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DOSSIER

CONSTRUIRE
EN TERRE
Dans une démarche globale,
ce matériau prouve toute
sa pertinence
HUBERT GUILLAUD, leur preuve et de jouer de façon créative sur sur la composition de la terre. Nous savons
architecte DPLG, l’hybridation des matériaux et des désormais que sa texture varie en fonction
directeur scientifique techniques. de ses états : minéral ou solide, gazeux (avec
du laboratoire CRAterre. la présence d’air dans le sol) et liquide ou
Depuis plus de 30 ans, aqueux. Jouer sur ces trois facteurs élargit la
il œuvre en équipe pour ÉTAT DES LIEUX plage d’utilisation de la matière. Par
favoriser l’accès à Quel est le patrimoine ? exemple, en écrêtant les plus gros cailloux
l’habitat pour le plus En France, l’architecture en terre est pré- d’une terre traditionnellement utilisée pour
grand nombre, grâce aux ressources sente depuis la protohistoire. Ce patrimoine le pisé, il sera possible de réaliser des
locales des territoires, en particulier grâce se décline en fonction des régions et repré- briques de terre crue. De même, en fonction
à la terre et à ses potentialités. CRAterre sente environ 15 % des édifices. Ainsi, les de la quantité d’eau qui est ajoutée à la terre,
contribue aussi à la conservation du techniques comme le pisé ou la brique crue les états obtenus seront plus ou moins plas-
patrimoine mondial de l’Unesco.
sont plutôt d’origine méditerranéenne, tan- tiques. Plus liquide, elle peut être utilisée
dis que le colombage, qui vient des régions comme enduit.

U
tilisée dans la construction de nordiques, se retrouve beaucoup en Alsace,
bâtiment, la terre crue est un en Picardie, en Normandie, en Champagne
matériau beaucoup plus actuel ou dans les Landes. Cette répartition géogra- TECHNIQUES
qu’il n’y paraît de prime abord. En phique s’explique en partie par la qualité de Comment construire avec la terre ?
effet, en fonction de sa plasticité, elle peut la terre elle-même. Pour être utilisé en La terre utilisée est toujours celle issue de la
être utilisée en structure ou comme enduit. construction, ce matériau doit être constitué sous-couche du sol. Traditionnellement, on
Elle peut être associée aux produits les plus d’argile, de silts, de sables fins, de gros distingue d’abord le pisé, une terre à la tex-
contemporains, tels que l’acier, le verre, le sables, de graviers et de cailloux. C’est la ture étalée, qui contient toutes les fractions
béton, la pierre ou la terre cuite. Réaliser un répartition entre ces éléments qui définit la de grains (argiles, silts, sables fins, gros
immeuble de plusieurs étages ou une plage d’utilisation d’une technique ou d’une sables et graviers). Une fois les très gros
construction parasismique est possible, à autre. Outre l’approche empirique des cailloux extraits, la terre est utilisée dans
condition de remettre au goût du jour des anciens bâtisseurs, nous disposons son état d’humidité naturel, puis triturée.
cultures constructives anciennes qui ont fait aujourd’hui d’études scientifiques précises Elle est alors déversée par couches de 20 cm
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1
TECHNIQUES
Comment utiliser la terre
en construction . . . . . . . . . . . P. 46

2
THERMIQUE
La terre crue améliore le
confort hygrothermique . . P. 54

3
ENDUITS
Étanchéifier sans mettre
en péril . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 58

4
PROSPECTIVE
Accroître la résistance en
diversifiant les applications P. 60

5
Si la terre utilisée pour ZOOM SUR…
l’enduit est très Une maison en pisé dans
argileuse, elle va réagir
avec la chaux pour les Hautes-Pyrénées . . . . . . P. 64
provoquer une réaction
pouzzolanique, grâce
à laquelle l’enduit gagne
en dureté. (Doc. Anger/
Produits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 66
Fontaine CRAterre-ENSAG.)

d’épaisseur dans un coffrage. Le compactage déchets minéraux (éclats de pierres ou de isolant dépend de sa masse volumique. Il
se fait ainsi par couche successives, qui briques), et de l’eau à cette terre pour obte- n’est donc pas très important comparé aux
constituent ensuite une banchée, prête à être nir un état relativement plastique et réaliser isolants contemporains. En revanche, il peut
décoffrée immédiatement. Cette technique a des paquets qui seront empilés pour exécu- être amélioré de façon importante par l’ajout
été modernisée pour réaliser des murs tru- ter des levées de terre. Avant que la levée ne de paille ou de fibres végétales. Ainsi, le
meaux avec des coffrages intégraux ou soit totalement sèche, la paroi est taillée et mélange terre-paille ou terre-chanvre, terre-
grimpants. Le pisé s’associe parfaitement à lissée avec un outil tranchant. copeaux bois fonctionne réellement en
des ossatures en pierres ou en briques Enfin, réellement apparue dans les années isolation. L’autre intérêt du matériau réside
cuites. Autre procédé, la brique crue (ou 1950, la technique de la brique de terre com- dans son inertie. Grâce à elle, une paroi en
adobe) nécessite de supprimer les plus gros primée utilise une terre humide et terre accumule la chaleur du soleil dans la
cailloux de la terre. Cette terre est ensuite pulvérulente comprimée dans un moule. journée et restitue ces calories pendant la
mélangée à de l’eau et à des fibres végétales Contrairement aux briques de terre crue, nuit. De même, la terre joue un rôle dans le
(pailles), afin d’éviter les fissurations par celles-ci peuvent être stockées directement confort climatique des occupants en régu-
retrait lors du séchage. Ces fissurations peu- sans séchage. La technique s’est développée lant l’hygrométrie intérieure. En effet, une
vent être provoquées par l’argile, qui pour donner naissance à des presses sophis- paroi en terre contient toujours un peu
compose entre 15 à 20 % du mélange. La tiquées et se distingue par le mode de d’eau. Cette eau réalise des ponts capillaires
terre est placée dans un moule puis démou- stabilisation de la terre, qui utilise 3 à 6 % de de quelques nanomètres d’épaisseur entre
lée pour sécher à l’air libre. Autre utilisation, ciment. Plus ce taux est réduit et plus nous les plaquettes d’argile. Lorsque la tempéra-
le torchis se compose de terre argileuse et de restons dans une logique environnementale. ture extérieure augmente, une partie de cette
nombreuses fibres végétales utilisées en eau s’évapore et participe ainsi au rafraîchis-
forme de torches. Ce mélange sert de rem- sement de l’espace. À l’inverse, lorsque la
plissage dans les ossatures en bois, connues THERMIQUE température extérieure diminue, l’eau se
sous le terme de colombage. Pour réaliser Quels sont les atouts du matériau condense dans une réaction exothermique.
une paroi en bauge, la terre doit contenir terre ? Ce changement de phase à température
une quantité importante d’argile, afin de lier Souvent utilisée dans les constructions bio- ambiante régule activement l’hygrométrie
les graviers et les petits cailloux. La prépara- climatiques, la terre présente de nombreux interne et garantit le confort des occupants.
tion consiste à ajouter des fibres ou des atouts pour le bâtiment. Certes son pouvoir Ces avantages se conjuguent avec le (•••)
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Pour réaliser une paroi en bauge, la terre est
mélangée à des fibres et/ou à des déchets
minéraux et à de l’eau pour obtenir un état
relativement plastique. Les paquets de terre sont
empilés pour exécuter des levées de terre, qui
sont ensuite taillées et lissées avec un outil
tranchant. (Doc. T. Joffroy/CRAterre-ENSAG.)

Si la terre utilisée pour l’enduit est très argileuse,


elle va réagir avec la chaux pour provoquer une réaction
pouzzolanique, grâce à laquelle l’enduit gagne en dureté.
(Doc. Anger/Fontaine CRAterre-ENSAG.)

(•••) faible coût du matériau brut propre- faitement compatibles avec une paroi en mètres à maîtriser restent nombreux et
ment dit. En effet, sur une valeur modèle de terre. Pour l’extérieur, les enduits étaient tra- complexes. Des expérimentations ont déjà
100 euros/m2 de mur, la terre représente ditionnellement des petits badigeons à base commencé sur les propriétés de viscosité, de
0,2 % du budget, contre 30 % pour le béton. de chaux ou de sable/chaux. Si la terre utili- rhéologie, de séchage du matériau terre dans
Bien entendu, cette différence est ensuite sée est très argileuse, elle va réagir avec la son épaisseur et sur le contrôle des risques
compensée par le coût de mise en œuvre : chaux pour provoquer une réaction pouzzo- de fissuration. En même temps, nous avons
environ 50 % du budget pour la terre, contre lanique, grâce à laquelle les enduits vont vu que la terre se comporte comme un béton
6 % pour le béton. Dans ce modèle, le trans- gagner en dureté. Pour l’intérieur, les naturel, une sorte de béton d’argile, dont la
port de la terre compte pour 5 à 15 % contre enduits à la terre naturelle permettent de composition des grains rappelle celle du
40 % pour le béton. Il faut aussi comptabili- bénéficier de la large palette d’oxydation du béton de ciment. Il sera sans doute possible
ser les énergies grises de production (terre matériau pour varier les teintes. Afin de à terme de maîtriser les paramètres d’empi-
« crue » contre matériaux « cuits »). développer des compétences spécifiques lement des grains, comme l’ont fait les
dans ce domaine, nous avons contribué au cimentiers jusqu’à présent. Ce point consti-
développement d’un plan de formation qui tue le principal défi à résoudre dans un
ENDUITS s’inscrit dans le cadre du programme euro- avenir proche : comment maîtriser l’empile-
Comment les utiliser ? péen Leonardo. L’objectif est de multiplier ment afin que les grains les plus fins
Le choix d’un enduit, qu’il soit intérieur ou les professionnels capables de le mettre en viennent boucher les vides et augmenter
extérieur, implique de respecter la perméa- œuvre dans des conditions adéquates. ainsi la résistance de l’ensemble. Les
bilité du mur et l’échange hydrique qu’il recherches sont en cours dans divers labora-
crée avec l’extérieur. Le non respect des toires à travers le monde. Nous sommes sur
caractéristiques de la terre peut provoquer PROSPECTIVE la bonne voie pour améliorer et moderniser
des pathologies importantes, voire même Quels sont les axes de recherche ? la plage d’utilisation de la terre crue. Les
dans certains cas, l’effondrement d’un mur. Des recherches fondamentales ont été acteurs se fédèrent de plus en plus à travers
Les enduits à base de ciment ou de résine, menées sur la cohésion de la matière en le monde pour faire évoluer ce matériau et
qui vont provoquer des poches d’humidité, grains. Grâce à ces premiers résultats, nous promouvoir son utilisation.
sont donc à proscrire. D’autant plus qu’il y a pouvons aujourd’hui envisager de futurs
de plus en plus de nouveaux matériaux par- bétons coulés en terre. Certes, les para- Propos recueillis par Julie Nicolas.

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DOSSIER
CONSTRUIRE EN TERRE

À l’école primaire publique de Veyrins Thuellins (38), 24 trumeaux de pisé


de 3,20 m de hauteur et 40 à 60 cm d’épaisseur en façade sud régulent
les températures et l’hygrométrie des salles de classe et de la cantine.
(Architectes M. Stefanova, B. Marielle et V. Rigassi). (Doc. V. Rigassi.)

1 Comment utiliser la terre


TECHNIQUES

en construction
La terre crue se met en œuvre aujourd’hui dans des conditions très semblables aux modes de construction
plus courants. Principal impératif : la protection vis-à-vis de l’eau.

D
ouze méthodes différentes de deur, la terre à bâtir est issue de la aptitude se vérifie par une série de tests
construction avec la terre sont dégradation de la roche mère selon diffé- empiriques portant sur l’aspect, l’odeur, la
inventoriées dans le Traité de rents processus physiques, chimiques et consistance, la sédimentation… qui visent
construction en terre (1) : terre biologiques. Elle est constituée à la fois à apprécier la proportion de sable, de silt
creusée, recouvrante, remplissante ; décou- d’éléments gazeux (air), liquides (eau, (limons) et d’argile. Autre critère, celui de
pée, comprimée, façonnée ; empilée, matières organiques en décomposition…) la teneur en eau de la terre. Ainsi, alors que
moulée, extrudée ; coulée, garnissante, et de solides d’origine minérale. Sa qualité l’adobe, la brique de terre comprimée
terre-paille… Leur géographie reflète en constructive se détermine en fonction de (BTC), la bauge ou le torchis nécessitent
partie, parmi d’autres éléments, les caracté- quatre propriétés fondamentales. La granu- une terre mi-ferme, mi-molle ou molle
ristiques locales du sol. Ainsi, le pisé larité (ou texture) est la proportion des (teneur en eau de 15 à 35 %), la terre à pisé
s’est-il imposé dans les régions où la terre grains minéraux de différentes tailles qui la doit-elle contenir une faible quantité d’eau
est graveleuse, l’adobe là où la proportion composent : cailloux (plus de 2 cm), gra- (de 4 à 10 %) car, étant par nature incom-
d’argile dans la terre est abondante et la viers (de 2 cm à 2 mm), sables (de 2 mm à pressible, elle empêcherait le compactage.
bauge là où la terre prend une consistance 60 μm), silts (de 60 μm à 2 μ et argiles Sa teneur doit être suffisante pour servir de
plastique. (moins de 2 μ). La plasticité est sa capacité lubrifiant aux grains lors de la compression
Parmi ces techniques, la bauge (terre empi- à subir des déformations sans réaction élas- afin de leur permettre de se réarranger
lée), que l’on trouve surtout dans le tique notoire. entre eux pour occuper un volume mini-
nord-ouest de la France (Basse-Normandie, mal. L’état hydrique du pisé à sa mise en
Ille-et-Vilaine…) et le torchis (terre garnis- Bonne cohésion : aptitude œuvre est dit « humide » : la sensation est
sante – Normandie, Picardie, Pas-de-Calais à la construction humide au toucher, mais on peut tout
et Centre) ont été peu modernisés : le tor- La compressibilité définit la possibilité de juste en faire une boule qui, si on la jette
chis, qui présente de maigres performances réduire les vides qu’elle contient, d’aug- par terre d’une hauteur de 1 m, doit se
thermiques, devrait ainsi rester limité à la menter sa densité et donc d’améliorer sa casser en trois ou quatre morceaux. Le
restauration. Deux autres techniques en résistance mécanique. Enfin, la cohésion meilleur moment pour réaliser le pisé est
revanche – l’adobe (terre moulée implantée détermine la résistance à la traction et la le printemps ou l’automne, quand le sol
dans le Midi Pyrénéen, en Champagne ou propriété des particules à rester associées contient naturellement la bonne quantité
en Auvergne) et le pisé (Rhône-Alpes, entre elles : elle découle de la quantité et de d’eau.
Savoie, Midi-Pyrénées et Bretagne Nord) la qualité des argiles, de leur propension à La mise en œuvre du pisé consiste à
ont évolué ces dernières décennies et leur retenir l’eau, grâce à leur structure particu- déverser la terre à l’intérieur d’un ban-
mise en œuvre se révèle aujourd’hui tout à lière en feuillets reliés entre eux par des chage, en couches successives de 10 à
fait comparable aux habitudes générales du films d’eau. 20 cm. Le compactage, à l’aide d’un fou-
bâtiment. Extraite sous la couche de terre En général, toute terre offrant une bonne loir pneumatique, réduit cette couche à
organique, à partir de 20-40 cm de profon- cohésion est apte à la construction. Cette environ la moitié de cette épaisseur. Une
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fois le haut du coffrage atteint, celui-ci est
retiré et replacé plus loin, laissant appa-
raître une nouvelle portion du mur
monolithique. La terre à piser est la seule
terre à bâtir qui contienne des graviers et
des cailloux : avec les vibrations crées lors
du compactage, les grains plus petits
(sables, silts et argiles) viennent combler
les vides entre les plus gros (cailloux, gra-
viers). La proportion entre les différents
composants doit être équilibrée car la
quantité d’argile doit suffire pour créer
la cohésion et les grains assez nombreux
pour que le matériau obtenu soit rigide et
ne fissure pas.

Une durabilité de plusieurs


siècles
Sur un chantier de pisé, les quantités de
terre déplacées sont très importantes et le
transport de la terre, de la zone d’extraction
au chantier mais aussi, verticalement, au
fur et à mesure de l’élévation des coffrages,
est l’une des difficultés. Des nouveaux
1 engins à double ou triple fonction permet-
tent de gagner beaucoup de temps, tel le
godet-malaxeur, qui permet le tamisage de
la terre, son malaxage (par une vis à l’inté-
rieur du godet) et son déversement, en
hauteur, à l’intérieur du coffrage.
Au lieu d’être excavée sur le site, la terre à
pisé peut aussi s’acheter prête à l’emploi à
un distributeur (ce qui augmente forcément
son empreinte énergétique). Enfin,
le pisé peut être préfabriqué et livré en
blocs sur le chantier pour être mis en place
à la grue, selon un calepinage défini.
La terre crue peut être stabilisée pour aug-
menter sa résistance à l’humidité et/ou à la
compression. Cette stabilisation n’est pas
forcément nécessaire : une mise en œuvre
dans les règles de l’art, c’est-à-dire notam-
2 3 ment avec une bonne protection contre les
éléments climatiques (soubassement contre
les remontées capillaires et débord de toi-
FOCUS Centre de recherche sur l’architecture ture) suffit normalement à protéger un
bâtiment du ruissellement. Concernant la
de terre (Kaboul, Afghanistan) résistance mécanique, tous les types de

Des solutions parasismiques mise en œuvre de la terre crue en tant que


structure porteuse résistent à des compres-

conçues et testées sions minimales de 24 bars.


À comparer à la descente des charges d’en-
Le Centre de recherche sur l’architecture de terre de Kaboul, laboratoire financé par viron 1 à 2 bars pour un R + 1. Quant à sa
l’ambassade de France, cherche à développer la construction en terre en Afghanistan. La dalle durabilité, des mesures par photogrammé-
de terre allégée Placoterre (100 x 60 x 8 cm pour 30 kg), utilisée ici en toiture, y a été conçue. trie de l’érosion de murets exposés depuis
C’est un panneau en nattes de roseau tissées et enduites d’un mélange de terre et de paille. 20 ans au climat continental humide, réali-
sées à l’École nationale des travaux publics
Dans ce laboratoire, créé par un architecte franco-afghan, Ashmat Froz, différentes solutions de l’état (ENTPE) de Lyon, ont confirmé ce
parasismiques sont conçues et testées. Le chaînage vertical d’angle est composé d’un tube que chacun peut constater par lui-même
d’acier de 12 cm de diamètre contenant une perche de bambou de section plus petite dans dans de nombreux pays : la durée de vie du
laquelle est coulé un ciment (Photo 1).
matériau terre crue est de l’ordre de
Pour le chaînage horizontal, des perches de bambou de large section sont placée en
plusieurs siècles. Les chercheurs du
soubassement et en linteau des murs de 49 cm d’épaisseur (photo 3).
CRATerre mettent donc en garde contre
le recours trop systématique à la (•••)
N° 295 MARS 2010 • LES CAHIERS TECHNIQUES DU BÂTIMENT 51
DOSSIER
CONSTRUIRE EN TERRE

(•••) pratique de la stabilisation à la chaux


ou au ciment, qui augmente inutilement le
coût du matériau (ainsi que la consomma-
tion d’énergie pour la fabrication) et
complique sa production en rallongeant les
délais. Ils préconisent de ne stabiliser que
dans des cas précis : lorsque le matériau est
exposé à l’eau (architecture mal conçue ou
contraintes d’implantation, comme un ter-
rain humide ou des murs exposés aux
ruissellements…) ou besoin d’améliorer sa
résistance mécanique. Plusieurs solutions
existent à cet effet, notamment des fibres
végétales, minérales ou synthétiques, à côté
de la chaux ou du ciment.

Bauge : une mise en œuvre


rapide
Autre technique monolithique, la bauge, à
cause de ses contraintes de séchage et de
l’épaisseur nécessaire des murs (40-50 cm),
est peu utilisée aujourd’hui, en dehors de la
restauration du bâti ancien. Cependant, des
réalisations en neuf existent et la technique
se prête bien à des murs accumulateurs en
fond de serre bioclimatique par exemple,
ou en mur de clôture extérieur, très efficace
pour l’isolation phonique. En Normandie,
on plantait des poiriers en espaliers le long
de tels murs, car leur inertie thermique
empêchait le gel. La technique est fruste et
n’utilise que de l’outillage agricole : des
fourchées sont empilées pour former une
levée de mur de 60 à 90 cm de haut. Le
temps de séchage est d’environ 3-4
semaines en fonction du climat, avant de
pouvoir réaliser la levée suivante. Les A
flancs du mur sont ensuite façonnés à
l’aide d’un paroir.
L’aspect final ressemble un peu au pisé.
« La mise en œuvre est physique, mais
rapide, assure François Streiff, architecte Des règles simples pour des constructions
au Parc naturel régional des marais du
Cotentin et du Bessin. Deux ouvriers équi-
parasismiques
pés d’un malaxeur mécanique réalisent Murs épais, fondations larges, plan carré : la maison maçonnée idéale du point de vue de son
quatre levées (soit 3,20 m de hauteur) en comportement lors d’un tremblement de terre est un cube avec une toiture légère à un pan et
quatre jours. C’est comparable au pisé avec des contreforts aux angles. Des perches de bambou intégrées aux murs, qu’elles traversent de
fouloir mécanique et deux fois plus rapide part en part servent de renforts verticaux et horizontaux. La distance entre ces perches est de
que le montage d’un mur maçonné en 60-70 cm pour les verticales et de 4 à 5 lits de briques pour les renforts horizontaux. Les
adobe. » La terre utilisée, argileuse à argilo- dimensions de la construction se calculent en fonction de la taille de la brique : la distance entre
sableuse ou argilo-limoneuse est fibrée, en deux murs ne doit pas dépasser dix fois la largeur d’une brique ; même calcul pour la hauteur, en
général avec de la paille rigide de blé ou de y ajoutant les hauteur des joints : soit pour des briques de 30 x 30 x 10 cm (leur forme étant de
roseau. En Midi-Pyrénées, pays de l’adobe préférence carrée) une profondeur de pièce de 3 m et une hauteur de toiture de 3 m. Les pièces
(20 % du patrimoine existant dans la vallée de cette dimension peuvent se juxtaposer les unes aux autres.
de la Garonne serait en adobe, la plupart Ces règles sont assez faciles à comprendre et à mettre en œuvre. Mais elles sont mal connues.
datant des XVIIIe et XIXe siècle), la tradition- Alors que dans les régions fortement sismiques, les techniques limitant les risques se sont peu à
nelle brique d’argile moulée a été peu affinées au fil des siècles (murs épais là où les maisons sont maçonnées ; construction
remplacée par la brique de terre comprimée légères en ossature souple là où cela est possible), les connaissances scientifiques se sont aussi
améliorées. Rédigé par Wilfredo Carazas Aedo, architecte chercheur spécialiste de la sismique
(BTC) et la brique « filée » ou extrudée,
au CRATerre, à la demande d’une ONG allemande, Misereor (1), le Guide de construction
notamment pour les contraintes de place
parasismique traduit en plusieurs langues présente de manière très claire les grands principes
pour le séchage qu’elle implique : « Plus
de construction en brique de terre crue dans les régions sismiques.
aucune briqueterie locale ne fabrique de
(1) www.misereor.org, rubrique « Technologies appropriées ».
l’adobe. La seule disponible sur le marché
est importée d’Allemagne », assure Alain
52 N° 295 MARS 2010 • LES CAHIERS TECHNIQUES DU BÂTIMENT
C
D

B E

A Sur ce mur de bauge en Ile-et-Vilaine, Marcom (Scop Inventerre), maçon spécia- Inventées au milieu du XXe siècle, les BTC
le maçon termine de façonner le flanc du mur lisé dans la terre crue. Les BTC sont une peuvent être fabriquées dans des briquete-
avec son paroir. Les limites des levées successives sorte de petit pisé en briques, comprimé ries grâce à des presses industrielles
sont bien visibles. (Doc. V. Guernion/totem-terre-couleurs.fr.) par une presse dans un moule. Celui-ci est capables de produire jusqu’à 50 000 briques
rempli d’une terre aux proportions équili- par jour. Mais il est parfois plus pratique de
B Le pisé peut être préfabriqué. Dans ce cas,
brées d’argile, limon et sable. Un bras de louer une presse légère, au rendement de
il doit être placé par grue selon un calepinage
levier exerce une forte pression sur la l’ordre de 300 briques/jour. La BTC est uti-
déterminé à l’avance. Ici, un chantier de Nicolas
Meunier, qui pratique cette technique depuis 1986. brique puis celle-ci est éjectée. lisée essentiellement en murs intérieurs,
(Doc. DR.) Contrairement à l’adobe, la BTC n’a pas doubles murs isolés par l’extérieur, rem-
besoin de sécher et elle est immédiatement plissage d’ossature bois ou montages de
C Lors de la fabrication de briques de terre utilisable après moulage. Les BTC se mon- cloisons, de masse thermique, pour réguler
comprimée (BTC) sur le site du Chênelet (62), tent comme des briques classiques, avec du les températures intérieures et les échanges
la terre préparée et calibrée est versée dans un
mortier de terre seule, de chaux seule, de de vapeur d’eau. « La brique crue connaît
moule avant d’être pressée, puis éjectée et placée
sur chant. (Doc. DR.) terre et chaux ou de terre et ciment. Parfois une forte croissance, grâce à la demande
stabilisées à la chaux ou au ciment et des particuliers. Il y a cinq ans, une seule
D E Pour le chantier du mur-enseigne de nécessitant alors une cure humide, elles briqueterie dans la région fabriquait des
la société Wolfberger à Colmar, la terre a été resteront empilées sur une zone de stoc- briques crues, aujourd’hui, il en existe
compactée à l’intérieur d’un coffrage grimpant au kage pour favoriser un séchage lent. douze. Avec d’un côté une forte demande,
fur et à mesure des levées. Au pied du mur de pisé
de 5 m de haut, le godet malaxeur a facilité
des carrières, des machines et hangars dis-
l’apport de terre, en particulier lorsque le mur Forte croissance de la BTC ponibles, et de l’autre la hausse du prix du
a atteint une certaine hauteur. (Doc. Akterre.) « La stabilisation n’apporte pas grand-chose baril de pétrole et la baisse d’activité de
à la résistance mécanique de la brique crue. 2009, l’intérêt pour ce produit s’est accru. »
Nous n’utilisons des briques stabilisées que assure Alain Marcom E. L.
lorsque le chantier est découvert et qu’il y a 1– Traité de construction en terre, Hubert Guillaud et Hugo
risque de pluie », confirme Alain Marcom. Houben, éditions Parenthèses, 1989.

N° 295 MARS 2010 • LES CAHIERS TECHNIQUES DU BÂTIMENT 53


DOSSIER
CONSTRUIRE EN TERRE

2 La terre crue améliore


THERMIQUE

le confort hygrothermique
La terre crue n’isole pas, mais ses propriétés thermophysiques en font une régulatrice de la température et de
l’hygrométrie qui lui permettent de contribuer de façon non négligeable au confort thermique d’un bâtiment.

«
L
a terre ne possède nullement les
propriétés thermiques dont on a
bien voulu la doter. Le matériau
n’est pas très isolant », affirment
Hubert Guillaud et Hugo Houben dans l’ou-
vrage de référence Traité de construction en
terre (1). Leur objectif : balayer l’idée persis-
tante que la terre isole thermiquement. Les
chiffres qu’ils indiquent sont patents : pour
une masse volumique de 1 500 kg/m3 (terre
sèche), la conductivité thermique est de
0,75 W/m.K . Elle atteint 1,1 W/m.K pour
une masse volumique de 2 000 kg/m3 (pisé
en climat humide). Pour améliorer la résis-
tance thermique de la terre crue, son
pouvoir isolant peut être renforcé par l’ajout
de fibres végétales : paille, chanvre, copeaux
de bois, lin, roseau broyé… Le mélange
terre-paille permet de moduler la masse
volumique des murs de 300 à 1 300 kg/m3
pour répondre aux besoins en termes de
résistance, d’isolation thermique et/ou pho-
nique, d’inertie thermique en fonction de la A
zone climatique, de l’orientation du mur ou
de nuisances sonores. Il permet d’atteindre
un coefficient de conductivité thermique
d’environ 0,10 W/m.K : ainsi un mur de Des murs 1
30 cm obtient une résistance thermique de
3 à 3,6 m².K/W. Un mélange terre-paille ou
hypocaustes
terre-copeaux peut aussi être utilisé en rem-
plissage d’une ossature bois, en sous-couche
fonctionnent 2 3

d’une dalle de terre compactée ou une dalle avec un puits


de béton de terre. Il existe des produits iso-
lants à base de terre crue comme des briques canadien
de terre-paille. Enfin, des panneaux rigides Spécialiste du pisé préfabriqué en
constitués de roseaux naturels sont souvent Autriche, Martin Rauch a mis au point
utilisés pour les constructions en terre crue pour l’imprimerie Gugler un système de
car ils sont très denses et ne craignent pas ventilation utilisant le pisé en mur
l’humidité. hypocauste grâce à des réserves prévues
pour former des gaines d’alimentation et
Absorption de la vapeur d’eau de reprise de l’air. Situé au sous-sol, à la
Piètre isolant quand elle est utilisée seule, la sortie du puits canadien, un ventilateur DES BLOCS EN PISÉ POUR PRÉCHAUFFER L’AIR
terre possède d’autres caractéristiques ther- crée une pression positive qui enclenche DE VENTILATION
mophysiques intéressantes qui lui la circulation de l’air tempéré à travers 1. Poteaux de bois de 7 m de haut dans lesquels s’emboîtent
les blocs de pisé.
permettent de contribuer efficacement au ces canalisations de terre. À chaque
niveau, l’air vicié est repris par des 2. Blocs de pisé préfabriqués (1,7 x 1,3 x 0,4 m) de 1 300 kg
confort thermique des occupants d’un bâti- chacun, empilés les uns sur les autres et fixés par des
ment et de réaliser des économies d’énergie. bouches d’extraction, ce qui permet pièces métalliques.
Sa capacité d’absorption de la vapeur d’eau, de récupérer sa chaleur. (Architectes : 3. Réserve formant une gaine pour l’alimentation et
d’une part. Cette propriété explique Herbert Ablinger, Vedral&Partner, 1999) la reprise de l’air de ventilation via le puits canadien.
d’ailleurs, avec le type de mise en œuvre
54 N° 295 MARS 2010 • LES CAHIERS TECHNIQUES DU BÂTIMENT
A Cette maison à ossature bois située à Carla une hygrométrie quasi constante, autour de
Bayle (09) comprend 160 m2 de murs en terre- la zone de confort optimale de 40-50 % d’hu-
paille de 30 cm d’épaisseur. Leur réalisation a midité relative de l’air (à 20-22 °C).
nécessité 11,2 t de terre et 3,2 t de paille. La densité
ainsi obtenue est de 270 kg/m3, ce qui permet un Deux centimètres suffisent
coefficient de conductivité thermique (lambda) de Le phénomène fonctionne même à faible
0,09 W/m2.K. (Docs. Juan Trabano architecte/Scop RAH Inventerre.) épaisseur : « Il n’est pas nécessaire de
B Le pisé agit comme régulateur thermique construire une maison en terre pour en avoir
de cette extension réalisée en façade sud d’une les bénéfices, assure Andreas Krewet, gérant
maison individuelle en région Rhône-Alpes. (Doc. DR) d’Akterre, distributeur et producteur de pro-
duits en terre crue. Deux centimètres
C À l’espace de découverte des Marais des d’épaisseur sur les murs, que ce soit en
Ponts d’Ouve (Manche), l’isolation en terre enduit ou en panneaux d’argile, suffisent en
copeaux d’un mur intérieur séparant une galerie
général pour assurer le confort hygrother-
d’une salle d’exposition régule thermiquement
le côté non chauffé. (Doc. Atelier 970.) mique d’un logement. En rénovation, dans
une salle de bains, 2-3 cm permettent de
supprimer les problèmes de condensation. »
Une étude réalisée par un ingénieur alle-
(compactage ou non de la terre), la variabi- mand spécialisé dans la terre crue, Christof
lité de sa conductivité thermique en Ziegert, montre qu’un enduit de finition
fonction de sa teneur en eau. Le coefficient intérieure de 2 mm absorbe 12 g/m2 (soit
lambda d’un mur en terre non stabilisé à la 1,2 kg pour 100 m2 de surface). Christof
chaux peut varier du simple au double en Ziegert souligne par ailleurs les différentes
fonction des conditions climatiques, pour capacités d’absorption des terres en fonction
B
une variation de la teneur en eau de 1 à 7 %. du type d’argile qu’elles contiennent et de la
C La terre crue, grâce aux argiles qu’elle surface spécifique des feuillets qui compo-
contient, possède en effet un grand pouvoir sent celles-ci (de 10 g/m2 pour la kaolinite à
absorbant qui lui permet de s’imprégner de 1 000 g/m2 pour les argiles gonflantes telles
la vapeur d’eau jusqu’à ce qu’un équilibre les smectites). Cette propriété d’absorption
hygroscopique s’établisse entre le matériau de l’eau implique de respecter certaines
et l’air. Une brique de terre crue peut ainsi règles de mise en œuvre. Dans le cas de
capter 3 % de son poids en vapeur d’eau, murs de terre externes, le surplus de vapeur
soit jusqu’à 13,2 kg d’eau absorbés par 1 m2 d’eau étant évacué vers l’extérieur à travers
de mur de 22 cm d’épaisseur. La vapeur la paroi, il est important, afin d’éviter des
d’eau est ensuite restituée dans la pièce risques de détérioration, notamment au
lorsque l’humidité relative diminue. Cet niveau des joints, de préserver cette capacité
échange dynamique permet de maintenir du bâti en terre crue à respirer. Les enduits
de base et de finition, en terre crue ou chaux
aérienne naturelle, doivent donc eux aussi
être perméables et ne pas contenir de ciment
ou de résine, plus étanches que le mur lui-
même. Le revêtement intérieur doit aussi
être poreux. Lorsque les murs sont compo-
1
sés de plusieurs matériaux (mur en terre
crue isolé par l’extérieur et recouvert d’un
bardage bois ou façade en ossature bois dou-
blée par un mur intérieur en terre crue), leur
succession, de l’intérieur vers l’extérieur,
2 4 doit favoriser la dispersion de l’humidité
avec une perméabilité environ cinq fois plus
importante côté extérieur que côté intérieur,
afin d’éviter les risques de condensation à
3
l’intérieur du mur. Quand un isolant est
intégré au sein d’une paroi, par exemple
entre l’ossature bois et le mur en terre cuite,
un film freine-vapeur peut ralentir la péné-
tration de la vapeur d’eau dans l’isolant pour
ne pas l’humidifier tout en permettant sa
UN SYSTÈME QUATRE-EN-UN (VUE DE L’IMPRIMERIE EN COUPE) diffusion, mais non un pare-vapeur, trop
1. Bouche d’extraction de l’air vicié. étanche. À côté de ses capacités hygrother-
2. Bouche d’entrée d’air neuf. miques, l’inertie est l’autre propriété
3. Ventilateur en sortie du puits canadien qui pousse l’air vers les locaux à ventiler. thermique clé de la terre crue. Le matériau
4. Mur bordant le couloir central (160 blocs de pisé préfabriqués). intègre les trois conditions nécessaires à son
obtention : capacité thermique – même (•••)
N° 295 MARS 2010 • LES CAHIERS TECHNIQUES DU BÂTIMENT 55
DOSSIER
CONSTRUIRE EN TERRE

Terre crue, béton, bois : propriétés


thermiques comparées
Densité (masse
Conductivité Capacité thermique Effusivité
Matériau volumique)
W/m.K kJ/m3.K En/Vs.m2.K
Kg/m3
Terre sèche 0,75 1 500 1 350 1,000
Béton plein 1,6-2,1 2 200-2 400 2 400-2 640 1,960-2,350
Bois 0,13-0,2 400-800 960-2160 0,353-0,657
D Source : L’isolation écologique, Jean-Pierre Oliva.
E

Les parois
chauffantes utilisent
la conductivité
thermique
Le principe de surface radiante est repris dans
les murs chauffants en terre. Panneaux,
briques de terre crue intégrant des tubes
alimentés en eau ou simples tubes raccordés et producteur de produits en terre crue.
au chauffage à recouvrir d’enduit, ils forment Différents systèmes existent : Wem (distribué
des grandes surfaces de chauffe ou de par Akterre) propose les panneaux d’argile-
rafraîchissement rayonnant qui utilisent à leur radiateur qui se montent à sec (plafond
avantage la conductivité thermique de la terre rayonnant possible), des tuyaux préformés à
crue. Le système est efficace à basse recouvrir d’enduit ou des tuyaux climatiques
température et donc économe en énergie. à monter soi-même avant la pose d’un enduit
Le rendement de parois chauffantes serait de terre. Helioterre est une brique en terre
F
supérieur à celui d’un plancher chauffant, « car crue de 10 x 10 x 33 cm dotée d’une rainure qui
G placé sur le mur le plus froid (mur extérieur), sert de support à la canalisation, permettant
elles suppriment son rayonnement, réduisant de monter des cloisons chauffantes conçue
de fait la demande en chauffage », explique par Joseph Colzani, architecte spécialiste de
Andreas Krewet, gérant d’Akterre, distributeur la terre crue.

(•••) si celle-ci est moins élevée que celle les calories) est élevée, ce qui contribue à sa
du béton plein à volume égal (590 W/m3 °C capacité de régulation de température
pour le béton ; 510 W/m3 °C pour le pisé et (21,6 W. h0,5/m².°C, alors que celle d’un
380 W/m3 °C pour l’adobe) –, diffusivité ther- bois résineux est de 6 W.h0,5/m².°C).
mique, effusivité thermique. Là encore, pour que l’inertie thermique fonc-
La capacité thermique exprime l’aptitude tionne, la surface des murs intérieurs et des
d’un matériau à emmagasiner de la chaleur sols prévus pour agir comme masse doivent
par rapport à son volume. Plus elle est rester au maximum en contact avec l’air
importante, plus la quantité de chaleur à lui intérieur. L’isolation doit être placée à l’exté-
apporter pour augmenter sa température est rieur ou intégrée au mur et les
élevée, ce qui permet de réduire l’amplitude doubles-plafonds, moquettes, revêtements
D E Le pisé est une technique sophistiquée des températures. étanches doivent être évités.
car son coffrage est très complexe. (Docs. SCOP Caracol Grâce à sa faible diffusivité thermique Des masses thermiques peuvent aussi être
et L. Menegoz/CRAterre-ENSAG.)
(vitesse de transmission de la chaleur, expri- placées ailleurs où elles serviront de régula-
F Au musée Micropolis de Saint-Léon (12), mant par conséquent le temps de déphasage teur thermique et compenseront (dans le cas
la maçonnerie d’adobe et les enduits en terre thermique à travers la paroi : plus elle est d’une construction bois) le manque d’inertie
assurent une gestion différenciée de l’hygrométrie faible, plus la chaleur met du temps à tra- inhérent à ce système : cloisons en pisé ou
et évitent la condensation. Ainsi, les insectes verser l’épaisseur du matériau), de l’ordre de en BTC, murs accumulateurs, en pisé ou en
tropicaux sont maintenus dans une ambiance à 2,53.10-3 m²/h (5,92.10-3 m²/h pour la briques, situés en fond de serre bioclima-
90 % d’humidité, tandis que de l’autre côté de la brique cuite), la terre offre l’avantage d’un tique pour stocker les apports solaires ou
paroi, pour le public, il reste à 50 %. (Docs. Agence Collart.)
amortissement et d’un déphasage important formant une masse derrière ou autour d’un
G Outre ses capacités hygrothermiques, des variations et des apports thermiques poêle. E. L.
l’inertie est l’autre propriété thermique clé de externes. Enfin, son effusivité thermique 1- Traité de construction en terre, Hubert Guillaud et Hugo
la terre crue. (Doc. Antoine Predock Architect.) (rapidité avec laquelle un matériau absorbe Houben, éditions Parenthèses, 1989.

56 N° 295 MARS 2010 • LES CAHIERS TECHNIQUES DU BÂTIMENT


DOSSIER
CONSTRUIRE EN TERRE

3 Étanchéifier sans mettre


ENDUITS

en péril
Lors de la conception et de la rénovation d’une construction en terre, le caractère « respirant » du matériau
doit être sérieusement considéré, en particulier en proscrivant les enduits imperméables.

L
es ouvrages en terre crue – matériau
friable et sensible à l’érosion – doi-
vent être protégés par de larges
débords de toiture et des murs de
soubassement, avec un drainage soigné.
Les murs enterrés sont en effet difficiles à
protéger. Misant sur une bonne protection
aux intempéries, les ouvrages contempo-
rains n’hésitent pas à privilégier le pisé
apparent, sans enduit. En revanche, les
façades érodées des bâtiments anciens
demandent un ragréage et la pose d’un
enduit adapté, voire d’un bardage.
« Un bon mur en pisé n’a pas besoin d’en-
duits. Ainsi, dans certaines fermes de la
région du Bas-Dauphiné, l’habitation a été
enduite (raisons culturelles et visuelles) A
alors que la grange a été laissée en pisé B
apparent. Les deux ont très bien résisté »,
précise l’architecte Pascal Scarato, de
l’agence Abiterre. Outre la protection, la
composition du matériau est primordiale
pour une bonne tenue dans le temps. Les
terres sablonneuses ou limoneuses, avec peu
d’argile, sont plus fragiles. L’amélioration
des propriétés mécaniques de la tenue à
l’eau d’une terre médiocre passe parfois par
une stabilisation avec un liant bien dosé, de
chaux ou de ciment. Ainsi, François Xavier
Bartoli, de l’atelier Studie à Ajaccio, confie :
« Nous réalisons de plus en plus d’extérieurs
sans enduit, mais la protection des murs est
assurée contre le ruissellement par un bat-
tage avec 5 % de chaux dans la terre, ce qui
la rend résistante en surface. » Le professeur
et chercheur Ali Mesbah de l’Ecole nationale
des travaux publics d’état (ENTPE) à Lyon
confirme : « En 1994, pour la construction du
foyer sacerdotal de l’église d’Ars, le matériau
disponible sur place se compactait mal, C
nous en avons trouvé un qui se compactait A Cette maison bioclimatique récente est en bois et en pisé partiellement apparent. À l’intérieur,
mieux et avons fait ajouter de 4 à 5 % de la salle de bains et la cuisine sont en terre apparente, avec blindage des gaines électriques. La construction
ciment blanc de Lafarge. » Avec la stabilisa- a été réalisée par l’agence Abiterre, avec l’architecte Pascal Scarato.
tion, le matériau se densifie et gagne en
résistance mécanique, mais isole moins B Malgré le toit en débord, et le soubassement de pierre pour éviter les remontées capillaires du sol,
thermiquement. En outre, l’amoindrisse- le beau pisé sans enduit de cette vieille bâtisse (Auvergne) a perdu son enduit à la chaux, devenu friable
ment de sa capacité à réguler l’hygrométrie avec les années. (Docs. Pascal Scarato.)
fait perdre en confort. Aussi, les avis diver- C Les pièces d’eau nécessitent des protections locales vis-à-vis des éclaboussures ou des
gent. L’artisan autrichien Martin Rauch a, ruissellements. Pour la salle de bain du gîte rural de Lumio en Corse, réalisé par l’atelier Studie en terre
pour sa part, renoncé à l’ajout de ciment, et crue, un beau revêtement en tadelakt a été choisi. (Doc Atelier Studie.)

58 N° 295 MARS 2010 • LES CAHIERS TECHNIQUES DU BÂTIMENT


Docs : António Alegria

préfère inclure une surépaisseur destinée à


s’éroder, le temps que la surface se stabilise
et forme son calcin.

Choisir un enduit poreux


Le choix d’un enduit répond à quelques
règles simples. Comme un grand atout du
mur en terre crue est de réguler l’humidité
ambiante, l’enduit ne doit pas être trop épais
ni trop imperméable. Une porosité minimale
de l’enduit est indispensable pour que le
mur respire. Le risque est que la terre gorgée
d’humidité se ronge, et que l’enduit se
décolle progressivement avec les chocs ther-
miques. Les enduits au ciment sont à
proscrire ainsi que ceux en terre, plutôt
réservés aux intérieurs. Le mieux serait l’en-
duit traditionnel à la chaux, de préférence
aérienne ou faiblement hydraulique, fabri-
qué sur chantier. Par ailleurs, la chaux se
teinte de la couleur du sable, ce qui permet
de restituer les couleurs d’origine du patri-
moine bâti local. « La perméabilité de
l’enduit doit être étudiée et sa composition
adaptée à celle du mur », complète Francois
Streiff, architecte au Parc naturel régional
des marais du Cotentin et du Bessin. « Par
exemple, en Normandie, nous avons mis au
point un mélange de chaux, de sable et de
terre locale, qui s’avère aussi plus coloré. »
Différentes gammes commercialisées d’en-
duits à la chaux prêts à l’emploi existent,
mais ne permettent pas de répondre à toutes
les techniques et à toutes les perméabilités.
Ainsi, assure Pascal Scarato : « Nous utilisons
parfois l’enduit prêt à l’emploi Parex. Pour
d’autres fabricants, nous sommes plus réser-
vés, suite à ce qui nous est arrivé sur un
FOCUS Maison individuelle, Albufeira (Portugal) chantier où nous avons demandé la compo-

Construction avec des techniques sition d’un enduit à la chaux du commerce. »


Le produit ne contient au final que 12 % de

millénaires chaux, le reste étant du ciment et divers


adjuvants. « C’est une question de dosage,
nuance Ali Mesbah. Pour un matériau avec
Dans le sud du Portugal, à Albufeira, une villa de plus de 1 000 m2 avec ses dépendances, a été
un ajout de 2 à 3 % de ciment, l’enduit à la
construite en terre crue prise dans les soubassements et dans le trou de la piscine. « La terre
locale est connue pour ses qualités depuis l’époque musulmane. Naturellement riche en argile chaux peut en comporter un peu. » Sur les
et en calcite, l’ajout de chaux n’est pas nécessaire », assure son architecte José Alegria de l’Atelier façades érodées des constructions anciennes,
Darquiterra. Les murs de 49 cm d’épaisseur s’appuient sur un soubassement en béton armé de la surface doit être reprise avant la pose de
plus de 20 cm de hauteur. Ils ont été montés avec des blocs de 29 x 10 x 14 cm, en terre l’enduit. « Sur l’ancien, si le pisé est farineux,
compressée, séchés pendant plusieurs jours sous plastique, pour garder l’humidité. L’enduit ajoute Pascal Scarato, on peut même pulvéri-
extérieur a aussi été fabriqué sur chantier avec de la chaux aérienne, mélangée à du sable et à ser un fixateur (de l’eau avec une résine
un peu de terre locale. Une couche de peinture minérale aux silicates, blanche ou jaune, a écologique) ou un fixateur à béton à
représenté la finition. L’intérieur est enduit en blanc à la chaux, sauf certaines surfaces réalisées quelques pourcentages. » À chacun ses
en tadelakt avec différentes pigmentations comme le salon, une partie de la salle de bains et la recettes (caséine, cire de cordoba ou sili-
cheminée du bureau. La toiture en tuiles traditionnelles a été rehaussée de coupoles et voûtes cates) : les limites d’utilisation de ces
assemblées par petits blocs de terre cuite ou crue, suivant un savoir-faire artisanal ancestral. techniques sont dans la perte de la perméa-
Certaines terrasses, elles-mêmes posées sur des coupoles, ont été aplanies horizontalement par bilité. L’enduit peut aussi être renforcé avec
l’ajout d’isolants naturels comme des morceaux de liège. Elles ont ensuite été étanchéifiées et des fibres naturelles comme le chanvre.
protégées par des dalles en terre cuite artisanale, des « ladrillos » de 15 x 30 x 2 cm. L’entretien « Nous commercialisons un enduit fibré qui
d’une construction en terre demande une vigilance particulière, souligne l’architecte José est utile surtout pour des murs en torchis à
Alegria. D’autant qu’en zone fortement sismique, la création de microfissures – qui vont laisser colombage, où les murs sont moins épais et
l’eau entrer – est inévitable. Tous les deux ans, les façades doivent être révisées, et repeintes les risques d’érosion plus graves », explique
pour boucher les microfissures. Andreas Krewet, directeur d’Akterre, produc-
teur et distributeur de matériaux terre. F. P.
N° 295 MARS 2010 • LES CAHIERS TECHNIQUES DU BÂTIMENT 59
DOSSIER
CONSTRUIRE EN TERRE

4 Accroître la résistance en
PROSPECTIVE

diversifiant les applications


Les recherches menées actuellement sur la terre crue visent à mieux connaître ses particularités,
en les comparant à celles inhérentes au béton, et en les testant sur diverses applications d’ordre constructif.

A B

E
n France, plusieurs chercheurs du CRAterre. Il a pris part aux recherches A Un prototype d’habitat léger pour SDF
mènent des études dans le domaine sur le sujet et aux expérimentations qui en a été réalisé par l’ENSAG, à partir d’une double
de la construction en terre. Mais, découlaient. cloison formée de tasseaux de bois empilés
le CRAterre, fondé en 1979, reste le La première étude se réfère à la technologie et non fixés, dans laquelle est versée de la terre
seul qui travaille de manière approfondie du béton et à sa transcription à la terre. à l’état granulaire. (Doc. CRAterre.)
sur cette thématique, en collaboration avec Ainsi, le béton se compose de granulats et B Cette maison contemporaine La Aldea,
une équipe d’enseignants de l’École natio- de sables agglomérés par un liant, en géné- bâtie à Medellin, en Colombie (2008),
nale supérieure d’architecture de Grenoble ral du ciment. se compose de murs en pisé formés de terre
(Ensag). Un certain nombre d’expériences locale mélangée à des adjuvants naturels, tels que
ont été réalisées, assorties d’applications Des expériences grandeur la caséine, qui augmente son pouvoir isolant.
concrètes. Ces études se fondent sur celles nature (Doc. M.Patino A/phot.-J.Forero et J.A. Moreno C/arch.)

appliquées au béton de ciment, matériau de De même, la terre comprend un mélange de


la même famille, aux propriétés similaires à grains (cailloux, graviers, sables, etc.) agglo-
celles du béton d’argile. « Nos recherches mérés par un liant, l’argile. Or, cette
s’appuient sur l’idée que les progrès scienti- recherche de compacité, essayant de sup- de graviers. Doté de nouvelles propriétés,
fiques sur le béton réalisés au cours des primer les vides, doit mener à une mise en le béton d’argile à affaissement nul s’ob-
trois dernières décennies sont transférables œuvre réalisable. D’où la création d’un tient en introduisant plus de gravier et
au matériau terre. Il est possible de changer béton très liquide, avec l’incorporation d’un moins de sables. Devenu aussi collant
les propriétés du béton, en faisant varier la fluidifiant qui accroît sa maniabilité. qu’un enduit ou un mortier, ce matériau est
quantité de graviers et de sables. Le béton autonivelant fluide est né : employé en restauration et sert à reboucher
La façon de mélanger les grains de diffé- il s’étale facilement et devient compact et de larges crevasses dans les murs, sans
rentes tailles influe sur sa résistance. Plus résistant, une fois sec. Des investigations risque d’affaissement ou de fissuration ulté-
un béton est plein, plus il est robuste. semblables sont transposées à la terre, en rieurs. Par extension, couler un mur en
Cette logique s’applique directement à la jouant sur sa granulométrie, par ajout ou terre à l’image d’un béton fluide est devenu
terre », explique Romain Anger, ingénieur retrait d’une certaine quantité de sable ou possible, sans provoquer un retrait
60 N° 295 MARS 2010 • LES CAHIERS TECHNIQUES DU BÂTIMENT
A En hiver, la peau de la maison est fermée pour
garder la chaleur à l’intérieur. La toiture couverte
de panneaux solaires chauffe l’ECS.
B En saison estivale, les façades de la maison
s’ouvrent et sont occultées par des stores pare-
soleil. La toiture décollée de l’ossature ventile
le volume abrité. (Docs. Ensag-Gaia.)
C D Le concept Armadillo Box, d’une
architecture épurée, est conçu pour être monté
aisément. (Docs. Equipe Architecture & Cultures Constructives – ENSAG.)

A
B

C
D

Un prototype d’habitat à zéro énergie


Créé en 2002, le Solar Decathlon est une compétition universitaire biennale propose un projet autonome, adapté au marché français et accessible
internationale, organisée par le département de l’énergie des États-Unis. financièrement au plus grand nombre. D’architecture épurée et légère, le
Son but est de développer la recherche dans le domaine des énergies prototype sera monté facilement. Le projet de maison comprend un
renouvelables, notamment l’énergie solaire. Le principe : faire réaliser un système constructif simple formé de trois entités : un noyau (core)
prototype d’habitat autosuffisant à zéro énergie le plus économique préfabriqué logeant les pièces humides (cuisine et sanitaires) et les réseaux,
possible, par une équipe d’étudiants architectes et ingénieurs, encadrée par une enveloppe (skin) thermique étanche à l’eau et à l’air montée en
des enseignants et chercheurs provenant d’universités du monde entier. La ossature bois et en murs de terre, et un bouclier solaire (shell) protecteur
vingtaine de prototypes sélectionnés est alors construite en cinq jours et et capteur d’énergie, formé d’une grille métallique, support de panneaux
présentée au public pendant dix jours. Pour la session de 2010, qui se photovoltaïques. Décollé de l’enveloppe, ce bouclier génère un système
tiendra à Madrid en Espagne, deux équipes françaises ont été retenues. de refroidissement en sous-toiture, complété par des brise-soleil en toile
Celle affiliée à l’Ensag (1) a établi un partenariat avec l’Ines (2) et les Grands installés en façade, devant les parois de terre.
ateliers de l’Isle-d’Abeau, en liaison avec le Cstb (3). Le concept, appelé 1- École nationale supérieure d’architecture
de Grenoble.
Armadillo Box, fait référence au tatou (animal à carapace qui s’adapte aux 2- Institut national de l’énergie solaire.
climats chauds) produit peu de chaleur et régule sa température interne. Il 3- Centre scientifique et technique du bâtiment.

important des argiles. Pour cela, il suffit logie est développée par des chercheurs de tion. La seconde recherche concerne la
d’ajouter à la terre des granulats ou des l’université de Mopko en Corée du Sud. construction en terre, au sein d’ossatures
fibres, pour obtenir une sorte de mortier ou Grâce à une bétonnière munie d’un tuyau, en bois. L’expérience consiste à monter des
d’enduit. Une autre technique moins cou- la terre liquide est coulée au sol dans un murs formés d’une double cloison de tas-
rante et très performante consiste à coffrage, puis étalée à l’aide d’un balai pour seaux empilés, non fixés, posés les uns sur
adjoindre des additifs, dispersants de type former une dalle. Mise en œuvre comme les autres. Dans ce coffrage perdu, de la
plastifiants, ou réducteurs d’eau du ciment. un béton classique, cette terre améliorée terre à l’état granulaire sec est versée avec
Ils ont le pouvoir de liquéfier la terre, sans offre de nouvelles applications possibles un bulldozer. Habituellement, la poussée
apport d’eau. S’apparentant à un béton de pour les murs, sols extérieurs, etc. due à ce type de remplissage réalisé dans
ciment, ce béton d’argile est autonivelant et L’outillage nécessaire est le même que pour un coffrage traditionnel aurait été si forte,
s’utilise de la même manière. Cette techno- le béton de ciment, ce qui facilite sa réalisa- qu’elle l’aurait éventré. Mais ici, les (•••)
N° 295 MARS 2010 • LES CAHIERS TECHNIQUES DU BÂTIMENT 61
DOSSIER
CONSTRUIRE EN TERRE

(•••) effets de voûte liés aux grains s’ap- feuilles, écorces, algues, huiles, latex, etc.
puyant sur chaque anneau de bois Il en est de même pour les produits d’ori-
répartissent uniformément la poussée. gine animale (sang, lait, os, œufs, cornes,
poils, bouses, etc.).
Des champs d’application Avoir recours à ces ressources naturelles
élargis implique une connaissance et un savoir-
Le poids induit comprime l’ensemble et le faire ancestraux. Ces mélanges devenus
stabilise. Ce principe de physique, souvent gluants augmentent la cohésion de la terre
employé dans les ouvrages de génie civil, et sont employés comme colles et enduits
a amené CRAterre à concevoir un projet de façade. Résultat : les architectes euro-
d’habitat pour les SDF. Un prototype de péens s’intéressent de nouveau à l’habitat C
maison en murs de terre bâti avec ce sys- en terre. Cette technique rend, en effet, la D
tème de coffrage a été réalisé. Monté terre plus solide et moins sensible à l’eau.
rapidement, il ne réclame ni colle, ni vis, Des propriétés qui élargissent les potentiels
ni clous. du matériau et ouvrent d’autres perspec-
Le remplissage peut être de gravier ou de tives pour les architectes, en matière de
sable, soit des matériaux qui ne se solidi- murs, fondations et enduits.
fient pas. Les murs sont ensuite isolés par Érigée à Berlin en 2000, la chapelle de la
l’extérieur avec des plaques de plâtre. Réconciliation en est un bon exemple, avec
D’un coût réduit, ce système mixte bois- ses murs montés en pisé. C. M.
terre est un gage de rapidité d’exécution,
à tout moment démontable.
Enfin, le troisième axe d’étude porte sur E
C D Après séchage et décoffrage, le mur en
la création de nouveaux matériaux, inspirés
béton d’argile coulé présente les mêmes qualités
des nano composites argiles-polymères. de résistance et de non fissuration qu’un voile en
Ils sont obtenus par l’ajout à la terre de béton fluide, grâce à un dosage spécifique des
matières organiques permettant de la ren- agrégats. (Doc. CRAterre.)
forcer et d’augmenter sa durabilité.
E En Corée du sud, le département
Dans la construction traditionnelle, l’argile
d’architecture de l’université Mopko procède à
est depuis longtemps mélangée avec des des essais de coulage de chapes en béton d’argile
matières organiques d’origine végétale. autonivelant, de consistance liquide. Facile à
Ces produits, qui varient selon le lieu et mettre en œuvre, il est résistant et durable.
le pays, sont les suivants : foin, riz, graines, (Docs. Heeyong Choi-Doa MNU.)

BIBLIOGRAPHIE

Construire en terre La terre et Manuel sur Mêler la paille Techniques


« Bâtir en terre » est un livre la construction la construction et la terre de construction
savant sur le matériau terre. « Building with Earth » en terre « Entre paille et terre » et de restauration
Après une présentation présente usages et Ouvrage de référence, le s’intéresse à la technique de « Terre crue » informe sur les
générale sur les construc- techniques dont la terre fait « Traité de construction en la « cellule sous tension », particularités des différentes
tions traditionnelles, il passe l’objet dans le monde. Ses terre » est pratique et avec ossatures en bois et techniques constructives
en revue les différentes pro- propriétés et didactique. Il s’adresse à tous murs en paille porteurs. Elle utilisant la terre, les
priétés physico-chimiques caractéristiques physiques les acteurs des projets de offre de nouvelles possibilités de réhabilitation
du matériau, dont l’assem- sont analysées en détail. construction en terre. possibilités : les murs de ces bâtiments et une
blage en 4 éléments de Plus de 500 illustrations et Éditions Parenthèses, 38 V, autocontreventés avec un géographie des patrimoines
granulométries différentes, dessins offrent une vision 360 pages, www. enduit intégré à la structure en terre.
s’apparente au béton. concrète cette architecture editionsparentheses.com. du mur elle-même. Éditions Eyrolles, 32 V,
Belin, 30 V, 224 pages, spécifique. Éditions Goutte de Sable, 29 V, 120 pages,
www.editions-belin.com. Birkhäuser, 52,64 V, 208 pages, 160 pages, www.editions-eyrolles.com.
www.birkhauser.ch. www.gouttedesable.fr.

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62 N° 295 MARS 2010 • LES CAHIERS TECHNIQUES DU BÂTIMENT


DOSSIER
CONSTRUIRE EN TERRE

5 Une maison en pisé


ZOOM SUR…

dans les Hautes-Pyrénées


Cet ouvrage en terre a été remis au
goût du jour par un entrepreneur
local et adapté aux techniques
modernes de construction. Il
démontre ainsi la compatibilité
du matériau (ici, le pisé) avec les
exigences environnementales.

E
ntrepreneur de maçonnerie dans les
Hautes-Pyrénées (65), Christian Baur
réhabilite, avec une maison en pisé,
«béton
Le pisé est un
de terre crue
une tradition constructive locale : « Il
existe un important patrimoine bâti en pisé et intéressant
en adobe, dans les pays d’Astarac et écologiquement.
Magnoac, au nord des Hautes-Pyrénées. Cette
présence atteste de la fiabilité de ces tech- Ni transformation
niques dans cette région. D’ailleurs, la DDE industrielle de
locale encourage fortement ce matériau. » matières premières,
Avec la construction de cette maison de
ni transport : la terre Bioclimatique
169 m2, l’entrepreneur souhaite, certes relan-
cer ce mode constructif, mais aussi faire est prise sur place. «estOutre le mode constructif en pisé, le bâtiment
conçu selon des principes bioclimatiques : à
évoluer les modes de mise en œuvre : « Pour Grâce à cette l’ouest, la maison est en L de façon à protéger la
réactualiser la maçonnerie en terre crue, qui
technique, j’assure la façade des intempéries. Au sud, de grandes baies
offre d’excellentes performances environne-
mentales, je réalise un mariage de ces
traditions constructives avec des moyens
garantie décennale.
CHRISTIAN BAUR,
» vitrées protégées par des "chapeaux", confort
d’été oblige, permettent des apports solaires en
hiver et en demi-saison. La façade nord est, elle,
modernes de mise en œuvre ». Outre l’utilisa-
tion d’engins telles que les pelles mécaniques
Ent. Christian Baur. complètement aveugle. »
pour triturer la terre ou pour remplir les
banches, Christian Baur emploie, pour tasser
et compacter la terre, un fouloir pneumatique Protection contre
et non pas de l’antique pisoir, pizon ou pisou.
l’humidité
Des méthodes de travail qui lui permettent,
tout en diminuant la pénibilité, de réduire la
«constructions
Comme toutes les
en pisé, celle-ci
durée du chantier et donc les coûts : est réalisée sur des murs de
« J’obtiens ainsi un coût fourniture et pose de soubassement en pierre
l’ordre de 150 et 200 euros hors taxes le m2 hourdie à la chaux, de manière
dans une configuration simple, à comparer à protéger le mur des
avec un Monumur facturé à 130 euros le m2. remontées d’humidité. Cette
Résultat : bien que ce type de construction étape achevée, les murs sont
soit très différent d’une construction maçon- ceinturés avec 5 cm de béton
née classique, les délais de production sont réalisés avec un ciment
similaires ». hydrofugé, ce qui renforce
Construire en pisé implique de disposer sur encore la protection à
place, si l’on veut supprimer l’impact envi- l’humidité et permet de passer les chaînages horizontaux. Je n’utilise pas de film étanche car il y a
ronnemental du transport, d’une terre de un risque de déchirure. Les murs, quant à eux, sont construits sur un hérisson classique avec un
qualité. C’est le cas ici avec une terre argilo- drain. Hérisson sur lequel je dépose un lit de 30 cm de terre compactée, elle-même recouverte
graveleuse qui contient de 15 à 25 % d’argile ensuite d’une dalle béton de 8 cm. »
à laquelle on ajoute du sable. Elle se trouve
64 N° 295 MARS 2010 • LES CAHIERS TECHNIQUES DU BÂTIMENT
sous la couche de terre végétale du terrain, il
convient de contrôler son taux d’humidité de
manière à pouvoir la triturer (frasser) et l’ag-
glomérer. La terre doit être sèche au toucher
sans être molle ou collante. Ainsi préparée,
elle est alors mise en place et damée dans des
coffrages modulaires en banches sur une lon-
gueur de 2 à 3 m et une hauteur de 60 cm
environ. Ces banches, à l’instar de celles ser-
vant à couler le béton, sont maintenues
écartées par des entretoises. Jusque-là, il s’agit
d’une méthode traditionnelle et la logique
voudrait qu’entre chaque lit de terre com-
pacté ou tarrède, l’entrepreneur mette en
place un lit de mortier de chaux pour liaison-
ner. Ce qu’il a choisi ici de ne pas faire, pour
deux raisons : « La qualité de la terre est suffi-
samment bonne pour tenir sans renfort. En
outre, la chaux résulte d’un process industriel
qui consomme beaucoup d’énergie grise.
C’est pourquoi je préfère m’en dispenser
Compactage quand c’est possible. » Seul le mur nord et les
« Après avoir été triturée et mélangée, la terre est versée au godet dans les banches en couches
successives sur une épaisseur de 15 à 20 cm. Elle est ensuite compactée de manière homogène à
combles perdus sont isolés. Le mur à l’exté-
rieur l’est à l’aide de panneaux de liège dans
l’aide d’un fouloir pneumatique. Le damage de la terre réduit l’épaisseur moyenne à un tiers. Puis, sa partie basse et de panneaux de roseaux
nous passons au lit suivant. Les banches que nous utilisons ont une longueur de 2 m, toutefois recouverts d’un enduit dans la partie haute.
celle-ci peut varier en fonction des contraintes architecturales. » Les combles perdus le sont avec une couche
de 20 cm de copeaux de bois recouverte de
carton de récupération. « Il s’agit d’une alter-
native à la ouate de cellulose. Cette solution
Chaînages ne répond pas aux exigences des normes
« À l’étage, les chaînages, validés par le bureau d’étude, sont réalisés de manière spécifique.
Il s’agit d’un chaînage en bois ancré dans le mur à l’aide de tiges filetées mises en place au
incendie en revanche. À l’intérieur, selon les
espaces, les murs sont laissés à l’état brut ou
préalable dans les banches. Le chaînage, bétonné à plat pour le mettre en pression, est recouverts d’un enduit. Pour le chauffage,
également utilisé comme semelle de répartition pour les fermes de la charpente. L’ensemble c’est l’inertie du mur qui assurera la totalité
ainsi solidarisé est monobloc. Les angles, eux, sont traités avec un mortier de chaux. » des besoins. En ce qui concerne les équipe-
ments techniques, des capteurs solaires
thermiques alimentent des murs chauffants
en brique de terre crue à forte inertie, un
poêle à bois assurera le complément en cas
de besoin. Mais c’est aussi la construction
dans son ensemble, grâce à l’inertie et aux
capacités de stockage de la chaleur de la
terre, qui apportera une partie des apports en
hiver. Les murs de terre sont utilisés comme
moyens de stockage. La chaleur commence à
être captée au mois d’août, pour être douce-
ment restituée avec un déphasage de deux à
trois mois. « Mais je ne suis pas thermicien,
j’attends donc la fin du premier hiver pour
valider cet aspect ». St. M.

Protection des intempéries MAÎTRE D’OUVRAGE Particulier.


«estSuivant l’exposition de la façade, la maçonnerie en terre
traitée de manière différente : elle est laissée à l’état brut
MAÎTRE D’ŒUVRE ET ENTREPRISE Christian Baur.
CHANTIER Maison individuelle sur deux étages
sur la façade sud. Sur les autres, davantage exposées aux (165 m2).
intempéries, un enduit traditionnel à la chaux est mis en Pisé construction en terre.
TECHNIQUE UTILISÉE
Docs. Christian Baur

œuvre pour les protéger. Le soubassement de la façade nord de 150 et 200 e HT/m2
COÛT FOURNITURE ET POSE
a, quant à lui, été isolé par l’extérieur avec des panneaux de de mur banché dans une configuration
liège. » simple.

N° 295 MARS 2010 • LES CAHIERS TECHNIQUES DU BÂTIMENT 65

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