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Échecs Gagnants

Collection Échecs Gagnants l

Stratégies
gagnantes aux échecs

Yasser Seirawan
Grand Maitre International

Traduit de l'anglais
par Frank Lohéac-Ammoun

Préface de J.C. Moingt


Président de la FFE

Recommandé par la FFE

POLE-
Collection Échecs Gagnants
Yasser Seirawan

recommandée par la FFE

Stratégies gagnantes aux échecs

Tactiques gagnantes aux échecs

EDITIONS .
POLE

Copyright © 2003 Yasser Seirawan

Edition originale: © Everymann Chess -Gloucester Publishers pic, Northburgh House, London

Traduction française © Éditions POLE - Paris novembre 2008

Imprimé en France en novembre 2008 par la Nouvelle Imprimerie Laballery- 58500 Clamecy
Dépôt légal: novembre 2008- Numéro d'impression: 810327- Imprimé en France

Toute représentation, traduction, adaptation, publication ou reproduction, même partielle, par


tous procédés et sur tous supports, en tous pays, faite sans autorisation préalable, est illicite et
exposerait le contrevenant à des poursuites judiciaires. Référence: loi du 11 mars 1957.
ISBN: 9782848840918
SOMMAIRE

PRÉFACE par Jean-Claude Moingt, Président de la FFE 4


INTRODUCTION par Yasser Seirawan 7

CHAPITRE 1 L'importance de la stratégie 10


CHAPITRE 2 Savoir exploiter un avantage matériel 16
CHAPITRE 3 Éliminer le contre-jeu adverse 35
CHAPITRE4 L'art de bien placer ses pièces 49
CHAPITRE5 Les meilleures pièces mineures 96
CHAPITRE 6 Comment bien utiliser ses pions 115
CHAPITRE7 La création de cibles 145
CHAPITRE 8 L'avantage d'espace 168
CHAPITRE 9 L'attaque sur le Roi 186
CHAPITRE 10 Les stratégies incorrectes 206
CHAPITRE 11 Les Grands Maîtres de la stratégie 221
CHAPITRE 12 Les solutions des tests 246

GLOSSAIRE 256
INDEX 267

3
PRÉFACE

C'est un immense plaisir pour moi de préfacer le premier ouvrage d'une nou­
velle collection dédiée aux 64 cases. Voilà sans aucun doute un signe de vitalité
pour notre sport, et en tant que président de la Fédération Française des Echecs,
je ne peux que m'en réjouir.

De toute évidence, le choix de ce premier livre est particulièrement pertinent.


Yasser Seirawan compte sans doute parmi les meilleurs auteurs de la planète, il
fût l'un des meilleurs joueurs du Monde et sa passion pour le jeu d'Echecs n'est
plus à démontrer.

Yasser est également un joueur qui m'a marqué à titre personnel. Quand, en
1980 -je crois-, je suis allé pour la première fois à l'étranger voir un tournoi de
Grand-Maîtres, ce fut à Wijk aan Zee (Pays-Bas). Le tournoi des Hauts
Fourneaux était déjà l'une des plus importantes étapes du circuit professionnel.

4
PRÉFACE

C'est là que j'ai vu Seirawan, avec les pièces noires contre Kovacevic, jouer
un coup de Roi extraordinaire en plein milieu de partie, ... Rd7 ! ! J'étais un
jeune joueur assez faible et pour moi, il était inconcevable de ne pas roquer, sur­
tout en plein combat avec toutes les pièces sur 1' échiquier. Cette partie a été
comme un électrochoc et j'ai compris que le jeu d'Echecs, même s'il s'appuyait
sur des principes de base clairs, n'était pas une science exacte.

26 ans plus tard, à l'occasion de la campagne pour les élections à la Fédération


Internationale des Echecs (FIDE), à laquelle la FFE a pris une part très active,
Yasser figurait dans l'équipe« The Right Move »de Bessel Kok, que nous sou­
tenions. J'ai eu l'occasion de discuter avec lui de cette partie à jamais gravée
dans ma mémoire. Nous l'avons regardée à nouveau et l'avons analysée ensem­
ble :j'ai pu une nouvelle fois me rendre compte de ses talents de pédagogue.
Ironie du sort (ou du sport ... ) nous nous trouvions alors ... à Wijk aan Zee !
,

Je suis certain que la lecture de ce livre merveilleux, vous laissera comme à


moi, cher lecteur et passionné d'échecs, la même sensation délicieuse ...

Jean-Claude Moingt
Président de la Fédération Française des Echecs

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AUTEURS

Yasser Seirawan
Né à Damas, en Syrie, Yasser s'installa avec sa famille à Seattle à l'âge de 11 ans. Sa
carrière ne débuta, à douze ans, qu'avec le fameux match Fischer-Spassky de 1972.
Yasser est devenu le premier candidat américain officiel depuis la retraite de Bobby
Fischer en 1975. Il se qualifia pour le cycle des Championnats du Monde en 1981,
1985, 1987, 1997, 1999 et 2000, devenant deux fois Candidat pour le Championnat
du Monde. Chemin faisant,« Yaz »a remporté de nombreux titres et victoires en
tournoi, notamment le Championnat du Monde Junior en 1979, le titre de Grand
Maître à dix-neuf ans (à l'époque quatrième plus jeune joueur à jamais avoir gagné
ce titre), quatre Championnats des États-Unis et a été membre de l'équipe U.S. aux
Olympiades d'échecs. Il a vaincu les anciens Champions du Monde Garry Kasparov,
Anatoly Karpov, Boris Spassky, Vassily Smyslov et Mikhail Tal en tournoi, et fut le
seul américain à participer au prestigieux circuit de la Grandmaster Association's
World Cup. Yasser a écrit treize livres sur les échecs, dont six publiés chez
Everyman Chess et deux aux Éditions Pole. Yasser a remporté de nombreuses
récompenses en tant qu'auteur et journaliste. En 2001, la Fédération d'Échecs des
États-Unis lui a attribué le trophée du meilleur Grand Maître de l'année. Et en 2002,
il remporta le trophée Fred Cramer du journaliste d'échecs de l'année. En 2000,
Yasser et sa femme ont fondé l'Association Américaine pour les Échecs.

Jeremy Silman
Le Maître International Jeremy Silman a remporté l'Open National ex-aequo en
1990. Il a aussi partagé la première place de l'Open U.S. en 1982. Il a été Pacifie
Northwest Champion et Washington State Champion. Silman a beaucoup écrit sur
les échecs. Il a signé 20 livres et ses articles ont été publiés dans les magazines du
monde entier. Il a produit une vidéo et un programme sur ordinateur, et vit mainte­
nant à Beverly Hills, en Californie.

6
INTRODUCTION

J'ai déjà écrit six livres sur « les échecs gagnants ». Mon premier ouvrage,
Play Winning Chess, couvre les règles et les informations de base tandis que
mon deuxième livre, Winning Chess Tactics (disponible chez Pole Éditions sous
le titre Tactiques Gagnantes aux Échecs), traite des thèmes tactiques. Stratégies
Gagnantes aux Échecs ( Winning Chess Strategies) vous mène à un tout autre
degré de compréhension du jeu, à un niveau où vous ne passerez plus vos par­
ties à réagir à l'adversaire mais deviendrez au contraire proactif. Vous jugerez la
position, puis vous fixerez un objectif que vous tenterez de réaliser de façon
méthodique.
On a écrit des centaines de milliers de livres sur les échecs. Quel intérêt pré­
sente donc celui-ci ? Eh bien, en toute modestie, son apport n'est pas négligea­
ble. Son but est simple : vous faire réfléchir aux échecs de façon différente. J'ai
présenté le côté artistique et sportif des échecs dans mes deux précédents ouvra­
ges et dévoile ici leur aspect scientifique. L'objectif est de vous faire compren­
dre que le simple fait de pousser des figurines de bois sur un échiquier nécessite
beaucoup de réflexion. Certaines des idées fondatrices de la science des échecs

7
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

existent depuis des siècles, voire des millénaires. Découvertes, analysées, remi­
ses à niveau, affinées pour mieux convenir aux besoins, elles sont encore exploi­
tées par les Grands Maîtres actuels pour atteindre à l'éternel but : remporter la
prochaine partie d'échecs.
Pour bien comprendre les techniques que j'enseigne dans les onze chapitres
qui suivent, vous devez déjà être familier avec:
• Les règles du jeu -la façon dont les pièces bougent, comment roquer, la prise
en passant, etc. (toutes ces règles sont expliquées dans Play Winning Chess).
• La valeur relative des pièces, que vous devez connaître.
• La terminologie en vigueur aux échecs. Ceux d'entre vous qui ne savent pas
faire la différence entre faire de l'air à son Roi et placer une fourchette, ou bien
entre contre-jeu et blocus, trouveront un glossaire en fin d'ouvrage. Si vous tom­
bez sur un mot ou une phrase que vous ne connaissez pas, cherchez-en la signi­
fication dans ce glossaire avant de poursuivre. Cela évitera qu'une information
critique vous passe au-dessus de la tête quand j'explique une stratégie ou décor­
tique une partie.
• La notation algébrique, que vous devez pouvoir lire. Si vous en êtes incapa­
ble, les parties données en exemple vous sembleront ni plus ni moins que du
charabia (la notation algébrique est brièvement expliquée dans le glossaire et
plus complètement dans Play Winning Chess).
• Bien que cela ne soit pas à strictement parler indispensable, il est utile de
connaître les quatre éléments des échecs - la force (le matériel), le temps, l'es­
pace et la structure de pions -ainsi que les principes auxquels ils sont associés,
que j'ai décrits dans Play Winning Chess.

À partir de ces connaissances de base, je vous montrerai comment compren­


dre ce qui se passe dans toute position d'échecs et comment formuler un plan
victorieux en vous basant sur des indices contenus dans la position. En vous
concentrant sur les aspects positionnels plutôt que tactiques de la partie, vous
apprendrez à construire votre stratégie lentement mais sûrement, confiant dans
le fait que ces principes fondamentaux vous empêcheront de vous égarer.

8
INTRODUCTION

Mais les échecs positionnels ne sont-ils pas ennuyeux? N'est-il pas plus exci­
tant de sacrifier le matériel sans compter afin de tailler le Roi ennemi en pièces?
Certes, les sacrifices offensifs sont toujours très amusants mais de la même
façon qu'un habile boxeur qui joue en contre peut finir par mettre un vrai pun­
cher knock-out, un bon joueur positionne! parvient généralement à casser l'élan
d'une attaque et à faire mordre la poussière à son adversaire. Vous apprendrez
qu'on ne peut lancer de superbe combinaison qu'à partir d'une situation de claire
supériorité positionnelle, ce qui veut dire que même les meilleurs attaquants de
l'histoire des échecs ont forcément dû apprendre à maîtriser la stratégie et à éla­
borer des plans. Peu d'amateurs d'échecs font des efforts pour améliorer leurs
talents stratégiques, ce qui signifie que le simple fait de lire ce livre devrait vous
conférer un avantage énorme sur vos compétiteurs. Imaginez vos adversaires
voyant leur position se déliter graduellement, et leur frustration quand ils sont
incapables de comprendre pourquoi ils perdent sans arrêt contre vous ! Moi, qui
suis professionnel du jeu grâce à mon sens stratégique, j'atteste du fait que se
faire étrangler jusqu'à ce que mort s'ensuive par un excellent joueur positionne!
n'a rien de plaisant. Mais quelle satisfaction, en revanche, quand on e�t du bon
côté du manche !
Comme dans mes précédents ouvrages, j'utiliserai des pronoms masculins
pour désigner les joueurs. Les amateurs d'échecs sont encore, dans leur très
vaste majorité, des garçons ou des hommes, bien que des signes encourageants
montrent que les filles commencent à s'intéresser davantage à ce sport. J'espère
que certaines liront ce livre et qu'une partie d'entre elles participera à des tour­
nois, profitant du savoir stratégique acquis dans cet ouvrage. Attention,
Messieurs ! Elles feront de redoutables adversaires !

Yasser Seirawan
Seattle, Washington

9
CHAPITRE 1

L'importance
de la stratégie

Les hommes jouent depuis le début de l'humanité. Et de tous les jeux, les échecs
sont à juste titre reconnus comme le Jeu des Rois et le Roi des Jeux. Magnifique
compliment, en vérité ! La beauté des échecs a attiré parmi les plus grands
esprits de tous les temps. Pourquoi ? Qu'est-ce qui rend les échecs aussi fasci­
nants ? Les critiques du jeu ne voient que des hommes d'âge mûr en train de
ruminer pendant des heures, et poussant de temps à autre des petits bouts de bois
sur un échiquier. Vu sous cet angle, qui aurait envie de jouer aux échecs ?
Pourtant quelque chose doit bien rendre ce jeu fascinant, sinon comment aurait­
il survécu plusieurs millénaires?
Il est clair que si les critiques avaient raison, les échecs n'existeraient pas. Et
pourtant ils ont non seulement survécu mais se portent aussi très bien. La FIDE
-Fédération Internationale des Échecs- est la troisième plus importante fédé­
ration sportive mondiale avec plus de cent soixante nations (la plus étoffée est
le CIO, Comité International Olympique et la deuxième est la FIFA, Fédération
Internationale de Football Association, qui gouverne le sport mondial le plus
populaire, le football). Pourquoi les échecs ont-ils survécu?

10
CHAPITRE 1 : L'importance de la stratégie

Ce qui survit à l'épreuve du temps est forcément utile. Arrêtons-nous une


seconde et regardons un peu ce qui, autour de nous, a survécu des millénaires ?
Des outils tels que la cuillère ont survécu. Ils se sont développés pour combler
un besoin. Si l'on n'en avait pas besoin, ces outils n'existeraient pas. Les jeux -
et il y en a des milliers, peut-être des millions - ont été utilisés par les sociétés
depuis l'aube des temps comme outils de croissance physique, émotionnelle et
mentale. De tous ces jeux, les échecs représentent l'outil parfait pour développer
l'esprit. Comme le disait Goethe « Le jeu d'échecs est la pierre de touche de l'in­
telligence». Quand on va au fond des choses, les échecs sont un combat entre
deux esprits. Les échecs sont le reflet de la vie, ils exigent de la détermination,
pour se mesurer à autrui, et le désir de vaincre. Pour réussir, vous devez devenir
intelligent. La volonté seule ne suffit pas, vous devez utiliser votre esprit, vous
devez penser, et vous devez vous entraîner à penser de différentes façons.
Quand j'enseigne le jeu d'échecs à des enfants, je les informe, eux et leurs
parents, que les échecs leur apprendront les cinq règles suivantes. J'explique
ensuite ces cinq « R » :

• R numéro 1: Pour jouer aux échecs en compétition, les règles internationales


de la FIDE exigent qu'un joueur note ses coups.
• R numéro 2 : Un joueur qui continue la compétition subira de nombreuses
défaites. Dégoûté, il tentera de s'améliorer et d'arrêter de répéter les erreurs du
passé en lisant des livres d'échecs.
• R numéro 3 : Pour s'améliorer aux échecs, un joueur doit pouvoir tenir le
compte de son matériel. Il débute la partie avec huit pions. Quand la partie pro­
gresse, des pièces s'échangent, des pions avancent et disparaissent. Il a mainte­
nant deux Tours et quatre pions pour un compte de 14 points (5+5+4), alors que
son adversaire a une Tour, un Fou, un Cavalier et cinq pions pour un total de 16
points (5+3+3+5). L'adversaire a donc un avantage matériel de deux points.
Simple. Il suffit de compter.
• R numéro 4 : Les trois premiers R sont de la responsabilité du joueur, parce
que personne ne peut s'en charger pour lui. Un joueur d'échecs n'a aucune
excuse pour ses fautes. Impossible de faire porter le chapeau à un coéquipier qui
n'a pas fait une bonne passe ou qui a raté un tir. Il est le seul responsable.

11
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

• R numéro 5 : Le dernier R est aussi le plus important. Supposons que la


Dame du joueur soit attaquée et qu'elle sera capturée s'il ne la bouge pas. Elle
sera en sécurité s'ilia retire, mais il peut aussi l'avancer pour prendre un pion de
façon sûre. Il décide donc de capturer le pion et ce faisant exerce sa capacité de
_
raisonnement.
Ces cinq R se combinent pour donner l'esprit critique, qui est le but de toute
éducation. Si l'on va à l'essentiel, l'éducation se compose de deux éléments : l'in­
formation, et le traitement de cette information. L'information est en elle-même
sans valeur, c'est l'esprit critique qui permet de traiter l'information de façon à
lui donner sa valeur.
L'esprit critique joue un rôle dans chaque partie d'échecs, même celles dispu­
tées par de faibles joueurs connaissant à peine le mouvement des pièces. Votre
main s'approche, votre œil brille, vous saisissez un Cavalier et menacez un pion.
Vous intriguez, vous êtes fourbe et sans pitié. Le pion est à vous ! Mais attendez
un moment. Votre adversaire a fait un pacte avec le diable. Il capture votre frin­
gant Cavalier. Espèce de traître ! Comment est-ce possible? Qu'auriez-vous dû
faire, et que faire maintenant? L'esprit critique est en action.
Si l'on examine les échecs de l'œil du néophyte, que voit-on ? Deux armées
égales qui s'opposent sur un échiquier de 64 cases. Qu'est-ce qui peut bien être
aussi passionnant? Et pourquoi un joueur parvient-il à battre régulièrement son
adversaire? Ce joueur est clairement supérieur à l'autre. Il le bat, bien qu'ils dis­
posent tous deux des mêmes forces. Pourquoi? Parce qu'il surclasse son adver­
saire dans le domaine de la réflexion. Quelle est son arme secrète? La stratégie.

Qu'est-ce que la stratégie?


Nombreux sont les joueurs aimant les parties rapides, où l'on joue son va-tout,
mais qui deviennent agités, impatients et même apeurés une fois opposés à un
joueur positionne! réfléchi. Avec leur jeu à courte vue, ils ne comprennent pas
pourquoi leur adversaire prend parfois du temps à choisir son coup, ou bien crai­
gnent d'être surclassés par ses capacités mentales. Le vrai problème est qu'ils ne
connaissent tout simplement rien à la stratégie échiquéenne. Dans les pages sui­
vantes, je vous enseignerai ce qu'est la stratégie et comment vous servir de stra-

12
CHAPITRE 1 : L'importance de la stratégie

tégies spécifiques. Quand vous aurez réalisé à quel point il est facile de faire un
plan et de mettre une stratégie en oeuvre, vous vous demanderez pourquoi on
fait tant d'histoires à ce sujet. Et vos adversaires favoris commenceront à vous
prendre pour un vrai génie.
Nous avons d'abord besoin d'une définition. Qu'est-ce que la stratégie aux
échecs, exactement ? Est-ce tendre un piège, puis croiser les doigts et prier pour
que l'adversaire tombe dedans ? Non, loin s'en faut. Est-ce que cela consiste à
calculer l'intégralité des variantes d'une position? Faux encore.
Le fait que la stratégie ait peu de rapport avec le calcul peut surprendre jusqu'à
ce que l'on examine les définitions déjà proposées pour la stratégie. Mon collè­
gue, le Grand Maître Larry Evans, définit la stratégie comme« ...un plan d'en­
semble et de long terme», tandis que Hooper et Whyld, dans l'Oxford
Companion to Chess, disent que la stratégie est« la planification et la réalisation
des objectifs à long terme de la partie». Le calcul, en revanche, est la simple éva­
luation tactique de coups, à la façon d'un ordinateur, sans objectif clair en vue.
Les expressions employées, telles que « à longue portée» ou bien « à long
terme » impliquent une analyse approfondie mais en fait Evans, Hooper et
Whyld font allusion au jeu positionne!- l'accumulation lente et systématique de
petits avantages. Peut-être l'ex-Champion du Monde Max Euwe a-t-il donné la
meilleure définition en déclarant« La stratégie requiert de la réflexion, la tacti­
que requiert de l'observation». Il voulait dire que l'on bâtit un plan positionne!
en combinant des caractéristiques positionnelles - incluant le matériel, l'espace,
la mobilité des pièces et la structure de pions - sur un grand nombre de coups,
tandis qu'on utilise la tactique, qui est plus de l'observation que de la création,
pour profiter d'une opportunité. à court terme.
Voici comment se déroule par exemple une réflexion stratégique : vous voyez
qu'il est possible d'infliger des pions doublés à votre adversaire en échangeant
votre Fou contre son Cavalier. Vous décidez que votre objectif à long terme sera
d'attaquer, et finalement de capturer, l'un de ces pions doublés nouvellement
créés, gagnant de la sorte l'avantage matériel. Ce plan régit vos coups suivants,
car tout ce que vous faites est maintenant motivé par votre intention de capturer
un de ces pio�s doublés, ou les deux.

13
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

La stratégie, donc, est la recherche délibérée d'un but simple : prendre un


avantage quelconque sur votre adversaire. Maintenant que nous avons une petite
idée de la signification exacte du mot stratégie, nous commençons à compren­
dre son intérêt. Vous ne passerez plus d'un coup sans raison à un autre coup sans
but, ni ne contemplerez d'un air absent un échiquier qui vous demeure incom­
préhensible. Au lieu de compliquer vos parties, la stratégie les simplifiera au
contraire !
Cette promesse de simplicité a de quoi séduire, mais comment exploiter en
pratique cet outil nouveau et merveilleux ? Dans les chapitres à venir, j'expose­
rai et illustrerai les meilleurs concepts stratégiques, ceux qui ont passé l'épreuve
du temps. En d'autres termes, ceux qui fonctionnent ! Vous apprendrez à recon­
naître le moment où une stratégie spécifique convient à la position, et comment
la mettre en œuvre avec un minimum d'effort. Tout ce que vous devrez faire c'est
de rester assis devant votre échiquier pour suivre les explications et vous immer­
ger dans le monde rentable des échecs positionnels - un monde où la création
rapide de plans sur dix coups est aisée quand on connaît et comprend les straté­
gies de base du jeu.

Qu'est-ce qu'un avantage aux échecs ?


La stratégie a pour but de s'emparer d'un avantage. Disposer d'un avantage aux
échecs signifie simplement que votre position comporte certains aspects favora­
bles qui font défaut à votre adversaire. Il y a deux sortes d'avantages : statiques
et dynamiques. Un avantage statique est un avantage à long terme - il est per­
manent. Un avantage dynamique est temporaire - une opportunité tactique par
exemple. Vous pouvez disposer d'un avantage dynamique parce que votre Roi
est en sécurité alors que celui de l'adversaire est encore au centre. Quand votre
adversaire roque et met son Roi à l'abri, votre avantage dynamique disparaît. Il
est important, pour cette raison, d'utiliser toutes les occasions de créer un avan­
tage statique. N'accordez une confiance aveugle qu'aux caractéristiques capa­
bles d'influer durablement sur votre position.
La stratégie a pour but de créer un ou plusieurs des avantages statiques sui­
vants:

14
CHAPITRE 1 : L'importance de la stratégie

• Une supériorité matérielle (force)


• Des pièces plus mobiles
• Une structure de pions supérieure
• Un plus grand territoire (espace)
• Un Roi en sécurité (généralement après le roque)
Vous devez être capable de voir s'il est possible de s'emparer d'un avantage
dans une position donnée, et d'imaginer un plan pour gagner grâce aux potentia­
lités qu'offre cet avantage.
Savoir comment créer des avantages statiques suffira-t-il à vous transformer
en bon joueur ? Cela aide, très certainement, mais votre adversaire créera aussi
ses propres avantages (c'est en tout cas ce qu'il est censé faire !). Le talent véri­
table, aux échecs, consiste à déterminer lesquels de ces avantages comptent le
plus - quels sont les aspects positifs qui finiront par s'imposer. Supposons que
vous ayez un avantage matériel (disons un pion de plus) mais que votre adver­
saire ait une structure de pions supérieure, davantage d'espace et des pièces plus
actives : vous aimeriez sans nul doute pouvoir recommencer la partie ! Autre
exemple, vous pouvez prendre l'avantage matériel en gagnant une pièce, à
condition d'affaiblir vos défenses royales. À quoi diable vous servira d'avoir une
pièce de plus si vous restez impuissant devant une attaque de mat adverse ?
Vous avez méjugé l'avantage du gain de pièce, et en un mot vous vous êtes fait
dominer.
C'est ce type de combat compliqué, complexe, entre des adversaires qui échan­
gent sans arrêt les avantages dont ils jouissent contre de nouveaux avantages,
qui font des échecs un sport aussi satisfaisant au plan intellectuel. Quand vous
aurez terminé cet ouvrage, vous pourrez participer à ces combats en étant armé
de connaissances nouvelles et d'une vision des échecs qui vous aidera à vous
bâtir une réputation de compétiteur redouté.

15
CHAPITRE 2

Savoir exploiter
un avantage matériel

De tous les avantages que l'on peut posséder, l'avantage matériel est de loin le
plus important et le plus facile à voir. Un surplus de matériel offre des options
dont on ne dispose normalement pas, alors qu'un déficit en matériel provoque
généralement une réaction proche de la panique. Pourquoi cette panique ?
Supposons que vous perdiez une pièce sans compensation dans l'ouverture.
Pouvez-vous envisager un jeu positionne} tranquille ? Non. Tout déficit matériel
en milieu de partie est une mauvaise nouvelle, mais un déficit matériel en finale
est encore pire. La conclusion normale d'une telle partie est la défaite parce que
l'armée adverse est plus nombreuse que la vôtre, tout simplement !
Capturer des pièces adverses a pour effet évident de faire le vide sur l'échi­
quier mais aussi d'affecter votre état psychologique comme celui de l'adversaire.
On comprend pourquoi les maîtres préfèrent toujours jouer pour l'avantage
matériel plutôt que d'opter pour des escarmouches excitantes mais peu claires,
telles qu'une attaque sur l'aile-Roi.
Ce chapitre nous permettra d'étudier les deux techniques les plus courantes
pour exploiter un avantage matériel :

16
CHAPITRE 2 : SAVOIR EXPLOITER UN AVANTAGE MATÉRIEL

• Utiliser la supériorité de vos forces pour déborder l'adversaire


• Échanger des pièces dans le but spécifique de rentrer en finale
Dans le chapitre qui suit, je pars du principe que vous connaissez la valeur
numérique de chaque pièce - le pion 1 point, le Cavalier 3 points, le Fou 3
points, la Tour 5 points et la Dame 9 points- et que vous êtes capable de déter­
miner si vous êtes en retard ou en avance en comparant votre total à celui de
l'adversaire. Je suppose aussi que vous êtes familier avec le concept de dévelop­
pement - qui consiste à jouer les pièces qui sont encore sur leur position de
départ sur des cases où elles seront plus utiles. Si vous avez besoin de rafraîchir
votre mémoire sur les différentes techniques permettant de gagner du matériel
ou de développer vos forces, lisez les chapitre deux et trois de Play Winning
Chess, où j'expose les principes liés à la force (matériel) et au temps (dévelop­
pement), deux des quatre principes de la« méthode Seirawan »pour jouer aux
échecs.

Écraser votre adversaire


Il est clair qu'un groupe de dix combattants bien entraînés battra un groupe de
neuf combattants également bien entraînés. C'est si évident que je me demande
vraiment pourquoi les joueurs n'utilisent pas mieux leur matériel. De fait, les
joueurs peu expérimentés gagnent souvent une pièce dans l'ouverture puis atta­
quent comme des fous avec une maigre armée de deux ou trois pièces, laissant le
gros de leurs troupes se morfondre à l'arrière. Le résultat habituel d'une telle folie?
Dans un tournoi de haut niveau, quiconque jouerait ainsi se ferait manger tout cru !
Comment espérer vaincre en s'enfonçant en territoire adverse avec trois pièces seu­
lement, pour attaquer sept ou huit pièces et d'innombrables pions ennemis?
Suivez cette stratégie simple, et vous verrez que vous remporterez la plupart
des parties où vous avez l'avantage matériel :

Quand vous avez gagné du matériel, n'attaquez pas l'adversaire immédiatement


mais consolidez tranquillement votre position en développant toutes vos forces et
en mettant votre roi en sécurité. Ce n'est qu'une fois tout protégé et votre armée
totalement mobilisée que vous pourrez lancer l'assaut.
\

17
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Vous pourrez alors vous permettre d'échanger des pièces car vous gagnerez la
plupart du temps si vous entrez en finale avec un peu de matériel en plus. Et si
votre adversaire refuse les échanges, vous n'aurez pas de mal à le battre d'une
façon ou d'une autre grâce à la supériorité de vos forces. En résumé :

Soyez patient et sortez vos pièces !

Etudions un exemple de cette stratégie en action. Le diagramme 1 montre


l'échiquier après 13 coups dans ma partie jouée contre le Champion du Monde
Anatoly Karpov en 1982. J'ai les Blancs et suis en retard de développement,
mais j'ai toutefois la possibilité de gagner une pièce. Après un examen attentif
des possibilités de chaque camp, je me rends compte qu'il est possible de pren­
dre la pièce et d'achever la mobilisation de mes autres pièces. Je sais que c'est le
moment critique de la partie. Si j'arrive à prendre la pièce et à combler mon
retard de développement, je gagnerai. Étudiez les coups qui suivent pour voir
comment j'ai joué.

Seirawan-Karpov
Londres, 1982

DIAGRAMME 1. Trait aux Blancs


Seirawan-Karpov
Londres 1982

18
CHAPITRE 2 : SAVOIR EXPLOITER UN AVANTAGE MATÉRIEL

14.Te3!
Ce coup élimine la pression sur la colonne « e» et attaque la Dame noire.
Notez que la retraite 14...Dd8 échoue sur 15.Txe8+ car la Dame blanche
contrôle la case e8. Bloquer la colonne « e » est le seul moyen dont disposent
les Noirs pour se défendre contre cette menace.
14...Fe6
Le Cavalier noir en a6 est maintenant sans défense, et mûr à point.
15.Dx a6
Voilà. Je prends ainsi l'avantage matériel, mais dois répondre à la question
«Puis-je développer mes autres pièces et mettre mon Roi en sûreté ?».
15 . . . cxd4
Les Noirs prennent un pion et attaquent ma Tour tout en ouvrant la colonne
« c» pour leurs Tours. Le Champion du Monde doit jouer avec toute son
énergie, sous peine de me voir consolider ma position.
16.Tb3!
Évitant 16.Cxd4?? Db4+, perdant le Cavalier d4.
16 .. . Ff5 17.Fg2
Le séduisant 17.Cxd4?? perd encore, car après 17... Dc5, il n'y a pas de défense
contre les menaces ...De 1 mat, et ...Dxd4 qui regagne la pièce.
17 ...Fc2 18.Cxd4 Fxb3 19.Cxb3
En rendant un peu de matériel, j'amoindris le potentiel offensif de Karpov et
facilite ma défense. L'avantage matériel de deux pièces contre une Tour est tou­
jours suffisant pour gagner si je parviens à éloigner mon Roi du centre. L'un des
atouts d'un avantage matériel est d'offrir un grand choix de possibilités défensi­
ves. On peut par exemple rendre du matériel et finir quand même par gagner.
Retenez ceci :
L'avantage matériel évoque le lest d'une montgolfière. Si vous commencez à
plonger, lâcher un peu de lest suffit à stopper la descente.
19...Tac8 20.Ff3
Défendant mon pion e2 et créant un abri à mon Roi après 20...Db4+ 2l .Rfl, suivi
de Rg2 et les Blancs se retranchent sur l'aile-Roi. Notez que j'évite 20.Fxd5?, qui
gagne un pion mais perd du temps. Je ne veux rien capturer d'autre avant de met-

19
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

tre mon Roi en sûreté ! Quand ce sera fait, Je laisserai libre court à mon appétit.
20...Tc2 21.0-0
Mon Roi est enfin à l'abri ! Sa Majesté s'étant maintenant claquemurée, je
peux envisager de créer des menaces à mon tour.
21 .•. Txb2 22.Tdl
La première étape a consisté à gagner du matériel, la deuxième à le digérer et
à mettre mon Roi en sûreté. Par ce coup j'entame la troisième phase: attaquer et
détruire les faiblesses noires, dont la première est le pion d5.
22 .. . Td8 23.Cd4!
Centralisant mon Cavalier et menaçant 24.Cc6 avec une fourchette juteuse.
Notez que 23 ... Dd7 stoppe Cd4-c6 mais échoue sur 24.Da3, et la Tour noire est
prise au piège en b2 !
23 ...Td7 24.C c6 DeS 25.Cxa7
Mon avantage matériel est à nouveau plus prononcé. J'apprécie ce festin tant
il me plaît de dévorer les pièces et pions ennemis.
25 . .. Tc7 26.a4
Mon Cavalier est hors-jeu à la bande après avoir croqué l'un des pions adver­
ses. Ce coup, qui protège la case b5, prépare le retour du Cavalier au centre. Ce
faisant je reste fidèle à mon plan : prendre du matériel puis consolider la posi­
tion.
26...Da8
Les Noirs clouent mon Cavalier, mais j'ai préparé une petite surprise.
27.Txd5!
Maintenant, 27 ... T xa7 28.Dd3 laisserait les Noirs impuissants contre la
menace 29.Td8+, gagnant la Dame.
27...Dxa7 28.Td8+ Rh7 29.Dd3+ f5
Une triste nécessité. Sur 29...g6, je joue 30.Dd4, armant la double menace
Dd4xb2- qui gagne la Tour- et Dd4-h8 mat. Les Noirs devraient alors donner
leur pion « f » par 30...Tb1 +, qui mène à une fin similaire à celle de la partie
après 31.Rg2 f6 32.Dxf6.
30.Dxf5+ g6 31.De6 1-0
Les Noirs abandonnent, voyant que 31...h5 32.Dg8+ Rh6 33.Dh8+ crée une

20
CHAPITRE 2 : SAVOIR EXPLOITER UN AVANTAGE MATÉRIEL

attaque double sur leur Roi et la Tour en b2, ce qui entraîne la perte de cette der­
nière. Notez que 31 ... Tg7 32.De8 renouvelle les menaces contre le Roi.
Battre un Champion du Monde vous ragaillardit toujours. J'ai pu gagner cette
partie en me rappelant que l'avantage matériel était l'un des avantages les plus
importants et en suivant ces règles :
1. Quand on a gagné du matériel, il faut immédiatement commencer à conso­
lider sa position en développant toutes ses pièces et en mettant son Roi en sûreté.
2. Une fois la position consolidée, il faut chercher de nouvelles proies à se
mettre sous la dent.
3. Lorsqu'on dispose d'un avantage matériel conséquent, il ne faut pas hésiter
à en rendre une partie si cela permet d'éventer les menaces ennemies tout en
conservant l'égalité matérielle, ou mieux.
Dans 1'exemple suivant, imaginez que vous jouez avec les Blancs dans cette
partie à sens unique illustrée par le diagramme 2. Bien que la victoire soit très
probable, vous ne parviendrez quand même pas à gagner sans une stratégie pour
vous guider. Ici la stratégie consiste à :

DIAGRAMME 2. Trait aux Blancs

Trouver une cible et bâtir un plan en fonction de cette dernière. La cible indi­
que où concentrer son énergie, le plan indique quoi faire.
Dans la position du diagramme 2, les Blancs jouissent d'un avantage matériel

21
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

considérable. Les Noirs pourraient abandonner sans problème mais, personne


n'ayant jamais gagné une partie en abandonnant, ils décident de s'accrocher
jusqu'au bout. Comment les Blancs doivent-ils achever leur adversaire? De fait
tous leurs coups, sauf rendre le matériel aux Noirs, gagneront. Mais tâchons de
gagner de façon logique. Nous avons besoin d'une cible et d'un plan d'attaque.
La cible nous dira où diriger nos forces, le plan nous dira comment faire.
Nous choisirons ici comme cible le pion e6. Pourquoi ce pion? Parce qu'il ne
peut bouger. Il est clairement plus facile d'attaquer une cible immobile qu'une
cible mouvante, ce qui fait du pion e6 un candidat idéaL
Le premier coup logique à jouer est ici l.Fc4, qui ouvre la colonne « b » à la
Tour b2 et concentre la puissance du fou sur le pion e6. Les Noirs étant totale­
ment sans défense, aucun de leurs coups n'a vraiment d'importance. Disons
qu'ils jouent 1. Th8. Les Blancs poursuivent maintenant leur assaut contre le
••

pion e6 par 2.Tf6, et les Noirs jouent encore leur Tour par 2...Td8. Notez com­
ment chaque coup blanc est dicté par le plan prévu. L'objectif est de gagner le
pion e6, et le plan consiste à placer les pièces blanches sur des cases d'où elles
peuvent attaquer cette cible.
Après les coups l.Fc4 Th8 2.Tf6 Td8, comment les Blancs doivent-ils pour­
suivre dans la position du diagramme 2? Ils ont attaqué jusqu'ici avec deux piè­
ces (le Fou et la Tour), mais les défenses adverses tiennent aisément contre cette
offensive limitée. La clé du gain, ici comme dans la plupart des positions, réside
dans la participation de toutes les forces à l'assaut. Supposons que vous soyez le
patron de quatre ouvriers, dont deux ne font jamais rien pour accomplir leur tra­
vaiL Toléreriez-vous cette situation? Non ! Alors pourquoi accepter que certai­
nes de vos pièces fassent de même? Arrangez-vous pour qu'elles gagnent leur
salaire !
Si l'on applique cette philosophie à la partie actuelle, les Blancs forcent la
paresseuse Tour b2 à se joindre à l'attaque du pion e6 par 3.Tb6. Le pion e6 est
maintenant attaqué trois fois et défendu deux fois, ce qui signifie que les Blancs
le gagneront. Notez que si les Noirs pouvaient défendre leur pion une troisième
fois, les Blancs devraient utiliser leur Cavalier (un quatrième attaquant !) en le
jouant en c5 ou f4.

22
CHAPITRE 2 : SAVOIR EXPLOITER UN AVANTAGE MATÉRIEL

Cet exemple montre à quel point il est important d'utiliser toute son armée. Les
échecs sont une métaphore guerrière et en tant que telle, ils constituent une acti­
vité grégaire où chaque élément de la meute -les pions comme les pièces- doit
apporter sa contribution.

Dilapider son avantage matériel


L'avantage matériel provoque parfois un phénomène de cécité. Il arrive qu'en­
dormi par la certitude de la victoire, le joueur qui jouit d'un surplus matériel
oublie les autres règles stratégiques permettant de transformer un avantage en
gain. Voici deux exemples de cette curieuse cécité.
Avez-vous noté que les Blancs débutaient sans la Dame au diagramme 3? La
raison, c'est que la partie que nous allons rejouer est une partie à avantage. De
telles parties, rares aujourd'hui, ont pour but de donner à un faible joueur la
chance de battre quelqu'un de beaucoup plus fort. Comment se joue une partie
à avantage ? On place tout simplement les pièces comme à l'ordinaire et on
enlève la pièce - ou le pion - que concède le joueur le plus fort (celui qui donne
l'avantage). Ici le meilleur joueur rend la Dame, et l'on dit de cette partie qu'elle
est« à avantage de la Dame».
Je peux vous entendre d'ici demander« Comment les Blancs peuvent-ils espé­
rer gagner sans la Dame ? )) . Contre un adversaire de même niveau, il n'y a natu­
rellement aucun espoir. Mais en l'occurrence un joueur expérimenté, William
Norwood Potter, tient les Blancs et il sait que son adversaire, un débutant, com­
mettra des erreurs. La question est de savoir si ces fautes suffiront à laisser une
chance de gain à Potter malgré sa Dame de moins. Je vous donne d'abord les
coups de la partie sans commentaires. Rejouez-la sur votre échiquier et vous
verrez les erreurs par vous-même.
l.e4 eS 2.Cf3 Cc6 3.Fc4 Cf6 4.Cc3 CaS S.CxeS Cxe4 6.d3 CeS 7.Fxtï+ Re7
8.FgS+ Rd6 9.CbS+ RxeS 10.f4+ RfS ll.Cd4+ Rg4 12.h3+ Rg3 13.Ce2+
Rxg2 14.FdS+ Ce4 1S.Fxe4 mat.

23
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 3. Potter-Amateur
Londres, 1870
Partie à avantage de la Dame

Il n'est pas nécessaire d'être Maître pour voir que les Noirs ont péri de façon
spectaculaire. Pourquoi'? Avez-vous noté leurs principales erreurs ? Outre qu'ils
sont incapables de voir les menaces les plus simples, la raison principale de leur
tragique destin tient au fait qu'ils ne développent pas leurs pièces. Revoyons la
partie, cette fois avec des commentaires expliquant les fautes.
l.e4
Les Blancs comptent développer leurs pièces aussi rapidement que possible
afin d'anéantir leur adversaire avant que leur Dame de plus ne puisse faire la dif­
férence.
l...e5 2.Cf3 Cc6 3.Fc4 Cf6 4.Cc3 Ca5?
Les Noirs ont bien joué jusqu'ici. Ils ont conquis de l'espace au centre (par
l ...e5) et développé leurs deux Cavaliers. Mais ils arrêtent soudain de sortir
leurs pièces et commencent à donner seulement de la cavalerie. S'ils avaient
mobilisé toute leur armée par 4...Fc5 suivi de 5 ..0-0 (qui met également le Roi
.

à l'abri) et 6...d6, les Blancs n'auraient pu échapper à la perte de la partie un jour


ou l'autre.
5.Cxe5 Cxe4?

24
CHAPITRE 2 : SAVOIR EXPLOITER UN AVANTAGE MATÉRIEL

Les Noirs perdent un pion mais, grâce à leur avantage de départ de la Dame,
cette perte n'a pas de réelle importance. Si les Noirs avaient pris le Fou d'atta­
que blanc par 5 ...Cxc4, ils domineraient encore la partie.
6.d3
Les Blancs ont perdu tout respect pour leur adversaire, qu'ils mettent au défi
de jouer un bon coup. L'immédiat 6.Fxf7+ est meilleur car les Noirs peuvent
encore ôter aux Blancs leurs crochets à venin par 6...Cxc4, mettant fin à l'atta­
que en supprimant les pièces qui auraient pu les mettre à mal. Toutefois les
Noirs commettent une méchante bévue.
6...Cc5??
Les Noirs ont emmené leurs deux Cavaliers en balade, ça et là, alors que le
reste de l'armée est encore à la caserne. On ne peut gagner en jouant ainsi !
Capturer le Fou c4 était encore le bon coup.
7.Fxtï+
Les Noirs n'ont pas vu que cette case était attaquée deux fois. Le Roi noir doit
maintenant se rendre au centre de l'échiquier, où il périra après un assaut brutal.
7...Re7 8.Fg5+
Les Blancs auraient pu être tentés de poursuivre l'attaque par 8.Cd5+, n'utili­
sant que leurs trois pièces développées. Au lieu de cela, ils mettent sagement une
nouvelle pièce en jeu. Ils savent que les Noirs ont fait une erreur en ne mobili­
sant pas leurs pièces, et n'ont nullement l'intention d'imiter les fautes adverses.
8...Rd6 9.Cb5+
Le plan des Blancs consiste à forcer les Noirs à prendre le Cavalier e5. Ils se
disent qu'avec une Dame de moins, ce n'est pas la perte d'une pièce supplémen­
taire qui fera la différence. Il est important, en revanche, d'attirer le Roi ennemi
si loin de ses bases qu'il finira par se noyer en eau profonde.
9...Rxe5 10.f4+ Rf5 ll.Cd4+
Les Blancs pourraient bien sûr capturer la Dame noire pour récupérer le maté­
riel donné en avantage, mais ils chassent un plus gros gibier.
ll...Rg4 12.h3+ Rg3 13.Ce2+ Rxg2 14.Fd5+ Ce4 15.Fxe4 mat.
Les Noirs n'ont eu que ce qu'ils méritaient. Si vous ne développez pas vos piè­
ces, vous vous retrouverez souvent dans le pétrin.

25
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Une avance en développement peut donc, on vient de le voir, compenser un


déficit matériel. Cependant l'avantage matériel se fera à nouveau sentir si l'ar­
mée la moins développée parvient à rattraper son retard en développement. Si
vous possédez une avance matériel, arrêtez de dévorer les pièces adverses et
n'oubliez pas de mobiliser vos troupes.
Voici une autre illustration de ce concept avec une autre partie à avantage. Les
Blancs, comme on peut le voir au diagramme 4, ont moins confiance en eux (ou
ont davantage les pieds sur terre) et concèdent l'avantage du Cavalier-Dame. Le
Cavalier ôté de b 1, la partie peut débuter.

DIAGRAMME 4. Ward-Browne
Nottingham, 1874
Avantage du Cavalier-Dame

l.e4 eS 2.f4
Les Blancs montrent immédiatement qu'ils sont prêts à donner encore plus de
matériel pour ouvrir les lignes à leurs pièces.
2...exf4 3.Cf3 f5?
Un très mauvais coup. Les Noirs affaiblissent les pions protégeant leur Roi au
lieu de développer une pièce. Des coups tels que 2 ... d5 (qui libère le Fou c8) ou
2 . d6 (qui empêche les Blancs d'attaquer le Cavalier par e4-e5) suivi de 3 . . Cf6
. . .

seraient meilleurs.
4.Fc4!

26
CHAPITRE 2 : SAVOIR EXPLOITER UN AVANTAGE MATÉRIEL

Les Blancs se dépêchent de sortir toutes leurs pièces pour lancer une attaque
contre le Roi noir. Les pertes matérielles supplémentaires ne les effrayent pas
car leur désavantage est tel qu'une partie tranquille signerait leur arrêt de mort.
4...fxe4 5.0-0!
Les Blancs prient les Noirs de prendre le Cavalier, ce qui leur permet de met­
tre d'autres forces en jeu.
5...exf3?
Jetez un coup d'œil à la position des Noirs. Ont-ils développé la moindre
pièce? Avant de jouer 5...exf3, ils disposaient d'un avantage matériel d'un
Cavalier et de deux pions. Ils n'avaient pas besoin de plus ! Au lieu de prendre
les pièces adverses, ils devraient sortir leurs propres pièces et laisser les colon­
nes et diagonales fermées pour permettre à leur Roi de se mettre à l'abri.
Nettement plus sains sont 5...d5 (qui ferme la diagonale a2-g8 et libère le Fou
de cases blanches) ou 5...Cf6 suivi de 6...d5. Dans l'un et l'autre cas l'énorme
avantage matériel noir aurait suffi pour gagner.
6.Dxf3 Fc5+?
Meilleur est 6...Cf6, développant une pièce. Au train où vont les choses, les
Blancs peuvent offrir un pion ou deux pour lancer toutes leurs pièces à l'attaque.
7.d4!
Très joli. Les Blancs donnent le pion mais libèrent leur Fou c l avec gain de
temps. Le développement est maintenant plus important que les simples consi­
dérations d'ordre matériel.
7 ..Fxd4+ 8.Rh 1 d6
.

Les Noirs se décident à faire jouer leurs pièces. Mais cet effort vient trop tard
car ils ont trop négligé leur développement.
9.Fxf4 Cf6 lO.Tael+
Les Noirs croient avoir deux pièces et un pion de plus. Mais regardez le dia­
gramme 5, et notez plus spécialement les pièces en a8, b8, c8, d8, et h8. Que fait
tout ce petit monde ? Absolument rien ! Examinez maintenant l'armée blanche.
Tout le monde travaille dur ! Le résultat, c'est que les Blancs ont beaucoup plus
de forces à disposition que les Noirs (étrangement, ce sont les Blancs qui ont
l'avantage matériel dans cette position !). Bien sûr les Noirs gagneront s'ils peu-

27
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

vent sortir leurs pièces, ce qui force les Blancs à trouver un gain rapide avant
que les renforts n'arrivent.

DIAGRAMME 5. Trait aux Noirs

10 ..Rf8 ll.Dd5!
.

Les Blancs menacent mat en f7 et espèrent que les Noirs tomberont dans le
piège l l ...Cxd5 12.Fxd6++ Rg8 13.Fxd5+ Fe6 14.Fxe6 mat. Le genre de coup
capable de complètement paralyser un joueur novice : les Blancs savent que ces
coups sont les équivalents de l'uppercut en boxe et qu'ils doivent les asséner
avec une force capable d'assommer l'adversaire.
ll...Dd7 12.Dxd4 Cc6
Les Blancs récupèrent une pièce mais les Noirs parviennent à développer une
pièce. L'attaque blanche aurait-t-elle perdu de son mordant ?
13.Dxf6+!!
Toutes les protections du Roi noir volent en éclat.
13...gxf6 14.Fh6+ Dg7 15.Txf6 Mat.
Toutes les pièces blanches, à part le Roi, ont participé à ce mat. Le fait qu'un
développement supérieur puisse contrebalancer un déficit matériel prouve-t-il
que l'avantage matériel n'est pas si important? En aucun cas ! Les Noirs auraient
gagné cette partie s'ils avaient été moins gloutons et plus attentifs à leur déve­
loppement. Voici encore la stratégie à suivre :

28
CHAPITRE 2 : SAVOIR EXPLOITER UN AVANTAGE MATÉRIEL

Avec beaucoup de matériel en moins, vous pouvez sans problème en offrir


davantage. Votre partie étant déjà totalement compromise, vous n'avez donc
rien à perdre! Si·vous avez l'avantage matériel, par contre, refusez tout nouveau
cadeau jusqu'à ce que toute votre armée soit développée et votre Roi en sûreté.
Une fois que vous aurez atteint ces objectifs, vous pouvez vous emparer de tout
ce qui passe à votre portée.

TEST 1. Les Noirs ont une Dame de plus mais cette Dame est attaquée. C'est
à eux de jouer, comment doivent-ils résoudre ce problème?

TEST 1.
Tarrasch-Schroeder
Nuremberg 1890

Échanger pour entrer dans une finale gagnante


Vous avez probablement constaté, grâce aux exemples précédents, que lorsque
vous avez moins de matériel que votre adversaire, sans aucune compensation
pour ce déficit, vous êtes souvent réduit à attendre un coup heureux - un coup
qui dépend plus d'une erreur adverse que d'une inspiration brillante de votre
part. Dans le langage échiquéen on dit qu'on joue l'arnaque (les Anglo-Saxons
parlent de coup à bon marché, « cheap shot » ou en abrégé « cheapo »).Avec
1' avantage matériel, en revanche, vous serez prêts à tout pour désamorcer le
moindre début de piège. Échanger les pièces, quand vous avez l'avantage maté­
riel, constitue un moyen imparable d'éliminer tout risque de « cheapo ». Voici la

29
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

stratégie à suivre :

Avec l'avantage matériel, échangez, échangez, échangez encore!

L'idée qui consiste à procéder à des échanges est particulièrement appropriée


quand vous parvenez en finale avec un ou plusieurs pions de plus. Votre pauvre
adversaire, réduit alors à une pièce ou deux, ne pourra opposer qu'une défense
misérable, sans pratiquement aucune chance d'attaque. Voici deux exemples
pour démontrer l'efficacité de cette stratégie.

DIAGRAMME 6. Trait aux Blancs DIAGRAMME 7. Trait aux Blancs

Les Blancs ont deux pions de plus au diagramme 6 mais les Noirs cherchent à
leur rendre la tâche ardue par des menaces telles que l... Dxh2+ et l...Tf2. Les
Blancs doivent-ils paniquer ou peuvent-ils se tirer facilement de cette position ?
Si les Blancs utilisent la stratégie consistant à échanger par l.Dd4 ( l.Dc3 fonc­
tionne aussi), tous leurs problèmes disparaîtront. Une fois les Dames échangées,
les menaces noires cessent d'exister et les Blancs pourront jouer pour le gain
avec deux pions de plus dans une finale facile et sans risque.
On voit la même idée au diagramme 7, bien que la solution demande dans ce
cas plus d'imagination. Les Blancs ont quatre pions de plus mais les Noirs mena-
cent l .. .Cxh2 et l ...Cf2 mat. Si les Blancs jouent l .Dd6, les Noirs parviennent
à s'en tirer par l... Cf2+ 2.Rh2 Cg4+, et les Blancs doivent accepter la partie
nulle par échec perpétuel. Si seulement les Blancs pouvaient échanger les

30
CHAPITRE 2 : SAVOIR EXPLOITER UN AVANTAGE MATÉRIEL

Dames, tous leurs problèmes seraient résolus, mais cet échange paraît ici impos­
sible. Vrai ou faux? En fait les Blancs peuvent gagner par l'astucieux l.Db8+!
Rxb8 2.Cc6+, plaçant une fourchette royale et entrant dans une finale gagnante.
Après 2.. Rb7 3.Cxd4 Cf2+ 4.Rh2 Cg4+ 5.Rg3, les Noirs n'ont rien de mieux
.

que l'abandon.
L'échange peut donc constituer une stratégie défensive très importante.
Imaginer comment accomplir l'échange souhaité est parfois difficile, mais le
résultat compense généralement les efforts déployés.

DIAGRAMME 8. Trait aux Noirs


Gormon-Silman
Mémorial Ervin, 1987

L'exemple suivant montre les Blancs sacrifiant un pion pour mobiliser rapide­
ment leurs forces. Dans la position du diagramme 8, les Blancs viennent de
roquer et mettent les Noirs, qui sont déjà en retard de développement, au défi de
prendre le pion offert en b2. Les Noirs doivent se poser les questions suivantes :
1. Après la prise du pion b2, puis-je rattraper mon retard en développement?
2. Les Blancs peuvent-ils profiter des lignes ouvertes crées par la prise en b2,
et m'assaillir rapidement?
Mais les Noirs pensent surtout à survivre à l'attaque blanche, leur matériel
supplémentaire leur donnera d'excellentes chances de gain. Ils se décident donc
à plonger!

31
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

l. . . Dxb2 2.Dd2 h6
Un bon coup, même s'il ne développe par immédiatement une pièce. Son
objectif réel consiste à gagner du temps, par l'attaque du Fou, pour placer le Fou
f8 sur la diagonale h8-a l . Les Noirs croient en leur position car leur structure de
pions agit comme un cuir épais empêchant les moustiques de piquer. Notez
..

comment les pions en c6 et d6 défendent les importantes cases bS, cS, dS, et eS,
les rendant inaccessibles aux pièces ennemies.
3.Fh4?
Les Blancs, qui ont déjà sacrifié un pion, auraient dû conserver la maîtrise de
leurs nerfs et jouer 3.Tab l Da3 4.Tb3. Ils auraient ensuite pu utiliser la colonne
« b » à leur avantage par T fl-b 1. Au lieu de cela le coup blanc se conforme au
plan de développement des Noirs.
3...g5!
Ce type d'affaiblissement sur l'aile est normalement peu recommandable. Ici,
les Noirs doivent toutefois développer leur armée aussi vite que possible. Parce
qu'il gagne un temps, ce coup est le meilleur dont disposent les Noirs.
4.Tabl Da3 S.Tb3
La Tour blanche a pris le contrôle de la colonne « b » avec gain de temps, mais
s'avère incapable de causer le moindre dégât à la position noire.
S...DaS 6.Fg3 Fg7
Le Fou est maintenant très fort en g7, et les Noirs sont prêts à mettre leur Roi
en sûreté par 7.. 0-0. Les Blancs tentent de démolir la structure de pions de l'aile­
.

Roi, mais ce faisant permettent aux Noirs de jouer une série de coups aboutis­
sant finalement à l'échange des Dames.
7.h4?! gxh4 8.Fxh4 Fxd4!
En temps normal les Noirs n'échangeraient jamais leur beau Fou contre le
Cavalier d4, mais ici ce coup signifie plus qu'un simple échange de pièces.
9.Dxd4 DeS lO.DxeS CxeS ll.T b7 f6
Le contrôle de la colonne « b » permet aux Blancs d'appliquer une certaine
pression, insuffisante toutefois pour compenser leur terrible déficit d'un pion.
Par l l ...f6, les Noirs poursuivent la consolidation de leur position en créant une
case de fuite pour leur Roi en f7.

32
CHAPITRE 2 : SAVOIR EXPLOITER UN AVANTAGE MATÉRIEL

12.f3 Fc8
Les Noirs forcent la Tour à quitter la dangereuse 7ème rangée. Notez que les
Noirs ne se pressent pas d'attaquer. Ils se contentent d'améliorer lentement leur
position. Quand vous avez l'avantage matériel et une position sûre, vous pouvez
vous permettre de prendre votre temps pour torturer l'adversaire. Ce thème du
chat et de la souris est l'une des stratégies préférées des maîtres.
13.Tb4 Tg8 14.Rhl Rfï 15.Ttbl Td8!
Subtil. Cette Tour rejoindra finalement la colonne« b »par ...Td7-b7.
16.Fg3 c5 17.Tb8 Txb8
Les Noirs sont très heureux d'échanger des pièces car ils sentent que la victoire
approche avec chaque échange.
18.Txb8 Cc6
Le Cavalier noir chasse la Tour blanche sur une case moins active.
19.Tb2 Td7 20.Ff4 h5 21.Cd5 Tb7 22.Fcl Txb2 23.Fxb2 Fe6
Les Noirs sont parvenus à une position gagnante, et les Blancs le savent.
Comme on l'a vu, le thème important à garder en tête est le suivant :

Aux échecs, l'un des avantages les plus évidents consiste à gagner des pièces
ou pions adverses. Mais il y a un risque ! Quand on prend du matériel, on ne se
développe pas. Gagner du matériel c'est bien, à condition de pouvoir rattraper
son retard en développement.

33
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

TEST2.
Silman-Malachi
Lloyds Bank Masters 1978

TEST 2. Les Noirs ont sacrifié deux pions pour une attaque apparemment puis­
sante. Comment les Blancs parviennent-ils maintenant à régler leurs problèmes
sur l'aile-Roi ?

34
mmmmmm1
CHAPITRE 3

Éliminer le contre-jeu
adverse

Un jour ou l'autre - c'est inhérent au jeu - on finit toujours par avoir un avan­
tage positionne!, petit ou grand. Convertir cet avantage en gain est, en revanche,
une toute autre paire de manches. Rare sont les adversaires déprimés par leurs
erreurs positionnelles au point de baisser les bras et de se laisser écraser sans
combattre. Ils lanceront plutôt une action agressive quelconque pour se créer un
peu de contre-jeu. Dans de tels cas il faut demeurer calme, refuser de réagir de
façon excessive et appliquer cette stratégie :

Essayez de trouver l'équilibre exact entre la défense et la p oursuite de vos pro­


pres plans.

Voyons un exemple. La position du diagramme 9 est très favorable aux


Blancs. Avec un pion supplémentaire et un puissant Fou centralisé, leur partie
est clairement gagnante. Cependant les Noirs ont un atout à faire valoir: la Tour
postée de façon agressive sur leur ?ème rangée. Grâce à la puissance de cette
pièce, l ...Dg5 est une menace. Si les Blancs autorisent ce coup, les Noirs gagne­
ront car le mat en g2 ne pourra être évité que par 2.Df2 (qui perd la Dame après
2 ...Txf2) ou 2.g4 (sur quoi suit 2... Dd2 avec mat rapide).

35
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 9. Trait aux Blancs


Botvinnik-Kan
Léningrad, 1939

Comment les Blancs doivent-ils réagir ? Les menaces contre le Roi sont sou­
vent causes de craintes irraisonnées. De nombreux joueurs paniqueraient et
joueraient un coup comme l .Db4?? Dg5 2.Th2. L'idée est bonne- échanger
coupant en effet les ailes à l'attaque noire. Les Noirs joueraient toutefois
2...Dc l +,ramassant la Tour blanche et transformant une situation perdante en
position facilement gagnante.
Les Blancs,s'ils se replient complètement en défense après avoir vu la menace
noire,perdront la partie. Au lieu de cela, et une fois notée la menace noire,ils
doivent tenir compte de leurs propres avantages et tenter de trouver un plan d'ac­
tion agressif combinant défense et exploitation de leurs points forts. Voici com­
ment.
Les Blancs ont un pion de plus. Parce que c'est un pion passé,ils souhaitent
l'avancer vers la dernière rangée afin de le promouvoir en Dame. Qu'est-ce qui
gêne cette promotion ? La Dame blanche,qui bloque son proprè pion. Ils faut
donc déplacer la Dame pour avancer immédiatement le pion supplémentaire c4.
La décision cruciale doit être prise maintenant : où placer la Dame blanche pour
qu'elle empêche aussi l'exécution de la menace noire ...Dg5 ? Les Blancs,qui

36
CHAPITRE 3 : Éliminer le contre-jeu adverse

ont l'avantage matériel, adoreraient échanger les Dames et le meilleur coup est
donc l.De3!. L'attaque noire est stoppée avant même d'avoir démarré et le pion
blanc est prêt à avancer.
Dans les paragraphes qui suivent, nous verrons deux façons de traiter le contre­
jeu adverse. La première consiste à surveiller constamment les menaces tactiques
ennemies, la seconde à rendre l'adversaire aussi inoffensif que possible.

Repérer les menaces ennemies


Quand vous avez une partie gagnante, il arrive un moment où vous avez envie
de presser le mouvement pour en finir. À peine votre adversaire joue-t-il que
vous vous empressez de répondre. Cette façon peu appliquée de jouer a mené de
nombreux gagnants potentiels à la défaite. Il suffit d'un moment d'inattention
pour succomber à un piège tactique caché.
Dans Tactiques Gagnantes aux Échecs, j'explique que la tactique consiste à
profiter d'opportunités à court terme par diverses manœuvres, pour soutenir sa
propre stratégie ou contrer celle de l'adversaire. Pour plus d'information sur des
tactiques spécifiques, je vous invite à vous reporter à Tactiques Gagnantes aux
Échecs. Nous étudierons ici quelques exemples montrant ce qui arrive quand on
sous-estime les possibilités tactiques adverses.

DIAGRAMME 10. Trait aux Noirs


Makagonov-Botvinnik
U.R.S.S., 1943

37
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Les Noirs vont perdre leur Dame au diagramme 10 et se retrouver alors avec
une pièce en moins. Mais leurs pions passés de l'aile-Dame sont si forts que l'un
d'eux courra à Dame, leur donnant le gain. Sûrs d'une victoire prochaine, les
Noirs pourraient facilement jeter le gain aux orties par l...b3??. Imaginez leur
horreur en réalisant que 2.Txe7+ Rxe7 3.Fc5+ suivi de Fxa3 a dilapidé un gain
acquis en un seul coup !
Conscients de cette possibilité, les Noirs jouent en lieu et place le simple
l...Dxtï+!. Après 2.Rxf7 b3, les Blancs sont impuissants face à la menace 3... b2
suivi de 4... bl=D, et abandonnent donc.
L'un des pires (et des plus coûteux) exemples d'inattention que j'aie jamais vus
s'est produit dans un Championnat du Monde Junior. Les deux protagonistes
étaient des filles de neuf ans qui avaient depuis longtemps perdu tout intérêt
pour la partie. Avec trois pions de moins, les Blancs s'étaient déjà résignés à la
défaite et jouaient comme un automate. La fille qui conduisait les pièces noires
pensait la partie décidée et ne regardait même plus l'échiquier. De fait, elle dan­
sait littéralement de joie car cette victoire lui donnait le titre de Championne du
Monde Féminine des moins de dix ans ! Ses entraîneurs et parents étaient hors
d'eux. Ils voulaient qu'elles se rasseye et prenne la partie au sérieux. Il y aurait
tout le temps pour fêter l'évènement après la compétition. Mais, personne
n'ayant le droit de donner de conseil durant une partie, ils durent se contenter
d'être les spectateurs horrifiés du déroulement du drame.

38
CHAPITRE 3 : Éliminer le contre-jeu adverse

DIAGRAMME 11. Trait aux Blancs

Dans la position du diagramme 11, les Blancs décidèrent de donner quelques


échecs de dépit avant d'abandonner, et jouèrent l.Te3+. Maintenant l...Rd8
2.Te8+ Rc7 mettrait un terme à la partie, tout comme l...Rf6 2.Tf3+ Rg6.
Cependant les Noirs étaient ailleurs. Sans même regarder l'échiquier, ils prirent
leur Roi et jouèrent l...Rf8??. La réplique 2.Te8 mat ramena les pauvres Noirs
à la dure réalité, mais il était trop tard. Le titre de Championne du Monde s'était
envolé et l'euphorie avait cédé la place à l'hystérie. La morale de cette histoire ?

« Ce n'est jamais fini avant la fin » est peut-être une réflexion banale, mais

elle est vraie -pour tous les sports. Évitez d'être trop sûr de vous et ne jouez
jamais rapidement.
Retenez ceci: la partie n'est jamais terminée tant que votre adversaire n'aban­
donne pas ou n'est pas mat !

39
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 12. Trait aux Noirs


Reshevsky-Fischer
Championnat U.S., 1963--64

Il arrive parfois qu'on imagine avoir un net avantage mais qu'une possibilité
tactique nous force soudain à réexaminer la situation. Dans un cas aussi dés­
agréable, gardez votre sang-froid et bornez-vous à constater calmement les
dégâts, exactement comme Bobby Fischer le fit dans la position du diagramme
12. Les Noirs, qui ont un pion de plus, aimeraient défendre le pion b6 attaqué
par les pièces blanches en b2 et b4. La défense évidente l ...Tb8, que la plupart
des gens joueraient sans trop d'hésitation, serait mise en pièces par 2.Ffl Fxf l
3.Txb6!!, et les Blancs gagneraient immédiatement à cause de la faiblesse de la
première rangée noire (3...Txb6 4.Ta8+ mène au mat).
Fischer vit cette fâcheuse possibilité, demeura stoïque face à l'adversité et se
résigna à la perte de son pion b6. Il s'arrangea pour ôter tout venin à l'initiative
blanche par l ... b5 2.Fxb5 Cxb5 3.Txb5 Txb5 4.Dxb5 De5. Même si les Blancs
ont conservé un léger avantage, les échanges ont éliminé 1' essentiel de leur
potentiel offensif. Les Noirs parvinrent à arracher la partie nulle.

40
CHAPITRE 3 : Éliminer le contre-jeu adverse

TEST3.

TEST 3. C'est aux Noirs à jouer. Ils sont clairement gagnants et ont le choix
entre plusieurs coups tentants tels que l...h3, 1. .. Dg l + et l ...Rc3. Y a-t-il un
inconvénient à jouer 1 ... Rc3 ?

Paralyser votre adversaire

On peut jouer aux échecs à plusieurs niveaux. Vous pouvez par exemple essayer
de créer une œuvre d'art - une partie brillante que les autres joueurs étudieront et
admireront. Vous pouvez aussi considérer qu'il s'agit d'un sport, auquel cas vous
chercherez à gagner de la façon la plus sûre et la plus économique. La plupart des
gens ont du mal à créer une œuvre d'art, surtout quand l'adversaire n'est pas coo­
pératif. Cela dit, même si vous êtes en quête d'immortalité et que vous cherchez
à y parvenir en créant un chef d'œuvre, vous pouvez accroître vos chances de
gain en soignant la façon dont vous limitez les possibilités adverses (ce qui est
plus facile à contrôler).

41
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 13. Trait aux Noirs


Keene--Hartston
Angleterre, 1968

Même si votre éventuel avantage statique est évident, commencez par tordre le
cou au contre-jeu adverse avant de poursuivre vos plans. Si vous avez la chance
d'avoir poussé l'adversaire à une attitude passive, faites tout pour l'y maintenir.
La position du diagramme 13 est une position de rêve pour les Blancs. Leurs
pièces pénètrent dans la position des Noirs mais ces derniers n'ont aucun moyen
de créer une quelconque menace. Pour l'emporter, les Blancs doivent tout sim­
plement maintenir l'embouteillage des pièces noires et maintenir leur lente
domination de 1' échiquier, en s'emparant d'une case après l'autre en toute sécu­
rité.
l...Te6
Les Noirs espèrent échanger leurs pièces inactives contre les pièces actives
adverses.
2.Dc4
Les Blancs empêchent les Noirs d'exécuter leur plan. Les Noirs doivent main­
tenant parer les menaces sur la diagonale a2-g8, et éviter des coups tels que
2... Fxd6?? 3.Txd6, menant à de lourdes pertes matérielles.
2 ... Cg7

42
CHAPITRE 3 : Éliminer le contre-jeu adverse

Les Noirs défendent e6. Notez qu'ils ne peuvent rien faire d'autre que tenir la
position.
3.Cb5
Le Cavalier blanc recule, ouvrant la colonne «d» aux Tours blanches.
3 .. . Ca6
Les Noirs espèrent échanger le fort Cavalier par ... Cc?.
4.Td7
Les Blancs ne font pas preuve d'une grande imagination en prenant le contrôle
de cases sur la ?ème rangée et en empêchant ...Cc7. Ils s'assurent simplement
que les Noirs restent engoncés dans leur position actuelle.
4...Rh8 5.Ca7
La double menace 6.Dxa6 et 6.Cxc6 gagne du matériel .
5... Txa7 6.Txa7
Les Blancs ont fini par gagner la qualité sans le moindre effort apparent, et
gagneront la partie dans la foulée. La morale est la suivante :

N'essayez pas de rendre la partie excitante! Tâchez qu'elle soit sûre et facile
àjouer!

Voici un autre exemple de jeu «pour plus de sûreté». La position du dia­


gramme 14 est complètement à sens unique. Des coups tels que l.Ra5, l.b6 ou
l.c6 gagnent très aisément. Mais on n'est jamais à l'abri d'une gaffe, et la Tour
noire est une pièce puissante. N'a-t-on pas intérêt à l'échanger si on en a l'occa­
sion ? Les Noirs n'auront alors plus aucune possibilité de faire du mal. Jouer
l.Tf4+ force l'échange des Tours et ôte tout espoir aux Noirs.
Le coup l.Tf4+ est loin d'être nécessaire mais illustre un état d'esprit impor­
tant:

Quand la victoire est à portée de main, efforcez-vous de la rendre simple et


sûre. Essayez de désarmer l'adversaire, pour éviter qu'il ne vous tire dans le dos.

Le Champion du Monde Tigran Petrossian était un véritable maître pour


«Tuer tout contre-jeu avant de débuter l'exécution». Dans l'exemple suivant, il
opère face à un autre Champion du Monde, Boris Spassky, et lui ôte tout contre­
Jeu.

43
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 14. Trait aux Blancs DIAGRAMME 15. Trait aux Noirs
Spassky-Petrossian
Match pour le Championnat du Monde, 1966

Les Noirs ont un pion de plus au diagramme 15, mais on note surtout que les
deux camps ont roqué sur des ailes opposées. Les Noirs comptent placer leurs
Tours sur la colonne « g » et jouer pour le mat. Ils savent que les Blancs vont
jouer a4-a5 pour se dépêcher de tuer le Roi noir, et se demandent à juste titre
pourquoi concéder la moindre chance de succès à l'adversaire. Pourquoi ne pas
fermer d'abord l'aile-Dame avant de continuer tranquillement les préparatifs de
l'attaque de mat? Examinez les coups qui suivent pour voir comment Petrossian
écrase Spassky dans cette partie. La clé de la manœuvre est le coup d'arrêt au
contre-jeu blanc.
l...c4!
Cet excellent coup concède le contrôle de la case d4 aux Blancs mais, ce qui
est plus important, permet de fermer le jeu sur l'aile-Dame. La case d4 est un
petit prix à payer pour la sécurité du Roi noir.
2.Fe2 a6!
Les Noirs poursuivent leur plan. Maintenant 3.b5 a5 comme 3.a5 b5 mènent
l'un et l'autre à la fermeture complète de l'aile-Dame. Sans possibilité de jouer
contre le Roi noir, les Blancs se trouvent totalement privés de contre-jeu.

44
CHAPITRE 3 : Éliminer le contre-jeu adverse

3.Rhl Tdg8 4.Tgl Tg4


Toutes les lignes étant closes sur l'aile-Dame, les Noirs peuvent tranquillement
consacrer leur énergie à leurs projets à l'aile-Roi.
5.Dd2 Thg8 6.a5 b5
Les Blancs, qui n'ont absolument aucun jeu, finirent par perdre la partie.
Le diagramme 16 montre un autre joueur qui a l'avantage et qui joue soigneu­
sement pour éviter de donner le moindre contre-jeu à son adversaire. Les Blancs
ont un Fou horrible en g2, un Cavalier qui ne sait où aller et des pions nécessi­
tant une défense constante en c2 et e4. Le pion noir attardé « d » est par contre
bien défendu par la Dame et le Roi noirs. Le plan naturel des Noirs consiste à
doubler les Tours sur la colonne « c » pour accroître la pression sur c2. Hélas
l ...Tc4, qui attaque e4 et prépare le doublement des Tours, donne des chances
de contre-jeu aux Blancs par 2.g4, car 2...Cxe4 3.Fxe4 T xe4 4.Cg3 suivi de
Cf5+ ne plaît pas aux Noirs. Les avantages de la position ne vont pas s'envoler,
et les Noirs décident donc de commencer par éliminer les possibilités de contre­
jeu adverse. Ils pourront ensuite poursuivre leurs rêves sur l'aile-Dame. Voici
comment Fischer neutralisa Matulovic.

DIAGRAMME 16. Trait aux Noirs


Matulovic-Fischer
Vinkovci, 1968

45
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

l...h5!
Les Noirs tuent dans l'oeuf toute idée de jouer g3-g4.
2.b3 Fxe2!
Pourquoi donner ce joli Fou contre un cheval boiteux? Tout simplement parce
que ce Cavalier empêche les Noirs d'accéder à la case c3.
3.Dxe2 Tc3
Les Noirs poursuivent l'occupation de la colonne« c».
4.Td3 TheS 5.Txc3 Txc3 6.Rh2 D c5
Les Blancs, qui sont pieds et poings liés à cause de leur faiblesse en c2, finirent
par perdre. Les Noirs démontrèrent avec brio la pertinence du principe suivant:

Avec un avantage permanent, prenez le temps de supprimer tout contre-jeu


adverse.

DIAGRAMME 17. Trait aux Noirs


Gligoric-Seirawan
Baden, 1982

Voici un autre exemple de ce principe à l'oeuvre. Le diagramme 17 montre une


position tirée de ma partie contre S. Gligoriç. Le centre étant fermé, tout le jeu
se déroule sur les ailes. Ma structure de pions supérieure me donne de meilleu­
res chances à long terme, et j'ai un net avantage sur l'aile-Roi grâce à ma pres­
sion sur la colonne« f». Mon seul souci est la possibilité de jeu blanc sur l'aile-

46
CHAPITRE 3 : Éliminer le contre-jeu adverse

Dame,seul endroit où les Blancs puissent chercher du contre-jeu. Les avantages


n'allant pas s'envoler, je décide de faire une pause dans mon attaque sur l'aile­
Roi pour amener mon Roi sur l'aile-Dame (et pourquoi ne pas demander à ce
vénérable vieillard de travailler un peu ?). Mon Roi défendant maintenant cette
partie de l'échiquier,le reste de mon armée a les mains libres pour assaillir l'albe
monarque.
l...Rf8! 2.Tf2 R e8 3.Tfl Rd7 4.Tf2 R c8 S.Tfl Dh7 6.Fd2
Les Blancs ne tombent pas dans mon piège caché: 6.Dd2? Ch4+! 7.gxh4 Txf3
8.Txf3 Dxe4, suivi de ... g5-g4, gagnant la qualité.
6...Tf8 7 .Del Dti
Si les Blancs prennent le pion« g »,je perce sur l'aile-Roi par ... Txf3, avec une
attaque décisive.
8.Ddl R c7 9.Fe3 Dg7 10.Rh2 Dh7 ll.Rg2 Tg8 12.Fd2 Cf8!
Les Blancs sont impuissants mais tiennent toujours. Voyant que je ne peux
venir à bout de leur aile-Roi, je décide d'exploiter l'autre avantage de ma posi­
tion: les pions faibles en c4 et a4.
13.Dbl Cd7 14.Te el Cb6!
La position blanche commence enfin à craquer. 15.D e4 Cxa4 16.Tal Cb6
17.Txa7 Tti (la Dame étant le seul défenseur du pion faible en c4, je suis ravi
de l'échanger.) 18.Tel Dxe4 19.Txe4 Rgf8 Ge reporte mon attention sur f3. Je
peux maintenant gagner par 20.Fxg5 Txf3 21.Fe3 Cxc4 22.Txc4 Txe3. ) 20.f4
gxf4 21.gxf4 Cd7 22.Rg3 Tg8+ 23.Rf2 Tfg7 (notez comment la Tour blanche
en a7 est complètement hors-jeu) 24.R e2 Tg2+ 25.Rdl Th2 26.Te2 Tgl+
27.Fel Thhl 28.Rd2 exf4 29.Fh4 et les Blancs abandonnent. La suite pourrait
être par exemple 29... Ce5 30.Ff6 Td l+ 31.Rc2 Tel+ 3 2 .Rb3 Tb l+ 3 3 .Rc2
Thel+ 3 4.Rd2 f3 3 5.Tf2 Tb2+ 3 6.Rxc l Cd3+ 3 7.Rd l Cxf2+ 38.Rc l Cd3+
39.Rd l f2 et les Noirs gagnent.

47
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

TEST4.
Gligoric-Fischer
Siegen, 1970

TEST 4. Trait aux Noirs. Ils ont un pion de moins, mais leur Roi est bien placé,
tout comme leur forte Tour en b2, leur Fou est supérieur au Cavalier blanc et les
pions a2, c4, e4, et h5 sont tous faibles. La prise l . .. Txa2 est-elle bonne?

48
CHAPITRE 4

L'art de bien placer


ses p1eces
. ,

Où jouer ses pièces ? La question semble curieuse, n'est-ce pas ? Après tout mes
lecteurs savent comment elles se déplacent, et la majorité d'entre eux sait aussi
qu'elles sont plus fortes quand on les place au centre. Cela dit, savoir bouger les
pièces est très différent de savoir où les jouer. Ce n'est qu'en examinant les
besoins spécifiques de chaque pièce et en apprenant les lois les gouvernant qu'on
commence à comprendre où les jouer. De fait, ce chapitre est sans doute le plus
important de tout le livre car les subtilités que vous y apprendrez seront d'appli­
cation pratique dans pratiquement toutes vos parties. Résultat, maîtriser cette
information vous donnera une sérieuse avance sur la plupart de vos adversaires.
Examinons chaque pièce à tour de rôle, en commençant par le Cavalier.

Le Cavalier
Le Cavalier, représenté par un cheval dans la plupart des cas, est la seule pièce
à pouvoir sauter au-dessus d'autres pièces et pions. Il a toujours bougé ainsi
depuis l'origine du jeu, et l'on aurait pu croire que les siècles passés à son contact
auraient dissipé le mystère qui l'entoure. Mais c'est tout le contraire ! Pièce favo-

49
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

rite de certains Grands Maîtres (tels que Petrossian et moi-même) mais relégué
après les Fous par d'autres (le grand Fischer adorait les Fous), ce mauvais sau­
teur est snobé par de nombreux amateurs et secrètement craint par d'autres.
Cette relation amour-haine est facile à expliquer. Le fait qu'un Fou puisse, dans
la majorité des cas, prendre l'avantage sur un Cavalier entraîne un certain dédain
pour cet équidé qui semble un peu faiblard. Cela dit, un Cavalier peut complè­
tement surclasser un Fou si les circonstances s'y prêtent, d'où l'intérêt que cer­
tains lui portent. Les amateurs ne font généralement pas confiance aux Cavaliers
car:
• Ils se font sans arrêt prendre leurs pièces et pions en fourchette par ces
horribles bestioles.
• Ils ne savant pas les utiliser correctement.
Cette partie du chapitre mettra, je l'espère, un terme à cette méfiance. Il est
temps d'apprendre comment l'humble Cavalier domine l'échiquier!

Créer des avant-postes


A l'inverse du Fou, pièce de longue portée, le Cavalier est une pièce myope.
Cela signifie qu'il doit occuper une position avancée sur l'échiquier pour être
fort. Mais une pièce avancée peut facilement être attaquée par les pièces et pions
ennemis, ce qui fait que le Cavalier a besoin d'un avant-poste, d'une case sûre
où il puisse se reposer tranquillement tout en faisant planer son ombre mena­
çante sur l'échiquier. Mais ladite case ne peut servir d'appui que si elle est elle­
même inattaquable par un pion ennemi, ou si l'attaquer avec un pion entraînerait
un grave affaiblissement de la position adverse. Voici donc notre première règle
concernant les Cavaliers :

Les Cavaliers ont besoin d'avant-postes pour être efficaces.

Il arrive qu'un avant-poste apparaisse brusquement (en d'autres termes, une


gaffe adverse en est la cause). Si vous en apercevez un, dépêchez-vous d'y
mener votre cavalerie et confiez-lui gaiement cet avant-poste. Mais l'adversaire
n'est habituellement pas aussi généreux, et vous devrez trouver vous-même
comment créer un avant-poste. On a fondé, à juste titre, des stratégies complè-

50
CHAPITRE 4 : L'art de bien placer ses pièces

tes sur la création de telles cases ! Un Cavalier avancé, juché sur un avant-poste
de choix, peut constituer le premier jalon vers une victoire retentissante.
L'excplication qui suit montre pourquoi.

Les 1ère et 2ème rangées

Un Cavalier sur les 1ère et 2ème rangées a un rôle purement défensif. S'il ne
peut trouver un avant-poste plus avancé sur l'échiquier, il ne sera jamais un atta­
quant sérieux. Voyons quelques exemples :

DIAGRAMME 18. DIAGRAMME 19.

Il y a égalité matérielle au diagramme 18 mais la position est néanmoins très mau­


vaise pour les Noirs. Les Blancs ont un Roi nettement mieux placé et un très fort
Cavalier posté sur la 5ème rangée d'où il ne vise pas moins de huit cases, tandis
que son homologue noir se trouve sur 1'horrible case h8 d'où il ne contrôle que deux
lamentables cases. Les Blancs gagnent par l.d6 cxd6 2.Rxd6 Rb7 3.Rd7 Rb8 4.Rc6
Ra7 5.Rc7 Ra8 6.Rxb6 ou bien par l.Rf6 suivi de 2.Rg7 et 3.Rxh8.
Le diagramme 19 illustre un exemple extrême montrant qu'un Cavalier sur les
1ère ou 2ème rangées n'est pas très utile, quelle que soit la façon dont on voit
les choses. Le Cavalier sur la 1ère rangée vise quatre cases tandis que son frère
plus avancé peut se vanter d'en avoir six dans son collimateur. La force combi­
née de ces deux pièces est d'à peine dix cases, seulement deux de plus que le

51
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Cavalier blanc solitaire planté en c3. Un peu triste, non ? Notez aussi que les
Cavaliers noirs ont besoin de plusieurs coups pour avancer sur l'échiquier de
façon à pouvoir lancer une attaque en territoire ennemi. La règle :

Vos Cavaliers ne battront jamais de records mondiaux si vous les laissez


paresser sur les 1ère et 2ème rangées !

La 3ème rangée

DIAGRAMME 20. Trait aux Blancs

Un Cavalier sur la 3ème rangée est utile en défense mais peut aussi être plus
agressif, un seul saut lui suffisant pour bondir sur la Sème rangée. Prenons en
exemple la position du diagramme 20 : les Blancs tentent l.Cg5, menaçant d'as­
sassiner les Noirs par 2.Dxh7+. Comment parer cette menace, visible mais néan­
moins gênante ? La meilleure réponse est l ... Cf6, menant le Cavalier noir de
l'horrible case e8 vers le bien meilleur emplacement f6. De f6, il défend h7 et
peut prétendre à de plus verts pâturages en d5, e4 ou g4. Notez que g5 n'est pas
un avant-poste pour le Cavalier blanc car les Noirs peuvent aisément reprendre
le contrôle de cette case en jouant ...h7-h6.

La 4ème rangée
Un Cavalier sur la 4ème rangée est généralement aussi fort qu'un Fou et se mon­
tre aussi à l'aise en attaque qu'en défense. Au diagramme 21, par exemple, le

52
CHAPITRE 4 : L'art de bien placer ses pièces

Cavalier jouit d'un point appui solide en d5, car il est bien défendu par le pion e6
et ne peut être chassé par un pion ennemi. Notez le rayon d'action du Cavalier :
il défend le pion en b6, attaque le pion en b4, vise constamment c3, e3 et f4, et
peut aussi s'en retourner en c7, e7 ou f6 en cas de besoin. Comparez ce Cavalier
à ceux qui languissaient sur les premières rangées aux diagrammes précédents,
vous constaterez un écart évident de puissance de feu et de flexibilité.

DIAGRAMME 21

La Sème rangée

DIAGRAMME 22. Trait aux Noirs

53
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Un Cavalier bénéficiant d'un avant-poste sur la Sème rangée est supérieur à un


Fou. Il menace le territoire ennemi en profondeur, en de nombreux points,
menace les pions adverses et participe pleinement à 1 'attaque.
La position du diagramme 22 favorise le Cavalier noir qui dispose d'excellents
avant-postes en e4 comme en g4. S'il se rend en e4, il appuie la Dame et la Tour
pour attaquer c3, tandis que s'il va en g4, il travaille avec sa souveraine pour
créer des menaces contre h2 par ... Dh2+. Le Cavalier blanc, par contre, ne béné­
ficie d'aucun avant-poste réel. Il n'aurait qu'à aller en c5, mais le pion« b )) noir
avancerait en b6 pour le chasser.

La Sème rangée

DIAGRAMME 23. Trait aux Blancs

Un Cavalier sur la 6ème rangée est comme une arête coincée dans la gorge. Il
est profondément installé en territoire ennemi, attaque pièces et pions, et
contrôle des cases critiques au cœur du camp adverse.
Au diagramme 23, le Cavalier e3 est un véritable ennemi public. Il vise les
pions g2 et c4, et empêche les Tours blanches de se rendre en fi, d l ou c2 (la
Tour c 1 aimerait aller en c2 pour défendre a2, mais l'horrible Cavalier rend ce
choix suicidaire).

54
CHAPITRE 4 : L'art de bien placer ses pièces

Le cas des positions fermées


Les Cavaliers démontrent une force certaine dans les positions dites fermées, où
les pions sont bloqués. Quand les autres pièces sont bloquées par les pions, eux
sautent simplement par dessus ces obstacles - les pions n'interfèrent pas le
moins du monde avec leur activité ! Examinons quelques exemples montrant
pourquoi les Cavaliers brillent dans les positions fermées alors que les autres
pièces se montrent pataudes.

DIAGRAMME 24. Trait aux Noirs DIAGRAMME 25. Trait aux Noirs

Au diagramme 24, le centre et l'aile-Roi sont bloqués par les pions. Le Fou
blanc souffre visiblement de l'encombrement des diagonales. Le Cavalier noir,
en revanche, saute au-dessus de tous les obstacles et se rend sur le avant-poste
f4 par l...Cf8 suivi de 2...Cg6 et 3 ...Cf4.
De façon plus mystérieuse, sachez que les Cavaliers aiment être placés juste
devant un pion passé adverse. Ce type de surveillance limiterait l'activité de la
plupart des autres pièces, mais les Cavaliers sont réputés pour être d'excellents
bloqueurs de pions passés. Jetez un coup d'œil au diagramme 25. Certains
joueurs pourraient penser cette position favorable aux Blancs, qui disposent d'un
Fou contre un Cavalier noir apparemment peu utile en f6. Ils contrôlent aussi
plus d'espace au centre et disposent d'un puissant pion passé en d5. La position

55
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

noire est toutefois meilleure. Pourquoi? Parce que le Fou blanc est inactif et que
le Cavalier est promis à un brillant avenir après l ...Ce8 suivi de 2 ... Cd6. En d6,
ce Cavalier acquiert une stature nouvelle : il attaque à la fois c4 et e4, forçant
les Blancs à toujours consacrer une pièce ou deux à la défense de ces pions ; il
éloigne les pièces blanches de b5 ; il vise d'autres cases telles que b7, c8, e8 et
f7 ; et finalement il bloque le puissant pion passé blanc dans ses starting-blocks.
Pas mal pour une seule pièce !
Pourquoi le Cavalier est-il plus puissant en d6 (en face du pion passé) que ne
le seraient un Fou, une Dame ou une Tour ? Cela tient à sa faculté à sauter les
obstacles. Examinons une fois encore le diagramme 25, et remplaçons cette fois
le Cavalier d6 par un Fou noir. Ce pauvre Fou ressemblerait davantage à un pion
qu'à une pièce de valeur, les pions noirs e5 et c5 bloquant son activité. Une Tour
serait également lamentable en d6, cette pièce ayant besoin de colonnes ouver­
tes pour s'exprimer. Quant à la Dame noire, une pièce aussi puissante est trop
importante pour servir de nourisse à un simple pion ! Le Cavalier, en revanche,
est content en d6, face au pion passé blanc, car il y joue un rôle à la fois offen­
sif et défensif- un exploit dont les autres pièces sont incapables.
La partie suivante illustre certains des points traités plus haut.

Petrossian-Bondarevsky, Moscou, 1950


Dans cette partie les Noirs affaiblissent volontairement une case importante en
espérant que les Blancs ne pourront pas en tirer vraiment parti. Mais ces derniers
se concentrent sur ce point faible de façon exemplaire.
l.Cf3 e6 2.g3 fS
Cette ouverture s'appelle la défense Hollandaise.
3.Fg2 Cf6 4.0-0 Fe7 S.d4 0-0 6.c4 c6 7.Dc2 De8 8.Cbd2 dS
Les Noirs s'emparent d'un peu d'espace et prennent une solide option sur la case
e4. Mais ce choix a un prix, en l'occurrence le trou qui existe maintenant sur la case
e5. En outre le contrôle noir sur la case e4 est beaucoup plus ténu que celui des
Blancs sur e5. Un pion noir ne pourra jamais chasser les pièces blanches de e5 mais
les Blancs peuvent rendre la case e4 inaccessible aux Noirs par le simple f2-f3.
9.Ce5 Cbd7 (diagramme 26)

56
CHAPITRE 4 : L'art de bien placer ses pièces

Les Noirs proposent l'échange des Cavaliers et défient les Blancs d'exploiter
réellement e5. Dans la position du diagramme 26, les Blancs disposent-ils d'un
coup permettant d'utiliser cette case ?

DIAGRAMME 26. Trait aux Blancs

10.Cd3!
Un coup fin, qui accroît le contrôle sur e5 et évite des échanges qui permettraient
aux Noirs de mieux respirer. « Comment cette retraite peut-elle augmenter le
contrôle blanc sur e5 ? » demanderez-vous. Quand le cavalier est placé en e5, seul
le pion blanc d4 attaque cette case (une pièce ne contrôle pas la case sur laquelle
elle se trouve). Maintenant, après 10.Cd3, les Blancs attaquent la case deux fois.
10... Ce4 ll.Cf3
Une autre pièce se fraye un chemin vers la terre promise e5.
ll ... Cd6 12.b3 b5?
Ce coup est une faute, qui permet aux Blancs de gagner de 1 'espace de façon signi­
ficative à l'aile-Dame. Meilleur était 12...b6, empêchant le prochain coup blanc.
13.c5 Cfï
Les Noirs font ce qu'ils peuvent pour empêcher les Blancs de pénétrer en e5.
Leur adversaire étant maintenant astreint à cette corvée défensive, les Blancs
ouvrent une colonne pour leurs Tours sur l'aile-Dame. Bien que le but de la
bataille pour e5 soit de créer un confortable avant-poste à leurs Cavaliers, les

57
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Blancs ne négligent pas leurs autres pièces. N'oubliez jamais que les échecs sont
un jeu d'équipe. Toute votre armée doit participer !
14.a4! bxa4 15.Txa4
Le pion a7 constitue maintenant une cible dont les Blancs tenteront de s'em­
parer à tête reposée.
15...Ff6
Les Noirs visent e5 avec une autre pièce.
16.Fb2
Ce coup équilibre la pression noire sur e5 et permet à la Tour fl de se rendre en a 1.
16... a6 17.Cfe5 Cfxe5 18.dxe5 (diagramme 27)

DIAGRAMME 27. Trait aux Noirs

On voit au diagramme 27 que les Blancs occupent la case e5 avec un pion.


Pourquoi les Blancs permettent-ils cela? Les Blancs acceptent de se défaire de
leur avant-poste pour deux raisons :
• Le pion qui arrive en e5 accroît l'avantage d'espace blanc.
• Le pion blanc a disparu de d4, permettant l'occupation de la case d4 par
une pièce.
18...Fe7 19.f4 Tb8 20.Tfal Tb5 21.b4
Les Noirs sont sans défense, raison pour laquelle les Blancs commencent par
défendre tous leurs pions. Ils prennent d'abord le temps de jouer f2-f4 pour pro-

58
CHAPITRE 4: L'art de bien placer ses pièces

téger e5 de façon permanente. Ensuite ils jouent b3-b4 pour assurer leur pion c5.
21. . h5 22.Fc3
.

Un coup très flexible qui donne un défenseur supplémentaire au pion b4 tout


en permettant au Fou de se rendre sur l'aile-Roi par Fc3-e l .
22...h4 23.e3
Un autre coup utile. Les Blancs ajoutent un soutien supplémentaire à la case
f4, accroissent leur contrôle de la case d4 et libèrent la diagonale f l-a6 à leur
Fou de cases blanches. Ils finiront par jouer ce Fou en fl pour qu'il se joigne à
l'attaque contre le pion a6.
23...Cb8 24.Cel
Les Blancs finiront par déborder la défense noire en jouant Cf3, Cd4 et Ff l . Avant
que nous ne passions à la suite, placez le Cavalier en d4 et observez-le attentive­
ment. Notez comment il balaie potentiellement tout l'échiquier. Il peut viser des
cases importantes telles que b5 et f5, fait pression sur les pions c6 et e6 et reste à
portée de saut d'autres cases tels que b3, c2, e2 et f3. Il est clair que les avant-pos­
tes centraux tels que d4 sont d'une importance primordiale pour des Cavaliers !

DIAGRAMME 28. Trait aux Blancs


Petrossian-Bannik
U.R.S.S., 1958

Examinons un autre exemple. Au diagramme 28, les Blancs jouissent de nom­


breux avantages : meilleure position du Roi, contrôle de la colonne ouverte « d »

59
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

et Cavalier très supérieur sur le superbe avant-poste f5. Ce qui rend la position par­
ticulièrement plaisante c'est que le Cavalier noir ne peut trouver d'avant-poste
équivalent car le pion blanc e3 protège à la fois d4 et f4. Les coups suivants témoi­
gnent des efforts blancs pour pénétrer sur la colonne« d » avec leur Tour.
l .Ch6!
Se préparant à jouer en g8 pour attaquer le pion« f ».

l...Ce6 2.Cg8 Cf8


Les Noirs défendent f6 avec la Tour. Jouer 2 ... Rf7 échoue sur 3.Td7+ Rxg8
4.Rd5 et les Blancs récupèrent leur pièce tout en parvenant à pénétrer profondé­
ment dans la positon noire.
3.Td2 Rfi 4.Ch6+ ReS 5.Cf5 Ce6 6.Td6 Txd6 7.Cxd6+ Rd7 8.Cb5
Les Blancs ont permis l'échange de Tours, mais les avantages de leur position
sont toujours présents : un meilleur Cavalier (qui a trouvé un autre emplacement
de choix en b5) et un Roi dominant (prêt à se rendre en d5 ou f5).
8 . ..Cg7 9.h6
Le pauvre Cavalier est chassé comme un chien.
9 .. . Ce8 10.Rd5
La partie est soudain terminée ! Toute avance de pion noir perd du matériel,
les coups de Cavalier sont également désastreux (10 ... Cc7+ l l.Cxc7 Rxc7
l2.Re6, et le Roi s'offre en festin tous les pions noirs de l'aile-Roi), et pour finir
l O.. Re7 permet l l .Rc6, après quoi tous les pions de l'aile-Dame tombent.
.

10...f5 tt.Rxe5 fxg4 12.Cc3


Un super Cavalier. Il peut maintenant sauter en b5, d5 ou e4 - un choix
d'avant-postes vraiment sans fin.
12 .. .Re7 13.Ce4
Les Noirs abandonnent car leurs deux pions« g )) vont tomber.

60
CHAPITRE 4: L'art de bien placer ses pièces

TEST 5. Trait aux Noirs. Quelles cases peuvent-il qualifier de points d'appui
et comment leur Cavalier peut-il s'y rendre?

TESTS.
Le Fou

Introduite au 15ème siècle, cette pièce relativement nouvelle, de longue portée,


est efficace. Elle travaille mieux en paire car chaque Fou est condamné à rester
sa vie durant sur des cases de même couleur. Deux Fous, en revanche, contrô­
lent les deux couleurs de cases et se complètent admirablement.

DIAGRAMME 29. Trait aux Blancs DIAGRAMME 30. Trait aux Blancs

Le diagramme 29 illustre un cas de finale nulle très redouté avec un pion-Tour


et un fou de la mauvaise couleur. Les Blancs, qui ont Fou et pion de plus, sont

61
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

néanmoins incapables de l'emporter car leur Fou, qui court sa vie entière sur
cases blanches, ne parvient pas à chasser le Roi adverse de son coin (seuls les
pions-Tour, « a» ou « h», peuvent conduire à la nullité. Tout autre pion procure
un gain facile aux Blancs).
Examinez maintenant le diagramme 30. L'ajout d'un Fou supplémentaire de
chaque côté modifie radicalement la situation. L'avantage blanc n'est pas plus
important, mais le gain est maintenant l'enfance de l'art. Pourquoi ? Parce que
grâce à leur nouveau Fou les Blancs contrôlent aussi bien les cases noires que
les cases blanches. Après l .Fe5+ Rg8 2.h7+ suivi de 3.h8=D, les Noirs feraient
mieux d'abandonner pour aller voir un bon film.
Vous n'êtes toujours pas convaincu que la limitation des Fous à des cases de la
même couleur constitue un réel problème, et que ce problème mérite une étude
attentive ? Alors jetez un coup d'oeil à la scandaleuse position du diagramme 31.
Elle fera très certainement de vous un converti ! Les Blancs, qui ont Roi, huit
fous et un pion contre Roi dépouillé n'ont aucun moyen de l'emporter! Si vous êtes
sceptique, je vous encourage à vous pencher un moment sur la position pour tenter
de prouver que j'ai tort. Si n'importe lequel des Fous blancs pouvait se transfor­
mer en toute autre pièce, les Blancs gagneraient aisément car les autres pièces
peuvent contrôler les deux couleurs de cases. Les Fous constituent la seule excep­
tion, mais ce n'est pas une prérogative dont ils doivent se montrer fiers.

DIAGRAMME 31. Trait aux Blancs

62
CHAPITRE 4: L'art de bien placer ses pièces

Les Fous sont des créatures intéressantes. D'un côté ce sont de merveilleuses
pièces à longue portée capables de sommeiller dans un coin tout en menaçant
des pièces vivant à l'autre bout de l'échiquier. D'un autre côté ils sont facilement
bloqués par les pions, et à jamais limités à un monde unicolore. Aucun de ces
attributs ne rend le Fou spécialement fort ou faible. Si les échecs sont aussi dif­
ficiles, c'est parce que c'est au joueur de mettre en valeur les aspects positifs de
ses Fous.
Il y a trois types de Fous :bon, mauvais et actif. Comprendre cette classifica­
tion est extrêmement important, sinon vous ne pourrez jamais avoir la moindre
influence sur le devenir de vos Fous.

Les bons Fous


Un Fou est considéré comme bon, quand ses pions centraux ne se trouvent pas
sur des cases de sa couleur et n'obstruent pas son activité. Au diagramme 32, par
exemple, le Fou des Blancs vise deux merveilleuses diagonales: h l-a8 et a2-g8.
C'est une très forte pièce car nul pion blanc n'est situé sur son chemin. Dans ce
cas le Fou peut travailler avec une autre pièce, la Tour. Après l .Te7, la double
attaque sur f7 et b7 mène à un gain matériel. La stratégie est ici la suivante :

Placez votre Fou sur une diagonale libre, la récompense sera immédiate.

DIAGRAMME 32. Trait aux Blancs

63
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Les mauvais Fous


Un Fou est considéré comme mauvais quand ses pions centraux se trouvent sur
des cases de sa couleur et bloquent son activité. Les Blancs ont par exemple un
Fou net de plus au diagramme 33, mais ce Fou est si mauvais qu'il est en prati­
que inutile. Le Fou isolé ne pouvant rien entreprendre (isolé veut dire ici qu'au­
cune autre pièce ne peut l'aider) et le Roi blanc ne pouvant entrer dans le camp
noir, la partie s'achèvera en nullité. La morale :
Si vos pions sont sur des cases de la couleur de votre Fou, vous limitez consi­
dérablement l'activité de ce dernier.
Il est intéressant de noter au diagramme 33 que si les Blancs avaient un autre
Fou de plus en h3, ils ne pourraient toujours pas gagner car tous les pions noirs
sont situés sur cases noires. Les Fous, parce qu'ils sont limités à une seule couleur,
seraient de simples fantômes, flottant sur l'échiquier sans pouvoir rien toucher.

DIAGRAMME 33. Trait aux Blancs

Les Fous actifs


Un Fou actif peut être bon ou mauvais. Il est dit actif simplement parce qu'il fait
preuve d'activité. Jetez un coup d'œil aux Fous du diagramme 34, qui sont faci­
les à cataloguer: le Fou des Noirs est bon par définition (ses pions centraux sont

64
CHAPITRE 4 : L'art de bien placer ses pièces

tous placés sur cases noires), tandis que celui des Blancs est mauvais (ses pions
centraux sont situés sur cases blanches). Cette classification pourrait nous faire
croire que le Fou des Noirs est supérieur à celui des Blancs, mais rien n'est plus
éloigné de la vérité ! Le Fou des Blancs, bien que techniquement mauvais, est
actif car il est placé hors de sa chaîne de pions, qui ne le bloque donc pas. Le
Fou des Noirs, bien que techniquement bon, n'a pratiquement aucune case où
aller. Les Blancs peuvent gagner de diverses façons, la plus simple étant l .Ta8
Tf8 2.Tb8 suivi de 3.Fxb7. Voilà ce qu'il faut retenir des mauvais Fous:

Un mauvais Fou peut devenir une pièce puissante- si vous parvenez à le pla­
cer sur une case active.

En conséquence, ne paniquez pas si vous avez un mauvais Fou ! Appliquez


tout simplement l'une des stratégies suivantes et tout devrait bien se passer.

DIAGRAMME 34. Trait aux Blancs DIAGRAMME 35. Trait aux Blancs

La libération des diagonales du Fou


Si vous avez un mauvais Fou, tâchez de placer vos pions sur des cases de cou­
leur différente pour libérer les diagonales du Fou. Le diagramme 35 montre une
position où cette stratégie s'applique. Un coup d'œil montre que le Fou des
Blancs est mauvais car il est bloqué par deux de ses pions centraux sur cases

65
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

noires (en d4 et f4). Mais en fait ce Fou n'est mauvais qu'en apparence car les
Blancs peuvent très aisément bouger ces pions pour libérer les diagonales du
Fou. Voici comment: l .f5 (libérant la diagonale c l -h6) l ...Cf8 2.d5 (libérant la
diagonale g l- a7) 2 ...Ce5 3.Cxe5 dxe5 4.Fxb6 et les Blancs gagnent la partie car
la prise en b6 permet aussi de capturer le pion a5.

Sortir le Fou hors de sa chaine de pions


Si vous avez un mauvais Fou, activez-le en le sortant de sa chaîne de pions. La
position du diagramme 36 n'est pas tirée d'une partie réelle, bien entendu, car
aucun camp n'a de Roi. Cependant elle illustre bien ce principe. Le Fou des
Blancs est clairement mauvais, et il est en outre inactif tant qu'il reste en d2.
Faut-il le laisser planté là ? Non, bien sûr ! Les Blancs peuvent rendre ce Fou
actif par Fel suivi de Fa3 (et il revient à la vie sur la diagonale a3-f8) ou en
jouant Fe l et Fh4 (et sa puissance augmente car il contrôle la diagonale h4-d8).

DIAGRAMME 36.

Les Fous, qui ne peuvent sauter au-dessus des autres pièces, ont besoin de dia­
gonales libres pour être efficaces. Si vous avez des Fous, essayez toujours d'ou­
vrir le centre. Une partie fermée, avec des formations de pions bloqués, ne ferait
que les gêner dans leur quête d'activité.

Les Fous sont plus forts dans les positions très ouvertes. Un mauvais Fou ne

66
CHAPITRE 4 : L'art de bien placer ses pièces

peut devenir actif que si vous le faites sortir de sa chaîne de pions.

Par exemple, après l.e4 e5 2.d4 exd4 3.c3 dxc3 4.Fc4 cxb2 5.Fxb2, on atteint
une position où les Fous sont les rois de l'échiquier. Les Cavaliers ne peuvent tout
simplement pas lutter avec eux dans ce type de position très ouverte (cette ouver­
ture, qui offre aux Blancs de merveilleuses diagonales pour leurs Fous et une
importante avance en développement, est bien sûr risquée car il a fallu donner
deux pions entiers pour en arriver là). Comparez cette position avec celle atteinte
par l.d4 Cf6 2.c4 c5 3.d5 e5 4.Cc3 d6 5.e4. Maintenant les Fous des Blancs n'ont
pas une aussi grande valeur car le centre est totalement bloqué par les pions.

DIAGRAMME 37. Trait aux Noirs DIAGRAMME 38. Trait aux Noirs
Cramling-Yrjola
Gausdal 1984

Après ces explications, vous pouvez mieux comprendre la position du dia­


gramme 37. Que doivent jouer les Noirs? La première chose à noter est que les
Noirs ont un Fou de cases noires et pas les Blancs. Est-ce important? Seulement
si vous voulez que ça le devienne ! Quand vous possédez une telle pièce, vous
devez trouver le moyen de lui faire atteindre son potentiel maximum. Les pions
centraux des Blancs bloquant ce Fou, les Noirs doivent jouer l...c5! pour dyna­
miter la diagonale h8-al. Après 2.dxc5 Cxc5, les Noirs ont une meilleure posi­
tion à cause de leur Fou puissant : cette même pièce, qui était bloquée un peu

67
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

plus tôt, règne maintenant sur 1' échiquier.

Quand tout le reste échoue, échangez


Si vous avez un mauvais Fou que vous ne parvenez pas à activer par l'un des
deux procédés indiqués plus haut, échangez-le pour une pièce de valeur égale ou
supérieure. Au diagramme 38, le jeu des Blancs est clairement plus confortable
que celui des Noirs. Ils ont deux Fous, leur Cavalier peut se rendre en b5 et d5,
et l'unique Fou des Noirs est mauvais car il est bloqué par le pion e5. Voyons
comment les Noirs devraient jouer.
l...hS!
Un bon coup qui prépare l'échange de la pauvre pièce située en g7 contre le
très actif Fou e3.
2.CbS TeS 3.c3
Bien joué de la part des Blancs. En c3 le pion ôte aux Noirs l'accès de d4
comme de b4. Notez comment les maîtres essayent toujours d'empêcher les piè­
ces ennemies de se rendre sur de bonnes cases.
3...Rh7
Nous voyons maintenant la pointe de l ...h5. Les Noirs sont finalement prêts à
proposer l'échange des Fous de cases noires par ... Fh6.
4.Ca3 Fh6 S.Fxh6 Dxh6 6.Dxh6+ Rxh6
Les Noirs ont égalisé la position et finirent par annuler la partie. La morale est
ici la suivante :

Si l'une de vos pièces ne vous satisfait pas, améliorez sa position ou échangez-la.

Larsen-Fischer, Match des Candidats, 1971


Étudions maintenant une partie où, excusez du peu, c'est Bobby Fischer lui­
même qui applique les lois que nous venons de voir ensemble.
l.c4 g6 2.Cf3 Fg7 3.d4 Cf6 4.Cc3 0-0 S.e4 d6 6.Fe2 eS 7.0-0 Cc6 S.dS
Ce7 9.Cd2 cS lO.Tbl CeS ll.b4 b6 12.a4 fS 13.aS Cf6 14.Da4 Fd7
1S.Da3
Le centre étant fermé au diagramme 39, les deux camps s'occupent activement

68
CHAPITRE 4: L'art de bien placer ses pièces

de préparer leurs percées de pions respectives sur les ailes. Les Blancs ont réa­
lisé des progrès considérables sur l'aile-Dame, et l'on peut s'attendre à ce que les
Noirs pressent vivement leur attaque sur l'autre aile. Ici Fischer a toutefois une
idée différente : il sait que les Noirs finissent généralement par jouer l'avance
... f5-f4 pour gagner plus d'espace sur l'aile-Roi et poursuivre leurs préparatifs de
mat. Cette avance enterrera toutefois le Fou noir en g7, qui semble déjà passa­
blement inutile à cause de la nature fermée de la position. Le grand Fischer, qui
n'oublie jamais le bien-être de ses pièces, commence par sortir cette pièce hors
de sa chaîne de pions.

DIAGRAMME 39. Trait aux Noirs

15...Fh6!
La lamentable pièce située en g7 devient soudain active.
16.Fd3
Les Blancs donnent un soutien supplémentaire au pion « e », que les Noirs
menaçaient de gagner par 16... Fxd2 suivi de 17...fxe4.
16 Dc7 17.bxc5 bxc5 18.exf5 gxf5 19.Fc2
•..

Les Blancs peuvent maintenant sortir leur mauvais Fou hors de la chaîne de
pions par Fa4.
19... a6
Les Noirs ôtent la case b5 au Cavalier blanc.

69
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

20.Cde4?
Les Blancs aimeraient jouer 20.Fa4 mais ce coup perd un pion après
20... Dxa5. Le coup joué est astucieux (il découvre une attaque sur le Fou h6 par
le Fou c 1) mais mène seulement à des échanges qui accélèrent l'attaque noire sur
l'aile-Roi.
20...Fxcl
Les Noirs sont ravis d'échanger ce mauvais Fou contre le bon Fou blanc.
21.Cxf6+ Txf6 22.Tfxcl Taf8 23.Tb6 Fc8
Les Noirs défendent le pion« a» (pourquoi donner quoi que ce soit?) et sont
finalement prêts à donner l'assaut au Roi blanc.
24.Ce2 f4!
Leur Fou de cases noires envolé, les Noirs sont contents de pousser ce pion.
Notez comment l'avance libère aussi la diagonale c8-h3 à leur Fou de cases
blanches.
25.Fe4 crs
Leur problème de Fou maintenant résolu, les Noirs approchent leur Cavalier
des lieux du combat.
26.Tc6 Dg7 27.Tbl Ch4 28.Dd3 Ff5
En temps normal, les Noirs n'échangeraient pas leur bon Fou contre le mau­
vais Fou des Blancs. Mais dans le cas qui nous intéresse ce Fou défendait la case
critique g2, et donc les Noirs le suppriment.
29.Rhl f3! 30.Cg3
Forcé. Les Blancs ne peuvent tolérer 30.gxf3 Dg2 mat.
30...fxg2+ 31.Rgl Fxe4 32.Dxe4 Cf3+ 33.Rxg2 Cd2
Les Blancs sont perdus. Leur Dame et leur Tour sont pris en fourchette et le
pion f2 est sous le feu de la batterie sur la colonne« f». Larsen abandonne donc.

70
CHAPITRE 4 : L'art de bien placer ses pièces

TEST6.

TEST 6. Ne cherchez pas de coups ici. Classez plutôt chaque Fou en bon, mau­
vais, actif ou inactif.

La Tour
Avant l'introduction du nouveau mode de déplacement de la Dame au 15ème
siècle, la Tour était de loin la pièce la plus puissante du jeu. Elle était si forte, en
fait, que tout joueur l'attaquant était censé dire « échec à la Tour ». La puissance
des Tours est demeurée la même depuis l'origine des échecs et bien que leur sta­
tut ait été dévalué par l'accroissement des possibilités de la Dame, elles n'en
demeurent pas moins des pièces extraordinairement importantes. A ssez curieuse­
ment, la plupart des amateurs ne réalisent pas cette importance car ils ne savent
tout simplement pas exploiter la force considérable des Tours. La majorité des
débutants ignore les Tours en début de partie, et même des joueurs expérimentés,
d'un bon niveau, voire de première catégorie, ne parviennent pas à tirer le maxi­
mum de ces formidables pièces.

71
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 40. Trait aux Blancs

Pourquoi des joueurs oublient-ils ainsi leurs Tours ? Très vraisemblablement


parce qu'elles sont situées au bord de l'échiquier et sont souvent les dernières
pièces à être développées. Nombreux sont ceux qui poussent quelques pions (les
humbles fantassins), développent leurs Fous et Cavaliers (les guerriers à che­
val), sortent leur Dame (le tout-puissant général) et lancent ensuite une attaque
prématurée, oubliant que le soutien des Tours (ces canons qui ouvrent le chemin
de la position ennemie) ferait merveille pour appuyer leurs chances de victoire.
Pourquoi refuser d'utiliser l'artillerie quand vous l'avez à disposition ?
Cette batterie de pièces lourdes est illustrée par la position du diagramme 40.
Les Blancs peuvent annihiler les Noirs par l.Dgl , et il n'y a pas de parade au
dévastateur 2.Tg8 mat. Cette déroute est possible parce que les Blancs ont suivi
la stratégie suivante :

Pour être efficaces, les Tours doivent être postées sur des colonnes ouvertes.
Ce type de pénétration dans la position ennemie est mentionné par le grand
Nimzovich, qui déclarait « Le but de toutes les manœuvres sur une colonne
ouverte est de finir par pénétrer sur les 7ème ou 8ème rangées en territoire
ennemi». La 7ème rangée est importante car la plupart des pions adverses s'y
trouvent et parce que le contrôle de cette traverse critique limite également les

72
CHAPITRE 4 : L'art de bien placer ses pièces

mouvements du Roi ennemi.

DIAGRAMME 41. Trait aux Blancs

Le diagramme 41 illustre clairement l'importance de la 7ème rangée. Le maté­


riel est égal mais les Blancs gagnent facilement par 1. Tc7. Ce contrôle de la
7ème rend les Noirs impuissants: le Roi noir est enfermé sur la dernière rangée
et la menace est 2.Txa7. La réponse l...Ta8 est contrée par 2.Td7, ramassant le
pion « d ».

DIAGRAMME 42. Trait aux Blancs


Botvinnik-Aiékhine
A. V.R.O., 1938

73
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Voyons comment l'ex-Champion du Monde Botvinnik utilise la même idée


pour vaincre l'un des plus grands champions de toute l'histoire. Les Blancs ont
une meilleure position au diagramme 42 car leurs deux Tours sont déj à situées
sur les colonnes ouvertes « c » et « e ».

l.Dc2
Le premier coup blanc accroît le contrôle sur la colonne « c » en doublant les
pièces lourdes, procédé par lequel on essaye de s'emparer d'une colonne donnée
avec deux Tours ou Tour et Dame. Par ce coup, les Blancs montrent que la
colonne « c » leur appartient désormais !
l...Te7
Les Noirs, qui ne peuvent s'opposer par ...Tc7 aux prétentions blanches sur la
colonne « c », tournent leur attention vers la colonne « e » pour s'assurer que les
Blancs ne s'en emparent pas également.
2.Txe7 Dxe7 3.Dc7!
Cet échange des Dames permet à la Tour blanche de pénétrer dans la position
ennemie et de contrôler la 7ème rangée.
3...Dxc7 4. Txc7 f6 5.Rf1
Le Roi se prépare à entrer en j eu. Ce coup élimine également toute future
menace de mat du couloir et empêche la Tour ennemie de se rendre sur la case e2.
5...Tti
Les Noirs chassent les Blancs de la 7ème rangée.
6.TeS+ Tf8 7.Tc3!
La Tour blanche est clairement supérieure à celle des Noirs, raison pour
laquelle les Blancs s'abstiennent sagement de tout autre échange. N'échangez
pas vos bonnes pièces pour des pièces ennemies inférieures.
7...g5 8.Cel h5 9.h4!
Les Blancs essayent d'inciter les Noirs à affaiblir leur structure de pions ou à
abandonner le contrôle de cases critiques. Maintenant 9. . g4 donne aux Blancs
.

le contrôle de f4 après Cd3 et Cf4, tandis que 9. .gxh4 IO.Cf3 regagne le pion et
.

laisse les Noirs avec une structure de pions en ruines.


9...Cd7 10.Tc7 Tti ll.Cf3 g4 12.Cel
Les Blancs n'ont rien contre une perte de temps, pour forcer les Noirs à se créer un

74
CHAPITRE 4: L'art de bien placer ses pièces

trou en f4. Le Cavalier blanc se hâte maintenant de gagner ses nouvelles écuries.
12...f5
Les Noirs, qui veulent interdire aux Blancs l'accès de f4, tentent ainsi d'obs­
truer cette case avec un pion.
13.Cd3 f4 14.f3 gxf3 15.gxf3 a5 16.a4!
Un bon coup qui fixe le pion « b » ennemi en b6.
16...Rf8 17.Tc6
La différence entre les Tours est patente. Celle des Blancs vise goulûment les
pions noirs tandis que la Tour noire, pataude, ne joue qu'un rôle défensif. La
Tour blanche finira par dévorer la plupart des pions noirs ainsi : 17...Re7 18.Rf2
Tf5 19.b3 Rd8 20.Re2 Cb8 (2l .Txb6 Rc7 suivi de 22...Cc6 donne des chances
de défense) 21.Tg6 Rc7 22.Ce5 Ca6 23.Tg7+ Rc8 24.C c6 Tf6 25.Ce7+ Rb8
26.Cxd5 Td6 27.Tg5 Cb4 28.Cxb4 axb4 29.Txh5 Tc6 30.Tb5 Rc7 31.Txb4
Th6 32.Tb5 Txh4 33.Rd3 et les Blancs gagnent.
Aussi puissant que soit le doublement sur une colonne ouverte, le triplement est
encore plus fort. Dans l'exemple qui suit, Alékhine nous montre comment s'em­
parer d'une colonne ! La seule colonne ouverte sur l'échiquier au diagramme 43
étant la colonne« c », Alékhine y concentre toute son artillerie lourde.

DIAGRAMME 43. Trait aux Blancs


Alékhine-Nimzovich
San Remo, 1930

75
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Alékhine-Nimzovich, San Remo, 1930


l.Tc2
Les Blancs se préparent à doubler les Tours.
l...De8
Les Noirs se clouent eux-mêmes, mais concéder aux Blancs le contrôle de la
colonne« c » par l ...Cd8 2.Fd7 T xc2 3.Dxc2 ne leur dit rien qui vaille.
2.Tacl Tab8 3.De3 Tc7
Les Noirs entendent doubler également leurs Tours et contester le contrôle
blanc sur la colonne« c ».Les Blancs répondent en augmentant la mise : ils tri­
pleront!
4.Tc3 Dd7 5.T lc2! Rf8 6.Dcl
Cette formation - la Dame derrière les Tours doublées - est connue sous le
nom de batterie d'Alékhine, en référence à cette partie.
6 ...Tbc8
Les Noirs doivent défendre leur Cavalier c6.
7.Fa4!
Les Blancs comptent exploiter le clouage sur la colonne « c » par b4-b5, qui
gagne une pièce.
7 .. .b5
Les Noirs écartent ce danger en donnant un pion.
8.Fxb5 Re8 9.Fa4 Rd8
La Tour en c7 est bien défendue, et maintenant IO.b5 est paré sans problème
par IO ...Ca5.Les Noirs sont-ils sortis de l'auberge?
10.h4!
La réponse est un « Non ! » retentissant. Il apparaît que les Noirs sont dans
une situation rare de zugzwang - tout coup qu'ils jouent empire leur position.
Par exemple, après 10...h5 l l .Rh2 g6 12.Rhl , les Noirs n'ont plus de coups.Le
Cavalier c6 ne peut bouger à cause du clouage sur la diagonale a4-e8 ; 12...g5
donne tout simplement du matériel ; 12...De8 ou 12... Re8 retire un défenseur de
c7 et perd une pièce après 13.b5 ; et tout coup des Tours ou du Cavalier e7 aban­
donne le Cavalier c6 à son sort, les Noirs abandonnent.

76
CHAPITRE 4 : L'art de bien placer ses pièces

Nous avons vu le carnage qu'une Tour pouvait provoquer dans la position


ennemie. Cependant les colonnes nécessaires à ces assauts n'apparaissent pas
par simple magie. Il faut les créer sur mesure pour vos Tours dès 1' ouverture. La
plupart des débuts classiques prennent en compte les perspectives futures de la
Tour. Par exemple, après l.e4 c5 2.Cf3 Cc6 3.d4 (la défense Sicilienne), les
Noirs sont très heureux de jouer 3... cxd4, sachant qu'ils viennent de créer une
colonne semi-ouverte pour leurs Tours. Ils tâcheront ensuite de placer une Tour
en c8 aussi vite que possible. Les Blancs utiliseront la colonne semi-ouverte« d »
pour de futures opérations avec leurs Tours.
Le même raisonnement s'applique à une autre ouverture classique, le Gambit
Dame refusé. Après l.d4 d5 2.c4 e6 3.Cc3 Cf6 4.Fg5, les Blancs finiront par
placer une Tour en c l et ouvriront la colonne« c »par cxd5.
Nous voyons cette même stratégie dans une ouverture connue pour être relati­
vement soporifique, la défense Petroff. La partie débute par l.e4 e5 2.Cf3 Cf6
3.Cxe5 d6 4.Cf3 Cxe4 5.d4 d5 6.Fd3 Fe7 7.0-0 0-0, et la Tour blanche prend
immédiatement part au combat par S.Tel.
La création et le contrôle de colonnes ouvertes est si important qu'un joueur sera
parfois prêt à faire des concessions pour pouvoir pénétrer dans la position enne­
mie. Dans la partie qui suit, Fischer y parvient de façon très surprenante. Jetez un
coup d'œil au diagramme 44, où l'avantage des Blancs est clair. Ils ont un bon Fou
et les Noirs un mauvais Fou (leur chaîne de pions centrale occupe des cases de
même couleur que leur Fou), et les pions a6 et d5 sont tout deux faibles. L'un des
plus importants avantages blancs, toutefois, est le magnifique Cavalier c5, une
pièce qui surveille tout l'échiquier et qui s'associe au Fou pour faire pression sur
a6. Si l'on tient compte de la force de ce Cavalier, le prochain coup blanc est abso­
lument remarquable.

77
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 44. Trait aux Blancs


Fischer-Petrossian
Match pour les Candidats, 1971

l.Cxd7+!
Les Blancs abandonnent l'objet de leur fierté ! Pourquoi jouer ainsi alors que
le Cavalier ne risquait rien et que les Noirs ne disposaient d'aucune menace ?
Parce que les Blancs voient que cet échange leur permet de pénétrer dans la
position noire le long de la colonne« c ».Ils troquent un avantage (leur superbe
Cavalier) contre un autre (une magnifique Tour).
l. .. Txd7
Ce coup est forcé, car l...Cxd7 2.Txd5 perd le pion d5.
2.Tcl
Les Blancs se précipitent vers la savoureuse colonne.
2 ... Td6
Les Noirs stoppent 3.Tc6 mais abandonnent le contrôle de la 7ème rangée.
3.Tc7 Cd7 4.Te2 g6 3.Rf2 h5 6.f4 h4 7.Rf3 f5 8.Re3
Les Blancs, qui ont attiré la plupart des pions noirs sur cases blanches (où ils
sont vulnérables à une attaque du Fou), cherchent maintenant à mener leur Roi
vers la case d4, d'où il pourra dominer. Notez comment les grands joueurs utili­
sent toutes leurs pièces.

78
CHAPITRE 4 : L'art de bien placer ses pièces

8 ...d4+
Ce coup ôte la case d4 au Roi mais ouvre la diagonale a2-g8 au Fou blanc.
9.Rd2 Cb6 10.T2e7
Des Tours doublées sur la 7ème rangée sont extrêmement fortes et constituent
dans la majorité des cas un avantage décisif.
10...Cd5 ll.Ttï+ ReS 12.Tb7 Cxb4 13.Fc4
Les Noirs abandonnent car 13 ... Cc6 14.Th7 T f6 15.Th8+ Tf8 16.Ff7+ mène
au trépas immédiat.
Nous avons ainsi vu que négliger ses Tours constituait une grave erreur. Quand
vous jouez, gardez cette stratégie en tête :

Placez si possible vos Tours sur des colonnes ouvertes leur permettant de
pénétrer sur les 7ème ou 8ème rangées adverses, et notez que si vous parvenez
à doubler vos Tours sur la 7ème rangée vous obtiendrez normalement un
énorme avantage.

TEST7. TESTS.

TEST 7. Trait aux Blancs. Le coup l .d3 est-il bon ou bien les Blancs doivent­
ils trouver autre chose?

TEST 8. C'est aux Blancs de jouer. Avec deux pions de moins, sont-ils en difficulté ?

Le Roi

Le Roi a toujours eu le droit de se déplacer d'une case dans toutes les directions.
Ce mouvement peut sembler limité, mais un Roi centralisé qui contrôle huit cases

79
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

déploie une force non négligeable. De fait, le Roi fait partie des pièces puissan­
tes de votre armée. Si seulement sa capture ne conduisait pas à la perte de la par­
tie, vous pourriez le rapprocher du centre et l'utiliser immédiatement.

Partir en balade avec le Roi


Même si on veut normalement roquer rapidement pour mettre son Roi en sûreté
(et rapprocher aussi une Tour du centre), j'avoue bien aimer jeter toute précau­
tion au vent de temps à autre et utiliser mon Roi. Quand les gens s'étonnent de
mon calme, je demande « Pourquoi devrais-je dorloter ce Roi fainéant? S'il veut
manger, ne doit-il pas travailler comme tous les autres ? » ! Voici quelques
exemples montrant l'utilisation que je fais du Roi dans mes parties.

DIAGRAMME 45. Trait aux Blancs


Seirawan-Timman
Wijk aan Zee, 1980

On voit sur le diagramme 45 que j'ai accepté de subir un retard de développement


pour construire un fort centre de pions et m'emparer d'un solide pion de plus. Hélas
les Noirs menacent maintenant de m'anéantir par l...Cc2+. Comme l.Dc3 Fxf3
2.gxf3 Dxd4! 3.Dxd4 Cc2+ aboutit à la destruction de mon centre et à la perte de
mon pion, je suis obligé d'utiliser mon Roi et lui faire jouer un rôle actif en défense.
l.Rd2!

80
CHAPITRE 4 : L'art de bien placer ses pièces

Ce coup semble fou, et de fait a causé un émoi certain dans la communauté


échiquéenne à l'époque. Mais jusqu'à quel point mon concept est-il idiot ? Mon
monarque empêche le Cavalier ennemi de se rendre en c2, et si nécessaire peut
aller en c3 où il protégera mon important pion d4. Si je peux développer le reste
de mes troupes avant que les Noirs trouvent une façon de me punir pour cette
violation d'une loi reconnue des échecs, mon Roi sera suffisamment en sûreté et
mon centre (sans même parler de mon pion supplémentaire !) me garantira un
net avantage. La suite prouve le bien-fondé de ma stratégie.
l...a5 2.a3
Ma première tâche consiste à priver les pièces adverses de cases leur permet­
tant d'entrer dans mon camp.
2... Ca6 3.Rc2 Dd7
Il faut maintenant poursuivre par 4.b3 b5 5.c5 Fe7 6.Fb2. Tout est alors en ordre,
j'ai un avantage d'espace évident et m'enorgueillis toujours d'un pion en plus.

DIAGRAMME 46. Trait aux Noirs


Kovacevic-Seirawan
Wijk aan Zee 1980

D'accord, j'avais un pion en plus dans cette partie et accepté de souffrir un peu
pour le conserver. Dans la partie suivante je n'ai pas d'avantage matériel mais j'ai
quand même bougé mon Roi car c'était la façon logique d'aboutir au résultat
désiré. On peut voir au diagramme 46 que mon Fou en g7 est un monstre et qu'il

81
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

me faudra plusieurs temps pour libérer ma première rangée de façon à roquer


sur l'aile-Dame. Mais de quoi les Blancs peuvent-ils donc se vanter? Leur seul
atout est le contrôle de la colonne « h ». Puis-je le leur retirer? Pour ce faire, j'ai
besoin de relier ma Dame à ma Tour de façon à pouvoir échanger cette dernière
par . .. Th8 tout en reprenant par ... Dxh8. Avec cette idée en tête, j'ai trouvé le
coup surpnse :
l. ..Rd7!
Un grand coup, si j'ose le qualifier ainsi moi-même. J'obtiens immédiatement
la liaison que je cherchais. En outre pourquoi mon Roi serait-il en danger en d7,
d'autant qu'il va rapidement en c7?
2.Cbd2 Th8
Cette colonne est à moi !
3.Tgl Rc7 4.Tbl Th3!
Mon Roi étant douillettement réfugié en c7, c'est le moment de pénétrer dans
la position blanche.
5.b3 Dh8
Ce coup double les forces à la fois sur la colonne « h » et sur la diagonale h8-a l.
6.Cfl C8d7
Il est temps pour le reste de mes troupes d'entrer en jeu. Il ne faut jamais s'em­
baller jusqu'à oublier le reste de son armée à la maison. Les forces noires dominent
la situation (et c'est le Roi blanc qui est coincé au milieu de l'échiquier, pas le mien
!). Voici, sans plus de commentaires, comment j'ai remporté la partie :
7.Ff4 C eS 8.Cxe5 Fxe5 9.Fxe5 Dxe5 10.f3 Fd7 ll.Dc2 Dd4! 12.Tg2 Thl
13.Tf2 Dh8 14.f4 Dh4 15.Tdl f6 16.gxf6 exf6 17.e5 fxe5 18.fxe5 Tf8
19.exd6+ Rb7 20.Fd3 TeS+.
Comme ces deux exemples le démontrent,

Les balades précoces du Roi sejustifient si elles profitent d'une façon quelcon­
que aux autres pièces.
J'aimerais maintenant que vous compreniez deux choses à propos de ces par­
ties :
• Le centre était fermé ou semi-fermé dans les deux cas. Ne partez jamais en
balade avec votre Roi quand le centre est grand ouvert !

82
CHAPITRE 4: L'art de bien placer ses pièces

• Dans les deux parties mon Roi a traversé 1' échiquier pour se rendre sur 1 'au­
tre aile. En d'autres termes, la centralisation du Roi était une mesure purement
temporaire. Notez que c'est le Roi blanc qui a succombé au centre dans ma par­
tie contre Kovacevic. Mon Roi était en sûreté sur l'aile.
Alors, comment savoir si l'on peut tranquillement emmener son Roi en
balade ? Un centre fermé rend la déambulation beaucoup plus sûre, mais le véri­
table critère est la nécessité. La promenade a-t-elle un but bien défini ? Si elle
contribue à améliorer d'autres aspects de votre jeu, alors déplacez votre Roi sans
remord. Mais souvenez-vous : il y a une grande différence entre sortir son Roi
volontairement et voir l'adversaire le poursuivre comme du gibier dans une
chasse à courre ! La partie suivante est célèbre. Elle illustre bien ce qui se passe
quand un Roi est contraint d'avancer vers une mort inévitable.

DIAGRAMME 47. Trait aux Blancs


Ed. Lasker-Sir George Thomas
Londres, 1911

Dans la position du diagramme 47, les Blancs jouent:


l.Dxh7+!!
En donnant leur Dame, les Blancs forcent le Roi adverse à entreprendre un
voyage dont il ne reviendra pas. Jouer l.Cxf6+ gxf6 aurait permis à la Dame
noire de défendre h7. Maintenant le Roi noir est contraint d'entrer dans la ligne
de mire du Fou blanc d3.

83
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

l...Rxh7 2.Cxf6++ Rh6


Les Noirs se pressent d'éviter 2. . Rh8 3.Cg6 mat.
.

3.Ceg4+ Rg5 4.h4+ Rf4 5.g3+ Rf3 6.Fe2+ Rg2 7. Tb2+ Rgl 8.Rd2 mat
Cette partie n'enseigne nulle stratégie profonde, mais montre ce qui peut arri­
ver quand un Roi se montre par trop audacieux. Souvenez-vous de ceci :

Ne permettez pas qu'on emmène votre Roi en balade sur l'échiquier sans votre
autorisation.

Faire travailler son Roi en finale


On a vu que le Roi pouvait remplir une tâche utile au lieu de rester terrorisé
dans un coin. On a également noté qu'il ne résistait généralement pas à l'attaque
quand de nombreuses pièces ennemies étaient encore sur l'échiquier. Mais une
fois ces forces disparues, le climat devient beaucoup plus favorable au Roi.
Quand les deux camps n'ont plus que quelques pièces sur l'échiquier, c'est en
général le bon moment pour tirer votre Roi de la torpeur et le rapprocher rapi­
d�ment du centre. Il ne reste pas assez de monde dans l'armée adverse pour le
menacer (des échecs isolés ne peuvent le gêner), et c'est votre droit le plus strict
d'exploiter son auguste puissance. Voici la stratégie :

Le Roi est une pièce forte qu'ilfaut utiliser enfinale. Quand la plupart des piè­
ces ont été échangées, dépêchez-vous de centraliser votre Roi pour qu'il parti­
cipe à la lutte.

La partie suivante contraste singulièrement avec le massacre auquel nous


venons d'assister. Nous allons voir les deux rois se rendre tous deux sur leur
6ème rangée même si l'un des deux se fera égorger par son homologue.
Au diagramme 48, les deux Rois se sont rapprochés du centre pour assister
leurs forces qui s'appauvrissent. Les Noirs ont une meilleure partie grâce à leur
structure de pions supérieure, mais cela ne veut pas dire que les Blancs ne puis­
sent rien faire et qu'ils soient condamnés à perdre. Hélas pour eux, les Blancs
pensent que la liquidation des pièces favorise leur cause alors qu'elle permet en
définitive l'entrée du roi dans leur camp.

84
CHAPITRE 4 : L'art de bien placer ses pièces

DIAGRAMME 48. Trait aux Blancs


Coho-Rubinstein
St. Petersbourg, 1909

l.Fxc4 Txc4 2. Tel?


Les Blancs étaient mis en échec par le fort Cavalier adverse, ce qui rend le pre­
mier échange assez logique. En revanche ce second échange perd la partie .
Bloquer l'accès de la Tour adverse à la 4ème rangée par 2.f4 était bien meilleur.
2...Txcl 3.Rxcl Rf6
Le Roi noir va droit vers le pion isolé situé en h2.
4.Rd2 Rg5 5.Re2 Rh4 6.Rfl Rh3 7.Rgl e5
Regardez un peu la différence de position entre les deux Rois. Celui des
Blancs est repoussé aussi loin que possible tandis que celui des Noirs a dévalé
l'échiquier à une vitesse incroyable. Les Blancs étant occupés à temps plein à la
défense de leur pion« h », les Noirs peuvent gagner davantage d'espace avec
leurs pions. Jouer 7 .e5 empêche les Blancs d'avancer leur pion« f
.. » par 8.f4,
car 8... exf4 9.exf4 Rg4 gagne un pion.
8.Rhl b5
Les Noirs immobilisent d'un seul coup les deux pions blancs de l'aile-Dame.
9.Rgl f5 lO.Rhl g5 ll.Rgl h5 12.Rhl g4
Échanger quelques pions permet au Roi de se frayer un passage le long de la

85
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

6ème rangée. Il pourra ensuite facilement ramasser le pion« e » immobile.


13.e4 fxe4 14.fxe4 h4 15.Rgl g3 16.hxg3 hxg3
Les Blancs abandonnent, en raison de coups tels que 17 .f4 exf4 18.e5 g2 19.e6
Rg3 20.e7 f3 21.e8=D f2 mat, ou 17 .fxg3 Rxg3 18.Rfl Rf3 qui permet ,�ux
Noirs de s'emparer du pion« e » grâce à la position dominante de leur'Roi.

DIAGRAMME 49. Trait aux Noirs


Larsen-Spassky
Lugano, 1968

Cette partie de Rubinstein était impressionnante, mais elle mettait en scène des
Rois dépouillés. Quelle est l'efficacité d'un Roi quand d'autres pièces subsistent
encore sur l'échiquier? Au diagramme 49, la partie est très équilibrée et présente
toutes les caractéristiques d'une nulle soporifique. Spassky commence par pro­
poser un échange.
l ...Tcd8 2.Th5?
Larsen, qui joue toujours pour le gain, fait preuve d'une créativité hors norme.
Sa stratégie souffre cependant d'un défaut majeur : ce n'est généralement pas une
bonne idée de concéder ce type de colonne. Meilleur est 2.Tcd1, qui conserve la
colonne« d ».
2... h6 3.b4 c4 4.a4?
L'idée du grand danois consiste à offrir un pion passé aux Noirs, mais d'es­
sayer de saper ses bases en attaquant b5. Notez aussi que le Cavalier blanc gagne

86
CHAPITRE 4 : L'art de bien placer ses pièces

le contrôlede la cased4.
4 ... Rf6 5.axb5 g6!
Très joli. Les Noirs sacrifient un pion mais parviennent à mettre la Tour blan­
che complètement hors-jeu.
6.Txh6 axb5 7.Cd4 Cd2+ 8.Rgl
Les Blancs ne peuvent jouer 8.Re2 car 8...Txd4 gagne le Cavalier.
8 ... Cb3 9.Cxb3 cxb3
La colonne « d » n'est plus obstruée, et le puissant pion passé b3 causera la
perte des Blancs.
lO.Tbl Te4
Ce coup attaque le pion « b », mais a également un autre but : la menace
. . .Rg7 met la Tour h6 endanger. Cette Tour rebelle causera la pertedes Blancs.
ll.g3 Txb4 12.Th4 Txh4 13.gxh4 Td3 14.Rg2 R e5
Les Noirs gagnent une fois que leur Roi, qui pourchasse constamment la Tour
blanche, marchera sur l'aile-Dame pour appuyer le pion« b »dans ses effortsde
promotion. Les Noirs l'emportent parce que leur Roi participe à la bataille, contrai­
rement à celuides Blancs, ce qui leurdonne l'équivalentd'un avantage matériel.

TEST9. TEST 10.

TEST 9. Trait aux Noirs. Quel Roi est le mieux placé?


TEST 10. C'est aux Noirsde jouer. Quel est leur meilleur coup?

87
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

La Dame
La Dame était la pièce la plus faible de l'échiquier (à l'exception des pions)
jusqu'à ce que de nouvelles règles soient introduites en 1475. Avant ce change­
ment les déplacements de la Dame étaient limités aux seules cases adjacentes en
diagonale. Elle était considérée comme un conseiller du Roi, et ne reçut son sta­
tut royal qu'après avoir réuni la puissance d'une Tour et celle d'un Fou. En
Italie, la nouvelle portée de la Dame fit à ce point impression qu'on l'appela
rabioso, ce qui signifie enragée. Et enragée c'est le mot! La plupart des attaques
sur le Roi sont menées par cette amazone, et bien que les joueurs professionnels
aiment bien l'échanger pour jouer une partie tranquille, les amateurs répugnent
généralement à s'en séparer. L'envie d'utiliser sa puissance pour écraser l'adver­
saire est tout simplement trop grande !

Protéger la Dame
Assez curieusement, la force de la Dame constitue aussi une faiblesse : d'un côté
la Dame adore occuper une position centralisée, qui lui offre plus de cases à
contrôler, mais de l'autre elle peut être victime de harcèlement si elle sort de
façon trop précoce. Cela dit, vous voudrez sans doute adopter cette stratégie :

DIAGRAMME 50. Trait aux Noirs

88
CHAPITRE 4 : L'art de bien placer ses pièces

Ne placez pas votre Dame sur une case vulnérable. En règle générale c'est
l'une des dernières pièces qu'il faut mettre en jeu.

La position suivante apparaît souvent, par exemple, dans des parties opposant
des débutants où la partie commence ainsi :
l.e4 e5 2.Fc4 Fc5 3.Dh5
Illustration au diagramme 50. Assez logiquement, les Blancs veulent utiliser
leur Dame dès que possible. Ils se disent que créer la double menace 4.Dxe5+
et 4.Dxf7 mat ne peut pas être mauvais, mais leur Dame est maintenant vulné­
rable à l'attaque. Après 3...De7, qui pare les deux menaces, les Noirs gagneront
des temps en poursuivant par ...Cf6, développant un Cavalier sur une bonne case
tout en attaquant la Dame.
On peut voir un exemple encore plus convaincant de la vunérabilité de la
Dame après l.e4 d5 2.exd5 Dxd5 (sortant la Dame un peu rapidement : les
Blancs pourront se développer en l'attaquant) 3.Cc3 (premier tempo gagné-la
Dame est beaucoup plus puissante que le Cavalier et doit donc fuir, totalement
terrorisée) 3... De5+? (le coup correct est ici 3 .. . Da5, qui met la Dame hors d'at­
taque, mais l'on voit souvent la gaffe 3 .. Dc6?? 4.Fb5, et la pauvre Dame dispa­
.

raît déjà de l'échiquier) 4.Fe2 Fg4 5.d4 (deuxième tempo- la Dame attaquée
doit fuir le pion) 5...Fxe2 6.Cgxe2 Dd6? (une erreur dramatique qui permet aux
Blancs de gagner encore des temps) 7.Ff4 (troisième tempo) 7... Dd8. Dégoûtés,
les Noirs ramènent la vagabonde à la maison. Les Blancs ont développé toute
leur armée pendant que les Noirs jouaient avec une seule pièce.
N'hésitez pas bien entendu à placer votre Dame sur une case centrale si elle
peut s'y maintenir ! Après l.e4 e5 2.Cf3 Cc6 3.d4 exd4 4.Cxd4 (l'Écossaise),
les Noirs peuvent être tentés d'attirer la Dame ennemie par 4...Cxd4 5.Dxd4.
Mais ce serait à l'avantage des Blancs car de cette case centrale la Dame blan­
che surveille tout l'échiquier.
Pourquoi la Dame est-elle en sécurité dans cet exemple mais mal placée dans
le précédent ? Parce que les Noirs ne peuvent développer de pièces avec gain de
temps en l'attaquant. Les Noirs pourraient bien entendu l'attaquer par 5 ... c5,
mais qu'auraient-ils obtenu une fois la Dame à l'abri (par 6.Da4, par exemple) ?
Le pion a-t-il de quoi être satisfait en c5 ? Non ! Il bloque son propre Fou et a

89
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

laissé un grand trou en d5. Les Blancs poursuivraient par Cc3 et Fc4, et il appa­
raît maintenant que le« gain de temps» n'était rien d'autre qu'une pulsion sui­
cidaire !
La façon la plus sûre d'utiliser sa Dame consiste à développer d'abord ses piè­
ces mineures, en laissant la Dame bien à l'abri sur une case sûre, profondément
enracinée dans son propre camp (déplacer la Dame permet de relier les Tours),
puis à mettre les Tours en jeu sur les éventuelles colonnes ouvertes disponibles.

DIAGRAMME 51. Trait aux Blancs

La position du diagramme 51 est une illustration basique de cette stratégie. La


Dame blanche ne dispose d'aucune case sûre pour l'instant, raison pour laquelle
les Blancs feront bien de la placer en d2 (pour faire pression sur d6) ou en c2
(pour donner un défenseur supplémentaire au pion« e» ).
l.Dc2 De7
Les Noirs sont dans la même situation. Ils se décident finalement à mettre leur
Dame en e7, une case sûre d'où elle protège le pion arriéré d6.
2.Tadl Tad8
Les Blancs placent une Tour sur la colonne semi-ouverte et les Noirs répon­
dent en donnant un défenseur de plus à leur unique faiblesse.
3.Td2
Les Blancs se préparent à doubler sur la colonne« d», et la partie se poursuit ...

90
CHAPITRE 4: L'art de bien placer ses pièces

Risquer la Dame
On a parfois envie de placer sa Dame sur une case active mais quelque peu vul­
nérable. Il faut alors soigneusement peser le pour et le contre. Cette décision est
parfois difficile, même pour les grands joueurs. Au diagramme 52, par exemple,
les Blancs viennent de jouer l .b4, un coup qui gagne de l'espace et menace la
Dame noire avancée. La plupart des gens replieraient cette dernière sur une case
sûre telle que d8 mais Fischer découvre un coup plus actif, bien que risquée, qui
permet à sa pièce chérie de continuer à travailler.

DIAGRAMME 52. Trait aux Noirs


Larsen-Fischer
Match des Candidats, 1971

l . De5!
. .

La Dame est ici très forte. Elle peut contrôler la diagonale h8-al en associa­
tion avec le Fou g7 et permet d'exercer une pression immédiate sur le pion e4.
En revanche elle est facile à attaquer et n'a nulle part où se replier !
2.Tael
La pointe tactique du jeu noir apparaît après 2.Ff4 (ou 2.Fd4) 2 ... Cxe4!, qui
gagne un pion. Et 2.Fd3 est quant à lui paré par 2 ... Cg4! avec double attaque
contre h2 et c3.

91
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

2 ...Fc6
Les Noirs continuent à faire pression avec leurs pièces sur e4.
3.Ff4 Cxe4 4.Cxe4 Dxe4
Les Noirs ont gagné un pion et menacent même mat en g2.
5.Fd3 Dd4+
Avec un pion de plus et une Dame bien placée, les Noirs ont fini par gagner.
Dans cette partie, la Dame a victorieusement mené la charge, mais il est plus
courant de voir une Dame plonger en territoire ennemi lors d'une attaque contre
le Roi adverse. De fait, dans les attaques de ce type, il est tout à fait normal pour
la Dame de mener l'assaut. Voici la stratégie :

Les Dames adorent mener l'attaque contre le Roi ennemi, mais uniquement si
le reste de l'armée peut prendre part à l'assaut.

DIAGRAMME 53. Trait aux Blancs


Seirawan-Korchnoi
Wijk aan Zee, 1980

Le diagramme 53 montre une position tirée de l'une de mes parties, que j'uti­
lise ici pour illustrer ce principe.
l.d5!
Avant de pénétrer sur l'aile-Roi adverse par Dh7, je commence par ouvrir des
lignes d'attaque et par libérer mon Fou situé en b2.

92
CHAPITRE 4 : L'art de bien placer ses pièces

Ma Dame ne pouvant gagner à elle seule contre les Noirs, j'insiste pour que
d'autres membres de mon armée viennent à son secours. Les pions sacrifiés pour
atteindre cet objectif en valent largement la chandelle.
l... exd5 2.Dh7
Menaçant de prendre le pion g7.
2 ...f6 3.Rgl!
J'écarte mon Roi de la dangereuse diagonale a6-f l . Notez comment je ne pour­
suis mon attaque qu'une fois m'être assuré que mon propre Roi est en sûreté !
3 . ..Fxc4 4. T h4!
Je veux qu'un maximum de pièces se joignent à la chasse au Roi.
4... Fxb3 5.axb3 Rfi 6. Tg4
Renouvelant ma précédente menace contre g7.
6 ... Tg8 7.Tel
Ma Tour inactive en dl trouve une nouvelle vie sur la colonne ouverte« e ».

7...d4 8.Txd4 Fe5


Ma Dame torture le Roi noir, pendant que celle des Noirs fait du tricot dans un
cmn.
9.Td7 Dxel+!
Les Noirs veulent se débarrasser de mes forces offensives.
lO.Cxel Fxb2
Les Noirs ont donné la Dame (valant 9 points) contre Tour, Fou et pion (valant
également 9 points), ce qui fait qu'ils ne sont pas si mal, du point de vue de
l'équilibre matériel tout au moins. Hélas pour eux, leur Roi est toujours vulné­
rable et ma Dame démontre sa grande agilité. Ici je dois jouer ll.Dc2! Fe5
12.Dc4+ Rf8 13.De6 TeS 14.Cf3 Fb8 15.Ch4 (chaque pièce doit participer!) et
les menaces Cg6+ et Cf5 mettent un terme rapide à la partie (mon l l ème coup
fut en réalité différent mais j'ai quand même gagné la partie).
Ma Dame se révéla être un excellent général. Elle mena toute mon armée dans
cette chasse royale et ramena la tête du Roi ennemi en trophée. Bien sûr la dif­
férence entre une Dame qui a pénétré de façon décisive dans la position adverse
et une Dame qui se retrouve hors-jeu est parfois très mince, comme le prouve
1' exemple suivant.

93
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 54. Trait aux Blancs


Seirawan-Barbero
Skien, 1979

Dans la position du diagramme 54, la Dame est-elle en position de force ou


bien hors-jeu ? Pour un œil peu entraîné, la Dame noire peut sembler mener l'at­
taque contre le Roi blanc. Mais de quelles pièces dispose-t-elle pour l'aider ?
Aucune ! Ce type d'attaque « monopièce » ne peut aboutir. Examinez maintenant
l'armée blanche. Toute ses forces sont pointées sur l'aile-Roi noire. En rejouant
la partie vous constaterez que les Blancs ont une attaque gagnante. La Dame
noire est en fait hors-jeu et en conséquence ne peut battre en retraite pour aider
à défendre son auguste époux.
l.Txg7!
Ce sacrifice de Tour attire le Roi noir en zone dangereuse et permet à la Dame
blanche de se joindre à l'attaque avec gain de temps.
l...Rxg7 2.Dg5+
Ce coup est possible grâce au clouage sur la diagonale a l -h8.
2••• Rfï
Pas meilleur est 2 .. Rh8 n'est pas meilleur, qui mène à 3.Dh6+ Rg8 4.Dh7 mat.
.

3.Dxf6+ ReS 4.Fg6+ Ctï S.FeS


La pointe :je gagne un temps critique par l'attaque de la Dame bêtement sta-

94
CHAPITRE 4: L'art de bien placer ses pièces

tionnée en h2, et les Noirs abandonnent car 5 ...Dh3 6.Fxc7 conduit à un mat
imparable en d8. Un véritable effort de toute l'équipe !

TEST 11.

TEST 11. Cette position se produit après l.e4 c5 2.Cf3 d6 3.d4 cxd4 4.Dxd4!?.
C'est aux Noirs de jouer. Était-ce une bonne idée de sortir la Dame blanche de
façon aussi précoce ?

95
CHAPITRE 5

Les meilleures pièces


m1neures

La lutte entre Fou et Cavalier constitue l'une des batailles stratégiques les plus
intenses et les plus intéressantes des échecs. Ces deux pièces cherchent toujours
à s'humilier l'une l'autre, et il faut déployer pas mal d'ingéniosité pour démon­
trer que c'est la vôtre qui domine la position.
Bien que de nombreux ouvrages marquent une petite préférence pour le Fou
-certains disent même que ce dernier vaut 3112 points, contre 3 pour le Cavalier­
nous considérons que ces deux pièces ont la même valeur dans notre compte de
points et valent toutes deux 3 points. Mais il est clair qu'on ne peut évaluer la
valeur d'une pièce en fonction du seul compte de points, et que la valeur réelle
d'une pièce donnée est déterminée par sa situation sur l'échiquier.
Et voilà où la stratégie entre réellement en jeu : pour s'engager dans une bataille
Fou contre Cavalier, il faut savoir comment créer les conditions de jeu convenant
à votre pièce. Si vous possédez un Cavalier, vous devez rechercher une position fer­
mée. Si c'est un Fou, il faut ouvrir la position (référez-vous au chapitre quatre,
« L'Art de bien placer ses pièces », pour plus de détails sur ce qui convient à chaque
pièce). Faites tout ce qu'il faut pour que votre pièce puisse dominer la pièce adverse!

96
CHAPITRE 5 : Les meilleures pièces mineures

Fous contre Cavaliers


Vous avez appris au chapitre 4 que les Cavaliers avaient besoin d'avant-postes
pour être efficaces. Il va donc de soi qu'une stratégie efficace contre un Cavalier
consiste à lui interdire tout avant-poste de façon à ce que la pauvre bête ne
puisse jamais réaliser son vrai potentiel.

DIAGRAMME 55. Trait aux Noirs DIAGRAMME 56. Trait aux Blancs

Les Noirs ont un net avantage dans la position du diagramme 55 car leur Fou
se trouve sur la belle diagonale h8-a l , tandis que le Cavalier adverse ne dispose
d'aucune case avancée. Ce Fou est par conséquent supérieur au Cavalier.
Comparez cette position avec celle du diagramme 56. Les pièces blanches occu­
pent toutes les mêmes cases qu'au diagramme 55, mais il y a deux changements
dans le camp noir: le Fou est maintenant en g7 et le pion a avancé en e5. Ces
différences apparemment bénignes inversent totalement les statuts du Fou et du
Cavalier! Le Fou noir est maintenant bloqué par ses propres pions et le Cavalier
blanc a accès à l'avant-poste d5. Les Blancs jouent l.Cb4 suivi de 2.Cd5, et leur
Cavalier est clairement plus fort que cette pathétique chose qui se tortille en g7.
Voici donc la première règle à retenir quand on se décide pour une lutte stra­
tégique opposant Fous et Cavaliers:

Un Cavalier sans avant-poste est inférieur à un Fou actif Ne laissez pas le

97
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Cavalier adverse occuper une bonne case!


Et voici la deuxième :

Quand votre Fou a l'avantage sur un Cavalier, ouvrez la position autant que
possible. Si vos pions bloquent le Fou, supprimez ces obstacles et offrez de gran­
des diagonales ouvertes à votre Fou!

DIAGRAMME 57. Trait aux Blancs


Petrossian-Lilienthal
Moscou, 1949

Examinons maintenant comment le grand Petrossian met ces stratégies en oeu­


vre dans l'une de ses parties. Au diagramme 57, le Fou blanc de cases noires dis­
pose déjà de la belle diagonale a l-h8. Mais son collègue situé en e2 ne peut en
dire autant. Les Blancs savent qu'il ne peuvent se permettre de le laisser ainsi,
et doivent trouver comment le faire participer à la lutte à venir.
l.g4!
Les Blancs se rappellent l'excellente règle : « attaquez toujours les chaînes de
pions à leur base ». Ils utilisent immédiatement leurs pions pour ouvrir la posi­
tion à la dynamite. En supprimant le pion f5, les Blancs affaiblissent le pion noir
e4 et accroissent en même temps le champ d'action de leur Fou e2.
l...fxg4 2.hxg4 Tc7 3.Rf2
Les Noirs menaçant ... Tg7, les Blancs écartent leur Roi de la dangereuse

98
CHAPITRE 5 : Les meilleures pièces mineures

colonne« g »et approchent le sémillant monarque du centre en vue de la finale.


3...h6 4.Thl!
Pourquoi ne pas placer la Tour sur une colonne ouverte où elle attaque un pion
faible?
4... e3+
Les Noirs savent qu'un de leurs pions est perdu : les Blancs auraient encerclé
le pion« e »par Fc3 et Re3, et seraient partis à la chasse au pion« h »par Th4
et Tah l. Les Noirs vendent donc la peau de leur pion« e )) aussi cher que pos­
sible : ils forcent le Fou blanc à occuper une case passive en e3 (loin de la dia­
gonale a l-h8) et donnent l'avant-poste e4 à leur Cavalier.
5.Fxe3 Ce4+ 6.Rg2 Cfi 7.Fd3!
Le Fou oublié en e2 fait soudain sentir sa présence. Il apparaît que la case e4
ne constitue pas un point d'appui permanent pour le Cavalier adverse, parce qu'il
ne peut être défendu par un pion noir.
7 ...Te7 8.Ta el
Les Blancs se préparent à chasser le Cavalier noir de sa nouvelle demeure.
Une fois l'expulsion menée à bien, l'ex-Fou inactif de cases blanches mettra le
feu sur la diagonale b l-h7.
8...Tfe8
Les pièces noires peuvent paraître à l'aise mais elles sont en fait assez malheu­
reuses : les Tours jouent le rôle de nourrice du Cavalier e4, le Cavalier f7 rem­
plit la même fonction pour le pion h6 et, du fait que le pion blanc f4 contrôle les
cases e5 et g5, le Cavalier f7 n'a aucun espoir de jamais trouver une case avan­
cée active.
9.Fcl Cc3 10.Txe7 Txe7 ll.a5 b6 12.axb6 axb6
Les Noirs espèrent simplifier la partie par ces échanges. Ils ne réalisent hélas
pas que leur Cavalier est en danger. Ils ont oublié les importantes leçons straté­
giques disant que les Cavaliers ont besoin de points d'appui. Un Cavalier avancé
sans point d'appui est au mieux un animal chancelant.
13.Fd2 Ce2 14.c3!
La pauvre chose n'a nulle part où aller et sera bientôt annihilée.

99
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

14...b5 15.Rf3
Et les Blancs finissent par gagner. Notez le contrôle blanc sur les Cavaliers
noirs tout au long du jeu. Pendant que les Fous blancs ont rempli leur rôle en d2
et d3, le pauvre Cavalier f7 n'a jamais eu aucun avenir et la bête située en e2
-pièce qui a tout tenté pour la gloire - n'est plus pour longtemps sur l'échiquier.
Retenez:

Un Fou domine normalement un Cavalier dans les positions ouvertes. Si la


position n'est pas ouverte, faites votre possible pour dégager les pions de la tra­
jectoire de votre Fou, afin de l'activer!

Un Fou battra souvent un Cavalier dans les finales avec des pions passés (ou
des majorités de pions) sur les deux ailes de l'échiquier car sa longue portée lui
permet d'attaquer de loin les pions adverses. La position du diagramme 58 mon­
tre pourquoi un Cavalier ne peut jamais l'emporter face à un Fou quand ce der­
nier est en mesure d'exploiter sa vitesse et son agilité. Les Blancs menacent d'al­
ler à Dame avec leur pion<< h »par h7 et h8. Cependant, bien que leur Fou soit
loin de l'aile-Roi, les Noirs peuvent les obliger à rester dans les starting-blocks
par l...Fc2!. C'est maintenant au Cavalier blanc de montrer comment il compte
arrêter le pion passé noir en a3. On verra bientôt que le malheureux équidé n'est
pas à la hauteur. Les Blancs jouent 2.Cdl+, plaçant leurs espoirs dans 2 ...Fxdl?
3.h7!, qui permet finalement au pion blanc de se ruer vers la promotion. Mais
les Noirs répondent 2 .•. Rd2, et la partie est terminée après 3.Cf2 a2. Le Fou à
longue portée a rempli son office alors que le myope Cavalier n'est pas parvenu
à remplir le cahier des charges blanc.
On voit au diagramme 59 que les Noirs gagnent car quatre petits avantages
favorisent leur Fou.

100
CHAPITRE 5 : Les meilleures pièces mineures

DIAGRAMME 58. Trait aux Noirs DIAGRAMME 59. Trait aux Blancs
Kalantar-Petrossian
Erevan, 1948

• Les Blancs ont une majorité de pions sur l'aile-Dame alors que celle des
Noirs est sur l'aile-Roi. Les majorités finissent par donner des pions passés, et
les positions avec pions passés sur les deux ailes de l'échiquier favorisent pres­
que toujours le camp du Fou.
• Les pions blancs de l'aile-Dame sont situés sur cases blanches, ce qui les rend
vulnérables à une attaque par le Fou adverse, qui travaille également sur cases
blanches.
• La position est ouverte, ce qui est normalement en faveur des Fous.
• Les pions de l'aile-Roi noire ôteront toute possibilité de point d'appui au
Cavalier, tandis que les pions de l'aile-Dame blanche ne peuvent restreindre l'ac­
tivité du Fou adverse.
Voici comment les Noirs profitent de cette position favorable :
l.Rf2
Les Blancs rapprochent correctement leur Roi du centre. N'oubliez jamais
d'activer votre Roi en finale !
l... f5!
Ce coup, qui semble à première vue illogique car il bloque le Fou, n'en corres-

101
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

pond pas moins parfaitement aux exigences de la position. En poussant leur


pion, les Noirs mettent en branle leur majorité de pions sur l'aile-Roi et se pré­
parent à créer un pion passé. Ils poursuivront par ...g5, après quoi les cases d4,
e4, f4 et g4 deviendront inaccessibles au Cavalier blanc. Ôtez des cases au
Cavalier adverse quand c'est possible.
2.Re3 Rtï 3.Cd3 Fc8
Les Noirs s'apprêtent à attaquer le pion c4 pour forcer un autre pion ennemi à
se placer sur une case blanche vulnérable.
4.b3 g5
Le Cavalier blanc ne peut maintenant sauter en f4.
5.Rf3 Rf6 6.Re3
Les Blancs ne peuvent rien entreprendre d'actif, et attendent donc patiemment
en espérant que les Noirs ne pourront pas non plus se montrer actifs.
6... Fd7
Le Fou se prépare à se rendre en un point de l'aile-Roi d'où il pourra pénétrer
dans la position ennemie.
7.Rf3 Fe8 8.Re3 h6 9.Rf3 Fh5+ 10.Re3 Fdl ll.Rd2 Ff3 12.Re3 Fe4
Il est clair que le Fou est supérieur au Cavalier.
13.Rd2 Fxd3!
Pourquoi donc les Noirs échangent-ils une pièce supérieure contre une pièce
inférieure ? Parce que leur majorité plus mobile et leur Roi plus avancé leur
assurent une finale Roi et pion gagnante.
14.Rxd3 Re5 15.Re3 f4+ 16.gxf4+ gxf4+
Les Noirs sont les premiers à se créer un pion passé.
17.Rf3 Rf5 18.Rf2 Re4
La position du Roi noir est si supérieure à celle de son homologue blanc que
le gain devient très aisé. N'autorisez jamais le Roi ennemi à s'avancer aussi loin
sur l'échiquier en finale.
19.Re2 f3+ 20.Rf2 Rf4 21.h4 h5 22.a3 Re4
Les Blancs ont assez subi et rendent leur tablier, car les suites telles que 23.b4
axb4 24.axb4 cxb4 25.c5 Rxd5 ou 23.Rfl Re3 (23...Rd3 gagne aussi) 24.Re l
f2+ 25.Rf l Rf3 26.b4 axb4 27.axb4 cxb4 28.c5 b3 sont totalement sans espoir.

102
CHAPITRE 5 : Les meilleures pièces mineures

TEST 12.

TEST 12. Cette position est assez équilibrée, à ceci près qu'un camp possède un
Fou et l'autre un Cavalier. Le trait est aux Noirs, qui veulent jouer leur pion
« d ». Doivent-ils le placer en d6 ou d5 ?

Le Cavalier dominant
Comme je l'ai dit au chapitre 4, un Cavalier peut facilement l'emporter sur un
Fou si l'on peut fermer la position ou installer le Cavalier sur un point d'appui
avancé. Quelle est la force exacte d'un Cavalier fermement implanté sur sa 5ème
rangée ? Jetons un coup d'œil au diagramme 60 pour le savoir. On verra que j'ar­
rive à gagner dans cette position contre le Champion du Monde parce que mon
Cavalier bloque totalement ses pions c3 et c2, contrôle plusieurs cases et déploie
ses menaces au cœur de la position adverse (a3, b2, d2, et e3) et ne laisse qu'une
case au Roi blanc pour s'enfuir (e2).

103
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 60. Trait aux Noirs


Karpov-Seirawan
Mar del Plata, 1982

Le Fou blanc ne fait pas le poids face à mon Cavalier. Il occupe une fonction
défensive en d4 (protéger le pion c3) mais est bloqué par les pions c3 et e5. Il
fait preuve d'une certaine activité sur la diagonale g l-a7, mais elle est loin d'éga­
ler celle de mon Cavalier émérite. Quand on prend en compte l'exposition du
Roi et la pièce mineure inférieure, que l'on note que les pions des Blancs sont
faibles et que leur Tour est moins active que la mienne, on ne peut que convenir
du fait qu'il existe certainement un moyen de faire chuter l'adversaire. De fait, si
j'avais joué l...De8!, menaçant l'écrasant 2...Th3+ 3.Re2 Dh5+, j'aurais certai­
nement gagné la partie.
J'ai hélas raté cette possibilité et finalement laissé mon adversaire s'échapper
avec la partie nulle. Mon incapacité à trouver la bonne variante ne doit cepen­
dant pas nuire à l'appréciation de la puissance de mon Cavalier, capable de man­
ger les Blancs tout cru. Ce genre de superbe étalon sera presque toujours plus
fort que n'importe quel fou. Votre sens stratégique doit vous alerter chaque fois
qu'existe une possibilité de créer un tel monstre. Retenez l'idée suivante :
La perspective de s'emparer d'un bon avant-poste pour votre Cavalier doit
vous mettre en émoi. Quand il peut agir à partir d'une base sûre, votre Cavalier

104
CHAPITRE 5 : Les meilleures pièces mineures

peut devenir extrêmement puissant.


On a donc vu qu'un bon avant-poste pouvait rendre un Cavalier meilleur que
la plupart des Fous adverses. Comment les positions fermées peuvent-elles vous
aider? Si vous n'avez pas d'avant-poste dans une position fermée, votre équidé
ne brillera pas de mille feux. Il n'en reste pas moins qu'un Cavalier moyen peut
battre un fou emmuré. Dans les positions fermées, les pions bloqués gênent les
Fous et les rendent souvent totalement inutiles.

Seirawan-Vukic, Nis, 1979


Si vous le voulez bien, je vais illustrer cette stratégie de fermeture du jeu à l'aide
d'une autre de mes parties, que nous suivrons du début à la fin.
l.c4 Cf6 2.Cc3 g6 3.g3 Fg7 4.Fg2 0-0 5.e4 c5 6.Cge2
J'ai choisi une structure connue sous le nom de Formation Botvinnik. J'ai ferme­
ment pris le contrôle de d5, je me suis emparé d'un avantage spatial au centre et
rêve de poussées de pion telles que b2-b4 (avec jeu sur l'aile- Dame) et f2-f4 (avec
une attaque sur l'aile-Roi). Le prix à payer pour toutes ces possibilités merveilleu­
ses est le trou en d4, mais j'estime que cette case peut être défendue (par le Cavalier
e2 et le Fou e3). Enfin j'ai toujours adoré jouer cette position avec les Blancs.
6 ...Cc6 7.a3 a5
Cette avance, qui affaiblit la case b5, n'est pas nécessaire car je ne menace pas
de jouer immédiatement b2-b4.
8.0-0 d6 9.d3 CeS
Cette retraite de Cavalier peut sembler étrange à première vue, mais elle est en
fait assez logique. Les Noirs ouvrent la diagonale a l -h8 à leur Fou et se prépa­
rent à positionner leur Cavalier en d4 via c7 et e6 (vous ne pensiez tout de même
pas que les Noirs allaient laisser ce Cavalier sur la première rangée?).
10.Fe3 Cd4 ll.Fxd4! cxd4
En temps normal je ne serais pas si pressé de donner mon beau Fou de cases
noires contre un Cavalier. Je vois cependant que la position qui en résulte favo­
rise les Cavaliers. Je pourrai placer un Cavalier dans le trou b5, et le Fou noir
g7, autrefois si puissant, est maintenant bloqué par son propre pion d4.
12.Cb5 Db6 13.a4!

105
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 61. Trait aux Noirs

On voit au diagramme 61 que ce coup élimine toute possibilité de jeu noir à


l'aile-Dame. Si le Cavalier est capturé un jour en b5, je jouerai axb5 avec une
structure de pions supérieure (la colonne « a » ouverte pour ma Tour et davan­
tage d'espace sur l'aile-Dame). Je suis maintenant seul à pouvoir créer du jeu sur
l'aile-Dame (par b2-b4). Le centre étant fermé (ce qui signifie que personne ne
peut y trouver de jeu), l'aile-Roi est la seule zone où la lutte a un sens. Je dois
me dépêcher d'y gagner de l'espace pour m'assurer la mainmise sur cette partie
de l'échiquier.
13...Cc7 14.f4 Ca6
Les Noirs approchent leur Cavalier du joli avant-poste situé en c5.
15.h3 e5
Ce coup noir appuie le pion d4.
16.f5
Je dispose désormais d'un tel avantage spatial à l'aile-Roi que je lance une
attaque directe contre le monarque ennemi.
16...Fh6
Ce Fou était mort en g7, et sort donc de sa chaîne de pions pour trouver un peu
de jeu sur la diagonale h6-c1.
17.h4 Fd7 18.Rh2 Cc5 19.Fh3!

106
CHAPITRE 5 : Les meilleures pièces mineures

Mon Fou étant mauvais en g2, je le mets en h3, remplissant ainsi deux objec­
tifs : je le sors de sa chaîne de pions et lui donne une nouvelle vie sur la diago­
nale h3-c8 et après avoir joué f5-f6 ou fxg6, l'échangerai contre le Fou d7, tro­
quant mon mauvais Fou contre le bon Fou adverse. L'échange laisse les Noirs
avec un seul Fou- le mauvais. La stratégie consiste ici à priver les Noirs du
contrôle des cases des deux couleurs :

Si vous comptez battre votre adversaire grâce à vos Cavaliers, ne lui laissez
pas la paire de Fous car elle contrôle les cases des deux couleurs.

19...g5?
Un coup médiocre qui affaiblit le Roi noir et me permet de placer une combinai­
son gagnante. À ce stade les options noires étaient toutefois limitées. 19...f6 était
un meilleur coup qui m'aurait permis de démontrer la supériorité de mon Cavalier
sur le Fou adverse car après 20.fxg6 hxg6 21.Fxd7 Cxd7 22.h5! gxh5 23.Cg l ,
l'aile-Roi des Noirs est faible et leurs cases blanches sont toutes trouées. Je peux
alors prendre le pion h5 (par Dxh5) et soit planter ma Tour dans le trou f5 soit y
conduire mon Cavalier par Cf3, Ch4 et Cf5. Mes Cavaliers en f5 et b5 seraient
alors tous deux largement supérieurs au Fou ennemi b6.
20.Cexd4!
Ce sacrifice de Cavalier me permet de libérer la diagonale d l-h5 sans perte de
temps pour amener ma Dame en h5 avec des effets dévastateurs.
20 ...exd4 21.Dh5 f6
Les Noirs, s'ils tentent de se cramponner à leur Fou par 2 l ...Fg7, se font
détruire par 22.f6 Fh8 23.Dxg5+, avec mat au coup suivant.
22.Dxh6 Fxb5 23.axb5 g4
Le paysage a changé: c'est moi désormais qui suis affligé d'une pièce mineure
inférieure - le joli Cavalier noir c5 est manifestement meilleur que mon très
mauvais Fou h3. La position m'est néanmoins favorable car la position noire est
en ruines sur l'aile-Roi. Bien que les Noirs jouissent maintenant de petits avan­
tages positionnels, les échecs sont avant tout un jeu où il faut mater, ce que je
m'apprête à faire !
Par 23...g4, les Noirs m'empêchent de mettre davantage leur Roi en danger par
hxg5. Ils espèrent 24.Fxg4 Cxd3, après quoi ils ont non seulement un nouveau

107
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

pion passé en d4, mais leur Cavalier pourra aussi s'installer en e5 pour être défi­
nitivement supérieur à mon Fou. Je décide d'éviter toutes ces considérations
positionnelles, et d'attaquer directement à la jugulaire !
24.Tf4!
Ce sacrifice de pièce prouve-t-il mon courage ? Pas le moins du monde ! Je
n'ai pas le choix : si je ne force par le Roi adverse à rendre les armes, ma mau­
vaise pièce mineure me coûtera la partie.
24 ...gxh3 25.Tg4+ Rfi 26.Tg7+ ReS 27.Dxh7 RdS 2S.b4!
Très fort. Les Noirs ne peuvent répondre...axb4 à cause du clouage sur la
colonne« a», mais ne peuvent bouger leur Cavalier (par 28 ... Cxd3, par exem­
ple) car 29.Txb7 menace alors leur Dame ainsi que Dd7 mat.
2S ...ReS 29.bxc5 dxcS 30.h5
Les Noirs abandonnent car ils voient que 30 ... a4 31.h6 a3 32.Ta2 ne leur laisse
aucun coup utile et que le prochain Tg8 permet à mon pion« h» de se transfor­
mer en Dame.

Le contrôle des couleurs


Ce que j'aime particulièrement chez le Cavalier, c'est sa faculté à se rendre sur
des cases de toute couleur. Toute force placée sur une couleur opposée à celle
d'un Fou ne peut être attaquée par cette pi�ce, alors qu'elle n'est plus en sécurité
face à un Cavalier, qui contrôle à volonté des cases de couleurs différentes.
L'exemple suivant illustre bien ce point.
Au diagramme 62, le Fou des Blancs est placé de façon active mais comme tous les
pions adverses sont situés sur cases noires, ou peuvent facilement s'y rendre, ce Fou
ne n'engendre pas de graves menaces. Peut-on en dire de même du Cavalier noir?
Non, bien entendu ! Il peut tout attaquer sur l'échiquier, et peut aussi défendre n'im­
porte quelle case. Il tient pour l'instant le Roi blanc à distance en gardant le contrôle
de la case c4. La première tâche des Noirs consiste à amener leur Roi en c5 pour
contrôler c4. Le Cavalier sera alors libre de bouger et le Roi noir menacera constam­
ment de pénétrer en d4. Le Fou blanc ne pouvant rien menacer et le Roi blanc ne pou­
vant pénétrer dans la position noire, les Blancs sont incapables de créer une quelcon­
que menace. Les Noirs ont donc tout leur temps pour exécuter leurs plans.

108
CHAPITRE 5 : Les meilleures pièces mineures

DIAGRAMME 62. Trait aux Blancs


Damjanovic-Fischer
Buenos Aires, 1970

l.Fe6 Re7
Le Roi noir s'engage sur le chemin menant à c5.
2.h4 h6
Un autre pion se réfugie sur case noire.
3.Re3 CeS 4.Rd3 Cd6
Les Noirs donnent une case plus flexible à leur cavalier. Il défend toujours c4,
mais vise aussi e4 et menace de se rendre un jour en b5 et c3, attaquant de là le
pion blanc a2.
5.Re3 Rd8 6.Rd3
Savoir que l'adversaire ne peut faire autre chose que les cent pas rend la posi­
tion très confortable pour les Noirs.
6 Re7 7.Fa4 Rb6 8.Re3 ReS
..•

Mission accomplie. Le Roi noir s'empare de c5.


9.Fd7 Rb6
Les Noirs s'inquiètent d'une éventuelle pénétration blanche de leur position via
g4, et décident donc de revenir à l'aile-Roi pour éliminer toute chance de contre­
jeu avant de s'en retourner en c5. Pourquoi se presseraient-ils puisque les Blancs

109
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

n'ont aucun moyen de les punir ?


10.Fa4 Re7 ll.Rd3 Rd8 12.Fe6 Re7 13 .Re3 Re6 14.Rf3 Rf6 15.g4 g5
16.h5 Re7
Maintenant que les Blancs ne peuvent plus pénétrer par l'aile-Roi, les Noirs
s'en retournent en c5.
17.Re3 Rd8 18.Rd3 Re7 19.Fa4 Rb6 20.Fd7 Re5
Leur Roi étant maintenant placé où il le faut, les Noirs peuvent se consacrer
au saut d'obstacles avec leur cavalier.
21.Fa4 CeS 22 .Fe8 Ce7 23.Re3 Cg8 24.Fd7 Cf6
Le Cavalier attaque à la fois e4 et g4 de f6. Les Noirs ayant tout le temps
devant eux, pourquoi ne pas placer leurs pièces sur les meilleures cases possi­
bles?
25.Ff5
Notez que le Fou blanc est comme un fantôme. Il ne peut attaquer aucune des
pièces adverses car elles se trouvent sur cases noires.
25 ... Rb5 26.Rd3 a4
Les Noirs menacent de pousser leur pion en a3, fixant le pion blanc a2, après
quoi une manœuvre de Cavalier en c3 gagnera ce pion et la partie.
27.b xa4+
Les Blancs stoppent la menace ... a4-a3, mais permettent au Roi noir de péné­
trer profondément dans leur position.
27...Rxa4 28.Re4 Ra3 29 .Re5 Rxa2 30 .Rxb4 Rb2 31.Re5 ReJ 32.Rd6
Rd4 33.Re6 Cxe4
Les pions blancs commencent à tomber, la fin est en vue.
34.Rtï Cf2 35.Rg6 e4 36.Rxh6 e3 37 .Rg7 e2 38.h6 el=D 39.h7 De7+
40.Rg8 Ce4
Les Blancs abandonnent car 41.h8=D+ Cf6+ mène à la capture de la Dame qui
vient d'apparaître sur l'échiquier, tandis que 4l.Fxe4 Rxe4 42.h8=D De8+
43.Rg7 Dxh8+ 44.Rxh8 Rf4 procure également un gain aisé aux Noirs. Le fil
conducteur de la cruelle stratégie noire était :

Quand votre adversaire est sans défense, prenez votre temps pour le torturer !

On a vu qu'essayer d'avoir une pièce mineure meilleure que celle adverse est

110
CHAPITRE 5 : Les meilleures pièces mineures

très important. Dans l'exemple suivant les Noirs peuvent infliger aux Blancs le
handicap d'un très mauvais Fou. À la position illustrée au diagramme 63, les
Noirs initient une série d'échanges qui les laisse avec de bons Cavaliers contre
de mauvais Fous.

DIAGRAMME 63. Trait aux Noirs


Botvinnik-Bronstein
Match pour le Championnat du Monde, 1951

l...Fxe2! 2.Txe2 Fxc3 3.Fxb6


Jouer 3.bxc3 Cc4 donnerait aux Noirs un Cavalier surpuissant en c4.
3... axb6 4.bxc3 g5!
Par ce coup les Noirs fixent les pions adverses sur cases blanches, où ils gêneront
leur propre Fou. Ils devraient ensuite jouer ...Cd7, et leur Cavalier (qui peut tou­
jours se rendre en c5 ou même en f4) serait beaucoup plus fort que la triste chose
qui se traîne en g2. Les Noirs jouèrent hélas autrement et ratèrent leur chance.

Seirawan-Short, Londres, 1982


Je clos ce chapitre par une partie où je commence par donner la paire de Fous à
mon adversaire. J'échange ensuite un de ses Fous pour l'affaiblir sur les cases
blanches. Je finis par transformer mon Cavalier en un monstre déchaîné, nette­
ment plus puissant qu'un simple Fou.

111
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

l.d4 Cf6 2.c4 e6 3.Fg5 h6 4.Fxf6 Dxf6


Il me reste maintenant un seul Fou contre les deux Fous noirs, raison pour
laquelle je joue pour obtenir une position favorable aux Cavaliers.
5.Cc3 b6 6.Cf3 Fb7 7.e3 g6 8.Fd3 Fg7 9.Fe4!
Je veux me débarrasser du Fou adverse de cases blanches, même si cela impli­
que la disparition de mon propre Fou, pour que l'adversaire ne puisse plus
contrôler les cases des deux couleurs avec ses Fous.
9...Fxe4 10.Cxe4 De7 ll.Da4 0-0 12.0-0 d6 13.Tad1 Cd7 14.Dc6!
L'échange du Fou de l'aile-Dame a laissé aux Noirs des faiblesses sur cases
blanches.
14 . . . Tfc8 15.Ce1
Je sais... Les Cavaliers n'ont rien à faire sur la 1ère rangée. Mais cet étalon est
en route pour de plus verts pâturages. Il se rend en c6, via d3 (ou c2) et b4.
15...Cf6 16.Cxf6+ Fxf6 17.Cc2 DeS 18.Cb4! Dxc6 19.Cxc6

DIAGRAMME 64. Trait aux Noirs

Le diagramme 64 montre que mon puissant Cavalier paralyse la position


noire, tandis que le Fou adverse ne sert pas à grand-chose.
19... Rf8 20.b4
Le pion« b » se dépêche d'apporter un soutien au Cavalier et s'éloigne de la
diagonale a l -h8 au cas où je choisirais d'avancer mon pion« d »en d5.

112
CHAPITRE 5: Les meilleures pièces mineures

20...Re8 21.Td3! Rd7 22.d5 Fg7 23.e4 a6 24.a4


Le Fou noir contrôle une diagonale ouverte, mais il n'y a rien à attaquer sur
cette diagonale !
24 . . . TeS 25.Tf3! f5 26.g4
Tentant de faire sauter les verrous pour ouvrir la colonne « f ». Les Noirs ne
peuvent prendre ni mon pion« e » ni mon pion« g » à cause de Tf7+ qui gagne
une pièce.
26 ...Tf8
Jouer 26...exd5 27.exd5 est encore pire car 27...Te4 28.gxf5 g5 29.Te3! gagne
ensuite un pion.
27.gxf5 gxf5 28.exf5 e5?
L'évident 28...exf5 est meilleur, même si 29.Tel est alors pénible pour les
Noirs. J'aurais à ce moment-là une position largement supérieure car je domine­
rais la colonne « e », ma pièce mineure serait très forte et les pions noirs f5 et
h6 faibles.
29.Tg3 Ff6 30.f4! exf4 31.Txf4 Tae8 32.h4!
Pour tenir le Fou à distance de g5.
32...Tel+ 33.Rg2 Tal 34.Tg6 Ta2+ 35.Rh3 h5 36.Te4
Je menace mat par 37.Txf6 et 38.Te7+, exploitant mon Cavalier.
36...Ta3+ 37.Rg2 Ta2+ 38.Rh3 Ta3+ 39.Rg2 Ta2+ 40.Rg3 Ta3+ 41.Rf2 Fd8
42.Tf4
Menaçant maintenant de pousser mon pion passé« f » en f6.
42...Ff6 43.Te4 Fd8 44.Re2
Les Noirs ne m'ayant pas permis de pousser mon pion, je dois tenter autre
chose.
44 . . . Ta2+ 45.Re3 T xa4 46.Ca7!
En ôtant la case c8 au Roi noir, j'accentue énormément la force de la menace
T g7+.
46...Ta3+ 47.Re2 Ta2+ 48.Rdl Tal+ 49.Rc2 Ff6
Les Noirs tentent désespérément de m'empêcher d'aller en g7.

113
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

50.Te6 Fh8 51.Th6


Un changement décisif, car je me dirige maintenant vers h7. Les Noirs ne peu­
vent stopper ma Tour par 51... Tf7 car leur Fou serait en 1'air.
51...Ta2+ 52.Rb3 Tb2+ 53.R a3
Mettant finalement un terme à cette série d'échecs gênants.
53 Tg2
..•

Les Noirs parent l'échec 54.Th7+ par 54... Tg7. J'élimine cette défense et
renouvelle ma menace.
54.f6 Tfg8 55.Th7+
Et les Noirs abandonnent car 55...Rd8 56.Tee7 suivi de Ca7-c6+ conduit au
mat. On a vu à 1' occasion de cette passe d'armes comment un cavalier enfoncé
au cœur de la position adverse pouvait venir à bout de n'importe quelle défense
sur les cases des deux couleurs.

TEST 13.
Sefc-Petrossian
Vienne, 1957

TEST 13. C'est aux Noirs de jouer. Le coup l ...Cxc2 est-il raisonnable?

114
aaaaaa1
CHAPITRE 6

Comment bien
uti 1 iser ses pions

André-François Danican Philidor déclara en 1749 que les pions étaient« l'âme
des échecs ». À l'époque, personne ne comprit vraiment ce qu'il voulait dire
mais 160 ans plus tard Emmanuel Lasker expliqua la remarque de Philidor en
ces termes:

Le pion, beaucoup plus statique que les pièces, est un élément de la structure,
et la façon dont l'ensemble des pions est placé détermine le caractère de la posi­
tion, et par conséquent le plan approprié.

Lasker rappelle que l'emplacement des pions est l'un des facteurs les plus
importants à considérer dans le choix d'une stratégie, ce dont tout maître actuel
est parfaitement conscient. Philidor disait des pions qu'ils étaitent l'âme des
échecs car le plan à suivre dépend de leur placement. Nous examinerons dans ce
chapitre les différentes sortes de structures de pions et les stratégies-type à sui­
vre dans chaque cas.

115
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Les pions, éléments de blocage et de contrôle


Les pions ne peuvent traverser l'échiquier d'un bond, et de fait sont plutôt labo­
rieux. En revanche ils sont très doués pour bloquer d'autres pions et empêcher
les pièces adverses d'occuper certaines cases clés. Le diagramme 65 en montre
un exemple. Les Blancs ont deux pions de plus et menacent de gagner encore de
l'espace par f4-f5 (ouvrant aussi une diagonale à leur mauvais Fou) ou d4-d5
(transformant le pion bloqué « c »en pion passé).

DIAGRAMME 65. Trait aux Noirs

Les Noirs peuvent toutefois mettre un terme aux diaboliques projets blancs par
l...e6!. Ce coup utilise le pion « e » comme élément de blocage pour immobili­
ser à la fois les pions blancs« d»et« f». Après l . e6, les Noirs joueront 2
. . Ce7
...

pour placer leur Cavalier soit en d5 soit en f5. Le magnifique Cavalier noir (une
fois qu'il a atteint l'un de ces postes), associé à la nature statique des pions
blancs, ôte définitivement toute chance de gain aux Blancs. Les Noirs ont par­
faitement exploité cette stratégie :

Utilisez vos pions pour bloquer les pions adverses dès que possible.

Examinons maintenant le diagramme 66. La position est la même qu'au dia­


gramme précédent, à trois différences significatives près. J'ai reculé le pion
blanc c5 d'une case pour le mettre en c4, reculé le pion blanc h4 d'une case pour

116
CHAPITRE 6 : Comment bien utiliser ses pions

le placer en h3, et remplacé le pion blanc a5 par un pion blanc en g3. Les Blancs
gagnent maintenant car la position de leurs pions les assure de pouvoir jouer à
volonté d4-d5 ou bien f4-f5.
l...e6 2.g4 hxg4 3.hxg4 Ce7
Les Noirs tentent de stopper l'avance des pions blancs.
4.Ff2!
Les Blancs parviennent maintenant à sortir leur Fou de sa chaîne de pions par
Fh4.
4...Re8

DIAGRAMME 66. Trait aux Noirs

Notez comment les pions blancs en c4 et g4 empêchent le Cavalier d'accéder


aux cases et f5.
S.Fh4
Les Blancs menacent de rentrer dans une finale de pions gagnante par 6.Fxe7.
s.. cgs
.

Si les Noirs jouent 5... Cc8, les Blancs jouent 6.a5! pour interdire l'accès de la
case b6 au Cavalier. Un bel exemple d'utilisation d'un pion pour restreindre l'ac­
tivité d'une pièce adverse.
6.Fg5!
Les Blancs dominent le pauvre Cavalier. Il ne peut maintenant se rendre en h6

117
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

ou f6, et sera échangé s'il ose se présenter en e7.


6 .Rd7 7.f5 gxf5+ 8.gxf5 exf5+ 9.R.xf5 Re8 10.d5
..

À ce stade les Noirs devraient tranquillement abandonner. Les Blancs ont admi­
rablement suivi cette stratégie :

Utilisez vos pions pour ôter des cases aux pièces adverses.

Deux exemples tirés de mes propres parties illustreront plus complètement ce


blocus et cette stratégie. Au diagramme 67, le Fou et le Cavalier e2 ennemis sont
bloqués par les pions situés en d4 et f4. Mon adversaire souhaite naturellement
corriger ce problème en avançant son pion « f » de f4 en f5. Pourquoi l'y auto­
riserais-je ? Mon premier coup bloque net son pion « f ».

DIAGRAMME 67. Trait aux Noirs


Van der Wiel-Seirawan
Baden, 1980

l...g6!
Je dois admettre que ce type de coup peut s'avérer dangereux. Il ne fait rien
pour favoriser le développement et affaiblit les cases noires de l'aile-Roi. Je
peux toutefois négliger ces deux inconvénients car le centre est bloqué, ce qui
signifie que les pièces de mon adversaire ne peuvent approcher de mon Roi, et
que leur Fou ne peut franchir l'obstacle de son pion f4 pour profiter des faibles­
ses que je viens de créer.

118
CHAPITRE 6 : Comment bien utiliser ses pions

2.b3 Ca6
Je ne veux pas qu'il libère ses pièces par d4-d5, et place donc mon Cavalier en
c7, d'où il contrôle l'importante case d5.
3.Fb2
Les Blancs menacent de profiter de ma faiblesse sur la diagonale a l -h8 par
4.d5!, démasquant une attaque sur mon Cavalier f6 et clouant ce dernier sur la
Tour h8.
3...Fe7
Je défends mon Cavalier f6 de façon à pouvoir capturer le pion blanc s'il ose
s'aventurer en d5.
4.c4 Cc7 5.Df3 0-0
Les avances blanches en d5 et f5 ont été stoppées, me laissant le temps de
roquer (ce que je fais normalement beaucoup plus tôt).
6.Ccl Cce8!
Ce Cavalier se rend en g7, où il défendra mon Roi et interdira l'avance f4- f5
une bonne fois pour toutes.
7.Cd3 Cg7 8.Ce5 Dc7 9.h3 Tad8
Ce coup pourtant bien intentionné, qui donne un défenseur supplémentaire à
la case d5 et vise aussi le pion « d » adverse, est légèrement imprécis.
L'immédiat 9...h5! était correct.
lO.Tadl?
Les Blancs ont tort d'abandonner la lutte pour f5. Ils auraient dû jouer IO.Ce2
suivi de g2-g4, qui interdit à mes Cavaliers l'accès aux cases f5 et h5.
10...h5! ll.Ce2 h4!
Mes rêves deviennent soudain réalité ! Si mon adversaire joue un jour g2-g4,
j'échangerai ce pion par ...hxg3, compromettant ainsi sa structure de pions. Les
cases f5 et h5 tombent maintenant sous mon contrôle absolu car le pion « g »

blanc a été neutralisé.


12.Cg4 Ctb5! 13.Dc3 Rh7 14.T f3 Cf5 15.Ce3 Ff6
Les pions blancs en d4 et f4 n'ont jamais été autorisés à bouger, et constituent
maintenant des cibles. Mes pièces en d8, f5, h5 et f6 sont toutes braquées sur
eux !

119
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

16.Cg4 Fh8 17.Ce5?


Cette erreur permet une jolie petite combinaison basée sur le clouage le long
de la colonne dl-d8.
17...Cxf4! 18.Txf4 Fxe5 19.Te4 Ff6
Les Blancs ne peuvent jouer 19.dxe5 car la Tour d l n'est pas protégée.
20.Tfl c5! 21.Dd3 cxd4
Maintenant que j'ai aussi utilisé le clouage sur la diagonale a l -h8 pour m'em­
parer de leur autre pion, les Blancs abandonnent. Ma stratégie consistant à
empêcher l'avance des pions d4 et f4 s'est révélée être un franc succès !
À l'exemple suivant, illustré au diagramme 68, les Blancs ont un avantage de
développement significatif et tâcheront de me battre sur l'aile-Roi par f4, g4 et
finalement f5. Mon pion passé protégé est pour le moment inutile (les Blancs le
bloqueront en jouant Cd3) : je dois accepter l'idée de n'avoir aucune chance de
contre-jeu et me contenter de chercher à contrecarrer les plans adverses.

DIAGRAMME 68. Trait aux Noirs


Timman-Seirawan
Lone Pine, 1978

l...h5!
En empêchant g2-g4, je mets un coup d'arrêt à l'avalanche de pions sur l'aile­
Roi et crée un utile abri à mon Cavalier en f5. S'habituer à jouer ces coups de
pion restrictifs est très important. Bien que je sois en retard de développement,

120
CHAPITRE 6 : Comment bien utiliser ses pions

ce coup de pion est quand même possible car le centre est fermé et les pièces
adverses ne peuvent s'approcher de mon Roi. Notez que si le centre avait été
ouvert, je me serais empressé de mettre d" abord mon Roi en sûreté en roquant !
2.Cd3 crs
En utilisant mon pion « h » pour restreindre le pion « g » adverse, j'ai préparé
une étable parfaite pour mon Cavalier en f5.
3.r4?.
Un coup faible, qui limite l'action de ses propres pièces ! Maintenant le Fou
d2 et le Cavalier d3 sont tout deux bloqués par le pion f4. Plus gênant était 3.f3,
avec g2-g4 à suivre.
3...Db7 4.Clf2 Cd7 S.De4 Dxe4 6.Cxe4 aS!
J'adore utiliser mes pions pour tuer les possibilités adverses dans l'oeuf.
L'avance b2- b4 est maintenant empêchée, et si les Blancs tentent de préparer
cette poussée par 7.a2-a3, je jouerai 7...a5-a4! pour resserrer davantage leur jeu.
7.g3 Fe7 8.Rf2 Ch6
Il est clair que les Blancs comptent contrôler la case f5 par h3 et g4, et je vais
donc placer mon pion en f5 pour contrecarrer aussi ce plan !
9.h3 rs 10.exr6 gxr6 ll.Tael Rfï 12.Re2 Thg8!
Ayant empêché le pion « g » adverse d'avancer, je pointe mon artillerie lourde
sur lui et commence à le traiter comme une faiblesse.
n.Rdl crs 14.Tgl Cb6!
Maintenant je peux aussi viser les pions de l'aile-Dame. J'ai gagné la partie
après les escarmouches suivantes :
1S.b3 a4 16.CdxcS axb3 17. axb3 Cxg3! 18.Txg3 Txg3 19.Cxg3 FxcS
20.rS? exrs 21.Cxrs d3 22.Fc3 Ta3 23.Rd2 Txb3 24.Tal Fb4 2S.Ta7+ Rg6
26.Ce7+ RgS 27.Fxb4 Cxc4+ 28.Rel Txb4 29.Td7 Tbl+ 30.Rf2 Tb2+
31.Rgl d2 0-1.
J'ai remporté la victoire en utilisant mes pions pour fixer les pions ennemis sur
des cases où ils devenaient des cibles immobiles. On sait tous qu'il est plus facile
de viser quelqu'un qui ne peut fuir !

121
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

TEST 14.

TEST 14. Trait aux Noirs. Ils ont un Roi supérieur et un bon Fou, tandis que le
Fou des Blancs se traîne tristement en fl. Que feriez-vous si vous aviez les Noirs?

L'avance de pions
Les pions adorent avancer. Il se précipitent parfois gaiement contre les lances
ennemies, se sacrifiant pour que d'autres pièces puissent mener une existence plus
agréable. Avancer des pions peut permettre d'écarter d'autres pions, ouvrir des
colonnes et des diagonales et transformer des pièces inactives en forces redouta­
bles. À d'autres occasions ces pions se transforment en coureurs et se ruent sur
l'échiquier pour tenter de faire Dame. Dans cette section, nous verrons des exem­
ples de stratégies impliquant des avances de pions.

L'utilisation de pions comme chair à canon


Au diagramme 69, le pion blanc d4 bloque visiblement toute l'armée blanche. Le
Fou b2 et la Dame a l s'y cognent la tête, sa présence ôte une colonne ouverte aux
Tours et le Cavalier f3 ne peut se rendre en d4 car cette case est déjà occupée par
le pion. Un bon coup serait l.Ce3, pour amener le Cavalier en g4 ou préparer
l'avance d4-d5. Mais pourquoi ne pas sacrifier plutôt le pion« d »?Ce sacrifice
ne vaut-il pas le coup, s'il active toutes les pièces blanches ?

122
CHAPITRE 6 : Comment bien utiliser ses pions

DIAGRAMME 69. Trait aux Blancs

l.d5!
Les Blancs menacent de capturer le Fou h8.
l...Fxb2 2.Dxb2
Le brutal pion « d » menace maintenant d'avancer en d6 et et de prendre les pau­
vres Cavaliers noirs en fourchette. Les Noirs n'ont pas le choix et doivent accep­
ter le cadeau.
2 . . . cxd5
Les pièces blanches sont soudain très actives et l'armée noire est gênée par son
propre pion d5.
3.Ce5
Le Cavalier blanc s'approche en attaquant, gagnant ainsi un temps.
3...Td6
Les Noirs doivent battre en retraite avec leur Tour, les Blancs menaçant de
gagner la qualité par 4.Cxd7.
4.Cg4!
Il est maintenant clair que l'affaiblissement des cases noires entourant le Roi
noir causera la perte de ce dernier. Il y a des menaces gagnantes comme 5.Ch6+
Rf8 6.Dh8+, et 5.Cf6+ est imparable, avec fourchette royale sur le Roi et la
Dame.

123
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

4...e5
Les Noirs tentent en vain de bloquer la diagonale al-h8.
5.Dxe5
Et les Blancs gagnent car les Noirs ne peuvent parer les menaces sus-mentionnées.

DIAGRAMME 70. Trait aux Blancs


Portiscb-Pachman
Moscou, 1967

Le diagramme 70 illustre les mêmes idées qu'au diagramme précédent, mais


pas de façon aussi prononcée. Le Fou blanc b2 est bloqué par son pion d4, tan­
dis que le Fou f3 vise une cible inébranlable en c6. En sacrifiant leur pion« d »,

les Blancs peuvent subitement ouvrir des colonnes et des diagonales, et donner
une nouvelle vie à toutes leurs pièces.
l.d5! exd5 2.Fxg7
Les Blancs, qui possèdent la paire de Fous, ne souhaitent normalement pas
autoriser ce type d'échange. Mais dans le cas précis, ils voient que la disparition
de ces pièces mineures affaiblit le Roi noir.
2...Rxg7 3.cxd5 cxd5 4.Tdxd5 Dc3 5.Rg2 b6 6.Thf5
Grâce au sacrifice de pion initial, les pièces des Blancs sont clairement plus
actives que leurs homologues adverses, et leur Roi plus en sécurité que le
monarque ennemi. Par 6.Thf5, les Blancs se préparent à lancer une attaque
contre le pion faible en f7.

124
CHAPITRE 6 : Comment bien utiliser ses pions

6 . . . Cg6 7.Txd7 Txd7 8.Fd5


Le Fou fait la démonstration de son activité et se joint à la lutte contre fl.
8...Te7 9.Dg4 f6 10.Th5
Bien que l'activité du Fou se soit accrue, le pion f7 n'est plus faible. Les Blancs
tournent donc leur attention vers le pion h7.
10...Dc7 ll.F e4 Dd7 12.Txh7+!
Ce sacrifice évident mais plaisant fait voler les défenses noires en éclats.
12...Rx:h7 13.Dxg6+ Rh8 14.Dxf6+
Avoir capturé deux pions et Cavalier pour leur Tour n'offre pas d'avantage
matériel aux Blancs. C'est l'attaque contre le Roi adverse dénudé qui leur donne
un avantage gagnant.
14...Rg8
Les Noirs, s'ils jouent 14...Tg7??, se feront bientôt mater par 15.Df8+ Rg8
16.Dh6+.
15.Dg5+ Rf8 16.Fd5
Les Noirs abandonnent car ils sont menacés de mat en g8, et 16...Tg7 se heurte
à 17.Df6+ Re8 18.Fc6, gagnant la Dame.
On a vu que les pions pouvaient devancer leurs pièces et se sacrifier pour créer
des voies d'accès facilitant la pénétration en territoire ennemi. Une autre raison
pour un pion en maraude d'avancer vers la mort consiste à libérer une case qui
conviendrait mieux à l'une de ses propres pièces. A u diagramme 71, par exem­
ple, les Cavaliers noirs semblent jouer un rôle purement passif. Refusant d'ac­
cepter leur sort, les Noirs sacrifient un pion pour offrir un bel emplacement à
leurs Cavaliers sur leur 4ème rangée. Ils pourront désormais participer à une
attaque contre le Roi blanc.

125
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 71. Trait aux Noirs


te Kolste-Nimzovich
Baden-Baden 1925

l...f4! 2.gxf4 g4!


Les Noirs n'aiment pas 2... gxf4+ à cause de 3.Rh l , avec la menace 4.Tgl.
3.Fg2 Chf5
Les Noirs ont ainsi perdu un pion, mais gagné un superbe Cavalier en f5 et des
pions actifs sur les colonnes « g » et « h ».

4.Db3
Les Blancs ne souhaitent pas activer les Tour noires par 4.Dxb7 Tb8 suivi de
...Txb2.
4...dxc4
Les Noirs créent une bonne case en d5 pour leur autre Cavalier.
5.Dxc4+ Rh8 6.Dc3 h5 7.Tadl h4
Comparez les pions mobiles noirs à la pauvre chose inutile bloquée en f4.
8.Td3 CdS 9.Dd2 Tg8 10.Fxd5 cxd5 ll.Rhl g3
Leur fort Cavalier (grâce à la poussée de pion l ... f4, libérant la case f5) et leurs
pions actifs donnent aux Noirs une puissante attaque. Notez comment les pions
blancs inactifs en d4 et f4 bloquent leurs propres pièces en d2, d3, e2 et fl. Les
Blancs auraient été bien avisés d'essayer d'appliquer cette stratégie :

126
CHAPITRE 6 : Comment bien utiliser ses pions

Vos pions doivent participer activement à vos plans. Ils n'ont pas le droit d'être
des morceaux de bois mort bloquant vos propres pièces.

Préparer la promotion de pions


Les pions, clairement, peuvent aider le reste de votre armée. Mais leur capa­
cité à se transformer, dès qu'ils touchent leur dernière rangée, en Dame ou en
toute autre pièce de moindre lignée leur confère une puissance avec laquelle il
faut compter. Quand la promotion d'un pion est imminente, ces mêmes pièces
qui snobaient peu avant ce personnage d'aussi basse extraction se précipitent
maintenant, au risque de leur vie, pour en stopper l'avance (les Cavaliers sont
particulièrement bien adaptés au blocus des pions, voir le chapitre quatre). Si le
pion parvient par contre à casser le blocus, un futur auréolé de gloire lui tend les
bras.
Si vous avez un pion passé, la stratégie évidente consiste à travailler active­
ment à sa promotion. Retenez :

N'autorisez pas le blocus d'un de vos pions passés. Si votre adversaire y par­
vient néanmoins, faites votre possible pour éliminer son bloqueur.

Votre pion, une fois libre d'avancer, contribuera à faire plier l'armée ennemie
devant votre puissance.
Examinons quelques exemples. Au diagramme 72, les Noirs sont parvenus à
bloquer le pion passé blanc avec leur Cavalier. Hélas pour les Noirs, les Blancs
peuvent casser ce blocus par l.Cb5!. Les Noirs ne veulent pas échanger les
Cavaliers car le pion blanc « c » irait à Dame, et doivent donc abandonner le blo­
cus en c7. Mais l ..Ca8 2.c7 Cb6 (tentant d'établir un nouveau bloqueur en c8)
.

3.Cd6! conduit à 4.c8=D Cxc8 5.Cxc8 et les Blancs ont gagné une pièce.
Dans l'exemple suivant, un autre pion passé affole les forces adverses. Au dia­
gramme 73, le puissant pion passé noir c2 brûle de se transformer en Dame. Tout
ce que les Noirs ont à faire, c'est d'éliminer le dernier bloqueur en c 1 et de faire
franchir à leur pion le portail conduisant à sa métamorphose.

127
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 72. Trait aux Blancs DIAGRAMME 73. Trait aux Noirs
Korchnoi-Karpov
Moscou, 1971

l...b6
Ce coup simple restreint l'activité de la Dame et du Fou blancs tout en parant
la menace Dxa7.
2.f3 Cd6 3.Dd3 Tc6!
Les Noirs défendent le Cavalier et libèrent leur Dame pour des opérations acti­
ves. Notez que la réponse 4.Txc2?? Txc2 5.Dxc2 Dxe3+ coûte leur Fou aux
Blancs.
4.a4 Dc4 5.Dd2
Les Blancs décident de refuser l'échange pour conserver les Dames, espérant
que leur souveraine puisse gêner le Roi adverse plus tard par des échecs.
s . Ctï!
. .

Ce coup noir est à la fois défensif et offensif. Sur le plan défensif, le Cavalier se
retire sur une case sûre, défend encore g5 (empêchant tout éventuel sacrifice par
Fxg5) et interdit les échecs gênants en d8. D'un point de vue offensif, il ouvre la
voie à la menace 6 .Ce5, après quoi les sauts 7...Cxf3+ et 7 ... Cd3 sont mortels.
..

6.f4
Empêche le Cavalier de bondir sur l'avant-poste e5.

128
CHAPITRE 6 : Comment bien utiliser ses pions

6...g4 7.b5 TeS S.Dd7 h5 9.Rf2 De3 10.Df5 TeS


Les Blancs abandonnent. Ils n'ont pas de bonne façon de défendre leur Fou:
il n'y a plus d'échecs après 11.Dg6+ Rf8, tandis que tout s'écroule après 11.Te1
Dxe1+ 12.Rxe1 c1=D+.

DIAGRAMME 74. Trait aux Blancs


Silman-Grotts
Santa Barbara, 1989

Le diagramme 74 illustre deux majorités de pions opposées (le concept de


majorités de pions est traité à la prochaine section). Les Blancs veulent transfor­
mer leur majorité en un puissant pion passé en jouant e5 et d6, et tous leurs
coups visent donc l'exécution de cette stratégie.
l.Tdl!
Les Blancs donnent un soutien au pion« d »,défendent leur Dame et mena­
cent de confisquer la Tour c6.
1. TeS 2.e5 e6 3.d6
••

Les Blancs auraient de toute façon obtenu leur pion passé mais les Noirs espè­
rent maintenant les lier à la défense de e5.
3...Dd7
Ce coup de blocage empêche le pion blanc d'avancer en d7.
4.De3 f6 5.f4 fxe5 6.fxe5 Tf5 7.h3 Da4 S.Ted2! Dd7
Les Noirs ne peuvent permettre d6-d7. Par exemple 8 . . Tfxe5 9.Dxe5! T xe5
.

129
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

1O.d7 gagne immédiatement.


9.Tel
Les Blancs ont maintenant échangé la place de leurs Tours, afin de les proté­
ger toutes deux par la Dame. Tout étant désormais en sûreté, ils comptent échan­
ger une paire de Tours (facilitant la défense du pion « e ») et procéder à l'élimi­
nation du blocus en d7.
9...Tf8 10.Tf2 Txf2 ll.Dxf2 Tc8 12.Tfl Dg7 13.Df6! Dd7
Les Noirs évitent 13...Dxf6 14.Txf6Te8 15.Txe6! Txe6 16.d7, avec promotion
du pion.
14.h4
Les Noirs étant impuissants, les Blancs avancent leur pion « h » et détruisent le
bouclier protecteur du Roi noir. Les Noirs font maintenant face à un terrible choix :
se faire mater ou autoriser 'un échange de Dame avec une finale de Tours per­
dante. Le pion passé protégé d6 a constitué le thème dominant de cette partie.
14...Te8 15.h5 Dg7 16.Dxg7+ Rxg7 17.h6+!
Ce sacrifice de pion éloigne le Roi noir de l'action et permet à la Tour blanche
de pénétrer dans la position noire pour finalement gagner le pion « e ».
17...Rxh6 18.Tt7 Rg5 19.Te7 Tc8 20.Tx e6 Rf4 21.d7
Les Noirs abandonnent. Ils ne trouvent de salut ni dans 2 l ...Tcl+ 22.Rh2 T d l
23.Td6, ni dans 2 l ...Td8 22.Te7 Rf5 23.e6 suivi de 24.Te8, et le blocus étant
détruit, les Blancs couronnent une nouvelle souveraine.

Les inconvénients des avances de pions


On a vu comment l'avance d'un pion pouvait activer des pièces et faciliter sa
propre promotion. Mais une avance de pion peut aussi avoir des conséquences
néfastes. Son inconvénient majeur est qu'elle peut facilement mener à l'affaiblis­
sement d'une case spécifique ou de tout un complexe de cases. Voici ce que j'en­
tends par là.
La position du diagramme 75 est plutôt terne. Elle nous montre comment
avancer des pions peut créer des cases faibles. En c2, le pion blanc contrôle les
cases b3 et d3. Mais potentiellement il peut aussi contrôler les cases b4, b5, b6,
b7, b8, d4, d5, d6, d7 et d8, ce qui est beaucoup! Hélas, chaque fois qu'un pion

130
CHAPITRE 6 : Comment bien utiliser ses pions

bouge, il perd un peu de ces merveilleuses possibilités. Par exemple l .c3 perd
le contrôle de d3 et b3, et l.c4 abandonne celui de d3, b3, d4 , et b4. On voit ainsi
que le prix à payer pour toute avance de pion est vraiment important ! Dans la
position présente, jouer l.c4 est plutôt bon car ce coup bloque le pion « c » noir
(qui à son tour enferme le mauvais Fou des Noirs) et accroît l'influence sur le
trou en d5. Les Blancs ne craignent pas de perdre le contrôle de d3 ou d4 car
leur autre pion situé en e2 peut contrôler ces mêmes cases ! Les Blancs feront
suivre par Cc3 et Cd5, après quoi leur Cavalier surclassera sans conteste son
homologue situé en f8. Le jeu peut se poursuivre par l. .Rg7, et maintenant
.

2.e4? serait un coup horrible car il cèderait définitivement la case d4 (ce dont les
Noirs profiteraient enjouant ... Ce6-d4 ). Le coup correct est 2.Cc3 Ce6 3.e3!, et
le Cavalier noir est privé de tout point d'appui central.

DIAGRAMME 75. Trait aux Blancs

En résumé, quand vous cherchez la meilleure stratégie à suivre dans une posi­
tion donnée, gardez ceci à l'esprit :
Les pions, outre qu'ils peuvent dévaler l'échiquier, servent aussi à ôter d'im­
portantes cases aux pièces ennemies. Quand vous poussez un pion, soyez cer­
tain de ne pas offrir une case bien juteuse à votre adversaire sur un plateau !

TEST 15. C'est aux Blancs dejouer. Le coup l.f4 est-il bon ?

131
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

TEST 16. Les Noirs comptent gagner le pion blanc avancé (mais bloqué) par
...Re7, .. .f6, ... Rd6, ...ReS et ... Rxb6. Le trait est aux Blancs, peuvent-ils s'op­
poser d'une quelconque façon aux intentions noires ?

TEST 15. TEST 16.

Exploiter une majorité de pions


Posséder une majorité de pions signifie avoir plus de pions que l'adversaire sur
une zone donnée de l'échiquier. Les majorités de pions sont utiles car elles per­
mettent normalement de créer un pion passé. De nombreux joueurs estiment
qu'une majorité est plus forte sur l'aile-Dame que sur l'aile-Roi, car le Roi
adverse roque le plus souvent du côté Roi et a donc plus de chances d'être éloi­
gné de l'aile-Dame.

DIAGRAMME 76.

132
CHAPITRE 6 : Comment bien utiliser ses pions

Le diagramme 76 illustre deux types de majorités de pions. Les Blancs béné­


ficient d'une majorité de trois pions contre deux sur l'aile-Dame, et les Noirs de
quatre contre trois sur l'aile-Roi. Qui a le trait prend l'avantage. Les Blancs, si
c'est à eux de jouer dans cette position, gagnent par l.a5 suivi de 2.a6 car les
Noirs sont incapables d'empêcher la promotion de ce pion à Dame. Les Noirs,
au trait, l'emportent par l...b6!. Les deux pions noirs stoppent alors le trio de
pions blanc, et cette majorité de pions immobile, dévaluée, devient tout simple­
ment une cible. Le jeu continue par 2.c5 (ou 2.Rg2 Re6 3.Rf3 Rd6 4.Re3 Rc5
5.Rd3 Rb4, et les Noirs s'emparent du pion« a») 2. .Re6! (et non 2...bxc5??
.

3.a5, et le pion« a» finit quand même par aller à Dame) 3.Rg2 Rd5. Le Roi
noir peut maintenant dévorer toute l'aile-Dame.

DIAGRAMME 77. Trait aux Blancs


Yates-Alékhine
La Haye, 1921

N'accordez bien entendu pas trop d'importance à la valeur comparée de deux


majorités, car d'autres facteurs tels que la position du Roi et la qualité des pions
contribuent normalement à déterminer qui gagnera. Voici ce que disait ainsi
Alékhine de la position représentée au diagramme 77 :
« La finale est ici remarquable du fait que la majorité blanche de pions sur
l'aile-Dame, dont on fait habituellement grand cas, s'avère en fait totalement
illusoire ». À ce sujet je dois dire qu'un des principaux préjugés de la théorie

133
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

moderne des échecs est l'idée, largement répandue, voulant que cette majorité de
pions soit importante en soi - sans aucune évaluation des pions qui la consti­
tuent ou du placement des pièces. Au diagramme 77, les Noirs ont les compen­
sations suivantes :
1. Une grande liberté pour leur Roi par rapport au Roi blanc.
2. La position dominante de leur Tour sur la seule colonne ouverte.
Correctement exploités, ces deux avantages devraient pouvoir mener au gain.
Voyons comment la partie s'est déroulée :

l.g3 Rfi 2.c5 Rf6


Les Noirs ont un clair avantage car leur Roi ira en e5, d'où il surveillera les
deux ailes de l'échiquier, et parce que leurs pions de l'aile-Roi s'avanceront en
groupe, prenant de l'espace et continuant à réduire la mobilité du Roi blanc. De
fait, l'association d'une Tour active, du Fou, d'un Roi magnifiquement centralisé
et d'une avalanche de pions finit par mener à une puissante attaque contre le Roi
blanc.
3.Fc4 Fc8!
Les Noirs, qui jouent pour une attaque sur le Roi, estiment avec raison qu'il
faut conserver autant de pièces que possible sur l'échiquier.
4.a4?
Le Roi blanc devrait s'élancer vers e1, d'où il peut participer au combat.
4...g5 5.b5
Les Blancs tentent de mobiliser leur majorité, mais les pièces noires empê­
chent leurs pions d'aller où que ce soit. N'oubliez pas que les Blancs jouent avec
un Roi de moins - les Noirs utilisent trois pièces contre deux pour les Blancs.
Comment les Blancs peuvent-ils espérer forcer l'avance de leurs pions avec un
tel retard de force ?
5...f4 6.Rfl Td2
C'est toujours une bonne idée de placer sa Tour sur la 7ème rangée. Elle
enferme ici le Roi blanc sur la dernière traverse et menace de contourner les
pions blancs de l'aile-Dame pour les attaquer par l'arrière.
7.gxf4 gxf4 8.Rel Tb2 9.Fe2 Re5! 10.c6 bxc6 ll.Txc6
Les Blancs tentent de rendre leur Tour active. S'ils jouent 11.bxc6, le Fou c8

134
CHAPITRE 6 : Comment bien utiliser ses pions

empêchera la promotion du pion passé.


ll ...Fe6 12.Fdl Tbl
Les Noirs menacent maintenant de gagner une pièce par ...Fg4.
13.Tc5+ Rd4 14.Tc2
Si les Noirs jouent 14...Fg4, les Blancs entendent répliquer par 15.Td2+. Le
prochain coup noir leur ôte cette possibilité.
14.,.e3 15.fxe3+ fxe3 16.Tc6 Fg4
Le Roi blanc est cloué sur la dernière rangée et encerclé par l'armée noire. La
fin est proche.
17.Td6+ ReS 18.h3 Fh5!
Les Blancs abandonnent. Si 19.Td8 e2, et le pion passé noir devient le héros
du jour.

Les majorités de pions en finale


C'est en finale que la possibilité fréquente de se créer un pion passé avec une
majorité de pions est le plus utile. Corollaire, avec une majorité de pions saine,
tentez de simplifier la position pour accroître la valeur de votre majorité. Cela ne
sert à rien de rêver aux bienfaits d'une majorité de pions si l'adversaire peut s'en­
gouffrer dans votre position avec ses pièces et décapiter votre Roi ! Retenez :

C'est en finale que la force d'une majorité de pions se fait le plus sentir.
Capablanca illustre la façon correcte d'exploiter une majorité de pions sur l'aile­
Dame à l'exemple suivant. Il échange des pièces, conduit le jeu vers une position
simplifiée, dénuée de toute possibilité d'attaque sur l'aile-Roi et de combats au
corps à corps, et pousse ses pions pour démontrer leur véritable importance !
Au diagramme 78, les Noirs possèdent une majorité sur l'aile-Dame mais cet
avantage est actuellement sans valeur car leur Cavalier est attaqué. S'il bat en
retraite en c6 par l...Cc6, alors 2.Cxc6 bxc6 transforme la majorité autrefois
puissante en un gâchis de faibles pions doublés. Retourner en f5 conduit égale­
ment au désastre après l ...Cf5? 2.Da4+ Fd7 3.Cxd7 Dxd7 4.Dxe4+, et le Roi
noir demeuré au centre a du souci à se faire. La réponse de Capablanca ? Son
Cavalier se rend en f3 et force l'échange de pièces, créant ainsi une position pai-

135
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

sible. Avec le jeu moins complexe qui en résulte, la majorité noire sur l'aile­
Dame a une chance de prospérer.

DIAGRAMME 78. Trait aux Noirs


Marshali-Capablanca
U.S.A., 1909

l...Cf3+ 2.Cxf3 exf3 3.Dxf3 0-0 4.Tfcl?!


Marshall était un grand joueur d'attaque, mais cette série d'échanges a produit
une position qui n'est pas de son goût. Il est normal qu'il n'ait pas aimé 4.Dxb7,
qui conduit à 4 ...Dxb7 5.Fxb7 Tab8 suivi de ...T xb2, mais il aurait dû se hâter
de mettre en branle sa majorité centrale par 4.e4. Le fait que les Blancs n'utili­
sent pas leur majorité de pions permet aux Noirs de prendre le contrôle du jeu.
4...Tab8 5.De4? D c7! 6.Tc3 b5 7.a3 c4
Il est maintenant clair que la majorité de pions noire de l'aile-Dame joue un
rôle actif dans la partie, alors que les pions blancs regardent passivement sans
rien faire.
Cette différence laisse les mains libres aux Noirs : ils n'ont pas à tenir compte
des pions adverses, et peuvent donc faire ce qu'ils veulent.
8.Ff3 Tfd8 9.Tdl Txdl+ lO.Fxdl Td8 ll.Ff3 g6
Les Noirs font une pause pour donner un peu d'air à leur Roi. Maintenant qu'ils
ne craignent plus les mats du couloir, ils peuvent se concentrer sur leur majorité
sans craindre pour leur Roi.

136
CHAPITRE 6 : Comment bien utiliser ses pions

12.D c6 De5 13.De4 Dxe4 14.Fxe4 Tdl+! 15.Rg2 a5 16.Tc2 b4


Tous les coups noirs visent à mettre la force de leur majorité en valeur.
17.axb4 axb4 18.Ff3 Tb1 19.Fe2 b3 20.Td2
Les Blancs tentent de tenir b2. Ils perdraient immédiatement après 20.Tc3
Txb2 2 l .Fxc4 Tc2! 22.Txc2 bxc2, et le pion va à Dame.
20...Tcl!
Les Noirs menacent de gagner par 21 ...Tc2.
21.Fdl c3 22.bxc3 b2 23.Txb2 Txdl
Les Noirs gagnent une pièce car 23.Fc2 Txc2 est encore pire pour les Blancs.
La majorité des Noirs a disparu, ils bénéficient maintenant d'un avantage maté­
riel qu'ils transformeront lentement mais sûrement en gain. Voici les coups res­
tants, pour ceux qui souhaitent admirer la technique du grand Capablanca :

24.Tc2 Ff5 25.Tb2 Tel 26.Tb3 Fe4+ 27.Rh3 Tc2 28.f4 h5 29.g4 hxg4+
30.Rxg4 Txh2 31.Tb4 f5+ 32.Rg3 Te2 33.Tc4 Txe3+ 34.Rh4 Rg7 35.Tc7+
Rf6 36.Td7 Fg2 37.Td6+ Rg7 et les Blancs abandonnent.

TEST 17. Trait aux Blancs. Qui a l'avantage dans cette position ?

TEST 17.

137
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Le jeu avec des ilots de pions


Un groupe de pions isolés (ou un seul pion isolé) est appelé îlot de pions. D'une
façon générale, plus vous avez d'îlots de pions et plus vos pions dans leur tota­
lité deviennent faibles. Pourquoi ? Pour trouver la réponse, nous devons nous
reporter à cette règle ancienne mais utile :

Attaquez toujours une chaîne de pions à sa base.

DIAGRAMME 79. Trait aux Noirs

La base d'une chaîne de pions (une série de pions liés) est le seul emplacement
non protégé par un pion, ce qui le rend vulnérable à l'attaque de pièces enne­
mies. Par conséquent, plus vous avez d'îlots de pions et plus votre adversaire
dispose de points d'attaque.
J'illustrerai ce point avec un exemple. Après les coups d'ouverture bien connus
l.e4 e6 2.d4 dS 3.e5 cS 4.c3 Cc6 5.Cf3, supposons que les Noirs décident
d'échanger en jouant 5...cxd4 (il est un peu tôt pour effectuer cette prise car ce
coup libère la case c3 au Cavalier blanc, mais il rend l'exemple plus aisé à com­
prendre). Les Blancs répliquent par 6.cxd4, et la position est maintenant repré­
sentée au diagramme 79.
Il est clair que le pion e5 est une cible coriace. Il est bien défendu par le
Cavalier f3 et, plus important encore, par le pion d4. Les pions d4 et e5 forment

138
CHAPITRE 6 : Comment bien utiliser ses pions

toutefois une chaîne de pions, et les Noirs savent qu'il faut toujours attaquer une
chaîne de pions à sa base. C'est donc le pion d4 qu'il faut prendre pour cible car
il n'est défendu par aucun autre pion. Les Noirs doivent braquer toutes leurs piè­
ces sur le pion d4 et forcer les Blancs à adopter une position défensive.
6...Db6
Les Noirs visent maintenant le pion d4 avec deux pièces.
7.Fe2 Cge7 8.Ca3 Cf5
L'armée noire coopère parfaitement, dans l'unique but d'attaquer la base de la
chaîne en d4. Peut-être les Noirs ne gagneront-ils pas ce pion, mais ils forceront
les pièces blanches à prendre des positions passives pour arriver à le défendre.
Comment donc cet exemple se relie-t-il à notre sujet, les îlots de pions ? Plus
vous avez d'îlots de pions et plus vous avez de bases à défendre.
La première stratégie relative aux îlots de pions est donc la suivante :

Évitez de vous créer trop d'îlots de pions, qui se transforment en autant de


bases de pions vulnérables.

DIAGRAMME 80.

La position du diagramme 80 est un exemple nu, destiné à illustrer le désavan­


tage de multiples îlots de pions. Les Noirs ont une seule masse de pions liés (un
îlot de pions), tandis que les Blancs en ont trois. Le seul point faible potentiel
dans la chaîne de pions noire se situe en Il (j'évoquerai les cases faibles plus en

139
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

détail au chapitre sept). Les Blancs, quant à eux, ont trois bases vulnérables en
b2, f4 et h4. S'il s'agissait d'une véritable position comportant des pièces sur
l'échiquier, les Blancs pourraient se retrouver en difficulté, simplement parce
qu'ils ont trois points à défendre alors que les Noirs n'en ont qu'un seul.
Le corollaire de cette première stratégie concernant les îlots de pions - éviter
de se créer des îlots de pions - est cette seconde stratégie :

Créez des îlots de pions dans le camp adverse chaque fois que possible. Ces
îlots vous fourniront des faiblesses supplémentaires à attaquer !

DIAGRAMME 81. Trait aux Blancs


Fischer-Trifunovic
Bled, 1961

Le prochain exemple montre l'importance de cette stratégie. Au diagramme


81, Fischer a deux options pour reprendre son pion : il peut prendre en e6 par
l.Txe6, mais ce coup laisse un nombre d'îlots de pions égal à chaque adversaire
(deux chacun) ou bien il peut capturer en d4, ce qui laisse trois îlots de pions aux
Noirs - celui en e6 étant particulièrement vulnérable à l'attaque. Fischer opte
pour le second choix.
l.Cxd4 0-0 2.Dg4 Cxd4 3.Txd4 DeS 4.Te4
Les Blancs forcent les Noirs à défendre leur pion« e ».

4...Tf6 5.Fe3

140
CHAPITRE 6 : Comment bien utiliser ses pions

Les Noirs étant liés à la défense du pion e6, les Blancs s'accordent une pause
pour mettre le reste de leur armée en jeu.
S...Dd7 6.Tdl Dc6 7.Fd4 Tg6 8.De2 Td8 9.g3 DdS lO.Tel
Les Blancs ont paré les pièges noirs au rabais et se concentrent à nouveau sur
le pion « e ».

lO cS ll.Fc3 Td6 12.FeS Td8 13.Ff4 c4 14.Txe6 Txe6 1S.Dxe6+ Dxe6


.•.

16..Txe6
Et les Blancs exploitèrent leur pion supplémentaire pour finalement gagner la
partie.

DIAGRAMME 82. Trait aux Blancs


Seirawan-Kveinys
Manille, 1992

Fischer n'est pas le seul Grand Maître à savoir reconnaître la faiblesse de mul­
tiples îlots de pions. J'ai appliqué moi-même cette stratégie en de nombreuses
occasions, comme dans l'exemple suivant tiré de l'une de mes parties. Les ana­
lyses ont montré que, dans la position du diagramme 82, mon meilleur plan
consistait à jouer 19.Cfd4 suivi de b4, gagnant énormément d'espace sur l'aile­
Dame. J'ai envisage cette idée, mais préféré générer une pression immédiate sur
la colonne « d » semi-ouverte. Bien que les Noirs puissent se libérer en partie
par ... f7-f6, j'ai pensé que les îlots de pions résultant de cette décision finiraient
par tourner à mon avantage. Voici comment la partie se poursuivit :

141
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

1.Td2 f6 2.exf6 Dxf6 3.Dxf6 gxf6


Ces échanges ne me dérangent guère car la faiblesse des trois îlots de pions
noirs m'offre toutes les chances de gain.
4.Tfdl Fxb5 5.cxb5 Cb8 6.Cd4
Les Noirs sont sous pression. Ils ne peuvent jouer 6...e5 car ce coup cèderait la
case f5 à mon Cavalier. Également horrible sont 6...d6 ou 6...d5 sont également
horribles car ces coups laissent le pion e6 en l'air. Il est clair que l'îlot de pions
central- et plus tard les pions en a7 et h6- seront une source de soucis sans fin.
6...Rfi 7.Fh5+ Re7 8.Fxe8 Rxe8 9.f4 TeS 10.Rf2 h5 ll.Rg3
La partie noire est abominable. Les pions d7 et h5 sont faibles et le Cavalier
est pratiquement inutile. Bien que j'aie fini par massacrer la partie, laissant mon
adversaire s'en tirer avec la nulle, on voit clairement pourquoi le fait de se créer
des îlots de pions supplémentaires constitue une responsabilité qu'il ne faut pas
prendre à la légère.
Dans l'exemple final sur les îlots de pions, le Grand Maître Hübner est entré
délibérément dans une position où il a plus d'îlots de pions que son adversaire,
en espérant pouvoir créer un jeu de pièces assez actif pour compenser le dés­
avantage qu'entraînent ces îlots de pions. Mais le pauvre Hübner s'aperçoit hélas
que ces faiblesses sont plus difficiles à défendre qu'il ne l'avait supposé.

DIAGRAMME 83. Trait aux Blancs


Larsen-Hübner
Busum, 1969

142
CHAPITRE 6 : Comment bien utiliser ses pions

Les Blancs ont une meilleure partie au diagramme 83, car leur structure de
pions est supérieure. Les Noirs ont trois îlots de pions contre deux, et leur pion
isolé en a7 leur cause des soucis constants. Les pions en c6 et c7 sont également
source de tracas. Les Noirs veulent maintenir leur pion en c6 pour empêcher l'ar­
mée blanche de s'installer en d5. Mais s'ils jouent ...d7-d6, leur pion c6 est
immédiatement confisqué par le Fou blanc g2. Si les Noirs pouvaient réunir par
magie leurs deux îlots de pions de l'aile-Dame en plaçant leur pion« a» en b7,
tous leurs problèmes seraient immédiatement résolus. Le pion « d » pourrait
alors avancer en d6 (car le tout nouveau pion b7 défendrait c6), et l'ex-pion fai­
ble« a » s'unirait tranquillement au reste des pions. Mais ce remède magique
n'est que pure fantaisie. Le pion« a» n'ira jamais en b7, et les Noirs auront du
souci à se faire à son sujet et à celui des pions« c » doublés durant tout le reste
de la partie.
l.Tbl
Les Blancs veulent développer leur Fou de cases noires en d2 et jouer leur
Dame en a4. Mais cela ôterait tout soutien au « b », raison pour laquelle ils lui
donnent un appui supplémentaire tout en retirant leur Tour de la diagonale vul­
nérable al-h8.
l...Td8 2.Tdl
La Tour se rend sur la colonne semi-ouverte« d », d'où elle peut surveiller le
pion d7 noir.
2 Ch6 3.h3 Cf5 4.Fd2 De7 5.Da4
...

Tout est défendu, et les Blancs sont maintenant prêts à attaquer les points fai­
bles noirs.
5 ..Fb7 6.Da5
.

Les Blancs menacent de s'emparer du pion c7. Ils évitent 6.Dxa7?? car après
6...Ta8! 7.Dxb7 Teb8 8.Dxc7 Fe5, la Dame blanche est prise au piège.
6...De5 7.Ce4
Les Blancs appellent de leurs voeux ... Dxa5, car Fxa5 placerait le Fou sur une
case d'où il attaquerait le pion c7. Entre-temps les Blancs dirigent leur Cavalier
vers l'excellente case c5.
7...d5 8.cxd5 cxd5 9.Cc5

143
STRATÉGIES GAGNAN TES AUX ÉCHECS

Les Noirs ont dédoublé leurs pions, mais leurs pions« a» et« c »continuent
d'être des cibles, la colonne« c » est maintenant disponible aux Tour blanches,
et la case c5 s'est transformée en un trou béant qui attire le Cavalier blanc.
9...Fa8 10.Fc3
Les Blancs défendent leur pion« b »tout en attaquant la Dame noire.
10... d4
Fatigués d'être malmenés, les Noirs sacrifient un pion dans une tentative dés­
espérée d'éliminer une partie de la pression.
ll.exd4 De 7 12.d5 Fxc3 13.Dxc3 C d6
Les Noirs ont un pion de moins sans aucune compensation. Ils n'arrivent tout sim­
plement pas à surmonter la faiblesse de leurs deux îlots de pions de l'aile-Dame.
14.a4
Les Blancs ôtent la case b5 au Cavalier noir et se préparent à avancer leurs
pions de l'aile-Dame pour y gagner plus d'espace.
14...De 2 15.b4 a5 16.b5 D c4 17.Tbcl Dxc3 18.Txc3 CeS 19.Tcd3 Tb6
20.Cb3
La perte imminente du pion« a»siffle la fin de la partie et les Noirs abandonnent.

TEST 18. C'est aux Blancs de jouer. Indiquez le nombre d'îlots de pions de cha­
que joueur, et pour quel camp vous préféreriez jouer.

TEST 18.

144
CHAPITRE 7

La création de cibles

La plupart des gens croient que les échecs consistent uniquement à mater le Roi
ennemi. Même si c'est techniquement exact, dans la très grande majorité des
parties de maîtres le mat ne se produit en fait qu'après un combat positionne}
acharné. Le gagnant commence généralement par accumuler une série de petits
avantages qui finissent immanquablement par générer des faiblesses dans le
camp ennemi. Le joueur victorieux l'emporte grâce à la supériorité de ses for­
ces, en finissant par pénétrer sur des cases faibles pour les exploiter pour ses piè­
ces, ou en parvenant à gagner des pions faibles.
L'une des qualités les plus importantes à développer pour un joueur d'échecs,
c'est d'être toujours à la recherche de cibles. Cet état d'esprit incite à chercher
constamment à profiter des faiblesses ennemies. Imprégnez-vous de cette façon
de voir au point d'être continuellement obsédé, en jouant, par la création de
cibles (points faibles) dans la position adverse. Quand la cible existe, passez sys­
tématiquement en revue toutes les façons d'en profiter et ne prenez aucun repos
avant que toutes les faiblesses adverses n'aient été transformées en avantage
pour votre camp ! Voici la stratégie :

145
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Suivez les pas des grands joueurs d'échecs. Ce sont tous de mini-Terminators,
qui cherchent des cibles et les traquent sans pitié jusqu'à les avoir transformées
en avantage !

Les pions faibles

Un pion isolé, doublé ou attardé est généralement considéré comme faible. De


fait, la plupart des amateurs font tout pour éviter ces types de pions car ils parta­
gent l'idée, incorrecte mais très répandue, voulant que tels pions soient imman­
quablement voués à une perte certaine. Cette façon de voir est le résultat de pré­
jugés. Pourquoi les mots isolé, doublé ou attardé signifieraient-ils qu'un pion est
faible ? Aux échecs, un pion ou une case ne sont faibles que s'ils peuvent être
attaqués. Si aucune pièce adverse ne peut parvenir jusqu'à votre pion, il n'y a
aucune raison de craindre pour sa sécurité, même s'il est isolé, doublé ou attardé.

DIAGRAMME 84. Trait aux Blancs


Petrossian-Barcza
Budapest, 1955

Le diagramme 84 illustre une position où les pions dits faibles méritent ample­
ment leur nom ! Les pions des Noirs sont horriblement faibles. Ils sont en état
de décomposition si avancé, en fait, que les Blancs les cueilleront les uns après
les autres. Le pion noir en b6 est isolé sur une colonne ouverte, ce qui le rend

146
CHAPITRE 7 : La création de cibles

facile à attaquer. Les autres pions noirs « d » et « h » sont également isolés et


les misérables pions « f » doublés parlent d'eux-mêmes. Comparez ces pions,
dont la position est en lambeaux, aux pions adverses. Tous les pions des Blancs
sont sains, à l'exception de celui attardé en e3. Ils sont tous bien protégés, peu­
vent se rendre sur des cases sûres, et devraient rester présents sur l'échiquier
beaucoup plus longtemps que les pions noirs affaiblis (ceux qui ont profité du
chapitre six noteront que les Noirs ont quatre îlots de pions contre un seul pour
les Blancs). Rien d'étonnant à ce que les pions noirs tombent comme des pom­
mes trop mûres.
l.Txb6
La première victime succombe. La menace est maintenant Cxf6+.
1
l...Tc6 2.Txc6 Txc6 3.Ta8+ Rd7 4.Ta7+ 'Rc7 5.Txc7+
Les Blancs, qui font leurs choux gras de tous les pions noirs et qui auront bien­
tôt un avantage matériel considérable, sont heureux d'échanger des pièces car
cette disparition réduit le contre-jeu noir au strict minimum.
5... Rxc7 6.Dxh7 Da2+ 7.Rf3 Dd2
Les Noirs menacent 8 ... Dd l+.
8.Dbl!
Les Blancs empêchent l'échec. Quand vous avez l'avantage matériel, votre
priorité absolue consiste à éliminer tout contre-jeu adverse (voir chapitre trois).
Si vous parvenez ainsi à rétablir l'équilibre positionne!, votre avantage matériel
vous donnera une victoire certaine.
8 ...f5 9.Cg3
Toutes les pièces blanches accourent au secours de leur Roi.
9...Fh4 10.Ce2
Ce coup ne concède rien aux Noirs. Jouer 10.Dxf5 Dd l+ ou bien 10.Cxf5
Df2+ compliquerait inutilement les choses.
10... Fe7 ll.h3 Fb4 12.Cg3
Maintenant que la possibilité d'échec en f2 a disparu, les Blancs peuvent
reprendre leur festin.
12...Rc6 13.Cxf5 Rb5 14.Cd6+ Ra4 15.Cxti Fa3 16.Ce5
Après avoir tout dévoré, le Cavalier rassasié s'en retourne chez lui. Les Noirs

147
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

abandonnent car 16... Fc l est maintenant paré par 17.Cg4 ou par 17.Dd3. Ils ont
suffisamment souffert !

Comparons maintenant les pions doublés de la partie précédente à ceux de


l'exemple suivant. La position du diagramme 85 survient après les coups d'ou­
vertures, ternes mais habituels: l.e4 e5 2.Cf3 Cc6 3.Cc3 Cf6 4.Fc4 Fc5 5.0-0
0-0 6.d3 d6. Dans cette position (qui apparaît surtout dans les parties entre
enfants), les Blancs peuvent jouer l'excellent 7.Fe3!, qui après 7 ...Fxe3 8.fxe3
leur donne des pions « e » doublés.

DIAGRAMME 85. Trait aux Blancs

Pourquoi donc les Blancs autorisent-ils ce coup ? Parce qu'ils considèrent les
pions doublés comme bienvenus, dans la mesure où le pion f2 ne fait rien pour
l'instant tandis qu'en e3 il contribuera au dynamisme de la position, les pions e3
et e4 défendant les importantes cases centrales d4, d5, f4 et f5. En outre la dis­
parition du pion f2 de la colonne « f » donne une colonne semi-ouverte aux
Blancs pour leurs Tours. Enfin les Blancs voient également que leurs pions dou­
blés ne seront pas faibles. Vous semblent-ils faibles ? Le pion e4 est bien
défendu, ce qui fait que le seul pouvant, à l'extrême rigueur, servir de cible est
celui situé en e3. Comment les Noirs pourraient-ils attaquer ce pion? Il n'est pas
situé sur une colonne ouverte, ce qui fait que les Tours ennemies ne peuvent l'at-

148
CHAPITRE 7 : La création de cibles

teindre. Après un coup comme 8...Cg4, les Blancs le défendent simplement par
9.De2 (ou 9.De l ) et chassent ensuite le Cavalier gênant par h3. Ces pions« e »

doublés ne sont donc pas le moins du monde faibles. Au contraire, ils participent
activement à la lutte pour les cases clés centrales.
Maintenant que nous avons exposé ces considérations, les Noirs seront bien
avisés d'éviter 7 ... Fxe3 pour jouer soit 7 ... Fb6 (incitant à 8.Fxb6? axb6!, qui
donne soudainement une colonne semi-ouverte à la Tour noire, tandis que les
pions doublés « b » ne sont aucunement faibles) soit 7... Fg4!. Sur ce dernier
coup, 8.Fxc5 dxc5 ferait le bonheur des Noirs. Pourquoi ? Parce que les pions
« c » sont en sécurité (que les Blancs essayent de les attaquer, une fois que les
Noirs auront joué ...b7-b6!), et que le pion c5 aide à contrôler l'importante case
d4. Cerise sur le gâteau, la disparition du pion d6 donne une colonne« d » semi­
ouverte aux Noirs, qui en profiteront avec leurs Tours et leur Dame.
Il est donc clair que tout pion doublé n'est pas nécessairement faible ! Des
pions faibles attaquables résultent parfois d'une faute adverse mais vous ne pou­
vez compter sur l'ennemi pour commettre ce type d'erreur. C'est à vous de cher­
cher à créer ces faiblesses. C'est tout l'objectif de la stratégie dont nous parlons.
Une fois la cible créée, vous pouvez vous lâcher et l'attaquer à fond. L'une des
façons les plus commodes de se créer des pions faibles pour cibles est la straté­
gie connue sous le nom d'attaque de minorité. Elle se déroule ainsi :

Utilisez deux pions pour attaquer trois pions adverses, dans le but d'affliger
votre adversaire de pions et de cases faibles.

149
STRATÉGIES GAGNAN TES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 86. Trait aux Noirs


Reshevsky-Miagmasuren
Sousse, 1967

Le diagramme 86 illustre parfaitement la stratégie dite d'attaque de minorité.


Les Blancs jouent sur l'aile-Dame,car leurs pions pointent dans cette direction
(leur chaîne de pions occupe les cases f2-e3-d4) et leur donnent plus d'espace
sur cette zone de l'échiquier. En avançant leur pion« b »,les Blancs s'apprêtent
à jouer b4-b5 suivi de bxc6,et les Noirs seront affublés d'une faiblesse en d5 ou
en c6,sous la forme d'un pion ne pouvant être protégé par un pion voisin. Si les
Noirs répliquent à cette capture par ... bxc6, ils hériteront d'un pion« c » attardé
sur une colonne ouverte (donc facilement attaquable). Les Noirs tentent d'éviter
ce triste sort mais se retrouvent à la place avec une faiblesse en d5.
l. ..b6
Les Noirs comptent répondre à 2.b5 par 2... c5. Un plan plus usuel et plus dan­
gereux pour les Noirs consiste à chercher des contre-chances sur l'aile-Roi, où
ils disposent de plus d'espace. Pour un exemple de ce plan, voir la partie
Bobotsov-Petrossian au chapitre neuf.
2.Ccl!
Les Blancs, nullement pressés de jouer b4-b5, améliorent plutôt la position de
leurs pièces. Mener leur Cavalier au centre (il se rend en e2) permet de défen-

150
CHAPITRE 7 : La création de cibles

dre c3, d4 et f4, contribuant à éliminer le contre-jeu adverse car tous les points
clés des Blancs seront bientôt bien défendus.
2...Fh6 3.Cl e2 Ch5 4.b5
Maintenant les Noirs ne peuvent jouer 4... c5 à cause de 5.dxc5 et 6.Dxd5, qui
gagne un p10n.
4...Dd7 5.bxc6 Txc6 6.Db5
Les Blancs, qui ont ôté au pion « d » son support c6, s'empressent d'attaquer
la cible qu'ils viennent de créer.
6. . . Tec8
Les Noirs évitent l'évident 6...Cf6, qui perd sur 7.Cxd5! Txc2 8.Cxf6+.
7.Tbcl T8c7
Les Noirs espèrent que le clouage sur la colonne « c » les sauvera. Hélas, la
position noire tombe en lambeaux après le prochain coup blanc.
8.g4! a6
Les Noirs n'ont pas d'autre option car leur malheureux Cavalier ne peut bou­
ger ! En effet, 8...Cf6 comme 8... Cg7 se heurtent à 9.Cxd5!, après quoi une
reprise en d5 permet 10.Txc6, tandis que 9 ... Txc2 perd la Dame par 10.Cf6+.
9.Dxa6 Cf6
Les Noirs ont sacrifié un pion afin d'éloigner la Dame blanche pour qu'elle
n'attaque plus c6. Mais cette solution à leurs problèmes se révèle illusoire.
10.Cxd5!
Les Noirs pensaient avoir empêché cette capture ! Que faire maintenant ?
Jouer 10 ...Txc2 est toujours paré par ll.Cxf6+.
10...Cxg4
Désespoir. Les Noirs s'aperçoivent finalement que le coup prévu, 1 O...Cxd5,
échoue à cause de l l .Txc6 Txc6 12.Da8+, et les Blancs finissent quand même
par s'offrir un petit casse-croûte en c6.
ll .Txc6 Dxd5 12.Da8+
Les Noirs abandonnent car ils voient qu'ils perdent la Dame après 12...Rg7
13.Txg6+!.

151
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Averbakh-Donner
Beverwijk, 1962

Il est incroyable de voir la vitesse à laquelle une position peut s'écrouler quand
on cherche à créer des cibles par un jeu actif afin de les attaquer. Cette partie
illustre l'attaque de minorité, une technique répandue pour créer des cibles dans
le camp adverse.

l.d4 d5 2.c4 e6 3.Cf3 Cf6 4.Cc3 Fe7 5.cxd5 exd5 6.Fg5 c6 7.Dc2 g6
8.e3 Ff5 9.Fd3 Fxd3 10.Dxd3 0-0 11.0-0 TeS

DIAGRAMME 87. Trait aux Blancs

La position est paisible et, comme on peut le constater au diagramme 87,


aucun camp n'a de réelle faiblesse. Les Blancs cherchent un but d'attaque, et
décident d'une attaque de minorité immédiate.
12.Fxf6
Ce coup éloigne le Fou noir du contrôle de b4 et permet aux Blancs d'avancer
leur pion sur cette case en toute sécurité.
12...Fxf6 13.b4 Cd7 14.b5 Cb6 15.bxc6 bxc6
La partie tourne maintenant autour de la nouvelle faiblesse créée en c6.
16.Tacl

152
CHAPITRE 7 : La création de cibles

Les Blancs dirigent leurs pièces sur la cible c6.


16...Fe7 17.Tc2 Fd6 18.Cbl TeS 19 . Tf cl Df6
Les Noirs défendent indirectement le pion c6. Maintenant 20. Txc6?? perd sur
20... Txc6 21. Txc6 Fxh2+ suivi de 22 . . . Dxc6.
20.Cbd2
Les Blancs remettent leur Cavalier en jeu (ne laissez jamais un Cavalier traîner
sur la première rangée). Ils tiennent également le Cavalier ennemi éloigné de c4.
20 ...Tc7 21.g3
Ce coup restreint l'activité du Fou noir et donne un peu d'air au Roi pour res­
pirer. Maintenant 22.Txc6 constitue réellement une menace.
21 . .. Te c8 22.Rg2
Les Noirs sont sur la défensive, ce dont les Blancs profitent pour donner un
protecteur supplémentaire à leur Cavalier f3. Le Roi empêche aussi les pièces
ennemies d'accéder à h3.
22 . ..De7 23.e4!
Les Blancs gagri.ent de l'espace au centre. Ils ne craignent pas 23...dxe4 car
24. Cxe4 donne de l'activité à leur Cavalier. Il est vtai que les Blancs auraient alors
un pion« d »isolé, mais aucune pièce noire ne serait en mesure de l'attaquer.
23...Fb4 24.h4 Dd8 25.e5
Les Blancs continuent à gagner plus et plus d'espace. Les Noirs, qui se voient
repoussés sur tous les fronts, tentent d'activer leurs pièces par . .. c6-c5.
25 ... c5 26.dxc5 Txc5 27.Txc5 Txc5 28.Txc5 Fxc5
Les Noirs ont réussi à éliminer les Tours de l'échiquier (une opération favora­
ble car les Tour blanches étaient plus actives que les leurs), mais ils sont tou­
jours affligés d'un pion« d »isolé. Les Blancs se dépêchent de bloquer ce der­
nier avec leurs Cavaliers, fixant le pion en d5 en exploitant le trou dont ils dis­
posent en d4. Souvenez-vous : arrangez-vous toujours pour dominer la case
située juste devant le pion isolé !
29.Cb3
Les Blancs attaquent le Fou et concentrent leurs forces sur d4.
29...Fe7 30.Cbd4
Ce Cavalier est très fort en d4. Maintenant 30... Cc4?? perd sur 31.Cc6 Dd7

153
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

32.Dxd5! Dxd5 33.Cxe7+, qui gagne une pièce et un pion.


30...DcS 31.Db5 Rf8 32.Cc6 Db7 33.Cfd4
Le Fou des Noirs est clairement inférieur aux Cavaliers blancs.
33 •.. a6 34.Da5 ReS 35.Cxe7
Normalement les Blancs ne devraient pas être pressés d'échanger leur merveil­
leux Cavalier , mais la position exposée du Roi noir leur donne la possibilité de
lancer une attaque décisive.
35...Rxe7 36.Dc5+ ReS 37.e6! CeS 3S.ext7+ R.xt7 39.èc6
Les Blancs menacent 40.Dxd5 et 40.Cd8+ avec fourchette royale.
39...Rg7 40.Dd4+ Rh6 41.Df6
Les Noirs n'ont pas de défense contre la menace 42.Ce5, suivie d'échec en f7
ou g4. S'ils jouent 4l ...d4, la réponse blanche la plus simple est 42.Rh 2 , se
déclouant. Les Noirs abandonnent . La stratégie blanche a payé:

Les pions faibles adverses n'apparaissant pas par magie, vous devez les créer.

TEST 19.
Wood-Seirawan
Seattle, 1994

TEST 19. Trait aux Blancs. Mon dernier coup était l...Dc7, attaquant le pion
blanc f4. Après 2 .g 3, j'atteins un objectif important. Quel est cet objectif et com­
ment dois-je poursuivre?

154
CHAPITRE 7 : La création de cibles

Les cases faibles


La plupart des joueurs, bien qu'ils comprennent facilement le concept de pion
faible, ont parfois du mal à saisir celui de case faible (case également appelée
trou). Je me souviens d'un joueur qui n'arrêtait pas d'argumenter avec moi :

« Vous dites toujours qu'un pion n'est faible que si on peut l'attaquer dans l'idée
de le prendre un jour ou l'autre. Mais comme il est impossible de capturer une
case, comment peut-on dire qu'une case est faible ? ». J'ai répondu que si, on
pouvait capturer une case ! Par là, je ne veux évidemment pas dire qu'on peut
l'ôter de l'échiquier et la mettre dans la boîte, à côté des autres pièces prises. Par
prendre une case, j'indique simplement qu'on peut l'utiliser à son avantage, pour
servir de base sûre à ses pièces.
Au chapitre quatre, on a par exemple appris que les Cavaliers avaient besoin
de points d'appui pour atteindre leur potentiel maximal. Un point d'appui n'est
rien d'autre qu'une case que l'on a forcé à servir sa cause. Elle procure un abri
sûr à votre Cavalier le temps que ce dernier menace dans toutes les directions.
Vous pouvez dire que cette case est vôtre - que vous l'avez prise - quand elle
est à l'abri de toute attaque par pion ennemi et que vos propres pièces l'occupent.
Les cases ainsi capturées sont évidemment très avantageuses puisqu'elles per­
mettent d'accroître la puissance de vos pièces. Comment s'emparer d'objets aussi
précieux ? Ces cases tombent-elles toutes rôties dans le bec ou faut-il, comme
pour les pions faibles, lutter pour les créer ? À l'exemple suivant Anatoly
Karpov nous montre comment faire, dans une partie l'opposant à Walter Browne
(San Antonio, 1972).
Après l.c4 c5 2.b3 Cf6 3.Fb2 g6, un coup d'oeil montre qu'il n'existe aucune
case faible. Karpov modifie ce jugement grâce à une capture surprenante.
4.Fxf6! exf6
Les Blancs ne donnent pas leur fort Fou du fianchetto pour doubler les pions
noirs car ces derniers ne seront en aucune façon faibles. Ils s'en séparent car ils
voient qu'en s'éloignant de e7, le pion « e » ne pourra plus exercer de contrôle
sur d5. En d'autres termes, les Blancs jouent pour créer une case faible !
5.Cc3

155
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Après avoir créé une faiblesse en d5, les Blancs s'apprêtent à« prendre la case»
en concentrant le feu de toutes leurs pièces dans cette direction.
5 . . Fg7 6.g3
.

Les Blancs, qui ont une solide emprise sur d5 grâce à 5.Cc3, ne se satisfont
pas d'un seul contrôle : ils jouent pour la domination totale de cette case ! En
jouant 6.g3, ils permettent à leur Fou de cases blanches de se joindre à la fête
sur d5.
6...Cc6 7.Fg2 f5
Les Noirs ont également un Cavalier, un Fou et un pion visant d4. Cela signi­
fie-t-il qu'ils peuvent faire valoir leurs droits sur cette case ? Non.
8.e3
Maintenant nulle pièce noire ne peut venir en d4.
8.. 0-0 9.Cge2
.

Les Blancs comptent accroître leur contrôle sur d5 en jouant Cf4 un jour, et
dans la partie finirent par remporter la victoire. Le reste des coups importe peu
ici. Ce qui est important c'est la façon dont les Blancs ont créé une case faible
et comment ils se sont dépêchés d'y diriger toutes leurs pièces. Il est également
utile de bien comprendre pourquoi d5 était aux Blancs, et pas d4 aux Noirs. La
case d4 n'appartenait pas aux Noirs car le pion blanc e3 la défendait.

DIAGRAMME 88. Trait aux Blancs


Fischer-Durao
Olympiades de la Havane, 1966

156
CHAPITRE 7 : La création de cibles

La création de cases faibles est l'une des stratégies les plus importantes car elle
influe sur la force de vos pièces. Tout bon joueur le sait parfaitement. Voyons
comment Bobby Fischer utilise des cases faibles pour créer des bases sûres à ses
troupes. La position du diagramme 88 semble solide pour les deux camps. Il ne
semble pas y avoir de trous, mais Fischer ne s'est jamais contenté des apparen­
ces. Voyez comme il joue sans détour pour la création d'une case faible.
l.dxc5 dxc5
Les Blancs optent pour cet échange apparemment inoffensif parce qu'ils veu­
lent éloigner le pion « d » noir de d6. Sa disparition de cette case permet aux
Blancs d'avancer leur pion « e » et de proclamer leurs droits à la fois sur d6 et f6.
2.De2 b6 3.e5!
Les Blancs ont lancé leur combat pour l'obtention de deux avant-postes au
cœur de la position adverse. Ils joueront Ff4 (augmentant leur contrôle sur d6)
ou Fg5 (visant f6), Cbd2-e4 (visant f6 et d6) et Td l (dirigeant encore des forces
sur d6). Notez comment ils concentrent immédiatement toutes leurs forces sur
la case faible qu'ils ont créée. La stratégie des cases faibles est importante, mais
souvenez-vous de ceci :

Le seul contrôle d'une case ne suf


f it pas nécessairement à gagner. Il faut aussi
posséder d'autres avantages, qui en se combinant entraîneront l'adversaire dans
sa chute.

Au diagramme 89, Les Blancs ont le contrôle total du superbe avant-poste d5,
et leur Fou est extrêmement fort sur cette case. Mais le Fou des Noirs ne peut­
il se rendre en d4 et se montrer aussi puissant? Malheureusement pour les Noirs,
la réponse est non. Ce Fou peut se rendre en d4 mais ne peut coopérer avec le
reste de son armée aussi efficacement que celui des Blancs. Les Blancs sont en
pleine attaque sur l'aile-Roi avec leurs pions, et leurs Tours qui se placeront der­
rière ces pions qui avancent. Leur Fou, qui vise dans cette direction, appuiera
cette offensive. Le Fou des Noirs fait très belle impression en d4, mais ne coo­
père absolument pas avec les autres pièces de son camp. Gardez en tête que :

Aux échecs, on ne peut gagner qu'en faisant jouer toutes ses forces ensemble.
Une pièce ne peut remporter la partie à elle seule !

157
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Les pièces blanches jouent en équipe, pas celles des Noirs. Voilà pourquoi les
Blancs finiront pas gagner.

DIAGRAMME 89. Trait aux Noirs


Karpov-Mecking
Hastings, 1971-72

l...g5
Les Blancs menaçant de s'emparer de tout l'espace sur l'aile-Roi par g4-g5, les
Noirs tentent de les en empêcher.
2.fxg6
Les Blancs n'envisagent même pas 2.h5?? car ce coup ferme totalement la
position sur la zone de l'échiquier où ils veulent trouver du jeu. Ils suivent cette
stratégie:

Ouvrez les lignes là où vous voulez attaquer, fermez-les là où vous essayez de


défendre.
2...hxg6 3.Rd3
L'immédiat 3.h5?? permettrait 3... Fg5+, gagnant la qualité.
3...Rg7 4.h5 Fb6 5.Th3 Fc5 6.Tf1
Maintenant les Noirs ne savent pas si les Blancs vont doubler les Tours sur la
colonne « f » par 7. Thf3 ou sur la colonne « h » par Tfh 1.
6 . f6 7.hxg6
. .

158
CHAPITRE 7 : La création de cibles

Les Blancs ouvrent la colonne« h ». Ils utilisent maintenant la force combinée


de leurs Tours et de leur Fou pour lancer une attaque directe contre le Roi noir.
7... Rxg6 8.Tfbl TheS 9.Th7 Rg5
Les Noirs craignent de se faire mater un jour ou l'autre après T h l -h5, et entre­
prennent une balade avec leur Roi. Mais cette promenade s'avèrera fatale.
10.Re2
�e Roi blanc se joint à l'assaut ! Maintenant la menace est ll.Rf3, ôtant la case
f4 au Roi noir, suivi de 12.Tg7 mat.
10...Rf4 ll.Tlh3 Fd4 12.Tg7
Les Noirs abandonnent car 13.Tf3 mat est inévitable. Cette partie démontre que:

Une pièce forte + une case forte comme appui + un ou plusieurs avantages
complémentaires=· des problèmes pour l'adversaire!
Il arrive qu'une case soit le point focal d'une lutte acharnée. Un camp peut vou­
loir l'utiliser pour attaquer tandis que l'autre veut l'obstruer dans un but défensif.

DIAGRAMME 90. Trait aux Noirs

Le diagramme 90 illustre ce type de situation. La position semble assez claire:


les pions des Blancs visent l'aile-Roi (la chaîne d4 et e5 pointe dans cette direc­
tion et offre plus d'espace sur cette partie de l'échiquier), tandis que ceux des
Noirs pointent vers l'aile-Dame. Les Noirs, parce qu'il faut toujours attaquer
avec ses pions dans les positions où le centre est fermé, s'efforceront de jouer

159
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

...c6-c5, qui leur permet d'accroître leur territoire sur l'aile-Dame tout en ouvrant
des colonnes pour leurs Tours. Les Blancs, de leur côté, tâcheront de jouer f4-
f5, accroissant leur emprise territoriale sur l'aile-Roi, ouvrant des lignes pour
que leurs pièces mineures et leurs Tours puissent participer au combat, et libé­
rant la diagonale c l -h6 pour leur Fou.
Si les Noirs se contentent d'une course, pour voir qui parviendra à faire abou­
tir son plan le premier, 1 ...c5 suffit. Mais les Noirs ont intérêt à se demander plu­
tôt s'ils peuvent empêcher la poussée blanche f4-f5. Et c'est bien sûr possible !
Sachez toujours ce que vous et votre adversaire pouvez ou ne pouvez pas empê­
cher. En l'occurrence les Blancs ne peuvent pas stopper la poussée noire ...c6-c5
tandis que les Noirs peuvent arrêter l'avance blanche f4-f5. La poussée f4-f5
étant si importante pour les Blancs, les Noirs n'ont-ils pas tout intérêt à consa­
crer un ou deux temps à la bloquer ?
Si les Noirs décident de contrecarrer le plan blanc, ils doivent le faire d'une façon
qui leur soit favorable. Ainsi l .. f5? est faible par exemple car 2.exf6 les laisse
.

avec un pion « e » attardé sur une colonne ouverte. Le coup qui à ma faveur est
l...Cb6!, qui non seulement empêche f4-f5 mais annonce également l'intention
noire de transformer f5 en excellent point d'appui pour ce Cavalier ! Après 2.Cf3
Cf5 3.0-0, les Noirs doivent jouer 3 ... h5!. Ce coup d'apparence étrange n'est pas
destiné à entamer une attaque sur l'aile-Roi. Les Noirs empêchent les Blancs de
récupérer la case f5 par g2- g4. Maintenant que f4-f5 a été empêché, le Fou et la
Tour des Blancs sont condamnés à rester enfermés derrière le pion f4, et le
Cavalier noir jouit d'un superbe avant-poste. Les Noirs ont conquis pour leurs pro­
pres pièces une case importante pour la mise en œuvre du plan des Blancs.
Notez que les Noirs ne se contentent pas du contrôle d'une seule case et utili­
sent la superbe position de leur Cavalier pour poursuivre leurs plans originels
sur l'aile-Dame. Ils continueront par ... c5 (ouvrant la colonne « c », gagnant de
l'espace et attaquant le centre blanc), ... Cc6 (coopère avec le Cavalier f5 et le
pion c5 pour faire pression sur d4) et ... Db6, après quoi toutes leurs pièces visent
le pion d4. Rejouez ces coups sur votre propre échiquier, et vous verrez un bel
exemple de toute une armée travaillant de concert à la réalisation d'un but uni­
que. Le fait que les Noirs aient commencé par mettre un coup d'arrêt au plan

160
CHAPITRE 7 : La création de cibles

blanc n'a fait que renforcer leur stratégie tout entière.


Examinons maintenant une partie complète illustrant la stratégie des cases faibles.

Karpov-Spassky
Léningrad, 1974
9ème partie du Match
Cette partie illustre la lutte acharnée pour le contrôle de plusieurs cases dans
chaque camp. La position qui nous intéresse survient après ces coups :
l.e4 c5 2.Cf3 e6 3.d4 cxd4 4.Cxd4 Cf6 5.Cc3 d6 6.Fe2 Fe7 7.0-0 0-0
8.f4 Cc6 9.Fe3 Fd7 10.Cb3
Le coup suivant vise à forcer les Blancs à concéder l'accès de b4 aux pièces
noires. Le prix à payer est un affaiblissement permanent de la case b5.
10... a5?! ll.a4
Les Blancs stoppent le pion « a » adverse dans les starting-blocks mais se créent
une faiblesse en b4. La différence entre la faiblesse noire en b5 et celle des Blancs
en b4 est que la case b4 n'est pas un trou permanent. À un stade ultérieur de la
partie les Blancs pourront déplacer leur Cavalier et la récupérer par c2-c3.
ll...Cb4 12.Ff3 Fc6 13.Cd4
Ce Cavalier peut maintenant prendre le Fou c6 ou bondir dans le confortable
trou b5.
13... g6 14.Tf2
Les Blancs donnent un autre défenseur à c2, permettant à la Dame blanche de
courir le monde tout en préparant un éventuel Td2.
14...e5
Les Noirs créent un trou en d5, sachant que cet affaiblissement n'est pas très
grave car toutes leurs forces attaquent cette case, empêchant par là même les
pièces blanches de s'en emparer.
15.Cxc6 bxc6 16.fxe5 dxe5
Les Blancs n'ont-ils pas abandonné leur contrôle de b5 et d5 en permettant aux
Noirs d'amener un pion en c6 (d'où il garde ces cases)? Si, et cette décision stra­
tégique était très importante. Mais les Blancs ont également créé de nouveaux
trous en c4 et c5, ainsi que des pions faibles en a5 et c6, et se sont emparés de

161
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

la paire de Fous, un avantage dont ils tireront profit plus tard.


17.Dfl!
Les Blancs prennent le contrôle de la case c4. Notez que si se saisir de la
colonne« d » par T d2 est un bon coup, c'est aussi une décision responsable car
on ne sait pas encore si la colonne« f » n'est pas plus importante.
17...Dc8 18.h3
Tenant le Cavalier noir éloigné de g4. Les Noirs auront du mal à trouver des
coups utiles car dans cette lutte de Fous contre des Cavaliers, leurs pièces mineu­
res ne bénéficient d'aucun avant-poste (le Cavalier en b4 finira par être chassé).
18 ...Cd7
Si les Noirs jouent 18 ...De6, les Blancs amèneront leur Fou en c4 par 19.Tcl
(défendant c2, car l'immédiat 19.Fe2 couperait la Tour f2 de la défense du pion
c2) 19...T fd8 20.Fe2 T d4 21.b3 suivi de Fc4 avec une attaque coordonnée le
long de la colonne« f ».
19.Fg4 h5 20.Fxd7
Les Blancs consentent à abandonner l'avantage de la paire de Fous car ils
voient que le Cavalier d7 peut se rendre en b6 afin de participer à la lutte pour
c4. Quand vous jouez pour la possession d'une case, n'hésitez pas à échanger les
pièces pouvant s'opposer à votre domination sur cet avant-poste.
20...Dxd7 21.Dc4
La Dame blanche est ici très forte. Elle attaque le pion c6 tout en visant la case f7.
21...Fh4 22.Td2 De7 23.Tafl! Tfd8 24.Cbl!

DIAGRAMME 91. Trait aux Noirs

162
CHAPITRE 7 : La création de cibles

Les Blancs s'apprêtent à chasser le Cavalier b4. Dans la position du dia­


gramme 91, les Noirs doivent se faire à l'idée que la case b4, qu'ils ont eu tant
de peine à contrôler, n'était qu'une possession temporaire.
24...Db7 25.Rh2 Rg7 26.c3 C a6 27.Te2
Les Blancs décident de doubler leurs Tours sur la colonne « f » afin qu'elles
coopèrent avec leur Dame pour attaquer f7. Ils évitent donc l'échange de leur
Tour et menacent maintenant 28.g3 Ff6 29.Tef2 T d6 30.Fg5!.
27...Tf8 28.Cd2
Toutes les pièces blanches participeront à ce combat.
28...Fd8
Les Noirs ne tombent pas dans le piège 28...Dxb2?? 29.Cf3, après quoi leur
Dame et leur Fou sont simultanément attaqués.
29.Cf3 f6 30.Td2!
Joué de façon magistrale. Maintenant que la colonne « f » est bloquée, les
Blancs reviennent vers la colonne« d >>.Notez que, pour jouer ...f7-f6, lesNoirs
ont dû concéder l'accès à la case e6 à la Dame blanche.
30...F e7 31.D e6 Tad8 32.Txd8 Fxd8
Les Blancs auraient répliqué à 32...T xd8 par 33.Cxe5! fxe5 '34.Tf7+.
33.Tdl Cb8
Le Cavalier, jadis fringant en b4, clopine misérablement sur la dernière rangée
maintenant.
34.Fc5
Les Blancs, qui ont déjà exploité c4 et e6, utilisent aussi la case c5 maintenant.
34 ... Th8 35.Txd8!
LesNoirs abandonnent car 35...T xd8 36.Fe7 mène à une attaque gagnante sur
le Roi après 36...Tc8 37.Dxf6+. Cette partie est un modèle de cette clarté straté­
gique qui a fait de Karpov le joueur le plus redouté de son époque. Elle m'a fait
une énorme impression !

163
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Les complexes de cases faibles

DIAGRAMME 92. DIAGRAMME 93. Trait aux Blancs

Jusqu'ici on n'a examiné que le contrôle de cases individuelles, mais parfois


toute un complexe de cases devient vulnérable à une pénétration ennemie. Au dia­
gramme 92, par exemple, le jeu noir est mauvais quel que soit le joueur ayant le
trait! Les Noirs sont perdus car les Blancs contrôlent de nombreuses cases tandis
que les Noirs n'ont absolument aucun avant-poste. Le Cavalier blanc en c4 domine
l'échiquier (il vise b6 et d6), tandis que son homologue noir est tenu éloigné de b4
et d4 par le petit pion c3. Les Tours blanches ne sont pas moins impressionnantes.
Elles peuvent pénétrer dans la position noire via les cases d5, d6 ou d7.
Au diagramme 93, nous voyons tout un complexe de cases faibles le long de
la diagonale a l- h8. Les Blancs ont été avisés de jouer f2-f3, bloquant l'action
du Fou adverse, mais les Noirs n'ont pas pris les mêmes précautions ! Les
Blancs jouent l .Dc3, et rien ne peut empêcher une pénétration décisive en h8.

Steinitz-Biackburne
Londres, 1876

La partie qui clôt ce chapitre montre ce qui se passe quand un complexe de cases
devient vulnérable dans une partie. Elle montre aussi que les joueurs maîtrisaient
déjà parfaitement le concept de cases fortes et faibles dans les années 1800!

164
CHAPITRE 7: La création de cibles

l.e4 eS 2.Cf3 Cc6 3.FbS a6 4.Fa4 Cf6 S.d3 d6 6.c3 Fe7 7.h3 0-0 8.De2
CeS
Cette ouverture illustre une façon démodée de jouer l'Espagnole. Le prochain
coup blanc empêche les Noirs de jouer ...f7-f5, mais crée un trou en f4.
9.g4 bS 10.Fc2 Fb7 ll.Cbd2 Dd7 12.Cfl
Ce Cavalier blanc se rend en e3, d'où il pourra bondir dans le trou temporaire
f5. Je qualifie ce trou de temporaire car les Noirs peuvent en reprendre le
contrôle par ...g7-g6, bien que cette avance ait aussi des côtés négatifs en affai­
blissant les cases noires autour du Roi.
12...Cd8
Les Noirs savent aussi reconnaître les cases faibles ! Ce Cavalier se rend en
e6, d'où il visera le trou f4.
13.Ce3 Ce6 14.CfS g6
Les Noirs décident qu'il faut chasser le Cavalier et sont prêts à en payer le prix. Mais
les Blancs pourront maintenant tenter d'exploiter les trous entourant le Roi noir.
1S.Cxe7+
Ce Fou, qui aurait pu défendre les cases noires par ...Ff6- g7, doit être éliminé .
1S...Dxe7 16.Fe3
Si le Cavalier noir se rend un jour en f4, les Blancs s'en débarrasseront par
Fxf4. Le pion doublé sera faible en f4 et les Blancs pourront se créer un impo­
sant centre de pions par d3-d4.
16...C8g7 17.0-0-0 cS 18.d4
Les Blancs , qui ont la paire de Fous, veulent ouvrir la position . Ils souhaitent
aussi faire sauter tous les verrous sur la diagonale al-h8 pour tirer parti des cases
noires affaiblies autour du Roi noir.
18... exd4 19.cxd4 c4?
Ce mauvais coup abandonne le contrôle de d4 et permet au Fou blanc de cases
noires d'en faire sa résidence . La partie noire s'écroule après cette erreur, ce qui
démontre qu'il ne faut jamais donner de cases de façon aussi nonchalante !
20.dS Cc7 21.Dd2 aS 22.Fd4
Le diagramme 94 montre que le Fou blanc contrôle pleinement les trous en f6
et g7. Les Noirs tentent de le bloquer mais les Blancs ne se laissent pas faire .

165
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 94. Trait aux Noirs

22...f6 23.Dh6
Pourquoi ne pas s'installer sur cette confortable case faible ?
23...b4 24.g5
Les Blancs dynamitent la diagonale a l-h8 pour l'ouvrir à leur Fou. Les trous
créés plus tôt par les Noirs, quand ils ont joué 14.. g6, reviennent hanter des der­
.

mers.
24.•. f5 25.Ff6
Par 14. .g6, les Noirs ont cédé le contrôle de f6 et de h6. On voit maintenant
.

les conséquences sérieuses qu'un tel abandon peut entraîner : les pièces blanches
ont transformé ces deux cases en avant-postes !
25...Dtï 26.exf5 gxf5 27.g6!!
Un coup d'une puissance redoutable. Les Blancs facilitent l'accès de g5 à leur
Cavalier et ouvrent simultanément la colonne « g » à leurs Tours. Nous voyons
une fois de plus comment les joueurs de premier plan font participer toutes leurs
pièces au combat. Il est maintenant temps que vous fassiez de même dans vos
propres parties.
27 ...Dxg6
Les Noirs perdent du matériel, mais 27... Dxf6 28.Dxh7 mat et 27 ...hxg6
28.Cg5 Dxf6 29.Dh7 mat ne sont certainement pas meilleurs.

166
CHAPITRE 7 : La création de cibles

28.Fxg7 Dxh6+
Les Noirs acceptent de perdre une pièce et donc la partie. Ils n'ont toutefois
pas le choix, car 28 ...Dxg7 perd la Dame sur 29 .Thg l , après quoi les Tours
entrent en jeu et atomisent les Noirs.
29.Fxh6
Les Noirs, qui pourraient signer ici leur feuille de partie, jouent encore quel­
ques coups sans objet avant d'abandonner face à une défaite imminente.
29...Tf6 30.Thgl+ Tg6 31.Fxf5 Rfi 32.Fxg6+ hxg6 33.Cg5+ Rg8
34.Tgel

TEST 20.

TEST 20. C'est aux Noirs, un joueur de 1300 points Elo seulement, de jouer.
Faisant jusqu'ici plutôt bonne figure face à un adversaire classé à 1900, il joua
l ...Fe7 et finit par perdre après un dur combat. En quoi ce coup était-il mauvais ?

167
CHAPITRE 8

L'avantage
d'espace

Le gain d'espace revêt une énorme importance dans une partie d'échecs. Les
bons joueurs semblent ne jamais s'en rassasier. Je suis accro à l'espace, tout
comme Karpov, et tout Grand Maître au style positionne} est tout autant
convaincu que nous des bienfaits d'une domination territoriale.

DIAGRAMME 95.

168
CHAPITRE 8: L'avantage d'espace

On gagne de l'espace par l'utilisation stratégique de ses pions. D'une façon


générale considérez que toutes les cases situées à l'arrière de vos pions font par­
tie de votre espace, à moins qu'un pion ennemi n'attaque ces cases. Au dia­
gramme 95, par exemple, les X et les étoiles délimitent les territoires contrôlés.
Il suffit d'un coup d'œil pour voir que les Blancs ont davantage d'étoiles derrière
leurs pions que les Noirs n'ont de X, et que les Blancs disposent de plus d'espace
sur l'échiquier (aile-Dame, centre et aile-Roi). Les cases étoilées du camp blanc
constituent toutes des points de chute sûrs pour l'armée blanche. Les cases mar­
quées d'un X, dans le camp des Noirs, sont les seules dont ces derniers dispo­
sent pour leurs pièces. Notez que les cases où sont situés vos pions ne sont pas
considérées comme faisant partie de votre territoire, mais s'intègrent à votre ter­
ritoire aussitôt que vous avancez ces pions. Ainsi f4 n'est pas une case blanche,
techniquement parlant, mais le devient dès que les Blancs jouent l .f4-f5, car f4
est maintenant derrière la chaîne de pions blanche.
Posséder plus d'espace constitue normalement un avantage mais, comme les
anciens romains le découvrirent, il ne suffit pas de proclamer qu'un territoire
vous appartient, il faut aussi le contrôler pour l'empêcher de tomber entre les
mains ennemies. Le résultat, c'est que posséder plus d'espace que l'adversaire est
à la fois un avantage et une responsabilité. L'espace supplémentaire procure une
bonne liberté de manœuvre à vos pièces et vous permet de limiter les possibili­
tés adverses au fur et à mesure que vous augmentez systématiquement votre
avantage spatial. Cependant des frontières en expansion nécessitent une bonne
défense contre les incursions ennemies.
Voici les règles de base s'appliquant pour la stratégie de conquête d'espace :
• L'avantage d'espace est un avantage à long terme. Ne vous pressez pas !
Prenez votre temps, agissez comme le python en resserrant lentement l'étreinte
sur votre victime pour l'étouffer à mort entre vos anneaux.
• Une fois que vous disposez d'un avantage d'espace significatif, concentrez­
vous sur la défense de vos frontières, ne laissez pas l'ennemi rompre ses liens,
et emparez-vous lentement mais sûrement de plus en plus d'espace.
• Pour maintenir votre avantage d'espace, évitez d'échanger des pièces. Vous
voulez que les pièces ennemies se gênent l'une l'autre et étouffent sous leur pro-

169
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

pre poids. Votre adversaire, qui a moins d'espace, tentera d'échanger des pièces.
Un petit appartement peut être infernal quand on est huit à y vivre, mais tout à
fait acceptable si l'on est deux seulement.

DIAGRAMME 96. Trait aux Blancs


Silman-Formanek
World Open, 1989

L'espace sur les ailes


Que l'on se comprenne bien: le centre est la partie la plus importante de l'échi­
quier, et vous devez jouer dans cette zone chaque fois que possible. Cela dit, les
deux joueurs n'ont pas le choix si le centre est bloqué par des pions : ils doivent
porter leur attention sur les ailes. Au diagramme 96, par exemple, les Blancs ont
plus d'espace au centre mais cette section de l'échiquier est totalement bloquée
par des pions. Bien qu'aucune action ne puisse se dérouler au centre, cet avan­
tage d'espace confère plus de liberté de manœuvre aux Blancs. Ils utilisent
immédiatement ce surcroît de mobilité pour tenter de conquérir de l'espace sur
les ailes. La stratégie, ici, est la suivante :

Un centre bloqué force à jouer sur les ailes.


l.g3
Ce coup prépare f2-f4. L'immédiat l .f4 est mauvais à cause de l ...exf4 2.Fxf4

170
CHAPITRE 8: L'avantage d'espace

De7 qui donne l'excellente case e5 aux Noirs pour leurs Cavaliers.
l...Ce8 2.f4
Les Blancs souhaitent répondre à 2...exf4 par 3.gxf4, après quoi ils bénéficient
d'un avantage territorial considérable sur l'aile-Roi et utilisent leur colonne « g »

semi-ouverte. Notez que le Roi blanc sera en sûreté une fois qu'il aura joué en h l.
2 De7 3.f5 f6 4.g4
•..

Personne ne peut contester la supériorité des Blancs sur l'aile-Roi. Leurs pro­
chains coups sont destinés à accroître cet avantage et à créer une colonne
ouverte permettant à leurs Tours de participer au combat.
4 ..• g5 5.h4 h6 6.Rf2 Cc7 7.Thl Ttï
Les Blancs peuvent maintenant ouvrir la colonne « h » par hxg5 au moment
de leur choix. Ils n'ont naturellement aucune intention de ce faire immédiate­
ment car les Noirs leurs disputeraient alors le contrôle de cette colonne par
... T h7. Les Blancs vont plutôt doubler, voire tripler leurs pièces lourdes sur cette
colonne pour ne l'ouvrir qu'au moment le plus favorable.
8.Fe3
Les Noirs ont une position resserrée et ne peuvent faire autre chose que se
défendre, raison pour laquelle les Blancs prennent leur temps et placent leurs
pièces sur leurs meilleures cases.
8...Th7 9.Th3 Rg7 lO.Tahl Tah8
Maintenant l l.hxg5 est paré par l l ...hxg5, et les échanges massifs sur la
colonne « h » facilitent la vie des Noirs, qui ont moins d'espace. Les Blancs doi­
vent garder ceci en tête :

Si vous avez plus d'espace, fuyez les échanges de pièces !

ll.Ce2
Le Cavalier se dirige vers g3, d'où il menace constamment de bondir sur la
case faible h5.
ll...Rg8 12.Cg3 CeS 13.b4
Maintenant les Blancs gagnent aussi de l'espace sur l'aile-Dame. Pourquoi ne
pas revendiquer tout l'échiquier?
13 .•. Cf8 14.Dd2 Fc8 15.Fc2 Dc7 16.Fb3 De7 17.Fa4
Les Blancs ont tout leur temps. Le manque d'espace rend les Noirs impuis-

171
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

sants, et les Blancs s'occupent de trouver l'emplacement idéal pour chacune de


leurs pièces. Ce Fou étant mauvais, les Blancs l'activent en le sortant de sa
chaîne de pions.
17...Fd7 18.Fc6 Dd8 19.Tbl Dc7 20.b5
Les Blancs tiennent solidement les deux côtés de l'échiquier et finiront par
gagner.

Il arrive parfois que l'adversaire parvienne à surmonter son désavantage d'es­


pace. Toutefois la fin de votre avantage spatial ne signifie pas nécessairement la
fin de votre domination de l'échiquier. Si vous avez bien joué vos cartes, vous
devez normalement obtenir de nouveaux avantages en échange de la perte de
votre territoire. Prenons l'exemple du diagramme 97. Les Blancs ont deux pions
au centre (en d4 et e3) contre un seul pour les Noirs (en e6). Parce qu'il faut uti­
liser chacun de ses avantages, les Blancs avancent ici leur pion « e », gagnent
de l'espace et forcent les pièces noires à abandonner leurs postes centraux.

DIAGRAMME 97. Trait aux Blancs


Capablanca-Em. Lasker
La Havane, 1921

l.Tfdl
Ce coup utile protège d4 (qui pourrait manquer un peu de soutien après e3- e4 )
et dissuade les Noirs de tenter de gagner de l'espace par ...c6-c5 ou ... e6-e5,

172
CHAPITRE 8 : L'avantage d'espace

coups qui l'un et l'autre rendent la Tour blanche plus active.


l...Fd7 2.e4 Cb6?
Les Noirs ont clairement moins d'espace que leur adversaire, et auraient donc
dû échanger une paire de Cavaliers par 2 . .. Cxc3.
3.Ffl TeS
Les Noirs espèrent toujours s'emparer d'un peu d'espace sur l'aile-Dame en
jo11;ant ... c6-c5 à un moment donné.
4.b4
Les Blancs empêchent ...c6-c5 et gagnent de l'espace sur l'aile-Dame.
4...Fe8 5.Db3 Te c7 6.a4
Pendant que les Noirs gigotent sur les deux dernières rangées, les Blancs s'em­
parent de toujours plus d'espace sur l'aile-Dame.
6...Cg6 7.a5 Cd7 8.e5!
Les Blancs confisquent encore plus de territoire central, interdisent l'accès de
la case f6 aux pièces noires et créent un magnifique avant-poste en d6 pour l'un
de leurs Cavaliers. Il est vrai que 8.e5 abandonne le contrôle de d5 aux Noirs,
mais les Blancs estiment à juste titre que d6 est ici plus important !
8...b6
Les Noirs doivent briser l'étreinte sous peine de périr sans combattre.
9.Ce4 T b8 1 0.Dc3 Cf4 ll.Cd6 Cd5 12.Da3 f6
Ce coup menace 13...fxe5 14.dxe5 Cxe5! 15.Cxe8 Cxf3+, forçant les Blancs
à opérer quelques échanges, ce qui donne un peu plus de liberté de manœuvre
aux Noirs. Mais ces derniers auront hélas de nouveaux problèmes à résoudre à
cause de leurs pions faibles c6, e6 et f6.
13.Cxe8 Dxe8 14.exf6 gxf6 15.b5 T b c8 16.bxc6 Txc6 17.Txc6 Txc6
18.axb6 axb6
Les Blancs ont échangé l'essentiel de leur avantage d'espace contre des cibles
permanentes en b6, e6, f6 et h7. La capacité à échanger un avantage pour un
autre est la marque de tous les grands joueurs.
19.Tel
La Tour porte immédiatement son attention sur e6.
19...Dc8 20.Cd2 Cf8 21.Ce4

173
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Les Blancs se concentrent maintenant sur f6, car e6 a été correctement défendu.
21...Dd8 22.h4
Les Blancs gagnent cette partie car ils disposent de quatre cibles d'attaque contre
une seule pour les Noirs (le pion d4). Le fait que le Roi noir soit plus vulnérable
que son collègue blanc joue également un rôle dans le résultat final. Les coups res­
tants montrent comment les Blancs exploitent lentement tous ces facteurs :
22...Tc7 23.Db3 Tg7 24.g3 Ta7 25.Fc4 Ta5 26.Cc3 Cxc3 27.Dxc3 Rtï 28.De3
Dd6 29.De4 Ta4 30.Db7+ Rg6 31.Dc8 Db4 32.Tcl De7 33.Fd3+ Rh6 34.Tc7
Tal + 35.Rh2 Dd6 36.Dxf8+!
Face à 36... Dxf8 37.Txh7 mat, les Noirs abandonnent.

Il doit être clair, maintenant, qu'abandonner trop d'espace à l'adversaire permet


à ce dernier de vous étrangler. Vous devez réagir au premier signe de manque
d'espace et tenter de vous emparer de la portion de territoire qui vous revient.

DIAGRAMME 98. Trait aux Noirs


Lobron-Seirawan
Olympiades de Lucerne, 1982

Voici comment j'ai lutté pour l'espace dans l'une de mes parties. On constate
au diagramme 98 que les Blancs disposent de plus d'espace au centre mais que
je jouis d'un meilleur contrôle territorial sur l'aile-Dame. Cela dit, est-ce une rai­
son pour laisser les mains libres au centre à mon adversaire ? Certainement pas !

174
CHAPITRE 8: L'avantage d'espace

l...c5!
Ce coup conteste l'hégémonie blanche au centre tout en accroissant l'influence
territoriale noire sur l'aile-Dame.
2.c3 e5!
Stoppant net l'activité centrale blanche. Maintenant 3.d5, qui gagne un peu
d'espace pour les Blancs, est sans doute le meilleur mais ce coup ferme le cen­
tre et empêche tout jeu blanc dans ce secteur.
3.dxe5? dxe5
L'espace est maintenant équilibré au centre et je possède toujours mon avan­
tage territorial sur l'aile-Dame, qui me donne une meilleure position.
4.0-0 c4!
J'admets être glouton ! J'adore me saisir de tout avantage d'espace que l'adver­
saire veut bien concéder.
5.Fc2 Fb7 6.Dd2 TeS 7.Tadl De7
Ce coup est utile à un double titre : il éloigne ma Dame de l'inconfortable
colonne« d »et prend le contrôle de c5, où je pourrai placer mon Cavalier pour
accroître ma pression sur e4 et d3.
8.Fh6 CeS 9.Fxg7 Rxg7 1 0.De3 h6
Avant de poursuivre le jeu au centre et sur l'aile-Dame, je contrôle toutes les
cases entourant mon Roi. Maintenant f5, g5 et h5 sont hors de portée des forces
blanches.
ll.T d2 Tad8 12.Tfdl Txd2 13.Txd2 Dc7 14.Ch4
Les Blancs menacent de sacrifier une pièce par 15.Chf5+ gxf5 16.Cxf5+ suivi
de Dxh6, mettant mon Roi à nu !
14...R h7
Maintenant Chf5 ne fera plus échec, et j'aurai le temps de capturer le premier
intrus puis de défendre mon pion« h »par ... Cg8.
15.Cf3 Ce6
Mon Cavalier vise f4, et ce coup me permet aussi d'échanger les Dames par
... Dc5. Je n'ai rien contre l'échange de Dames car la seule chance de contre-jeu
blanche est sur l'aile-Roi. Sans les Dames, les chances d'attaque victorieuse
contre mon Roi sont pratiquement inexistantes.

175
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

16.a4 Rg7 17.Tdl Dc5 18.Dxc5 Cxc5 19.axb5 axb5 20.Td6 Ccd7!
Ne tombant pas dans le piège 20...Ccxe4? 2 l .Cxe4 Fxe4 22.Fxe4 Cxe4
23.Tb6! Td8 24.Txb5 Td l+ 25.Rh2, qui mène à l'égalité. Enjouant 20 ...Ccd7,
je donne un soutien supplémentaire à mon pion« e » et empêche la Tour blan­
che d'accéder à b6.
21.Rfl TaS
Ma Tour se prépare à pénétrer dans la position blanche par l'intermédiaire de
la colonne« a ».
22.Tdl Ta2 23.Tbl CeS
J'exerce une pression sur e4 (grâce à laquelle mes forces en b7 et f6 sont en
attaque et les pièces adverses en c2 et g3 sont en défense) et sur b2 (grâce à mon
avantage d'espace sur cette aile) et finirai par remporter la partie au bout d'un
long combat.

TEST 21. C'est aux Blancs de jouer. Ils ont clairement plus d'espace sur l'aile­
Dame mais les Noirs s'apprêtent à revendiquer leur part de territoire par ... f7-f5.
Les Blancs doivent-ils aussi tenter de s'emparer de l'aile-Roi enjouant l .f2-f4 ?

TEST 21.

La domination du centre par des pions


La possession d'un puissant centre de pions peut s'avérer une arme puissante
dans les mains d'un joueur sachant s'en servir. Un tel centre tient l'espace et ôte
des cases cruciales aux pièces ennemies. Les bonsjoueurs tentent donc souvent

176
CHAPITRE 8 : L'avantage d'espace

d'appliquer cette stratégie :

Rendez votre centre imprenable et il finira par étrangler l'adversaire.

Voyons quelques exemples.


Au diagramme 99, les pions blancs en d4 et e4 forment un centre de pions
absolu. Ils ôtent les cases e5 et d5 aux pièces noires, empêchent le Fou adverse
de cases blanches d'utiliser f5 et bloquent l'autre Fou situé en b6. Les Blancs ne
sont pas pressés d'avancer ces pions car ce faisant ils abandonneraient immédia­
tement le contrôle de diverses cases. Ainsi e4-e5 affaiblirait l'emprise sur d5 et
f5, et d4-d5 activerait le Fou adverse de cases noires tout en abandonnant le
contrôle de e5.
La stratégie blanche correcte, dans cette position, consiste à rendre le centre
imprenable. Les pièces noires ne peuvent alors rien faire, à part ruminer en
silence sur leur propre impuissance. Les Blancs prépareront une avance à loisir,
ne poussant leurs pions qu'au moment le plus propice. Des coups tels que Tadl
et Tfe 1 sont possibles, et le plan plus agressif Cd2 suivi de f2-f4 est également
extrêmement fort.
Notez que c'est aux Noirs de jouer, mais que cette circonstance ne leur apporte
aucune joie particulière, car ils ne peuvent rien entreprendre d'utile. Le centre blanc
est aussi solide que le roc et ne peut être mis à mal par l'armée noire impuissante.

DIAGRAMME 99. Trait aux Noirs DIAGRAMME 100. Trait aux Blancs
Seirawan-Shirazi
Championnat U.S., 1992

177
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Au diagramme 100, je possède un autre type de centre. Mes pions en c4 et e4


ne peuvent être qualifiés de centre de pions absolu mais me donnent quand
même un net avantage d'espace au centre. Résultat, les pièces noires ont du mal
à trouver de bons emplacements tandis que leurs homologues blanches n'ont
aucun mal à s'installer sur des cases favorables.
l.Cd5 Fh6 2.f4 e5
Les Noirs tentent désespérément de faire preuve d'activité, mais ce faisant par­
viennent seulement à affaiblir la case d5 et le pion d6. Meilleur était 2...Ce5,
avec une partie difficile.
3.Fxg4 Fxg4 4.Fe3 Fg7 5.f5!
Ce fort coup gagne du terrain à l'aile-Roi et emmure le Fou adverse en g7.
5... g5 6.a4!
Je compte percer au centre un jour ou l'autre (le pion faible en d6 m'attire irré­
sistiblement !), mais je veux d'abord me saisir d'espace sur les deux ailes. Cette
stratégie gloutonne est logique. Après tout, si j'ai tout l'espace sur l'aile-Roi, au
centre et sur l'aile-Dame, que restera-t-il aux Noirs ? Rien ! Quand c'est possi­
ble, j'adore réduire mon adversaire à l'impuissance totale.
6...Fh5 7.a5
En avant ! Je veux tout le territoire.
7...Tti
Les Noirs ne peuvent rien attaquer et n'ont nul endroit où aller avec leurs piè­
ces, ce qui me permet de prendre tout mon temps pour les étrangler lentement,
jusqu'à l'agonie finale.
8.b3 Td7 9.Df2
Je menace de prendre en a7. Les Noirs, s'ils jouent 9 .a6?, me donnent accès
. .

à la case b6 et perdent la qualité après 1 O.Cb6.


9...Db8 10.Cc3 Fe8 ll.Cb5
Le Cavalier faisait joli en d5, mais ici il attaque à la fois a7 et d6.
ll...b6
Le coup apparemment naturel 11...a6 affaiblit b6 et me permet de bondir sur
cette case par 12.Cc3, 13.Ca4 (ou 13.Cd5) et 14.Cb6, après quoi toutes les piè-'
ces noires semblent totalement pathétiques.

178
CHAPITRE 8: L'avantage d'espace

12.axb6 axb6 13.Dd2!


Évitant 13.Fxb6? Txa l 14.Txa l Tb7, avec une attaque à la découverte sur le
Cavalier b5 par le Fou e8. Cette capture prématurée permet des échanges ne fai­
sant qu'aider des Noirs en manque d'espace.
13...Ftï 14.Dd3 Txa1 15.Txal Ff8
Les pièces noires sont blotties sur la dernière rangée, mais percer et gagner la
partie n'est pas si simple. Je continue à prendre mon temps et pénêtre dans la
position adverse lentement mais très sûrement, en faisant tout pour éviter de don­
ner l'ombre du moindre contre-jeu aux Noirs. Ma stratégie est ici la suivante :
Si votre adversaire est impuissant, faites en sorte qu'il le reste !
16.Dd2 T b7 17.h4 h6 18.Cc3 Fe7 19.Ta6
Notez comment je me concentre sur les cibles b6 et d6.
19...Rg7 20.Da2 Dc7 21 .Da4 d5
Appuyant sur le bouton« panique >>. Je menaçais de gagner le pion« b »par
Db5 et Ca4. Les Noirs préfèrent donner eux-mêmes un pion, dans des circons­
tances de leur choix, et tentent de se créer des possibilités de contre-jeu.
22.Cb5 Dd7 23.cxd5 Fe8 24.Ca7
Le joueur qui a plus d'espace évite généralement les échanges mais celui qui
a l'avantage matériel les recherche au contraire ! Je vois ici une finale gagnante
et considère tout échange comme le bienvenu.
24...Dxa4 25.bxa4 b5 26.axb5 Fxb5 27.Cxb5 Txb5 28.d6 F d8 29. TaS
Fb6 30.Fxb6 Txb6 31.d7 et les Noirs rendent leur tablier.

Il arrive parfois que chaque camp prépare une poussée centrale. Le timing est
alors critique : ne vous laissez jamais distraire de votre objectif par l'adversaire,
car vous n'atteindrez jamais votre but s'il y parvient ! Voici un exemple.

179
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 101. Trait aux Noirs


Abrahamson-Ashe
Los Angeles, 1994

Confrontés à la position du diagramme 101, la plupart des joueurs commence­


raient immédiatement à se faire du mouron à cause de la menace blanche Fxd5.
Mais, au lieu de réagir à une menace, commencez par réfléchir aux nécessités
stratégiques de la position. Vous ne tiendrez compte de ses particularités tacti­
ques qu'ensuite. Les Blancs menacent de prendre en d5 par Fxd5. Comment les
Noirs doivent-ils réagir ? Commencons par jeter un coup d'œil à la suite de la
partie:
l...c4 2.Dc2 h6 3.Fh4 Cf5 4.Fg3 Cxg3 5.hxg3
Les Blancs menacent maintenant 6.Cbxc4.
5...Tb8 6.e4!
Et les Blancs se saisissent de l'initiative au centre.
Que pensez-vous de ces coups? Les deux camps ont-il bien joué et leurs plans
réciproques ont-ils été couronnés de succès?
Le fait est que les Noirs ont plutôt mal joué. Leur plan doit se fonder sur la
conquête d'espace central par ... e7-e5 (un coup qui contribue aussi à affaiblir la
diagoale a 1-h8 au bénéfice de leur Fou de cases noires, sans même évoquer l'ou1
verture pour leurs Tours de la colonne semi-ouverte « e » ). Ce plan a-t-il été

180
CHAPITRE 8: L'avantage d'espace

mené à bien ? Pas le moins du monde ! Au lieu de s'en faire pour la menace
Fxd5, les Noirs auraient dû travailler plus dur pour faire passer la poussée ...e7-
e5 du rêve à la réalité. Voici l'analyse de la partie :
l. ..c4?!
Ce coup pare la menace Fxd5, mais diminue aussi la pression sur d4. N'oubliez
pas : l'un des buts de ...e7-e5 est d'activer le Fou de cases noires. Placer des
pions en c5 et e5 remplit cet objectif en attaquant directement d4. Le seul pion
e5, quoique très sympathique, ne fait pas tout à fait le même effet.
Au lieu de l ...c4, je préfère plutôt l ...h6 2.Fh4 Cf5 3.Fg3 Cxg3 4.hxg3 e6,
donnant aux Noirs la paire de Fous et une structure de pions très souple favori­
sant les Fous. Si les Blancs préfèrent opter pour la suite 2.Ff4 e5 3.dxe5, les
Noirs jouent 3...c4 suivi de 4...Cxe5. Ici ils n'ont rien contre ce coup car les
Blancs ont déjà pris en e5, abandonnant leur point fort d4 et activant le Fou noir
situé en g7.
2.Dc2 h6 3.Fh4 Cf5 4.Fg3 Cxg3 5.hxg3 Tb8?
Une fois encore les Noirs réagissent à une menace sans se demander si elle est
réelle ou imaginaire, et sans chercher à faire prévaloir leur propre plan. Mais
cette fois leur réponse passive aura des conséquences fâcheuses. Ils auraient dû
jouer 6...e5! et s'emparer eux-mêmes du centre. Alors 7.Cbxc4 e4 8.Cd6 exf3
9.Cxb7 Dc7 gagne une pièce pour les Noirs tandis que 7.dxe5 Cxe5 leur donne
une position supérieure. Gardez en tête que :

Quand vous commencez à oublier vos propres plans pour répondre aux mena­
ces ennemies, la défaite n'est jamais très loin.
6.e4
Par ce coup (l'image miroir de celui que les Noirs voulaient si désespérément
jouer), les Blancs s'emparent d'espace au centre et prennent le contrôle du jeu.
Après 6...e6 7.e5 (gagnant encore plus d'espace central), la position fermée défa­
vorise les Fous noirs. La stratégie des Noirs a complètement échoué ! Ils n'ont
jamais eu l'espace central auquel ils aspiraient (via ... e7-e5) et, d'un avantage
potentiel, leur paire de Fous s'est transformée en un réel fardeau.

181
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

La défense contre un centre de pions


Les pions centraux sont-ils vraiment si forts ? On le pensait dans les années
1800 et dans la première partie du 20ème siècle. Puis une pensée plus moderne
a vu le jour, affirmant qu'on pouvait parfois tenir un centre de pions pour une
faiblesse. Cette opinion a donné naissance à une stratégie nouvelle :

Si votre adversaire insiste pour bâtir un large centre de pions, focalisez tous
vos pions et pièces sur ce dernier pour le détruire.
Les Blancs ont par exemple un centre de pion absolu après l .d4 Cf6 2.c4 g6
3.Cc3 d5 4.cxd5 Cxd5 5.e4 Cxc3 6.bxc3. Pourquoi les Noirs ont-il ainsi permis
au Blancs de s'emparer du centre?
Les coups noirs, connus sous le nom de défense Grünfeld, sont très populaires
ce qui veut dire qu'il y a forcément une logique dans leur folie. Les Noirs per­
mettent aux Blancs de bâtir un centre de pions impressionnant car ils comptent
l'attaquer et démontrer qu'il constitue en fait une cible ! Pour faire valoir leur
point de vue, ils doivent viser le centre et l'assaillir avec toutes leurs forces.
6...Fg7
Les Noirs visent la case d4 et se préparent à roquer. N'oubliez jamais de met­
tre votre Roi en sûreté.
7.Fc4 0-0 8.Ce2 cS
Les Noirs ont maintenant trois pièces attaquant d4.
9.0-0
Les Blancs évitent 9.d5, qui abandonne le contrôle de la case e5 et ouvre la
diagonals a l -h8 au Fou adverse de cases noires.
9...Cc6
Les Noirs rameutent des forces supplémentaires contre d4 !
10.Fe3
Les Blancs réagissent en défendant ce pion avec absolument tout ce qu'ils ont
à disposition.
10...Dc7
Les Noirs menacent d'attaques à la découverte (par ...cxd4) contre le Fou c4
non protégé.

182
CHAPITRE 8: L'avantage d'espace

ll.Tcl
Après l l ...cxd4 12.cxd4, le Fou est maintenant bien défendu.
ll .Td8
..

La bataille contre d4 semble ne jamais prendre fin !


12.h3
De nombreux joueurs préfèrent continuer en surprotégeant d4 par 12.Dd2
suivi de 13.Tfd l . Notez que l'immédiat 12.f4? est une faute à cause de 12...Fg4,
suivi de la suppression d'un défenseur crucial de d4.
12... b6 13.f4 CaS 14.Fd3 f5!
Si maintenant les Blancs jouent faiblement 15.e5, les Noirs transforment ce
qui était un centre blanc puissant en une vague chose ressemblant pas mal à un
toit qui fuit, par ...c4, ...e6, ...Fb7 et ...Fd5, comme illustré au diagramme 102.
Cette position favorise les Noirs qui sont parvenus à forcer l'avance des pions
blancs, laquelle laisse toutes les cases blanches vulnérables à une occupation par
les forces noires. Souvenez-vous que :

L'idée d'un centre de pions est d'ôter les meilleures cases centrales aux pièces
ennemies.

Assez curieusement, les pions blancs gênent maintenant leur propre armée. Le
Fou e3 est emmuré, le Cavalier est enfermé par les pions f4 et d4 et les Tours
n'ont aucune activité. Maintenant que les Blancs sont réduits à l'impuissance
(leur avantage territorial central a été neutralisé), les Noirs profitent de leur
avantage d'espace sur l'aile-Dame (et de leur majorité de pions sur cette aile) en
jouant ...Cc6, ...b5, ...a5 et ...b4.

183
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 102. DIAGRAMME 103. Trait aux Noirs


Yermolinsky-Seirawan
Championnat U.S., 1992

L'exemple suivant, qui provient d'une de mes parties, montre une fois de plus
à quel point il est important d'attaquer le centre de pions avant qu'il ne vous
étouffe. Au diagramme 103, le pion e5 donne un avantage d'espace aux Blancs.
Mais au lieu d'être impressionné par ce centre, j'essaie au contraire de prouver
qu'il est faible en l'attaquant à sa base, le pion d4.
l Fe4!
...

Pour placer toutes mes pièces sur des cases où elles attaquent d4. Mon Fou
peut supprimer le Cavalier qui défend ce pion, mon Cavalier e7 se rendra en f5
et ma Dame en b6.
2.Cbd2 Cf5 3.b4
Les Blancs prennent de l'espace sur l'aile-Dame et s'apprêtent à défendre le
pion d4 par Fb2.
3... a5
Je lutte contre la supériorité territoriale de mon adversaire au centre et n'ai
donc pas l'intention de le laisser prendre aussi de l'espace sur l'aile-Dame !
J'évite 3 . Ccxd4 car ce coup ouvre le centre (ce qui n'est jamais une bonne idée
..

quand son Roi réside encore dans les parages !) et mènerait à 4.Cxd4 Cxd4

184
CHAPITRE 8 : L'avantage d'espace

5.Cxe4 dxe4 6.Da4+ Cc6 (6...Dd7?? 7.Dxd7+ Rxd7 8.Td l gagne le Cavalier)
7.Tdl, après quoi je risque d'être débordé. Par exemple 7...Dc7?? 8.b5 Cxe5
9.b6+ Dc6 10.Fb5 et la liste des dommages débute par la perte de ma Dame.
4.bxa5
Maintenant 4.b5? Ccxd4 5.Cxd4 Cxd4 6.Cxe4 dxe4 7.Fe3 Fc5 me va parfai­
tement car les Blancs n'ont plus d'échec sur la diagonale a4-e8.
4...Dxa5
J'ai une bonne position. Mes pièces sont actives, le pion blanc en d4 constitue
une cible et le pion adverse a3 a également besoin de soutien. Le prochain coup
des Blancs, qui vise à simplifier la position, est faible.
5.g4? Cfxd4 6.Cxd4 Cxd4 7.Cxe4 Cxe2+ 8.Dxe2 dxe4 9.Dxe4 Fc5!
Le Roi des Blancs est un peu dans les courants d'air maintenant, leur pion « g >>

est trop avancé et les autres pions en a3 et e5 constituent également des cibles
potentielles. Il me suffit de roquer pour prendre l'avantage. Jouer 9...Fc5 sacri­
fie un pion mais me donne le temps de placer mon monarque en sûreté.
L'initiative est maintenant totalement mienne.
10.Dxb7 0-0 ll.De4 Dc3 12.Ta2 Db3!
Mes menaces, ...Dxa2 et ...Ta4, garantissent au moins la récupération du pion
sacrifié. La partie s'est finalement achevée par la nullité, mais seul le pion faible
en e5 rappelle maintenant le centre blanc autrefois si imposant et conquérant.

TEST22.

TEST 22. Trait aux Blancs. Ils ont davantage d'espace que leur adversaire au
centre. Doivent-ils conquérir plus de territoire encore par l .d5?

185
CHAPITRE 9

L'Attaque sur le Roi

Trouver un chapitre sur l'attaque sur le Roi dans un livre qui traite de stratégie
vous semblera peut-être curieux. La décision d'attaquer, sur une zone ou l'autre
de l'échiquier, est néanmoins stratégique. Si la situation exige une attaque sur le
Roi adverse, cela devient la suite stratégique correcte dans cette position. Ce
type de décision stratégique n'est pas une question de goût personnel ou de style.
Quand l'échiquier intime de jouer pour le scalp du monarque ennemi, vous
devez obéir.
Un mot d'avertissement maintenant: si toutes les conditions sont réunies pour
une attaque sur l'aile-Roi et que vous décidiez d'attaquer le monarque adverse à
la jugulaire, il n'est pas nécessaire pour autant de « mater ou périr ». Cela peut
arriver, mais une attaque sur l'aile-Roi n'implique pas forcément de jouer son va­
tout. Vous devez demeurer souple. Si votre attaque vous rapporte un pion, pen­
sez à échanger les pièces et à rentrer dans une finale gagnante grâce à votre
avantage matériel. Si vous infligez des faiblesses à la structure de pions de votre
adversaire lors de l'assaut, n'hésitez pas à changer de stratégie et à profiter de
vos avantages positionnels en visant et détruisant les cibles ainsi créées. Une

186
CHAPITRE 9: L'attaque sur le roi

attaque sur le Roi peut mener au mat mais procure parfois des avantages très dif­
férents, que vous devez accepter d'exploiter.
Un autre conseil : prêtez attention au contre-jeu central. L'un des meilleurs
principes stratégiques aux échecs, que tout défenseur doit suivre religieusement
et que tout attaquant doit surveiller attentivement, dit que :

La meilleure réaction à une attaque sur l'aile est une contre-attaque au centre.

Créer les conditions d'une attaque sur le Roi


Lancer ou non une attaque sur le Roi adverse ne doit pas être une décision
émotionnelle. Cela n'a rien à voir avec une attitude macho, et ne doit pas venir
du simple fait que vous aimez attaquer. Un joueur s'en prend au monarque
ennemi seulement quand certaines conditions lui indiquent que c'est la stratégie
correcte à suivre. Quelles conditions ? La liste ci-dessous répertorie les quatre
principales, celles dont la présence permet de décider d'une attaque sur le Roi.
Cette liste n'est pas complète car de nombreux facteurs moins importants peu­
vent s'ajouter pour offrir plus de chances d'attaque victorieuse, mais elle donne
une idée du type d'avantage susceptible de se transformer en attaque sur le Roi.
• Si vous avez un avantage d'espace au voisinage du Roi ennemi, vous jouerez
normalement sur ce secteur.
• Si plusieurs de vos pièces sont proches du monarque adverse et que ses
défenseurs sont peu nombreux ou éloignés (en d'autres termes, vos forces sont
supérieures), votre offensive royale a sans doute d'excellentes chances de suc­
cès.
• Si la structure de pions entourant le Roi ennemi a volé en éclats ou présente
des faiblesses quelconques, vous pouvez envisager une attaque si l'une des
conditions précédentes existe aussi (si le Roi est dans les courants d'air mais que
vous n'avez pas de pièces sur cette partie de l'échiquier, avec quoi le materez­
vous?).
• Si vous avez un avantage de développement important, vous devez en profi­
ter avant que votre adversaire ne rattrape son retard et que cet avantage ne s'es­
tompe. Une avance en développement est un signal d'attaque !

187
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

L'une des situations d'attaque les plus fréquentes se produit quand les deux
Rois ont roqué sur des ailes opposées. Pousser les pions protégeant votre Roi
peut être dangereux car cela affaiblit sa protection. C'est pour cela qu'on cher­
che généralement du jeu sur la partie de l'échiquier opposée à celle où l'on a
roqué. Dans ce secteur on peut en effet pousser ses pions tout son saoul, pour
gagner de l'espace et ouvrir des colonnes à ses Tours, sans pour autant porter
atteinte à la protection que les pions du roque apportent à leur Roi.
Les parties où les deux joueurs placent leur Roi directement sur le chemin de
l'attaque adverse ne sont pas très fréquentes ! Ici, nul besoin de plan subtil ! On
voit habituellement une frénésie sanguinaire rappelant les bassins de requins à
l'heure où l'on distribue la nourriture. Chaque joueur fait son possible pour mater
le monarque ennemi avant que son propre Roi ne succombe. Dans ces circons­
tances, on peut ajouter une cinquième condition à la liste :
• Quand les deux camps jouent pour le mat, le temps- ou tempo- devient plus
important que le matériel ou la force.
Voyons un exemple d'attaque par chaque camp. La position du diagramme 104
est très populaire dans le circuit international et aux États-Unis : elle apparaît
après l .e4 c5 2.Cf3 d6 3.d4 cxd4 4.Cxd4 Cf6 5.Cc3 g6 6.Fe3 Fg7 7.f3 Cc6
8.Dd2 0-0 9.Fc4 Fd7 10.h4 TacS 11.Fb3 Ce5 12.0-0-0 Cc4 13.Fxc4 Txc4. Les
Rois ont roqué sur des ailes opposées : celui des Blancs se trouve sur la colonne
« c » semi-ouverte, tandis que celui des Noirs n'est pas encore sur une colonne
ouverte, mais les Blancs feront leur possible pour en créer une à son voisinage.

188
CHAPITRE 9: L'attaque sur le roi

DIAGRAMME 104. Trait aux Blancs


Karpov-Korchnoi
Moscou, 1974

14.h5!
Les Blancs sacrifient un pion pour accélérer leur propre attaque. Saisir que le
temps est l'essence de cette position est très important. Si l'un des camps joue de
façon passive ou perd un coup, l'adversaire fera progresser son attaque et finira
par l'emporter.
14 .•. Cxh5
Les Noirs gagnent un pion mais permettent aux Blancs d'ouvrir la colonne
« h »(facilitant l'attaque des Tours blanches) sans perte de temps. Cette transac­
tion accélère l'attaque blanche mais donne un léger avantage matériel aux Noirs.
À quoi peut donc servir un avantage matériel dans ce type de situation ? À rien
si l'on en vient au mat, mais ce pion supplémentaire offre aux Noirs deux possi­
bilités qu'ils n'avaient pas auparavant :
• Ils gagneront très certainement n'importe quel type de finale grâce à ce pion
de plus, ce qui veut dire que les Blancs ne peuvent échanger les pièces sans y
réfléchir à deux fois.
• Ils peuvent sacrifier un pion pour stopper l'attaque adverse sans pour autant
se retrouver en désavantage matériel.

189
STRATÉGIES GAGNAN TES AUX ÉCHECS

Considéré ainsi, le pion de plus tient un peu le rôle du ballast dans les ballons
ascensionnels : on peut s'en débarrasser dès qu'on sent que l'on commence à
plonger.
15.g4
Les Blancs forcent encore les Noirs à parer ce coup.
15...Cf6 16.Cde2!
Les Blancs font subitement retraite avec leur Cavalier alors qu'ils sont en
pleine attaque ! Pourquoi un coup aussi étrange ? La première partie de la
réponse a trait à la défense. Les Blancs savent que, dès qu'ils bougeront leur
Dame, les Noirs sacrifieront la qualité par ...Txc3. La Dame ne pouvant repren­
dre en c3, la prise bxc3 est forcée, ce qui laisse leur Roi plutôt exposé. Jouer
16.Cde2 défend donc préventivement le Cavalier c3, permettant à la Dame blan­
che de se rendre sur l'aile-Roi. La seconde raison, c'est pour l'attaque, qui est
l'objectif réel des Blancs : ils sont impatients de jouer Fh6 pour se débarrasser
du Fou g7, qui est le meilleur défenseur du Roi noir (ce Fou de cases noires est
aussi un remarquable attaquant !). Hélas l'immédiat 16.Fh6 éloigne un défenseur
de d4 et se heurte à 16... Cxe4! 17.Cxe4 Txd4. Jouer 16.Cde2 prépare donc éga­
lement l'important coup Fh6.
16...Da5
Ce coup d'attaque a perdu sa popularité après cette partie, et les joueurs don­
nent maintenant la préférence au mouvement défensif 16...Te8, pour répondre à
17.Fh6 par 17...Fh8, conservant l'important Fou de cases noires.
17.Fh6 Fxh6 18.Dxh6 Tfc8
Les Noirs accumulent des forces importantes sur la colonne « c ». Il peuvent
même envisager un double sacrifice de qualité par 19 ...Txc3 20.Cxc3 Txc3. Le
prochain coup blanc élimine radicalement toute possibilité de tester la correc­
tion de cette idée.
19.Td3! T4c5 20.g5!
Les Blancs éloignent la Tour adverse de la colonne « c )). Ce deuxième sacri­
fice de pion offre le temps dont ils ont besoin pour percer avec leur attaque.
20...Txg5 21.Td5!
Les Blancs peuvent mater leur adversaire s'ils parviennent à se débarrasser du

190
CHAPITRE 9: L'attaque sur le roi

Cavalier défensif f6. La tentative évidente 2 l .Cd5 (réfutant 21...Cxd5?? par


22.Dxh7+ Rf8 23.Dh8 mat) ne va pas car les Noirs joueraient alors 21...Txd5!
(conservant leur Cavalier en défense) 22.Txd5 Dxa2, avec une forte attaque.
L'idée de 2 l .Td5 est d'éliminer la Tour g5 pour éviter qu'elle ne se sacrifie en
d5. Le Cavalier blanc pourra alors bondir en d5 et s'échanger contre le trouble­
fête f6.
21...Txd5 22.Cxd5 TeS
Les Blancs menaçaient de gagner immédiatement par 23.Cxe7+ suivi de
24.Cxc8.
23.C 2f4
Les Blancs utilisent la stratégie que je vous ressasse tout au long de ce livre :
n'attaquez pas avec une ou deux pièces seulement ! Utilisez toutes vos forces.
Par 23.C2f4, les Blancs font participer leur dernière pièce disponible à l'attaque
contre le Roi noir. Notez que 23.Cxf6+ exf6 24.Dxh7+ Rf8 25.Dh8+ Re7 per­
met au Roi noir de s'enfuir.
23...Fc6
Les Blancs comptent jouer 24.Cxf6+ exf6 25.Cd5, qui contrôle la case de fuite
du Roi en e7 et crée la menace imparable Dxh7+ suivi de Dh8 mat. Après
23...Fc6, cependant, 24.Cxf6+ exf6 25.Cd5 est calmement paré par 25...Fxd5
(sur 23 ...Fe6-un coup basé sur la même idée que 23...Fc6-les Blancs comp­
taient jouer 24.Cxe6 fxe6 25.Cxf6+ exf6 26.Dxh7+ Rf8 27.Dxb7 Dg5+ 28.Rbl
Te7 29.Db8+ Te8 30.Dxa7 Te7 31.Db8+ Te8 32. Dxd6, qui gagne tous les pions
noirs de l'aile-Dame et donne une finale gagnante, comme celle dont les Noirs
pouvaient se glorifier un peu plus tôt - voir la note accompagnant le coup
... Cxh5.)
24.e5!
- Une vraie surprise, qui montre que les Blancs jouent pour le knock-out.
Maintenant 24 ...Cxd5 est toujours paré par 25.Dxh7+ et 26.Dh8 mat (nous ver­
rons dans une minute comment les Blancs gèrent 24 ...Fxd5). Quel intérêt pré­
sente donc 24.e5, et comment les Blancs comptent-ils réagir à 24...dxe5 ? La
pointe de ce troisième sacrifice de pion est qu'il ferme la cinquième rangée.
Après 24...dxe5, la Dame noire ne contrôle plus g5 et h5, permettant aux Blancs

191
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

de jouer 25.Cxf6+ exf6 26.Ch5! gxh5 27.Tg1+ et mat au coup suivant. Si les
Blancs tentent cette suite sans jouer d'abord le coup intermédiaire 24.e5!, les
Noirs s'en sortent par 24.Cxf6+ exf6 25.Ch5 Dg5+, échangeant les Dames et
rentrant dans une finale tenable, bien qu'avec la qualité en moins, par 26.Dxg5
fx.g5 27.Cf6+ Rf8 28.Cxe8 Rxe8, espérant la nulle.
24...Fxd5 25.exf6 exf6 26.Dxh7+
Le coup apparemment fort 26.Ch5?? perd en fait après 26...Te1+, suivi de mat !
26...Rf8 27.Dh8+
Les Noirs, qui ne tiennent pas à voir la suite 27... Re7 28.Cxd5+ Dxd5
29.Te1+, abandonnent.
Le roque sur des ailes opposées rend la décision d'attaquer relativement évi­
dente. Dans la partie Karpov-Korchnoi, on a vu les deux camps tenter de dyna­
miter la couverture de pions protégeant le Roi adverse. Les Blancs ont pris des
précautions et évité ce sort, alors que les Noirs se sont désunis quand leurs pions
de l'aile-Roi sont tombés au combat. Les trois autres conditions dont il faut véri­
fier l'existence, comme je l'ai dit au début de ce chapitre, sont l'espace sur l'aile­
Roi, le nombre de pièces visant le Roi adverse (supériorité en force) et l'avance
en développement. Voyons-en des exemples.

L'avantage d'espace sur l'aile-Roi


Au diagramme 105, les Noirs ont plus d'espace sur l'aile-Roi tandis que les Blancs
contrôlent davantage de territoire sur l'aile-Dame. Le centre étant totalement blo­
qué (ce qui signifie que personne ne peut jouer dans cette zone), les deux camps
doivent trouver du jeu sur le secteur de l'échiquier où ils disposent de plus d'es­
pace. Leurs stratégies respectives sont donc évidentes : les Blancs joueront sur
l'aile-Dame et tenteront de s'ouvrir des lignes d'attaque par cxd6, Tc1 et Cb5, tan­
dis que les Noirs joueront sur l'aile-Roi et essayeront d'ouvrir une colonne à leurs
Tours pour participer au combat. La seule façon d'y arriver pour les Noirs consiste
àjouer...g6-g5-g4. Ils prépareront cette poussée par ...g5, ...h5, ...Tf7, ...Ff8 (des
coups à la fois défensifs et offensifs - la Tour empêche l'entrée des Blancs en c7
et s'apprête à se rendre en g7, tandis que le Fou défend d6 et cède la place à la
Tour), ...T g7 et pour finir ...g4. Le plan de combat des deux camps est donc clair.

192
CHAPITRE 9: L'attaque sur le roi

DIAGRAMME 105. Trait aux Noirs

Des forces supérieures sur l'aile-Roi

Je suis très bien au diagramme 106, positionnellement parlant. Ma Dame atta­


que le pion faible a3 et je peux faire pression sur le pion c3 par ...Tac8. Hélas je
n'ai pas pris les préparatifs de mon adversaire sur l'aile-Roi suffisamment au
sérieux. Sa Dame, ses deux Tours, son Cavalier et son Fou visent tous mon Roi,
ce qui lui donne une supériorité de forces sur ce secteur. Il lui suffit maintenant
de trouver un moyen d'approcher ses pièces de mon Roi.

193
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 106. Trait aux Blancs


Adams-Seirawan
Wijk aan Zee, 1991

l.Cxg6!
Un joli coup qui ouvre le chemin de ma position. Cette attaque coûtera une
pièce ou deux aux Blancs, mais les bonnes choses sont rarement gratuites dans
la vie.
l... hxg6
Pire est l ...fxg6? 2.Txe6 Df7 3.Txe8+, suivi de 4.Fxf7+.
2.Th3 Ch5
La seule façon d'empêcher le mat immédiat.
3.Txh5!
Les Blancs ouvrent une nouvelle voie vers mon Roi sur la colonne « g ».

3... gxh5 4.TeS f6


Empêchant la Tour de se rendre sur la case g5.
5.Te3 h4
Ôtant la case g3 à la Tour. Je me débats comme un beau diable, mais à la lon­
gue suis condamné à perdre.
6.Dxh4 Rtï
Les Blancs peuvent maintenant en finir avec moi par 7.d5! Dxa3 (7...e5 8.d6+

194
CHAPITRE 9: L'attaque sur le roi

ramasse ma Dame) 8.dxe6+ Re7 9.Dh7+ Rd6 10.Dd7+ Rc5 l l .Dd4+ Rb5
12.c4+ et je perds ma Dame pour rien après 12...Ra4 13.Dd7+ Rb4 14.Dd6+.

L'avance de développement

J'ai une avance de développement considérable au diagramme 107, mais les


Noirs ont un pion de plus et espèrent en tirer parti après qu'ils auront roqué. Ma
situation est critique. Si je n'arrive pas à percer pour faire toucher terre aux
Noirs, ce pion de moins reviendra me hanter toute la partie. En d'autres termes,
je dois attaquer !

DIAGRAMME 107. Trait aux Blancs


Seirawan-Zarnicki
Buenos Aires, 1993

l.Txd6!
Comme j'ai déjà un pion de moins, donner encore un peu de bois ne me
dérange pas. En éliminant ce Fou, je me débarrasse du gardien des cases noires
adverses, ce qui me permet d'occuper e5 avec mon Cavalier et, du coup, de don­
ner vie à mon Fou g2.
l...Dxd6 2.Tdl
Je ne veux pas permettre aux Noirs de roquer, et les occupe donc avec des
menaces permanentes.

195
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

2...Dc7 3.Ff4
Attaquant la Dame et prenant possession de la case e5.
3...Db7 4.Ce5
Toute mon armée participe maintenant à l'attaque. Les Noirs ne peuvent tou­
jours pas roquer car ils doivent se défendre contre la menace 5.Fxc6, qui gagne
pas mal de matériel (peu m'importe de mater le joueur qui me fait face. Faire le
plein de matériel me suffit amplement).
4...Fd7
Les Noirs étant de nouveau prêts à roquer, je dois trouver une suite vigoureuse
sous peine de voir mon attaque capoter.
5.Txd7!
Enfin du grain à moudre ! Maintenant c6 tombe et je récupère tout mon maté­
riel - avec les dividendes !
5...Cxd7 6.Fxc6 Da6 7.Cxd7
Je prends un Cavalier gratis, ce qui nous met presque à égalité matérielle (bien
queje préfère normalement les trois pièces mineures aux deux Tours car cela me
donne trois unités attaquantes au lieu de deux). Je menace aussi de prendre la
Tour par Fxa8, de gagner la Dame par Cxc5+, et empêche les Noirs de roquer.
Les carottes sont cuites.
7...Dc8 8.Fa4
Je pourraisjouer 8.Fxa8 Dxa8 9.Ce5, mais mon adversaire aurait alors la pos­
sibilité de roquer. Dans ma tête, j'estimais mon Fou blanc supérieur à l'une ou
l'autre de ses Tours pathétiques. Pourquoi l'échanger contre une pièce non déve­
loppée quand je pouvais le conserver et continuer à harceler son Roi ?
8...Re7
Les Noirs n'ont pas d'autre moyen de parer la menace 9.Cxb6+.
9.Dd3
Refusant de consentir le moindre repos à ce pauvre bougre. Je menace main­
tenant 10.Dd6+ Re8 l l .Cf6, avec mat ! Notez que j'utilise absolument toutes
mes pièces.
9...f6 10.Dd6+ Rtï ll.Ce5+!
Les Noirs menaçaient de mettre leur Tour h8 enjeu via ...T d8. Je sacrifie donc

196
CHAPITRE 9: L'attaque sur le roi

une pièce pour éliminer les pions protégeant le Roi adverse et permettre à mon
Fou de cases blanches de se rendre en d7.
ll ...fxe5 12.Fd7 Dd8
Les Noirs perdent après 12 ...exf4 13.Dxe6+ Rf8 14.Fxc8.
13.Dxe6+ Rf8 14.Fxe5
La menace Fd6+ est trop difficile à parer.
14...g6 15.Ff6
Et les Noirs abandonnent. Pourquoi l'attaque blanche a-t-elle abouti ? Je sem­
blais. être en désavantage, à cause de mon pion de moins, mais disposais en fait
de plus d'unités de combat que mon adversaire grâce à mon avance en dévelop­
pement. Sur le plan dynamique, c'est moi qui pendant un bref instant avais l'avan­
tage matériel. Si les Noirs étaient parvenus à me tenir à distance, j'aurais bien
entendu fini par avoir des problèmes mais j'ai pu profiter du développement supé­
rieur de mes troupes grâce à un jeu énergique. Gardez toujours à l'esprit que :

Une avance en développement donne pour quelques coups un avantage maté­


riel dynamique, les pièces développées prenant part au jeu, contrairement aux
pièces adverses non développées. Si vous avez une avance en développement,
exploitez-la avant qu'elle ne s'évanouisse !

TEST 23.

TEST 23. C'est aux Blancs de jouer. Où doivent-ils chercher du jeu, sur la base
de quel raisonnement et par quelles voies doivent-ils parvenir à leurs fins?

197
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

L'attaque par nécessité


Il arrive que la lutte tourne en votre défaveur. Peut-être avez-vous un pion de
moins ou êtes-vous positionnellement moins bien sur l'aile-Dame (vous avez
des pions faibles, vous contrôlez moins d'espace, les Tours adverses menacent
d'envahir votre position, etc.). Que faire? Comme en boxe, regardez le menton
de l'adversaire (son Roi) et pesez de façon réaliste vos chances de le mettre
knock-out. Avez-vous une justification quelconque (le désespoir mis à part)
pour courir sus à son monarque? Avez-vous plus d'espace? Vos pièces visent­
elles précisément le secteur de l'échiquier où est situé le Roi ennemi ? Si vous
n'avez absolument aucun avantage, toute attaque est probablement vouée à
l'échec avant même de démarrer. Si vous avez en revanche certains avantages
sur l'aile-Roi et que la situation semble morose sur le reste de l'échiquier, pour­
quoi ne pas prendre votre chance en tentant de faire valoir la vigueur de votre
punch?
Ce type d'attaque de la dernière chance, outre le fait qu'elle a quelques justifi­
cations positionnelles, vous donne un avantage psychologique. Votre adversaire,
qui s'attendait à une victoire paisible, fait maintenant face à de désagréables
menaces contre son Roi. Soutiendra-t-il votre assaut calmement ou bien pani­
quera-t-il et, terrorisé, commettra-t-il la bourde fatale?
Quand vous attaquez par nécessité, vous n'êtes toutefois pas toujours déses­
péré. Il arrive fréquemment que votre adversaire ait certains avantages dans un
secteur tandis que vous en avez également dans une autre zone. Dans une telle
situation vous n'avez pas le choix : vous devez exploiter vos avantages ou per­
dre sans combattre. Vous devez jouer là où vous disposez d'avantages stratégi­
ques!

198
CHAPITRE 9 : L'attaque sur le roi

DIAGRAMME 108. Trait aux Noirs


Bobotsov-Petrossian
Lugano, 1968

Prenons en exemple la position du diagramme 108, qui survient après l.d4 Cf6
2.c4 e6 3.Cf3 d5 4.cxd5 exd5 5.Cc3 c6 6.Fg5 Fe7 7.Dc2 g6 8.e3 Ff5 9.Fd3 Fxd3
10.Dxd3 Cbd7 l l.Fh6 Cg4! 12.Ff4 0 -0 13.0-0 Te8 14.h3 Cgf6 15.Ce5 Cb6!
16.Fg5 Ce4 17 .Fxe7 Dxe7 18.Dc2 Cd6 19.Ca4 Cbc4 20 .Cxc4 Cxc4 2 l .Cc5
Cd6! 22.Tac l (un Gambit-Dame Refusé). Les Blancs, qui ont essayé de placer
une attaque de minorité (se reporter au chapitre sept pour plus de renseigne­
ments sur le sujet), se sont fait totalement dominer par les Noirs. L'échange des
Fous de cases blanches les a laissés avec une case c4 affaiblie, et b2-b4 (la façon
normale de jouer une attaque de minorité) permettrait au Cavalier noir de bon­
dir en c4 par ...Cc4. En outre ce Cavalier noir, actuellement en d6, est idéale­
ment placé. Il défend b7 et lorgne sur c4, e4, b5 et f5.
La vraie question tourne autour des plans respectifs des deux joueurs. Le jeu
des Blancs sur l'aile-Dame a été stoppé net, et il leur est difficile d'entreprendre
quoi que ce soit d'autre ailleurs. Le jeu des Noirs n'a pas encore commencé mais
leur chaîne de pions pointe vers l'aile-Roi et leurs pièces peuvent accourir très
rapidement sur cette aile. Les Noirs, s'ils veulent avoir une chance de gagner
cette partie, doivent entreprendre une attaque sur l'aile-Roi. Ils se peut qu'ils ne

199
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

parviennent pas à vaincre le Roi blanc mais ils forceront l'adversaire à des
concessions positionnelles quelconques (si les Blancs sont finalement contraints
de jouer f2-f3, par exemple, leur pion « e » se transformera en cible sur la
colonne « e » ouverte).
22...Dg5!
Le premier signe d'attaque. La Dame noire vise à la fois e3 et g2.
23.Ddl h5
Les Noirs comptent lancer une avalanche de pions sur l'aile-Roi (l'idée d'une
telle ruée est d'ouvrir des colonnes pour les Tours. Les Noirs finiront ici par
jouer ...g6- g5-g4.) Ce coup empêche également la Dame blanche de se rendre
en g4.
24.Rhl Te7 25.Cd3 Ce4 26.Cc5 Cd6
Les Noirs ne sont pas pressés, car les Blancs ne peuvent rien entreprendre,
mais veulent toutefois éviter les échanges car tout échange réduit leur armée et
par conséquent leur potentiel d'attaque.
27.Cd3 Df5 28.Ce5 f6 29.Cf3 T g7
Les Noirs sont maintenant prêts à jouer ...g6-g5-g4.
30.Ch2 TeS
Pourquoi ne pas mettre toutes les pièces en jeu avant d'attaquer ?
31.Rgl Ce4 32.Df3 De6
Les Noirs ne veulent en aucun cas échanger les Dames !
33.Tfdl g5!
L'attaque débute. Les Noirs sacrifient un pion pour ouvrir des lignes sur le Roi
blanc. Notez que les Noirs se soucient peu du fait que leur propre Roi est légè­
rement exposé car les Blancs n'ont pas suffisamment de forces sur l'aile-Roi
pour causer quelque dégât que ce soit.
34.Dxh5
Autant prendre le pion. Si les Blancs s'en abstiennent, les Noirs joueront ... g5-
g4 et ouvriront complètement la position du Roi blanc.
34...f5 35.Tel g4 36.hxg4 fxg4
Les Noirs ont un pion de moins mais chacune de leurs pièces est supérieure à
son homologue blanche. Leurs Tours ont une meilleure portée, leur Cavalier sur-

200
CHAPITRE 9: L'attaque sur le roi

classe largement le vieux canasson h2, et la Dame blanche, enfermée derrière les
lignes ennemies, devient une cible d'attaque pour l'armée noire tout entière.
37.f3 gxf3 38.Cxf3 Th7
Les Noirs ont changé de plan. Leur objectif était le Roi blanc, mais ils déci­
dent maintenant de pourchasser sa compagne !
39.De5 DeS 40.Df4 Tf8 41.De5 Tf5
La pauvre amazone n'a nul endroit où se réfugier, ce pourquoi les Blancs aban­
donnent.

DIAGRAMME 109. Trait aux Noirs


Seirawan-Lautier
Belgrade, 1991

Voici un autre exemple d'attaque par nécessité, tiré d'une de mes parties. Les
Noirs ont la paire de Fous au diagramme 109, mais cela ne m'effraye pas trop
car j'ai laissé le centre aussi fermé que possible. Je suis rentré dans cette posi­
tion en pensant qu'avec le centre fermé je parviendrai à jouer b2-b4 avec une
agréable attaque sur l'aile-Dame. J'aurais hélas dû me préoccuper davantage du
jeu de mon adversaire sur l'autre aile.
l. .Ce7
.

Cette simple petite retraite me réveille ! Les Noirs pourront ouvrir le centre
pour leurs Fous par ...c7-c5 en cas de besoin, et rameutent toutes leurs pièces sur
l'aile-Roi pour y lancer une attaque.

201
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

2.g3
J'essaie de neutraliser le Fou noir adverse et me prépare à placer mon propre
Fou en défense sur l'aile-Roi.
2...g6!
Les Noirs comptent jouer ... h6-h5-h4, ... Rg7 et ...T h8, permettant à leurs Tours
de se joindre à la chasse à mon Roi.
3.Ff3 h5 4.Cf4 Fxf4 5.gxf4
J'ai éliminé le Fou adverse de cases noires mais mon Roi est du coup un peu
exposé. Ce qu'il y a d'intéressant dans cette partie c'est que le jeu adverse sur
l'aile-Roi a jusque là sollicité toute mon attention, m'empêchant de poursuivre
mes propres plans sur l'aile opposée. Les Noirs poursuivent la stratégie suivante:

Attirez l'attention de votre adversaire par une attaque et posez-lui des problè­
mes. Il abandonnera souvent ses propres plans pour se replier complètement en
défense.
5...Cf5 6.Rhl c5!
En dynamitant ainsi le centre, les Noirs activent la Tour d8 et le Fou e6. Il me
sera finalement impossible de trouver une parade à cette initiative à cause de la
situation périlleuse de mon Roi.
7.dxc5 d4 8.Ce4 De7 9.De2 Ch4
Les Noirs menacent 10...Cxf3 suivi de ...Fd5 avec un clouage cauchemardesque.
10.Cd6 d3
Je ne peux abandonner la défense du Fou f3 pour capturer ce pion.
ll .Ddl b6 12.b4 bxc5 13.bxc5 Dc7 14.e4 Fh3
Sur 15.T g l , 15... Dxc5 menace mon Cavalier et mon pion f2.
15.Dxd3 Fxf116.Txfl Dxc5 17.e5 Cxf3 18.Dxf3 Tb8
Leur qualité de plus donne aux Noirs une position gagnante qu'ils finiront par
convertir en victoire.

202
CHAPITRE 9 : L'attaque sur le roi

DIAGRAMME 110. Trait aux Noirs


Tatai-Karpov
Las Palmas, 1977

Mon dernier exemple illustre encore une offensive noire. Au diagramme 110
on constate facilement que les Blancs ont un pion de plus et une meilleure struc­
ture de pions. Le seul avantage dont puissent se prévaloir les Noirs est un peu
plus d'espace au centre et une importante avance en développement. Cette der­
nière constituant seulement un avantage temporaire, les Noirs doivent attaquer
de toutes leurs forces et tenter de transformer cette avance de développement en
un élément plus permanent. Il n'y a aucunement place pour un choix quelconque
dans cette décision. Les Noirs doivent attaquer ou périr.
l...Cd4
Un coup assez évident. Le Cavalier s'empare d'un superbe emplacement cen­
tral et gagne un temps par l'attaque de la Dame adverse.
2.Dbl f5
Le Cavalier blanc bien placé est maintenant forcé de battre en retraite.
3.Cc3 e4
Cet excellent coup ouvre la diagonale h8-a1 au Fou noir, bloque le Fou ennemi
g2 et gagne de l'espace au centre.
4.d3

203
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Les Blancs, qui tentent de se débarrasser du gênant pion e4, doivent faire très
attention. Toute ouverture du centre favorisera le joueur ayant le meilleur déve­
loppement -les Noirs en l'occurrence.
4...b5 5.Fe3
Comme je l'ai dit plus tôt, le joueur au meilleur développement a, d'une cer­
taine façon, un avantage matériel car ses unités déployées lui offrent plus de
force utile. Voilà pourquoi les Blancs sont si anxieux de sortir leurs pièces.
D'autres possibilités, telles que 5.e3 Cf3+ 6.Fxf3 exf3 7.Cxb5 Da5+ 8.Cc3 b5,
laissent l'initiative aux Noirs tandis que 5.a3 b4 6.axb4?? Txa l 7.Dxa1Cc2+
perd carrément la partie.
5...b4 6.Cdl TeS 7.dxe4 fxe4 8.Fxd4
Le Cavalier d4 est trop fort et doit être éliminé. Mais le Fou adverse de cases
noires domine maintenant la position.
8...Dxd4 9.a3
Les Blancs aimeraient roquer mais réalisent qu'après 9.0-0 Dd2 10.Fxe4 Fh3
l l .Fg2 Fxg2 12.Rxg2 Txe2 13.Dc l Dd5+ 14.Rgl Fd4 ils sont complètement
ligotés.
9...Fg4 10.Dc2 Dd3!
Très joli. Les Noirs ne laissent aucun moment de répit aux Blancs.
ll.exd3 exd3+ 12.Rd2 Te2+
L'attaque continue encore après que la Dame a quitté l'échiquier.
13.Rxd3 T d8+
Chaque pièce noire participe à l'attaque.
14.Rc4
Les Blancs perdent une pièce sur 14.Fd5 Txd5+ 15.Rc4 Txc2+ 16.Rxd5 Ff3+.
14 ...Txc2+ 15.Rxb4 Tcd2 16.f3
Les Blancs n'-ont pas le choix. Tout coup de Cavalier autorise 16...Txb2+.
16...Ff8+ 17.Ra5 Fd7
Les Noirs ont tissé un réseau de mat autour du Roi blanc. Maintenant 18.Ffl
Fc5! ôte toutes ses cases de fuite au Roi blanc et arme la menace imparable
19...Ta8+ avec mat à suivre. Les Blancs abandonnent.
L'obligation �'attaquer peut concerner tout endroit de l'échiquier. Vous pouvez

204
CHAPITRE 9 : L'attaque sur le roi

être forcé d'attaquer sur l'aile-Dame ou au centre. Soyez simplement attentif au


fait qu'il faut jouer de façon active et que la meilleure façon de savoir où trou­
ver du jeu consiste à chercher où sont vos avantages présents.

TEST 24.

TEST 24. C'est aux Blancs, qui ont un pion de moins, de jouer. Ils peuvent ten­
ter de se défendre passivement mais ce genre de souffrance ingrate est réservé
aux masochistes. Toutes leurs pièces visant le Roi noir, les Blancs doivent
essayer de parvenir à un knock-out quelconque dans cette zone. Les considéra­
tions matérielles et positionnelles habituelles ne comptent pas ici (vous pouvez
faire tous les sacrifices que vous voulez), et dans la situation présente c'est tout
ou rien ! Fort heureusement pour les Blancs, ils peuvent asséner un coup déci­
sif. Voyons si vous parvenez à le découvrir.

205
�������
CHAPITRE 10

Les stratégies
incorrectes

Si l'on en croit un vieux dicton échiquéen, « Un mauvais plan vaut mieux que
pas de plan du tout ». Quand vous suivez un plan douteux, vous essayez au
moins d'améliorer votre position. Le plan échouera peut-être sur le meilleur jeu
adverse, mais au moins vous aurez essayé ! Si vous jouez sans plan, par contre,
vous déplacerez vos pièces de-ci de-là sans but, en attendant que votre adver­
saire vous délivre de vos souffrances ou qu'il commette une erreur fatale.
Cela me rappelle un autre dicton échiquéen, selon lequel « Si vous ne savez
pas quoi faire, laissez votre adversaire trouver des idées. Il finira sûrement par
se tromper ! ». Ces proverbes, bien qu'il faille assurément les prendre avec un
grain de sel et qu'ils se contredisent l'un l'autre, n'en comportent pas moins une
part de vérité. De fait les échecs sont un jeu pratiquement parfait joué par des
gens imparfaits. On trouve des erreurs de différents types dans pratiquement
toutes les parties, et toutes les victoires sont dues aux erreurs du perdant et à la
façon dont le gagnant en a profité - comment il a puni son adversaire pour avoir
créé des pions faibles, lui avoir donné plus d'espace, etc. Cela ne veut pas dire
qu'il faille attendre la faute tranquillement. Si vous ne faites rien, vous commet-

206
CHAPITRE 10 : Les stratégies incorrectes

trez des erreurs et votre position sera si mauvaise que vous ne pourrez profiter
des bourdes ennemies. Non, il faut jouer à tout moment avec un plan clair en
tête. Mais il faut aussi guetter l'inévitable moment où votre adversaire souffrira
d'un moment de cécité suicidaire, qui vous permettra de mener à bon port les
avantages que vous avez soigneusement nourris dans la position.
Il est impossible de prédire quelle forme prendra la faute ennemie. Ce pourra
être une gaffe lâchant un matériel considérable, une subtile erreur stratégique
permettant à votre plan de s'imposer face au sien, un mauvais calcul tactique, ou
un coup faible causé par un effondrement psychologique. Votre adversaire fera
ces erreurs, vous les ferez vous-même et je les ferai aussi. Gardez en tête cette
troisième maxime échiquéenne et vous pourrez commettre ce type de faute tout
en gardant le sourire :
Le gagnant est le joueur qui commet l'avant-dernière faute. Bonne chance ...

La mauvaise compréhension de la position

Aux échecs, les avantages ne sont utiles que s'ils vous aident dans votre situa­
tion particulière sur l'échiquier. La capacité à utiliser une majorité de pions pour
se créer un pion passé est par exemple surtout utile en finale. En conséquence,
avec une majorité de pions saine vous devez normalement diriger la partie vers
des simplifications et une position où votre majorité sera un facteur important.
Cela ne sert à rien de rêver aux bienfaits de sa majorité de pions si l'adversaire
peut s'abattre sur vous avec toute son armée pour exécuter votre Roi. Souvenez­
vous toujours que :

Un « avantage » qui ne convient pas à la position n'est pas un avantage.

Tout possible avantage ne constitue réellement un avantage que si vous parve­


nez à créer une position où vous pouvez l'exploiter. En d'autres termes, quand vous
bénéficiez d'un Fou contre un Cavalier, d'un Cavalier contre un Fou, d'un pion
passé, de plus d'espace ou de tout autre avantage, il faut amener sur l'échiquier une
position correspondant aux exigences de l'avantage en question. Si vous voyez
que vous pouvez gagner un Fou contre un Cavalier mais que la position résultante
sera fermée, il faut peut-être réfléchir à deux fois avant de se lancer dans l'aven-

207
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

ture. Si vous voyez que vous pouvez obtenir une formation de pions supérieure à
condition de laisser plus d'espace à votre adversaire, il faut réfléchir longtemps et
à fond pour juger lequel de ces avantages est le plus utile dans la situation pré­
sente. Vous devez être convaincu que l'avantage dont vous vous emparez améliore
votre position et favorise plus vos plans que ceux adverses.

L'attaque prématurée

Lancer une attaque prématurée pour se faire plaisir est l'une des façons de per­
dre pied avec la réalité de la position. Au diagramme Il l , par exemple, la posi­
tion est à peu près égale, mais pour une raison quelconque les Blancs décident
qu'ils ont le droit de mater les Noirs sur l'aile-Roi. Pourquoi ? Les Blancs pen­
sent évidemment que la position est en leur faveur, et veulent mener à bien leur
avantage imaginaire.

DIAGRAMME 111. Trait aux Blancs


Cardoso-Benko
Portoroz, 1958

l.g4?
Lancer ainsi une avalanche de pions affaiblit le Roi blanc et démontre une
mauvaise appréciation de la situation centrale. Si les Blancs avaient le contrôle
du centre ou si ce dernier était fermé, ce type d'attaque sur l'aile pourrait être jus-

208
CHAPITRE 10 : Les stratégies incorrectes

tifié, mais les Noirs peuvent ici réagir au centre par ...e6-e5 et ...d6-d5. Et pour
empirer le tout, le Fou blanc c4 manque de protection. Plus saine était l'alterna­
tive l.Fe2 ou bien l.Fd3!, coup qui aurait constitué mon choix.
l ..d5!
.

Les Noirs se souviennent de la règle :

La meilleure réaction à une attaque sur l'aile est une contre-attaque au centre.

Si cette contre-attaque noire réussit, c'est que toute la stratégie blanche est fau-
tive car tout le jeu prendra place au centre. Cette réplique rend le coup blanc g2-
g4 totalement déplacé, pour ne pas dire plus !
2.Fd3
Si les Blancs jouent 2.exd5, les Noirs jouent 2...Cb4 (avec attaque à la décou­
verte sur le Fou c4) 3.Fe2 Cbxd5, avec un clair avantage.
2...dxe4!
Les Noirs doivent ouvrir le centre. Ils ne peuvent laisser les Blancs fermer la
position par e4-e5, ce qui leur laisserait les mains libres sur l'aile-Roi.
3.Cxe4 Cd5 4.Fd2 a5
La menace ...a5-a4 met les Blancs à la torture sur l'aile-Dame, mais leur atten­
tion est également requise par le centre largement ouvert. Dans ces conditions,
une attaque blanche sur l'aile-Roi n'est même pas envisageable.
5.c3 Td8 6.g5 a4 7.Ccl Db6+
Les Noirs, qui visent le Roi blanc et le pion b2, tout en menaçant de coups tels
que ...Ce3, finirent par gagner la partie. Vérifiez quel Roi est le plus vulnérable
dans la position finale.

Trop miser sur le développement


Une autre façon de perdre pied avec la réalité du jeu est de se concentrer sur le
développement au point d'oublier les particularités dynamiques de la position.
Je commets ce type de faute comme tout le monde, ainsi que l'illustre la partie
suivante.

209
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Granda Zuiiiga-Seirawan
Buenos Aires, 1993

J'ai perdu le sens du danger très tôt dans cette partie et continué à développer
mes pièces de façon routinière, inconscient de la surprise qui m'attendait.
l.Cf3 Cf6 2.c4 c5 3.Cc3 e6 4.g3 b6 5.Fg2 Fb7 6.0-0 Cc6 7.e4 e5 8.d3 g6
Tout me semble parfait après ce coup. Je sais que je suis en retard de dévelop­
pement mais, comme le montre le diagramme 112, le centre est fermé et je ne
m'attends pas à rencontrer le moindre problème. Mon adversaire me ramène
cependant aux dures réalités de ce monde.
9.Cxe5!!
Je n'arrive pas à en croire mes yeux ! J'aurais évidemment pu éviter ce choc
par 8 ...d6, mais je n'ai pas envisagé un seul instant une possibilité de sacrifice
aussi précoce. Les Blancs peuvent maintenant repousser mes pièces et profiter
de leur avance en développement, dont je pensais un moment plus tôt à peine
qu'elle n'avait aucune importance. Pour empirer le tout, je dois me convertir psy­
chologiquement au rôle de défenseur. Mais je refuse toujours, hélas, d'admettre
que j'ai commis une erreur de jugement et au lieu de serrer les boulons je joue
comme si le sacrifice de mon adversaire était incorrect.

DIAGRAMME 112. Trait aux Blancs

210
CHAPITRE 10 : Les stratégies incorrectes

9...CxeS 10.f4 Cc6 ll.eS Cg8 12.fS


Les Blancs ont une très forte attaque et leur avance de développement devient
de plus en plus menaçante au fur et à mesure que la position s'ouvre.
12...Ch6?
Joué de façon présomptueuse, sans contact avec la réalité. Le coup 12 ...Tb8!
(défendant mon Fou et libérant mon Cavalier du clouage sur la diagonale h1-a8)
donnait une défense beaucoup plus difficile à percer. Alors 13.e6 dxe6 14.fxe6
f5 15.Txf5 Dd4+ 16.Tf2 conduit à une position aiguë et peu claire.
13.Ce4!
Aïe. Il m'est maintenant impossible d'empêcher ce Cavalier d'aller en f6 car
13...Fe7 laisse le Cavalier h6 en l'air (par 14.Fxh6), tandis que 13 ... Fg7 permet
14.Cd6+.
13...CxfS 14.Cf6+ Re7 lS.CdS+ ReS 16.Cf6+ Re7 17.g4
La puissante attaque blanche finit par percer, entraînant ma défaite. J'ai tiré
une leçon de cette partie, me méfier du moindre retard en développement, même
dans les positions apparemment innocentes !

Jouer sans réfléchir


L'une des erreurs les plus fréquentes qu'un joueur puisse commettre est de jouer
sans réfléchir, en appliquant des idées connues déjà testées dans des situations
similaires. Le joueur pense obéir aux canons échiquéens les plus orthodoxes
mai�, parce qu'un détail ou deux ne sont pas à leur place, la position est diffé­
rente et doit être évaluée autrement.

Seirawan-Karpov
Haninge, 1990
Dans cette partie, nul autre que le précautionneux Karpov tombe dans ce type
de piège mental.
l.c4 eS 2.g3 g6 3.d4 d6 4.dxeS dxeS S.Dxd8+ Rxd8 6.Cc3 c6?
On voit au diagramme 113 que ce sixième coup donne la case c7 au Roi noir et
ôte la case d5 au Cavalier blanc. J'imagine que Karpov a pensé entrer dans la ligne

211
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

débutant normalement par l.d4 d6 2.c4 e5 3.dxe5 dxe5 4.Dxd8+ Rxd8 5.Cc3 c6,
qui donne une position satisfaisante aux Noirs. J'ai d'ailleurs joué plusieurs fois
cette variante victorieusement avec les Noirs. Mais l'interpolation des coups g3 et
...g6 tourne en ma faveur parce que le Fou fl peut maintenant se rendre en h3 alors
que ...g6 n'aide en rien les Noirs. En fait ce coup affaiblit même f6 et la diagonale
a l -h8. Ainsi un coup noir, parfait dans la position qui résulte de la ligne débutant
par l.d4, constitue-t-il maintenant une faute, mais mon adversaire ne s'en rend
compte que lorsqu'il est trop tard. Pourquoi commet-il cette erreur ? Parce qu'il ne
réfléchit pas encore ! Il joue tout simplement en se référant à la connaissance qu'il
a d'une position similaire - savoir qui s'avère erroné dans la situation présente !

DIAGRAMME 113. Traix aux Blancs

7.f4!
J'ai une légère avance en développement et le Roi noir est au centre. Pour tirer
parti de ces circonstances, j'essaye d'ouvrir des lignes pour l'attaque.
7... Fe6
Les Noirs placent leur Fou sur une bonne case. Jouer 7 ...Cd7 aurait considéra­
blement compliqué le développement futur de leurs pièces, tandis que le Roi
noir n'a pas de refuge sûr après 7 ... exf4? 8.Fxf4 Fe6 9.0-0-0+ Cd7 10.Cf3.
8.Cf3
Je ne suis pas intéressé par 8.fxe5 car 8...Cd7 me condamnerait à défendre ce

212
CHAPITRE 10 : Les stratégies incorrectes

misérable pion « e » tout le reste de la partie. Je choisis plutôt de me dévelop­


per rapidement et de créer des possibilités d'attaque.
8...Fxc4
Les Noirs espèrent me voir accepter un simple échange par 9.Cxe5 Fe6, après
quoi ils n'ont plus de problèmes.
9.Fh3!
Je menace maintenant 1O.Cxe5, car 10... Fe6 perdrait sur ll .Fxe6 suivi de
12.Cf7+. Les Noirs ne veulent pas accélérer mon développement par 9 ... exf4
10.Fxf4, et tentent donc de bloquer mon Fou h3.
9... f5 10.b3!!
Je ne veux pas perdre mon temps à reprendre le pion e5. Je prépare au
contraire la venue de mon Fou en b2, d'où il créera des menaces sérieuses le long
de la diagonale a l-h8.
10...Fb4 ll.Fb2 Fd5 12.e4!
Les Noirs n'ont eu aucun moment de répit depuis leur bévue du sixième coup.
Par 12.e4, je poursuis ma stratégie d'ouverture du centre en faveur de mes for­
ces mieux développées. Maintenant 12...Fxe4 13.0-0-0+ suivi de 14.Cxe4 serait
très fort, les Blancs achevant bientôt leur développement et gagnant du matériel.
12... fxe4 13.0-0-0!
Je semble vivre pour me développer. Ce sacrifice temporaire fonctionne à
cause de la position défavorable du Roi noir et de la vulnérabilité de la Tour h8.
13...Fxc3!
Les Noirs m'empêchent de prendre en d5.
14.Fxc3 exf3 15.Fxe5 Cd7 16.Fxh8
Je gagne la qualité, un avantage matériel que je convertirai plus tard en gain.

Négliger la tactique
Nous avons vu jusqu'ici divers types de fautes : pour avoir été trop sûr de soi,
pour s'être consacré au développement sans penser à autre chose, pour avoir
joué une suite inappropriée à la position. Elles impliquent toutes un certain
degré de paresse. Celui qui les a commises n'a pas pris le temps de cerner vrai­
ment les particularités de la position. La paresse est la pierre de touche de la plu-

213
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

part des erreurs. Si vous commettez une faute parce que la position est trop dif­
ficile à résoudre, vous n'avez rien à vous reprocher. Mais si elle est due à une
insuffisance de réflexion, vous devez ravaler vos excuses et trouver un moyen
d'améliorer votre pouvoir de concentration.
On rencontre aussi des erreurs tactiques. Vous jouez un coup qui peut parfai­
tement être correct du point de vue positionne! mais qui ne tient pas compte des
particularités précises de la position. Voyons un exemple de ce type d'erreur.
On comprend que les Noirs, au diagramme 114, veuillent fermer l'aile-Dame où
je dispose de plus d'espace, mais ils oublient que leur Tour a8 n'est pas défendue.

DIAGRAMME 114. Trait aux Noirs


Seirawan-Van Wely
Wijk aan Zee, 1992

l...a5? 2.b5 CdS


Mon Fou g2 vise la Tour a8, mais tant de pièces et de pions les séparent que les
Noirs ne craignent pas d'attaque surprise. Si les Noirs avaient pesé plus attentivement
les dangers de la diagonale h1-a8, ils auraient vu ce qui allait venir et se seraient abs­
tenus de jouer 1 ...a5. Mais ce soupçon de paresse, cette croyance aveugle dans sa pro­
pre sécurité, font une fois de plus trébucher un joueur. Tout le monde se fait ainsi
humilier un jour ou l'autre pour avoir négligé de calculer une suite tactique.
3.exf5!
Supprimant le premier obstacle existant sur la grande diagonale.

214
CHAPITRE 10 : Les stratégies incorrectes

3 ...Fxf5
Sur 3...Cxf5? 4.g4! hxg4 5.fxg4 Ch6 6.Fxh6 Fxh6 7.g5 Fg7
8.Cxb6!, la Tour a8 passe à la casserole comme dans la partie.
4.g4! hxg4 5.fxg4
Et voilà un autre obstacle qui s'envole de la diagonale. Soudain mon Fou g2
est totalement libéré.
5 ...Cxg4 6.Cxb6
La dernière pièce cède le pas au Fou, une fois de plus avec gain de temps.
6... cxb6 7.Fxa8 DeS 8.Ff3
Et j'ai, une fois encore, converti mon avantage matériel en gain.

TEST 25.
Arencibia-Seirawan
Manille, 1990

TEST 25. Trait aux Blancs. Ces derniers, qui ont opté pour un début très agres­
sif(l'ouverture: l .d4 d6 2.Cc3 g6 3.h4 Fg7 4.h5 Cc6 5.Cf3 e5 6.h6 Ff6 7.d5 Cb8
8.e4 Fe7 9.Fb5+ Cd7), poursuivent maintenant dans la même veine par 10.g4.
Ce coup d'attaque est-il justifié ?

Quand l'émotion prend le pas sur la raison


Les échecs sont d'abord un jeu intellectuel et en second lieu un effort créatif. Ces
deux attributs s'associent pour aider les joueurs à élaborer de magnifiques oeu­
vres d'art que l'on appréciera durant des siècles. Colère, peur et confiance exa­
gérée en soi sont des émotions courantes qui peuvent vous aider de temps à autre
mais qui finissent par mener à la défaite parce qu'elles troublent les processus

215
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

intellectuels et créatifs. Ces émotions sont aussi dangereuses aux échecs que
dans la vie. Si vous n'aimez pas votre adversaire, ne laissez pas votre ressenti­
ment vous entraîner à jouer de façon trop agressive. Si vous le craignez, ne fai­
tes pas la poule mouillée en jouant pour la nulle. Si vous êtes certain de gagner,
ne laisser pas votre sens du danger vous abandonner.
Nous sommes tous des êtres émotifs, mais quand c'est l'émotion qui nous dicte
quel coup jouer, il faut opérer quelques vérifications. Risque-t-on de perdre son
contrôle ? Si l'on pense que son esprit s'est mis aux abonnés absents et que l'on
a perdu sa concentration, il faut se lever et faire quelques pas (s'il reste assez de
temps à la pendule), prendre de larges inspirations, sauter de-ci de-là, bref faire
tout ce qui peut permettre au cerveau de reprendre les manettes. Cela dit je
reconnais qu'il est parfois impossible de maîtriser ses émotions. Si votre femme
vient de vous quitter ou si votre avocat vient de vous avertir que votre empire
financier s'écroule, une agréable partie d'échecs peut soulager un peu votre
peine, mais il ne faut pas espérer jouer au plein de ses possibilités.

DIAGRAMME 115. Trait aux Noirs

Le diagramme 115 est tiré d'une rencontre où les émotions étaient vives. Les
Noirs étaient mieux classés et voulaient absolument gagner, mais ne disposaient
hélas d'aucun moyen de progresser dans la position. Ce désir, impossible à réa­
liser, entraîna une réaction émotive. Les Noirs tendirent un piège. Ils jouèrent

216
CHAPITRE 10 : Les stratégies incorrectes

l. .Rf6??, espérant gagner la finale de pions après 2.Cf4 (avec l'idée Cxd5, xb6,
.

xc4, xa5 - capturant tout le camp noir !) 2... Fxf4 3.Rxf4 h4. Mais ce « piège »
aurait dû conduire à la défaite noire. Après 4.e4 dxe4 5.Rxe4, le pion passé pro­
tégé d5 permet aux Blancs de capturer le pion « h » et de gagner la partie.
Mais les Blancs étaient à ce point paralysés par la terreur absolue (la plupart
des gens ont peur des joueurs mieux classés) qu'ils ont cru que le piège noir avait
un fondement réel, et ont retiré leur Cavalier en f2 ! Les Noirs finirent par
gagner la partie grâce aux erreurs de leur adversaire terrorisé. Cette rencontre
illustre parfaitement la sentence:

Le simple fait de penser à la peur suffit à vous terroriser.


Dans cette partie, nous verrons qu'un excès de confiance en soi peut semer les
germes de la défaites et que la peur les fait mûrir avant d'en récolter le fruit.
Trop de confiance en soi (qui conduit parfois à prendre ses désirs pour des réa­
lités) cause naturellement moins de dégâts qu'une peur abjecte, mais n'en consti­
tue pas moins une réaction émotionnelle qui vous fera perdre la partie contre un
bon adversaire. Souvenez-vous:

Trop de confiance en soi vous éloigne des réalités du jeu et fait prendre ses
désirs pour des réalités.

DIAGRAMME 116. Trait aux Blancs


Tartacover-Em. Lasker
New York, 1924

217
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

La partie suivante montre la confiance en soi à l'oeuvre. Au diagramme 116,


les Blancs ont plus d'espace au centre et sur l'aile-Dame. Les Noirs n'ont abso­
lument aucun contre-jeu, à part la possibilité de jouer ...Cf4. Les Blancs
devraient accroître leur avantage territorial sur l'aile-Dame par b4, Fe3 et c4-cS
(s'ils craignent de brumeux sacrifices sur l'aile-Roi, tels que ... Fxh3 ou ...Cf4
suivi de ... Cxg2, ils peuvent commencer par jouer Tel suivi de Ffi avant de
revenir à l'idée c4-cS). En lieu et place, les Blancs se laissent soudain déborder
par leurs émotions, ont des rêves de grandeur et décident qu'ils ont toutes les rai­
sons de terrasser rapidement leur adversaire. Leur raisonnement suit à peu près
ce cours : « Puisque j'ai l'avantage sur l'aile-Dame et au centre, pourquoi ne pas
m'emparer aussi de l'aile-Roi? ».

l.f4?
Horrible. Par ce simple coup les Blancs se créent un pion attardé en e4, concè­
dent l'utilisation de la case eS aux Noirs et offrent de l'activité sur la colonne« e »

à la Tour noire, ainsi qu'aux deux Fous adverses (en abandonnant leur Fou noir,
les Blancs peuvent facilement devenir faibles sur ces cases). Pourquoi offrir tant
de cadeaux à l'adversaire ? Pourquoi lui donner du contre-jeu quand il en était
totalement dépourvu ? Si vous voulez démontrer que votre jeu est supérieur, uti­
lisez les avantages que vous avez dans la position. Ne laissez pas d'étranges
aspects macho de votre personnalité (ou votre simple mauvaise humeur) éloigner
de vous le bons sens et vous infliger des dommages volontaires.
l...exf4 2.Fxf4 Cxf4 3. Txf4
Les Blancs ont plus d'espace mais ont permis divers échanges. Vous devriez
maintenant savoir que les échanges favorisent le camp qui a le moins d'espace.
3...Fe7!
Les Noirs veulent profiter de deux avantages : ils souhaitent jouer leur Cavalier en
eS et placer leur Fou de cases noires (une pièce pour laquelle les Blancs n'ont plus
d'équivalent) sur un emplacement actif tel que gS. Ces deux avantages étant plus ou
moins statiques (et donc permanents -reportez-vous à la distinction entre avantages
statiques et dynamiques, étudiée au chapitre un), les Noirs commencent par renforcer
tous les éventuels points faibles de leur position et réorganisent leurs Cavalier et Fou
de façon à ce qu'ils puissent se rendre sur les cases auxquelles ils ont été assignés.

218
CHAPITRE 10 : Les stratégies incorrectes

4.Tafl
Après 4.Cf3 Ch5 la Tour f4 est embarrassée.
4...Tf8
Les Noirs défendent f7 et cèdent la case e8 à leur Fou blanc.
S.Dd3 Fe8 6.Dg3
Les Blancs menacent 7.Txf6 Fxf6 8.Txf6, exploitant le clouage sur la colonne
(( g ».

6...Dd8
Les Noirs stoppent la menace blanche tout en appuyant le Fou e7 de façon à
ce qu'il puisse se rendre en g5 après que le Cavalier le laissera passer. La réor­
ganisation opérée par les Noirs sur les dernières rangées a peut-être l'air alam­
biquée, mais elle leur permet de placer leurs pièces passives à des avant-postes
exceptionnels !
7.Cdl Cd7
Le Fou libéré est en route pour la terre promise g5, tandis que le Cavalier se
dirige vers e5.
8.Ce3 FgS
À ce stade, la bonne humeur des Blancs ne doit plus être qu'un lointain souve­
nir. Ils bénéficiaient d'une position magnifique quelques coups auparavant, tan­
dis que maintenant, à cause de ce désir illogique d'attaquer le Roi adverse, les
Noirs ont gagné de multiples avantages.
9.Tg4
La suite 9.Tf5 Fh4 n'est pas meilleure, car 10.Df3 ou 10.Dg4 sont parés par
10 ...Ce5, tandis que 10.Df4 g6 prend la Tour au piège.
9...f6 lO.Dfl hS ll.Tg3 h4! 12.Tg4 FhS
Les Noirs gagnent la qualité et finiront par remporter la partie.
Il est inutile d'étudier un nombre infini de parties individuelles pour conclure
que les émotions ont un impact négatif sur toute partie d'échecs. Apprenez à gérer
vos émotions durant une partie et si vous sentez s'installer la peur, la dépression,
l'insécurité ou trop de confiance en vous, sachez que vous êtes plus susceptibles
de prendre des décisions illogiques. Prenez des précautions : inscrivez votre coup
sur votre feuille de partie avant de le j ouer et demandez-vous s'il est conforme

219
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

aux exigences de la position. Est-il trop timide? Trop audacieux? Fait-il partie
de votre plan? Le coup envisagé accroît-il votre avantage? Souvenez-vous qu'il
faut jouer en fonction de l'adversaire qui vous fait face sur l'échiquier, et non en
laissant votre esprit irrationnel se retourner contre vous.

TEST26.

TEST 26. Les pièces noires sont tenues par un joueur de troisième catégorie qui
affronte un expert. C'est à lui de jouer et il voit que 1 ..Dxc2 est possible, avec
.

menace de mat en f2, mais le joueur nettement plus fort qui a les Blancs dispose
de fortes répliques telles que 2.Dxa8+, 2.Dxf7+ ou 2.Fxf7+. Que doivent jouer
les Noirs?

220
------1
CHAPITRE 11

Les Grands Maitres


de la stratégie

Aux échecs comme dans la vie, chaque joueur a un style distinct et personnel.
On distingue les styles attaquant, défensif, positionne} ou stratégique. Un Grand
Maître moderne est censé bien jouer dans toutes les positions mais n'excelle
généralement que dans l'un ou l'autre de ces styles de jeu. En boxe le public
adore toujours les tueurs, et il en est de même en ce qui concerne les échecs. Les
gens adorent les attaquants fous et les merveilleuses combinaisons qu'ils par­
viennent à créer. Mais c'est toutefois le Grand Maître au style positionne} qui
possède la compréhension la plus profonde du jeu.
Dans ce chapitre je consacrerai un peu de temps aux six plus grands représen­
tants de l'école stratégique. Chacun d'eux a enrichi le jeu, et leur contribution
profitera à toutes les futures générations de joueurs.

Wilhelm Steinitz
Né à Prague en 1836, Wilhelm Steinitz s'installa jeune homme à Vienne,
tomba amoureux des échecs et dès 1862 joua aux échecs en Angleterre à titre
professionnel. Basé à Londres et adepte du style d'attaque, comme tous ses

221
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

contemporains, le jeune Steinitz fut rapidement accepté comme l'un des meil­
leurs joueurs mondiaux.
En 1873, le style de Steinitz devint soudainement positionne!. Il s'intéressa à
la structure de pions, au placement des pièces et à tous les autres aspects du jeu
positionne! susceptibles de produire des avantages statiques. On aurait pu croire
qu'une modification aussi radicale de sa façon de penser nuirait à son jeu, mais
l'inverse se produisit. Au lieu d'être simplement l'un des meilleurs joueurs du
monde, il devint une force en soi - un joueur très en avance sur son temps.
Tout en aiguisant ses talents fraîchement acquis, Steinitz créa une école de
pensée échiquéenne nouvelle que seule l'élite des échecs mondiaux était en
mesure d'apprécier. Il lança l'idée qu'il était indispensable de posséder une supé­
riorité positionnelle avant même d'envisager de lancer la moindre attaque victo­
rieuse. Il devint un maître en défense et repoussa des attaques capables de faire
s'enfuir tout autre joueur en hurlant de peur. L'un de ses plus grands apports aux
échecs fut sa théorie d'accumulation des avantages, selon laquelle une partie
peut et doit être gagnée par l'accumulation de petits avantages.
En 1883, après 20 ans passés en Angleterre, Steinitz émigra aux États-Unis et
devint citoyen américain. Désormais reconnu Champion du Monde officieux, il
disputa en 1886 le premier match officiel pour le titre mondial contre Zukertort.
Il remporta ce combat par dix gains, cinq pertes et cinq nulles.

En janvier 1892, James G. Cunningham écrivit à son propos dans le British


Chess Magazine :

C'est un homme physiquement très vigoureux, possédant une solide constitu­


tion. Tout en lui dénote la puissance plutôt que la grâce, la force plutôt que la
beauté. Il est court sur pattes mais massif, avec une large poitrine et un com­
portement énergique. Ses traits sont rudes et son visage celui d'un homme d'ac­
tion plutôt que d'un penseur ... avec des cheveux tirant sur le roux, une face
ronde, un nez écrasé, un front large, des yeux enfoncés et une forte barbe hir­
sute aux nuances fauve clair, tout ça en solide équilibre sur un cou épais et le
tout posé sur un corps massif et ramassé.

Les mots de Cunningham peignent un homme dans la force de l'âge, ce qui

222
CHAPITRE 11 : Les Grands Maîtres de la stratégie

rend d'autant plus curieux l'effondrement de Steinitz quelques années plus tard.
En 1894, à l'âge de 58 ans, Steinitz perdit le titre qui lui était si cher face à un

jeune maître allemand de 25 ans nommé Emmanuel Lasker, que nul n'attendait.
Totalement choqué par ce renversement de situation, Steinitz vit sa santé physi­
que et mentale se dégrader subitement. Lorsqu'il réclama un match revanche
contre Lasker quelques années plus tard, il se fit massacrer de façon horrible.
Autrefois aimable et fier, Steinitz devint capricieux et irrationnel dans ses der­
nières années, et mourut dans la misère en 1900.
Il convient, je crois, de conclure la biographie de celui qui est connu comme
le père des échecs modernes par le superbe hommage que lui rendit Emmanuel
Lasker dans son Manual ofChess:

... on atteint le point le plus important de toute l'histoire des échecs : William
Steinitz proclame ses principes stratégiques, résultats d'une réflexion inspirée et
de l'imagination... Il me revient, à moi qui l'ait vaincu, de m'assurer que sa
grande réussite, ses théories, reçoivent justice, et de venger les injustices qu'il a
subies.

Lasker-Steinitz
Match pour le Championnat du Monde, 1894
17ème partie du Match

l.e4 eS 2.Cf3 Cc6 3.Fc4 FcS 4.d3 Cf6 S.Cc3


Lasker n'a jamais brillé dans le domaine des ouvertures, ce qui explique pour­
quoi il choisit une ligne aussi insipide.
S..• d6 6.Fe3 Fb6
Les Noirs ne veulent pas jouer 6. Fxe3, un coup qui renforce le centre des
. .

Blancs et leur donne la colonne « f » semi-ouverte pour leurs Tours.


7.Dd2 CaS S.FbS+ c6 9.Fa4 Fxe3
Les Noirs sont finalement contraints de jouer quand même ce coup sous peine
de perdre leur Cavalier après b2-b4. Au lieu de se lamenter parce qu'il a été forcé
d'effectuer cet échange, Steinitz joue pour doubler également d'autres pions. Ce
faisant il espère avoir une meilleure structure de pions et en conséquence une

223
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

finale supérieure.
10.fxe3 b5 ll.Fb3 Db6
Les Noirs surveillent la faiblesse de pion potentielle en e3.
12.0-0
Les Blancs sont probablement très satisfaits de leur position. Le contrôle des
cases d4 et f4, plus les possibilités d'attaque le long de la colonne « f », sont des
atouts dont ils se satisfont certainement.
12 ... Cg4
Les Noirs menacent le pion e3, mais l'objectif de cette attaque évidente n'est
pas de gagner ce pion. La vraie pointe du jeu noir consiste à faire suivre ce coup
par ... f7-f6, tuant dans l'œuf toute initiative potentielle blanche sur la colonne
« f ».Ainsi le coup d'attaque 12... Cg4 est en fait défensif!
13.Tael f6 14.h3 Ch6 15.Ce2 Cxb3 16.axb3 0-0
Steinitz a créé une position très solide, tandis que le jeu des Blancs manque de
souplesse à cause de leurs pions doublés. Les Noirs comptent maintenant tenir
la position au centre et sur l'aile-Roi tout en lançant l'assaut sur l'aile-Dame par
...a7-a5 suivi de ...a4.
17.Cg3 a5 18.d4

DIAGRAMME 117. Trait aux Noirs

Lasker doit être un peu frustré ici parce que cette poussée ne menace absolu-

224
CHAPITRE 11 : Les Grands Maîtres de la stratégie

ment pas le roc qu'est le pion e5. De fait, comme le diagramme 117 permet de
le constater, jouer 18.d4 fait plus de mal aux Blancs qu'aux Noirs car il fait dis­
paraître le défenseur du pion e4.
Pourquoi Lasker fait-il une telle concession ? Parce qu'il voit que le centre est
mort et que l'aile-Dame est aux mains des Noirs. Ça lui laisse seulement l'aile­
Roi, mais les préparatifs défensifs de Steinitz y rendent toute percée pratique­
ment impossible.
lS...Cti 19.Df2 Ta7 20.Tdl a4
Les pions blancs doublés sur l'aile-Dame ne sont pas vraiment faibles, raison
pour laquelle les Noirs proposent d'en débarrasser les Blancs si ces derniers
consentent à ouvrir des lignes dans cette zone. Les Blancs déclinent naturelle­
ment l'offre parce qu'ouvrir des lignes que seul l'adversaire peut utiliser n'a
aucun sens.
21.b4 Dc7 22.Cel cS 23.Dd2 Fe6
Les Blancs peuvent maintenant ouvrir la colonne « d » s'ils le souhaitent, mais
ils ne peuvent l'exploiter pour pénétrer dans la position noire car les cases d4,
d5, d6, d7 et d8 sont toutes couvertes par des pièces adverses.
24.d5 Fd7
De nouveaux avantages à long terme pour Steinitz : le centre est mort, l'aile­
Roi est sûre, l'aile-Dame lui appartient et le centre de pions blanc est entière­
ment situé sur des cases blanches, ce qui en fait ultérieurement une cible poten­
tielle pour son Fou.
25.Tal cxb4
Maintenant que tout est en sûreté, les Noirs reviennent à l'attaque qu'ils ont si
bien préparée sur l'aile-Dame.
26.Dxb4 TeS 27.Dd2 Dc4 2S.Tf2 Cg5
À ce stade, les Blancs n'espèrent plus qu'une chose, survivre. Leurs pions c2
et e4 sont actuellement sous pression.
29.Dd3 Tac7 30.h4 Cti 31.Dxc4 Txc4 32.Td2 g6
Maintenant le Cavalier blanc ne peut plus bondir en f5.
33.Rf2 CdS
Le Cavalier noir dirige ses pas vers le champ de bataille de l'aile-Dame.

225
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

34.b3 T 4c7 35.Tddl Cb7 36.Tdbl Rf7


Les Noirs ne sont pas pressés et consacrent donc un temps à protéger leur pion
f6 et à rapprocher un peu leur Roi du centre.
37.Re2 TaS 3S.Rd2 CaS 39.Rd3 h5 40.Ta2 Taa7
Les Noirs menacent de gagner un pion par 4 l ...axb3 42.cxb3 Cxb3! 43.Txa7
Cc5+ et 44...Txa7.
41.b4 Cc4
Les Noirs peuvent se glorifier de nouveaux avantages : la case c4 est tombée
entre leurs mains et leur pion « a » est un éclaireur redoutable.
42.Cf3 TaS 43.Cd2 Cb6
Le Cavalier blanc en d2 n'a pas d'avenir par manque de points d'appuis, ce
pourquoi les Noirs refusent de l'échanger.
44.Tfl TacS 45.Cbl Re7 46.c3 Cc4 47.Taf2 Ca3!
Les Noirs tentent de miner la défense de c3. Maintenant 48.Cxa3? perd sur
48...Txc3+ suivi de 49...Txa3.
4S.Ce2 Cxbl 49.Txbl Fg4
Les Noirs menacent une fois encore de supprimer le défenseur de c3, cette fois
par...Fxe2+.
50.Tcl Tc4 51.Tc2 f5
Les Blancs abandonnent. Ils sont encerclés et ne tiennent pas à prolonger leur
punition. Le pion e4 est en l'air, 52.exf5 perd sur 52 ... Fxf5+ et 52.Cg3 échoue
également sur 52...fxe4+ 53.Rd2 (pire encore est 53.Cxe4 Ff5) 53 ...Fd7 54.Tc1
Fe8 55.Ce2 Ff7, après quoi les Noirs ramassent aussi le pion d5. Une démoli­
tion stratégique menée de main de maître.

Akiba Rubinstein
Benjamin de 12 enfants, Akiba Rubinstein est né en Pologne en 1882, dans la
ville frontalière de Stawiski. Ses parents souhaitaient qu'il devienne rabbin, mais
après avoir appris les échecs à l'âge relativement tardif de 16 ans, il consacra ses
pensées à ce jeu uniquement. Après plusieurs années consacrées à 1 'épanouisse­
ment de son talent, Rubinstein explosa sur la scène internationale, devenant l'un
des plus forts joueurs mondiaux de 1905 à 1911. En 1912, il remporta tournoi

226
CHAPITRE 11 : Les Grands Maîtres de la stratégie

sur tournoi (cinq en tout), et cette année fut baptisée l'année Rubinstein. Tout le
monde réclamait un match l'opposant à Lasker, visiblement le seul joueur à être
de son calibre sur le plan de la force de jeu. Hélas ce match n'eut jamais lieu. Le
début de graves problèmes psychologiques qui devaient finalement se transfor­
mer en maladie mentale patente, l'arrivée du génie cubain des échecs
Capablanca et la survenance de la Première Guerre Mondiale se combinèrent
pour briser ses espoirs de devenir Champion du Monde.
Même s'il est resté l'un des plus forts joueurs mondiaux jusqu'en 1921 envi­
ron, sa timidité maladive et l'érosion de sa confiance en soi ont conduit à une
diminution graduelle de sa force. Il se retira finalement des échecs en 1932 et
passa ses dernières années en Belgique avec sa famille, jusqu'à son décès en
1961.
Le style de Rubinstein fait le pont entre celui de Steinitz et celui des joueurs
actuels. Son répertoire comprenait une grande maîtrise des ouvertures, la
connaissance profonde des conséquences des différents types de structures de
pions et un talent en finale qui n'a jamais été surpassé. Plus remarquable, cepen­
dant, était sa capacité à relier les ouvertures qu'il jouait avec les types de finales
auxquelles elles pouvaient conduire. Cette façon de planifier la partie, d'une pro­
fondeur hors du commun, est devenue habituelle chez les champions modernes
mais était virtuellement sans précédent à l'époque de Rubinstein.
Les parties de Rubinstein sont toujours soigneusement étudiées par les meil­
leurs joueurs aujourd'hui. Ses coups et ses conceptions semblent toujours nou­
veaux, sa façon de traiter les finales demeure remarquable et ses idées dans les
ouvertures restent du dernier cri.

Rubinstein-Tarrasch
Teplitz-Schoenau, 1922

l.d4 d5 2.c4 e6 3.Cc3 c5 4.cxd5 exd5 5.Cf3 Cc6 6.g3


On finit par donner à cette défense noire le nom de Tarrasch, ce dernier affir­
mant avec insistance que le pion isolé d5 résultant de cette ouverture était une
source de force plutôt que de faiblesse. La suite 6.g3 est une invention de
Rubinstein, et ce coup est maintenant considéré comme la variante principale.

227
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Nous étudions ici une partie entre les deux inventeurs de cette ligne de jeu :
Tarrasch, qui joue sa défense favorite, et Rubinstein qui tente d'en prouver les
insuffisances grâce à sa création 6.g3.
6...Cf6 7.Fg2 Fe7 8.0-0 0-0 9.a3
Ce n'est pas un mauvais coup mais 9.Fg5 est aujourd'hui la façon la plus habi­
tuelle de traiter cette position pour les Blancs.
9 Fe6 10.dxc5 Fxc5 ll.b4 Fe7 12.Fb2
•••

Les Blancs concentrent leurs forces sur la case d4, suivant en cela la règle
selon laquelle il faut toujours essayer de contrôler la case qui fait immédiate­
ment face à un pion isolé.
12...Ce4?
Une réaction naturelle, qu'un coup surprenant démontre toutefois être mau­
vatse.
13.b5!
La position résultante est illustrée au diagramme 118.

DIAGRAMME 118. Trait aux Noirs

Le 13ème coup blanc, réellement remarquable, montre que Rubinstein n'hési­


tait pas une seconde à s'écarter des chemins conventionnels. Il semble forcer le
Cavalier noir à se rendre en a5, d'où il pourra faire pression sur le trou situé en
c4. Mais Rubinstein voit que ce Cavalier sera en fait vulnérable en a5 et que la

228
CHAPITRE 11 : Les Grands Maîtres de la stratégie

case c4 ne prendra jamais d'importance réelle. En outre la disparition du


Cavalier c6 permet au Cavalier blanc de s'installer en d4.
13...Ca5 14.Cxe4
La première pointe : le pion isolé « d » est à nouveau connecté à ses frères de
l'aile-Roi mais la suite prouve qu'il est nettement plus vulnérable en e4 qu'il ne
l'a jamais été en d5 !
14...dxe4 15.Cd4 DdS
Les Blancs menaçaient à la fois 16.Fxe4 et 16.Cxe6. Les Noirs rejettent
15...Fd5 16.Cf5 car les doubles menaces 17.Dxd5! Dxd5 18.Cxe7+, ainsi que et
17.Fxg7, sont imparables. Également mauvais est 15... Cc4 16.Cxe6
Dxd l 17.Taxd l Cxb2 18.Td7, avec un jeu blanc supérieur.
16.Dc2
Les Blancs menacent maintenant le pion e4.
16...f5 17.Dc3!
La vraie pointe du 13ème coup blanc apparaît enfin. Les Blancs menacent à la
fois 18.Dxa5 et un coup de Cavalier (18.Cxe6 ou 18.Cxf5) dévoilant une atta­
que sur g7.
17...Cc4
La seule façon de résister car 17...Ff6 perd rapidement après 18.Dxa5 Fxd4
19.Tad1 Fb6 (19. .. Fxb2 20.Txd5 Fxd5 2 l .Dd2 confisque un Fou.) 20.Dc3,
menaçant à la fois la Dame noire et mat en g7.
18.Cxf5! Ff6
Là encore les Noirs n'ont pas le choix car 18...Fxf5 permet aux Blancs de
metre un terme brutal à la partie par 19 .Dxg7 mat.
19.Dxf6?
Un rare exemple d'imprécision chez Rubinstein. Voyant une finale gagnante,
il ne prend pas la peine de chercher une suite meilleure: 19.Ce7+! Rh8 20.Cxd5
Fxc3 21.Cxc3 Cxb2 22.Fxe4 lui donnait deux pions de plus.
19...gxf6 20.Ce7+ Rti 21.Cxd5 FxdS
Les Blancs pareraient 2 l...Cxb2 par 22.Cc7 suivi de Cxe6 et Fxe4, avec une
partie gagnée.
22.Tfdl Re6 23.Fc3 Tfd8 24.Td4 fS 25.g4!

229
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

La superbe technique de Rubinstein en finale fait apparaître les choses comme


simples, alors que les Fous de couleurs opposés créent au contraire de grandes
difficultés. Le coup 25.g4 affaiblit le pion e4 et accroît le champ du Fou g2.
2S...Cd6
Les Noirs défendent e4 et menacent le pion b5. Rubinstein a-t-il raté quelque
chose?
26.Tadl
Non, il a tout calculé jusqu'au gain. La menace sur le Fou d5 force la main aux
Noirs.
26...CxbS
Sur la réplique noire 26 ... Fb3, Rubinstein avait préparé une jolie attaque de
mat : 27.gxf5+ Rxf5 28.Txd6 Fxdl 29.Fh3+ Rf4 30.e3+ Rf3 31.Tf6+ Re2
32.Ffl mat (analyse de Hans Kmoch).
27.gxfS+ Rtï
Jouer 27... Rxf5 permet aux Blancs de prendre le Fou avec échec.
28.TxdS TxdS 29.TxdS Cx c3 30.TcS Cx e2+ 31.Rfl Cf4 32.Fx e4
Les Blancs n'ont qu'un pion de plus mais leur Fou est maintenant situé sur une
case très active et leur Tour pénètre joyeusement sur la ?ème rangée.
32...Td8 33.Tc7+ Rf6
Les Noirs menacent 34...T dl mat.
34.Rel Te8 3S.f3 CdS 36.Txb7
Leurs deux pions supplémentaires garantissent aux Blancs une victoire aisée.
36...Cc3 37.Tb4 CdS 38.Ta4! Te7 39.Rf2 Cb6 40.TaS
L'activité momentanée des Noirs touche à sa fin et les Fou et Tour blancs sont
maintenant supérieurs à leurs homologues noirs.
40...Tc7 41.Rg3 Cd7 42.Ta6+ Rg7 43.Rf4
Durant les derniers coups les Blancs ont pris leur temps et amélioré la position
de leur Tour et de leur Roi tout en forçant les pièces adverses à occuper des posi­
tions passives.
43...Cb6 44.h4 Ttï 4S.RgS h6+ 46.Rf4 RJ8 47.a4
Le pauvre Cavalier noir n'aura même pas droit à la case b6.
47...Tc7 48.aS C c4 49.f6 Td7 SO.Tc6

230
CHAPITRE 11 : Les Grands Maîtres de la stratégie

Les Blancs abandonment le pion « a» mais placent le Cavalier à la bande où


il est hors-jeu. Ils ont maintenant pion, Tour, Fou et Roi contre Roi et Tour pour
les Noirs. Il est clair que l'armée noire va bientôt être débordée.
50 ...Cxa5 51.Tc8+ Rfi 52.Re5 Cb7 53.Ff5
Les Noirs abandonnent. S'ils mettent leur Tour en sûreté (par 53... T d l par
exemple), 54.Tc7+ ramasse le Cavalier.

José Raul Capablanca


Né à Cuba en 1888, José Raul Capablanca apprit à jouer à l'âge de quatre ans et
battit Juan Corzo, le Champion de Cuba, en 1901. Il fréquente l'Université de
Columbia en 1906 mais consacre peu de temps aux études. Il préfère jouer des
centaines de parties contre les meilleurs joueurs new-yorkais au Manhattan
Chess Club. C'est là qu'il rencontre Lasker et Alekhine. Le grand Alekhine
raconte qu'il n'a jamais vu de joueur doté d'une « rapidité aussi époustouflante
dans la compréhension des échecs».
Capablanca quitte l'école pour se consacrer à plein temps aux échecs et joue
un match avec le très expérimenté Champion U.S. Frank Marshall, l'écrasant par
un score de huit gains à un. Grâce à cette victoire, l'inconnu qu'était Capablanca
est admis à disputer le redoutable tournoi de San Sebastian en 191 1. De nom­
breux joueurs protestèrent contre la présence, au sein d'une telle élite, d'un jeu­
nôt n'ayant pas encore fait ses preuves mais il fit taire tout le monde en rempor­
tant le tournoi sans appel. Tenu pour l'un des deux ou trois meilleurs joueurs
mondiaux, Capablanca défie Lasker de mettre son titre en jeu mais les condi­
tions posées par le Champion du Monde sont si nombreuses que les deux camps
sont incapables de parvenir à un accord satisfaisant.
En 1913, Capablanca s'arrange pour recevoir un poste au Ministère des
Affaires Étrangères cubain. Il n'a aucune obligation spécifique mais est censé
être une sorte d'ambassadeur en représentation. Toujours sous les feux de la
rampe, ce jeune homme de belle allure, bien habillé, fait toujours bonne impres­
sion. Tous ses problèmes matériels étant pris en compte par le gouvernement
cubain, le charmant et toujours courtois Capablanca continue de jouer aux
échecs et semble mener le monde par le bout du nez. Après avoir terminé

231
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

deuxième après Lasker à St Petersbourg 1914, il rehausse son niveau de jeu au


point de ne perdre qu'une seule partie durant les dix années suivantes ! Ses suc­
cès incluent de nombreuses victoires en tournoi et le gain d'un match pour le
Championnat du Monde contre un Lasker vieillissant en 1921. Tenu pour une
machine échiquéenne invincible, il stupéfie le monde des échecs en perdant le
titre en 1927 face à Alekhine. Capablanca, qui n'était plus dans sa prime jeu­
nesse, fut vaincu par l'âge, la paresse (il n'avait pas pris son adversaire très au
sérieux) et l'ascension d'un nouveau type de joueur. Avec l'incroyable prépara­
tion et l'énergie sans trêve d'Alexandre Alekhine, l'obligation de se consacrer
aux échecs et de travailler dur est devenue partie intégrante du jeu. Des traits de
caractère que Capablanca n'avait pas pris la peine de cultiver. Écarté de
l'olympe, il n'obtint jamais de match revanche et mourut en 1942.
Capablanca fut le premier grand joueur technique à élever l'art de liquider la
position au rang des beaux-arts. Le grand cubain, qui possédait un jugement posi­
tionne! sans faille et une habileté légendaire en finale, évitait les complications
brumeuses, conservait les éléments stratégiques subtils capables d'être exploités
plus tard pour fournir un avantage et menait la partie vers des positions d'une
clarté cristalline. Aimé, craint et même vénéré par ses collègues Grands Maîtres,
Capablanca était considéré comme le joueur ayant le plus grand talent naturel que
l'on n'ait jamais vu. Alekhine, que sa victoire contre le cubain surprit lui-même,
déclara que « le monde ne verrait jamais plus un tel génie ». Et le Champion du
Monde Euwe mit les choses en perspective quand il écrivit (en 1975), «Quand
j'étudie les parties de Capablanca, je me sens vraiment très petit».

Capablanca-Aiekhine
St. Petersbourg, 1914

l.d4 d5 2.c4 c6 3.e3 Cf6 4.Cf3 e6 5.Cbd2 Cbd7


La meilleure réponse au schéma de développement plutôt modeste des Blancs
est 5... c5, exploitant le fait que le Cavalier blanc (qui n'a pas été développé en
c3) ne peut pas faire pression sur d5.
6.Fd3 Fe7 7.0-0 0-0 8.Dc2 dxc4?
Là encore 8 ..c5 est indiqué. Le coup 8 ...dxc4 ne fait qu'attirer le Cavalier
.

232
CHAPITRE 11 : Les Grands Maîtres de la stratégie

blanc sur un fort poste central.


9.Cxc4 c5 10.Cce5 cxd4 ll.exd4 Cb6
Les Noirs espèrent pouvoir profiter du pion isolé « d » blanc, mais dans cette
position le gain d'espace qu'il permet représente un avantage considérable alors
que sa faiblesse potentielle se fait à peine sentir.
12.Cg5
Les Blancs menacent 13.Fxh7+ Rh8 14.Cgxf7+ Txf7 15.Cxf7 mat. Les Noirs
voient naturellement cette menace mais la seule façon de la parer consiste à
jouer ...g6, un coup qui affaiblit les cases noires entourant leur Roi.
12...g6 13.Cgf3 Rg7 14.Fg5 Cbd5 15.Tcl Fd7 16.Dd2 Cg8
Ce coup ôte l'accès de la case h6 au Fou blanc de cases noires.
17.Fxe7 Dxe7 18.Fe4!
Les Blancs tentent de clarifier la position en prenant en d5, laissant les Noirs
avec un mauvais Fou contre un bon Cavalier.
18...Fb5?
Le jeune Alekhine rentre dans les plans adverses. Il aurait mieux fait de jouer
18...Cgf6 19.Fxd5 Cxd5 20.Cg4 f6 21.Dh6+ Rh8, avec une position défensable.
19.Tfel Dd6 20.Fxd5 exd5
Jouer 20 ...Dxd5 est impossible à cause de 21.Tc5.
21 Da5!
La position est représentée au diagramme 119. Capablanca sait que ses
Cavaliers sont supérieurs au Fou adverse (qui ne peut rien attaquer), et prépare
donc la transition vers une finale par 22.Dc7!, un coup qui permet à sa Tour de
pénétrer sur la 7ème traverse.

233
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

DIAGRAMME 119. Trait aux Noirs

21. .. a6 22.Dc7! Dxc7 23.Txc7 h6


Les Noirs doivent se résigner à la perte d'un pion car 23... Tb8 perd sur 24.Cg5
avec la double menace 25.Cgxf7 et 25.Ce6+, gagnant la Tour f8.
24.Txb7
Il ne s'est rien passé d'excitant mais les Noirs sont totalement perdus. Cette
façon paisible de pousser l'ennemi dans l'abîme est typique du style de
Capablanca.
24 ...Tac8 25. b3 Tc2 26.a4 Fe2 27.Ch4!
Un coup écrasant ! La menace est maintenant 28.Chxg6, et 27 ...g5
28.Cf5+suivi de 29.Cg3 prend le Fou au piège.
27... h5 28.Chxg6 TeS 29.Txtï+
Il est étonnant qu'Alekhine n'abandonne pas ici, avec trois pions de moins et
un Roi sous pression.
29...Rh6 30.f4 a5 31.Ch4
Les Blancs menacent 32.Cf5 mat.
31...Txe5 32.fxe5 Rg5 33.g3 Rg4 34.Tg7+ Rh3 35.Cg2
Alekhine abandonne car 36.Cf4 mat est imparable. Ça a l'air simple, non ?
Voilà pourquoi Capablanca était tenu pour une imbattable machine à jouer aux
échecs. Face à lui les autres joueurs semblaient être des enfants !

234
CHAPITRE 11 : Les Grands Maîtres de la stratégie

Aaron Nimzovich
Né en Russie en 1886, Aaron Nimzovich fut le rebelle du monde des échecs.
Alors que la plupart des joueurs apprenaient les doctrines de Steinitz et de
Tarrasch, les grands prêtres reconnus des échecs, Nimzovich prêchait un tout
nouveau système d'idées. Prophylaxie, Surprotection et Blocus en étaient les
trois plus importans concepts, et sa philosophie des échecs fut bientôt connue
sous le nom d'Hypermoderne.
Bien que de nombreux joueurs se soient moqués des étranges théories de
Nimzovich, personne ne pouvait ignorer ce dernier. Comment ne pas tenir
compte de l'un des cinq meilleurs joueurs mondiaux ? Il n'eut jamais la possibi­
lité de jouer pour le titre suprême, et ses résultats en tournoi (il réalisa nombre
de prestations excellentes) ont été largement oubliés. Il mourut en 1935, mais
ses idées ont survécu dans ses livres Mon Système et La Pratique de mon
Système, des ouvrages de référence qui ont permis aux générations ultérieures
de se pénétrer de sa nouvelle stratégie échiquéenne.
Tous les meilleurs joueurs actuels utilisent aujourd'hui les idées de Steinitz et
de Nimzovich, deux hommes qui peuvent être qualifiés de plus grands penseurs
de toute l'histoire des échecs.

Yates-Nimzovich
London,1927

l.e4 c5 2.Cf3 Cf6


Cette version inhabituelle de la défense Sicilienne a été baptisée variante
Nimzovich (l'une des nombreuses ouvertures portant le nom de ce grand
homme). Tout comme la défense Alekhine ( l .e4 Cf6 2.e5 Cd5), la variante
Nimzovich de la défense Sicilienne met les Blancs au défi d'avancer leurs pions.
L'idée noire est que ces pions avancés se transformeront en cibles.
3.e5
Les Blancs souhaitent bien sûr démontrer que leur pion « e » avancé est un

monstre de puissance.
3 .•. Cd5 4.Fc4?!

235
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Ce coup naturel, qui développe une pièce avec gain de temps, est curieusement
erroné. Seul 4.Cc3! parvient à poser des problèmes aux Noirs car 4 ...Cxc3
5.dxc3 donne aux Blancs plus d'espace et la possibilité de développer rapide­
ment leurs pièces, tandis que 4... e6 5.Cxd5 exd5 6.d4 tente de profiter du dou­
blement des pions « d » noirs.
4...Cb6! 5.Fe2 Cc6 6.c3 d5 7.d4 cxd4 8.cxd4 Ff5
Les Noirs veulent jouer ...e7-e6, et doivent donc d'abord sortir ce Fou hors de
la chaîne de pions afin de le placer sur une case active.
9.0-0 e6 10.Cc3 Fe7 ll.Cel
Nimzovich lui-même dit de ce coup « Si l'attaque initiée par ce coup, en l'oc­
currence f4 puis g4 et f5, s'avérait possible, cela prouverait l'incorrection de
8 ...Ff5, ce qui est absurde». Nimzovich, qui a toujours pensé qu'il fallait renfor­
cer son centre autant que possible, recommande l l.Fe3 0-0 12.Tc l suivi de a3,
b4 et Cd2-b3-c5 avec création d'un avant-poste en c5.
Yates était un bon attaquant mais son désir d'entamer une action aggressive a
pris le pas : résultat, il comment l'erreur stratégique évidente de placer son
Cavalier sur la dernière rangée avant que son développement ne soit achevé.
L'absence du Cavalier de f3 affaiblit son contrôle de d4, ce dont Nimzovich tire
immédiatement parti.
ll ...Cd7!
Maintenant 12.f4 est impossible à cause de 12...Cxd4! 13.Dxd4?? Fc5, clouant
la Dame sur son Roi. Également bon pour les Noirs est 12.Fe3 Cdxe5! 13.dxe5
d4 14.Fd2 dxc3 15.Fxc3 Dc7, avec pression sur le pion e5.
12.Fg4 Fg6 13.f4
Yates lance une opération tactique sans tenir compte de ses conséquences posi­
tionnelles.
13...Cxd4!
Le Cavalier est encore tabou à cause de 14... Fc5, gagnant du matériel.
14.Cxd5!
La pointe de la ligne de jeu choisie par Yates. Il voit que 14...exd5 15.Dxd4
Fc5 échoue maintenant sur 16.Fxd7+. Nimzovich, cependant, a vu beaucoup
plus loin dans la position. Au lieu de se satisfaire de petits pièges tactiques, il a

236
CHAPITRE 11 : Les Grands Maîtres de la stratégie

compris que les cases cruciales d5 et f5 tomberaient dans ses mains. Il sait par­
faitement que le contrôle de ces cases lui donnera le contrôle de la partie.
14.•. Cc6 15.Cxe7 Db6+
Un joli coup intermédiaire qui empêche le Fou noir adverse de se developper
en e3.
16.Rhl Cxe7 17.Da4?
Les Blancs auraient dû lutter pour le contrôle du centre par 17.De2.
17..• h5 18.Fh3 Ff5 19.Da3 Db5
Les Noirs attaquent la Tour fl et permettent à leur second Cavalier de bondir
en b6.
20.Rgl Cb6 21.Df3 Cbd5

DIAGRAMME 120. Trait aux Blancs

La différence entre les deux positions commence à devenir claire, comme on


le voit au diagramme 120. Les pièces noires en d5 et f5 sont appuyées par un
pion tandis que les cases miroir en f4 et d4 ne permettent pas le même type d'oc­
cupation par les forces blanches.
22.b3 Db6+ 23.Tf2 TeS
Un coup naturel et tentant que Nimzovich critique vertement. Comme il n'a
aucune intention de roquer sur l'aile-Roi, il lui semble que ce coup sépare son
armée en deux (un groupe sur l'aile-Roi et l'autre sur l'aile-Dame). Il pense après

237
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

coup que 23...0-0-0! est bien meilleur car après ...Rb8 suivi de ...g6, ...Td7 et
...Tc8 il serait parfaitement centralisé, avec des troupes coopérant entre elles.
Nimzovich indique également que la meilleure suite est peut-être le coup tacti­
que 23 ... Fg4! car après 24.Fxg4 hxg4 25.Dxg4 Txh2 26.Dxg7 0-0-0 27.Rxh2
Dxf2 28.Cd3 De2, les Noirs ont une attaque gagnante. Bon ou pas, 23...0-0-0! est
un coup à envisager ici parce que sa philosophie, la cohésion des forces, corres­
pond mieux à la pensée de Nimzovich et s'avère ainsi beaucoup plus instructif.
24.Fd2 Th6 25.Tdl Fxh3 26.Dxh3 Cf5
Les Cavaliers noirs produisent une impression remarquable.
27.Dd3 Tg6 28.Cf3 Tg4
Les pièces noires sont séparées, mais si bien placées que cela ne fait pas vrai­
ment de différence. C'est comme si elles convergaient à partir des ailes, en une
sorte de mouvement en tenaille.
29.h3 Tg3 30.a4 Ch4
Les clouages commencent à rendre les Blancs fous. Maintenant 31 ...Cxf3+
constitue une menace gagnante.
31.Rfl Tc6 32.a5 Dd8 33.Rgl Cf5 34.Rh2
Les Blancs sont ainsi parvenus à repousser la première vague d'attaque noire.
Mais les Noirs ont des pièces si bien placées, par rapport à leurs homologues
blanches, qu'ils maintiennent néanmoins un avantage statique.
34 ...a6 35.Dbl De7 36.Cd4?
Voyant que 36...Cxd4 perd la qualité sur 37.Rxg3, Yates donne libre cours à
son agressivité. Mais ce coup erroné hâte hélas sa défaite car les escarmouches
tactiques bénéficient généralement au camp qui possède tous les atouts position­
nets. Ici, bien sûr, le camp qui tient tous les atouts en main est celui des Noirs.
36...Dh4!
Les Noirs menacent 37...Txh3+ 38.gxh3 Dxf2+.. Yates panique et s'effondre
rapidement.
37.Fel Cxf4 38.Txf4
Le coup 38.Cxf5 échoue sur 38... Txg2+ 39.Txg2 Dxh3+ suivi de ...Dxg2 mat.
38...Txh3+ 39.gxh3 Dxf4+ 40.Rg2 Ce3+
Les Blancs ayant abandonné, Nimzovich reçut le prix spécial de il 0 qui

238
CHAPITRE 11 : Les Grands Maîtres de la stratégie

récompensait la partie la mieux jouée du tournoi. Que les joueurs d'échecs mou­
russent souvent de faim n'était vraiment pas étonnant !

Tigran Petrossian
Né en 1929 à Tbilissi, Tigran Petrossian se familiarisa avec la complexité du jeu
positionnel grâce aux livres de Nimzovich. Il devint en conséquence le plus
grand maître de la prophylaxie que le monde ait jamais connu. Il fut pratique­
ment imbattable à son apogée grâce à sa capacité à anticiper tout plan imaginé
par l'adversaire, à quoi s'ajoutaient sa merveilleuse technique en finale, sa viva­
cité tactique et sa patience inépuisable.
Pas homme à gagner beaucoup de parties, Petrossian ne remporta pas énormé­
ment de tournois. En match, par contre, ses talents le rendaient plus que redou­
table. En 1963 il arracha le titre de Champion du Monde à Botvinnik par cinq
gains, deux défaites et quinze nulles, après un combat de deux mois. Il défendit
ensuite son titre victorieusement contre Spassky, remportant cette fois quatre
parties pour trois défaites et dix-sept nulles. Il perdit son second match contre
Spassky en 1969 et succomba d'un cancer en 1984.
Petrossian aimait améliorer lentement la position de ses pièces. Il adorait aussi
les positions fermées où il pouvait lutter calmement pour le contrôle de cases
clés. Ce style prudent en fit le moins populaire de tous les Champions du
Monde, et son génie fut rarement apprécié des joueurs dont le niveau de jeu était
inférieur à celui de maître, ce qui est vraiment dommage car ses parties sont des
modèles de profondeur et de subtilité, et profitent à tous ceux qui prennent le
temps de les étudier.

Petrossian-Taimanov
Championnat de l'U.R.S.S., 1955

l.d4 dS 2.c4 e6 3.Cf3 Cf6 4.Cc3 c6 5.e3 Cbd7 6.Fd3 Fb4


La défense Semi-Slave est devenue très populaire récemment, bien que la plu­
part des gens traitent aujourd'hui cette position en jouant 6 ... dxc4 7.Fxc4 b5 (une
ligne de jeu introduite par Rubinstein).

239
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

7.0-0 0-0 8.Dc2 F d6


L'aller et retour ... Fb4-d6 représente une perte de temps mais Petrossian n'es­
saye pas de réfuter immédiatement l'adversaire. Il semble passer au-dessus de
Taimanov tel un glacier ancien mais irrésistible.
9.b3 dxc4 10.bxc4 e5 ll.Fb2 TeS 12.C e4 Cxe4 13.Fxe4 h6?
Les Blancs sont nettement mieux grace à leur avantage d'espace mais ce coup
perd rapidement le contrôle des cases blanches et mène à un désastre complet.
Meilleur était 13 ...g6 14.Fd3 De7 15.c5 Fc7 16.Fc4!, et si les Blancs ont une
position favorable, les Noirs peuvent encore lutter.
14.Tadl exd4 15.Fh7+!

DIAGRAMME 121. Trait aux Noirs

Une surprise qui force le Roi noir à se rendre sur l'inconfortable diagonale a 1-
h8. On voit au diagramme 1 21 que l'immédiat 15.Txd4 est paré par 15...Cf6.
15...Rh8 16.Txd4
Sur 16 ...Cf6 les Blancs jouent maintenant 17.Tfd l Cxh7 18.Txd6 De7
19.Txh6, gagnant un pion et l'initiative.
16 ...Fc5
Les Blancs prennent également le dessus après 16 ...De7 17.Te4 Df8 18.T h4
C e5 19.Cg5! f5 20.Fg6 Cxg6 2l .Txh6+ Rg8 22.Txg6 (analyse de O'Kelly).
17.Tf4 De7 18.Te4! Df8 19.Th4

240
CHAPITRE 11 : Les Grands Maîtres de la stratégie

Les Blancs menacent de profiter du clouage sur la diagonale a1-h8 en jouant Txh6.
19 f6
•..

Ce coup résout tous les problèmes le long de la diagonale a1-h8, mais les
Noirs souffrent maintenant d'un cas terminal de leucémie sur cases blanches.
20.Fg6 Te7 21.Th5
Les Blancs permettent au Cavalier de venir en h4, d'où il pourra participer à la
fête qui se déroule sur cases blanches.
21...Fd6 22.T dl Fe5 23.Fa3 c5
Maintenant d5 (une autre case blanche!) devient accessible aux pièces blanches.
La position de Petrossian est toutefois si écrasante qu'il n'en a même pas besoin.
24.Ch4
Taimanov, humilié, voit qu'il ne dispose d'aucune défense contre la menace
25.Fh7 suivi de 26.Cg6+, et abandonne donc.

Je peux personnellement attester de la façon dont les Grands Maîtres considé­


raient Petrossian. Durant les analyses post mortem, à la fin d'une ronde de tour­
noi, tous les joueurs parlent en même temps mais si Petrossian dit quelque chose,
alors tout le monde se tait et écoute. On notera aussi avec intérêt que le jeune
Karpov, lorsqu'il perdit contre Petrossian, regarda son grand adversaire et lui
demanda « Pouvez-vous je vous prie me dire où j'ai commis une erreur ? ».

Anatoly Karpov

Anatoly Karpov est né en 1951 à Zlatoust, peite ville des montagnes de l'Oural
où il apprit les échecs, comme Capablanca, à l'âge de quatre ans à peine. Karpov,
mince et doté de grands yeux, donne l'impression d'avoir une constitution men­
tale et physique faible. C'est toutefois une illusion. Ce corps fragile est habité
par une détermination et un esprit de décision incroyables.
En 1975, Karpov remporta le Championnat du Monde par forfait contre
Bobby Fischer. Embarrassé d'avoir acquis le titre ainsi, il joua dans pratique­
ment tous les grands tournois de l'époque, tentant désespérément de prouver
qu'il méritait sa distinction de champion. En gagnant pratiquement toutes les
manifestations où il participa (et il joua beaucoup plus de tournois que n'importe

241
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

quel champion antérieur ou ultérieur), il s'est forgé le meilleur palmarès en tour­


noi de toute l'histoire des échecs. Il a dit un jour : « Pour être champion il ne
suffit pas de bien jouer. Il faut aussi être solide ». Ce commentaire en dit long
sur ce grand joueur.
En 1985 Karpov finit par perdre le titre de Champion du Monde contre Garry
Kasparov, après l'avoir conservé durant dix ans. Il le regagna en 1993 quand
Kasparov fut déchu de son titre par la FIDE. Il était une fois de plus Champion
du Monde, et une fois encore par forfait ! Bien que plus de la première jeunesse,
il montra qu'il méritait encore ce titre en remportant le super tournoi de Linares
en 1994. En scorant deux points et demi de plus que Kasparov, qui terminait en
deuxième place, Karpov fit une fois de plus la preuve de son incroyable connais­
sance du jeu et de son exceptionnelle vigueur mentale.
Karpov, qui possède un style positionne} unique, semble toujours disposer de
pièces bien défendues et exploite l'avantage spatial mieux que quiconque dans
l'histoire des échecs. Celui qui définit le mieux la philosophie de ce grand cham­
pion est Karpov lui-même :
Supposons qu'une partie puisse se poursuivre de deux façons : l'une est une
suite tactique superbe dont les variantes ne se prêtent pas à un calcul précis, tan­
dis que l'autre donne une pression positionnelle claire et mène à une finale où
les chances de victoire sont microscopiques ... Je choisis la deuxième voie sans
même y penser. Si mon adversaire insiste pour un jeu aigu, je n'ai rien contre,
mais dans ces cas je suis moins satisfait, même si je gagne, que si la partie a été
menée selon tous les canons stratégiques, avec leur logique implacable.

Karpov-Spassky
Léningrad, 1974
11 ème partie du Match

l.d4 Cf6 2.c4 e6 3.Cf3 d5 4.Cc3 Fe7 5.Fg5 h6 6.Fh4 0-0 7.e3 b6 8.Fe2 Fb7
9.Fxf6 Fxf6 10.cxd5 exd5 11.0-0 Dd6
On atteint une position bien connue de la variante Tartacover du Gambit­
Dame Refusé. Les Noirs tâcheront de jouer ... c7-c5 et d'activer leur Fou noir et
leurs pions de l'aile-Dame. Ce coup peut entraîner certaines faiblesses de pions

242
CHAPITRE 11 : Les Grands Maîtres de la stratégie

mais les Noirs en acceptent l'augure en échange d'un jeu de pièces actif.
12.Ta cl a6 13.a3
Karpov empêche le plan noir car 13 ...c5? tournerait très mal après 14.dxc5
bxc5 15.Ce4! suivi de 16.Cxc5. Ce coup et le suivant démontrent sa maîtrise
dans le domaine de la prophylaxie.
13...Cd7 14.b4 bS
L'option ...c5 n'existant plus, les Noirs changent de plan et créent un fort point
d'appui en c4 pour leur Cavalier. Il est vrai que ...b5 donne un pion arriéré en c7
mais le Cavalier, une fois rendu en c4, plombera la colonne « c » et rendra
improbable toute attaque contre c7.
lS.Cel
Un coup logique en direction de c5. Mais il s'agit là de la seule erreur com­
mise par Karpov dans cette partie. Par 15.Cd2! suivi de Cb3 et peut-être Ca5, il
aurait empêché la poussée libératrice ...a6-a5.
1S...c6 16.Cd3 Cb6?
Correct était 16...a5!, avec des chances égales. Spassky ne se remettra pas de
cet unique faux-pas.
17.a4 Fd8 18.Cc5 Fc8 19.a5
Une avance importante. Désormais le pion « a » ne sera plus sous pression par
le Cavalier adverse c4, tandis que le pion « a » noir nécessitera une défense
constante parce qu'il est avidement guetté par le Cavalier c5.
19...Fc7
Avec cette petite menace, ...Dxh2 mat, Spassky compte créer des cases blan­
ches faibles autour du Roi adverse, qu'il espère pouvoir exploiter un jour.
20.g3 Cc4 21.e4!
Une excellente décision stratégique. L'aile-Dame étant fermée, Karpov se
dépêche de se créer un jeu actif au centre.
21...Fh3 22.Tel dxe4 23.C3xe4 Dg6 24.Fh5!
Les Blancs houspillent les Noirs et refusent de se laisser entraîner dans
24.Fxc4? bxc4 25.Txc4 f5! suivi de 26...f4, avec forte attaque noire.
24...Dh7 2S.Df3
Le pion c6 est soudain devenu une cible. Les Blancs menacent aussi de piéger

243
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

le Fou blanc ennemi par g3-g4.


25...f5?
Les Noirs empêchent la menace mais se créent trop de faiblesses au centre.
Des coups aussi agressifs et affaiblissants n'ont aucune chance d'aboutir quand
on les joue en état d'infériorité positionnelle.
26.Cc3
Soudain c'est la banqueroute positionnelle noire. Les Blancs menacent Dxc6, et
Ce6 ou Te6 peuvent aussi survenir à tout moment. Les Noirs n'ont d'autre choix
que de gagner le Fou blanc en espérant pouvor survivre à l'orage qui gronde.
26...g6 27.Dxc6 gxh5 28.Cd5

DIAGRAMME 122. Trait aux Noirs

On constate au diagramme 122 que les Noirs ont une pièce de plus mais que
leur Roi est dans les courants d'air et que l'armée blanche domine le champ de
bataille. Les Noirs ne peuvent parer les menaces Dxc7, Cxc7, Te7 et Te6.
28...f4
Une recherche désespérée de contre-jeu.
29.Te7 Df5 30.Txc7
Les Noirs aimeraient jouer ... fxg3, mais Ce7+ gagne la Dame.
30...Tae8 31.Dxh6
Les Noirs doivent maintenant parer Dg7 mat.

244
CHAPITRE 11 : Les Grands Maîtres de la stratégie

3l...Ttï 32.Txtï Rxtï 33.Dxf4 Te2 34.Dc7+ Rf8 35.Cf4


Les Noirs abandonnent. Karpov donne l'impression que ses victoires sont
remarquablement simples.

Les autres grands stratèges


Il me faut terminer par un mot d'explication, et peut-être d'excuses. Même s'il
est clair que de grands joueurs tels que Lasker, Alekhine, Tal et Kasparov ont été
exclus de cette liste parce que nous recherchions des génies positionnels et non
tactiques, l'absence de Botvinnik et de Fischer pourra peut-être troubler certains
de leurs aficionados. De fait, ces deux Champions du Monde ont presque eu leur
place dans ce chapitre et n'en ont été exclus qu'au tout dernier moment.
Mikhail Botvinnik fut un joueur stratégique brillant, mais je pense que la
science a joué un rôle encore plus important dans ses parties. La profondeur de
ses préparations (qui incluaient les aspects mentaux, physiques et théoriques des
échecs) était sans égale, et il me semble appartenir à une catégorie légèrement
différente : il fut le premier grand joueur scientifique.
Bobby Fischer aurait également pu faire partie de cette liste de génies straté­
giques, mais là encore je le vois en tête d'une catégorie qui lui est propre : uu jeu
parfait dans l'ouverture, dû à une préparation intensive (Alekhine fut le premier
grand théoricien des ouvertures et Fischer suivit ses pas), une intense volonté de
vaincre (rappelant Emmanuel Lasker), un traitement incroyablement simple et
lucide du milieu de jeu (en l'observant, on se demande si Capablanca n'est pas
ressuscité), et un talent phénoménal en finale (une combinaison de Rubinstein
et de Capablanca) faisaient de Bobby le joueur parfait. Le mettre en valeur en
tant que génie stratégique ne serait pas rendre un hommage suffisant à l'héritage
qu'il nous a laissé.

245
CHAPITRE 12

Les solutions
des tests

TEST 1 : Dans la partie les Noirs s'accrochèrent aveuglément à leur Dame par
9... Dg6?? et en payèrent le prix après 10.Td8+ Rf7 l l .Fc4+ Fe6 12.Cxe5 mat.
Mais au lieu de faire preuve d'une avidité aussi suicidaire, les Noirs auraient dû
rattraper leur retard en développement par 9...Fxc3+ (ce coup n'est pas absolument
nécessaire mais affaiblir la structure de pion adverse ne peut pas faire de mal).
Après 10.bxc3 Cf6! l l .Txd6 cxd6, les Blancs sont à bout de menaces et les Noirs
ont toujours un avantage matériel colossal sous la forme d'une Tour de plus.

TEST 2 : Les Blancs doivent naturellement échanger les Dames ! Le coup appa­
remment horrible l.Dd2!, qui vise g5 ou h6, est en fait plus que les Noirs n'en
peuvent supporter. En réponse à l ... Ff5, les Blancs décident qu'ils ont tout sous
contrôle et gagnent encore un peu de matériel par 2.Txa6 avant d'échanger.
Après 2...Txa6 3.bxa6 Ta8 4. Dg5+ Dxg5 5.Fxg5 Txa6 6.gxf3 gxf3 7.Cxf3, les
Blancs gagnent en quelques coups.

TEST 3: Échanger par 1 ... Dg l + 2.Rc2 Dxb l + 3.Rxbl est le plus simple. Jouer

246
CHAPITRE 12 : Les solutions des tests

1.. .h3 force aussi les Blancs à abandonner. Toutes les pièces noires sont proté­
gées, le pion « h » court vers la victoire et tout espoir blanc de pat est voué à
l'échec car les Noirs ont prudemment donné la case de fuite c2 au Roi adverse.
Jouer l ...Rc3?? est une toute autre paire de manches. Ce coup semble excellent
à première vue car il menace de mat en d2, et 2.Tc l + Dxc l +! 3.Rxc l h3 permet
d'aller à Dame. Mais les Noirs n'ont hélas laissé aucune case de fuite au Roi
adverse, un oubli que les Blancs exploitent en jouant 2.Tb3+!, après quoi
2...Rxb3 conduit à la nullité par pat tandis que 2 ...Rd4 3.Txe3 Rxe3 4.Re l h3
5.Rfl rentre dans une finale Roi et pion totalement nulle.

TEST 4 :Non, car l ...Txa2 permet aux Noirs de jouer 2.Ch2 suivi de 3.Cg4+,
et soudain le Cavalier blanc entre puissamment en jeu. Dans la partie Fischer
empêcha cette possibilité par un joli sacrifice de qualité menant à une finale
gagnante : l ...Txh5! 2.Txh5 Tf2+ 3.Rg3 Txfl 4.Th8 Rxe4 (les pions blancs
commencent à tomber comme des mouches) 5.Ta3 Tg l + 6.Rh2 Tel 7.Txa4
Tc2+ 8.Rhl c5 9.Ta3 Rxf5. Les Noirs finiront par l'emporter grâce à la force de
leurs pions passés liés de l'aile-Roi.
Ce sacrifice de qualité est de haut niveau et je ne m'attends pas à ce que la plu­
part d'entre vous l'aient vu. Vous pouvez être fier de vous si vous vous êtes
aperçu que les coups normaux permettaient au Cavalier blanc de devenir trop
dangereux. Vos résultats s'amélioreront rapidement si vous parvenez à dévelop­
per votre flair pour le contre-jeu ennemi.

TEST 5 :Les deux cases susceptibles d'être revendiquées par les Noirs sont c5
et b4. Une fois cet objectif clair, la route y menant est plutôt aisée à trouver :
l ...Cb7 suivi de 2 ...Cc5 (attaquant le pion b3). Si le Cavalier veut alors aller en
b4 (bien que c5 soit supérieur car de là le Cavalier a des cibles d'attaque), il peut
sauter en a6 et de là en b4.

TEST 6 : Le Fou blanc d3 est clairement mauvais car ses pions centraux sont
situés sur des cases de sa couleur et le bloquent. Le Fou blanc en d2 est bon, tout
comme le Fou noir en d7. Le Fou noir en d4 est mauvais mais actif parce qu'il est

247
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

parvenu à s'installer sur une position menaçante à l'extérieur de sa chaîne de pions.

TEST 7 : Jouer l .d3 est correct mais ne fait rien pour les Tours blanches. Jouer
l .d4! est beaucoup plus dynamique. Après l...exd4 2.Cxd4, les Blancs ont gagné
de l'espace. Ils ont également créé une colonne « d » semi-ouverte que leurs
Tours peuvent utiliser. Si les Noirs ne prennent pas en d4, les Blancs peuvent
prendre en e5 quand ils le souhaitent et ouvrir complètement la colonne« d ».

TEST 8 : En fait les Blancs gagnent facilement bien qu'ils soient en retard de
matériel. Après l .Tee7, ils parviennent à doubler leurs Tours sur la 7ème rangée.
Cette disposition redoutable leur permet de dévorer ce qui traîne sur leur passage
tout en tourmentant le Roi noir. Voici la suite: l ...f6 2.Txg7 h5 3.Th7 (menaçant
4.Th8 mat) 3 ...Rg8 (3 ...Re8 4.Tc7 Rd8 5.Tcg7 mène au mat) 4.Tdg7+ Rf8 5.g4!
hxg4 6.h5. Rien ne peut maintenant empêcher 7.h6 suivi de 8.Thh8 mat.

TEST 9 : Certains pourraient penser que le Roi noir est supérieur parce qu'il a
toujours le droit de roquer, mais le roque mettrait précisément le Roi hors-jeu.
Le Roi blanc est en revanche très bien en c2. Rien ne peut l'attaquer, il défend
b2 ainsi que les trois points de pénétration sur la colonne« d » (d3 , d2 et d l ), et
il est prêt à foncer vers l'ennemi dès que quelques pièces supplémentaires auront
été échangées. Si vous avez préféré la position du Roi blanc, vous commencez
à bien sentir quand un Roi est en sécurité au centre ou pas.

TEST 10 : Si vous avez voté pour 1 ..0-0, vous avez fait le mauvais choix. Que
.

peut bien faire le Roi noir en g8? Absolument rien. Le Fou blanc est pour l'ins­
tant plus actif que son homologue noir. Les Noirs devraient faire participer leur
Roi au combat en jouant l...Re7! suivi de 2...Fe6 (après l'échange, le Roi noir
serait mieux placé que celui des Blancs), qui donne une position très confortable.

TEST 11 :Je suis content que vous ayez déclaré mauvais ce coup de Dame pré­
coce. Mais, en fait, il y a plus à dire sur ce coup que ne l'indique la simple préci­
sion« bon» ou« mauvais». La Dame est bien placée en d4 si rien ne peut l'atta-

248
CHAPITRE 12 : Les solutions des tests

quer. Est-ce le cas ici ? Les Blancs ne craignent pas 4...e5 car ce coup affaiblit la
case d5 et laisse un pion« d »attardé aux Noirs. Plus embêtant est 4...Cc6, mais
les Blancs peuvent alors jouer 5.Fb5, clouant le gênant Cavalier. Après 5 ... Fd7
6.Fxc6 Fxc6, la Dame blanche peut demeurer là où elle était mais en en payant le
prix : les Noirs ont maintenant la paire de Fous. Cette situation nouvelle mène à
des stratégies différentes et pose de nouveaux problèmes aux deux camps. L'un
dans l'autre, 4.Dxd4 est jouable mais certainement pas à craindre pour les Noirs.

TEST 12 : Si vous pensez que les Noirs doivent avancer leur pion en d5, vous
n'avez toujours pas compris ce que j'ai dit à propos des stratégies Fou contre
Cavalier. L'horrible l ...d5?? ne perd pas de matériel mais je lui attribue deux
points d'interrogation pour indiquer une gaffe de la pire espèce. Pourquoi juger
aussi durement cette avance de pion ? Parce qu'elle perd immédiatement la
bataille du Fou contre le Cavalier. En un seul coup les Noirs parviennent à fer­
mer le centre (ce qui favorise le Cavalier), à bloquer leur Fou en plaçant un pion
sur case blanche (ce qui est également en faveur du Cavalier), et à concéder la
case e5 à l'ennemi qui pourra l'utiliser comme avant-poste permanent pour son
Cavalier. Jouer un coup aussi lamentable est évidemment un suicide positionne!.
Beaucoup plus logique est l ...d6!. Ce coup d'apparence innocente s'avère très
utile. Les cases c5 et e5 sont maintenant inaccessibles aux pièces blanches, la
diagonale a8-h 1 demeure ouverte et le Cavalier adverse ne dispose d'aucun
avant-poste où bondir. Après l ...d6, le Fou noir, très actif sur sa belle diagonale,
est clairement supérieur au Cavalier blanc.

TEST 13 : Non ! Jouer l ...Cxc2?? serait une gaffe positionnelle d'une gravité
sans pareille car vous échangeriez un Cavalier dominant pour un Fou absolu­
ment pathétique. Après 2.Txc2, les Blancs pourraient soudainement profiter de
la colonne « d » en jouant 3.Td2 et 4.Td5+, ce qui est impossible aussi long­
temps que le Cavalier demeure sur la superbe case d4. Dans la partie, Petrossian
joua l ...Tg5 et tortura très très longtemps son adversaire sans défense. Les Noirs
finirent pas gagner quand ils trouvèrent le moyen de percer la position blanche.

249
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

TEST 14 : Les Noirs doivent jouer l ...g5! sans même réfléchir. Le problème des
Blancs est que tous leurs pions sont sur cases blanches, ce qui les rend vulnéra­
bles aux attaques du Fou adverse. Par l...g5!, les Noirs fixent les pions g4 et h3
sur cases blanches et placent simultanément leurs propres pions de l'aile-Roi sur
cases noires. Pensez à utiliser vos pions pour restreindre les mouvements adver­
ses ! Après l...g5! 2.Fd3 h6 3.Fe2 (3.Ff5 Fg2 ramasse le pion h3) 3. .. Fe4! (et
non 3...Fg2 4.Rf2 Fxh3?? 5.Rg3, et le Fou est piégé) 4.a3 a5! (fixant le pion b3
sur une case vulnérable et menaçant de le gagner par ... Fc2) 5.Rd2 (permettant
au Roi noir de pénétrer, mais 5.Fd l perd le pion« h »après 5...Fg2 6.Rf2 Fxh3
7.Rg3 Ffi et le Fou s'échappe, tandis que 5.Ff l perd b3 après 5...Fc2) 5... Rf4
suivi de ... Rg3 avec gain matériel.

TEST 15 : Jouer l.f4 est tentant. Cela force le Cavalier à reculer et place les pions
blancs de l'aile-Roi sur cases noires. Mais cette avance de pion est en fait mauvaise.
La raison de ce jugement, c'est que ce coup permet aux Tours noires de pénétrer
dans la position blanche, ce qui leur est impossible pour l'instant. Les cases e l , e2,
e3 et e4 sont toutes bien gardées. Après l .f4?, toutefois, il n'en va plus de même.
Maintenant e3 est vulnérable et sera utilisé comme plaque tournante par les Tours
noires. Les Noirs peuvent aussi placer leur Cavalier sur cette case par ...Ch7, ...Cf6,
...Cg4 et ...Ce3. La morale ? Méfiez-vous des coups de pion qui offrent des pro­
messes d'attaque mais qui laissent des trous béants dans leur sillage !

TEST 16 : Les Blancs peuvent gagner immédiatement en faisant sauter le blo­


cus en b7 par l.Fd5!, qui laisse les Noirs sans bonne défense. Souvenez-vous:
si vous avez un pion passé, faites sauter le blocus mis en place par votre adver­
saire et enfoncez-lui le pion dans la gorge !

TEST 17 : Les Noirs ont l'avantage. La majorité de pions blanche sur l'aile­
Dame est doublée, et donc dévaluée car elle ne peut produire de pion passé. Le
jeu peut se poursuivre ainsi : l .a4? (les Blancs devraient jouer l.Tc3 et lutter
pour leur salut) l ...Td3, et maintenant 2.a5+ Rb7 tout comme 2.axb5 axb5 ne
donne absolument rien pour les Blancs.

250
CHAPITRE 12 : Les solutions des tests

TEST 18 : Les deux camps possèdent trois îlots de pions dans cette position
théorique bien connue. Les pions noirs en a7 et d5 sont potentiellement faibles,
et il n'y a pas de quoi se vanter des pions blancs en f3, f2 et h2. Bien que de nom­
breux ouvrages d'ouverture donnent un léger avantage aux Blancs, je me suis
toujours senti à l'aise avec les Noirs. Mon Roi centralisé peut prendre part au
combat, et mon pion « d » est également passé, et donc dynamique. Dans ma
partie contre lvanov, les Blancs ont joué 1.0-0 et après l ...Re6 2.Te l + Rf5 3.Fe3
Fe7 4.Tadl T hd8 5.Td4 g5! (empêchant les échecs en f4) 6.Ted l Re6 7.Te l Rf5
8.Ted l Re6 les chances sont absolument équivalentes.

TEST 19: Si vous avez remarqué qu'une lutte Fou contre Cavalier était en train
de se dérouler, votez-vous des félicitations et offrez-vous une quelconque folie
qui vous fera plaisir. Je voulais que les Blancs jouent g2-g3, qui place encore un
autre pion sur case noire et handicape leur Fou de cases noires qui ne peut sor­
tir de la chaîne de pions par la manœuvre Fe3-f2-h4. Après 2.g3, j'ai immédia­
tement saisi de l'espace sur l'aile-Dame et préparé une attaque de minorité par
2...b5!. Je suis parvenu à jouer plus tard ...T b8, ...b5-b4 et ...bxc3, une série de
coups qui donne aux Blancs des faiblesses vulnérables sur l'aile-Dame. J'ai fina­
lement attaqué et encerclé ces cibles, ce qui s'est montré suffisant pour gagner.

TEST 20 : Les deux Cavaliers noirs sont placés sur d'excellents postes. Le
Cavalier c5 est en sécurité car si les Blancs jouent b4, la case c4 sera affaiblie (ce
que les Noirs exploiteront par ... Cd7-b6-c4), et s'ils jouent Fxc5, les Noirs répli­
quent par ... Fxc5 (et le Fou est très fort sur la diagonale a7-g l ). Mais les Noirs ne
se sont pas aperçus que leur autre Cavalier ne jouissait pas d'une situation aussi
permanente. Ils auraient dû s'assurer que la case f5 resterait sous leur contrôle en
jouant l ...h5!. En jouant à la place l...Fe7 ils autorisent 2.g4!, après quoi 2...Ch6
3.h3 donne un tout autre tableau. Ce qui était un fier Cavalier en f5 est maintenant
devenu un vieux canasson incapable de rentrer en jeu. La morale : quand vous
contrôlez une case importante, assurez-vous qu'elle reste dans vos mains !

TEST 21 :Les Blancs devraient continuer à jouer dans leur propre secteur par

251
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Cb3, Tel et finalement c4-c5, ouvrant des lignes pour pénétrer dans la position
adverse. Un coup tel que l .f4? est mauvais non seulement parce qu'il ne suit pas
les plans sur l'aile-Dame mais aussi parce que les Blancs payent un prix trop
élevé pour gagner l'espace sur l'aile-Roi. Par l .f4? exf4, les Blancs ouvrent la
diagonale a l -h8 au Fou noir (qui était mauvais jusqu'à ce qu'on lui permette
ainsi de ressusciter), s'infligent volontairement un pion attardé sur la colonne
« e » semi-ouverte et créent un superbe avant-poste en e5 pour le Cavalier noir.
Ne prenez pas d'espace si ce faisant vous concédez de nombreux autres avanta­
ges à votre adversaire !

TEST 22 : Non. l .d5? est un coup très faible. Vous voulez contrôler des cases
avec votre centre, pas les donner ! Jouer l .d5 donne la case c5 sans l'ombre
d'une raison et perd l'option d'ouvrir le centre à un moment favorable par dxe5
(ce que l'on peut préparer par Fa3, Dc2, Cc4, etc.).

TEST 23 : Le centre étant bloqué par les pions, les Blancs doivent porter leur
attention sur les ailes. Les Noirs ayant plus d'espace sur l'aile-Dame, les Blancs
n'ont plus qu'un côté disponible pour jouer. Ont-ils un avantage quelconque sur
l'aile-Roi ? Oui. Ils ont plus d'espace (leurs pions e5 et h4 leur procurent beau­
coup plus de territoire dans cette zone) et plus de forces (toutes leurs pièces visent
cette direction). Pour couronner le tout les Noirs ont très peu de défenseurs sur
l'aile-Roi et le milieu de l'échiquier bloqué les empêche de contre-attaquer au
centre. Les Blancs peuvent courir sus aux Noirs de différentes façons. Par exem­
ple par l.Th3 suivi de 2.Tg3. Mais le plus forçant est sans conteste le sacrifice
connu sous le nom de Sacrifice de Fou Classique, qui se déroule ainsi :

l.Fxh7+
Les Blancs donnent une pièce pour détruire la couverture de pions autour du
Roi noir, et convient l'infortuné monarque à une balade sur l'échiquier.
l...Rxh7 2.Cg5+
La Dame et le Cavalier blancs se joignent maintenant à l'attaque avec gain de
temps.
2...Rg8

252
CHAPITRE 12 : Les solutions des tests

Les choix sont limités: 2 ...Rh6? perd la Dame après 3.Cxe6+, et la seule autre
possibilité, 2 ...Rg6?, perd de façon similaire par 3.h5+ Rh6 4. Cxe6+.
3.Dh5
Les Blancs menacent de mat en h7. Ce Sacrifice de Fou Classique ne fonc­
tionne généralement pas si les Noirs peuvent maintenant empêcher le mat par
...Cf6 (ici, ...Cf6 serait paré par le simple exf6) ou ... Ff5 (si le Cavalier d7 et le
pion e6 n'existaient pas, les Noirs pourraient jouer ... Ff5 et être en sécurité. Cela
fait naturellement beaucoup de si !).
3... Te8 4.Dxf7+ Rh8 5.Dh5+ Rg8 6.Dh7+ Rf8 7.Dh8+ Re7 8.Dxg7 mat.

TEST 24: Le Fou de cases noires et le Cavalier visant tout deux g7, et la Dame
pouvant se joindre à l'assaut, c'est là que cela devait exploser. Voici le déroule­
ment du combat, au coup par coup :
l.Fxg7!
Les Blancs démolissent les remparts de l'aile-Roi.
l...Fxg7 2.Dg5
Maintenant g7 tombe et la partie est subitement finie. À quoi leur pion supplé­
mentaire a-t-il servi aux Noirs ? À rien du tout ! L'attaque des Blancs sur l'aile­
Roi s'avère gagnante, mais s'ils n'en avaient pas profité immédiatement ils
auraient sûrement perdu.
2...Rf8 3.T xe6!
Les Noirs espéraient pouvoir conduire leur Roi en un lieu plus sûr après
3.Dxg7+ Re7. Mais la position des pions entourant le Roi noir vole en éclats
après3. Txe6!.
3 De5
•..

Désespoir, mais après 3... fxe6 4.Dxg7+ Re8 5.Fxh7 les Noirs ne peuvent parer
la menace 6.Fg6+.
4.Txe5 FxeS S.Tel TeS 6.Db6+ Re7 7.f4
Maintenant les Blancs ne cherchent plus à mater le Roi noir et se satisfont de cap­
turer toutes les pièces adverses. Les Noirs, dont l'armée est en déroute, abandonnent.
Il importe peu que vous ayez vu l .Fxg7 ou pas. Il est par contre important que vous
ayez diagnostiqué que les Blancs pouvaient entreprendre une action sur l'aile-Roi.

253
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

TEST 25 : Jouer 10.g4 n'a pas de but réel. Non seulement il affaiblit le pion
« g »,mais il concède aussi la case f4. Les Blancs ont toujours leur Roi au centre
et n'ont pas complété leur développement, alors d'où tireraient-ils le droit d'atta­
quer? Plus sain est 10.Fe3 Cgf6 l l .Cd2,qui apporte un soutien supplémentaire à
e4 et empêche le Cavalier adverse de se rendre en g4. Mais les Blancs,parce qu'ils
ont attaqué plus tôt,sont restés dans cet état d'esprit et se jettent sur leur épée.
10.g4? Cgf6 ll.Ch4?!
Que fait ici ce Cavalier ? Avancer n'est pas toujours bénéfique !
ll ... a6 12.Fd3 CeS
Le Cavalier arrive sur une bonne case et découvre une attaque sur g4 par le Fou c8.
13.g5 Ch5
Le Cavalier se dirige vers f4, et le Fou e7 attaque g5. Qui est réellement en
attaque ici?
14.Tgl Cf4 15.Fxf4 exf4 16.Cf3 0-0 17.Fe2 f6 18.Cd4
Les Blancs,à juste titre,n'aiment pas 18.gxf6 Fxf6,après quoi les Noirs ont la
paire de Fous et contrôlent la case e5. Leur coup tente de gagner du matériel
mais échoue sur une suite tactique que j'avais vue plusieurs coups auparavant.
18...fxg5 19.b4
La pointe de 18.Cd4. Si mon Cavalier se retire en d7,20.Ce6 gagne du matériel.
19...Ff6!
Les faiblesses blanches sur cases noires commencent à se faire sentir.
Maintenant 20.bxc5 dxc5 ne donne rien aux Blancs car leur Cavalier d4 ne peut
bouger (à cause de ...Fxc3).
20.Dd2 Fe5!
Je joue encore sur les mêmes faiblesses. Le tentant 2 l .bxc5 échoue maintenant
sur 21...Df6 22.T d l dxc5,tandis que 22.0-0-0 est paré par 22...f3, qui menace le
Fou e2 ainsi que ... Ff4, qui gagne la Dame.
21.Tdl Df6 22.Fg4 Fxg4 23.Txg4 Cd7 24.Cde2 f3
Les Blancs, qui ne tiennent pas à voir 25.Cd4 Ff4 26.Dd3 Ce5, qui prend en
fourchette la Dame et la Tour g4,abandonnent.
Les passes tactiques ont toutes été en faveur des Noirs car, par leur attaque
dénuée de fondement sur l'aile-Roi,les Blancs ont fait des concessions position-

254
CHAPITRE 12 : Les solutions des tests

nelles (comme le gênant Fou de cases noires) donnant plus de puissance aux for­
ces noires dans le combat qui a suivi.

TEST 26 : Quand on est opposé à un joueur dont le classement est supérieur au


sien de plusieurs centaines de points, on a tendance à penser que cet adversaire
omnipotent voit tout. Une telle attitude conduit naturellement à une défaite cer­
taine. Chacun est humain et tout le monde commet des bourdes. Vous devez
essayer de jouer de façon identique quel que soit votre adversaire, qu'il soit
débutant ou Champion du Monde.
Les Noirs ont un pion de moins dans cette position, et perdront presque certai­
nement s'ils ne trouvent pas rapidement quelque chose. Ils peuvent se défendre
par l ...De8??, mais 2.Fxf7+ Dxf7 3.Dxa8+ gagne alors facilement pour les
Blancs. Le coup l ...Tf8 est une autre tentative de défense, mais les Blancs pren­
nent un clair avantage par 2.b3. Je vois constamment des joueurs perdre en face
d'un adversaire mieux classé par ce genre de continuation. Les Noirs pourraient
toutefois passer à la postérité par le coup apparemment risqué 1.. .Dxc2!, car
après 2.Dxa8+ Rh7 les Blancs ne peuvent parer le mat 3.Rgl Dxf2+ 4.Rhl
Dxg2. Les autres réponses à l ...Dxc2! ne sont pas meilleures pour les Blancs:
2.Fxf7+ Rh7 donne un gain facile aux Noirs, tandis que 2.Dxf7+ Rh8 sonne
aussi le glas des Blancs.
Je pense que les Noirs auraient pu voir l ...Dxc2 si les Blancs avaient été bien
moins classés qu'eux et s'ils avaient dû se concentrer pour trouver un moyen de
gagner. Je crois aussi que la différence de classement aurait donné aux Noirs
assez d'assurance pour trouver la solution ! Une fois de plus les petits chiffres
idiots qui apparaissent à la suite d'un nom insufflent du courage ou bien la peur
à des joueurs, quelle que soit leur conformation mentale. Jouez l'échiquier et non
le classement, vous verrez que vos résultats s'amélioreront !

255
GLOSSAIRE

Abandon: Quand un joueur voit qu'il va perdre et souhaite rendre les armes sans attendre le mat,
il abandonne. Pour cela, il dit simplement« J'abandonne » ou bien il couche son Roi sur l'échiquier
en signe d'impuissance. Quand vous commencez à jouer aux échecs, je vous recommande de ne
jamais abandonner. Jouez toujours jusqu'au bout.

Actif: Appliqué au style de l'adversaire, signifie une préférence pour un jeu tactique ou agressif.
Sinon signifie un coup - ou une position - agressif.

Aile : Les colonnes« a », « b >> et« c >> du côté Dame, et« f »,« g >> ainsi que« h >> du côté Roi.

Aile-Dame : La partie de l'échiquier délimitée par les colonnes« a >>« b >>« c >> et« d >>. Les piè­
ces de l'aile-Dame sont la Dame, le Fou qui la jouxte, le Cavalier voisin de ce Fou et la Tour pro­
che de ce Cavalier. Voir aussi aile-Roi.

Aile-Roi: La partie de l'échiquier délimitée par les colonnes« e >>« f»« g >> et« h >>.Les pièces
de l'aile-Roi sont le Roi, le Fou qui le jouxte, le Cavalier voisin de ce Fou et la Tour proche de ce
Cavalier. Voir aussi aile-Dame.

Air : Aux échecs, donner de l'air à son Roi signifie lui offiir un peu d'espace. Cela consiste à avan­
cer l'un des pions situés devant le Roi, afin d'éviter les possibilités de mat du couloir.

Analyse : Le calcul d'une série de coups dans une position donnée. En tournoi, on n'a pas le droit
de bouger les pièces pour analyser et l'on doit calculer de tête. Quand la partie est finie, les adver­
saires font le plus souvent l'analyse post-mortem de la partie qu'ils viennent de jouer, en déplaçant
les pièces pour tenter de voir quels coups auraient été les meilleurs.

Annotation: Commentaires écrits sur une partie ou une position, sous la forme d'un texte, d'une
suite de coups en notation algébrique ou des deux.

Attaque : Lancer une action agressive dans un secteur donné de l'échiquier, ou menacer de captu­
rer une pièce ou un pion.

256
GLOSSAIRE

Attaque à la découverte: Une attaque à la découverte est une sorte de guet-apens où Dame, Tour
ou Fou se tiennent à l'affût, prêts à attaquer quand une autre pièce ou pion leur libère la voie.

Attaque double : L'attaque simultanée de deux pièces ou pions.

Attraction : Tactique consistant à attirer une pièce adverse sur une case déterminée.

Avantage : Une nette supériorité de position, généralement basée sur la force (le matériel), le
temps, l'espace ou la structure de pions.

Batterie: Le doublement de Tours sur une colonne, ou le positionnement d'une Dame et d'un Fou
sur la même diagonale, crée une batterie.

Berserker : Un style de jeu caractérisé par une attaque forcenée avec une ou deux pièces. Il tire
son nom des anciens guerriers scandinaves, qui entraient en transe furieuse avant de combattre et
attaquaient leurs adversaires sans l'ombre d'une stratégie ni la moindre peur du danger personnel.

Blocus : Stopper un pion ennemi en plaçant une pièce (idéalement un Cavalier) sur la case qui lui
fait immédiatement face. Popularisé par Aaron Nimzovich.

Calcul de variantes : Résoudre une suite de coups sans bouger les pièces physiquement.

Centre: Le centre est la zone de l'échiquier contenue dans le rectangle c3-c6-f6-f3. Les cases e4,
d4, e5, et d5 représentent la partie la plus importante du centre.Les colonnes << d >> et « e » sont
pour leur part appelées colonnes centrales.

Classement : Chiffre mesurant la force relative d'un joueur. Plus ce nombre est élevé et plus le
joueur est fort. Voir aussi classement Elo.

Classement Elo : Le système de classement des joueurs. Mis au point par le professeur Arpad Elo
(1903-1992) du Milwaukee, et adopté par la F.I.D.E. en 1970. Un débutant reçoit un classement
d'environ 900 points, un joueur de club moyen atteint 1600 points, un Champion national 2300
1
points, et le Champion du Monde 2800 points �

Classique : Un style de jeu qui a pour objectif Il! création d'un fort centre de pions. Les principes
classiques ont tendance à être dogmatiques et inflexibles. La philosophie de jeu classique a fmi par
être contestée par les soi-disant« hypermodemes ».Voir Hypermodeme.

Clouage : Situation où un joueur attaque une pièce, que son adversaire ne peut bouger sans per­
dre une autre pièce de plus grande valeur. Si la pièce de plus grande valeur est le Roi, il s'agit d'un

257
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

clouage absolu, sinon c'est un clouage relatif.

Colonne: Série de huit cases disposées verticalement. En notation algébrique on désigne ainsi les
colonnes« a)),«
_ b)), et ainsi de suite. Voir aussi Colonnes semi-ouvertes et Colonnes ouvertes.

Colonne ouverte : Série de huit cases verticales libres de tout pion. Les Tours déploient leur force
maximale quand elles sont placées sur des colonnes ou des rangées ouvertes.

Colonne semi-ouverte : Une colonne qui ne contient plus de pion ami, mais où un ou plusieurs
pions ennemis sont situés.

Combinaison: Un sacrifice combiné à une suite de coups forcés, pour exploiter les particularités
d'une position dans l'espoir de réaliser un objectif précis.

Compte d'espace: Système numérique utilisé pour déterminer qui contrôle plus d'espace, selon
lequel on attribue 1 point à chaque case des zones de l'échiquier de chaque camp contrôlée par une
pièce ou un pion adverse.

Compte de points : Système conférant une valeur numérique aux pièces : Roi« valeur inestimable
)), Dame« 9 points)), Tour« 5 points)), Fou« 3 points)), Cavalier« 3 points)) et pion« 1 point>> .
Certains manuels attribuent une valeur pratique de 3,5 points au Roi.

Contre-jeu: Se produit quand le joueur qui jusque là était sur la défensive entreprend lui-même
une action agressive.

Contrôle: La domination totale d'une zone de l'échiquier. Dominer une colonne ou une case, ou
simplement avoir l'initiative, peut représenter un contrôle.

Contrôle du temps: En compétition internationale, les joueurs doivent jouer un nombre spécifié
de coups en un laps de temps donné. Le contrôle de temps habituel se fait après 2 heures de
réflexion pour chaque joueur, pour jouer 40 coups. Chaque joueur, quand il a joué ses 40 coups,
se voit attribuer du temps additionnel (généralement 1 heure pour 20 coups). Le joueur qui a uti­
lisé tout son temps, sans parvenir à jouer le nombre de coups requis, perd la partie par dépasse­
ment de temps, quelle que soit la position sur l'échiquier.

Coup intermédiaire : Le coup intermédiaire, parfois désigné par le mot allemand zwischenzug,
est un coup qui apparaît par surprise dans une séquence par ailleurs complètement logique (par
exemple un échec interrompant une série d'échanges), et qui modifie le résultat de cette séquence.

Coup tranquille: Un coup d'apparence modeste qui n'est ni une prise, ni un échec, ni une menace

258
GLOSSAIRE

directe. On trouve souvent des coups tranquilles à la fm d'une manœuvre ou d'une combinaison
gagnante.

Crise de temps : L'un des moments les plus excitants d'une partie d'échecs se produit en tournoi
quand un joueur (ou les deux) a utilisé presque tout son temps mais doit encore jouer plusieurs
coups avant d'atteindre les 40 ou 45 coups fatidiques. Il commence à jouer de plus en plus vite, fai­
sant parfois voltiger les pièces tant la frénésie due à la panique est grande. Cette phase de jeu voit
beaucoup de gaffes tragiques. Certains joueurs entrent en crise de temps dans pratiquement toutes
leurs parties et sont connus pour être « accros » à cette forme d'excitation.

Défense : Un coup ou une série de coups conçus pour parer une attaque ennemie. Terme égale­
ment utilisé dans l'intitulé du nom donné à de nombreuses ouvertures choisies par les Noirs. Par
exemple la défense Française ou la défense Caro-Kann.

Développement : Processus consistant à jouer des pièces de leur position de départ vers de nou­
veaux emplacements, où elles contrôlent davantage de cases et jouissent d'une plus grande mobi­
lité.

Déviation : Tactique visant à éloigner le principal défenseur d'une zone critique, de façon à ce que
la défense s'effondre.

Échange : Qualifie tout troc d'une pièce pour une autre (généralement des pièces de même valeur).

Échec à la découverte : Attaque à la découverte donnant également échec au Roi ennemi.

Échec double : Attaque à la découverte par deux pièces faisant chacune échec au Roi. Le Roi doit
bouger et l'armée ennemie est ainsi paralysée pour au moins un coup.

Échec perpétuel : Situation qui se produit quand un joueur donne échec à son adversaire, forçant
la réponse, suivi d'un autre échec dont la réponse est forcée, suivi d'un autre échec répétant la pre­
mière position. Une telle série pouvant se prolonger sans fin, le jeu est déclarée nul après la répé­
tition de position. Voir aussi triple répétition de position.

Enftlade : Menace contre une pièce de forte valeur, qui la force à bouger, permettant la capture
d'une autre pièce située derrière.

En passant : Quand un pion avance de deux cases (ce qu'il peut faire seulement s'il n'a pas encore
bougé) et croise un pion ennemi situé sur une colonne adjacente à hauteur de la Sème rangée
adverse, il peut être pris par le pion ennemi comme s'il n'avait avancé que d'une case. Cette cap­
ture optionnelle n'est permise que si elle est effectuée à la première occasion possible; sinon le droit

259
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

de prendre ce pion en passant est perdu.

Égalité : Signifie qu'aucun des deux camps n'a d'avantage ou bien que les avantages réciproques
s'équilibrent.

Espace :Territoire contrôlé par chaque joueur.

Étude :Positions théoriques ou compositions, mettant en valeur des thèmes tactiques inhabituels.

Faiblesse :Pion ou case facile à attaquer, et donc difficile à défendre.

Fianchetto :Terme italien signifiant coup de côté, qui ne s'applique qu'aux Fous. Le fianchetto
(prononcer fyan-KET-to) est un mode de développement consistant à placer un Fou blanc en g2
ou b2 ou un Fou noir en g7 ou b7.

F.I.D.E.: Acronyme de Fédération Internationale des Échecs.

Finale, ou fin de partie : La finale est la troisième et dernière phase d'une partie d'échecs. Elle
survient quand il ne reste plus que quelques pièces sur l'échiquier. L'échange des Dames est le
signal le plus clair du début de la finale.

Force :Le matériel. On parle d'un avantage « en force » quand un joueur dispose de plus de maté­
riel que son adversaire, ou quand il surclasse ce dernier dans une zone précise de l'échiquier.

Forcé : Se dit d'un coup (ou d'une série de coups) devant impérativement être joué pour éviter un
désastre.

Fous de couleur opposée : Se dit quand les joueurs ont chacun un Fou et que ces Fous courent
sur des cases de couleur différente. Les Fous de couleur opposée ne peuvent jamais entrer en
contact direct.

Fourchette : Manœuvre tactique par laquelle une pièce ou un pion attaque simultanément deux
pièces ou pions ennemis.

Fourchette royale :Fourchette attaquant Roi et Dame adverses.

Gaffe : Un coup horrible, perdant du matériel ou bien impliquant des concessions positionnelles
ou tactiques décisives.

Gambit : Un sacrifice volontaire d'au moins un pion dans l'ouverture, dans l'idée d'obtenir une

260
GLOSSAIRE

compensation (généralement du temps, dans le but de se développer).

Grande combinaison : Une combinaison qui se déroule sur de nombreux coups et qui exploite
plusieurs thèmes tactiques.

Grand Maître : Un titre attribué par la F.I.D.E. aux joueurs répondant à une liste précise de cri­
tères de performance, dont un classement Elo élevé. C'est le titre le plus élevé (à part celui de
Champion du Monde) auquel on puisse prétendre aux échecs. En dessous on trouve les titres de
Maître International et de Maître F.I.D.E., qui est le titre le plus bas décerné au niveau internatio­
nal. Parce qu'il est attribué à titre définitif, le titre de Grand Maître ne peut être perdu. Voir aussi
Classement Elo et Maître.

Harcèlement : Aboutit à une situation identique à l'échec perpétuel, à ceci près que la pièce pour­
chassée est un F ou, un Cavalier, une Tour, ou une Dame au lieu du Roi.

Hypermoderne : École de pensée née en réaction aux théories classiques. Si l'on en croit les
hypermodernes, placer un pion au centre durant l'ouverture c'est en faire une cible. Les héros de
ce mouvement furent Richard Réti et Aaron Nimzovich, qui proposèrent chacun l'idée d'un
contrôle du centre par les ailes. Comme les idées des classiques, celles des hypermodernes peu­
vent être poussées à l'extrême. De nos jours, les deux points de vue sont considérés comme cor­
rects. La combinaison des deux philosophies est nécessaire pour résoudre avec succès toutes les
situations pouvant se présenter. Voir aussi Classique.

Initiative : Quand vous pouvez créer des menaces auxquelles votre adversaire doit répondre, on
dit que vous avez l'initiative.

Interposer : Placer une pièce ou un pion entre une pièce ennemie attaquante et une pièce attaquée.

Intuition : Trouver le bon coup ou la bonne stratégie en se fiant à son inspiration plutôt qu'au calcul.

Jeu serré: Manque de mobilité provenant généralement d'un désavantage d'espace.

Maître : Aux États-Unis, tout joueur ayant un classement de 2200 ou plus. Si le classement du
joueur tombe sous les 2200, ce titre est retiré. Voir aussi Grand Maître.

Mat: Raccourci pour échec et mat, c'est-à-dire une attaque contre le Roi ennemi à laquelle ce der­
nier ne peut se soustraire. Quand un joueur mate le Roi adverse, il gagne la partie.

Mat à l'étouffée : Quand un Roi totalement entouré par ses propres pièces (ou situé au bord de
l'échiquier) reçoit un échec ennemi qu'il ne peut parer, on dit qu'il est victime d'un mat à l'étouffée.

261
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Matériel: Pièces et pions. Un joueur a l'avantage matériel quand il a plus de pièces ou pions sur
l'échiquier que son adversaire, ou quand il possède des pièces de plus grande valeur. Voir aussi
Compte de points.

Milieu de jeu: Phase de la partie se situant entre l'ouverture et la finale.

Mobilité: Liberté de mouvement des pièces.

Notation algébrique: Façon de noter les coups joués parfois nommée notation échiquéenne ou
simplement notation. Il y a probablement autant de possibilités de noter les coups d'échecs qu'il y
a de langues. Cependant la notation algébrique est devenue le standard international.
En bref, on attribue une lettre et un chiffre à chaque case de l'échiquier. Les colonnes sont dési­
f, g et h, de gauche à droite vu du côté blanc, tandis que les ran­
gnées par les lettres a, b, c, d, e,
gées se voient attribuer les chiffres 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8, en montant à partir du camp blanc. Le
coin inférieur gauche est donc la case a l et le coin supérieur droit la case h8.
Quand une pièce se déplace d'une case à l'autre, la notation algébrique permet d'identifier la
à la case a8, écrit-on Ta8.
pièce et la case sur laquelle elle se rend. Ainsi, si la Tour va de la case a l
Pour les coups de pions on n'écrit que la case d'arrivée, par exemple e4. Le petit roque est noté 0-
0, et le roque sur l'aile-Dame 0-0-0.

Nulle: Partie où les adversaires n'ont pu se départager. La nullité peut résulter d'un pat, d'une tri­
ple répétition de la position ou d'un accord mutuel entre les joueurs. Voir aussi Pat et Triple répé­
tition de la position.

Occupation : On dit d'une Tour, d'une Dame ou d'un Fou contrôlant une colonne, une rangée ou
une diagonale qu'ils occupent cette colonne, rangée ou diagonale. On dit d'une pièce qu'elle occupe
la case sur laquelle elle est située.

Ouvert: Raccourci pour jeu ouvert ou colonne ouverte. Dans sa forme anglo-saxonne (open), ce
terme définit aussi un type de tournoi auquel des joueurs de toute force peuvent participer. Bien
que chaque joueur termine fréquemment le tournoi avec autant de points que des joueurs de force
différente (plus forts ou moins forts), les prix sont généralement répartis par groupe de force, en
fonction du classement Elo des joueurs, et récompensent ceux qui marquent le plus de points dans
chacun de ces groupes. Ce type de tournoi ouvert (open) est extrêmement populaire aux États­
Unis. Voir aussi Colonne ouverte; Partie ouverte.

Ouverture, L' : Début d'une partie, soit les premiers douze coups environ. Les objectifs de base
de l'ouverture consistent à :
• Développer ses pièces aussi vite que possible.
• Contrôler le centre autant que faire se peut.

262
GLOSSAIRE

• Roquer rapidement, pour mettre son Roi en sûreté tout en rapprochant une Tour du centre et en
la plaçant sur une colonne susceptible de s'ouvrir.

Ouvertures : Suites établies de coups, répondant aux canons énoncés dans « L'ouverture )). Ces
séquences de coups sont souvent baptisées du nom du joueur qui les a inventées ou de l'endroit où
elles furent jouées pour la première fois. Certaines ouvertures, telles que le Gambit du Roi et le
début Anglais, ont été analysées à fond dans la littérature échiquéenne.

Paire de Fous : Deux Fous, par opposition à Fou et Cavalier ou à deux Cavaliers. Deux Fous coo­
pèrent, car ils contrôlent les cases des deux couleurs. Voir aussi Fous de couleurs opposées.

Partie fermée : Position caractérisée par des chaînes de pions bloquées. Ce type de position tend
à favoriser les Cavaliers sur les Fous, car les pions bloqués entravent les diagonales.

Partie ouverte: Position caractérisée par de nombreuses colonnes, rangées ou diagonales ouver­
tes et peu de pions au centre. L'avance en développement devient un facteur extrêmement impor­
tant dans les positions de ce type.

Pat: En anglais, signifie que deux forces s'équilibrent. Aux échecs, le pat survient quand la posi­
tion d'un joueur est telle qu'il ne dispose d'aucun coup légal, chaque mouvement qu'il pourrait jouer
mettant son Roi en échec. Le pat donne la nullité.

Pendant: Pion ou pièce non défendu, et donc susceptible d'être capturé.

Percée : Pénétration de la position ennemie, généralement par un pion.

Petite combinaison: Combinaison impliquant un petit nombre de coups.

Pièces majeures: Dames et Tours. On dit aussi pièces lourdes.

Pièces mineures: Fous et Cavaliers. On dit aussi pièces légères.

Piège: Façon cachée d'inciter son adversaire à commettre une bévue.

Pions doublés: Deux pions de même couleur disposés sur une même colonne. Ce doublement ne
peut exister qu'à la suite d'une capture.

Pion passé : Pion dont l'avance vers sa dernière rangée ne peut être empêchée par un pion ennemi,
et dont la promotion est donc inévitable. Voir aussi Promotion, Sous-promotion.

263
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Pions passés liés : Deux pions passés ou plus, de même couleur, sur des colonnes adjacentes. Voir
aussi Pion passé.

Pion passé protégé : Pion passé défendu par un autre pion. Voir aussi Pion passé.

Plan : Objectif à court ou long terme sur lequel un joueur base ses coups.

Position critique : Moment important de la partie, où la victoire ou la défaite se jouent.

Positionne): Coup, style ou jeu basés sur des considérations de long terme. On dit de l'accumula­
tion patiente de petits avantages qu'elle est positionnelle.

Principes généraux : Règles de base régissant les échecs, énoncées pour aider les joueurs les
moins avancés à jouer de façon logique dans divers types de positions. Ces principes sont égale­
ment utilisés par les Grands Maîtres, plus souvent qu'on ne le croit, d'ailleurs !

Promotion : On dit promouvoir ou damer. Quand un pion atteint sa dernière rangée, il est promu
en Fou, Cavalier, Tour ou (le plus souvent) Dame de sa propre couleur. Voir aussi Sous-promotion.

Qualité, La: Gagner la qualité signifie échanger l'un de ses Fous ou Cavaliers (pièces mineures
valant 3 points) contre une Tour ennemie (pièce majeure valant 5 points).

Rangée: Série horizontale de huit cases. En notation algébrique on nomme ces rangées : 1ère ran­
gée, 2ème rangée et ainsi de suite.

Romantique : Durant l'ère romantique (comprenez « macho ») des échecs, qui s'étend du début
jusqu'au milieu des années 1800, sacrifice et attaque étaient considérés comme la seule façon de
jouer « en homme )). Si un sacrifice vous était proposé, le refuser était jugé comme du dernier
couard. On qualifie aujourd'hui de romantique tout joueur au penchant pour les attaques audacieu­
ses et les sacrifices, qui jette souvent les précautions au vent.

Roque: Un joueur roque par un mouvement simultané de son Roi et d'une Tour. C'est le seul coup
permettant de déplacer deux pièces en même temps. Grâce au roque, le Roi fuit le centre (qui est
le principal théâtre d'action dans l'ouverture) vers l'aile, où il sera protégé par des pions. En outre
le roque développe une Tour.
Quand les Blancs font le petit roque, ils jouent leur Roi de e l en g l et leur Tour de h l en fi.
Quand les Noirs font de même, ils déplacent leur Roi de e8 en g8 et leur Tour de h8 en fR Quand
les Blancs font le grand roque, ils bougent leur Roi de el en c l et leur Tour de a l en d l . Pour effec­
tuer la même manoeuvre, les Noirs jouent leur Roi de e8 en c8 et leur Tour de a8 en d8.

264
GLOSSAIRE

Sacrifice : Offre volontaire de matériel en échange d'une compensation sous forme d'espace, de
temps, de structure de pions ou même de force (un sacrifice peut mener à un avantage de force sur
une zone précise de l'échiquier). Parce qu'on ne peut toujours le calculer jusqu'au bout, contraire­
ment à la combinaison, le sacrifice comporte souvent une part d'incertitude.

Sacrifice de dégagement : Coup qui sacrifie une pièce gênante dans le but de jouer un coup fort.

Simplifier : Échanger des pièces pour rendre la position plus paisible, en éliminant le potentiel
d'attaque adverse ou en clarifiant la situation.

Spéculatif : Joué sans pousser le calcul aussi loin qu'on le fait d'ordinaire. Tout calculer n'est par­
fois pas possible, ce qui incite un joueur à se baser sur son intuition, à partir de laquelle il peut ima­
giner un plan spéculatif. Souvent utilisé pour parler d'un sacrifice. Par exemple, les Blancs jouent
un sacrifice spéculatif.

Sous-promotion : Promotion d'un pion en une pièce autre qu'une Dame.

Stratégie : Raisonnement à la base d'un coup, d'un plan ou d'une idée.

Structure de pions : Aussi appelée squelette de pions. Façon dont les pions sont disposés sur
l'échiquier.

Style : Chaque joueur approche les échecs d'une façon différente, en raison de sa personnalité et
de ses préférences. Le type de coup choisi par quelqu'un donne souvent des indications sur cette
personne en tant qu'être humain. Dans une partie entre joueurs de types antagonistes (par exemple
un attaquant contre un joueur positionne) tranquille), le gagnant sera la plupart du temps celui qui
aura réussi à imposer son style à l'autre.

Surexposé : On risque de surexposer sa position en gagnant trop vite de l'espace. Pousser ses pions
en avant pour contrôler un territoire étendu peut laisser des faiblesses dans son propre camp ou
même affaiblir les pions avancés eux-mêmes. On dit alors de la position qu'elle est surexposée.

Tactique : Manœuvres visant à profiter d'opportunités à court terme. Toute position comportant de
nombreux pièges et combinaisons est considérée comme tactique par nature.

Tempo : Un coup en tant qu'unité de temps (pluriel tempi). Si une pièce peut atteindre une case
utile en un coup mais prend deux coups pour s'y rendre, elle perd un temps, ou tempo. Après l.e4
eS 2.d4 exd4 3.Dxd4 Cc6 par exemple, les Noirs gagnent un temps en développant leur Cavalier
et les Blancs en perdent un car leur Dame est attaquée et il faut la bouger une deuxième fois pour
ne pas la perdre.

265
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Temps: Outre l'utilisation usuelle de ce terme(« Les Noirs n'ont pas le temps d'empêcher toutes
les menaces blanches . . . »), le temps mesure le développement. Il fait aussi référence au temps de
réflexion mesuré par une pendule d'échecs. Voir Contrôle du temps et Tempo.

Théorie : Fait référence à des positions connues de l'ouverture, du milieu de jeu et des fmales,
documentées dans des ouvrages.

Transposition: Parvenir à une position d'ouverture identique par un ordre de coups différent. Par
exemple on arrive généralement à la défense Française par l .e4 e6 2.d4 d5, mais l.d4 e6 2.e4 d5
transpose dans la même position.

Triple répétition de la position: Survient quand des joueurs ont répété la même position trois
fois, ce qui se produit souvent quand un joueur, en retard de matériel et près de perdre la partie,
sacrifie pour placer un échec perpétuel (voir Échec perpétuel). La triple répétition de la position
conduit à la nullité.

Trou: Case faible, qui ne peut être défendue par un pion. Ces cases constituent d'excellents empla­
cements pour une pièce, qu'aucun pion hostile ne peut chasser.

Variante : Analyse d'une suite de coups donnée, quelle que soit la phase de la partie. Il peut s'agir
d'une ligne de jeu autre que celle qui s'est réellement jouée. Souvent on utilise aussi le terme de
variante pour décrire l'un des choix possibles dans une ouverture, par exemple la variante
Wilkes-Barre (baptisée du nom d'une ville de Pennsylvanie) ou la variante Paulsen de la
Sicilienne. Certaines variantes sont autant analysées que leurs ouvertures mères. Des livres entiers
ont été écrits sur des variantes bien connues.

Variante préparée : Aux échecs, les professionnels analysent souvent les livres d'ouvertures dans
l'espoir de trouver un plan, ou un coup, nouveau. Quand un joueur fait une découverte de ce genre,
il met fréquemment sa variante préparée de côté pour l'utiliser contre un adversaire bien précis.
Quand un professionnel introduit un nouveau coup, on qualifie souvent ce dernier de nouveauté
théorique.

Zugzwang : Mot allemand indiquant la nécessité de jouer. Fait référence à une situation où un
joueur préfèrerait ne pas jouer, car tout coup conduit à une détérioration de sa position, mais y est
contraint car il est illégal de passer !

Zwischenzug : Voir coup intermédiaire.

266
INDEX

A 160,162,164,166,173,219,236,249,
Abandon,39 252
Abrahamson,180 Avantage
Actif conversion en gain,35
case, 91 définition,14
pièces,42 dé veloppement (de),120,195,197
Adams,194 dynamique,14
Affaiblissement espace (d'), 15,56, 58,106,160,173,
de cases,130 185,218
sur l'aile,32 matériel,16,17,32,37,125,147,189,
Aile-Dame, 44, 47, 69, 82, 87, 101, 204, 213,215
106,112,121,132,133, 134,135,136, dilapider son,23
160,169,171,173, 192, 199,204,218, partie à, 24
224,237,253 permanent,46
Aile-Roi, 18, 45, 47, 69, 101, 102, positionne!,35
106,107,109,118,120, 132,133,135, statique,14,42
157,160,169,175,192,193,198,199, Averbakh,152
218,224,237,253
Alékhine, 73, 75, 76, 133, 231, 232, B
245 Bande,19
batterie d',76 Bannik,59
Appui (point d'), 50, 53, 54, 57, 58, Barbero,94
59, 60, 61, 97, 99, 101, 104, 105, 131, Barcza,146
155,160,226,243 Benkô,208
Ashe,180 Blackburne,164
Attaque, 18 Blocus,118,127,130,250
de minorité,149,152,199, 251 Bloquer
double, 91 un pion,36
plan d',22 Bloqueur,55,56,127
sur leRoi,134,175,186,198 Bobotso v,150,199
Avant-poste, 97, 99, 106, 129, 157, Bondarevsky,56

267
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Botvinnik,36,37,73,74,111,245 de pions,77,80,176
Bronstein, Il l fermé, 68, 82, 83, 106, 120, 121,
Brown,26 159,201,210
Browne,155 ouvert,82,121,185
semi-fermé,82
c Chaîne (de pions), 66, 69, 98, 106,
Calcul,13 107,117,138,139,150,172,236
Capablanca, 135, 136, 137, 172, 231, Cible,20,22
232 Clouage, 120,151,202,236,238,249
Cardoso,208 Cohn,85
Case Colonne
active, 91 occuper,46
avancée,97 fermée,27
bonne,97 ouverte, 59, 72, 74, 77, 99, 106, 122,
complexe de,164 124,134,146,148,159,160,188,200
contrôle de,44, 87 pression sur,46
critique, 70,149,176,237,251 semi-ouverte, 77, 90, 141, 148, 180,
d'appui,50 188,223,248,252
faible, 112, 130, 139, 155, 156, 157, Compétition,11
166,171 Consolidation,17,18,21
forte, 159 Contreieu,37,120,175,218,247
gagner une,42 éliminer,35, 42,43,44, 45,46,147,
moins active,33 151,179
occupation,58 Contrôle,57
passive,99 7è rangée (de la),72,73,78
vulnérable,102 case (de),119
Cavalier,49 colonne (d'une), 74, 82
bon,108, Il l ,126 Cramling, 67
contre Fou,97
contre mauvais Fou,108,111,233 D
dans une position fermée,55 Dame,88
devant un pion passé, 55,56 hors-jeu,94
dominant,103 risquer la,90
fourchette,50 vulnérabilité,89
passif, 125 Damjanovic, 108
Centre, 81, 169, 181, 185, 187, 192, Défense, 18
204,224,236 Hollandaise, 56
bloqué, 170,192 Développement, 17

268
INDEX

avance, 25, 67, 120, 187, 195, 197, Fischer (Robert James),40,45,48,50,
210,212 68, 69, 77, 78, 91, 109, 140, 156, 157,
retrrd,18,24,25,31,33,80,120,187, 245,247
210,211 Formanek,170
supérieur,28 Fou,61
Diagonale,27,67,214,249 actif, 64, 65, 66, 71, 97, 108, 181,
fermée, 27 247,249
ouverte, 124, 160 bon, 63, 65, 70, 71, 77, 107, 122,
Donner,152 157,247
Durao, 156 contre Cavalier, 97, 154, 162, 249,
251
E couleur opposée (de), 230
Échange,169,218 inactif,56,71,99
pour entrer en finale,17,18 mauvais,63,64,65,66,68,69,70,71,
en fmale gagnante,29,30,186 77,106,107,111,131,172,247
pour simplifier,30,40 mauvaise couleur (de la),61
Égalité,51 parre,61,107, Il l ,162,181,249,254
Espace,13 Fourchette,70,254
avantage d',15,56,58,80,106,168, de Cavalier,50
1885 de pion, 123
central,24 royale,123,154
sur t l'aile-Dame,57
Esprit critique,12 G
Euwe (Max), 13,232 Gligoriç (Svetozar),46,48
Evans (Lany), 13 Gormon,31
Granda Zuniga,210
F
Faible H
case, 112, 130, 139, 155, 156, 157, Harston, 42
166,171 Hooper, 13
pion, 47, 48, 77, 99, 124, 125, 142, Hübner,142
145,146,173
Faiblesse, 118, 121, 145, 149, 152, 1
161 Inactif
FIDE,10 pièce,42
Finale,16,17,135,189 Initiative,185
gagnante,29,186,191,229
entrer en,31,192 K

269
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Kan,36 rendre du,18


Karpov (Anatoly), 18, 104, 128, 155, retard,248
158,161,163,189,192,203,211,241 supériorité (force), 15
Kasparov,242,245 Matulovic,45
Keene,42 Mecking,158
Korchnoi, 92,128,189,192 Menace,24
Kovaceviç,81,83 chances d',30
Kveinis,141 repérer les,37
sur une diagonale,42
L mctique,37
Larsen,68,70,86,91,142 Miagmasuren,150
Lasker (Edward),83 Minorité (atmque de),149,152,199
Lasker (Emmanuel), 115, 172, 217, Mobilité
223,231,245 des pièces,13,15
Lautier,201
Lignes N
ouvertes,31 Nimzo�ch,72,75,76,126,235
Lilienthal,97 Nomtion
Lobron,174 des coups ,11
Nullité, 62
M 0
Majorité (de pions), 100, 101, 102, Objectifs, 13
132,133,135,136,207,250 Occupation
Makagonov,37 case (de),58
Malachi,34 . Oxford Companion of Chess,13
Marshall,136,231
Mat,28, 39, 40, 69, 92, 95, 107, 113, p
114,125,159, 166, 174, 187, 189, 191, Pachman,124
192,196,204,229,234,243,253 Passif
Matériel,13 position,42
avanmge,16,17,20,32,37,125,147, Pénétration, 72, 77, 78, 82, 102, 108,
189, 204,213,215 109, 110,125, 130, 164, 176,179,225,
compte,11 233,248
consolider,20,21 Perte
déficit,25,28,190 matérielle, 42
dilapider,23 Petrossian (Tigran),43,44, 50,56,59,
égalité,20,51 78,97,114,146,150,199,239
perdre,42 Philidor,115

270
INDEX

Pièce 61,97,99,101,104,105,131,155,160,
active, 42 226,243
inactive,42 Faible,56
où jouer ses,49 Portisch,124
Pion Position
actif, 126 améliorer,33
arriéré, 243 consolider,18,20,32
attardé,45,146,150,160,218,252 fermée, 55, 69, 100, 104, 105, 158,
avancé,236 181
base de,139 ouverte,100,101,158
bloqué,55,105,132 passive, 42
centre,77,80,176 Positionne!
chaîne,66,69,98,106,107,117,138, avantage,35
139,150,172,236 jeu,13
doublé, 13, 135, 143, 146, 147, 148, Potter (William Norwod),23,24
225,236 Promotion,36,130,133,135
faible, 47, 48, 77, 99, 124, 125, 135,
138,142,145,146,147,173 Q
ilôt,138,139,141,142,146,251 Qualité
inactif, 126 Gagner la,43
isolé,85,138,146,147,153,228
majorité de, 100, 101, 102, 132, 133, R
135,136,207' 250 Raisonnement
passé, 36,86, 87, 100, 101, 108, 113, capacité,12
127,132,135, 250 Rangée
protégé,120,217 Ière,5,81,112,153
percée,69 2ème,5
promotion,100,110,127,133,135 3ème,52
sain,147 4ème,52,85,125
structure,13,115,119,181 Sème,53,191
démolition de la,32 6ème,54,84,85
supérieure,15,84,143 7ème, 33, 35, 43, 72, 73, 74, 78, 79,
tour (pion-Tour),62 134,230,233,248
Plan,13,19 8ème,72,79
d'attaque,22 dernière 36,73,134,219
exécuter 42 première
Point faiblesse de la,40
d'appui, 50, 53, 54, 57, 58, 59, 60, Reshevsky,40,150

271
STRATÉGIES GAGNANTES AUX ÉCHECS

Roi,79 Tarrasch (Siegbert),29,229


actif, 101 Tartakower,217
case de fuite,32 Tata!,203
centralisé,84 Te Kolste, 126
finale (en),84, 101 Thomas (Sir Georges),83
sécurité du,15,17,20,29,44, 182 Timman,80
vulnérable, 174 Tour, 71
Roque, 15 doubler sur une colonne,45
Sur des ailes opposées,44 en 7ème rangée,33,35,79,230, 233,
Rubinstein,85,86,226,227,239 248
Trifunoviç, 140
s Trou, 56, 75, 90, 107, 130, 144, 161,
Sacrifice 165,250
d'un pion,31
Schroeder,29 v
Sefc, 114 Valeur numérique (des pièces), 17
Serrawan,46,80,81,92,94,104,111, Van der W iel, 118
118,141, 154, 174, 177, 184, 194, 195, Van Wely,214
201,210,211,214
méthode, 17 w
Shirazi,177 Ward,26
Short, 111 Whyld, 13
Silman,31,34, 170 Wood, 154
Simplification
échange pour simplifier,30 y
Spassky (Boris),43,44,86, 161, 242 Yates, 133,235
Steinitz, 164,221,223 Yermolinsky, 184
Stratégie,20,37 Yrjola,67
d'échange,30
définition, 12, 13 z
du chat et de la souris,33 Zarnicki, 195
pour créer un point d'appui, 50,51 Zugzwang,76

T
Tactique,37
possibilité,37,40
Taimanov, 239
Tai,245

272

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