèrent un moyen d’exprimer leur charge
émotionnelle, révélant une culture qui tentera de trouver un équilibre entre la
démocratisation et le populisme au cours des années suivantes26.
25. P. Panagiotopoulos, «Τραγούδι και πολιτική», dans V. Panagiotopoulos (ed.), Ιστορία του νέου
ελληνισμού, op. cit., vol. 10.
26. M. Spourdalakis, «Ο ελληνικός λαϊκισμός στις συνθήκες του αυταρχικού κρατισμού», dans N. Mouzelis,
T. Lipovatz (eds), Λαϊκισμός και πολιτική, Athènes, Gnosi, 1989 ; A. Pantazopoulos, «Για το λαό και το
έθνος», Η στιγμή Ανδρέα Παπανδρέου 1965-1989, Athènes, Polis, 2001.
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27. Expression utilisée pour désigner les commémorations officielles des atrocités de la guerre civile, les-
quelles étaient exclusivement attribuées aux vaincus.
28. M. Repoussi, «Ο χώρος των γυναικών. Πολιτικά κόμματα…», art. cité.
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29. Le service des antiquités grecques fut instauré immédiatement après la création de la nation grecque
au début du XIXe siècle et demeura un département du ministère de l’Éducation jusqu’en 1958. Cette
année-là, il fut incorporé au bureau du Premier ministre, et finalement au ministère de la Culture en
1971. Conjointement avec la Société archéologique d’Athènes, il donna une impulsion au développe-
ment de l’idéologie des antiquités grecques à travers des mesures administratives et législatives. Selon sa
charte, la fondation de la Société archéologique d’Athènes était due au « fait que le monde de la Grèce
antique constituait le firmament sur lequel se fondaient l’idéologie du nouvel État et les intellectuels ».
C’est une référence à l’histoire de son premier conseil administratif : « Tous étaient membres des classes
supérieures de la nouvelle capitale, Fanarioti, membres du gouvernement et de l’administration, du monde
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temps, diverses opinions s’ajoutèrent, telles que : la culture est synonyme d’« arts » ;
l’art n’a rien à voir avec l’économie politique ; la « grande » culture est incompréhen-
sible pour les gens ordinaires ; « l’illumination » de l’État doit amener les gens à
comprendre la beauté et développer leur goût. Tous ces axiomes semblaient emportés
par un tourbillon soumis à la force centrifuge – malgré tous les efforts accomplis en
faveur de la démocratisation de la culture – et demeurèrent assez irréalistes et
inefficaces. Tandis que la volonté politique se montrait incapable de formuler avec
compétence un discours innovateur et une politique culturelle cohérente, de
nouveaux besoins et d’autres pratiques culturelles apparurent dans la société grecque,
portés par les nouvelles subjectivités émergentes, le développement économique et
la mobilité sociale. dans l’espace public surgirent de nouvelles interrogations qui
concernaient l’évolution nouvelle des identités culturelles.
Pour transcender le problème, Melina Mercouri agit par instinct. dès le début,
elle privilégia la communication internationale, pratiquant une diplomatie culturelle
caractéristique, basée sur ses propres relations cosmopolites, qui se jouait sous les
feux de l’actualité, avec des personnalités telles que jack Lang, olaf Palme, Felipe
Gonzales, le pape, Indira Gandhi, François Mitterrand. Cette communication l’aida
à lancer avec opportunité des projets, expositions, déclarations et, grâce à la promo-
tion des médias, à affronter victorieusement la déconfiture interne et les critiques qui
fusaient de toutes parts. Sur une photo prise en 1985 le jour où Athènes célébrait sa
fête de Première capitale culturelle de l’Europe – un concept dont elle était
l’inspiratrice et qu’elle avait institutionnalisé –, on la voit radieuse entre Andreas
Papandreou et François Mitterrand. C’était le genre d’attitude qu’elle aimait présenter
à ses fans autant qu’à ses rivaux politiques.
La politique culturelle de Melina Mercouri peut se résumer en quatre points
essentiels : un effort permanent pour faire augmenter le budget du ministère de la
Culture, la création d’un réseau de théâtres régionaux, la création du Centre du
cinéma grec, et surtout l’introduction d’une demande de restitution des marbres du
Parthénon auprès du british Museum. bien qu’il ait fallu attendre le milieu des
années 1990 pour que le budget du ministère soit augmenté grâce au revenu de la
Loterie nationale et à la contribution des Fonds structurels de l’Union européenne,
Melina Mercouri demeura pendant des années la plus influente promotrice de
demande de fonds supplémentaires. La formation du réseau de théâtres régionaux
débuta en 1983 – de même que l’institutionnalisation du soutien de l’État aux
compagnies de théâtre indépendantes – et fut un succès. Le Centre du cinéma grec,
fondé en 1970 avec le soutien d’une banque liée au ministère de l’Industrie, fut
restructuré au cours des années 1980. devenu une importante institution, il
fonctionnait selon le principe de mise en concurrence et commandita un grand
nombre de films, notamment ceux de l’illustre cinéaste grec eo Angelopoulos.
C’est en juillet 1982 à Mexico, lors de la Conférence internationale des ministres
de la Culture à l’Unesco, que Melina Mercouri aborda pour la première fois le sujet
des marbres du Parthénon : « Vous devez comprendre ce que représentent à nos yeux
les marbres du Parthénon. Ils sont notre gloire. Ils sont notre sacrifice. Ils sont le
symbole suprême du respect. Ils sont notre dette d’honneur à la philosophie de la
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démocratie. Ils incarnent notre ambition et notre nom. Ils sont l’essence de notre
être en tant que Grecs », dit-elle. La symbolique à laquelle elle se référait, cette
« Grande idée » qui l’avait amenée à devenir ministre, rassemblait tous les éléments
de l’idée qu’elle se faisait de la « Grécité ». Cette « Grécité » était une identité culturelle
doublée d’une large part de civilisation hellénique antique, du sens de l’honneur, de
folklore touristique et de convivialité, ajoutés à la fierté et au tempérament
méditerranéens, et exprimait la sensibilité sociale, l’émotion, la plainte d’un petit
pays contre l’injustice, et – dans certaines circonstances – le développement d’un
syndrome phobique envers les pays étrangers « ennemis ».
on peut se demander quel était le fil conducteur de tout ceci ? En se penchant
sur la culture publique de cette époque, on remarque que la culture sociale longtemps
réprimée qui s’était manifestée après la chute de la dictature en 1974 fut instaurée
en 1981 comme politique culturelle du gouvernement. Néanmoins, cette toute
récente politique ne pouvait immédiatement atteindre sa maturité, ni adopter de
nouvelles mesures stratégiques et modifier à elle seule les mentalités et les conditions
existantes. À la lumière de la nouvelle théorie institutionnelle qui reconnaît souvent
une « dépendance de sentier » dans la politique publique31, elle resta néanmoins
prisonnière de la matrice du passé. Le manque d’un noyau dur d’intellectuels dans
ses rangs fut l’une des raisons pour lesquelles la nouvelle politique culturelle
progressiste du PASoK troqua la logique de subordination pour la domination, et non
pour l’hégémonie. Elle préféra également l’illumination à l’autoritarisme et au
manque de démocratie ; mais n’opta pas pour un projet résolument égalitaire32. En
plus, survinrent de nouveaux doutes et une série d’émeutes – dus en partie à la
confusion entre une identité nationale de l’est ou du sud – qui, devant l’attitude
ambivalente de la Grèce à propos de sa participation à la Communauté économique
européenne, furent provoqués par son adhésion à celle-ci. Ce dilemme reste encore
manifeste à diverses occasions, malgré les mesures prises pendant les années 1990
pour moderniser le pays.
Hégémonie culturelle
entre politique au sens large et stratégie politique
Il est intéressant d’approfondir le concept d’« hégémonie33 ». La déconstruction
de la tradition d’un long passé antidémocratique, le manque de liberté et la
domination nationaliste d’une part, la nécessité de mettre en œuvre une politique et
une culture publique modernisée de l’autre, occasionnèrent une grande compétition
pour l’hégémonie. La page était tournée, mais la lutte pour la redistribution du capital
31. M. Tsakatika, «Η αχίλλειος πτέρνα των νέο-θεσμικών προσεγγίσεων: πώς αλλάζουν οι θεσμοί», Επιστήμη
και κοινωνία, Athènes, Sakkoula, 2004, 13.
32. Sur la notion du projet égalitaire, voir A. Frenander, “No discord, or, an Area Without Significant
Political Stakes? Some Reflections on Swedish Postwar Cultural Policy discours”, International Journal of
Cultural Policy, 2007, 13-4 ; E. Laclau, C. Mouffe, Hegemony and the Socialist Strategy, Londres, Verso,
2001 ; C. Venn, “Cultural eory and its Futures”, eory, Culture and Society, 2007, 24-3.
33. A. Gramsci, Gli intellettuali e l’organizzazione della cultura, Turin, Einaudi, 1952.
279
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culturel selon de nouvelles conditions ne faisait que commencer. Ceci était parti-
culièrement évident en matière de politique. des sujets relatifs à l’identité nationale
grecque, ou perçus comme tels, avaient provoqué fanatisme, guerres de culture et
conflit politique au sein de la société pendant un quart du siècle passé : avant, pendant
et après les années Mercouri. Il y avait eu des affrontements à propos de l’adoption
officielle de la langue vernaculaire courante (le grec démotique) et de l’abolition de
la grammaire « purifiée » des érudits (le grec katharevousa) dans l’éducation et l’admi-
nistration publique ; de la mise en place d’une réforme de l’orthographe simplifiant
le système d’accentuation ; du principe d’égalité entre les hommes et les femmes ; de
la séparation de l’Église et de l’État ; de la légalisation du mariage civil ; des droits
d’immigration et de la diversité ; du droit pour les meilleurs étudiants albanais de
porter le drapeau grec lors des parades et spectacles de leur école ; de l’abolissement
de la mention des religions sur les cartes d’identité nationale ; du contenu des livres
scolaires d’histoire ; et sur de nombreux autres sujets socioculturels similaires qui,
d’une manière ou d’une autre, divisaient constamment l’opinion publique.
Inversement, en ce qui concernait le ministère de la Culture pendant les vingt-
cinq dernières années du XXe siècle, les controverses visaient davantage le sens restreint
de la politique culturelle, c’est-à-dire le patrimoine culturel et le soutien de l’État aux
arts et aux lettres. Les questions tournaient autour de la préservation et la promotion
du patrimoine culturel, le subventionnement des arts, le soutien financier des
fondations et associations culturelles, le bon fonctionnement et la transparence des
institutions et des comités œuvrant au sein du ministère de la Culture, la
modernisation et l’expansion des musées et, bien entendu, l’efficacité du budget.
Cette distance entre politique culturelle et stratégie culturelle ne fut jamais
comblée, et pas seulement à cause de la décision politique du ministre de la Culture
de se concentrer exclusivement sur la politique culturelle au sens le plus restreint. La
mentalité des intellectuels grecs, qui influençaient toute la société, contribua
également à cet état des choses. La majorité d’entre eux demeuraient logiquement
influencés par la « grande » culture et ne pouvaient donc percevoir les concepts de
droits culturels, citoyenneté culturelle et projet égalitaire comme des missions
importantes dans le cadre de l’État-providence, à l’instar de ce qui avait été réalisé
dans nombre de pays européens pendant la seconde moitié du XXe siècle. Plus tard,
ils furent également incapables de conceptualiser la culture comme une ressource,
un pluralisme civique et une stratégie d’inclusion, susceptibles de changer l’équilibre
de l’organisme dans l’économie morale du pouvoir. Le discours culturel resta ainsi
attaché aux deux axes du patrimoine antique, le pilier de l’identité nationale et les
arts. À leurs yeux, la culture populaire, la diversité, la démocratisation, la cohésion
sociale, l’inégalité d’accès ou de participation, n’avaient rien à voir avec la signification
de la culture qui, pour eux, était synonyme de civilisation. dans ce contexte, le
prestige national, le parrainage des arts de « grande qualité » par l’État et l’élitisme
dominèrent facilement les cartes mentales du pays.
Si, en matière de politique sociale, les ruptures des gouvernements socialistes avec
le passé furent audacieuses, dans le domaine de la politique culturelle, tant leur
discours que leur programme et leurs prévisions politiques restèrent attachés à une
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34. Sur la relation entre la politique culturelle et ses connotations sociales, voir N. Kiwan, “When the
Cultural and the Social Meet: a Critical Perspective on Socially Embedded Cultural Policy in France”,
e International Journal of cultural Policy, 2007, 13-2.
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L’ère de la modernisation
Au milieu des années 1990, l’idée de modernisation du pays dominait, dans le
cadre de l’intégration à l’Europe et du processus d’une globalisation accrue. Sous la
direction du Premier ministre C. Simitis, le gouvernement socialiste PASoK réélu
choisit comme principal objectif de moderniser les structures du pays. Grâce au
soutien des fonds structurels de l’Union européenne, des projets culturels furent
soutenus par un investissement économique impressionnant de 1,7 milliard d’euros
35. C. dallas, Greece, dans Council of Europe/ERICarts, Compendium of Cultural Policies and Trends in
Europe (www.culturalpolicies.net 24 février 2008).
36. Le ministère de la Culture se compose de quatre Conseils d’administration : antiquités et patrimoine
culturel ; restauration, musées et travaux techniques ; culture contemporaine ; soutien administratif. Les
principaux musées publics fonctionnent selon « le principe de pleine concurrence » du ministère, bien
qu’ils soient totalement à charge du financement public. Il comprend également plusieurs organismes qui
ont le même statut, tels que le Centre du cinéma grec, la Fondation hellénique pour la culture, le Centre
national du livre et, plus récemment, le Centre pour le théâtre et la danse.
37. G. Paschalidis, «Η ελληνική τηλεόραση», dans N. Vernikos (ed.), Cultural Industries, Athènes, Kritiki,
2005 ; K. Sarikakis, “Mediating Social Cohesion: Media and Cultural Policy in the European Union and
Canada”, dans K. Sarikakis (ed.), Media and Cultural Policy in the European Union, Amsterdam, Rodopi,
2007.
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38. Le financement de la culture est resté un sujet épineux depuis l’époque de Melina Mercouri. Le 0,5 %
habituel du budget public moyen ne fut jamais satisfaisant. des fonds supplémentaires furent disponibles
grâce à la Loterie nationale et au programme d’investissement public. des fonds publics sont également
attribués à la culture par le biais des activités de différents ministères, tels que : le ministère de l’Éduca-
tion et des Affaires religieuses (éducation artistique, formation continue aux adultes, problèmes de jeunes
et de religions, éducation interculturelle, archives et bibliothèques publiques) ; le ministère de la Presse
(radio publique et TV) ; le ministère de l’Environnement, de la Planification et des Travaux publics (pré-
servation du patrimoine naturel et architectural) ; le ministère des Affaires sociales (programme d’accès
gratuit au théâtre pour les travailleurs).
39. L. Mendoni, “Culture and European Cultural Funds”, Metarrythmissi, 2006, 3.
40. E. Papataxiarchis, « La Grèce face à l’altérité », Ethnologie française, 2005, 2.
41. Metron Analysis, « Les pratiques culturelles des Grecs », Highlights, 2005, 19, p. 1-53.
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42. P. Kafetzis, «Ξένοι εργάτες. Η Ελλάδα χώρος υποδοχής οικονομικών μεταναστών», dans V. Panagio-
topoulos (ed.), Ιστορία του νέου ελληνισμού, op. cit., vol. 10 ; N. diamantouros, «Πρόλογος», dans
M. Pavlou, d. Christopoulos (eds.), Η Ελλάδα της μετανάστευσης, Athènes, Kritiki, 2004.
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43. N. Askouni, Η εκπαίδευση της μειονότητας στη Θράκη. Από το περιθώριο στην προοπτική της κοινωνικής
ένταξηs, Athènes, Alexandreia, 2006.
44. Exemples : les controverses concernant le nom de « Macédoine », utilisé par le FYRoM, et l’abolition
de l’appartenance religieuse sur les cartes d’identité, qui provoquèrent le conflit entre le gouvernement et
l’Église orthodoxe.
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moyenne européenne UE27 (77 %) les Grecs arrivent derrière (68 %)46. L’enquête
Eurobaromètre sur les valeurs culturelles en Europe montre que la participation des
Grecs aux activités culturelles est, dans la majorité des cas, très inférieure à celle de
la moyenne européenne UE27 : 41 % n’ont pas lu de livre au cours des douze derniers
mois (moyenne UE27 = 28 %) ; 67 % n’ont pas visité de monument historique
(moyenne UE27 = 45 %) ; 54 % ne sont pas allés au cinéma (moyenne UE27 = 48 %)
; 75% n’ont visité ni musée ni galerie d’art (moyenne UE27 = 58 %) ; 79 % n’ont
assisté à aucun concert (moyenne UE27 = 62 %) ; 85 % n’ont pas fréquenté de
bibliothèque publique (moyenne UE27 = 64 %). Seul le taux de fréquentation d’un
théâtre se rapproche de la moyenne UE27 : 70 % des Grecs ne sont pas allés au théâtre
(moyenne UE27 = 68 %). L’important, ce sont les raisons qui justifient cette attitude :
ainsi, à la question « quelles sont les barrières à l’accès à la culture ? », 36 % citent
« le manque d’intérêt » comme l’un des obstacles les plus importants, contre 27 %
pour la moyenne UE27.
Il est également intéressant de se pencher sur les dépenses culturelles publiques
et privées47. La tranche supérieure de 20 % des ménages les plus aisés consacre 6,4 %
de son budget annuel à la culture, alors que la tranche inférieure de 20 % des ménages
économiquement les plus faibles n’y consacre que 3,1 %. de même, le taux de non-
participation aux activités artistiques est impressionnant : parmi ceux qui n’ont
aucune activité artistique, la moyenne UE27 s’établit à 38 %, contre 61 % chez les
Grecs. Les Grecs détiennent également un record européen négatif pour l’utilisation
de l’internet : 71 % d’entre eux disent ne l’avoir jamais utilisé (la moyenne UE27 est
de 46 %) et 94 % considèrent qu’ils n’en ont aucune utilité. Même le pourcentage
de ménages qui possèdent une connexion haut débit n’est que de 4 %, contre une
moyenne UE27 de 30 %.
En revanche les Grecs sont mieux placés en ce qui concerne l’Europe dans sa
réalité historique, politique et sociale : ils estiment que les échanges culturels au sein
de l’Europe sont très importants (49 %, contre 44 % moyenne UE27). Ils ont
également une opinion positive sur leur rôle pour développer une meilleure
compréhension et plus de tolérance (43 %, contre 42 % moyenne UE27), bien qu’ils
ne soient pas tellement disposés à rencontrer personnellement des citoyens d’autres
pays européens (55 %, contre 63 % moyenne UE27) ni désireux d’apprendre une
nouvelle langue (52 %, contre 60 % moyenne UE27). dans tous les cas, ils considèrent
clairement l’Europe comme le « continent de la culture » – quel que soit le sens donné
à ces mots (81 %, contre 67 % moyenne UE27) – même si beaucoup croient qu’il
n’existe pas de culture européenne spécifique, mais seulement une culture occidentale
globale qui est la même en Europe et aux États-Unis (33 %, très proche de la
moyenne UE27 de 32 %).
46. Tous ces chiffres proviennent des Valeurs culturelles européennes, 2007, Rapport Eurobaromètre spé-
cial no 278.
47. M. Zorba, EU Structural Funds and eir Impact on Cultural Policy: e Greek Case 1994-2006, Vienne,
ICCPR Proceedings, 2006.
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Conclusions
En Grèce, le concept de politique culturelle a toujours été accepté sans grandes
discussions, car il répondait à la conviction de chaque citoyen que la culture améliore-
rait la vie sociale. Cette certitude a été profondément enracinée en chacun en raison
de l’attachement incontestable de tous au patrimoine de la Grèce antique, de la
reconnaissance générale de ses valeurs esthétiques universelles élevées, et du rôle
important du parrainage de l’État. La Constitution elle-même fait référence à la
mission de l’État « d’éduquer moralement et spirituellement les Grecs » et de préserver
l’environnement culturel, les monuments et le patrimoine.
Les objections exprimées à diverses occasions n’ont jamais mis en cause ni la
politique culturelle en tant que telle, ni la nécessité de l’intervention de l’État et ses
dépenses en matière de culture. Mis à part les convictions idéologiques ou politiques,
la politique culturelle comme objet de politique publique recueille un consensus
général, en dépit des objections partisanes ou des approches différentes sur les
missions et les méthodes. de plus, au cours des dernières décennies, elle a été
défendue universellement comme la politique par excellence qui était injustement
ignorée sur le plan financier. Elle réclamait, de manière exponentielle, davantage de
soutien, de parrainage et de concrétisation. La responsabilité du gouvernement à
l’égard de « notre civilisation », continuellement reconnue par les hommes politiques,
est un leitmotiv dans chaque conférence, article, débat ou émission. C’est la mise en
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48. Le mot « culture » (κουλτούρα, koultoura) dans son origine latine ne fut jamais incorporé dans la langue
grecque, alors que le mot « civilisation » (πολιτισμός, politismos) trouve son origine dans polis (ville) et
politis (citoyen), qui ont une racine grecque. des dérivés furent créés à partir de politismos : « politismiko »
« politistiko » (civilisationnel). Le mot koultoura, probablement importé d’Allemagne dans les années 1930,
ne se propagea guère en dehors des petits cercles gauchistes et servit à signaler leur antagonisme à l’égard
de la civilisation bourgeoise : un Kulturiaris voulait dire un intellectuel snob qui maniait un langage tel-
lement abstrus qu’il était incompréhensible. À cette même époque apparut le mauvais mot « culture », qui
fournissait un nouveau système conceptuel en France (P. ory, « L’histoire culturelle a une histoire », dans
Laurent Martain, Sylvain Venayre (dir.), l’Histoire culturelle du contemporain, Paris, Nouveau Monde,
2005). Au cours des dernières décennies, le mot koultoura fut réutilisé en raison des traductions de textes
européens qui faisaient une distinction entre « culture » et « civilisation », selon leur signification diffé-
rente dans d’autres langues européennes. Voir également : Valeurs culturelles européennes, enquête Euro-
baromètre n° 278 (2007) : la « civilisation » est évoquée par une faible proportion des citoyens européens
(13 %) mais par un grand nombre de Grecs (38 %). Ceci n’est pas vraiment une surprise, étant donné le
rôle de la Grèce antique dans le patrimoine de l’Europe.
49. R. Williams, Culture. Londres, Fontana, 1981.
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de la culture et autres études culturelles réalisées au cours des trente dernières années.
La force et l’inflexibilité du discours traditionnel, avec ses principaux composants de
prestige national, d’identité nationale, d’esthétique et de parrainage des arts par l’État,
sont si grandes que les nouvelles requêtes, pourtant urgentes, émanant de la société
– comme l’accès, la participation, la diversité, la pluralité, le développement, la
globalisation et les pratiques culturelles émergentes – demeurent au second plan. de
l’après-guerre à aujourd’hui, les discours et les concepts tels que « les droits culturels
faisant partie de l’État-providence », « la culture comme facteur d’intégration sociale »,
« le pluralisme civique », « les négociations des identités » ou « la citoyenneté
culturelle » n’ont jamais eu beaucoup d’impact sur la politique culturelle grecque.
Les grands débats sont réservés à une élite intellectuelle et académique ; ils ne suscitent
pas l’intérêt du public, ne s’inscrivent pas dans les comités parlementaires ni les
programmes des partis et, dès lors, ne nourrissent pas la politique culturelle. C’est la
raison pour laquelle la Grèce a instauré un modèle restreint de politique culturelle,
malgré plusieurs fenêtres d’opportunité dans les années 1980 et 1990.
La politique culturelle grecque s’inspira d’abord de la tradition française, quoique
l’influence intellectuelle allemande ait également été manifeste dans la formation des
intellectuels. La priorité fut mise sur l’intervention de l’État et les subventions
publiques, et non sur la réglementation ou les institutions indépendantes. Le système
grec était basé sur un modèle administratif intense, bien que la structure de
l’administration publique soit fragile. L’intelligentsia de gauche avait Malraux et son
projet des maisons de la culture pour modèles, et plus tard jack Lang et son
culturalisme socialiste flexible et anticonventionnel.
En dépit de profonds différends entre les ministres de la Culture français et grec
sur des sujets concernant l’administration publique et les politiques sectorielles, un
certain parallélisme fut toujours prôné du côté grec ; le mélange du prestige français
et de la tradition aristocratique était en effet attirant. Pendant les années 1970, la
déclaration commune des Premiers ministres V. Giscard d’Estaing et K. Karamanlis
« Grèce, France, Alliance » donna le ton. Plus tard, dans les années 1980, A. Papan-
dreou et F. Mitterrand, ainsi que leurs ministres de la Culture, M. Mercouri et j. Lang
– dont l’influence était importante – exprimèrent le nouveau sentiment : ils tentèrent
tous deux d’élargir le champ culturel au « tout culturel ».
dans les années 1990, le concept même de culture commença à évoluer sous la
pression des nouvelles pratiques culturelles qui avaient envahi la société, mettant en
évidence la consommation culturelle et la libérant de son prestige formaliste du passé.
Les jeunes et la classe moyenne cultivée contribuèrent à créer une nouvelle osmose
entre public et privé, haut et bas de la pyramide, traditionnelle et innovante. Ainsi,
un espace intermédiaire hybride et subventionné vit le jour, spécialement dans le
domaine de l’information, grâce à la presse gratuite (et plus tard, d’une certaine
manière, avec les blogs), aux expositions d’art, aux représentations de théâtre et aux
séances de cinéma. Les générations les plus jeunes eurent l’occasion d’expérimenter
un environnement ranimé par le développement de l’information et la diversité, de
pouvoir chercher des réponses au sein de nouvelles subjectivités, de nouveaux modes
de vie et de nouvelles aspirations.
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53. d. Sotiropoulos, “old Problems and New Challenges: e Enduring and Changing Functions of the
Southern European State bureaucracies”, dans R. Gunther, N. diamandouros, d. Sotiropoulos (eds.),
Democracy and the State in the New Southern Europe, oxford, oxford University Press, 2006, p. 197-234.
54. j. Habermas, la éorie de l’action communicative, oxford, Polity Press, 1987 ; id., e Structural Trans-
formation of the Public Sphere. Cambridge, MIT Press, 1989.
55. Sur la citoyenneté culturelle, voir C. Mercer, Towards Cultural Citizenship: Tools for Cultural Policy and
Development, Stockholm, Gidlunds Forlag, 2002.
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Alexandra SlAby*
Dans un pays dont l’histoire se singularise à bien des égards de celle de ses voisins
européens, le fait même de parler de « politique culturelle » ne va pas de soi. l’histoire
polarise le discours culturel irlandais entre « les arts » et « la culture », les premiers
étant perçus comme l’apanage de l’élite anglo-irlandaise et la seconde comme l’ensem-
ble des modes d’expression propres à la civilisation irlandaise au sens arnoldien. Avant
d’entrer dans l’histoire des rapports État/culture de ce pays, il faut rappeler certaines
idiosyncrasies irlandaises susceptibles d’informer ces rapports : l’homogénéité de la
société après l’indépendance dont le cadre de référence est local et rural, l’absence de
révolution industrielle et de tradition de pensée révolutionnaire marxiste qui ailleurs
oriente le discours culturel vers la possibilité d’émancipation sociale ou politique, et
enfin la culture politique anti-intellectualiste des dirigeants. En raison de cette
worldview, cette vision du monde des hommes politiques irlandais qui ont façonné
l’Irlande indépendante, le discours politique à l’égard des idées et des productions
culturelles étrangères est très méfiant. Tout au long du xxe siècle, l’Irlande est à la
recherche d’un discours culturel qui représente son identité distincte tout en se
donnant une apparence moderne pour acquérir la reconnaissance des autres pays.
Parler de politique culturelle irlandaise, c’est parler de la tentative au cours de
l’histoire de concilier ces deux pôles de la culture tels qu’ils sont perçus par les
Irlandais, à savoir élitiste et populiste, étranger et indigène, afin de servir des causes
qui évoluent dans l’histoire − encouragement à la création, démocratisation, rayonne-
ment national. De la difficulté pour la culture à trouver une place dans les préoccupa-
tions de la classe politique découle une légitimité fragile et sans cesse reposée de
l’intervention de l’État.
C’est avec beaucoup d’hésitations et très peu de moyens que l’État irlandais met
en place le modèle britannique d’intervention à distance (arm’s length) en 1951
lorsqu’il crée l’Arts Council irlandais. C’est la nature de la culture à soutenir qui est
en jeu dans ces hésitations. Ce nouvel organisme semi-autonome se heurte dans ses
premières décennies d’existence à un dilemme : éduquer la sensibilité esthétique des
Irlandais en leur apportant le meilleur de la culture savante internationale, ou alors
soutenir les formes indigènes d’une identité culturelle irlandaise distincte. Dans les
années 1970, le discours culturel irlandais est rattrapé par la dichotomie qui
caractérise tous les discours culturels du monde occidental à l’époque : excellence ou
accès. l’orientation décidée vers l’accès, la démocratie culturelle, se poursuit dans les
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années 1980 qui voient en outre des mesures originales tentant de concilier accès et
excellence, savant et populaire, indigène et étranger. Fort d’une légitimité nouvelle
dans le domaine culturel (et non plus seulement artistique), l’État crée en 1993 un
ministère spécifiquement dédié aux arts et à la culture. le tournant du xxIe siècle voit
cependant cette légitimité et l’autonomie administrative et conceptuel du domaine
culturel se fragiliser. Cette étude en quatre temps permettra de voir les réponses
irlandaises aux questions perpétuellement reposées de la mission d’une politique
culturelle, et par là dans quelle mesure l’Irlande s’aligne sur ou se démarque de ses
voisins, la Grande-bretagne pour des raisons évidentes, mais aussi la France.
1. omas bodkin (1887-1961), directeur de la National Gallery (197-1935), puis titulaire de la chaire
barber de beaux-Arts et premier directeur du Barber Institute de l’université de birmingham (1935-195).
Voir Henry boylan (ed.), A Dictionary of Irish Biography, Dublin, Gill & Macmillan, 1998 et Anne Kelly,
“omas bodkin. e Church, the State and omas bodkin”, e Irish Times, 5 décembre 1987.
. Dáil Éireann, Debates, vol. 15, 4 avril 1951, col. 190-191.
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À la suite de l’Arts Act (loi sur les arts) de 1951, le nouveau conseil est formé de
sept membres : un directeur et six membres ordinaires nommés par le Taoiseach
(premier ministre irlandais). À ceux-ci s’ajoutent cinq membres cooptés. Il reçoit une
subvention annuelle du gouvernement et décide de l’allocation de ces subventions.
En dehors des formes artistiques énoncées par l’Arts Act de 1951 (peinture, sculpture,
architecture, musique, théâtre, littérature, art industriel, beaux-arts et arts appliqués),
l’Arts Council peut aussi veiller aux emblèmes de la nouvelle nation, tels que les
monuments, les bâtiments publics, les pièces, médailles et timbres-postes3.
les débats parlementaires montrent une opposition sur la nature de la culture à
soutenir. Pour Éamon de Valera en 1951, le nouveau conseil doit s’inscrire dans une
politique identitaire plus large : « Tout ce qui est proposé ici pour nous permettre de
nous distinguer davantage sur ce plan [intellectuel et spirituel] doit recevoir l’approba-
tion de l’Assemblée4. » D’autres députés du Fianna Fáil expriment plus explicitement
leurs craintes empreintes d’anti-intellectualisme : pour eux, la culture, c’est « un jeune
homme décoiffé avec une barbe accompagné d’une jeune femme en sandales, tous
deux béats devant un Picasso, surtout si le tableau est accroché à l’envers5 ». le Fine
Gael, auteur de cette loi, est plus proche de la conception keynésienne de la mission
de l’Arts Council : John A. Costello cite le rapport bodkin qui dit que l’État doit
soutenir les beaux-arts, la culture cultivée, pour leur faculté d’exaltation intellectuelle,
spirituelle, morale et même civique : « le bon citoyen ne sera jamais indifférent à
l’art ; il incitera ses dirigeants à soutenir l’art... [...] nous dépendons des œuvres d’art
pour quasiment tout élan vers l’élévation de l’esprit et la noblesse d’action qui ne
nous est pas fourni par le patriotisme ou la religion6. »
le compromis irlandais est trouvé. Alors que l’Arts Council de John Maynard
Keynes vise à « promouvoir une meilleure connaissance, compréhension et pratique
des beaux-arts exclusivement7 », l’Arts Council irlandais doit « stimuler l’intérêt de la
population pour les arts et promouvoir la connaissance, l’appréciation et la pratique
artistiques8 ». le conseil est aussi mis en place pour appliquer les recommandations
du rapport bodkin dont l’orientation générale est en faveur des arts visuels dans le
but de redresser la prééminence historique des formes sonores et verbales. Pour que
son rapport attire enfin l’attention du gouvernement (il s’y était essayé depuis 19),
omas bodkin préconise le développement « en accord avec la tradition ancienne »
des facultés visuelles des Irlandais, à travers les musées et l’art industriel. Cette
expression visuelle servirait à donner une meilleure image de l’Irlande à l’étranger.
la musique et le théâtre seront soutenus plus tard, lorsque les formes visuelles auront
été encouragées. Acquis pourtant à cette cause de promotion de l’art visuel dans une
optique qu’on ne peut pas encore qualifier de marketing, lorsqu’il inaugure le conseil
début 195, Éamon de Valera déplace encore l’accent des arts vers la culture de façon
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plus large et particulariste : la mission doit être de « redonner à notre peuple l’intérêt
qu’ils avaient autrefois pour les choses de l’esprit et de les encourager pour que notre
pays acquière la place qui lui revient dans tous les domaines de la culture9 ».
Concernant enfin le degré d’investissement de l’État, cette « stimulation » ne doit
pas, selon Éamon de Valera, être un fardeau financier10, mais il est nécessaire que
l’État assume ce rôle de mécène que les donateurs privés ne peuvent continuer de
tenir11. Tous s’accordent sur un rôle de mécène de la part du nouvel organisme. Ainsi,
l’Arts Council reçoit pour commencer à travailler en tout et pour tout 1 100 livres.
Il n’est pas surprenant alors que pendant les premières années d’existence de l’Arts
Council, une opposition éclate entre tenants de la culture cultivée (musique, littéra-
ture, beaux-arts) autour de ses trois premiers directeurs, Patrick J. little (1951-1956),
Seán Ó Faoláin (1956-1959) et Donal o’Sullivan (1960-1975), et tenants de la
revendication identitaire autour d’Éamon de Valera. Malgré l’orientation fournie par
le gouvernement en faveur des arts visuels, on a une approche très personnalisée de
la politique artistique qui donne lieu à des accusations d’élitisme et de manque de
transparence dans la gestion de fonds publics. De manière prévisible, Patrick J. little
met dans un premier temps l’accent sur la musique, domaine qu’il privilégie et qu’il
pense être aussi la forme artistique privilégiée de la population. Toutefois, en même
temps, il stimule la participation locale et l’activité amateur. Comme en Grande-
bretagne, il s’agit de développer des local Advisory Committees dans cinq centres
régionaux, mais même cette tentative de décentralisation n’aboutit pas encore dans
les années 1950, faute de définition précise des prérogatives. Toutefois, pour sortir
la vie culturelle de Dublin, des festivals artistiques et culturels d’envergure sont créés
à cette époque : le festival d’opéra de Wexford en 1951, le festival de musique et de
danse An Tostál1 en 1953, le festival de cinéma de Cork en 1956 et le festival de
théâtre de Dublin en 1957.
Un recentrage vers les arts visuels s’opère au milieu des années 1950 avec une
hausse significative de la subvention de l’Arts Council dans ce domaine. Des manifes-
tations ont lieu pour promouvoir l’art industriel, la sculpture, l’architecture ; il envoie
des étudiants se former à l’étranger, achète des tableaux d’artistes irlandais. Malgré
ces initiatives, c’est toujours la musique qui reçoit la plus grande proportion des
subventions. En effet, dans le rapport annuel de l’Arts Council de 1963-1964, on lit
que depuis 1951, la musique a reçu 1,6 % des subventions, le théâtre 1,1 %, la
peinture 18,1 %, le dessin industriel 8,6 %, la sculpture 3,7 % et l’architecture 3,4 %.
Sous la direction de Seán Ó Faoláin, de façon prévisible encore une fois, c’est la
littérature qui est privilégiée13. En 1960, pour tenter de réorienter de nouveau la
98
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politique artistique de l’Arts Council vers les arts visuels, Donal o’Sullivan, expert
en la matière, en est nommé directeur ; des initiatives importantes sont prises alors
dans ce domaine14. l’Arts Council œuvre en même temps à sensibiliser le public à
l’art moderne en cofinançant des achats de tableaux pour les galeries et les bâtiments
publics et en organisant l’exposition d’art moderne la plus importante que l’Irlande
ait connue, appelée « rosc », en 1967-1968. la fréquentation des musées fait un
bond15.
Aux prises avec le choix de formes culturelles à soutenir et avec la question de
savoir s’il faut encourager davantage l’activité professionnelle ou amateur, l’Arts
Council est pendant presque trente-cinq ans le seul décideur en matière de soutien
à la culture. Il est sous les feux des projecteurs ; les sceptiques l’attendent au tournant.
Il a en effet des difficultés à asseoir sa légitimité dans l’opinion publique qui n’y voit
qu’un groupe de personnes œuvrant selon des priorités éloignées de celles du public.
les activités des premières décennies sont émaillées de controverses : en 196 par
exemple, il cautionne la démolition de constructions géorgiennes pour l’agrandisse-
ment des bureaux de l’Electricity Supply Board (équivalent irlandais de l’EDF16). Au
même moment, en 1966, il fait des difficultés pour recevoir le legs de la maison du
metteur en scène Sir Tyrone Guthrie supposée servir de retraite à des artistes. Enfin,
on reproche à l’Arts Council de ne pas soutenir la musique traditionnelle. Il ne peut
plus vivre dans sa tour d’ivoire − telle est la nouvelle réalité qui s’impose à partir des
années 1970.
14. le gouvernement s’intéresse alors aux arts visuels. Après la construction de la gare routière busáras,
terminée en 1953, qui est le premier bâtiment de style bauhaus en Irlande, il s’agit de moderniser les pra-
tiques de design. C’est l’objet d’un rapport publié en 196 par des experts scandinaves appelé Design in
Ireland ou Kilkenny Report qui conclut que « dans les domaines visuel et artistique, l’écolier irlandais se
range parmi les cancres en Europe » (Irish Export board, Design in Ireland: Report of the Scandinavian
Design Group in Ireland, Dublin, An Córas Tráchtala, 196, p. 49). C’est alors que s’ouvrent les Kilkenny
Design Workshops qui créent un design irlandais destiné à trouver sa place tant dans les objets quotidiens
que de luxe. la même année se crée un Council of Design. Puis, dans les années 1970, l’oPW, sous la direc-
tion de son architecte principal raymond McGrath, achète plusieurs tableaux d’art moderne irlandais
pour les ambassades et consulats à l’étranger.
15. e Arts Council, Annual Report 1963-1964, Dublin, e Arts Council, 1964, p. 1.
16. brian P. Kennedy, Dreams and Responsibilities, Dublin, e Arts Council, 1990, p. 139.
17. John Turpin, A School of Art in Dublin Since the Eighteenth Century, Dublin, Gill & Macmillan, 1995,
p. 458.
99
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18. Dáil Éireann, Seanad Debates, vol. 71, 11 novembre 1971, col. 1113-1174.
19. Ibid., 1 novembre 1971, col. 1185-1186.
0. Alexandra Slaby, “From Enhancement to Investment: Cultural Discourse in Ireland since 19”, dans
olivier Coquelin (ed.), Political Ideology in Ireland: from the Enlightenment to the Present, Cambridge,
Cambridge Scholars Press, 009.
1. En 1975 en effet, Bord na Móna (Peat Board, qui régit la production de tourbe) veut détruire des cons-
tructions géorgiennes classées. le ministre du Gouvernement local donne sa permission, mais l’Arts Coun-
cil s’y oppose fermement également par voie de presse et triomphe, ce qui rehausse son image après le
fiasco de l’ESb en 196.
300
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197 et 198, elle sera multipliée par 48. En même temps, en 1976, l’Arts Council
soutient pour la première fois le jazz et la musique traditionnelle. En 1984, dans le
domaine de la pratique amateur, il soutient la création du réseau Community Arts
For Everyone (CAFE) et, en 1985, du projet Arts Community Education (ACE).
Poursuivant son entreprise de démocratisation de la culture, l’Arts Council se lance
à partir de 1986 dans une politique de concertation avec le ministère de l’Éduca-
tion3, mais il n’en ressort rien. C’est là une difficulté quasi insurmontable en Irlande
que l’intégration de ces deux domaines de politique publique. Cette approche de la
démocratisation par l’éducation est de plus en plus en conflit avec une démocratisa-
tion par le tourisme culturel.
Face à la prédilection constante du Fine Gael pour les beaux-arts et l’enseigne-
ment artistique, un autre discours se fait entendre de façon de plus en plus insistante,
celui du ministre Fianna Fáil des Finances puis le Taoiseach Charles Haughey, mécène
des arts, ami de François Mitterrand. l’homme de l’exemption fiscale sur les revenus
de la création artistique (loi de finances de 1969), d’Aosdána (1981, système de
bourses sur cinq ans pour les artistes ayant apporté une contribution remarquable à
la vie culturelle du pays) et de l’Irish Museum of Modern Art voit dans la culture, par-
delà la création et la participation, un véhicule de communication identitaire.
Même s’il entend « encourager sans contrôler4 », Charles Haughey affiche peu à
peu une volonté de mainmise directe sur la culture en souhaitant que l’Arts Council
passe sous la tutelle du ministère des Finances et que ses membres soient tous choisis
par le ministre. Il s’agit ensuite pour Charles Haughey de passer de mesures ponctuel-
les à une administration planifiée sur le modèle des politiques publiques existantes :
le gouvernement ne peut plus délaisser les « besoins spirituels et culturels » ni accepter
« de la planification économique et du laisser-faire culturel5 ». En même temps, Mary
robinson appelle à une intégration de la culture dans les politiques publiques6, à
commencer par un resserrement des liens entre l’Arts Council et le ministère de
l’Éducation. Dans le rapport de l’Arts Council de 1975, le mot policy apparaît pour
la première fois explicitement, de même que l’idée de développement. Afin de
démocratiser toujours plus l’accès à la culture, les collectivités locales doivent
également relayer l’offre culturelle sur tout le territoire7.
Une étape supérieure est franchie dans l’institutionnalisation des rapports État/
culture lorsqu’en 198 est créé le poste de secrétaire d’État aux Arts et à la Culture
. Pour mieux comprendre ce que cette nouvelle réalité recouvre, voir Victoria White, “What Makes
Community Art so Different?”, e Irish Times, 0 mai 199.
3. e Arts Council, Annual Report 1986, Dublin, e Arts Council, 1986.
4. la formule restée célèbre est tirée d’un discours important de Charles Haughey sur la culture intitulé
Art and the Majority, prononcé en juillet 197 à l’université de Harvard, voir Martin Mansergh, e Spi-
rit of the Nation: e Speeches and Statements of Charles J. Haughey (1957-1986), Dublin, Mercier Press,
1986, p. 154.
5. Dáil Éireann, Dáil Debates, vol. 68, 17 octobre 1973, col. 6-63.
6.. Ibid., col. 1-34.
7. Voir par exemple “Dublin Gives £50,000 to Promote Culture”, e Irish Times, 10 janvier 1976 ;
“e Price of Culture”, e Irish Times, 16 mars 1976 sur les questions posées par l’utilisation de ces fonds
à partager entre bénéficiaires installés et émergents.
301
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8. Dick Walsh, “Culture Ministry Soon”, e Irish Times, janvier 198.
9. Voir, pour un point de vue adverse recommandant plutôt un système fiscal d’encouragement au mécé-
nat privé sur le modèle américain, Charles Acton, “Why We Don’t need a Minister for the Arts”, e
Irish Times, 10 novembre 198.
30. richard Pine, “Cultural Policy in Ireland”, e Irish Times, 4 janvier 1983.
31. “nealon not to Change Arts Policy”, e Irish Times, 4 mars 1983.
3. Ted nealon, Access and Opportunity. A White Paper on Cultural Policy, Dublin, e Stationery office,
1987.
33. Voir Declan Kiberd, “Ted nealon’s Parting Promise”, e Irish Times, 7 janvier 1987, et “letters to
the Editor. Access and opportunity. letter from Ted nealon”, e Irish Times, février 1987. Voir aussi
Michael Dervan, “Music and the White Paper”, e Irish Times, février 1987 qui dénonce la faiblesse
de l’engagement financier du gouvernement et l’absence de prise en compte des besoins éducatifs (écoles
de musique).
34. nuala o’Faoláin, “Art and Culture for All People”, e Irish Times, 6 août 1990 ; Fergus lenihan,
“Dublin Arts report”, e Irish Times, 7 octobre 1990.
30
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35. Dáil Éireann, Dáil Debates, vol. 40, 13 novembre 1990, col. 1107-1110. Voir aussi “Missed oppor-
tunity”, e Irish Times, 4 janvier 199, et un article contemporain de Fintan o’Toole, “Charlie Hau-
ghey’s Mystical Culture Club”, e Irish Times, 8 février 199, pour un bilan critique du rôle de Charles
Haughey dans le soutien à la culture (“Mr Haughey presided over policies that were crass, ill-conceived, vin-
dictive and just plain silly”). Voir aussi Fintan o’Toole, “How Charlie Came to be Painted as Patron of
the Arts”, e Irish Times, 10 février 007 où le commentateur se demande si Haughey n’a pas acheté
dans une certaine mesure le silence des artistes.
36. “Haughey links Sweeping Changes in Europe With Prospects of Irish Unity”, e Irish Times, 9 avril
1990.
37. Joe Jackson, “Sheer Art Attack”, e Hot Press, vol. 13, n° 1, 9 juin 1989, p. 35.
38. “Haughey Praises Arts Sponsorship for business”, e Irish Times, 15 octobre 1988.
39. Declan Kiberd, “Ministry of Culture With Vision Wanted”, e Irish Times, 4 octobre 1988.
40. Fianna Fáil et labour, Fianna Fáil and labour Programme for a Partnership Government 1993-1997,
Dublin, Fianna Fáil et labour, 199, p. 56.
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du budget de l’Arts Council de 1,5 à 0,8 millions de livres entre 1993 et 1997
complète le tableau d’une véritable renaissance culturelle.
Michael D. Higgins est nommé ministre. Intellectuel, sociologue et poète,
originaire de l’ouest de l’Irlande où, sur le campus de Galway, il a participé à
l’émergence d’un discours travailliste sur la culture dans les années 1970, il est le seul
en Irlande à parler de la culture dans la terminologie de la théorie critique. Il prône
l’accès de tous à « l’espace culturel » à l’intérieur et la défense de l’exception culturelle
en Europe, contre la réification de la culture et la colonisation de l’imagination. En
poste, il doit mettre en application les objectifs des fonds structurels et du programme
Interreg à travers des programmes nationaux41, ce qui oriente sa politique culturelle
vers le développement économique et social des régions de l’ouest de l’Irlande
(Gaeltacht), la préservation et la promotion du gaélique comme langue vivante, le
développement des institutions culturelles nationales, l’articulation d’une politique
nationale de l’audiovisuel et du patrimoine, et favoriser la renaissance du cinéma4.
En dehors de l’administration des programmes européens, c’est dans la radio-
diffusion et le cinéma, terrains d’application de son discours culturel, que se concentre
l’essentiel de son activité. Dans un climat d’urgence lié à la multiplication rapide des
concurrents aux chaînes de service public, et aux difficultés financières éprouvées par
l’émetteur national de service public, rTÉ, au début des années 1990, Michael D.
Higgins se préoccupe de la défense du service public. Un livre vert, Broadcasting in
the Future Tense, publié à cet effet en 1995, fournit un cadre en même temps que
l’occasion d’un débat public préparant la réforme de la législation. Est envisagée la
création d’une autorité qui contrôlerait à la fois rTÉ et le secteur indépendant et
œuvrerait à une meilleure prise en compte des intérêts des divers groupes de
population ayant été négligés43. Cette nouvelle Broadcasting Commission prendrait
alors le relais de l’Independent Radio and Television Commission (IrTC). Assurer
intégralement une mission de service public en Irlande nécessite la prise en compte
du public gaélophone. le Broadcasting Authority (Amendment) Act de 1993 prévoit
en effet l’établissement d’une chaîne de radiodiffusion en gaélique, Telefís na Gaeilge
(TnaG), qui émet à partir du 31 octobre 199644. En même temps, dans le cinéma,
la politique culturelle du ministère est couronnée de succès. Michael D. Higgins
rétablit l’Irish Film Board (créé en 1980 pour encourager la production de films
irlandais mais démantelé en 1987) par l’Irish Film Board (Amendment) Act de 1993.
Que son pot de départ soit célébré à l’Irish Film Centre est révélateur de son succès
dans ce domaine.
Comment l’Arts Council s’accommode-t-il de ce nouveau concurrent ? Contraire-
ment à la situation britannique, il n’y a pas d’ingérence du gouvernement dans ses
décisions. le ministère respecte le principe de l’« intervention à distance ». le
ministère approuve le premier Arts Plan soumis par l’Arts Council. la formulation
d’une politique culturelle modifie-t-elle les critères de soutien ? la lecture de ce plan
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montre qu’il s’agit à la fois d’encourager l’excellence et l’accès ; c’est le reflet des
hésitations qui criblent la politique artistique ou culturelle depuis le début. la gestion
des moyens reporte le temps des interrogations : le budget de l’Arts Council double
pendant le mandat de Michael D. Higgins, passant de 11,6 à 0,8 millions de livres.
Une impulsion nouvelle est alors donnée ; de nombreux projets apparaissent et le
secteur se professionnalise davantage.
Enfin, le mandat de Michael D. Higgins permet un dialogue avec la France au
moment de l’organisation du festival « l’imaginaire irlandais » au cours duquel les
visions irlandaise et française de la culture irlandaise à représenter s’affrontent. Ce
projet est lancé par Mary robinson et François Mitterrand au cours d’une visite
officielle à Paris en 199, lorsque la première émet auprès de son homologue français
le souhait de voir « lancer par la France un nouveau débat culturel et économique
présentant les nouvelles tendances et le monde changeant de l’Irlande45 » à travers
un « festival d’art et de culture irlandaise contemporaine46 ». Après de longs mois de
négociations, ce projet se concrétise enfin. Doireann ní bhriain, chargée de l’organi-
sation de ce festival côté irlandais, souhaite représenter un panorama de la culture
irlandaise contemporaine et dépasser sa représentation stéréotypique confinée à la
poésie et à la musique traditionnelle. Michael Grant, directeur du Comité mixte
d’organisation, précise cette vision : le but de ce festival est de mettre fin aux clichés
français sur l’Irlande et la conception française de l’art irlandais qui remonte aux
années 1950, et de représenter une Irlande nouvelle, dotée d’une imagination
nouvelle47. Des malentendus de traduction (entre « imagination » et « imaginaire »),
de formes culturelles à représenter (arts visuels ou littérature et musique) émaillent
la préparation de cet événement. les Irlandais souhaitent en effet organiser une
exposition collective d’art irlandais contemporain au Grand Palais, ou à beaubourg,
ou au musée d’Art moderne de la ville de Paris. Michael D. Higgins demande à son
homologue français Philippe Douste-blazy que des réalisateurs français et irlandais
se rencontrent à l’occasion du Festival de Cannes de 1996. Des conflits autour du
logo éclatent, entre tenants d’une vision contemporaine ou passéiste de la culture
irlandaise. Pour ce qui est du contenu culturel de ce festival, un autre malaise éclate,
car la France ne reçoit pas l’art irlandais contemporain à la hauteur des ambitions
irlandaises. Deux articles du Monde s’interrogent sur la difficulté des artistes
plasticiens irlandais, parents pauvres des écrivains et musiciens, à représenter la culture
irlandaise, et sur la capacité des arts visuels à représenter une identité en général, par
opposition au chant et à la poésie48. Cette mise à l’épreuve de cultures politiques et
45. Entretien avec Michel ricard, chef de projet au ministère de la Culture, le 9 janvier 003.
46. Association française d’action artistique (AFAA), l’Imaginaire irlandais. Festival de culture irlandaise
contemporaine, Paris, AFAA, 1996, p. 3.
47. Entretien avec Michael Grant le 9 octobre 00.
48. Valérie Cadet, « le Cercle de Minuit spécial Irlande », le Monde, 11 mars 1996, p. 8 et Geneviève
breerette, « libérés des tabous, les plasticiens irlandais explorent le devenir de leur île », le Monde, 4 juin
1996, p. 30. les événements qui ont le plus attiré l’attention du public sont littéraires ou musicaux, telle
la venue de Seamus Heaney et de riverdance. Dans le domaine de la poésie, cette manifestation a donné
lieu à de nombreuses traductions et à la publication d’une anthologie bilingue de la poésie irlandaise :
Jean-yves Masson (dir.), Anthologie de la poésie irlandaise du xxe siècle, 1890-1990, lagrasse, Verdier, 1996.
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d’imaginaires est riche d’enseignements quant au rapport au passé qui apparaît dans
de tels festivals culturels. En France, l’imaginaire irlandais ne peut se déployer sans
référence au passé. Une explication est fournie par lara Marlowe, correspondante de
l’Irish Times à Paris : dans les années 1990, à l’époque où la glorification des héros
du nationalisme est remise en question, célébrer le passé semble relever du conserva-
tisme et de la facilité49. Cette représentation contemporaine de la culture irlandaise
à l’étranger est en contraste avec les discours culturels à l’intérieur de l’Irlande qui
visent plutôt à protéger et mettre en valeur les piliers de la culture irlandaise. le but
de ce festival est clairement de célébrer l’innovation et la créativité de ce que certains
appellent déjà une « renaissance irlandaise50 ».
la période entre janvier 1993 et juin 1997 est un tournant dans les relations
entre l’État et la culture en Irlande. Michael D. Higgins a placé la culture au centre
de la politique publique51. Ainsi dotée d’une légitimité nouvelle, la culture reçoit des
investissements sans précédents et le sentiment se développe d’une confiance nouvelle
en l’identité culturelle irlandaise (sans pour autant la définir5). En même temps, la
culture commence à intéresser davantage le secteur privé. Un rapport d’évaluation
de la politique de Michael D. Higgins publié par Price WaterhouseCoopers53 donne
un tableau qui reprend des statistiques fournies par Cothú, l’organisme qui met en
relation les mécènes et les artistes. D’après ces données, la contribution du mécénat
aux arts a presque doublé entre 1993 et 199754. Cette nouvelle source de financement
soutient les événements culturels à forte image ou à haut prestige : arts visuels et
galeries (13,6 %), musique classique et contemporaine (13,5 %), théâtre (1 %),
musique traditionnelle et autres (10,5 %55). l’ère des partenariats publics-privés est
sur le point de commencer au moment où Michael D. Higgins est remplacé par la
porte-parole de Fianna Fáil pour les arts, Síle de Valera, petite-fille d’Éamon.
Après les élections de juin 1997, un gouvernement de coalition Fianna Fáil-
Progressive Democrats arrive au pouvoir. le Minister for Arts, Heritage, Gaeltacht and
the Islands (Powers and Functions) Act de 199756 confie au ministère ainsi renommé
− notons la disparition du mot « culture » − de nouvelles missions notamment en ce
qui concerne le patrimoine de l’ouest de l’Irlande, circonscription de la nouvelle
ministre. les relations avec l’Arts Council se tendent dans un contexte d’exigence
49. lara Marlowe, « Qu’est-ce qui passe ? », Irish Times, 3 mai 1996. “It is magnificent, it underlines
French cultural confidence, but there can’t help being the suspicion that non threatening cultures, such
as Irish culture, go down best, and that not many preconceptions are open to change”.
50. luke Clancy, “How real a renaissance in the Arts?”, e Irish Times, 1 juin 1996 et Alan riding,
“e Arts Find Fertile Ground in a Flourishing Ireland”, e New york Times, 1 décembre 1997.
51. Entretien avec Michael D. Higgins le 15 mai 001.
5. Paddy Woodworth, “e best of Times… but beware”, e Irish Times, janvier 1997.
53. Indecon International Economic Consultants in association with PriceWaterhouseCoopers, Succee-
ding Better. Report of the Strategic Review of the Arts Plan 1995-1998, Dublin, e Stationery office, 1998.
54. Elle s’élève à 5, millions de livres en 1993, 7,4 millions en 1995 pour atteindre 10, millions en
1997.
55. Cothú publie un rapport le 18 juin 1998 qui révèle que le mécénat d’entreprise en Irlande est plus
élevé en pourcentage du PIb que dans huit autres pays d’Europe. Eibhir Mulqueen, “Cothú Hails IEP10.m
Support », e Irish Times, 19 juin 1998 : c’est le mécénat qui a lancé riverdance.
56. Dáil Éireann, Dáil Debates, vol. 483, 0 novembre 1997, col. 316-335.
306
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57. Emer Mcnamara, “Has the Arts Council Grown Up Too Fast ?”, e Irish Times, 1 octobre 1999.
58. “Arts Council Crisis”, e Irish Times, 3 octobre 1999.
59. “A Plan for the Arts”, e Irish Times, 8 août 000. Medb ruane, “State Control of the Arts is Kiss
of Death”, e Irish Times, 11 août 000.
60. nuala Ó Faoláin, “Art for Art’s Sake leaves Public out in the Cold”, e Irish Times, 30 juin 1997.
61. Síle de Valera, “Arts the Common Currency of All our People”, e Irish Times, 7 août 000.
6. Doireann ní bhriain, Festivals and the Arts Council. A Review of Policy, Dublin, e Arts Council,
00. Ce rapport révèle un manque de formation et de professionnalisation dans le secteur.
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européenne comme une menace pesant sur « notre identité, notre tradition et notre
culture uniques63 », sans définir davantage cependant ce qu’elle entend par là. En
cela, elle fait écho à Mary Harney, Tánaiste (vice-premier ministre), qui déclare lors
d’une réunion de juristes irlandais et américains en juillet 000 que si, géographique-
ment, l’Irlande est plus proche de berlin, spirituellement elle est plus proche de
boston. les Irlandais adhèrent à cette vision. En dehors des fonds structurels
européens qui s’appliquent au patrimoine, l’Irlande est censée participer à d’autres
programmes mis en place entre 1996 et 1999 tels que Kaléidoscope pour les projets
de coopération culturelle, Ariane pour les livres et la lecture et la traduction, et enfin
raphaël pour le patrimoine. Concernant le programme Kaléidoscope, il s’avère que
l’Irlande n’y représente que ,8 % des projets, pour Ariane, 1,9 % et enfin pour
raphaël, le chiffre passe à 0,6 %64. l’Eurobaromètre confirme le sentiment que les
Irlandais ne se sentent pas culturellement européens : l’Irlande se distingue par son
scepticisme quant à une identité culturelle européenne commune65. les Irlandais se
reconnaissent plutôt dans une culture occidentale commune à l’Europe et aux États-
Unis. les implications pour la culture sont une mise à distance du cadre de référence
européen et de la place de la culture parmi les politiques publiques.
En même temps que la ministre opère un glissement vers l’ouest dans sa vision
de la culture irlandaise, l’Arts Council est en difficulté en 00 et 003. le finance-
ment devient plus difficile à obtenir. Une gouvernance plus rationnelle et profession-
nelle doit régner dans tout le milieu artistique ; c’est la condition pour accéder à l’aide
de l’Arts Council. Pour qui satisfera ces critères, les bénéfices sont avantageux : passage
d’un financement ponctuel à un investissement pluriannuel et possibilité de planifier
à moyen terme. Dès 000, 30 % des organismes financés par l’Arts Council sont passés
à un financement pluriannuel. Au même moment, il entame les premières études
d’impact de ses actions : e Creative Imperative66 étudie les effets du soutien de l’Arts
Council aux artistes tandis que A Comparative Study of Arts Expenditures in Selected
Countries67 en replace les contributions dans un contexte plus large.
le mandat de Síle de Valera offre enfin l’occasion d’un débat sur les modalités
de reconnaissance des éléments dits « traditionnels » de la culture irlandaise. Ce débat
est entamé en 000 lorsque la ministre présente un document qui doit servir de cadre
à la législation, Towards a New Framework for the Arts68. Dans ce document, une des
questions soulevées allait marquer le reste de son mandat : la pertinence d’établir un
conseil séparé pour les arts traditionnels, en réponse à un prétendu préjudice
63. Fintan o’Toole, “Code Words Disguise the left v right Debate”, e Irish Times, 3 septembre 000.
64. la Commission européenne tire cependant le bilan mitigé d’une « logique de saupoudrage ». Voir le
rapport du sénateur Maurice blin, l’Europe et la culture, p. 13.
65. Eurobaromètre, European Cultural Values, bruxelles, Direction générale de l’Éducation et de la Culture
de la Commission européenne, 007.
66. Anthony Everitt, e Creative Imperative, Dublin, e Arts Council, 000.
67. e Arts Council, A Comparative Study of levels of Arts Expenditure in Selected Countries and Regions,
Dublin, e Arts Council, 000.
68. e Department of Arts, Heritage, Gaeltacht and the Islands, Towards a New Framework for the Arts.
A Review of Arts legislation, Dublin, e Stationery office, 001.
308
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historique. Même si un fort consensus s’exprime contre cette initiative, le débat est
néanmoins amorcé et se poursuivra sous le mandat de son successeur.
69. Department of the Taoiseach, Taoiseach’s Press releases, “Taoiseach’s Appointment and the Motion
for Approval of his nominations to Government”, 00.
70. Arts Bill 00, article 5, paragraphe 3.
71. Voir robert o’byrne, “Foreign Affairs of a Cultural Kind”, e Irish Times, 18 janvier 199, pour un
aperçu comparatif de la diplomatie culturelle en Irlande et à l’étranger.
7. Un séminaire public est organisé au printemps 001 à Dún laoghaire par la firme internationale d’au-
dit PriceWaterhouseCoopers.
73. Article 6, paragraphe 1.
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74. Voir pour les réactions à cette initiative “Cultural Identity”, e Irish Times, 6 février 005.
75 Deirdre Falvey, “€50,000 Cap Hits only Top-Earning Artists”, e Irish Times, 8 décembre 005.
76. e Arts Council, e Arts Plan, Dublin, e Arts Council, 00.
77. Id., Partnership for the Arts. Arts Council Goals 2006-2010, Dublin, e Arts Council, 005.
78. Deirdre Falvey, “new ArtsSstrategy Emphasises Grassroot Art”, e Irish Times, 15 décembre 005.
79. rosita boland, “Tidings of Financial Comfort for Arts Groups”, e Irish Times, 4 décembre 004.
310
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sur mesure dans son financement. Pour y accéder, avec le soutien d’une nouvelle
Artists’ Supports Team, il aide les artistes en matière de développement professionnel
et de partenariats par le mentoring.
Si l’on compare ce mandat avec les précédents, les effets du rapprochement entre
les arts et le tourisme sont tangibles. le ministère ne pense plus dans un cadre
culturel. En revanche, il investit massivement dans les infrastructures pour élargir
leur fréquentation par des groupes sociaux nouveaux, irlandais ou étrangers. l’Arts
Council met en place un dispositif pour aider le développement des festivals, surtout
des petits par un small festivals scheme en 005. Toujours hors des lieux habituels de
transmission culturelle, la réflexion s’organise sur les community arts. Arts de la rue,
spectacles de rue, et cirque font aussi l’objet d’une politique pour la première fois en
006. l’Arts Council note qu’en 007 le rythme du développement des arts au niveau
local s’est accéléré : c’est là où se situe la plus forte croissance80. Dans sa nouvelle
stratégie d’accompagnement, il doit s’adapter au fait que les Irlandais, en dépit de la
politique culturelle du gouvernement, ont tendance à bouder les institutions
culturelles formelles au profit de l’informel et du plein air81. À mesure que l’on avance
dans les années 000, la politique culturelle irlandaise semble s’ancrer davantage dans
le local et les différents impacts sociaux ou économiques.
le fossé semble s’accroître alors entre culture savante et culture populaire, résultat
probable de l’absence de conception intrinsèque de la culture au niveau gouverne-
mental, et de l’orientation vers le marketing et le tourisme de la politique culturelle
du ministère. C’est pourquoi les résultats d’une étude sur les pratiques culturelles des
Irlandais en 006 sont décevants au regard de cinquante ans de soutien public à la
culture et d’une augmentation de 400 % du financement depuis 1994, date de la
précédente étude8. Depuis 1994, en effet, l’offre culturelle s’est développée sur tout
le territoire (entre 004 et 005 seulement, les dépenses artistiques des collectivités
locales ont doublé), les changements socio-économiques et les fonds structurels
européens ont apporté davantage de moyens à la population et ont considérablement
amélioré les conditions d’accès à la culture (17 % en 006 ont eu des difficultés à
accéder à un événement culturel, contre 73 % en 1994), le niveau d’études s’est élevé.
l’attitude est très positive vis-à-vis du rôle à jouer par la culture dans la société
moderne (90 % des personnes interrogées), mais les Irlandais ont tendance à bouder
les théâtres, salles de concert et musées pour les cinémas multiplexes, concerts de
rock et autres festivals en plein air. En 006, ils préfèrent toujours fréquenter les
multiplexes et les concerts de rock, quand ils ne regardent pas la même chose chez
eux en DVD. Malgré une politique culturelle basée sur l’offre et l’accès, la population
s’éloigne des formes artistiques subventionnées vers des genres plus commerciaux et
populaires. les Irlandais se désintéressent des genres musicaux tels que le jazz/blues
(baisse de fréquentation de 11 % à 7 % de la population interrogée), la musique
classique (de 9 % à 7 %) et de l’opéra (de 6 % à 4 %). En France, cette fréquentation
80. e Arts Council, Annual Review 2007, Dublin, e Arts Council, 007.
81. Hibernian Consulting, e Public and the Arts 2006, Dublin, e Arts Council, 006.
8. Ibid.
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Conclusion
le choix d’institutions sur le modèle britannique n’a pas signifié la souscription
aux concepts ou idéologies qui ont pu présider à ce choix en Grande-bretagne.
l’Irlande a eu beau se doter des mêmes institutions que la Grande-bretagne pour
administrer la culture (Arts Council, secrétariat d’État, ministère), ce choix est
purement pragmatique (proximité du modèle et facilité d’observation, coût moindre
qu’un ministère). l’Irlande a aussi mis ces institutions au service de ses propres fins :
la promotion d’une Irlande à l’aise dans les formes traditionnelles, démocratiques et
informelles de la culture. Et à la différence de la Grande-bretagne, l’Arts Council est
perçu comme légitime par l’opinion publique et ne souffre pas des mêmes interféren-
ces politiques que son homologue voisin qui est même menacé dans son existence.
l’ambiance culturelle est différente en Irlande. l’État est bien devenu le mécène
principal, ce qui est le reflet de la personnalisation de la politique culturelle irlandaise,
laquelle est avant tout le fait d’individus qui ont entrepris de défendre des causes qui
leur étaient chères − théâtre, littérature, musique. les premières années d’existence
83. http://www.tns-sofres.com/etudes/pol/70605_musique.pdf
84. John burns, “We’ve built it ; Why Won’t ey Come ?”, e Value of the Arts, Dublin, e Arts Coun-
cil, 006.
85. Ian Kilroy, “e Feel-Good Gulag”, e Value of the Arts, Dublin, e Arts Council, 006.
31
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de l’Arts Council avec Patrick J. little donnent le ton d’une conception de la politique
culturelle qui s’articule et s’organise autour de Mary robinson, Charles Haughey
puis Michael D. Higgins. le mécénat, forme préférée de soutien aux arts et à la
culture, n’est pas transformationnel et il n’est pas normatif. Il est exigeant en matière
de niveau artistique, et il sert des fins de prestige (du rayonnement national à l’image
de l’entreprise), mais il n’a pas vocation à se préoccuper de l’autre extrémité du canal
culturel : le public, qui devrait être le but intrinsèque de la politique culturelle, mais
qui est de plus en plus oublié au profit des bénéfices collatéraux.
Une explication à cette situation réside dans la difficulté pour les arts de trouver
la place qu’ils ont ailleurs dans le système éducatif. Cette situation singularise
l’Irlande. lors du remaniement du portefeuille du ministère des Arts en 00 au
nom d’une meilleure intégration dans les politiques publiques de l’État, il aurait pu
être judicieux de placer les arts au sein du ministère de l’Éducation ; la coopération
entre les deux venait en effet de s’amorcer. l’association des arts au tourisme et au
sport n’est pas une simple juxtaposition : la mission du ministère montre clairement
qu’il s’agit de faire une seule et même politique pour les trois volets ; il n’est pas
étonnant alors que la politique culturelle parle le langage de la politique touristique.
Une autre explication réside dans la difficulté en Irlande de concevoir intellec-
tuellement la culture. l’importance d’un cadre de référence intellectuel sur la culture
pour concevoir la politique culturelle se mesure pleinement ici. l’Irlande est loin,
géographiquement et conceptuellement, des écoles de pensée sur la culture fournies
par les sciences sociales : la culture comme facteur de lien social (école française),
comme facteur d’émancipation (cultural studies). En revanche, le discours culturel
irlandais s’accommode bien du discours postmoderne de la culture − pas une
postmodernité de fin à la française, mais une postmodernité joyeuse et enthousiaste
des possibilités de ses juxtapositions et collages. Dénué de projet transformationnel
ancré dans une tradition intellectuelle plus large, le discours culturel qui émerge est
plutôt fondé sur l’observation et la réaction.
Ainsi, le discours politique sur la culture est marqué de façon constante depuis
la fin de la Seconde Guerre mondiale par la préservation de l’identité culturelle. Plus
que des arts, les politiques se préoccupent de culture au sens de la somme des
éléments de l’identité culturelle. le souci du Fianna Fáil, l’auteur principal par la
force des choses de la politique culturelle irlandaise, a toujours été, du moins à
l’intérieur, d’enraciner la population dans son patrimoine culturel matériel ou
immatériel où elle pratiquerait des formes culturelles indigènes informelles, hors des
institutions culturelles urbaines. Patrimoine, festivals et médias sont devenus les
pierres d’angle de la politique culturelle du Fianna Fáil qui est resté attaché à cet
idéal populaire avec une continuité remarquable. Il n’est pas étonnant alors que
lorsqu’il restaure, à grands renforts de financements européens, ses musées et ses salles
de spectacle, le public ne se bouscule pas aux portillons.
Alors qu’on assiste au passage de la subvention à l’investissement, de la planifi-
cation au partenariat, peut-on mesurer l’impact de cette nouvelle logique entrepre-
neuriale sur la vie culturelle irlandaise ? Sans masse critique faisant des choix culturels
informés, on peut craindre que l’encouragement à cette nouvelle forme de soutien à
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la culture aille dans le sens des préférences du marché et amène à soutenir les indus-
tries culturelles qui n’ont pas besoin de soutien de par leur nature commerciale. Alors,
si on suit cette logique jusqu’au bout, l’existence d’un ministère est-elle justifiée ? Elle
est remise en question en 009 par un rapport d’économistes proposant une réparti-
tion des coupes budgétaires dans les différents secteurs d’activité du gouvernement86.
le ministère étant devenu un simple distributeur de subventions d’après ce rapport,
il est proposé de l’abolir tout en conservant l’Arts Council et de répartir ses prérogati-
ves culturelles au sein d’autres ministères, dans une situation qui ressemble beaucoup
à celle qui prévalait avant la création du ministère en 1993.
l’impression qui se dégage est celle de l’arrivée à la fin d’un cycle. on voit aussi
les dangers pour la culture de se justifier par ses retombées économiques. C’est le
discours qui prévaut depuis Síle de Valera. En effet, tous les acteurs de la politique
culturelle − sauf Michael D. Higgins, the fly in the cultural ointment, le cheveu sur la
soupe culturelle87 − parlent le même langage économique. Cela a pu constituer un
argument fort pour attirer davantage de subventions et d’investissements privés, mais
en temps de crise, la dépendance de la culture vis-à-vis de l’économie a été une
fragilité. En effet, alors que dans d’autres pays (royaume-Uni, États-Unis, France,
Allemagne), les subventions à la culture sont constantes ou en hausse pour soutenir
le secteur, en Irlande elles ont fortement baissé. Cependant, tout n’est pas à recons-
truire ; les infrastructures sont là, toutes neuves. En revanche, l’occasion est donnée
de sortir la culture de l’instrumentalisation et de développer les moyens éducatifs et
critiques pour que la population y vienne de façon informée, et ce pour des raisons
intrinsèques.
86. An bord Snip nua, Report of the Special Group on Public Service Numbers and Expenditure Programmes,
Dublin, e Stationery office, 009.
87. Eilis o’Hanlon, “Minister for Power-Grabbing”, e Sunday Independent, 19 décembre 1993.
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Antonella GIoLI*
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à l’État, sur le patrimoine religieux, le patrimoine privé de grande valeur et sur l’art
contemporain. Ses services déconcentrés consistent en cinquante-deux « surinten-
dances » (aux antiquités, aux monuments, aux galeries) réparties sur tout le territoire
à un niveau supraprovincial9. Cette direction contrôle, en outre, trois institutions
autonomes d’art et d’architecture contemporains dont elle est le principal financeur :
la Biennale de Venise, la Triennale de Milan, la quadriennale de Rome10.
Les organismes consultatifs du ministère sont, eux, en revanche, significativement
modifiés. La politique centralisatrice de Giuseppe Bottai les avait réunis en un seul
organisme, le Conseil national de l’éducation des sciences et des arts, composé de
membres choisis par le ministère et de représentants des partis politiques.
En 1947, on recrée des conseils spécifiques, parmi lesquels le Conseil supérieur
des antiquités et des beaux-arts et le Conseil supérieur des académies et des biblio-
thèques11, auxquels participent à parité des membres choisis par le ministère, des
membres élus par le personnel technico-scientifique issu des institutions concernées
par l’univers académique et institutionnel et des représentants de la recherche
scientifique et technique. Ces conseils sont donc des lieux de discussion qui rassem-
blent un personnel hautement qualifié ; mais ils n’ont qu’un pouvoir consultatif.
Bref, se met en place une administration complexe aux compétences très larges ;
l’archéologue Ranuccio Bianchi Bandinelli, directeur général des antiquités et des
beaux-arts de 1945 à 1947, avait bien tenté de la réformer mais il s’était heurté à
« l’indifférence générale de nos institutions politiques envers ces problèmes12 » ; le
ministre concerné lui aurait en effet répondu : « Ne vous faites pas d’illusion, votre
secteur ne pourra jamais avoir des moyens suffisants car il n’est pas payant
électoralement13. »
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14. D.lgt (décret luogotenenziale) 3 juillet 1944, no 163 ; D.lgt 12 décembre 1944, no 407.
15. D.lgt 5 octobre 1945, no 678.
16. Loi 16 mai 1947, no 379.
17. Référence au film Il divo de Paolo Sorrentino, Italie, 2008.
18. Cette lettre fut envoyée à toute la presse italienne mais elle fut reportée dans son intégralité unique-
ment par les quotidiens d’opposition comme l’Unità.
19. Pour le manifeste, voir L. quaglietti, Storia economico-politica del cinema italiano 1945-1980, Rome,
1980, p. 55-57.
20. Loi 29 décembre 1949, no 958 (appelée loi Andreotti).
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21. Les données budgétaires, dont les montants sont arrondis, sont le fruit du dépouillement d’actes par-
lementaires, Documenti, Bilanci del Ministero della pubblica istruzione, sous différentes législatures, ad
annum. Sauf indication contraire, les montants cités sont en « lire italienne ».
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Si les budgets ordinaires des deux directions montrent dans l’ensemble une
augmentation constante (celui de la Direction générale des antiquités et beaux-arts,
passe de 2 500 millions en 1948-1949 à 4 780 millions en 1951-1952, à 5 200 mi-
llions en 1952-1953 et à plus de 5 820 millions en 1953-1954), il faut noter que le
budget de la Direction générale des académies et bibliothèques ne représente que le
quart du budget de l’autre Direction (en 1948-1949, 517 millions face à 2 500 mil-
lions ; en 1952-1953, 1 353 millions face à 5 200 millions).
De plus, cet accroissement n’est pas le fruit d’un dessein d’ensemble mais résulte
de la concentration des ressources sur certains chapitres du budget tandis que la
plupart d’entre eux restent stables ou connaissent des augmentations imperceptibles,
parfois même inférieures à la dévaluation. La plus grande partie des financements est
absorbée par les dépenses de personnel – même si celui-ci est toujours en sous-
effectifs, surtout en ce qui concerne le personnel technique, et laisse peu de moyens
d’intervention aux services.
Les dotations exceptionnelles ont un poids considérable et représentent certaines
années le quart du budget ordinaire des deux Directions générales. Le premier
financement va aux « restaurations et réparations des dommages de guerre touchant
aussi bien aux biens mobiliers qu’immobiliers d’intérêt artistique, archéologique et
livresque » : de 700 millions en 1947-1948, il s’accroît jusqu’à 1 470 millions en
1952-1953 et en 1953-1954 pour ensuite redescendre rapidement à 572 millions en
1956-1957.
La priorité donnée aux dotations exceptionnelles va favoriser longtemps l’affirma-
tion d’une politique de l’urgence, au détriment d’une planification programmée des
interventions. L’art contemporain est particulièrement pénalisé : les fonds, limités,
sont absorbés en grande partie par le fonctionnement de la galerie nationale d’art
moderne de Rome, et négligent les acquisitions, les aides, les contributions pour des
expositions, ainsi que le soutien aux biennales, triennales et quadriennales.
Ce domaine fait aussi probablement les frais du difficile rapport entre l’art
contemporain et le pouvoir : certes après la tentative, par le régime fasciste, d’un
dirigisme artistique, succéda le principe affirmé par la nouvelle constitution de la
liberté de l’art22 ; mais en 1945-1947, on assista à un affrontement entre l’écrivain
Vittorini et le secrétaire du PCI Togliatti sur la question de la primauté ou non de la
culture sur la politique ; naquit également un débat entre abstraction et réalisme, et
les polémiques dans la presse furent fréquentes à propos des rares acquisitions d’art
contemporain par l’État, comme celles qui eurent lieu lors de la Biennale de 1954.
22. « Article 33. L’art et la science sont libres et leur enseignement est libre également. »
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23. Voir Ministère de l’Instruction publique, Direction générale des antiquités et des beaux-arts, La ricos-
truzione del patrimonio artistico italiano, Rome, 1950.
24. Id., Musei e gallerie d’arte in Italia, 1945-1953, Rome, 1953.
25. R. Salvini, « Il nouvo ordinamento della Galleria degli Uffizi degli architetti I. Gardella, G. Miche-
lucci, C. Scarpa », dans Casabella-Continuità, février-mars 1957, no 214.
26. Dans Ministère de l’Instruction publique, Direction générale des antiquités et des beaux-arts, Annua-
rio dei musei e gallerie d’Italia, Rome, 1950, en sont recensés 529 entre les musées nationaux et les musées
municipaux et quelques-uns ayant statut moral ou privé, en ne prenant pas en considération ceux du Vati-
can. Pour la politique de la billetterie, voir A. Emiliani, « L’arte a pagamento », dans Dal museo al territo-
rio 1967-1974, Bologne, 1974.
27. Voir Ministère de l’Instruction publique, Direction générale des antiquités et des beaux-arts, Atti del
Convegno di Museologia organizzato in collaborazione con l’Accademia Aamericana in Roma, 18-20 mars
1955, Pérouse, 1955.
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La diffusion du livre
Un autre grand domaine d’intervention de la politique culturelle italienne, qui
s’appuyait sur une tradition bien enracinée, fut celui du livre et des bibliothèques.
Après que les interventions sur environ 300 bibliothèques et sur les collections
endommagées par la guerre furent terminées en 1954, l’État et les collectivités locales
développèrent un réseau national articulé qui eut des conséquences positives sur le
développement des éditions italiennes et sur celui d’un service public de la lecture.
Ce programme se fondait sur les 92 bibliothèques des chefs-lieux qui s’appuyaient
elles-mêmes sur des réseaux fixes (bibliothèques réduites ou « lieux de prêt ») ou
mobiles (bibliobus, autocars…) ; une large distribution du livre devait ainsi être
assurée dans toutes les zones de la province. Ce réseau prévoyait aussi d’intégrer en
son sein la centaine de bibliothèques populaires « spontanées ». La réalisation de ce
plan, complexe et général, fut lente : en 1956, le service public de lecture était présent
dans 17 provinces sur 92, avec environ 500 bibliothèques populaires en voie de
transformation. En 1961, il l’était dans 40 provinces avec environ 650 lieux de prêt.
28. Voir M. Picciau, « Palma Bucarelli », dans Ministère de l’Instruction publique, Direction générale des
antiquités et des beaux-arts, Direction générale pour le patrimoine historique, artistique et ethno-anthro-
pologique, Centre d’études pour l’histoire du travail et des communautés territoriales, Dizionario biogra-
fico dei Soprintendenti Storici dell’Arte (1904-1974), Bologne, 2007.
29. Voir L. Arrigoni, « Fernanda wittgens », ibid.
30. Données du ministère de l’Instruction publique, Direction générale des antiquités et des beaux-arts,
Musei e gallerie d’arte in Italia 1945-1953, Rome, 1953.
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Mais certains problèmes restèrent pendant des années des sujets de controverse,
notamment celui de la répartition inégalitaire des trente-trois bibliothèques nationales
pénalisant le centre et le sud du pays, et celui de l’état d’abandon dans lequel était
laissée la Bibliothèque nationale centrale de Rome, abandon vécu comme une
véritable offense « à la dignité de la Nation elle-même ».
31. R. Longhi, « Mostre e musei (un avvertimento del 1959) », dans L’approdo letterario, octobre-décembre
1959, no 8 puis dans Paragone, septembre 1969, XX, no 235. Pour les expositions de cette période, voir
A.C. Cimoli, Musei effimeri. Allestimenti di mostre in Italia 1949/1963, Milan, 2007.
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32. Titre du film Main basse sur la ville, de Francesco Rosi, Italie, 1963, Récompensé avec le « Lion d’or »
à la Mostra du cinéma de Venise de 1963.
33. C. L. Ragghianti, « Si distrugge l’Italia », dans Sele Arte, 1953-1954 ; interventions rassemblées dans
A. Cederna, I vandali in casa, Bari, 1956 et La distruzione della natura in Italia, Turin, 1975 ; C. Brandi,
Il patrimonio insidiato. Scritti sulla tutela del paesaggio e dell’arte, Rome, 2001.
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La réponse de l’État
L’État répliqua en créant en 1956 une pléthorique commission parlementaire
mixte et en approuvant en décembre 1957, lors du vote du budget du ministère de
l’Instruction publique, une dotation exceptionnelle pour la défense du patrimoine
artistique, historique et livresque de 18 milliards sur dix ans34. Cette mesure excep-
tionnelle ne résolut pas le problème d’un budget ordinaire certes en augmentation
mais toujours insuffisant (dans la même année 1957-1958 un peu plus de 11 mil-
liards) ; en réalité elle visait à compenser le désengagement progressif du ministère
des Travaux publics.
Peu à peu s’affirma la conviction que les questions posées par le patrimoine,
depuis celles de la conservation jusqu’à celles de son rôle éducatif et social, devaient
être affrontées non à travers des interventions ponctuelles mais à travers une politique
de planification et de programmation générale.
La planification scolaire de 1961-196235 alloua des fonds aux bibliothèques
universitaires, jusqu’alors délaissées, ainsi qu’aux bibliothèques nationales. Dans les
nouveaux programmes du collège obligatoire, on introduisit l’« éducation artistique »
en tant que discipline et on accorda une place à la « didactique des musées et des
monuments36 ».
Une réorganisation générale du ministère de l’Instruction publique augmenta le
nombre des surintendances qui passèrent de 58 à 65, renforcèrent leurs effectifs, et
un nouveau chapitre budgétaire « diffusion de la culture37 » fut créé.
À l’automne 1963, l’appel de la commission nationale italienne de l’Unesco
trouva un grand écho dans la presse nationale et internationale. Cet appel fut lu à la
Chambre des députés ; il invitait le gouvernement italien à prendre des mesures. En
1963, la télévision de son côté lançait une série, L’abordage, qui s’ouvrait sur une
enquête sur l’état du patrimoine.
En 1964, le rapport de la commission nationale pour la planification économi-
que38 consacré aux beaux-arts et à la culture mit l’accent sur l’attraction du patri-
moine national sur le tourisme étranger, l’incidence du droit d’entrée des musées
– en augmentation depuis 1950 et qui atteint, en 1960, 9 milliards environ – sur le
budget de l’État et surtout sur les rapports étroits entre le processus de développement
325
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39. Loi 26 avril 1964, no 310 avec DPR (décret du président de la République) 10 novembre 1964 : furent
nommés 27 membres, 16 parlementaires et 11 experts.
40. Rendu au ministre le 10 mars 1966, rendu public accompagné d’actes de travail et d’ample matériel
documentaire dans Per la salvezza dei beni culturali in Italia. Atti e documenti della Commissione d’inda-
gine per la tutela e la valorizzazione del patrimonio, Rome, 1967 (3 vol.).
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proclamée que pratiquée. En effet, c’est la sphère entière des destinataires des biens
culturels, de l’écolier au visiteur en passant par le touriste, qui restait la grande absente
des travaux et du rapport de la commission.
Ce rapport n’empêcha pas les gouvernements de rester passifs pendant plusieurs
années ; en revanche les contenus théoriques et culturels, qui avaient été ciblés par
la commission Franceschini, allaient servir de référence aux responsables des interven-
tions dans le domaine du patrimoine.
Le cinéma
La légitimation de l’intervention publique en faveur du cinéma est déclarée dans
l’article 1 de la loi de réforme : « L’État considère le cinéma comme un moyen
d’expression artistique, de formation culturelle, de communication sociale et en
reconnaît l’importance économique et industrielle. » Pour défendre et développer ces
valeurs artistiques et culturelles, sociales et économiques d’« intérêt général », le
ministère initie une action de très grande envergure. Il accorde des financements, des
contributions, des allégements fiscaux et tarifaires à l’ensemble de l’industrie du
cinéma, de la chaîne de production à celle de la distribution – surtout en faveur des
cinémas des petites villes et des banlieues ; il apporte aussi son soutien aux longs-
métrages, courts-métrages, films d’actualité, films pour la jeunesse ainsi qu’aux
institutions qui soutiennent la culture du cinéma. Son intervention « directe » retient
deux critères fondamentaux : d’une part, la nationalité italienne, en référence à
l’importance économique et industrielle de ce secteur et à son impact en termes
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d’emploi ; d’autre part, la qualité artistique et culturelle, définie selon une hiérarchie
pointilleuse mais aléatoire : les films « normaux » avec « des qualités artistiques, ou
culturelles, ou spectaculaires, suffisantes » ; les films « d’art et essai », italiens ou
étrangers, « d’une valeur artistique, culturelle et technique particulière ou alors
expression de mondes cinématographiques peu connus ».
Dans ses interventions « indirectes », le ministère soutient financièrement des
organismes publics comme la Mostra internationale d’art cinématographique de
Venise, l’institut Luce de Rome, le musée national du Cinéma de Turin chargé de la
conservation du patrimoine filmique et le Centre expérimental de cinématographie
de Rome dédié à la formation. Le ministère soutient également des associations, des
chaires universitaires, etc., qui ont des projets relatifs à la diffusion, à la valorisation
et au développement du cinéma, en particulier italien. Toutes ces interventions
puisent dans un « fonds spécial pour le développement et l’essor des activités
cinématographiques », dont le montant annuel est de 1,47 milliard en 1965.
43. Parmi les organismes lyriques, six sont au nord (théâtre communal de l’opéra de Gênes et théâtre royal
de Turin – qui, en 1967, doivent encore être reconstruits –, théâtre de la Scala de Milan, théâtre com-
munal Giuseppe Verdi de Trieste, théâtre La Fenice de Venise, Arène de Vérone) ; trois au centre (théâtre
communal de Bologne, théâtre communal de Florence, théâtre de l’opéra de Rome) ; deux au sud (théâtre
S. Charles de Naples, théâtre Maxime de Palerme). Les deux institutions de concerts sont l’Académie
nationale de Sainte-Cécile de Rome et l’institution des concerts et du théâtre lyrique Giovanni Pierluigi
da Palestrina de Cagliari.
328
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44. Sept au nord (théâtres Coccia de Novare, Grand de Brescia, social de Côme, Ponchielli de Cremone,
social de Mantoue, social de Rovigo, communal de Trevise) ; sept au centre (théâtres communaux de Fer-
rare, de Modène, royal de Parme, de Piacenza, de Reggio Emilia, Verdi de Pise, comité estival Livournais
de Livourne) ; trois au sud (théâtre Petruzzelli de Bari, théâtre Massimo Bellini de Catane, organisme des
concerts Sassari de Sassari).
45. orchestre symphonique de San Remo, Angelicum de Milan, Après-midi musical de Milan, orchestre
symphonique haydn de Bolzano et de Trento ; Aidem de Florence ; symphonique sicilienne de Palerme.
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page et des textes d’introduction rédigés par de jeunes chercheurs ; vendus au prix
raisonnable de 350 lires, ils paraissent en kiosque toutes les semaines. C’est la
première entreprise privée en dehors du réseau traditionnel de l’art italien à
promouvoir une exposition. Cette collection connaît un franc succès et est élargie et
rééditée : c’est l’une des premières contributions de l’industrie culturelle à la
vulgarisation de masse.
La contestation
De profonds mouvements sociaux vont affecter certaines des institutions cultu-
relles parmi les plus subventionnées. À partir de l’automne 1967, les universités sont
occupées à maintes reprises ; l’année suivante la protestation s’étend aux écoles
supérieures. Le 30 mai 1968, des architectes et des étudiants occupent la XIVe Trien-
nale de Milan ; en août, des intellectuels et des metteurs en scène – parmi lesquels
Zavattini, Ugo Gregoretti, Pier Paolo Pasolini, Gillo Pontecorvo, Citto Maselli –
organisent une contestation spectaculaire de la Mostra du cinéma de Venise. De la
même façon agissent les artistes, les critiques et les étudiants à la Biennale ; le
7 décembre, les étudiants lancent des œufs sur les fourrures des invitées à la première
de la Scala. En 1969, la protestation ouvrière s’intensifie, jusqu’à « l’automne chaud »,
le plus grand affrontement social de l’après-guerre. Le 12 décembre, à Milan,
l’explosion d’une bombe à la Banque nationale de l’agriculture de la place Fontana
amorce la « stratégie de la tension ».
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46. D.l. (décret-loi) 14 décembre 1974, no 657 converti avec D.l. 29 janvier 1975, no 5. Depuis le mois
de juillet 1973, Spadolini était ministre pour les Biens culturels sans portefeuille.
47. Voir ministère pour les Biens culturels et environnementaux, I beni cuturali, Dall’istituzione del Minis-
tero ai decreti delegati, Rome, 1976.
48. DPR 3 décembre 1975, no 805.
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dix-neuf régions ayant un statut ordinaire et pour chacune des cinq régions à statut
particulier49, dix représentants des communes et trois des provinces. Sont institués
des comités régionaux pour les biens culturels dans chaque capitale régionale, compo-
sés en nombre égal des responsables des services déconcentrés de l’État et des repré-
sentants de la région, avec mission de liaison, de coordination et de programmation
d’initiatives communes.
L’administration centrale et déconcentrée se calque sur l’administration des beaux-
arts, sauf qu’elle prend en compte la nouvelle acception des « biens culturels » et
l’insertion des archives50.
La gauche reste sceptique face à ce nouveau ministère car elle le considère comme
une forme vide : selon elle, la nouvelle réforme n’indique pas de nouvelle politique,
ni de réforme de la législation de la protection ; elle consiste en un simple transfert
des bureaux d’une structure à l’autre et n’indique en rien comment des bureaux qui
ne marchaient pas quand ils étaient séparés pourraient mieux fonctionner une fois
rassemblés en un seul ministère51.
Deux années après, en 1977, s’affirme une conception nouvelle du rapport entre
le patrimoine et la société : la culture devrait pouvoir absorber une demande excessive
de travail, souvent peu qualifiée, c’est ainsi que la loi sur le travail de la jeunesse
permet à environ 10 000 jeunes d’accéder au ministère, sans concours spécifiques.
Elle aggrave ainsi le déséquilibre entre un personnel technique insuffisant et un
appareil administratif pléthorique52.
Aucune de ces mesures n’offre de réponse à ceux qui, même au niveau national,
revendiquent le rôle social de la culture et la gestion des biens culturels en partenariat
avec les représentants des réalités politiques et sociales de la ville et du territoire. Une
des personnes les plus lucides qui proposa de relancer une « dynamique sociale pour
les biens et les musées » fut le directeur de la pinacothèque nationale de Brera, Franco
Russoli : après une fermeture tapageuse de cette institution en 1974, à cause de la
49. Les cinq régions ayant statut particulier sont : vallée d’Aoste, Friuli-Venezia Giulia, Sicile, Sardaigne,
Trentino-Alto Adige qui, lui, était articulé en deux provinces autonomes de Trente et Bolzano ayant cha-
cune un représentant au Conseil.
50. Elle comprend au niveau central : une direction générale pour les affaires générales administratives et
du personnel et trois bureaux centraux pour les biens environnementaux, architecturaux, archéologiques,
artistiques et historiques ; les archives ; les livres et les instituts culturels. À ce schéma correspondent, au
niveau territorial, les surintendances archéologiques, pour les biens artistiques et historiques, pour les
biens environnementaux et ceux architecturaux ; les surintendances des archives et les Archives nationales ;
les surintendances pour les livres et les bibliothèques publiques nationales. Elle réorganise les quatre ins-
tituts centraux, ayant autonomie administrative et comptable : l’Institut central pour le catalogue et la
documentation qui comprend le cabinet photographique national, désormais supprimé ; l’Institut cen-
tral pour le catalogue unique des bibliothèques italiennes et pour les informations bibliographiques ; l’Ins-
titut central pour la pathologie du livre ; l’Institut central de restauration. Elle confirme les six institu-
tions autonomes : la Fabrique des pierres dures de Florence, la surintendance spéciale au musée des
Antiquités égyptiennes de Turin, le musée des Arts et Traditions populaires de Rome, le musée national
d’Art oriental, le Musée préhistorique et ethnographique, la Galerie d’art moderne et contemporain et
elle ajoute l’Institut national graphique de Rome, désormais devenu une « institution ».
51. S. Cassase, « I beni culturali da Bottai a Spadolini », Rassegna degli Archivi di Stato, janvier-décembre
1975, XXXV, nos 1-3.
52. Loi 1er juin 1977, no 285.
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53. Voir F. Russoli, Il museo nella società. Analisi proposte interventi 1952-1977, Milan 1981 ; id., Il museo
come esperienza sociale. Atti del convegno di studi, Roma 4-6 dicembre 1971, Rome, 1972. Russoli, entre
autres, collabora de manière étroite avec l’éditeur Fabbri pour différentes collections de divulgation artis-
tique, parmi lesquelles la suite des Maestri del colore, voir D. Pescarmona, « Franco Russoli », dans Dizio-
nario biografico dei Soprintendenti Storici dell’Arte (1904-1974), op. cit.
54. « Article 117. La région promulgue dans les domaines suivants des normes législatives dans les limites
des principes fondamentaux établis par les lois de l’État, en admettant que ces mêmes normes ne soient
pas en contradiction avec l’intérêt national et avec celui d’autres régions : musées et bibliothèques des col-
lectivités locales ; urbanistique […]. »
55. DPR 14 janvier 1972, no 3 ; l. 22 juillet 1975, no 382 ; DPR 24 juillet 1977, no 616.
56. Pour la législation régionale, voir A. Rossari et R. Togni (dir.), Verso una gestione dei benei culturali
come servizio pubblico. Attività legislativa e dibattito culturale dallo stato unitario alle regioni (1860-1977),
Milan, 1978 (avec des textes de P. Nicolini et S. Sicoli) ; A. Maresca Campagna (dir.), Gestione e valoriz-
zazione dei beni culturali nella legislazione regionale, Rome, 1998.
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57. Voir A. Emiliani (dir.), Una politica dei beni culturali, Turin, 1974 (textes de P. L. Cervellati, L. Gambi,
G. Guglielmi).
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la Sicile, la culture musicale et l’art dramatique, avec une attention particulière pour
le répertoire local, et la Lombardie le théâtre.
Avec la décentralisation, les politiques culturelles se développèrent et se coordon-
nèrent et fournirent des terrains d’expérimentation pour de nouvelles formes politi-
ques plus participatives et d’autopromotion. Le parti communiste, très régionaliste,
voulut démontrer que, même dans l’élaboration d’une politique culturelle, les régions
(Emilia-Romagna, Toscana, ombrie en tête) et les communes que traditionnellement
ce parti administre se révélaient comme des exemples de « bon gouvernement » à la
fois démocratique et innovateur.
58. Argan est historien de l’art, déjà fonctionnaire de l’administration du patrimoine et professeur d’uni-
versité ; il a été élu comme indépendant dans les listes du parti communiste.
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59. Voir « Rapporto Ispes 1989 », dans Il Giornale dell’Arte, novembre 1989, VII, no 72. Le projet extra-
ordinaire Memorabilia ne fut pas, en revanche, financé. Ce projet, conçu directement par le ministère en
accord avec la société Iri-Italstat, fut présenté avec tapage publicitaire et une somptueuse publication.
60. Loi 2 août 1982, no 512.
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Pour ouvrir un dialogue entre ceux qui analysaient la culture comme une source
potentielle de gain et ceux qui, à l’opposé, rejetaient comme nocive toute approche
économique de la culture, fut créée également, en mars 1986, l’Association pour
l’économie de la culture61.
61. L’association publie dès 1990 la revue Economia della Cultura ; elle a en outre publié Carla Bodo (dir.),
Rapporto sull’economia della cultura in Italia 1980-1990, Rome, 1994, et Carla Bodo et C. Spada avec la
collab. de C. Da Milano, Rapporto sull’economia della cultura in Italia 1990-2000, Bologne, 2004.
62. Loi 30 avril 1985, no 163.
63. Données disponibles sur le site internet du ministère pour les Biens et les Activités culturelles :
http://ww w.spettacolodalvivo.beniculturali.it/osserv./Relaz.htm
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ordinaire, une partie provenant du quota résiduel ainsi que des dotations exception-
nelles64. Le financement restant fut partagé entre 11 salles de concert et orchestres65,
24 théâtres de tradition, 105 saisons lyriques organisées par des institutions variées,
157 festivals nationaux et internationaux (la plupart dans le Latium – 41 – dont 28
à Rome), 310 concerts, 61 ballets, 932 fanfares.
La création du FUS marquait une forte augmentation des interventions de l’État
et surtout une rationalisation de celles-ci selon des critères cohérents et vérifiables,
qui permettaient la programmation d’investissements publics et privés. Mais les lois
concernant chaque secteur qui auraient dû compléter la réforme entamée avec la loi
sur le FUS ne furent pas élaborées.
À la fin des trois premières années, les quotas provisoires de répartition furent
abolis et il revint au ministre du Tourisme et du Spectacle de fixer annuellement le
quota de répartition entre les secteurs, en ne descendant pas toutefois en dessous des
fonds alloués en 198866.
64. Globalement, la Scala de Milan bénéficia d’un peu moins de 48 milliards ; vint ensuite l’opéra de
Rome avec 33 milliards ; le moins financé fut le théâtre communal de Gênes (un peu plus de 16,700 mil-
liards) ; les deux salles de concerts de Rome et de Cagliari bénéficièrent de financements moindres.
65. S’étaient rajoutés l’orchestre de chambre de Padoue et de Vénétie, l’orchestre symphonique d’Émilie-
Romagne, l’orchestre Toscanini de Parme (à laquelle fut versé le financement le plus important), l’Insti-
tution symphonique des Abruzzes de l’Aquila, l’administration provinciale de Bari et celle de Lecce. Les
financements allaient d’une fourchette d’un peu plus de 2,24 milliards pour l’orchestre Toscanini jusqu’à
un peu plus de 1,20 milliard pour l’association laïque religieuse Angelicum de Milan.
66. Loi 20 décembre 1988, no 555.
67. Argan avait, par ailleurs, présenté à la fin des années 1980 avec Giuseppe Chiarante un projet de
réforme du ministère ; voir G. C. Argan et G. Chiarante, Soria dell’arte e politica dei beni culturali, Rome,
2002 (annales de l’association Ranuccio Bianchi Bandinelli).
68. Voir A. Paolucci, Museo Italia. Diario di un soprintendente-ministro, Livourne, 1996.
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outre les quelques propositions de location d’œuvres d’art à des privés et de vente
des « doublons » dormant dans les dépôts, ou les projets récurrents de vente de
monuments historiques, ou encore de la naïve confiance dans le merchandising et les
droits, la recherche de sources supplémentaires de financement ou de remplacement
des ressources publiques, s’orienta dans plusieurs directions : en 1996, fut « inventé »
le prélèvement hebdomadaire d’une taxe sur le jeu du loto, destinée aux biens
culturels75. Les contributeurs pouvaient destiner à l’État huit pour mille de leurs
impôts, pour des interventions sur les biens culturels76. Les entreprises gestionnaires
de services au public dans les musées durent leur verser des redevances et payer des
loyers. Le monde des entreprises fut également sollicité à travers des allégements
fiscaux, mais sa réponse se révéla décevante.
À partir de 1998-1999, l’engagement des fondations bancaires, actives depuis
1990, put se faire si elles poursuivaient des « objectifs d’intérêt public et d’utilité
sociale » et s’investissaient dans des « activités culturelles ou artistiques77 », dans six
domaines en particulier : le soutien aux restaurations, aux expositions, aux musées,
aux saisons théâtrales, etc. Ce type de financement devint de plus en plus fonda-
mental pour les surintendances, les régions, les collectivités locales, les autorités
ecclésiastiques, les associations.
75. Loi 23 décembre 1996, no 662. Dans les années 1998-2000, les financements du loto ont rendu pos-
sibles 196 interventions, et 181 dans les années 2001-2003.
76. À hauteur de 34 milliards en 1999, plus de 55 milliards en 2000 (voir C. Bodo et C. Spada, Rapporto
sull’economia della cultura…, op. cit.).
77. Loi 23 décembre 1998, no 461 ; D.lsg 17 mai 1999, no 153. Les autres secteurs sont : assistance et
santé, recherche scientifique, environnement, instruction.
78. Référendum de confirmation le 7 octobre 2001, loi 18 octobre 2001, no 3. La modification consti-
tutionnelle est une des raisons qui rend nécessaire l’élaboration d’une nouvelle loi générale de tutelle, le
Code des biens culturels et du paysage promulgué avec D.lsg 22 janvier 2004, no 42, avec des modifica-
tions successives, encore en vigueur.
79. En particulier, celui de la séparation irréalisable entre la protection et la valorisation a été plusieurs
fois souligné par S. Settis, L’assalto al patirmonio culturale, Turin 2002 et Battaglie senza eroi. I beni cul-
turali tra istituzioni e profitto, Milan, 2005.
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80. D.lsg 20 octobre 1998, no 368. Pour une vision générale de la situation du patrimoine sur laquelle le
ministère aurait dû intervenir, voir B. Zanardi, Conservazione, restauro e tutela. 24 dialoghi, Milan, 1999.
81. DPR 29 décembre 2000, no 441.
82. Ce musée est institué par la loi 12 juillet 1999, no 237, qui prévoit de subventionner également : la
création du musée audiovisuel de la Discothèque d’État à Rome, celle du musée d’histoire de la médecine
à Padoue, l’activité de l’association Ferrare musique, les fondations Biennale de Venise et le théâtre la
Fenice de Venise jusqu’à la restauration de la basilique de Noto et à la sauvegarde de la Tour de Pise.
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83. Loi 8 octobre 1997, no 352. Pour un premier bilan, voir P. G. Guzzo, Pompéi 1998-2003. L’esperi-
mento dell’autonomia, Milan, 2003. Pour les autres musées nationaux, en revanche, il faudra attendre les
décrets du ministre pour les Biens et les Activités culturels du 11 décembre 2001 qui attribuent une auto-
nomie scientifique, financière et comptable aux nouvelles surintendances spéciales pour le pôle muséal
vénitien, florentin, romain, napolitain dans lesquelles sont réunis les musées nationaux des villes respec-
tives. La récente et complexe transformation de la surintendance spéciale pour les antiquités égyptiennes
de Turin en fondation Musée égyptien mériterait un décret particulier.
84. Pour l’us et l’abus du concept de management, voir L. Zan, Economia dei musei e retorica del manage-
ment, Milan, 2003.
85. Voir A. Gioli, « Les musées italiens entre le public et le privé », dans Jean Galard (dir.), l’Avenir des
musées, Paris, Réunion des musées nationaux-Musée du Louvre, 2001, p. 175-205.
86. D.lsg 29 juin 1996, no 367.
87. Devenu une fondation le 6 novembre 1997 : parmi ses financeurs, des institutions publiques (chambre
de commerce de Milan, fondation Cariplo, Assolombarda, province de Milan), des entreprises d’économie
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en %
mixte (ENI, SEA) et des entreprises privées (Pirelli, Entreprise électrique milanaise, Banque populaire de
Milan, Armani, Prada).
88. Respectivement : D.lsg 18 novembre 1997, no 426, modifié avec D.lsg 22 janvier 2004, no 32 ; D.lsg
29 janvier 1998, no 19, modifié avec D.lsg 8 janvier 2004, no 1 ; D.lsg 29 janvier 1998, no 20 modifié
avec D.lsg 22 janvier 2004, no 33 ; D.lsg 23 avril 1998, no 134 ; D.lsg 20 juillet 1999, no 237 ; D.lsg
20 juillet 1999, no 258, D.lsg 29 octobre 1999, no 419.
89. Extrait de C. Bodo, « Chi ha paura di monitorare la spesa pubblica per la cultura in Italia ? », dans
Économie de la culture, 2007, XVII, no 1. Pour une analyse de la politique régionale, voir P. Lattarulo,
L’intervento pubblico per l’arte et per la cultura. Il caso della Toscana, Milan, 1992.
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90. Intesa istituzionale di programma tra il governo della Repubblica e la regione Lombardia/Accordo di pro-
gramma quadro in materia di beni culturali fra il Ministero per i beni e le attività culturali e la Regione Lom-
bardia (26 mai 1999, www.regionelombardia.it). Des accords analogues de programme-cadre dans le
domaine des biens et des activités culturels ont été pris entre le ministère pour les Biens et les Activités
culturels et les régions Toscane (16 décembre 1999), Molise (9 mars 2000), Latium (12 avril 2000),
ombrie (8 mars 2001), Piémont (18 mai 2001, avec le ministère du Trésor, du Bilan et de la Program-
mation économique), Abruzzes (20 décembre 2002), Pouilles (22 décembre 2003), Calabre (22 décembre
2003)…
91. Parmi les activités financées en application de la loi régionale L.r. 9/93, il y a la publication du voca-
bulaire italien-dialecte de la région de Côme, la révocation historique du serment de Pontida, du Nouvel
An celtique, et du projet « Gens de montagne ».
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Le musée et le public
Remis en cause à plusieurs reprises dans les années 1960 et 1970, ayant survécu,
à d’autres moments, dans une marginalité sociale et culturelle, le musée semble
prendre une nouvelle importance.
Aux 3 311 musées recensés en 1991 se sont ajoutés de nouveaux musées, natio-
naux, communaux, appartenant à des diocèses ou des propriétaires privés93. Prenant
comme modèle le système muséographique de l’ombrie, se sont créés des réseaux,
des circuits entre petits et moyens musées qui se sont déclinés, selon leur spécificité,
à l’échelle communale, provinciale ou même régionale. Cette mise en réseau, en
répartissant les charges, a permis des économies d’échelle et d’investissements.
Les causes d’un plus grand investissement de fonds dans les musées sont variées.
L’une d’entre elles est l’élargissement progressif, en particulier grâce aux législations
régionales, de la notion de patrimoine qui a permis la création de musées d’entre-
prises, de musée du design et de la mode, de musée rassemblant des ex-voto,
d’écomusée, avec les problématiques afférentes en matière de conservation, d’histoire,
de culture et de « mémoire ». Un autre motif de développement des musées a été leur
introduction dans des plans de développement et de valorisation touristique,
économique et sociale, permettant de ce fait l’accès à des financements communau-
taires. Le public a répondu positivement à ces investissements renforcés. Entre 1996
et 2000, les seuls musées nationaux sont passés de 333 à 380, le nombre de visiteurs
de 25 millions à 30 millions, et les recettes liées au droit d’entrée de 52 millions à
77 millions d’euros94. Différents facteurs, dont chacun mériterait un développement,
ont contribué à rapprocher le public des musées : le développement de nouveaux
services, depuis ceux de la librairie jusqu’à ceux de la réservation, l’augmentation des
services pédagogiques et plus généralement celui des bonnes pratiques d’« accès au
musée », c’est-à-dire de l’annulation des obstacles physiques, psychologiques,
culturels. Également un plus important effort de promotion et de communication,
grâce à des billets groupés, à l’instauration d’une carte musées ou à des spots télévisés
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Mayuko Sano*
Introduction
L’agence pour les affaires culturelles (Bunka-cho), l’équivalent japonais du
ministère de la Culture en France, fut créée en 1968 sous la forme d’un organisme
externe du ministère de l’Éducation. Les années 1960 furent marquées par l’orga-
nisation des jeux olympiques à Tokyo en 1964, qui permit aux Japonais de croire à
la renaissance de leur pays après le traumatisme causé par la défaite subie au terme
de la Seconde Guerre mondiale. En 1970, la première exposition universelle organisée
en asie se tint au Japon, à osaka, confirmant ainsi le sentiment de plus en plus positif
qui s’était manifesté lors de la décennie écoulée. La création de l’agence pour les
affaires culturelles ne fut pas directement liée à ces événements, mais elle s’inscrivait
dans ce sentiment général des années 1960, qu’elle contribua à son tour à renforcer.
La naissance de l’agence sera traitée plus loin de manière plus détaillée. Si la
« politique culturelle » doit être comprise comme ce que le ministère de la Culture
d’un pays (ou une organisation équivalente) planifie et met en œuvre, il faut alors
considérer que l’histoire de la politique culturelle japonaise ne débute qu’à ce
moment-là. Certains spécialistes adoptent une telle approche. Toutefois, le champ
d’investigation est beaucoup plus large : il porte sur un large éventail de politiques
liées à la culture et mises en œuvre par les pouvoirs publics japonais, y compris, mais
pas toujours, l’agence pour les affaires culturelles.
Une perspective historique plus longue que la seule seconde moitié du xxe siècle
est par ailleurs nécessaire. Les termes de « politique culturelle » ont été pour la
première fois utilisés au Japon dans les années 1930 et 1940, dans le contexte du
Japon impérial d’avant la Seconde Guerre mondiale. À cette époque, la politique
culturelle signifiait le contrôle exercé par le gouvernement sur ce que pensait la
population, dans le but de la persuader du caractère sacré de l’Empire nippon et de
l’inciter à être disposée à agir (voire à mourir) comme un élément de cet Empire. La
nature de la politique culturelle japonaise de l’après-guerre est fondamentalement
différente, mais c’est l’affirmation de cette différence qui constitue le fondement
éthique de la politique culturelle actuelle, qui s’enracine dès lors profondément dans
ce contexte d’avant-guerre. De plus, la politique culturelle actuelle a hérité de
quelques caractéristiques essentielles remontant à une période plus reculée encore.
Depuis le milieu du xixe siècle, lorsque le Japon, une société féodale traditionnelle,
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1. Ce quartier général du Commandement suprême des puissances alliées fut établi en 1945 pour mettre
en œuvre la déclaration de Potsdam et pour diriger le Japon par l’entremise du gouvernement japonais
placé sous son contrôle. Le Japon était occupé en théorie par les puissances alliées victorieuses de la Seconde
Guerre mondiale mais l’était en réalité par l’armée américaine. L’occupation prit fin en 1952, lorsque le
traité de paix de San Francisco de 1951 entra en vigueur.
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ciales et religieuses. Les néerlandais furent toutefois presque totalement confinés sur
un îlot artificiel dans un port du sud du Japon pour y poursuivre leurs activités,
lesquelles étaient d’ailleurs soumises à un contrôle rigoureux de la part du bakufu.
L’autre groupe de marchands étrangers autorisés fut celui des voisins chinois, eux
aussi contraints d’opérer sur un petit territoire voisin de l’îlot néerlandais.
La politique du sakoku se poursuivit pendant plus de 200 ans. Si elle isola les
Japonais des évolutions à l’œuvre dans le reste du monde, il est vrai qu’elle contribua
à préserver la paix sur le territoire nippon et au développement et à la maturation de
la culture japonais dans un environnement fermé tout à fait unique2.
À partir des années 1800, des navires russes et d’autres navires européens firent
leur apparition dans le nord-ouest de l’océan Pacifique et la situation évolua dans un
sens moins paisible. au début du xixe siècle, le gouvernement des Tokugawa (le
bakufu) restait fidèle à la politique d’isolement, en dépit des évolutions du contexte
international. Mais la guerre de l’opium (1840-1842) et la colonisation de facto de
la Chine qui en résulta impressionnèrent vivement le bakufu. Toutefois, avant qu’il
puisse prendre des mesures efficaces pour défendre le Japon après 200 ans de paix,
une escadre américaine se présenta en 1853 et exigea du Japon qu’il abandonne la
politique du sakoku. Craignant une intervention militaire, le bakufu dut accepter de
signer, l’année suivante, le traité de paix et d’amitié américano-japonais (convention
de Kanagawa), le premier instrument diplomatique moderne dans l’histoire du Japon.
C’était la fin du sakoku.
Durant une quinzaine d’années, à partir de ce moment-là et jusqu’à la chute du
régime des Tokugawa, le Japon fut le théâtre de conflits politiques et militaires entre
les seigneurs féodaux, les uns partisans du développement de relations internationales,
les autres favorables à un retour au sakoku, bien que les circonstances aient rendu
cette dernière option impossible. En réalité, le bakufu a dû sans cesse conclure des
traités diplomatiques avec divers pays européens, et commencer à accepter la présence
de représentants diplomatiques3. Le présent article n’entend pas entrer dans le détail
des troubles de cette période : l’aspect important à souligner, c’est que cela avait le
caractère d’une guerre culturelle, puisque les partisans d’un refus des contacts
internationaux basaient leurs arguments sur le caractère sacré de la terre japonaise,
qui devait être préservée des influences occidentales. ils ont progressivement lié cet
aspect à celui de l’autorité de l’empereur, qui n’était depuis longtemps qu’une figure
protocolaire : le pouvoir politique véritable avait été confié à la famille Tokugawa.
Finalement, c’est le camp conservateur qui changea toutefois d’avis suite à certains
affrontements militaires directs avec des forces américaines et européennes : il prôna
2. il est également important de noter que les pays voisins d’Extrême-orient adoptèrent chacun une poli-
tique analogue et qu’il existait en fait entre eux certaines relations diplomatiques. Durant la période du
sakoku, le Japon continua de considérer la Corée et le ryükyü (l’ancien nom de l’île d’okinawa qui fait
aujourd’hui partie du Japon, mais qui était alors un royaume indépendant) comme des voisins amicaux
sur une base diplomatique limitée mais officielle. il existe aujourd’hui une tendance notable dans la
recherche scientifique qui entend examiner cette période non dans la perspective du sakoku mais dans le
contexte international.
3. Dès 1859, on pouvait relever la présence au Japon de représentants diplomatiques (au début, sous une
forme consulaire) des États-Unis, des Pays-Bas, du royaume-Uni et de France.
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4. Si la cause directe de cette vague de destructions a été la nouvelle politique du gouvernement qui cher-
chait à confondre l’autorité de l’empereur et le shintoïsme, et à séparer le bouddhisme du shintoïsme, his-
toriquement mêlés, le phénomène fut accéléré par les tendances sociales du Bunmeikaika.
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5. Telle est la traduction que l’agence pour les affaires culturelles donne du nom japonais original du
décret, mais il ne s’agissait pas d’une loi au sens strict, puisque la Diète, en tant qu’organe législatif japo-
nais dans le contexte moderne, ne remonte qu’à 1889.
6. Une autre exposition avait déjà eu lieu en 1871, mais qui conservait des caractéristiques des foires com-
merciales privées et des expositions populaires dans le Japon prémoderne et qui ne représenta donc pas
une étape réussie vers un musée national au sens moderne.
7. Ce n’était pas la première exposition internationale pour le Japon qui avait déjà pris part, sous l’ancien
régime, à l’exposition de Londres en 1862 puis à celle de Paris en 1867, lançant ainsi la mode du japo-
nisme en Europe.
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l’Art du Japon8, dans une traduction française, publiée même avant l’original japonais,
pour pouvoir être distribuée à l’occasion de l’exposition universelle de Paris en 1900.
Toutes ces tentatives étaient inspirées par un sentiment de fierté de la nation face
au système des valeurs occidentales, qu’elle importait en partie mais auquel elle
résistait en partie. Cette double réaction se retrouve également dans l’établissement
d’institutions nationales d’enseignement considérées comme des infrastructures
permettant d’édifier une nation moderne. Parmi elles, l’École des beaux-arts de
Tokyo, devenue aujourd’hui la faculté des beaux-arts de l’université des arts de
Tokyo, fut inaugurée en 18879. Même si les formes artistiques occidentales ont été
introduites plus tard dans le programme de l’École, l’aspect privilégié à l’origine était
clairement le domaine de la peinture traditionnelle japonaise. on a pu dire que
l’objectif de l’École était de placer ce domaine dans un système d’enseignement supé-
rieur importé d’occident, et lui conférer de la sorte le statut d’« art » au sens occiden-
tal, et de voir aussi les diplômés de cette École être des « artistes », à la différence des
artisans traditionnellement formés par l’apprentissage. Les chevilles ouvrières de ce
projet étaient Ernest Fenollosa, un des experts étrangers invités par le gouvernement
Meiji10, et son ancien étudiant Kakuzo (Tenshin) okakura, figure marquante de la
politique culturelle du gouvernement Meiji qui a également inauguré le projet
d’histoire de l’art et est devenu plus tard un philosophe réputé.
L’ère de l’impérialisme
Les années 1890, durant lesquelles fut rédigée l’Histoire de l’Art du Japon, furent
une époque de changement pour la politique culturelle japonaise, qui passa d’une
attitude fondée sur l’exotisme et sa recréation pour promouvoir le Japon vis-à-vis de
la société internationale à une attitude qui mettait en valeur l’authenticité culturelle.
Ce changement est imputable à la confiance nouvelle des décideurs politiques,
nourrie par les résultats visibles des vingt années écoulées pour construire une nation
moderne depuis la restauration Meiji ; la première Constitution, par exemple, a été
promulguée en 188911, et la Diète inaugurée en 1890.
Le pavillon japonais à la foire mondiale de Chicago en 1893 offre une illustration
remarquable de ce changement. Lors des expositions internationales précédentes, les
pavillons japonais avaient combiné des caractéristiques spécifiques de différents types
d’architectures japonaises pour en souligner la dimension exotique. Mais à Chicago,
pour la première fois dans l’histoire, les responsables nippons décidèrent d’édifier un
bâtiment strictement basé sur le modèle d’un ancien temple existant. ils estimèrent
plus important de présenter un élément de la réalité et de représenter la culture
9. Pour être plus précis, elle démarra en 1885 comme une section administrative pour la recherche et l’en-
seignement artistique, avant d’être rebaptisée comme école en 1887.
10. Fenollosa est resté dans la mémoire des Japonais comme celui qui a découvert et mis à l’honneur la
valeur des arts traditionnels japonais à un moment où les Japonais avaient tendance à se montrer exces-
sivement respectueux à l’égard de tout ce qui s’inspirait de l’occident. il a ensuite inauguré la section
japonaise du musée des Beaux-arts de Boston.
11. La Constitution japonaise actuelle a été promulguée en 1946.
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japonaise d’un point de vue japonais plutôt que de chercher à attirer les regards des
étrangers. Le modèle choisi était celui du pavillon houou-do, du temple de Byodo-
in, un temple bouddhiste représentatif, construit en 1053, à Kyoto, l’ancienne
capitale du Japon. au travers de cette représentation authentique, les décideurs
politiques concernés, dont ryuichi Kuki, alors président du musée national précité,
entendaient affirmer sur la scène internationale que le Japon était « un grand Empire
oriental, riche d’une très longue histoire12 ».
Comme à l’époque de l’exposition de vienne, la question de la représentation de
la culture japonaise à donner sur la scène internationale était alors étroitement liée
à la question de savoir quels aspects de la culture nippone devaient être préservés
dans le pays lui-même. C’est en 1897 que la Diète adopta la loi protégeant les anciens
temples et sanctuaires. À la différence de l’ancienne loi pour la préservation des
œuvres anciennes, la nouvelle loi avait clairement pour but de sélectionner, à des fins
de préservation nationale, les sanctuaires et les temples ayant la plus grande valeur
pour représenter l’histoire nippone et offrir un modèle artistique. Plus tard, en 1929,
la loi fut révisée pour donner naissance à la loi pour la préservation des trésors
nationaux, dont la portée s’étendait au-delà ses seuls temples et sanctuaires. Mais le
choix fait par la loi précédente d’une sélection en vue de représenter l’histoire du
pays ne fut pas modifié, et il se retrouve encore dans l’actuelle loi pour la protection
des biens culturels.
Les pavillons japonais conçus sur le modèle d’un temple ou d’un sanctuaire se
retrouvèrent dans les expositions internationales des deux décennies qui suivirent.
Mais en réalité, l’architecture nippone restait très exotique aux yeux du public
occidental et la réputation de la culture japonaise n’évolua pas, contrairement aux
attentes du côté nippon. L’ambition japonaise de voir le pays reconnu comme une
nation dominante, à l’égal des empires occidentaux, n’était pas totalement exaucée.
il ne serait pas exagéré de dire que l’écart entre les ambitions du Japon et sa réception
a permis au militarisme impérial japonais de se développer avant que la société
internationale n’y prenne sérieusement garde. Le Japon remporta la guerre sino-
japonaise en 1895 et la guerre russo-japonaise en 1905. En 1910, le Japon colonisa
la Corée.
La militarisation japonaise était sous-tendue par l’idée de la pureté de tradition
culturelle nationale. Parallèlement, l’occidentalisation du mode de vie de la popula-
tion se poursuivait, et était perçue comme une marque de développement de la
société. Ce dilemme culturel se posa de manière aiguë lors des préparatifs en vue de
l’exposition universelle de Paris en 1937. Pour cette exposition, le gouvernement
japonais avait prévu une fois encore un pavillon inspiré d’un modèle ancien, mais
un groupe de jeunes architectes défendit l’idée que la représentation de la culture
nippone devait honnêtement refléter les aspects occidentalisés de la culture japonaise
12. Rinji hakurankai jimukyoku houkoku (rapport du bureau temporaire pour la participation à la foire
mondiale de Chicago), Tokyo, rinji hakurankai jimukyoku, 1895, p. 493.
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13. Pour plus de détails, voir Mayuko Sano, « Bunka no jitsuzo to kyozo : Bankoku hakurankai ni miru
nihon-shokai no rekishi » (Comment exposer le Japon : une histoire de la recherche du Japon par lui-
même dans l’histoire des expositions internationales), dans Kenichiro hirano (ed.), Kokusaibunkakoryu
no seijikeizaigaku (aspects politiques et économiques des échanges culturels internationaux), Tokyo, Keiso-
shobo, 1999, p. 104-114.
14. Livre d’or officiel de l’exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne, Paris, répu-
blique française, Ministère du Commerce et de l’industrie, 1937, p. 465.
15. Pour plus de détails sur la naissance du Centre pour les relations culturelles internationales, voir atsu-
shi Shibazaki, International cultural exchange and modern Japan. History of Kokusai bunka shinkokai 1934-
1945, Tokyo, Yushindo kobun-sha, 1999.
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22. agence pour les affaires culturelles (supervision), Geijutsusai gojunen : Sengo-nihon no geijutsubunka-
shi (Cinquante ans de festival national des arts : histoire des arts et de la culture du Japon de l’après-
guerre), Tokyo, Gyousei, 1995, p. 110-114.
23. C’est également en 1952 que les branches du musée historique des anciennes capitales du Japon,
Kyoto et nara, sont devenues des musées nationaux indépendants.
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24. aujourd’hui, cinq musées nationaux se sont ajoutés, même si le statut « national » des musées a été
remis en cause au plan politique : ils ont aujourd’hui un statut semi-indépendant. Parmi les cinq musées
supplémentaires, deux sont consacrés aux beaux-arts : le musée national des arts à osaka (1977), pour
les arts contemporains, et le centre national des arts de Tokyo (2007), qui ne possède pas de collections
mais offre des espaces pour des créations expérimentales. Les trois autres sont des musées historiques et
ethnographiques : le musée national d’Ethnologie à osaka (1977), pour les cultures du monde ; le musée
national de l’histoire japonaise (1987) à Chiba ; le Musée national Kyushu (2005) à Fukuoka pour l’his-
toire de l’asie. outre ces musées, dans le domaine des sciences naturelles, le musée national de la nature
et des Sciences, créé en 1949 à Tokyo, avait historiquement fait partie du premier musée national.
25. Ce premier théâtre national est principalement dédié aux arts traditionnels de la scène, en particulier
le kabuki, et abrite également un département d’études sur les arts traditionnels de la scène. Plus tard, il
fut placé sous l’autorité de l’agence pour les affaires culturelles. Pour le nogaku et le bunraku, les deux
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L’agence pour les affaires culturelles fut en outre constituée comme organe
externe du ministère en 1968, en fusionnant avec le nouveau bureau précité et avec
le Comité pour la protection des biens culturels, qui avait été créé comme organe
consultatif du ministère pour la mise en œuvre de la loi pour la protection des biens
culturels en 1950. En réalité, l’apparition soudaine de l’agence ne fut pas le résultat
d’une décision volontariste, mais d’une réforme administrative qui avait forcé chaque
ministère à réduire un organe placé sous sa responsabilité. il est vrai, toutefois, que
l’inauguration de l’agence donna une image volontariste de l’action du gouvernement
en matière culturelle, et marqua un tournant dans l’histoire de la politique culturelle
japonaise. Le premier dirigeant de l’agence fut hidemi Kon, l’initiateur du Festival
national des arts évoqué plus haut.
L’agence récupéra deux domaines majeurs de la politique culturelle du ministère
de l’Éducation, à savoir la protection des biens culturels et la promotion des arts, et
elle reçut également la charge des politiques relatives au système du droit d’auteur
et à la langue japonaise, ainsi que l’administration des affaires religieuses. Le budget
annuel de l’agence devait être affecté dans le cadre de la gestion financière du
ministère. Cette structure de base est restée inchangée jusqu’à ce jour. L’agence avait
reçu 5 milliards de yens lors de sa première année (0,8 % du budget du ministère de
l’Éducation et 0,1 % du budget national26) ; le budget 2008 de l’agence était de
102 milliards de yens (1,9 % du budget du ministère et 0,2 % du budget national27).
La promotion de la culture japonaise à l’étranger constitua un autre aspect de la
politique culturelle qui bénéficia de la croissance économique. Les tensions croissantes
entre le Japon et les États-Unis créées par l’augmentation rapide des exportations de
voitures japonaises rendaient nécessaires une amélioration de l’image du Japon aux
États-Unis. Pour répondre à ce besoin, la Fondation du Japon fut établie en 1972 en
tant qu’organisation spécialisée semi-gouvernementale dépendant du ministère des
affaires étrangères et destinée à promouvoir les échanges culturels, non seulement
avec les États-Unis, mais aussi avec le reste du monde. Le Centre pour les relations
culturelles internationales de 1934, évoqué plus haut, avait continué d’exister après
la Seconde Guerre mondiale, mais ses activités avaient été mises en veilleuse, en tant
qu’organisme ayant joué un rôle important dans la propagande impériale. il fut
finalement absorbé par la fondation dans le contexte démocratique de l’après-guerre.
il importe de souligner à cet égard que la nouvelle organisation prit la forme
d’une fondation, comme son nom l’indique, dotée de 50 milliards de yens (montant
autres formes majeures des arts traditionnels de la scène, qui requièrent chacun un théâtre de style parti-
culier, les théâtres nationaux respectifs furent créés en 1983 et 1984. En outre, le nouveau théâtre natio-
nal qui est consacré aux pièces contemporaines et aux arts de la scène d’origine occidentale (opéra et bal-
let) fut établi en 1997. En 2004, le plus récent des théâtres nationaux fut inauguré à okinawa, la préfecture
insulaire du sud du pays, pour mettre en valeur la culture spécifique de cette zone et de la région asie-
Pacifique environnante.
26. agence pour les affaires culturelles (supervision), Atarashii bunka-rikkoku no souzou wo mezashite :
Bunka-cho 30 nenshi (vers la création d’une nouvelle nation orientée vers la culture : 30 ans d’histoire de
l’agence pour les affaires culturelles), Tokyo, Gyousei, p. 169.
27. voir le site internet du ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Tech-
nologie (nouveau nom depuis 2001) : http://www.mext.go.jp/b_menu/houdou/20/01/08012109/001.pdf
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porté à 100 milliards de yens en 1991) qui devaient lui permettre, grâce aux intérêts,
de fonctionner en toute indépendance par rapport à la concurrence et aux inter-
férence politiques qui déterminent le budget gouvernemental annuel. Même si la
Fondation du Japon a reçu plus tard des subventions gouvernementales pour
compenser la baisse des taux d’intérêt, son esprit d’indépendance est demeuré un
élément jugé indispensable. C’était la première fois que l’instrument de la fondation,
dont le but avoué était de maintenir une distance par rapport à la politique
gouvernementale, était adopté dans la politique culturelle japonaise. on peut y voir
une manière japonaise de préserver l’indépendance, qui se nourrit de la réflexion sur
ce que fut l’histoire impériale du Japon et la volonté de réagir face à cette période.
28. (Montant du capital social × 0,0025 + montant du revenu de l’entreprise × 0,025) × 0,5.
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financier apporté à des projets théoriques et pratiques ayant pour objectif la création
d’un réseau culturel avec les pays asiatiques voisins, ou la fondation Suntory, fondée
par la Suntory Limited (une entreprise de spiritueux) en 1979, connue pour le
soutien apporté à des publications académiques de haute tenue et à des activités
culturelles uniques en leur genre et enracinées dans des régions particulières.
C’est à cette époque que l’on commença à qualifier le soutien à la culture apporté
par des entreprises privées de « mécénat », en important directement en japonais le
terme français. L’association pour le soutien des entreprises à l’art, créée en 1990
pour mettre en réseau les entreprises concernées, s’appelait en japonais « Kigyo
(entreprise) Mécénat Kyogikai (association29) ». Le mot a donné une image de fraî-
cheur aux yeux du public et a été compris comme une sorte de mode. Cela ne signifie
pas cependant qu’il n’existait pas au Japon de tradition d’un soutien privé à la culture.
au contraire, avant l’ère moderne, en particulier à l’époque du régime Tokugawa soit
du xviie siècle à la restauration Meiji au milieu du xixe siècle, le remarquable essor
de la culture a été largement dû au patronage de riches marchands. Même si cet
aspect a été progressivement oublié lors de l’introduction du capitalisme moderne
après la restauration Meiji30, on a pu dire que cette troisième forme de soutien à la
culture, qui dans de nombreux cas a trouvé son origine dans les convictions
personnelles des chefs d’entreprise, constituait une renaissance de cette tradition.
autre groupe de nouveaux acteurs ayant émergé comme soutien à la culture au
cours des mêmes années 1970 et 1980 : les pouvoirs locaux. Cette tendance est
généralement expliquée par le fait que la population avait atteint un niveau de vie
satisfaisant sur le plan économique, et commençait à rechercher davantage
d’épanouissement au niveau de la vie personnelle, ce qui incita les pouvoirs locaux,
plus proches de la vie quotidienne de la population que le gouvernement national,
à mettre en place un meilleur environnement culturel dans leurs régions respectives.
L’« ère du localisme » devint un slogan tant journalistique que politique. Cette vague
coïncida avec les efforts des autorités locales pour s’affranchir du statut de sous-
traitant du gouvernement national. La culture était un domaine propice pour lancer
ce processus. Si la culture était considérée comme un domaine limité au sein de
29. L’association (son secrétariat) s’est développée jusqu’à aujourd’hui en tant qu’organisme bien informé
et spécialisé dans la question du soutien des entreprises à la culture et elle se montre assez active. En 1994,
l’association a obtenu le statut d’organisation reconnue d’intérêt public : les donations en sa faveur, comme
on l’a indiqué plus haut, permettent donc à une entreprise privée de multiplier par deux l’exonération à
l’impôt des sociétés. L’association collecte donc des donations auprès des entreprises et utilise les fonds
reçus pour subventionner d’autres organisations culturelles qui ne jouissent pas du même statut privilé-
gié dans le système fiscal.
30. Une caractéristique remarquable en matière de soutien à la culture au Japon fut, au début du xxe siècle,
l’émergence des entreprises de presse comme organisateurs majeurs d’événements culturels, en particulier
d’expositions assez académiques. Ce rôle de la presse n’a fait que s’affirmer et, aujourd’hui, il est courant
de voir les grands journaux disposer, à côté des journalistes et des commentateurs, d’un personnel spé-
cialisé dans les projets culturels. De leur côté, les grands magasins ont également commencé à organiser
des expositions ou des spectacles sur petite échelle. Ces événements avaient généralement lieu dans les
magasins, et avaient surtout pour but d’attirer des clients, mais certains magasins ont étendu ces activi-
tés même à l’extérieur de leurs locaux, en créant une salle de spectacles, par exemple. Les grands maga-
sins sont reconnus par le public comme d’importants organisateurs d’événements culturels au Japon.
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l’administration des tâches d’éducation dans les gouvernements locaux suivant une
structure identique à celle du gouvernement national, les demandes des citoyens
offrirent aux pouvoirs locaux une chance de changer d’avis et de considérer la culture
comme un domaine en soi, susceptible d’enrichir la vie de la population.
Ceci étant dit, comme cette tendance est partie d’osaka et d’autres préfectures
ou villes importantes s’efforçant de ne pas être en reste par rapport à Tokyo, il convient
de noter que la rivalité par rapport à la capitale a pu jouer un rôle dans ce processus.
De fait, bon nombre de pouvoirs locaux ont mené une action dans le domaine
culturel en construisant un centre culturel, une galerie ou un théâtre municipal assez
visible pour afficher le résultat de leur action dans une optique de compétition.
L’ironie veut en outre qu’en 1986, l’agence pour les affaires culturelles lance le Festival
culturel national, une manifestation annuelle essentiellement constituée par des
spectacles d’amateurs, et que chaque préfecture se devait d’organiser à son tour. Cette
initiative nationale eut pour effet d’accélérer encore les investissements des pouvoirs
locaux qui durent mettre sur pied les équipements requis pour accueillir l’événement.
Par la suite, ces initiatives firent l’objet de sévères critiques, parce que beaucoup
d’entre elles se limitèrent à la construction de bâtiments dépourvus des ressources
humaines spécialisées nécessaires pour y développer des projets créateurs. Cependant,
il est également vrai qu’au moins depuis que ces salles existent, des pièces de théâtre
ou des concerts, et pas seulement ceux du Festival culturel national, mais aussi des
réalisations du secteur privé, ont pu être présentés dans ces régions et la population
local a pu les apprécier, même s’il s’agissait de créations provenant de Tokyo et non
de créations régionales. Dans pareils cas, l’existence de la salle de spectacle a abouti
à conforter le fossé entre Tokyo et la périphérie sur le plan de la création. La
réutilisation de ces salles régionales « vides » a été l’un des sujets brûlants des débats
sur la politique culturelle et à l’heure actuelle des centres dramatiques régionaux, axés
sur la création, ont également vu le jour. Un exemple particulièrement réputé est le
Centre des arts de la scène de Shizuoka (SPaC), créé en 1997 par la préfecture de
Shizuoka et dirigé par le metteur en scène de théâtre Tadashi Suzuki jusqu’en 2007,
Satoshi Miyagi lui ayant aujourd’hui succédé.
La montée en puissance des entreprises privées et des pouvoirs locaux comme
soutiens actifs de la culture a eu dans les faits pour conséquence un soutien accru du
gouvernement national. Les tendances générales précitées ont exercé une pression
sur le gouvernement national dont les investissements en matière de culture, à l’excep-
tion de la protection des biens culturels, étaient restés modestes. Le résultat le plus
déterminant fut, en 1990, la création du Fonds japonais pour les arts, doté d’environ
60 milliards de yens (quelque 50 milliards de yens provenant du gouvernement
national et 10 milliards de dons du secteur privé) et destiné à financer la création
artistique31. Le fonds était géré par le Conseil japonais pour les arts, institué lors de
la création du fonds, en tant qu’organisation autonome affiliée à l’agence pour les
31. Le fonds pouvait compter sur des intérêts de quelque 3 milliards de yens par an au moment de sa
création. Suite à la baisse des taux d’intérêt, les revenus perçus par le fonds se situent à quelque 1,8 mil-
liard de yens. voir www.ntj.jac.go.jp/about/financial/index.html (site du Conseil japonais pour les arts).
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32. Leurs échanges de vues furent publiés dans l’Asahi Shimbun le 9 septembre, 2 octobre, 25 octobre et
le 8 novembre 1990.
33. voir Mari Kobayashi, Bunka-ken no kakuritsu ni mukete : Bunkashinko-ho no kokusaihikaku to nip-
pon no genjitsu (vers l’établissement des droits culturels : études comparatives internationales sur les légis-
lations en faveur de la promotion de la culture et état actuel de la question au Japon), Tokyo, Keiso-shobo,
2004.
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d’une justification plus forte à l’appui de sa demande d’un budget plus important.
Cette logique a également accéléré le lobbying des associations d’artistes : elles ont pu
demander davantage de soutien en déclarant agir dans l’intérêt du public et non le
leur. Ces pressions se sont fait sentir avec succès au niveau d’un groupe de
parlementaires de divers partis, qui se sont désignés eux-mêmes comme la ligue des
députés et des sénateurs pour les questions musicales34 et à qui l’on doit également
une première idée du Fonds japonais pour les arts.
La ligue joua un rôle actif dans la rédaction de la loi fondamentale pour la pro-
motion de la culture et des arts, qui fut finalement adoptée en 2001. La loi établissait
la responsabilité des autorités nationales et locales dans l’élaboration et la mise en
œuvre de politiques dans le domaine de la culture et des arts (articles 3 et 4) parce
que, selon son préambule, créer et jouir de la culture et des arts et trouver la joie de
vivre dans un environnement culturel constituent un souhait de toujours de la
population. Selon une interprétation répandue, les dispositions de la Constitution
nippone sur les droits de l’homme ont directement fourni la base de la loi.
En fait, l’effet le plus concret de l’adoption de cette loi a été d’autoriser légalement
l’agence pour les affaires culturelles, en tant qu’organe concerné au niveau du
gouvernement national, à mener des actions dans le domaine des arts. À l’inverse de
la protection des biens culturels, pour laquelle la base légale avait été établie dès 1950,
il n’existait encore aucune justification légale à l’intervention nationale dans le
domaine du soutien aux arts. Le fait avait d’ailleurs été souligné par l’inspection
administrative de l’agence de Gestion et de Coordination en 1994, et était source
d’anxiété pour l’agence pour les affaires culturelles.
Dans le même temps, toutefois, une caractéristique remarquable de la nouvelle
loi était de ne pas attribuer la responsabilité de la politique culturelle au seul gouver-
nement national, mais aussi aux pouvoirs locaux. Ce choix faisait écho à la révision,
en 1999, de la loi sur l’autonomie locale de 1947. Suite aux débats continuels sur la
décentralisation, les pouvoirs locaux nippons, qui avaient de facto fait office de sous-
traitants du gouvernement national, grâce à cette révision se trouvaient placés sur le
même niveau que lui. Le fait que cette situation nouvelle soit rapidement répercutée
dans le domaine de la culture revêtait une portée symbolique, puisque l’« ère du
localisme » des années 1980 avait été guidée par la culture, comme on l’a vu. La
nouvelle loi fondamentale a joué un rôle moteur pour encourager les pouvoirs locaux
à se montrer de nouveau actifs dans ce domaine. Cette fois, leur action ne privilégia
plus la construction d’équipements culturels, mais dans de nombreux cas,
l’élaboration d’une ordonnance ou d’une stratégie officielle de promotion des arts et
de la culture pour les populations concernées.
L’ironie, pour les responsables culturels, a voulu que juste après l’adoption de la
loi de 2001, la réforme générale du secteur public destinée à réduire de manière
drastique les dépenses publiques entra en application, et qu’une justification plus
forte devint nécessaire pour décider un gouvernement national ou local à financer
34. Leurs activités de promotion de la politique culturelle commencèrent dans le domaine de la musique
en 977, mais aujourd’hui leurs intérêts se sont étendus aux divers arts du spectacle et au cinéma.
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35. voir nobuyuki Tsugata, “Why ‘anime’: Japanese animation in the World”, Sophia, 2007, vol. 56,
no 2, p. 225-243.
36. Site internet du Festival japonais des arts des médias : http://plaza.bunka.go.jp/english/festival/2008/
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37. Ce programme, créé en 2001, a cessé d’exister en 2005 pour être absorbé dans le nouveau cadre à éta-
blir sur la base de la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.
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Per MaNgseT*
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Singularités norvégiennes
De telles comparaisons entre la Norvège et des puissances internationales impor-
tantes comme la grande-bretagne et la France paraissent cependant inégales. La
Norvège n’est qu’un petit pays (4, millions d’habitants en 200) dans la périphérie
de l’europe. C’est une nation jeune, qui a eu un long passé colonial, soumise aux
pays voisins (le Danemark et la suède). La Norvège est indépendante seulement
depuis 1905. Les structures sociales du pays sont traditionnellement égalitaires. Histo-
riquement on n’a pas eu une véritable noblesse nationale. Même si la Norvège, grâce
au pétrole, est devenue un des pays les plus riches du monde pendant les quarante
dernières années, les traditions égalitaires persistent, au moins dans la politique
culturelle.
Malgré une immigration accrue pendant les dernières décennies, la Norvège est
toujours un pays homogène du point de vue démographique et culturel. Même si la
religion joue actuellement un rôle limité dans la vie des Norvégiens4, la grande
majorité (83 % en 200) est toujours membres de l’Église d’État luthérienne (protes-
tante). C’est aussi un fait que des courants culturels puritains ont traditionnellement
beaucoup influencé la vie culturelle en Norvège. Dans les pays anglo-américains, de
telles traditions sont allées de pair avec un certain scepticisme envers les divertisse-
2. Harry H. Chartrand et Claire McCaughey, “e arm’s Length Principle and the arts: an Internatio-
nal Perspective – Past, Present and Future”, dans Milton C. Cummings et Mark J. Davidson schuster
(eds), Who’s to Pay for the Arts? e International Search for Models of Arts Support, New York, aCa booKs,
1989, p. 43-80 ; Per Mangset, « Kulturpolitiske modeller i Vest-europa », dans georg arnestad (dir.), Kul-
turårboka 1995, oslo, Det Norske samlaget, 1995a, p. 12-41 ; Mark J. Davidson schuster, “e search
for International Models: Results from Recent Comparative Research in arts Policy”, dans Milton
C. Cummings et Mark J. Davidson schuster (eds), Who’s to Pay for the Arts?…, op. cit., p. 15-42.
3. L’organisation de la politique culturelle au niveau central paraît un peu différente en Finlande, parce
que c’est le ministère de l’Éducation, non pas un ministère de Culture, qui est responsable de la politique
culturelle. Mais le ministère de l’Éducation a deux ministres plutôt égaux, un pour l’Éducation et un pour
la Culture et les sports. au fond il y a donc plus de similitudes que de différences d’organisation centrale
de politique culturelle dans les pays nordiques.
4. Kristen Ringdal, Norge i Europa. Resultater fra Den europeiske samfunnsundersøkelsen, statistisk sentral-
byrå, http://www.ssb.no/samfunnsspeilet/utg/200405/0/index.html, 2004.
32
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ments culturels5. Le rôle des pouvoirs publics a longtemps été faible. Dans les pays
anglo-américains les activités culturelles ont donc plutôt été considérées comme une
affaire relevant des choix privés. Mais malgré des traditions relativement puritaines
dans les pays nordiques, les pouvoirs publics prennent actuellement des responsabi-
lités culturelles considérables (voir le niveau élevé de subventions aux institutions
dans le spectacle vivant). Il paraît qu’en Norvège la politique de l’État-providence
d’après-guerre a surmonté le scepticisme puritain traditionnel envers la culture.
Deux clivages culturels importants contribuent à modifier l’impression d’homo-
généité culturelle en Norvège : 1) les Lapons (environ 40 000) constituent une mino-
rité ethnique distincte, avec une langue et culture propres, et avec des institutions et
une politique culturelle propre ; 2) depuis le xIxe siècle, la langue norvégienne est
divisée en deux versions officielles, la version majoritaire, le bokmål (environ 90 %
de la population) historiquement proche du danois, et la version minoritaire, le
nynorsk (environ 10 % de la population). Le nynorsk est surtout implanté à l’ouest
du pays, dans les vallées intérieures du sud, et dans quelques autres régions de cam-
pagne. C’est aussi une langue littéraire et scénique forte. en plus les administrations
et les médias publics sont obligés de l’utiliser, suivant des règles spécifiques (quotas).
Les deux versions du norvégien sont aujourd’hui linguistiquement très proches l’une
de l’autre, et réciproquement tout à fait compréhensibles. Mais historiquement le
nynorsk représentait l’ambition au xIxe siècle de recréer une nouvelle langue nationale,
fondée sur des racines historiques traditionnelles, comme alternative à la langue
officielle (à l’époque le danois). Le nynorsk est toujours porteur des traditions et
symbolismes nationaux très forts, et son influence culturelle est plus forte qu’indique
le pourcentage d’utilisateurs.
La vie politique et culturelle en Norvège est à la fois centralisée et décentralisée.
La capitale est le centre politique et culturel indiscutable en Norvège comme en
France6. Mais traditionnellement des mouvements culturels oppositionnels implantés
dans la province ont en grande partie contrebalancé les pouvoirs centraux en Norvège.
Des contre-cultures rurales, religieuses, linguistiques, antialcooliques et populistes
ont par exemple souvent dominé les débats culturels au Parlement au cours du siècle
dernier.
5. F. F. Ridley, “Tradition, Change, and Crisis in great britain”, dans Cummings, M C. et Katz R s., e
Patron State. Government and the Arts in Europe, North America, and Japan, oxford University Press, 198,
p. 225-253 ; John Michael Montias, “e Public support for the Performing arts in europe and the Uni-
ted states”, dans Paul J. DiMaggio (dir.), Non-profit Enterprise in the Arts. Studies in Mission and Constraint,
New York/oxford, oxford University Press, 1986, p. 28-319.
6. Per Mangset, “e artist in Metropolis: Centralisation Processes and Decentralisation in the artistic
Field”, dans e International Journal of Cultural Policy, 1998, vol. 5, no 1 ; Pierre-Michel Menger, « L’hé-
gémonie parisienne. Économie et politique de la gravitation artistique », Annales ESC, Paris, novembre-
décembre 1993, p. 1565-1600.
. Øivind Frisvold, Teatret i norsk kulturpolitikk. Bakgrunn og tendenser fra 1850 til 1970-årene, oslo, Uni-
versitetsforlaget, 1980 ; Hans Fredrik Dahl et Tore Helseth, To knurrende løver. Kulturpolitikkens historie
1814-2014, oslo, Universitetsforlaget, 2006.
33
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8. geir Vestheim, Kulturpolitikk i det moderne Norge, oslo, Det Norske samlaget, 1995 ; Vincent Dubois,
la Politique culturelle. Genèse d’une catégorie d’intervention publique, Paris, belin, 1999.
9. Hans Fredrik Dahl, « Kulturpolitikkens mekanismer », dans Nordisk kulturpolitisk tidsskrift, 2004, no 1,
p. -23 ; id., « studiet av kulturpolitikk som del av allmenn politikk », dans Nordisk kulturpolitisk tidss-
krift, 2006, no 1, p. 5-14.
10. Id., « Kulturpolitikkens mekanismer », art. cité.
11. Cette distinction entre democratisation of culture (une politique plutôt « distributive ») et cultural demo-
cracy (une politique décentralisée et autonome) a été introduite par augustin girard dans son livre, Cul-
tural Development. Experience and Policie, Paris, Unesco en 192. La distinction a ensuite été appropriée
par les rhétoriques gouvernementales de politiques culturelles, au moins dans les pays nordiques.
12. Paul J. DiMaggio et Walter W. Powell, “e Iron Cage Revisited: Institutional Isomorphism and Col-
lective Rationality in organizational Field”, dans Walter W. Powell et Paul J. DiMaggio (eds), The New
Institutionalism in Organizational Analysis, Chicago, Londres, e University of Chicago Press, 1991.
13. H. F. Dahl, « Kulturpolitikkens mekanismer », art. cité ; id., « studiet av kulturpolitikk som del av all-
menn politikk », art. cité.
34
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que dans les autres pays nordiques, et beaucoup plus faibles que dans les pays anglo-
américains14.
La politique culturelle norvégienne est aussi traditionnellement caractérisée par
une redistribution de ressources entre la culture de masse et la haute culture15.
Plusieurs instruments de politique culturelle contribuent depuis longtemps à redistri-
buer les bénéfices obtenus sur la production et la distribution des divertissements
considérés comme « légers » en faveur de la haute culture. C’est un principe
profondément puritain « d’impôt sur les plaisirs16 » qui règne. À la fin du xIxe et au
début du xxe siècle les bénéfices des coopératives qui vendaient de l’alcool étaient
souvent canalisés par les communautés locales aux buts culturels « nobles » ; pendant
la première partie du xxe siècle les bénéfices sur les cinémas municipaux ont contribué
à la construction d’importants édifices culturels comme le parc des sculptures de
Vigeland et le musée edvard Munch ; et après la guerre de 1940 à 1945, le loto
sportif et d’autres loteries divertissantes ont fortement contribué à financer aussi bien
la culture que le sport. Dans tous ces cas des bénéfices sur la culture de masse (« le
mauvais goût populaire ») a été redistribué en faveur de la haute culture.
Les autorités publiques norvégiennes ont aussi éprouvé le besoin de contrôler des
expressions culturelles, particulièrement les expressions considérées comme nocives
ou immorales. D’après Dahl1 le besoin de contrôle a donc été un mécanisme impor-
tant pour le développement d’une politique culturelle publique en Norvège. La loi
de 1913, instituant un régime de censure des films, est l’exemple historique le plus
important. La prohibition de publicité à l’unique chaîne publique après l’ouverture
de la télévision en 1960 est un autre exemple. aujourd’hui encore, la publicité
demeure interdite sur les chaînes publiques.
Pendant la plus grande partie du xxe siècle la production artistique, et particulière-
ment la production du spectacle vivant, a été exposée à une crise économique
croissante. La productivité des spectacles vivants a stagné par rapport à la productivité
d’autres secteurs économiques technologiquement plus avancés. Cela implique par
exemple que la proportion des budgets des théâtres couverte par la vente des billets
a diminué dramatiquement pendant la première moitié du xxe siècle. C’est le cas en
Norvège comme dans d’autres pays développés18. C’est un phénomène qui, en
premier, a été étudié par l’économiste américain William baumol. Ce « mécanisme »
14. J. M. Montias, “e Public support for the Performing arts in europe and the United states”, art.
cité ; P. Mangset, « Kulturpolitiske modeller i Vest-europa », art. cité.
15. H. F. Dahl, « Kulturpolitikkens mekanismer », art. cité ; id., « studiet av kulturpolitikk som del av all-
menn politikk », art. cité.
16. ou « impôt sur le désir », « impôt sur le mauvais goût ». Per Mangset, Kulturliv og forvaltning. Innfø-
ring i kulturpolitikk, oslo, Universitetsforlaget, 1992 ; Hans Fredrik Dahl, « Kulturpolitikkens meka-
nisme », art. cité ; Hans Fredrik Dahl, « studiet av kulturpolitikk som del av allmenn politikk », art. cité.
1. H. F. Dahl, « Kulturpolitikkens mekanismer », art. cité ; id., « studiet av kulturpolitikk som del av all-
menn politikk », art. cité.
18. bjørn egeland, « Teatrets økonomi », dans Harald swedner et bjørn egeland (dir.), Teatern som social
institution, akademisk Forlag/studenlitteratur, Köbenhavn/Lund, 194. ; J. M. Montias, “e Public sup-
port for the Performing arts in europe and the United states”, art. cité.
35
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19. baumol William J. et William g. bowen, Performing Arts. e Economic Dilemma. A Study of Pro-
blems common to eater, Opera, Music and Dance, Cambridge (Mass)/Londres, e MIT Press, 1966.
20. H. F. Dahl, « Kulturpolitikkens mekanismer », art. cité ; id., « studiet av kulturpolitikk som del av all-
menn politikk », art. cité ; P. Mangset, Kulturliv og forvaltning. Innføring i kulturpolitikk, op. cit.
21. Tore Hansen et Francesco Kjellberg, « Kommunale utgifter i Norge : autonomi og sentral kontroll i
lokalforvaltningen », dans Francesco Kjellberg (dir.), Den kommunale virksomhet, planlegging, finanser og
budsjettering, oslo, Universitetsforlaget, 1980.
22. Joffre Dumazedier, Vers une civilisation du loisir ?, Paris, Le seuil, 1962.
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23. Jens engberg, « Hvad er kulturpolitik », dans Nordisk kulturpolitisk tidsskrift, 2004, no 1, p. 24-42 ;
Dag solhjell, « Når fikk Norge en kulturpolitikk ? et debattinnlegg mot den konvensjonelle visdom »,
dans Nordisk kulturpolitisk tidsskrift, no 2/2005 ; H. F. Dahl et T. Helseth, To knurrende løver…, op. cit.
24. H. F. Dahl et T. Helseth, To knurrende løver…, op. cit.
25. Ø. Frisvold, Teatret i norsk kulturpolitikk…, op. cit.
26. H. F. Dahl et T. Helseth, To knurrende løver…, op. cit.
2. Ibid.
3
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social-démocratie au pouvoir dans les années 1930, puis le long régime politique
social-démocrate de 1945 à 1965, la contre-culture travailliste s’est vite transformée
en politique culturelle hégémonique d’État.
Dans plusieurs pays européens, on peut retrouver les racines de l’institutionnalisa-
tion de la politique culturelle d’après-guerre dans la situation politique et culturelle
des années 1930. en France, par exemple, le Front populaire des années 1930
représente un important arrière-plan au développement de la politique culturelle des
années 1950 et 196028. en Norvège, la social-démocratie a joué un rôle similaire
pendant la même période. Mais le gouvernement de gauche libéral des années 1933-
1935 a aussi pris des initiatives importantes pour établir une politique culturelle,
surtout dans le domaine de la radio, de l’éducation populaire et des bibliothèques29.
28. David L. Looseley, e Politics of Fun. Cultural Policy and Debate in Contemporary France, oxford,
berg Publishers, 1995 ; V. Dubois, la Politique culturelle…, op. cit.
29. H. F. Dahl et T. Helseth, To knurrende løver…, op. cit.
30. Ibid.
31. Ibid. ; P. Mangset, Kulturliv og forvaltning…, op. cit.
38
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32. stein Rokkan, “Norway: Numerical Democracy and Corporate Pluralism”, dans Robert a. Dahl (ed.),
Political Oppositions in Western Democracies, New Haven/Londres, Yale University Press, 1965.
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explicitement des idées de l’éducation populaire33. Les visions de Malraux sont plutôt
marquées par une conception charismatique de la démocratisation de la culture.
Urfalino34 parle par exemple de « l’idée d’une capacité intrinsèque de l’excellence
artistique à provoquer un choc ou une révélation qui abolirait la distance entre le
public et l’œuvre ». Looseley35 écrit que “the received wisdom was that art could elicit
a spontaneous emotion without apprenticeship or mediation”. on ne retrouve guère
cette vision charismatique de la transmission des œuvres culturelles chez les sociaux-
démocrates norvégiens de la même époque.
Une autre institution importante dans le paysage de politique culturelle
norvégien, le Conseil culturel norvégien, a été établie en 1965. Cette nouvelle institu-
tion est également vouée à la haute culture, plus particulièrement aux arts expérimen-
taux et novateurs. avec l’établissement du Conseil culturel, les autorités publiques
reconnaissent que l’attribution de soutien au monde de l’art doit, en principe, être
fait à distance (“at an arm’s length”) du monde politique. Le Conseil culturel norvégien
(Norsk kulturråd) est le parent d’un grand nombre d’autres conseils d’art internatio-
naux, particulièrement dans le monde anglo-américain. Le Conseil d’art de grande-
bretagne a souvent été considéré comme le premier inspirateur de tous les autres
conseils d’art dans le monde. on pouvait donc supposer que l’établissement du
Conseil culturel norvégien refléterait une influence britannique. Mais, à ce jour,
aucune indication précise n’a été retrouvée dans les sources disponibles36.
Le Conseil culturel norvégien a été essentiellement créé afin de défendre la culture
norvégienne contre l’influence accrue de la culture populaire américaine ou américa-
nisée3. C’est une préoccupation qui a aussi souvent caractérisé la politique culturelle
française38. Pour le Conseil culturel norvégien, c’est d’abord la situation de la
littérature nationale qui est en jeu. Comment peut-on la défendre contre l’influence
massive de la culture populaire américaine ? Dans le cadre du conseil on a établi un
système de soutien à la littérature. Mille copies de tous les livres de qualité publiés
en norvégien sont systématiquement acheté pour être distribuer aux bibliothèques
publiques. aujourd’hui près de 200 titres de la littérature dite « adulte » sont
subventionnés tous les ans. en plus, des systèmes semblables ont été institués pour
subventionner la littérature pour jeunes et enfants, et enfin la littérature non
fictionnelle. La mission du conseil est de subventionner en priorité la création un
peu expérimentale, souvent située à l’extérieur des grandes institutions. Les grandes
institutions coûteuses du spectacle vivant ne sont pas subventionnées par le Conseil
culturel. C’est à la charge du gouvernement.
Les institutions du spectacle vivant ont d’ailleurs connu des crises économiques
récurrentes pendant tout le siècle (voir notre évocation de « la loi baumol »). Plusieurs
33. Philipe Urfalino, l’Invention de la politique culturelle, Paris, Comité d’histoire du ministère de la
Culture/La Documentation française 1996.
34. Ibid., p. 123.
35. D. Looseley, e Politics of Fun…, op. cit., p. 40.
36. anton Fjeldstad, Litteratur til folket ? En litteraturpolitikk blir til (manuscript inachevé).
3. Nils Øye, Skipingen av Norsk kulturfond, hovedoppgave i historie, Universitetet i bergen, 1980.
38. D. Looseley, e Politics of Fun…, op. cit., p. 40.
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commissions (1935, 1960 et 1968) ont été constituées pour résoudre le problème.
graduellement un système de subventions plus stable et universaliste a été installé39.
on ne peut guère dire que ce système ait été marqué par des courants politiques très
spécifiques.
La politique culturelle des années 1940 à 190 ne vise pas explicitement les
activités socioculturelles moins prestigieuses du loisir et de l’amateurisme. Mais quel-
ques mesures importantes ont été prises aussi vis-à-vis de telles activités, en instituant
un système de loto sportif (le foot) en 1946. au cours des années, le loto est devenu
une source de plus en plus importante de subvention à la culture, au sens large, en
Norvège. D’abord les sports et les sciences ont pu en profiter ; plus tard le loto sportif
a aussi subventionné la culture au sens plus restreint. De nombreuses municipalités
ont aussi progressivement établi des infrastructures politiques et administratives
pendant cette période, particulièrement pour promouvoir des activités socioculturel-
les40. L’établissement de tels organismes au niveau municipal est partiellement dû au
besoin de contrôle de l’usage local des moyens du loto.
Mais la plus grande réforme de politique culturelle pendant cette période est
l’introduction de transmissions régulières de télévision en 1960. Conformément aux
traditions norvégiennes d’homogénéité culturelle, dirigisme social-démocrate et puri-
tanisme prudent, seule une chaîne publique de télévision, très éducative et sage, sans
publicité, a été créée. Ce monopole d’État a subsisté jusqu’en 1992, quand une
nouvelle grande chaîne privée, avec publicité – la TV-2 – a été établie. L’introduction
d’une unique chaîne de télé de type « service public » en 1960 a certainement influen-
cé la vie culturelle des Norvégiens plus que toute autre réforme de politique culturelle
d’après-guerre. La fréquentation des cinémas a chuté de 35 millions de spectateurs
par an dans les années 1950 à 11-12 millions par an dans les années 198041, puis
s’est stabilisée dans les décennies suivantes42.
39. Ø. Frisvold, Teatret i norsk kulturpolitikk…, op. cit. ; H. F. Dahl et T. Helseth, To knurrende løver…,
op. cit.
40. P. Mangset, Kulturliv og forvaltning. Innføring i kulturpolitikk…, op. cit.
41. Ibid.
42. statistisk sentralbyrå (ssb), Kulturstatistikk 2006, ssb, oslo-Kongsvinger, 200.
43. Pierre bourdieu et alain Darbel, l’Amour de l’art. Les musées d’art européens et leur public, Paris, Minuit,
1969 ; Harald swedner, « barriären mot finkulturen », dans swedner Harald (dir.), Om finkultur och mino-
riteter, stockholm, almqvist & Wiksell, 191.
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la classe ouvrière et les couches sociales peu instruites n’affluent pas aux institutions
de la haute culture. Dans les pays nordiques, les objectifs de la politique culturelle
ont été en grande partie redéfinis. Il fallait élargir la conception des activités culturelles
légitimes parmi les acteurs de la politique culturelle. Même les activités sportives sont
incluses. Les activités culturelles non professionnelles ont été revalorisées. La culture
associative et socioculturelle a donc été placée au centre de la politique culturelle. La
revalorisation des cultures populaires locales s’impose comme une priorité.
Cette nouvelle politique de « démocratie culturelle » est marquée par un certain
relativisme culturel. en plus c’est une politique culturelle assez instrumentaliste. on
souhaite utiliser la culture comme instrument pour résoudre des problèmes sociaux
à l’extérieur du champ culturel (créer des environnements socioculturels plus positifs ;
résoudre les problèmes causés par une industrialisation et urbanisation trop forcées).
Cela ne veut pas dire que l’on néglige la haute culture. Il est plutôt question d’une
revalorisation relative des activités socioculturelles à côté des activités culturelles
traditionnelles.
en même temps, une réforme importante de décentralisation de compétences
politiques et administratives du secteur culturel est mise en œuvre. après 195, la
responsabilité de nombreuses décisions est graduellement déléguée aux nouveaux
organismes de politique et administration culturelle dans les municipalités. La plupart
des municipalités ont progressivement embauché des secrétaires ou directeurs chargés
de la culture : 60 % des municipalités ont une administration culturelle propre en
1980, 99 % en 199344. Une réforme similaire concerne les dix-neuf départements.
Ces réformes d’infrastructures politiques et administratives sont en grande partie
venues d’en haut, c’est-à-dire du gouvernement. Le gouvernement et les nouveaux
directeurs culturels départementaux collaborent étroitement pour inspirer les munici-
palités à réaliser les réformes. Mais ce ne sont pas des réformes qui obligent les muni-
cipalités ou les départements à introduire de nouvelles structures. Les conseils munici-
paux et départementaux gardent l’initiative concernant l’introduction éventuelle de
nouvelles structures. Les nouveaux organismes représentent les municipalités et les
départements, pas l’État. Il s’agit d’une véritable « décentralisation » et non d’une
« déconcentration ».
Pendant les années 195-1980 la Norvège introduit de nouveaux systèmes de
soutien aux musées locaux et à l’éducation populaire. Ce sont des réformes qui
correspondent avec les principes socioculturels et décentralisateurs de la « nouvelle
politique culturelle ». Mais les réformes s’avèrent trop généreuses. Le nombre de petits
musées locaux, souvent en plein air, s’accroît sans limites. beaucoup d’associations
profitent des subventions à l’éducation populaire pour faire grandir leurs administra-
tions générales. Ces deux réformes ont donc eu des effets pervers substantiels. après
quelques années, les autorités politiques ont dû limiter les systèmes de subvention
aux musées locaux et à l’éducation populaire.
44. Per Mangset, Kultursekretæren − mellom byråkrati og profesjon ? En sosiologisk analyse av kultursekretæ-
ryrket, stavanger, Universitetsforlaget, 1984 ; id., Kulturliv og forvaltning…, op. cit. ; id., “Risks and bene-
fits of decentralisation: e development of local cultural administration in Norway”, dans e European
Journal of Cultural Policy, amsterdam 1995b, vol. 2, no 1.
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La « nouvelle politique culturelle » des années 190 est donc premièrement fondée
sur des idées socioculturelles et décentralisatrices. Deuxièmement, elle est marquée
par une conception solidaire et corporatiste du rôle de l’artiste, très typique pour
l’État-providence social-démocrate nordique. Dans ce cadre politique et idéologique,
un nouveau système de subventions aux artistes a aussi été établi. Le Parlement a,
dès 19, introduit un système de « revenu garanti minimum », favorisant une caté-
gorie d’artistes reconnus et expérimentés. Ce système assure un revenu modeste de
base jusqu’à la retraite à 400-500 artistes, surtout aux artistes plasticiens, écrivains et
artisans d’art. en 1980, le système comprend environ 10 % des artistes professionnels
du pays. De 1980 à 2006, le nombre d’artistes professionnels a quadruplé, tandis
que le nombre d’artistes touchant le revenu minimum garanti a stagné autour de
500. aujourd’hui, seuls 3 à 4 % des artistes professionnels touchent le revenu garanti
minimum45. Le Parlement a aussi introduit ou renforcé une série d’autres bourses
pendant les années 190. Il a surtout élargi et renforcé le système de bourses de travail
(3-5 ans), qui – déjà dans les années 1960 – avait remplacé les anciens « salaires
d’artiste ». on a aussi introduit des bourses d’établissement (196), des bourses de
matériaux (198), des bourses de remplaçants (198), etc.46. Toutes ces bourses, et
surtout le revenu garanti minimum, participent d’un état d’esprit syndical et égali-
taire. Il faut toutefois souligner que ceux qui touchent ces bourses sont tous exposés
à une évaluation et une sélection d’après des critères artistiques. Mais on ne peut pas
nier non plus que les organismes qui évaluent et sélectionnent entre les projets des
artistes sont très influencés par les organisations syndicales des artistes.
Peut-on établir un parallèle avec la situation française ? Les années 1960 et 1980,
plutôt que les années 190, sont les grandes périodes de réformes de la politique
culturelle française4. La plupart des ministres français de la Culture des années 190
ont laissé peu de traces, parce qu’ils sont restés peu de temps au pouvoir. Jacques
Duhamel apparaît comme l’exception48. Il y a des points de convergence entre la
politique de « développement culturel » de Duhamel de 191 à 193 et la politique
socioculturelle des ministères culturels nordiques des années 190.
45. NoU, Evaluering av Statens stipend- og garantiinntekter for kunstnere, oslo 1993: 14 ; Mari T. Heian,
Knut Løyland et Per Mangset, Kunstnernes aktivitet, arbeids- og inntektsforhold, 2006, Telemarksforsking,
rapport nr 241, bø 2008.
46. Mie berg simonsen, Kunstnerne i Norge. En oversikt over politikk, økonomi, juss og organisering, gyl-
dendal, ad Notam, 1999.
4. D. Looseley, e Politics of Fun…, op. cit. ; V. Dubois, la Politique culturelle…, op. cit. ; P. Urfalino,
l’Invention de la politique culturelle…, op. cit.
48. geneviève gentil et augustin girard (dir.), les Affaires culturelles au temps de Jacques Duhamel, 1971-
1973. Actes des journées d’étude, 7 et 8 décembre 1993, Paris, La Documentation française, 1995.
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49. L’historien berge Furre (Vårt hundreår. Norsk historie 1905-1990, samlaget, 1991, p. 248-249) a intro-
duit cette expression pour désigner la période entre 1952 en 19 en Norvège. D’après lui cette période
a été marquée par la forte position de la social-démocratie (même si elle n’était pas toujours au pouvoir) ;
par un mélange de l’économie du marché et de l’etat ; par un etat fort et dirigiste ; par des transferts éco-
nomiques substantiels aux groupes et régions défavorisés ; par une forte croissance économique ; par la
priorité à l’industrie ; par le corporatisme ; par la régulation des marchés ; par des services de santé et l’édu-
cation publics – et par des responsabilités fortes de l’État envers les institutions culturelles.
50. M aanderaa est resté directeur général au ministère de 192 jusqu’à sa mort en 1991. Mais c’est entre
192 et 1982 qu’il a influencé le plus la politique culturelle norvégienne.
51. Ministère de Culture et Recherche, St.meld. nr. 27 (1983-84) Nye oppgåver i kulturpolitikken. Tillegg
til St.meld. nr. 23 (1981-82) Kulturpolitikken for 1980-åra, oslo, 1983.
384
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deux secteurs, les médias et le spectacle vivant. Le monopôle d’État sur la diffusion
de radio est vite aboli. Il y a ensuite eu une prolifération de petits (et quelques grands)
émetteurs privés de radio52. Le gouvernement a aussi obligé les théâtres à regarder
leurs coûts et leurs sources de revenus de plus près. Le ministère revendique une
augmentation des recettes, ce qui a forcé les théâtres à jouer davantage de pièces plus
légères. Ce tournant de politique culturelle vers la droite libérale et conservatrice est
cependant resté limité. La majorité au Parlement continue de soutenir plutôt le
modèle social-démocrate53. Il y a eu une majorité de centre gauche de politique
culturelle relativement stable et de longue durée, même si les couleurs des
gouvernements ont changé.
La politique socioculturelle au niveau local a d’abord été consolidée, ensuite
affaiblie, pendant les années 1980 et 1990. Pendant les années 1980, le gouvernement
a par exemple pris des mesures importantes pour renforcer la formation culturelle
des enfants. on a d’abord créé un système universalisé d’écoles de culture et musique
au niveau local. Une subvention à ces écoles a été introduite en 1984. L’infrastructure
d’écoles de culture et musique a été encore renforcée quand une nouvelle loi a obligé
toutes les communes à offrir un tel service dès 19954. Cette réforme vise les activités
culturelles des petits amateurs. elle a ensuite contribué à renforcer considérablement
les compétences musicales de nouvelles générations de Norvégiens, et encouragé
beaucoup de jeunes à poursuivre une carrière musicale professionnelle. Vers les années
2000, cette réforme s’est accompagnée d’une autre réforme importante qui concerne
l’animation culturelle dans les écoles, le soi-disant « Cartable culturel ». L’intention
est de transmettre des expériences artistiques professionnelles à tous les écoliers55.
Le développement du secteur culturel au niveau local pendant les années 1980
et 1990 est plutôt dû aux réformes générales de décentralisation qu’à une politique
culturelle intentionnelle du ministère. Les communes norvégiennes, au début des
années 1980, contribuent davantage que l’État au soutien économique de la culture56.
Les structures politiques et administratives, établies au niveau municipal pendant les
années 190, se sont d’abord renforcées au début des années 1980. La consolidation
générale des structures politiques et administratives dans les communes et les
départements bénéficie au secteur culturel. Mais vers la fin des années 1980, la
politique de réformes décentralisatrices initiée et dirigée d’en haut a progressivement
été discréditée. serait-ce le devoir de l’État de se mêler de l’organisation et des priorités
des municipalités ? après l’introduction d’une nouvelle loi municipale en 1993, une
52. Il y a certainement des parallèles avec la libéralisation – et la multiplication de chaînes de télé – pen-
dant la même période en France. Mais en France ce furent un président et un gouvernement socialistes
qui ont entamé la libéralisation. alors que la privatisation et la multiplication des chaînes de télévision
eurent lieu à partir de 1985 en France, cette transformation n’a commencé qu’en 1992 en Norvège.
53. Parlement norvégien, Innst. S. nr. 132 (1984-85) Innstilling fra kirke- og undervisningskomiteen om
kulturpolitikk for 1980-åra og nye oppgaver i kulturpolitikken, oslo, 1985.
54. Ministère d’Éducation et Recherche, St.meld. nr. 39 (2002-2003) « Ei blot til lyst ». Om kunst og kul-
tur i og i tilknytning til grunnskolen, oslo, 2003.
55. Ministère d’Éducation et Recherche, St.meld. nr. 39 (2002-2003) « Ei blot til lyst »…, op. cit.
56. P. Mangset, Kulturliv og forvaltning…, op. cit. ; id., Kulturpolitikk i Vest-Europa…, op. cit.
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grande partie des municipalités ont affaibli leurs administrations culturelles en les
intégrant dans d’autres administrations sectorielles, comme l’éducation, l’industrie
ou l’environnement5.
La rhétorique instrumentaliste s’est davantage accentuée dans le champ de
politique culturelle, surtout au niveau régional et local, pendant les années 1980 et
1990. Le discours prédominant souligne que la culture doit servir à de bonnes causes :
à un essor économique et industriel, au bon développement de la santé populaire et
à l’intégration de différentes minorités ethniques et sociales dans la société norvé-
gienne. Plusieurs projets sont mis en œuvre par les pouvoirs publics pour atteindre
de tels objectifs, souvent sans effets très substantiels, sauf au niveau discursif et
rhétorique. Des discours similaires, accentuant les effets bénéfiques de la culture sur
l’économie, ont eu un nouvel essor après 2000, en Norvège comme dans beaucoup
d’autres pays. beaucoup d’acteurs dans le secteur culturel parlent avec enthousiasme
de « la classe créative », de « l’industrie créative » et de « l’économie de l’expérience58 ».
5. Trine Myrvold, Kultursektor i forvitring ? Økonomisk og organisatorisk utvikling i kommunal og fylkes-
kommunal kultursektor på 90-tallet, oslo, NIbR, 1998 : 18.
58. Richard Florida, e Rise of the Creative Class. And How It’s Transforming Work, Leisure, Community
and Everyday Life, basic books, 2002 ; R. e. Caves, Creative Industries. Contracts between Art and Com-
merce, Harvard University Press, 2000 ; J. b. Pine, J. H. gilmore, e Experience economy. Work is eatre
& every Business a Stage, Harvard business school Press, 1999.
59. Lars Fr. svendsen, Kunst. En begrepsavvikling. Oslo, Universitetsforlaget, 2000 ; Mike Featherstone,
Consumer Culture & Postmodernism, Londres, sage Publications, ousand oaks, New Dehli, 1991.
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du spectacle vivant60. Ils ont souhaité que la créativité et la flexibilité des festivals
aillent nous sauver de la rigidité et du traditionalisme des vieilles institutions. Mais
le développement récent risque de les décevoir. Pour l’instant beaucoup de festivals
norvégiens ont de grosses difficultés financières ; quelques-uns ont fait faillite. beau-
coup d’entre eux cherchent aussi une institutionnalisation et une professionnalisation
plus solides. Ils souhaitent naturellement devenir des institutions permanentes avec
une bonne subvention régulière du ministère. en même temps les institutions
traditionnelles du spectacle vivant ont, paraît-il, conservé, et même augmenté, leurs
publics61.
Plusieurs études récentes affirment que la distance entre le monde de l’art et le
marché privé s’est substantiellement restreinte récemment62. on parle par exemple
d’une privatisation accrue des institutions culturelles en Norvège. Cette tendance a
même été célébrée avec enthousiasme par quelques chercheurs, qui maintiennent
que le parrainage culturel a substantiellement augmenté récemment63. Cette assertion
paraît bien fondée en ce qui concerne des projets et festivals peu institutionnalisés.
Mais elle l’est moins bien en ce qui concerne les institutions permanentes de spectacle
vivant, qui d’ailleurs pèsent très lourds dans la totalité des budgets culturels publics.
Ces institutions sont toujours pour la plupart subventionnées de 0 % à 95 % de
leurs budgets par les pouvoirs publics64. en Norvège, comme dans la plupart d’autres
pays de l’europe de l’ouest (la France incluse, la grande-bretagne exclue), les recettes
et le parrainage jouent un rôle très limité dans les budgets des institutions du spectacle
vivant.
Les principes de « la nouvelle gestion publique65 » ont certainement aussi laissé
des traces dans le secteur culturel norvégien pendant les dernières années. Indicateurs
de performance, rapports détaillés et évaluations fréquentes caractérisent les relations
entre le ministère et les institutions culturelles. La politique culturelle de l’État est
devenue plus interventionniste et dirigiste, par exemple par une diminution de la
distance entre le ministère et le Conseil culturel. Les tâches déléguées au conseil ont
substantiellement augmenté depuis le milieu des années 1990 et en même temps son
autonomie s’est restreinte66.
60. svein bjørkås, Det muliges kunst. Arbeidsvilkår blant utøvende frilanskunstnere, oslo, Norsk kulturråd,
utredning, rapport nr. 12, 1998.
61. odd F. Vaag, Kultur- og mediebruk i forandring. Bruk av kulturtilbud og massemedier fra 1991 til 2006,
oslo-Kongsvinger, ssb, 200.
62. anne-britt gran et Donatella De Paoli, Kunst og kapital. Nye forbindelser mellom kunst, estetikk og
næringsliv, Pax, 2005.
63. anne-britt gran et sophie Hoffplass, Kultursponsing, oslo, gyldendal akademisk, 200.
64. silje ingstad, Sponsorbidrag og NTO-medlemmer, m/ statistikkvedlegg, oslo, Norsk teater- og orkes-
terforening, 200 ; P. Mangset, Kulturpolitikk i Vest-Europa…, op. cit.
65. “New public management”.
66. Mie berg simonsen, Historien om en budsjettpost. En evaluering av statsbudsjettets kapittel 320, post 74
Tilskudd til tiltak under Norsk kulturråd, oslo, Norsk kulturråd, 2005.
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6. Un social-démocrate de gauche qui est très ami avec les membres les plus chics de la famille royale.
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Le Royaume-Uni
David LosseLey*
Dans son essai sur la politique culturelle française depuis 1958, Jacques Rigaud
écrivait en 1995 : « on ne se lassera jamais d’énumérer, en tous domaines, cette
obstination que nous prêtons aux Anglais de faire autrement que nous1. » Il est vrai
qu’en ce domaine, les différences entre les deux systèmes, français et britannique,
sont manifestes et qu’elles ont été jusqu’à un certain point voulues par les
Britanniques eux-mêmes, qui ont parfois pris comme référence l’état culturel français,
d’abord pour en rejeter le modèle, plus récemment pour l’imiter. L’une de ces
différences tient au fait que la politique culturelle britannique est régie par le principe
de l’arm’s length, selon lequel l’État est tenu à distance − « à la longueur d’un bras »,
littéralement − du monde culturel par un Arts Council (« des » Arts Councils aujour-
d’hui), lequel est un non-departmental public body du ministère responsable de la
culture. en raison de ce statut, le Conseil est partiellement indépendant. Il est dirigé
non par des fonctionnaires mais par des bénévoles nommés par le gouvernement ;
et, à l’aide de advisory panels (commissions consultatives), il a la charge de répartir
les crédits affectés aux arts par le gouvernement en place. D’autres agences culturelles
publiques fonctionnaient déjà, ou fonctionnent aujourd’hui, selon le principe de
l’arm’s length : le British Council, l’uk Film Council2, le Crafts Council (Conseil des
arts appliqués), le Museums, Libraries and Archives Council (Conseil des musées, des
bibliothèques et des archives). Grâce à la redevance, la BBC aussi consacre des sommes
très importantes à la musique (elle a même ses propres orchestres), aux dramatiques
et aux autres arts. Mais c’est la présence et la notion même d’un Arts Council quasi
autonome qui dominent la politique culturelle britannique depuis 1945. C’est
également ce qui la distingue de la France. Ce mode de gestion par délégation sera
au centre de l’analyse présentée ici, au travers de ses rapports avec les diverses instances
centrales, locales et privées.
L’image d’un Arts Council protecteur des artistes et rempart souverain contre les
incursions de l’État, à l’opposé d’un ministère de la Culture à la française, doit être
nuancée pour plusieurs raisons. D’abord, parce que, régi par une charte royale du
9 août 1946, le Council a des rapports avec le gouvernement à géométrie variable
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mais qui ont toujours pris la forme d’un partenariat : il est donc obligé de tenir
compte des orientations gouvernementales. Nuancée ensuite parce qu’il a régulière-
ment été pris à partie par l’État ou par le monde culturel et parce que, depuis les
années 1980, le principe de l’arm’s length s’est érodé. Nuancée enfin parce qu’à
certains égards, le système britannique se rapproche par étapes successives du système
français malgré ce principe4. si l’on schématise quelque peu, on peut discerner dans
cette évolution une trajectoire à deux facettes : l’une correspondant à la formulation
par l’Arts Council d’une politique culturelle digne de ce nom ; l’autre à la mise en
place d’un ministère de la Culture. C’est cette trajectoire qui est présentée ci-après
selon un découpage chronologique en cinq parties : la création de l’Arts Council ; des
années 1960 aux années 1980 ; la révolution thatchérienne ; vers le nouveau
millénaire ; et la politique culturelle aujourd’hui.
. Voir Robert Hutchison, e Politics of the Arts Council, Londres, sinclair Browne, 1982, p.16-19, pour
une analyse plus détaillée.
4. Pour les détails concrets de cette convergence, voir Graham Devlin et sue Hoyle, Committing to Culture:
Arts Funding in France and Britain, Londres, Franco-British Council, 2000 ; id., “2006 Update on Com-
mitting to Culture”, dans Philip Hensher, Creative Ways Forward: A Seminar on Culture in the 21st Cen-
tury (20 November 2007), Londres, Franco-British Council, 2008, p. 2-1.
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qu’on n’a pas encore compris à quel point une chose importante est arrivée. Le
mécénat d’État s’est installé à pas de loup. Cela s’est passé de manière très anglaise,
sans façon, discrète − bâclée si vous voulez5. » Cette discrétion « très anglaise » et en
réalité faussement modeste est devenue le trait distinctif d’un système britannique
qui a servi de modèle international, notamment pour la création en 1965 du National
Endowment for the Arts aux États-Unis.
Ce système s’intégrait à un mouvement plus large de volontarisme étatique,
impulsé dans l’immédiat après guerre par le gouvernement travailliste de Clement
Attlee entre 1945 et 1951. La mission de cette nouvelle administration était d’im-
planter l’État-providence tel que l’avait conçu William Beveridge en 1942, fondé sur
un régime de santé publique gratuite et de sécurité sociale. en 1944, une année avant
l’arrivée des travaillistes, le gouvernement de guerre dirigé par Churchill avait pris
une mesure de même ordre avec l’introduction d’une réforme majeure pour démocra-
tiser l’enseignement public. et c’est en fait ce gouvernement qui avait pris l’initiative
de créer un Arts Council, initiative reconduite par le gouvernement de C. Attlee.
Il n’allait nullement de soi que la culture devienne une priorité pour ce pays au
bord de la faillite après la victoire de 1945. Ce qui explique cet élan, c’est la conjonc-
ture internationale des années 190 et 1940. La réticence « protestante » bien connue
des Anglais vis-à-vis de la notion de « culture nationale » avait engendré un pragma-
tisme pluraliste et libéral à l’égard des arts. Jusqu’en 1918, date à laquelle le ministère
de l’Éducation britannique devint responsable des dépenses publiques en matière de
culture, celles-ci étaient globalement affectées aux institutions de référence londonien-
nes − British Museum, National Gallery, Victoria and Albert Museum, etc. −, alors
qu’au niveau local, la création de bibliothèques et de musées municipaux avait
également été autorisée par la loi au xIxe siècle : le Museums Act en 184, le Public
Libraries Act en 1855.
Mais la situation commença à changer pendant l’entre-deux-guerres. Il y eut tout
d’abord la création en 1922 d’une radio publique, la BBC, régie selon le principe de
l’arm’s length. Il serait difficile d’exagérer l’importance pour la société britannique de
cette institution : ses émissions culturelles formèrent les goûts du public et le
préparèrent à découvrir d’autres types de pratiques. en même temps, la vie culturelle
se transformait : l’éducation publique se démocratisait ; en 195 apparurent les
premiers livres de poche Penguin ; le cinéma parlant florissait et, en plus des
programmes diffusés par la BBC, les disques shellac 78 tours introduisaient dans les
foyers la musique, « populaire » ou « classique ». De nouveaux « besoins culturels » se
développèrent donc. Furent également posées dans les années 190 les premières
pierres de ce qui allait devenir l’infrastructure du mécénat d’État : en 191, ce fut la
création de la Museums and Galleries Commission ; en 19, celle du British Film
Institute et celle du British Council l’année suivante. Par ailleurs, comme en France,
on voit naître en 1905 un mouvement d’éducation populaire sous le nom de Workers’
Educational Association.
5. Cité dans Andrew sinclair, Arts and Cultures: e History of the Fifty Years of the Arts Council of Great
Britain, Londres, sinclair-stevenson, 1995, p. 47. toutes les traductions de l’anglais sont de l’auteur.
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11. La charte royale est reproduite dans A. sinclair, Arts and Cultures…, op. cit., p. 401-407 (p. 401).
12. Ibid., p. 401.
1. Ibid., p. 45 et 54.
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1956 des dix bureaux régionaux hérités du CeMA. Cette mesure recentralisa un corps
déjà fort centralisé et allait avoir des répercussions durables. Il est vrai que, en 1948,
le Local Government Act, loi soutenue par le Council, permit qu’une part des impôts
locaux soit utilisée pour subventionner les arts − notamment les concerts et les
spectacles −, ce qui jusqu’alors avait été quasiment interdit. Mais les premiers résultats
s’avérèrent limités car, dans cette période de reconstruction urbaine, les municipalités
avaient d’autres priorités. À quelques exceptions près, les dépenses en matière
culturelle demeurèrent donc majoritairement au niveau central.
Ce centralisme était aussi une façon d’insister sur le principe de l’arm’s length. De
leur côté, le gouvernement et la Chambre des communes auraient préféré que le
Conseil se consacre davantage à la démocratisation (access), donc à la province17, mais
celui-ci continua résolument de privilégier l’excellence professionnelle à Londres et
dans quelques autres agglomérations. Certes, il voulait bien conseiller et encourager
les collectivités locales, mais avec la fermeture de ses bureaux régionaux il avait perdu
le moyen de le faire18. Avant 1965, donc, ses contacts avec ces collectivités ont été,
selon un de ses responsables, « épisodiques (quoique fréquents, et souvent amicaux)19 ».
Du coup, on vit apparaître des associations régionales des arts (regional arts
associations), d’abord dans le sud-ouest en 1956, grâce à des associations culturelles
locales, ensuite dans le nord-est de l’Angleterre : en 1961, fut créée la North Eastern
Association for the Arts (NeAA20). Cette dernière, qui servit de modèle et de locomo-
tive pour tout un mouvement de régionalisation, était une association intermunici-
pale destinée à répartir des crédits mis en commun par les municipalités concernées
et d’autres organismes locaux afin de promouvoir et partager les arts au niveau
régional21. elle demanda une subvention à l’Arts Council, lequel, avare de son soutien
au départ car il craignait une baisse de la qualité artistique, a d’abord accordé une
subvention dérisoire mais a fini par l’augmenter, créant ainsi un précédent qui allait
s’avérer déterminant.
Dans le domaine qui relevait directement des compétences du Conseil, le manque
de moyens était aggravé par la rivalité acharnée et coûteuse entre les quatre
compagnies d’opéra qu’il subventionnait − Covent Garden, Sadler’s Wells opera and
Ballet (devenu English National opera en 1974), Carl Rosa Company (disparue en
1958) et Welsh National opera. Il se montrait donc encore plus sélectif à l’égard des
autres arts, arguant du slogan « peu, mais des roses22 ». Comme son budget
connaissait une stagnation en 1959, au moment où allaient avoir lieu des élections,
les trois principaux partis politiques envisagèrent de le remplacer par un ministère2.
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d’une culture jeune, qui allait façonner les pratiques culturelles des adolescents
beaucoup plus profondément qu’une politique culturelle naissante. De l’autre, la
découverte − comme en France en 1968 et parfois même sous son influence0 − d’une
idéologie alternative, celle de la démocratie culturelle et des community arts (arts
communautaires) par les acteurs culturels, surtout les gens du théâtre. Cette nouvelle
façon de penser mettait en question la culture cultivée, au nom de l’animation, de
la participation et de la créativité populaire au quotidien. et comme en France, le
clivage « démocratisation-démocratie culturelle » allait dominer le débat culturel dans
les années 1970.
Ces mêmes années virent les collectivités locales augmenter le nombre de leurs
interventions culturelles, à tel point qu’au début des années 1980 leurs dépenses en
faveur des arts et des musées dépassaient celles du Council1. Ce dernier a de son côté
décentralisé auprès des douze RAA la responsabilité d’initiatives expérimentales dites
« nouvelles activités » : arts labs (laboratoires d’arts), minorités ethniques, etc. Les RAA
adoptèrent effectivement une nouvelle conception des arts embrassant le cinéma, les
arts appliqués, les pratiques amateurs et l’animation. Ces nouvelles tendances, l’Arts
Council ne les a absorbées donc que de façon assez minimale : s’il a élargi le périmètre
de ses activités pour en tenir compte, il n’a pas pour autant modifié en profondeur
la priorité qu’il donnait à une culture classique métropolitaine. Il a surtout mené
dans les années 1970 une politique de démocratisation simple et conventionnelle,
où l’accès à la culture cultivée est considéré comme un droit fondamental que l’État
doit affirmer en favorisant les arts centres et les tournées en région, en subventionnant
le prix des billets, en éduquant le goût du public, etc.2. Mais les deux tiers du budget
culturel de l’État et plus du tiers de celui du Conseil pour l’Angleterre allaient
toujours vers la capitale au début des années 1980.
De ce fait, l’Arts Council s’est trouvé pris sous les feux croisés de deux factions
opposées. D’un côté, une faction partisane de la démocratie culturelle décentralisée,
pour qui les notions d’« excellence » et d’« accès » sont des notions bourgeoises et
métropolitaines et les valeurs esthétiques sont purement subjectives. De l’autre, une
faction composée d’intellectuels comme Raymond Williams et Richard Hoggart4
− tous les deux, à cette époque, membres du Council −, pour lesquels le Council, en
faisant du zèle (selon Hoggart) pour apaiser la première faction, refuse de s’engager
plus à fond sur la question des rapports difficiles entre excellence et accès5. Certains
même allaient jusqu’à considérer avec hargne la démocratie culturelle, la voyant
comme une forme de démagogie envahissante et typiquement « européenne »,
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aboutissant au nivellement par le bas. Cependant, ce débat sur les grands principes
allait bientôt paraître désuet, lorsque, troisième grand tournant, le gouvernement
conservateur de Margaret atcher accéda au pouvoir en 1979.
6. J. Pick (ed.), e State and the Arts, op. cit., p. 17-18.
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« La mutation clé a été de décrire les arts non plus avec les mots du langage tradi-
tionnel qui inclut le jugement esthétique, les satisfactions privées et les apports
spirituels, mais comme une entité purement commerciale, qu’il faut justifier par ses
apports économiques. […] Pour les bureaucrates des arts, le langage est la politi-
que7. » Désormais donc, chaque établissement culturel doit se considérer comme
une industrie et non comme un service public. Au nom du client roi, l’Arts Council
et ceux qu’il aide sont sommés de faire leur autocritique. Il leur faut abandonner la
« mentalité d’assistés », justifier leurs subventions en termes de rentabilité, s’interroger
sur leur efficacité et raison d’être. Alors que le budget du ministère de la Culture
français double en 1982, celui du Council souffre au nom de la logique monétariste
qui, en deux ans, avait fait grimper en flèche l’inflation et le chômage et provoqué
des émeutes dans les rues de Londres, de Liverpool et de Manchester. en dix ans − de
1979 à 1989 −, l’enveloppe du Council augmenta d’à peine 0,6 %8. entre 1986 et
1996, la subvention du Royal opera House à Covent Garden baissa de 28 % et celle
du National eatre de 10 %9. Une nouvelle bureaucratie se mit en place dans les
établissements culturels, chargée d’auto-évaluer les résultats mais aussi de courir après
d’autres financements que ces crédits publics. Le mot d’ordre du programme pour
encourager le mécénat d’entreprise (Business Sponsorship Incentive Scheme) lancé en
1984 par le ministère fut alors le matching funding, ce qui signifiait que de nouveaux
crédits publics ne seraient dégagés qu’à condition d’obtenir la même somme de
sources privées. effectivement, dès la fin des années 1980 le mécénat d’entreprise
triplait, atteignant 0 millions de livres sterling. on incitait également les établisse-
ments à développer les recettes propres dégagées par les guichets, les produits annexes
et les services offerts. Comptabilité et management sont désormais au cœur de
l’entreprise culturelle. Le maintien artificiel du prix des billets pour donner un coup
de pouce à la démocratisation culturelle est donc abandonné, ce qui a pour
conséquence de rendre certains établissements, comme Covent Garden, encore plus
vulnérables au reproche d’élitisme40.
Par l’ensemble de ces mesures, la culture se voit instrumentalisée. Les arts doivent
apprendre à se justifier par rapport à des valeurs autres que celle de « l’art pour l’art » :
c’est le temps des industries culturelles, de l’économie de la culture, de la « renaissance
urbaine » et de la lutte contre l’exclusion − pour ces deux dernières, la responsabilité
étant partagée avec les instances locales (RAA et collectivités). C’est aussi le temps
pour les municipalités en état de crise postindustrielle − Bradford, Liverpool,
Birmingham −, de saisir leur chance pour développer leur propre politique culturelle.
en effet, dans la première moitié des années 1980, les dépenses culturelles des villes
en Angleterre et au pays de Galles augmentèrent de plus du double41.
Certains redoutèrent même qu’au nom d’une idéologie néolibérale poussée à
l’extrême − selon laquelle le soutien garanti aux arts minoritaires (c’est-à-dire cultivés)
7. Cité dans A. sinclair, Arts and Cultures…, op. cit., p. 08-09.
8. G. Devlin et s. Hoyle, Committing to Culture…, op. cit., p. 15.
9. Ibid., p. 17.
40. Ibid., p. 16.
41 A. sinclair, Arts and Cultures…, op. cit., p. 290-291.
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serait remplacé par la libre concurrence −, l’Arts Council ne disparaisse. Celui-ci, bien
qu’affaibli et moins indépendant, finit par survivre parce que les arts devinrent un
enjeu politique pendant cette période. Malgré la promesse de faire reculer l’État,
l’office of Arts and Libraries intervint de plus en plus : tout en maintenant en principe
l’arm’s length, il se montra encore plus prescripteur à l’égard du Council en matière
de distribution de ses crédits. C’est donc logiquement que, à l’issue de la révolution
de palais qui élimina en 1990 madame atcher et vit en 1992 la victoire surprise
de John Major à l’élection générale, l’office fut transformée en ministère de la
Culture, même si ce fut sous la dénomination peu prometteuse de Department of
National Heritage (DNH), c’est-à-dire « département du Patrimone national ».
401
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Considérées dans leur ensemble, ces innovations constituent non pas une nouvelle
politique mais le prolongement de celle menée sous madame atcher, et posent une
question dérangeante : quelle est, dans ces nouvelles conditions, la raison d’être d’un
Arts Council tel que Keynes l’avait imaginé ? La loterie en particulier représentait à
la fois une nouvelle manne et un nouveau danger : ne rendait-elle pas quasiment
désuète la notion même de « financement public des arts45 » ? outre ces interroga-
tions, il y avait aussi celles que soulevaient la concurrence toujours plus forte de la
culture médiatique et l’hostilité croissante envers la culture cultivée d’une presse
populiste obsédée par les soaps et les people. Cette hostilité fut clairement perceptible
au moment de la crise financière que connut Covent Garden. Créé par Keynes, cet
opéra finit par tomber victime de la loi de Baumol. Restant déficitaire malgré les
millions de livres provenant des recettes de la loterie, il se vit accusé de prodigalité,
de mauvaise gestion et d’élitisme.
en 199, un an avant de disparaître, l’ACGB publia un rapport qui permet de voir
les retombées de la révolution des années 1980. Le ministre Richard Luce, en réponse
au rapport Wilding, demandait au Council d’avoir une « stratégie nationale pour les
arts et les médias », fruit d’une concertation publique. selon Andrew sinclair,
historien de l’ACGB46, ce document, A Creative Future47, est le plus important de
l’histoire du Council, puisque c’est le premier où il ait déclaré une politique raisonnée.
Celle-ci est fondée sur dix principes pour la gestion publique des arts : des principes
larges, œcuméniques mais flous, comme le premier d’entre eux en témoigne : « Les
arts, l’artisanat et les médias proposent inspiration, plaisir et consolation ; ils aident
les gens à critiquer et à célébrer la société et à comprendre leur relation à cette
société48. » Dans le même style, les principes suivants évoquent l’ensemble des grandes
orientations de la politique culturelle depuis 1945, sans pour autant en relever les
paradoxes : démocratisation et participation ; éducation, qualité, diversité ; patrimoine
et rentabilité ; professionnel et amateur ; excellence et accessibilité.
L’idée maîtresse de ce rapport est qu’il faut soutenir la qualité artistique « partout
où cette qualité se trouve49 ». Il met donc en doute la hiérarchie culturelle qui a
présidé à la création de l’Arts Council : « Pour toute forme, la subvention ne doit pas
être exclue du simple fait de son nom. L’originalité, le potentiel, la qualité, le besoin
et les priorités rivales sont des facteurs pertinents ; le nom de la forme d’art ne l’est
pas50. » Le rapport s’intéresse en particulier aux « arts commerciaux » issus des
industries culturelles, arts qu’il est impératif de reconnaître. Cette nécessité découle
d’une transformation de la vie culturelle britannique : « Nous avons mis à la retraite
les muses et, à leur place, nous bénéficions d’une démocratie des arts. » Car, selon le
rapport, ce sont les entreprises privées et le plus souvent globales − Virgin, News
45. Jim McGuigan, Culture and the Public Sphere, Londres et New york, Routledge, 1996, p. 65.
46 A. sinclair, Arts and Cultures…, op. cit., p. 70-71.
47. Arts Council of Great Britain, A Creative Future: e Way Forward for the Arts, Crafts and Media in
England, Londres, HMso, 199.
48. Ibid., p. 27.
49. Ibid., p. 49.
50. Ibid., p. 55.
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d’État à la Culture, Chris smith, du DNH en Department for Culture, Media and Sport
(DCMs) se comprend mieux. Le mot de « culture » présent dans cette nouvelle
dénomination suggérait un rapprochement de la politique culturelle britannique avec
les modes d’intervention français tant convoités ; et il y avait en effet des ressem-
blances entre la France de l’ère Mitterrand-Lang et le Royaume-Uni de Blair-smith,
au point que, dans une certaine mesure, on peut parler d’influence. tandis que Cool
Britannia devenait un slogan médiatique et que des personnalités du showbiz étaient
reçues à Downing Street, Chris smith publiait un livre − Creative Britain56 − qui
cherchait à expliquer le changement survenu, dans lequel on voit en filigrane les
traces de la politique de J. Lang ainsi que celles du programme australien Creative
Nation. L’auteur prend le relais du rapport A Creative Future en privilégiant les
industries culturelles, que son gouvernement rebaptise Creative Industries. sous ce
vocable, arts et industries culturelles deviennent synonymes, la notion de « créativité »
aidant « à allier les concepts de l’utile et du beau57 ».
Ainsi, à côté d’événements festifs populaires à la Jack Lang, dont le plus notoire
parce que le plus désastreux fut le Millennium Dome58, les Creative Industries
devinrent l’outil préféré des travaillistes pour s’attaquer aux inégalités culturelles.
Cette politique est toujours en œuvre et exerce toujours de l’influence. elle explique
le fait qu’en 2007, le vénéré Victoria and Albert Museum − organisme appelé « non
départemental » (c’est-à-dire d’arm’s length) du DCMs − ait organisé une exposition
sur Kylie Minogue ; ou qu’en 2008, le non moins respectable Imperial War Museum
(musée impérial de la guerre), également financé à arm’s length par le DCMs, en ait
proposé une sur James Bond. Également significative la présidence entre 2004 et
2009 de l’ACe par le professeur sir Christopher Frayling, un historien culturel connu
pour ses ouvrages érudits sur Clint eastwood et les westerns italiens.
Ce qui est reproché au gouvernement de tony Blair, c’est d’avoir privilégié
l’instrumentalisation et la relativisation, donc, en fait, d’avoir reconduit la priorité
que les gouvernements conservateurs précédents avaient donnée aux industries
culturelles, à la restauration urbaine, à la lutte contre l’exclusion et à ce qui est appelé
péjorativement targetology, qui consiste à imposer aux institutions culturelles
publiques, de façon obsessionnelle, des objectifs chiffrés par rapport auxquels elles
seront jugées. Mais le blairisme culturel peut tout aussi bien être interprété comme
une version mise à jour de la notion d’access, privilégiée entre 1964 et 1970 par le
gouvernement travailliste de H. Wilson. Rien d’étonnant donc de voir ressurgir
depuis peu le retour du frère ennemi de l’access : la notion d’excellence.
56. Chris smith, Creative Britain, Londres, Faber & Faber, 1998.
57. Ibid., p. 24.
58. Le Millennium Dome fut construit à Greenwich, une banlieue au sud-est de Londres, pour marquer
l’an 2000. sorte de parc d’attractions à l’intérieur d’un chapiteau permanent, il coûta beaucoup plus cher
et attira beaucoup moins de visiteurs que prévu.
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66. t. Jowell, Government and the Value of Culture, op. cit., p. -4 ; citation, p. 14.
67. sir Brian McMaster, Supporting Excellence in the Arts: From Measurement to Judgement, Londres, DCMs,
2008 (soutenir l’excellence : du métrage au jugement).
68. sir B. McMaster, Supporting Excellence in the Arts…, op. cit., p. 9.
69. Ibid., p. 18-19.
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Conclusion
L’Arts Council « est une institution que nous adorons détester » déclare l’écrivaine
Joan Bakewell, et que « le milieu culturel déteste adorer », ajoute l’historien
A. sinclair7. Le conflit fin 2007 n’est, en effet, que le dernier d’une très longue série
de différends passionnés entre l’Arts Council et le monde culturel. Cette passion vient
du fait que, depuis 1946, le Council jouit d’un pouvoir de légitimation culturel très
vaste, celui de « conceptualiser et d’identifier les arts et l’artistique74 ». Mais, à en
croire A. sinclair, les vrais rapports de pouvoir seraient ailleurs, le Council se trouvant
« broyé entre deux meules » : d’un côté, le désir du pouvoir central de financer
directement les grandes institutions ; de l’autre, celui des régions de régler leurs
propres affaires75. De ce fait, il a subi de constantes remises en question, a été sans
cesse soumis à des enquêtes plus ou moins hostiles, a connu des bouleversements de
70. t. Jowell, Government and the Value of Culture, op. cit., p. 16.
71. J. Rigaud, l’Exception culturelle…, op. cit., p. 14.
72. C. smith, Creative Britain, op. cit., p. 24 ; t. Jowell, Government and the Value of Culture, op. cit., p. 17.
7 A. sinclair, Arts and Cultures…, op. cit., p. 18.
74. R. Hutchison, e Politics of the Arts Council, op. cit., p. 1.
75. A. sinclair, Arts and Cultures…, op. cit., p. 98.
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76. Philippe Urfalino, l’Invention de la politique culturelle, Paris, La Documentation française, 1996, p. 10.
77. G. Devlin et s. Hoyle, Committing to Culture…, op. cit. ; id., “2006 Update on Committing to Culture”,
art. cité.
78. R. Williams, “Middlemen: e Arts Council”, art. cité, p. 105.
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Keith WijKander*
* Consultant, Suède.
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liberté de l’art, mais également celle des citoyens. Cette pensée se retrouve dans la
période de l’après-guerre, surtout en europe du nord-Ouest, dans l’idée particulière-
ment appréciée selon laquelle le pouvoir politique culturel doit être exercé de manière
indépendante.
Peut-être ce code ou ce langage symbolique sur le lien entre la culture et la liberté
a-t-il nourri l’idée d’une politique culturelle indépendante dans les démocraties
occidentales après la Seconde Guerre mondiale. À cette époque, la bataille contre le
nazisme totalitaire venait d’être gagnée, mais l’épreuve idéologique de la guerre froide
avec le communisme tout aussi totalitaire, débutait. Cette symbolique peut également
se retrouver dans le fondement de la politique culturelle suédoise. Toutefois, la Suède
est restée en dehors de la guerre mondiale et a clamé sa neutralité entre l’est et l’Ouest
durant la guerre froide.
dans cet essai, je vais ainsi explorer les fondements de la politique culturelle
suédoise, qui a fait son apparition dans les années 960 et 970, non dans le contexte
de la relation entre la démocratie et le totalitarisme, mais dans d’autres circonstances.
il s’agit de l’évolution sociogéographique du pays lorsqu’il est passé d’une société
agricole dominée par les traditions à une société industrielle sécularisée et urbaine et
ensuite, à la société de services actuelle. Le fait que la politique, y compris la politique
culturelle, soit influencée par cette évolution est évident, mais nous souhaitons
également montrer comment la politique culturelle a été spécifiquement conçue pour
promouvoir et faciliter ces transformations sociales fondamentales.
La révolution industrielle
Les États-nations modernes ont fait leur apparition au xixe siècle en même temps
que l’industrialisation. en Suède, la science politique indique généralement que cette
phase correspond à la période comprise approximativement entre 860 et 920,
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Les deux courbes sont symétriques. il aurait été suffisant de ne montrer qu’une
seule courbe, mais la technique du reflet possède des vertus pédagogiques puisqu’elle
illustre clairement le changement qu’a connu la société suédoise au cours de la
centaine d’années comprises entre 860-870 et 960-970.
Cela signifie que l’économie de la société s’est totalement modifiée. Même la
façon dont vivait la population a changé de manière fondamentale. Grâce au
graphique, il est possible d’identifier trois périodes critiques dans ces changements.
La première, autour de 860-870, correspond au début de l’accélération du
processus. La deuxième, vers 90, coïncide avec le « point de basculement » entre
la proportion de la population qui vivait de l’ancienne économie et de l’agriculture
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et la part croissante qui s’orientait vers l’industrie et les nouvelles activités de services.
Par la suite, cette nouvelle industrie a fait partie du quotidien de la majorité de la
population.
La troisième période critique intervient autour de 960-970 : à cette époque,
les courbes s’infléchissent et le développement entre dans une nouvelle phase. Le
graphique ne reflète rien d’autre que la fin du processus d’industrialisation et la
transformation de la Suède en une économie fondée sur les services. nous y revien-
drons ultérieurement. Pour l’instant, il convient de constater que la phase d’indus-
trialisation en Suède a débuté à un moment précis (860-870), atteignant une forme
de domination sociale aux environs de 90, mais prenant fin entre 960 et 970.
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. Chaque création d’institution a été précédée d’une période de planification et de construction d’envi-
ron 0 ans.
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Le fait que le nouvel État-nation ait voulu s’affirmer et s’identifier sur le plan
culturel à travers ces projets semble assez clair. il est également difficile de contredire
le fait que les nouvelles institutions doivent être considérées comme des indicateurs
démontrant que le nouvel État constitutionnel s’était également emparé de l’ancien
rôle de la monarchie en tant que protecteur de l’art et des expressions culturelles,
comme il est évoqué en introduction de cet essai.
de plus, les nouvelles institutions transmettent également un message important,
par exemple la façon de percevoir l’idée de « culture ». Tel est certainement le cas,
mais afin de pouvoir interpréter ce message, il faut avant tout expliquer la notion
d’institution. qu’est-ce qu’une institution culturelle officialise ?
La notion d’institution
il est établi que les institutions sont liées aux normes, c’est-à-dire aux ensembles
d’opinions plus ou moins cohérents et aux valeurs qui à un moment donné ont
tendance à être adoptés par la majorité de la société. en général, les perceptions sont
très largement gouvernées par les conditions extérieures de vie. Lorsque ces conditions
changent, les valeurs et les normes changent aussi. Mais l’inverse se produit aussi :
lorsque les valeurs et les normes changent, ce changement impacte les conditions
extérieures de vie. Les personnes qui pensent différemment agissent différemment.
il est impossible de dire ce qui vient avant et ce qui suit. Lorsque le processus est
enclenché, alors il se génère de lui-même.
Le processus de modernisation en Occident, à partir de la seconde moitié du
xviiie siècle, peut être considéré comme un processus de feedback dans la relation
entre, d’une part, les valeurs et les normes et, d’autre part, les changements de condi-
tions de vie. en général, le processus est résumé par les termes suivants : laïcisation,
urbanisation, industrialisation (voir ci-dessus). À ces notions, on peut ensuite ajouter
les différents termes qui sont généralement utilisés pour dépeindre le caractère de
l’évolution moderne tardive à partir de 970 et après : société de services, société
d’information, société de réseaux, société de connaissance, etc.
Globalement, on peut dire que la différence entre les valeurs et les normes réside
dans le fait que les normes sont d’une part plus difficiles à changer que les valeurs,
et d’autre part qu’elles sont organisées selon un principe hiérarchique. Les valeurs
dans une société se modifient tout simplement à un plus haut niveau que les normes.
Pour ainsi dire, les différentes valeurs se développent dans un cadre normalisé. Le
fait qu’il existe une série de normes partagées par la majorité est le signe d’une société
cohérente, ou de la formation d’un État qui fonctionne.
Même les normes changent, mais cela se produit dans un processus compliqué
et souvent contradictoire. Lorsque des changements interviennent dans la formation
des normes de la société, il y a de fortes chances que la société se transforme également
à d’autres égards. Les conditions externes changent.
Selon la définition sociologique habituelle, une institution est un acteur dans un
domaine de la société (ou un « champ ») qui a un mandat ou l’autorité pour
déterminer les règles concernant la façon dont les autres acteurs du domaine peuvent
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La culture s’entend dans cette phrase comme étant un phénomène relativement étroit
et limité. Contrastant avec le concept de la culture orienté sur l’art, on trouve ce que
l’on appelle le concept anthropologique de la culture. Ce concept tient ses principaux
bastions dans la sphère académique. dans ce cas, on perçoit la culture comme le
concept unificateur pour tout le système de croyances, de valeurs, de traditions, etc.,
qui caractérise une société. À l’opposé du concept de la culture orientée sur l’art, le
concept anthropologique de la culture est ainsi englobant.
Toutefois, nul besoin de creuser très profondément dans l’histoire des idées pour
s’apercevoir que les deux approches peuvent être ramenées à la façon de penser de la
période romantique telle qu’elle s’est déroulée vers la fin du xviiie et au début du
xixe siècle. Cette conception culturelle est ainsi « anthropologique » surtout dans la
tradition allemande, entre autres chez johann Gottfried herder (7-80) et
johann Wolfgang Goethe (79-82), dans le sens où l’on pensait aux « peuples »
comme formes d’associations culturelles fondamentales, maintenues ensemble
principalement à travers la langue. La nation/le peuple individuel était porteur
d’expressions culturelles uniques qui, à leur tour, constituaient le peuple.
Toutefois, l’idée de la culture de l’époque romantique était « orientée selon les
types d’art » et ainsi, l’érudition et principalement l’art étaient perçus comme étant
les expressions culturelles les plus nobles chez le peuple ; on parlait des « plus beaux
fruits de la culture spirituelle ». Cette idée est étroitement liée à la vision romantique
du génie artistique, à savoir l’artiste comme véhicule d’une inspiration divine et de
connaissance, une sorte de chamane de la société moderne.
Les notions de peuple et de nation en tant qu’entités culturelles primaires
appartiennent entre autres au romantisme allemand. au cours du xixe siècle, il existe
un courant alternatif, plutôt d’origine française et lié à l’idéal des lumières. dans ce
cas, on parle plutôt de « civilisation » que de culture. L’idée de développement et
d’avancement est en principe la même que celle du romantisme allemand, mais si
le « peuple » est la source dans laquelle la culture puise sa force dans le monde
romantique, l’idée de civilisation française est bien plus aristocratique et élitiste. il
s’agit plutôt du développement et du perfectionnement atteints par les strates supé-
rieures de la société, qui deviennent le point de référence du développement continu
et de la sophistication de la culture ou de la civilisation. Pour le xixe siècle suédois,
c’était sans aucun doute la tradition allemande qui avait la plus grande importance.
La culture dans la vision romantique concernait le développement et le
changement. herder pensait que chaque peuple traversait différents stades selon un
modèle phylogénétique : la naissance, la croissance, la floraison et la maturation, mais
aussi le déclin, le vieillissement et finalement la disparition. Les derniers stades étaient
toutefois bien loin et pour le peuple allemand, c’était la floraison qui était d’actualité.
La notion romantique de la culture correspondait parfaitement aux sociétés qui,
comme l’europe occidentale au cours du xixe siècle, entraient dans la transformation
. Trier les différents courants dans les notions de la culture du romantisme dépasserait la finalité et le
cadre de cet essai. Le texte ci-dessus est ainsi une tentative de saisir l’essence de la pensée romantique, de
manière succincte et simple.
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radicale de l’industrialisation. elle offrait une vision du monde dans laquelle il était
possible de s’identifier et de trouver une direction et un sens au changement social
fondamental qui avait lieu dans chaque pays. C’était avant tout un monde d’idées
qui mettait l’accent sur la continuité du changement, c’est-à-dire qui soulignait que
la société industrielle émergente était liée et issue de la tradition et des liens qui étaient
bien connus de la population. Là où avaient lieu des ruptures et des déperditions de
traditions, le romantisme soulignait au contraire la continuité avec le passé. C’était
une conception de la culture qui fonctionnait de manière compensatoire par rapport
au réel développement de la société.
Précisément, la signification de la communauté nationale – la nation n’est pas
uniquement une communauté linguistique, mais également une communauté
politique – ainsi que la marque de la force de la tradition est très certainement le
noyau du code culturel du romantisme tel qu’il a été adopté en Suède. La nouvelle
société industrielle ne signifie dans l’interprétation du romantisme aucune rupture
avec le passé, mais plutôt son prolongement naturel et son développement. L’art et
les expressions artistiques supérieures sont sortis de l’antre de la tradition et ont pu
fleurir grâce à lui.
de manière emblématique, les idées romantiques allemandes ont été résumées
dans le programme pour le musée national dont le créateur est un architecte
allemand, august Stühler. L’idée était que le rez-de-chaussée du musée comporterait
les collections archéologiques nationales qui devaient représenter les racines très
anciennes du peuple suédois. L’érudition et l’apprentissage, à travers les collections
de la bibliothèque situées au premier étage, représenteraient le développement
culturel. Tout en haut, au troisième étage, on devait trouver la collection nationale
d’art, « les plus beaux fruits ».
Finalement, pour diverses raisons, le musée national a eu un contenu différent,
principalement à cause du fait que la bibliothèque royale a lutté avec succès pour
avoir son propre bâtiment institutionnel. en réalité, le premier romantisme allemand
était dépassé en 860 et les idées romantiques avaient, dès le milieu du siècle,
commencé à prendre une autre forme sous l’influence du succès des nouvelles sciences
naturelles et de l’image du monde qu’elles véhiculaient.
La combinaison romantisme-sciences naturelles s’est exprimée au début du siècle
dans le romantisme national. dans ce mouvement, les idées de base du romantisme
ont pris une nouvelle forme sous l’influence anglo-saxonne (on peut citer la
philosophie d’herbert Spencer et arts Craft, l’esthétique du mouvement). La notion
de langue en tant que force de cohésion communautaire a été édulcorée et à la place,
on y a substitué la nature, l’environnement qui avait façonné et influencé le peuple
depuis les temps anciens, et qui agissait comme un liant. La mise en exergue de la
nature à travers le romantisme national a été exprimée par exemple dans le grand
musée en plein air, Skansen, inauguré à Stockholm en 89, mais également dans
une décision parlementaire en 909 sur les grands parcs nationaux en Lappland et
le musée d’histoire naturelle, qui ont achevé la construction institutionnelle en 96.
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5. Skiftesrörelse : réforme de la propriété agricole propre à la Suède, débutée vers 70 et consistant en un
partage et une attribution des terres auparavant exploitées en commun par les paysans (ndT).
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de la culture qui en réalité ne reflète pas la période actuelle (la révolution industrielle),
mais la période précédente.
il s’agit peut-être d’une conclusion audacieuse, mais elle est fondée sur des
tendances qui peuvent également être identifiées vers la fin du xxe siècle. est-il
possible de considérer la politique culturelle moderne comme un phénomène ayant
les mêmes tendances et s’exprimant de la même façon que les institutions culturelles
de la période romantique ? en tout cas, cette théorie mérite d’être explorée.
nous pouvons donc appeler cette hypothèse la thèse de la fonction thérapeutique
de la politique culturelle. Sa caractéristique principale est de fonctionner selon une
stratégie qui tend à institutionnaliser les conditions culturelles de la période passée
comme étant valables pour les conditions culturelles présentes.
La deuxième thèse est moins originale. elle soutient que le pouvoir politique a
besoin de protéger l’art et certaines expressions culturelles afin de renforcer sa légiti-
mité. nous allons examiner si cela se confirme également dans la politique culturelle
moderne.
Une troisième thèse, étroitement liée à la précédente, consiste à dire que
lorsqu’une nouvelle force politique doit établir son propre « contrat » avec l’art et la
culture, assumer le rôle de protecteur, alors émerge une nouvelle expression culturelle
que le régime antérieur a ignorée ou à laquelle il ne s’est pas attaché. de cette manière,
un nouveau régime annonce que sa relation à l’art et à la culture est plus sincère que
celle du régime précédent, puisque la protection du nouveau régime est plus
complète, plus adéquate. il serait trop long d’effectuer une analyse détaillée de cet
aspect du changement des actions culturelles, de la monarchie à l’État constitutionnel.
La meilleure illustration provient toutefois de l’art de la scène : l’État de la nouvelle
bourgeoisie soutenait le théâtre comme contrepoids à l’importance que l’opéra avait
eu à la cour.
Le quatrième point que nous estimons utile pour comprendre les fonctions
sociétales des actions culturelles grandissantes est qu’elles doivent être comprises
comme faisant partie du processus et de l’expression de la laïcisation. Cela se remar-
que le plus en ce qui concerne les nouvelles institutions culturelles qui apparaissent
comme étant des « sanctuaires laïques » dans le paysage urbain. dans la vision du
monde de la société traditionnelle, la culture est quelque chose d’ancré dans le monde
imaginaire religieux. La laïcisation signifie l’émergence d’une notion de culture
comme quelque chose qui existe en dehors, ou à côté de la religion. Le romantisme
était politiquement considéré comme un mouvement conservateur, mais la religion
a joué un rôle très important.
Le grand changement
Lorsque nous avons décrit la révolution industrielle suédoise de la fin du
xixesiècle, nous n’avons abordé que les aspects économiques, notamment le rempla-
cement de l’agriculture par l’industrie. Mais la transition a été compensée par un
autre changement tout aussi important dans la vie de la population, et qui
probablement était perçu comme plus révolutionnaire encore. il s’agissait du
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démantèlement des zones rurales et le mouvement vers les villes et les banlieues que
l’on peut appeler la transformation sociogéographique de l’industrialisation.
Ce changement est illustré en graphique . nous avons complété les graphiques
relatifs à la transition économique du graphique , par une présentation correspon-
dante du changement sociogéographique. Ces deux paires de courbes illustrent le
changement de la société suédoise, d’une société agricole rurale à une société
industrielle laïque, rationnelle et urbaine.
L’agglomération comprend des zones construites d’au moins 200 habitants. La Suède est un pays à faible densité. Dans la
société agricole suédoise, les villages de plus de 50 habitants étaient rares, sauf dans l’extrême sud du pays. Cela se reflète par
une conception de l’agglomération moins restrictive que les mesures européennes. Dans de nombreux pays, la limite pour ce
qui est considéré comme étant une zone urbaine est plus élevée.
en 860, environ 85 % de la population vivait dans les zones rurales avant que
le grand déplacement ne commence. en 970, soit 0 ans plus tard, la proportion
était inversée. Près de 85 % de la population vit dans les villes et agglomérations
tandis que seulement 5 % vit encore à la campagne. de plus, durant cette période,
la population est passée de trois à huit millions d’habitants. ainsi, apparaît clairement
la façon dont la Suède a fondamentalement changé au cours de cette période.
La transformation a donc « duré » environ trois générations et c’est probablement
cet écoulement du temps qui est la raison pour laquelle elle a été perçue comme étant
22
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plus subversive qu’elle ne l’a réellement été. Une grande partie des pays du tiers
monde subit actuellement ce même processus, mais à un rythme bien plus rapide.
il est estimé que la période qui est intervenue pour la Suède environ en 92, c’est-
à-dire lorsque la vie urbaine est devenue majoritaire, a eu lieu pour le reste du monde
en 2007. désormais, la majeure partie de la population mondiale vit dans les villes.
Le graphique montre comment la sociogéographie de la majorité de la population
a fondamentalement changé au cours de cette période jusqu’en 970. Cela ne
concerne pas uniquement la différence des conditions économiques dans le secteur
agricole traditionnel comparées à celles de l’industrie et du secteur des services, mais
également les différences de valeurs et de mentalités qui de toute évidence semblent
respectivement liées aux mondes ruraux et urbains.
Le graphique illustre également que les années 970 impliquent un changement
de tendance, non seulement dans la transition économique, mais aussi dans la
migration des populations. Même après les années 970, la proportion de résidents
des agglomérations urbaines continue certes à croître, mais l’augmentation a depuis
été considérablement ralentie. Cette importante migration intérieure entre 860 et
970 doit ainsi être considérée comme une période achevée. Une nouvelle période
commence.
Le graphique reflète la désertification relative des zones rurales et la croissance
démographique dans les zones urbaines. Cette technique illustre le moment du chan-
gement de majorité entre la population rurale autrefois dominante et la population
urbaine en expansion. Peu de temps après 90 (92) la zone rurale n’est plus la
condition de vie de la majorité. nous sommes ici en présence d’un nouveau « point
de basculement ». Mais même si la majorité de la population habite désormais dans
un contexte urbain, il s’agit en fait d’une majorité qui s’est récemment éloignée du
contexte rural.
nous pouvons comparer la transformation sociogéographique à la transformation
économique. La relation entre les deux paires de courbes en graphique illustre le
fait que la population croissante n’a pas de place dans l’économie agricole. Ce groupe
trouve plutôt son moyen de subsistance dans l’industrie qui commence à se dévelop-
per ou dans les économies de services, principalement le commerce et les transports.
Toutefois, il est frappant de constater que la migration vers les zones urbaines se fait
avec un retard considérable. L’industrialisation suédoise était pendant longtemps, et
de façon non négligeable, une industrie fondée sur les zones rurales. Le point de
rupture lorsque l’habitation en zone rurale cesse d’être la règle d’une majorité
intervient pour la première fois environ vingt-cinq ans après le point de rupture de
la transition économique.
La transformation sociale, qui pour la Suède a eu lieu entre 860 et 970,
constitue l’arrière-plan de la discussion qui a longtemps occupé la sociologie, portant
sur le phénomène de « la tension fondamentale de la modernité » et qui concerne
l’ambivalence des personnes qui vivaient cette transformation. elle est en général
décrite comme le contraste entre, d’une part, le consentement des personnes et une
sensation de libération face à la nouvelle société émergente et, d’autre part, une forme
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de vie regrettée, que l’on abandonnait, et une sensation de perte du contexte, dont
la population avait autrefois fait partie.
Le sociologue Max Weber (86-920) a utilisé le terme entzauberung, soit le
désenchantement, pour en principe décrire ce phénomène. il voulait dire que la
libération de la culture et du mode de vie de l’europe occidentale, soumise à la foi
chrétienne, au dogme et à la tradition, signifiait à la fois une victoire et une défaite.
autrement dit, lorsque le désenchantement a opéré, les personnes ont découvert qu’il
y avait quelque chose qui manquait et qu’ils avaient perdu, malgré les gains de la
libération. il avait également abordé ce qu’il appelait Wiederzauberung, le réenchan-
tement, à savoir différentes expressions des tentatives dans la société moderne de
renouer de manière sociale et psychologique avec ce qui a été perdu.
Émile durkheim a étudié un phénomène voisin qu’il appelait anomie et Marx
utilisait le terme aliénation dans le cadre d’une analyse similaire. il a emprunté le
terme chez hegel. Marx voyait l’aliénation comme un phénomène historique spéci-
fique créé par l’ordre de production du capitalisme avec la division du travail, des
classes et les techniques de production industrielle. L’homme s’efforçait, dans son
monde d’idées, de se réaliser à travers son travail, ce qui n’était pas possible dans la
production industrielle, d’où la sensation d’être sans domicile et le sentiment de
malaise.
Un quatrième interprète du dilemme et peut-être celui qui a le mieux saisi son
caractère est Ferdinand Tönnes, qui a forgé le concept jumelé de Gemeinschaft et
Gesellschaft6. La définition est un peu maladroite, mais on peut dire que Gemeinschaft
représente une société individuelle locale tangible (concrète) caractérisée par la densité
des relations sociales, l’existence d’un contrôle social et de la sécurité. Gemeinschaft
désigne la « grande » société fondée sur des relations professionnelles, la liberté
personnelle, un faible contrôle social et une bureaucratie développée. Gemeinschaft
est « chaud et étroit ». il est orienté sur la tradition. Gesellschaft est « froid et spacieux »
– « moderne ». d’après Tönnes, les idéologies totalitaires du xixe siècle, surtout le
communisme, incarnaient principalement différentes tentatives de renverser ou de
dominer le contraste entre Geimeinschaft et Gesellschaft. La société utopique sans
classes est ainsi en principe la société dans laquelle le contraste devrait être renversé.
La tension de la modernité n’était donc pas une question uniquement pour les États
totalitaires, mais leur façon de la gérer s’éloignait de celle des démocraties.
Toutes les sociétés présentent des caractéristiques de Gemeinschaft et Gesellschaft,
mais l’industrialisation du xixe siècle et le bouleversement sociogéographique
indiquent que le genre de tension que le concept jumelé tente de cerner est devenu
actuel. L’observation de cette tension fondamentale de la modernité est primordiale
pour la sociologie en tant que science7. de nombreux indices montrent que cette
6. Ferdinand Tönnes, Gemeinschaft und Gesellschaft. abhandlung des Communismus und Socialismus als
empirischer Culturformen, Leipzig, 887.
7. G. asplund (99), un essai sur Gemeinschaft et Gesellschaft. dans le débat politique suédois sont appa-
rus dans les années 980 les termes le petit et le grand monde, à savoir encore un concept jumelé, similaire
aux termes de Tönnes.
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relation de tension est également un terrain fertile pour une lecture des relations dans
le domaine culturel.
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avec la tradition et dominent dans l’art et la vie culturelle. La nouvelle façon de penser
se reflète même dans la restauration des vieux bâtiments. Les « restaurations de style »
de la période antérieure ont été remplacées dans les années 920 par une doctrine
de restauration où la différence entre les parties les plus anciennes du bâtiment et les
ajouts récents devaient au contraire être soulignés.
Mais alors comment la poussée moderniste est-elle rattachée à la grande
migration ? nous trouverons peut-être la réponse en graphique . La poussée du
modernisme avec son nouveau code culturelle coïncide avec la période du « point de
basculement », dans la relation de majorité entre la population rurale et urbaine.
nous pouvons donc dire que la conception de la culture du romantisme national
correspond à une société encore dominée par une population rurale essentiellement
agricole qui est en train de sortir de son contexte orienté sur la tradition. dans ce
contexte, il convient de souligner le nouveau rapport avec la tradition.
La conception de la culture du modernisme correspond cependant à une société
qui a été dominée par la population récemment urbanisée. Maintenant, au contraire,
la majorité est en train d’entrer dans le nouveau contexte, ce qui répond à une autre
nature et à un besoin, dans d’autres termes que ceux du romantisme national,
d’affirmer la nouvelle urbanité et la nouvelle manière de subvenir à ses besoins.
L’idéologie du foyer du peuple n’était pas fondée dans le but de créer l’illusion selon
laquelle le fond de la société demeurait la même qu’elle avait été autrefois. elle était
fondée sur l’idée d’adopter le nouveau, tout en prenant la sécurité de l’ancienne
société avec soi dans le nouveau concept. La politique avait du succès, car elle
parvenait à maintenir en équilibre ces deux tendances.
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qui repose sur la bataille entre les anciens bateaux à voile et les nouveaux bateaux à
vapeur, bataille que les anciens voiliers du romantisme sont condamnés à perdre.
dans le musée des technologies, d’anciennes mines de faible technologie et l’industrie
du fer sont mises en contraste avec l’industrie moderne. Pour finir, dans le musée
historique, l’histoire s’arrêtait au début du xvie siècle, comme pour souligner la
distance entre l’« histoire » et la période actuelle.
il s’agit donc d’un mouvement qui, à la base, se distinguait des musées du roman-
tisme et du romantisme national. Les nouvelles institutions culturelles des années
90 visent à officialiser et à formaliser la conception de la culture du modernisme.
Mais le message du modernisme des années 90 concernant la différence entre
l’ancien et le nouveau ne décrit absolument pas les relations sociales et culturelles qui
ont eu lieu à cette période. au contraire, il décrit les conditions existantes lors de la
phase d’industrialisation et lorsque la grande migration a débuté autour de 860-
870. C’est à ce moment-là que l’éclatement de la société traditionnelle a eu lieu,
pas en 90. La conception de la culture culturelle du modernisme des années 90
affiche ainsi la même particularité que celle observée au sujet du lien traditionnel du
romantisme et du romantisme national. en réalité, elle ne reflète pas la période
actuelle, mais plutôt une période qui est déjà révolue.
Ce n’est que lorsque la période la plus critique du grand changement est passée,
à savoir la phase de rupture, que la conception culturelle officielle et sociale peut faire
son apparition et refléter le développement qui a déjà eu lieu. La fonction « politique/
thérapeutique » dans la conception culturelle institutionnalisée dans les années 90
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consiste dans le fait que les citoyens sont désormais invités à accepter et anticiper la
transformation sociale qui s’est déjà déroulée pendant un demi-siècle. La conception
de la culture de la société traditionnelle est échangée contre la conception culturelle
laïque urbaine.
La personne éminente de la politique culturelle de la social-démocratie dans les
années 90 et 90 était le ministre des Cultes, arthur engberg. On ne se souvient
pas de lui pour les musées, mais pour le éâtre national, un théâtre de tournées
bien organisé, construit en 9 exclusivement pour les tournées dans les provinces.
depuis sa création, le éâtre national a toujours été considéré comme étant emblé-
matique des contributions culturelles antérieures de la social-démocratie. il en est
ainsi selon nous parce que le théâtre avait une fonction symbolique importante dans
la quête de la vision du foyer des peuples pour une médiation entre urbanité et
ruralité. Le théâtre est une forme de culture essentiellement urbaine, mais avec le
éâtre national, arthur engberg a fait savoir que l’ambition culturelle de la social-
démocratie était, à travers des tournées, de renouer avec la Suède que la migration
interne avait tendance à séparer du reste du pays rural. Les nouveaux musées
montraient donc que la différence entre l’ancien et le nouveau était une question
fondamentale. Le éâtre national a marqué de manière symbolique le fait que la
politique cherchait à intervenir comme médiateur et à combler la distance.
L’élargissement des investissements culturels que nous attendons de la part d’une
nouvelle force politique a été pour la social-démocratie d’inclure la perspective
d’approche éducative du peuple dans le cadre culturel. Le parti avait son fondement
dans les mouvements sociaux du xixe siècle et une fois que le pouvoir politique avait
été conquis, la politique générait différents investissements visant à promouvoir
l’éducation du peuple. il s’agissait d’investissements pour la bibliothèque du peuple
et pour le soutien des activités éducatives volontaires que les mouvements populaires
conduisaient en dehors du système éducatif officiel.
Le lien entre la culture et l’éducation du peuple n’était toutefois pas uniquement
une question monopolisée par la social-démocratie. déjà en 9, le budget de l’État
prévoyait un poste de dépense pour les « mesures culturelles et d’éducation du peuple
en général » qui marquait à quel point le lien entre ces domaines était fort. d’ailleurs,
le éâtre national était formellement organisé comme étant une activité associative
et était perçu comme une sorte de théâtre pour l’éducation du peuple.
Finalement, arthur engberg fit ce que l’on attendait d’un politicien culturel, en
renouvelant le « contrat » avec les artistes. Cela a été réalisé grâce à un système instauré
en 96 selon lequel % des coûts de constructions étaient alloués à la décoration
artistique. Le modèle existait en allemagne où les nazis ont instauré un système
similaire en 9. À travers cette réforme, le travail des artistes visuels était lié à la
construction physique du nouveau foyer pour le peuple. ainsi, la social-démocratie
a élaboré, au cours des années 90, une politique culturelle qui comprenait quatre
éléments symboliques importants :
– institutionnalisation d’une nouvelle conception de la culture : les musées ;
– relais entre la relation urbanité/ruralité : le éâtre national ;
– élargissement du sujet : l’éducation du peuple ;
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la musique atonale, l’art abstrait et la poésie sans rimes. Cela signifie que l’ancienne
idée politique qui consiste à gagner de la légitimité à travers la protection de l’art
était à ce moment une expression politique symbolique de l’affirmation de la
modernité urbaine.
Tout comme en ce qui concerne la stratégie engberg pour le éâtre national
vingt-cinq ans auparavant, les sociaux-démocrates en 96 voulaient concilier les
deux directions en soutenant l’art, mais également en motivant et légitimant le
soutien en le plaçant dans un contexte social et éducatif du peuple.
dans cette ligne de conduite, bon nombre de campagnes culturelles au cours de
la décennie ont fait tripler le budget de l’État pour la culture au cours de la décennie
(en valeur monétaire), même si du point de vue financier, chacune d’entre elles était
relativement modeste. Une telle augmentation des dépenses n’a plus été constatée
par la suite.
Les gagnants de ce développement furent les domaines du théâtre et de la musi-
que qui représentaient un tiers des augmentations. des équivalents du éâtre
national furent créés dans le domaine de la musique (concerts nationaux) et pour
des expositions (expositions nationales). Mais des investissements ont également été
effectués pour les conférences et les cercles d’études de l’enseignement du peuple. Le
cinéma a été intégré dans la politique culturelle, un exemple typique de la tendance
politique à signaler le renouvellement en s’introduisant dans un nouveau domaine.
Le financement de films suédois de qualité était garanti par un accord dans le domai-
ne et par un institut cinématographique spécial créé en 96 qui devait soutenir la
production.
Cependant, les changements les plus radicaux ont peut-être concerné la
restructuration de l’ancienne sphère ecclésiastique. Une série de réformes politiques
concernant l’école et l’enseignement ont été effectuées au cours des années 960,
dans le but de moderniser et d’élargir les champs de l’enseignement. On tentait de
contrebalancer l’accès socialement inégal à l’enseignement supérieur. Une définition
précise des contours et une gestion plus efficace du système éducatif étaient
souhaitées. Cette politique correspondait au développement de l’administration
gouvernementale, en pleine expansion pendant la période de l’après-guerre. La
sectorisation, c’est-à-dire la création d’une niche pour plusieurs domaines politiques
plus spécialisés, était perçue comme indispensable dans la direction politique de
l’administration en développement.
Ce développement du système éducatif a soulevé, d’une manière plus ou moins
inévitable, la problématique des frontières avec les investissements culturels, où la
logique bureaucratique a fait son apparition. déjà en 960, une restructuration du
budget du ministère du Culte a été opérée afin d’obtenir une répartition plus claire
entre les différents aspects de la « culture spirituelle ». en même temps que le volume
des investissements culturels augmentait, il est devenu normal que la politique
s’exprime en termes de politique culturelle particulière qui était perçue comme plus
ou moins démarquée du système éducatif.
Les académies royales existaient depuis le xviiie siècle. Pour des raisons historiques,
l’éducation artistique, comme les activités de la bibliothèque et des musées, était
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comme évidente. juste avant 970, la Suède quitte la société industrielle pour une
société de production de services, mesurée par l’emploi de la majorité de la popula-
tion. Comme nous allons le voir, une nouvelle conception de la culture va naître
juste pendant cette rupture. elle sera bientôt exprimée dans la politique culturelle
sectorielle individuelle.
Le contexte de la transition économique est certainement marqué par l’important
déclin de l’emploi dans l’industrie au cours des années 970. il reflète la crise
économique et industrielle que le monde occidental traversait à ce moment-là.
Lorsque la crise s’est achevée vers la fin des années 980, la vie économique et la
manière dont les Suédois subvenaient à leurs besoins avaient fondamentalement
changé. il convient d’évoquer un changement qui, à plusieurs égards, est comparable
à la phase introductive de l’industrialisation. en réalité, la situation était toutefois
moins dramatique puisque le changement sociogéographique qui accompagnait
l’industrialisation n’avait pas eu son équivalent direct dans la société de services.
au lieu de cela, comme nous avons pu le constater, l’entrée dans la société de
services signifie que les flux migratoires ont changé de caractère. La relation entre la
vie rurale et la vie urbaine se stabilise. Même la relation entre le pourcentage de la
population dans les agglomérations de différentes tailles est restée inchangée depuis
970. Mais dans le nouveau cadre démographique, il y a tout de même eu une
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restructuration non négligeable. en effet, les plus grandes villes, Stockholm, Göteborg
et Malmö, et leurs banlieues se sont étendues au détriment des villes et aggloméra-
tions plus périphériques. de nombreuses petites villes dans le nord de la Suède ont
tout simplement disparu alors que d’autres ont fait leur apparition à proximité des
grandes villes. de même, la population rurale dans les parties les plus éloignées du
pays a diminué en faveur d’une vie rurale plus proche des zones urbaines et donc
plus confortables.
L’évolution des zones métropolitaines s’est réellement accélérée à partir de la
seconde moitié des années 990. en effet, en 200, ,2 % de la population urbaine
se concentre dans les trois régions métropolitaines. Les grandes villes bénéficient de
l’immigration, principalement parce qu’elles proposent un marché du travail attractif
pour les jeunes diplômés. 0 % des enfants naissent dans l’une des régions
métropolitaines et le nombre de personnes de moins de 0 ans en dehors des trois
grandes régions métropolitaines est plus faible en 200 qu’en 970.
Le graphique 6 compare la croissance du secteur des services, la proportion de
personnes employées et la croissance correspondante d’une partie de la main-d’œuvre
ayant une éducation supérieure, c’est-à-dire possédant un diplôme universitaire.
Une relation sans équivoque entre les deux croissances relatives de la population
est visible. il peut être conclu que l’économie fondée sur les services se développe
principalement comme une économie basée sur l’enseignement supérieur. C’est-à-
dire que ce sont les services ayant une valeur ajoutée supérieure qui entraînent le
développement économique. Si le développement se poursuit dans la direction
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de la société ou d’une autre politique, mais qui est désormais correctement conçue
uniquement si elle est comprise ainsi.
La politique de 97 marque ainsi une nouvelle conception de la culture dans
laquelle la devise du modernisme des années 90 sur « la différence entre l’ancien
et le nouveau » est abandonnée au profit de l’idée de « culture en soi ». Le fait de
percevoir la culture en tant que domaine spécifique ou distinct de la société, capable
d’être séparé du reste de la société, peut, à bien des égards, paraître comme une idée
étrange. néanmoins, elle a gouverné la vie culturelle suédoise jusqu’à aujourd’hui.
Cela n’est possible que si la culture est perçue comme l’expression d’un besoin
culturel, ce qui ramène à la fonction politique ou thérapeutique de la conception de
la culture.
visualiser « la culture en soi » est donc intrinsèquement la même chose que de
dire que la culture est séparée de la société, ou du développement de la société. Par
conséquent, la culture a sa propre vie et elle existe pour ainsi dire dans son propre
droit. La nouvelle devise des années 970 peut ainsi être exprimée comme si « il y
avait une différence entre la culture et la société », ce qui la rend assez similaire à son
équivalent du modernisme des années 90 selon lequel « l’ancien et le nouveau
devaient être maintenus séparés ». désormais, la séparation concerne plutôt la culture
et la société.
À cet égard, la conception de la culture des années 970 rappelle le modernisme
des années 90. nous verrons bientôt qu’elle est également similaire aux années
90 pour d’autres raisons. Mais la nouvelle conception culturelle des années 970
présente également une parenté frappante avec le romantisme/romantisme national.
La conception de la culture de cette période est associée à l’apparition de l’industriali-
sation et à la grande migration en 860-870. elle était vouée à s’adapter à la phase
initiale la plus dramatique du changement. La nouvelle conception de la culture des
années 970 doit également répondre à une société où un nouveau processus de
modification important a débuté. Comme en ce qui concerne le romantisme/
romantisme national, nous devons nous attendre à ce que la conception de la culture
des années 970 exerce la fonction de signal de la continuité dans le changement.
Mais il y a une différence entre 870 et 970. La conception de la culture des
années 970 n’a pas pour objectif de répondre à la transition de la société de services
au moyen de la recette du romantisme national. au contraire, la conception de la
culture des années 970 affirme les nouveaux changements de la société et tend à les
reconnaître et les considérer comme l’expression de quelque chose de fondamentale-
ment nouveau. Toutefois, elle place la « culture » dans la position de vecteur de
continuité. Selon nous, il s’agit là de l’essence propre de la conception de la culture
des années 970. La notion de « culture en soi » est la condition essentielle de la
prochaine évolution de la figure de pensée : « même si la société change de manière
dramatique, “la culture” reste néanmoins la même ». Cette idée ne peut être que
précédée de celle selon laquelle la « culture » est quelque chose de distinct de la
« société ».
La conception de la culture des années 970 correspond ainsi à l’hypothèse de
la fonction politique ou thérapeutique de la conception de la culture. Car l’idée d’une
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culture inchangée dans une société changeante doit être perçue comme l’expression
du besoin de la société de créer un point stable lorsque tout change, ou presque.
Mais quelle est la raison pour laquelle la culture est « immuable » ? Par quelle
technique la conception de la culture des années 970 a-t-elle tenté de transmettre
ce message ? La technique change avec l’ancienneté de la politique. au départ, lorsque
la politique est mise en œuvre en 97, elle se réfère tout simplement à la conception
de la culture des années 90. La culture doit donc être considérée à travers la vision
artistique du modernisme avant-gardiste des années 90. La politique culturelle
affirme que la vision de l’art et de la culture qui a alors fait son apparition est entiè-
rement valide, qu’elle n’a pas changé. nous reconnaissons cette technique comme
étant aujourd’hui un élément du fonctionnement thérapeutique et politique de la
conception de la culture. elle explique que des conditions antérieures sont valables
pour la période actuelle. La conception de la culture des années 970 affirme ainsi
que la conception de la culture des années 90 est valable pour la nouvelle ère.
Cependant, la relation se complique par la suite, ce qui provient, entre autres,
de l’existence de conflits entre la conception de la culture du modernisme des années
90 et l’idée des années 970 selon laquelle il existe une politique/culture sectorisée.
Le développement de la politique culturelle après 97 peut être largement interprété
comme étant la conséquence de la façon dont ces conflits sont réglés. avant d’y
revenir, il convient d’évoquer les similarités avec le modernisme des années 90.
7
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Cependant, la politique culturelle était principalement construite selon l’idée que les
deux directions pouvaient être réunies. La politique culturelle de 97 peut être
considérée comme un compromis politique typique suédois entre différents intérêts.
L’une des nouveautés de la politique de 97 résidait dans le fait que la position
politique serait codifiée ou résumée dans les objectifs généraux à soumettre au
Parlement. il s’agissait d’une idée tirée de la nouvelle direction de l’administration
connue sous le nom de « nouvelle gestion publique » (new public management). quelle
que soit la façon dont cette idée fonctionne, en réalité elle s’adapte à la façon dont
le gouvernement souhaite que la nouvelle politique soit perçue. il est patent que
beaucoup d’efforts ont été consentis afin de formuler les objectifs culturels dans le
projet de loi.
L’objectif principal était « que la politique culturelle devait protéger la liberté
d’expression et engendrer de vraies conditions pour que cette liberté puisse être
exploitée ». Cet objectif place la politique dans la tradition des réformes démocra-
tiques du début du xxe siècle. en pratique, l’objectif répondait principalement à la
politique dans le domaine des médias : service public radiophonique et télévisuel et
nouvelle aide de l’État en faveur de la presse quotidienne. Mais l’objectif marquait
également le caractère de la politique culturelle, centrée autour de fortes valeurs
symboliques.
Un autre objectif était de faire en sorte que la politique « permette un renouveau
artistique et culturel ». il répond à la conception de la culture du modernisme des
années 90 avec sa focalisation sur la rupture artistique. Un troisième objectif était
de « garantir que la culture de l’ancien temps serait intégrée et actualisée ». On tend
la main à la tradition, mais l’attitude est détachée. L’héritage culturel avait besoin
d’être « actualisé » pour être intéressant. Même ici, il existe une référence claire au
code du modernisme des années 90, l’ancien et le nouveau étaient maintenus
séparés.
Parmi les autres objectifs, plusieurs sont caractéristiques de l’orientation sociale
culturelle. La politique allait ainsi « donner la possibilité d’une activité créative et
favoriser le contact entre les personnes ». elle allait « être conçue selon les besoins des
groupes négligés » et elle devait « contrer les effets négatifs du commercialisme sur le
domaine de la culture », une formulation qui relie le débat existant à partir de 90
sur l’impact vulgarisateur de la culture populaire. L’État devait ainsi garantir une
culture de qualité et protéger les citoyens de la « junk culture ».
La politique culturelle devait également « favoriser un échange d’expériences et
d’idées dans le domaine de la culture sur les langues et les frontières nationales ».
dans les années 970, il était encore évident que l’intérêt de la langue et des frontières
nationales devait être souligné. C’est probablement toujours le cas, malgré la vague
de mondialisation et les flux migratoires des dernières décennies.
La question du profil de la nouvelle politique était ainsi accompagnée d’un
objectif qui impliquait que la politique culturelle devait « promouvoir la décentralisa-
tion des fonctions de l’activité et des fonctions de décisions dans le domaine de la
8
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culture ». L’objectif a été atteint par l’engagement de l’État à créer une structure
institutionnelle décentralisée qui allait couvrir tout le pays à travers un soutien aux
musées, théâtres et orchestres des villes rurales. il s’agit là, en règle générale, d’une
réforme réussie. du point de vue des idées, elle avait ses racines dans le concept du
foyer pour le peuple selon lequel la ville et la campagne devaient être liées grâce à
l’aide des investissements culturels. La réforme des institutions culturelles régionales
est ainsi proche, intellectuellement, du éâtre national d’engberg, mais il s’agissait
également de copies des institutions de Stockholm, qui, dans un format réduit,
allaient se propager dans tout le pays. en revanche, la décentralisation des décisions
et le soutien financier de l’État ne fonctionnaient pas. dans les faits, c’est l’État qui
a dirigé les investissements culturels des responsables locaux des conseils généraux,
au moyen de l’attribution de subventions.
Telle que résumée à travers ces objectifs, il est frappant de voir à quel point cette
politique peut être perçue comme une expression de la culture du modernisme des
années 90 et de la politique social-démocrate de médiation avec laquelle elle allait
de pair. il ne fait aucun doute que la nouvelle politique tentait de marquer la conti-
nuité dans la relation avec la période précédente. La nouveauté dans la politique
n’était donc pas la conception de la culture, malgré les apparences. La nouveauté
résidait plutôt dans l’idée de gérer ou d’organiser les relations de la politique culturelle
au moyen d’une politique sectorielle distincte.
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de loi, mais les éléments de l’étude ont été adoptés comme politique du gouverne-
ment. L’État avait alors investi dans de nouveaux musées. aussi en ce qui concerne
le nouvel objectif de l’héritage culturel, il convient de mentionner le fait que l’objectif
officiel de la politique avait été adapté à un développement qui avait déjà eu lieu.
Le développement de la politique culturelle après 97 peut aisément être
interprété comme étant le résultat de conflits entre la nouvelle conception de la
politique et la politique des années 90, devenu plus clair par la suite. Le premier
point concerne la dimension sociale qui n’a tout simplement pas eu de place dans la
nouvelle politique sectorielle. elle n’a pas sa place dans une politique qui se fonde
sur l’idée de la « culture en soi ». au contraire, elle souligne un lien et des influences
dans la société environnante ou dans les autres « secteurs ». Mais la nouvelle politique
culturelle était fondée sur l’idée selon laquelle le domaine de la culture était séparé
des autres domaines et devait être géré selon d’autres mesures et outils politiques.
Le deuxième point de conflit concerne l’héritage culturel. La distinction opérée
par la culture du modernisme des années 90 entre l’art et l’héritage culturel
illustrait l’idée de la différence entre l’ancien et le nouveau. Mais la conception de la
culture des années 970 veut plutôt établir une distinction entre la culture en tant
que telle et la société en général. À cet égard, la vision de l’héritage culturel du
modernisme des années 90 ne convient plus et c’est la raison pour laquelle la
conception culturelle du modernisme tardif des années 970 est à nouveau intégrée.
L’héritage culturel est à nouveau moderne.
nous pouvons donc conclure que là où apparaissent des conflits entre la nouvelle
conception de la culture sectorisée et celle des années 90 à laquelle elle voulait se
référer, les références des années 90 étaient obligées de s’effacer. en même temps
que les références des années 90 ont été atténuées, la politique a curieusement fait
référence au romantisme national. nous allons les étudier à travers les nouveaux
musées qui sont construits après 980.
il semblerait donc que la technique par laquelle la conception de la culture des
années 970 a initialement exprimé la devise de la « culture immuable », à travers les
références au modernisme des années 90, a peu à peu été remplacée par des
références à un concept plus général dans lequel les différentes notions changeantes
sur la culture sont librement mélangées. La conception de la culture des années 970,
« la culture en soi », est que la culture demeure immuable dans une société en
mutation.
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clairement marqué son lien avec le modernisme des années 90, puis un ajustement
impliquant que les influences des années 90, qui ne convenaient plus dans la
nouvelle conception de la culture, étaient effacées.
il est intéressant de noter que ces étapes correspondent parfaitement à deux séries
de création de nouvelles institutions : immédiatement après le lancement de la
politique sectorielle, de nouvelles archives nationales (968) ont été créées et
rapidement un nouveau bâtiment institutionnel pour l’institut du film (97) a été
inauguré. de grands bâtiments administratifs ont également été construits pour la
radio publique de Suède et la compagnie de télévision. il ne s’agit donc pas d’institu-
tions publiques dans le sens où elles sont destinées à accueillir le public, mais de
complexes administratifs pour la bureaucratie culturelle émergente. La nouvelle
politique et sa focalisation sur une nouvelle structure administrative propre sont ainsi
marquées par une construction institutionnelle « interne » dans cet esprit. Toute la
série de constructions est réalisée dans une architecture fonctionnaliste, avec toutefois,
pour l’institut du film, un renversement clair vers l’expression d’une nouvelle
architecture « brutale ».
Une dizaine d’années plus tard, une nouvelle série d’institutions culturelles publi-
ques d’une tout autre nature est construite. il s’agit du musée ethnographique (inau-
guré en 980) et du musée vasa à Stockholm (inauguré en 990), puis du musée de
la marine à Karlskrona en 997, du musée d’art moderne à Stockholm (998) et
pour finir le musée de la culture mondiale à Göteborg (200). jamais auparavant,
l’État n’avait autorisé la construction d’autant de musées sur une période si courte.
On peut également citer l’opéra de Göteborg qui a été construit grâce au financement
de l’État entre 989 et 99. il faut revenir à l’époque du romantisme/romantisme
national (voir graphique 2) pour trouver quelque chose de similaire. dans le graphi-
que 7 (le même que le graphique 5) sont indiquées les années d’inauguration des
nouveaux musées. On distingue la manière dont les musées accompagnent la
dominance croissante du secteur des services, ce qui rappelle fortement l’introduction
similaire de la société industrielle cent ans auparavant (voir graphique 2).
Les nouvelles institutions font référence à la fin du xixe siècle. Cela concerne
principalement l’architecture, tant du musée ethnographique que du musée vasa et
l’opéra de Göteborg, qui sont construits dans un style clairement inspiré du
romantisme avec des angles cassés et des façades en bois rouge de Falun. Les références
sont évidentes pour tout Suédois qui s’intéresse à l’architecture. en revanche, le
fonctionnalisme a complètement disparu. Les musées un peu plus récents ne
présentent pas d’éléments évidents liés au romantisme national, mais font clairement
référence au classicisme pur. ils suivent le même développement de style que
lorsqu’une vague de nouveau classicisme a succédé au romantisme national dans les
années 90-920.
Même par leur contenu on peut regrouper les nouveaux musées dans le roman-
tisme national, à travers un thème que l’on peut appeler le voyage. vers la dernière
partie du xixe siècle, comme pour les autres européens, les explorateurs suédois
effectuaient des voyages aux quatre coins du monde. Le nouveau musée ethnographi-
que puis le musée de la culture mondiale exposent désormais au public des collections
2
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objet de culte. en tout cas, le spectateur est rempli d’un sentiment de vénération
lorsqu’il pénètre dans le musée.
dans l’ensemble, cette analyse des nouveaux musées correspond assez bien à la
conception de la culture des années 970, qui traite du changement de la société,
du romantisme national et des voyages d’exploration, de la culture en soi et
immuable, des œuvres d’art et des objets tels que les objets pseudoreligieux.
6. en tant que secrétaire principal et responsable des questions pratiques pour l’analyse de l’étude et des
propositions principales, j’ai fondé cette contribution sur l’expérience du travail et de l’analyse de cette
étude.
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Introduction
en 1848, au moment où l’europe des nationalités et du romantisme libéral
s’éveille en sursaut, la Suisse moderne a trouvé son gouvernement sous l’impulsion
politique des radicaux, mais cherche encore sa société, et plus encore, sa culture1.
L’affirmation et la consolidation d’une identité nationale helvétique passent en effet,
depuis l’avènement de l’État fédératif en 1848 jusqu’à l’éclatement du second conflit
mondial, par la lente et tâtonnante mise en place d’une politique culturelle qui ne
définira des contours clairs et des objectifs précis qu’à partir de la seconde moitié du
xxe siècle. avant d’aborder successivement les structures et les moyens, puis l’esprit,
et enfin les réalisations concrètes de cette politique culturelle, il convient de rappeler
brièvement dans quel contexte sociopolitique celle-ci a germé et lentement mûri
durant le siècle qui a précédé son éclosion.
L’année fondatrice de 1848 correspond également à la création des archives
fédérales suisses, destinées à légitimer historiquement le tout jeune État fédératif.
Quatre ans plus tard, la mise en place d’une École polytechnique fédérale traduit la
volonté affirmée des radicaux de soutenir l’éducation dans un esprit de progrès qui
permette la formation et la perpétuation des élites du pays. C’est avec des objectifs
semblables que sont créés le Musée national et la Bibliothèque nationale,
respectivement en 1890 et 18942. Le fait d’attendre le passage de deux générations
pour parvenir à établir de telles institutions en dit long sur le poids du fédéralisme
cantonal et les difficultés de la Confédération à s’imposer sur le plan culturel. La
culture n’est alors pas une affaire publique, dans un pays qui hésite et peine à
mobiliser ses forces pour centraliser les éléments composites qui constituent son
identité culturelle et politique. au milieu d’une europe qui voit triompher le modèle
de l’État-nation, en voie plus ou moins rapide d’unification, la Suisse apparaît tiraillée
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6. Voir notamment la synthèse de Gérald et Silvia arlettaz, la Suisse et les étrangers : immigration et for-
mation nationale (1848-1933), Lausanne, antipodes et SHSR, 2004.
7. Pour plus de détails, voir notamment la synthèse parfois polémique de H. U. Jost, les Avant-gardes réac-
tionnaires. La naissance de la nouvelle droite en Suisse 1890-1914, Lausanne, Éd. d’en bas, 1992.
8. alain Clavien, les Helvétistes. Intellectuels et politique en Suisse romande au début du siècle, Lausanne, Éd.
d’en bas et SHSR, 1993.
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9. Pour une mise en perspective générale de l’action culturelle de Pro Helvetia, voir Michael Stettler, die
kulturellen Beziehungen der Schweiz mit dem Ausland – Pro Helvetia – ihre Aufgabe im Inland und Aus-
land, Zurich, 1971 ; Stiftung Pro Helvetia (dir.), Annuaire de la fondation Pro Helvetia 1939-1964, Zurich,
orell Füssli, 1964 ainsi que Franz Kessler, die Schweizerische Kulturstiftung »Pro Helvetia«, Zurich, Schul-
thess, 1993.
10. Voir la synthèse de Gianni Haver, le Spectacle cinématographique en Suisse (1895-1945), Lausanne,
antipodes et SHSR, 2003 et l’ouvrage collectif dirigé par Markus drack, la radio et la télévision en Suisse :
histoire de la Société suisse de radiodiffusion SSr jusqu’en 1958, Baden, Hier + Jetzt Verlag für Kultur und
Geschichte, 2000.
11. Vingt-cinq cantons et demi-cantons jusqu’en 1979, puis vingt-six.
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12. Heinrich Häberlin (1939-1943), Paul Lachenal (1944-1952), Jean-Rodolphe von Salis (1952-1964),
Micheal Stettler (1965-1970), Willy Spühler (1971-1977), Roland Ruffieux (1978-1985), Sigmund Wid-
mer (1986-1989), Rosemarie Simmen (1990-1997), Yvette Jaggi (1998-2005) et dès 2006 Mario annoni.
13. en 2007, la subvention fédérale se montait à 32 millions de francs.
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14. À titre de comparaison, le FnRS reçoit en 1952 une subvention fédérale de 2 millions de francs, por-
tée à 100 millions en 1974, et 200 millions en 1987. Sur la politique scientifique, voir antoine Fleury,
Frédéric Joye-Cagnard, les débuts de la politique de la recherche en Suisse : histoire de la création du Fonds
national suisse de la recherche scientifique, 1934-1952, Genève, Librairie droz, 2002 ; et Frédéric Joye-
Cagnard, la Construction de la politique de la science en Suisse. Enjeux scientifiques, stratégiques et politiques
(1944-1974), thèse de doctorat, Université de Genève, 2007.
15. À côté de Pro Helvetia, c’est le département politique (affaires étrangères) qui s’occupe de la diplo-
matie culturelle, avec les représentations suisses à l’étranger, et qui gère, jusqu’à la création de l’office
fédéral de la culture, les relations avec l’Unesco et le Conseil de l’europe.
16. La situation est un peu différente pour ses activités à l’étranger qui nécessitent une planification mini-
male.
17. après l’allemand, le français et l’italien, le romanche est reconnu comme quatrième langue nationale
en 1938.
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18. Éléments pour une politique culturelle en Suisse : rapport de la Commission fédérale d’experts pour l’étude
de questions concernant la politique culturelle suisse, Berne, département fédéral de l’intérieur 1975.
19. il reste ardu de mettre en évidence le budget culturel de la Conférération, et nous ne nous y risque-
rons pas ici. il faudrait pouvoir distinguer les postes consacrés à l’éducation et au développement. Préci-
sons toutefois que ce budget est fort modeste même en tenant compte des subventions accordées à Pro
Hevletia, à la Commission nationale pour l’Unesco, au Bureau international d’éducation, ou les cotisa-
tions versées à l’Unesco et au Conseil de la coopération culturelle.
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Le moment officiel
« Si le peuple en question reste conscient de sa grandeur et de sa force spirituelles,
il sera également à l’abri des influences étrangères20. » Cette phrase, tirée du message
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21. H. U. Jost, « Reflet culturel de la politique suisse des années 40 », dans nos monuments d’art et d’his-
toire, 1984, no 42/3.
22. andré Lasserre, la Suisse des années sombres : courants d’opinions pendant la Seconde Guerre mondiale,
Lausanne, Payot, 1989.
455
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23. alain Clavien, Hervé Gullotti et Pierre Marti, « La province n’est plus la province », les relations cultu-
relles franco-suisses à l’épreuve de la Seconde Guerre mondiale (1935-1950), Lausanne, antipodes, 2003.
24. Jean Rodolphe de Salis, « Perte ou métamorphose de la culture ? », dans La culture est-elle en péril ?,
neuchâtel, La Baconnière, 1955.
25. Franck Jotterand, « La politique culturelle », dans erich Gruner, la Suisse depuis 1945. Études d’his-
toire contemporaine, Berne, Francke, 1971.
26. alain tanner, Ciné-mélanges, Paris, Le Seuil, 2007, p. 24.
27. Les Suisses dans le miroir. Les expositions nationales suisses, Lausanne, Payot, 1991.
456
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30. allocution du conseiller fédéral Pascal Couchepin au forum « Culture et économie », Lausanne, 27 jan-
vier 2005.
31. du pain et des jeux – l’encouragement culturel : un nouveau dialogue entre pouvoirs publics, entreprises et
mécènes, Rüschlikon, Gottlieb duttweiler-institut, 1993, s.p.
32. Éléments pour une politique culturelle en Suisse, op. cit., p. 348.
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Promue par les milieux artistiques, une initiative populaire visant à renforcer les
mesures d’encouragement de la culture ainsi qu’à élargir les compétences de la Confé-
dération en matière culturelle est refusée en 1986 lors d’un référendum. Soumise au
parlement en 2007, la première loi fédérale sur l’encouragement de la culture confère
à la Confédération la tâche de soutenir les activités culturelles dont l’intérêt dépasse
le cadre régional. Cependant, la compétence d’encourager la création d’œuvres artisti-
ques est attribuée aux cantons, aux communes et au secteur privé, une intervention
subsidiaire de la Confédération n’étant jugée ni nécessaire, ni souhaitable dans ce
domaine33. disposant en général d’un champ d’action plus vaste que les collectivités
publiques et d’une politique d’allocation indépendante de considérations régionales
ou locales, les fondations culturelles du secteur privé compensent en partie les déficits
du mécénat public. en effet, elles disposent de moyens financiers nettement supé-
rieurs aux budgets culturels de nombreuses collectivités publiques et de la fondation
Pro Helvetia. on estime que les fondations privées ont consacré au début des années
1990 environ soixante millions de francs par an aux activités culturelles, alors que,
sous l’effet de la crise économique, les collectivités publiques ont réduit durant la
même période de manière draconienne leurs dépenses culturelles34.
découlant directement du fédéralisme, du principe de subsidiarité et de la multi-
plicité des acteurs institutionnels, les particularités du système suisse d’encouragement
de la création résident dans l’inégalité avec laquelle se répartit l’aide publique entre
les divers domaines culturels, ainsi que dans le subventionnement indirect de la
production artistique par le biais de la fondation Pro Helvetia et des associations
faîtières. en raison des insuffisances de la politique d’encouragement de la culture et
de l’étroitesse des débouchés sur le plan national, la plupart des créateurs sont obligés
de se consacrer à un second métier.
dans le domaine littéraire, la Confédération encourage la création à travers la
fondation Pro Helvetia qui, dès 1951, alloue des bourses d’écriture aux auteurs suisses
et facilite, pour renforcer les échanges à l’intérieur du pays, la traduction dans les
différentes langues nationales d’œuvres jugées représentatives. de plus, la fondation
finance dans une large mesure les activités de la Société suisse des écrivains qui, fondée
en 1912, regroupe la plupart des auteurs suisses, dont elle défend les intérêts
professionnels et sociaux. en 1970, l’opposition entre une littérature satisfaite du
statut politico-social du pays et une littérature plus engagée conduit à la scission de
la Société suisse des écrivains et à la constitution du groupe d’olten financé, lui aussi,
par Pro Helvetia. Soucieuses d’améliorer la situation matérielle des auteurs, les deux
associations d’écrivains manquent de moyens pour servir d’instruments à une
politique efficace d’aide à la création littéraire. La plupart des villes suisses encoura-
gent la création littéraire au moyen de bourses ou de prix, alors que les cantons qui
affectent spécifiquement une partie de leur budget culturel aux lettres sont peu
nombreux. Sur le plan national, aucune norme commune d’attribution des subsides
33. Message du Conseil fédéral relatif à la loi fédérale sur l’encouragement de la culture, 8 juin 2007.
34. du pain et des jeux, op. cit., s.p.
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et des prix ne peut être définie, les bourses étant accordées par les différentes
collectivités publiques selon des critères très variés35.
Les subventions publiques destinées au théâtre proviennent presque exclusivement
des villes, alors que la contribution des cantons et de la Confédération reste marginale
dans ce domaine. Les grands théâtres municipaux des villes de Suisse allemande, qui
disposent d’une tradition théâtrale forte et autonome, sont les principaux bénéficiaires
des crédits publics. Financé dans une large mesure par la ville de Zurich, le Schauspiel-
haus connaît un rayonnement qui dépasse les frontières nationales. éâtre de prédi-
lection des intellectuels réfugiés dans les années 1930 et 1940, il arrive à consolider
sa réputation internationale après la Seconde Guerre mondiale grâce aux pièces de
Max Frisch et de Friedrich dürrenmatt. en Suisse romande, les troupes permanentes
ont plus de peine à prendre pied, la scène théâtrale ayant été longtemps dominée par
Paris qui y exportait ses spectacles. dès le milieu des années 1960, cette région
connaît la naissance de nombreuses troupes libres de théâtre expérimental, dont
certaines bénéficient de subsides ponctuels de la fondation Pro Helvetia. dans la
démocratie suisse, où le référendum tient une place importante, la question des
subventions destinées au théâtre a une dimension politique, les scènes municipales
étant obligées de présenter un programme qui convient aux habitants des aggloméra-
tions urbaines36.
À l’instar de la littérature, le soutien à la vie musicale se caractérise en Suisse par
la multiplicité des acteurs. Sur le plan national, l’association suisse des musiciens
accorde des bourses aux compositeurs et organise et subventionne l’exécution
d’œuvres musicales suisses. Pour encourager la création musicale, la fondation Pro
Helvetia commande des partitions aux principaux compositeurs suisses et facilite ainsi
la composition de plusieurs œuvres symphoniques importantes telles que la
Symphonie liturgique d’arthur Honegger37. dans le domaine de l’interprétation, le
mécénat public va de soi, les orchestres municipaux ne pouvant pas se maintenir sans
d’importantes subventions publiques. Les dépenses des cantons et des communes en
faveur des orchestres symphoniques des villes sont relativement élevées et représentent
le plus souvent plus de la moitié du budget destiné à la vie musicale. en 1970, 55 %
du crédit musical de la ville de Genève sont consacrés à l’orchestre de la Suisse
romande38. Voués exclusivement au théâtre lyrique, l’opéra de Zurich ainsi que le
Grand éâtre de Genève sont, eux aussi, financés dans une large mesure par les
municipalités. L’importance des subventions des villes soulève le problème de la
solidarité culturelle régionale et de la participation financière des communes
35. Annuaire de la fondation Pro Helvetia, op. cit., p. 60-79 et p. 132. Pro Helvetia, Kulturpolitik in der
Schweiz. Förderung der Kultur durch Kantone und Gemeinden, Zurich, Schweizer Spiegel Verlag, 1954,
p. 37-56. Voir aussi Éléments pour une politique culturelle en Suisse, op. cit., p. 25 sq.
36. Éléments pour une politique culturelle en Suisse, op. cit., p. 43-88. Voir également l’ouvrage d’anne-
Catherine Sutermeister, Sous les pavés la scène : l’émergence du théâtre indépendant en Suisse romande à la
fin des années 60, Lausanne, Éd. d’en bas, 2000.
37. Annuaire de la fondation Pro Helvetia, op. cit., p. 132.
38. Éléments pour une politique culturelle en Suisse, op. cit., p. 99.
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39. Éléments pour une politique culturelle en Suisse, op. cit., p. 82.
40. Ibid., p. 123 et 130 sq.
41. Hans a. Lüthy, l’Art en Suisse 1890-1980, Lausanne, Payot 1983, p. 61-97. Sybille omlin, l’Art en
Suisse au xIxe et au xxe siècle : la création et son contexte, Zurich, Pro Helvetia, 2004, p. 124 sq.
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Conclusion
Ce survol des différents domaines de la création met en évidence que l’encoura-
gement de la culture participe, en Suisse, et des qualités et des défauts du fédéralisme.
Si la décentralisation du système politique permet au mécénat public de rester proche
des bénéficiaires du soutien officiel, elle est aussi à l’origine d’un manque de coordi-
nation des multiples acteurs institutionnels et de fortes disparités entre les régions.
Les carences du système se manifestent en premier lieu dans les activités culturelles
dont l’intérêt dépasse le cadre régional, ainsi que dans les échanges avec l’étranger43.
Sur ce dernier point, on relèvera la prudence extrême manifestée par les instances
officielles chargées de la politique culturelle helvétique dans leur ouverture au monde
et aux échanges culturels internationaux. Ceux-ci ne prendront leur véritable essor
qu’à partir du milieu des années 1960, au moment où les anciens cadres de la défense
nationale spirituelle se délitent, dans un contexte plus général de remise en cause des
valeurs établies, et sous l’influence d’une nouvelle génération de créateurs insatisfaits
du peu d’autonomie et du manque de moyens culturels qui leur sont octroyés44.
Certains médiateurs culturels en charge des institutions, tels que le président de Pro
Helvetia Jean-Rodolphe de Salis, son collaborateur Luc Boissonnas ou encore le
remuant journaliste Frank Jotterand sauront rapidement percevoir, voire anticiper
l’importance de ces changements. ils plaideront vigoureusement pour plus de
confiance en soi et d’ouverture culturelle de la Suisse vers l’extérieur, y compris au-
delà du rideau de fer et en direction des pays en voie de développement, grâce
notamment à davantage de coopération avec le secteur émergent de la coopération
technique45. ayant su s’imposer, non sans difficulté face aux résistances des défen-
seurs du repli sur soi, l’apertura al mundo helvétique bénéficiera dans le dernier quart
du xxe siècle de plus de moyens, notamment à travers la création de centres culturels
suisses permanents implantés hors de ses frontières.
À l’intérieur du pays, l’État fédéral affronte actuellement des défis comparables
à ceux de ses voisins en matière de politique culturelle. Ses structures fédéralistes et
la permanence du principe de subsidiarité, comme l’idée communément admise par
les politiques d’une indispensable liberté de l’art et des créateurs culturels, protègent
généralement ces derniers du risque toujours présent de dérive d’une culture d’État
imposant ses choix et ses vues. dans des cas extrêmes, comme lors de l’affaire
Hirschhorn en 2004, on a pu craindre à un retour d’une politique culturelle plus
42. Martin Schaub, le nouveau cinéma suisse, 1963-1974, Zurich, Pro Helvetia, 1975, p. 52 sq. Voir aussi
Éléments pour une politique culturelle en Suisse, op. cit., p. 149-176.
43. Voir du pain et des jeux, op. cit.
44. Pour une vision de l’intérieur de cette évolution, voir l’article de F. Jotterand, « La politique cultu-
relle », art. cité, p. 280-306.
45. Ce contexte est évoqué de manière générale par Claude altermatt, la Politique étrangère de la Suisse
pendant la guerre froide, Lausanne, PPUR, 2003.
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46. Yvette Jaggi, « Zurich, puissance innovante », dans domaine public, 14 octobre 2005.
47. À ce sujet, voir l’étude détaillée de Jean-Yves Pidoux, olivier Möschler et olivier Guye, la Politique
extérieure dans le domaine culturel : étude et évaluation de l’action conduite par les villes, Berne, nFP 42 Syn-
thesis − 31 avril 2000.
48. o. Moeschler, « Forum : culture et politique en Suisse, l’offre et la demande », dans domaine public,
18 février 2005.
49. Y. Jaggi, « aGCS, culture, Unesco : une convention comme antidote », dans domaine public, 22 avril
2005. Une mise en perspective historique de ces enjeux est fournie par l’ouvrage de Walter Schöni, unesco.
Krise der westlichen Hegemonie. Staatliche Kulturkonzeptionen und die politische rolle der Schweiz, Frank-
furt am Main-new York, 1988.
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POSTFACE
Pierre-Michel Menger*
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commissions d’experts, c’est dans la contestabilité des choix que s’est exprimée la
critique anti-institutionnelle.
en europe du nord, l’objectif ne faisait pas de doute : la stratification sociale des
goûts et des préférences, qui crée des inégalités profondes entre les classes sociales,
peut être comprimée. Les gains de niveau de vie et la diffusion de l’éducation dans
la société agissent du côté de la demande, et rendent prévisible le futur de la
consommation : une fois les besoins primaires couverts (nourriture, logement,
transports, santé), les budgets s’orientent plus que proportionnellement vers les
besoins secondaires ou supérieurs – loisirs et culture, mobilité spatiale, soins person-
nels, services domestiques. La grande mécanique de l’État-providence promeut la
culture au rang des droits fondamentaux et des dimensions essentielles de l’épanouis-
sement individuel et collectif, au même titre que l’instruction, la santé et la protection
sociale. en France ou en grande-Bretagne, la philosophie était plutôt celle de l’effet
d’entraînement de la dissémination territoriale de l’offre sur la demande, selon le
principe du choc esthétique et de la conversion aux bienfaits de la culture savante.
Les ambitions qui furent placées dans ce scénario de la force d’entraînement de
l’offre ont été récusées au fur et à mesure que l’action publique se déployait. Les
sociologues et les militants culturels, en France et en Angleterre notamment, ont mis
en évidence la profondeur des inégalités de consommation culturelle et ont jeté le
soupçon sur les vertus de la politique d’offre. Il existe aussi de réelles différences entre
les pays. ces différences tiennent notamment à l’importance des traditions d’éduca-
tion populaire qui contribuent à façonner la conception de la transmission culturelle
(en europe du nord), ou tiennent à l’importance des pratiques amateurs et de
l’éducation artistique, qui distingue la conception britannique ou allemande de
l’action culturelle de celle qui a prévalu en France, où le ministère développa son
action en rompant avec l’amateurisme et les réseaux associatifs d’éducation populaire.
La politique d’offre a eu son efficacité, mais sur un périmètre social beaucoup plus
limité que celui de son universalisme de principe et de son volontarisme irréaliste.
Décentralisation et décentrement
La politique d’offre impliqua les collectivités locales, en europe du nord et dans
les pays à structure fédérale, plus tôt et plus vigoureusement qu’en europe du sud.
Mais la prise en compte de la dimension d’équilibre territorial, perceptible aussi au
canada et au Japon, ébranla progressivement la philosophie universaliste et hiérarchi-
que de l’action publique. L’implication des acteurs locaux retentit sur la conception
de la culture à soutenir.
Le modèle universaliste et hiérarchique se proposait d’étendre à l’ensemble d’un
pays la relation entre l’offre et la demande culturelle qui a cours dans les grandes
métropoles urbaines. Mais les enquêtes sur les inégalités de consommation culturelle
ont révélé ce qu’avait d’illusoire ce schéma diffusionniste de la décentralisation. D’une
part, ces métropoles, et tout particulièrement les capitales des pays traditionnellement
centralisés, concentrent la majorité des artistes et des professionnels des mondes de
l’art, des organisations culturelles les plus coûteuses et les plus comptables du prestige
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1. selon l’argument de « l’économie d’agglomération », la quantité et la variété des productions sont supé-
rieures là où la concentration des acteurs facilite les interactions, les échanges d’information et d’idées et
la mobilisation des ressources humaines et financières requises par la production par projet. L’argument
revient en force aujourd’hui, au moment où l’art et la culture sont désignés comme des contributeurs
majeurs de l’économie de l’innovation et de la créativité.
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réévaluation des cultures populaires, ou, plus radicalement encore, une assimilation
de l’action culturelle à une entreprise de mobilisation politique, dont les supports
sont les pratiques associatives et dont la forme d’expression privilégiée demeure le
théâtre. Les entreprises militantes et politiques qui entendent transformer la culture
en force de désaliénation doivent récuser l’admiration exclusive pour les beaux-arts
et leurs chefs-d’œuvre, dont le culte vide de sens toute culture non savante, mais
doivent récuser aussi le spontanéisme désordonné des expérimentations sans lende-
main. L’une des formules magiques au milieu des années 1970 sera l’appel à la
créativité du public, et à la jonction de la création et de l’animation.
qu’en est-il en europe du nord ? L’ironie de l’histoire de la politique culturelle
dans les social-démocraties apparaît : le soutien aux arts doit être compris et soutenu
comme autre chose que comme un projet de mise à disposition des joyaux des
sociétés inégalitaires, aristocratiques puis bourgeoises, si l’accès à la culture a les
mêmes vertus individuelles et collectives que l’accès à l’éducation. Mais une fois
adoptée une conception pluraliste de la culture, le piège d’un égalitarisme par défaut
s’ouvre : l’égale dignité des arts, des cultures et des pratiques individuelles ne pourrait
constituer un progrès social décisif que dans une société dans laquelle la connaissance,
la pratique et la production de la culture savante n’auraient plus aucun rendement
social distinctif. en réalité, la structure des budgets demeura invariablement moins
pluraliste que la rhétorique des programmes et des changements de paradigme.
Dans un tout autre modèle d’organisation de l’action publique, celui de l’arm’s
length britannique, les conflits d’objectifs ont pourtant été identiques. L’Arts Council,
dès sa création et sous l’autorité de Keynes, avait affirmé la valeur civilisatrice des arts,
fait du soutien public à l’excellence artistique son objectif prioritaire, et considéré les
régions comme des terrains d’application du modèle, tout en privilégiant la concentra-
tion des moyens sur les institutions d’excellence culturelle à Londres. Mais dans les
années 190, un vaste mouvement de régionalisation prend son essor. L’engagement
dans la politique culturelle devient l’objet de conflits déclarés. D’un côté, les moyens
de l’Arts Council sont triplés entre 19 et 1970 ; de l’autre, un réseau de douze
regional Arts Associations est créé et celles-ci s’engagent principalement à soutenir les
arts appliqués, l’animation socioculturelle et l’activité des associations d’amateurs. La
conciliation des deux missions – soutien à l’offre d’excellence, facilitation de l’accès
aux arts – devait être rendue plus aisée par l’augmentation des moyens budgétaires.
Mais c’est la divergence d’objectifs qui tend à s’installer dans la politique culturelle,
et c’est le secteur du théâtre qui en est l’incarnation. Les grandes institutions théâtrales
captent certes la majorité des ressources, dans la continuité d’une politique d’excel-
lence, mais le financement d’un nombre croissant de compagnies de théâtre commu-
nautaires, alternatives, militantes, illustre l’un des effets de la dissémination territoriale
de la culture et de l’implication d’une population d’acteurs et de décideurs locaux
(élus, associations, artistes) dont les objectifs ne sont pas ceux de la démocratisation
unanimiste et consensuelle. rapidement, la question est posée de savoir si, au plus
près du terrain, l’action publique top down ne doit pas se transmuer en une politique
bottom up. La critique relativiste de la culture exige que soit agrandi le cercle des
expressions artistiques et des communautés professionnelles éligibles aux soutiens
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publics. Mais elle introduit aussi la politisation de l’expression artistique, qui est
considérée comme le moyen de faire advenir une démocratie culturelle.
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La situation évolua rapidement quand une autre bannière fut hissée, en europe
comme en Amérique du nord, celle des creative industries. Le mouvement vint
d’Australie et de l’initiative du gouvernement travailliste de Paul Keating en faveur
d’une creative nation, au début des années 1990. La politique culturelle reconfigurée
avait deux objectifs : œuvrer à la reconnaissance complète du multiculturalisme, et
promouvoir les industries créatives, en se rapprochant de la politique industrielle des
technologies de l’information et de la communication. Les politiques culturelles de
la plupart des pays d’europe se sont converties à cette requalification d’une partie
ou même, comme au royaume-Uni, de la totalité de leur domaine d’intervention.
en europe, la doctrine fut mise au point et en œuvre par le gouvernement de tony
Blair, à partir de 1997. composer une politique culturelle, depuis les années 190,
passe notamment par la redéfinition de son champ. celle mise en œuvre au
royaume-Uni distingue deux domaines d’intervention : le patrimoine (heritage),
d’une part, et les creative industries, qui comprennent l’architecture, la musique, les
arts du spectacle, l’édition, le marché de l’art et des antiquités, la musique, les métiers
d’art, la télévision et la radio, le film et la vidéo, la publicité, le design, la mode, les
jeux vidéo, les logiciels et les services informatiques, d’autre part. L’argument est
simple. Dans sa définition habituelle, la culture soutenue par l’intervention publique
se matérialise par des œuvres, des services, des spectacles, des pratiques qui, toutes,
procurent de l’utilité au citoyen consommateur : dans cette conception, la culture
est un bien final, et sa consommation devrait être aussi équilibrée que possible,
géographiquement et socialement, pour que des satisfactions individuelles soient
assorties de bénéfices collectifs. Dans sa requalification par sa forte teneur en
créativité, la culture devient le secteur où sont recherchées et mises en œuvre des
qualités qui sont également une ressource pour l’économie tout entière. c’est la raison
pour laquelle sont associées aux arts des activités qui relèvent d’une définition
utilitariste et fonctionnelle, mais qui doivent être exercées avec suffisamment
d’invention pour ajouter un coefficient profitable d’originalité et d’innovation. Les
cas du design industriel, de la publicité, de la mode, des logiciels et des services
informatiques, qui sont explicitement incorporés dans le périmètre de l’action
culturelle publique en grande-Bretagne, en sont l’illustration. La politique culturelle
devient ainsi une politique « industrielle ». L’État est là pour l’y aider. cette nouvelle
identité sectorielle de l’action publique a été reprise au Danemark et en suède, aux
Pays-Bas, dans les Länder allemands, en Lituanie, en Pologne.
La requalification de la sphère culturelle en secteur des « industries créatives »
opère à la jonction de trois évolutions. D’une part, la politique culturelle devient
celle de sociétés dont le modèle de croissance repose sur l’innovation technologique
et sur l’élévation du capital scientifique et intellectuel du pays. Mais c’est une
production culturelle qui, comme le fait valoir le modèle anglo-saxon, doit faire la
preuve de sa viabilité sur le marché, en disposant d’un environnement de soutien
public indispensable à la croissance de ses entreprises, à la formation de ses personnels,
à la protection de ses sources de financement et notamment des revenus issus de
l’exercice consolidé du droit de la propriété intellectuelle.
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D’autre part, c’est un modèle qui immerge la politique culturelle dans l’ensemble
des politiques économiques et sociales, au plan national et international. La gestion
publique des arts et de la culture ne doit plus être cette evidence-free zone dans laquelle
le maniement de la mesure et l’objectivation statistique constitueraient un
arraisonnement du sacré par le chiffre, de la singularité créatrice par la loi du nombre
et de la finalité sans fin par l’outillage utilitariste des comptabilités publiques rénovées.
Il est significatif que l’un des principaux résultats de l’action en faveur des creative
industries soit la multiplication des opérations de rénovation de quartiers urbains et
de reconversion de sites industriels dans les grandes métropoles européennes et
américaines. Les exemples abondent : Boston, Montréal, helsinki, Amsterdam,
Manchester, Lille, Marseille, Lodz, Barcelone, Dublin, Londres, Milan. De même,
pour les villes de taille moyenne, l’émergence de creative clusters fournit une réponse
possible à la concurrence des grandes métropoles pour attirer les artistes et les
entreprises culturelles. cette dynamique spatiale de concentration dans les métropoles
ou dans les districts urbains fournit un répertoire de justification en faveur de l’action
culturelle que les collectivités locales associent désormais complètement à la gestion
économique de leurs cités, et à l’écologie sociale de celles-ci. La politique des creative
industries, en prenant les traits d’une politique industrielle, prétend créer les dispositifs
d’une régulation efficace, pour écarter les risques de capture par les clientèles
culturelles électoralement les plus bruyantes et les plus menaçantes.
Vient enfin la question de l’emploi dans le secteur culturel. L’un des arguments
de la creative industries policy est la consécration des valeurs clés associées à la créati-
vité : flexibilité et adaptabilité du comportement individuel, goût du risque, capacité
de réaction face à l’imprévu, aptitude à la pensée divergente et intuitive, valorisation
de la diversité dans les équipes. ces caractéristiques font apparaître les ressorts d’une
économie de variété et de différenciation illimitée de la production de biens et de
services artistiques et culturels. Leurs effets sur la situation d’activité des creative
workers constituent un défi pour les politiques sociales de l’État-providence, car la
combinaison de la flexibilité fonctionnelle de l’organisation par projet et du risque
individualisé de sous-emploi est poussée à l’extrême, et sursollicite les mécanismes
de protection sociale. Dans les pays convertis à l’action en faveur des creative
industries, l’adoption de dispositifs spécifiques de protection est inégalement avancée.
Le Danemark, champion de la flexicurité, n’accorde pas aux artistes une position
dérogatoire, pour des motifs d’équité intersectorielle. Les Pays-Bas ont expérimenté
un salariat artistique de longue durée pour les créateurs, mais ont dû réviser
considérablement à la baisse les ambitions du dispositif pour éviter la surchauffe
budgétaire. en Allemagne et au royaume-Uni, certains mécanismes dérogatoires, de
portée limitée, ont été créés récemment. Mais dans aucun pays, la particularité ou
l’exceptionnalité de l’emploi culturel n’a été traitée aussi favorablement qu’en France,
sans du reste que le coût en incombe à l’acteur public. La France avait inventé la
formule d’imbrication entre l’emploi et le chômage pour les intermittents du
spectacle, dans les années 190, et a créé un régime spécifique de sécurité sociale
pour les auteurs dans les années 1970. sa politique de soutien public de l’offre dans
les arts du spectacle a si bien pris appui sur ce mécanisme de flexicurité artistique
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Compléments bibliographiques
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carts, 2009.
xavier greffe et sylvie Pflieger, la Politique culturelle en France, Paris, La Documentation fran-
çaise, 2009.
Jim Mcguigan, rethinking Cultural Policy, Maidenhead et new York, open University Press,
200.
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