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Approches didactiques de la littérature

Nathalie Denizot, Jean-Louis Dufays et Brigitte Louichon (dir.)

Éditeur : Presses universitaires de Namur


Année d'édition : 2019
Date de mise en ligne : 26 mai 2020
Collection : Recherches en didactique du Français

http://books.openedition.org
Édition imprimée
Nombre de pages : 190
 

Référence électronique
DENIZOT, Nathalie (dir.) ; DUFAYS, Jean-Louis (dir.) ; et LOUICHON, Brigitte (dir.).
Approches didactiques de la littérature. Nouvelle édition [en ligne]. Namur : Presses
universitaires de Namur, 2019 (généré le 26 mai 2020). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/pun/6892>.

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© Presses universitaires de Namur, 2019


Conditions d’utilisation :
http://www.openedition.org/6540
Lyn Lakehal <crymlakehal@gmail.com>
Parce que la didactique de la littérature est un champ de recherche jeune, la diversité et la
vitalité des travaux récents qui la concernent posent la question des approches et des
méthodes de recherche en jeu. C’est au coeur de ce questionnement que s’inscrit cet
ouvrage. Penser la didactique de la littérature comme un contenu spécifique conduit à
penser la littérature comme un (méta) contenu de la discipline français, qu’il est possible de
questionner à l’aide des concepts élaborés en didactique du français et dans d’autres
didactiques. Approches didactiques de la littérature doit ainsi s’entendre comme une
question ouverte, portant autant sur la nature de ces approches, leur histoire, que sur les
notions et concepts qu’elles privilégient ou qu’elles négligent et les méthodologies qu’elles
convoquent.
Conformément à l’esprit de la collection «  Recherches en didactique du français  » de
l’AIRDF, il s’agit ici de rassembler des éléments de synthèse produits par différents auteurs
pour faire un bilan d’étape, forcément provisoire, mais indispensable, de ce champ de
recherches. À cette fin, un premier axe de l’ouvrage est consacré à l’histoire et à la
définition du champ des approches didactiques de la littérature, tandis qu’un deuxième axe
s’intéresse aux notions et aux concepts travaillés dans et par les recherches de ce champ et
qu’un troisième axe interroge les approches et les méthodes mises en œuvre dans ces
travaux.

NATHALIE DENIZOT
Université de Cergy-Pontoise – ÉSPÉ de Versailles, ÉMA,ÉA 4507

JEAN-LOUIS DUFAYS
Université catholique de Louvain, IACCHOS-CRIPEDIS

BRIGITTE LOUICHON
Université de Montpellier, LIRDEF, ÉA 3749
Lyn Lakehal <crymlakehal@gmail.com>
NOTE DE L’ÉDITEUR
Association Internationale pour la Recherche en Didactique du
Français.
Lyn Lakehal <crymlakehal@gmail.com>
SOMMAIRE
Liste des membres des comités et auteur·e·s
Approches didactiques de la littérature : présentation
Nathalie Denizot, Jean-Louis Dufays et Brigitte Louichon

Dix-sept années de recherches en didactique de la littérature (2001 – 2016)


Typologie, histoire, perspectives
Sonya Florey et Noël Cordonier
1. Introduction
2. Collecte lexicale et désignations
3. La didactique de la littérature, une discipline ?
4. Méthodes et évaluation des recherches
5. Discussion et ouverture

Quelle didactique de la littérature dans les manuels de l’enseignement


primaire en France, de 1880 à nos jours ?
Marie-France Bishop
Méthode, corpus et périodisations
1. Le moment de la lecture instructive et éducative
2. Le moment de la lecture expressive
3. Le moment de la lecture fonctionnelle
4. Le moment de la lecture littéraire
Pour conclure

L’écriture littéraire : quelles modélisations ? Quelles conceptualisations ?


Marion Mas
Préambule : contexte d’apparition de la notion d’écriture littéraire
1. Interactions classiques : le texte à la source de l’écriture
2. Pratiques d’écrivains et écriture scolaire : modélisations de l’écriture littéraire autour des
processus d’auctorialité
3. Lecture/écriture

L’histoire littéraire comme objet d’enseignement : l’apport des Rencontres


des chercheurs en didactique de la littérature
Laetitia Perret
1. Histoire littéraire, patrimoine, classique et culture
2. Transmissions de l’histoire littéraire
L’interprétation : un concept stabilisé ? à stabiliser ?
Sylviane Ahr
1. L’interprétation : un concept scolaire ?
2. L’interpétation : un concept scientifique ?
Conclusion

La notion de réflexivité en didactique de la littérature


Marion Sauvaire
1. Définir la réflexivité : entre pensée de l’action et action de la pensée
2. La réflexivité langagière
3. Réflexivité et herméneutique du sujet
4. Vers une définition de la réflexivité du sujet lecteur
Conclusion

L’autobiographie de lecteur en didactique de la littérature : un outil pour la


recherche et l’enseignement
Chiara Bemporad
1. L’autobiographie de lecteur en didactique de la littérature
2. La méthode biographique en didactique des langues : une ouverture pour la didactique de
la littérature
3. Conclusion

Discipliner par la littérature


Questions et options méthodologiques pour une approche descriptive et explicative quasi
expérimentale en milieu écologique
Christophe Ronveaux, Bernard Schneuwly et Grafelitt
1. Décrire la transformation de ce qui s’enseigne en littérature par une recherche empirique
2. Une question de recherche et deux hypothèses sur la disciplination
3. Un dispositif de recherche quasi expérimentale pour reconstituer un enseignement
sédimenté
4. Un modèle d’analyse pour comprendre les transformations de l’objet
Conclusions

Didactique de la littérature et inégalités scolaires


Patricia Richard-Principalli et Jacques Crinon
1. Un contexte scolaire marqué par les inégalités
2. Des concepts heuristiques
3. Un autre éclairage sur les difficultés des élèves
Conclusion
Publications francophones sur l’enseignement de la littérature aux
adolescents
Quelle intégration des travaux en psychologie cognitive ?
Julie Babin
1. La psychologie cognitive dans les recherches en didactique
2. Enseignement de la lecture de textes littéraires : apports de la psychologie cognitive
3. Méthodologie
4. Résultats
En conclusion
Lyn Lakehal <crymlakehal@gmail.com>
Liste des membres des comités et
auteur·e·s

Direction de l’ouvrage
1 Nathalie  DENIZOT, Université de Cergy-Pontoise –  ÉSPÉ de
Versailles, ÉMA, ÉA 4507
2 Jean-Louis  DUFAYS, Université catholique de Louvain, IACCHOS-
CRIPEDIS
3 Brigitte LOUICHON, Université de Montpellier, LIRDEF, ÉA 3749

Membres du comité de lecture


4 Sandrine AEBY-DAGHÉ, Université de Genève, GRAFE
5 Anissa BELHADJIN, Université de Cergy-Pontoise, ÉMA, ÉA 4507
6 Magali BRUNEL, Université de Nice, Traverses 19-21, ÉA 3748
7 Jean-Charles CHABANNE, IFE, ENS Lyon, ECP
8 Séverine DE CROIX, Université catholique de Louvain et Haute École
Léonard de Vinci, CRIPEDIS
9 Ana DIAS-CHIARUTTINI, Université de Nice – Côte d’Azur, LINE
10 Jean-Louis DUMORTIER, Université de Liège
11 Erick FALARDEAU, Université Laval, Québec, CRIFPE
12 Marie-José FOURTANIER, Université Toulouse Jean-Jaurès
13 Nathalie LACELLE, Université du Québec à Montréal
14 Gérard LANGLADE, Université Toulouse Jean-Jaurès
15 Marlène LEBRUN, Haute École Pédagogique de Béjune
16 Jean-François MASSOL, Université Grenoble-Alpes
17 Agnès PERRIN-DOUCEY, Université de Montpellier, LIRDEF, ÉA 3749
18 Anne-Marie  PETITJEAN, Université de Cergy-Pontoise, AGORA,
ÉA 7392
19 Gersende PLISSONNEAU, Université de Bordeaux, TELEM, ÉA 4195
20 Annie ROUXEL, Université de Bordeaux
21 Catherine TAUVERON, Université de Rennes 2
22 David VRYDAGHS, Université de Namur, CEDOCEF

Auteur·e·s
23 Sylviane AHR, Université Toulouse Jean-Jaurès – ÉSPÉ Midi-
Pyrénées, LLA/ CRÉATIS (ÉA 4152) ÉMA (ÉA 4507)
24 Julie BABIN, Université de Sherbrooke
25 Chiara BEMPORAD, Haute École pédagogique du canton de Vaud,
Lausanne
26 Marie-France  BISHOP, Université de Cergy Pontoise –  ÉSPÉ de
Versailles, ÉMA, ÉA 4507
27 Noël  CORDONIER, Haute École pédagogique du canton de Vaud,
Lausanne
28 Jacques  CRINON, Université Paris-Est, ÉA 4384 Circeft, Université
Paris 8, UPEC, 94010 Créteil Cedex
29 Sonya  FLOREY, Haute École pédagogique du canton de Vaud,
Lausanne
30 Marion MAS, Université Lyon 1 – ÉSPÉ de Lyon, IHRIM, UMR 5317
31 Laetitia PERRET, Université de Poitiers – ÉSPÉ/Laboratoire FORELLIS
B2
32 Patricia  RICHARD-PRINCIPALLI, Université de Montpellier, LIRDEF,
ÉA 3749
33 Christophe RONVEAUX, Université de Genève, GRAFE
34 Marion SAUVAIRE, Université Laval, Québec, GRIFPE
35 Bernard SCHNEUWLY, Université de Genève, GRAFE
Lyn Lakehal <crymlakehal@gmail.com>
Approches didactiques de la
littérature : présentation
Nathalie Denizot, Jean-Louis Dufays et Brigitte Louichon

1 La question d’une spécificité des recherches didactiques concernant


la littérature n’est pas nouvelle. Comme le fait remarquer Bertrand
Daunay (2007a  : 141), la multiplication d’articles, d’ouvrages ou de
chapitres d’ouvrages qui portent comme titre « Pour une didactique
de la littérature  » est un fait marquant des années  1990. Cette
question se pose également depuis longtemps au sein de l’AIRDF,
comme en témoigne par exemple le texte de cadrage de 1998, près de
dix ans après la création de l’association 1 :
Constatant la tension qui existe entre, d’une part, l’apprentissage de la lecture et
de l’écriture en tant que pratiques sociales s’appliquant aux supports les plus
divers et, d’autre part, la connaissance de la littérature en tant que corpus et/ou
ensemble de modes d’écriture et de lecture situés dans une histoire et des
institutions, les chercheurs de l’association sont partagés sur le traitement
didactique à réserver à cette tension : les spécificités du fait littéraire justifient-
elles une autonomisation plus radicale de son champ, ou bien plutôt un va-et-
vient dialectique entre les démarches centrées sur l’appropriation du fait
littéraire et celles qui privilégient le développement de la lecture et de
l’écriture ?
2 En  2000, à l’IUFM 2 de Rennes, sont organisées les «  Premières
Rencontres des chercheurs en didactique de la littérature », laquelle
est définie comme «  un domaine propre  » et «  un champ de
recherche en émergence  ». Nous sommes, écrivent les auteurs du
volume, «  spécifiquement des didacticiens de la littérature  »
(Fourtanier, Langlade  &  Rouxel, 2001  : 15). Les finalités de ces
rencontres, quoiqu’elles soient motivées par une actualité polémique
(les programmes du lycée de  2000  en France), sont clairement
tournées vers l’avenir  : il s’agit d’établir un état des lieux des
recherches, de constituer un réseau pour favoriser l’émergence
d’autres recherches et la publication d’ouvrages en didactique de la
littérature, pour servir de référence aux jeunes chercheurs.
3 Les rencontres des chercheurs en didactique de la littérature, qui
ont lieu chaque année depuis lors dans divers lieux de la
francophonie, ont contribué à rendre visibles des travaux portant
plus spécifiquement sur l’enseignement de la littérature, et à faire
dialoguer des chercheurs venus de champs disciplinaires divers, en
littérature, en sciences du langage, en sciences de l’éducation, voire
en sociologie, en arts, etc. Les nombreuses publications issues de ces
rencontres 3 , ainsi que le nombre important des travaux menés sur
l’enseignement de la littérature, témoignent de la vitalité d’un
champ de recherche actif, qui, comme le souligne Sylviane Ahr
(2015), s’efforce de clarifier ses fondements théoriques.
4 Néanmoins, les recherches sur l’enseignement de la littérature sont
bien antérieures aux années  2000. Les premiers travaux, dès les
années  1970, se caractérisent par une forte contestation de
l’enseignement qualifié de « traditionnel », et sont portés alors par
une approche critique, essentiellement ancrée dans le champ des
études littéraires (Daunay, 2007a  : 142). Nombre de recherches
menées au cours des vingt années suivantes ont permis de mieux
comprendre ce qui se joue dans l’enseignement de la littérature, que
ce soit du côté des pratiques des élèves, de celles des enseignants, du
côté des savoirs, ou en termes de finalités (pour une synthèse, voir
Daunay, 2007a). Dans les années  1990, les travaux sur la lecture
littéraire (Dufays & al., 1995 ; Rouxel, 1997 ; Grossman & Tauveron,
1999) ouvrent des perspectives nouvelles. Ce qui change ensuite, à
l’orée des années  2000, c’est la constitution de réseaux qui
revendiquent une forme d’autonomie du champ de la didactique de
la littérature, non seulement par rapport aux études littéraires, mais
aussi par rapport à la didactique du français. Cette revendication,
au-delà des questions institutionnelles (où situer la didactique de la
littérature  ?) et des interrogations sur la scientificité de ce champ
(Massol, 2007), interroge la discipline scolaire elle-même (voir
notamment les actes du colloque de l’AIRDF de 2004 : Falardeau & al.,
2007).
5 Ces questions, relatives également au statut et à la définition de la
littérature «  scolarisée  » (Beaude, Petitjean  &  Privat, 1996  ;
Louichon  &  Rouxel, 2010  ; Bishop  &  Belhadjin, 2015  ; etc.), ont fait
émerger depuis quelques décennies de nouvelles notions ou de
nouveaux concepts 4 , dont certains connaissent un retentissement
évident dans la communauté scientifique, comme la «  lecture
littéraire  » (Dufays, 1995), le «  sujet lecteur  » (Rouxel  &  Langlade,
2004), ou les «  écritures de la réception  » (Le Goff  &  Fourtanier,
2017), pour n’en citer que quelques-uns. Depuis une quinzaine
d’années, on assiste également à un nombre croissant de débats sur
la diffusion et l’usage de tel ou tel concept (par exemple Dufays,
2005, 2013  ; Le Français aujourd’hui, 2007  ; Louichon, 2011, 2016  ;
Houdart-Mérot, 2012  ; Petitjean, 2014  ; Denizot, 2016  ;
Daunay & Dufays, 2016 ; etc.), ainsi qu’à la publication de premières
synthèses consistantes (Daunay, 2007a ; Ahr, 2015 ; Dufays & Brunel,
2016), un projet de «  dictionnaire de didactique de la littérature  »
porté par les équipes Cedilit (Grenoble) et Lla Créatis (Toulouse)
étant en outre en cours d’élaboration.
6 Par ailleurs, la vitalité de ces travaux pose également la question des
approches et des méthodes en jeu (Dufays, 2001), corrélées à la fois à
la diversité des recherches en cours, mais aussi parfois à la
« jeunesse » de ce champ en tant que discipline de recherche, comme
le soulignent Daunay et Dufays (2007  : 13), évoquant à ce propos
l’importance de la dimension praxéologique voire prescriptive de
certains travaux. Certains chercheurs se penchent sur ces questions
méthodologiques, en s’intéressant par exemple à la question des
manuels (Perret-Truchot, 2015), ou en s’attachant à thématiser leurs
choix méthodologiques (Richard, 2006  ; Schneuwly, Thévenaz-
Christen, 2006  ; Daunay, 2007b  ; Bishop, 2013  ; Aeby Daghé, 2014).
Mais, comme le fait remarquer Ahr (2015  : 150), si les fondements
épistémologiques des travaux sont généralement explicites, il n’en
est pas de même concernant les méthodes de recherche, plus
souvent laissées dans l’ombre (Louichon, 2017).
7 C’est donc au cœur de ces questionnements que s’inscrit cet ouvrage
de la collection « Recherches en didactique du français », laquelle a
pour objectif justement de présenter des panoramas de la situation
en didactique du français sur un domaine donné. L’ouvrage se place
ainsi dans une « conception unificatrice » (Daunay, 2007a : 85) de la
didactique du français entendue  –  dans la lignée de Jean-François
Halté (notamment 1992) – comme une discipline intégrative. Penser
la didactique de la littérature non comme une discipline autonome
mais comme un contenu spécifique (à l’instar par exemple d’une
didactique de la grammaire, de l’oral, etc.) conduit en effet à penser
la littérature comme un (méta) contenu de la discipline français,
qu’il est possible de questionner à l’aide des concepts élaborés en
didactique du français et dans d’autres didactiques. Approches
didactiques de la littérature doit ainsi s’entendre comme une question
ouverte, portant autant sur la nature de ces approches, leur histoire,
que sur les notions et concepts qu’elles privilégient  –  ou qu’elles
négligent et les méthodologies qu’elles convoquent.
8 Dans le prolongement des synthèses d’envergure de Bertrand
Daunay (2007) et de Sylviane Ahr (2015), il s’agit donc de rassembler
cette fois des éléments de synthèse produits par différents auteurs,
pour faire un nouveau bilan d’étape, forcément provisoire, mais
indispensable, de ce champ de recherches. À cette fin, un premier
axe de l’ouvrage est consacré à l’histoire et à la définition du champ
des approches didactiques de la littérature, tandis qu’un deuxième
axe s’intéresse aux notions et aux concepts travaillés dans et par les
recherches de ce champ et qu’un troisième interroge les approches
et les méthodes mises en œuvre dans ces travaux.
9 Au sein du premier axe, deux contributions s’attachent à dégager des
lignes de force au sein des démarches et des méthodes de recherche
qui ont progressivement constitué les approches didactiques de la
littérature. Privilégiant l’empan resserré des dix-sept premières
années du XXIe  siècle et prenant appui sur l’ensemble des
publications issues des « Rencontres des chercheur·e·s en didactique
de la littérature  », Sonya Florey et Noël Cordonier montrent
comment les méthodologies de la recherche traditionnelle en
littérature, qui se définissaient le plus souvent par l’absence de
protocole explicite, par l’impressionnisme critique et par la pensée
spéculative, ont progressivement laissé la place à des méthodes plus
«  scientifiques  » issues des sciences sociales. Marie-France Bishop
élargit ensuite le regard aux cent trente dernières années et explore
la constitution et les spécificités d’une didactique de la littérature à
l’école primaire, en analysant non seulement les textes officiels mais
également un important corpus de manuels. Elle distingue ainsi
quatre moments pour la lecture des textes littéraires, et montre
qu’on ne peut pas véritablement parler de didactique de la
littérature à l’école primaire avant la fin du XXe siècle.
10 Le deuxième axe est ensuite consacré à cinq notions ou concepts qui
soit ont fait l’objet de nombreux travaux au cours des dernières
décennies, soit apparaissent aujourd’hui comme porteurs de
nouveaux enjeux et de nouvelles attentions. Marion Mas s’interroge
ainsi sur l’écriture littéraire, dont elle restitue les conceptualisations
et les modélisations progressives. En s’appuyant sur un corpus
d’écrits didactiques et institutionnels, elle compare les définitions
qui ont été données de cette notion, examine les usages du syntagme
et les notions qui y sont associées (posture d’auteur, sujet scripteur,
textes littéraires, écriture créative, etc.), et s’attache à dégager des
constantes en vue d’en proposer une définition opératoire et d’en
clarifier le cadre théorique. Laetitia Perret revient pour sa part sur
l’histoire littéraire, qu’elle questionne en tant qu’objet
d’enseignement dont l’importance historique est bien connue. En
s’appuyant, comme Sonya Florey et Noël Cordonier, sur le corpus des
Rencontres annuelles des chercheurs en didactique de la littérature,
elle montre que, si le syntagme « histoire littéraire » est délaissé par
les auteur·e·s, certains des contenus qui lui étaient
traditionnellement associés s’autonomisent ou se reconfigurent
tandis que ses formes de transmission, centrées sur le savoir, sont
interrogées. Quant à Sylviane Ahr, c’est le concept d’interprétation
qu’elle réinterroge, en se demandant si celui-ci est stabilisé ou reste
encore à stabiliser. Elle le fait à travers une double analyse  : tout
d’abord celle du «  concept scolaire  », tel qu’il est construit par les
discours des enseignants et les discours institutionnels ; ensuite celle
du concept scientifique, dont elle montre combien l’évolution des
définitions est corrélée à une forme d’instabilité définitionnelle dans
le champ de la didactique de la littérature. Marion Sauvaire s’attache
ensuite à problématiser les apports et les limites du concept de
réflexivité dans le double cadre de l’enseignement de la littérature et
de la formation des enseignants. Confrontant différentes
conceptions de la réflexivité, elle pointe les limites qui résultent de
l’approche holistique du concept, de l’amalgame entre réflexivité,
créativité et intersubjectivité, et de certaines conceptions
normatives de cette démarche. Chiara Bemporad conclut cette partie
par une réflexion méthodologique et épistémologique sur le
traitement des données discursives liées aux autobiographies de
lecteurs. Articulant les regards de la didactique du français langue
première et du français langue étrangère et seconde, elle discute
cette notion et le dispositif pédagogique qui en découle en
examinant différentes études qui l’ont adoptée avec des objectifs
variés.
11 Un troisième volet de l’ouvrage aborde enfin la didactique de la
littérature sous l’angle de certaines approches et de certaines
méthodes spécifiques. Christophe Ronveaux et Bernard Schneuwly
placent sous l’égide du «  temps de la disciplination  » l’approche
descriptive et compréhensive quasi expérimentale en milieu
écologique qu’ils ont mise au point à Genève avec l’équipe du
GRAFElitt. Ils exposent leur dispositif de recherche, la manière dont
les données ont été construites, et les modalités d’analyse de ces
dernières. Patricia Richard-Principalli et Jacques Crinon font
dialoguer le champ de la didactique de la littérature et celui de la
sociologie de l’éducation s’intéressant aux inégalités scolaires. En
s’appuyant sur les travaux menés dans l’équipe ESCOL, ils
convoquent des notions comme le rapport au savoir, la co-
construction des inégalités, la secondarisation pour éclairer les
difficultés auxquelles sont confrontés les élèves. Enfin, Julie Babin
analyse, à travers un corpus d’articles issus de revues de didactique
du français, la place que les publications francophones relatives à
l’enseignement de la littérature aux adolescents réservent aux
travaux relevant de la psychologie cognitive.

BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
1. L’AIRDF (qui s’appelait alors DFLM) a été créée en  1986, portée par plusieurs colloques
importants en didactique du français depuis  1981  (voir La lettre de l’AIRDF n°  51, 2012). Le
texte de  1998  est disponible sur le site de l’association, à l’adresse
http://airdf.ouvaton.org/index.php/association-2#notes.
2. Instituts Universitaires de Formation des Maitres, créés en France en  1990, ont été
remplacés en 2013 par les Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation (ÉSPÉ).
3. Plusieurs articles du présent ouvrage font de ces publications un corpus d’étude et en
proposent une liste bibliographique exhaustive à ce jour.
4. La question des concepts et des méthodes en didactique du français est au centre d’un
précédent ouvrage de la collection (Daunay, Reuter et Schneuwly, 2011).
Lyn Lakehal <crymlakehal@gmail.com>
Dix-sept années de recherches en
didactique de la littérature (2001 –
 2016)
Typologie, histoire, perspectives

Sonya Florey et Noël Cordonier

1. Introduction
1 Aucun chercheur en didactique de la littérature ne se targue
aujourd’hui, comme le faisaient ces enseignants de littérature
épinglés par H. Meschonnic dans les années 1970, de « n’avoir pas de
méthode  » (Meschonnic, 1970, 142). Des méthodes, la recherche en
didactique de la littérature les a revendiquées, adoptées,
expérimentées depuis qu’elle s’est constituée en territoire
disciplinaire, il y a maintenant une vingtaine d’années.
2 Mais de quels paradigmes, au sens kuhnien de « modèles à suivre »
(Kuhn, 1971, 71), ce champ s’est-il doté  ? Quelles instances les ont
proposés et, au fil des ans, se sont chargées de réguler, d’évaluer ou
simplement de commenter les activités de ce champ  ? Dans une
conception kuhnienne du développement des sciences, un discours
métadescriptif peu présent est le signe d’une communauté de
chercheurs qui travaille sereinement sous l’autorité de quelques
paradigmes aussi consensuels que silencieux, alors qu’un discours
métadescriptif abondant trahit et traduit une discipline en crise. À
l’inverse, dans la conception critique de la culture que les études
littéraires promeuvent, l’oubli d’un constant examen
métadescriptif – et même de débats – peut être tenu pour un manque
d’acuité et de lucidité du spécialiste. Autrement dit, ce qui est une
crise de redéfinition de paradigme dans les sciences exactes serait un
état chronique mais non pathogène de la discipline littérature. Cette
remarque vaut-elle ou pas à l’intérieur de ce récent territoire qu’est
la didactique de la littérature ? Qu’en est-il et du chercheur singulier
en cette didactique et de la communauté de chercheurs à laquelle il
appartient ?
3 Il nous fallait, pour traiter de ces questions, un corpus répondant à
des indicateurs de base  : une régularité et une durée suffisamment
importantes, ainsi qu’une systématicité pour observer le rapport des
chercheurs à leur propre travail. Les publications issues des
« Rencontres des chercheurs en didactique de la littérature » se sont
ainsi imposées  : journées d’études, espaces de réflexion autour de
l’enseignement de la littérature, lieux d’échanges entre praticiens et
chercheurs, les Rencontres ont été initiées en 2000, à Rennes, par M.-
J. Fourtanier, A. Rouxel et G. Langlade.
4 Une fois précisé que les vingt livres actuels (ou dossiers de revues et
publications en ligne) découlant de ces Rencontres annuelles ne
recueillent, en général, qu’une sélection des communications qui ont
été prononcées pendant les sessions, cet ensemble homogène de près
de  400  contributions est précieux pour décrire l’évolution d’un
nouveau champ, au moment où des professeurs et chercheurs qui
avaient été principalement formés aux méthodes littéraires
classiques et/ou issues du structuralisme ont adopté les protocoles
expérimentaux en usage dans les sciences sociales et les sciences de
l’éducation, protocoles eux-mêmes dérivés de ceux de la recherche
en sciences dites exactes.
5 Il découle de ce qui précède la question suivante  : comment les
épistémologies variées de la recherche académique en littérature,
qui se définissaient  –  après la «  nouvelle critique  » et après le
moment textualiste du structuralisme  –  par l’absence de
méthodologie commune, par l’impressionnisme critique, par le
jugement de valeur, le doute, la pensée spéculative, ont-elles
coexisté avec les méthodes dites « scientifiques » issues des sciences
sociales, promues notamment par ceux qui souhaitaient une
professionnalisation de l’enseignement de la littérature  ? Et
comment ce champ a-t-il commenté, ou pas, son propre rapport à la
construction de savoirs, au cours de ces dix-sept années d’activité ?
6 Des études de qualité ont suivi et encadré l’état et l’évolution des
recherches en didactique de la littérature, certaines au sein même de
ces Rencontres («  Avant-propos  », «  Introduction  », ainsi que les
comptes rendus de «  grands témoins  »), d’autres (des publications
issues de colloques annexes, des ouvrages indépendants)
parallèlement à celles-ci. Parce qu’elles informent et précisent notre
étude, quelques-unes d’entre elles seront sollicitées dès à présent, et
les principales autres, chemin faisant.
7 De l’«  Avant-propos  » (Fourtanier, Langlade  &  Rouxel, 2001) du
premier volume de ces Rencontres, texte dense et programmatique,
nous retenons trois points pour organiser notre étude.
La terminologie adoptée  : les auteurs recourent au vocable «  enseignants-chercheurs
en didactique de la littérature  » (Ibid., 15) pour désigner les acteurs des versants
praxéologique et théorique de l’enseignement de la littérature, et attester la solidarité
entre ces deux catégories professionnelles qui œuvrent à l’enseignement-
apprentissage de la littérature.
Le positionnement de la didactique de la littérature dans l’ensemble des disciplines
académiques. Le groupe des fondateurs explicite un enjeu de «  reconnaissance
scientifique et institutionnelle  » (Ibid., 15) pour la didactique de la littérature, ce
« champ de recherche en émergence […] [qui] ne constitue pas un domaine de savoir
autonome […] et qu’il ne convient pas de considérer [la didactique] comme une
discipline à part entière » (Ibid., 15).
Une variété de démarches méthodologiques. Les «  dimensions épistémologique,
historique, institutionnelle et praxéologique de la didactique de la littérature  »
spécifient les axes de recherche privilégiés. Plus largement, cet avant-propos est une
invitation à réfléchir avec  –  «  les questions d’apprentissage, les données
institutionnelles, les réalités sociologiques, psychologiques et idéologiques » (Ibid., 15) ;
une ouverture qui pose les conditions d’une didactique « vivante et féconde » (Id.).
8 Dans l’introduction aux deuxièmes Rencontres, J.-L. Dufays (2001)
apporte un cadre définitoire et méthodologique très ajusté afin de
conférer à ce nouveau champ sa légitimité. Après avoir rappelé la
forte charge idéologique et les valeurs traditionnelles dont se
recommande la littérature, Dufays présente les productions de la
recherche, les observables, les méthodes pour les recueillir et les
critères pour évaluer. Enfin, il situe le champ dans la récente histoire
des recherches en didactique de la littérature  : quasi invisibles
avant  1970, elles sont devenues théoriques, modélisantes et
orientées vers l’action jusque vers  1990, date à partir de laquelle
elles prennent de plus en plus en compte le réel enseigné et son
contexte.
9 En  2007, B. Daunay publie un exhaustif «  État des recherches en
didactique de la littérature  » qui commente et classe trente années
d’activités, lesquelles instaurent un « espace de questions » (Daunay,
2007, 176), né de la contestation de l’enseignement traditionnel.
« Espace », l’étiquette qu’a retenue Daunay au terme de son examen,
est la plus informelle et la moins institutionnelle de celles qui seront
par la suite le plus souvent employées, et parfois discutées, pour
décrire ces recherches : « champ », « discipline », « sous-discipline »
(de la didactique du français, voire, dans certains cas, «  sous-
discipline de la littérature  »), une nomenclature sur laquelle nous
reviendrons.
10 Qu’une intention veuille, à cette date, transformer ce simple espace
euristique en une place de recherches reconnue par les pairs en
sciences humaines apparait implicitement dès le titre de l’article
publié cette même année 2007 par Daunay et Dufays dans La Lettre de
l’AiRDF : « Méthodes de recherche en didactique de la littérature » et
explicitement dans le corps de leur texte  : «  La réflexion
méthodologique en la matière n’est pas encore très développée  »,
mais elle « est en marche » : « une certaine visibilité de méthodes est
possible » (Daunay & Dufays, 2007, 9). Recourant à une typologie qui
nous servira aussi, les auteurs classent les 157  recherches de leur
corpus – formé des actes des cinq premières Rencontres et de deux
autres colloques 1 –  en quatre types : recherches théoriques (55  %
du tout), recherches descriptives, qui comprennent aussi les
recherches historiques (32 %), recherches actions (10 %), recherches
expérimentales (1 %).
11 Lors des Rencontres de  2007, Dufays constate «  une évolution
significative  » de la recherche et considère que la didactique de la
littérature est maintenant un « champ » de la didactique du français.
« L’exigence de professionnalisation » est allée croissant, les modes
d’interventions reposent sur «  une culture scientifique  », elles
profitent d’«  un travail sur corpus, plus empirique », ce qui évacue
«  l’affirmation de croyances ou de convictions plus ou moins
subjectives  » (Dufays, 2007, 7-8). Les intentions et objectifs ici
nommés sont implicitement entendus par les grands témoins de ces
mêmes Journées. M. Lebrun, C. Tauveron et J.-F. Massol se
recommandent peu ou prou de cette même exigence scientifique
pour apprécier et évaluer les communications qu’ils ont entendues.
12 Récemment, dans «  Didactiques du français et de la littérature  »
(Petitjean, 2016), J.-L. Dufays et M. Brunel ont présenté un panorama
des recherches menées depuis les années  1990  en didactique de la
littérature, une «  cartographie raisonnée  », qui comprend
notamment les Rencontres de notre corpus jusqu’en  2015. Les
auteurs identifient dix champs ou thèmes de recherche, puis ils
reviennent brièvement sur les méthodes de recherche en didactique
de la littérature. Ils y saluent une « évolution », qui se traduit par la
«  montée en puissance des recherches descriptives  »
(Dufays  &  Brunel, 2016, 246). Dans le même recueil, S. Ahr note
également le « dynamisme fécond » (Ibid., 269) de ce qu’elle appelle,
elle aussi, un « champ » en « pleine constitution » (Ibid., 280).
13 Ces premiers repérages permettent d’aborder notre corpus sous
trois angles, répondant aux trois points retenus de l’Avant-propos
des fondateurs des Rencontres. Tout d’abord, nous analyserons les
désignations utilisées par les chercheurs pour qualifier leurs
activités, nous inscrivant dans la filiation du formaliste russe N.
Volochinov, chez qui le mot constitue «  l’objet fondamental de
l’étude des idéologies  » ([1929] 1977, 34). Nous identifierons et
observerons ensuite les indices d’une autonomisation de la
didactique de la littérature, et simultanément, ceux qui expriment la
crainte d’une assimilation à une disciplinarisation rigide et univoque
(alors que l’objet même de la littérature fait historiquement
référence à un imaginaire de liberté). Enfin, nous définirons les types
de méthodologies convoquées et, partant, les modèles d’articles qui
se dégagent majoritairement de ce corpus.

2. Collecte lexicale et désignations


14 Comment la didactique de la littérature se nomme-t-elle ? Que nous
apprennent les récurrences de mots et d’expressions ou les absences
de certains syntagmes ? Guidés par Seuils de G. Genette, nous avons
effectué un exercice de titrologie  : quels mots, quelles expressions,
quels non-dits dans les titres des 405 articles répertoriés ? Dans son
ouvrage, Genette distingue le destinataire d’un texte, autrement dit,
le lecteur qui se procure le livre et le lit, et le destinataire d’un titre,
qui constitue le public au sens large, à savoir les personnes qui, par
diverses voies, reçoivent le titre, le transmettent à d’autres et
participent à sa circulation, mais qui ne sont pas forcément lectrices
de ce texte. Malgré la dimension partielle de cette première prise de
données, des options s’affichent dès les titres, dans la manière dont
le texte se présente, se donne à voir, « car, si le texte est un objet de
lecture, le titre, comme d’ailleurs le nom de l’auteur, est un objet de
circulation – ou, si l’on préfère, un sujet de conversation » (Genette,
2002, 79). Aussi, il nous a semblé intéressant de participer à cette
«  conversation  ». C’est la fonction descriptive des titres que nous
retenons ici  : un titre peut être thématique (il réfère à ce dont on
parle), rhématique (il réfère à la manière dont on en parle ou ce
qu’on en dit) ou il peut être mixte.
15 La dimension thématique est bien évidemment orientée par les
thèmes des Rencontres  : environ un tiers des titres mentionne
explicitement l’un des sous-champs de la didactique du français
(lecture, écriture, oral, langue 2 ) ou l’une des problématiques
spécifiquement littéraires, telles que l’interprétation de textes, la
bibliothèque intérieure, la notion de classique, ou encore celle de
patrimoine littéraire. La dimension rhématique est bien plus
faiblement représentée et colore une trentaine de titres seulement
du corpus  : «  Brefs éclairages historiques sur des débats actuels  »
(Fourtanier, Langlade & Rouxel, 2001), « Autopsie d’un bac blanc. Les
élèves des lycées technologiques et l’écriture d’invention au bac  »
(Lebrun, 2004), « Propositions didactiques pour une exploitation des
traces socioculturelles de l’élève dans l’acte de lecture littéraire  »
(Pottier, 2006), «  Débats autour des textes littéraires  » (Chabanne,
2006)...
16 Au-delà de la proportion entre thèmes et rhèmes, les mots qui
évoquent la recherche et la position du chercheur ont retenu notre
attention. À côté de termes attendus dans le contexte de la
recherche (débats, questions, interrogations, méthodologie, observations,
réflexions, analyse qualitative, études [de cas], démarche, enjeux, enquête,
recherche, panorama, regard didactique, analyse), nous avons noté la
présence filée d’adjectifs, de substantifs ou d’expressions qui tendent
à atténuer la portée ou la valeur des recherches entreprises, à dire la
visée partielle de la recherche ou le terrain très circonscrit dans
lequel elle a pris place  : quelques embuches, brefs éclairages, quelques
interrogations, petit traité didactique, regard subjectif  ; ou encore  :
éléments, chantiers, initiation, pistes d’entrée, propositions (didactiques),
aspects, approches (alternatives), apports, considérations  –  pour les
termes les plus significatifs.
17 Afin de préciser l’analyse quantitative et qualitative de ce corpus de
titres à l’aide d’outils linguistiques, on peut compter les occurrences
de chaque mot. Grâce à une application qui fait apparaitre
les  100  mots les plus fréquemment utilisés dans un «  nuage  » 3 ,
nous voyons se détacher les trois termes « littérature », « littéraire »
et «  lecture  ». Dans les occurrences suivantes, classées selon leur
fréquence, on lit  : enseignement, didactique, texte(s), classe, école,
écriture, élèves, lycée. Bien plus loin, on devine le mot « recherche »,
mais, fait plus remarquable, on ne trouve pas de trace, dans les
dimensions thématique ou rhématique des titres, de didactique,
méthodologie, recherches théoriques,  -descriptives,  -actions ou  -
expérimentales, qu’on aurait pu attendre, du moins selon les
standards de la recherche scientifique.
18 Notons encore quelques éléments syntaxiques signifiants, telle la
fréquence de certains connecteurs : quinze occurrences de entre, dix-
neuf de ou, ainsi que  64 points d’interrogation. Ces éléments
témoignent-ils d’une frontière disciplinaire peu claire, qui doit se
construire, et qui évolue selon la conception de l’enseignement de la
littérature défendue ? D’une professionnalisation plus lente que celle
de la recherche en didactique du français  ? Cette hésitation, cette
oscillation ou cette ouverture disent-elles quelque chose de la liberté
de la discipline face à certains cadres normatifs de la recherche
actuelle ? Nous y reviendrons.
19 Nous avons ensuite élargi notre collecte lexicale au corps des articles.
Après les avoir numérisés intégralement, nous avons construit une
grille de critères qui nous a permis de relever des désignations
significatives relatives à la recherche en didactique, mais également
des prises de positions dans des endroits-clés, notamment les
introductions et les conclusions des volumes et des articles. Nous ne
mentionnons ici que les faits saillants, qui permettent de
contextualiser la suite de nos réflexions sur l’établissement de la
discipline et de ses méthodes.
20 Si des vocables relatifs à une recherche dite scientifique traversent
l’entier du corpus (recherche, analyse, observation, étude, réflexion,
examen…), d’autres éléments confirment la tendance, identifiée dans
l’étude des titres, à amenuiser l’importance des recherches menées.
Lorsqu’on analyse les introductions et les conclusions d’articles, là
où les auteurs annoncent leurs intentions ou synthétisent leurs
apports, des éléments significatifs émergent :
des termes ou des expressions qui intrinsèquement contiennent l’idée de doute et de
questionnement propres à la recherche et interrogent la transférabilité des résultats à
travers une posture d’humilité  : éclairage, quelques éléments de réflexion, réfléchir
sur, s’interroger sur, témoigner, faire émerger (Fourtanier, Langlade & Rouxel, 2001) ;
faire évoluer les représentations, réhabiliter une expérience (Canvat, 2001)  ; prémisses d’une
réflexion en cours, brève réflexion, enquête préliminaire (Brillant-Annequin & Massol, 2005) ;
décrire quelques dispositifs textuels, esquisses de pistes didactiques, donner un aperçu, apporter
quelques éléments de réponses, poser quelques jalons théoriques (Lebrun, 2004)  ; tracer les
pourtours de cette compétence fuyante, quelques esquisses de pistes didactiques, s’attarder sur
les traces (Pottier, 2006)  ; idées pour orienter les pratiques (Chabanne, 2006)  ; réhabiliter
l’utilisation de textes comme source de jouissance, trois modestes recherches, préambule à une
didactique de la littérature illustrée (Dufays, 2007)…
des modalisateurs qui réduisent la portée de l’article en question ou qui pointent la
dimension individuelle et non généralisable de la réflexion : je ne prétends pas avoir de
méthode (pour faire écrire), je demeure convaincue (Brillant-Annequin & Massol, 2005) ; mes
premières réflexions sur le sujet, je crois que la didactique du français doit redéfinir ce
paradigme, notre conviction, je me contenterai d’évoquer l’intérêt de mon expérience (limitée)
de praticienne (Lebrun, 2004) ; on ouvrira des pistes didactiques, reste à savoir si cet étayage
peut devenir objet de formation (Brillant-Annequin  &  Massol, 2005)  ; le recueil devra être
plus nombreux pour des statistiques, plasticité du dispositif (Chabanne, 2006)…
21 Si nous constatons une augmentation au cours des ans du terme
recherche pour désigner ce que le chercheur accomplit, nous notons
un recours qui ne faiblit pas à des substantifs plus souples tels que
esquisse, ébauche, pistes didactiques… qualifiés par des adjectifs qui
disent le caractère partiel ou modeste, ou encore atténués par des
modalisations.

3. La didactique de la littérature, une


discipline ?
22 Divers travaux récents s’intéressent à l’établissement de la
didactique comme champ disciplinaire, du point de vue historique et
sociologique. Y. Reuter (2016), par exemple, définit quatre
indicateurs permettant d’évaluer et de situer le degré d’autonomie
de la didactique du français, et partant, des didactiques  : leur
autonomisation et légitimation institutionnelle, leur autonomisation
épistémologique et théorique, les relations entre l’espace des
recherches et les espaces d’actualisation des didactiques
(prescriptions, recommandations, pratiques, reconstruction-
appropriation des disciplines), enfin leur place dans les débats
actuels sur l’école. Reuter clôt son article en qualifiant les
didactiques de «  sous-disciplines  »  : domaines relativement
institutionnalisés de l’Université, ils existent au sein de différentes
sections (liées aux disciplines de références, aux sciences de
l’éducation…), mais pas en toute autonomie. Le point de vue de B.
Schneuwly (2016), s’il nuance celui de Reuter, est convergent. Il
documente trois tensions constitutives qui expliqueraient que ces
dernières «  se transforment et se développent rapidement  », mais
«  peinent pourtant à s’établir en tant que champ disciplinaire
commun  » (Schneuwly, 2016, 17-18)  : un «  processus de
disciplinarisation à dominante secondaire » qui témoigne du passage
d’une pratique et d’une théorie normative à des questionnements
scientifiques, une rupture épistémologique qui ébranle les acteurs et
la profession  ; le rapport d’autonomisation (parfois en cours
d’achèvement) des didactiques par rapport à leurs sciences de
références  ; et, au-delà d’une histoire générale des didactiques, le
fait que chaque didactique disciplinaire poursuit son propre
développement et fait face à des défis particuliers. Ces deux sources,
«  l’autonomisation épistémologique et théorique  » nommée par
Reuter et la «  rupture épistémologique  » identifiée par Schneuwly,
semblent particulièrement adaptées pour penser le statut de la
didactique de la littérature. Nous avons ainsi regardé, dans les
articles de notre corpus, si une identité disciplinaire se dessinait,
notamment par le type de questionnements posés, les cadres
théoriques sollicités, mais également, et nous ajoutons cet élément à
la réflexion, si une autoévaluation de la discipline s’exprimait : est-ce
que la didactique de la littérature se décrit, se définit elle-même, se
pense comme une discipline ? Opère-t-elle un retour sur elle-même,
sur ses méthodes, ses directions de recherche, ses points aveugles et
ses insuffisances ?
23 Notre analyse a mis en évidence une douzaine d’articles (incluant les
avant-propos et les contributions de grands témoins), publiés
entre  2000  et  2012, qui interrogent explicitement, dès leur titre, la
définition et la situation de la didactique de la littérature, non pas
comme un prolongement à d’autres questions, mais comme l’objet
central de leur propos. Différents éléments thématisés par Reuter et
par Schneuwly ponctuent ces textes  : l’articulation entre la
didactique de la littérature et les disciplines de référence ou
contributoires, ainsi que l’appropriation par la didactique de la
littérature de concepts issus de ces autres disciplines  ; le rôle,
facilitateur ou freinant, des Institutions dans le travail du chercheur
en didactique  ; les obstacles liés au contenu à enseigner qui
entravent la recherche en didactique  ; les thèmes peu développés
encore par la recherche en didactique de la littérature  ; le
classement des méthodologies de recherche recensées en didactique
de la littérature  ; l’utilité sociale de la didactique de la littérature.
Ces éléments conduisent à endosser des postures et à promouvoir
des valeurs. Nous retrouvons ainsi de manière significative :
une invitation, voire une injonction à développer des recherches scientifiques en
didactique de la littérature. Les progrès de la professionnalisation de la discipline sont
reconnus explicitement et sont listés, tandis que certaines faiblesses, tels le manque de
cadres théoriques et méthodologiques ou la tendance à recommander, voire à
prescrire, plutôt qu’à décrire, ne sont pas passés sous silence ;
l’idée que la didactique inclut dans sa définition même une dimension de recherche.
Cette bipartition, entre recherche et considération de la pratique enseignante, est
appelée à être généralisée au sein de la culture professionnelle, ainsi que de la
formation des enseignants ;
le constat du faible nombre de concepts proprement didactiques convoqués. Or, selon
certains chercheurs, ces concepts sont porteurs de réflexions plus générales, que les
études littéraires gagneraient à reprendre à leur compte : la transposition didactique,
par exemple, interroge la transmission, à tous les niveaux d’enseignement, y compris
universitaires. On y perçoit la volonté de rétablir une réciprocité, un équilibre avec les
disciplines qui ont participé à fonder la didactique de la littérature : la didactique de la
littérature n’est pas ancillaire de la discipline littérature (Daunay, 2015).

4. Méthodes et évaluation des recherches


24 S’agissant des méthodes de recherches, un changement significatif
s’observe entre les Rencontres de  2001  à  2007, qui formaient les
données principales de l’analyse de Daunay et Dufays (2007), et celles
de 2008 à 2016. D’une période à l’autre, un renversement de majorité
s’est opéré : les recherches descriptives ont plus que doublé (de 32 %
à  70  %) pendant que les recherches théoriques diminuaient
symétriquement (de  55  % à  20  %). La part des recherches
expérimentales et des recherches actions reste quant à elle
équivalente d’une période à l’autre : environ 10 %.
25 Gardons-nous cependant de considérer en absolu ces chiffres qui
établissent la priorité actuelle des approches descriptives, car il est
souvent ardu de décider si une étude est de type descriptif ou de
type théorique. Cette duplicité, qui pourrait être tenue pour une
faiblesse dans des disciplines plus formalisées, est considérée comme
« une spécificité méthodologique des recherches en didactique  –  et
notamment en didactique de la littérature  » (Dufays, 2001, 23). De
nombreux travaux combinent donc des données descriptives à visée
nomothétique (mise en évidence de régularités) à des données
théoriques (à finalités modélisantes et herméneutiques). Selon
Rouxel, (2015, 11), cette souplesse méthodologique atteste la
«  richesse et la diversité  » de la communauté des chercheurs. La
variété est elle aussi souvent saluée par les éditeurs des actes des
Rencontres, dans leurs présentations des contenus, mais aussi
parfois dans leur renoncement à ranger les communications en
sections et parties bien identifiées, au profit d’une table des matières
qui est une liste d’un seul tenant.
26 Mais qu’elles soient singulières ou mixtes, les méthodes et les prises
de données sont-elles qualitativement évaluables  ? Si l’éthique des
chercheurs et leur souci de rigueur sont sans doute aussi bien
partagés dans la communauté des didacticiens de la littérature que
dans tout autre groupe scientifique, le détail des protocoles pour
collecter les données et les manières de les analyser sont rarement
présentés au lecteur. Le format standard des communications (20-
25 minutes d’exposé), puis la taille des articles qui en découlent (10-
12 pages) expliquent en partie la discrétion de ces faits, de même que
la nécessité de préciser les cadres théoriques et les contextes
singuliers des situations sous examen, et ce autant pour les
recherches descriptives que pour les recherches théoriques.
L’institutionnalisation des recherches est un autre facteur
déterminant : les recherches expérimentales et certaines recherches
actions, par exemple celles qui forment le corpus de thèses ou de
longues recherches d’unités ou de laboratoires établis, présentent,
quant à elles, des données qui renseignent, directement ou par
renvois à des études publiées, sur le détail et la méthode de leur
établissement, mais n’entre dans ce cas qu’environ le 10 % de toutes
les contributions. Dans les faits, l’établissement d’un questionnaire
ou d’un entretien, leur passation et donc aussi l’analyse des résultats
ne sont et ne peuvent être concrètement évalués, ni en amont de la
communication par les comités scientifiques des Rencontres qui
examinent de courtes intentions, ni en aval par les comités d’édition
et par les lecteurs, qui n’exigent pas de connaitre l’appareil
méthodologique et les récoltes de données dans le détail de leur
constitution.
27 En conséquence, les recherches descriptives et les recherches
théoriques, qui forment depuis 10 ans environ 90 % des recherches,
sont en fait plus proches que ne le laissent penser les présupposés
qui les fondent. Lorsque les Rencontres se sont instaurées, le
discours de guidage qui les a accompagnées a suggéré de renoncer
aux approches théoriques parce que, peu détachées encore de la
discipline littérature et encore proches des habitudes
applicationnistes de l’époque, elles se donnaient, à ce moment, avant
tout pour des points de vue subjectifs glissant souvent vers la
prescription, la recommandation. L’autonomisation de la didactique
de la littérature par rapport à la discipline mère s’est donc pour
partie traduite par l’adoption d’un regard descriptif non prescriptif
sur la réalité d’enseignement observée. Les données récoltées dans
ces circonstances, par un chercheur singulier ou par un petit groupe
(via un questionnaire, des entretiens, des captations, des journaux
de bord, des travaux d’élèves ou des dispositifs spécifiques…),
répondent à une évidente intention de scientificité (observation
neutre et renoncement à prescrire), mais la plupart des protocoles
de recherches, des observations et des analyses sont construits et
conduits par des subjectivités dont il est rarement possible d’évaluer
les procédures auxquelles elles ont recouru. Dans les faits, déjà
apparentées par leur démarche de type «  empirico-déductif  »
(Dufays, 2001, 24), les recherches descriptives, qui répondent à des
consignes éprouvées et standardisées (problématique, cadre
théorique, choix méthodologique, résultats, analyses des résultats…)
et les recherches théoriques, qui se recommandent principalement
des règles argumentatives et de l’éthique communes pour restituer
et collationner des discours, se séparent par leurs finalités (décrire
vs interpréter), mais peu par les points de vue engagés  : dans les
deux cas, le découpage du réel, les analyses et les résultats procèdent
de décisions peu ou pas évaluables, au sens strictement scientifique.
Telles qu’elles sont produites et présentées pour ces Rencontres, ces
études de type qualitatif ne peuvent donc généralement pas être
soumises au «  principe de vérification  », à la «  vérification de
l’accord entre les divers observateurs  » (De Landsheere, 1982, in
Dufays, 2001, 27).
28 Aussi peut-on prendre à la lettre, et non pas seulement comme des
marques conventionnelles de modestie, les modalisations des
chercheurs qui présentent leurs travaux comme de très circonscrits
prélèvements dans les réalités de l’enseignement, qui se
reconnaissent souvent sous le terme de «  réflexion  » plus que sous
celui de « recherche », et qui sollicitent souvent, dans leurs titres et
leurs textes, les connecteurs et les signes indiquant l’alternative, le
passage et le questionnement ouvert. Si ces attitudes et postures
humbles sont fréquentes chez les chercheurs de toutes les disciplines
qui travaillent sur la complexité des faits physiques et humains, elles
appartiennent à des histoires disciplinaires spécifiques. En se
désignant ainsi, les chercheurs en didactique de la littérature ont
d’abord ressenti au tournant du siècle la nécessité de se démarquer
et du type de travaux pratiqués sous l’égide de la discipline
académique «  littérature  » et de la pratique des chercheurs
académiques qui consistait à transposer, à prescrire à l’usage des
classes, souvent à la demande des États, les conclusions de leurs
travaux. Ceux-ci épousent maintenant les méthodologies et
protocoles de cette approche, mais la présentation de la genèse et
des résultats de leurs travaux sous des formes et des consensus de
groupe font du chercheur ou de l’équipe singulière le ou les seuls
garants des faits rapportés.

5. Discussion et ouverture
29 Logiquement plus nombreux et plus injonctifs lors des premières
Rencontres, les commentaires métadescriptifs sont plus rares à
partir des années 2010 (trois figurent à l’intérieur des Rencontres et
deux ont été publiés dans un autre volume) et, au fil du temps, ils
évaluent de plus en plus positivement les travaux. Sous l’invitation à
une « prise en compte toujours plus exigeante du réel des pratiques
scolaires » (Dufays, 2001, 27), les observateurs et commentateurs des
travaux ont d’abord déploré le manque de rigueur de travaux qui ne
répondaient pas aux «  conditions requises de scientificité  »
(Tauveron, 2008, 462). En  2007, Daunay et Dufays estimaient que la
réflexion méthodologique était désormais «  en marche  », rendant
possible une « certaine visibilité des méthodes » (Daunay & Dufays,
2007, 9). À ce moment, selon eux, la recherche en didactique de la
littérature souffre néanmoins de faiblesses (le réflexe de la
prescription, la difficulté à synthétiser des recherches antérieures, le
nécessaire militantisme pour promouvoir la didactique de la
littérature à l’université et dans le secondaire…) qui trahissent la
« jeunesse » (ibid., 11 et 13). Mais, en 2016, l’évaluation du champ est
nettement plus positive :
On notera cependant depuis  2005  la montée en puissance des recherches
descriptives  : de plus en plus de travaux aujourd’hui cherchent avant tout à
comprendre, sans apriori, les processus par lesquels les maitres enseignent et les
élèves apprennent. On pourrait voir là un signe de la maturation scientifique de
ce champ de recherche (Dufays & Brunel, 2016, 246).
30 Si elle nuance cette évaluation et estime que «  le champ de la
didactique de la littérature est, à ce jour encore, en cours de
constitution  » (Ahr, 2016, 280), Ahr rejoint l’avis de Dufays et
Brunel : autant le champ est encore à consolider, autant il a acquis
une « maturité scientifique » (Ibid., 277).
31 De  2001  à aujourd’hui, le jugement que les chercheurs portent sur
leur propre travail est donc passé d’une critique constructive,
enjoignant à plus de scientificité et d’objectivité, à une évaluation de
plus en plus satisfaisante. Mais la métaphore que les discours
métadescriptifs filent pour décrire et jauger les moments de cette
recherche, celle qui l’assimile à un être vivant (jeunesse, maturation,
maturité), introduit des biais dont les commentateurs sont d’ailleurs
parfois conscients (Daunay, 2008). La métaphore tend en effet à
naturaliser la notion de progrès, elle introduit une téléologie et elle
invite à distinguer des phases préscientifiques et d’autres qui les ont
dépassées. Vue par ce filtre, la recherche en didactique de la
littérature aurait été immature avant d’atteindre la maturité.
32 Si tel était le cas, quels critères permettraient de délivrer son
certificat de maturité à la didactique de la littérature  : serait-ce le
changement de dominante entre les recherches théoriques et les
recherches descriptives  ? L’usage d’un lexique, de codes et de
protocoles qui, pragmatiquement, sont institutionnellement
obligatoires pour obtenir des fonds de recherches ? Et si la recherche
était maintenant mure, combien de temps durerait cette phase et à
partir de quand devrait-on penser qu’elle est « âgée », caduque ?
33 Pour éviter ces biais, considérons notre corpus avec d’autres
paramètres pour situer ce qui relève indubitablement de l’histoire de
la constitution d’une communauté de travail qui se reconnait
désormais sous l’appellation de chercheurs en didactique de la
littérature.
34 Comme énoncé plus haut, les Rencontres sont dues à l’initiative de
trois chercheurs-enseignants, Fourtanier, Langlade et Rouxel, qui
avaient et ont toujours en commun un intérêt pour le sujet lecteur,
ce champ d’études qui est devenu central et fédérateur en didactique
du français, de la lecture, de la littérature et de la critique littéraire.
En précisant que les initiateurs sont restés fidèles à leur vœu
premier de ne pas institutionnaliser les Rencontres, que
l’organisation et les thèmes ont donc été librement choisis et décidés
par diverses entités autonomes de la Francophonie, il est évident que
le sujet lecteur informe, traverse et oriente plus ou moins
directement toutes les éditions, quel que soit leur thème spécifique.
On constate même, en France d’abord, que procédant d’une théorie
et d’une observation de la lecture par des lecteurs réels, les travaux
sur le sujet lecteur sont l’exemple le plus abouti et le plus cité de « la
recherche » et de ses apports. Ainsi, les théories et les études sur le
sujet lecteur sont-elles logiquement les plus régulièrement
convoquées dans les Rencontres.
35 Mesurées à cette échelle temporelle plus longue (Dufays, 2001, date
de 1990 l’intérêt pour le sujet apprenant), et raccrochées de ce fait à
l’histoire des sciences humaines du XXe  siècle (l’effondrement du
structuralisme et du textualisme, puis son remplacement par les
esthétiques et théories de la réception), les Rencontres en didactique
de la littérature ne peuvent plus répondre à une image vitaliste qui
les aurait fait évoluer rapidement de l’enfance à la maturité, à savoir
à l’adoption, au moins apparente, des méthodes de recherche
descriptives. Elles ne se liraient pas davantage comme des
«  progrès  », mais seulement comme des adaptations à la réalité
scolaire et sociale de notre génération. Elles s’interprèteraient
davantage à l’aune relativiste des sciences humaines et non pas selon
les standards pragmatiques et institutionnels de la recherche qui
font du cumul des recherches un indicateur de progrès. Ce
changement d’optique modifie aussi la manière de décrire l’insertion
de ce nouveau groupe de travail, lequel est moins évalué par ce qu’il
aurait aujourd’hui enfin atteint (l’adoption des protocoles et du
langage de la recherche), que par ce dont il procède encore  : la
didactique de la littérature est d’abord la conséquence (heureuse),
ajustée à l’épistémologie pragmatique de l’heure, des théories et de
l’intérêt pour le sujet lecteur.
36 À cette plus grande distance d’observation, les recherches
descriptives qui, parce qu’elles évitent la prescription et le jugement
de valeur subjectif, sont actuellement saluées comme des signes de
maturité du champ, pourraient alors être tenues, par leurs
«  manquements  » même, à savoir le fait qu’elles ne donnent
généralement pas les moyens de les évaluer, non pas comme
encombrées d’une faiblesse, mais, à l’inverse, comme emblématiques
d’une forme de résistance cultivant des valeurs dont la littérature se
recommande depuis des siècles  : la singularité, la diversité, le
particulier, le sujet. Tout en se donnant donc les moyens et les
conditions d’œuvrer à la réussite de l’élève réel, tout en s’adaptant
au pragmatisme et aux protocoles de la recherche institutionnelle, la
recherche en didactique de la littérature aurait donc peut-être
instauré le sujet chercheur.

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NOTES
1. Rouxel, A.  &  Langlade, G. (2004). Le sujet lecteur. Lecture subjective et enseignement de la
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pratiques d’enseignement-apprentissage  : difficultés et résistances. Québec  : Université Laval,
actes en ligne [http://www.fse.ulaval.ca/litactcolaix/]
2. Nous avons repris la répartition que propose l’ouvrage collectif de Simard, C.  &  alii.
(2010).
3. www.wordle.net

AUTEURS
SONYA FLOREY

Haute École pédagogique du canton de Vaud, Lausanne

NOËL CORDONIER
Haute École pédagogique du canton de Vaud, Lausanne
Lyn Lakehal <crymlakehal@gmail.com>
Quelle didactique de la littérature
dans les manuels de
l’enseignement primaire en
France, de 1880 à nos jours ?
Marie-France Bishop

1 De nombreux travaux s’intéressent à la didactique de la littérature,


tant dans son histoire, dans ses débats que dans l’élaboration de ses
contenus et des notions qui lui servent de base (par exemple,
Ahr  2015  ; Daunay  2007  ; Dufays  2001  ; Dufays,
Gemenne  &  Ledur  1996/2015). Mais l’analyse a plus rarement été
menée en différenciant les niveaux scolaires et l’on peut se
demander si le contexte dessiné dans ces études est identique pour
l’école primaire, le collège, le lycée général ou le lycée professionnel,
c’est-à-dire s’il existe des variations liées aux filières, à l’âge des
élèves et aux finalités éducatives. L’objet de cet article est de
répondre en partie à cette question en explorant comment s’est
constituée une didactique de la littérature à l’école primaire en
France et quelles en sont les spécificités. Pour cela, nous retiendrons
la définition que Halté (1992  : 15) donne de la didactique  : «  la
discipline de référence des pratiques d’enseignement  », articulant
trois pôles, celui des objets d’enseignement, celui des conditions
d’appropriation par les élèves et celui des situations d’enseignement.
Définition à laquelle Reuter (2007) ajoute l’activité de recherche.
Dans ce cadre, pour évoquer une didactique de la littérature à l’école
primaire, il faut que soient identifiés dans leur spécificité des objets
d’enseignement, des conditions d’apprentissage, des situations
d’enseignement, c’est-à-dire des dispositifs pédagogiques, ainsi
qu’un ensemble de travaux de recherche qui organisent cette
didactique. En l’absence de ces éléments, on ne peut parler de
didactique de la littérature dans le primaire avant la fin du
XXe  siècle, mais plutôt d’une pédagogie de la lecture des textes
littéraires, c’est-à-dire d’un ensemble de démarches visant la
compréhension des textes sans que soient abordées des questions
littéraires.
2 La réorganisation didactique de l’enseignement de la lecture des
textes littéraires qui se produit à la fin du XXe  siècle à l’école
primaire se caractérise par un héritage historique original qui en
explique l’avènement récent. Quatre spécificités apparaissent par
rapport aux autres niveaux scolaires. La première est liée à l’objet
lui-même, c’est-à-dire à la place particulière accordée à la littérature
dans les classes élémentaires, où elle entre sous forme de morceaux
choisis dans les manuels après la défaite de  1870, mais sans faire
l’objet d’un enseignement effectif (Chartier  2007  ; Chervel  2006). Il
faut attendre les instructions de  2002  pour qu’elle devienne, de
nouveau, une matière prescrite pour le cycle 3 : entre 1887 et 2002, la
littérature ne figure pas dans les programmes de l’école élémentaire.
La seconde caractéristique est liée aux finalités des situations
d’enseignement, qui se démarquent de celles du second degré
jusqu’aux changements institutionnels du milieu du XXe siècle et qui
accordent à la lecture des textes d’auteurs un rôle plus éducatif que
littéraire. La troisième particularité concerne les acteurs scolaires  ;
en effet, les maitres sont des enseignants polyvalents, ils ne sont pas
des spécialistes du domaine, contrairement aux enseignants du
second degré. Enfin, la question des contenus enseignés demeure
une question vive pour envisager l’existence de cette didactique, et
l’on peut s’interroger sur ce qui s’enseigne à l’école primaire à
travers les pratiques qualifiées de littéraires : est-ce la littérature ou
les démarches de lecture et la compréhension des textes  ? S’agit-il
d’une didactique de la littérature adaptée à de jeunes élèves ou d’une
didactique centrée sur l’activité de lecture des textes littéraires  ?
Finalement, de quelle didactique de la littérature est-il question à
l’école primaire française ?

Méthode, corpus et périodisations


3 Ces différents points seront abordés dans une perspective historico-
didactique (Bishop  2013) consistant à croiser deux modalités
d’investigation : d’une part, l’étude didactique, qui permet de saisir
les procédés de scolarisation des objets à enseigner, c’est-à-dire les
processus de transposition ainsi que les conditions et la mise en
place de cet enseignement  ; d’autre part, l’approche diachronique,
qui rend compréhensibles les choix effectués, les débats et les enjeux
de cette scolarisation en les replaçant dans leurs contextes sociaux.
La démarche historico-didactique s’appuie sur les sources
historiques que sont les manuels, les programmes d’étude, les
cahiers d’élèves et les revues pédagogiques, ce qui permet
l’élaboration de périodisations propres aux objets enseignés. Grâce à
cette double approche, il est possible d’aborder la scolarisation de la
lecture des textes littéraires à l’école primaire comme un élément
historique qui dépend des contextes sociaux, des théories sous-
jacentes, des prescriptions officielles et des pratiques préconisées.
4 Pour tenter de saisir comment la pédagogie de la lecture des textes
littéraires devient un objet didactique dans l’école primaire en
France, au cours du XXe  siècle, nous disposons de plusieurs
ensembles de documents. Le premier est celui des textes officiels 1 ,
qui « disent ce qui doit être et décrivent une école idéale, cohérente
et efficace, dans laquelle moyens et fins sont articulés de manière
sure » (Chartier & Hébrard 2000 : 214). Mais cette présentation idéale
de ce qui devrait s’enseigner, si elle donne à connaitre certaines
finalités, ne peut permettre de saisir la réalité de ce qui s’enseigne.
Celle-ci nous échappe faute de témoignages ou de supports tels que
les cahiers des élèves et les journaux des maitres. Cependant, entre
le prescrit et l’enseigné, nous pouvons, grâce aux manuels,
appréhender l’offre de lecture. Ce second corpus, fécond, nécessite
d’être utilisé avec une certaine prudence et quelques réserves
(Perret-Truchot  2015). En effet, les manuels ne permettent pas de
connaitre la réalité des classes, mais uniquement l’offre éditoriale
faite en direction des maitres et mise à la disposition des élèves et de
leurs parents. Comme le remarque Lebeaume (2015  : 131), les
manuels apportent «  des propositions pour l’enseignement. Ils ne
correspondent ni au curriculum formel ou prescrit, ni au curriculum
réel ou effectif, mais au curriculum proposé ou potentiel  ».
Toutefois, par leur analyse, il est possible de saisir les variations
diachroniques des objets enseignés, car, si les manuels suivent les
programmes, ils s’adaptent également aux attentes des enseignants
et des usagers de l’école. C’est donc à partir d’un corpus de soixante-
dix-huit manuels de cours moyens 2 , publiés entre 1870 et 2017 3 ,
qu’a été menée cette recherche sur la lecture des textes littéraires à
l’école primaire en France. Le choix du cours moyen comme niveau
scolaire est stratégique. Il s’agit de traiter de la lecture des textes
littéraires et non de la totalité de l’apprentissage de la lecture, ce qui
nécessite d’écarter les manuels de cours préparatoire et des cours
élémentaires. De plus, ont été exclus les manuels concernant les
classes du primaire supérieur, qui disparaissent au cours du
XXe siècle. Pour les périodes récentes, ce sont les ouvrages destinés
au cycle  3 4 qui ont été sélectionnés. Dans ces soixante-dix-huit
manuels, la préface et le sommaire ont été analysés à partir de
quatre questions  : quelles sont les finalités de la lecture présentées
dans le manuel  ? quels sont les textes proposés  ? ces choix sont-ils
justifiés dans les préfaces  ? de quel dispositif pédagogique ces
lectures sont-elles accompagnées, c’est-à-dire comment les finalités
affirmées sont-elles concrètement mises en œuvre ?
5 Ce double corpus, constitué des prescriptions et des manuels, a
permis d’établir une périodisation qui correspond au mouvement
que décrivent Schneuwly et Dolz (2009 : 46) : « Les objets enseignés
évoluent selon leur logique propre, mais dans le cadre commun des
changements de la discipline  ». Les textes officiels indiquent les
principaux changements de la discipline et fournissent une
périodisation institutionnelle. Les manuels permettent d’affiner
cette périodisation et de rendre compte des transformations de la
lecture des textes littéraires, il s’agit d’une périodisation didactique
qui décrit les modèles liés aux objets enseignés. Quatre moments
apparaissent pour la lecture des textes littéraires (Bishop  2017). Du
milieu du XIXe  siècle jusqu’au début du XXe  siècle, la littérature
entre peu à peu dans les classes de l’élémentaire, la lecture est
essentiellement instructive et encyclopédique. Puis, au début du
XXe  siècle s’élabore le modèle de la lecture expressive, véritable
pédagogie de la lecture des textes littéraires, qui vise la
compréhension et s’appuie sur la constitution d’un répertoire de
morceaux littéraires choisis. Cette modalité va perdurer jusqu’au
tournant des années  1970, au cours desquelles la conception
traditionnelle de la lecture est remise en question dans un contexte
de rénovation de la discipline. La lecture devient fonctionnelle, c’est-
à-dire organisée selon les différentes fonctions des textes. Un
quatrième moment se dessine à la fin du XXe siècle, influencé par des
travaux didactiques spécifiques, il s’agit d’instaurer une lecture
littéraire à l’école primaire. Ces différents moments ne sont pas
étanches, au contraire, des effets de sédimentation (Schneuwly  &
Dolz  2009) et de recouvrement des conceptions de la lecture des
textes apparaissent dans les manuels. Ces quatre périodes, qui
permettent de comprendre comment s’est instaurée une didactique
accompagnant la lecture des textes littéraires à l’école primaire,
seront présentées dans un déroulement chronologique pour
déterminer, par l’étude didactique des manuels, quels sont les objets
étudiés, les démarches et dispositifs mis en œuvre et les finalités de
cet enseignement.

1. Le moment de la lecture instructive et


éducative
6 Les débuts de la IIIe République sont marqués par un fort courant de
rénovation pédagogique qui transforme profondément l’école
primaire et qui trouve ses racines dans la seconde moitié du
XIXe  siècle (Chervel  2006). Dans le domaine de la lecture, les
changements sont importants. Le programme des écoles primaires
de 1882 institue conjointement l’enseignement de « la langue et les
éléments de la littérature française  » 5 , faisant pénétrer
progressivement la littérature dans les classes. La mise en relation
de ces deux termes, langue et littérature, n’est pas fortuite. Depuis le
milieu du Second Empire, le principe d’un apprentissage de la langue
nationale lié à la lecture des œuvres de littérature a fait son
apparition, soutenu par le ministre Victor Duruy puis mis en place
en 1868 dans le département de la seine par Octave Gréard. En 1882,
sous l’impulsion de Ferdinand Buisson 6 , cette innovation devient
une préconisation nationale et les manuels vont peu à peu se
transformer en recueils de morceaux choisis 7 . La littérature n’est
pas un objet d’enseignement en soi, elle devient un corpus
permettant de concilier apprentissage de la lecture et finalités
éducatives.
7 Mais le projet républicain est plus ambitieux : il s’agit d’émanciper le
peuple par l’éducation tout en maintenant un ordre social fondé sur
la séparation des classes sociales. Les finalités de l’enseignement
primaire rendent compte de cette double intention, puisqu’il s’agit
d’un enseignement intellectuel et encyclopédique d’une part,
pratique et limité aux besoins des classes populaires d’autre part. La
littérature occupe une place importante dans cette visée éducative et
politique, tout à la fois rénovatrice et conservatrice. Elle constitue
l’un des outils les plus surs pour laïciser la société en confortant les
valeurs morales grâce à l’émotion esthétique (Chartier  2007), elle
contribue, de plus, à développer une «  Foi laïque  » selon la belle
expression de Buisson (1918) tout en servant l’enseignement de la
langue. La poésie et les morceaux choisis, qui entrent à l’école
primaire au cours des années 1870, participent à l’édification morale
des jeunes élèves et à ce vaste bouleversement pédagogique
(Chervel 2006).
8 Néanmoins, la lecture des textes d’auteurs se heurte à la question de
la connaissance du latin, puisque sans culture classique, les élèves de
l’école primaire ne seraient pas en mesure de percevoir la richesse et
la beauté des œuvres (Jey 2003). Buisson, par ailleurs fervent
défenseur de la présence de la littérature à l’école primaire, en
reconnait les limites et, dans son dictionnaire 8 , propose des
lectures fondées sur l’émotion et sur des textes simples, c’est-à-dire
immédiatement compréhensibles pour les jeunes lecteurs des écoles
communales. Pour les Républicains, ce projet d’acculturation des
classes populaires ne peut commencer que par la formation des
maitres. À partir de  1880, la littérature est présente dans les
programmes des écoles normales primaires avec des listes d’œuvres
pour les brevets élémentaire et supérieur. Mais on ne forme pas les
normaliens de la même manière que les collégiens (Chervel 2006) et
il leur faut d’abord apprendre à lire couramment avant d’accéder
aux œuvres littéraires 9 .
9 Les manuels de lecture des cours moyens vont répondre au projet
éducatif des républicains et développer l’instruction populaire. Dès
la fin du XIXe siècle, apparait dans les préfaces le souci d’assurer une
éducation tout à la fois esthétique, éthique, scientifique, civique et
linguistique. Voici ce qu’annoncent les auteurs d’un manuel de 1906 :
Une lecture intelligente fait naitre des idées, fournit un vocabulaire et des
modèles pour les exprimer, et forme non l’élève seulement, mais encore l’homme
et le citoyen. […] Ce manuel propose des lectures qui suivent pas à pas l’enfant
dans sa vie quotidienne de l’école et s’adapte à tout le programme de
l’enseignement primaire. 10
10 La table des matières de ce manuel reprend les matières mises au
programme  : instruction morale, instruction civique, géographie,
etc. Confortant ces options, E. Toutey, en 1918 présente son manuel
de Lectures primaires comme un livre « encyclopédique » :
On demande que le livre de lectures primaires résume en quelque sorte la
bibliothèque de l’enfant, qu’il présente la synthèse des idées acquises ou à
acquérir dans le cycle primaire. 11
11 Dans ces manuels de la première période, les lectures sont à la fois
historiques, morales et scientifiques, constituées le plus souvent de
textes éducatifs, rédigés par les auteurs eux-mêmes. Mais un
changement se produit vers la fin de la Première Guerre mondiale et
les textes littéraires apparaissent dans les manuels, avec les mêmes
finalités. Les lectures sont accompagnées d’exercices ayant pour but
de s’assurer de la mémorisation et de la compréhension des élèves :
explications de mots et d’expression, questions de compréhension,
et devoirs d’élocution et de rédaction, en lien avec ce qui a été lu.
Toutefois, si l’enjeu éducatif et moral demeure le plus important, le
couple lecture et rédaction commence à s’esquisser. La discipline
«  français  » prend corps, en ce début du XXe  siècle, autour de ces
trois pôles : la lecture, la connaissance de la langue et la rédaction,
mais sans avoir encore acquis son indépendance par rapport à la
morale et l’encyclopédisme qui demeurent les éléments centraux de
toute l’éducation primaire. Les textes littéraires commencent à y
trouver une place timide, cependant leur lecture n’est pas encore
organisée comme exercice spécifique.
12 Ce moment de la lecture instructive a pour finalité au cours moyen
un usage «  courant  » de la lecture qui est préconisée dans les
instructions de 1882. Au cours de cette période, les prémisses de la
lecture des textes sont posées, mais la lecture de la littérature ne
concerne encore que les classes du primaire supérieur. Les textes
sont abordés comme des sources de savoirs, dans une approche
référentielle. C’est dans le premier quart du XXe  siècle que la
discipline « français » commence à s’agencer, accordant à la lecture
des textes littéraires une place importante en lien avec la rédaction,
mais sans que la littérature devienne un objet d’enseignement.

2. Le moment de la lecture expressive


13 Au tournant du XXe siècle, les pratiques sociales de lecture évoluent
(Thiesse 2000). L’analphabétisme a fortement reculé en France
(Furet  &  Ozouf  1977) et les attentes sociales vis-à-vis de l’école
changent après la Première Guerre mondiale. Les instructions
officielles de  1923 12 rendent compte de ces transformations. Il y
est préconisé un apprentissage plus rapide et plus efficace de la
lecture, qui se déroule en trois temps. Au cours préparatoire, l’élève
apprend à déchiffrer  ; au cours élémentaire, il s’entraine à lire de
manière courante  ; au cours moyen, c’est-à-dire dès  9  ans, l’écolier
doit lire avec expression. La lecture expressive, qui ne concernait
que les cours supérieurs, est maintenant une finalité du cours
moyen. Comme le remarque Anne-Marie Chartier (2007 : 184),
Avec la lecture expressive l’école a trouvé une pédagogie permettant de faire
comprendre des textes littéraires à des enfants dont les familles ne lisent pas.
14 Les manuels vont largement faire écho aux injonctions officielles et
s’appuyer sur cette démarche structurée. La finalité de la lecture
n’est plus l’instruction des classes populaires, mais l’ouverture vers
une culture littéraire et nationale, porteuse de valeurs. Trois
éléments se retrouvent jusqu’au début des années  1970 dans les
préfaces parcourues  : la mise en place de la lecture expressive  ; le
lien entre la lecture, l’apprentissage de la langue et la rédaction ; le
souci d’un choix de textes intéressant les jeunes élèves.
15 La méthode d’apprentissage de la langue est décrite avec précision
dans la plupart des manuels consultés, entre  1924  et  1970, selon la
double finalité lire et écrire, comme l’annonce l’avertissement du
manuel Pour bien lire de 1929 13 :
Notre but est double : amener l’enfant à une bonne lecture expressive, comme le
veulent les instructions de 1923 ; le conduire par la suggestion et l’imitation des
beaux textes à une sure pratique de la langue écrite et parlée.
16 Les accompagnements didactiques s’organisent en trois entrées qui
vont demeurer une constante pour un grand nombre de manuels
jusqu’au début des années 1970. La première partie consiste en une
série d’explications et de questions portant sur le lexique,
l’orthographe et la grammaire. La seconde partie est dédiée à la
compréhension. Il s’agit de questions portant sur le sens littéral du
texte et sur les informations que donne celui-ci, dans une conception
référentielle de la lecture. Certains manuels aident les élèves à lire
de manière expressive en indiquant comment «  mettre le ton  »,
c’est-à-dire comment manifester une bonne compréhension du
texte. Ainsi, dans le manuel évoqué ci-dessus, à la suite de la
première lecture de la rentrée, «  Le nouveau maitre  », extrait de
Grands Cœurs d’E. de Amicis, les auteurs donnent les conseils
suivants :
Faites passer dans votre lecture les sentiments que vous éprouvez. Vous
marquerez bien le contraste entre le bonjour joyeux et animé des élèves et le
bonjour attristé du maitre » (p. 3).
17 La troisième partie des exercices est consacrée à la rédaction. Celle-
ci est l’aboutissement de tout l’enseignement du français. Comme le
souligne en  1939 A. Souché, auteur d’une importante série de
manuels chez Fernand Nathan 14 ,
La rédaction n’est plus un exercice isolé : autour d’un centre d’intérêt assurant
l’unité de la classe de français, nous groupons tous les exercices qui habituent
l’enfant à la recherche, au groupement et à la traduction des traits expressifs, et
qui ont leur couronnement dans la composition française.
18 La discipline «  français  » s’organise au cours de cette période dans
une configuration qui a pour principe le cheminement de la lecture à
l’écriture. La compréhension s’effectue de manière progressive en
commençant par le sens des mots, puis en abordant les expressions
et les phrases pour finir par la lecture expressive, mais sans aborder
les aspects littéraires des textes. Ceux-ci servent de modèle
linguistique pour les rédactions, c’est-à-dire de recueil d’idées et de
vocabulaire. Les centres d’intérêt ou le déroulement des saisons qui
organisent les manuels de français garantissent l’intérêt des élèves ;
grâce à eux, tous les exercices de français, lecture, dictée, récitation
et rédaction, sont reliés.
19 Ce souci d’intéresser les élèves nécessite de leur offrir des lectures
motivantes, ce qui est l’un des thèmes récurrents des préfaces, et
tous les manuels évoquent le choix minutieux des extraits. Les textes
littéraires choisis sont attractifs et permettent l’édification des
écoliers, ce qui demeure la première finalité de la lecture jusqu’au
milieu du siècle, comme l’affirme A. Mironneau dans son manuel
Choix de lecture 15 , dans une nouvelle édition datée de 1924 :
Le choix des textes a été l’objet de soins minutieux ; les lectures ne dépassent pas
le développement des enfants de cours moyen ; elles sont variées, attrayantes et
susceptibles de faire éclore et de développer les meilleurs sentiments. J’espère
qu’elles plairont aux élèves.
20 Plaire, intéresser, éduquer et amuser sont les maitres mots de la
période. Ce que les auteurs du manuel Lisons 16 , réédité plusieurs
fois depuis le début du siècle, confirment en 1961 :
Les auteurs de ce livre ont cherché à plaire. Non par tous les moyens, mais en
présentant à l’élève des textes qui, tout en étant susceptibles de former son gout
et sa sensibilité, répondent à certains besoins de l’enfant de neuf à dix ans.
21 Les gouts des élèves selon les auteurs des manuels se portent sur des
récits proches de la vie quotidienne, simples, vivants, mettant en
scène des aventures d’enfants. C’est ainsi que, dans le premier
XXe  siècle, se constitue un corpus spécifique d’auteurs des XIXe et
XXe  siècles qui constitue une sorte de panthéon des écrivains de
l’école primaire (Bishop  2010). Grâce à ces textes, l’école primaire
s’efforce de proposer une littérature qui soit à la portée des plus
jeunes élèves.
22 À partir des instructions de 1923, la lecture expressive s’installe pour
un demi-siècle, elle correspond à l’entrée massive des textes de
littérature dans les manuels des écoles primaires. Ses deux objectifs
sont la compréhension des textes et la rédaction. La discipline du
français s’organise durablement autour de la triade lecture,
grammaire et écriture, mais la littérature est au service des autres
apprentissages, et elle constitue un impensé de la pédagogie du
français car on n’enseigne pas d’éléments littéraires spécifiques, tels
que les genres ou les composantes du récit. Elle ne possède ni objets,
ni démarches d’enseignement et d’apprentissage : elle n’a pas encore
d’existence spécifique.

3. Le moment de la lecture fonctionnelle


23 Les changements sociaux et institutionnels des
années  1960  entrainent une remise en question du modèle
pédagogique dominant. L’entrée de tous les élèves en sixième prévue
par le décret Berthoin de 1959 modifie les conceptions du savoir-lire
et conduit à une interrogation sur les finalités de l’école primaire qui
devient une étape vers le collège. La lecture expressive ne répond
plus aux besoins de la scolarité allongée et, dès la fin des
années  1950, le ministère 17 tente de modifier des pratiques
devenues inadaptées.
24 Dans le courant des années  1970, la lecture des textes va connaitre
des modifications importantes. En premier lieu, la lecture
silencieuse, qui est apparue dans les instructions de  1938  pour les
cours supérieurs, devient la modalité préconisée par les instructions
de  1972. Dans ces nouveaux textes, inspirés du mouvement de
rénovation de l’enseignement du français, la compréhension des
textes ne peut se réduire à l’oralisation. La nouvelle prescription
insiste sur la nécessité de bien comprendre ce qu’on lit dès le cours
préparatoire, car le principal problème des élèves en  6e est leur
difficulté à comprendre les textes. Le second point est que les
supports de lecture se diversifient, l’objectif étant d’être capable de
tout lire. La lecture est présentée comme un acte de communication
qui sert à s’informer, à s’exprimer et à se distraire. Il est préconisé
d’utiliser des textes issus de situations de communication concrètes,
mais également des ouvrages que les jeunes lecteurs pourront lire
seuls : la littérature écrite pour la jeunesse fait ainsi son entrée dans
les prescriptions. Le dernier élément marquant de la période est
naturellement la place prise par la linguistique textuelle dans les
approches de la langue écrite. Cette influence manifeste dans
l’enseignement grammatical et rédactionnel va également être
déterminante pour la lecture.
25 Les manuels suivent l’évolution et les transformations de la
discipline, ainsi que les préconisations des instructions de  1972. Le
gout de lire, thème déjà présent au cours de la période précédente,
se transforme en une sorte de leitmotiv dans les préfaces. La
question de la longueur des extraits et de la présence d’œuvres
complètes devient prégnante. Plusieurs manuels, dont les auteurs
sont également des écrivains pour la jeunesse, proposent des
lectures d’œuvres complètes 18 , d’autres optent pour des extraits
longs et des lectures suivies 19 . Par ailleurs, si le lien entre la
lecture et la maitrise de la langue demeure le fondement de la
discipline, les manuels accordent davantage de place à l’expression
orale et à la compréhension.
26 Mais le grand changement, au tournant des années  1980, est
l’évolution des finalités dévolues à la lecture des textes qui devient
fonctionnelle car elle vise la compréhension des différentes
fonctions de l’écrit et de la communication. Il ne s’agit plus
seulement de découvrir les œuvres du patrimoine, d’éprouver des
émotions et de s’imprégner de la langue des meilleurs auteurs, il faut
savoir lire tous les textes, ce qui nécessite de catégoriser les types
d’écrits. Plusieurs manuels du corpus proposent des classements par
types de textes, ce qui constitue un changement remarquable. Dans
l’ouvrage Éveil à la communication, publié en  1978  chez Fernand
Nathan, Frank Marchand, directeur de collection, propose
d’observer et d’analyser les différents textes en différenciant leur
visée communicationnelle  : romans, poèmes, bandes dessinées,
chansons, etc. Dans un autre manuel daté de  1982, Mon livre de
français, édité par Istra, dans une collection dirigée par R. Toraille
20 , l’organisation des thèmes par quinzaine aboutit à une étude des

« codes et des messages » qui consiste à parcourir les différents types


d’écrits, bande dessinée, affiche, menu, etc. ainsi que leurs
caractéristiques. Cette organisation des leçons selon les fonctions de
la lecture et les types d’écrits devient une constante à la fin des
années 1980. Dans Les 7 clés pour lire et pour écrire, publié en 1989 chez
Hatier 21 , les activités proposées sont organisées selon les
catégories de textes et les modes de lecture, le chiffre  7  renvoyant
aux «  sept principales approches de la lecture qu’un élève de
C.M.1 rencontre couramment : le conte, la lecture de documents, la
narration, la publicité, la poésie, la bande dessinée et le théâtre. […]
C’est la découverte de nouveaux modes de lecture et de leur
fonctionnement. »
27 Dans ces manuels, les composantes des différents types de textes,
mises en évidence au cours de la lecture et de l’écriture, marquent
une étape vers un enseignement d’objets textuels. Le lien avec
l’enseignement de l’écriture est renforcé, et ce sont sans doute les
avancées en didactique de l’écriture, notamment la réflexion sur les
types d’écrits, qui vont conduire à transformer les modalités de
lecture 22 . Certains objets littéraires commencent à prendre place
dans le projet des éditeurs. Ainsi, dans le manuel D’une histoire à
l’autre, édité en  1981  chez Fernand Nathan dans une collection
dirigée par Louis Legrand, il est affirmé :
Le choix des textes met en évidence la variété des styles, des genres littéraires,
des actions, des atmosphères, des personnages, des lieux, des époques (p. 3).
28 Mais si certaines questions littéraires telles que la description, les
genres ou la place du narrateur commencent à apparaitre dans les
manuels, on ne peut évoquer une didactique de la littérature à
l’école primaire, car elle n’a pas d’existence propre et aucune théorie
ne vient conforter cet enseignement. Comme le déplore André
Mareuil (1971), la rénovation aura mis l’accent sur l’expression
écrite et orale, mais peu sur le développement des compétences
littéraires. C’est au cours de la période suivante qu’un champ de
recherche va se constituer à l’école primaire et que va s’esquisser
une didactique de la lecture des textes littéraires.

4. Le moment de la lecture littéraire


29 Les années  1980  sont marquées par le développement de la
didactique du français et par une réflexion intense sur la lecture, son
acquisition et sa pérennité. Deux rapports jouent un rôle majeur
dans les débats de cette période. Le premier, intitulé les Illettrés en
France 23 , publié en 1984, suscite une remise en question nationale
des méthodes scolaires. Le second rapport est celui du recteur
Migeon, daté de 1989 24 , qui s’alarme du faible niveau des élèves et
signale que  20  % d’entre eux ne savent pas lire en quittant l’école
primaire et que moins de  50  % comprennent de manière fine les
textes proposés. Ces publications nourrissent de nombreux débats
sur l’apprentissage de la lecture et les différentes modalités de
lecture à enseigner. Les mouvements pédagogiques comme l’AFL ou
le GFEN, les associations de défense des livres de jeunesse, ou les
groupes de bibliothécaires, chacun dans son domaine et selon ses
ancrages conceptuels spécifiques, promeuvent la littérature de
jeunesse et le pouvoir de l’imagination pour améliorer le savoir-lire.
La didactique de la littérature va naitre de ces débats. Elle se
construit à partir de deux axes de recherche : d’une part, les travaux
anglo-saxons de psychologie cognitive qui développent des théories
sur la compréhension en lecture et mettent en lumière les
procédures mentales des lecteurs  ; d’autre part, les théories
littéraires sur la réception du texte et sur le rôle du lecteur dans
l’activité interprétative qui renouvèlent la lecture des textes
littéraires dans le second degré (Dufays,
Gemenne & Ledur 1996/2015).
30 Vers le milieu des années  1980, apparaissent les premiers travaux
didactiques pour l’école primaire. Ce sont des ouvrages proposant
des activités de lecture à partir d’albums de jeunesse à destination
des classes maternelles et élémentaires 25 . Ils sont souvent écrits
par des enseignants d’école normale, dans le but de développer le
gout de lire, mais aussi d’explorer la pluralité des significations des
textes et de découvrir des démarches interprétatives. Le principe
d’une lecture ayant pour unique finalité la découverte des aspects
littéraires des textes prend forme. L’ouvrage de Christian Poslaniec
De la lecture à la littérature, daté de  1992, rend compte de cette
évolution car il se donne comme projet « d’initier les enfants à la fois
au plaisir de lire et à la littérature » (p. 17) en prenant en compte la
singularité de chaque lecteur. Il s’agit de l’une des premières
tentatives pour formaliser la lecture littéraire à l’école primaire.
31 Ces travaux précurseurs trouvent un écho du côté du ministère, et
l’ouvrage La maitrise de la langue à l’école publié en 1992 26 consacre
un chapitre à cette approche. Quelques années plus tard, la revue
Repères envisage la question en  1996  dans un numéro dirigé par
Catherine Tauveron et Yves Reuter, dont l’objectif est de
«  problématiser l’enseignement/apprentissage de la littérature à
l’école élémentaire  » et de «  construire des propositions pour une
didactique de la littérature à l’école  » 27 . Certes, les auteurs
reconnaissent que la tentative est précoce et audacieuse, que le
domaine est encore peu exploré, que la littérature, quoique présente,
n’est jamais définie comme objet à enseigner, et que les travaux qui
s’y consacrent sont rares. Toutefois, très rapidement, ce vide va se
combler. Des recherches soutenues par l’INRP 28 vont tenter de
définir des modèles didactiques de lecture des œuvres littéraires
pour l’école primaire. Ces travaux, dirigés par Catherine Tauveron,
marquent une étape définitive et influencent les instructions
de  2002. Pour la première fois, en  2002, la littérature est instituée
comme matière pour le cycle  3, accompagnée d’une liste d’œuvres
proposées aux élèves et une épreuve orale portant sur la littérature
de jeunesse est introduite au concours de professeur des écoles
en 2005. À partir du début du XXIe siècle, la didactique de la lecture
des textes littéraires trouve son identité, ses contenus et ses
spécificités pour l’école primaire (Tauveron  2002). Les propositions
qui sont élaborées rencontrent un large écho du côté des
enseignants. Le cadre théorique est celui des théories de la réception
littéraire qui accorde à la subjectivité du lecteur une place centrale.
La lecture littéraire à l’école primaire est abordée comme une
activité de résolution de problème qui s’attache au fonctionnement
du texte et à sa dimension esthétique. C’est une lecture
interprétative, dont le but est de permettre au jeune lecteur de
discerner les différents niveaux de sens. Le texte littéraire est
parcouru comme un « espace de jeu », ambigu et incomplet, que le
lecteur explore et «  habite  » (Tauveron  2002). Les contenus à
enseigner sont spécifiés, il s’agit de développer des compétences
interprétatives chez les élèves, de construire des connaissances sur
les textes et d’élaborer une première culture littéraire. Cette
approche concerne tous les niveaux, de la maternelle à la fin de
l’élémentaire, et repose sur l’hypothèse de l’intérêt d’une initiation
précoce (Brigaudiot  2000). Le corpus est essentiellement celui de la
littérature de jeunesse, ce qui n’est pas le cas des autres niveaux
scolaires (Ahr  2015). Enfin, des dispositifs pédagogiques sont
proposés aux enseignants, avec pour fondement les démarches
interprétatives, intertextuelles et collectives, toujours en lien avec
l’écriture. Une didactique spécifique de la lecture des textes
littéraires se constitue pour l’école primaire, répondant aux trois
critères envisagés précédemment  : elle définit son objet, ses
contenus d’enseignement, leurs conditions d’apprentissage et les
situations de cet enseignement. Cette didactique est nourrie d’un
domaine de recherches florissant, comme en attestent les
publications, les revues pédagogiques et les thèses consacrées à cette
question.
32 Dans les manuels, qui ont changé de format et de structure au début
des années  1990, les préfaces sont devenues rares. Il s’agit le plus
souvent de livres uniques de français, qui présentent des séquences
(lecture, écriture et maitrise de la langue) organisées autour des
genres littéraires : la nouvelle, le récit d’aventures, le récit de vie, le
roman, le conte, le poème, etc. Ces ouvrages prennent appui sur un
corpus de littérature de jeunesse et mettent en relation les activités
d’écriture et de lecture  : mise en réseaux, débats interprétatifs,
découvertes des personnages stéréotypés. Le souci d’initier les
jeunes lecteurs à la lecture des textes littéraires est affirmé dès les
années  1990, mais la nécessité de faire cohabiter dans un seul
ouvrage les différentes composantes de l’enseignement du français
brouille les limites de ce qui relève de la littérature et des autres
enseignements. De plus, la lecture des textes littéraires est souvent
écartelée entre deux pôles  : celui de la compréhension et du
développement des stratégies de lecteur et celui des activités
littéraires, plus complexes à mettre en œuvre. La notion de lecture
littéraire, qui apparait dans plusieurs préfaces, n’est quasiment
jamais définie. Seul, le manuel Littéo 29 , daté de  2005, indique  :
«  Apprendre à lire littérairement, c’est apprendre à interpréter  »
(p. 8). Ce manuel est d’ailleurs l’un des rares qui sépare l’étude de la
langue de la lecture des textes littéraires, évitant de recréer la
confusion entre littérature et enseignement de la langue. Si cette
dernière période marque incontestablement l’avènement d’une
didactique de la lecture des textes littéraires à l’école primaire, dont
la finalité est de développer des compétences de lecture
interprétative chez le jeune lecteur, la plupart des manuels
différencient peu cet enseignement de l’ensemble de la didactique
du français.

Pour conclure
33 La double approche des manuels, didactique et historique, a permis
de décrire le développement de la didactique de l’enseignement de la
lecture des textes littéraires à l’école primaire en France. Si, depuis
la IIIe République, la littérature est présente dans les manuels,
aucune finalité visant des apprentissages littéraires ne lui est
attachée avant la fin du XXe  siècle. Durant une première longue
période, on voit se développer une pédagogie de la lecture des textes
abordés comme représentation du monde et d’une langue à imiter.
C’est dans les dernières années du XXe siècle que la didactique de la
lecture des textes littéraires prend corps à l’école primaire. Le
changement s’accompagne d’un renversement qui donne une place
centrale au lecteur et à ses possibilités d’interprétation. On voit
s’élaborer une réflexion sur les objets à enseigner, sur les conditions
d’apprentissage et sur les situations d’enseignement, alimentée par
de nombreuses recherches sous formes de publications, thèses,
revues et colloques. Cette évolution s’accompagne d’un véritable
bouleversement dans les conceptions de l’enseignement de la
lecture. Tout d’abord, cela implique que la lecture interprétative
peut être abordée bien avant l’apprentissage du déchiffrage et que
l’activité du lecteur, qui est multiple, doit se développer de manière
précoce. Ensuite, la notion de littérature est élargie et englobe les
ouvrages de littérature de jeunesse, leur lecture n’étant pas
seulement une propédeutique à une future activité littéraire, mais
bien cette activité elle-même. Enfin, dans les instructions
de 2015 pour le cycle 3 30 , la lecture littéraire est instituée comme
un ensemble de compétences spécifiques qui a ses démarches, ses
objectifs et ses finalités particulières et qui vise la « construction de
notions littéraires  », reliant ainsi le collège et l’enseignement
élémentaire. Cependant, cette didactique qui est centrée sur le
développement des compétences de lecture littéraire est encore
difficile à définir : s’agit-il d’une didactique de la lecture des textes
littéraires ou d’une didactique de la littérature  ? De plus, il est
malaisé d’en connaitre les usages actuels et des enquêtes sont encore
à mener pour appréhender les pratiques réelles des maitres dont les
manuels ne peuvent rendre compte 31 .

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apprentissage spécifique ? De la GS au CM. Paris : Hatier.
THIESSE, A.-M. (2000). Le roman du quotidien. Paris : Seuil.

NOTES
1. Les textes officiels pour l’enseignement du français à l’école primaire ont été rassemblés
en trois volumes par André Chervel  : L’enseignement du français à l’école primaire. Textes
officiels, t. 1, 2, 3. Paris : INRP, 1995. Ce sont ces recueils qui serviront de référence dans cette
étude.
2. Les cours moyens reçoivent les élèves de  10  à  12  ans environ. Ce sont les plus grandes
classes de l’école élémentaire.
3. La plupart de ces manuels ont été consultés au Centre de ressources en histoire de
l’éducation de Gonesse (95). Ce Centre regroupe les collections de manuels, de cahiers et
une partie des nombreux documents pédagogiques qui se trouvaient précédemment au
Musée de l’éducation de Saint Ouen l’Aumône (95) fermé depuis 2014.
4. La loi d’orientation du  10  juillet  1989  organise la scolarité en trois cycles. Le
cycle 3 regroupe le cours élémentaire 2e année et les cours moyens 1re et 2e année.
5. «  28  mars  1882, Loi sur l’enseignement primaire obligatoire  » signée de Jules Grévy et
Jules Ferry. Chervel : L’enseignement du français, op. cit., t. 2, p. 97.
6. Directeur de l’enseignement primaire de 1879 à 1896.
7. Cependant la littérature disparait des programmes de l’école primaire dès le décret
du  18  janvier 1887. Il faudra attendre les programmes de  2002  pour que le terme
réapparaisse.
8. F. Buisson, Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, tome  1, partie  1, 1888. Dans
l’article «  Analyse  », partie «  Analyse littéraire  », signée d’un B. qui désigne Buisson lui-
même, p. 78.
9. Circulaire de 1881 de Jules Ferry. Dans A. Chervel (1995), op. cit., t. 2, p. 90-91.
10. J. Dutilleul et A. Ramé (1906). La lecture hebdomadaire CM. Paris, Librairie Classique de F-E
André-Guédon, p. 3.
11. E. Toutey (1918). Lectures primaires. Cours moyen et Certificat d’études. Paris, Hachette,
p. IV.
12. « 20 juin 1923 – Instructions sur les nouveaux programmes des écoles primaires », op.
cit., Chervel, 1995, t. 2, p. 321.
13. H. Pomot, H. Besseige, A. Fourot (1929). Pour bien lire. Paris  : Presses universitaires de
France, p. VI et VII. Ce manuel s’adresse aux élèves de cours moyen et de cours supérieur.
14. A. Souché (1939). La lecture expressive et le français au cours moyen. Paris, Fernand Nathan,
p. 5.
15. A. Mironneau, (1924). Choix de lectures. Cours moyen 1er degré. Paris, Armand Colin, p. V.
Selon Mareuil (1971), Mironneau aura été l’un des premiers à introduire les textes de
littérature dans ses manuels dès le début du XXe siècle.
16. L. Houblain, R. Gaillard, R. Grenouillet, Lisons, cours moyen  1e année. Paris, Fernand
Nathan, p. 4.
17. Comme en atteste la circulaire du  2  janvier  1958, «  Instructions concernant
l’enseignement de la lecture à l’école primaire », B.O. n° 14, du 27 mars 1958, p. 1103.
18. C’est le cas du manuel publié en  1984  par Isabelle Jan, chez Nathan, 10  histoires… tout
simplement, ou de celui de Maurice Obadia, publié en  1985  chez Hachette  : Le chemin des
livres.
19. Comme dans le manuel publié en 1987 par André Mareuil, chez Istra, Des mots pour tout
lire.
20. Ces manuels sont dirigés par des théoriciens de l’enseignement du français (Toraille,
Legrand, Marchand) qui ont accompagné la rénovation à l’école primaire.
21. J.-C. Landier, M. Verrier (1989). Les 7 clés pour lire et pour écrire. Paris, Nathan, p. 2.
22. L’influence de la didactique de l’écriture sur la lecture est clairement exposée dans
l’ouvrage du Groupe d’Ecouen, Former des enfants lecteurs de textes, t. 2. Paris, Hachette, 1991,
p. 7.
23. Véronique Espérandieu, Antoine Lion et Pierre Bénichou (1984). Des illettrés en France.
Rapport au premier ministre. Paris : La Documentation française.
24. Ministère de l’Éducation nationale (1989). La réussite à l’école. Rapport du recteur Michel
Migeon à Lionel Jospin. Paris : CNDP.
25. Par exemple, J.-C. Bourguignon, B. Gromer et R. Stoecklé, (1985). L’album, pour quoi faire ?
Paris, Colin ont pour projet de développer chez les élèves des comportements de lecteurs de
littérature.
26. MEN (1992), La maitrise de la langue à l’école, Paris, CNDP, p. 159.
27. C. Tauveron et Y. Reuter (1996), « Lecture et écriture littéraire à l’école », Repères, n° 13,
1996, Lyon, INRP, p. 13
28. L’Institut National de la Recherche pédagogique soutient des recherches comme celle
que dirige Catherine Tauveron, «  Didactisation de la lecture et de l’écriture littéraires du
récit à l’école  », qui débute en  1997  et s’achève en  2000. Les membres de cette recherche
sont tous formateurs en IUFM (les Instituts universitaires de formation des maitres,
devenus depuis des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation) ou enseignants.
29. B. Louichon, P. Semidor (2005), Littéo, CE2-Cycle 3, Paris, Magnard.
30. Dans les instructions de  2015, le cycle  3  est composé des deux dernières années de
l’école primaire et de la première année de collège.
31. L’enquête « Lire-écrire au CP » de 2013 a révélé que, dans 72 % des 131 classes de CP, les
maitres lisaient un à deux albums par semaine en classe, souvent sous forme de lecture
«  offerte  » c’est-à-dire sans exploitation «  littéraire  » particulière (http://ife.ens-
lyon.fr/ife/recherche/lire-ecrire/rapport/rapport-lire-et-ecrire).

AUTEUR
MARIE-FRANCE BISHOP

Université de Cergy Pontoise – ÉSPÉ ÉMA ÉA 4507


Lyn Lakehal <crymlakehal@gmail.com>
L’écriture littéraire : quelles
modélisations ? Quelles
conceptualisations ?
Marion Mas

1 En 2005, Pierre Sève et Catherine Tauveron publient Vers une écriture


littéraire à l’école ou comment construire une posture de lecteur de la GS au
CM, fruit de recherches présentées au  9e colloque de l’AIRDF, à
Québec, en  2004. Ce livre signale l’«  intérêt renouvelé  » des
didacticiens pour l’écriture de textes littéraires à l’école (Vénard,
Crinon, Savatovsky, Tourigny, 2006, 4). Renouvelé, car les ateliers
d’écriture, qui ont émergé dans le milieu scolaire dans le courant des
années  1970 (et ont retrouvé, ces toutes dernières années, une
vitalité et une légitimité nouvelles), même s’ils ont fait l’objet de
pratiques et de théorisations différentes, n’ont cessé d’explorer les
moyens de faire écrire de la fiction et de la poésie en classe, de
l’école à l’université. Ce qui est nouveau en revanche, c’est
l’expression «  écriture littéraire  », qui essaime immédiatement  :
en  2006, Le Français aujourd’hui fait paraitre un numéro intitulé
Enseigner l’écriture littéraire. La même année, Repères interroge les
rapports de l’écriture littéraire et de la fiction dans une livraison
intitulée La fiction et son écriture. En  2009, le numéro  40  de Repères
(Écrire avec, sur, de la littérature) propose une série d’articles
explicitement dédiés à « l’écriture littéraire ». Cette effervescence de
publications consacre la notion d’écriture littéraire dans le champ de
la didactique du français. Cependant, la manière dont praticiens et
didacticiens s’y réfèrent, les objectifs qui lui sont assignés et les
modélisations dont elle est l’objet révèlent une latitude d’emplois
parfois contradictoires. Ainsi, l’accent est mis tantôt sur
«  l’intentionnalité artistique  » comme vecteur d’apprentissage de
stratégies d’écriture concertées (Tauveron et Sève, 2005), tantôt sur
la maitrise de savoirs sur les genres (Crinon et l’équipe ESCOL, 2006),
tantôt sur la lecture et «  l’acte de découverte des caractéristiques
littéraires d’un texte » (Daunay 2007) en vue de son analyse.
2 Une dizaine d’années plus tard, une nouvelle série de publications
importantes aux titres éloquents replace l’écriture littéraire au cœur
des préoccupations de la didactique de l’écriture et de la littérature.
Citons Inventions de l’écriture (Jacques et Raulet-Marcel, 2014),
Pratiques d’écriture littéraire à l’université, 2013  (Houdart-Mérot et
Mongenot, 2013), Numérique et écriture littéraire (Houdart-Mérot et
Petitjean, 2015) et Formes plurielles des écritures de la réception
(Fourtanier et Le Goff, 2017). Cette nouvelle faveur accordée à
l’écriture littéraire marque-t-elle une stabilisation d’emploi de la
notion ou, au contraire, élargit-elle l’éventail de ses usages  ? Dans
quelle mesure infléchit-elle les pratiques et les conceptualisations
antérieures – et notamment les pratiques « d’écritures créatives 1 »
et les pratiques d’atelier d’écriture avec lesquelles elle entretient dès
l’origine des liens étroits ? Peut-on, en définitive, parler « d’écriture
littéraire  » au singulier ou faut-il se résoudre à conjuguer le terme
au pluriel ? Le présent article voudrait essayer de clarifier les termes
du débat en mettant en évidence les enjeux didactiques liés aux
différentes approches de l’écriture littéraire. La réflexion
s’organisera en quatre temps  : un préambule sur l’émergence de la
notion permettra de souligner la manière dont elle s’articule, tout en
s’en distinguant, aux travaux antérieurs de didactique de l’écriture
et à des notions connexes. Cela permettra de dégager trois grandes
orientations de l’écriture littéraire, qui seront successivement
examinées pour voir si, par de là la diversité des modélisations, il est
possible de mettre au jour suffisamment de traits communs pour
proposer une définition opératoire de cette notion.

Préambule : contexte d’apparition de la


notion d’écriture littéraire
3 Cinq éléments 2 nous semblent devoir retenir l’attention pour
comprendre comment émerge l’écriture littéraire comme notion
distincte dans le champ de la didactique du français 3 et les
questionnements propres qu’elle configure.
4 L’écriture littéraire se développe d’abord 4 dans un contexte
critique, au tournant des années  2000. Premièrement, elle répond
aux tendances dominantes en didactique de l’écriture dans les
années  1990, auxquelles on reproche de tenir le littéraire à l’écart
tant par une approche de l’écriture fondée sur l’ouverture aux
genres sociaux que par l’évaluation formative critériée élaborée par
le groupe EVA-REV  : postulant l’existence de structures
prototypiques, les pratiques d’évaluation formative ont souvent
dérivé vers une conception étapiste et applicationiste de l’écriture 5
. De plus, le souci d’objectivité des critères d’évaluation a conduit au
rejet, dans les productions d’élèves, de certains aspects (richesse,
beauté, originalité) considérés comme «  non analysables en
indicateurs » (Tauveron, 1996, 197).
5 Deuxièmement, l’apparition, en  1999, de l’écriture d’invention
comme exercice de l’épreuve anticipée de français du baccalauréat
suscite immédiatement de vives critiques qui provoquent, en
réaction, un approfondissement de la réflexion sur l’écriture
littéraire. Alors que la dénomination « écriture d’invention » (parfois
également appelée «  écriture littéraire  » dans les programmes du
lycée) affirme la légitimité des élèves à écrire de manière littéraire,
les textes officiels et les sujets d’examen proposés restreignent en
réalité « le littéraire » à sa dimension rhétorique (Daunay, 2005), et
reconduisent la méfiance traditionnelle de l’école à l’égard de
l’imaginaire (Reuter, 2005). Les nombreux débats autour de l’écriture
d’invention 6 relancent la discussion sur la créativité, le
positionnement de l’élève par rapport à l’écriture en contexte
scolaire, le rapport aux savoirs littéraires dans l’activité scripturale,
et l’articulation entre ces paramètres.
6 Troisièmement, l’investissement, depuis les années  1990, par la
didactique 7 , des apports de la génétique textuelle 8 , impulse un
nouveau discours sur l’écriture et la réécriture. En effet, proposant
une analyse critique des avant-textes, la génétique textuelle pose
que les processus de création et de textualisation sont observables,
les stratégies d’écriture analysables. Ce contexte est déterminant  :
dès lors émerge la possibilité d’aborder les textes des élèves comme
le résultat d’un procès artistique singulier, progressivement
construit et enseignable.
7 Quatrièmement, la réapparition sur le devant de la scène de la
didactique du français de la notion de «  créativité  », à la fin des
années 1990 9 , puis dans les années 2000 avec la multiplication des
cursus d’écriture créative à l’université, entretient une liaison intime
avec le développement de la notion d’écriture littéraire.
Cycliquement associée à celle d’écriture scolaire, la «  créativité  »
évolue «  de l’imaginaire et du langage libéré à l’activité contrôlée,
stratégique et systémique » (Tauveron, 1999, 57), puis à une relation
artistique au matériau langagier, s’élaborant dans le va-et-vient
entre « faire » et métaréflexivité. La réévaluation de la créativité du
côté de l’exploration et de l’expérimentation permet de la penser
comme un objet enseignable et d’approcher ce que pourrait être une
écriture créative. « Travail de la plasticité du langage », exploration
«  de la capacité du langage à générer des significations
hétérogènes » (Bucheton et Seweryn, 1999), capacité du scripteur à
manipuler et à jouer avec des normes et des contre-normes
(Maingain et Dufays, 1999) en sont autant de définitions possibles,
qui font de l’écriture créative un travail de négociation d’un sujet avec
une matière première langagière et des formes préexistantes (ce qui
pose aussi, au premier chef, la question de l’imitation comme
pratique créatrice, on y reviendra), dans un espace social (puisque
normé).
8 Au regard des points précédents, une telle description de l’écriture
créative parait très proche de celle que l’on pourrait donner de
l’écriture littéraire. Dès lors, en quoi la seconde se distingue-t-elle de
la première ? Un élément de réponse se situe au plan institutionnel :
alors que les cursus universitaires d’écriture créative ont une visée
professionalisante (Anne-Marie Petitjean, 2014 10 ), l’écriture
littéraire vise l’enseignement de la littérature. L’écriture littéraire
est donc d’abord un objet scolaire, qui vise l’acquisition de
connaissances à partir des textes littéraires 11 (sur les genres, les
techniques narratives, les univers d’auteurs, l’énonciation, l’histoire
littéraire, etc.). Reste que la proximité entre les deux notions est
grande. Il faut souligner, à cet égard, le passage remarquable, à
partir des années 2000, des pratiques d’ateliers d’écriture créative de
l’école à l’université, qui se réapproprie une approche de la
littérature par la création plutôt que par le commentaire. Certes, au
lycée, l’écriture d’invention rouvre déjà la possibilité d’une
légitimation d’autres formes d’exercices que la dissertation et le
commentaire. Pour autant, on peut également supposer que les
pratiques d’écriture des petites classes, déplaçant «  le rapport à la
chose littéraire  » (Houdart-Mérot, 2014), trouvent un écho fort à
l’université dans un contexte de désaffection des études littéraires.
9 Cinquièmement, l’émergence de la lecture littéraire 12 dans le
champ de la didactique et le développement des travaux sur le sujet
lecteur 13 engendrent, en miroir, une réflexion sur la spécificité de
l’écriture littéraire par rapport au «  sujet scripteur 14 » ou au
«  sujet écrivant 15 » théorisés par la didactique de l’écriture 16 .
Imaginant de nouveaux rapports entre lecture et écriture, non plus
uniquement fondés sur la nature et la texture des textes lus, mais sur
la manière dont ils demandent à être lus, la lecture littéraire conduit
à envisager le scripteur littéraire 17 à partir d’expériences
verbalisées de réception de la lecture.
10 Ce contexte met en relief trois questionnements récurrents et liés
entre eux :
1. Un questionnement autour des interactions entre lecture et écriture. Cette
problématique est ancienne 18 , mais posée à propos de l’écriture littéraire, elle prend
un relief nouveau. D’une part, les écritures de réception remettent en cause la partition
établie par Yves Reuter entre lecture et écriture (Reuter, 1994, 7) puisque l’écriture
peut aussi bien constituer un acte de lecture. D’autre part, les publications de ces douze
dernières années montrent que se pose avec acuité le problème de l’usage du texte
littéraire. Comme le remarque François Le Goff à propos de l’écriture d’invention (mais
ce constat est généralisable), en pratique, le texte littéraire est souvent considéré
comme un point de départ à décortiquer, et l’écriture comme un point final, qui sert
seulement à appliquer et à évaluer des savoirs littéraires dégagés au cours de l’étude
du texte (Le Goff, 2006, 60-80). La question de l’usage des textes littéraire est sous-
tendue par deux interrogations solidaires : celle de la fonction de l’écriture littéraire
(s’agit-il d’apprendre à mieux lire ou bien à mieux écrire ?) et celle de l’« outillage » des
élèves  : quel usage faut-il faire du texte pour outiller les scripteurs sans pour autant
instrumentaliser ni le texte ni le geste d’écriture  ? Comment éviter à la fois la
réduction du texte à un ensemble de procédés et celle de l’écriture à l’exécution d’un
programme ?
2. Un questionnement sur l’articulation entre la problématique de la créativité et
l’acquisition de savoirs littéraires. Jusqu’où faut-il objectiver ces savoirs  ? D’ailleurs,
faut-il toujours les objectiver ? (Quet, 2008)
3. Un questionnement portant sur ce que nous avons appelé « le scripteur littéraire » et,
partant, sur les processus d’auctorialité. De fait, les remarques précédentes invitent à
considérer le scripteur littéraire non seulement comme un sujet conscient des effets
produits ou à produire sur un destinataire, mais également comme un sujet capable de
«  conscientiser et d’intensifier les règles de mise en œuvre  » de son texte, et
d’« optimiser le degré de réglage interne du texte » (Bessonnat, 2000, 13).

11 La manière dont on articule ces questionnements détermine trois


grandes orientations de l’écriture littéraire (et polarise,
conjointement, les objectifs qui lui sont assignés plutôt du côté de la
lecture ou plutôt du côté de l’écriture) : une approche que l’on peut
qualifier de classique, où le texte est à la source de l’écriture, une
approche liant les réflexions sur les pratiques d’écrivains et sur
l’écriture scolaire, où la question de l’auctorialité est centrale, et une
approche renouant avec le «  texte scriptible  » de Barthes, où la
lecture est le principal enjeu.

1. Interactions classiques : le texte à la


source de l’écriture
12 Une première approche de l’écriture littéraire prend en charge la
tension entre l’appropriation de savoirs littéraires et le
développement progressif d’une démarche esthétique. Elle cherche à
la résoudre grâce au processus de distanciation. Permettant à la fois
de prendre conscience des codes qui régissent la langue et les
représentations, et de l’impact des variations par rapport à ces
codes, comme l’explique Bernadette Kervyn, le processus de
distanciation est à considérer à la fois comme «  un outil
d’apprentissage et de littérarité  » (Kervyn, 2009). C’est dans cette
perspective que se situent, d’une part, les recherches didactiques sur
l’usage du stéréotype dans l’enseignement de l’écriture  –  le
stéréotype désignant « une structure, une association d’éléments, qui
peut se situer sur le plan proprement linguistique (syntagme,
phrase), sur le plan thématico-narratif (scénarios, schémas
argumentatifs, actions, personnages, décors) ou sur le plan
idéologique (propositions, valeurs, représentations mentales)  »
(Dufays, 1994b, 77) – et, d’autre part, les pratiques d’écriture fondées
sur l’emprunt, dans un rapport renouvelé à l’imitation.

a) Le travail sur les stéréotypes et les clichés

13 Les travaux de Jean-Louis Dufays l’ont bien montré, le stéréotype est


un passage obligé dans la construction d’une écriture personnelle
(qui n’est, précisément, jamais complètement personnelle mais
toujours habitée des discours des autres). Passage obligé et aide. Car
le stéréotype crée un cadre identifiable, qu’il est possible d’investir
progressivement. D’où des propositions d’écriture fondées sur
l’appropriation de clichés génériques (Crinon et Marin  2010, 2014,
2017) et, progressivement, leur dévoiement. Les diverses
propositions dessinent de fait une progressivité des apprentissages,
de la reconnaissance des clichés (à l’école) à leur usage conscient (au
collège) et à leur détournement (au lycée et à l’université) (Dufays et
Kervyn, 2010). Le maniement des clichés devient alors le lieu d’une
possible éducation esthétique (Dufays, 1994a, 1994b  ; Dufays et
Kervyn, 2010  ; Mongenot, 2013) politique et culturelle, un moyen
renouvelé de l’expression de soi détourné ; un moyen de frayer son
chemin dans la langue pour atteindre le monde de manière
singulière (Bon, 2000).

b) Les pratiques d’emprunt


14 Nombre de travaux revivifient les pratiques d’emprunt. Or, dans leur
diversité, les situations d’écriture proposées engagent des
conceptions bien différentes de l’écriture littéraire.

Le texte ressource à l’école

15 Une pratique développée à l’école primaire pour aider les jeunes


scripteurs consiste à faire du texte-source une ressource à piller : le
texte d’auteur est « présenté comme une source dans laquelle puiser
des idées et des formulations. » (Cautela et Marin, 2013, 38). Si, lors
des discussions collectives, les allers-retours établis entre le texte de
l’élève et le texte-ressource visent à faire repérer et commenter les
emprunts dans la perspective d’une réflexion esthétique ou
pragmatique (gain du texte de l’élève en cohérence et en cohésion),
le texte-source, réservoir linguistique et stylistique, est conçu
comme un modèle de solution à des problèmes d’écriture 19 , voire
comme un modèle de perfection 20 . L’écriture apparait alors moins
comme espace d’élaboration d’une conscience esthétique que comme
médiation en vue de la construction d’un modèle (textuel,
linguistique, de composition, discursif…).

Intertextualité et singularisation de l’écriture

16 Un autre usage de l’emprunt, développé aussi bien à l’école qu’à


l’université, est fondé sur une revalorisation de l’imitation, et
orienté vers l’élaboration d’une esthétique singulière et consciente
d’elle-même. Il faut rappeler ici, avec Violaine Houdart-Merot, que
l’imitation est loin d’impliquer la fidélité ou la servilité. Même
l’imitation prescrite de l’époque classique est souvent
irrévérencieuse, transgressive et créatrice (Houdart-Merot, 2004  ;
2006 ; Houdart-Merot et Mongenot, 2013). Des consignes d’écritures
puisées dans l’éventail des possibles intertextuels et un travail
réflexif sur les écrits produits permettent de mettre l’accent sur les
modes d’appropriation et de transformation des textes-sources (du
centon au pastiche de genre en passant par le caviardage ou tout
autre jeu avec un texte référence). L’intertextualité est ici à
comprendre au sens large, et en lien avec la théorie du texte comme
« productivité » (Barthes, 1970, 1975) : tout texte « est conçu comme
le résultat d’une interprétation et s’ouvrant [à son tour] sur
l’interprétation du lecteur  » (Houdart-Merot, 2006, 27). Cette
compréhension extensive d’une part, l’articulation à un travail
réflexif d’autre part, doivent permettre de faire du texte-source un
élément dynamique dans l’apprentissage de l’écriture. Pour les
élèves du secondaire et de l’université, le but est double  : il s’agit
tout à la fois de faire prendre conscience des opérations dialogiques
à l’œuvre dans les textes d’écrivains (variations sur un discours,
opérations de réécriture, etc.) et de faire expérimenter ces pratiques
d’emprunt. In fine, pour les étudiants, il s’agit de prendre conscience
des traits récurrents de leur propre écriture pour les approfondir
(Houdart-Merot 2006,29). Pour les plus jeunes, l’enjeu d’un tel travail
est de se rendre compte des emprunts réalisés, afin « d’inaugur [er]
une pratique de recyclage [des] trouvailles antérieures, prémisse de
la construction d’un style. » (Sève, 2005, 2017). Cependant, pour être
atteint, ce but exige que les pratiques d’emprunt soient adossées à
des lectures en réseau et au développement d’une «  posture
d’auteur  » (Sève et Tauveron, 2005). Or, cette réflexion sur
l’auctorialité est centrale. Elle rend possible des modélisations
originales  : postulant que le développement d’un comportement de
scripteur impliquant une démarche esthétique de la part de l’élève
passe par la prise de conscience que l’écriture est une pratique
sociale, c’est comme telle qu’elles la scolarisent.
2. Pratiques d’écrivains et écriture scolaire :
modélisations de l’écriture littéraire autour
des processus d’auctorialité
17 L’approche de l’écriture comme pratique sociale accorde une
importance particulière aux gestes professionnels des écrivains
(dans cette optique, les apports de la génétique textuelle sont
essentiels) et aux conditions institutionnelles de l’écriture et de la
réécriture (prise en compte d’un lectorat et d’exigences éditoriales)
(Sève et Tauveron, 2005  ; Privat et Vinson, 2000). Les contraintes
impliquées par ce cadre doivent aider l’élève à développer
conjointement une «  attention esthétique  » (Genette, 1997) aux
textes littéraires lus en classe et aux textes des pairs, et une
«  intention artistique  », grâce, en particulier, à l’expérience
verbalisée des lectures de ces textes. Dans ce dispositif, les lectures
d’auteurs légitimés sont nombreuses et variées. Elles se font par le
jeu du contraste à l’intérieur d’une unité (générique, énonciative,
etc.)  –  en «  réseau  », dit-on, pour l’école primaire  –  afin d’orienter
l’attention des lecteurs-scripteurs vers les variables (plutôt que les
constantes) et la complexité de l’écriture, et en vue d’un
apprentissage simultané des normes et de leur subversion.
18 Les lectures des pairs, elles, se partagent à l’intérieur de la
«  communauté scolaire instituée littéraire  » (Daunay, 2007). La
circulation des écrits des élèves et des étudiants dans une
«  communauté des apprentis, sous leurs différentes instanciations
(d’écrivains, de public, de critiques, de théoriciens)  » (Halté, 1987,
cité par Daunay, 2007) a deux buts majeurs : donner les moyens aux
élèves d’expliquer leurs processus rédactionnels et de clarifier leur
projet d’auteur, et leur permettre de réorienter leurs écrits en
fonction de ce projet et des commentaires de leurs pairs. Ces
derniers ont à charge de rendre compte, de leur côté, des logiques
d’engendrement des textes et de l’actualisation du projet d’auteur
énoncé par le scripteur ou révélé par le texte (Sève, 2005  a, 2005b,
2017 ; Tauveron, 1996, 2002/2003 ; Sève et Tauveron, 2005 ; Le Goff,
2006). Ce dispositif, qui suppose une posture de collaboration de la
part des pairs et une déposition de sa posture magistrale par le
maitre (Sève, 2005a) implique, en même temps qu’il la rend possible,
une transformation des représentations que peuvent avoir les élèves
(et les enseignants) de l’écriture scolaire (conception étapiste et
normée, suivant laquelle la réussite du texte s’évalue dans son degré
d’adéquation à la consigne) (Sève, 2005a  ; Sève et Tauveron, 2005  ;
Privat et Vinson, 2000). Les modalités de ces lectures partagées sont
nombreuses : lecture et évaluation du texte confiée à la classe ou à
un groupe d’élèves, comme dans les ateliers d’écriture,
autocommentaire (Le Goff, 2006, 229), usage d’internet ou de
l’écriture collaborative (Marin et Crinon, 2017), lecture critique
préparée du texte d’un pair (Mongenot, 2013 ; Petitjean, 2013), etc.
19 Du point de vue de la construction de l’auctorialité visant au
développement de compétences d’écriture littéraire, nous
mentionnerons les modélisations très complètes de Catherine
Tauveron et Pierre Sève d’une part, de François Le Goff 21 d’autre
part. Ces travaux se fondent sur des cadres théoriques différents et
visent des publics différents (l’école primaire pour Pierre Sève et
Catherine Tauveron ; le lycée pour François Le Goff). Ainsi, par-delà
les points communs venant d’être évoqués, ils engagent des
principes didactiques et des questionnements sensiblement
différents pour faire advenir l’écriture littéraire chez les apprentis-
auteurs.
a) Le lecteur modèle, le jeu de la lecture et la fabrique de
la fiction

20 Catherine Tauveron fait le pari d’«  un transfert  » indirect de la


lecture littéraire à l’écriture littéraire (Sève et Tauveron, 2005, 17-
23), en considérant que la seconde prend appui sur la première  :
l’élève auteur est d’abord un lecteur littéraire approchant du lecteur
modèle d’Umberto Eco (Eco, 1985). Aguerri aux ruses des textes
littéraires, il devient capable, à son tour, de concevoir son texte
comme un espace de jeu tactique avec un lecteur qu’il se représente :
«  Il s’agit, en quelque sorte, que les élèves ne se contentent pas de
résoudre des problèmes d’écriture mais conçoivent des problèmes de
lecture traitables par leur destinataire » (Sève, 2005a, 31). Outre les
expériences verbalisées de lecture, la construction d’une posture
d’auteur requiert tout un travail en amont de l’écriture, prenant
appui sur la transposition, en classe, des gestes de l’écrivain. Dans ce
cadre, les apports de la critique génétique sont essentiels : traces du
travail de l’écrivain, ils servent l’élaboration d’outils didactiques. Par
exemple, la constitution régulière et variée d’avant-textes
programmatiques (croquis, scénario, notes, etc.) offre à l’élève la
possibilité de se projeter dans le texte à écrire en fonction
d’intentions et d’un souci du lecteur (Lumbroso, 2009, 2014). Dans la
même perspective, le carnet d’écrivain (Bucheton et Seweryn, 1999 ;
Sève et Tauveron, 2005) peut se révéler très efficace  : l’élève y
produit des écrits très courts à partir de consignes magistrales ou
qu’il se prescrit à lui-même, y consigne de la documentation en vue
de récits projetés ou en cours, recopie des passages de textes qui lui
ont plu et qui pourront servir de matière à sa propre écriture… Cet
outil donne la possibilité à l’élève de se construire comme sujet
autonome d’un projet esthétique. Il est également un lieu
d’expérimentation et de réflexion sur la fabrique de la fiction. C’est
là un élément essentiel.
21 Comme le remarquent Jean-Louis Dufays et Sylvie Plane, «  le
discours de fiction  » (Dufays et Plane, 2009, 21) reste un point
aveugle de la didactique de l’écriture littéraire (p. 15-18), alors même
que la construction d’un univers fictionnel apte à emporter le
lecteur implique des opérations de transformation (d’autres
imaginaires, du quotidien) et de mise en cohérence qui sont loin
d’être simples. Étant entendu que la cohérence, dans le cadre du
discours de fiction, désigne une interrelation entre un monde
fictionnel créé et régi par des règles propres, le personnage et le
genre investi (Tauveron, 2009, 141). Le carnet d’écrivain apparait
comme un moyen de faciliter la mise en place d’univers fictionnels
et l’écriture de récits littéraires de fiction  : archive d’éléments
destinés à meubler les mondes fictionnels à venir, il force aussi
l’élève – en raison de son aspect fourre-tout – à faire émerger ce qui,
dans son matériau, peut devenir la contrainte ou la matrice
génératrice d’un monde à créer 22 (un principe de retournement,
un principe linguistique, deux phrases tirées d’une lecture, un
prospectus, une liste, etc.).

b) La réécriture et le sujet scripteur

22 Dans les travaux de François Le Goff, l’auctorialité ne se construit


pas avant tout dans la projection du lecteur modèle, mais dans l’acte
de réécriture. L’enjeu de la réécriture est de rendre possible une
complexification des significations des textes produits par les élèves
et de faire émerger, conjointement, progressivement et en acte, une
« intention artistique » et un « sujet scripteur 23 ». La réécriture ne
saurait donc se réduire à un ensemble d’opérations de greffe,
déplacements, biffures ou ajouts  : elle est à comprendre à la fois
comme un projet de reformulation globale du texte  » (Bucheton et
Chabanne, 2002) et comme une nouvelle variante du texte initial (Le
Goff, 2006, 126-161). François Le Goff, qui a théorisé cette question de
la variante d’un point de vue didactique, explique que les états
successifs du texte ne sont pas envisagés dans l’optique d’un
amendement de l’écrit, mais comme autant d’essais. Ceux-ci
constituent alors l’espace-temps dans lequel peut s’élaborer
progressivement un «  vouloir-dire  », dont le scripteur prend
progressivement conscience, à la faveur de retours réflexifs (Le Goff,
2006, 128-129).
23 L’outil cardinal de ce processus d’apprentissage est la consigne
d’écriture. Elle fonctionne comme une relance qui joue sur trois
plans :
1. Sur le plan cognitif  : elle doit permettre la découverte, de manière empirique, de
caractéristiques des textes littéraires (l’écriture étant alors une manière de lire), et
permettre l’intégration de ces nouveaux savoirs littéraires dans une interaction
dynamique avec des savoirs anciens. Par exemple  : les consignes de «  réécriture
partagée » (Privat et Vinson, 2000, 229), où il s’agit d’écrire à partir de l’avant-texte peu
élaboré d’un auteur, ou les consignes de « réécriture différenciée » (Privat et Vinson,
2000, 230), impliquant d’insérer un fragment de texte écrit par l’élève dans un texte
littéraire comportant d’autres enjeux discursifs (un portrait dans une narration
romanesque par exemple).
2. Sur le plan textuel  : elle doit déstabiliser le texte initial pour engager une
reconfiguration du matériau textuel. Par exemple, les consignes portant sur les enjeux
pragmatiques ou discursifs du texte, que Jean-Marie Privat et Marie-Christine Vinson
appellent « réécriture multipliée » (Privat et Vinson, 2000, 229).
3. Sur le plan métaréflexif : elle doit rendre les scripteurs sensibles à l’interdépendance
des choix scripturaux et conscients de l’impact de ces choix. Certaines consignes de
«  réécriture partagée  », consistant à faire réécrire à différents élèves un même
fragment de texte afin d’éprouver, par comparaison, la possibilité de différentes
solutions scripturales (Privat et Vinson, 2000, 229), s’y prêtent bien.

3. Lecture/écriture
24 Un dernier aspect des recherches autour de l’écriture littéraire tend
à rapprocher  –  à confondre  ?  –  les deux activités de lecture et
d’écriture. Si la seconde implique la première, il semble que la
réciproque soit pareillement vraie : que toute lecture puisse devenir
écriture créative est une idée assez largement partagée dans les
publications de ces dernières années pour le lycée et l’université. En
effet, les tout récents travaux sur les écritures de la réception, issues
des recherches sur le sujet lecteur, affirment qu’elles sont une
manière de « faire de la littérature » :
La disponibilité créative, poétique à laquelle se prête l’écriture de la réception
fait que l’évènement de lecture peut devenir un évènement d’écriture, c’est-à-
dire une forme de témoignage d’une lecture qui accède à une reconnaissance
artistique (Fourtanier et Le Goff, 2017, 9).
25 Ces écritures de réception entrent en résonance avec la théorie des
textes possibles, qui conçoit le commentaire comme une variante du
texte considéré, et la critique comme une écriture créatrice (Escola,
2012). Avec elle, elles partagent un faisceau de références  : Yves
Citton, Pierre Bayard et Barthes et son texte scriptible. Dans le
champ de la didactique, le cadre théorique qui sous-tend cette
nouvelle orientation de l’écriture littéraire est celui des recherches
sur le sujet lecteur, dans sa conception la plus « émancipatrice 24 »,
pour reprendre les mots de Jean-Louis Dufays (2013), et sur les
«  lectures fictionnalisantes  » (Langlade, 2006), qui font de toute
lecture une réécriture potentielle du texte, et une exploration toute
personnelle de ses virtualités. Espace ouvert, le texte de référence
agit comme un avant-texte dont l’écriture littéraire déploie des
possibles  : le «  littéraire  » cesse donc d’être intouchable. Si le
développement de ces nouvelles approches de l’écriture littéraire
doit beaucoup au changement de paradigme (de la signification des
textes à leur usage) mis en évidence par Yves Citton (2007), il n’est
sans doute pas étranger non plus à l’influence de nouvelles pratiques
sociales. En particulier, les pratiques numériques, qui transforment
radicalement les rapports entre lecture et écriture, la notion
d’auteur et celle de modèle (Bouchardon, 2014  ; Houdart-Merot et
Petitjean, 2015). Cet espace mouvant du numérique, s’il offre des
perspectives de redéploiement à la didactique de l’écriture littéraire,
en est sans doute aussi, actuellement, un des lieux principaux de sa
reconfiguration.
26 Au terme de ce parcours, nous décelons quelques éléments
remarquables de cette reconfiguration à l’œuvre. Premièrement, une
préférence accordée à l’empirie dans l’approche du littéraire  : les
expériences de réception de la lecture nourrissent les essais
d’écriture, et les écritures créatrices se donnent comme autant
d’essais de lecture. Deuxièmement, à la faveur d’un rapport
renouvelé à la rhétorique « plaçant le matériau verbal au centre de
l’expérience littéraire  » (Petitjean, 2013, 59), s’observe, comme le
remarque très justement Anne-Marie Petitjean, un «  déplacement
disciplinaire vers les pratiques artistiques  » (Petitjean, 2013, 60).
Troisièmement, une place prépondérante est accordée au scripteur
littéraire et, avec lui, aux processus d’auctorialité, y compris dans les
démarches « classiques ».
27 Nous nous demandions, à l’orée de cet article, si les approches
récentes de l’écriture littéraire signalaient une stabilisation de la
notion. Sans doute, non  : les cadres théoriques qui la sous-tendent
sont trop hétérogènes. En outre, l’écriture littéraire est encore une
notion mouvante qui, en partie, évolue parallèlement aux
recherches en didactique sur le sujet lecteur. Pour autant, la
redéfintion des interactions entre lecture et écriture que les
modélisations récentes de l’écriture littéraire mettent en œuvre
permet de dépasser la dichotomie qui lui était consubstantielle
(écrire pour apprendre à lire ou apprendre à écrire ?) en faveur d’un
modèle d’enseignement cherchant à intégrer, dans un processus
dynamique et équilibré et dans une étroite interdépendance de
chacun de ses pôles, lecture littéraire, acquisition de connaissances
littéraires et démarche de création.

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Louis Dufays et Sylvie Plane (dir.), L’Écriture de fiction en classe de français (129-147), Namur :
Presses Universitaires de Namur.

NOTES
1. Nous renvoyons au titre du n° 127 du Français aujourd’hui.
2. Cette présentation ne prétend pas être exhaustive  : elle vise à mettre en évidence
quelques éléments qui nous paraissent particulièrement significatifs.
3. Pour une étude approfondie des dettes de l’écriture littéraire à la didactique de l’écriture,
nous renvoyons à la synthèse de Bertrand Daunay (2007).
4. L’ordre de ces remarques n’obéit à aucune hiérarchie, mais à une tentative d’organisation
thématico-chronologique  –  chronologie, difficile à établir toutefois, en raison de la
contemporanéité relative des débats.
5. Ces critiques ont été formulées par certains membres du groupe EVA-REV eux-mêmes.
Voir notamment Claudine Garcia-Debanc (1999) et Catherine Tauveron (1996).
6. De nombreuses revues accueillent ces débats : les n° 107-108 (2000) et n° 127-128 (2005)
de la revue Pratiques, le numéro  144  du Français aujourd’hui (2004), ou encore le
numéro 57 d’Enjeux (2003).
7. Les travaux de Claudine Fabre-Cols sur les brouillons d’élèves (1990, 2000, 2002), puis
ceux de Catherine Boré (2000, 2013) et de Claire Lacoste (2003) ont été fondateurs d’une
nouvelle approche didactique.
8. Voir, notamment, Almuth Grésillon (2000).
9. Voir, par exemple, le numéro  89  de Pratiques (Écriture et créativité, 1996) et le
numéro 127 du Français Aujourd’hui (Écritures créatives, 1999). Il faut également mentionner
les travaux d’André Petitjean à propos des ateliers d’écriture ou des pratiques de réécriture
(Petitjean 1980, 1984, 1990, 2003).
10. La France reste timide par rapport au monde anglo-saxon sur la question de la
formation des écrivains. Au demeurant, la spécificité française que dessinent les cursus
d’écriture créative mis en place à l’université est une articulation très forte de la théorie et
de la pratique. La professionnalisation, ici, concerne plutôt le domaine artistique, la
recherche, l’écriture critique ou l’enseignement de l’écriture créative.
11. Nous appelons «  textes littéraires  » les textes d’auteurs légitimés par les institutions
littéraires et scolaire (y compris donc, les textes de littérature jeunesse), à la différence des
textes d’élèves.
12. Pour une clarification de cette notion complexe, voir Brigitte Louichon (2011).
13. Pour une mise au point, nous renvoyons à Jean-Louis Dufays (2013).
14. S’il est désormais admis que le sujet didactique est un sujet complexe, doté d’une
histoire, écrivant et lisant dans un contexte scolaire et social donné qui a une incidence sur
la construction des enseignements/apprentissages, la notion fait l’objet de
conceptualisations différentes. Le «  sujet scripteur  » (Delcambre et Reuter, 2002  ;
Delcambre  2007) est pensé au croisement des approches psychologique et didactique, de
«  sujet écrivant  » (Bucheton, 2009, 2014), impliquant une dimension psycho-affective et
sociale.
15. La notion de « sujet écrivant » (Bucheton, 2009, 2014), prend en charge une dimension
psycho-affective et sociale.
16. Les contributions au numéro  157  du Français aujourd’hui intitulé Sujet lecteur, sujet
scripteur. Quels enjeux pour la didactique  ? s’efforcent de penser les liens entre ces deux
notions.
17. Nous choisissons ce terme pour différencier cette instance des notions précitées.
18. Rappelons qu’un colloque important, intitulé «  Les Interactions lecture-écriture  » y a
été consacré à Lille, en 1994. Mais la question est alors posée avec les problématiques de la
didactique de l’écriture, et non de l’écriture littéraire.
19. «  Par problème d’écriture, il faut entendre l’approche, en situation concrète de
production, de ce qui touche aux faits textuels et littéraires, et aux effets de sens qu’ils
engendrent » (Le Goff, 2006, 185). Il s’agit de sonder les modes de composition du texte.
20. À cet égard, le constat des auteures de l’article est révélateur  : «  Dès la deuxième
séquence de l’année, les élèves rédigent des textes portant les marques explicites
d’emprunts à un écrivain consacré, aisément identifiables. Celles-ci tiennent le plus
souvent, soit à la qualité d’un vocabulaire relevant d’un registre littéraire, soit à des
caractéristiques stylistiques particulières, perceptibles dans le traitement de l’aspect
narratif des textes » (Cautela et Marin, 2013, 38).
21. Sa thèse, Écriture d’invention, réécriture et enseignement de la littérature (2006), sous la
direction d’André Petitjean, a pour objet l’élaboration d’une modélisation de l’écriture
littéraire à partir, d’une part, d’une critique de l’écriture d’invention dans sa forme
institutionnelle et telle qu’elle est pratiquée en classe, et d’autre part, d’une réévaluation de
la notion de « réécriture ». Cette thèse, qui n’est pas publiée, est disponible sur les archives
ouvertes HAL. Elle a donné naissance à de très nombreux articles exposant les principes de
cette modélisation (par exemple : Le Goff, 2005, 60- 74 ; 2005, 183-208 ; 2008, 19-34).
22. La construction d’un monde fictionnel cohérent est étayée, en miroir, par les lectures
partagées : les pairs et le maitre aident « les enfants à trouver le principe unifiant de leur
monde imaginaire » (Tauveron, 2009, 144).
23. Le «  sujet scripteur  » est défini en résonance avec le sujet écrivant de Dominique
Bucheton. Cependant, chez François Le Goff, ce n’est pas la question de l’image de soi qui
prime, mais la capacité à se glisser dans différentes postures d’écriture.
24. C’est-à-dire, « où l’expression libre du sujet apparait comme une fin en soi plutôt que
comme une phase dans un processus plus global. » (Dufays, 2013).

AUTEUR
MARION MAS

Université Lyon 1 – ÉSPÉ / IHRIM, UMR 5317


Lyn Lakehal <crymlakehal@gmail.com>
L’histoire littéraire comme objet
d’enseignement : l’apport des
Rencontres des chercheurs en
didactique de la littérature
Laetitia Perret

1 La place et la fonction de l’histoire littéraire enseignée sont


facilement identifiables dans sa configuration traditionnelle, que ce
soit à travers les programmes où elle figure depuis la fin du
XIXe  siècle, les exercices qui l’accompagnent (Jey, 1998  ; Chervel,
2006) 1 , ou encore les manuels scolaires, qui permettent de rendre
compte de ses évolutions tant du point de vue du canon, des
exercices qui s’y rapportent ou des discours qui mettent en forme les
savoirs historiques (Halté & Petitjean, 1977 ; Le Fustec & Sivan, 2005).
Dans les années  1970-80, de nombreux chercheurs interrogent les
présupposés de cet enseignement (Lejeune, 1975  ; Littérature n°  7,
1972) et en proposent un renouvellement (Idt, 1977 ; Pratiques n° 38,
1983). L’enseignement de l’histoire littéraire fait alors l’objet de
publications dans des ouvrages et des revues jusqu’au début des
années  2000 (Le français aujourd’hui, 1985, 1986  ; L’école des lettres,
1994  ; Armand, 1993  ; Groupe MAFPEN Rennes, 1993 2 ; Boissinot,
1998  ; Rosier, Dupont  &  Reuter, 2000  ; Sivadier, 2002  ; Neuveut,
Milhaud & Tsimbidy, 2005).
2 Quelle place lui accordent les quinze publications 3 , faisant suite
aux dix-huit Rencontres 4 des chercheurs en didactique de la
littérature, parues entre  2000  et 2015  ? Le réseau de chercheurs en
didactique de la littérature s’est en effet initialement constitué à
partir d’une critique de l’enseignement traditionnel (Daunay, 2007).
La lecture des 435 articles montre d’ailleurs que le syntagme est lui-
même peu présent (une quinzaine d’occurrences tout au plus) et ne
figure dans aucun titre d’article. Cela ne veut pourtant pas dire que
l’histoire littéraire est absente en tant qu’objet de réflexion (nous
avons retenu  110  articles qui l’évoquent plus ou moins
explicitement). En revanche, comme nous allons le voir, certains des
contenus qui lui étaient traditionnellement associés s’autonomisent,
se reconfigurent, disparaissent, sont renommés et ses formes de
transmission, centrées sur le savoir, sont interrogées.

1. Histoire littéraire, patrimoine, classique et


culture
1.1. Une histoire littéraire rénovée

3 L’histoire littéraire traditionnelle a longtemps été le seul mode


légitime de lecture scolaire des classiques, ce qui impliquait que la
lecture littéraire n’existait qu’au lycée. Les classiques étaient eux-
mêmes cantonnés au patrimoine français. Elle a été renouvelée dans
les recherches universitaires depuis les années 1970- 1980 et s’appuie
désormais sur l’histoire culturelle, l’histoire des mentalités, la
sociologie de la littérature (Petitjean, 2014). Dans l’enseignement,
elle a aussi été «  passablement revisitée  » (2005, Brillant-
Annequin  &  Massol  : 4). Près de la moitié articles des premières
Rencontres, dans un contexte très polémique rappelé par Rouxel
(2015a 5 ) interrogent sa reconfiguration dans les programmes
français de  2001  après sa marginalisation au profit de la
communication dans ceux de  1987  (2001a, Petitjean  ; 2001a,
Boissinot ; 2001a, Viala). L’histoire littéraire prescrite n’est plus une
«  succession chronologique des auteurs  » (2001  a, Boissinot  : 63), il
s’agit désormais de «  problématiser les rapports entre texte et
contexte, en production et en réception, en référence à une histoire
littéraire et culturelle » (2001a, Petitjean ; 2001a, Boissinot 6 ).
4 Si ces interrogations existent dans le champ de la Didactique de la
littérature et des études littéraires, elles ne sont pas du même ordre.
Certes, à l’origine, les deux champs partagent une critique globale de
son impressionnisme, son dogmatisme, son absence de méthode, son
canon, ses présupposés idéologiques et ses savoirs non interrogés
(Daunay, 2007). On peut ainsi tout au long des Rencontres lire une
critique de la conception lansonienne de la littérature (2001a, 2001b,
Langlade  ; 2010b, Dumortier), qui cantonne les enseignants à une
«  littérature restreinte  » (2005, Langlade) car «  instituée (son
histoire, son panthéon, le gout pour l’érudition et les méthodes
d’analyse) » (2010b, Cordonier : 82). Mais, là où les études littéraires
interrogent l’arbitraire du découpage  chronologique en siècles, la
pertinence des notions de mouvement, d’école, de genre, d’auteur
(Béhar  &  Fayolle, 1990), la didactique interroge l’histoire littéraire
comme objet enseignable. Ainsi, les Rencontres de  2004 7 , qui
portent sur la génétique, questionnent le statut de la « trace » à tous
les niveaux d’enseignement, sans privilégier l’enseignement de
l’histoire littéraire au lycée. Les éléments qui la constituaient sont en
réalité reconfigurés, et elle devient un objet difficile à circonscrire.
1.2. Histoire littéraire : reconfiguration des contenus

5 La didactique de la littérature pense l’approche des textes à tous les


niveaux scolaires, ce qui modifie considérablement les contenus et la
transmission du patrimoine littéraire, objet des Rencontres de Cergy
de 2012 8 .
6 Un des éléments centraux de l’histoire littéraire était la figure de
l’auteur, l’instance auctoriale y étant seule garante du sens. Cette
figure a été largement contestée dans le champ littéraire
universitaire et a disparu des Rencontres. Elle est encore parfois
évoquée dans la liste des savoirs propres à l’histoire littéraire (2001b,
Dufays  ; 2005, Canvat), certains articles évoquant sa «  singularité  »
(2005, Mathis), ou le fait que l’auteur est aussi un produit d’une
expérience de lecture (2005, Langlade), mais la biographie n’est plus
considérée comme un élément permettant de construire le sens de
l’œuvre. Le seul article à l’analyser l’utilise au contraire pour
«  favoriser la déconstruction de l’effet de réel de la biographie
sérieuse, et plus généralement de l’histoire littéraire  », chez des
étudiants de master qui doivent rédiger une fausse biographie
(2006c, Biagioli).
7 Le genre littéraire, modèle de classement fondateur de l’histoire
littéraire, s’est quant à lui autonomisé. Parmi les « savoirs relatifs à
la littérature », Dufays distingue l’histoire littéraire et les savoirs sur
«  les genres […] les auteurs et les œuvres  » (2001b  : 13), qui en
relevaient dans l’histoire littéraire traditionnelle. Genres et histoire
littéraire sont désormais considérés comme deux moyens
complémentaires d’accéder au texte (2006c, 2007, Rouxel) et ils
peuvent être dissociés. Langlade (2016) et Ecœur (2015a) montrent
que le choix des œuvres par les enseignants s’explique par le fait
qu’elles exemplifient un genre ou un courant littéraire.
L’identification du genre permet en effet au lecteur, dès l’école
primaire (2007, Rouxel), d’adopter les comportements de lectures
adéquats (Maingueneau, citée par 2015a, Védrines & Ronveaux : 321),
ce qui n’est pas forcément le cas de l’histoire littéraire. Ramos Sabaté
écrit ainsi  : «  les conceptions de genre sont beaucoup plus proches
pour le lecteur en formation que ceux de l’analyse historique  »
(2007 : 258).
8 Le terme histoire littéraire est souvent glosé, voire remplacé par
ceux d’étude des mouvements, écoles, courants (2005, Langlade  ;
2001b, 2010a, Dufays ; 2015a, Dufays & Ronneau ; 2010b, Dumortier).
Canvat (2005) distingue trois catégories de savoirs  : socio-
institutionnels, formels et historiques. Cette dernière catégorie
recouvre explicitement l’histoire littéraire en  2001, en  2005  le mot
disparait au profit de «  courants, écoles, auteurs  » (30). Ce
remplacement, cette glose relèvent de l’évidence partagée,
notamment parce qu’ils sont institutionnalisés dans les programmes
francophones, et aucun article n’interroge leur pertinence, que ce
soit pour justifier ou contester cet objet. La nouvelle conception de
l’histoire littéraire est considérée comme enseignable parce qu’elle
donne les références culturelles, les repères historiques nécessaires
à la lecture des classiques dont la transmission est interrogée.

1.3. Histoire littéraire et classique

9 La didactique de la littérature redéfinit aussi le classique scolaire


(2015a, Louichon), comme le montrent notamment les Rencontres
qui portent sur les corpus (Bordeaux en 2008 9 ; Sousse en 2009 10
).
10 Outre les articles qui poursuivent la critique entamée dans les
années 1970 sur la conception lansonienne du patrimoine littéraire,
plusieurs chercheurs revendiquent l’ouverture du canon à des
corpus littéraires ignorés dans l’enseignement traditionnel, la
littérature francophone (2010a, Mazauric), la littérature
contemporaine (2005, Labouret), la littérature européenne (2005,
Sivadier). Le canon scolaire a toutefois largement évolué (2005,
Martin Christol), notamment avec l’arrivée de l’œuvre complète
(2006c, Morissette  &  Dezutter  ; 2007, Van Beveren) et de la
littérature jeunesse. Nombre d’articles en rendent compte, à partir
de l’évolution des corpus prescrits dans les sujets du baccalauréat
français (2009, de Peretti), ou des manuels (2005, Sivadier). D’autres
interrogent les choix des enseignants qui «  participent amplement
par leurs pratiques à la légitimation des œuvres et à la stabilisation
des corpus » (2010, Rouxel  : 119) et sont les premiers prescripteurs
des classiques (2007, Clermont & Lepeaux). Ces articles montrent que
les critères de choix se sont complexifiés, selon que les professeurs
se réfèrent aux valeurs transmises par les textes, à leur gout, à celui
des élèves, aux programmes (2007, Vibert  &  Olivier  ; 2007, 2010a,
Van Beveren ; 2010a, Dispy & Dumortier ; 2013, Goulet, Maisonneuve,
Dezutter & Babin).
11 Si la légitimité qu’il y a à transmettre les classiques issus de l’histoire
littéraire traditionnelle n’est jamais interrogée, leur lecture,
éloignée des lectures spontanées des élèves (2015a, Ahr  ; 2015a,
Dufays  &  Ronneau) est considérée comme problématique. Les
classiques sont en réalité redéfinis : ils sont des « textes difficiles » à
cause de leur éloignement culturel, historique, linguistique (2004,
Falardeau ; 2015a, Lemarchand-Thieurmel ; 2016, Langlade). Dans les
Rencontres, ce corpus «  difficile  » est constitué essentiellement de
textes français des XVIIe  –  Racine (2004, Falardeau  ; 2004, Brenas),
Madame de Lafayette (2016, Langlade), Boileau (2006c, Rannou),
Molière (2015b, Courbin)  ; XVIIIe  –  Beaumarchais (2006c,
Lecavalier  &  Richard), Candide (2007, Aeby Daghé)  ; XIXe  siècles  –
  Flaubert (2017, Bazile  &  Plissonneau), Balzac, Baudelaire (2015c,
Goulet). Les textes du XXe  siècle  –  Vian (2004, Falardeau), Camus
(2015c, Goulet)  –  et la littérature contemporaine sont rarement
interrogés du point de vue de leur transmission par l’histoire
littéraire, alors qu’ils sont tout aussi «  difficiles  » (2005, Labouret  ;
2007, Aeby Daghé). Mais cette difficulté ne fait pas consensus  :
certains articles s’attachent au contraire à montrer l’accessibilité du
corpus classique à l’école primaire où l’on peut étudier les écrits de
Rousseau (2006c, 2007, Camenish) ou encore l’utopie (2007,
Jacques  &  Claustre). Les textes difficiles n’ont pas tous, toujours
besoin d’être abordés par le biais de l’histoire littéraire pour être
compris des élèves (2015b, Courbin). Ainsi les mythes, parce qu’ils
«  mettent en scène les aspirations fondamentales de l’humanité  »
(2001a, Fourtanier  : 103), et sont «  au croisement de l’universel
anthropologique et de la spécificité historique (2007, Chabanne : 72),
peuvent être étudiés à tous les niveaux scolaires (2001b, 2005,
Fourtanier  ; 2004, Thibaut). En effet, le classique est devenu œuvre
patrimoniale (2015a, Houdart-Mérot ; 2015a, Louichon), il fait partie
désormais d’une «  culture de base  » (2006c, 2007,
Dezutter  &  Morissette) ou d’une culture commune (2007, Van
Beveren ; 2010a, Dufays), dont la définition est elle aussi complexe.

1.4. Histoire littéraire et culture

12 La culture humaniste était le fondement de l’enseignement


secondaire jusqu’au milieu du XXe  siècle (2001a, Houdart-Mérot).
Cette «  conception de la littérature comme mode de l’universel
humain  » (2010b, Dumortier  : 13), qui accordait une place
importante aux savoirs, notamment sur l’auteur, fait l’objet de
lectures diverses, en fonction de l’importance accordée aux savoirs
historiques. Perçue comme une «  culture passive  » fondée sur le
« cumul de connaissances » (2006c, Rouxel ; 2010b, Dumortier), elle
construit une culture lettrée reposant sur la distinction. Elle
s’oppose alors à la culture littéraire qui favorise «  une logique
associative de mise en réseau des œuvres  » (2010a,
Rouxel  &  Louichon  : 10) à tous les niveaux d’enseignement, sans
forcément historiciser les œuvres. Mais la culture humaniste a
meilleure presse lorsqu’elle est opposée à une conception formaliste,
rationaliste de l’enseignement de la littérature (2005, Mathis ; 2006c,
De Beaudrap). La question se complexifie encore avec la réapparition
du terme « culture humaniste » dans le socle commun de connaissances,
de compétences et de culture français de  2006  (2006c, de Beaudrap  ;
2016, Deronne). En fonction des programmes et des niveaux, culture
humaniste, culture littéraire peuvent donc être synonymes (2006c,
2010a, Demougin). L’histoire littéraire fait partie de ces cultures
(2006c, De Beaudrap  ; 2007, Rouxel), notamment au lycée (2010a,
Dufays). Mais la discipline histoire y participe aussi (2016, Deronne),
ce qui contribue à brouiller les pistes, les savoirs historiques qui
facilitent la lecture des classiques ne relevant pas forcément de
l’histoire littéraire. Les séquences d’enseignement en Suisse
romande analysées par (2007) Ronveaux montrent par exemple que
la contextualisation de Zola n’évoque pas le naturalisme, mais la
période industrielle, et que celle de La Fontaine n’évoque pas le
classicisme.
13 L’histoire littéraire contribue donc à la culture par l’historicisation
des textes. Mais sa reconfiguration entraine de nouvelles
dénominations, et la distinguer des savoirs issus de la discipline
« histoire » n’est pas toujours aisé. Dans les programmes québécois,
elle devient «  contexte historique et littéraire  » (2007,
Dezutter  &  Morissette), et dans les programmes français,
«  perspective historique  » (2010a, Mazauric  : 36 11 ). Dans les
Rencontres, on trouve  : «  savoirs de nature historique  » (2015c,
Goulet  : 271), «  contexte socio-historique  » (2006c,
Lecavalier & Richard), « contexte historico-culturel » (2004, Brenas :
106). Mais lorsque Burdet  &  Guillemin (2011) parlent des
«  connaissances encyclopédiques  », lorsque Demougin (2006c)
évoque les « savoirs culturels », lorsque Clermont & Lepeaux parlent
des difficultés des élèves à «  identifier les codes  —  axiologiques,
culturels ou génériques  » (2007  : 151), désignent-ils l’histoire
littéraire ? Ne désignent-ils qu’elle ?

2. Transmissions de l’histoire littéraire


2.1. Histoire littéraire, savoirs, lecture distanciée, lecture
participative

14 Interroger l’histoire littéraire suppose alors de questionner la place


et les finalités (linguistiques, culturelles, esthétiques…) que les
Rencontres accordent aux savoirs dans la culture littéraire et la
lecture littéraire 12 . Cette dernière, qui se caractérise par un
nouveau rapport au texte littéraire, centré sur le sujet lecteur et
l’activité interprétative (Louichon, 2011 13 ), est souvent considérée
comme radicalement différente d’une lecture centrée sur le savoir :
« la lecture subjective se distingue nettement d’autres modalités de
lecture scolaire  —  qui conservent par ailleurs toute leur
légitimité  —  notamment la lecture analytique aux forts ancrages
linguistiques et sémiotiques et l’approche anthologique qui relève
davantage de l’histoire littéraire » (2007, Lacelle & Langlade : 62).
15 Étudier l’histoire littéraire dans les Rencontres permet aussi de
mettre au jour le questionnement toujours d’actualité sur un
continuum non hiérarchisant entre lecture participative et lecture
distanciée (2016, Daunay & Dufays), sur la construction de la distance
dans la lecture littéraire.
16 Dufays propose une progression de la lecture distanciée qui serait
surtout interprétative et favorisée par la lecture de corpus résistants
dès l’école maternelle, et qui deviendrait lecture savante au lycée où
se pratiquerait «  la découverte des grands courants littéraires sans
pour autant perdre le gout de la pratique des lectures
participatives  » (2010a, Dufays  : 19). La lecture participative
porterait alors sur « des lectures libres, non limitées au patrimoine »
(ibid.), ce qui confirme la difficulté à donner le gout des classiques
par le biais de l’histoire littéraire.
17 Investissement du sujet et construction de savoirs pour se repérer
dans le champ littéraire sont en effet considérés comme deux
finalités importantes, mais ils s’élaboreraient selon des pratiques
difficilement conciliables  : «  Un des enjeux de la lecture des textes
littéraires tient à la construction conjointe, mais sur des plans
radicalement différents, d’un sujet d’expérience et d’un objet de
savoir […]. Comment allier alors construction identitaire et
construction des savoirs, savoirs culturels, savoirs langagiers,
sachant que ces constructions ne se valent pas et que ces savoirs ne
sont pas de même nature ? » (2006c, Demougin).
18 La difficile articulation entre les deux modes de lecture interroge en
réalité toutes les configurations disciplinaires centrées sur le savoir.
Nombre d’articles renvoient dos à dos savoir historique (l’histoire
littéraire héritée de Lanson) et savoirs «  formalistes  » (issus de la
linguistique 14 ), car ils ne permettent pas l’expression du sujet
(2001a, 2001b, 2005, Langlade  ; 2010b, Dumortier) alors qu’ils sont
issus de théories opposées, les savoirs formels étant considérés, dans
les années  1970-80, comme comblant le défaut de méthode de
l’histoire littéraire traditionnelle (Daunay, 2007).
19 Les savoirs de l’histoire littéraire ne sont pas considérés comme des
outils permettant d’accéder à l’œuvre. D’une part, leur maitrise
nécessite du temps (2010b, Ouellet  ; 2015c, Florey  &  Cordonier) et
entre en conflit avec l’expression immédiate du ressenti. D’autre
part, les savoirs historiques «  externalise [nt] la lecture  » et sont
difficiles à articuler avec « tout ce qui arrime cette même lecture à la
subjectivité du lecteur  » (2006c, Demougin). Enfin, les savoirs de
l’histoire littéraire sont déclaratifs, et cette «  forte présence des
contenus connexes à l’œuvre, à savoir des connaissances historiques,
sociologiques et biographiques […], donne au texte littéraire l’aspect
de document témoignant de ce dont parle le contexte présenté  »
(2010b, Ouellet : 161). Les œuvres deviennent « autant de documents
sur les mouvements, les courants, les écoles  » (2010b, Dumortier  :
15). Ces «  apports culturels annexes  » (2001b, Fourtanier  : 101)
transmettent donc « des connaissances sur la littérature considérées
pour elles-mêmes  » (2001b, Langlade  : 59). Ils transforment la
littérature, la culture en vecteur de savoir, empêchant la
construction d’un jugement esthétique (2006c, Fourtanier,
Langlade  &  Mazauric), l’appréhension subjective des œuvres, la
culture littéraire (2007, Rouxel).

2.2. Histoire littéraire et transmission traditionnelle

20 Si les savoirs de l’histoire littéraire sont disqualifiés, c’est qu’ils


relèvent d’une configuration disciplinaire considérée comme
dépassée, voire passéiste, mais paradoxalement toujours
institutionnalisée dans les exercices et les pratiques.
21 Les exercices prescrits qui incluent des éléments d’histoire littéraire
ne permettent pas aux élèves de se saisir des textes, ils les
contraignent à un travail d’exégèse ignorant «  le travail de nature
ontologique et épistémique  » de la littérature (2015c, Goulet  : 272).
La dissertation (2001a, Viala), de moins en moins choisie par les
candidats du baccalauréat et le commentaire cantonnent l’écriture à
son versant métatextuel. Ils n’accordent pas assez de place à
l’écriture subjective (2007, Rouxel). L’écriture d’invention, conçue
pour générer un autre rapport au savoir que le commentaire (2001b,
Petitjean), relève en fait d’une sédimentation des genres
scolaires  —  notamment de la dissertation  —  plus que de leur
renouvellement (2004, Daunay), ce qui nuit à l’expression subjective
(2004, Rouxel). La lecture méthodique, trop formaliste (2001a,
Langlade), et la lecture analytique n’arrivent pas non plus à articuler
interprétation, contextualisation des textes et connaissance des
œuvres et des genres (2006c, de Beaudrap).
22 L’institution place aussi l’enseignant en seul détenteur du savoir
(2001a, b, Chanfrault-Duchet). Les entretiens menés avec des
enseignants, expérimentés ou débutants, les extraits de mémoires
(2001b, Chanfrault-Duchet  ; 2006c, Poyet  ; 2010b, Ouellet  ; 2016,
Langlade) montrent que cette centration sur le savoir génère des
activités dirigistes, mécaniques, standardisées. L’enseignant se
contente de gloser la critique académique, oublie l’intrigue de
l’œuvre au profit de la transmission d’un savoir sur une période
littéraire (2016, Langlade). Cette pratique de l’histoire littéraire au
nom d’une tradition non interrogée « ne constitue pas une entrée en
littérature, mais une sorte de rituel sans finalité  » (2010b, Ouellet  :
160). La transmission traditionnelle est elle aussi remise en question,
l’apport de connaissances en amont de la lecture n’accompagnant
pas suffisamment la compréhension (2014, Waszak  &  Dufays).
Plusieurs articles récusent ainsi le cours magistral préliminaire
portant sur les savoirs, que ce positionnement relève des chercheurs
(2001b, Fourtanier ; 2006c, Lecavalier & Richard) ou des enseignants
(2017, Bazile & Plissonneau).
23 L’histoire littéraire met donc les élèves en difficulté. Ce genre
d’activité scolaire «  témoigne de l’ancrage de l’œuvre dans des
contextes de réception passés et actuels dont les élèves doivent
percevoir les effets sur leurs prises de parole pour y répondre en
fonction de normes souvent peu explicites, mais omniprésentes  »
(2007, Aby Daghé  : 398). Dès lors, ils sont peu motivés par cette
approche (2010, Ouellet), dont ils ne perçoivent pas les enjeux (2016,
Langlade).

2.3. Histoire littéraire et nouvelles modalités de


transmission

24 Pour que les savoirs deviennent des ressources mobilisables,


plusieurs types de dispositifs sont proposés afin d’aborder les textes
«  difficiles  », dispositifs qui peuvent se combiner. Certains
interrogent le moment où le savoir est apporté  : les réponses sont
assez diverses, privilégiant des apports en amont (2004, Falardeau)
ou tout au long de la lecture (2014, Dufays  &  Waszak). D’autres
interrogent le type d’accompagnement  : lecture de romans
biographiques (2015b, Cuin), recours à la multimodalité (2015b,
Cuin ; 2013, 2016, Langlade).
25 Enfin, d’autres décrivent des «  expériences socialisées de lecture  »
(2001b, Langlade : 59) par l’oralité ou l’écriture subjective. Les textes
«  difficiles  » sont alors abordés par le biais de débats (2007,
Camenish), de cercles de lecture (2011, Burdet  &  Guillemin),
d’écritures de réception (objet des Rencontres de 2015) sous la forme
de carnets ou de journaux de lecture (2015c, Goulet), d’écrits créatifs
(2009, Jacques  &  Claustre), d’écrits actualisants (2014,
Dufays  &  Waszak  ; 2017, Bazile  &  Plissonneau). Ces dispositifs
permettent d’aborder l’histoire littéraire à l’école primaire (2006c,
2009, Delahaye). Elle est alors « en construction » (2009, Delahaye :
14) et dépouillée de toute «  pseudo érudition  » (2009,
Jacques  &  Claustre  : 315), dans une pratique très éloignée de
l’histoire littéraire traditionnelle. Les élèves échangent au fil du
texte, au gré des «  détours  » (2006c, Delahaye), et repèrent «  des
ressemblances, des régularités dans l’œuvre […] pour être en mesure
de percer la singularité de l’auteur ».
26 L’analyse de certains de ces dispositifs révèle une hiérarchisation
entre lecture savante et lecture subjective. Ce qui compte, en réalité,
est que l’élève a effectivement lu une œuvre difficile, qu’il s’est
impliqué dans l’exercice demandé, que ce soit une écriture
d’invention sur Bajazet (2004, Brenas), un diaporama sur Tartuffe
(2015b, Cuin), la découverte du théâtre jeunesse en IUFM (2007,
Dardaillon), le carnet de lecture en lycée professionnel (2015,
Lemarchand-Thieurmel). Si le dispositif de Goulet (2015c) comporte
une approche métatextuelle des œuvres (Les fleurs du mal, La peste, La
peau de chagrin), son analyse porte surtout sur les écrits subjectifs
(carnets et journaux de lecture). Les écrits métatextuels sont eux
jugés comme satisfaisants, selon deux critères qui montrent leur
difficile articulation avec le sujet lecteur : absence de subjectivité et
de contresens.
27 Les articles qui s’intéressent de plus près au réinvestissement des
savoirs scolaires dans ces dispositifs montrent que leur acquisition
demeure incertaine. Ils sont peu présents dans des copies d’écriture
d’invention (2006c, Denizot), dans des dispositifs proposant
différentes consignes pour étudier l’Art Poétique de Boileau (2006,
Rannou), ou lors d’une démarche de guidage par groupes sur Le
Barbier de Séville (2006c, Lecavalier  &  Richard). Dans ces deux
derniers cas, les savoirs sur l’histoire littéraire, pourtant au cœur de
la séquence, sont difficiles à articuler, voire sont absents des écrits
des élèves. Dans la classe québécoise, « pour interpréter l’extrait, les
étudiants ne voyaient pas la pertinence des notes de cours et de
l’appareil critique de l’œuvre littéraire  » (2006c,
Lecavalier  &  Richard). Dans une classe de lycée professionnel
français, où les élèves n’ont produit aucun écrit métatextuel et
uniquement des écrits de réception portant sur la lecture
actualisante de Madame Bovary, «  les prises de parole témoignent
davantage d’une connaissance précise du roman que d’une forme de
distanciation consciente du détour par le passé effectué  » (2017,
Bazile  &  Plissonneau  : 136), les élèves faisant référence
indifféremment au roman ou au film Gemma Bovery dans la
construction de leur savoir. La lecture actualisante, loin de rénover
l’histoire littéraire, en interrogeant le passé à partir du présent
(2007, Rouxel) s’avère alors être «  une négation de l’historicité des
textes et donc de leur distance par rapport à nous  » (2016, Adam  :
237).
28 La transmission de l’histoire littéraire amène aussi à interroger les
postures enseignantes. De Beaudrap (2006c) compare trois enquêtes
menées à dix ans d’intervalle auprès d’enseignants de lettres du
second degré  : «  les éléments d’histoire littéraire permettant la
contextualisation des œuvres obtiennent des scores faibles, voire
très faibles, dans les deux dernières enquêtes  ». Elle émet alors
l’hypothèse que les enseignants refusent la posture de détenteur du
savoir et préfèrent celle d’animateur. Cette « rencontre conflictuelle
entre lecture littéraire et lecture culturelle » (2006c, Poyet) les place
en effet en position d’«  insécurité interprétative  » (2001b,
Chanfrault-Duchet : 79).

2.4. L’histoire littéraire, un savoir pour la recherche et la


formation des enseignants
29 Finalement, l’histoire littéraire semble avant tout utile dans la
formation des enseignants, qui doivent la maitriser pour
sélectionner les savoirs à transmettre aux élèves (2001a, Dufays  ;
2001b, Fourtanier), mais aussi pour comprendre que « les œuvres et
les modalités d’écriture ne sont pas atemporelles […]. Se priver de
cette perspective historique, c’est se condamner à ne pouvoir lire
que ce qui se répète dans les modèles dominants, sans en
comprendre la relativité » (2001a, Canvat : 152). L’histoire littéraire
permet donc d’interroger les textes donnés à lire aux élèves, dont les
valeurs ne sont pas atemporelles, mais situées historiquement – par
exemple les contes de Grimm (2015a, Tauveron), ou la Prière à Dieu de
Voltaire (2009, de Beaudrap).
30 Le savoir de l’histoire littéraire serait donc devenu un savoir pour la
recherche et la formation. Dufays (2001b) la mentionne comme objet
de recherche potentiel dans ce champ en émergence en  2001.
Certains articles intègrent des éléments d’histoire littéraire pour
poser leur objet, sans forcément considérer que cette perspective
historique soit enseignable aux élèves. Dans les Rencontres
de 2005 sur l’oral, on ne trouve aucun article sur son enseignement,
mais de nombreux articles dressent une rapide histoire littéraire de
la place de l’oral dans la bible (2006b, de Beaudrap), chez Maupassant
(2006b, Pellat  &  Schnedecker), dans les textes antiques (2006b,
Bouquet). Le procédé est fréquent et concerne aussi la nouvelle
(2004, Ferrando) ou la chanson (2015b, Le Meur).
31 Le recours à l’histoire littéraire peut aussi être l’occasion d’analyser
l’ancienne configuration disciplinaire et de dépasser une approche
fondée uniquement sur son rejet. (2007, Daunay). Viala écrivait dans
les Rencontres de  2000  que «  l’enseignement de la littérature a
besoin de connaitre sa propre histoire  » (54), l’histoire de
l’enseignement de la littérature étant une partie de l’histoire
littéraire. Certaines études observent l’évolution de l’histoire
littéraire depuis son instauration sous la Troisième République
(2001a, Jey) afin d’éclairer les choix présents, et les pratiques
actuelles, que ce soit en étudiant l’évolution des exercices (2001a,
Viala  ; 2001a, Houdart-Mérot  ; 2004  Bouquet  ; 2004, Daunay  ; 2004,
Dufays &  Kervyn), de la lecture d’œuvres intégrales (2014,
Dufays  &  Waszak), le choix du canon (2001a, Jey), son rôle dans
l’évolution du corpus patrimonial scolaire (2001a, de Peretti  ; 2005,
Martin-Christol  ; 2015a, Jacquet-Francillon  ; 2015a, 2016, Denizot  ;
2015a, Canvat  &  Canvat  ; 2015a, Lopez), ou encore l’évolution de
l’enseignement du théâtre (2005, Bernanoce) ou de l’oral (2006b,
Vibert).
32 L’histoire littéraire, bien que rénovée, est perçue comme un objet
qui réifie l’enseignement de la littérature et rend les classiques
encore moins accessibles. La forme de lecture qu’elle induit et qui fut
la plus partagée est désormais interrogée et parfois disqualifiée,
comme le sont toutes celles qui privilégient la transmission d’un
savoir perçu comme déclaratif. Cela rend son analyse difficile, sa
transmission problématique. La question que posait Dufays dans le
bilan des journées de  2006  : «  n’y a-t-il pas aujourd’hui une perte
d’intérêt accordé à l’enjeu historique ? » semble encore d’actualité.
En effet, désormais l’investissement des élèves dans la lecture des
œuvres, notamment des classiques, est prioritaire. Cet
investissement passe par l’expression de la subjectivité, considérée
comme difficilement compatible avec l’acquisition des savoirs de
l’histoire littéraire comme des savoirs formels. Si la hiérarchisation
des formes de lecture caractérise les différentes théories de la
lecture littéraire (Daunay, 1999), l’étude de la place de l’histoire
littéraire dans les rencontres montre l’évolution de cette hiérarchie :
elle a été destituée au profit des théories du texte, toutes deux étant
ensuite disqualifiées par les théories du lecteur.

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lieu des rencontres sont entre crochets à la
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2001b
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[2001, Namur]
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FOURTANIER, M.-J. « Lires des œuvres illisibles, l’exemple des Juifves de Garnier ».
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de la mondialisation ? »

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Namur : PUN. [2014, Sherbrooke]
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Volume II : Affects et temporalités. Diptyque n° 34. Namur : PUN. [2015, Toulouse]
BAZILE, S. & PLISSONNEAU, G. « Pour un inventaire raisonné de quelques écritures de la
réception : lire Madame Bovary au lycée professionnel, entre actualisation et
contextualisation ».

NOTES
1. Cet article utilise un double système de références. Les articles issus des Rencontres sont
référencés de la manière suivante  : date + auteur, ceux issus de de la bibliographie
principale : auteur + date.
2. Groupe de recherche formation à l’Université Rennes 2, animé par Michèle Touret.
3. Les Rencontres de Rabat (2011) Former à enseigner les littératures du primaire à l’Université :
enjeux, pratiques et évaluation sont des communications orales sans actes. Celles Lyon (2016)
Enseigner la littérature en dialogue avec les arts et de Caen (2017) Littérature de l’altérité, altérités
de la littérature sont en cours de publication.
4. Lorsqu’il y a eu à la fois publication en ligne et publication papier, c’est cette dernière qui
a été privilégiée (Genève, 2010). Les références aux articles des rencontres de 2006 ne sont
pas paginées car elles sont parues en cdrom.
5. Lorsque plusieurs actes des Rencontres ont été publiés la même année, ils sont distingués
de la façon suivante : date a, date b, date c.
6. P. Demougin, (2001a) rappelle que le collège «  donne des repères d’histoire littéraire  »
(81) mais privilégie surtout la maitrise de la langue.
7. Le corpus des Rencontres est organisé par dates de publications, la date et le lieu des
Rencontres sont entre crochets à la suite des références des ouvrages. Les rencontres
de 2004 ont été publiées en 2006a.
8. Les Rencontres de 2012 ont été publiées en 2013 et 2015a.
9. Les Rencontres de 2008 ont été publiées en 2009 et 2010a.
10. Les Rencontres de 2009 ont été publiées en 2010b.
11. Le terme «  contexte  » est extrêmement polysémique et par exemple utilisé pour
désigner le lieu où se déroulent les activités de lecture (2015c, Dezutter & Dufays) ou bien le
«  rapprochement de situations d’apprentissage avec des situations de mobilisations
authentiques » (2007, Clauw & Thyrion).
12. Pour une synthèse sur la question des savoirs en didactique, voir Nathalie Denizot
(2018). Elle rappelle que «  la question des savoirs [...] a fait l’objet de nombreux travaux
mais également d’imprécisions et d’incompréhensions » (45).
13. Elle s’appuie notamment sur les contributions des deux Rencontres de 2008 et 2010.
14. Déterminer ce que sont ces savoirs formalistes nécessiterait un travail à part entière, la
formule incluant les approches issues du structuralisme, de la narratologie, de la
linguistique textuelle, etc… voir Daunay, 2007.

AUTEUR
LAETITIA PERRET
Université de Poitiers – ÉSPÉ / Laboratoire FORELLIS B2
Lyn Lakehal <crymlakehal@gmail.com>
L’interprétation : un concept
stabilisé ? à stabiliser ?
Sylviane Ahr

1 En introduction aux Actes du colloque Interpréter et transmettre la


littérature aujourd’hui, Max Butlen et Violaine Houdart-Merot font
remarquer que « l’interprétation est une notion polymorphe, qui, si
elle est souvent convoquée, est rarement définie clairement » (2009 :
15). Or, un certain nombre de travaux menés depuis une vingtaine
d’années dans le champ de la didactique de la littérature, en lien
avec ceux réalisés dans d’autres champs des sciences humaines et
sociales, s’efforcent de circonscrire plus précisément cette notion
aux «  acceptions multiples, voire contradictoires  » (Butlen, 2010  :
51), et pourtant omniprésente dans les programmes de français
comme dans les manuels, les discours et les pratiques des
enseignants. Ces travaux de recherche ont-ils permis de lever ce
«  flou conceptuel  » (Falardeau, 2003  : 673), signe de conceptions
différentes, voire divergentes, de la littérature et de son
enseignement, en particulier scolaire ?
2 Afin d’apporter quelques éléments de réponse à cette question,
l’interprétation est envisagée ici comme un concept dans la mesure où
l’on considère qu’interroger «  les conditions qui permettent de
passer de la notion au concept  » constitue «  un moyen heuristique
pour identifier la stabilité des définitions comme des usages des
objets en jeu en didactique du français  » (Daunay, Reuter,
Schneuwly, 2011  : 16). En outre, on admet avec Cora Cohen-Azria
qu’un concept « n’est jamais défini de façon isolée, [qu’il] s’enracine
dans un réseau complexe dans lequel il est lié de façon variée à
d’autres concepts  » (2007  : 37). Effectivement, si le concept
d’interprétation prend sa source dans le domaine théologique, il
s’est développé au cours des siècles dans divers champs relevant des
sciences humaines, en lien avec le concept de compréhension, et,
plus récemment, dans celui de la didactique de la littérature, en lien
avec ceux de lecture littéraire, de sujet lecteur, de texte du lecteur.
3 Après avoir mesuré la stabilité définitionnelle et donc conceptuelle
de l’interprétation dans le champ scolaire en France (à la fin de
l’école élémentaire et dans le secondaire), en croisant discours
professoraux et discours institutionnels cadrant à ce jour
l’enseignement de la littérature et de sa lecture, on interrogera
l’adéquation entre ce concept scolaire 1 , ainsi plus ou moins défini,
et les théories récentes en matière de lecture de la littérature.

1. L’interprétation : un concept scolaire ?


4 Selon Cora Cohen-Azria, «  la construction conceptuelle à l’école
nécessite un premier travail sur les définitions avant [d’être mises]
en lien avec des situations  » (2007  : 37). Ce «  premier travail  »
concerne certes les élèves, mais aussi, en tout premier lieu,
l’enseignant dans la mesure où la définition qu’il attribue à tel ou tel
concept détermine les choix didactiques qu’il opère ensuite. Ce
travail définitionnel et, de fait, conceptuel prend généralement
appui sur les textes officiels qui cadrent l’enseignement d’une
discipline à un moment T. Il est donc proposé tout d’abord
d’examiner les définitions de l’interprétation (en lien avec la
compréhension) que proposent quelques professeurs de français et
ensuite de mettre en regard ces définitions avec celle(s) que l’on
trouve aujourd’hui dans les discours institutionnels.

1.1. L’interprétation dans les discours professoraux

5 Dans le cadre d’une recherche portant sur les pratiques effectives


des approches de la lecture analytique dans le secondaire en France
et en Belgique, un certain nombre de professeurs de collège et de
lycée, ayant entre cinq et vingt années d’expérience d’enseignement,
ont été interrogés entre  2015  et  2017  sur ce qu’ils entendent par
«  comprendre  » et «  interpréter  » un texte littéraire. L’analyse de
quatorze entretiens semi-directifs (neuf menés auprès d’enseignants
exerçant au collège, cinq au lycée) met au jour la difficulté, pour la
majorité d’entre eux, d’expliciter clairement ces deux processus. Les
deux tiers des réponses à la question «  Que signifie, pour vous,
interpréter un texte littéraire  ?  » sont hésitantes, comme en
témoignent les extraits des transcriptions suivants :
peut-être essayer de (silence) / dans l’interprétation / pouvoir peut-être //
et interpréter / euh / (soupir) / de le / de / je sais pas / donner un sens / ça serait ? //
c’est vrai qu’avec ce mot j’ai toujours eu un peu de mal / l’interprétation / donner un
sens/ oui //
(après une explication confuse) bon c’est ce qui me vient à l’esprit /
je sais pas comment expliquer ça / c’est difficile à expliquer //
c’est dur comme question //
6 De plus, les définitions sont sommaires et parfois confuses. Certes le
caractère très modeste de l’enquête ne permet pas de généraliser les
résultats obtenus, on relève cependant deux tendances. Moins d’un
tiers des sondés met l’accent sur la polysémie des textes littéraires
et, de fait, sur la nécessité d’accepter, dans le respect des droits du
texte, une pluralité d’interprétations, qui requièrent la négociation
afin d’être validées. L’un d’eux précise : « à partir du moment où il y
a confrontation / c’est que justement il y a interprétation ». Un autre
envisage l’interprétation comme un processus qui concilie réflexion
sur le texte et réflexion sur soi :
l’interprétation / c’est les mener à un double exercice / qui est d’abord de
comprendre les enjeux du texte / toutes les portées que peut avoir le texte /
humaines philosophiques historiques / et en même temps à voir dans quelle
mesure le texte les interroge eux-mêmes / ce que ça leur apporte à eux / j’aime
bien les entendre débattre en disant j’ai pas compris la même chose que toi et
pouvoir leur dire / mais c’est pas grave parce que ça nous parle et nous interroge
différemment //
7 Selon un autre professeur, pour lequel la compréhension renvoie au
«  sens possible et attendu de la lecture  », interpréter un texte
littéraire, c’est « comment eux le comprennent, le mettent en regard
avec leur propre lecture du monde  ». Le concept scolaire
d’interprétation prend appui ici, implicitement, sur les théories
récentes en matière de lecture de la littérature, comme on le verra
plus loin.
8 En revanche, la majorité des enseignants interrogés associe travail
d’interprétation et travail d’analyse. Il s’agit d’«  identifier un
phénomène  » et de trouver «  ce que ça symbolise (une couleur
répétée dans le texte volontairement par l’auteur par exemple) », de
« décrypter en fait tout ce qui est de l’ordre de l’implicite », de « dire
autre chose que le texte / dire plus que ce que le texte dit
finalement  ». Interpréter, c’est réaliser «  un commentaire du texte
en s’appuyant à la fois sur un relevé / mettre des mots sur ce que
l’on a compris sans oublier comment l’auteur les a formulées » ; c’est
« arriver à dégager des formulations des phrases et comment le texte
est construit / à dégager du sens un peu plus profond que ce que l’on
va avoir à la première lecture  », «  le sens second  » du texte  ; c’est
aussi :
quand on va s’appuyer sur un travail plus précis / […] c’est le travail du
scientifique / le biologiste ou le chirurgien aura son scalpel / eh ben nous on
aura le vocabulaire technique d’analyse, le métalangage / […] on se récupère une
métaphore / on va l’analyser / et puis qu’est-ce qu’on peut en faire de tout ça ?
// en fait ça va être pour les sortir de la paraphrase //
9 Et un professeur précise :
la différence entre comprendre et interpréter / c’est ce passage qu’on va faire à
utiliser la matière du texte pour en dégager le sens / l’interprétation / alors que
la compréhension ça va être / voilà / la lecture elle-même //
10 Interpréter revient à travailler sur l’implicite du texte ; comprendre,
sur l’explicite, raison pour laquelle il y aurait un ordre de priorité à
respecter, comme le soulignent les propos rapportés ci-dessous :
la compréhension / la compréhension du texte et puis après / pourquoi pas / si on est
un petit peu ambitieux / une / une interprétation du texte //
comprendre / ce serait peut-être se rattacher au qui que quoi où / enfin qui quand où
comment / et après interpréter pour moi ce serait peut-être être capable de mettre de
l’implicite / aller plus loin / être capable d’aller dans l’implicite //
pour moi / ça va dans cet ordre-là déjà / lire comprendre interpréter //
comprendre et interpréter euh / et / y a la distinction entre le / le sens littéral en fait /
et le sens construit / symbolique //
11 Et certains enseignants estiment que l’on ne peut guère demander
aux élèves d’interpréter un texte dans les premières années du
collège. Un seul des professeurs interrogés affirme avec conviction
qu’au sein du couple « compréhension/ interprétation », « c’est pas
l’un ou l’autre / c’est les deux en même temps  ». Cette pluralité
définitionnelle et conceptuelle que ces quelques discours
professoraux révèlent conduit à se demander si l’interprétation fait
l’objet d’un consensus conceptuel dans les discours institutionnels
cadrant, aujourd’hui en France, l’enseignement de la littérature et de
sa lecture en fin d’école élémentaire et dans les classes du
secondaire.

1.2. L’interprétation dans les discours institutionnels

12 L’une des compétences de lecture à travailler au cycle  3 2 est


«  comprendre un texte littéraire et l’interpréter  » et il est précisé
que «  les activités de lecture mêlent de manière indissociable
compréhension et interprétation  » (MENESR, 2015  : 106-109).
L’interprétation apparait comme une des procédures pouvant
conduire à la compréhension d’un texte et elle est liée à des activités
de lecture qui reposent sur une conception anthropologique de la
littérature et de sa lecture 3 :
Les activités de lecture […] supposent à la fois une appropriation subjective des
œuvres et des textes lus, une verbalisation de ses expériences de lecteur et un
partage collectif des lectures pour faire la part des interprétations que les textes
autorisent et de celles qui sont propres au lecteur. (Ibid. : 109)
13 C’est sur cette même conception de la littérature et de sa lecture que
reposent les programmes du cycle  4, à la condition d’en faire une
lecture informée. En effet, «  élaborer une interprétation de textes
littéraires  » revient à «  formuler des impressions de lecture,
percevoir un effet esthétique et en analyser les sources, situer une
œuvre dans son contexte pour éclairer ou enrichir sa lecture et
établir des relations entre des œuvres » (Ibid. : 237). Cependant, il est
crucial de respecter l’ordre selon lequel ces diverses « compétences »
sont listées, ce que les Instructions ne soulignent guère : interpréter
un texte littéraire, c’est tout d’abord se positionner comme un
lecteur singulier (un sujet lecteur, à la condition de ne pas réduire la
subjectivité aux réactions psycho-affectives) puis être capable de
percevoir et de verbaliser les effets que la lecture du texte produit
sur soi pour en analyser ensuite les sources possibles dans le texte en
convoquant quelques «  notions d’analyse littéraire [et] procédés
stylistiques  » (Idem). Cette «  lecture actualisante  » (Citton, 2007  ;
Recherches et Travaux, 91, 2017) peut enfin être « éclair [ée] ou enrichi
[e] » par la contextualisation du texte et/ou sa mise en relation avec
d’autres œuvres littéraires et artistiques (MENESR, 2015  : 237). Les
activités favorisant ce processus qui va de la réception par le lecteur
réel au(x) procédé(s) à la source de cette réception singulière (et
non, conformément à la tradition scolaire, du procédé à l’effet
programmé par le texte) sont, entre autres, la «  formulation de
jugements de gout, révisables lors de la confrontation avec les pairs
ou le professeur » et la « confrontation d’interprétations divergentes
[justifiées] à partir d’éléments du texte » (Idem).
14 Certes, on est assez proche ici des orientations prises par les
programmes du lycée professionnel, qui demandent aux professeurs
d’accueillir en classe « les réactions des élèves pour construire avec
eux, par confrontation, des cheminements interprétatifs  » (MEN,
2009 : 3) ; et, peut-être aussi, de celles retenues dans les programmes
du lycée général et technologique qui précisent :
La lecture analytique vise la construction progressive et précise de la
signification d’un texte, quelle qu’en soit l’ampleur  ; elle consiste donc en un
travail d’interprétation que le professeur conduit avec ses élèves, à partir de
leurs réactions et de leurs propositions. (MEN, 2010)
15 Cependant, le concept d’interprétation est-il, dans ces deux derniers
cas, clairement défini  ? En outre, les enseignants sont en droit de
s’interroger sur ce qu’il y a lieu d’entendre par «  réactions  », par
« propositions » des élèves, par « signification d’un texte », ainsi que
sur la démarche consistant à conduire le « travail d’interprétation »
à partir des lectures que les élèves réalisent.
16 Par ailleurs, on relève dans d’autres discours institutionnels récents
des définitions variables de l’interprétation. Par exemple, dans l’une
des ressources qui accompagnent les programmes du cycle  3,
consacrée au « débat interprétatif 4 », l’interprétation renvoie aux
« points d’incertitude du texte », à la « part importante d’implicite »,
à la «  part d’indétermination ou d’ambiguïté  » qui caractérisent
certains textes littéraires et qui « demandent au lecteur de faire des
choix d’interprétation pour comprendre  », l’interprétation
consistant dans certains cas « à faire des hypothèses pour donner du
sens à ce qu’il [le lecteur en formation] lit. » Et il est précisé qu’il est
possible aussi de « parler d’interprétation lorsqu’il s’agit d’aller au-
delà du texte et d’en rechercher des significations secondes  ». Une
autre ressource concernant «  le débat littéraire interprétatif 5 »
rappelle que «  la lecture littéraire  » est à concevoir «  comme une
expérience interprétative où se croisent des lectures “psycho-
affectives, émotives, projectives, mais aussi réalistes, symboliques,
critiques, appréciatives” ». Autant de modalités, de « situations » de
lecture qui tendent à définir le concept scolaire d’interprétation.
Cette pluralité est-elle cependant susceptible d’éclairer les
enseignants sur ce qu’ils doivent entendre par «  interprétation  »
d’un texte littéraire, de les aider à donner du sens au concept
scolaire sur lequel leur enseignement de la lecture de la littérature
repose  ? Comment concilier, par exemple, une lecture «  psycho-
affective » et une lecture « symbolique » ? une lecture « émotive » et
une lecture « critique » ?
17 Les travaux de recherche menés au cours des toutes dernières
décennies sur ce couple inséparable et complexe que sont la
compréhension et l’interprétation, sur la lecture littéraire, sur le
sujet lecteur et le texte du lecteur semblent avoir atteint, d’une
façon plus ou moins marquée selon les niveaux d’enseignement, la
sphère institutionnelle, du moins en France. Un concept scolaire ne
peut pas effectivement se construire indépendamment du concept
scientifique auquel il est étroitement associé, d’une part, des autres
concepts auxquels il est lié, d’autre part. Mais il revient à la
formation de rendre accessible aux enseignants les concepts que la
recherche construit et que l’Institution relaie et parfois reconstruit,
explicitement ou implicitement, même si, comme on va le voir dans
la seconde partie, l’élaboration de ces concepts scientifiques peut
donner lieu à des divergences d’ordre épistémologique.
2. L’interpétation : un concept scientifique ?
18 S’intéresser (très rapidement) à la genèse et aux évolutions du
concept d’interprétation, en particulier dans le champ des sciences
humaines, permet d’expliquer l’instabilité définitionnelle qui le
caractérise encore aujourd’hui dans le champ de la didactique de la
littérature.

2.1. L’herméneutique comme art et pratique de


l’interprétation

19 Le dictionnaire du littéraire ne définit pas directement le terme


«  interprétation  », il renvoie le lecteur à la rubrique
«  herméneutique  ». Dans leur article, Alain Boissinot et Pierre
Popovic précisent ainsi que «  l’herméneutique engage un travail
d’interprétation  » et ils rappellent que «  la constitution de
l’herméneutique comme art et pratique de l’interprétation remonte
à la Grèce antique ». Il s’agissait alors de « dévoiler le sens caché de
certains textes (l’Iliade et l’Odyssée par exemple) » (2002 : 334-336). Et,
selon Jean Grondin, du Moyen Âge à l’époque classique, « cet art s’est
surtout développé au sein des disciplines qui ont affaire à
l’interprétation des textes sacrés ou canoniques » (2006 : 5).
20 Au XIXe siècle, est donnée à l’herméneutique une double orientation,
philologique et méthodologique, qui privilégie la compréhension : il
s’agit de comprendre «  l’individualité à partir de ses signes
extérieurs » (Ibid. : 25), autrement dit, pour ce qui concerne le texte
littéraire, de comprendre le vécu auctorial à la source de la création
littéraire et cela, à partir des signes langagiers qui la constituent. On
perçoit aisément ici l’influence exercée par l’herméneutique ainsi
définie sur les orientations prises par la critique littéraire puis par
l’enseignement (universitaire et ensuite scolaire) de la littérature au
cours du XIXe siècle et surtout dans la première moitié du XXe siècle
(du moins en France)  : contextualisation des textes avant toute
lecture  ; lecture biographique, voire psychologisante  ; analyse
centrée sur l’auteur, le texte étant le reflet du vécu et des sentiments
auctoriaux, le style caractérisant la manière dont l’auteur donne à
voir son « individualité ».
21 En réaction à cette double orientation, nait l’herméneutique
moderne, à dimension philosophique, portée notamment par la
phénoménologie de Martin Heidegger, qui considère l’interprétation
comme «  une caractéristique essentielle de notre présence au
monde » (Ibid. : 7) : on passe d’une herméneutique des textes à « une
herméneutique de l’existence, sensible au caractère langagier de
notre expérience du monde » (Houdart-Merot & Butlen, 2009 : 9). Ce
sont cependant, selon des perspectives différentes mais
complémentaires, les philosophes Hans-Georg Gadamer et Paul
Ricœur qui permettent d’offrir aujourd’hui une définition de
l’interprétation qui concilie herméneutique des textes littéraires et
herméneutique de l’existence et qui prend en compte les trois pôles
concernés par le processus interprétatif : l’auteur (l’intentio auctoris,
privilégiée par la tradition), le texte (l’intentio operis, privilégiée par
le structuralisme), le lecteur (l’intentio lectoris, privilégiée par les
théories de la réception 6 ).
22 Selon Gadamer, auquel on doit le concept de «  fusion d’horizons  »
entre la conscience de l’auteur et celle du lecteur, «  une activité
herméneutique pour laquelle la compréhension signifierait
restauration de l’originel ne serait que transmission d’un sens
défunt  » (1976/1996  : 186). Antoine Compagnon rappelle la thèse
défendue par le philosophe allemand :
Suivant Gadamer, la signification d’un texte n’est jamais épuisée par les
intentions de son auteur. Quand le texte passe d’un contexte historique ou
culturel à un autre, de nouvelles significations lui sont attachées, que ni l’auteur
ni les premiers lecteurs n’avaient prévues. Toute interprétation est contextuelle
[…]. Toute interprétation est dès lors conçue comme un dialogue entre passé et
présent, ou une dialectique de la question et de la réponse. La distance
temporelle entre l’interprète et le texte n’est plus à combler, ni pour expliquer ni
pour comprendre, mais, sous le nom de fusion d’horizons, elle devient un trait
inéluctable et productif de l’interprétation : celle-ci, comme acte, d’une part fait
prendre conscience à l’interprète de ses idées anticipées, d’autre part préserve le
passé dans le présent. La réponse que le texte apporte dépend de la question que
nous lui posons de notre point de vue historique, mais aussi de notre faculté de
reconstruire la question à laquelle le texte répond, car le texte dialogue
également avec sa propre histoire. (1998 : 72)
23 La théorie de la réception développée par H.-R. Jauss prend appui sur
cette conception de l’interprétation :
[…] le lecteur ne peut «  faire parler  » un texte, c’est-à-dire concrétiser en une
signification actuelle le sens potentiel de l’œuvre, qu’autant qu’il insère sa
précompréhension du monde et de la vie dans le cadre de référence littéraire
impliqué par le texte. Cette précompréhension du lecteur inclut les attentes
concrètes correspondant à l’horizon de ses intérêts, désirs, besoins et
expériences tels qu’ils sont déterminés par la société et la classe auxquelles il
appartient aussi bien que par son histoire individuelle. Il n’est guère besoin
d’insister sur le fait qu’à cet horizon d’attente concernant le monde et la vie sont
intégrées aussi déjà des expériences littéraires antérieures. (1978 : 260)
24 Par ailleurs, c’est dans Temps et récit (1983-1985) que Paul Ricœur
présente une nouvelle conception de l’herméneutique (narrative, il
est vrai), fondée sur l’idée que « le soi ne peut donner un sens à son
expérience radicale et insurmontable du temps que par le
truchement de la configuration narrative » (Grondin, 2006 : 87). Max
Butlen et Violaine Houdart-Merot précisent sur ce point :
Il nous semble que les réflexions essentielles de Paul Ricœur aident aujourd’hui à
penser l’interprétation dans le domaine des études littéraires et à mieux saisir
ses enjeux existentiels. […] nous ne nous comprenons que par le grand détour
des signes d’humanité déposés dans les œuvres de culture. (2009 : 9)
25 En associant tout sens à une conscience (le sens créé par l’auteur et
celui «  recréé  » par tout lecteur), l’herméneutique contemporaine
favorise l’émergence du lecteur réel 7 sur la scène interprétative
ainsi que la reconnaissance de ses droits et pouvoirs dans
l’interprétation des textes, mais aussi une définition renouvelée de
l’interprétation. Celle-ci ne consiste plus à dévoiler le sens caché
d’une œuvre, sa supposée « Vérité », mais à tenter de construire du
sens à partir des questions que se pose sur son présent chaque
lecteur inscrit dans une histoire personnelle et collective ainsi que
dans une culture déterminée. C’est l’option retenue par certains
chercheurs, contestée par d’autres, divergence conceptuelle au cœur
des débats multiples qui ont animé les champs scolaire et didactique
au tournant du XXIe  siècle et dans lesquels plusieurs disciplines de
recherche se sont impliquées (Ahr, 2015).

2.2. L’interprétation (et la compréhension) au cœur des


débats didactiques

26 En  1992, la revue de didactique du français Pratiques consacre son


numéro 76 à l’interprétation des textes. L’enjeu de cette publication
est de «  borner le chemin entre interprétation et compréhension,
même de façon provisoire 8 , en réfléchissant aux positions sous-
jacentes, et en évoquant les débats actuels dans certaines des
disciplines concernées, linguistique, psychologie cognitive,
sociologie de la culture, théories de la réception…  »
(Reuter  &  Benoît  : 3). Dans son article «  Comprendre, interpréter,
expliquer des textes en situation scolaire. À propos d’Angèle », Yves
Reuter propose une définition de l’interprétation «  didactiquement
acceptable », même s’il admet qu’il s’agit d’« une question complexe,
loin d’être tranchée théoriquement  » en raison notamment «  de
l’intérêt privilégié que [les critiques] portent à l’un ou l’autre de ces
trois pôles » (1992 : 21) que sont l’auteur, le texte, le lecteur :
En premier lieu, il me semble qu’une interprétation fonctionne comme réponse à
des questions qui renvoient à une position sur les textes et leur rapport au monde,
sur l’importance respective du texte, de l’auteur ou du lecteur. […]
En second lieu, et en fonction de ces questions, l’interprétation organise sa prise
de données et les données prises, à l’aide d’opérations internes et externes.
(Idem. C’est l’auteur qui souligne.)
27 Cette définition de l’interprétation s’appuie implicitement sur les
travaux de Gadamer et de Ricœur, elle concilie herméneutique des
textes littéraires et herméneutique de l’existence et prend en
compte les trois pôles concernés par le processus interprétatif. Le
didacticien précise ensuite et montre, exemple à l’appui 9 , que
«  compréhension et interprétation sont étroitement imbriquées et
que les élèves interprètent toujours lorsqu’ils construisent le sens
d’un livre ou d’un film  » (22). C’est la thèse défendue alors par des
didacticiens, s’intéressant plus particulièrement à l’enseignement de
la littérature à l’école primaire (Tauveron, 1999, 2001  ; Bucheton,
2002) ou au lycée professionnel (Burgos, 1992), et retenue par
l’institution scolaire dans les programmes de l’école de  2002  puis
réaffirmée dans ceux de  2015. Or, ce rapport dialectique entre
compréhension et interprétation, que s’efforcent de promouvoir
certains didacticiens  –  s’opposant en cela aux psychologues
cognitivistes pour lesquels «  la compréhension et l’interprétation
sont posées comme des processus étrangers » (Tauveron, 1999 : 14) –,
met en jeu une autre conception de l’enseignement de la littérature
et de sa lecture, accordant à l’élève «  le droit d’être un lecteur  »,
perspective revendiquée dès le début des années  1990  par Martine
Burgos :
À mesure que l’élève est invité à pénétrer plus avant dans l’univers des signes
[…], à mesure qu’il se forme comme sujet social, comme individu, l’institution
scolaire lui dénie, semble-t-il, le droit d’interpréter, d’entrer en interaction
comme sujet avec le monde du texte, d’entretenir, en son nom propre, une
relation de dialogue avec l’œuvre. Bref, le droit d’être un lecteur. […]
[…] Or, si nous acceptions l’idée que les moyens d’une compréhension éclairée
d’une œuvre ne sauraient être développés hors d’une expérience esthétique
effectuée par le sujet lecteur, alors la reconnaissance de la légitimité de cette
lecture ordinaire devrait inciter les enseignants à s’interroger sur la logique
d’acquisition et la nature des compétences requises pour que s’instaure une
dialectique entre compréhension et interprétation. (1992 : 58-59)
28 Et, de fait, un certaine clarification conceptuelle concernant
l’interprétation (en lien avec la compréhension) se réalise dans la
sphère didactique, sous l’effet vraisemblablement des recherches
menées autour de la lecture littéraire (Dufays, Gemenne  &  Ledur,
1996/2005/2015  ; Dufays, 2002, 2006, 2007, 2013, etc.  ; Louichon,
2011 ; Ahr, 2013 et 2018, Petitjean, 2014 ; etc.) en lien avec les notions
de sujet lecteur (Rouxel  &  Langlade, 2004  ; Fourtanier  &  Langlade,
2007 ; Rannou, 2013 ; Louichon, 2016 ; Shawky-Milcent, 2016 ; Massol,
2017, etc.), et de texte du lecteur (Mazauric, Fourtanier & Langlade,
2011), notions qui émergent suite à un changement de paradigme
théorique, comme le confient ces trois derniers chercheurs :
Notre recherche sur la lecture littéraire se caractérise, au niveau théorique, par
un changement de paradigme  : par le passage d’une conception de la lecture
littéraire inscrite dans une théorie du texte, qui postule le lecteur implicite ou
virtuel (autrement dit dans la perspective des théoriciens de la réception), à une
conception de la lecture littéraire qui s’intéresse à la reconfiguration du texte
par le lecteur réel et présente des modes de réalisation pluriels. Il y a donc un
déplacement de l’intérêt  : du lecteur virtuel au lecteur réel, et, par voie de
conséquence, du « texte de l’œuvre » au « texte du lecteur ». (2011 : 19-20)
29 Cette orientation didactique, qui prend appui sur une conception
anthropologique et non plus sémiotique de la lecture, conduit à
associer l’interprétation non à un «  savoir sur la littérature  »
(Rouxel, 2007  : 46) mais à l’expérience subjective du lecteur réel.
Orientation dont certains chercheurs interrogent la validité
scientifique et la pertinence dans le cadre de la formation des élèves
lecteurs (Daunay, 2007 ; Dufays, 2013 ; etc. 10 ). Il est impossible de
recenser, dans le cadre de cet article, l’ensemble des travaux de
recherche, à dimension épistémologique ou praxéologique, menés
autour de ces notions (concepts ?) étroitement associées au concept
d’interprétation 11 . On constate néanmoins que ce dernier, en lien
avec celui de compréhension, n’est pas ou n’est que partiellement
défini, alors qu’il détermine un grand nombre de pratiques
d’enseignement, tant scolaires qu’universitaires. On gagnerait à
prendre davantage appui sur la synthèse proposée par Érick
Falardeau en 2003. Celle-ci présente en effet l’intérêt non seulement
de lever « le flou conceptuel qui entoure cette [double] définition »,
mais aussi d’envisager la compréhension et l’interprétation comme
« deux composantes complémentaires de la lecture littéraire » (673),
telle qu’il convient de la définir aujourd’hui (Ahr, 2013  et  2018  ;
2015 : 175-195). Les extraits reproduits ci-après exposent la position
du didacticien québécois et montrent combien celle-ci est
susceptible d’éclairer les prescriptions institutionnelles françaises en
matière d’enseignement de la littérature dans le secondaire,
actuellement en application :
Si la compréhension est construction du sens à partir des éléments explicites et
implicites du texte, l’interprétation sera spéculation sur le «  pluriel du texte  »
(Canvat, 1999, p. 103), et exploration herméneutique. Et comme la spéculation et
l’exploration n’appartiennent plus au domaine du consensus explicatif vers
lequel tend la compréhension, l’interprétation poursuivra plutôt une
«  signification  », qui renvoie étymologiquement à l’action d’«  indiquer  », de
choisir parmi tous les possibles signifiants. Si le sens est en partie intrinsèque au
texte, la signification en est extrinsèque, créée par un lecteur interprète qui
cherche à produire de nouveaux signes à partir de ceux qu’il perçoit dans le
texte. […] L’interprétation passe obligatoirement par une confrontation sociale
qui lui conférera sa légitimité. Elle est l’actualisation d’une signification par un
sujet au sein d’une communauté, dans la mesure où elle participe à la sémiosis
ininterrompue […]. Le sens, lui, est admis  –  il fait tout de même généralement
consensus même s’il n’est pas unique et défini  –  ; il n’a pas à être diffusé pour
trouver sa légitimité. En revanche, l’interprétation tire sa justification de cette
socialisation. Sans mise en discours, sans confrontation avec l’Autre 12 ,
l’interprétation ne peut être reconnue et demeure une création personnelle.
L’interprète doit veiller à ce que son interprétation dépasse le statut de signe
subjectif pour devenir signe social, pour qu’il puisse participer à la circulation
des signes, la sémiosis. […]
En définitive, «  la compréhension correspond à la stabilisation de
l’interprétation  : non plus “un point de vue sur” mais une interprétation
supposée admise, et partagée  » (Olson, dans Grossmann, 1999, p.  152). Cette
stabilisation de l’interprétation, par définition inscrite dans le social, nous
l’avons nommée « sens », parce qu’elle participe d’une nouvelle compréhension.
Aussi, sans cesse le sens est-il appelé à se transformer, à la lumière des nouveaux
interprétants qui le nourrissent. Son caractère consensuel naîtra de la mise en
discours des interprétations successives qui tendent, à mesure qu’elles sont
confirmées, à se cimenter autour de certaines significations et à se muer en
explication du texte. (684-690)

Conclusion
30 En conclusion, on peut certes admettre qu’un concept scolaire varie
dans le temps, puisqu’il s’appuie sur des concepts didactiques qui
évoluent, les fondements théoriques sur lesquels ceux-ci reposent
évoluant eux aussi. Mais faut-il encore que ce concept scolaire soit
clairement défini et stabilisé au moins dans une période déterminée
afin de donner du sens aux situations d’apprentissage que les
enseignants mettent en œuvre dans leur(s) classe(s). De cette
clarification terminologique et surtout conceptuelle dépendent,
d’une part, le renouvèlement des pratiques d’enseignement de la
littérature, souhaité tout autant par l’institution scolaire (voire
littéraire) que par la société (élèves, parents), ainsi qu’une
progression curriculaire réfléchie de cet enseignement  ; et, d’autre
part, une implication plus grande des élèves lecteurs dans leur
formation personnelle. La situation est complexe, car force est de
reconnaitre qu’il ne peut pas y avoir, une fois pour toutes, une seule
manière d’envisager l’interprétation des textes littéraires  : non
seulement la critique littéraire a montré au cours du XXe  siècle
combien les approches pouvaient différer, mais on sait aussi que
l’objet littéraire, comme artistique d’ailleurs, est un objet aux
frontières instables et lié à des usages également instables. Florent
Coste fait remarquer à ce sujet :
Le concept de littérature […] se réalise dans des circonstances dont on doit
admettre qu’elles puissent être changeantes et instables, et dans des contextes
qui sont capables de lui faire subir de considérables altérations. Rien ne saurait
proscrire, par exemple, que des circonstances futures ne révèlent ou ne fassent
émerger d’une œuvre des aspects jusqu’ici ignorés qui autorisent de l’envisager
comme littéraire. Tout cela amène à souligner que le concept d’œuvre littéraire
(ou de littérature) est employé de manière variée, par une pluralité d’acteurs qui
présentent leur usage comme un usage approprié, soit pour le défendre, soit
pour contester les usages des autres. (2017 : 326)
31 De même, dans le numéro  14  de la revue Littérature Histoire Théorie
(LHT) mis en ligne en février 2015 sur le site Fabula et consacré à la
question « Pourquoi l’interprétation ? », Marielle Macé envisage les
évolutions à venir en matière de critique littéraire et d’approches de
la lecture de la littérature :
Nous assistons et (pour beaucoup d’entre nous) nous participons en effet à un
tournant de la critique littéraire et des approches de la question de la lecture.
Depuis quelques années, le vocabulaire semble avoir beaucoup changé, comme a
changé le sentiment de ce que l’on attend des livres et de ce que les livres
attendent de nous. Une perspective esthétique et pragmatique prend sans doute
la relève de l’approche globalement sémiotique qui a longtemps prévalu dans les
façons de réfléchir à la lecture littéraire ; parallèlement, le mot « interprétation »
s’éloigne, au profit d’un vocabulaire souvent plus anthropologique  :
« pratiques », « gestes » ; on ne s’intéresse plus forcément à propos des livres à
des textes à déchiffrer, mais plutôt à des objets esthétiques, inducteurs de
conduites – conduites mentales, perceptives, morales, ou sociales 13 .
32 Perspective anthropologique selon laquelle un grand nombre de
didacticiens de la littérature développent leurs recherches depuis
près de deux décennies et sur lesquelles s’appuient, de façon plus ou
moins explicite, les programmes scolaires en application aujourd’hui
en France. Cependant, les entretiens menés avec quelques
enseignants montrent combien il est nécessaire de définir, à un
moment T, «  une épistémologie scolaire  » (Fournier  &  Veck, 1997  :
30) de la lecture de la littérature, en adéquation avec les avancées de
la recherche, et de rendre cette épistémologie accessible à
l’ensemble du corps professoral.

BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
1. La réflexion proposée ici emprunte à Cora Cohen-Azria la distinction qu’elle établit entre
« les concepts scientifiques élaborés dans les disciplines de recherche » concernées et « les
concepts “scolaires” qui sont construits et travaillés dans l’espace scolaire » (2007 : 35).
2. Depuis la rentrée 2016, le cycle 3 (cycle de consolidation) regroupe les classes des cours
moyen  1 et  2  de l’école élémentaire ainsi que la classe de sixième du collège. Le
cycle  4  (cycle des approfondissements) regroupe les classes de cinquième, quatrième et
troisième du collège.
3. Conception que de nombreux travaux de recherche ont développée au cours des
dernières décennies, comme cela est rappelé dans la seconde partie de l’article.
4. En ligne  :
https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Lecture_Comprehension_ecrit/89/0/
RA16_C3_FRA_11 _lect_eval_debat_N.D_612890.pdf [consulté le 15 novembre 2016].
5. En ligne  : https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Culture_litteraire_/05/9/21-
RA16_C3_ FRA_5_cultu re_ litt_debat_591059.pdf [consulté le  15  novembre  2016]. Dans la
ressource citée précédemment, l’interprétation est envisagée en lien avec la
«  compréhension de l’écrit  »  ; dans cette autre ressource, qui explicite les enjeux et les
modalités du « débat littéraire interprétatif », l’interprétation est envisagée en lien avec la
«  culture littéraire et artistique  » que les élèves doivent développer au cours de leur
scolarité. Le concept varie selon que l’interprétation est ou non étroitement liée à celui de
la compréhension et en fonction de la finalité assignée à la lecture scolaire.
6. Ces théories autorisant deux approches : l’une, qui s’intéresse à l’objet lu et à la « lecture
modèle » programmée par le texte  ; l’autre, s’intéressant à la réception effective du texte
par le lecteur « réel » (Ahr, 2015 : 176-180).
7. Et pas seulement du « lecteur modèle » inscrit dans et programmé par le texte, concept
établi par le sémioticien Umberto Eco, dans le sillage des travaux engagés, entre autres, par
Wolfgang Iser («  lecteur implicite  »). Une grande partie de l’œuvre d’Umberto Eco est
consacrée à l’interprétation : L’Œuvre ouverte [1962], Paris, Éditions du Seuil, 1965, seconde
révision  1971  ; Lector in fabula ou la Coopération interprétative dans les textes narratifs [1979],
Paris, Grasset, 1985 ; Les Limites de l’interprétation [1990], Paris, Grasset, 1992 ; Interprétation et
surinterprétation [1992], Paris, PUF, 2002.
8. Karl Canvat ouvre la présentation du numéro 46 de la revue Enjeux qu’il coordonne en ces
termes : « La problématique de la compréhension et de l’interprétation des textes littéraires
est vaste et complexe, comme en témoignent les débats anciens et toujours actuels dans de
nombreux champs disciplinaires. La présente livraison d’Enjeux revient sur cette question et
tente d’y apporter quelques réponses, “de la maternelle à l’université” » (1999 : 3). En 2002,
Dominique Bucheton fait remarquer que l’[o] n ne trouve pas dans les travaux théoriques de
réponse définitive et univoque sur la question des liens entre lire, comprendre,
interpréter  » (§. 11). On comprend dès lors la difficulté de l’institution à stabiliser ce
concept scolairement et celle des enseignants à le définir.
9. Il s’agit de la lecture scolaire de la nouvelle de Pascal Mérigeau Quand Angèle fut seule
(1983).
10. Voir B. Louichon, 2016, p. 396-400.
11. Voir S. Ahr, 2015, p. 126-147, p. 175-189.
12. Position défendue par de nombreux chercheurs et notamment par Yves Citton, dont la
définition de l’interprétation repose sur un jeu langagier éclairant : « Interpréter se conçoit
mieux au sein d’un sujet collectif, en mouvement et en conflit, plutôt que comme une
activité individuelle : en interprétant un texte littéraire, lecteurs et critiques savent qu’ils
s’inter-prêtent des idées, des rapprochements, des contextualisations, des processus de
symbolisation […] » (2010 : 37).
13. http://www.fabula.org/lht/14/mace.html [consulté le 14/05/2017].

AUTEUR
SYLVIANE AHR
Université Toulouse Jean-Jaurès – ÉSPÉ Midi-Pyrénées
LLA/CRÉATIS (ÉA 4152)
ÉMA (ÉA 4507)
Lyn Lakehal <crymlakehal@gmail.com>
La notion de réflexivité en
didactique de la littérature
Marion Sauvaire

1 La réflexivité est une notion ayant fait l’objet de définitions


hétérogènes, développées de façon assez cloisonnée dans différents
domaines contributoires de la didactique de la littérature, entre
autres, dans la formation professionnelle des enseignants, dans
l’étude des pratiques langagières scolaires, dans l’analyse des formes
littéraires de l’écriture de soi et dans l’herméneutique du sujet. Cette
polysémie et cette relative mobilité de la «  réflexivité  » en font un
objet d’étude privilégié pour qui s’interroge sur l’enseignement de la
lecture et de l’écriture littéraires, au secondaire, au supérieur et en
formation des enseignants.
2 Au-delà de l’analyse d’une grande variété de pratiques dites
réflexives, écrites mais aussi orales, quelles conceptions de la
réflexivité se dégagent des travaux en didactique de la littérature ?
Quels sont les fondements théoriques et épistémologiques convoqués
par les chercheurs pour définir la réflexivité dans ce domaine et
dans les domaines contributoires  ? En quoi ces fondements sont-ils
convergents ou divergents sur le plan théorique ? De quelle manière
sont-ils mis à profit pour éclairer les spécificités de l’enseignement
de la littérature  ? La réflexivité devrait-elle être (re)définie en
fonction des savoirs et des pratiques langagières spécifiques à
l’enseignement de la littérature ?
3 Cette synthèse théorique comporte quatre moments. Elle débute par
un questionnement sur les usages du modèle de la réflexivité comme
« réflexion sur l’action » inspiré de Schön (1996). Ce questionnement
sera brièvement illustré par des exemples de recherches issus de
deux domaines de formation  : la formation professionnelle des
enseignants et la formation initiale à l’université. Le deuxième
moment est consacré à la « réflexivité langagière » en didactique du
français. Elle sera abordée selon deux perspectives
complémentaires : l’approche de l’interactionnisme sociodiscursif en
formation des enseignants et l’approche sociolinguistique des
pratiques langagières scolaires. Le troisième moment rend compte
de l’élargissement de la notion de réflexivité dans des travaux qui,
tout en s’inscrivant dans une approche didactique de l’écriture et de
la lecture, contribuent à une discussion de nature épistémologique
sur les rapports entre réflexivité et subjectivité, inspirée de
l’herméneutique du sujet. Dans le quatrième et dernier moment,
nous présentons des axes de définition de la réflexivité du sujet
lecteur, à partir de nos propres recherches.

1. Définir la réflexivité : entre pensée de


l’action et action de la pensée
4 Dans le champ éducatif, les principales définitions de la réflexivité
empruntent à deux traditions. La première est celle des sciences de
l’éducation, qui privilégie la réflexion sur l’action, le modèle du
praticien réflexif hérité de Schön étant dominant dans la formation
professionnelle. La seconde est celle des didactiques des langues, qui
privilégie la réflexivité «  dialogique  » (Daunay et Treignier, 2004)
telle qu’elle s’observe dans des pratiques langagières. Il existe une
tension entre deux cadres épistémologiques distincts qui peut être
résumée ainsi : la réflexivité relève-t-elle d’une pensée de l’action ou
d’une action de la pensée dans le langage ?

1.1. Le modèle du « praticien réflexif » dans la formation


des enseignants

5 Dans le domaine de la formation professionnelle des enseignants, la


notion de réflexivité est majoritairement comprise en référence aux
travaux inspirés de Schön sur le « praticien réflexif » (Schön, 1996 ;
Paquay et Sirota, 2001). Elle recouvre une «  forme de pensée
présente dans l’agir des professionnels, verbale et explicite  : la
“réflexion sur l’action”  » (Vanhulle, 2009  : 260). Le «  praticien
réflexif  » procède donc à des retours sur son action, pendant ou
après celle-ci, en adoptant une posture distante et critique qui lui
permette de s’améliorer (Paquay et al., 2004). Ancrée dans le
paradigme de la «  professionnalisation  » des enseignants, cette
conception de la réflexivité permet de traiter les pratiques réflexives
des (futurs) enseignants (Dufays et Thyrion, 2004  ; Cohen et
Leutenegger, 2006), sous l’angle des tensions entre théorie et
pratique, autrement dit sous l’angle des pratiques et des
compétences professionnelles transversales, mais non sous l’angle
de la formation didactique et disciplinaire.
6 Comme l’indiquent Bibauw et Dufays (2010), la réflexivité « s’articule
étroitement à une activité de nature professionnelle, ce qui, à priori,
ne permet pas de la transférer telle quelle au contexte de
l’apprentissage scolaire ou universitaire en vue d’une formation
générale » (2010 : 4). Le fait qu’elle soit exclusivement chevillée à un
agir professionnel, donc difficilement transposable pour
l’enseignement scolaire et supérieur, et qu’elle soit très peu ancrée
dans les formes langagières spécifiques à chaque communauté
discursive (Bernié, 2002) rend peu opératoire la définition de la
réflexivité d’inspiration schönienne pour la recherche en didactique
de la littérature, et en particulier pour la question de la réception
des œuvres.

1.2. Le retour sur soi-même

7 Dans un article de synthèse paru en  2010, Bibauw et Dufays


constatent la polysémie de la notion de réflexivité en contexte
pédagogique. Dans les différentes définitions de la réflexivité qu’ils
ont recensées, ils identifient un trait sémantique constant : l’idée du
retour sur soi-même. En définissant la réflexivité comme retour sur
soi, ils soulignent l’inadéquation de la conception de la réflexivité
comme réflexion sur l’action dans le cadre de formations non
professionnalisantes. Le contexte de leur recherche n’est pas la
formation des enseignants, mais la formation initiale dans
l’enseignement supérieur, que les auteurs appellent formation
générale. Ce changement de contexte conduit Bibauw et Dufays à
problématiser l’objet de l’activité réflexive des étudiants, à savoir la
pratique (selon l’approche du praticien réflexif). Dans la formation
professionnalisante, la réflexivité porte sur les expériences
pratiques, réalisées en particulier au travers des stages, et sur la
confrontation de cette pratique à ses préconceptions ou aux théories
apprises. En revanche, disent-ils, dans le cadre de la formation
générale à l’entrée à l’université, les étudiants n’ont pas en commun
une véritable « pratique », si ce n’est celle d’étudier. Sur quel objet
pourrait porter l’activité réflexive des étudiants ? Bibauw et Dufays
formulent trois propositions. La première est que la réflexivité porte
sur l’activité d’étudiant elle-même prise dans son ensemble. La
seconde privilégie le cheminement personnel des individus en
fonction d’une visée à long terme (l’orientation professionnelle, par
exemple). La troisième reposerait sur une conception plus large de la
réflexivité, comme rapport distancié (au langage, à soi, à son vécu, à
des savoirs, etc.), héritée du socioconstructivisme de Vygotski. Selon
Bibauw et Dufays, dans cette perspective, la question de l’objet
concerné par le retour réflexif perdrait son caractère problématique,
car la réflexivité ne serait plus liée aux circonstances particulières
d’une pratique, mais une «  opération permanente des sujets,
naturellement induite par la médiation du langage, dont l’intensité
importe davantage que son application à un objet particulier » (8). La
réflexion proposée a le mérite d’identifier la nécessité de
circonscrire l’objet du retour réflexif en tenant compte du contexte
d’enseignement.
8 En somme, Bibauw et Dufays (2010) tentent de réduire la tension
théorique entre deux conceptions de la réflexivité issues de deux
cadres épistémologiques distincts, celui de Schön et celui de
Vygotski. Bibauw et Dufays (2010) concluent provisoirement que « la
réflexivité consiste dans tous les cas dans une interaction entre
pensée et action, nécessairement médiée par le langage  » (5). La
question de la médiation langagière est absolument centrale pour les
chercheurs qui ancrent l’étude de la réflexivité dans l’observation de
pratiques langagières (de lecture, d’écriture, de la communication
orale) de sujets en situation d’apprentissage. Les conceptions de la
réflexivité qu’ils proposent sont dites « langagières ».

2. La réflexivité langagière
9 Dans le domaine de la didactique du français, les chercheurs
privilégient des approches langagières de la réflexivité. Penser la
réflexivité dans le langage apparait comme le point commun de
diverses approches qui articulent «  l’élaboration conceptuelle et
l’implication-transformation du sujet  » (Vanhulle, 2009  : 5). Deux
traditions ont contribué à l’élaboration de la notion en didactique du
français  : une approche sociodiscursive inspirée des travaux de
Vygotski, illustrée notamment par Bronckart (1997) et Vanhulle
(2004, 2009), et une approche didactique assise sur une conception
réflexive de la littératie, axée sur l’observation de la réflexivité dans
les pratiques langagières scolaires (Bautier, 2005  ; Bishop et Cadet,
2007 ; Caillier, 2002 ; Chabanne et Bucheton, 2002). Dans cette partie,
nous présentons l’approche sociodiscursive de la réflexivité dans la
formation des enseignants, en particulier celle de Vanhulle, puis
l’approche didactique de la réflexivité langagière dans les pratiques
scolaires des élèves, en particulier celle de Chabanne et Bucheton
ainsi que ses prolongements.

2.1. Approches sociodiscursives de la réflexivité en


formation des enseignants

10 Dans le domaine de la formation des enseignants, Vanhulle (2005,


2009) propose une définition de la réflexivité tributaire d’une
conception vygotskienne de la subjectivation des savoirs  : «  La
réflexivité est une activité de la pensée — de la conscience, selon les
termes de Vygotski. C’est une manière d’apprendre, de s’approprier
les savoirs, de penser son rapport aux objets de savoir et à son
propre agir social. C’est un processus forcément subjectif, mais
orienté vers une objectivation de l’action, du concept ou de l’objet
sur lequel on réfléchit. Dans la mesure où elle est conduite avec des
pairs, on peut parler d’un processus intersubjectif d’objectivation »
(2009  : 4). Vanhulle limite l’activité réflexive au travail de la
conscience, qui est intrinsèquement sélectif et lacunaire. Ce travail
porte non pas «  sur l’intelligence des situations elles-mêmes, mais
sur les déterminations des situations auxquelles le sujet, par cette
réflexivité sélective, décide de pouvoir faire face » (2009 : 18). Cette
acception de la réflexivité vise à analyser la capacité du sujet à se
distancier des situations d’enseignement ou d’apprentissage pour
orienter son agir. Par ailleurs, ce travail ne prend pas simplement
son ancrage dans une réflexion individuelle fondée sur
l’introspection, il s’appuie, en même temps, sur deux éléments jugés
structurants en cela qu’ils contribuent à l’activité réflexive comme
objectivation intersubjective  : la socialisation et l’appréhension
critique d’objets de savoir (Vanhulle, 2005 : 14). La dimension sociale
de la réflexivité renvoie aux échanges intersubjectifs, notamment
sous la forme de cercles de lecture, dans lesquels s’observent des
«  prétentions diverses à la validité  » (Habermas, 1987). Dans ce
modèle inspiré de l’éthique de la discussion habermassienne,
l’«  objectivation  » est d’abord pensée comme une construction
intersubjective qui s’appuie sur des procédures collectives et des
méthodes partagées, visant in fine un apprentissage de la raison
pratique (Vanhulle, 2009  : 19). Ensuite, la réflexivité est pensée
comme un processus intersubjectif d’objectivation en cela qu’«  elle
porte sur des objets tels que perçus par chacun et que l’on met
ensemble à distance en vue d’évaluer les possibilités d’action  »
(Vanhulle, 2005 : 16). Parmi ces objets, Vanhulle distingue les savoirs
issus de l’expérience professionnelle, les théories didactiques et
pédagogiques, les significations sociales qui traversent
l’enseignement/apprentissage de la langue (2005  : 16). La visée
praxéologique de la réflexivité (orienter son agir) repose ainsi sur
une double médiation de nature intersubjective (la socialisation) et
conceptuelle (les objets de savoir).
11 Ce rapide survol des recherches problématisant les définitions de la
réflexivité dans le contexte de la formation des enseignants du
primaire et du secondaire permet de dégager un noyau conceptuel.
La réflexivité est conçue comme l’activité sociocognitive d’un sujet
situé reposant sur trois dimensions : la mise à distance des savoirs et
des pratiques langagières, la construction d’un espace intersubjectif
et le retour sur soi.

2.2. Approches didactiques de la réflexivité langagière

12 Les approches didactiques de la réflexivité langagière partagent


certains fondements théoriques avec l’approche inspirée de
l’interactionnisme sociodiscursif proposée par Vanhulle. Dans
l’ouvrage dirigé par Chabanne et Bucheton, Parler et écrire pour
apprendre, penser et se construire (2002), ces fondements sont
explicités par Crinon : « Les activités langagières, orales et écrites, ne
constituent pas une simple transcription d’idées préexistantes mais
contribuent à la construction des connaissances et à l’activation des
représentations mentales. Le langage, conçu comme “artéfact
culturel” et “instrument médiateur” de la pensée, est
indissociablement le lieu de l’interaction sociale et de l’élaboration
cognitive » (2002 : 2).
13 Cette perspective théorique, illustrée dans des recherches sur
l’enseignement et l’apprentissage en contexte scolaire, ouvre la voie
à «  une autre étude de la réflexivité, plus axée sur les réalisations
effectives que les élèves font d’une tâche langagière en termes
d’investissement réflexif » (Bibauw et Dufays, 2010 : 4). Chabanne et
Bucheton développent une définition « qualitative » de la réflexivité
que nous reprenons schématiquement en l’organisant selon les trois
dimensions dégagées précédemment : la mise à distance langagière,
l’intersubjectivité et le retour sur soi. Premièrement, la réflexivité
est définie de façon très large comme une mise à distance à l’égard
de l’expérience immédiate que permet le langage. Cette mise à
distance est socialement et historiquement construite et
inégalement réalisée en contexte scolaire. Elle implique plus
précisément un travail métalangagier et métalinguistique.
Deuxièmement, la réflexivité contribue à la construction d’un espace
d’apprentissage interdiscursif et intersubjectif. Les pratiques
langagières scolaires observées ont en commun de rendre compte ou
de contribuer à une intensification de la dynamique cognitive dans
les interactions entre les sujets  : «  ces oraux et ces écrits sont
réflexifs dans la mesure où ils permettent réellement de penser
ensemble, l’un avec l’autre, l’un contre l’autre, l’un grâce à l’autre »
(Chabanne et Bucheton, 2002  : 8). La dimension interdiscursive
concerne à la fois l’intrication des formes langagières et des
pratiques sociales (les notions bakhtiniennes de genre et
d’hétéroglossie sont convoquées), la reprise des discours des pairs et
la reformulation de son propre discours par l’élève. Troisièmement,
la dimension du retour sur soi est formulée dans les termes de la
construction identitaire d’un sujet scolaire  : «  L’identité que
construisent les pratiques langagières scolaires n’est pas celle du
“sujet privé”, car elle est indissociable des contextes et de leurs
enjeux. Il s’agit bien d’une identité scolaire » (2002 : 13).
14 Cette définition permet de valoriser la « médiation instrumentale »
(2002 : 21) que constituent les productions discursives effectives des
élèves, en particulier les textes intermédiaires, pour la formation du
sujet scolaire, ce qui ouvre la voie à des rapprochements féconds
avec les « textes du lecteur en formation » (Mazauric, Fourtanier et
Langlade, 2011). Toutefois, dans l’ouvrage de Chabanne et Bucheton,
l’analyse étant essentiellement de nature linguistique, la médiation
spécifique du texte littéraire et de son enseignement n’est pas
vraiment problématisée. Par ailleurs, cette définition de la
réflexivité a soulevé des réserves. Selon Bishop et Cadet (2007), « la
richesse de cette définition laisse entrevoir deux niveaux qui
s’articulent mais qui ne sont pas toujours clairement distingués. […]
l’écriture réflexive est le lieu de la réflexion, dans le sens
d’élaboration de la pensée, mais elle est également un jeu de reflet et
de transformation du sujet, comme le confirme le dernier point de
cette définition, ce qu’il est possible de considérer comme sa
dimension métacognitive  » (2007  : 10). En effet, la relation (ou la
tension) entre la mise à distance cognitive-langagière et
l’élaboration subjective peut être diversement interprétée. Ainsi,
Bishop et Cadet semblent assimiler la dimension du retour sur soi à
la métacognition, alors que ces deux notions sont clairement
distinguées par Bibauw et Dufays 1 . La notion de réflexivité en
didactique du français recouvre un spectre d’acceptions variées du
« retour sur ». Certains chercheurs privilégient une conception large
du retour sur soi  ; la réflexivité renvoie alors à un processus de
« construction identitaire ». Par exemple, dans le titre de l’ouvrage
de Chabanne et Bucheton, Parler et écrire pour apprendre, penser et se
construire (2002), la forme pronominale  —  linguistiquement
réflexive  —  «  se construire  » réfère au sujet parlant et écrivant.
D’autres chercheurs privilégient une conception plus précise, mais
restreinte à la dimension cognitive, celle de la construction de son
savoir. Par exemple, dans leur article de  2007, Bishop et Cadet
proposent une reformulation de la définition des écrits réflexifs,
« comme écrits pour penser et construire son savoir » (2007 : 11).

3. Réflexivité et herméneutique du sujet


15 Ce troisième moment est consacré à l’élargissement de la notion de
réflexivité dans des travaux qui, tout en s’inscrivant dans une
approche didactique de l’écriture de soi et de la lecture littéraire,
proposent une discussion épistémologique sur les rapports entre
réflexivité et subjectivité. Bien qu’ils reposent sur des cadres
théoriques différents, ces travaux ont en commun de se référer à des
herméneutiques philosophiques du sujet, en la matière, celle de
Foucault et de Ricœur. Dans un premier temps, nous présentons
l’étude de Molinié (2009) qui offre une mise en perspective
historique des formes scolaires et littéraires des écritures de soi.
Cette chercheuse adopte une méthode généalogique inspirée de
Foucault et met au jour une conception de la subjectivité à l’origine
de la compréhension actuelle de la réflexivité. Dans un second
temps, nous examinons succinctement la notion de réflexivité en
regard de celle de distanciation dans les modélisations didactiques
de la lecture littéraire, et nous rendons compte de l’influence du
concept herméneutique de distanciation emprunté à Ricœur sur
notre conception personnelle de la réflexivité.

3.1. Réflexivité, invention formelle et subjectivation


éthique

16 Adoptant une perspective sociodidactique qui articule «  pratique


langagière située et activité cognitive  », Molinié (2009) souhaite
contribuer à « l’élaboration d’un paradigme réflexif en éducation et
en formation  » (103) dont elle relève certains enjeux  : intégrer
l’invention formelle et l’expérience de soi, situer la réflexivité dans
une historicité, en dégager la dimension éthique et politique. Son
approche est complémentaire des précédentes en cela qu’elle établit
un parallèle entre l’étude des discours des élèves et celle des textes
littéraires. Sa position «  s’expérimente empiriquement dans des
domaines où les enjeux d’élaboration identitaire de l’apprenant
(dans le champ éducatif) ou de l’auteur (dans le champ littéraire)
sont considérés comme étant consubstantiels à l’acte d’écrire. […] Un
paradigme réflexif implique donc la conjonction entre
expérimentation formelle […] et expérience de soi » (Molinié, 2009 :
106). Assumant l’héritage foucaldien, Molinié entreprend de mettre
au jour la généalogie de la réflexivité en tant que construction
intellectuelle intrinsèquement liée à une histoire des « écritures de
soi  » (Foucault, 1983). Elle rappelle l’apport de l’humanisme, en
particulier celui de Montaigne, grâce auquel un texte réflexif peut
être durablement reçu comme un texte d’idées problématisant la
diversité subjective. Son analyse des Essais a pour but de « repérer ce
qui, dans ce projet d’écriture, a permis l’émergence d’une conception
du sujet et de la subjectivité dont hérite notre conception actuelle de
la réflexivité » (119). Chez Montaigne, la description de la pluralité et
de la mobilité du soi fonde le projet d’établir une anthropologie
réflexive critique. Ce projet est autant de nature éthique que
poétique, l’invention de soi se réalisant grâce à l’invention formelle.
Se trouve ainsi déployée une triple thématique : la réflexion sur soi,
la réflexion sur le monde et la réflexion sur l’acte d’écrire (126).
Lorsqu’elle est pensée en rapport avec un processus de
subjectivation historiquement et socialement construit, la réflexivité
fait l’objet d’une définition très étendue. À ce titre, la définition
proposée par Molinié illustre l’extension maximale de cette notion :
Il s’agirait en lisant, en écrivant d’élaborer un rapport (à soi, à autrui, à
l’existence, à l’expérience, aux savoirs) qui permet à la fois de se relier (au sens
de s’acculturer, se socialiser, s’historiciser, se resituer), de s’individualiser (au
sens de s’autonomiser, de s’émanciper, de se séparer), d’objectiver des pratiques
(sociales, professionnelles, apprenantes, et plus largement, existentielles) tout en
subjectivant les savoirs vus, lus et entendus. (Molinié, 2009 : 105)
17 Cette acception met également au jour les enjeux éthiques du
développement de la réflexivité du sujet grâce à la lecture et
l’écriture. À ce point de la réflexion, l’apport de Foucault est
déterminant pour comprendre que la visée émancipatrice de la
réflexivité éthique, souvent tacitement recherchée en éducation,
trouve son origine dans le « souci de soi » (epismeleshai heautou) de la
métaphysique grecque. Introduite dans L’origine de l’herméneutique de
soi (1980 : 38) et reprise dans La culture de soi (1983 [2015]), la notion
de souci de soi, entendue comme la forme pratique de la liberté chez
Épictète, permet à Foucault de « problématiser un sujet qui n’est pas
seulement traversé et informé par des gouvernementalités
extérieures, mais construit, au moyen d’exercices réguliers, un
rapport à soi défini » (Foucault, 2015 : 87). La subjectivation, en tant
que rapport éthique à soi-même, est ici politique. Or, selon Foucault,
la tradition occidentale qui est la nôtre a retenu comme expression
la plus élevée de la culture antique le «  connais-toi toi-même  »
(gnôthi seauton) oubliant le «  prends soin de toi-même  ». C’est
pourquoi, selon Foucault, les sciences humaines supposeraient
encore aujourd’hui que la relation majeure à soi est et doit être
essentiellement une relation de connaissance, oblitérant ainsi les
relations éthiques, axiologiques, sensibles, praxéologiques. De plus,
la représentation dominante de la subjectivité serait celle d’une
réalité cachée, qui doit être dévoilée, libérée, déterrée, dans la clarté
de la conscience réflexive. Or, nous dit Foucault, « le soi ne doit pas
être considéré comme une réalité cachée, mais comme le corrélatif
de techniques [dont la lecture et l’écriture] développées à travers
notre histoire. Le problème alors n’est pas de libérer le soi mais
d’élaborer de nouvelles sortes de relations à nous-mêmes  » (2015  :
98). En somme, les acceptions actuelles de la réflexivité semblent
profondément innervées par des conceptions historiquement
construites de la subjectivité, et plus spécifiquement des pratiques
langagières susceptibles d’éclairer les rapports du sujet à lui-même,
aux autres et au monde.

3.2. Réflexivité et distanciation dans les modèles


théoriques de la lecture littéraire

18 En didactique de la littérature, dans les travaux sur la lecture


littéraire, plusieurs auteurs soulignent les enjeux réflexifs de la
lecture littéraire (Rouxel et Langlade, 2004 ; Jouve, 2004 ; Falardeau,
2004  ; Hébert, 2007). Toutefois, l’usage explicite de la notion de
réflexivité est marginal par rapport à celui de la distanciation. La
distanciation constitue-t-elle une forme de réflexivité spécifique à la
lecture littéraire ? Ou, à l’inverse, la réflexivité du lecteur n’est-elle
qu’une dimension de la distanciation du sujet par rapport à soi, aux
autres et au monde  ? Pour clarifier les relations entre ces deux
notions, il convient de distinguer deux définitions de la
distanciation. La première trouve son origine dans les travaux de
Picard et a été principalement élaborée par Dufays dans une
approche didactique de la lecture littéraire (2005). La seconde
s’inspire du concept herméneutique de distanciation de Ricœur, qui
est une référence partagée au sein de l’approche didactique du sujet
lecteur (Cambron et Langlade, 2015  ; Sauvaire, 2013  ; Shawky-
Milcent, 2014).
19 Dans le cadre de la réception d’œuvres littéraires, la distanciation est
une notion très productive qui a connu de nombreux
développements théoriques distincts depuis Brecht (1948), Stierle
(1979), Lafarge (1983). Concernant la conceptualisation didactique de
la lecture littéraire, l’œuvre de Picard, La lecture comme jeu (1986),
fait office de texte fondateur. Picard désigne par les termes de
«  distanciation interprétative  » ou «  appréciative  » (209) le jeu par
rapport à soi-même qu’adopte tout lecteur lorsqu’il choisit de
résister à l’usage ordinaire de la lecture. La distanciation définit ainsi
l’instance lectorale du «  lectant  », mais, pour Picard, celle-ci ne
présente d’intérêt que si elle est mobilisée dans un mouvement
dialectique, dans un dédoublement avec le liseur (instance
sensorielle) et le lu (instance fantasmatique) qui amène à percevoir
le texte comme un espace de tensions et d’ambivalences ludiques.
Dans le prolongement de Picard, Dufays (1996, 2014, 2017) propose
une modélisation de la lecture littéraire comme va-et-vient
dialectique entre la participation du lecteur et la distanciation par
rapport au texte. La distanciation privilégie la sémiosis du texte, sa
nature construite, sa fonction esthétique. Si l’on s’en tient à cette
première définition didactique de la distanciation, celle-ci apparait
comme une dimension parmi d’autres de la réflexivité du lecteur,
puisque la notion de réflexivité implique d’articuler la mise à
distance du texte (et des savoirs) et le retour sur soi-même.
20 Dans l’herméneutique philosophique du XXe  siècle, la distanciation
est un concept élaboré par Gadamer (1974) et réinterprété par
Ricœur (1986). Le concept herméneutique de distanciation défini par
Ricœur dans Du texte à l’action (1985) et dans Temps et récit III (1986)
partage bien des similitudes avec les définitions étendues de la
réflexivité, comme celle de Molinié (2009). Ricœur considère le texte
littéraire comme le médium privilégié de la compréhension
humaine, dans la mesure où il est « le paradigme de la distanciation
dans la communication  » et qu’à ce titre il révèle un caractère
fondamental de l’historicité même de l’expérience humaine, à savoir
qu’elle est une communication dans et par la distance » (1986 : 114).
Selon Ricœur, la médiation par le texte lu et écrit permet ainsi de
renouveler le concept herméneutique de distanciation — d’aliénante
(Gadamer, 1974), elle devient créatrice  —, car elle permet
d’incorporer «  le moment critique, ou critique des idéologies  »
(1986  : 57). Ainsi, la distanciation de soi à soi, intérieure à
l’appropriation du texte littéraire, constitue le moment critique de la
compréhension de soi. La conception ricœurienne de la distanciation
permet de penser la tension féconde entre mise à distance du texte
et retour sur soi comme lecteur, notamment la critique des préjugés
ayant influencé sa lecture. À ce titre, le concept herméneutique de
distanciation est convoqué pour fonder épistémologiquement une
conception élargie de la réflexivité du sujet lecteur, dans des thèses
portant sur l’enseignement de la lecture littéraire au secondaire
(Shawky-Milcent, 2014 ; Sauvaire, 2013).

4. Vers une définition de la réflexivité du sujet


lecteur
21 La recension des définitions de la réflexivité présentées dans cet
article nous a permis d’identifier trois dimensions récurrentes (la
mise à distance des savoirs et des pratiques, le retour sur soi et la
construction d’un espace intersubjectif) du processus réflexif de
subjectivation, qui se manifestent au travers de modalités créatives,
critiques et éthiques. Dans ce quatrième moment, nous formulons
des propositions théoriques afin de définir la notion de réflexivité
dans le cadre d’une approche didactique de la lecture littéraire
inspirée de l’herméneutique de Ricœur. Notre conception de la
réflexivité du lecteur intègre quatre dimensions que nous
exposerons successivement :
la mise à distance des pratiques langagières,
la mise à distance et l’appropriation des interprétations,
le retour sur soi-même comme lecteur,
la mise en relation des discours d’autrui (dimension intersubjective et interdiscursive).
4.1. Mise à distance des pratiques langagières

22 La mise à distance des pratiques langagières est certainement la


dimension de la réflexivité la plus documentée par les didacticiens
de la littérature. Elle concerne les pratiques de (re)lecture (Louichon,
2009), de (ré) écriture (Kervyn, 2009  ; Ledur et De Croix, 2005  ; Le
Goff et Fourtanier, 2017) ainsi que les verbalisations
métalinguistiques et les reformulations orales (Hébert, 2006 ; Hébert
et Lafontaine, 2012). L’activité réflexive des élèves peut s’exercer par
rapport au texte littéraire lui-même (grâce à la relecture) et prendre
appui sur leurs lectures antérieures (explicitées, par exemple, dans
des écrits intermédiaires ou des discussions collaboratives). Ces
différents chercheurs insistent sur le fait que les apprentissages
langagiers sont moins des conditions préalables que des effets
induits par l’investissement des sujets dans ces pratiques dites
réflexives. Si l’écriture réflexive semble particulièrement productive
(Rouxel, 2006  ; Bucheton, 2015), force est de constater sa relative
absence dans les classes (Bucheton, 2015) et l’extrême hétérogénéité
des productions réunies sous ce vocable (Bishop et Cadet, 2007).
Selon Bishop (2010), le tournant de la lecture littéraire s’accompagne
toutefois d’une revalorisation de l’écriture subjective, disparue des
prescriptions en France dans les années 1990 (2010 : 248). À ce titre,
les travaux récents sur les écritures de la réception (Le Goff et
Fourtanier, 2017) permettent d’actualiser la longue tradition des
écritures de soi dans le contexte spécifique de la lecture et de
l’écriture littéraires. Toutefois, de même que toute écriture de soi
n’est pas nécessairement réflexive (Molinié, 2009), l’écriture
réflexive n’est qu’une visée parmi d’autres des écrits de la réception
(Sauvaire, 2017).

4.2. Mise à distance des interprétations


23 La mise à distance des interprétations constitue, selon nous, deux
dimensions spécifiques de la réflexivité lectorale qui, tout en étant
intrinsèquement liées, méritent d’être distinguées. La production, la
confrontation et l’évaluation d’une diversité d’interprétations
constituent une visée spécifique de la formation des sujets lecteurs.
Elle repose sur un ensemble de savoirs et ressources mobilisables de
façon transversale dans les différentes pratiques langagières. Dans
l’approche de la lecture subjective, la place des savoirs disciplinaires
(Canvat, 2000) se voit réduite au profit de l’appropriation de
compétences interprétatives (Langlade, 2000) qui intègrent la
mobilisation des savoirs parmi d’autres ressources subjectives
(cognitives, axiologiques, psychoaffectives, socioculturelles, etc.).

4.3. Retour sur soi-même comme lecteur

24 Quant au retour sur soi, il est intrinsèquement lié à l’émergence de la


subjectivité du lecteur : l’investissement subjectif du lecteur, loin de
signaler un manque de distance par rapport à la supposée objectivité
du sens textuel, est la condition de la distanciation de soi à soi.
Inversement, le retour réflexif sur son parcours interprétatif permet
au lecteur d’enrichir et de diversifier consciemment ses ressources
subjectives. Le retour sur soi-même comme sujet lecteur peut être
analysé à l’aide des indicateurs suivants  : l’évocation de soi lisant,
l’identification des ressources subjectives mobilisées, l’analyse
rétrospective des moments clés du parcours de la compréhension, la
constitution d’une représentation de soi comme lecteur. En
favorisant la mise à distance des interprétations et le retour sur soi
comme lecteur, on permet le « moment critique » (Ricœur, 1986). Ce
moment critique ne constitue pas un saut hors de la subjectivité,
mais au contraire la condition de la prise de conscience par un
lecteur de la dimension subjective de ses interprétations.
4.4. Intersubjectivité et interdiscursivité

25 La quatrième et dernière dimension de la réflexivité du sujet lecteur


est relative à sa situation dans un espace dialogique de nature
intersubjective et interdiscursive. Si la lecture subjective est d’abord
un espace dialogique, celui de la rencontre entre «  le monde du
texte  » et le «  monde du lecteur  » (Ricœur, 1986), en classe, elle
apparait aussi comme le fruit d’un espace intersubjectif dans la
mesure où les diverses interprétations y sont partagées, confrontées,
discutées, validées. Ces deux espaces, dialogique et intersubjectif, se
présupposent mutuellement : d’une part, l’acte de lecture révèle ou
actualise, de manière éminemment singulière, la diversité des
interprétations qui confère à la réception collective de l’œuvre une
justification  ; d’autre part, c’est en partie parce qu’il participe aux
attentes de la communauté constituée par la classe que l’élève est
reconnu comme un sujet lecteur. La dimension intersubjective de la
réflexivité est essentielle, car elle permet de saisir pourquoi
l’apprentissage du sujet lecteur n’est pas réductible à l’expérience de
l’individu lecteur. L’intersubjectivité est constitutive de la
subjectivité, elle lui confère son dynamisme processuel et temporel.
La subjectivité du lecteur est nécessairement mutable et prospective,
parce qu’elle se situe à la fois dans une temporalité courte (celle du
dialogue entre lecteurs), mais aussi dans une temporalité longue
(celle des réceptions passées et à venir, dont le dialogue
intersubjectif n’est qu’un segment). Ainsi, l’interaction entre sujets
n’est un segment d’une interdiscursivité (Hébert, 2007), dans
laquelle tout discours sur l’œuvre se situe, qui contribue à la
circulation et à la remise en question de normes, de valeurs, de
modalités de justification spécifiques à des communautés
interprétatives qui peuvent contraindre les formes de l’activité
lectorale et les textes que cette activité produit (Citton, 2013).
26 Les différentes dimensions de la réflexivité peuvent contribuer à
approfondir les modalités créatives, critiques et éthiques de la
subjectivation dans le cadre de l’apprentissage de la lecture
littéraire. La dimension des pratiques langagières permet
particulièrement d’explorer la créativité dans l’invention de formes
orales ou écrites qui soutiennent l’expression de la diversité
subjective, mais qui sont suffisamment souples pour ne pas la
réduire ; la dimension de la mise à distance des interprétations et du
retour sur soi ouvre la voie à l’attitude critique 2 qui consiste pour
les sujets à identifier leurs relations à la connaissance, au pouvoir, à
l’éthique et à l’art en tant qu’elles sont des formes historiquement
construites de leur actualité. Les dimensions intersubjective et
interdiscursive constituent le lieu privilégié d’une éducation
éthique, orientée, par exemple, vers la compréhension du pluralisme
axiologique (Leroux, 2016), la reconnaissance d’autrui comme un
autre soi-même (Ricœur, 1990), le développement de l’imagination
empathique (Nussbaum, 2012).

Conclusion
27 Ce parcours succinct à travers diverses conceptions de la réflexivité,
dans les domaines contributeurs de la didactique de la littérature, a
débuté avec l’élargissement de la «  réflexion sur l’action  » inspirée
de Schön vers la prise en compte du retour sur soi, sur son parcours
de formation ou d’apprentissage. Un second mouvement consacré à
la réflexivité dialogique ou langagière a permis d’éclairer les liens
entre réflexivité et processus de subjectivation, y compris dans sa
dimension intersubjective. Il est apparu que les divergences de
conception de la réflexivité reposaient en partie sur la variété des
objets, entendus comme moyens et comme finalités, du
développement de la subjectivation. Ainsi, pour Vanhulle, la
subjectivation repose essentiellement sur l’appropriation et la mise à
distance des savoirs. Cette « subjectivation des savoirs », chevillée à
une dynamique intersubjective, permet d’atteindre une forme
d’objectivation en vue de l’action didactique. Pour les tenants d’une
approche didactique de la réflexivité langagière, la subjectivation
repose avant tout sur l’expérimentation et la mise à distance de
pratiques langagières à l’école (Chabanne et Bucheton, 2002 ; Daunay
et Treignier, 2004). Les interactions langagières entre les sujets
suscitent l’intensification d’une dynamique cognitive. Ainsi,
pratiquer l’écriture et l’oral pour penser contribuerait à se penser
comme sujet scolaire. Les approches didactiques de la réflexivité en
lien avec la production et la réception des œuvres littéraires font la
part belle à l’expression et à la compréhension de la pluralité, de la
mobilité et de la diversité du sujet. Assumant des héritages
philosophiques distincts (Foucault et Ricœur), ces approches
proposent un élargissement maximal de la définition de la
réflexivité, comme mise à distance des rapports à soi, à autrui et au
monde, médiatisée par l’écriture (Molinié, 2009) et la lecture
(Sauvaire, 2013).
28 La conception de la réflexivité s’en trouve considérablement élargie,
au risque peut-être de se diluer dans une variété de pratiques
hétéroclites et de productions peu formalisées (Bishop et Cadet,
2007). Une des limites de la notion de réflexivité concerne ainsi la
tension entre des définitions larges, dont l’enjeu est sans doute
d’inscrire l’enseignement de la littérature dans le projet d’une
anthropologie philosophique et critique, mais qui tendent à
amalgamer réflexivité, créativité et intersubjectivité, et des
conceptions plus précises, mais aussi plus restreintes, reposant in
fine sur la primauté accordée à l’appropriation de savoirs et de
procédures cognitives.

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NOTES
1. Selon Bibauw et Dufays, la réflexivité et la métacognition sont des «  concepts  » qui
« peuvent être distingués à la fois du point de vue de leurs objets – la réflexivité porte sur
toutes les actions du sujet, quand la métacognition ne porte que sur ses opérations
cognitives – et de leur portée – la réflexivité suppose, au-delà de la prise de conscience, une
certaine régulation des actions du sujet » (2010 : 3).
2. À partir d’une lecture de Qu’est-ce que la critique ? (2015) de M. Foucault, nous définissons
l’attitude critique comme l’articulation entre la relation à la vérité (dans laquelle se
constitue le sujet de la connaissance), la relation au pouvoir (dans laquelle se constitue le
sujet agissant et étant agi par les autres), la relation éthique (dans laquelle se constitue le
sujet de l’action morale), la relation esthétique (dans laquelle se constitue le sujet de
l’expérience sensible).

AUTEUR
MARION SAUVAIRE
Université Laval, Québec, CRIFPE
Lyn Lakehal <crymlakehal@gmail.com>
L’autobiographie de lecteur en
didactique de la littérature : un
outil pour la recherche et
l’enseignement
Chiara Bemporad

1 L’un des apports majeurs de la didactique de la littérature de ces


dernières années concerne la prise en compte des pratiques
effectives des lecteurs (Rouxel & Langlade 2004, Daunay 2007, entre
autres). De telles pratiques peuvent s’observer directement par une
méthodologie ethnographique (observations en classe ou analyses de
productions d’élèves) ou, indirectement, en analysant les discours
sur ces pratiques que les sujets-lecteurs produisent lorsqu’ils sont
sollicités.
2 Lorsque de tels discours (oraux ou écrits) sont structurés autour
d’une thématique relative au rapport à la lecture, qu’ils sont
présentés de manière chronologique et qu’ils s’organisent comme un
genre autonome, ils sont connus sous le terme d’autobiographie de
lecteur (Rouxel  2004, De Croix  &  Dufays, 2004). On peut toutefois
recourir à des démarches autobiographiques plus diversifiées et
morcelées pour décrire, de manière non systématique, des pratiques
de la lecture ou pour exprimer des «  souvenirs de lecture  »
(Louichon, 2009).
3 La présente contribution propose de revenir sur ces différentes
démarches didactiques autour de l’autobiographie, en retraçant dans
un premier temps une synthèse de leurs «  usages  » dans les
recherches en didactique de la littérature, avec référence aux
travaux dans d’autres disciplines (littérature et sociologie). Il sera
ensuite question de réfléchir sur les observables d’une telle
démarche, par le biais d’exemples empiriques. Enfin, je discuterai
des issues didactiques et épistémologiques de telles verbalisations,
en les problématisant au regard des démarches biographiques dans
un autre espace de recherche, celui de la didactique des langues, où
elles constituent depuis longtemps un champ très productif,
construit sur de solides bases méthodologiques et scientifiques.

1. L’autobiographie de lecteur en didactique


de la littérature
4 Dans le champ des recherches en didactique de la littérature, le
recours à des éléments biographiques de lecteurs est une démarche
qui a été adoptée et étudiée par nombre de chercheurs 1 ,
notamment en lien avec les travaux autour de la notion de sujet-
lecteur. Par exemple, dans le collectif de Rouxel et Langlade (2004),
les auteurs s’intéressent d’une part aux démarches didactiques qui
amènent le lecteur à se positionner de façon subjective sur une
lecture précise, et d’autre part à la manière dont celui-ci se présente
en tant que sujet en revenant sur son parcours et en décrivant ses
pratiques de lectures. Le propos du volume est en effet celui
d’explorer « les espaces de liberté effectifs dont jouissent les lecteurs
réels face à des œuvres qui programment et codifient implicitement
la façon dont elles entendent être lues » (Rouxel & Langlade, 2004 :
12-13).
5 Dans un article faisant partie de l’ouvrage susmentionné, Rouxel
(2004) adopte l’expression d’«  autobiographie de lecteur  » pour
décrire une activité de classe où des élèves de collège et d’université
ont rédigé un texte décrivant leurs lectures passées et présentes, à la
suite d’exemples tirés de textes littéraires pour la jeunesse.
L’auteure emprunte le terme à un genre littéraire inauguré par
Pierre Dumayet au moyen d’un ouvrage autobiographique intitulé
Autobiographie d’un lecteur (2000). Rouxel lie l’autobiographie du
lecteur à la notion d’identité, en parlant d’«  identité littéraire  » et
« d’identité de lecteur » et en soulignant à quel point cette démarche
didactique «  ouvre la réflexion sur la part que peut prendre la
littérature dans la formation d’un individu, sur la multiplicité des
modes d’appropriation des textes, sur la place de la subjectivité chez
le sujet qui construit du sens  » (Rouxel, 2004  : 137). La question
complexe de la construction identitaire est considérée par l’auteure
comme l’un des apports essentiels de cette démarche. Bien que
contextuelle et induite par une consigne d’un enseignant, la
rédaction de son autobiographie permet à l’élève de se construire en
tant que lecteur, en légitimant ses pratiques de lecture. Rouxel
(2004) considère le terme d’identité de lecteur plus approprié pour
des élèves, puisqu’elle se réfère à une identité qui est propre à toute
personne qui lit, qui est alphabétisée, alors que l’expression
d’identité littéraire définit plutôt un professionnel de l’écriture (un
écrivain notamment). Dans le cas de personnes en formation (élèves
ou étudiants), un tel discours est d’autant plus pertinent qu’il
concerne directement le contexte social dans lequel elles agissent,
l’école (ou l’université) étant en effet le milieu par excellence où la
lecture est apprise, pratiquée et valorisée et où se construisent ses
représentations sociales :
la pratique de l’autobiographie de lecteur est fort heureusement souvent riche
d’enseignements pour les sujets lecteurs en formation. En faisant advenir à la
conscience une image de soi-même, elle constitue bien souvent le geste
fondateur d’une identité de lecteur en train de se construire ou de s’affirmer
(Rouxel, 2004 : 141)
6 L’autobiographie de lecteur est également l’objet de l’article de
Dufays et De Croix (2004) de ce même collectif, qui décrit une activité
de classe articulant l’autobiographique (entendue comme
recontruction diachronique des expériences de lecture) et des
autoportraits de lecteurs (orientés vers une autodescription des
pratiques de lecture du présent). Les auteurs relèvent un deuxième
apport didactique de cette démarche  : le devéloppement de la
conscience métacognitive. Ils envisagent en effet les démarches
autobiographiques décrites comme une occasion pour l’élève «  de
s’interroger sur son rapport à la lecture d’hier à aujourd’hui et de
développer une forme de métacognition afin de mieux se cerner
comme sujet-lecteur » (De Croix & Dufays, 2004 : 155). C’est ainsi la
capacité réflexive de l’élève qui est mise en avant :
En les rédigeant, les élèves mobilisent en effet des souvenirs, se décrivent comme
sujets  -  (non) lecteurs, s’interrogent sur leurs goûts, leurs habitudes, leurs
attitudes, leurs aptitudes. Ils expriment leurs plaisirs, leurs appréhensions.
Certains vont spontanément au-delà de ces descriptions-relations d’expériences.
Ils se lancent dans l’analyse, ils émettent des hypothèses sur les causes de leur
désintérêt, de leur manque de goût. Ils tentent d’expliquer l’origine d’un
tournant dans leur rapport à la lecture. (De Croix & Dufays, 2004 : 155)
7 Dans un article ultérieur, Ledur et De Croix (2005) ont présenté un
dispositif autobiographique adressé cette fois à des futurs
enseignants. Les objectifs de la rédaction de ces textes, qui sont ici
destinés à être partagés avec le reste de la classe, sont semblables à
ceux évoqués pour les élèves : travailler la conscience métacognitive
et la capacité autoréflexive, se construire une identité
professionnelle. Par ailleurs, les auteurs soulignent l’importance de
travailler sur les représentations de la lecture en vue de construire
des savoirs et savoirs faire propres aux enseignants.
Cette tâche d’écriture effectuée en première année permet tout d’abord d’avoir
accès aux représentations initiales des étudiants en matière de lecture. Écouter
des histoires racontées par les parents, manipuler des albums illustrés, est-ce
déjà lire  ? Peut-on se considérer comme lecteur assidu si on ne lit que des
magazines et des journaux  ? Telles sont quelques-unes des questions qui
affleurent dans ces récits de vie de lecteurs (Ledur & De Croix, 2005 : 33).
8 Pour ces auteurs, la démarche de l’autobiographie pour ce type de
public constitue donc une véritable entrée en didactique de la
littérature.
9 L’autobiographie de lecteur peut donc se définir comme une mise en
discours de la manière dont les individus ont appris à lire, de leur
rapport à la lecture et à la littérature  –  et/ou plus en général à la
littératie  –  et de leur représentation des textes qu’ils lisent. Elle
touche la partie de l’identité du sujet qui s’est formée au travers des
pratiques de la lecture, et peut révéler à la fois une partie de sa
subjectivité  –  entendue au sens d’opinions, d’intérêts personnels,
d’expériences et d’émotions  –  et son positionnement socioculturel
par rapport aux valeurs, jugements et représentations partagés sur
la lecture et les textes.

1.1. Une démarche entre littérature et sociologie

10 En ce qui concerne les sources épistémologiques convoquées par les


travaux de didactique de la littérature pour légitimer la démarche de
l’autobiographie de lecteur, il est possible d’identifier notamment
deux courants : d’une part, l’étude des topoi littéraires présents dans
des œuvres autobiographiques d’écrivains thématisant les souvenirs
de lecture, d’autre part l’analyse de données autobiographiques,
propre à la sociologie bourdieusienne et post-bourdieusienne.
11 Du côté de la littérature, différents ouvrages autobiographiques
d’écrivains ont été convoqués pour appuyer la validité de la
démarche de la biographique de lecteur. Dans l’article
précédemment cité, Rouxel mentionne, outre l’ouvrage de Dumayet,
le Journal (1939-1942) de Gide (1946), qui ne constitue pas un genre
autonome, mais qui traite les expériences de lecture d’une façon
contingente et morcelée. Louichon (2009), quant à elle, a consacré
une étude approfondie à cette thématique des souvenirs de lecture.
En commentant tout d’abord le début des Confessions de Rousseau, où
l’auteur évoque ses premières lectures, elle rappelle que :
Ces quelques lignes [des Confessions] inaugurent une sorte de topos du genre.
Rares sont les autobiographes qui ne sacrifient pas à ces pages dévolues aux
lectures d’enfance, puis aux textes fondateurs et aux lectures importantes.
Depuis plus de deux siècles donc, les écrivains qui se racontent, racontent aussi
leurs lectures, évoquent leurs souvenirs de lecture parce que, comme Rousseau
sans doute, ceux-ci ont fortement à voir avec «  la conscience de soi-même  »
(Louichon, 2009 : 13)
12 Elle répertorie ainsi trois grandes catégories de textes littéraires ou
paralittéraires  : les topoi des « souvenirs de lecture » présents dans
les autobiographies d’auteurs, les autobiographies de lecteur
s’affirmant comme genre autonome (Dumayet, mais également
Michel Tremblay ou Michel Petit), et des « discours sur la lecture »
de formats variés, notamment produits à l’occasion de
manifestations médiatisées autour de la lecture et qui décrivent un
rapport entre une personne (souvent une personnalité) et un
ouvrage.
13 L’étude de tels textes a permis aux didacticiens de pointer du doigt
l’importance de produire un discours autour de la lecture, en le liant
également à l’identité littéraire d’un auteur :
Si les livres importants sont ceux qui révèlent le secret des choses, dire les livres
c’est dire les secrets qui habitent le lecteur, c’est mettre à nu une histoire, faite
d’ombre et de lumière, de mémoire et d’oublis. L’identité littéraire n’est jamais
que le produit du sujet qui l’énonce et cet énoncé n’a à subir aucun test de vérité.
Énoncer un titre, dire qu’on a lu un livre même si on ne l’a pas lu […] le sujet peut
dire ce qu’il veut […] il n’en énoncera pas moins une forme réelle d’identité
littéraire dont la matière comprend les livres lus, oubliés, confondus, imaginaires
ou désirés (Louichon, 2009 : 137).
14 Du côté de la sociologie, Ledur et De Croix (2005) et De Croix et
Dufays (2004) font référence aux travaux d’Eric Schön (1993). Ce
sociologue a en effet effectué une étude (quantitative et qualitative)
relativement à la lecture d’ouvrages littéraires auprès d’enfants et de
jeunes Allemands (13-20  ans) en se basant sur des questionnaires
ainsi que sur ce qu’il appelle des «  autobiographies de lecteur  »
(Schön, 1993 : 18).
15 De nombreux travaux sociologiques se sont intéressés aux pratiques
de lectures des individus et du public scolaire notamment, et la
didactique de la littérature peut s’inspirer surtout des approches
qualitatives et compréhensives (avant tout de Pierre Bourdieu ou de
Bernard Lahire). Les travaux de ce dernier (Lahire  2001 et  2004)
analysent, par exemple, de manière qualitative (entretien oral) des
pratiques effectives de lecture, et constituent des bases
méthodologiques et épistémologiques importantes pour les
didacticiens et les enseignants. Il affirme en effet que le sociologue
se doit de saisir « ce que les gens font avec les œuvres, ce qu’est leur
rapport effectif aux œuvres, ce que sont les réceptions réelles (et
non visées ou rêvées par des critiques, des producteurs culturels, des
auteurs ou des éditeurs) des œuvres » (2001 : 168).
16 En synthèse, on peut constater que les démarches autobiographiques
relatives à la lecture sont actuellement bien établies et bénéficient
d’une légitimité littéraire et de recherche en différents champs. Mais
quelle est leur utilité pour la didactique de la littérature  ? Et que
permettent-elles d’observer ?
1.2. Les observables de l’autobiographie de lecteur :
modes de lecture, bibliothèque intérieure et identité de
lecteur

17 Il est possible d’identifier trois éléments observables dans


l’autobiographie de lecteur  : les modes de lecture, la bibliothèque
intérieure et l’identité de lecteur, déjà décrite.
18 Les modes de lecture ont été théorisés par nombre de chercheurs. On
peut par exemple se référer, entre autres, à la dichotomie de Picard
(1986) entre les modes du game et du play, aux régimes de lecture
(compréhension ou progression) décrits par Gervais (1992) et Jouve
(1993), ou encore à la différence entre une lecture savante ou
« lettrée » et une lecture ordinaire (Canvat 2007).
19 Du côté de la sociologie, on retrouve également la mention d’une
dualité entre une dimension intime et publique de la lecture. De
Singly (1993), par exemple, distingue d’une part une lecture-libre,
sujette aux gouts personnels, qui «  doit permettre à chacun de se
trouver soi-même par le détour magique de l’imaginaire », et d’autre
part «  la lecture-contrainte, dictée par une autorité extérieure,
parents ou enseignants  », qui vise à «  la formation de la valeur
scolaire (ou professionnelle)  » (1993  : 133). La position de Lahire
(2011) est moins dichotomique et plus nuancée  : il montre
l’imbrication entre ce qu’il appelle les «  dispositions de lecture  »
(esthétique et éthico-pratique), les différents profils sociologiques
des lecteurs, leurs capitaux culturels et la pluralité constitutive des
identités sociales.
20 La bibliothèque intérieure, quant à elle, est devenue un concept
didactique à la suite notamment des  9es rencontres des chercheurs
en didactique de la littérature de Bordeaux en  2008  et de la
publication qui en a résulté (Louichon & Rouxel, 2010). Elle doit son
origine à une métaphore adoptée par Bayard (2007) pour indiquer
l’ensemble des livres lus ou connus par un individu, qui lui permet
de construire et organiser son rapport aux textes, aux autres et au
monde, et qui a par conséquent une incidence sur son identité et sur
sa subjectivité. Il s’agit d’une reconstruction personnelle d’une
bibliothèque collective partagée qui détermine l’identité d’une
communauté :
Nous pourrons nommer bibliothèque intérieure cet ensemble de livres  –  sous-
ensemble de la bibliothèque collective que nous habitons tous – sur lequel toute
personnalité se construit et qui organise ensuite son rapport aux textes et aux
autres. (Bayard, 2007 : 74)
21 Suivant Louichon (2010), cette notion se définit comme un ensemble
hétérogène de souvenirs de textes  : des mots, des histoires, des
échos, des titres et des œuvres privilégiées. Elle précise que la
bibliothèque intérieure a un caractère duel  : «  elle contient des
souvenirs d’expériences de lectures et une matière qui permet à ces
expériences de se vivre. Elle est constituée d’un fonds et d’œuvres
privilégiées  » (2010  : 184). Pour l’auteure, la mission de l’école
consiste à travailler non seulement quelques textes canoniques pour
«  permettre aux élèves de vivre des expériences de lecture
mémorables  », mais en même temps de travailler d’autres textes
différents, variés et multiformes, pour se construire un fonds
(Louichon, 2010).
22 La bibliothèque intérieure participe à la construction de l’identité
sociale du sujet tout autant que de son univers symbolique,
indispensable pour créer son moi intérieur. À ce titre, elle peut
renvoyer à la notion de ressource symbolique qui permet à l’individu
de sémiotiser des objets et d’intégrer la valeur attribuée à ces objets.
Notion propre à la psychologie socioculturelle, la ressource
symbolique, consiste en la transformation par l’individu d’un
élément socialement partagé en une ressource psychologiquement
importante pour lui (Zittoun, 2007) 2 . La ressource symbolique est
l’intermédiaire entre le monde psychique individuel et la réalité
partagée :
Ce sont ces dynamiques complexes d’usages d’éléments culturels doublement
pris dans des dynamiques de sens et de reconnaissance, à l’articulation de
l’individuel et du collectif, que nous avons appelés usages de ressources
symboliques (Zittoun, 2008 : 52)
23 Le terme de ressource permet de souligner le processus de
sémiotisation effectué par la personne à un moment donné en vue
d’une réélaboration pour une activité de sémiotisation ultérieure. La
bibliothèque intérieure peut donc être entendue comme l’ensemble
des ressources symboliques que la personne s’est construite au long
de la vie relativement à ses pratiques de lectures, mais qui ne se
concrétise qu’au moment où elle les sélectionne et les verbalise.

1.3. Une analyse de trois extraits d’autobiographies de


lecteur

24 Afin d’exemplifier ces trois observables, je propose une analyse de


trois extrais d’autobiographies de lecteur que j’ai récoltés dans un
contexte universitaire et qui intéressent des étudiants de français et
français langue étrangère.
25 Le premier extrait concerne la description de différents modes de
lecture en lien avec les contextes de lecture (académique et privé) et
permet d’appréhender la manière d’afficher des identités de lecteur :
Exemple 1. Josiane 3 , étudiante en français. Lorsque j’ai commencé mes études
en Lettres à l’université et plus spécifiquement en Français moderne, j’ai appris à
adopter une lecture «  critique  » des textes, grâce notamment à l’arrivée de la
linguistique dans mon parcours académique. […] Or, je ressens cette manière de
lire comme un masque que j’enfile lorsque j’étudie un livre dans le cadre
universitaire. Cette caractéristique de lecture peut m’empêcher certaines fois un
accès au texte basé sur l’affect. Cependant, ce masque tombe alors au moment où
j’entame la lecture d’un livre choisi personnellement et lu la plupart du temps
parallèlement au livre « imposé » pour un séminaire 4 .
26 Josiane décrit une dualité semblable à celle décrite par De Singly
(1993)  : d’une part, des lectures privées, d’autre part des lectures
universitaires, collectives, avec une fonction de mémoire et
d’héritage culturel. Entre les deux, une solution de continuité. Cette
dualité se traduit pour l’étudiante par l’adoption de modes de lecture
différents  : une lecture critique en contexte institutionnel
(universitaire) versus une lecture «  basée sur l’affect  » en contexte
privé. Josiane montre avoir conscience d’une valeur différente à
attribuer à ses deux types de lecture et avoir intégré leur séparation
constitutive (« le livre choisi personnellement » qui est « parallèle »
à celui «  imposé  »). Elle semble en outre suggérer qu’à ces deux
modes de lecture correspondent deux différentes identités de
lectrices, mais que la deuxième est plus authentique que la première
(comme le mot « masque » semble le suggérer).
27 L’exemple suivant décrit une autre manière de verbaliser l’identité
de la lecture en lien avec des valeurs différentes attribuées aux
modes de lecture :
Exemple  2. Lina, étudiante en français langue étrangère. Lire est un plaisir
lorsqu’on n’est pas contraint par le temps, surtout pour un examen à passer  ;
c’est un plaisir quand je le fais par le désir né en moi de découvrir des choses
dans des différents domaines qui m’intéressent à un moment donné. […] Lorsque
je lis un roman je découvre une époque, une culture. Ensuite je passe les
évènements sur mon propre filtre et j’arrive à comprendre mieux les autres et
moi-même. Ce qu’on lit nous transforme, je crois, inconsciemment, chaque jour
et on le partage aussi avec nos proches.
Le plus souvent je lis dans ma langue maternelle, le roumain. La deuxième langue
préférée pour la lecture est le français et ensuite, mais beaucoup moins, à cause
du vocabulaire restreint, l’anglais.
28 Lina décrit également une lecture duale, mais seuls le mode de
lecture play et l’instance du «  liseur  » (Picard  1984) ont pour elle
droit de cité. S’il y a deux modes suggérés, il n’y a toutefois pas deux
identités : l’étudiante valorise exclusivement une lecture plaisir, en
évoquant un «  moi  » individuel, en revendiquant une découverte
dictée par son «  désir  », et une construction de savoirs qu’elle a
choisis, sans imposition extérieure (notamment par l’école). Lina
décrit également de façon consciente l’impact que la lecture a sur
l’identité (« ce qui nous lit nous transforme »). Par ailleurs, puisque
cette étudiante lit en plusieurs langues, elle décrit une pluralité
identitaire construite en relation aux différentes langues de lecture.
29 Dans le dernier exemple, il est question de bibliothèque intérieure
avec la description de l’entrée dans la lecture et des souvenirs de
lecture :
Exemple  3. Stephen, étudiant en français langue étrangère. Quand je pense à
mon enfance, je ne peux pas décrire le processus d’apprendre à lire. Je me
souviens encore que mes parents m’ont lu des livres qui ont parfois marqué mon
enfance et que je continue à apprécier, comme par exemple les livres d’Erich
Kästner. J’ai finalement appris à lire à l’école et j’ai vraiment lu de grandes
quantités de livres et de BD. C’était des livres destinés aux jeunes garçons, dont
ceux de mon père, et aussi des bouquins pour les jeunes filles que ma mère avait
gardés de son enfance. Mes premiers contacts avec une langue étrangère se
déroulaient sous forme de chansons françaises que mes parents chantaient avec
moi à la maison 5 .
30 Stephen décrit une bibliothèque intérieure de son enfance bâtie dans
une relation entre ses lectures et des personnes physiques (ses
parents) qui les lui ont transmises. Ce ne sont pas des titres (mis à
part l’allusion à l’écrivain allemand de livres de jeunesse Kästner)
qui émergent, mais un « fonds » (Louichon, 2010) : BD, livres pour les
garçons, pour les filles. Par ailleurs, il est intéressant de noter que sa
découverte de la langue étrangère, le français, est très semblable à la
découverte des livres en langue première, puisqu’également
médiatisée par ses parents (les «  chansons françaises que mes
parents chantaient avec moi »).
31 Ces exemples permettent de voir d’une part la différence des
verbalisations des trois observables (modes de lecture, bibliothèque
intérieure, identités de lecteur), qui peut être exploitable en soi, à
des fins de recherche, pour mieux comprendre les conduites de
lecture et les dynamiques identitaires des lecteurs. D’autre part, on
peut constater la valeur heuristique que l’acte de mettre en mots ces
éléments a sur le sujet lui-même  : à chaque fois qu’il verbalise ses
conduites, ses ressentis, ses intérêts, ses représentations, il est
amené à se décrire et à se représenter, et par là à réfléchir et à se
positionner. La rédaction d’une biographie de lecteur accomplit une
action sur la personne, et favorise une prise de conscience.

2. La méthode biographique en didactique


des langues : une ouverture pour la
didactique de la littérature
32 Afin d’élargir la réflexion sur les démarches autobiographiques en
didactique de la littérature, je présenterai ici brièvement l’usage
didactique et épistémologique que la didactique des langues en a fait,
à travers l’autobiographie langagière. Cette démarche, qui est en
vigueur depuis les années  1980, afin notamment d’identifier les
besoins et les objectifs d’apprentissage de la personne  –  dans une
perspective de centration sur l’apprenant –, s’est constituée dans les
années  2000  comme une «  méthode  » (Molinié, 2011) de recherche
incontournable pour comprendre la personne (considérée comme un
acteur social) et agir sur son appropriation langagière. Les
chercheurs qui ont contribué à la réflexion sont nombreux 6 et
proviennent de champs différents  : sociolinguistique, linguistique
appliquée, didactique des langues, approches plurielles, didactique
du plurilinguisme, etc. Ils se sont à tour de rôle penchés plus sur le
versant de la recherche ou sur le versant de l’exploitation en classe.
33 Pour la recherche, ces biographies constituent un corpus de données
discursives par lesquelles, suivant une approche qualitative et
compréhensive, on vise à analyser les dynamiques identitaires mises
en place par les sujets plurilingues, à identifier les représentations
de la langue et de la culture, à mieux comprendre le processus
d’appropriation, etc. Cette approche suit une perspective
d’empowerment du sujet, car elle est conduite sur, avec et pour les
individus, lesquels «  établissent des liens entre développement de
pouvoir d’action, reconfiguration de l’expérience et construction
identitaire pour le sujet en (trans) formation  » (Molinié, 2015  : 65).
Molinié (2006), entre autres, souligne depuis longtemps le caractère
heuristique de la biographie langagière, avant tout, pour la personne
qui la verbalise :
Produire, faire produire ou encore recueillir des biographies langagières, c’est
faire une place de choix à la capacité qu’a l’acteur social de comprendre les
manières dont l’histoire sociale interagit avec sa formation personnelle […]. C’est
considérer le sujet du langage non seulement comme le lieu d’intersection d’un
ensemble de contradictions auxquelles il est confronté dans son existence, mais
surtout comme le seul locuteur compétent pour co-énoncer le sens de celles-ci.
(Molinié, 2006 : 9)
34 La méthode autobiographique est par ailleurs un outil heuristique
pour l’apprenant, car elle lui permet de construire, à travers son
discours, une représentation de soi et de son apprentissage, pour
pouvoir ensuite y réfléchir et agir sur celui-ci.
35 Cette dernière caractéristique contribue à légitimer l’exploitation
didactique de la méthode. De nombreux dispositifs pédagogiques ont
été conçus pour rendre la personne qui apprend consciente de ses
ressources (linguistiques, psychologiques, sociales,
comportementales, etc.), ainsi que du fait qu’elle se (re)construit en
tant que sujet plurilingue en donnant un sens aux différentes
pratiques langagières, aux contacts sociaux et à ses dynamiques
identitaires. Le sujet plurilingue expose sa trajectoire afin de lui
donner un sens (et ceci tant à l’oral qu’à l’écrit). Lorsque cette
trajectoire est appréhendée comme un tout, elle devient «  un
dispositif symbolique, par lequel le sujet fait d’une série
d’évènements un ensemble significatif pour l’appropriation  »
(Jeanneret, 2010 : 36). Lorsqu’on évoque des éléments morcelés de sa
vie, notamment propres au moment présent, on identifie des
difficultés spécifiques à l’apprentissage, qui peuvent être d’ordre
cognitif ou socio-psychologique, afin de les partager et les surmonter
(Molinié, 2006  ou Baroni  &  Bemporad, 2011). Par ce biais donc, un
enseignant peut légitimer des pratiques langagières, donner de la
valeur à un apprenant en agissant sur sa motivation, et déclencher
une dynamique d’action vers l’appropriation (voir entre autres
Jeanneret et Pahud, 2012).

3. Conclusion
36 La double visée de la méthode biographique pour la didactique des
langues en tant qu’objet de recherche et dispositif didactique pour la
classe prend tout son sens en didactique de la littérature également :
l’autobiographie de lecteur est tant un objet de recherche pour la
didactique de la littérature qu’un outil didactique pour la classe.
37 Elle constitue en effet un corpus de données discursives qui peut être
analysé, notamment de façon qualitative et compréhensive, pour
mieux comprendre les pratiques et les représentations des lecteurs,
leurs reconfigurations identitaires, les rôles des souvenirs de lecture
comme ressources symboliques. Ceci permet notamment de réfléchir
à une didactique mieux adaptée aux besoins et aux pratiques
effectives des lecteurs, en ligne avec la perspective du sujet-lecteur.
Par analogie avec la biographie langagière, on peut faire
l’hypothèque que, lorsque ces textes s’organisent pour appréhender
l’ensemble de la trajectoire du sujet, ils permettront surtout
d’étudier la bibliothèque intérieure et l’identité de lecteur. Lorsque
ces données concernent des souvenirs de lecture morcelés et
contextuels, elles permettront d’observer plutôt des modes de
lecture. À cet égard, les données présentées et analysées par Rouxel
(2004) et De Croix et Dufays (2004) ont permis un avancement
remarquable dans l’étude des pratiques effectives. Il semblerait
intéressant de continuer dans cette voie, en diversifiant les publics
et les contextes, ainsi que les modalités de recueil des données,
notamment en envisageant des corpus de données orales ou des
recueils longitudinaux.
38 En tant que démarche didactique, la pratique de l’autobiographie de
lecteur permet notamment d’agir sur la motivation des élèves, en
légitimant leurs conduites, en développant leurs capacités réflexives
et métacognitives, en explicitant leurs représentations, leurs
valeurs, leurs ressources symboliques et leurs stratégies de lecture.
Les études en didactique de la littérature et des langues ont en effet
montré à quel point lorsqu’un élève (ou étudiant) produit une
autobiographie de lecteur, il adopte une posture autoréflexive et
effectue un acte identitaire qui (potentiellement) le légitime en tant
que lecteur, le motive en tant que sujet apprenant, et lui donne du
pouvoir (dans le sens d’empowerment) en tant que personne qui agit
dans la société, aussi notamment en raison de ses compétences de
lecture et écriture.
39 L’autobiographie de lecteur, dans ces différentes formes, constitue
donc un objet riche et important pour la didactique de la littérature,
dont le potentiel en contexte tant d’enseignement que de recherche
mérite de continuer à être développé.

BIBLIOGRAPHIE
Références bibliographiques
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NOTES
1. Pour simplifier la lecture, j’utiliserai la forme masculine pour renvoyer aussi bien au
masculin qu’au féminin.
2. «  The notion of symbolic resource is located exactly there, where the person turns a
socially shared element into a psychologically relevant resource  ; uses of symbolic
resources necessarily constitute a bridging between inner world and shared reality  »
(Zittoun, 2007  : 345). «  La notion de ressource symbolique se situe exactement là où la
personne transforme un élément socialement partagé en une ressource psychologiquement
importante pour elle : les usages des ressources symboliques constituent nécessairement un
pont entre le monde intérieur et la réalité partagée » (traduction personnelle).
3. Tous les prénoms des étudiants sont fictifs.
4. Ces données ont été recueillies dans le cadre d’un cours de Master, «  Approches de la
lecture littéraire pour l’enseignement », que j’ai donné en collaboration avec un collègue,
Gaspard Turin, au semestre de printemps  2017. Mon collègue et les étudiants sont ici
remerciés.
5. Les deux extraits ont été recueillis dans un cours de Bachelor d’une collègue au
printemps 2008 dans le cadre de ma recherche doctorale.
6. Pour une synthèse des travaux voir notamment Molinié (2006, 2011  et  2015),
Thamin & Simon (2009) et Baroni & Bemporad (2011).

AUTEUR
CHIARA BEMPORAD
Haute École pédagogique du canton de Vaud, Lausanne
Lyn Lakehal <crymlakehal@gmail.com>
Discipliner par la littérature
Questions et options méthodologiques pour une approche
descriptive et explicative quasi expérimentale en milieu écologique

Christophe Ronveaux, Bernard Schneuwly et Grafelitt

1 Qu’est-ce qui s’enseigne dans un cours de littérature au fil des


niveaux scolaires ? C’est cette question naïve, presqu’un truisme, qui
fonde la réflexion méthodologique au cœur de cette contribution.
Elle s’appuie sur une conception qui, se référant à la théorie de la
transposition didactique et de la relative autonomie de la culture
scolaire, voudrait rompre avec trois évidences  : (i) celle de
considérer d’abord le discours produit à l’école sur la littérature
comme un avatar abâtardi du « vrai » discours critique et de rejeter
dans l’espace scolaire la responsabilité d’une vulgarisation
descendante de savoirs forcément dégradés parce que simplifiés, (ii)
de considérer ensuite la littérature enseignée et sa distribution à
différents niveaux d’enseignement en toute transparence, comme se
rangerait dans un rayonnage structuré par niveau d’âge, de difficulté
et de maturité du lecteur, un livre, une œuvre, un auteur, en toute
indépendance de la discipline scolaire et de la progression
curriculaire établie par l’école, et (iii) d’attribuer enfin aux seuls
enseignants la responsabilité d’un immobilisme et d’une fixation des
pratiques dans une tradition qui les rendraient imperméables aux
innovations didactiques.
2 Le point de vue empirique et didactique que nous défendons ici au
contraire suppose (i) que la littérature enseignée est une création
originale, articulée avec deux champs sociaux externes, à savoir la
pratique littéraire et les études et la critique littéraire, laquelle
littérature est à saisir dans les dimensions sémiotique et historique
d’une discipline, le français, (ii) que les objets à enseigner dans cette
discipline ont pour fonction d’assurer le développement dans un
temps scolaire de nouvelles manières de penser, de parler, d’écrire,
un rapport au texte, (iii) que la mise en œuvre de cette progression
s’actualise dans des dispositifs d’enseignement anciens et nouveaux
à la fois, qui répondent inlassablement aux nouvelles contraintes de
contextes toujours changeants. Les sources qui alimentent ce point
de vue font débat et mériteraient un développement en soi. Ce n’est
pas notre objectif ici. Nous nous centrons sur la notion de
«  disciplination  » sur laquelle nous reviendrons plus bas et nous
contentons de rendre compte des options méthodologiques de la
recherche GRAFElitt dont le modèle d’analyse et les résultats ont été
exposés partiellement ailleurs 1 . Ces options s’inscrivent dans le
questionnement développé depuis une vingtaine d’années par le
GRAFE. Nous soutenons que
C’est à travers la mise en œuvre pratique dans l’analyse des objets empiriques
que se précisent et se développent les outils méthodologiques, qu’ils sont en
quelque sorte mis à l’épreuve du travail concret de recherche. Le résultat de la
recherche sera donc aussi un appareil méthodologique dont on connaitra un peu
les possibilités et limites. (Schneuwly & Dolz, 2009 : 14)
3 C’est cet appareil méthodologique que nous développons dans la
présente contribution. Les travaux empiriques sur les pratiques
effectives dans le domaine francophone, qui dépassent l’analyse de
cas ou l’observation de quelques séquences, ne sont pas légions
(Daunay, 2007). L’on cite ordinairement la recherche pionnière de
Franck Marchand, Le français tel qu’on l’enseigne (1971) qui
interrogeait la relation entre les savoirs des disciplines du français et
des exercices pratiqués dans les classes à partir de matériaux divers,
dont les leçons de trois enseignants du cours moyens. Depuis une
vingtaine d’années, les recherches descriptives d’importance sur les
pratiques enseignantes se sont multipliées. Citons parmi d’autres la
recherche dirigée par Gérard Sensevy (2007) sur les pratiques
effectives en mathématique et en français. Ou encore la recherche
dirigée par Bernard Schneuwly et Joaquim Dolz (2009) sur deux
objets contrastés de la discipline, la phrase relative et le texte
d’opinion, qui comprenait un corpus de trente séquences
d’enseignement. Plus récemment, la recherche Lire et écrire (2015)
sur l’apprentissage de la lecture au cours préparatoire, dirigée par
Roland Goigoux, s’est conduite à partir d’un échantillon important
de cent-trente-et-un enseignants et de deux-mille-cinq-cent-sept
élèves. Pour autant, celles-ci n’ont pas fait beaucoup d’émules dans
la recherche sur l’enseignement de la littérature. Même la vaste
enquête de Bernard Veck (1994), souvent citée en exemple, ne porte
que sur quelques séquences de pratiques de classe 2 . Ces analyses
partielles ne permettent pas ou peu une objectivation des savoirs
nouveaux à l’œuvre dans les pratiques enseignantes
contemporaines. Sous l’effet de corpus trop restreints, peu de ces
recherches échappent en effet à la tentation de porter un jugement
de valeur sur les « configurations anciennes », selon l’expression de
Veck, en regard de la critique universitaire ou des innovations
didactiques. La centration de notre contribution sur l’appareil
méthodologique se justifie en outre parce que l’exposé des méthodes
dépasse rarement le cercle étroit des experts, lecteurs et lectrices de
thèses ou des projets déposés auprès des institutions nationales
pourvoyeuses de fonds.
4 Nous saisissons l’occasion de ce volume pour rendre explicites les
options méthodologiques et conceptuelles d’un travail empirique sur
les pratiques effectives d’un enseignement de la littérature au fil des
niveaux scolaires. Nous posons d’abord le problème de décrire les
transformations de l’objet à enseigner vers l’objet enseigné. Nous
formulons ensuite notre questionnement et nos hypothèses de
recherche. Nous décrivons enfin quelques-unes de nos options
méthodologiques et exposons notre modèle d’analyse.

1. Décrire la transformation de ce qui


s’enseigne en littérature par une recherche
empirique
5 À l’origine de la question naïve par laquelle nous ouvrions cette
contribution, il y a cette visée de décrire un objet d’enseignement
protéiforme et équivoque. Au-delà de l’ambigüité de l’appellation et
des contenus ou matières qu’elle couvre (cf. notamment le
questionnement de Georges Legros, 2005), notre visée est de saisir la
littérature enseignée dans ses transformations telles qu’elles
s’opèrent dans la classe, sous l’effet conjugué du travail de
l’enseignement et de l’apprentissage des élèves, dans la continuité
ou les ruptures des niveaux scolaires. L’opérationnalisation de cette
visée dans un dispositif de recherche empirique devra résoudre la
double difficulté (i) de rendre compte d’un objet d’enseignement en
construction dans une situation donnée, lequel objet appartient à
une discipline scolaire et est loin d’être transparent, et (ii) de le faire
dans l’empan large d’une progression curriculaire étendue sur
plusieurs cycles.
6 La première difficulté est de saisir la littérature et la lecture
enseignées dans les situations historiques et sociales qui les ont
suscitées, d’une part, et dans leur actualisation hic et nunc de
pratiques discursives de transmission spécifiques, d’autre part. La
littérature et la lecture sont des constructions historiques, produites
dans le cadre d’action d’une discipline scolaire, le français, dont les
significations sont inlassablement reprises et négociées dans la
classe. Observer à travers les échanges verbaux et les dispositifs
didactiques les transformations de l’objet à enseigner vers l’objet
enseigné, c’est questionner les significations de l’objet dans son
caractère à la fois socio-historique et émergent. Quand on interroge un
enfant ou un adolescent sur la manière dont il lit tel ou tel texte, ce
n’est pas seulement son activité cognitive que l’on objective mais
une conduite sociale. Peut-on neutraliser complètement le contexte
scolaire qui transforme son rapport au texte  ? «  Il n’y a que des
contextes  », écrivait Raymond Michel (2011) lorsqu’il commentait
l’apport des fables expérimentales de Stanley Fish (2007). Si c’est le
lecteur qui fait le texte, note Michel, il convient de considérer cette
activité cognitive de production du sens à l’aune du contexte
institutionnel qui donne forme et sens à l’exercice dans laquelle
cette activité se déploie. Et Michel de poursuivre (2011 : 9) :
La thèse est sans appel  : nous voyons toujours d’une certaine manière , nous
sommes toujours plongés dans un contexte, dont nous avons incorporé et appris
les intérêts, les objectifs et les usages, et dans une situation qui nous conduit à « 
voir x comme y  ».
7 Méthodologiquement, comment observer ce qui a été enseigné pour
que les élèves voient le texte comme littéraire et l’abordent comme tel ? Si
les élèves ont incorporé de nouvelles manières de faire, de penser et
d’écrire par la littérature, c’est aux dispositifs d’enseignement qu’ils
le doivent. Ces dispositifs relèvent à la fois des artéfacts de la
profession d’enseignant généraliste ou spécialiste (le résumé, le
questionnaire, la rédaction, l’écriture d’invention, le commentaire
de texte, la dissertation, etc.) et de leurs schèmes d’utilisation. Mais
surtout, les objets à enseigner sont irréductiblement liés au
processus de transformation des objets enseignés qui s’opère sous la
réaction des élèves.
8 La deuxième difficulté est de décrire des constructions historiques et
sociales qui relèvent d’« ordres scolaires » distincts (Prost, 1992). Dès
lors que l’empan d’observation s’étend à la comparaison des niveaux
primaire et secondaire, s’impose l’hypothèse d’une progression non
linéaire des transformations de l’objet – des objets, faudrait-il dire. La
littérature est depuis plus d’un siècle omniprésente au primaire dans
les activités de découverte de textes, c’est une évidence, tant pour
enseigner le code que pour exercer à l’autonomie de la
compréhension. Pour autant ces usages de la littérature, depuis les
années  1930  de plus en plus aussi les usages de la littérature de
jeunesse, pour développer la lecture à l’école primaire créent-ils le
même type de rapport aux textes que ceux mis en œuvre à l’école
secondaire  ? Faut-il considérer la lecture de textes littéraires et la
littérature comme un seul et même objet, qui suivrait la progression
des élèves et s’adapterait aux capacités de ces derniers élaborées aux
différents niveaux  ? Cette dernière question se pose en Suisse
romande avec d’autant plus d’acuité aujourd’hui que le plan d’études
romand (désormais, PER), mis en circulation depuis  2011, a pour
ambition affichée d’assurer la cohérence d’une progression sur
l’ensemble de la scolarité obligatoire 3 . La question reste entière de
savoir comment se transforme pour une génération d’élèves, au fil
des niveaux scolaires, le rapport au texte, notamment littéraire. La
question du temps et de la distribution des contenus sur un
curriculum est posée sous l’angle de ce qui s’enseigne effectivement
dans les conditions de l’exercice du métier et renvoie à
l’épistémologie de la discipline, à son histoire et aux déterminants
qui en font une organisation sociale dynamique productrice de sens.
Pour décrire cette transformation de la littérature enseignée, sans
idéalisme, ni naïveté ni pragmatisme prescriptif, l’approche
descriptive et explicative quasi expérimentale parait la solution la
plus adéquate. C’est à la présentation et justification de cette
approche que nous allons nous atteler maintenant.

2. Une question de recherche et deux


hypothèses sur la disciplination
9 Qu’entend-on par «  disciplination  »  ? Se référant à André Chervel
(1988), Bernard Schneuwly et Rita Hofstetter (2014  : 41  et sq.)
définissent la disciplination comme le processus à travers lequel un
élève est exposé à des modes de penser, parler et faire
correspondant à une discipline et se les approprie. La disciplination
s’opère par les nombreux dispositifs didactiques que les enseignants
ont à leur disposition pour discipliner et dont l’appropriation par les
élèves est l’instrument de la transformation de leurs modes de
penser, parler et agir.
10 Concernant la lecture et la littérature, nous avons posé le problème
de la disciplination, du temps et de la progression à partir de deux
hypothèses. La première hypothèse pose un rapport au texte
différencié à l’école primaire et secondaire et trouve sa source dans la
formulation déjà ancienne de Renée Balibar (1985) 4 . Ce rapport
différencié considère deux pratiques langagières, matières à
distinction  : l’une ordinaire, concrète, référentielle, est propre aux
apprentissages fondamentaux des élèves des premiers degrés de
l’école primaire  ; l’autre littéraire, distanciée, symbolique, est
réservée aux élèves des seconds degrés de l’école secondaire. Cette
distinction est constitutive de la réputation littéraire du texte
comme objet à enseigner et de la manière littéraire de le lire. Cette
réputation se construit par la discipline français sous deux formes : la
littérature est, d’une part, moyen de construction de la langue
commune ; elle est, d’autre part, objet d’étude selon des démarches
codifiées, l’explication de texte, par exemple, qui impose une
certaine attention au texte.
11 La deuxième hypothèse comprend deux aspects et concerne le
processus dynamique de fabrication de la matière scolaire et la place
de la tradition dans ce processus. Dès les années  1960, la
massification du secondaire en Suisse romande, comme un peu
partout dans le monde (Kamens & Banvot, 2007), aura des effets sur
la discipline et la distribution de ses objets en son sein. Même si de
nouveaux objets apparaissent qui se hiérarchisent différemment,
l’existant est reconduit de deux manières : par reconduction pure et
simple de l’ancien (la lecture de textes canoniques, «  réputés
littéraires », nous reviendrons sur l’expression) et par récupération
du nouveau (les approches communicatives et celles de la
sémantique du lecteur) dans le processus de production de la
matière scolaire. Nous posons la double thèse suivante  :
contrairement à l’enseignement de l’écriture, l’enseignement de la
littérature en Suisse romande n’a pas conduit à un changement
fondamental de paradigme, pour des raisons qui tiennent à l’objet
même d’enseignement. Cependant, la discipline n’est pas figée pour
autant. Elle poursuit sa transformation par une porosité entre les
niveaux primaire et secondaire, en faisant glisser la littérature vers
le primaire, et par l’introduction de nouvelles manières de lire le
texte au secondaire.
12 Décrire les transformations de manières de parler, d’écrire et de
penser d’élèves par la disciplination au fil des niveaux scolaires, dans
leurs histoires, en tenant le discours «  par le bas  » (Daunay, 2007  :
147  et sq.), à partir des pratiques effectives, pose un problème
théorique et méthodologique de taille qui implique que le chercheur
précise son angle de vue. GRAFElitt a adopté celui de la littérature
enseignée, qu’elle prenne la forme de corpus de textes ou de supports,
de notions, de savoir-lire ou savoir-écrire. Aussi la question
principale de savoir comment un élève devient discipliné se
reformule dans l’unité dans laquelle se construit l’objet à enseigner.
Nous sommes en mesure à présent de reprendre notre question
naïve de tout à l’heure et de la préciser par les questions suivantes.
Au moyen de quelles composantes sont disciplinées les conduites de
lecture  ? Quelle variation en fonction des niveaux scolaires  ? Quels
sont les points communs aux écoles primaire et secondaire ?
13 Ces questions de recherche s’opérationnalisent dans le dispositif
d’une recherche qui structure son observation sur l’unité de la
séquence d’enseignement (nous reviendrons sur cette notion), lieu
privilégié de construction des significations de l’objet à enseigner.
Cet objet doit être suffisamment précis pour permettre la
comparaison de pratiques de plusieurs enseignants, proche des
prescriptions et néanmoins permettre aux enseignants une marge de
manœuvre dans l’interprétation, représentatif d’un même domaine
de la discipline dans cette idée de cerner les contraintes du
processus. Ces choix éclairent notre point de vue de privilégier le
travail de l’enseignant et la panoplie de ses instruments. Ces
derniers sont, sous l’angle de l’enseignement, moyens d’élaboration de
l’objet enseigné, et sous l’angle de l’activité des élèves, moyens de
transformation de leurs modes de penser, de parler et d’agir. Recenser
les instruments à travers les dispositifs mis en place par les
enseignants et ce que les élèves vivent comme des obstacles revient
à définir l’objet enseigné. Détaillons à présent le dispositif de
recherche par lequel nous traduisons ces questions et ces
hypothèses.
3. Un dispositif de recherche quasi
expérimentale pour reconstituer un
enseignement sédimenté
14 Quel matériau le chercheur a-t-il à sa disposition pour reconstituer
les transformations de ce qui est enseigné en littérature sans écraser
les strates historiques des pratiques ? On pense immédiatement aux
interactions didactiques et aux dispositifs, aux instruments qui font
aussi l’objet de ces interactions. Ils représentent en effet des lieux
privilégiés où les principaux protagonistes négocient le sens de ce
qui les réunit, où ils interprètent, à travers des suites de tâches, les
uns ce qu’ils enseignent, les autres ce qu’ils apprennent. Mais ces
conduites langagières, ces dispositifs et ces instruments ne sont pas
transparents, comme le rappelle Nonnon (2008a et b). Développés
dans la période de constitution de la discipline français, ils portent
les traces de compromis entre objectifs prescrits, prescriptions des
ressources (exercices de manuels), procédures et schèmes
d’utilisation intériorisés, ajustements et adaptations à la situation,
etc. Nous rapportons les objets enseignés à ces conduites, à ces
dispositifs et aux formes spécifiques qu’ils prennent lorsqu’ils sont
orientés par le développement de manières de faire, de penser et
d’écrire. Afin de décrire cette transformation des objets enseignés,
échelonnée sur une durée longue, produite par la discipline, pétrie
de tous ses déterminants historiques et sociaux, nous avons à
imaginer un dispositif de recherche qui organise des données
comparables en fonction des niveaux scolaires et fasse circuler dans
ces niveaux divers des objets textuels identiques. En cela, notre
approche relève d’une recherche quasi expérimentale.

3.1. Des données construites


15 Nos «  données  » sont davantage construites que collectées. Nous les
confectionnons à partir de plusieurs ensembles de références  : les
prescriptions institutionnelles, les ressources mobilisées par les
enseignants, les échanges verbaux produits en classe, les tâches et
leur organisation dans le temps sous forme de séquences, les
supports de lecture (manuels, anthologies, bibliothèques de classe,
etc.), les dispositifs et la panoplie des instruments de la profession.
Le point de départ de notre observation doit être déterminé par des
objets d’enseignement officiels, plus ou moins partagés (génériques,
narratologiques, métriques, etc.). Ces objets appartiennent à la
discipline, mais sont distribués de manière contrastée dans une
configuration qui nous renseignera sur la cohérence de la discipline.
Nous gardons en perspective que la progression est affaire de
«  niveau scolaire  » dans l’homogénéité d’un même degré et
l’étagement d’un degré inférieur à un degré supérieur. En vue de
coller au plus près à l’exercice du métier, les dispositifs et méthodes
d’enseignement sont laissés au libre choix des enseignants. Sont
collectés dans le même temps les supports (feuilles d’exercices,
inscriptions au tableau noir ou blanc, notes projetées par
rétroprojecteur, manuels, etc.).
16 Les enregistrements audiovisuels ont été précédés et suivis
d’entretiens semi-directifs avec les enseignants. Notre matière
première étant les séquences d’enseignement filmées en classe, les
entretiens jouent un rôle de complément aux données provenant des
enregistrements, dans la mesure où les informations recueillies
peuvent contribuer ponctuellement à l’éclaircissement et à la
compréhension des démarches entreprises par l’enseignant.
17 Vient le moment de réduire ces captations «  brutes  » sous forme
tabulaire représentant une séquence résumée de ce qui s’enseigne. Il
s’agit de fait d’un texte, appelé «  synopsis  » (Dolz,
Cordeiro  &  Ronveaux, 2006  ; Ronveaux, 2009  ; Ronveaux, Gagnon,
Dolz  &  Aeby Daghé, 2013), élaboré par le chercheur. Ce texte est
soumis au jugement d’un autre chercheur qui confirme ou infirme
les étiquetages et les descriptions narrativisées. Le synopsis
constitue le dernier ensemble de référence de nos données  ; il
restitue le mouvement d’ensemble de la séquence d’enseignement
du point de vue de la conduite de l’enseignant ; il se présente sous la
forme de cellules hiérarchisées comprenant les repères temporels,
les formes sociales du travail, les supports, les résumés narrativisés
des dimensions de l’objet enseignées.
18 La figure ci-dessous reproduit le début du synopsis d’une séquence
réalisée au secondaire  1  (référencée LAF_2.6  : LAF pour l’auteur du
texte, 2 pour le niveau, 6 pour la numérotation de l’enseignant). En
grisé apparait le titre de la première partie de la séquence
(«  Découverte et lecture du texte  »). Chacune des cellules qui sont
attachées à cette première partie représente une tâche («  Se
rappeler les connaissances concernant les fables de La Fontaine  »,
« Lire silencieusement le texte »). Dans ces cellules, apparaissent les
dimensions de l’objet enseigné.
Figure 1. Extrait du tableau synoptique de LAF_2.6
19 Dans notre appareil méthodologique, la séquence d’enseignement
est notre unité d’observation principale. Elle est au cœur du travail
de l’enseignant, qui la planifie, l’organise, dans laquelle il coordonne
les retours des élèves, régule l’activité. C’est par elle que l’enseignant
rend accessible l’objet d’enseignement en le transformant en objet à
apprendre. L’objet à enseigner y apparait diffracté en éléments
distribués dans le temps, selon un ordre raisonné. La séquence
représente à la fois un choix singulier, celui d’un enseignant, et
collectif, celui d’une profession. Ce découpage en unités
séquentielles et hiérarchisées représente la « macrostructure » de la
séquence observée. C’est à partir de ces macrostructures que sont
conduites les premières comparaisons.

3.2. Deux variables pour comparer des pratiques variées

20 Nos deux hypothèses, sur les deux modes de progression dans les
écoles primaires et secondaires d’une part, sur la part que prennent
les apprêts de la discipline sur la lisibilité des supports de lecture
d’autre part, impliquent que notre comparaison soit guidée par le
jeu de deux variables indépendantes  : les niveaux scolaires et le
texte. Nous sollicitons des enseignants de niveaux scolaires variés,
représentatifs d’institutions scolaires qui historiquement viennent
de traditions distinctes. Nous leur proposons deux mêmes textes
contrastés. Sous l’effet de la deuxième hypothèse, le texte joue le
rôle d’un «  réactif  » 5 . L’enseignement de ces deux textes réputés
littéraires est envisagé sous l’angle de l’interdépendance de deux
types de facteurs : ceux liés aux caractéristiques du texte, ceux liés
aux outils de la profession et de la définition des objets à enseigner.
Cette interdépendance se traduit par les questions suivantes  : dans
quelle mesure les caractéristiques du texte sont prises en
considération dans la conception et la mise en œuvre de
l’enseignement  ? Et inversement, dans quelle mesure les outils
spécifiques, forgés par la profession, vont neutraliser peu ou prou les
effets du texte ?
21 Quels textes choisir ? Le contraste doit tenir davantage aux « apprêts
didactiques », c’est-à-dire aux discours pédagogiques et didactiques
(critiques, manuels, exercices, etc.) dont sont assortis les textes qu’à
leurs propriétés thématiques ou stylistiques, voire génériques. Le
choix de La Fontaine s’est imposé rapidement. Les travaux de
Chervel (2006), d’Albanese (2003), ceux du groupe HELICE (Denizot,
Dufays  &  Ulma, 2016  ; Louichon, Bishop  &  Ronveaux, 2017), ont
montré la pérennité des fables à l’école, saturée de ressources
didactiques, mais aussi la labilité de leurs traits génériques. Qu’elles
soient lues à l’école comme des apologues écrits par un La Fontaine
moraliste, ou comme une œuvre poétique patrimoniale réalisée par
le «  Génie gaulois  », les fables témoignent de l’effet des usages
scolaires sur leur lisibilité, lesquels usages varient dans le temps en
fonction des valeurs et des objectifs de l’institution scolaire. La fable
du Loup et de l’agneau, en particulier, a une fortune scolaire, faite de
révérence et de rejet, qui a retenu toute notre attention. Par
contraste, la nouvelle de Jean-Marc Lovay, La Négresse et le chef des
avalanches, représente la part non didactisée de nos réactifs.
L’absence d’apprêts est particulièrement intéressante pour la
description des dispositifs et la manière dont les enseignants vont
s’emparer des notions scolaires pour baliser la lecture et réduire les
lieux d’incertitude du texte. Cette absence, en effet, transforme la
planification, notamment parce qu’elle rend difficilement prévisible
la lecture de la nouvelle en classe.
22 La fable et la nouvelle présentent toutes les deux des difficultés qui
rendent leur lecture problématique. Elles racontent des histoires qui
ne se laissent pas facilement condenser dans des scénarios
partageables de manière univoque. L’on s’attend à ce que, dès qu’ils
s’empareront des textes, les élèves soient amenés à les questionner.
Cependant, la «  réputation  » de la fable précède la situation de
lecture et intervient dans ce questionnement de deux manières  :
d’une part, sur l’objet de discours proprement dit que représente la
fable et dont la réputation littéraire n’est plus à faire ; d’autre part,
sur la situation de lecture littéraire du texte «  formatée  » par les
savoirs en usage. On postule une certaine indépendance de cette
réputation selon qu’elle s’applique à l’activité de lecture du texte ou
à l’outil scolaire censé faciliter l’appropriation d’un texte. Certes,
plus la compréhension de l’histoire sera maitrisable à l’aune de cette
réputation, moins la situation de lecture sera questionnée. Mais
aussi, plus la situation de lecture est cadrée par la réputation de
l’outil de lecture, moins la compréhension des histoires sera
présentée comme problématique, et cela indépendamment de
l’activité de lecture des textes. Le caractère littéraire de cette
réputation est à rapporter aux savoirs en usage, variables selon les
niveaux scolaires et les enseignants. Dans cette perspective, nous
considérons le rapport au texte comme le produit d’une lente
disciplination. C’est sous l’influence de la discipline français et de ses
enseignables qu’il faut considérer les propriétés réactives de nos
deux textes.

4. Un modèle d’analyse pour comprendre les


transformations de l’objet
23 Une fois les données produites, le matériau assemblé, les
transcriptions effectuées, les synopsis élaborés, quel modèle
d’analyse pour décrire la disciplination des élèves ? L’on ne peut se
contenter d’un seul point de vue sur les données. Nous observons le
travail de l’enseignant au fil des niveaux scolaires selon trois
focales : une focale de grand angle qui s’intéresse à la structure des
séquences d’enseignement ; une focale d’angle étroit qui s’intéresse
aux instruments de l’enseignant  ; une focale qui s’intéresse aux
gestes fondamentaux de l’enseignant et aux actions langagières
spécifiques du travail des enseignants et des élèves sur des textes
littéraires. Chacune de ces focales donne à voir une « facette » de ce
qui s’enseigne au fil des niveaux scolaires.

4.1. Le grand angle : les macrostructures

24 La structure de la séquence d’enseignement est un effet de la forme


scolaire mise en place au 19e siècle, et plus particulièrement du fait
que l’apprentissage scolaire se réalise dans des situations
spécialement créées pour apprendre à l’intérieur de disciplines
scolaires, dans des dispositifs progressifs allant dans le sens d’une
complexification et d’une spécialisation des capacités construites. Du
point de vue de la compréhension et explication de la construction
de l’objet enseigné, la séquence contient tous les éléments essentiels
du processus de transposition interne, chronogenèse et topogenèse
dans un processus hiérarchique de décomposition et recomposition
de l’objet, et séquentiel d’organisation d’une progression. Au-delà de
la séquence, l’objet d’enseignement risque de devenir trop général,
insaisissable, se confondant avec des parties entières de la discipline
scolaire  ; en deçà, c’est l’organisation hiérarchique et peut-être
même séquentielle au sens où nous venons de le définir qui risque de
disparaitre.
25 Nous avons conduit les analyses de grand angle de quatre manières :
(i) en comparant les macrostructures dégagées par les synopsis, (ii)
en isolant les moments de « présentification » de l’objet au début des
séquences, (iii) en dégageant les écarts entre les prévus et les
imprévus, les bifurcations dans la linéarité attendue des séquences,
(iv) en isolant dans les fins de séquences, le temps de la lecture et le
temps des exercices.

4.2. L’angle étroit : la panoplie des instruments

26 Puisque l’enseignant ne peut agir directement sur des processus


psychiques (Schneuwly  &  Dolz, 2009), son action d’enseigner se
réalise à travers la mise en œuvre de dispositifs  –  la création de
milieux disent certains  –  dans lesquels les élèves agissent afin
d’éventuellement transformer leur propre processus. Les outils ou
instruments, comme pour toute profession, constituent les moyens
d’action essentiels des enseignants qui disposent d’une panoplie très
étendue. Le deuxième point de vue d’analyse que nous adoptons vise
la description et l’analyse de tels outils ou instruments de la
profession que mobilisent les enseignants dans la construction de
l’objet d’enseignement. Nous avons d’abord répertorié l’ensemble
des dispositifs mis en œuvre. Cette première analyse, très générale,
donne une vue d’ensemble sur la totalité des dispositifs  –  lesquels
sont toujours des instruments, adaptés au contexte concret des
textes à travailler dans une classe donnée. Ils sont ici analysés non
pas dans leur séquentialité, comme c’est le cas dans le premier point
de vue (macrostructure), mais comme un tout qu’on peut regrouper
en catégories et analyser en fonction de leur référence à des
pratiques classiques ou rénovées.
27 Décrivons brièvement à présent les instruments que nous avons
retenus dans nos analyses : le résumé, le questionnaire, l’écriture de
texte, la lecture à voix haute et les supports.
28 Le résumé d’abord, ce grand classique de l’enseignement de la
lecture, multiséculaire (Chervel, 2006), censé faciliter et/ou vérifier
la «  compréhension  » globale du texte. L’analyse des différentes
pratiques du résumé vise à questionner cette évidence en situant
d’emblée « l’activité résumante » dans la dialectique du comprendre
et de l’interpréter, montrant la fonction bien plus complexe de cet
instrument que le laisse paraitre son apparence cognitive.
29 Les questionnaires, ensuite, cet autre grand classique des instruments
d’enseignement de la lecture de textes. L’analyse vise à décrire leurs
formes diverses, les contenus, leurs fonctions et à voir ainsi
comment se précise l’objet de l’enseignement.
30 L’écriture de textes, pour poursuivre. Certes, les élèves écrivent
souvent lors de leur travail sur des textes. L’outil particulier visé ici
est la production de textes en écho à la lecture, fréquemment utilisée
par les enseignants pour transformer le rapport des élèves aux
textes lus. Quels genres de textes sont produits à quel moment, à
quelle fin ?
31 La lecture à voix haute. C’est un outil particulièrement efficace pour
rendre un texte présent en classe. Si dans l’analyse des entrées dans
le texte, l’existence ou non de cette pratique a déjà fait l’objet d’un
premier repérage, il s’agit ici d’analyser beaucoup plus finement la
fonction de la lecture à haute voix  : ses modalités, ses
caractéristiques prosodiques comme indice de la création d’un
rapport au texte, sa fonction dans l’approche d’un texte réputé
littéraire, tenant compte notamment des caractéristiques métriques
de la fable contrastées par rapport à la prose du texte de Lovay.
32 Les supports des textes, pour finir. Sous quelle forme matérielle le
texte travaillé est-il présenté aux élèves ? Cette question n’a de sens
que pour la fable, pour laquelle le libre choix du support était laissé
aux enseignants. Pour l’autre texte, le choix restreint – soit un petit
fascicule contenant la nouvelle, mis à disposition de tous les élèves,
soit une photocopie du texte avec titre et quatrième de couverture –
  n’était pas suffisamment instructif pour mériter une analyse
approfondie.

4.3. Le point de vue des actions langagières et des


gestes didactiques

33 Notre dernière focale porte sur deux ensembles d’analyses  : les


actions langagières produites en interaction pour le traitement des
textes littéraires et les gestes didactiques des enseignants. Le
premier ensemble comprend les analyses du jugement esthétique et
du discours sur les émotions. Ces actions langagières apparaissent à
l’intérieur des dispositifs didactiques. Certaines sont liées à l’objet
particulier qu’est la lecture d’un texte réputé littéraire et
permettent, à travers le langage, de construire un rapport esthétique
à cet objet singulier, le texte justement  ; elles émanent des
enseignants ou des élèves. D’autres se développent sous l’effet
contrasté des deux textes, l’un étant considéré comme difficile,
illisible, bizarre, etc. Nous référant à Vygotsky qui considère l’œuvre
d’art comme un technique sociale des émotions, nous avons relevé la
présence et l’usage de lexèmes en rapport avec les émotions.
34 Le deuxième ensemble comprend les gestes fondamentaux qui sont à
la base de tout travail d’enseignant, quel que soit l’objet  : les
régulations locales d’une part  ; la mémoire didactique d’autre part.
Les régulations s’articulent très étroitement avec ce que font, disent
et pensent les élèves. Aussi avons-nous observé comment se
traduisent ces régulations lorsque les personnages du loup, qui tient
le rôle du prédateur dans la fable, et de la négresse, qui est présentée
comme la sauveuse du village dans la nouvelle, sont impliqués dans
l’analyse. Quant à la mémoire didactique, elle ajoute à cette dernière
focale une vue surplombante. L’enseignant mobilise, nécessairement
en interaction avec les élèves, des savoirs supposés acquis ou, par
anticipation, à construire. Autrement dit, il crée une sorte de fil
conducteur qui traverse l’ensemble de l’étude de l’objet enseigné.
L’analyse de ce geste constitue une voie privilégiée pour repérer quel
est l’objet prioritairement visé dans l’enseignement. Les moments de
création de mémoire sont extrêmement fréquents, quasi permanents
dans de nombreux présupposés, sous-entendus, allusions du discours
de l’enseignant (et parfois des élèves). Ici aussi, c’est par sondage que
nous procédons en visant les morceaux de discours dans lesquels la
mémoire est explicitement construite à travers des expressions
verbales qui font explicitement référence à des moments d’études et
de travails scolaires passés. Des mots comme «  se souvenir  »,
«  rappeler  », «  l’année/la semaine passée  », etc. servent
d’indicateurs permettant de localiser ces moments de construction
active et explicite de mémoire.

Conclusions
35 Une seule question, celle des objets enseignés au fil des niveaux
scolaires, conduit la recherche dont nous avons présenté le cadrage
théorique, les hypothèses, le dispositif et le modèle d’analyse. Notre
appareil méthodologique soutient le dispositif de recherche dans sa
visée de décrire et d’expliquer la transformation des traces
langagières produites par un long et patient travail de disciplination.
Nous avons posé l’hypothèse que la lecture et la littérature se
seraient constituées dans la perspective d’une sélection qui réserve
le jugement de gout d’un texte littéraire aux élèves disciplinés du
dernier cycle de l’école obligatoire (15  –  18  ans). Cette dernière
aurait pour vocation d’outiller progressivement les élèves à des
conduites langagières qui produisent un discours spécifique et une
relation au texte de l’ordre de la reconnaissance de la réputation
littéraire d’un texte. Pour rendre compte de cette progression
qu’instaure/prévoit/organise la discipline, nous avons fait jouer
deux variables, le niveau scolaire et le texte, dans un dispositif de
recherche quasi expérimental. Notre question de recherche sur les
objets enseignés agit comme une contrainte qui oriente les choix
méthodologiques : les variables des niveaux scolaires du primaire et
du secondaire, les variables des deux textes contrastés, l’un
«  classique  », bardé d’apprêts didactiques, l’autre contemporain,
sans apprêt. Pour observer le jeu des variables, nous avons choisi
l’unité de la séquence, le lieu de fabrication de la lecture et de la
littérature par excellence. C’est là que l’enseignant met en contact
les élèves avec les textes au moyen d’instruments forgés par la
discipline et la profession. Ce dispositif de recherche implique un
modèle d’analyse à plusieurs focales  : l’angle de vue des
macrostructures, celui des instruments de la discipline, celui des
activités langagières et des gestes fondamentaux de l’enseignant.
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NOTES
1. La requête FNS (100013_129797 / 1) intitulée La lecture littéraire au fil des niveaux scolaires.
Analyse comparative des objets enseignés en classe de littérature a fait l’objet de deux thèses,
présentées successivement par Chloé Gabathuler (2016) et Orianna Franck (2017), et d’une
publication qui est en cours sous la direction de Bernard Schneuwly et Christophe
Ronveaux. Elle a été prolongée par la requête FNS (100019_156698) sous le titre
L’enseignement de textes littéraires contrastés dans trois degrés scolaires. Évènements imprévus et
rôle des élèves.
2. À l’heure de rédiger ces lignes, des recherches sont en cours (entre autres, le collectif
PELAS, acronyme de Pratiques effectives de la lecture analytique dans le secondaire en
France et en Belgique, dirigé par Sylviane Ahr  &  François Le Goff). Mais peu de celles-ci
s’intéressent à la progression.
3. Au moment d’écrire ces lignes, se discute la mise en œuvre concrète d’un allongement de
l’école obligatoire jusqu’à 18 ans.
4. Voir aussi les nuances apportées depuis pour l’école française par les travaux de Jean-
François Massol (2004) et ceux de Martine Jey (1998).
5. En première approximation, la métaphore chimique nous renseigne sur le rôle du texte
dans la transformation attendue de l’objet enseigné. Dans une réaction chimique, un réactif
est censé provoqué une transformation de la matière si certaines conditions sont réunies.
De même, un texte bardé ou non d’appareils didactiques provoquera telle ou telle
transformation du contenu à enseigner.
AUTEURS
CHRISTOPHE RONVEAUX
Université de Genève, GRAFE

BERNARD SCHNEUWLY
Université de Genève, GRAFE

GRAFELITT
Université de Genève, GRAFE
Lyn Lakehal <crymlakehal@gmail.com>
Didactique de la littérature et
inégalités scolaires
Patricia Richard-Principalli et Jacques Crinon

1 L’émergence de la didactique du français dans les années  1970  a


entrainé une série de remises en cause de l’enseignement tel qu’il
était alors conçu, dont l’approche de la littérature, qui calquait les
pratiques des élites cultivées (Daunay, 2007). Le développement
ultérieur de la didactique de la littérature s’est ainsi construit sur la
critique de cet enseignement, en proposant des fondements
théoriques de l’approche de la littérature à l’école. Les contours
labiles d’une «  lecture littéraire  », qu’explorent notamment Dufays
(1995) et Tauveron (1999), que questionne Dufays (2002) et dont
Louichon (2011) montre la complexité se sont progressivement
tracés. Le paradigme du « sujet lecteur » (Rouxel et Langlade, 2004)
s’est développé, contre l’aspect formel et techniciste des approches
de la littérature, particulièrement au lycée, parallèlement à une
conception de la lecture comme va et vient entre distanciation et
participation (Dufays, 2002  ; Dufays, Gemenne et Ledur, 2011). Ces
approches, même si certaines peuvent entrer en tension (Dufays,
2013), avaient ou ont pour objectif de faire entrer les élèves en
littérature du point de vue culturel, cognitif et/ou socio-affectif.
2 Dans un contexte scolaire marqué à la fois par des conceptions
nouvelles de l’élève et de l’apprentissage (Bautier, 2016) et par les
inégalités scolaires (CNESCO, 2016), nous voudrions pour notre part
nous interroger sur la manière de faire entrer tous les élèves en
littérature, y compris les plus fragiles. Il nous semble pour cela que
le dialogue entre des champs différents, didactique de la littérature
et sciences de l’éducation, peut s’avérer utile et qu’un enseignement
de la littérature qui voudrait prendre en compte les inégalités
scolaires pourrait gagner à intégrer les savoirs produits dans le
champ des sciences de l’éducation 1 sur cette question.
3 Après avoir montré en quoi les inégalités caractérisent le contexte
scolaire, nous reviendrons sur des concepts permettant d’en éclairer
certains processus avant de proposer des pistes possibles pour un
enseignement de la littérature plus équitable.

1. Un contexte scolaire marqué par les


inégalités
1.1. Des exigences scolaires accrues

4 M.-F. Bishop (2007  : 19), envisageant diachroniquement les


programmes scolaires et l’image en creux de l’élève attendu, observe
ainsi qu’après « le sujet moral de la IIIe République » et « l’individu
perçu dans la spécificité de son histoire personnelle, à la fin des
années 1960 », l’heure est désormais au « sujet cognitif ». Le contexte
scolaire est ainsi plus exigeant dans la mesure où il a l’ambition de la
réussite de tous les élèves.
5 Cela se traduit aussi dans le corpus de la littérature de jeunesse.
Nous n’en donnerons que quelques exemples, qui, pour interroger
les corpus sous des angles différents, n’en montrent pas moins la
complexité d’une grande partie de cette littérature.
6 Ainsi C. Tauveron (2002) retient dans ses propositions didactiques
des œuvres littérairement «  résistantes  », qu’elles soient
«  réticentes  » ou «  proliférantes  » (Tauveron, 1999)  : il s’agit de
mettre les élèves en situation de résolution de problème face à ces
œuvres, de manière à construire une «  lecture attentive au
fonctionnement du texte et à sa dimension esthétique » (18).
7 En parallèle des programmes français de 2002, les causes potentielles
de «  résistance  » des textes littéraires, entendue cette fois comme
«  sources de difficulté  » ont d’ailleurs fait l’objet d’une grille
d’analyse à utiliser par les enseignants de l’école primaire dans un
Document d’accompagnement des programmes paru en 2003, Lire et
écrire au cycle 3 2 .
8 Plus récemment, B. Louichon (2015) a mis en évidence le cas des
Objets Sémiotiques Secondaires, qui actualisent sous diverses formes
des textes patrimoniaux et nécessitent dans certains cas  –  autre
source de difficulté potentielle  –  la connaissance de l’intertexte,
comme l’illustre l’exemple des «  contes détournés  » (Connan-
Pintado, 2010).
9 De son côté, à partir d’une approche sociologique, S. Bonnéry (2010)
s’est attaché à analyser l’évolution des œuvres pour la jeunesse ces
dernières décennies  : il montre par exemple comment l’évolution
dans le traitement du personnage du loup en littérature de jeunesse
induit des compétences de plus en plus élaborées chez les « lecteurs
supposés  », dont les conditions d’appropriation présupposent
l’articulation complexe de connaissances culturelles et de l’activité
cognitive.
10 Des travaux récents montrent que cette articulation exigeante
caractérise l’ensemble des supports d’apprentissage contemporains,
marqués par leur fort degré de «  composite  »  : une pluralité
d’hétérogénéités singularise les manuels, les fiches, les albums de
littérature de jeunesse aujourd’hui utilisés en classe et nécessite chez
les élèves des opérations cognitives complexes pour construire du
savoir (Bautier, Crinon, Delarue-Breton et Marin, 2012). La nature de
ces écrits, récurrents en classe, et les compétences qu’ils
construisent et supposent à la fois caractérisent ainsi la «  littératie
scolaire » (Delarue-Breton et Bautier, 2015 ; voir aussi Bautier et al.,
2012  : 66), nécessitant l’élaboration de significations génériques à
partir de ces documents. Ainsi l’École actuelle «  privilégie la
construction de raisonnements et la compréhension de savoirs et de
leur élaboration plus que leur transmission et mémorisation », ce qui
suppose des « activités cognitives supérieures » (Bautier, 2016).

1.2. Une relation entre résultats scolaires et origine


sociale

11 Cette plus grande exigence s’accompagne de résultats différenciés


liés au milieu d’origine des élèves, comme le montrent les
évaluations PISA, faisant état du système scolaire français comme
particulièrement inéquitable, confirmant de nouveau le constat fait
par P. Bourdieu et J.-C. Passeron (1970).
12 Dans un article connu, D. Bucheton (1999) avait observé la relation
entre la manière dont les élèves lisent les textes littéraires et leur
appartenance socioculturelle. Mettant des élèves de troisième de
collèges différenciés (recrutement en milieu populaire vs
recrutement en milieu favorisé) en situation de commentaire d’un
texte lu (une nouvelle de Didier Daeninckx), D. Bucheton distingue
ainsi par l’analyse des écrits cinq «  postures de lecture 3 »,
entendues comme des «  modes de lire intégrés, devenus non
conscients, construits dans l’histoire de la lecture de chaque sujet,
convoqués en fonction de la tâche de lecture, du contexte et de ses
enjeux, ainsi que de la spécificité du texte » (138).
13 La comparaison entre les deux classes met en évidence des résultats
contrastés : plus les élèves sont d’origine populaire, plus ils se figent
dans une seule posture (45  % vs  10  %)  ; plus ils sont d’origine
favorisée, moins ils sont dans la posture du «  texte-tâche  » (3  %
vs  20  %) et surtout plus ils combinent des postures qui leur
permettent de prendre de la distance par rapport au texte (39  %
combinent trois postures vs 10 %). Or ce sont précisément ces élèves,
qui « circulent 4 », qui ont été orientés en seconde.
14 Des travaux plus récents se sont attachés à la comparaison de
résultats entre classes de milieux sociaux contrastés à l’école
primaire.
15 P. Richard-Principalli et M.-F. Fradet (2016) ont évalué la réception
de deux albums de littérature de jeunesse, Mini-Loup à l’école et
Charivari chez les P’tites Poules 5 en classe de CE1. Leur objectif était
de comparer cette réception de manière contrastée (un album
simple vs un album «  composite 6 », une classe d’éducation
prioritaire vs une classe de centre-ville). De leur côté, C. Delarue-
Breton et É. Bautier (2015) ont analysé des entretiens réalisés en
CE1  dans deux écoles de profils opposés, l’une en éducation
prioritaire, l’autre dans une école au recrutement très privilégié,
suite à la lecture de l’album Le Loup sentimental de Geoffroy de
Pennart 7 . Ce qui caractérise de nouveau les élèves les plus habiles,
c’est la capacité qu’ils ont eux aussi à « circuler » dans les albums, à
la fois dans le système élaboré d’échos qui préside à l’album de G. de
Pennart et dans une représentation du monde construite à partir de
leur expérience personnelle et de leurs connaissances culturelles,
cependant que les élèves les plus en difficulté sont tout à la fois
leurrés par les procédés narratifs, ce à quoi l’on pouvait s’attendre,
et par des représentations personnelles qui font obstacle à la
compréhension du propos.
16 L’analyse des rappels de récit obtenus et des entretiens pointe très
précisément chez les élèves issus d’établissements de l’éducation
prioritaire la (re)construction erratique de la fabula par les élèves, en
relation avec l’hétérogénéité et l’organisation des albums, effet
différenciateur lié à l’expérience lectorale familiale.

2. Des concepts heuristiques


2.1. Le rapport au savoir

17 Parmi les diverses approches du « rapport au savoir », il existe une


approche clinique autour de J. Beillerot (Beillerot, Blanchard-Laville
et Mosconi, 1996) et une approche didactique autour d’Y. Chevallard
(2015). Nous nous arrêterons sur l’approche sociologique (Charlot,
1997) qui considère que le rapport au savoir est socialement ancré.
18 Dans des travaux déjà anciens mais fondateurs sur l’école et le
collège, qui seront poursuivis pour le lycée par É. Bautier et J.-Y.
Rochex (1998), B. Charlot, É. Bautier et J.-Y. Rochex (1992) analysent
des « bilans de savoir » d’élèves d’écoles élémentaires et de collèges
différenciés de banlieue ainsi que des entretiens avec les élèves et les
enseignants. Ces analyses leur permettent de mettre en évidence une
différence fondamentale entre les pratiques des élèves de zones
d’éducation prioritaire et celles d’autres élèves, dès le CP : pour les
uns, l’école est essentiellement un lieu d’apprentissages formels
(faire ce que l’enseignant dit de faire, se conformer au
comportement d’élève attendu, suivre les programmes)  ; pour les
autres, l’école est le lieu où l’on vient apprendre, et où le savoir a
une valeur en tant que tel  : «  l’individu valorise ou dévalorise les
savoirs en fonction du sens qu’il leur confère » (34), lequel sens peut
gêner ou faciliter l’appropriation de ces savoirs. Cette différence se
traduit également par l’usage du langage dans les écrits analysés, les
uns en restant à un usage en situation de l’expérience quotidienne,
les autres étant davantage dans un usage décentré du langage.
19 Ce rapport au savoir, conçu comme «  un rapport à des processus
(l’acte d’apprendre), à des situations d’apprentissage et à des
produits (les savoirs comme compétences acquises et comme objets
institutionnels, culturels et sociaux) » (Bautier et Rochex, 1998 : 34)
engage une configuration tout entière de l’individu, l’élève ne se
résumant pas au sujet individuel et à son expérience familiale : c’est
dans la mesure où l’école est capable de le faire circuler entre
différents registres d’expériences qu’elle peut être formatrice et
émancipatrice (Rochex, 2009). Le rapport au savoir suppose ainsi
l’articulation de deux registres, le «  registre identitaire  » et le
« registre épistémique 8 » : « La notion de « rapport à » se construit
[…] en relation avec le sujet, puisque seul un sujet est interprète des
situations, et avec celle de sens que le sujet confère et construit  »
(Bautier, 2002 : 44), ceci supposant que l’élève ait pris conscience des
enjeux et du sens des apprentissages construits à l’école, et donc du
lien entre les buts et les mobiles d’apprendre.
20 Les travaux en sociologie liés à la reproduction ont montré le lien
étroit entre origine sociale et réussite scolaire, ce qui pourrait
justifier une analyse de la difficulté scolaire en termes de handicap
socioculturel. Or d’autres travaux ont réfuté cette thèse
déterministe, en soulignant les effets de l’environnement scolaire
sur les apprentissages d’élèves de même milieu, à travers «  l’effet
établissement  » ou «  l’effet maitre  » (Bressoux, 1994  ; Duru-Bellat,
2003). L’équipe Escol a proposé d’articuler ces deux approches, en
mettant en lien les savoirs différenciés avec lesquels les élèves
arrivent à l’école selon leur socialisation familiale et les attentes de
l’École s’adressant à des élèves supposés tous connivents avec des
pratiques et des savoirs en réalité différenciateurs. La
réinterprétation du substrat bernsteinien (Bernstein, 1975) et
bourdieusien donne ainsi naissance au concept de « coconstruction
des inégalités scolaires », dont J.-Y. Rochex et J. Crinon (2011 ; voir
aussi Rochex, 2001 : 107) ont fait un état des lieux.

2.2. La coconstruction des inégalités scolaires

21 Il est important d’indiquer que la «  coconstruction  » ainsi conçue


n’est pas individuellement imputable aux pratiques pédagogiques,
les enseignants se caractérisant le plus souvent par la volonté de
faire progresser leurs élèves  : diverses dynamiques d’ordre
institutionnel et sociétal en sont à l’origine (Bautier, 2016), nous y
reviendrons.
22 S. Bonnéry (2014) montre par exemple que les pratiques familiales
de lecture divergent grandement selon le milieu socioculturel : dans
son étude 9 , les familles populaires choisissent des histoires simples
et tendent à une lecture fermée et moralisante, alors que les familles
plus aisées privilégient des histoires complexes et construisent des
attitudes métacognitives ; les élèves arrivent ainsi à l’école avec des
sociabilités et des compétences de lecture différentes. Même si en
l’occurrence les enfants concernés ne sont pas encore lecteurs, cela
permet de relativiser la notion de pratique ordinaire de lecture : si la
pratique ordinaire de lecture se caractérise par le fait qu’elle relève
de la sphère privée, pour autant ses conditions et ses enjeux sont
éminemment variables et dépendent en partie du milieu social. Or
l’examen des textes choisis à l’école maternelle rend compte de
l’étroite articulation entre ces logiques familiales (les pratiques
lectorales diffèrent au sein des familles, selon qu’elles soient
populaires ou non) et des logiques scolaires, en s’appuyant sur deux
enquêtes dans le premier degré 10 qui montrent des différences
selon le profil des établissements. En zone d’éducation prioritaire,
d’une part le choix des textes étudiés est souvent différent ; d’autre
part on y favorise un rapport à la lecture qui est celui déjà construit
à la maison  : absence de recours aux textes patrimoniaux pourtant
nécessaires pour comprendre leurs dérivés contemporains, fictions
simples dont on n’étudie cependant pas les procédés narratifs,
travail essentiellement en vue de l’acquisition du lexique et de
connaissances documentaires. Ce phénomène illustre selon S.
Bonnéry une conception véhiculée par l’institution scolaire comme
par la société : les enfants n’arrivant pas à l’école avec des prérequis
qu’elle n’enseigne pas seraient en difficulté, ce qui amène les
enseignants à «  “inégaliser” les exigences lectorales  » (Bonnéry,
2014 : 52).

2.3. La secondarisation

23 Si la distinction de M. Bakhtine (1984) entre genres seconds, dont


relève la littérature, détachés et distanciés du moment et de la
situation d’énonciation, et genres premiers, ancrés eux dans le
contexte immédiat et le quotidien, permet de catégoriser les types
de discours, elle a également permis de transférer et de penser cette
distinction dans le cadre scolaire en termes de processus, grâce à un
concept qui en découle, la secondarisation.
24 La secondarisation désigne ainsi le processus qui à l’école fait passer
les élèves de genres premiers à des genres seconds, genres seconds
liés aux apprentissages scolaires : il s’agit pour les élèves de quitter
le je-ici-maintenant du quotidien et du conversationnel pour entrer
dans les apprentissages scolaires, c’est-à-dire de construire les objets
du monde comme objets de savoir. Pour l’équipe de Bordeaux
(autour de J.-P. Bernié, M. Jaubert et M. Rebière, voir Jaubert et
Rebière, 2011), la secondarisation est étroitement liée aux champs
disciplinaires, puisqu’elle va de pair avec les «  communautés
discursives scolaires » (Bernié, 2002), caractérisées par des modes de
«  dire-agir-penser  » qui importent à l’école les pratiques
scientifiques de référence du champ concerné. Secondariser, pour
les élèves, consiste à s’approprier ces « modes ». Pour l’équipe Escol
(autour d’É. Bautier, de J. Crinon, de P. Rayou et de J.-Y. Rochex),
d’une part le processus est lié autant à l’identification d’enjeux de
savoir qu’à l’adoption de postures pertinentes selon les disciplines,
d’autre part il fait l’objet d’une « hypothèse relationnelle » (Bautier
et Goigoux, 2004), la rencontre entre une pédagogie invisible (enjeux
d’apprentissage opaques) (Bernstein, 2007) et des modes de
socialisation qui n’amènent pas à comprendre ces enjeux.

3. Un autre éclairage sur les difficultés des


élèves
25 Les concepts évoqués permettent d’envisager que les difficultés
scolaires sont autant liées à la nature spécifique des objets
d’apprentissage étudiés (en l’occurrence l’appropriation d’un texte
littéraire, quelle que soit la forme que lui donne la didactique) qu’à
la récurrence des malentendus sur les enjeux des activités scolaires
pour certains élèves, quelle que soit la discipline concernée. Si les
didacticiens, ici de la littérature, identifient les difficultés des élèves,
il nous semble que les concepts liés à la coconstruction des inégalités
scolaires permettent d’en compléter l’analyse et invitent à
considérer certaines pistes.

3.1. Prendre en compte des logiques familiales et


scolaires adverses
26 On s’arrêtera ici sur un autre exemple concernant la lecture
d’œuvres. Les pratiques lectorales familiales et les conceptions de la
lecture qu’elles traduisent dans certaines familles, évoquées plus
haut, jouent un rôle dès le plus jeune âge mais elles se poursuivent
tout au long de la scolarité. Une étude de cas de S. Kapko (2014) en
CM2  et en cinquième de collège met ainsi en évidence
l’incompréhension que suscite la pratique de lecture cursive chez
certaines familles populaires. Elle souligne le divorce entre un
objectif dominant aujourd’hui de l’École (susciter le gout de lire, au
collège, qui va de pair avec une entrée en lecture qui ne soit pas
technique, que traduisent les Programmes et que ne peuvent que
suivre les enseignants) et les représentations de la lecture pour les
familles de ces enfants qui reviennent à la maison avec pour seule
consigne, jugée par elles bien trop vague et inopérante, de lire. C’est
ainsi que ces familles dévoient à leur insu l’objectif non perçu de
l’école en lui opposant deux attitudes opposées mais également
contreproductives  : la déscolarisation, qui consiste à dénier toute
légitimité à la lecture demandée (c’est le cas de Hadja qui n’a de
cesse de dénigrer le choix des livres donnés à lire et de répéter
l’inutilité de cette lecture à son enfant)  ; la rescolarisation, qui
transforme la lecture supposée plaisir en corvée réinvestie d’une
consigne « scolaire ». Par exemple, le père de Karim demande à son
fils de lire quinze pages  chaque soir et d’en faire un résumé, sur
lequel il l’interroge, moins à des fins de lecture partagée que pour
une vérification formelle. L’exemple analysé ici relève de pratiques
que combattent les didacticiens de la littérature, la lecture cursive
ayant par exemple donné lieu à des propositions de dispositifs visant
à atteindre son véritable objectif (Rouxel, 2005).

3.2. Questionner des usages différents de l’écrit


27 Depuis les travaux de J.-C. Chabanne et D. Bucheton (2002), on
s’accorde à considérer que certaines situations plus «  méta  » que
d’autres peuvent aider les élèves à comprendre comment s’y prendre
pour comprendre et réfléchir, dans l’action même. C’est par exemple
l’enjeu du journal des apprentissages (Crinon, 2008)  : les élèves,
notamment dans des classes de CM1-CM2  en éducation prioritaire,
ont récapitulé chaque soir par écrit ce qu’ils ont appris pendant la
journée, et chaque matin certains textes ont été lus et discutés en
classe, la manière dont l’enseignant mène ces échanges étant
déterminante. L’analyse longitudinale montre que, progressivement,
même les élèves en grande difficulté s’initient au recul réflexif, ce
qu’explore aussi B. Étienne 11 par l’évolution des annotations
d’élèves de collège. Dans le domaine de la didactique de la
littérature, différentes démarches (Massol, 2017) ouvrent des
perspectives prometteuses  : outre différents usages du carnet de
lecteur (Ahr et Joole, 2013) à divers moments du cursus scolaire ou
universitaire, le «  journal de personnage  » (Larrivé, 2017) ou le
«  théâtre des lectures  » par exemple (Le Goff, 2017), renouvèlent
l’approche du texte littéraire, et leurs résultats semblent
particulièrement intéressants. Certaines analyses montrent une
évolution dans l’usage de l’écrit chez certains élèves en difficulté
(par exemple Plissonneau, 2017), ce qui signale le rôle secondarisant
de ces écrits de lecteur, qui en l’occurrence permettent aussi de
construire des compétences d’écriture attendues au lycée. Dans
d’autres cas, le carnet de lecteur permet au lecteur de circuler entre
différentes « postures » et peut constituer un levier pour un travail
réflexif, individuel ou collectif, comme le montre S. Dardaillon
(2017).
28 Mais, souligne J.-F. Massol (2017), le chantier est en cours et il y a
lieu de poursuivre le travail en observant les effets de ces dispositifs
sur les faibles lecteurs. Il nous semble que d’une part prendre tout
particulièrement en compte les élèves fragiles, d’autre part
systématiser l’analyse de leurs écrits par les chercheurs
constitueraient des pistes en ce sens.

3.3. Interroger l’usage du langage par l’enseignant

29 Dans sa contribution au rapport scientifique du Conseil national


d’évaluation du système scolaire sur les inégalités, É. Bautier (2016)
identifie les caractéristiques des pratiques scolaires
contemporaines  : l’école s’adresse à un élève «  connivent  », au fait
des attentes cognitives scolaires, dans un contexte où l’activité de
l’élève et les échanges entre pairs et avec l’enseignant sont devenus
la norme, l’enseignant étant de fait amené à réguler ces échanges.
Bien que les élèves n’arrivent pas à l’école avec la même
connaissance des attendus scolaires, liée au mode de socialisation
primaire et donc à leur capital culturel, l’école considère
généralement les réquisits liés à la réussite scolaire comme acquis
par tous, alors qu’ils sont opaques pour de nombreux élèves. À l’insu
des enseignants et en dépit de la volonté de ceux-ci de faire réussir
leurs élèves, ces élèves ne perçoivent pas les enjeux réels de l’école,
que l’exécution de tâches scolaires prévale sur l’activité cognitive
qui en est le cœur, caché pour certains élèves, ou que le discours
régulateur  –  portant sur «  la régulation de l’activité et des
comportements  » (Bautier et Crinon, 2008  : 4)  –  domine dans les
échanges langagiers de la classe. Cette interprétation erronée par les
élèves des tâches à effectuer et des critères de réussite constitue le
« malentendu sociocognitif » (Bautier et Rayou, 2009).
30 Diverses recherches montrent en effet que la réduction des
inégalités sociales à l’école passe moins par une démarche ou un
dispositif, aussi fructueux semblent-ils, que par la manière dont les
enseignants les mettent en œuvre et les prennent en charge par le
langage  : « des éléments relatifs à l’usage du langage contribuent à
mettre encore plus en difficulté les élèves en difficulté  » (Crinon,
2011 : 58), dans la mesure où ils ne permettent pas de s’assurer que
les élèves perçoivent les enjeux intellectuels des tâches réalisées et
entrainent des « malentendus ».
31 C’est ce qu’illustre par exemple l’analyse de deux séquences (l’une
autour de l’album Le Bonnet rouge, l’autre autour de l’album La recette
de moi) dans une classe de CP en éducation prioritaire (Viriot-Goeldel
et Crinon, 2014). Les auteurs mettent en évidence le lien étroit entre
la complexité des albums retenus, le mode de faire de l’enseignante
(elle ne valide ni invalide les hypothèses erronées des élèves,
répétant « d’accord », ce que ceux-ci interprètent comme validation
implicite) et l’origine socioculturelle des élèves les plus fragiles  :
«  Pour les élèves qui, dans leur famille, n’ont pas été initiés aux
pratiques légitimes de l’univers scolaire, le sens des situations
scolaires peut être complètement différent de celui que leur
enseignant a tenté d’y donner, faute d’une explicitation suffisante de
l’enjeu et des buts de la situation » (10). Le choix, devenu habituel en
classe, de faire émettre des hypothèses aux élèves avant la lecture,
s’accompagne ici de la volonté de l’enseignante d’accueillir toutes les
propositions de manière à valoriser les propositions des élèves  : le
malentendu repose ainsi sur l’opacité des intentions de
l’enseignante. Son objectif réel est bien de travailler sur la manière
dont on peut comprendre un album, mais il est dissimulé par la
volonté de favoriser l’expression et l’implication de tous ses élèves.
Or si des élèves connivents sont à même de comprendre la véritable
valeur de ce « d’accord » 12 , ce n’est pas le cas des élèves qui le sont
moins. Au final, les élèves convaincus que leur première hypothèse
était acceptable la conservent en fin de séquence, en dépit du travail
de compréhension qui y a été mené.
32 Des phénomènes semblables sont décrits par J. Crinon (2011)  :
l’enseignante A dont il analyse la production langagière met en place
un usage second du langage qui va de pair avec des apprentissages
cognitifs supérieurs pour ses élèves de CM2, y compris les plus
faibles. Contrairement aux autres classes observées, où le langage est
soit stéréotypé et axé sur des règles formelles, soit conversationnel,
les échanges sont nombreux et «  toujours reliés explicitement aux
apprentissages en termes de buts et de méthode (dimension
métacognitive) » (76).
33 Ainsi le discours pédagogique, compris comme l’ensemble des
interactions verbales produites en classe (maitre-élève/s, élève/s-
élève/s), joue un rôle essentiel dans les apprentissages, où le
discours instructeur, à visée secondarisante, est nécessaire, en ce
qu’il apprend « aux élèves ces usages spécifiques du langage qui les
conduisent à entrer dans les savoirs scolaires, à les penser et les
nommer, à penser et nommer les activités cognitives qui les
construisent » (Bautier, 2009 : 21). Cependant il semble que le genre
discursif désormais dominant dans les classes soit au contraire
« horizontal », c’est-à-dire selon Bernstein « local, enraciné dans les
procédures pratiques, totalement contextualisé » (Bautier, 2009 : 22),
conversationnel et communicationnel.

Conclusion
34 Les travaux sur la didactique de la littérature se traduisent par des
propositions de démarches et de dispositifs qui prennent en compte
à la fois l’enjeu spécifique des textes littéraires et les diverses
instances du lecteur. Leur objectif est de permettre aux élèves de
construire des compétences de lecteurs de littérature, en appui sur
la subjectivité du lecteur, loin de l’approche formelle et techniciste
qui a longtemps prévalu, et dont on connait les limites. La prise en
compte, dans ces modèles, des apports des travaux évoqués, relevant
d’une approche sociologique, peut contribuer à une réflexion sur
l’enseignement de la littérature en termes de réduction des
inégalités scolaires. Il s’agirait ainsi de voir en quoi les dispositifs, les
supports d’apprentissages et le discours pédagogique sont
susceptibles de contribuer au développement de malentendus
sociocognitifs et de systématiser les analyses des productions des
élèves les plus fragiles.

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NOTES
1. Plus particulièrement l’équipe Escol (Éducation et scolarisation) du Centre
Interdisciplinaire de Recherches sur la Culture, l’Éducation, la Formation, le Travail
(CIRCEFT) et le réseau Reseida (Recherches sur la Socialisation, l’Enseignement, les
Inégalités et les Différenciations dans les Apprentissages).
2.Lire et écrire au cycle  3, collection «  École Documents d’accompagnement des
programmes  », Ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche
Direction de l’enseignement scolaire, Centre national de documentation pédagogique, 2003 :
30-35.
3. 1° Le « texte-tâche », où l’élève, hors de toute activité cognitive et psychoaffective, reste
extérieur au texte et au travail demandé et produit un écrit court, partiel et souvent
erroné ; 2° le « texte-action », où l’élève s’intéresse essentiellement à l’action et se projette
dans le texte, selon une modalité psychologique et moraliste, le commentaire étant
paraphrastique et/ou évaluatif ; 3° le « texte-signe », où le lecteur interroge et interprète le
texte comme espace métaphorique. Deux autres postures, rares, sont également identifiées :
« le texte tremplin », où les élèves construisent un point de vue sur les faits présentés dans
la nouvelle, et « le texte objet », où les élèves réfléchissent au fonctionnement du texte.
4. Le concept de circulation «  permet de rendre compte des mouvements discursifs,
cognitifs qui traduisent chez les élèves des déplacements de points de vue  » (Brénas et
Bucheton, 2005 : 62).
5. Philippe Matter (1996). Mini-Loup à l’école. Paris : L’École des loisirs ; Christian Jolibois et
Christian Heinrich (2005). Charivari chez les p’tites poules. Paris : Pocket jeunesse.
6. Le fort degré de « composite » de l’album complexe repose sur l’hétérogénéité des codes,
qui au-delà du pluricodage propre à tout album renvoie à une grande diversité en termes de
statut et de nature de l’image, et en termes de choix typographiques, et sur l’hétérogénéité
discursive (polyphonie due à une pluralité de «  voix  » et une pluralité de situations de
double énonciation).
7. Geoffroy de Pennart (1999). Le Loup sentimental. Paris : Kaléidoscope.
8. « Le rapport identitaire correspond à la façon dont le langage prend sens par référence à
des modèles, à des attentes, à des repères identificatoires, à des enjeux identitaires et à la
façon dont il contribue à ces mêmes enjeux. Le rapport épistémique se définit, lui, en
référence à la nature de l’activité que le sujet comprend sous les termes de lire, écrire,
parler, interagir, produire un texte, analyser la langue » (Bautier, 2002 : 44).
9. 71 familles ont été observées et interviewées (2009-2013).
10. Il s’agit d’une enquête par questionnaires, basée sur l’analyse de  284  réponses sur les
titres utilisés en classe au cours de l’année (2009-2011) et d’une enquête par observation
dans 16 classes (2012-2013).
11. Bénédicte Étienne, « Les gestes de l’étude des textes littéraires », thèse en Sciences de
l’éducation en cours, direction J.-Y. Rochex, Université Paris 8.
12. Comme les élèves de l’école A dans la séance analysée par C. Delarue-Breton (2016 : 75) :
« l’enseignante lui fait confirmer ce propos et le sanctionne elle-même d’un “d’accord”, dont
aucun élève ne sera pourtant dupe : ce “d’accord” signifie simplement que l’enseignant prend
acte, au sens fort du terme, de cette proposition de l’élève ».

AUTEURS
PATRICIA RICHARD-PRINCIPALLI
Université Paris-Est, ÉA 4384 Circeft, Université Paris 8, UPEC, 94010 Créteil Cedex

JACQUES CRINON
Université Paris-Est, ÉA 4384 Circeft, Université Paris 8, UPEC, 94010 Créteil Cedex
Lyn Lakehal <crymlakehal@gmail.com>
Publications francophones sur
l’enseignement de la littérature
aux adolescents
Quelle intégration des travaux en psychologie cognitive ?

Julie Babin

1 Dans les travaux sur l’enseignement du français au primaire,


psychologie cognitive et didactique de la littérature concourent
depuis assez longtemps à expliquer conjointement comment les
enfants apprennent à lire et à comprendre des textes littéraires 1 ;
les deux champs alimentent en ce sens un espace commun de
réflexion didactique sur l’enseignement de la littérature (Dumortier,
2009). Or, Daunay affirmait en 2010 que les travaux en didactique de
la littérature tendaient à s’appuyer sur des fondements
épistémologiques distincts de celle du français lorsqu’il s’agissait de
l’enseignement de la lecture de textes littéraires aux adolescents.
Pourtant, la lecture de textes littéraires au lycée ou au secondaire
supérieur, en extraits ou en œuvres intégrales, sollicite tout autant
qu’au primaire des processus cognitifs  –  souvent complexes et de
haut niveau – chez les adolescents. Ces mécanismes, peu importe la
façon de les nommer, « participent plus ou moins et de manière plus
ou moins réussie de toute lecture de tout texte  » (Malossane, 1970,
p. 70). Dans quelle mesure, donc, les travaux des dernières décennies
sur l’enseignement de la littérature au secondaire s’appuient-ils
aussi sur des fondements de la psychologie cognitive, et pas
seulement à des travaux issus des théories littéraires  ? Suivant le
mandat de donner à lire un panorama de la situation en didactique
de la littérature, c’est à cette question que nous entendons répondre
en recensant les articles publiés dans trois revues susceptibles
d’offrir un portrait d’ensemble des réflexions actuelles. Après avoir
rappelé brièvement la place que peut prendre la psychologique
cognitive dans l’enseignement de la lecture de textes littéraires,
nous définirons les principaux concepts qui en découlent, de même
que les approches d’enseignement qui mobilisent ces concepts, afin
de bien cerner les éléments à la base de l’analyse de contenu réalisée
sur les textes recensés.

1. La psychologie cognitive dans les


recherches en didactique
2 Au-delà du primaire, le rapprochement entre didactique de la
littérature et étude de la lecture sous l’angle psychocognitif est
explicité dans des travaux anglophones majeurs traitant de la
compréhension et de l’interprétation de textes littéraires ; sont ainsi
bien connus les processus mobilisés par des lecteurs expérimentés
(par ex. Graesser, Singer et Trabasso, 1994  ; Trabasso et van den
Broeck, 1985  ; Van Dijk, 1976). En français, la traduction de l’essai
d’Eco (1985) a aussi ouvert des possibles en décrivant certains
processus cognitifs à l’œuvre au moment de lire le texte littéraire
chez le «  lecteur modèle  », sans toutefois mobiliser un lexique
psychocognitiviste ou convoquer le contexte scolaire.
3 Dans les écrits francophones en didactique, plus spécifiquement,
l’arrimage entre littérature et processus cognitifs soutenant la
lecture trouve écho dans la lecture littéraire telle que conceptualisée
par Dufays, Gemenne et Ledur (2015/1996), laquelle engage une
«  composante sémiotique  ». Langlade et Rouxel (2008) impliquent
aussi divers «  processus de mise en relation  » dans leur travail sur
l’activité fictionnalisante, et le lecteur adolescent peut être amené à
expliciter ces processus pour justifier son interprétation de ces
textes, en cercles de lecture (Hébert, 2009) ou lors de discussions
entre pairs (Richard et Lecavalier, 2010). En outre, des approches
d’enseignement à ancrage psychocognitiviste sont depuis peu
explicitement arrimées à la lecture de textes littéraires, comme
l’enseignement stratégique (Ibid.) ou l’enseignement explicite
(Falardeau et Gagné, 2012). Pour faciliter le travail d’analyse, ces
approches, de même que certains processus cognitifs déterminants
pour la lecture, sont définis ci-après.

2. Enseignement de la lecture de textes


littéraires : apports de la psychologie
cognitive
4 Des constantes se dégagent des recherches réalisées en psychologie
cognitive quant aux processus mis en œuvre par les lecteurs experts
lors de la lecture de textes littéraires. Notre travail de recherche
s’est donc fondé sur ces processus soutenant la compréhension  –
  locale et globale (Dufays et al., 2015/1996)  –  et susceptibles de se
retrouver dans les recherches en didactique de la littérature, de
même que sur les approches d’enseignement qui mobilisent
explicitement ces processus cognitifs.

2.1. Les processus cognitifs


5 La mémoire, d’abord, doit être considérée comme un aspect sous-
jacent à la lecture (Trabasso et Nicholas, 1980) ; si la mémoire à court
terme est sollicitée tant dans la lecture de l’extrait que dans celle du
texte court ou de l’œuvre longue, le lecteur doit aussi recourir à sa
mémoire de travail pour garder en tête des questionnements et
autres éléments utiles à la progression de sa compréhension et de
son interprétation (Just et Carpenter, 1992). La mémoire à long
terme (Kintsch, 1994), quant à elle, soutient plus intimement la
compréhension de l’œuvre complète (Nelson, McKinney, Gee et
Janczura, 1998) puisque sa lecture s’étend souvent sur une plus
longue période. Dans les articles en didactique de la littérature que
nous avons recensés, nous avons ainsi porté attention à des activités
impliquant une forme ou l’autre de mémoire comme la mise en
réseau de textes littéraires, le carnet de lecture ou l’annotation.
6 La référence aux inférences a aussi fait l’objet de notre recension  :
dans la mesure où certaines d’entre elles soutiennent
particulièrement la compréhension globale du texte littéraire
narratif  –  les inférences causales online, par exemple, (Graesser et
al., 1994)  –  il était possible que des chercheurs en didactique de la
littérature les convoquent. Les inférences consistent en des
processus de mise en relation entre un passage précis du texte et un
autre élément (Nicholas et Trabasso, 1980). Leur taxonomie demeure
discutée entre spécialistes, mais les travaux de certains chercheurs
américains demeurent fondateurs 2 . Ces mises en relation peuvent
se réaliser à plus grande ou à plus petite échelle (comme macro ou
macroprocessus) et être de diverses natures (Van Meter et Pressley,
1994) selon :
la source d’information sollicitée : un autre passage du texte (inférence intégrative) ou
les connaissances du lecteur sur le monde (inférence élaborative) ;
la direction de la relation établie  : vers des éléments déjà connus (inférence
rétrospective) ou vers des informations qui viendront dans le futur (inférence
prospective) : c’est ce dernier cas qui est en cause lors de la formulation d’hypothèses,
par exemple ;
l’objet de l’inférence : un lien de cause à effet (inférence causale) ou un lien entre des
éléments lexicaux ou grammaticaux comme le sens connoté d’un terme ou une reprise
anaphorique (inférence référentielle) ;
le moment de l’inférence : pendant la lecture (inférence « online ») ou après la lecture
(inférence « off-line »).
7 La notion de stratégies de lecture, enfin, se fonde sur des recherches
qui visaient au départ à comprendre les processus de lecteurs
experts ; Kinstch (1994) a toutefois fait le pari que ces informations
pourraient être réinvesties afin de soutenir la lecture des élèves plus
faibles ou en cours d’apprentissage (Fagella-Luby, Schumaker et
Deshler, 2007), d’où l’intérêt de s’y attarder dans notre recension des
écrits en didactique de la littérature. D’un point de vue cognitif, une
stratégie se définit comme une procédure ou un ensemble de
procédures qui permet la mise en œuvre des processus contrôlés
(Rui, 2000). Les définitions sont certes multiples, mais les écrits
didactiques semblent s’entendre sur l’importance d’encourager le
recours à ces stratégies, notamment celles sur un plus grand empan
(macroprocessus), qui soutiennent de manière importante la
compréhension de textes narratifs (Graesser et al., 1994). À ce titre, la
production d’hypothèses, la visualisation, l’organisation en schéma,
le classement, le questionnement ou la comparaison avec d’autres
textes littéraires constituent de bons exemples.

2.2. Les approches d’enseignement

8 En plus des processus qui précèdent, deux approches


d’enseignement abordent le développement de la compétence
lectorale dans une perspective psychocognitiviste  ; elles sont
également susceptibles de se trouver dans des écrits sur
l’enseignement de la lecture de la littérature en contexte scolaire.
Ces approches n’ont pas été initialement développées autour de
textes littéraires, mais se sont avérées ultérieurement pertinentes en
didactique de la littérature (par ex., Falardeau et Gagné, 2012  ;
Richard et Lecavalier, 2010). La première approche, l’enseignement
explicite, décrit un ensemble d’activités d’accompagnement de la
lecture, mises en œuvre en fonction des processus cognitifs que le
texte mobilise et des problèmes qui se présentent au lecteur au fur et
à mesure de sa lecture. L’enseignant doit à ce moment expliciter les
«  étapes d’un processus cognitif qui donne naissance à la
compréhension  » (traduction libre de Anderson, Hiebert, Scott et
Wilkinson, 1985, p.  72) et rendre transparentes les raisons et la
manière d’utiliser telle ou telle stratégie (Ibid.). À ces moments de
modelage s’ajoute du guidage, pendant que les élèves lisent et
mettent en œuvre les stratégies apprises  ; l’enseignant doit
également offrir de la rétroaction fréquente aux élèves (Bryant,
Hartman et Kim, 2003) sur leur façon de faire. Pour ce faire, il peut
leur demander d’exprimer à voix haute tout ce qu’ils pensent
pendant la lecture d’un extrait. Toutes ces étapes sont susceptibles
de soutenir judicieusement les adolescents confrontés à des défis de
lecture importants au secondaire, compte tenu des textes qui leur
sont proposés ou imposés.
9 La seconde approche, l’enseignement stratégique de la lecture,
privilégie une entrée prédéterminée dans le texte, un choix
préalable de stratégies précises ; tout enseignement de stratégies de
lecture ne relève donc pas de l’enseignement stratégique de la
lecture (Bryant, Hartman et Kim, 2003). Dans le cadre d’une telle
approche, l’enseignant procède d’abord à l’explication de la
stratégie, décrit son utilité et les contextes dans lesquels on y
recourt et décline les étapes spécifiques qui permettent d’activer les
processus cognitifs et métacognitifs qui lui sont nécessaires (Ibid.).
Du modelage, du guidage et de la pratique autonome avec
rétroaction suivent, comme dans l’enseignement explicite.

3. Méthodologie
10 Les concepts et approches qui précèdent  –  mémoire, inférence,
processus, cognition, stratégies, enseignement explicite et
implicite – ont soutenu notre méthodologie de recherche.
11 Prenant modèle sur l’état des lieux produit par Denizot (2016) sur la
notion de genre, nous avons identifié les publications susceptibles de
nous renseigner sur la place laissée aux aspects psychocognitifs de la
lecture de textes littéraires au-delà du primaire dans les recherches
en didactique de la littérature des dernières décennies. Quatre
publications francophones « marquantes » s’adressant en particulier
aux acteurs du champ de la didactique (Bertucci et Castellotti, 2012)
ont ainsi été ciblées  : Le Français aujourd’hui (ci-après FA), Pratiques,
Repères et Enjeux.
12 La recherche s’est limitée aux textes parus
depuis  1995  (approximativement 1990  articles)  : en ce qui a trait à
l’enseignement de la lecture de textes littéraires au secondaire, il
semble que les années  90  aient en effet permis, dans divers pays
francophones, une prise en compte plus explicite des processus
cognitifs à mobiliser, notamment avec la parution de La
compréhension en lecture (Giasson, 1990) et de Pour une lecture littéraire
(Dufays et al., 1996). Des changements surviennent aussi à partir
de  1995  dans les milieux scolaires, alors que de nouveaux
programmes d’études apparaissent pour le secondaire, tant au
Québec qu’en Europe francophone.
13 Grâce aux moteurs de recherche spécialisés d’une bibliothèque
universitaire, nous avons retenu systématiquement les articles dont
le titre portait, d’abord, sur le thème de la lecture de textes
littéraires au secondaire ; à cette étape, les textes de Repères ont été
écartés du corpus, soit parce qu’ils occultaient la psychologie
cognitive, soit parce qu’ils portaient sur le primaire. Nous avons
ensuite retenu les articles dont le texte incluait aussi un ou plusieurs
mots clés relatifs aux concepts et approches ciblés, à savoir
« stratégie », « mémoire », « inférence », « processus », « cognitif » et
« explicite » 3 . Les articles des trois revues ciblées publiés dans des
numéros spéciaux dédiés à la littérature ou à la lecture ont
également été consultés systématiquement, sans égard à la présence
de mots clés. En plus de cette recherche informatique complète, une
lecture sur papier des articles disponibles uniquement en format
imprimé (n=432) 4 a été faite selon les mêmes critères, toujours
dans l’optique de trouver les mots clés ciblés.
14 Le corpus final de  116  articles met en évidence une diversité de
résultats au regard de l’intégration plus ou moins explicite
d’éléments issus de la psychologie cognitive dans l’enseignement de
la lecture de textes littéraires. Nous avons donc privilégié un
traitement qualitatif des publications afin d’en dégager l’ancrage
épistémologique à partir des entours des mots clés. Pour ce faire,
une analyse thématique de contenu a permis de «  procéder
systématiquement au repérage, au regroupement et […] à l’examen
discursif des thèmes abordés  » dans le corpus (Paillé et Mucchielli,
2010, p. 162), en l’occurrence, la manière dont les concepts clés sont
convoqués par les auteurs lorsqu’il est question d’enseigner à lire le
texte littéraire à des adolescents.

4. Résultats
4.1. Vue d’ensemble
15 En ce qui a trait à la présence des mots clés, nonobstant la revue, un
peu plus de  40  % des textes retenus traitent de près ou de loin des
aspects psychocognitifs de la lecture de textes littéraires au
secondaire (cf. tableau 1), c’est-à-dire qu’ils présentent au moins l’un
des mots clés, sans nécessairement adopter une posture
psychocognitiviste ; ils se trouvent le plus souvent dans Enjeux. Dans
les trois revues confondues, on retrouve 2 ou 3 textes par année qui
contiennent les mots clés identifiés, exception faite de 2003 (n=8) et
de  2007  (n=7), où les publications sont plus nombreuses. Si les
articles de  2007  ne semblent pas présenter de point commun, ceux
de 2003 sont majoritairement écrits par des chercheurs du Québec 5
(6  sur  8)  ; cela découle peut-être de la réflexion suscitée dans la
province par l’importante réforme du programme du secondaire au
tournant des années 2000.
Tableau 1 : Résultats

Nombre d’articles publiés Articles Articles avec mot(s)


Titre de la
approximativement (janv. retenus pour clé(s) et proportion
publication
1995-mai 2017) le corpus du corpus

Le Français
aujourd’hui ±700 47 18 (38 %)
(±32 art./an)

Pratiques
±710 22 10 (45 %)
(8 à 15 art./an)

Enjeux
±180 46 29 (63 %)
(±8 art./an)

Repères
±400 1 -
(±18 art./an)

Total ±1990 116 49 (43 %)


16 La lecture attentive des publications ne permet de dégager qu’une
dizaine d’articles convoquant explicitement des fondements de la
psychologie cognitive pour approcher la lecture de textes littéraires
au secondaire. Phénomène à souligner, ces articles sont soit rédigés
par un auteur québécois – Falardeau (3) ; Lebrun (3) ; Roy (1) – soit
appuyés en particulier sur des références à ces auteurs (Denyer,
1995  ; Lafontaine, 1997  ; Tailhandier Cazorla, 2014). Leur réflexion
s’appuie sur la prémisse que même les élèves plus vieux ont encore
des apprentissages à réaliser en matière de lecture, et ce, en amont
des tâches scolaires d’analyse ou de dissertation. Plusieurs articles
présentent à cet effet un agencement d’activités qui, après une phase
de modelage par l’enseignant, donnent aux élèves l’occasion de
mettre en œuvre des stratégies, de poser des hypothèses et d’inférer
dans le but de comprendre et d’interpréter eux-mêmes le texte qui
leur est soumis en classe. Enfin, comme l’ancrage épistémologique
des chercheurs ne change généralement pas de manière draconienne
en cours de carrière, quelques auteurs comme Canvat (4 articles) et
Dumortier (7) utilisent aussi régulièrement l’un ou l’autre des mots
clés ciblés, sans toutefois adopter une posture aussi claire que les
auteurs précédents.
17 Deux constats s’imposent au regard de l’emploi des mots clés.
Premier constat, heureux si l’on considère l’intérêt d’une pluralité
de champs contributoires en didactique de la littérature, la lecture
n’est souvent pas abordée du seul point de vue psychocognitif. On
évite donc la didactique «  restreinte  » (Privat et Vinson, 2000,
p.  215). Les auteurs semblent plutôt s’inscrire dans une posture
épistémologique où plusieurs disciplines concourent à approcher la
didactique de la littérature en présentant une lecture «  plurielle  »
(Dufays, 1997), où la cognition des élèves lors de la lecture de textes
littéraires n’est qu’un élément parmi d’autres à considérer (Daunay,
2007). Il y a par exemple (nous soulignons) une «  participation
cognitive et affective à l’expérience proposée par l’œuvre  » (Pamfil,
2007, p. 105) ou des « processus cognitifs, perceptifs et affectifs » (Brehm,
2014, p. 34). En termes d’occurrences, d’ailleurs, le mot cognition est
le plus souvent repéré (26 articles) ; le mot processus suit de près (22).
18 Second constat : si, dans les articles retenus, les mots sont employés
dans le sens que leur donne la psychologie cognitive, ils le sont en
termes de compétences acquises ou de constats. Des processus sont
mobilisés en cours de lecture (Étienne, 2009), ils sont différents selon
l’âge (Butlen, 2010), inégalement développés chez les élèves (Rochex,
2009), et la lecture passe par un «  processus d’adhésion  » au texte
(Huynh, 2009). Canvat (2007) rappelle qu’il est « judicieux de mettre
en place un certain nombre d’activités pour aider l’élève  » (p.  65),
mais il n’est que rarement question de moyens explicitement ancrés
dans la psychologie cognitive pour décrire ces activités. En ce sens,
on trouve peu de références à des mots clés plus précis comme
mémoire (13 articles), stratégie (10) ou inférence (7).

4.2. Des mots absents, des concepts présents

19 Si les mots clés ciblés ne se retrouvent que dans moins de la moitié


de publications recensées et qu’ils le sont en petit nombre, les
concepts que ces mots décrivent sont bel et bien présents dans une
plus grande proportion. Par exemple, en affirmant que «  la
littérature […] permet un exercice de la pensée par la confrontation
avec des possibles », Mongenot et Bishop (2007, p. 124) évoquent la
part de la cognition dans la lecture et les multiples inférences
impliquées. Néanmoins, ces références à des concepts issus de la
psychologie cognitive (les inférences, par exemple) restent le plus
souvent implicites, ce qui met en évidence la place en réalité assez
ténue qui leur est faite explicitement par les auteurs dans les revues
ciblées, lorsqu’il s’agit de didactique de la littérature au secondaire.

4.2.1. Constater les défis de lecture des adolescents, s’interroger


sur les pratiques

20 Quelques articles font allusion aux exigences cognitives de certains


textes littéraires en soulignant le besoin de formation des
adolescents : par exemple, « les lycéens ne sont évidemment pas tous
dans ce rapport de compréhension immédiate » (Cauchi-Bianchi, Le
Fustec et Sivan, 2008, p. 18) ; David (2009) juge aussi que les lycéens
ne sont que «  trop peu armés  ». Des questionnements sont ainsi
soulevés au regard des pratiques à mettre en œuvre concrètement
pour soutenir la production d’inférences et les processus cognitifs de
haut niveau comme la thématisation ou la hiérarchisation chez les
élèves et ainsi répondre aux exigences plus ou moins implicites des
programmes d’études, en particulier au regard (nous soulignons) des
«  modalités de [l] a prise en charge didactique  » des valeurs morales
sous-jacentes au texte littéraire (Shawky-Milcent, 2017, p.  63).
Obadia (2005), elle, se demande «  comment articuler les différents
niveaux qui construisent la catégorie de registre, la réception (l’effet
visé), [les] thèmes et structures, [et les] procédés d’écriture d’une
façon satisfaisante  ?  » (p.  71). Dans les deux cas, il ressort des
interrogations sur la façon de développer chez les lecteurs
adolescents des opérations cognitives complexes. Ahr (2017) note
pour sa part que le choix des textes imposés dans les Instructions
officielles révèle l’absence de souci pour la « médiation » des textes.
Mais cette médiation renvoie-t-elle aux inférences produites par les
élèves et soutenues par l’enseignant grâce à un questionnement
approprié  ? au modelage auquel l’enseignant procède afin de faire
entendre aux élèves sa façon de se reconnaitre dans le texte ? Ici, le
concept de médiation fait peut-être écran aux opérations cognitives
précisément convoquées ou à une approche d’enseignement
impliquant du modelage.

4.2.2. Proposer des pistes d’intervention

21 Certaines publications concernent des pratiques de classe qui


tiennent compte de processus cognitifs soutenant la lecture des
élèves. Ces processus et les stratégies mises en œuvre ne sont
toutefois pas identifiés par les mots clés retenus, et le cadre de
référence adopté ne relève pas non plus de la psychologie cognitive ;
les concepts convoqués y demeurent néanmoins liés. Fournier et
Veck (1997) dressent par exemple une liste d’opérations qui
mobilisent des inférences de toute nature  : définir, reformuler,
induire et déduire. Les inférences élaboratives, correspondent aux
«  liens  » (Étienne, 2005), aux «  déductions  » (Gabriel, 2008), aux
«  corrélations signifiantes  » (Dufays, 1997) ou à la «  parenté  »
(Gillain, 2016  ; Tauveron, 2000) à établir. Elles sont sollicitées au
moment de « mettre en doute le sens de ce qui lui est donné à lire »
(Dufays, 2006, p.  98), de traiter d’intertextualité (Leclaire-Halté,
2003 ; Lumbroso, 2008), de constituer des réseaux de textes (Obadia,
2005  ; Ravet, 2007  ; Thoizet, 2005), de convoquer les connaissances
historiques nécessaires à la compréhension du texte (Perrin, 1996  ;
Shawky-Milcent, 2017) ou d’«  élargir son horizon de références  »
(Privat et Vinson, 1996). Brinker et Meslet (2017) proposent même
d’amputer le texte lu d’une information importante afin de
«  permettre [aux élèves], dans un raisonnement métatextuel, de
revenir sur leurs premières interprétations de lecture » (p. 75). Tant
le processus d’inférence que la mémoire à court terme sont ici
convoqués.
22 Selon le contexte, «  faire des liens  » peut consister à faire des
inférences causales (Lebrun, 1996  ; Vincentelli et Cauchi-Bianchi,
2009) ou encore des inférences référentielles  ; ce dernier cas
s’applique par exemple aux reprises « anaphoriques », auxquelles les
élèves peuvent être invités à porter attention (Rabatel, 2005). Il y a
donc écart dans la nomenclature, mais la proposition demeure
d’encourager les élèves à établir des relations entre des éléments
linguistiques du texte (pronoms, métaphores, synonymes, etc.). De la
même façon, les pratiques rapportées dans les publications ciblées
font généralement état d’une préoccupation de «  faire réfléchir les
élèves » (Étienne, 2005 ; Jeannin, 2017), de les faire s’investir (Coste,
2017), de les rendre actifs (Bertagna, 2009) dans la lecture du texte.
La discussion avec les élèves (Shawky-Milcent, 2017) ou entre élèves
(Étienne, 2005) se dégage également comme une manière pertinente
de susciter la métacognition et la mémoire à long terme des lecteurs.
Au demeurant, il s’agit là d’un ensemble d’interventions susceptibles
de mobiliser des processus cognitifs de haut niveau comme
l’organisation des idées et l’inférence, bien que ce dernier terme soit
le moins utilisé des mots clés (7 articles).
23 En ce qui a trait aux approches, enfin, certains auteurs plaident la
nécessité de guider les élèves (Charles, 2017), de les « inviter » ou de
les « convier » à s’interroger (Ahr, 2007), de les aider à « développer
une connaissance transversale  » (Thiesse, 2009), de leur partager
«  les procédures auxquelles [on] a eu recours  » (Fournier et Veck,
1997, p.  29) pour soutenir la production d’inférences et la mise en
œuvre de processus cognitifs complexes. Il serait risqué de conclure
au modelage ou à l’étayage derrière toutes ces expressions, mais les
préoccupations qu’elles mettent en lumière quant à
l’accompagnement à offrir aux adolescents sont néanmoins réelles.
En conclusion
24 Comme l’état des lieux dressé ici se fonde à la fois sur un traitement
informatique et manuel des données, une marge d’erreur doit être
considérée, et c’est dans une perspective davantage qualitative que
quantitative que nos résultats sur l’enseignement de la lecture de
textes littéraires aux adolescents doivent être lus. Sous cet angle,
notre recension d’articles parus dans trois revues majeures en
didactique du français met en lumière, pour un peu moins de la
moitié des textes, le recours à un lexique issu de la psychologie
cognitive (inférences, processus cognitifs, stratégies, enseignement
explicite, etc.). Ce dernier champ semble ainsi contribuer, dans un
nombre certain d’articles, à fonder une didactique du français
composite (Halté, 2008) davantage qu’une didactique qui serait
spécifique à la littérature, comme celle que décrit Petitjean (2014).
Parmi ces articles, les textes québécois convoquent plus souvent les
concepts proposés par des chercheurs américains et les textes
fondateurs publiés aux États-Unis. Cela s’explique probablement par
la proximité géographique, par l’accès facile aux revues anglophones
ou par le bilinguisme encouragé dans les universités.
25 Au-delà du lexique explicitement ancré dans la psychologie
cognitive, certains textes font implicitement référence à des
concepts issus de ce champ, particulièrement pour pointer les défis
auxquels font face les adolescents. Par ailleurs, des ponts explicites
restent peut-être à consolider afin de faire connaitre au lectorat du
FA, d’Enjeux et de Pratiques la pertinence d’approches didactiques
comme l’enseignement stratégique ou explicite, qui permettent
d’intégrer des activités visant le développement cognitif des
adolescents en situation de lecture scolaire de textes littéraires 6 .
Des articles sur le sujet sont certes publiés dans d’autres revues que
celles ciblées ici, et notre recension gagnera à être étendue, mais le
portrait que nous venons de dresser s’ajoute à d’autres qui
interrogent la place que la didactique de la littérature accorde aux
dimensions cognitivo-langagières (par ex. Petitjean, 2014 ou Richard,
2006) lorsqu’il est question de lecteurs dont la compétence lectorale
est appelée à évoluer pendant l’adolescence.

BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
1. Par exemple, les travaux individuels et conjoints de Goigoux et Cèbe (2015), de Rémond et
Quet (1999) ou de Tauveron (1999).
2. Voir à cet effet l’ouvrage de Goldman, Graesser et Van den Broeck (1999), qui rend
hommage aux travaux de Trabasso.
3. Pour optimiser la recherche, certains mots ont été tronqués, par exemple : mémo* pour
mémoire, mémoriser) ou infér*/infèr* (pour le nom et le verbe). Des mots clés comme
compréhension et interprétation, jugés trop larges, ont été écartés.
4. C’est le cas pour les numéros de FA précédant  2001  (n=192), et de Pratiques (n=120) et
d’Enjeux (n=120) précédant 2010.
5. Cette observation découle de la recherche d’un point commun entre les textes identifiés ;
la provenance des auteurs n’a pas été systématiquement recensée.
6. Voir des exemples de ces approches dans Falardeau (2003) pour l’enseignement explicite
ou Richard et Lecavalier (2010) pour l’enseignement stratégique.
AUTEUR
JULIE BABIN
Université de Sherbrooke
Lyn Lakehal <crymlakehal@gmail.com>

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