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ECOLE NATIONALE SUPERIEURE D’ARCHITECTURE DE PARIS LA VILLETTE

IEHM-S913 Histoire et pratiques des transformations du cadre bâti

Année Universitaire 2022/2023

MÉMOIRE DE FIN D’ ÉTUDES

Intitulé

L’évolution Urbaine, architecturale et culturelle de


la ville d’Alger: Réceptions Françaises dans les
récits de voyage 1830-1860

Pour obtenir le Diplôme d’état d’architecte, Grade de Master

Rédigé par : Mlle. Namira DAHMOUNE

Sous l’encadrement de

M. Antonio BRUCCULERI

Mme. Elise KOERING


Remerciements

Ce mémoire est le résultat d’un long travail de recherche.


Je tiens à remercier de façon très particulière mon encadrant majeur, M. Antonio Brucculeri de
toute l’aide qu’il m’a apporté au long de ce travail. Je le remercie notamment de sa confiance
et de son encouragement continus à la longueur de la recherche ainsi qu’à la rédaction de ce
document.
Je remercie également Mme. Elise Koering ainsi que Mme. Linnea Tilly Rollenhagen, mes deux
encadrants mineurs, de m’avoir suivis au cours de la rédaction de ce mémoire.
Je remercie toute l’équipe du séminaire, notamment Mme. Laurence Bassieres, Mme.
Emmanuelle Gallo et M. Sébastien Radouan de leur disponibilité et de leurs orientations
enrichissantes.
Je tiens à remercier M. Rachid Ouahes, mon ancien enseignant au département d’architecture
d’Alger, de m’avoir orienté et de m’avoir accordé de son temps depuis le début de ce travail.
Je remercie Mme. Maria Achek Youcef, également mon ancienne enseignante à Alger, et par la
même occasion Mme. Nabila Oulebsir.
Mes remerciements à toute ma famille à Alger, à Paris et à Montpellier, et très particulièrement
à maman, papa, ma sœur et mon frère. Merci pour tout l’amour, la confiance et les
encouragements sans lesquels je n’aurais peut-être pas pu arriver là où je suis aujourd’hui.
Je remercie également mes amis, et très particulièrement Hasna Seridj et Zeineb Djeziri pour
l’aide qu’elles m’ont apportées à la longueur de cette recherche, surtout par rapport à la
recherche des sources à Alger et à la recherche bibliographique.
Je remercie tout enseignant, intervenant, chercheur ou étudiant m’ayant apporté de l’aide, par
des idées ou par des critiques constructives au sujet de ma recherche.

Enfin et surtout, je remercie l’Algérie de m’avoir inspiré.

1
Résumé

La présente recherche porte sur une étude de la réception française de la ville d’Alger durant
les trente premières années de l’occupation coloniale débutée en 1830. Ayant subi plusieurs
transformations urbaines et architecturales, la ville a été vite occupée par une nouvelle société
européenne, transformant son image sociale comme culturelle.
Sous ces conditions de transformation, le voyage en Algérie s’est développé de manière
progressive développant ainsi une documentation propre à la colonie. Une littérature de
voyage avait également commencé à se répandre, mémorisant l’évolution de l’image de la ville
d’une part, et surtout l’évolution de la réception d’Alger d’une autre part.
Entre décisions politiques, fabriques urbaines et évolution sociale, se sont avérés des moments
de changements de réception chez les voyageurs français ; des changements « dépendants »
des différents événements de l’histoire coloniale.
Notre recherche s’intéresse donc à l’évolution de la réception française de la ville d’Alger en
fonction de l’évolution des paramètres liés à l’occupation. En étudiant le voyage dans son
contexte politique, urbain et social, nous comprendrons la manière dont s’est développé le
regarde porté à Alger entre 1830 et 1860.

Abstract

The present research concerns a study of the French reception of the city of Algiers during the
first thirty years of the colonial occupation begun in 1830. Having undergone several urban and
architectural transformations, the city was quickly occupied by a new European society,
transforming its social and cultural image.
Under these conditions of transformation, the journey to Algeria has been developed in a
progressive way, thus developing documentation specific to the colony. A travel literature had
also begun to spread, memorizing the evolution of the image of the city on the one hand, and
especially the evolution of the reception of Algiers on the other.
Between political decisions, urban factories and social evolution, there were moments of
changes in reception among French travellers; changes that «depende» on the different events
of colonial history.
Our research is therefore interested in the evolution of the French reception of the city of
Algiers according to the evolution of the parameters related to the occupation. By studying the
journey in its political, urban and social context, we will understand how the reception of the
city of Algiers developed between 1830 and 1860.

2
Table des matières

Remerciements …………………………………………………………………………………………………………….…….. 01

Résumé ……………………………………………………………………………………………………………………………….. 02

Avant-Propos …………………………………………………………………………..…………………………………….…… 08

Introduction générale .……………………………………………………………………..…………………….….……….. 09

Partie 01 : En préparation d’un voyage à Alger

La représentation de l’Algérie au moment de l’occupation française ……………..…………………… 26

La parenthèse du voyage politique ………………………………………………………………………………………. 27

I- Choix des voyageurs : raisons et arguments

Les premiers voyageurs en Algérie au lendemain de l’occupation…………………………..………...… 29

Premier développement du voyage en Algérie…………………………………………………………...…..…… 30

II- Biographies des voyageurs et contexte de leurs voyages

1- Ida Saint Elme ………………………………………………………………………………………….………..……. 31

2- Ismayl Urbain …………………………………………………………………………………………….……..…….. 34

La parenthèse du Saint-Simonisme ………………………………………………………………….……..………….. 34

Ismayl Urbain en Algérie ……………………………………………………………………………….……..…………….. 37

3- Charles Nodier …………………………………………………………………………………………..……………. 38

4- Théophile Gautier ………………………………………………………………………………..…………………. 41

5- Xavier Marmier ………………………………………………………………………………..…………………….. 42

L’Algérie décrite par les peintres ………………………………………………………………………………………… 44

6- Jules et Edmond de Goncourt ……………………………………………………………………………….... 45

7- Eugène Fromentin …………………………………………………………………..…………………….….……. 46

3
8- Alphonse Daudet ……………………………………………………………………..……………………..……… 49

Partie 02 : Entre description et réception : Alger à travers les récits de voyages sous la politique
coloniale de la Monarchie de Juillet

I- Silence des architectes : l’hypothèse d’un rejet d’une ville locale

a- Aperçu Urbano-politique de la ville d’Alger au lendemain de l’occupation ………….... 52

Sur la question des styles de construction …………………………………………………………………….…… 59

La parenthèse de la mission civilisatrice ……………………………………………………………….…..…….… 61

b- Réception de l’architecte au début de l’occupation : un rejet de la ville locale pour une


approbation de la nouvelle ville européenne

La réception de l’architecte ………………………………………………………………………………….…………... 62

II- Le voyage comparé : mise en confrontation entre la ville d’Alger et l’Orient : Egypte,
Turquie et Asie Mineure

1- Ida Saint Elme : un imaginaire complexe ………………………………………………………...…….. 64

La sensibilité de Ida Saint Elme par rapport à la ville …………………………………………………………. 66

La réception de Ida-Saint Elme …………………………………………………………………………..……..…….… 68

2- Ismayl Urbain, vers une première acceptation du local ……………………………………….... 69

Ismayl Urbain face à la ville ……………………………………………………………………………….……….…..…. 70

La réception de Ismayl Urbain ………………………………………………………………………….……………….. 72

3- Le récit du récit : Charles Nodier et l’imaginaire de la ville ………………………………….... 79

Journal de l’expédition des Portes de fer ………………………………………………………………………….. 79

La description purement indigène de Charles Nodier ……………………………………………..….……. 75

La réception de Charles Nodier : un romantisme au temps voulu ? ………………………………..… 78

III- L’évolution coloniale après 1848

Basculement de la réception de l’architecte …………………………………………………………..…..….… 81

4
Partie 03 : Le voyage à Alger de la deuxième république au second empire : réception différée
et exotisme

I- Alger française : entre banalisation et défense d’une culture locale dominée par une

société européenne

a- Théophile Gautier : une littérature sensible ……………………………………………………..….. 85

Théophile Gautier face à la nouvelle ville : l’extension d’Alger ………………………………….……. 87

b- Xavier Marmier : un discours moyen ………………………………………………………………..….. 81

Xavier Marmier face à la ville ……………………………………………………………………………………...….. 89

La réception chez Xavier Marmier : de l’objectivité à la sensibilité ………………………………….. 90

c- Jules et Edmond de Goncourt …………………………………………………………………………..…. 91

Les frères de Goncourt face à la ville ………………………………………………………………………….…… 92

Les notes au crayon …………………………………………………………………………………………………….…. 93

La réception des frères de Goncourt ……………………………………………………………….……………... 94

II- Basculement vers une ville européenne : le voyageur à la recherche d’une culture
algérienne en dehors d’Alger

a- Eugène Fromentin : séjour dans les faubourgs d’Alger ……………………………………..… 95

b- Alphonse Daudet : au-delà de l’imaginaire ………………………………….………………….….. 98

Tartarin de Tarascon …………………………………………………………………………………………………….… 100

Conclusion

Les changements et les tournants de la réception chez les voyageurs ……………………….….. 104

Les deux temps du changement ……………………………………………………………………………….……. 105

a- Le premier temps du changement : le temps de l’exagération (dans son sens


négative et positif)………………..…..……………………………………………………………...….. 105

La réception comme outil d’influence ………………………………………………………………..…..… 105

b- Le deuxième temps du changement :fin de l’exagération……………………………..……. 106


5
Un troisième temps de changement ? ………………………………………………………………….………. 107

La parenthèse du voyage au-delà des limites Algéroises …………………………..……………..…… 108

Sources …………………………………………………………………………………………………………………………. 111

Bibliographie ………………………………………………………………………………………………………..………. 112

Webographie ………………………………………………………………………………………………………….….… 117

Médiagraphie ………………………………………………………………………………………………………………. 118

Annexes………………………………………………………………………………………………………..…………….… 119

6
Alger est comme un écheveau de fil où vingt chats en belle humeur seraient aiguisé les griffes.
Les rues s'enchevêtrent, se croisent, se replient, reviennent sur elles-mêmes, et semblent
n'avoir d'autre but que de dérouter les passants et les voyageurs.

– Théophile Gautier, Loin de Paris, p 41.

7
Avant - Propos

Originaire de l’Algérie.
Alger ma ville natale que j’appréciais un peu
plus à chaque balade, m’a appris à écrire à la
plume...
Son histoire que j’ai appris depuis mon enfance,
m’a fasciné encore plus quand je l’ai étudié d’un
point de vue architectural au cours de mon
dernier Master. Ma curiosité m’a mis à me
poser des questions sans cesse sur son
évolution, son tissu, son héritage, son
contraste, sa couleur, son odeur et son ardeur.
Ma passion pour cette ville m’a amené à
questionner son passé et son devenir, ou
plutôt, son devenir de l’époque coloniale.
J’appréciais ses boulevards et ses ruelles, son
port, ses places, et tout ce qui fait d’elle une
ville historique …
Entre les lignes de son histoire coloniale, je
revois les voyageurs qui l’ont visité et je me dis :
et eux ? Que pensent-ils de ma ville ?

8
I- Introduction générale

Alger, une ville Algérienne ayant été occupée par l’armée française entre 1830 et 1962. La
colonisation a été un élément de changement majeur dans l’histoire urbaine de la ville, comme
du pays entier. Transformée par l’occupant français à l’image d’une ville Européenne, Alger fut
vite connue sous une nouvelle forme vers la fin du XIXème siècle. Ce saut historique a stipulé
un regard et un intérêt à différentes échelles et de la part de différents acteurs de la société de
l’époque.

Les premières années de l’occupation de l’Algérie coïncidaient avec l’époque où plusieurs


voyageurs occidentaux découvraient l’Orient, et notamment l’Egypte. L’Algérie était encore
inconnue pour ces voyageurs jusqu’au moment de sa prise, où ils ont commencé à tourner le
regard vers « la nouvelle colonie » et à s’y intéresser de près.

Cet intérêt porté à Alger lors de sa prise a été démontré par une série de voyages, à partir
desquels ont apparus des récits et des notes de voyage, témoignant des expériences de
découverte de la ville. Ces notes de voyage ont constitué une trace des impressions
occidentales, sur cette méditerranée orientale.

Parmi tous ces occidentaux qui se sont intéressés à cette ville, nous basons notre présente
recherche sur l’étude du voyage français. Nous parlerons donc des voyageurs français,
explorateurs de la ville sous le colonialisme.

L’intérêt porté à ces voyageurs parmi d’autres revient au passé historique qui relie les deux
terres, et qui a fait naitre une certaine sensibilité. Une sensibilité liée à un sentiment
d’appartenance, voire de possession.1

La présente recherche porte donc sur une analyse de la réception de la ville d’Alger par les
voyageurs français, dans la période allant de 1830 à 1860. Le choix de la période d’étude a pour
but, de cerner l’évolution de la réception, en fonction de l’évolution historique, urbaine et
sociale.2

1
L’Algérie était susceptible de devenir française, d’où le français avait la faculté de « s’approprier » la terre, ce
qui n’était pas forcément le cas des autres voyageurs occidentaux.
2
Nous rappelons que sous ces 30 années : 1830-1860, plusieurs évènements coloniaux ont fait modifié la ville
sur le plan urbain, architectural et même socio-culturel. Nous parlerons de ces évolutions comme étant deux

9
Au lendemain de l’occupation, et jusqu’aux premiers temps de la transformation, la
réception française varie et évolue, et les voyageurs se multiplient. Ce « voyage Oriental », était
un moyen de découverte d’un inconnu, dont quelques publications et quelques écrits en
relataient l’existence.

Une grande majorité des premiers voyages étaient dans un premier temps commandés par
l’état, pour faire découvrir le nouveau territoire conquis. Mais ce qui parle plus sincèrement de
cette réception que nous analysons, sont les voyageurs spontanés, où le voyageur implique par
ses émotions cette envie de découvrir une autre terre inconnue, sans en être commandité.

La découverte de l’inconnu a commencé à partir de 1830 au moment de l’installation


coloniale à Alger, ayant comme but l’expédition. A ce stade, une politique de découverte a été
instaurée où l’on peut trouver quelques bilans et quelques carnets de croquis3.

Le champ d’intérêt de la présente recherche vise plutôt le voyage orientaliste qui s’est
développé davantage au moment du développement du voyage par bateau à vapeur inventé
en 1803. La facilité des déplacement a facilité la « multiplication des découvertes », parce que
la visite de la colonie dans la première moitié du siècle était plus liée à mieux la connaitre.

La compréhension des composantes essentielles de la structure sociale, culturelle,


patrimoniale, architecturale et religieuse de la colonie, la compréhension de son
fonctionnement et de son hiérarchie, ont fait des premiers voyages, une découverte d’une
Algérie Algérienne, où le français n’est pas encore présent dans la représentation du lieu.

Dans le registre des voyageurs, des figures emblématiques comme Alexandre Dumas, Guy
de Maupassant, Ambroise Tardieu et beaucoup d’autres ont dédié des pages à la description
de la ville découverte lors des voyages. Mais des personnages comme Ida Saint-Elme, Charles
Nodier ou Théophile Gautier ont fait l’exception avec des publications riches, dont le voyage
exprime le caractère de cette ville au lendemain de son occupation.

temps majeurs : le premier temps, où la réception était celle d’une ville traditionnelle dans son architecture,
dans sa hiérarchie sociale, dans sa population et dans son image ; puis dans un second temps, sur une réception
de la transformation, du basculement vers une ville plus européenne que traditionnelle.
3
Comme, Léonce de Vogüé, un homme politique ayant constitué un carnet de croquis, trouvable aux archives
nationales dans les fonds de Léonce de Vogüé, cote inventaire : 567AP/1-567AP/264 ; Dossier n°02 Expédition
d’Alger dans : Papiers relatifs à la carrière militaire de Léonce de Vogüé cote : 567AP/23.

10
La politique coloniale a été développée et évoluée au fil de l’occupation par les décideurs.
Des événements ont été à la tête de beaucoup de changements urbains et sociétaux au sein de
la ville d’Alger et de l’Algérie entière. L’évolution des événements politiques à fait évoluer la
représentation de l’Algérie par les voyageurs, parce qu’au fil de l’occupation, la vision
extérieure changeait et la réception différait ; les voyageurs ne voyaient plus la même
structure, ni la même société, et surtout pas la même architecture que leurs prédécesseurs, ni
de leurs successeurs.

Pour comprendre l’impact de la politique coloniale sur la réception du voyageur, nous allons
étudier le voyage selon les périodes politiques de la Monarchie de Juillet, de la deuxième
république puis du second empire, afin de contextualiser la réception par rapport aux
conditions coloniales, ce qui nous permettra de tracer l’évolution. Cette hypothèse sera
décortiquée à la longueur de notre recherche.

Par ailleurs, Les personnes ayant choisis de visiter l’Algérie ont de différentes
appartenances professionnelles et sociales. Ceci est un élément important à souligner parce
que notre présente recherche s’intéresse au récit, comme à l’auteur du récit. La différence de
profils, peut avoir un effet sur la sensibilité de l’auteur, et sur sa manière de transmettre sa
réception.

Dans les premières décennies du XIXe siècle, plusieurs représentations orientalistes se sont
propagées pour diffuser l’image de plusieurs villes, notamment les villes du proche Orient
comme le Caire, Damas, Jérusalem…etc. Mais d’autre part, le récit de voyage a aussi été un
outil de représentation, par la description, d’un lieu donné.

Les récits de voyages ne se limitant pas uniquement aux écrivains et aux poètes, sont aussi
les outils utilisés – nous le verrons – par des peintres renommés, comme par des journalistes.
Nous soulignons ceci pour dire que la personnalité et l’appartenance professionnelle du
voyageur n’empêchait pas la découverte de la colonie, mais participait plutôt à sa
reconnaissance, avec de différentes méthodes.4

4
Rajoutant à ceci le fait que les récits de voyages constituent un héritage de sources qui permet d’imaginer la
ville de l’époque dans un premier temps, et de comprendre comment que le français a reçu la nouvelle colonie.

11
Dans un second temps, et au fil des développements que nous en donnerons l’aperçu plus
loin dans cette recherche, nous essayerons de comprendre le basculement de la réception
française à l’égard de cette ville, comment voyait le français cette nouvelle forme algéroise et
comment recevait-il, le contraste résultant de l’occupation française.

Les récits de voyage qui seront analysés dans ce mémoire, visent cette réception contrastée
entre la nouvelle ville construite (ou en cours de construction) et la vielle ville avant les
transformations.

Notre recherche s’intéresse particulièrement à la réception de l’architecture et de


l’urbanisme Algérois, traditionnels et coloniaux. Néanmoins, d’autres éléments vont constituer
pour nous un objet d’étude, comme la réception du patrimoine matériel soit les costumes, les
décors, les bijoux, les plats…etc, comme du patrimoine immatériel dont la musique
traditionnelle, la langue ou encore les traditions Algéroises. 5

La colonisation est un événement marquant dans l’histoire algérienne. Plusieurs chercheurs


algériens et étrangers se sont intéressés à ce volet historique, s’initiant ainsi à travailler sur
l’Algérie sous différentes approches et dans différents domaines.

Dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme, la question de la ville d’Alger a été


largement étudiée. Parmi toutes les colonies françaises, elle a été qualifiée de « la ville coloniale
la plus emblématique », par Zeynep Celik, l’historienne et l’auteur « Urban Forms and colonial
confrontations » 1997 6. « l’investissement » de l’état français dans sa colonie a bien été analysé
dans cet ouvrage qui traite toute l’évolution à l’échelle urbaine, architecturale et même
économique. 7

5
Les récits de voyages transmettent de façon réaliste tout ce qui est lié au lieu, surtout ce qui parait faire
l’identité du lieu décrit. Dans le cas de l’Algérie, ces éléments du patrimoine matériel et immatériel reviennent
de façon presque systématique, ce qui nous a mis à interroger la réception de ces derniers.
6
Zeynep Celik, Urban forms and colonial confrontation : Algiers under French rule, California, University of
California Press, 1997
7
« De 1830 jusqu'à son indépendance en 1962, l'Algérie est restée le plus important, le plus chéri, le plus investi
et le plus problématique de tous les territoires français d'outre-mer. Intriquée dans tous les aspects du
processus de construction de l'empire français, l'Algérie a également enduré une longévité inégalée en tant que
colonie française. Il est devenu le site d'une multitude d'expériences coloniales, allant au cours de 132 ans des
premières tactiques militaristes et assimilationnistes à des politiques associationnistes plus douces à un régime
moderne à poigne de fer. Alger, centre urbain et administratif majeur de l'activité colonisatrice, fut la ville
coloniale par excellence, le terrain de nombreuses batailles – culturelles, politiques, militaires, urbaines,
architecturales », Zeynep Celik, op, cit.

12
Zeynep Celik s’est beaucoup intéressée à la transformation urbaine de la ville sous l’époque
coloniale en ayant publié divers travaux sur la question. Elle était aussi parmi les quatre
membres du jury de la thèse Le forum et l’informe. Projet et régulation publique à Alger, 1830-
1860 8 soutenue par Rachid Ouahés en 2008 à l’université de Paris VIII.

Rachid Ouahés qui est aujourd’hui professeur de l’histoire de l’architecture au département


d’architecture à l’Université d’Alger, a dédié sa thèse à l’étude des projets de transformation
dans les 30 années qui suivent la prise de la ville d’Alger. De la destruction des remparts
ottomans à l’étalement de la ville Européenne 9, la thèse porte sur les projets qui ont été
réalisés sous les projets de « l’embellissement » de la ville traditionnelle.

A la différence de ces travaux de recherche, la nôtre ne portera pas sur les projets de
transformation de l’urbanisme ni sur l’architecture de la ville d’Alger, nous étudions la
réception de ces derniers par le biais du voyage.

Ces travaux de recherches nous ont donc été utiles pour comprendre la politique coloniale et
contextualiser notre objet de recherche par rapport aux conditions de l’époque pour poser des
hypothèses concernant l’impact de ces données sur le voyage et sur la réception, parce que
ces données historiques ont conduit les voyageurs français à s’intéresser de près au
développement de la ville d’Alger et à emprunter un regard personnel, témoin de l’image de la
ville de l’époque.10

D’autre part, le voyage en Algérie a déjà été étudié par Slimane Ait Sidhoum dans sa thèse
Les récits de voyage en Algérie dans la presse illustrée et les revues du XIXe siècle ou l’invention
d’un orient de proximité 11, soutenue en 2013. La thèse traite la question des voyages dans les
colonies algériennes qui formaient à cet instant « un Orient de proximité »12.

8
Rachid Ouahés, « Le Forum et l’Informe. Projet et régulation publique à Alger, 1830-1860 », Paris, Université de
Paris VIII, 2008
9
Qui sera appelée « la basse Casbah ».
10
A côté de la transformation formelle de l’image de la ville, ce qui a touché aussi à la culture et au culte locaux,
ces destructions ont effacé une identité, incluant une nouvelle identité, de nouvelles pratiques et surtout une
nouvelle architecture, marquent donc un tournant important dans l’histoire de l’architecture algérienne et
algéroise.
11
Slimane AIT SIDHOUM dans sa thèse « Les récits de voyage en Algérie dans la presse illustrée et les revues du
XIXe siècle ou l’invention d’un orient de proximité », Montpellier, Université Paul Valéry Montpellier III, 2013
12
Ibid.

13
Mais dans cette étude Alger n’était pas le cas d’étude principal. L’Algérie a été étudié du nord
au sud et de l’est à l’ouest. Ait Sidhoum a tracé dans un premier temps, les itinéraires privilégiés
par les voyageurs ; un cheminement qualifié de « standard » a occupé la première partie de la
recherche. Dans un deuxième temps, l’auteur a étudié comment que les voyageurs ont pu
témoigner de la transformation des modes de vie des autochtones, après l’introduction des
techniques occidentale dans la réalité traditionnelle d’une ville arabe, où l’exemple étudié était
la région de Ouled Nail, située au centre de l’Algérie.

La question du voyage en Algérie a été traitée dans d’autres publications universitaires. Un


mémoire a été publié par Phillipe Lucas et Jean-Claude Vatin intitulé L’Algérie des
13
anthropologues , traite la question du voyage dans un point de vue anthropologique. Les
auteurs ont réalisé une sorte d’essai sur des textes écrits par des voyageurs en commentant
ces derniers suivant une démarche anthropologique visant à comprendre le fonctionnement
de la société indigène dans un temps où y a eu « autant qu’Algéries qu’Anthropologues »14.
Leur travail vise à attirer l’attention sur les étapes de la perception de l’Algérie colonial en
mettent en place un découpage de cinq temps selon leur démarche anthropologique.

La recherche porte assez bien la question du voyage en Algérie. Dans un travail de mémoire
dans le domaine des études politiques intitulé Le voyage en Algérie dans les guides touristiques
français 1830-1962 15 et soutenu par Sihem Bella en 2016. La recherche porte principalement
sur le voyage en Algérie à travers les guides touristiques. L’auteur de ce mémoire, s’intéressait
à la description des représentations sociales de la ville d’Alger, entre 1830 et 1962.

Franck Laurent traite le voyage en Algérie dans un volume très intéressant intitulé Le voyage
16
en Algérie anthologie des voyageurs français dans l'Algérie coloniale 1830-1930 où la
question du voyage en Algérie (ou comme qu’il le qualifiait du « plus proche Orient »17) repose
sur les récits de voyages les plus emblématiques. Des voyages classés par ordre chronologique
évoquant l’évolution de l’intérêt porté à l’égard de la découverte de l’Algérie, et la
généralisation de cet intérêt parmi les voyageurs, qu’ils soient des écrivains, peintres ou

13
Phillipe Lucas et Jean-Claude Vatin « L’Algérie des Anthropologues », Paris, Maspero, 1975
14
Ibid.
15
Sihem Bella Le voyage en Algérie dans les guides touristiques français 1830-1962, Paris, Institut d’études
politiques de Paris, 2016.
16
Franck Laurent « Le voyage en Algérie anthologie des voyageurs français dans l'Algérie coloniale1830-1930 »,
Paris, Bouquins, 2008
17
Ibid.

14
journalistes. Frank Laurent s’intéresse très principalement à la littérature du voyage en Algérie
sur la période allant de 1830 à 1930, et repose sur un commentaire critique et analytique des
textes publiés par ces voyageurs, plus souvent écrivains, politiciens mais aussi peintres et
journalistes.

La particularité de notre recherche par rapport à ce qui a été évoqué revient au fait
d’étudier la réception de la ville d’Alger sous l’époque coloniale, par la mise en lien de la
politique coloniale avec le développement urbain, architectural et social de cette dernière.
Nous essayons de comprendre comment que cet ensemble a été reçu par des voyageurs
français. 18

D’autre part, les sources et la méthodologie de notre recherche différent de celles employées
dans les travaux que nous venons d’introduire. Par l’usage des récits de voyages et non des
guides touristiques par exemple, se souligne toute une différence par rapport à la notion de la
réception ; nous détaillerons ceci un peu plus loin dans cette introduction.

Ainsi notre période d’étude étant justifié, guide en quelque sorte le développement de notre
réflexion, ce qui rend notre sujet propre à notre hypothèse de l’évolution de la réception d’une
ville sous occupation coloniale.

Le voyageur, comme le voyage, est aussi étudié. Diverses publications traitent la biographie
de voyageurs et c’est généralement le cas des figures emblématiques. Alexis de Tocqueville
est l’une des personnalités ayant occupée une étude approfondie, celle-ci a été menée par
Françoise Mélonio et Lise Queffélec sous la direction d’André Jardin intitulé Tocqueville
Œuvres.19 Cette étude porte sur l’analyse des voyages de Tocqueville en Sicile, en Amérique en
Suisse en Algérie etc20. L’étude porte aussi sur la chronologie de ses voyages et sur une analyse
de ses notes collectées. Alexis de Tocqueville était parmi les premiers à faire découvrir Alger
colonial à travers ses écrits, lui qui était défenseur de la colonisation, peu importe son prix. Il

18
Le but de cette recherche n’est pas de recenser les voyageurs français ayant visité Alger. Ceci a été fait par
Frank laurent dans son ouvrage cité, où il met en lumière les différentes personnalités publiques ayant effectué
le voyage Algérien par une courte biographie du voyageur suivie d’un extrait de son récit de voyage. Notre
recherche vise plutôt à étudier la réception par le biais du voyage, et non le voyage en lui-même.
19
Françoise Mélonio, Lise Queffélec Tocqueville Œuvres, Paris, Gallimard, 1986.
20
A noter la diversité des voyages effectuées dans la méditerranée. L’usage du bassin méditerranéen comme un
point de liaison entre l’Europe, l’Afrique et l’Orient justifie en quelque sorte ce déplacement presque naturel
dans les limites méditerranéennes. Voir plus sur le sujet de la mobilité dans la méditerranée dans la vidéo :
L’invention de la méditerranée au XIXe siècle, animée par Henry Laurens (aussi auteur de Orientales, Paris CNRS
éditions). Lien de la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=GuX3wl_JzrA&t=1336s durée 1h38m51.

15
21
confronte à travers son œuvre « Sur L’Algérie » l’administration et évoque sa volonté de
garder Alger.

L’étude des voyageurs revient aussi dans un bref aperçu sur le voyage Algérois publié dans
l’ouvrage Alger Paysages urbains et architectures 1800-2000 22 sous-direction de Nabila
Oulebsir, Jean-Louis Cohen et Youcef Kanoun.

Quelques voyageurs français ont été étudiés dans le but de comparer leurs voyageurs à celui
de Ernest Feydeau. Le but de la comparaison étant de comprendre les enjeux du voyage de
Feydeau, fait conclure que celui-ci n’était « certainement pas un voyage innocent »23 parce qu’il
reposait sur des objectifs politiques, contraires à l’innocence d’un voyage touristique, ou un
voyage de découverte.

Nous avons mis l’accent un peu plus haut sur l’usage des récits de voyages et non des guides
touristiques, ni des lettres de correspondances étatiques ou politiques. Le choix d’étudier des
récits de voyages est fondé sur le critère de la description honnête, fiable et surtout spontanée,
pour étudier la réception de ces voyageurs français. Dans une étude publiée sur les récits de
voyages comme genre littéraire, la définition proposée révèle les critères que nous recherchons
pour porter notre étude de la réception :

Le récit de voyage constitue un genre littéraire qui permet à l’auteur de dépasser la simple description des
lieux en exprimant ses sensations et les émotions ressenties. Il fait part de la différence de l’Autre et de
l’ailleurs.24

L’expression des sensations et des émotions est pour notre étude, l’élément conducteur
qui nous permettra d’étudier la réception, qui constitue notre problématique. Comment reçoit
donc le voyageur français, une ville traditionnelle à cachet Urbano-architectural local ?
Comment évalue-il la pratique sociale dans ces lieux de vie locaux, tout loin d’être occidentaux

21
Alexis de Tocqueville « Sur L’Algérie », Paris, Réédité par Seloua Luste Boulbina, Edition Flammarion, 2003.
22
Jean-Louis Cohen, Nabila Oulebsir, Youcef Kanoun « Alger Paysage urbain et architectures 1800-2000 » Paris,
édition L’imprimeur, 2003. P88-102
23
François Pouillon dans Ibid.
24
Naima Merdji, « Le récit de voyage : quête et découverte dans Autoportrait avec grenade et dieu, Allah, moi et
les autres de Salim Bachi », Multilinguales [En ligne], 8 | 2017, mis en ligne le 01 juin 2017, URL :
http://journals.openedition.org/multilinguales/437 ; DOI : https://doi.org/10.4000/multilinguales.437

16
et tout loin de ressembler à ses pratiques à lui ? Admet-il l’évolution de la ville traditionnelle
vers une ville européenne ? Comment reçoit-il ces changements ?. 25

Dans la diversité des sources écrites sur l’Algérie, notre choix est donc porté sur des récits
de voyages, sur deux publications de journal et un roman publiés entre 1830 et 1860. Le corpus
est donc composé de onze sources écrites, ayant été publiées après le voyage de huit
personnalités françaises différentes.

Ce type de récits a toujours constitué une littérature de voyage. La transcription de la


découverte sous forme écrite, sert de près le sujet que nous abordons. Ces récits sont parfois
accompagnés de quelques croquis et de quelques notes à la main, la réception spontanée et
directe est le critère de base de choix de ce type de sources.

La datation des sources commence à partir de 1830, allant jusqu’au milieu du Second
Empire, soit en 1860. Le choix porte aussi sur la différence des appartenances culturelles,
intellectuelles et idéologiques de ces voyageurs. Nous allons étudier les voyages de trois profils
différents, soit des journalistes, des écrivains et des peintres Orientalistes.

L’iconographie étant un instrument de représentation premier pour les peintres, est en


effet un instrument « parlant » de la vision orientaliste des terres Algéroises. Elle forme à ce
sujet un recueil intéressant en matière de tableaux, de croquis, de dessins graphiques et de
carnets de visites.

La collection de peintures dans la période étudiée enrichit les témoignages décrits dans les
lignes des récits de voyages. Dans notre étude, nous allons exploiter des illustrations faites par
les peintres ayant écrits des récits de voyages à l’issue de leur expériences à Alger, comme
Eugène Fromentin ou les frères Jules et Edmond de Goncourt.

La documentation dont nous avons besoin, est trouvable à la bibliothèque nationale de


France, notamment sur le site de la bibliothèque, Gallica BnF, où ces sources sont numérisées.

25
Les sous questions qui découlent de notre problématique principale de réception font suite aux thèmes
submergés dans la plupart des récits de voyages étudiés. Des thèmes comme l’architecture des maisons, des
terrasses, des rues, l’architecture des mosquées traditionnelles ; comme des thèmes relatifs à la société et à
l’indigène, dans la culture, la musique, les costumes, les cafés et l’activité sociale…etc., nous mettent à étudier
aussi bien l’architecture que la société (soit le patrimoine matériel et immatériel déjà expliqué plus haut dans
l’introduction).

17
La difficulté de choix, était déjà dans la différence des fins et des buts de ces récits, entre la
spontanéité que nous cherchons – et que nous avons souligné auparavant – et le récit politique
que nous avons cherché à écarter lors du choix du corpus 26.

D’autre part, certains récits ont été écrits après le voyage, ce qui rend le vison plutôt
romantique. Nous avons donc choisis de comparer le « récit du récit » qu’est en quelque sorte
un récit de voyage issu d’un imaginaire basé sur un autre voyage ; avec le voyage spontané issu
d’une initiative personnelle du voyageur. Nous développerons le « récit du récit » plus loin dans
cette recherche.

Le voyage spontané, le récit descriptif et direct et le moment de l’écriture, étaient nos


principaux critères lors du choix de corpus.

Par les réceptions françaises, nous intégrons également la vision de l’architecte qui est
l’acteur premier de la transformation de la ville. Mais les architectes, pour une raison que nous
ignorons, ont peu de sources écrites. Il n’était pas évident de trouver un récit de voyage fait
par un architecte, pourtant des plans de projets proposés et réalisés pendant cette période
sont largement diffusés.

Aux archives nationales se trouvent les projets des architectes diocésains ayant travaillé sur
les plans de monuments cultuels ; les archives de ces projets y sont conservées et quelques-
unes sont d’autant plus numérisées.

Les plans de commandes privées et ceux des concours se trouvent aussi aux fonds des archives
nationales, mais il n’est pas aussi simple de repérer le fond. En consultant plus de dix cartons,
il était au final impossible de tomber sur des notes personnelles ou sur des commentaires
subjectifs. Ces fonds constituent plus souvent tout ce qui concerne la relation administrative,
les procès-verbaux et les correspondances ou les rapports de travaux de l’édifice, ce qui est
objectif, et ne révèle d’aucune réception personnelle.

En ce qui concerne l’iconographie, elle est plus repérable et elle se trouve dans la plupart
des cas aux musées comme au musée du Louvre ou au musée d’Orsay comme aux archives

26
Le récit politique a été écarté non pour le manque d’intérêt, mais pour l’absence de la « naïveté » du voyage,
en reprise du terme employé par François Pouillon op.cit. La réception est difficile à cerner dans ce genre de
récits, parce qu’elle est souvent liée à des arguments politiques, ce qui ne nous transmet pas l’état d’âme du
voyageur, ni ses émotions.

18
nationales d’Outre-Mer. Mais dans ce mémoire nous allons plus nous baser, comme souligné,
sur les iconographies associées à des récits de voyages publiés.

Il est à souligner que la répartition des sources en matière de quantité n’est pas équitable.
La rareté des sources écrites des architectes laisse questionner la raison pour laquelle ces
acteurs n’ont pas inscrit leurs mémoires de la ville comme l’a fait l’architecte Paul Giuon,27 plus
tard entre 1938 et 1940. Cette rareté nous amènera à traiter la question de la réception des
architectes en posant des hypothèses.

À travers les voyages sont impliqués des jugements et des positions qui peuvent coïncider
ou qui peuvent carrément se contraster. L’étude de la réception comme détaillée par Richard
Klein dans son ouvrage Cahier de thématique Numéro 02 : La réception de l’architecture, 28
indique la façon avec laquelle interagit l’homme avec l’œuvre qu’il confronte.

Cette ouvre, qu’elle soit architecturale, urbaine ou même paysagère, comment suscite-t-elle
une réaction ? Peut-on considérer cette réaction comme étant une réception ?

La traduction de la réception est dans « l’effet » qu’elle donne au spectateur ou à l’usager,


soit au récepteur. C’est la réaction de l’être humain face à l’objet, et c’est ce que nous allons
étudier chez les voyageurs que nous avons évoqués :

Ainsi, l’évolution des rapports entre l’œuvre et le public, entre l’effet et l’œuvre et sa réception, implique

l’étude de l’effet, produit par l’œuvre elle-même, et la réception, déterminée par les destinataires. 29

Selon Sulzer30, le beau est celui qui produit des effets de plaisir sous forme d’une
31
« excitation de l’âme » donnant des effets psycho-physiologiques sur le comportement.
Quand le récepteur est en communication avec l’œuvre, ce sont tous ses sens qui et son corps
qui interagissent pour exciter l’âme ; et c’est cette excitation de l’âme qui va émettre un effet
de plaisir et pousser la réflexion qui finira par ordonner un bonheur.

27
Paul Guion 1881-1972 était un architecte, peintre et dessinateur, né en Algérie à Guelma, ayant quitté
l’Algérie puis revenu en qualité d’architecte, il a réalisé des bâtiments remarquables à la ville d’Alger dans les
années trente. A côté de son architecture, Paul Guion a réalisé un fameux recueil de 114 planches dessinées et
annotés, représentant de différentes scènes de la vie Algéroise des années trente. (Ces planches sont publiées
dans l’ouvrage « Paul Guion : la Casbah d’Alger » écrit par Youssef Nacib).
28
Richard Klein « Cahiers thématiques N°2 La réception de l’Architecture », Lille Ecole d’Architecture de Lille et
des régions-Nord 2, 2002.
29
Ibid., P07.
30
Johann Georg Sulzer, 1720-1779, philosophe Suisse dont l’intérêt premier est l’esthétique.
31
Sulzer « Nouvelle théories des plaisirs » 1767.

19
Entre deux points de vue convergents, les caractéristiques de ces effets peuvent s’inscrire
dans « la théorie de réception » 32 fondée par Hans Robert Jauss qui vise la conscience du public
de la réception de l’œuvre, ou son attente à cette réception.

Dans « la théorie de l’effet »33, fondée par Wolfgang, la réception est traduite par le
comportement de la personne qui reçoit l’œuvre, sans forcément en être conscient. C’est
comme une réaction involontaire à un effet.

Une autre donnée intéresse notamment notre méthodologie, et c’est l’implication de


plusieurs facteurs dans la conception de la réception. Des facteurs sociaux ou historiques
peuvent avoir un effet sur la réception, Richard Klein développe ce point dans son œuvre :

On pourrait montrer que l’architecture est, en fait et en nature, un phénomène collectif, habité par le social
et ses représentations […] déterminé par des propriétés fondamentalement enracinées dans une culture,
dynamisés par une époque et ses mouvements culturels, voire ses modes. 34

Nous distinguons par ceci deux modes de réceptions. Un premier qui se produit sous un
horizon d’attente, où le public est déjà confronté à une œuvre semblable, ce qui lui produit un
effet attendu.35

Le deuxième mode est celui produit par un effet tout à fait inédit. Quand la réception n’est pas
attendue il y a un accès à la conscience avec un rejet ou une approbation de l’œuvre, donnant
donc l’effet de plaisir ou de curiosité. Cet effet est donc celui qui nous intéresse, il s’agit de la
réception spontanée.36

Quant aux iconographies, elles nous serviront d’éléments d’illustration pour appuyer les
données descriptives des récits de voyage.

Enfin, le voyage en Algérie est varié et complexe, parce que plusieurs données ont contribué
à son émergence. Pour arriver à comprendre les données relatives à notre classement de
sources et au choix du corpus, il a été d’abord important de cerner les profils des voyageurs, et

32
Hans Robert Jauss « Pour une esthétique de la réception » Tr. Fr 1978
33
Wolfgang Iser « L’acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique » Tr. Fr 1985
34
Richard Klein « Cahiers thématiques N°2 La réception de l’Architecture », Lille Ecole d’Architecture de Lille et
des régions-Nord 2, 2002, P27-28
35
C’est la réception qui découle du voyage commandité que nous évitons dans cette recherche. Une réception
attendue, où le voyageur est informé au préalable de l’œuvre à confronter, ce qui ne révèle guère des émotions
que nous recherchons.
36
Il existe aussi deux niveaux de réceptions : l’esthétique de la réception qui implique les réactions du public, et
la réception comme étant un objet d’étude. Voir plus dans Richard Klein, op,cit.

20
de contextualiser leurs voyages par rapport à leurs expériences antérieures et par rapport au
contexte qui régnait à Alger au moment du voyage. Pour ce faire, nous allons donc commencer
par étudier le voyageur, afin de mettre en lumière son parcours de voyageur ainsi que son
parcours professionnel.

Dans un deuxième temps, nous allons commencer à exploiter nos sources. La deuxième
partie de la présente recherche portera sur la réception française de la ville d’Alger sous la
période de la Monarchie de Juillet en la qualifiant de « la première réception » ou le premier
temps de réception chez les voyageurs.

Cette partie sera commencée par l’étude de la réception « silencieuse » des architectes qui fera
objet d’un travail de réflexion basé sur de différentes hypothèses. Une mise en avant des
projets d’embellissement sous la période de la Monarchie de Juillet seront introduit
brièvement, afin de donner un sens aux sous-parties qui suivent. Dans les deux premières sous-
parties nous allons voir de quelle manière, et par quelle approche décrivaient les tous premiers
voyageurs la ville d’Alger.37 Nous évoquerons après ceci le « récit du récit » que nous avons
introduit plus haut dans cette introduction, comme étant un premier essai sur le « romantisme
algérois », de notre période d’étude.

Cette deuxième partie sera conclue par une description de l’architecture d’Alger vers la fin de
la Monarchie de Juillet. Cette dernière sous-partie nous donnera à la fois une idée sur le
« basculement » de la réception de l’architecte « silencieux » pendant les premières années de
la Monarchie, ainsi que sur l’évolution de la réception à partir de 1848 et qui sera développée
dans la troisième partie de ce mémoire.

Enfin, la dernière partie de notre recherche portera sur la réception française de la ville
d’Alger sous la deuxième république puis sous le second empire. En mettant en avant les
conditions de l’époque, cette troisième partie traitera donc le « deuxième temps du
changement ».

En mettant en contexte le voyage sous la deuxième république et sous le second empire, Alger
a été largement modifié et assez élargi pour occuper d’autres limites (les faubourgs). Ces
événements qui ont fait changer l’image de la ville nous mettrons à distinguer une nouvelle

37
Par approche citons à titre d’exemple : par une comparaison entre de différentes villes. Cette approche, nous
verrons, sera bien présente dans les toutes premières réceptions de nos premiers voyageurs.

21
forme de description plus « sensible ». La sensibilité du voyageur aura la forme d’un
« exotisme », qui marquera assez bien le voyage après 1848, un exotisme à la recherche de
l’identité locale « effacée » par l’occupation européenne conséquente.

Mais cet exotisme basculera assez vite vers une forme de « banalisation » qui revient vers
la fin de notre période d’étude, pour faire un contrepoids à l’exotisme « exagéré » voire
« faussé ».38 Ce contraste sera assez détaillé dans la troisième et dernière partie de cette
recherche.

38
Trop de récits ont traité de manière très exotique les éléments liés à la ville traditionnelle. A un moment où
l’Algérie se « francisait », une volonté de retrouver le trait local a beaucoup perduré jusqu’à exagération. Nous
verrons de quelle manière cet exotisme faussé a été banalisé, voire rejeté, par le dernier voyageur de notre
corpus Alphonse Daudet. A noter que Daudet a été celui qui a « inauguré » la vision banale et réaliste de
l’Algérie « folklorique » longuement représentée dans les récits de voyages antérieures.

22
Première partie : En préparation d’un voyage à Alger

23
Jusqu’au XIXe siècle, le voyageur occidental a commencé à arpenter des territoires de
l’Orient qui lui étaient à ce moment inconnus. Des territoires qui étaient quand-même bien
documentés dans les publications scientifiques et dans la presse de l’époque. Le voyageur
occidental, de par ces voyages en Orient, constituait une nouvelle documentation d’un lieu-dit
lointain, bien géographiquement que culturellement.

Quant à la prise de la ville d’Alger, un territoire à cette époque ottoman39, son appartenance
à la culture orientale n’a pas été tout à fait documentée.40 A la différence des pays de l’Asie
mineure, et de l’Afrique de l’Est, le débat nous revient de temps à autre sur la considération de
la ville, était-elle orientale ? où elle a juste acquis ce trait parce qu’elle a sollicité un regard et
une étude de quelques voyageurs qualifiés de « connaisseurs de l’Orient » ?

Pour essayer de comprendre, nous revenons sur le voyage en Algérie avant l’occupation
française. Une côte marchande, « barbare », connue pour ses corsaires, et qui ne figurait dans
les livres d’histoire que pour la grande partie de son histoire commerciale. 41

Dans le peu de publications dont nous retrouvons encore la trace, nous soulignons un roman
écrit par Regnard, un écrivain et dramaturge français. Le roman a été rédigé pendant que
l’écrivain était retenu en esclavage par les corsaires entre 1678 et 1679.

Ce roman, La provençale, n’a été publié qu’en 1731, soit 50 ans après. Il est l’une des rares
représentations de l’Algérie avant 1830, une représentation limitée aux échanges
commerciaux, et aux conquêtes de la mer méditerranéenne.42

39
L’Algérie était sous régence Ottomane entre 1516 et 1830.
40
Les relations de l’Algérie avec les pays du bassin méditerranéen étaient commerciales pour la plupart du
temps, mais n’étaient pas aussi attractives que les relations avec le Levant, surtout avec l’existence du royaume
Ottoman qui constituait une puissance. L’attractivité étant déséquilibrée entre les deux pôles – soit celui de l’Est
et celui de l’Ouest de la méditerranée –, enrichissait le voyage et le rêve de l’Orient qui jouissait à ce moment
d’une description et d’une abondance de récits de voyages. Ce rêve n’était pas tout à fait développée à l’Ouest,
soit en Algérie, qui gardait jusque-là une relation marchande sans autre intérêt pittoresque. Voir ceci et plus
dans l’introduction de Franck Laurent, Le voyage en Algérie, anthologie de voyageurs français dans l’Algérie
coloniale (1830-1930), Paris, Bouquins, Robert Laffont, 2008.
41
Voir plus dans : 1546 à 1830 L'Algérie à la veille de la conquête française disponible sur le site herodote.net Le
média de l’histoire.
42
Alger surtout, prenait tout le contrôle économique sur la méditerranée, en imposant des amandes et en
gérant les flux, elle disposait d’une armée maritime assez forte qui faisait l’histoire des captifs et des échanges
commerciaux qui régnaient l’époque. Voir plus à ce sujet Abla Gheziel, « Captifs et captivité dans la régence
d’Alger (XVIIe- début XIXe siècle) », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 87 | 2013, mis en ligne le 15 juin 2014.
Sur http://journals.openedition.org/cdlm/7165

24
Les captifs, les échanges commerciaux et quelques romans de quelques explorateurs ont fait
donc tout l’intérêt du voyage en Algérie avant 1830.

Fig 01 : Abraham Duquesne délivrant des captifs chrétiens à Alger en 1683. Girardet d’après Briard. Milieu
XIXe siècle.

25
La représentation de l’Algérie au moment de l’occupation française

Au moment de l’occupation française, la pauvreté de « rêver de l’Algérie » a fait de la


colonisation un événement pas assez intéressant. Au regard de la société occidentale, le poids
que portait l’Orient de l’Est étant beaucoup plus attractif que celui que portait l’Orient de
l’Ouest, a fait de l’occupation elle-même une manière de découvrir ce territoire :

Toujours est-il que l’expédition d’Alger n’a pas été précédée d’aucun rêve algérien dans l’imaginaire
français. Rien, vraiment rien de comparable à l’égyptomanie qui prépare et accompagne l’expédition de
Bonaparte en Egypte […] à tel point que lorsqu’on apprend en France la prise d’Alger, la nouvelle
n’intéresse guère que quelques milieux d’affaires marseillais, […] si Bourmont avait débarqué à
Alexandrie plutôt qu’à Sidi Ferruch, on en aurait parlé davantage…43

Si l’expédition d’Alger n’a pas été aussi intéressante, c’est que cela peut constituer une des
raisons de la propagation du voyage que nous allons étudier. Une découverte d’une nouvelle
colonie française, inconnue et qui n’a pas fait couler beaucoup d’encre avant 1830.

Dans la documentation française, l’Algérie n’était pas assez présente pour justifier
l’occupation, et on ne pouvait pas découvrir ce pays sans voyage44. La pauvreté de la
représentation de l’Algérie – et qui a d’ailleurs longuement duré sous l’occupation française –
a créé un lien « d’attache » quasiment systématique entre ce pays et les pays de l’Orient.

Les premiers voyageurs Français à Alger étaient contraints de découvrir un territoire sans
en être documenté, et dont la source reste donc l’Orient de l’Est auquel s’attachaient les
premières considérations de la nouvelle colonie :

Ainsi la pauvreté des représentations, des discours, des « pré- textes » consacrés en France à l’Algérie
avant la conquête, d’une part, et d’autre part la précocité et l’intensité de la mainmise coloniale, telles
sont les deux principales données qui, plus ou moins clairement comprise par les voyageurs
métropolitains, confèrent au « voyage en Algérie » un statut très particulier au sein de la tradition du «
voyage en Orient », à laquelle il semble apparemment naturel de le rattacher.45

43
Franck Laurent, Le voyage en Algérie, anthologie de voyageurs français dans l’Algérie coloniale (1830-1930), p,
IX.
44
A noter aussi la différence des langues. Il était difficile de comprendre le langage arabe surtout que les seuls
liens existants étaient commerciaux, les français n’avaient pas de documentation sur l’Algérie en langue
française d’une part, et ne pouvait pas déchiffrer facilement les documentations arabes d’une autre part.
45
Frank Laurent op,cit, p,11.

26
A la différence du voyage en Orient, documenté et propagé par le courant orientaliste46, le
voyage Algérois était plutôt un voyage de représentation et de familiarisation avec une colonie,
systématiquement rattachée à une tradition orientale.

Ceci a été exprimé par Slimane Ait Sidhoum dans sa thèse Les récits de voyage en Algérie dans
la presse illustrée et les revues du XIXe siècle ou l'invention d'un orient de proximité47, lorsqu’il
a utilisé l’expression de « Invention d’un Orient de Proximité », 48 un Orient inventé ?49

La parenthèse du voyage politique

Sur le volet politico-historique, dans les premières années d’occupation française, et qui
coïncidaient avec la monarchie de Juillet, le voyage dans la nouvelle colonie rendait gloire à la
politique française de colonisation, après les évènements des trois glorieuses mais surtout,
après l’échec de l’expédition en Egypte entreprise par Napoléon I quelques décennies plutôt
(entre 1798 et 1801).50

L’ouverture de la France sur l’Orient voulue par Napoléon I, bien qu’elle ne soit pas réussie,
laisse quand-même une trace de la volonté française d’arpenter sur ces territoires.
L’émergence du voyage français en Orient prend plus de place au début du XIXe siècle, allant
de ce fait vers une grande publication à grand intérêt public en France, pour faire découvrir cet
Orient à l’Occident, l’Algérie n’en faisait pas encore partie parce qu’à cette époque elle était
sous régence Ottomane.

46
Par définition : L’orientalisme tel que le définit Edward Saïd dans L’Orientalisme : l’Orient crée par l’Occident,
est « un savoir et un imaginaire issus d’une position de puissance. Ce savoir et cet imaginaire ont été
institutionnalisés et construits discursivement pendant des siècles par l’Occident. Ils traduisent une vision
dichotomique qui oppose un « nous », référence de toutes les valeurs et un « eux », appelé Orient, qui se
distingue par une altérité excessive ». Il s’agit d’une curiosité occidentale à comprendre un monde opposé
oriental. Voir l’article : Rabâa Abdelkéfi : « La représentation de l'Occident dans L’Orientalisme d'Edward Saïd :
théorie ou discours idéologique ? » disponible sur : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=2700.
47
Slimane AIT SIDHOUM dans sa thèse « Les récits de voyage en Algérie dans la presse illustrée et les revues du
XIXe siècle ou l’invention d’un orient de proximité », Montpellier, Université Paul Valéry Montpellier III, 2013
48
Ibid.
49
Donc ce que nous voulons dire, est si nous reprenons l’expression de « l’invention d’un Orient de proximité »,
est que le voyage en Algérie ne répondait pas aux mêmes conditions que le voyage en Orient qui était donc
traditionnel. Le voyage de découverte de l’Algérie, et donc de découverte de la société à moitié Ottomane de
l’Algérie, a fait que cette portion de la méditerranée soit vite rattachée à la représentation de l’Orient, d’ailleurs
on trouve plusieurs tableaux orientalistes dédiés à l’Algérie juste au moment de l’occupation ce qui signifie le
rattachement systématique que nous soulignons ici.
50
« La conquête de l’Algérie fut pour l’essentiel l’œuvre de la Monarchie de Juillet. Louis Philippe dont on
critiqua régulièrement, dès l’origine de son règne, la mollesse de la politique étrangère, dont l’anglophilie était
fort mal perçue d’une part importante de l’opinion, eut à cœur d’offrir de la gloire aux patriotes de l’autre côté
de la Méditerranée ». Frank Laurent, op, cit, p,53.

27
Ce décalage historique entre l’empiétement de l’Orient par le voyageur français et
l’obscurité de l’histoire de l’Algérie reconnue à ce moment en tant qu’une partie ottomane, a
fait tout le mystère autour de la prise de la ville.

L’histoire obscure de l’Algérie à cette époque, avait d’autre part le rôle de constituer un
point curieux à décortiquer. Des voyageurs comme Ida Saint-Elme – que nous allons présenter
un peu plus loin – avait la curiosité de découvrir ce que c’est que l’Algérie, la découverte d’un
territoire inconnu, ou reconnu par quelques pages dans l’histoire de l’empire Ottoman ou dans
l’histoire Andalouse.

Le voyage Algérien n’était donc pas aussi abandant que le voyage en Orient dans les pays
du levant, mais cette hésitation du voyageur, alimentée par sa curiosité a fait travailler des
années d’émergence d’un voyage et d’une littérature de voyage en méditerranée, et en Algérie.

Cette émergence justifie la différence de la réception entre les premiers voyages de découverte
d’un « Orient incertain », et les voyages qui succèdent et qui classeront plus tard l’Algérie dans
la liste des pays d’Orient.

Il est aussi au même registre que le voyage en général émerge partout et pour des raisons
loin d’être politiques. Le tourisme qui était propre aux bourgeois et au grand tour, commence
à s’élancer pour intéresser plusieurs classes de la société, le récit de voyage devient après cela
un élément de témoignage indispensable pour tout voyageur.

28
I- Choix des voyageurs : raisons et arguments

La problématique de ce travail de recherche est d’arriver à cerner l’évolution du voyage à


Alger, et l’étude de cette évolution requiert l’étude de ses acteurs. Nous essayerons donc de
créer un lien entre le contexte de l’occupation et la nature du voyage en Algérie à la longueur
de notre période d’étude.

Cette mise en lien est dans le but de légitimer notre choix de voyageurs d’une part et de
tracer l’évolution du voyage par rapport aux autres contextes de l’occupation d’une autre part.

Les premiers voyageurs en Algérie au lendemain de l’occupation

La « méconnaissance » de l’Algérie auprès des français que nous avons introduit plus haut
a été identifiée dans les premiers récits de voyages. Cette donnée conduira notre recherche
vers un découpage de la période d’étude en bornes chronologiques visant à étudier l’évolution
et le développement du voyage Algérien.

Les premiers voyageurs que nous avons choisis pour faire connaitre notre cas d’étude sont
principalement des journalistes. Ce choix arrive en premier parce que nous avons remarqué
l’émergence de ce profil au début de l’occupation. Les journalistes pouvaient avoir un rôle dans
la diffusion de la ville d’Alger comme étant une destination à découvrir, et à inciter au voyage
vers la colonie.

Dans les publications de ces journalistes existe un premier jet de réception d’un inconnu.
Une « conquête » est alors mise en place, parce que soudain, et après quelques jours de
l’occupation, l’Algérie était devenue le sujet majeur des publications de la presse.

Entre hésitation et curiosité, les journalistes déjà adeptes de l’Orientalisme, ont fait les
premiers pas dans le voyage en Algérie. Une période complexe qui trace tous les discours de
justification et de condamnation de la colonisation, ainsi que tous les discours sur l’avenir de la
colonie. Une période plutôt consacrée aux enquêtes scientifiques et aux découvertes visant à
légitimer la colonisation en nord de l’Afrique.51

51
Voir les raisons de la colonisation analysées par Frank Laurent, et comment que cela a été justifié auprès de
l’opinion publique pour donner droit à la politique française surtout vis-à-vis de l’Angleterre : en renonçant à
l’Algérie, la France s’abaisserait face à l’Europe (et surtout face à l’Angleterre). Dans Franck Laurent, Le voyage
en Algérie, anthologie de voyageurs français dans l’Algérie coloniale (1830-1930), p, XI-XIII.

29
Une période bien longue et lente a été donc nécessaire pour voir venir les voyageurs en
Algérie qui a pris un peu de retard par rapport au Moyen-Orient et à l’Orient du bassin
méditerranéen pour avoir une pré-représentation, mais qui a été finalement marquée par les
premiers voyageurs, les journalistes.

Cette première représentation marquera le début de l’émergence du voyage en Algérie.

Premier développement du voyage en Algérie

Nous assisterons dans un deuxième moment au voyage des hommes de lettres, des
écrivains comme des poètes mais qui avaient la double vocation de voyager pour découvrir et
de voyager pour faire découvrir. 52

Ce saut, entre méconnaissance et reconnaissance, qui sera plus marqué vers la fin de la
période de la Monarchie de Juillet, mettra l’Algérie à la même échelle des autres villes de
l’Orient, et donnera à Alger la même ampleur que les villes de l’Est de la méditerranée.

L’Algérie rentrera finalement dans ce que nous appelons « la course orientale », et


concurrencera de la même puissance ces villes exemplaires. 53

Les hommes de lettres n’étaient pas les seuls à avoir effectué ce voyage, d’autres profils
ont été relevés au cours de notre recherche et que nous avons décidé d’étudier.

Nous aurons dans notre corpus des peintres qui, comme déjà énoncé dans l’introduction de ce
travail de recherche, sont des peintres qui ont rédigé pour la mémoire de ce lieu, tout en étant
fidèles au dessin. Nous sommes ici face à une œuvre complexe intégrant à la fois l’image et la
description ; le peintre dans le contexte de notre étude présente au sujet une sensibilité éparse,
qui nous est utile. 54

52
Voyager pour découvrir, est donc nourri par la volonté d’arpenter la nouvelle terre, après les représentations
donnée dans les journaux et qui constituait la source d’information première pour ces voyageurs mais, faire
découvrir tranche aussi un grand moment dans l’histoire du voyage en Algérie, parce que ces voyageurs vont
constituer la nouvelle représentation d’ « une Algérie qui ne serait plus seulement matière à traités
« scientifiques », occasion d’empoignades politiques et de débats ressassés sur « l’avenir de la colonie », ou sujet
facile d’exaltation patriotique et guerrière ». On commence à demander une Algérie littéraire, pittoresque ou
rêveuse, subjective et poétique, une Algérie d’impressions de voyages ». Frank Laurent op,cit, p, XVI.
53
De fait, les dernières années de la Monarchie de Juillet voient s’amorcer un mouvement touristico-littéraire.
54
Les peintres se sont empressés de visiter l’Algérie au tout début de la colonisation, essayant de représenter la
colonie, on cite Fidel Gudin et A. Genet, comme deux peintres orientalistes français ayant fait les premières
représentations d’Alger, à côté de Lessore et Wyld et autres peintres Orientalistes Anglais, Italiens,
Hollandais…etc., mais avec lesquels on n’arrive pas à conclure la réception, parce que ce sont des artistes qui ont

30
Les voyageurs qui seront étudiées au long de notre recherche sont des personnes ayant
une renommée et une célébrité importantes à cette l’époque et même aujourd’hui. Nous
parlons de célèbres journalistes comme Ismayl Urbain, ou de célèbres écrivains comme
Théophile Gautier, ou de encore de célèbres peintres comme Eugène Fromentin…etc.

Mais la célébrité n’ayant pas interdit aux voyageurs les moins connus ce désir de découvrir
Alger, nous avons autant de volonté à étudier des profils qui, même à leur début de carrières,
savouraient le gout du voyage « Oriental ».

C’est pour toutes ces raisons que nous avons sélectionné ces voyageurs. Il était important
de comprendre le fondement de nos choix pour comprendre l’objectif de cette recherche. Nous
nous attarderons un peu plus sur ces profils dans une prochaine partie, afin d’éclairer leurs
biographies, leurs parcours, leurs travaux et leurs apports au sujet du voyage Algérien.

II- Biographies des voyageurs et contexte de leurs voyages

1- Ida Saint Elme

Ida Saint-Elme, première voyageuse de notre corpus, est une écrivaine néerlandaise mais
qui, depuis la conquête française, a quitté son pays pour suivre les compagnies coloniales.

Elle s’est intéressée au territoires du Moyen-Orient, et surtout à ceux d’entre eux pris par
l’occident. Elle apparut dans l’étude menée par Steinberg Sylvie, qui l’a décrit d’aventurière, de
passionnée de la Restauration, et de l’une de ces personnes qui se sont consacrées à la gloire
de la France.55

eu la mission de représenter un lieu. Mais les peintres que nous avons sélectionné à l’étude sont des peintres
qui ont dessiné mais aussi décrit Alger, ce qui nous permet d’analyser justement la réception.
55
« Ida Saint-Elme est de ces personnages d'aventurières qui firent florès pendant la période révolutionnaire et
impériale. […] elle fréquenta le monde, sans être une mondaine, et fit plusieurs périples à la suite des armées
révolutionnaires et impériales, souvent travestie en homme, à cheval, dans la boue et le froid ». Dans Steinberg
Sylvie. Ida Saint-Elme, Souvenirs d'une courtisane de la Grande Armée, texte présenté par Jacques Jourquin. In:
Annales historiques de la Révolution française, n°344, 2006. La prise de parole publique des femmes sous la
Révolution française. pp. 258

31
Fig 02 : Portrait de Ida Saint Elme par Henri Grévedon, 1827.

Dans son parcours de voyageuse, elle a arpenté les terres de l’Asie et de l’Afrique de l’Ouest,
ce qui a fait d’elle une connaisseuse de l’Orient. Bien qu’elle ne se pose pas aussi bien en
orientalisme qu’en patriotisme56, elle a quand même rendu un grand hommage à l’Orient, par
ses voyages et par ses récits.

Elle avait fait sa découverte du Caire en 1829, juste avant son voyage à Alger en Novembre
1830 – soit quatre mois après la conquête –. Elle en a tiré un récit de voyage de grand volume
de cinq tomes qui détaille son séjour Egyptien intitulé Mémoires d'une Contemporaine : La
Contemporaine en Egypte : Pour faire suite aux souvenir d'une femme, sur les principaux
personnages de la République du, Consulat, de l’Empire et de la Restauration. Elle écrit par la
suite le sixième tome en 1831 sur son voyage à Alger et à Malte, intitulé Mémoires d’une
contemporaine : La contemporaine à Malte et à Alger, où une approche de mépris, est exprimée
sous la « joie de la conquête d’Alger » que la voyageuse met en avant longuement dans ses
propos.

Les mémoires de Ida Saint-Elme, sont les seules sources que nous avons d’elle en tant que
voyageuse, nous n’avons pas d’autres informations sur d’autres voyages. Son parcours de
voyage semble se résumer au Moyen-Orient, après avoir fait son voyage en Italie et en Russie

56
« Ida Saint Elme se pose moins en orientaliste qu’en patriote fervente. Elle affirme haut et fort ses opinions
Bonapartistes, mais n’en prodigue pas moins ses éloges au monarchiste Bourmont, qui a conduit
victorieusement l’expédition d’Alger », ce passage dans le livre de Frank Laurent op.cit. p,51, donne une idée sur
l’idéologie de la voyageuse, qui a aussi servi ses positions face à la colonisation et notamment face à ses
impressions de voyage, qui ne font justement pas d’elle une orientaliste (selon Frank Laurent).

32
en vue de devenir actrice, mais sans succès. C’est donc avec les mémoires qu’elle a pu entamer
une carrière, lui permettant donc de devenir célèbre. 57

La biographie de voyage de Saint-Elme nous donne une idée sur sa compétence dans la
représentation et dans la transmission des traits d’une ville et d’une société. Les traits de
description qui ponctuaient son récit, allaient de l’activité marchande au centre de la ville de
cette époque, à la forme des maisons, à leur couleur en blanc cassée par les pannes de bois de
couleur marron. Elle détaille le commerçant et le citoyen Algérien, de la couleur de sa peau, à
sa langue aux détails de son costume coloré aux nuances du soleil d’Alger.

Quelque part, la diversité des destinations qu’elle emprunte, souvent orientales, ont fait de
son observation de la ville d’Alger un moyen de comparaison tantôt avec le Caire, tantôt avec
Damas ou l’Alexandrie.

De plus à sa démarche et à l’itinéraire qu’elle a eu au cours de sa vie de voyageuse dans ces


villes arabes, Ida se singularise avec le privilège qui lui a été donné par des hommes d’état
généraux et commandants.58 Cette position lui donnait une certaine flexibilité dans l’usage de
l’espace allant jusqu’à sa pénétration à l’intérieur des maisons.

Une particularité ajoutée au fait qu’elle soit une femme, et donc sensible aux intérieurs des
maisons, comme aux traditions, aux coutumes et aux pratiques au sein d’une cellule arabe,
orientale.

En parlant de Ida Saint-Elme qu’est parmi les premiers à avoir découvert Alger juste au
lendemain de son occupation, nous évoquons juste après notre deuxième voyageur, qu’est
également un journaliste. Pas très loin chronologiquement de Ida Saint-Elme, et un passionné
de la société orientale jusqu’à l’adoption, nous parlons de Ismayl Urbain.

57
Voir Henri Lachize, Une Amazone sous le premier Empire. Vie d'Ida St-Elme, Charles Carrington éditeur, 13
faubourg Montmartre, Paris, 1902 et aussi M. L. de Sevelinges La Contemporaine en miniature ou abrégé de ses
mémoires, Paris, 1828.
58
Voir, Henri Lachize, op.cit.

33
2- Ismayl Urbain

Ismayl Urbain, né Thomas Urbain, est un journaliste français ayant fait le tour de l’orient
avant de visiter Alger et de s’y installer définitivement. Il s’est familiarisé avec une ville
orientale, tout à fait opposée à la ville occidentale, et à laquelle il exprime tout son
attachement.59

Fig 03 : Ismayl Urbain à Marseille en 1868, dans Gabriel Esquer, Iconographie historique de l'Algérie depuis
le XVIe siècle jusqu'à 1871, Paris : Plon, 1929.

La parenthèse du Saint-Simonisme

Il est important de s’arrêter avant tout sur le fait que Ismayl Urbain soit un saint-simonien.
Le saint simonisme étant un courant idéologique émergé au début du XIXème siècle, et ayant
connu sa prospérité entière vers 1830, a encouragé le progrès scientifique et industriel à

59
« Figurez-vous messieurs les métropolitains ; figurez-vous que j’ai consacré les plus belles années de ma
jeunesse à visiter l’orient, depuis Constantinople jusqu’à l’Alexandrie, en suivant le littoral de l’Asie Mineure et
de la Syrie, après m’être arrêté dans toutes les iles du grand archipel grec, à Rhodes, à Candie, à Chypre.
Pendant ce long voyage, dont tout le monde aujourd’hui peut soupçonner l’intérêt et l’agrément, je me suis
épris d’un vif amour pour le climat, pour la langue, pour les mœurs et pour les populations de l’orient. »
Publication de Ismayl Urbain dans Le Temps, 05 Juin 1837.
Dans ses impressions, Ismayl Urbain, s’est bien positionné quant à son adoption de la culture arabe, et il
l’exprime déjà bien dans ses publications dans le journal le Temps, quand il parlait de son premier voyage en
Algérie :
Impatient de jouir de l’orient, je me hâte de me dépouiller de ma défroque européenne, (…). Je déplie mon
immense pantalon turc, j’enroule le turban de mousseline blanche autour de ma tête, je ceins mon sabre de
Damas (…). Dans Ibid.

34
l’Occident comme à l’Orient – et c’est ce qui fait justement référence aux voyages faits par les
saint-simoniens en Orient et en particulier en Egypte – :

Les saint-simoniens auront multiplié les écrits et les publications, précisant la spiritualité de leur
Église, leur passion pour le progrès et les infrastructures, leur vision de l'organisation du travail,
leurs théories en faveur de l'émancipation féminine ou leurs conceptions de la ville, de
l'histoire... Il se dégage des différents chapitres l'impression que ce qui caractérise le mieux la
nature du saint-simonisme, doctrine universelle et totale, c'est sa perception hybride du
monde. Fondé sur l'équivalence du microcosme et du macrocosme, le saint-simonisme
s'efforce de rassembler association et hiérarchie, esprit et matière, Orient et Occident, féminin
et masculin, le vivant et la machine...60

De par cette appartenance idéologique, une certaine volonté de tisser un lien entre l’Orient
et l’Occident se signale importante61. La valorisation de l’Orient par Urbain supprime donc, dans
un premier temps, toute « naïveté » de considération et de reconnaissance de cette nouvelle
culture orientale.

Le Saint-simonisme en Algérie contestait le projet de « l’assimilation » imposé par la


politique de l’occupation française, et qui voulait faire de la colonie un territoire sans aucune
« hiérarchie précoloniale », où les liens sociaux sont détruits, et donc la destruction de la base
économique préexistante.62

60
Enders Armelle. Antoine Picon, Les saint- simoniens . Raison, imaginaire et utopie. In: Histoire, économie et
société, 2004, 23ᵉ année, n°3. P, 460. Disponible sur Persée : https://www.persee.fr/doc/hes_0752-
5702_2004_num_23_3_2435_t1_0459_0000_2.
61
« Partageant avec les Saint-Simoniens le rêve d’une union entre l’Orient et l’Occident, « sans conquête et sans
colonisation » et dans une réciprocité des apports civilisationnels de chacun, Urbain se lance avec eux à la
découverte de cet Orient. » Dans Roland Laffitte, Naïma Lefkir-Laffitte L’Orient d’Ismaÿl Urbain, d’Égypte en
Algérie, 2 vol., Paris : Geuthner, 2019, disponible en ligne sur
https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=https%3A%2F%2Fhistoirecoloniale.net%2FLe-parcours-
singulier-d-Ismayl-Urbain-par-Roland-Laffitte-et-Naima-Lefkir.html#federation=archive.wikiwix.com&tab=url
62
C’est là que Pellisier de Raymond, chroniqueur de l’époque, dénonce en quelque sorte cette nouvelle
politique d’assimilation et de destruction sociale dans ses Annales Algériennes : « L’autorité française s’imagina
que la population algérienne ne formait qu’une agglomération d’individus sans lien commun et sans organisation
sociale ». E. Pellissier de Reymond “Annales Algériennes”, Paris, J-Dumaines, Librairie-Editeur de l’empreur,
Octobre 1854, p.74.

35
Cette contestation de la politique de l’assimilation par les Saint-Simon peut être émergée à
63
l’issue de leur participation à la diffusion scientifique sur l’Algérie et à la découverte de la
nouvelle colonie.64

L’apport scientifique du Saint-Simonisme à l’Algérie a été mis en lumière dans une étude
faite par Mohamed Rahmoun dans un article intitulé « L'apport saint-simonien dans
l'établissement colonial en Algérie » 65:

L'apport des saint-simoniens à la colonisation algérienne n'est pas que théorique. Leur doctrine
économique et sociale les entraîne dans des entreprises diverses et novatrices. Ils prennent part
aux explorations scientifiques et minières de l'Algérie, impulsent le développement du chemin
de fer et du transport maritime, influencent la politique impériale grâce à leurs travaux sur les
régimes de la propriété des algériens.66

Dans cette démarche scientifique, les Saint-Simoniens allaient dans une large recherche
conservatrice d’un patrimoine indigène. Ils ont rassemblé entre 1840 et 1842, un corpus
scientifique important, obligeant le général Bugeaud à prendre des décisions en faveur de la
conservation de l’inventaire patrimonial de l’Algérie. La loi du 25 Mars 1844, suivie de la loi du
26 aout 1845, ont été donc prononcée en faveur de la collecte des objets archéologiques au
musée Algérien de Paris.67

Tout cela revient à dire que l’appartenance de Ismayl Urbain à la doctrine Saint-Simonienne,
justifie son adoption de la vie indigène arabe, et son attachement à la particularité algérienne,

63
Voir l’article « L’Algérie d’Abdel Kader, ou la découverte d’un autre Orient par les Saint-simoniens » exposé fait
à Toulon, le 8 janvier 2005, dans le cadre de l’exposition « Abd el-Kader à Toulon, héros des deux rives ». Publié
le 17 Janvier 2005, https://histoirecoloniale.net/les-Saints-simoniens-en-Algerie.html.
64
Ismayl Urbain en faisait partie, lorsqu’il a débarqué à Alger en 1837 autant qu’interprète militaire.
65
Mohammed Rahmoun, « L'apport saint-simonien dans l'établissement colonial en Algérie », e-Phaïstos
[En ligne], V-1 2016 | 2018, mis en ligne le 18 janvier 2018, consulté le 21 mai 2022. URL : http://
journals.openedition.org/ephaistos/1130 ; DOI : 10.4000/ephaistos.1130
66
Ibid.
67
« L’Algérie d’Abdel Kader, ou la découverte d’un autre Orient par les Saint-simoniens » exposé fait à Toulon, le
8 janvier 2005, dans le cadre de l’exposition « Abd el-Kader à Toulon, héros des deux rives ». Publié le 17 Janvier
2005, https://histoirecoloniale.net/les-Saints-simoniens-en-Algerie.html.
67
Mohammed Rahmoun, « L'apport saint-simonien dans l'établissement colonial en Algérie », e-Phaïstos
[En ligne], V-1 2016 | 2018, mis en ligne le 18 janvier 2018, consulté le 21 mai 2022. URL : http://
journals.openedition.org/ephaistos/1130 ; DOI : 10.4000/ephaistos.1130

36
qu’a tant été rejetée par la politique coloniale et surtout au moment du projet de
l’assimilation.68

Ismayl Urbain en Algérie

Il était rattaché aux bureaux arabes, quelques temps après son arrivée au tant
qu’interprète, lors de son premier voyage. Il a fini par devenir l’un des conseillers de Napoléon
III notamment dans le projet du « Royaume Arabe ». 69

De par ses écrits, Ismayl Urbain s’est montré défenseur de la singularité indigène. Il était un
défenseur de la culture comme de la société Algéroise, ce qui n’était pas tout à fait dans le
programme de l’Algérie française du général Bugeaud:

On note d’emblée l’effort pour éviter le piège de l’européocentrisme. […] mais aussi démonstration par
l’absurde des méfaits de l’assimilation, de la substitution pure et simples des institutions, des pratiques,
des symboles français à leurs « correspondants » indigènes.[…] l’approche ethnologique de Urbain,
sensible malgré le parti pris pittoresque, s’exprime en particulier dans son intérêt pour les mœurs, les
cérémonies, les fêtes et plus largement la sociabilité indigènes. Elle est déjà particulière, tant elle affirme
la valeur de cette civilisation. […] Ismayl défend en maintes reprises, sur un tel ou tel point de culte, de
mentalité, de mode de vie, la supériorité éthique et/ou esthétique sur leurs équivalents français.70

Un voyageur spontané, curieux et enthousiaste, voilà ce qui résume le personnage de


Ismayl Urbain. Un adepte de la culture Orientale qui croisera la colonie pour nous transmettre
la représentation de son image à une époque où l’on questionnait encore son identité.

68
A noter la parenthèse du Saint-Simonisme en Egypte ; Sur le sol Egyptien, la tentative d’associer l’Orient à
l’Occident, a plus explicitement pris place lorsque le pays cherchait à moderniser ses structures. Une tentative de
« civiliser l’Egypte » a été encouragée par le gouverneur de l’époque Mohamed Ali, qui accueillait
chaleureusement les spécialistes dans l’administration moderniste, notamment les bourgeois de Saint-Simon,
comme Urbain. L’Egypte vivait donc sa révolution intellectuelle (El Nahda).

69
Le « Royaume Arabe », fut un projet qui repousse l’idée de l’assimilation mais jusqu’à l’exagération, parce que
cette politique a finalement enfermé les indigènes dans une sorte de communautarisme discriminatoire pour
permettre à la politique coloniale de Napoléon III de « gérer et diriger les tribus soumises », où les Algériens
deviennent des sujets français. Voir l’étude menée par VERMEREN Pierre, « Chapitre VII. Royaume arabe et
communautarisation religieuse sous Napoléon III », dans : La France en terre d'islam. Empire colonial et religions,
XIXe-XXe siècles, sous la direction de VERMEREN Pierre. Paris, Belin, « Collection Histoire », 2016.
70
Franck Laurent « Le voyage en Algérie anthologie des voyageurs français dans l'Algérie coloniale 1830-1930 »,
Paris, Bouquins, 2008, p, 33.

37
3- Charles Nodier

Toujours dans une direction de découverte, on enregistre un troisième voyage important


dans notre chronologie d’étude. En 1839 alors que le duc d’Orléans décide de visiter la nouvelle
colonie, l’occupation française de l’Algérie s’était déjà étalée sur plusieurs territoires.
Chronologiquement, le processus de l’occupation coloniale après la prise d’Alger en 1830 a pris
du temps pour conquérir le reste du pays. Le voyage quant à lui, s’accentuait toute fois qu’une
ville Algérienne, devenait colonie.

Cette « conquête » du Duc d’Orléans à moitié militaire, célébrait d’une part la prise de la
ville de Constantine deux ans plus tôt, mais voulait d’une autre part rendre un peu de gloire à
sa gouvernance après l’échec de l’assaut de mascara en 183571 dont il avait participé. Cet échec
a rendu sa situation encore plus délicate vis-à-vis du contexte de l’anglophilie qui régnait encore
cette période 72. Son voyage pour la colonie était donc d’une importance emblématique.

La recherche de la gloire justifie la raison de mettre en place toute une équipe pour diriger,
et rédiger le voyage du Duc. Le peintre orientaliste, déjà célèbre à cette époque, Adrien Dauzats
en a fait partie ; il a été chargé de représenter l’Algérie aux plus beaux détails, pour illustrer les
notes de voyage du Duc d’Orléans.

Mais ce qui nous a le plus intéressé, c’est que le duc a effectué le voyage et a voulu le
mémoriser et le publier, sans en être l’auteur. Il a confié à Charles Nodier la rédaction de son
manuscrit. Par les dessins de Dauzats et les mots de Charles Nodier, le voyage fut mémorisé. 73

Charles Nodier qui était à cette époque une figure emblématique de la littérature française,
a rédigé le récit de la visite intitulé Journal de l’expédition des portes de Fer, dont les portes de
fer désignaient Constantine.

71
Ou la Bataille de Mascara : confrontation militaire entre l’Emir Abdelkader et les troupes du général Clauzel,
où l’échec de soumettre l’Emir a fait reculer les troupes de l’armée française.
72
Frank Laurent a introduit ceci dans son ouvrage Frank Laurent, op.cit. p,53.
73
Par équipe se désigne aussi tout le groupe des militaires et des politiciens qui ont accompagné le duc
d’Orléans lors de sa visite. Nous nous intéresserons dans le cadre de notre recherche que par l’écrivain Charles
Nodier et le peintre Adrien Dauzats.

38
Fig 04 : Lithographie de Charles Nodier, parue dans la revue Cénacle de la Muse française en 1827.

Cet écrivain, à qui on accorde une grande importance dans l’émergence du mouvement
romantique, fait justement de ce récit un vrai objet romantique. Il est à noter que l’écrivain n’a
pas participé au voyage, il a rédigé les notes en fonction des dessins de Dauzats et des lettres
du Duc d’Orléans, ainsi que de ses lectures personnelles. Par ceci nous soulignons une autre
manière d’appréhender une réception, soit la réception romantique.74

Charles Nodier, s’est confié à ce qui lui a été donné comme informations par les lettres du
duc et par les dessins de Dauzats qui tous deux faisaient réellement partie de ce voyage. Il avait
en quelque sorte la mission de retranscrire la réception du Duc, même si indirectement, son
désir de faire partie de ce récit était bien ressenti.

Charles Nodier est mort en 1844, et c’est le peintre Dauzats qui s’est chargé d’achever la
publication du journal quelques semaines après. Ceci nous laisse la possibilité de dire que la
rédaction de ce récit de voyage par Nodier était probablement « encadrée » par le peintre.

Le choix de confier à Charles Nodier la rédaction du journal ne semble pas être naïf.75 Dans
une analyse brève et spontanée, il était propice de créer un lien entre ces deux

74
Il est très intéressant de mettre en avant la différence entre le récit de Nodier et le récit de Ismayl Urbain ou
de Ida Saint-Elme, entre orientalisme et romantisme, la réception serait-elle la même ? Le choix de garder ce
récit de voyage malgré la nuance soulignée, a été longtemps réfléchi.
75
« C’est dire que le Journal de l’expédition des portes de Fer constitue peut-être le premier grand monument
de la propagande. » c’est ainsi que décrit Frank laurent le voyage du duc, comme un voyage de commande, un
voyage qui veut plutôt camoufler les effets de la colonisation, et mettre en avant la mission civilisatrice. Voir
Frank Laurent op.cit p, 54.

39
donnés politique et romantique du voyage. Cet écrivain semblait favorable à satisfaire la
volonté du Duc d’Orléans de rendre gloire à sa gouvernance. 76

L’opinion publique avait un poids dans l’histoire de la colonisation de l’Algérie. Des voyages
politiques semblent appartenir à une autre intention que ceux de l’agrément, de la découverte
ou du tourisme. Si le Duc d’Orléans a décidé de rendre visite à l’Algérie, en débarquant à Oran
puis à Alger, accompagnés de toute une équipe militaire, et si une commande d’imprimer un
exemplaire de ce récit à chaque officier et militaire fut ordonnée, c’est que les fins du voyage
ne révèlent guère la spontanéité ni la naïveté du voyage. 77

Dans le contexte de la mission civilisatrice, le voyage du Duc répond parfaitement aux


intentions de cette politique. Nous allons voir un peu plus loin dans cette étude, que le récit de
Charles Nodier mettait en avant une image très « positive » de la présence des colons en
Algérie, une image qui écarte tous les conflits, toutes les divergences et tous les soucis liés à la
situation politique délicate de cette époque :

Bien sûr, le courage, l’abnégation et l’humanité de l’armée d’Afrique sont au rendez-vous… bien
sûr, l’œuvre civilisatrice de la France est magnifiée… Mais on en est encore à l’idéal d’une
colonisation douce, où les races se mêleront sans trop de conflits, où chacun pourra trouver sa
place dans le giron français, […]. Bref, une Algérie conquise sans trop de frais, riche de sa
pittoresque diversité, et où chacun reconnaît l’autorité, à la fois douce, clémente et juste.78

L’œuvre de Charles Nodier est complexe parce qu’elle suscite plusieurs questionnements.
Entre romantisme, politique coloniale et réceptions – du duc comme celle de Nodier lui-même–
notre analyse essaiera de poser le maximum des hypothèses possibles. Nous détaillerons ceci
dans la deuxième partie de ce mémoire.

Plus tard, nous assisterons à une émergence de la littérature du voyage propre à l’Algérie,
mais qui était déjà largement diffusée chez les hommes du monde littéraire comme Alexandre
Dumas, Théophile Gautier ou encore Guy de Maupassant.

76
Il se peut aussi qu’il y’ait une volonté d’encourager l’appropriation de la nouvelle colonie par le peuple
français, simultanément au développement de l’immigration et des moyens de transports entre les deux
territoires.
77
Voir ceci dans Frank Laurent, op, cit, p,53-54.
78
Frank Laurent, op, cit, p, 54.

40
Dans la question Algérienne, les figures emblématiques de la littérature n’ont pas fait
exception à cette émergence. Dès la deuxième décennie de l’occupation, nous enregistrons les
premiers voyages littéraires et dont les récits de voyages constituent les plus importants
recueils de notre corpus.

4- Théophile Gautier

Le commencement de l’émergence de la littérature du voyage en Algérie a été marqué par


le voyage de Théophile Gautier. Alors qu’il était encore jeune et souffrant de quelques
problèmes financiers, Théophile Gautier n’a pu réaliser son projet de voyage à Alger qu’en
1845, après avoir tenté plusieurs fois, d’obtenir un financement de l’état.

Fig 05 : Théophile Gautier, par Félix Nadar, Gallica BnF.

Il séjourne de Juillet à Septembre 1845 en Algérie, où il visite plusieurs villes, avec un projet
de publication d’un récit de voyage dès son retour en France. Gautier entame effectivement
l’écriture de son journal mais sans l’achever, il publie donc plusieurs notices dans « La Revue de
Paris » entre 1852 et 1853, avant qu’il ne décide finalement en 1865, de regrouper toutes ces
publications dans le récit que nous étudions ici : Loin de Paris. De par son esprit voyageur et

41
aventurier, Théophile Gautier compte l’une des figures les plus emblématiques de la littérature
de voyage. 79

L’écrivain et son récit ont donné à notre recherche un poids et une direction, parce que
« l’expérience de voyager » de Gautier, lui a donné la possibilité de comprendre une ville et une
société, et à décrire ses traits.

Théophile Gautier a su décoder les standards de la société indigène et s’est mis en dehors de
tout jugement. Il était dans la description et dans la mise en valeur, chose inédite par rapport
aux voyages précédents.

L’exemple d’un voyageur français qui découvre et reçoit une colonie est bien illustré avec
Gautier qui exprimera une réception spontanée de la réalité d’une ville et d’une société. Soit
pour la première fois dans l’histoire du voyage dans l’Algérie française.

5- Xavier Marmier

Ce n’est que deux ans après le voyage de Gautier que Xavier Marmier se rend en Algérie,
soit en 1846. Un voyageur incontournable, Xavier Marmier était connu pour ses voyages, tout
comme son prédécesseur, Théophile Gautier.

La ressemblance entre les deux figures, ne réside pas uniquement dans leur esprit
aventurier et curieux, mais aussi dans le fait que les deux soient des hommes de lettres. La
valeur ajoutée à Marmier est dans le fait qu’il soit traducteur, ce qui explique son ouverture sur
le monde littéraire et sur l’Orient à cette époque.

79
Son approche, sa démarche et la fiabilité de sa description ont sollicité plusieurs travaux faits à son hommage,
et à son honneur, parmi ceux que nous évoquons ici : Voyage Pittoresque en Algérie (1845), notes de Madelaine
Cottin, paru en 1974 dans la revue « Revue française d’histoire d’Outre-Mer », lors du centenaire de la mort de
Gautier et qui est compté parmi les travaux les plus importants faits sur la personne de Gautier voyageur et
écrivain d’excellence. Denise Brahimi, a étudié l’approche de Gautier autant que voyageur dans une publication
intitulée « Voyage en Algérie » où le cas d’étude était le voyage Algérien, mais comme Théophile Gautier est
connu pour ses voyages, les publications se multiplient, « L’art de voyager de Théophile Gautier » écrit par Alain
Guyot, étudie ses voyages dans le monde de l’époque, en soulignant la difficulté et la lenteur du processus de
voyage à son époque.

42
Fig 06 : Xavier Marmier, par Jean-Nicolas Truchelut , 1882, Gallica BnF.

Il accompagne le ministre Salvandy dans sa toute première visite en Algérie, et il tire ensuite
son propre récit de voyage. A la différence de Charles Nodier, Marmier a fait part de ce voyage
et a témoigné, de ses propres émotions, de tout détail qui lui semblait intéressant.

Bien qu’il soit dans une visite avec le ministre Salvandy, son récit était officieux, Marmier a
écarté tout rapport politique et tout commentaire colonial.80

Ce recul de Marmier par rapport à la politique – et surtout par rapport à la visite de Salvandy
– exprime la manière dont le voyageur avait commencé à voir la ville dans son identité, dans
sa structure comme dans son originalité.

Ce tournant de regard envers la ville peut revenir au fait que celle-ci ne soit plus mystérieuse
comme elle l’était dix ans en arrière. Autrement dit, une certaine acceptation et une certaine
tolérance de la réalité de la ville d’Alger ont commencé à prendre place.

D’autre part, Xavier Marmier avait visité le Moyen-Orient une année avant son voyage en
Algérie, mais à la différence de Ismayl Urbain, n’approuvait aucun attachement à ces terres
dans sa description Algéroise. Il est remarquable que Marmier a accordé tout son intérêt et son
attention à la ville qu’il découvrait, loin de toute comparaison avec l’Orient et de toute
interprétation de ses expériences Orientales.

80
Le récit est un récit de littérature, il n’appartient en aucun cas à un discours politique ni militaire, ce qui est
différent de ce qu’on a vu jusque-là.

43
Il n’était donc pas le seul à ne plus (ou presque plus) comparer Alger avec le Caire ou Istanbul.
Ce changement de regard est probablement causé par la documentation enrichie sur l’Algérie,
qui ne nécessitait – probablement – plus une comparaison avec les pays du Levant. 81

L’Algérie décrite par les peintres

Tout comme la littérature du voyage émergée et très sollicitée, la peinture fait aussi un
grand intérêt pour le voyage en Algérie. Nous avons énoncé au début de cette recherche que
nous allions étudier une catégorie de voyageurs qui n’ont pas exclu le récit de voyage de leurs
œuvres malgré leurs profils, tout sauf littéraire.

Tout en étant peintres, des figures comme Jules et son frère Edmond de Goncourt, ou
encore Eugène Fromentin, s’investissent dans l’écriture faisant suite à leurs expériences de
voyage en Algérie.

Cette « peinture écrite » a été quelque part « inédite » pour le voyage Algérien. Nous avons
parlé dans l’introduction de ce travail de recherche des peintres qui ont visité Alger au
lendemain de son occupation mais qui n’ont pas eu la tendance de rédiger leurs expériences,
mais plutôt de les peindre. 82

Cette absence de rédaction par les peintres est aussi bien exprimée dans le cas du voyage
du Duc d’Orléans à Alger qui a confié à Charles Nodier la rédaction et à Adrien Dauzats le dessin.
Dauzats s’est donc contenté de son métier de peintre, sans aller plus loin que la peinture.

Le commencement de ces faits de rédaction par des peintres démarre déjà dans notre
recherche par les frères de Goncourt, qui ont eu la particularité de ne débuter dans l’écriture
qu’après leur visite en Algérie en 1849, là où ils ont retrouvé le moyen de faire transmettre des
impressions qui leurs étaient à ce moment-là inédites.

81
A noter que ceci n’est qu’une hypothèse.
82
Pour compléter ce qui a été dit dans l’introduction : Eugène Delacroix est un exemple fondamental de ces
voyageurs peintres ayant mémorisé les toutes premières représentations de l’Algérie au moment de sa
conquête, surtout avec la particularité qu’il avait de peindre l’intérieur d’une maison arabe au moment où cela
était strictement interdit aux hommes étrangers. – La toile de Femmes d’Alger dans leurs appartement –
Bien qu’il ne soit pas le seul, Adolph Carl Otth, peintre suisse, William Wyld ou Gustave Guillaumet plus tard,
sont tous des peintres qui ont participé à la mise en avant d’une représentation des lieux d’Alger et de l’Algérie,
tel qu’ils étaient, mais sans aller plus loin que la peinture et la toile.

44
6- Jules et Edmond de Goncourt

Notes au crayon, tel est le titre de leur récit de voyage dédié à l’Algérie. Un récit rédigé au
fur et à mesure du voyage par les frères sur leur carnet d’aquarelle et qui a été publié trois ans
plus tard dans les éditions L’Eclair.

En 1849 Jules n’avait que 19 ans, son frère Edmond avait 27 ans. Leur voyage programmé
n’avait aucune ambition politique. Les frères de Goncourt, avaient une certaine particularité
très paradoxale à leur métier de peintre mais très intime au même temps, à leur sensibilité de
peintres.

Fig 07 : Jules et Edmond de Goncourt par Félix Nadar, 1854.

Il était très attirant, sans le vouloir, d’identifier dans le texte une certaine « fusion » entre les
auteurs et le lieu qu’ils décrivaient. De plus au caractère de « décrire l’Algérie comme si elle n’a
jamais été occupée par les français » que nous détaillerons un peu plus loin, les frères de
Goncourt avaient une autre forme d’implication dans le texte.

Une certaine ambition de représenter le lieu dans une image détaillée et personnalisée a fait
le fondement, entièrement esthétique, de leur sensibilité.

Le voyage des Goncourt peut être considéré en partie comme un voyage touristique, parce
qu’il n’était pas très clair à juger si les Goncourt voulaient découvrir une colonie ou plutôt un
port, un quartier mauresque, un Sahara ou un café maure… un territoire.

45
La sensibilité avancée dans la présente analyse, a été relevée suite au croisement entre la
description sensible et esthétique et l’implication des auteurs dans leur récit. Cette sensibilité
nous revient aussi, après comparaison avec le voyage de Théophile Gautier, où l’élément
commun était la sensibilité esthétique, et la description.

Les frères de Goncourt entre peinture et écriture

Leur première expérience avec l’écriture étant après le voyage en Algérie, les Goncourt
n’ont pas manqué de souligner ceci au début de leur œuvre : J’ajoute que ce sont ces pauvres
premières notes qui nous ont enlevé à la peinture, et ont fait de nous des hommes de lettres 83

En outre, ce récit n’a pas été la seule œuvre écrite par les frères. Juste après les Notes au
crayon, ils se sont lancé à deux pour produire plusieurs publications dont des études
historiques : Histoire de la société française pendant la Révolution publié en 1854, soit deux ans
la publication des Notes au Crayon dans L’Eclair. Ceci a été suivi par la publication d’une série
de romans à partir des années 1860 où ils publient Charles Demailly, suivi par Sœur Philomène
en 1861, Renée Mauperin en 1864…etc.

Un long silence marquera cette carrière d’écrivains après la mort de Jules jusqu’à ce que
Edmond a décidé de reprendre l’écriture solitaire de romans : La Fille Elisa (1877), Les Frères
Zemgano (1879), La Faustin (1882), Chérie (1884), et bien d’autres, jusqu’à sa mort, en 1896.

Toujours dans l’œuvre des peintres, nous avons sélectionné pour l’étude une figure
surnommée « spécialiste de la couleur Algérienne », ce sera Eugène Fromentin. Ce voyageur
icone, a mérité les salutations de ses prédécesseurs comme de ses successeurs.

7- Eugène Fromentin

La carrière d’Eugène Fromentin que nous étudions aujourd’hui a démarré quand le jeune
homme a décidé de se reconvertir dans l’art, après avoir quitté ses études de droit. Malgré ses
parents, il avait intégré l’Atelier paysager de Louis Cabat pour devenir peintre.

83
Edmond et Jules de Goncourt, Notes au crayon, dans pages retrouvées, Paris, Charpentier, 1886., P.267

46
Fig 08 : Eugène Fromentin en frontispice de Correspondance et fragments Plon et Nourrit 1912.

Toujours malgré ses parents, en 1846 alors qu’il avait 26 ans, il accepte une invitation de
son ami et voyage pour la première fois en Algérie. Ici dans le parcours de ce peintre, la
condition de la réception change. Nous avons souligné la volonté de quelques voyageurs à
découvrir ce que c’était l’Algérie, comme quelques autres qui ont été choisis et commandités
pour voyager dans la colonie. Eugène lui, était invité, dans un voyage que nous pouvons
qualifier de « touristique », où la destination n’était pas moins qu’une destination estivale pour
un court séjour sous le soleil, Alger faisait rêver.

Si Théophile Gautier illustre la littérature du voyage Algérois, Eugène Fromentin en illustre


la peinture. Le voyage inattendu de Eugène Fromentin était un déclenchement pour sa grande
carrière de peintre. Tout comme chez les frères de Goncourt qui se sont transformé en des
hommes de lettres, Eugène Fromentin dans une lettre à sa mère, défend et assume sa
conversion en peinture, surtout après avoir visité la colonie :

Je crois pouvoir affirmer qu’après de fortes études faites dans ce pays-là, j’en reviendrai avec un talent
déjà personnel, (…) Pour moi, si j’avais le choix entre Rome et Alger, vu les besoins présents de ma

peinture, je n’hésiterais pas.84

L’attachement de Fromentin à ce pays est largement exprimé par la multiplication de ses


œuvres et de ses voyages. Après ce premier voyage avec son ami, il est retourné une année
après pour y séjourner huit mois. Puis il y revient encore sept ans plus tard, soit en 1853, et y
séjourne onze mois.

84
E. Fromentin, Lettres de jeunesse, éd. P. Blanchon, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 222.

47
Ce qui est particulier dans cette série de voyages, c’est que les itinéraires étaient quelque
part nouveaux, bien qu’ils ne soient pas tout à fait inédits, mais ils n’étaient pas si communs.

Lors de son tout premier séjour, et qui n’a duré qu’un mois (mars-avril 1846), il a visité
brièvement Alger puis il s’est rendu à Blida, une ville à environs 40 km d’Alger, là où il reste le
plus longtemps. A l’issue de ce premier séjour, Eugène Fromentin n’avait pas laissé grand-chose
à part quelques lettres à sa famille où il a exprimé d’ailleurs dans une lettre à son père son
éblouissement et sa surprise de l’attachement qu’il portait à sa nouvelle découverte :

J’ai senti là-bas qu’il y a une veine originale pour moi. Il aurait fallu quelques mois de plus. J’ai pleuré de
chagrin en laissant là tant de trésors que je venais de découvrir. 85

Il a effectué après ceci son deuxième voyage en 1847. Il a séjourné cette fois-ci directement à
Blida, en suivant cela par un séjour à Constantine et à Biskra (ou la ville Oasis) située à l’entrée
du Sahara.

Le choix de séjourner au Sahara pose une question sur la raison de ne pas se rendre à Alger
la capitale, surtout que les prédécesseurs de Fromentin y tenaient beaucoup. Il se peut que
l’hypothèse suivante donne un réponse éventuelle : Alger arabe et orientale, n y est plus. Dans
l’histoire urbaine de la ville, et sous toute la période de la Monarchie de Juillet, l’image de la
ville s’est complétement modifiée. Au moment du voyage de Fromentin (1847-1848), la ville
Européenne a été installée et les équipements publics et institutionnels ont été édifiés un peu
partout sur les hauteurs et aux alentours de cette ancienne Casbah. Ni la forme urbaine, ni
même le style architecturale dit Mauresque, ne fait la particularité recherchée. Le voyageur à
partir de cette époque, n’était plus intéressé par un séjour où tout est occidental, très familier
à sa culture ; le voyageur allait découvrir une particularité qui à sa suppression, ne fait plus
rêver.

C’est pour cela que des voyageurs comme Eugène Fromentin, et Alphonse Daudet que nous
verrons un peu plus tard dans cette étude, recherchent le trait oriental dans d’autres villes, pas
encore touchées par la fièvre du « modernisme colonial ».86

Eugène Fromentin sort donc après ce voyage un premier récit de voyage qui s’appelle Un
été dans le Sahara, suivi par un deuxième Une année dans le Sahel après son séjour enfin à

85
Ibid. p. 181
86
En reprise de l’expression employée par Théophile Gautier. Voir plus loin.

48
Alger (Mustapha) en 1852-1853. Il se rend à Laghouat en 1853, la ville conquise en décembre
1852.

Cette recherche de l’Orient, en dehors d’Alger, commence à s’accentuer et, à limite, se dire
obligatoire à partir des années 1850. Eugène Fromentin a peut-être fait partie de cette
tendance, quoi qu’aucune preuve ne puisse réellement le démontrer. Mais en étudiant cette
hypothèse en vue de ses successeurs, nous arrivons à admettre, ou au moins en partie, que
certains voyageurs commencent réellement à vivre l’expérience du voyage en dehors des
limites algéroises.87

8- Alphonse Daudet

Alphonse Daudet, est le huitième et le dernier voyageur que nous avons sélectionné pour
l’étude de notre sujet.

En 1861, Daudet avait 21 ans et déjà connu à Paris. Il attrape une maladie qui l’oblige à
quitter la ville pour aller en Provence, là où il décide quelques temps après de se rendre en
Algérie.

Fig 09 : Alphonse Daudet vers 1880. Photographie par Eugène Pirou (1841-1909). Musée Carnavalet, Paris

87
Gustave Guillaumet peut donner un des meilleurs exemples de cette nouvelle manière de visiter l’Algérie,
lorsqu’il découvre l’Algérie « par hasard » vers les années 60 alors qu’il s’apprêtait à visiter l’Italie. Il décide après
cela de réaliser plus de onze voyages avec de longs séjours, au sud Algérien surtout. La particularité de
Guillaumet revient aussi au fait de montrer une réalité, chose peu commune à ce moment où le courant du
romantisme prenait le dessus, surtout dans la peinture. Parmi les villes ayant séduit Guillaumet, la ville de
Laghouat, qui avait aussi longtemps figuré dans les œuvres de Fromentin. Voir sur les voyage de Gustave
Guillaumet en Algérie : L’Algérie de Gustave Guillaumet exposition qui a eu lieu entre le 09 Mars et le 02 Juin
2019 à Roubaix dans : Collectif, L'Algérie de Gustave Guillaumet, 1840-1887, éditions Gourcuff Gradenigo, 2018.

49
Daudet a lu Eugène Fromentin et Théophile Gautier, ce qui nous conduit à supposer qu’il a
été attiré par l’image donnée par ces deux illustres de la littérature de voyage Algérienne88. Le
séjour de Daudet a pris plus de place dans la région de Miliana et de Orléansville (Chlef
aujourd’hui) plutôt que dans la région algéroise.

Les notes de voyage de Daudet, sont regroupées dans son livre d’œuvres Lettres à mon
Moulin et dans les Contes du Lundi. Mais d’une façon inédite, l’Algérie revient cette fois dans la
littérature, mais pas forcément dans la littérature du voyage. Après sa découverte Algérienne,
Alphonse Daudet a écrit un roman qui constitue probablement l’élément le plus attirant dans
son parcours en Algérie. Ce roman qu’est d’ailleurs très connu dans la littérature française
s’intitule Tartarin de Tarascon. L’auteur s’est servi de son expérience de voyageur pour briser
l’imaginaire oriental et exotique diffusé chez la plupart de ses prédécesseurs.

Le roman reflète la réalité de l’indigène dans sa souffrance et dans sa banalité. Daudet


s’opposait donc à l’exotisme qui a touché les premières générations de voyageurs, pour se
mettre, tout comme Gustave Guillaumet, dans une optique réaliste, issue tantôt de la
déception, tantôt du mépris de la réalité, longuement embellie par le courant romantique au
début du siècle.

Alphonse Daudet, développe très sensiblement une façon de voir qu’est très originale. Il est
remarquable que dans son roman comme dans ses notes de voyages à Miliana et à Orléansville,
se révélait une certaine banalisation d’une réalité décevante, une banalisation qui prend le
dessus, pour échapper à tout mensonge.

Enfin, l’approche de Daudet va petit à petit remettre en cause tous les essais du romantisme
et de l’exotisme Algérien, surtout à partir de 1865-1870 à peu près, parce qu’à partir de cette
période et un peu plus tard, plusieurs voyageurs poètes, écrivains ou autres, se rendent en
Algérie mais ne donnent plus le même souffle curieux, au voyage Algérien.89

88
Si Daudet s’est réellement mis dans la même optique de Fromentin ou de Gautier, c’est qu’une forme
d’influence est imposée, ce qui répond au mieux à notre hypothèse de « voyage influencé ».
89
Guy de Maupassant en est un exemple, quatre fois visiteur l’Algérie à partir de 1880, il en tire trois
œuvres inspirées de ses souvenirs de voyages ; mais l’intention de Maupassant à faire suivre (ou faire revivre) les
impressions de Théophile Gautier ou de Eugène Fromentin, vouent finalement à l’échec, l’Algérie que voyait Guy
de Maupassant, ne faisait plus rêver.

50
Deuxième partie : Entre description et réception : Alger
à travers les récits de voyages sous la politique
coloniale de la Monarchie de Juillet

51
I- Silence des architectes : l’hypothèse d’un rejet d’une ville locale

a- Aperçu Urbano-politique de la ville d’Alger au lendemain de l’occupation

Le projet de la ville coloniale s’est appliqué dès les premières années à la nouvelle colonie,
démarrant par la démolition du quartier de la marine qui était à ce moment le cœur commercial
de la ville d’Alger.

Les premières décisions urbaines prises à l’égard de la nouvelle colonie nous mettent à
souligner de deux points essentiels de la politique coloniale du début de l’occupation. Le
premier point revient à « l’incertitude ».90 Une période qui a caractérisé les premières années
de la colonisation, où s’instaurait une vraie politique coloniale officielle91.

Le deuxième point est lié au concept de « fusion ». Une question qui reflétait à cette époque
le débat animé par François Guizot et l’historien Augustin Thierry sur la « fusion des races » 92
franque et gauloise ; un racisme d’état caractérisant de cette période.

La fusion est bien expliquée par le Maréchal Clauzel dans Observations. Ce concept fait
référence à un certain mépris de la localité, où la société se porte bien dans ses coutumes et
dans son urbanisme. Mais toute cette hiérarchie sera modifiée, voir complétement effacée et
remplacée, pour permettre la mise en place d’un système nouveau plus adapté à la nouvelle
société occupante :

La formation d’un corps de naturels du pays et celle d’une garde urbaine, me parurent d’une utilité
incontestable. C’était un moyen de remplacer une partie des troupes que je voulais rendre à la France.
J’entrevis aussi, dans cette double formation, une des causes qui devaient produire peu à peu une espèce
de fusion, entre les indigènes et les Européens, et conduire les premiers à une participation à nos usages,
à notre manière de vivre, à nos habitudes d’hygiène dont ils ne devraient pas tarder à reconnaître la
supériorité.93

90
Rachid Ouahés, Le Forum et l’Informe. Projet et régulation publique à Alger, 1830-1860, Paris, Université de
Paris VIII, 2008, p.63
91
Ibid.
92
Voir plus à ce sujet Michel Foucault, Il faut défendre la société, Cours au Collège de France.1976, Hautes
études EHESS Galimard Seuil, 1979.
93
Bertrand Clauzel, Observations du Général Clauzel sur quelques actes de son commandement à Alger, Paris,
Imprimerie de Henry Dupuy, 1831, p.35.

52
La destruction de la hiérarchie sociale et de la vie indigène allait bien dans le sens des
premiers projets de démolitions et de régulation des voies, qui nécessitaient de nombreuses
destructions des bâtiments locaux, surtout ceux qui représentent l’identité locale. Dans le plan
proposé par Luvini, nous remarquons sa proposition de démolir la grande mosquée :

Fig 10 : Plan LUVINI 1831, reconstitution par André Raymond Raymond dans Le centre d'Alger en 1830...
In : Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°31, 1981.

André Raymond, historien des villes arabes, survole l’histoire urbaine d’Alger sous l’époque
coloniale dans un article écrit et publié pour la Revue de l’Occident musulman et de la
Méditerranée en 1981. Raymond estime que la ville a été presque effacée à l’entier ne laissant
de ce fait que quelques dernières traces de l’urbanisme locale :

Une telle étude est malheureusement difficile à mener, en raison de la disparition, à peu près totale, du
centre historique d'Alger : survenue dans les deux années qui suivirent l'occupation de la Régence par la
France, elle fut complétée, quelques années plus tard, par l'incendie accidentel d'une partie de la Ganina
(1 844), qui fut suivi par l'abandon du reste du palais, dont le caractère scandaleux provoqua à l'époque
de véhémentes protestations. Il ne reste plus de toute la zone qui nous intéresse que quelques lambeaux,

53
dont les plus remarquables sont la mosquée de la Pêcherie, et le Dâr 'Azïza (occupé par l'administration
du Tourisme)94

L’auteur a mis en avant les caractéristiques sociales de l’urbanisme locale de la ville d’Alger,
pour donner de manière explicite les raisons de telles. Des raisons militaires95 comme politiques
ont conduit les premiers projets de régulation vers une transformation radicale de la nouvelle
colonie.

Les premières démolitions étaient exécutées pour accueillir la première place publique au
centre d’Alger96 pour, d’un côté dominer le nouveau territoire par l’imposition de nouvelles
pratiques sociales ; et de l’autre côté, rendre la Gloire à la France qui venait juste de « célébrer
la nouvelle dynastie » de Louis Philippe par la Monarchie de Juillet97. Surtout que le projet de
la colonisation lui-même portait une volonté politique :

La création d'une place monumentale au centre d'Alger répondait d'autre part à un évident dessein
politique, celui d'affirmer, au cœur même d'Alger, la présence et la puissance de la France. Elle devait
encore fournir une occasion de célébrer la nouvelle dynastie, ainsi que le montrait le nom de « place
Louis-Philippe » qui fut tout naturellement choisi pour la désigner.98

D’autres part, les projets du nouvel Alger ont fait suite à une volonté d’occuper longuement
le pays. Ceci a été assez bien exprimée, même quelques jours avant la prise de la ville, par Paul
Raynal, un officier affecté à l’intendance militaire :

Nous occuperons et peut-être longtemps, Je ne pense pas que nous puissions songer au départ avant un
mois ou six semaines. Il faut tout organiser, il faut peser et emporter l’or, il faut inventorier et vendre les
denrées. Tout cela est immense, immense99

94
Raymond André. Le centre d'Alger en 1830... In : Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°31,
1981.
95
Les mobiles de cette destruction sont bien connus. Dès l'installation des Français à Alger les militaires
désirèrent y disposer d'un espace dans lequel les troupes puissent se rassembler et manœuvrer, et, sans doute
aussi, d'un point de contrôle central d'où ils pourraient surveiller l'ensemble de la ville. Ville arabe traditionnelle
sur ce point, Alger n'offrait aucun espace libre un peu étendu, et une « place d'armes » ne pouvait donc être
aménagée qu'aux dépens des constructions existantes. La région située au point de rencontre des trois rues
principales était évidemment la plus appropriée. Ibid. p, 74
96
A noter que la place publique était un élément inédit dans l’urbanisme de la ville d’Alger.
97
Voir Alger, Ville et architecture 1830-1940, sous la direction de Mercedes Volait, où est tracé l’historique de la
transformation et de l’extension de la ville d’Alger depuis l’occupation jusqu’à 1940, notamment la question des
projets de régulation et la question de la création des places publiques.
98
Mercedes Volait, op.cit. p, 75.
99
P. Raynal, L’expédition d’Alger 1830. Lettres d’un témoin, Paris, Société d’Éditions Géographiques, Maritimes et
Coloniales, 1930, p. 98 (lettre du 9 juill. 1830). Cité par Rachid Ouahes, « Le Forum et l’Informe. Projet et
régulation publique à Alger, 1830-1860 », Paris, Université de Paris VIII, 2008, p, 79.

54
Cette détermination et cette volonté de l’occupation « éternelle » de l’Algérie justifient les
projets de démolitions. Une volonté d’assoir le pouvoir colonial est suivie d’une volonté de
« peupler » la colonie par une nouvelle société. André Raymond insiste sur ce lien entre
l’urbanisme « moderne » d’Alger et les nouveaux occupants :

Toute l'entreprise était par ailleurs fondée sur la double conviction, profondément enracinée chez les
nouveaux occupants d'Alger, de la supériorité de la civilisation occidentale qu'ils venaient de faire
débarquer en Algérie, et de l'infériorité de la civilisation des vaincus : cette conviction justifiait la
substitution à un urbanisme jugé anarchique, d'un urbanisme « moderne » à l'européenne, fondé sur la
régularité et les larges perspectives.100

Dans ce sens, nous soulignons dans un premier temps la première réception de l’occupant
de cette ville empiétée. Par la volonté de transformer toute apparence indigène de la ville
d’Alger, nous imaginons qu’à l’occupation la ville d’Alger a été bien rejetée, voir méprisée.101

En outre, un « désintérêt » est souligné par André Raymond qui explique que les
démolitions n’ont même pas permit un relevé des monuments et des rues d’Alger avant leurs
démolitions :

Le projet, et la manière dont il fut réalisé, témoignaient d'un formidable manque d'intérêt pour la culture
locale (…). On s'explique donc les conditions scandaleuses de négligence dans lesquelles s'effectua la
destruction du centre d'Alger: les démolitions commencées, dès les semaines qui suivirent l'occupation,
et poursuivies en 1831 et 1832, furent étendues à des édifices religieux, telle la mosquée de la Sayyida,
d'autre part les militaires qui saccageaient un quartier vital d'Alger ne songèrent, à aucun moment, à
effectuer au moins un relevé des édifices qui furent abattus, et des rues qui furent supprimées pour faire
la place à un grand espace vide, entouré d'immeubles de rapport, pastiches parfaitement banals des
types que proposait l'architecture européenne.102

100
Raymond André. Le centre d'Alger en 1830... In : Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°31,
1981, p,75.
101
A noter les projets de démolitions majeurs qui ont été décidés :
- Le plan Galice (Octobre 1830) : une place publique prévue demandait la destruction de la mosquée El
Sayyida, reconnue comme une icône architecturale et urbaine de la ville Alger à cette époque.
- Le plan Galice a été remplacé par celui de l’architecte François Luvini, appelé par le général Clauzel qui
a été nommé chef du gouvernement militaire à Alger en Septembre 1830.
Le plan Luvini répondait assez bien à la question de la fusion mise en avant par Clauzel. Par les
démolitions qu’il proposait et par le style architectural des bâtiments dessinés pour la ville. Par la
proposition de démolir à l’image de la table rase, la mosquée El Sayyida, Djamaa El Djedid et le palais de
la Jenina…

102
Raymond André. Le centre d'Alger en 1830... In : Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°31,
1981, p,75.

55
La réception des architectes de la ville traditionnelle s’exprime aussi dans les projets qu’ils
proposent. Les démolitions ont fait objet d’un large débat dans la politique coloniale mais il y
avait aussi la question du style des monuments prévus pour la nouvelle ville.

En 1832 lorsque le général Clauzel fut remplacé par le général Baron de Berthezène, le
projet Luvini103 a été remis en cause par les officiers du Génie. Le lieutenant-colonel Lemercier
a fait donc appel au capitaine Davout qui a ensuite proposé un plan qui respecte la ville
traditionnelle et éloigne les propositions de démolitions :

Fig 11 : Plan DAVOUT 1831, reconstitution par André Raymond Raymond dans Le centre d'Alger en 1830...
In : Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°31, 1981.

103
Pour rappel : Le plan Luvini prévoyait des démolitions de monuments importants à l’image de la tables rase
(la mosquée El Sayyida, Djamaa El Djedid et le palais de la Jenina…)

56
Mais à cette période, le général Lemercier avait adopté d’autres plans d’aménagements des
voies,104 pour proposer lui-même un plan où il prévoit des bâtiments du style gréco-romain.105

Parmi les exemples les plus emblématiques de la « reconversion des styles » émergée dans
ces premières années d’occupation, nous citons la mosquée Ketchaoua convertie par le Duc de
Rovigo en la cathédrale de Saint Philippe.106

Après être nommé nouveau Gouverneur de la colonie, la mosquée a été changée


formellement, fonctionnellement comme esthétiquement. Cette pratique de reconversion des
monuments religieux était fort courante.107 Ces transformations sont généralement faites au
profit de l’armée pour servir de fonctions sanitaires soit des hôpitaux ou des infirmeries, avant
d’être finalement détruits. 108

104
Plan Prus, Ponts et Chaussée, 1832 proposant trois voies d’alignement de la place du gouvernement et la
Casbah.
105
Voir François Béguin Arabisances : Décor architectural et tracé urbain en Afrique du Nord, Paris, Dunod, 1983.
106
Mosquée Ketchaoua, construite en 1436, elle fut remaniée au XVIIIe siècle sous le gouvernement de Dey
Hassan, pour être transformée à partir de 1832 en la cathédrale de Saint-Philippe, sous la décision du Duc de
Rovigo. Elle fut aussi démolie et reconstruite par Amable Ravoisié qui lui donne sa forme actuelle. La mosquée a
continué à subir de légères transformations et des restaurations notamment avec Jean Eugène Fromageau et
Albert Ballu à qui revient la forme de l’actuelle façade. Elle est redevenue mosquée en 1962 et fait dans le
patrimoine classé de la basse Casbah d’Alger.
107
La mosquée Souk-El-Ghazal à Constantine, a été à son tour transformée en Eglise après avoir subi notamment
un projet d’extension.
108
Voir : Albert Devoulx, Les édifices religieux de l’ancien Alger, Alger, Bastide, 1870. Et le mémoire fait au sujet
de la conversion de la mosquée Ketchaoua : Samir Nedjari, - Conversion des lieux de culte à Alger du XVIIIème au
XXème siècle – Cas de la mosquée/cathédrale Ketchaoua -, Paris, Univérsité Paris I Pantheon-Sorbonne, 2012.

57
Fig 12 : Plans modifiés plan de l'ancienne mosquée en 1839, plan d'agrandissement par Guiauchainn et
Consolidation par Harou Romain 1839. Archives nationales côte CP/F/19/7596.

Fig 12 : Projet de façade proposé pour la mosquée Ketchaoua par Harou Romain 1856. Archives
nationales côte CP/F/19/7596.
58
Sur la question des styles de construction

En ce qui concerne les styles, les transformations ont suivies généralement des styles
éclectiques entre néo-classicisme et néo-renaissance. Depuis, de multiples comparaisons entre
Alger et Marseille commencent à prendre place dans les récits de voyages de la fin du XIXe
siècle jusqu’au XXe siècle.109

Entre 1830 et 1860 surtout, le style académique reflétait une forte inspiration des styles
classiques dérivés des antiquités grecques et romaines.110 Dans un projet de Lazaret proposé
en 1831 par l’architecte François Luvini, le modèle a suivi une forme de temple périptère à
colonnes toscanes.111 Dans la même perspective, le style a été adopté quelques années plus
tard, en 1839, par l’architecte Pierre Auguste Guiauchain lorsqu’il avait proposé un temple
protestant.112 Un projet qui a été réalisé et qui existe toujours.

109
Le style architectural a été étudié dans plusieurs publications scientifiques, affirmant une adoption d’un style
particulier durant la période coloniale ; dans le livre Alger, Ville et architecture 1830-1940, l’étude du style des
constructions coloniales en Algérie a été réparti sur trois grands courants ; un premier qui marque les débuts du
XIXème siècle : le style néo-classique, ou que les auteurs appellent « académique » et qui marquait toutes les
premières constructions destiné à usage public, comme le théâtre de la ville proposé par l’architecte Luvini sur la
place du gouvernement (le projet n’a pas été construit). Dès le milieu du XIXème siècle, une généralisation d’un
style régionaliste hybride se met en place, une hybridation entre constructions au style arabe arabes et de
constructions au style français et européen, ce style que les auteurs qualifient de « style méditerranéen » ; enfin,
et avec l’avenant de l’art déco, le style méditerranéen sera remplacé par ce nouveau style, pour marquer la
modernité du siècle suivant. Etude publiée dans Alger, ville & architecture 1830-1940, Claudine Platon, Juliette
Hueber, Boussad Aiche, Theirry Lochard “, Alger, Ed Barzakh, Ed Honoré Clair, 2016, p 51-68.
110
Ibid., p,51.
111
Ibid.
112
Ibid.

59
Fig 13 : Carte postale montrant la rue de Chartres et le temple protestant, 1918.

Le style néo-classique a pris le caractère de représentation du pouvoir de l’état. Ce style qui


caractérise le style de la métropole,113 a été appliqué aux établissements de l’état et aux
équipements de pouvoir, ce qui a mené les premiers architectes à l’appliquer sur toute une
série de projets étatiques.

Cette volonté stylistique était à l’origine « d’une recherche d’une architecture appropriée
à la colonie »,114 par le style néo-classique et par le retour aux styles antiques qui ont été
imposés par les décideurs de la colonie :

113
Ibid.
114
Claudine Platon, Juliette Hueber, Boussad Aiche, Theirry Lochard, op.cit, p,52.

60
Le général Monfort, inspecteur du génie en Algérie, impose la construction de galeries à arcades pour
« protéger les rez-de-chaussée des rayons de soleil ». (…) Dans les ensembles ordonnancés, le gabarit des
immeubles, la hauteur des étages et la trame des baies sont imposés.115

Cette imposition des styles et des dessin de façades, se trouve aussi chez les architectes,
André Marie Renié, architecte du ministère de la guerre écrit en 1841 : « Les bâtiments civils à
portiques encadrant la place sont d’une architecture romaine ».116

La parenthèse de la mission civilisatrice

Une autre forme d’imposition caractérise la fabrique coloniale durant cette première
période d’occupation et qu’est une imposition de projets de grande voirie. Ces projets
mettaient en avant une « volonté civilisatrice » de moderniser la ville.

Dans une lettre du général Berthezène au ministre de la guerre où il lui demande la nomination
d’un deuxième ingénieur au service de la voirie, il met l’accent sur l’importance des « grandes
routes » dans la civilisation :

Tout y est à créer dans cette partie ; ayez la bonté, je vous prie, d’ordonner qu’un employé de ce corps
se rende sur les lieux pour y étudier les localités et proposer au Gouvernement ce qu’il aura jugé de
convenable. Il ne faut pas oublier qu’une grande route est un grand moyen de civilisation.

La voirie connaitra plus de progrès avec le commandant de génie Lemercier notamment avec
le plan général d’alignement de la ville d’Alger proposé par Pierre Auguste Guiauchain,
architecte de la province.117

Cependant, les projets de la voirie où les rues les plus importantes (Bab Azzoun, Bab el
Oued, Rue de la Lyre...), qui ont été dessinés au modèle de la rue Rivoli par les ingénieurs des
ponts et chaussée.

115
Ibid., p,53.
116
ANOM, 2N/57 cité dans Ibid., p,53.
117
Voir plus dans Alger, Claudine Platon, Juliette Hueber, Boussad Aiche, Theirry Lochard “Alger, Ville &
Architecture 1830-1940”, Ed Barzakh, Ed Honoré Clair, 2016, p 17-19.

61
Fig 13 : La rue Bab Azzoun au modèle de Rivoli, Edition des Galeries de France. Date inconnue.

b- Réception de l’architecte au début de l’occupation : un rejet de la ville locale pour une


approbation de la nouvelle ville européenne

La mission civilisatrice qui revient surtout dans le cadre des expositions universelles prend
donc place dans les projets de la voirie où les rues les plus importantes (Bab Azzoun, Bab el
Oued, Rue de la Lyre...), qui seront dessinés au modèle de la rue Rivoli par les ingénieurs des
ponts et chaussée.

De par les démolitions et l’adoption des style néo-classique et antiques, se met en avant
une hypothèse de rejet de cette ville traditionnelle par les nouveaux occupants. Ce rejet a été
effectivement exprimé par le dysfonctionnement de la ville par rapport aux pratiques sociales
et militaires européennes, mais aussi par les démolitions.118

C’est pour cela que nous trouvons dans plusieurs travaux une sorte de dénonciation de ce
processus destructeur, Henri Klein est revenu sur la question en 1910 :

118
A noter que ces pratiques de démolitions n’ont pas existé dans d’autres colonies françaises, notamment au
Maroc, qui accueillait de nouvelles constructions aux alentours des anciens centres, sans pratiques de
transformations Ibid., p,22.

62
Ah ! pourquoi les conquérants de 1830 s’obstinèrent-ils à vivre en cette cité qui leur déplaisait tant et au
sein de laquelle tant de transformations maladroites n’aboutirent qu’à des enlaidissements irréparables,
alors qu’il était tout indiqué de créer une ville nouvelle à l’entour du rivage de Mustapha, création par
laquelle eut été sauvé le merveilleux et unique pittoresque d’El-DjezaÏr ! 119

La réception de l’architecte

L’architecte n’ayant rien déclaré au sujet de la colonie dans cette première période, s’est
exprimé par la nature des projets proposés et exécutés. Nous avons avancé l’hypothèse du
silence pour le rejet d’une ville locale, et qui semble logique en suivant le cheminement des
événements urbains et architecturaux exposés jusque-là.

Nous pouvons dire que la réception de l’architecte s’est limitée à une volonté d’assoir une
politique coloniale. Les projets de démolitions ont fait suite à des décisions collectives et non à
des créations individualisées propres aux architectes.

Mais d’autre part, nous avons vu quelques nuances dans la nature des projets proposés entre
celui de Luvini et celui de Davout : l’architecte, bien qu’il soit commandité, semble quand-
même avoir participé à une certaine diffusion du pouvoir colonial en dépit de l’identité locale,
parce qu’il avait le pouvoir d’agir directement sur la ville, et les choix urbains lui revenaient de
manière plutôt subjective.

Cette réception est complexe et nous laisse dans l’hypothèse. Mais celle-ci va donner une
suite dans un deuxième temps, soit après 1848. Nous y reviendrons à la fin de cette deuxième
partie de recherche.

Il est à noter que ces données Urbano-politiques constituent pour nous une base pour
l’étude de la réception de nos voyageurs. Compte tenu de ces éléments, nous allons positionner
nos voyageurs dans le contexte de la ville, au moment de leur voyage. Nous allons donc
exploiter ce développement au fur de l’analyse de nos récits de voyage afin de répondre à notre
problématique de l’évolution de la réception par rapport aux évolutions Urbano-architecturales
de la ville d’Alger.

119
Henri Klein Les Feuillet d’El-DjezaÏr, volume 1, le comité du vieil Alger, 1910, p,38.

63
II- Le voyage comparé : mise en confrontation entre la ville d’Alger et
l’Orient : Egypte, Turquie et Asie Mineure

Après avoir identifié les moments clés des biographies de nos différents voyageurs, et après
avoir mis en contexte leurs voyages dans la colonie, nous entamons dans cette deuxième partie
l’analyse de leurs réception de l’évolution urbaine, architecturale et culturelle de la ville d’Alger
par le biais de leurs récits de voyage.

Nous allons commencer par étudier trois voyages, effectués entre 1831 et 1839. Par la mise
en lien avec ce que nous avons vu dans la partie précédente, Alger était en plein processus de
démolitions. Néanmoins, la société indigène occupait encore le territoire, malgré le début de
l’installation de la population européenne.

1- Ida Saint Elme : un imaginaire complexe

C’est dans le sixième tome de ses Mémoires apparut en 1831 qu’elle décrit donc Alger.
Toute fière de la conquête française, elle préfère introduire son récit par l’exprimer haut et
fort :

La nuit fut calme ; et le lendemain au jour nous vîmes la plage du Marabout et la baie de Sidi Feruch, à
jamais fameuse dans les annales de la gloire française. Cette plage inhospitalière, où nos soldats
arborèrent l'étendard de la conquête sur le tombeau d'un Marabout africain, j'allais y voir un autre
drapeau, celui que j'ai toujours aimé. Je n'ai pas besoin de dire que j'en eus une grande, une immense
joie, mais l'équité y mêlait une amertume que tous mes souvenirs ne pouvaient vaincre 120

Derrière cette gloire rendue à la France pour avoir réussi à contenir une ville aussi
majestueuse se cache une « reconnaissance » de l’importance d’une telle conquête. Ida Saint
Elme étant une patriote reconnue, reste longuement emportée par ses émotions sur la
longueur de sa description. Fière du drapeau tricolore d’une part, et partisante de la politique
coloniale d’autre part, elle fait de son voyage un éloge pour son pays la France :

Qu’importe que l’Algérie soit utile ou non, rentable ou non, qu’importe même le « droit » de la France en
Algérie ! L’essentiel, c’est que sa conquête prouve la vigueur nationale.121

120 Ida Saint-Elme, op,cit, p, 319.


121
Frank Laurent, op, cit, p,05.

64
Cette fierté est venue tout juste mettre l’accent sur le contrepoids que cette occupation a
donné à l’Angleterre qui a pris possession des terres Egyptiennes. Ida Saint Elme prend de
« l’arrogance » après son voyage en Egypte.

En lisant son récit, on reconnait qu’elle ne représente aucun faible particulier à l’exotisme
pas ni moins à l’image locale de la ville traditionnelle. Ida utilise son récit plus pour un attrait
colonial et politique. Une bonne partie de son récit nous met dans l’image politique parce
qu’elle décrit plusieurs faits liés à la politique du général Bourmont.122

Qualifiés de barbares ou de bédouins, Ida Saint Elme revenait très régulièrement sur sa
description méprisante pour rendre gloire aux siens : Ce fut un bizarre spectacle pour nous que
de voir nos troupes mêlées aux Algériens au teint cuivré, au regard en dessous, obéissant aux
ordres du vainqueur.123

Dans sa représentation du lieu, la journaliste se mettait tantôt dans la comparaison avec le


Caire tantôt dans le mépris, pour rappeler l’infériorité de l’Algérie par rapport à la France ; entre
les deux ondes, la ville y est :

Le temps était pluvieux et froid ; rien ne peut donner une idée de l’abominable saleté des rues et de
l’aspect de cette ville, quand on arrive par la porte de la marine. (…) Dans le coin d’une rue plus étroite

que celles qui me choquèrent si fort au Caire.124

La complexité rencontrée lors de l’analyse de ce récit, est que l’écrivaine donnait des
témoignages contrastés entre ceux qui critiquent et ceux qui complimentent cette ville.
Cependant, cette écrivaine donne par sa franchise un recueil d’informations très intéressant
par rapport à la représentation de la ville ce qui a de grands apports à notre recherche. Mais il
est aussi important pour nous de remettre en avant la dimension politique qu’elle prend en
compte, parce que ce point prime sur une partie de ses intentions de voyage.

Les femmes voyageuses dans l’histoire du voyage Algérien sont vraisemblablement moins
présentes, voire presque inexistantes en comparaison avec les hommes. Ce point est essentiel
dans notre recherche parce que Ida Saint Elme, plus à sa sensibilité aux détails de description,
nous donne des informations plus importantes sur la vie de l’époque parce qu’elle était

122
Voir ceci dans Ida Saint-Elme op,cit, p 78 et suite.
123
Ida Saint Elme, op,cit. p, 326.
124
Ibid. p,327.

65
autorisée à pénétrer dans les maisons et discuter avec des femmes Algéroises. Cette donnée
qu’est nettement interdite aux hommes, a donné au récit de Ida Saint Elme une dimension plus
large dans le traitement de notre corpus.

Les conditions de l’Algérie à cette époque, donnent plus de particularité à la voyageuse,


parce qu’au long de la période coloniale, très peu de femmes ont eu des traces dans l’histoire
du voyage.125

La sensibilité de Ida Saint Elme par rapport à la ville

Ayant parlé vaguement de ce point en haut, nous revenons à présent sur la pertinence de
la description donnée. Dans le mépris que nous avons mis en avant existe aussi une forme de
sincérité quant à la description complète et fiable. La voyageuse n’hésitait pas à utiliser des
métaphores pour embellir davantage l’image de la ville :

Je ne puis rien comparer à ce coup d’œil ; toute la ville fait l’effet d’être sous le même toit, et les environs

sont superbes. Vus de la mer, on dirait deux palais magnifiques mi-cachés sous de délicieux ombrages.126

Même si souvent, cela est suivi d’une révélation concrète de déception, et surtout après
comparaison avec l’Egypte :

De près, ce ne sont encore que des bicoques turques mieux blanchies qu’en Egypte, mais de ce blanc de

plâtre qui tue la vue.127

Ida Saint-Elme semble prendre la comparaison avec l’Egypte pour un outil qui lui as permit de
cerner les spécifiés de la ville. Le manque de documentation qu’elle avait au sujet de l’Algérie
ont peut-être nécessité l’usage de ses expériences vécues au préalable.

De par ces témoignages se construit la réception de l’auteur. Le voyage en Algérie à ce


moment soit à quatre mois seulement après l’occupation, la pauvreté des connaissances de

125
Une autre voyageuse femme marquera l’histoire du voyage Algérien vers la fin du siècle (en 1900), qui
s’appelle Isabelle Eberhardt. Elle fait le sud algérien, où elle a vécu d’ailleurs. Elle a plusieurs écrits en faveur de
ses expériences au Sahara de l’Algérie, et dans lesquelles elle se révèle anticolonialiste par excellence. Nous
marquons aussi l’importance de la période chronologique que sépare cette voyageuse de Ida Saint Elme, en
effet, Saint Elme fut l’unique à avoir assister aux premiers pas de la colonisation – à noter aussi la différence de
la position d’Isabelle Eberhardt par rapport à celle de Saint Elme –.
126
Ida Saint-Elme, op,cit. p, 325.
127
Ibid.

66
l’auteur sur ce terrain de visite, les conditions politiques de la colonisation, les conditions
politiques de la France au lendemain de la Monarchie et le discours sur la colonie ont fait de ce
premier contact une guerre acharnée divisée entre la question coloniale et la découverte
conditionnelle d’une terre jamais vue auparavant.

Il est intéressant de souligner ces points, parce que nous allons remarquer leur quasi
disparition au fil de la recherche. Ida Saint Elme comme ses contemporains nous ont mis dans
l’image de la ville de l’époque sous contrainte, ou d’inconscience, de comparer notre ville
d’étude avec les autres villes du même rang, orientales et occupées.

Mais si le débat sur « l’Orientalité » de la ville prend place, Ida Saint Elme en reste témoin.
Même en étant peu attirée par l’exotisme et par la culture des maures, elle reste l’une des très
rares personnes à avoir évoqué le vécu quotidien de cette population.

Ayant visité l’intérieur d’une maison, elle nous donne des descriptions sur l’architecture de la
pièce. Une description relative à son expérience vécue avec des femmes maures, et qui nous
donne quelques-unes des rares données sur la vie intérieure et sur le patrimoine culturel des
Algériens et surtout des Algériennes de l’époque 128 :

La porte s’ouvrit ; il me devança, et, ayant tourné un assez vaste passage intérieur, nous nous trouvâmes
dans une belle et spacieuse cour, à ciel ouvert, entourée de légères et élégantes colonnes torses, et dont

le plancher consistait en briques élégamment peintes, ainsi que le pourtour de la galerie.129

Cette disposition est celle que l’on trouve dans toutes les maisons de l’ancien Alger. Les cours,
les galeries, les colonnes, font tous l’image utopique d’une maison de maures ; les escaliers mis
en place d’une manière à permettre le déplacement entre la maison et la terrasse sans passer
par les chambres, faisait l’intérêt d’une architecture où l’intimité primait sur le reste.

Le voyageur fait preuve d’une authenticité très particulière lorsqu’il vit le privilège – et le
pouvoir – de nous représenter une situation peu connue, voire introuvable ailleurs. Quant à Ida
Saint Elme, son authenticité traduite dans son profil de femme voyageuse d’une part, et le
privilège de vivre un instant remarquable au sein d’une communauté « intime » d’une autre

128
Dans la culture orientale conservatrice, il a toujours été interdit aux hommes de pénétrer les Harems, c’est
pour cela que le tableau de Eugène Delacroix, Femmes d’Alger dans leur appartement, est compté parmi les très
rares traces fiables de la vie Algéroise de l’époque.
129
Ida Saint-Elme op,cit, p. 356.

67
part, fait de son expérience une source emblématique où toute volonté de description et de
transmission est à souligner.

La réception de Ida-Saint Elme

Si une hypothèse est posée sur le mépris d’une culture locale, nous arrivons à admettre
dans un deuxième temps une réception plutôt positive de l’identité algéroise inédite pour Saint
Elme, qui pour un moment donné de sa description, se détache finalement de son expérience
Egyptienne :

Je fus accueillie à mon entrée par deux femmes de moyenne taille, mais dont le costume n’avait rien de
commun avec le charmant costume des dames turques : il me parut si étrange que je restai quelques

minutes croyant rêver, à l’aspect de l’une de ces dames mauresques .130

Nous pouvons ainsi justifié le titre donné à cette analyse, « un imaginaire complexe », parce
qu’il est partagé entre un rejet et une approbation.

Sa réception de l’environnement mauresque, des femmes, des costumes, des couleurs, évoque
son grand intérêt à ce qu’elle a finalement qualifié de « richesse ». Il était remarquable que la
qualification « riche » revenait très fortement dans cette description, une qualification qui ne
prenait pas autant de place dans les premières pages de son récit. Un basculement est donc
identifié dans notre analyse.

La voyageuse se montre donc plus sensible au patrimoine immatériel et à l’identité culturelle


mauresque et locale, qu’au patrimoine matériel de la ville d’Alger en soi, la ville atypique.

130
Ida Saint-Elme op,cit. p.357.

68
2- Ismayl Urbain, vers une première acceptation du local

Alors que notre problématique s’intéresse à l’évolution de la réception française, nous


sommes amenés à questionner notre corpus d’une manière à identifier – ou pas – les formes
de cette évolution recherchée. Marquée par la comparaison, la réception identifiée jusque-là
est nourrie d’une certaine familiarisation avec la nouvelle colonie.

Dans les écrits de notre deuxième voyageur se trouvent des révélations plutôt surprenantes
et rares, très souvent pittoresques témoignant de son empathie envers la population locale
avec qui il partage désormais la religion et les habitudes.

Ismayl Urbain éprouvait une sociabilité envers le lieu et ses habitants. Par la mise en valeur de
la civilisation locale, il était parmi les rares personnes à avoir réclamé la reconnaissance d’un
« vrai mode de vie » – avant qu’il ne soit suivi plus tard par Théophile Gautier et Eugène
Fromentin -.

En comparaison avec Saint Elme, la grande supportrice de la politique de Bourmont, Ismayl


Urbain n’hésitait pas à rejeter toute forme de violence contre le peuple Algérien, qu’elle soit
sur le plan politique ou identitaire ; on entend par cela toutes les réflexions qu’il a rédigé à
propos de la colonisation.

Ayant toujours été contre la politique de l’assimilation, il exprime quelque part son regret de la
volonté coloniale d’effacer une civilisation pour en créer une autre ; il essayait plutôt de
proposer une manière de faire cohabiter les deux « camps » :

Si l’on comprenait la mission de la France en Afrique, et si l’on désirait s’associer à la vie des indigènes,
leur apprendre notre civilisation, et emprunter quelque chose à la leur, le théâtre lui-même pouvait
devenir un lieu agréable pendant les longues soirées d’hiver. Un homme qui aurait le génie des arts
trouverait bien vite à tirer parti de tous les éléments de plaisir mauresque, pour modifier et varier nos
propres plaisirs. On pourrait mettre sur la scène des exemples de cette association de mœurs que l’on
désire établir. Mais j’oublie qu’il n y a qu’un petit nombre d’hommes éclairés qui ne regardent pas les
arabes comme de détestables Barbares, et ceux-là n vont pas au théâtre à Alger. Mais quand viendront

les jours où l’élite de deux peuples pourra s’asseoir côte à côte dans un même théâtre ?.131

131
Ismayl Urbain cité par Frank Laurent dans Franck Laurent « Le voyage en Algérie anthologie des voyageurs
français dans l'Algérie coloniale 1830-1930 », Paris, Bouquins, 2008, p 34.

69
Le fait de « co-diriger » le projet du Royaume Arabe de Napoléon III132 - et pour qui il était
l’un des meilleurs conseillers – encourage sa position favorable à l’égard de la colonie (et qui
est sans doute encouragée également par sa « conversion à l’Orientalisme » expliquée dans sa
correspondance privée publié dans le journal le Temps en 1837). Sa passion de la culture
orientale a fait de lui un défenseur des terres arabes et de la civilisation des indigènes.

Ismayl Urbain face à la ville

Ismayl Urbain avait visité presque toutes les villes arabes avant qu’il décide enfin de faire le
tour de la nouvelle colonie.133 Cette expérience a constitué pour lui un « bagage oriental » qui
l’a aidé à préparer sa conquête.

Nous avons parlé plus haut dans la première partie de cette recherche de l’apport saint-
simonien à la position du voyageur et sur l’apport de son expérience orientale sur ses
réceptions de la colonie. Si Ida Saint Elme s’est précipité à révéler sa fierté d’être française,
Ismayl Urbain trouve dans son voyage Algérois une jouissance de quitter la grande ville (Paris)
et de retrouver la simplicité des villes arabes.

La ville, bâtie sur un versant assez rapide, présente de loin l’aspect d’une immense carrière blanchâtre. A
mesure que nous approchions, je cherchais évidemment les élégantes flèches des minarets, les dômes
des mosquées, les hautes tiges des palmiers ; mais après une grande attention, je ne découvris qu’une
tour qui servit de phare, et deux minarets nains que les maisons avoisinantes dominaient de tous côtés.134

Ce genre de passages a déjà été identifié dans le récit de Saint Elme. La comparaison semble
être l’outil de description « légitime » pour ces voyageurs, en vue de leurs expériences
respectives avec les villes de l’Orient.

Où sont, me disais-je, les caïques élancés et si coquets de Constantinople, que de beaux rameurs
armasontes, jeunes et bien vêtus, font voler légèrement sur les eaux limpides du Bosphore ! où sont les

132
« L'empereur, […], s'entoure d'idéalistes impénitents et d'aventuriers désenchantés. Au premier plan se
détachent trois hommes d'influence : Frédéric Lacroix, le colonel Lapasset et Isma'il Urbain. […] L'empereur
l'affecte en 1860 auprès du gouvernement d'Alger en qualité de conseiller-rapporteur. C'est là qu'il écrit deux
brochures que Napoléon III avouera avoir pillées dans ses lettres et directives » Dans Daniel Rivet Le rêve arabe
de Napoléon III, mensuel 140, daté janvier 1991 et disponible en ligne sur https://www.lhistoire.fr/le-
r%C3%AAve-arabe-de-napol%C3%A9on-iii-0
133
Voir plus à propos des voyages de Ismayl Urbain dans Philippe Régnier, ISMAYL URBAIN Voyage d'Orient suivi
de "Poèmes de Ménilmontant d'Egypte", Paris, Ed Notes et postfaces, 1933.
134
Ismayl Urbain dans Le Temps, 5 Juin 1837.

70
minarets et les dômes qui se dressent de toutes parts sur la ville du Caire ! où sont les palmiers et la
colonne d’Alexandrie ! Est-ce bien une ville Orientale que je vois devant moi !.135

Une déception frappante règne dans ce passage, ainsi que dans les passages qui suivent
dans cette lettre. L’expérience orientale avait le double tranchant de mettre ces voyageurs dans
un imaginaire fantaisiste détaché de la réalité. Nous verrons que ce trait de déception
disparaitra chez les voyageurs qui visitent pour la première fois une ville arabe.

Si nous revenons sur la « théorie de la réception » que nous avons éclairé dans
l’introduction de ce travail, nous comprenons que « l’effet » ou « l’excitation de l’âme » sont
pour le moment absents chez Urbain. Cette absence est justifié par le voyage en Egypte qui a
donné au voyageur une image fantaisiste de l’Algérie à laquelle il s’attendait au préalable.

Mais ce qui est intéressant ici, est que Ismayl Urbain – à la différence de Ida Saint-Elme -
écartait toute sorte de mépris, il a accepté l’image réelle de la ville, malgré la déception.

Ismayl Urbain avait une superbe manière de faire connaitre au lecteur les pratiques
coloniales et leurs raisons et conséquences sur la cause Algérienne :

Hélas ! j’appris qu’il n’y avait plus de bazar à Alger ; on l’avait détruit pour tracer la rue de la marine ; il
n’y avait ni khan ni foundouc, attendu qu’il n’arrive jamais dans la ville de voyageurs arabes.136

De ce passage bref et « naïf », l’écrivain remet en cause la série de travaux de transformation


urbaine et d’effacement de la socialisation des indigènes; c’est ce qu’il appellera plus loin dans
sa publication le « spectacle de l’européisme ».

Nous assistons pour la première fois depuis la colonisation à ce genre de discours. Chez
Urbain il est probable que ce soit lié à son goût orientaliste qui primait sur ses perceptions, mais
cela reste un moment clé pour notre problématique.

Il y a bien entendu une comparaison remarquable entre Alger et le Caire. Mais ce que
Urbain compare principalement est cette autorité occidentale sur la société arabe, une autorité
violente qui donnait lieu à un non-respect lamentable. Il évoque dans les détails de quelle façon
les maures subissaient les comportements des colons :

135
Ismayl Urbain, op, cit.
136
Ibid.

71
Midi était proche, et en bon croyant, je songeai à aller faire ma prière. Je ne pus m’empêcher de trouver
mauvais que les deux seules mosquées que l’on eut conservées à Alger, fussent précisément situées dans
un quartier presque exclusivement habité par les Européens […] Mes peines ne finirent pas en entrant
dans le lieu saint ; à la place du beau tapis de Perse […] il y avait un tapis rouge, avec des dessins noirs,
un tapis français et chrétien ! 137

Etant musulman, il nous fait part de ses réflexions faites à l’intérieur de cette mosquée,
lorsqu’il a vu deux chrétiens visiter l’intérieur du lieu saint, tout en le qualifiant d’église. Ismayl
Urbain prend ce moment comme un élément en plus qui distingue les deux peuples :

Cette différence, qui se produit en une infinité de coutumes et de pratiques, pourrait amener les
personnes sensées à de sérieuses pensées sur l’impossibilité d’imposer les mœurs de l’Europe aux
peuples de l’Orient.138

La réception de Ismayl Urbain

Pour Ismayl Urbain, même si Alger n’est pas une ville jumelle de la ville du Caire, elle reste
quand même une ville où la vie ne coïncide nullement avec une vie Européenne. C’est cet
élément qu’est précieux chez Urbain, aller à l’encontre de la politique de l’assimilation et
approuver un mode de vie tout à fait propre à cette population. 139

Nos voyageurs partagent tous le même but de découvrir, de prendre conscience et de


décrire ; mais chacun aura une sensibilité particulière qui aura tout le travail à faire sur le
changement de la manière dont on voit la ville et la colonisation.

Le journaliste s’est montré sensible par rapport à le localité dont la culture, la société,
l’identité et la religion, marquant de ce fait, une première acceptation favorable de la ville en
tant que telle. Il a reconnu une civilisation en soi où les habitudes sont propres à un peuple, et
non à des Barbares.140

137
Ismayl Urbain, op,cit.
138
Ibid.
139
Ibid.
140
Voir la publication de Ismayl Urbain dans le Temps 21 Juin 1837. C’est une publication dotée d’une
considération envers les coutumes arabes, où pour une fois l’écrivain remet en cause quelques mélodrames liés
aux pratiques des colons à l’égard de l’identité locale : « Mais, après tout, si nous accusons les Arabes
d’insensibilité et de barbarie parce que leurs émotions n’obéissent pas aux mêmes lois que les notre, ne
seraient-ils pas en droit de nous adresser les mêmes reproches ? Que devraient-ils penser de nous lorsque nous
détruisons aveuglement les monuments qui faisaient depuis longtemps leur admiration ; lorsque nous ravagions
sans pitié leurs plus riantes campagnes pour le seul plaisir de planter et de bâtir selon les habitudes
européennes ? […] La civilisation n’a-t-elle pas trop souvent été pour beaucoup le masque de l’égoïsme et de
l’avidité ? »

72
3- Le récit du récit : Charles Nodier et l’imaginaire de la ville

Connu pour être une des figures les plus importantes du romantisme141, Charles Nodier a
son nom inscrit dans l’histoire de la littérature romantique française. Etant choisit par le Duc
d’Orléans, pour des raisons inconnues – mais qui laissent avancer pas mal de réflexions – Nodier
fait œuvre d’un « pseudo » récit dont il a laissé libre cours à son imagination très fortement
poussée.

Ce voyageur en plus à son romantisme, a été parmi le premier écrivain de notre corpus à
avoir introduit l’iconographie dans son récit de voyage sur l’Algérie. Nous soulignons cet
« événement » parce que nous allons voir un peu plus loin, la même abondance de description
visuelle mais chez des peintres, Charles Nodier a fait l’exception.

Une description plutôt perfectionniste est à souligner. Le récit a été ponctué par des
« compliments » pour la ville et ses spécificités, mais qui étaient présents avec exagération.

De façon inédite, surtout après avoir analysé les propos de Ida Saint Elme et de Ismayl Urbain,
Charles Nodier était plutôt dans une vision très admiratrice, comme si l’Algérie (parce que le
récit ne parle pas que d’Alger mais aussi d’autres villes Algériennes) ne traversait plus cette
période de désaccord culturel et de conflit civilisationnel. Un enthousiasme a été bien exprimé.

Le Duc d’Orléans a parcouru de nouveaux sites. Après avoir visité Oran, Alger puis
Constantine soit respectivement de l’Ouest à l’Est en passant par le centre, de nouvelles limites
ont commencé à se faire découvrir dans les récits de voyages.

Journal de l’expédition des Portes de fer

Le récit commence classiquement par une description détaillée du climat et de la mer puis
de la façade maritime qu’aperçoit le voyageur à son approche du port. Pour dynamiser ces
témoignages – qui peu à peu commencent à se retrouver systématiquement dans tous les
récits de voyages – l’auteur enrichit ses pages par des iconographies multiples :

141
Par définition, le romantisme concerne l’imaginaire, ainsi que l’imaginaire de l’aventure et des descriptions
picturales et paysagères. Le romantisme d’applique également aux émotions d’exaltation données par des
paysages, généralement sur deux formes : l’enthousiasme qui idéalise l’imaginaire, et la déception. Voir plus
dans Michel Echelard, Histoire de la littérature française XIXe siècle, ed Hatier, Paris, 1984.

73
Enfin le rideau vert de l’horizon se déchire, un large sillon blanc descend du sommet des coteaux, et va
s’épanouissant toujours jusqu’à la mer : on dirait un éboulement du terrain qui a mis le sable à découvert,
une crête de rochers nus qui percent, une carrière de marbre qui vient de s’ouvrir. – C’est Alger.142

Fig 12 : Représentation de la ville d’Alger par Charles Nodier dans Journal de l’expédition des Portes de fer,
1844. P,42.

Une différence de style de l’écriture est aussi identifié après comparaison avec les récits
précédents. Charles Nodier a longuement décrit en détails la ville ainsi que tout ce qui concerne
le patrimoine matériel des maures soit leurs costumes, leurs bijoux et leurs décorations…etc.
Mais plus sensiblement, il a évoqué tout ce qui concerne le patrimoine immatériel, soit pour la
première fois la musique arabe.143

Alors qu’il décrit très chaleureusement les coulisses de la fête du prince – à laquelle le Duc
a été invité – l’écrivain s’attarde sur les petits détails qui font le charme de la communauté
144
musulmane. Entre les « jolies tètes » et « l’ornement noble et gracieux » attachés aux
maures, il faufile son idée au profit de cette différence de races qui n’est pas à son sens, aussi
gênante que ça :

142
Charles Nodier, Journal de l’expédition des portes de Fer, Paris, Imprimerie Royale, 1844. P,42.
143
Ismayl Urbain a notamment parlé des cafés maures dans ses lettres, mais très brièvement.
144
Les deux expressions sont utilisées par l’auteur pour décrire les femmes arabes et juives.

74
Le préjugé de race, qui s’éteint chez nous chaque jour davantage ; conserve encore toute sa force parmi
les peuples méridionaux ; rien ne saurait leur faire franchir la limite qui les sépare d’une race abjecte et
déchue à leurs yeux.145

Le discours est nettement différent de celui prononcé par Ida Saint Elme qui dans les
mêmes conditions ne voyait que la différence des races. Pendant que Ismayl Urbain remettait
en cause toute l’anarchie des occidentaux, Nodier a préféré inverser les critiques.

La description purement indigène de Charles Nodier

Dans l’exagération des descriptions spatiales et humaines existe une vraie absence du
phénomène de l’Européisme – en reprise du terme employé par Ismayl Urbain -.

A un moment où Ida Saint ne cessait de mettre à une haute échelle ses compatriotes pour ainsi
mépriser généreusement les indigènes. A un autre où Ismayl Urbain inversait la donne pour
rendre gloire à la localité. Charles Nodier a préféré écarter tout élément étranger à Alger.

L’écrivain a fait abstraction de tout français, sauf en quelques exceptions sans grande
importance, il n’a illustré aucun bâtiment européen, et il n’a parlé d’aucune œuvre de la
colonisation. Bien au contraire, le voyageur s’est bien étalé sur la description du palais du
gouverneur, sur les bains Algérois, les hôtels turques, aux mosquées…etc.146

145
Charles Nodier, Journal de l’expédition des portes de Fer, Paris, Imprimerie Royale, 1844. P, 74.
146
Voir ces descriptions dans les pages : 49-53 (description du palais du gouverneur) ; 54-57 (description de la
mosquée Djamaa El-Djedid) 60-64 (description des cafés et des bains maures)

75
Fig 13 : Représentation de la mosquée El-Djedid par Charles Nodier dans Journal de l’expédition des
Portes de fer, 1844. P, 54.

Fig 14 : Représentation de l’intérieur de la mosquée El-Djedid et des croyants par Charles Nodier dans
Journal de l’expédition des Portes de fer, 1844. P, 56.

76
Fig 15 : Représentation d’un café maure à Bir Kadem occupé par les indigènes par Charles Nodier dans
Journal de l’expédition des Portes de fer, 1844. P, 71.

Comme aux costumes et aux coutumes, l’auteur met en abondance toute une série de dessins
représentant les danseurs, les danseuses, les musiciens et les invités arabes – à noter dans la
figure 05 les détails de représentation des costumes des femmes et des hommes ainsi que
l’absence totale de tout personnage français -.

Fig 16 : Représentation des indigènes dans la fête du Prince par Charles Nodier dans Journal de
l’expédition des Portes de fer, 1844. P, 78.

77
Après une description faite très honorablement, et bien que le récit ne soit pas directement
le sien, l’écrivain arrive finalement à exprimer de façon directe - et consciente - son point de
vue face au contraste que voulait la colonisation :

Les habitations d'Alger sont parfaitement appropriées au climat et aux besoins des Orientaux; notre
civilisation plus exigeante a cru devoir importer les productions d'un goût nouveau parmi les décorations
naturelles au pays, et les constructions récentes forment un contraste frappant avec les monuments
moresques. On ne peut se dispenser d'avouer que le résultat de la comparaison n'est pas de nature à
satisfaire l'amour propre de nos compatriotes. Les quartiers nouvellement bâtis, d'ailleurs somptueux et
bien aérés, ont cette uniformité désespérante qui rend les villes modernes de l’Europe si ennuyeuses par

leur fatigante monotonie.147

Après Alger fut Philippeville148, dont la description a sauté d’une lecture orientale à une
149
description classique de l’expédition militaire et des visites effectuées par le Duc . Une
concentration particulière était donc mise sur la capitale Alger où une littérature agréable fut
nettement remarqué.

La réception de Charles Nodier : un romantisme au temps voulu ?

Nous avons vu que Charles Nodier, par la positivité de la représentation de l’Algérie voulait
donner une image « magnifiée » de la France. Une France qui valorise sa colonie notamment
avec une légitimation de la mission civilisatrice. Mais au-delà de l’image magnifiée, existerait-il
d’autres liens politiques ?

Ce qui a attiré notre attention, c’est que ce genre de récits romantiques – qui ne sont pas
tout à fait répandus dans le voyage en Algérie – peuvent faire référence à la politique du
peuplement. Une immigration Européenne de masse, a lentement commencé à s’organiser
depuis le début de la l’occupation. Est-il donc possible de dire que le choix de confier au
romantique Charles Nodier la rédaction de ce récit avait pour but l’encouragement de cette
mobilité vers l’Algérie ?

D’un côté, nous avons vu que jusque-là se sont convergées deux opinions tout à fait
opposées entre l’image dévalorisante sur l’Algérie et l’Orientalisme romantique « aveuglé ».
Les deux éléments poussent d’un pas cette politique de peuplement : le premier peut faire

147
Charles Nodier,op,cit. p, 53.
148
Constantine.
149
L’auteur utilisait le pronom personnel « nous » sur la longueur du récit pour des raisons inconnues.

78
immigrer une main d’œuvre Européenne digne de construire les villes de l’Algérie à l’image
d’une colonie française ; le deuxième peut faire « hypnotiser » le lecteur, par ce monde
« autre » où la culture fait rêver.

Pour le peuplement comme pour le tourisme, diverses données nous mettent à poser
encore cette hypothèse afin que nous puissions – à défaut d’affirmer les choses- exposer
quelques sujets de débats.

La volonté d’améliorer « la qualité » de la population installée dans les terres nouvellement


françaises, l’instauration de la hiérarchie sociale et de la politique de l’assimilation, la volonté
de prendre en main les richesses Algérienne - notamment suite à la politique de Bugeaud 150-
et toute la conquête qu’a suivi l’occupation, ont fait de ce peuplement une Migration
Organisée.151

Mais si ce récit a servi à des fins politiques, nous ne pouvons ignorer le fait que ce dernier
soit quand même considéré comme un des récits les plus importants de notre recherche ; non
pour la représentation du lieu uniquement, mais aussi pour les changements que l’auteur a pu
introduire dans l’histoire de la littérature du voyage Algérien.

Les conditions coloniales ont eu bien entendu des impacts sur l’urbanisme d’Alger ainsi que
sur son architecture et sa société. Nous avons vu que ces développements ont été présents
dans les récits de voyages que nous venons d’analyser. Les réceptions de nos voyageurs
relataient ces questions coloniales par les descriptions, les déceptions, les comparaisons et par
les dénonciations.

Les événements politiques qui se sont déroulés en France dès 1848, ont eu d’autres impacts
sur la ville. Nous parlerons d’une « fabrique coloniale après Monarchie », qui a conduit
l’évolution de notre recherche dans un autre sens.

150
Politique qui tend à inviter les paysans français à s’installer en Algérie en leur procurant des terres agricoles.
151
Voir plus à ce sujet Temime Emile. La migration européenne en Algérie au XIXe siècle : migration organisée ou
migration tolérée.. In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°43, 1987. Monde arabe:
migrations et identités. Disponible sur Persée : https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-
1474_1987_num_43_1_2130

79
III- L’évolution coloniale après 1848

Après la révolution de 1848, l’histoire française a connu un basculement politique


important. A l’entrée dans la deuxième république, le statut administratif d’Alger a changé
pour devenir un département Français officiel. Cet élément a impliqué une « tension » encore
plus accentuée au sein des différentes institutions publiques qui étaient à la tête de l’urbanisme
algérois de l’époque.

La déclaration de la ville d’Alger comme une partie entièrement intégrée dans la république
Française a impliqué d’autres efforts pour rendre puissance à ce territoire et en tirer des
intérêts. 152

Sur le plan urbain, de nombreux projets de percement et de démolitions de la vielle ville


ont été suspendus. Les projets de Pierre Auguste Guiauchain ont été les derniers à avoir prévu
encore des décisions radicales153 parce que rapidement Napoléon III a pris le pouvoir,
annonçant un basculement dans la politique coloniale – avec le Royaume arabe –.

Sous la politique du Royaume arabe, des projets d’extensions ont été exécutés. La centralité
d’Alger s’est donc déplacé de la Casbah vers la banlieue, caractérisant deux grandes parties de
l’urbanisme algérois.

La première partie était d’un investissement remarquable liée à des raisons militaires et à
quelques intérêts pour la société européenne. La deuxième partie, qui a marqué la deuxième
moitié du XIXe siècle, concerne les décisions urbaines s’étant plus concentrées sur Alger.154

Le Royaume arabe constituait une sorte de « défense » pour la vielle ville. Un changement
du style architectural s’est marqué dans les projets proposés vers le milieu du XIXe siècle,
adoptant le style méditerranéen hybride. Le contraste entre l’architecture arabe et
l’architecture européenne a fait émerger un exotisme qui a changé le discours colonial, et donc
la réception de la ville.

152
Voir plus dans Alger, ville & architecture 1830-1940, Claudine Platon, Juliette Hueber, Boussad Aiche, Theirry
Lochard “, Alger, Ed Barzakh, Ed Honoré Clair, 2016, p 19.
153
Ibid.
154
Voir plus concernant l’intérêt lié à l’exploitation des ressources ainsi qu’à l’immigration européenne de masse
pour occuper la nouvelle ville française dans Ibid, p,22.

80
Dans les récits de voyages, et sous les conditions de l’émergence de la littérature du voyage
algérien, la réception a changé. Une fascination de la ville traditionnelle et de l’indigène fut
remarquée chez les voyageurs de la deuxième république et du second empire. A la différence
de quelques-uns de leurs prédécesseurs, ces derniers ont souligné une mise en valeur de
l’identité arabe au moment où la ville a été finalement métamorphosée à l’image d’une ville
européenne.

Basculement de la réception de l’architecte

A la différence de ce que nous avons pu voir dans les événements du début du siècle, des
affirmations ont commencé à se mettre en place par quelques architectes après l’arrêt des
projets de démolitions par Napoléon III.

Quelques architectes ont brisé le silence pour exprimer « un regret » de ce qu’était devenu
Alger. Charles Frédéric Chassériau a été cité par Ernest Feydeau en 1862, après s’être exprimé
en 1858 sur la question :

Hélas ! Aujourd’hui Alger, quand on le regarde de trop près est peut-être plus fait pour attrister les yeux
que pour les réjouir. On l’a beaucoup abimé, beaucoup enlaidi à moitié détruit ; et le malheur, c’est que
seuls les Européens ont à se reprocher ces actes de vandalisme. 155

Charles Frédéric Chassériau, s’est mis dans cette optique sous le Royaume arabe et c’est
dans un livre qu’il avait écrit en 1858, après avoir proposé le projet de « Cité Napoléon Ville »,
qu’il est revenu sur la question :

S’il en était temps encore, nous dirions : respectons la vielle ville, laissons-la à ses habitants, allons camper
plus loin et montrons les beautés que l’architecture peut déployer sous un beau ciel, avec de l’espace, de
l’eau et du soleil. 156

N’étant pas le seul à avoir pris conscience des changements modificateurs de la ville. Ernest
Feydeau, étant l’une des figures les plus emblématiques dans l’historialisation de cette période
coloniale, a accentué cette dénonciation dans son livre Alger Etude :

155
Cité par Ernest Feydeau dans : Ernest Feydeau, “Alger, Etude par Ernest Feydeau”, Paris Michel Levy frères
1862. P07.
156
Charles Frédéric Chassériau, Etude pour l’avant-projet d’une cité Napoléon Ville à établir sur la plage de
Mustapha à Alger, Alger, Imprimerie Typographique de Dubos frères, librairies, 1858. P07.

81
Il est regrettable qu’on n’ait pas compris, dès les premiers jours de l’occupation, qu’Alger ne pourrait
jamais devenir une ville française, et qu’on n’ait pas transporté le quartier européen dans la plaine qui

s’étend au pied des coteaux de Mustapha. 157

Cette donnée de « regret » a été donc très ouvertement exprimée pour dénoncer les
projets qui ont été réalisés. Sur le volet politique, les discours ont pris un peu de recul par
rapport à ceux du début du siècle ; nous soulignons un moment d’exotisme sur tous les plans.

Dans une sorte de conscience de la valeur identitaire et patrimoniale, des déclarations très
intéressantes ont été enregistrées :

Traverser le haut de la ville par une rue européenne, c’est décapiter Alger, c’est l’orientalisme qui attire

les touristes à Alger et non nos squares et nos places. 158

C’est ainsi que s’exprimaient des hommes politiques à l’essor des projets de transformations,
annonçant une nouvelle façon de voir la ville, après qu’elle fut tant rejetée.

Enfin, le basculement que nous mettons en exergue ici sera ressenti simultanément dans
les récits de voyages de la moitié du XIXe siècle, notamment ceux de Théophile Gautier, des
frères Jules et Edmond de Goncourt, et encore de Eugène Fromentin. Une conscience frappera
les esprits et mettra en avant un réel attachement à cette idée de localité, contraire à la
politique de l’assimilation.

157
Cité par Ernest Feydeau dans : Ernest Feydeau, “Alger, Etude par Ernest Feydeau”, Paris Michel Levy frères
1862. P23.
158
Cité dans Alger, ville & architecture 1830-1940, Claudine Platon, Juliette Hueber, Boussad Aiche, Theirry
Lochard “, Alger, Ed Barzakh, Ed Honoré Clair, 2016, p 20.

82
Troisième partie : Le voyage à Alger de la deuxième
république au second empire : réception différée et
exotisme

83
Alors que les opérations de transformation de l’urbanisme de la ville ont été bien exécutées,
Alger, à partir de 1848, devient la ville « francisée » par excellence. Une nouvelle image fut
donc attribuée à l’ancienne ville arabe, mais pour quelles conséquences ?

Par le changement du statut de la ville qui devient département d’une part, et par le
caractère politique délicat que traversait la France d’une autre part, la situation Algérienne
devenait complexe. Le contraste urbain frappant, la société hétérogène remarquable et la
résistance algérienne cruciale ont provoqué une controverse importante au sein de l’opinion
publique. Un débat sur « l’Algérie française » et « l’Algérie pour les algériens » fut levé.

Si Ismayl Urbain et Charles Nodier ont exprimé une réception positive de la ville au même
temps que les architectes sont sortis – partiellement – du silence, c’est que finalement la
politique coloniale, et ce qu’elle a décidé de l’avenir de la ville, était une des causes principales
du changement de la réception. Au fil de la transformation de la ville, et au fil de l’imposition
de nouvelles formes urbaines et sociales, le voyageur occidentale a commencé à finalement
accepter le local, voire l’aimer et même le défendre.

Après une phase de découverte qui était nécessaire, on arrive à une nouvelle phase où le
voyage s’émerge de façon plus ouverte. L’Algérie sous cette deuxième période – composée de
la deuxième république puis du second empire – a eu plus de visiteurs et de plus en plus de
récits de voyages.

I- Alger française : entre banalisation et défense d’une culture locale


dominée par une société européenne

Une période marquée par des voyageurs de haute considération, des voyageurs aussi
connus que les grands personnages qui ont fait l’histoire coloniale ; des voyageurs qui par leur
célébrité ont su graver Alger – et l’Algérie – dans les mémoires ainsi que dans l’histoire.

Alors que Alger est française, et alors que la découverte de ce nouveau bout de la France a
été assez bien documenté ; on arrive à un moment où le voyageur fait le séjour algérien non
pour juste découvrir, mais aussi pour jouir de cette terre et de toutes ses composantes. Nous
insistons sur la sensibilité du voyageur qui est devenue à ce moment plus explicite.

84
L’émergence des récits de voyage avait participé à l’émergence de ce rêve oriental chez les
voyageurs les plus sensibles, soit les peintres et les poètes. L’un des objectifs de cette troisième
partie est d’essayer de comprendre si ce rêve est réaliste ou plutôt fantaisiste où, à sa
confrontation avec le réel, devient décevant – en vue du contexte de l’époque –.

Nous allons développer ce que nous avons appelé « banalisation » du rêve oriental vers le
milieu du XIXe. La « répétition » des impressions de voyage qui a pris lieu dans la littérature fera
de l’Algérie une destination comme une autre ; on ne parlera plus d’exotisme ou encore moins
de romantisme, mais plutôt d’une destination d’un « Orient banalisé, domestiqué, voire
dégradé ».159

a- Théophile Gautier : une littérature sensible

Alors qu’il était jeune et célèbre, il voulait tant visiter l’Algérie. Un adepte de la culture
orientale et un admirateur pour les Orientalistes ; Théophile Gautier marquera un tournant
extrêmement précieux dans l’exotisme Algérien.

Rempli d’enthousiasme, Gautier qualifiait encore l’Algérie de mystérieuse au moment où le


bateau s’apprêtait à s’arrêter au port d’Alger. Un récit fait dans un style de poète, dont la
description reflétait une émotion particulière :

Parmi ces races basanés et noires qui différent de nous, par le costume, les mœurs et la religion, autant
que le jour diffère de la nuit ; au sein de cette civilisation orientale que nous appelons Barbarie avec le
charmant aplomb qui nous caractérise ; nous allions donc voir un de nos rêves se réaliser ou s’écrouler.160

La description est détaillée et métaphorique comme chez la plupart des voyageurs de notre
corpus, mais elle a quand même une particularité à souligner. Nous avons vu jusque-là la
comparaison et la déception comme deux éléments très présents dans les récits de voyages.
Chez Théophile Gautier, la confrontation de la réalité a été décrite avec exaltation, loin du
mépris. Il souligne à chaque fois la « différence de mondes » qui a fait la beauté de son rêve :

159
Selon l’analyse menée par Frank Laurent dans Franck Laurent « Le voyage en Algérie anthologie des
voyageurs français dans l'Algérie coloniale 1830-1930 », Paris, Bouquins, 2008, p,347.
160
Théophile Gautier, Loin de Paris, Paris, Michel Levy, 1865, p,20.

85
Rencontrer dans la réalité ce qui jusqu’alors n’a été pour vous que costume d’Opéra et dessin d’album,
est une des plus vives impressions que l’on puisse éprouver en voyage.161

Sous le contexte régnant, Théophile Gautier a exprimé de façon très franche son
mécontentement et son regret par rapport aux modifications appliquées à la ville
traditionnelle. Il a utilisé ce récit pour mettre en avant l’originalité de la culture des indigènes,
ainsi que de la ville en elle-même :

En 1830, les constructions, baraques, échoppes, boutiques, s’avançaient jusqu’à la mer, confuses,
enchevêtrées, s’épaulant l’une à l’autre, surplombant, liées par des voutes, dans ce désordre si cher aux
peintres et si odieux pour les ingénieurs. Des démolitions successives, puis un incendie, ont nettoyé et
formé une large esplanade entourée en grande partie de maisons à l’européenne qui ont la prétention,
hélas ! trop bien fondée, de rappeler l’architecture de la rue de Rivoli. – O Maudites arcades ! on
retrouvera donc partout vos courbes disgracieuses et vos piliers sans proportions ?.162

La défense de Gautier pouvait parfois être violemment prononcée comme lorsqu’il qualifie
les nouveaux bâtiments d’Alger de « banalité bourgeoise ».163

Le poète avait une tendance à exposer l’intérêt patrimonial et artistique que portait la ville
pour rappeler l’orientalisme que régnait l’époque. Chaque fois qu’il décrivait un bâtiment, une
rue ou un monument local, il essayait de revenir sur le potentiel existant, très fortement
susceptible d’intéresser les peintres et les Orientalistes :

On dirait que ces boutiques ont été arrangées à souhait pour le plaisir des peintres ; la muraille rugueuse,
grenue, empâtée de couches successives de crépi à la chaux qui s’écaille, ressemble à ces fonds maçonnés
à la truelle qu’affectionne Decamps164, et fait comme un cadre blanc au tableau.165

A la longueur du récit, Théophile Gautier n’a pas cessé de décrire le local avec détails,
comme s’il avait peur de ne pas donner à son séjour sa juste valeur. Il décrit Alger comme

161
Théophile Gautier, op.cit. p, 23.
162
Ibid. p,25-26.
163
Cette transition est très remarquable ; nous avons parlé de cette évolution du regard en deux temps dans la
première partie de cette recherche. Démarrées d’un mépris – ou d’une méconnaissance – d’un environnement
chez la Contemporaine, où la seule façon de décrire était d’évoquer la supériorité de l’occupant ; allant vers une
première considération chez Urbain où le local constituait pour le voyageur un élément pertinent à défendre,
pour passer avec Nodier sur un romantisme majeur où la considération locale dépassait celle de l’occupant pour
arriver à présent à un point de poids plus important où Gautier remet en confrontation – et en question – la
fabrique coloniale.
164
Alexandre-Gabriel Decamps, peintre et graveur français de grande renommée, figure du romantisme.
165
Théophile Gautier, op.cit. p,46.

86
l’Athènes de l’Afrique, et décrit les marchands de broderie comme les « plus habiles ». Il qualifie
la beauté des maures d’une « beauté rare ».

Le récit étudié a traité des points qui n’ont figuré que rarement dans les récits de voyages
de ses prédécesseurs. Le climat, les ânes dans la rue, la cahwa (le café), le parfum, les épices,
les boulangeries, l’odeur du basilic et encore le gout des poissons rouges, sont tous des
éléments de description ayant rajouté une valeur à la représentation d’Alger. 166

Théophile Gautier face à la nouvelle ville : l’extension d’Alger

La description de l’extension d’Alger a été introduit par Théophile Gautier, soit pour la
première fois dans notre étude. En ayant donné une importance à ce fait, l’auteur a découpé
sa description entre Alger Intra-muros et Alger Extra-muros.

Nous avons vu jusque-là ses impressions d’Alger Intra-muros mais même en étant à l’extérieur,
le voyageur continuait à rendre hommage à l’ancienne délimitation. De « maudites
démolitions » ont été longuement dénoncées :

C’était là que s’élevait autre fois Bab-Azzoun avec ses créneaux dentelés, ses machicoulis, ses barbacanes,
ses moucharabys, ses crochets pour planter les tètes ou retenir les corps des suppliciés, tout son appareil
de fortification du Moyen âge. L’ancienne porte a été détruite et remplacée par une double porte en
arcade dénuée de style […]. On ne saurait trop regretter ces démolitions sans but et sans utilité, qui
enlèvent à une ville sa physionomie et ne permettrait plus aux anciens vainqueurs la brèche par où ils

sont entrés.167

Une intelligente manière de décrire les faubourgs est identifiée. Théophile s’est attardé de
façon très marquée sur le paysage d’Alger vu des faubourgs ainsi que sur les faubourgs dans
leur forme, pour basculer soudainement sur l’aménagement à l’européenne qui était en train
de se planter à ce moment-là sur ces limites d’Alger.

Une description qui met le lecteur à imaginer la richesse visuelle qui bordait la ville et qui, pour
Théophile, « ferait tomber Eugène Isabey en extase ». Il rappelle violemment cette
reconstruction qui a dénaturé l’ensemble de ce tableau :

A quelques pas de là, l’Europe vous reprend ; vous pouvez vous croire à Paris ou à Marseille. Voilà les
maussades à cinq étages, voilà les arcades gout Rivoli […] les façades chamarrées d’enseignes et

166
Voir ces descriptions en détails dans Théophile Gautier, op, cit, p, 37-54.
167
Ibid. p,70.

87
d’inscriptions : - aimables demeures, où l’on grille en juillet, où l’on gèle en décembre168, et qui, nous
l’espérons bien, seront jetées bas par le premier tremblement de terre.169

Théophile Gautier « maudit » encore une fois les nouvelles constructions européennes. A
l’extérieur d’Alger, comme à son intérieur, le voyageur s’est révélé défenseur du local, un
exotique par excellence où seule l’identité peut réveiller sa conscience.

Un détail est aussi important à souligner, parce qu’il fera toute la différence dans les récits
de voyage qui vont faire suite à celui-ci, qu’est la visite extra-Alger qui va s’émerger à partir de
là.

b- Xavier Marmier : un discours moyen

Dans un discours acceptable sur la colonie, Xavier Marmier tire un récit de voyage assez
parlant du changement de la réception. Après avoir accompagné le ministre Salvandy dans sa
visite au Nord de l’Algérie, le voyageur ne critique pas la politique coloniale mais n’évoque pas
non plus la gloire de l’armée. Un récit d’impressions par excellence, quelques « remarques »
politiques sont quelques fois présentes dans une sorte de mise en contexte.170

En commençant par décrire l’Algérie, Xavier Marmier insiste sur sa considération de cette
terre. Il ne voyait plus l’Algérie comme un pays étranger, il précise ceci au tout début de son
récit :

L'Algérie n'est plus pour nous une contrée étrangère. Elle est liée au cœur même de la France par le sang
que la France y a versé, par la gloire qu'elle s'y est acquise, par les œuvres qu'elle y a fondées.171

Cette considération de l’Algérie est assez importante. Ceci reflète de manière très fine
l’attachement de nos voyageurs à la colonie. Par les impressions et par les témoignages,

168
A noter la description des maisons que donne Gautier, et dont l’intérêt est de montrer que le vernaculaire
local avait une architecture qui prend en compte le climat local et qui n’est pas forcément le cas de
l’architecture européenne inadaptée à ce critère.
169
Théophile Gautier, op.cit. p,72-73.
170
Un discours semblable à celui de Ida Saint-Elme a fait brièvement parution dans ce récit. En parlant de
« Gloire à la France » par rapport à l’Anglophilie ou en parlant de Charles Quint, un léger accent est mis sur ce
genre de discours. On ne nie pas la confusion que ceci donne en comparaison avec les témoignages de l’auteur
qui ne semblaient guère aussi méprisants que ceux de Saint-Elme. C’est une œuvre plutôt complexe à
décortiquer.
171
Xavier Marmier, Lettre sur l’Algérie, Paris, Arthus Bertrand, 1847, p, XL.

88
l’Algérie constituait leur pays tout comme la France, cette terre n’a plus été considérée comme
une barbarie en Afrique, ce qui justifie le début des discours acceptables.

Xavier Marmier face à la ville

Le voyageur a commencé par décrire classiquement le port et l’image de la ville d’Alger en


vue de la mer. Des réflexions sur l’orientalisme de la ville ont suscité son attention. En décrivant
la ville haute et l'architecture des bâtiments locaux, il a fait rappel de l'architecture de l’Orient
construite dans le même genre d’Alger, néanmoins, aucune comparaison n’a été signalée :

C’est une large ligne de constructions qui s’étend le long de la mer, qui monte en se rétrécissant comme
un triangle jusqu’au sommet de la colline […] On peut voir en Orient beaucoup de villes construites dans
le genre de celle-ci : maisons carrées comme des dés, façades blanchies à la chaux, galeries à terrasses
[…]

Xavier Marmier, à la différence de Théophile Gautier, s’est attardé sur la représentation de


la ville européenne. Sans donner de réflexion précise, l’auteur avait l’air de représenter le lieu
dans tous ses états :

Le quartier qui s’étend de l’Amirauté à Bab-Azzoun est aussi français que le chef-lieu d’un de nos vieux
départements. Rien n’y manque pour constater l’ incessante activité de la France […] de magnifiques hôtels
s’élèvent sur les ruines des chétives maisons en plâtre qui jadis inondaient ce quartier ; de larges rues à
arcades ont remplacé les ruelles tortueuses […] Voici ce qui rappelle la vive empreinte de la population
parisienne : restaurants à la carte et à prix fixe, cafés et divans, marchands de mode et coiffeurs, et les
omnibus, qui déjà séduisent les arabes.172

Nous remarquons que l’auteur a donné presque la même valeur à la représentation du local
comme à la représentation de l’européen en essayant de décrire les spécificités de chacune
des formes urbaine, sans aucun attachement particulier.

Quant à la société, une certaine « vérité » est traduite dans le récit. Entre les voyageurs qui
mettent les français au-dessus des indigènes, et entre ceux qui « survalorisent » la population
locale ; Marmier relate la réalité du « mélange de races » longuement mis à l’écart dans les
impressions de voyages :

Mais au milieu de cette cité française, les regards sont frappés par une variété de costumes, de types, de
figures, par un mélange de races dont nulle autre capitale ne peut donner l’idée. Près du juif aux vêtements

172
Xavier Marmier, op, cit. p, 40-41.

89
sales, au visage inquiet, voici l’arabe à l’œil étincelant, à la démarche majestueuse ; près du pauvre manœuvre
qui fléchit sous le poids de son fardeau, voici le jeune élève de Saint-Cyr, tout fier de sa fraîche épaulette et
de ses éperons. 173

Par « discours moyen » nous avons tenté de mettre le lecteur dans l’image que nous
essayons d’analyser. Un « « va et vient » est articulé à la longueur du récit où l’auteur semble
vouloir tout décrire sans jugement. En outre, évoquer le trait orientaliste de la ville sans la
comparer avec les villes de Moyen-Orient, ou évoquer la politique coloniale sans donner de
réflexions sur la colonisation, ont l’impression de mettre l’auteur dans un état neutre, voire
objectif.

Mais nous signalons assez rapidement un saut dans la réception de l’auteur.

La réception chez Xavier Marmier : de l’objectivité à la sensibilité

Le contraste signalé dans les faubourgs d’Alger est aussi exprimé par le voyageur qui nous
a mis dans l’image de la ségrégation spatiale et sociale causée par l’extension de la ville. Mais
en arrivant là, nous commençons à remarquer un léger changement d’écriture ; il est passé de
la description « neutre » vers une description plutôt émotionnelle, où une forme de regret
semble apparaître :

Il est une autre face d’Alger fort triste à dépeindre, et qu’on ne peut cependant éviter ; je veux parler de cet
amas de gens sans profession et souvent sans aveu, gens de sac et de corde qui, des parages de la
Méditerranée, abordent beaucoup trop aisément sur les côtes algériennes. Quiconque se sent la conscience
embarrassée, quiconque a eu, comme disaient nos vielles comédies, quelque démêlé avec la justice, tourne
ses regards vers Alger, et trouve là une occasion facile d’exercer une industrie. 174

Mais nous étions surpris en avançant dans le récit, de remarquer que les changements de
réception chez l’auteur ont vite pris le dessus sur ces premières paroles. Au moment où il visitait
la maison du gouverneur d’Alger, Marmier semblait aller dans un enthousiasme semblable à
celui de Théophile Gautier :

Rien de plus élégant, rien de mieux approprié à la nature du climat africain que ces édifices fermés
extérieurement à la chaleur du jours aux rumeurs de la foule, éclairés seulement par le haut. Rien de plus
gracieux que ces galeries circulaires soutenues par des colonnes en marbre torse, ouvertes sur une cour

173
Xavier Marmier, op.cit. p,41.
174
Ibid. p,45.

90
pavée en porcelaine, décorées d’arabesques et dominées par une terrasse où le soir on respire, sous un
ciel étoilé, les parfums des fleurs et les brises de la mer.175

Plus sensible encore, l’auteur s’est mis à comparer l’architecture mauresque avec
l’architecture européenne. Après qu’il était neutre et objective, il a finit par qualifier les œuvres
de la colonisations de « barbarie » :

Nous qui traitons encore les Arabes de barbares, nous avons montré que nous étions de vrais barbares
en élevant à côté de ces riantes et délicieuses retraites nos grosses maisons de Paris, avec leurs trois ou
quatre étages que rien ne garantit de l'ardeur de la température, et que le soleil chauffe comme des
fournaises. Bien plus, nous avons porté la barbarie jusqu'à démolir quelques-uns de ces petits chefs-
d’œuvre de l'architecture orientale, pour les remplacer par des hôtels qui ressemblent à d'immenses
casernes.176

Le saut de réception est bien remarquable ici, surtout par les qualifications données aux
bâtiments européens ; traiter les hôtels « d’immenses casernes » après les avoir complimenter
auparavant est assez intriguant.

Après Alger, il s’est dirigé avec le ministre Salvandy à Bougie, Bône, Philippeville et
Constantine à l’est de l’Algérie puis à Mostaganem et Oran à l’ouest. Son discours est devenu
un peu plus militaire, traduisant la puissance coloniale dans ces tribus qui étaient presque
toutes, en plein processus de transformation.

c- Jules et Edmond de Goncourt

Juste après Xavier Marmier, et juste avant Eugène Fromentin, les frères Jules et Edmond de
Goncourt se sont empressé de mettre le pied à Alger. Dans un récit réduit à la description, Alger
est placé au-dessus de toute considération militaire, de toute opinion politique et tout contexte
lié à la colonisation.

Nous avons vu jusqu’ici, que la description du voyageur démarre, très classiquement, par la
description du paysage urbain du front de mer, du quartier de la marine ou encore de Bab-
Azzoun ; mais la sensibilité des frères de Goncourt prendra un autre chemin.

175
Xavier Marmier, op.cit. p,83.
176
Ibid. p,83-84.

91
Les frères se sont concentré sur le patrimoine identitaire d’Alger et de ses habitants. Ce qui
comptait est de vraiment décrire l’algérien, qu’il soit arabe, kabyle, musulman, juif, maure,
turque, ou noir. Décrire les costumes, la langue, la démarche, le regard et même les détails les
plus fins du citoyen indigène était l’élément le plus présent dans le récit.

Les plats Algériens, tel que le kouskoussou, ont aussi eu part d’une très grande description. Les
ingrédients, la forme et le gout des plats ont constitué pour ces voyageurs un élément
incomparable, méritant fortement d’être mis en valeur.177

D’autre part, les enfants d’Alger ont attiré chez les frères une grosse attention, et nous
remarquons pour la première fois depuis le début de notre étude, la présence de cette tranche
de la société. 178

Les frères de Goncourt face à la ville

Les Goncourt ne s’abstenaient pas de faire apparaitre leurs enthousiasme : « A chaque rue,
à chaque maison, un tableau de Decamps » ; c’est ainsi qu’ils ont initié leurs petite description
urbaine. Une description réduite au local, seules les bâtisses traditionnelles ont eu droit à leurs
notes au crayons. Décrite d’une architecture intelligente, les frères reviennent sur la manière
dont le bâtiment vernaculaire répondait au climat et à l’usage, dans la même optique de
Nodier :

Et ce sont toujours des ruelles à échelons de pierre plongeant sous vos pieds, ou grimpant devant vous;
des maisons blanches de chaux vive, s'étayant des poutres jetées au travers de la rue, et faisant ressauter
leur premier étage d'une forêt d'arcs-boutants, et, soudant leur terrasse l’une à l'autre et ne laissant
glisser que quelques filtrations de soleil : intelligente architecture qui, dans le moment où la chaleur
incendie la campagne et fait déserter le quartier d'Isly, transforme ces passages en frais couloirs.179

Une description d’une école coranique, de la façon dont les enfants d’Alger apprenaient le
Coran, compte aussi comme une première description de la pratique religieuse. Ayant visité le
cimetière du marabout Sidi-Abd-Errahmane, les frères ont eu droit à cette expérience
« intime », généralement interdite aux chrétiens, mais qui a marqué chez eux une impression
particulière, autre que ce qu’ils avaient l’habitude de voir ailleurs :

177
Voir Edmond et Jules de Goncourt, Alger, Notes au Crayon, dans pages retrouvées, Paris, Charpentier, 1886.
P,269.
178
Voir Edmond et Jules de Goncourt, op.cit., p 269.
179
Ibid. p, 270.

92
C'est le champ de re- pos de l'Orient ; ce n'est plus cette pauvreté attristante, cette nudité désolée des
cimetières septentrionaux, et cette terre de la mort, que les baisers du soleil font sourire comme un
jardin, vous berce à sa mélancolie.180

Ce que nous essayons de démontrer par les témoignages des Goncourt, est que nous
sommes vraiment à un moment de la réception où le français ne fait en aucun cas partie de
l’image que recherche ces voyageurs. Nous sommes dans un progrès de la réception, qui est
passé vers un niveau supérieur de considération et de reconnaissance. 181

Nous avons évoqué précédemment plusieurs voyageurs qui se sont intéressés au


patrimoine immatériel de l’Algérie, dont les frères de Goncourt. Mais dans un essai de
représenter au mieux possible la culture effacée par l’occupation, il était étonnant de découvrir
que les frères, qui sont peintres de profession, n’aient dédié aucun dessin au service de leur
récit.

Les notes au crayon

Le récit est divisé en sorte de petites fiches, que les voyageurs rédigent à chaque fin de
journée, on y trouve la date à chacune d’elle, comme un agenda où chaque jour portait des
impressions importantes. Peu importe les activités que faisaient ces jeunes touristes, ils
revenaient toujours à décrire les personnes qu’ils croisaient.

Les Goncourt nous ont emmené dans des endroits inédits, racontant des expériences
neuves et riches. Ils ont assisté aux enchères ; dans une pratique sociale et économique, les
deux frères nous ont raconté quelques faits liés à la marchandise arabe et aux marchands.

Ils ont passé un moment dans un des bains de Bab-el-Oued, où ils ont transmis l’architecture
intérieure de cet endroit typiquement traditionnel, et où le français ne semble guère pouvoir
pénétrer. Ils nous ont fait part de cette pratique qui constituait pour les indigènes une

180
Edmond et Jules de Goncourt, op.cit. p, 271-272.
181
Si notre hypothèse de l’évolution tient la route, c’est que les témoignages de nos voyageurs l’ont conduit.
Nous n’affirmons pas ces analyses que nous sommes en train de mener, mais nous pouvons dire que ce travail
de contextualiser les voyages et de croiser les témoignages à la fois entre eux et avec les faits historiques,
politiques et coloniaux, nous ont permis de faire ce premier jet de réflexions, susceptibles d’intéresser les
penseurs et les chercheurs qui s’intéressent au voyage et à l’Orientalisme.

93
tradition182 mais qui les a rendus, selon leur témoignage, « honteux de l’insuffisance de nos
bains européens, honteux de l'ignorance de notre parfumerie ».183

Les frères de Goncourt se sont donc plus intéressés au patrimoine immatériel qu’au matériel.
Bien qu’il décrivent aussi l’architecture de la mosquée d’Alger et quelques maisons
traditionnelles – et dont les témoignages ne différent pas tant que ceux que nous avons étudié–
il reste remarquable que ce voyage leur a apporté plus d’attachement à la société en elle-
même.

La réception des frères de Goncourt

Les frères ont réalisé leurs notes sur Alger comme si le pays était indépendant. Les fois où
ils ont mentionné la France ou l’Europe étaient tellement rares que l’on pouvait ignorer
l’existence d’une colonisation. La « mise à l’écart » de l’occupation française malgré sa
présence imposante, traduit un exotisme assez sensible lié à la volonté de rechercher le trait
indigène en dépit des circonstances liées à la politique coloniale. Eux qui étaient à cette époque
à l’essor de leur célébrité, ont pris le dessus sur les autres récits dédiés à l’Algérie.

Après cela, une reconnaissance a été attribuée aux deux peintres, leur donnant l’honneur
de saluer le prochain voyageur exotique de notre corpus, Eugène Fromentin, et qui lui-même
a lu et salué les frères de Goncourt avant son voyage en Algérie.

182
Voir Edmond et Jules de Goncourt, op.cit p, 277-278.
183
Ibid.

94
II- Basculement vers une ville européenne : le voyageur à la recherche
d’une culture algérienne en dehors d’Alger

a- Eugène Fromentin : séjour dans les faubourgs d’Alger

Comme les Goncourt, Eugène Fromentin est un peintre qui a écrit au service de l’Algérie,
mais tout en restant fidèle à la peinture. Il est le voyageur qui a séjourné le plus longtemps en
Algérie, et celui qui a le plus produit pour ce pays par rapport aux autres voyageurs de notre
corpus.

Nous allons étudier le dernier voyage qu’il avait effectué en 1852, au moment où il séjournait
à Mustapha. Le choix d’étudier ce voyage sans les deux autres nous servira d’un élément de
comparaison avec les récits des voyageurs précédents. 184

Le voyageur, dans la même optique que Gautier, exprime son regret sous un discours à la
fois franc et triste. Il se mêle aux arabes, il fréquente les cafés maures et il apprend la vie au
sein des indigènes.

Être à Mustapha a constitué pour Fromentin un premier point de description nécessaire, il


évoque topographiquement la ségrégation des races issue de la politique urbaine :

Voilà pour la ville française. L’autre, on l’oublie ; ne pouvant supprimer le peuple qui l’habite, nous lui
laissons tout juste de quoi se loger, c’est-à-dire le belvédère élevé des anciens pirates […] Entre ces deux
villes si distinctes, il n’y a d’autres barrières, après tant d’années, que ce qui subsiste entre les races de
défiance et d’antipathies ; cela suffit pour les séparer.185

Ce discours pessimiste, peut constituer l’une des conséquences négatives de la colonisation.


Des français comme Fromentin ou Gautier, ont fait un contrepoids au discours colonialiste
relevant une forme de « conscience » exprimée par l’empathie envers tout ce qui est local :

Certes la conscience d’assister aux dernières manifestations d’un monde qui meurt sous la pression de
ma modernité est un topos de l’orientalisme, et de toute une tradition ethnographique. Mais il acquiert

184
Pour rappel : Eugène Fromentin a séjourné très brièvement en 1846 à Alger où il se rendait plus souvent à
Blida, ne laissant que quelques petites correspondances avec sa famille ; il y revient une année après où il
séjourne cette fois à Blida, Constantine puis Biskra. Ce n’est qu’en 1852 qu’il décide finalement de séjourner à
Alger, et ce n’est qu’à ce moment qu’il représente concrètement la ville dans son récit (Une année dans le Sahel,
un été dans le Sahara).
185
Eugène Fromentin Une année dans le Sahel, Un été dans le Sahara, Paris, Alphonse Lemerre, 1874, p,204.

95
chez Fromentin une force neuve, précisément de n’être pas formulé, et de ne s’imposer au lecteur qu’au
travers d’une empathie tendre, et triste.186

Ce qui est renforcé chez Fromentin par rapport à ce que nous avons vu avec Ismayl Urbain,
est que ce voyageur tenait à « créer un chez soi sur une terre étrangère »,187 c’est-à-dire mener
une vie où les habitudes arabes s’entremêlent à ses habitudes à lui, dans un mode de vie propre
et complet comme celui d’une personne chez elle, et non comme celui d’un voyageur
éphémère.188

Ce qui est important d’un point de vue analytique, est que notre voyageur écarte toute
considération à la ville européenne. Tout comme les Goncourt, il réduit son récit à la
description, mais nourrit ceci quand même avec des réflexions incessantes sur le passé
transformé d’Alger. L’exotisme chez Fromentin, est exprimé par son empathie d’une part mais
aussi par le regret, un peu comme chez Gautier, nous remarquons un discours sur la vielle ville
qui tend à rappeler son identité. Sous forme de nostalgie, un effort de rendre hommage à la
localité s’avère présent.

Si Fromentin fut salué par Gautier c’est que les deux voyageurs partageaient de façon
identique le regard sur la ville et sur la colonisation. Bien que cela soit plus développé chez le
peintre, la description a fait ressortir une ressemblance importante avec celle de son
prédécesseur. Une description qui tenait tant à la défense de l’indigène et de l’ancienne ville
surtout :

L'enceinte hautaine de ses remparts turcs, cette vieille ceinture ardente et brunie, est brisée partout, et
déjà ne la contient plus tout entière; la haute ville a perdu ses minarets, et peut-être y pourrait-on
compter quelques toitures. Toutes les nations de l'Europe et du monde viennent aujourd'hui, par tous
les vents, amarrer leurs navires de guerre et de commerce au pied de la grande mosquée […] . N'importe,
Alger demeure toujours la capitale et la vraie reine des Maghrébins. Elle a toujours sa Kasbah pour
couronne, avec un cyprès, dernier vestige apparent des jardins intérieurs du dey Hussein ; un maigre

186
Frank Laurent op,cit, p,289-290.
187
Eugène Fromentin, op,cit , p,196.
188
« Je veux essayer du chez moi sur cette terre étrangère, où jusqu'à présent je n'ai fait que passer, dans les
auberges, dans les caravansérails ou sous la tente, changeant tantôt de demeure et tantôt de bivouac, campant
toujours, arrivant et partant, dans la mobilité du provisoire et en pèlerin. Cette fois je viens y vivre et l'habiter. J'y
verrai s'écouler toute une année peut-être, et je saurai comment les saisons se succèdent dans ce bienheureux
climat, qu'on dit inaltérable. J'y prendrai des habitudes qui seront autant de liens plus étroits pour m'attacher à
l'intimité des lieux. Je veux y planter mes souvenirs, comme ou plante un arbre, afin de demeurer de près ou de
loin enraciné dans cette terre d'adoption. » dans Eugène Fromentin, op,cit, p,196-197.

96
cyprès, pointant dans le ciel comme un fil sombre, mais qui, de loin, ressemble à une aigrette sur un
turban. Quoi qu'on fasse, elle est encore, et pour longtemps, j'espère, El-Bahadja, c'est-à-dire la plus
blanche ville peut-être de tout l'Orient. Et quand le soleil se lève pour l'éclairer, quand elle s'illumine et
se colore à ce rayon vermeil qui, tous les matins, lui vient de la Mecque, on la croirait sortie de la veille
d'un immense bloc de marbre blanc, veiné de rose.189

Un regret est ressenti dans le texte, un souhait de faire rappeler l’histoire de la colonisation
semble présent. Ceci est noté lors de la description paysagère de la ville, mais aussi face à la
hiérarchie sociale qui privait désormais les arabes d’utiliser la nouvelle partie de la ville :

Pourquoi le résumé des pays algériens ne tiendrait-il pas dans le petit espace encadré par ma fenêtre, et
ne puis-je espérer voir le peuple arabe défiler sous mes yeux par la grande route ou dans les prairies qui
bordent mon jardin?190

L’œuvre de Fromentin est donc une œuvre composée de plusieurs analyses. Habiter les
faubourgs nous a donné une autre source de représentation de la ville et de la société vers le
milieu du XIXe siècle. Au-delà des descriptions urbaines et sociétales, ces représentations ont
traduit une transition du discours lié à la colonie, allant vers une réception positive, où l’Algérie
est acceptée et revendiquée.

D’autre part, l’iconographie n’était pas aussi présente pour illustrer les descriptions sur
Alger. Dans Une année dans le Sahel, le faubourg d’Alger a été représenté une seule fois. La
ville de Blida a été également représentée une seule fois, laissant de ce fait la place à une
iconographie plus abondante sur les régions du sud de l’Algérie.191

189
Eugène Fromentin, op,cit,199.
190
Ibid. p,197.
191
Pour rappel : nous avons évoqué ceci plus haut dans notre recherche lorsque nous avons parlé du voyage qui
avait commencé à se propager dans d’autres villes de l’Algérie, notamment dans les villes du sud. Nous avons
posé comme hypothèse, la recherche de l’identité et de la culture locale dans les villes « traditionnelles », au
moment où Alger était en pleine transformation urbaine et sociétale à l’image des villes Européenne.

97
Fig 17 : Représentation du faubourg d’Alger par Eugène Fromentin dans Eugène Fromentin Une année
dans le Sahel, Un été dans le Sahara, Paris, Alphonse Lemerre, 1874, p,219.

b- Alphonse Daudet : au-delà de l’imaginaire

Dernier voyageur de notre corpus, Alphonse Daudet est le dernier témoin des chroniques
urbaines et du basculement de la réception durant la période de notre présente étude. Il n’était
pas à Alger, mais plutôt à Miliana et à Chélif, au sud Algérien, là où il a représenté ses premières
pensées de la colonie et des indigènes.

Dans le discours du jeune voyageur s’avère une certaine indifférence face à la culture locale.
De façon opposée à toutes les descriptions que nous avons vu jusque-là, Alphonse Daudet se
montre moins enthousiaste.

Il met l’accent sur « l’exagération » des mots utilisés par ses prédécesseurs pour décrire la
colonie. L’auteur était plutôt réaliste, pas trop dans l’imaginaire, non plus dans le mépris, il était
dans la description hors exotisme :

Je ne peux pas me rappeler sans sourire le désenchantement que j’ai eu en mettant le pied pour la
première fois dans un caravansérail d’Algérie. Ce joli mot de caravansérail ; que traverse comme un
éblouissement tout l’Orient féerique des Mille et une nuits, avait dressé dans mon imagination des
enfilades de galeries découpées en ogives, des cours mauresques plantées de palmiers […]. Les mots sont
toujours plus poétiques que les choses. Au lieu du caravansérail que je m’imaginais, je trouvai une
ancienne auberge de l’Île-de-France, l’auberge du grand chemin, station de rouliers, relais de poste, avec

98
sa branche de houx, son banc de pierre à côté du portail, et tout un monde de cours, de hangars, de
granges, d’écuries.192

A force de beaucoup lire sur l’Algérie et sur Alger, les voyageurs étaient conduits dans un
rêve exotique remarquable. Ces discours ne reflétaient plus la réalité de l’Algérie à partir de la
deuxième moitié du XIXe siècle. Les témoignages sur la colonie devenaient petit à petit plus
objectifs chez les nouveaux voyageurs comme Daudet.

Les composantes originales du paysage Algérien étaient devenus standards, voire banales.
Aucun essai de défense n’a été ressenti lors de l’étude de ce récit, aucune volonté de dénoncer
la colonisation n’a occupé l’écrivain de ces notes qui semble être habitué à voir l’Algérie comme
étant française, assimilée :

Vaut-il mieux rappeler que l’Algérie que visite Daudet en 1861 n’est déjà plus celle qu’avaient vu Gautier
en 1845 ou Fromentin en 1846-1853 […] Les « tribus », décidément, étaient vaincus. La nouvelle colonie,
du moins les villes du Nord, celles dont on avait le plus aisément connaissance, se francisaient […] C’était
cette Algérie-là que voulaient les colons, et qu’ils commençaient à construire, tandis que l’intérêt pour
les mœurs et les coutumes des indigènes devenait l’apanage des militaires des bureaux arabes […]
Décidément, pour l’Algérie l’heure n’était plus à l’exotisme, poétique ou pittoresque, et guère davantage
à l’épopée militaire. De la société nouvelle qui s’ébauchait, on ne voyait plus que la banalité.193

Ce désintérêt pour les mœurs et pour les coutumes est quelque part ressenti dans les notes
de voyages de Daudet qui ne semblait pas beaucoup surpris dans son récit. Il décrit de manière
plus « froide » la femme Algérienne qui faisait pourtant, quelques années plus tôt, couler
beaucoup d’encre dans les récits de voyages :

Près de moi, une jeune femme, presque belle, la gorge et les jambes découvertes, le gros bracelets de fer
aux poignets et aux chevilles, chante un air bizarre à trois notes mélancoliques et nasillardes.194

Il a décrit par la même occasion la fête, les habits, la musique et même le Kouskouss, mais sans
en être ébloui, il s’est contenté de la description pour mémoriser son séjour. 195

192
Alphonse Daudet, Contes du Lundi, Paris, Charpentier et Fasquelle, 1892, p,144.
193
Frank Laurent op,cit, p,388.
194
Alphonse Daudet, Lettres de mon Moulin, Paris, Charpentier, 1887, p,205.
195
Voir ces descriptions dans Alphonse Daudet, Lettres de mon Moulin, chapitre « Paysage Gastronomique » où
les poissons, le Kousskouss et d’autres plats Algériens ont été décrits p, 285, 290.

99
La banalité des représentations romantiques de l’Algérie ont mis l’auteur à décrire d’autres
éléments quelques part inédits, mais qui, pour lui, font toute la différence avec ce qui a
longuement été dit au sujet du pittoresque Algérien.

Il a décrit son séjour dans une ferme située dans la ville de Chélif, où le climat, les arbres et les
sauterelles ont constitué le centre de ses notes de voyage.196 Il reprend quelques fantasmes
Européens, et il raconte quelques anecdotes, quelques dialogues qu’il a eu au cours de son
séjour avec quelques indigènes.

C’est à ça donc que se résumait l’Algérie dans les Lettres à mon Moulin, et dans les Contes
du Lundi. Mais notre Voyageur est connu pour son roman inspiré de son expérience de voyage
Algérien, Tartarin de Tarascon, qui a mérité une seconde étude pour compléter l’analyse faite
au sujet d’Alphonse Daudet.

Tartarin de Tarascon

Ce roman a fait sa première parution en 1872 soit 12 ans après le voyage d’Alphonse Daudet
en Algérie. Nous étudions ce roman qui a été inspiré par le voyage de Daudet en Algérie, parce
que les éléments qui le composent nous semblaient assez intéressants pour faire objet d’une
analyse.

Tartarin est le personnage principal du roman, c’était un chasseur de lions qui habitait
Tarascon, une petite ville provençale. Il était un bourgeois qui vivait dans une belle grande
maison, mais qui aimait les aventures et les risques. Son esprit aventurier et sa passion de la
chasse l’ont inspiré d’aller chasser un lion en Afrique. Il l’a annoncé donc à ses concitoyens de
Tarascon en racontant sa vision mythique de l’Afrique :

Pour Tarascon, l'Algérie, l'Afrique, la Grèce, la Perse, la Turquie, la Mésopotamie, tout cela forme un grand
pays très vague, presque mythologique, et cela s'appelle les Teurs (les Turcs). […] Tartarin de Tarascon,
en effet, avait cru de son devoir, allant en Algérie, de prendre le costume algérien large pantalon bouffant
en toile blanche, petite veste collante à boutons de métal, deux pieds de ceinture rouge autour de
l'estomac, le cou nu, le front rasé, sur sa tête une gigantesque chéchia (bonnet rouge) et un flot bleu
d'une longueur !... Avec cela, deux lourds fusils, un sur chaque épaule, un grand couteau de chasse à la

196
Voir le chapitre « Les Oranges » dans Ibid. p,178,184. Et « Les sauterelles » dans Alphonse Daudet, op.cit., p,
210-216.

100
ceinture, sur le ventre une cartouchière, sur la hanche un revolver se balançant dans sa poche de cuir.
C'est tout...197

Arrivé en Algérie, Tartarin s’est retrouvé face à une ville qu’il n’a guère imaginé, il a
commencé donc à se poser des questions sur son imaginaire. Il s’attendait à rencontrer des
pirates, à négocier avec des corsaires, à voir des femmes orientales et à chasser des animaux
sauvages. La réalité étant différente, Alphonse Daudet a décrit la déception de Tartarin :

Aux premiers pas qu'il fit dans Alger, Tartarin de Tarascon ouvrit de grands yeux. D'avance il s'était figuré
une ville orientale, féerique, mythologique, quelque chose tenant le milieu entre Constantinople et
Zanzibar... Il tombait en plein Tarascon... Des cafés, des restaurants, de larges rues, des maisons à quatre
étages, une petite place macadamisée où des musiciens de la ligne jouaient des polkas d'Offenbach, des
messieurs sur des chaises buvant de la bière avec des échaudés, des dames, quelques lorettes, et puis
des militaires... et pas un Teur198!... Il n'y avait que lui... aussi, pour traverser la place, se trouva-t-il un peu
gêné. Tout le monde le regardait. Les musiciens de la ligne s'arrêtèrent, et la polka d'Offenbach resta un
pied en l'air.199

Fig 18 : Tartarin de Tarascon à Alger, regards étonnés. Par Alphonse Daudet dans Alphonse Daudet, Tartarin
de Tarascon, Paris, C. Marpon, E. Flammarion, 1889, p, 101.

197
Alphonse Daudet, Tartarin de Tarascon, Paris, C. Marpon, E. Flammarion, 1889, p, 72-74.
198
Turc
199
Ibid. p,100-101.

101
Alphonse Daudet a évoqué par ce roman la réalité de l’Algérie de l’époque. Il a essayé de
briser l’imaginaire que se faisaient les Français et les occidentaux de la nouvelle colonie, un
imaginaire exotique et sauvage mais qui ne reflétait guère la réalité.

Ceci est aussi un élément qui nous donne pas mal d’informations sur la réalité de la vie au sein
des indigènes, qui a longtemps été réduite aux représentations fantaisistes dans les cafés ou
dans les marchés.

L’évolution de la représentation de l’Algérie prend encore une fois un nouveau tournant,


mais cette fois réaliste sincère et surtout objectif. Alphonse Daudet a démystifié l’image
féerique et romantique qui a toujours été associée à la colonie, ce qui nous amène à distinguer
le commencement d'une nouvelle ère de représenter l’Algérie à partir de la deuxième moitié
du XIXe siècle.

102
Conclusion

103
Nous avons basé notre recherche sur une problématique qui traite l’évolution de la
réception française de la ville d’Alger entre 1830 et 1860 dans les récits de voyages. Notre
méthodologie employée étant l’étude de la réception, a été basée sur une sélection de sources
imprimées qui se compose de huit récits de voyages, deux publications de journal et un roman.
Ces sources ont été élaborées par huit voyageurs différents ayant effectués des voyages à de
différentes périodes.

Dans l’étude de la réception, nous avons remis en contexte les sources sélectionnées. Le
contexte politique, le contexte urbain et le contexte social ont été primordiaux pour la
construction de notre hypothèse. Démarrée par une mise en contexte politique, notre
recherche a été découpée en fonction des trois grandes périodes politiques ayant marqué nos
trente ans d’étude, soit la période de la Monarchie de Juillet, la période de la deuxième
république et la période du second empire.

Notre hypothèse a été basée sur une mise en lien entre la politique coloniale, la fabrique
urbaine et architecturale d’Alger, et enfin la société installée. Nous avons supposé que les
différentes politiques coloniales ont eu des conséquences sur les changements formels ayant
marqué la ville ce qui a impliqué une évolution dans la société. Ces résultats croisés ont été
représentés dans nos différentes sources, de différentes manières, traçant des réceptions
multiples.

Les changements et les tournants de la réception chez les voyageurs

Nous avons étudié nos sources de façon détaillée afin de suivre le cheminement de notre
hypothèse. Nous avons vu que par la diversité des profils s’est démarquée une richesse
d’informations relatives à la représentation de la ville d’Alger sous l’époque coloniale. Mais la
manière de décrire ainsi que la réception ont été en évolution marquante à la longueur de
l’étude.

Afin de pouvoir retracer les résultats de cette évolution, nous marquons deux temps de
changement de réception chez nos voyageurs cités.

104
Les deux temps du changement

a- Le premier temps du changement : le temps de l’exagération (dans son sens négative


comme positive)

Entre imaginaire « orientaliste » et représentation locale « folklorique »

Ce premier temps, caractérise le moment où le voyageur surimposait l’image orientaliste à


l’Algérie, avec des représentations « folklorique » pour exagérer cette idée d’une Algérie
orientale. Mais ces représentations exagérées qui ont faussé la réalité étaient à double sens.
Un premier sens de « déception » qui caractérise les premiers voyages comme celui de Ida
Saint-Elme et celui de Ismayl Urbain, qui avaient tous les deux visité le Proche-Orient avant leur
voyage en Algérie. La déception était fortement présente dans les représentations des deux
journalistes, témoignant de cette fausse représentation orientaliste exagérée de l’Algérie,
conduisant une période complexe de familiarisation comme de mépris de la nouvelle colonie.

Mais dans un deuxième sens, d’autres témoignages comme ceux de Ismayl Urbain, et
surtout ceux de Charles Nodier ont caractérisé un deuxième imaginaire assez fort, plaçant Alger
dans une idée idéaliste d’une ville orientale par excellence.

Cet imaginaire a accentué la représentation folklorique de l’Algérie, ce qui a conduit un long


moment d’exaltation orientaliste menant les voyageurs à accepter finalement l’idée de la
localité et rejetant la politique coloniale assimilatrice. Nous pouvons dire que ceci a fait les
débuts de « l’exotisme »200 dans notre recherche, représentatif d’une première réaction
« anticolonialiste ».

La réception comme un outil d’influence

En allant dans une autre voie d’analyse, cette représentation exagérée avait le double
rôle d’informer et d’influencer. Autrement dit, la réception « négative » a incité la curiosité
d’autres voyageurs qui souhaitaient découvrir la nouvelle colonie. De ce fait, l’émergence du
voyage et du récit de voyage n’a pas cessé d’évoluer pour représenter plusieurs panoramas
d’une même lieu, tantôt rejeté, tantôt admiré.

200
Par définition, l’exotisme est l’attachement imaginaire à une culture étrangère ; c’est la manière dont on
place une culture ou une civilisation dans une catégorie en lui attribuons toutes les représentations qui
nourrissent cet imaginaire. Voir plus dans : Sophie Fenouillet, « Edward Said, L'orientalisme. L'Orient créé par
l'Occident » [compte-rendu], Les langages du politique, année 1992, 30, p. 117–121.

105
Un début de changement, ou plutôt un tournant a été donc marqué quand la
représentation d’Alger a basculé d’une représentation d’une image jusque-là romantique, vers
une représentation plus exotique d’une localité existante. 201

b- Le deuxième temps du changement : fin de l’exagération

Le deuxième temps qui commence vers 1840, marquera la période où les voyageurs ont
commencé à se montrer « plus fidèles » et « plus compréhensifs » à l’égard de l’identité
d’Alger. Ceci a impliqué le changement de la représentation, qui est passé de
« l’exagération imaginaire » à la description réaliste.

Cette manière de représenter l’Algérie prendra de plus en plus l’ampleur dans les récits de
voyage, on assistera plus souvent à des témoignages moins imaginaires, moins « poétique »
mais plutôt représentatifs du vécu quotidien au sein de la colonie.

Tenant compte du contexte colonial, la nuance entre l’Algérie vue au début du siècle et
l’Algérie vue vers le milieu jusqu’à la fin du XIXe siècle est à rappeler. Les projets urbains, les
extensions et l’immigration européenne en Algérie ont fait un bouleversement de l’image
identitaire de l’ancienne ville. Ces éléments ont amené les voyageurs à rechercher les
spécificités locales en pleine transformation, justifiant « le réalisme » émergé à ce moment-là.

Fig 18 : Le boulevard de la république et le square Bresson vers la moitié du XIXe siècle. Edition des
Galeries de France.
201
Nous avons parlé de l’influence comme élément fondateur de cette histoire de voyage, mais l’influence se fait
aussi dans un autre sens, pas tout à fait favorable.
Une influence négative revient au fait que les voyageurs d’après le milieu de siècle, ne retrouvent plus ce qu’ils
lisaient dans les récits de leurs prédécesseurs. Alger arrivé à sa forme finale, ne fait plus rêver comme avant,
parce que les éléments qui faisaient le rêve oriental ont cessé d’exister, ce qui met le voyageur dans un état de
déception face à une image différente de l’image romantique qu’il se faisait de la ville.

106
Le changement du style de la rédaction : par le changement des rédacteurs

D’autre part, la littérature française contenait toute une série de discours liés à la colonie
et aux projets coloniaux, ce qui a encombré les bibliothèques et les librairies de publications
similaires. Un changement de style s’est donc avéré indispensable :

Trop de plans de colonisations et de pamphlets mal inspirés encombrent la librairie française : place aux
impressions de voyage, sans autre prétention que la sincérité du témoignage.202

Un changement du style a impliqué un changement d’acteurs. Nous avons remarqué que cette
représentations réaliste s’est plus développée chez des voyageurs les « plus sensibles ». Nous
avons parlé de la sensibilité des poètes mais surtout des peintres qui ont fait évoluer la
littérature du voyage algérien vers une représentation sensible plutôt que politique et qui ont
enrichit les représentations de l’Algérie.

Une réception sur deux échelles : de l’imaginaire à la réalité

Le but de notre recherche était d’arriver à tracer une évolution du regard porté à Alger par
les voyageurs français. Les éléments que nous avons étudié, nous ont permis de conclure que
la réception d’Alger a démarré d’une obscurité vers un imaginaire au cours de la première
décennie de l’occupation. Nous rappelons que cet imaginaire a vite été bouleversé vers le
milieu du XIXe siècle, par un changement du regard qui portait plus sur la localité et sur la
réalité.

Un troisième temps de changement ?

Les données que nous avons pu collecter nous ont permis de mener cette recherche en
répondant à notre problématique. Mais au fil des recherches faites à notre sujet, nous avons
pu avoir d’autres éléments d’étude mais que nous n’avons pas exploité pour le respect de nos
bornes chronologiques ainsi que pour la cohérence de nos résultats avec notre hypothèse.
Néanmoins, ces éléments peuvent servir d’ouverture à notre sujet principal.

En évoquant deux temps majeurs de changement dans la réception de nos voyageurs, il est
possible de marquer un troisième. Si nous revenons sur les impressions de notre dernier

202
Frank Laurent op, cit, p,195.

107
voyageur Alphonse Daudet, nous pouvons mettre en avant une hypothèse d’une nouvelle
forme de réception, soit la réception « indifférente » ou même « attendue ».

Nous avons qualifié la réception de Alphonse Daudet de réception réaliste et indifférente


par rapport à tout l’imaginaire qu’on a évoqué auparavant, mais il est à noter que l’Algérie qu’a
visité Daudet en 1861, était nettement différente de l’Algérie qui a suscité toute forme de
réception poétique et imaginaire.

En se basant sur notre problématique de l’évolution, nous revenons à dire que la politique
coloniale n’a pas cessé d’évoluer ; la ville d’Alger a été encore travaillée par d’autres institutions
françaises, et d’autres images ont été données à cette dernière qui était à ce moment
« francisée ».

Dans l’approche réaliste nous allons citer quelques-unes des données qui sont susceptibles
de servir à ce sujet. Vers le milieu du XIXe siècle, le voyage se développait dans d’autres villes
du pays, nous sommes à un moment de l’histoire où plusieurs villes du sud devenaient des
colonies, arrivant par ce fait à une occupation globale des terres algériennes.

La parenthèse du voyage au-delà des limites Algéroises : au-delà du « Alger français »

En l’ayant vu brièvement chez Alphonse Daudet qui a séjourné à Chélif, le voyage au sud de
l’Algérie a été bien remarquable à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle.

Si le voyageur que nous avons cité – et il existe des personnalités que nous n’avons pas
étudié comme Alexis de Tocqueville, Lucien-François de Montagnac et d’autres – ont décidé de
voir au-delà des limites Algéroises, c’est qu’une bonne volonté de découverte se développait
d’une part, et que plusieurs raisons militaires et politiques l’imposait d’une autre part.

Retour à l’imaginaire ? : pour un changement radicale de la réception

Au moment où Alger était devenu un département français, le paysage urbain rappelait


celui de Paris ou de Marseille. Les percées urbaines, le découpage des ilots qui reprend le
découpage parisien, les styles architecturaux, et même la société faisaient directement lien
avec les villes françaises. L’identité algérienne et l’image représentée au début du siècle se

108
dégradaient de plus en plus, et de manière assez vite pour donner finalement une
représentation occidentale à une ville dite « orientale ».

Le voyage en dehors d’Alger devenait presque « une nécessité » pour ces voyageurs qui ne
retrouvaient plus le charme d’un « Orient proche » qui faisait couler beaucoup d’encre dans les
récits de voyage du début du siècle.

La littérature du voyage a un rôle majeur dans l’émergence de ces voyages. Plusieurs


voyageurs se rendaient à Alger après avoir lu leurs prédécesseurs, qui lui ont fait rêver de cet
Orient ; mais au moment de la visite, il n’y avait que les rues au modèle de Rivoli qui garnissaient
l'image de cette ville. Nous parlons d’un nouvel imaginaire, à la recherche de la localité et qui
a fait « déplacer » le voyage en Algérie petit à petit aux faubourgs – Blida et Dellys, puis au sud
vers la fin du siècle.

Les récits de voyages exotiques ne reflétaient plus l’image d’Alger – et de l’Algérie –, c’est
devenu une « confrontation » avec la réalité, où le voyageur dénonçait les formes coloniales et
recherchait la réalité indigène ailleurs qu’à Alger.

Enfin, entre la ville européenne d’Alger et les villes encore « pittoresque » aux faubourgs et
au sud se développait un nouveau volet de voyage. Des voyageurs comme Gustave
Guillaumet203 ont marqué ce déplacement à la recherche de l’identité algérienne, et ont
participé à la diffusion des conséquences bouleversantes de la colonisation de l’Algérie.

Ce sont toutes ces pistes qui nous donnent la possibilité de voir une évolution pour ce
premier travail d’initiation à la recherche. Les résultats de ce premier travail permet d’envisager
d’élargir notre période d’étude jusqu’à la fin du XIXe siècle, voire jusqu’au début du XXe siècle.

Par la prise en compte des éléments étudiés, il serait possible de mettre en avant cet
nouvelle forme de la réception de la ville d’Alger par le voyageur français, surtout à la lumière
des changements politiques et sociétaux marquants (à savoir la prise de plusieurs villes du sud
Algérien, la croissance de l’immigration, la résistance Algérienne…).

203
Gustave Achille Guillaumet 1840-1887 est un peintre Orientaliste français, ayant travaillé énormément au sud
Algérien comme à Alger, il aussi à coté de Eugène Delacroix, a eu la chance de pénétrer des maison Algéroises et
en peindre le Harem ; « Cet artiste visionnaire a su porter un regard lucide et franc sur les débuts de la
colonisation, les épidémies et la famine qui ont sévi brutalement entre 1866 et 1869, en réalisant des œuvres
bien loin des clichés de nombreux peintres orientalistes » comme décrit André Roussard, dans son Dictionnaire
des peintres à Montmartre, 1999, 639 p., p. 290

109
Le voyage vers la fin du siècle sera marqué par la multiplicité des profils de personnes qui
visitent l’Algérie – ce qui n’est pas inédit en vue du changement déjà signalé sur la période
étudiée -. De plus en plus de femmes voyageuses on fait l’histoire du voyage dans la colonie, et
de même, plusieurs politiciens et plusieurs journalistes ont fait découvrir ces territoires de
« l’au-delà de l’Algérie française ». Les peintres et les écrivains, se sont montrés de moins en
moins attachés à la vision imaginaire qu’on avait de l’Algérie au début du siècle et c’est ce que
nous avons déjà commencé à identifier vers 1860.204

Enfin, les transformations urbaines et sociétales de l’Algérie n’ont pas empêché le voyage
français ; chaque élément de l’histoire de la colonisation a nourrit la curiosité des voyageurs
qui voyaient l’Algérie différemment, et qui la décrivaient différemment, suivant chacun ses
sensibilités, ses avis sur la colonisation et ses idéologies personnelles.

204
A noter que quelques écrivains tel que Guy de Maupassant ont essayé quand même de rebondir sur
l’exotisme exagéré que nous avons vu au début du siècle, mais ça a été sans succès, vu les conditions émergées
à ce moment (dont le changement de l’image urbaine, le changement de la population occupante, les conditions
politiques…).

110
Liste des Sources

Sources imprimées : récits de voyages

- Alphonse Daudet, Lettres de mon Moulin, Paris, Charpentier, 1887


- Alphonse Daudet, Contes du Lundi, Paris, Charpentier et Fasquelle, 1892.
- Eugène Fromentin, Une année dans le Sahel, Un été dans le Sahara, Paris, Alphonse
Lemerre, 1874.
- Théophile Gautier, Loin de Paris, Paris, Michel Levy, 1865.
- Edmond et Jules de Goncourt, Alger, Notes au Crayon, dans pages retrouvées, Paris,
Charpentier, 1886.
- Xavier Marmier, Lettres sur l’Algérie, Paris, Arthus Bertrand, 1847.
- Charles Nodier, Journal de l’expédition des portes de Fer, Paris, Imprimerie Royale, 1844.
- Ida Saint-Elme, Mémoires d'une Contemporaine : La Contemporaine en Egypte : Pour
faire suite aux souvenir d'une femme, sur les principaux personnages de la République
du, Consulat, de l’Empire et de la Restauration, Paris, Ladvocat Librairie, 1831.

Roman

- Alphonse Daudet, Tartarin de Tarascon, Paris, C. Marpon, E. Flammarion, 1889.

Publications de journal

- Ismayl Urbain, Le Temps, 5 Juin 1837.


- Ismayl Urbain, Le Temps, 21 Juin 1837.

111
Bibliographie

Sur l’urbanisme et l’architecture d’Alger

Ouvrages

- Boussad Aiche, Juliette Hueber, Theirry Lochard, Claudine Platon “Alger, Ville &
Architecture 1830-1940”, Ed Barzakh, Ed Honoré Clair, 2016.
- Picard Aleth. Architecture et urbanisme en Algérie. D'une rive à l'autre (1830-1962). In:
Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n°73-74, 1994. Figures de
l'orientalisme en architecture.
- Raymond André. Le centre d'Alger en 1830... In : Revue de l'Occident musulman et de
la Méditerranée, n°31, 1981.
- François Béguin Arabisances : Décor architectural et tracé urbain en Afrique du Nord,
Paris, Dunod, 1983.
- Charles Frédéric Chassériau, Etude pour l’avant-projet d’une cité Napoléon Ville à établir
sur la plage de Mustapha à Alger, Alger, Imprimerie Typographique de Dubos frères,
librairies, 1858.
- Zeynep Celik, « Urban forms and colonial confrontations”, California, University of
California Press, 1997.
- Jean-Louis Cohen, Nabila Oulebsir, Youcef Kanoun « Alger Paysage urbain et
architectures 1800-2000 » Paris, édition L’imprimeur, 2003.
- E. Pellissier de Reymond “Annales Algériennes”, Paris, J-Dumaines, Librairie-Editeur de
l’empreur, Octobre 1854.
- Albert Devoulx, Les édifices religieux de l’ancien Alger, Alger, Bastide, 1870.

- Nabila Oulebsir, Les Usages du patrimoine. Monuments, musées et politique coloniale


en Algérie (1830-1930), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004.
- Nabila Oulebsir, Mercedes Volait. L’Orientalisme architectural entre imaginaires et
savoirs. Paris, Publications de l’Institut national d’histoire de l’art, 2009.
- André Roussard, Dictionnaire des peintres à Montmartre - Peintres, sculpteurs, graveurs,
dessinateurs, illustrateurs, plasticiens aux 19e et 20e siècles, Paris, ed André Roussard
1999.

112
Thèses

- Samir Nedjari, Conversion des lieux de culte à Alger du XVIIIème au XXème siècle – Cas
de la mosquée/cathédrale Ketchaoua –, Paris, Univérsité Paris I Pantheon-Sorbonne,
2012.
- Rachid Ouahés, « Le Forum et l’Informe. Projet et régulation publique à Alger, 1830-
1860 », Paris, Université de Paris VIII, 2008.

Sur la politique coloniale


Ouvrages
- Enders Armelle. Antoine Picon, Les saint- simoniens . Raison, imaginaire et utopie. In:
Histoire, économie et société, 2004, 23ᵉ année, n°3.
- Bertrand Clauzel, Observations du Général Clauzel sur quelques actes de son
commandement à Alger, Paris, Imprimerie de Henry Dupuy, 1831.
- Alexis de Tocqueville « Sur L’Algérie », Paris, Réédité par Seloua Luste Boulbina, Edition
Flammarion, 2003.
- Michel Foucault, « Il faut défendre la société Cours au Collège de France.1976, Hautes
études EHESS Galimard Seuil, 1979.
- Affaf Lutfi Al-Sayyid Masrot L’expédition d’Egypte et le débat sur la modernité
Egypte/Monde arabe, 1999 (n°1)
- Françoise Mélonio, Lise Queffélec Tocqueville Œuvres, Paris, Gallimard, 1986.
- RøGE Pernille, dans « L'économie politique en France et les origines intellectuelles de
« La Mission Civilisatrice » en Afrique », Dix-huitième siècle, paru en 2012
- P. Raynal, L’expédition d’Alger 1830. Lettres d’un témoin, Paris, Société d’Éditions
Géographiques, Maritimes et Coloniales, 1930, p. 98 (lettre du 9 juill. 1830.
- Pierre Vermeren, « Chapitre VII. Royaume arabe et communautarisation religieuse sous
Napoléon III », dans : La France en terre d'islam. Empire colonial et religions, XIXe-
XXe siècles, sous la direction de VERMEREN Pierre. Paris, Belin, « Collection Histoire »,
2016.

113
Article

- Mohammed Rahmoun, « L'apport saint-simonien dans l'établissement colonial en


Algérie », e-Phaïstos [En ligne], V-1 2016 | 2018, mis en ligne le 18 janvier 2018, consulté
le 21 mai 2022.

Sur le voyage en Algérie

- Henri Klein Les Feuillet d’El-DjezaÏr, volume 1, le comité du vieil Alger, 1910.
- Franck Laurent « Le voyage en Algérie anthologie des voyageurs français dans l'Algérie
coloniale », Paris, Bouquins, 2008.
- Collectif, L'Algérie de Gustave Guillaumet, 1840-1887, éditions Gourcuff Gradenigo,
2018.

Thèses

- Slimane Ait Sidhoum « Les récits de voyage en Algérie dans la presse illustrée et les
revues du XIXe siècle ou l’invention d’un orient de proximité » Montpellier, Université
Paul Valery III.
- Sihem Bella Le voyage en Algérie dans les guides touristiques français 1830-1962, Paris,
Institut d’études politiques de Paris, 2016.
- Phillipe Lucas et Jean-Claude Vatin « L’Algérie des Anthropologues », Paris, Maspero,
1975.

Articles

- Naima Merdji, « Le récit de voyage : quête et découverte dans Autoportrait avec


grenade et dieu, Allah, moi et les autres de Salim Bachi », Multilinguales [En ligne], 8 |
2017, mis en ligne le 01 juin 2017.
- Temime Emile. La migration européenne en Algérie au XIXe siècle : migration
organisée ou migration tolérée.. In: Revue de l'Occident musulman et de la
Méditerranée, n°43, 1987. Monde arabe: migrations et identités.

114
Sur la biographie des voyageurs

Sur Ida Saint-Elme


Ouvrages
- M. L. De Sevelinges La Contemporaine en miniature ou abrégé de ses mémoires, Paris,
1828.

- Henri Lachize, Une Amazone sous le premier Empire. Vie d'Ida St-Elme, Charles
Carrington éditeur, 13 faubourg Montmartre, Paris, 1902

Article

- Steinberg Sylvie. Ida Saint-Elme, Souvenirs d'une courtisane de la Grande Armée, texte
présenté par Jacques Jourquin. In: Annales historiques de la Révolution française,
n°344, 2006

Sur Ismayl Urbain


Ouvrage
- Philippe Régnier, ISMAYL URBAIN Voyage d'Orient suivi de "Poèmes de Ménilmontant
d'Egypte", Paris, Ed Notes et postfaces, 1933.

Sur Théophile Gautier


Ouvrages
- Denise Brahimi, Voyage en Algérie, Paris, Ed La boîte à documents, 2017.
- Madeleine Cottin, Voyage pittoresque en Algérie (1845), Genève-Paris, Droz, 1973.

Article

- Alain Guyot. « L’art de voyager de Théophile Gautier ». Viatica, 2016.

Sur la méthodologie
Ouvrages
- Wolfgang Iser « L’acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique » Tr. Fr 1985.
- Hans Robert Jauss « Pour une esthétique de la réception » Tr. Fr 1978.

115
- Richard Klein « Cahiers thématiques N°2 La réception de l’Architecture », Lille, Ecole
d’Architecture de Lille et des régions-Nord 2, 2002.
- Sulzer « Nouvelle théories des plaisirs » 1767.

Sur l’histoire de l’Algérie


Article :
- Abla Gheziel, « Captifs et captivité dans la régence d’Alger (XVIIe- début XIXe siècle) »,
Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 87 | 2013, mis en ligne le 15 juin 2014.

Sur l’Orientalisme
Ouvrage :

- Edward Saïd, L’Orientalisme : l’Orient crée par l’Occident, Paris, Seuil, 1980.
- Michel Echelard, Histoire de la littérature française XIXe siècle, ed Hatier, Paris, 1984.

116
Webographie

Sur l’Orientalisme
Rabâa Abdelkéfi : « La représentation de l'Occident dans L’Orientalisme d'Edward Saïd : théorie
ou discours idéologique ? » disponible sur : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=2700

Sur la politique coloniale


« L’Algérie d’Abdel Kader, ou la découverte d’un autre Orient par les Saint-simoniens » exposé
fait à Toulon, le 8 janvier 2005, dans le cadre de l’exposition « Abd el-Kader à Toulon, héros des
deux rives ». Publié le 17 Janvier 2005 sur https://histoirecoloniale.net/les-Saints-simoniens-
en-Algerie.html

Daniel Rivet, « Le rêve arabe de Napoléon III, mensuel 140 » , daté janvier 1991 et disponible
en ligne sur https://www.lhistoire.fr/le-r%C3%AAve-arabe-de-napol%C3%A9on-iii-0

Sur l’histoire de l’Algérie


« 1546 à 1830 L'Algérie à la veille de la conquête française » disponible sur le site herodote.net
Le média de l’histoire
https://www.herodote.net/L_Algerie_a_la_veille_de_la_conquete_francaise-synthese-6.php

Sur la biographie des voyageurs

Sur Ismayl Urbain

Roland Laffitte, Naïma Lefkir-Laffitte L’Orient d’Ismaÿl Urbain, d’Égypte en Algérie, 2 vol., Paris
: Geuthner, 2019, disponible en ligne sur
https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=https%3A%2F%2Fhistoirecoloniale.net%2
FLe-parcours-singulier-d-Ismayl-Urbain-par-Roland-Laffitte-et-Naima
Lefkir.html#federation=archive.wikiwix.com&tab=url

117
Médiagraphie

L’invention de la méditerranée au XIXe siècle, animée par Henry Laurens (aussi auteur de
Orientales, Paris CNRS éditions). Lien de la vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=GuX3wl_JzrA&t=1336s durée 1h38m51.

118
Annexes

Liste des voyageurs et des récits de voyages : Source, Description et Contexte

Le voyageur Le récit Année du Références complètes Contexte et description


voyage
Ida Saint-Elme Mémoires d'une 1830 Ida Saint-Elme, Ecrivaine néerlandaise, de
Contemporaine : La Mémoires d'une nationalité française.
Contemporaine en Contemporaine : La Appelée La contemporaine,
Egypte : Pour faire Contemporaine en elle fait son voyage Egyptien
suite aux souvenir Egypte : Pour faire suite quelques mois avant le
d'une femme, sur aux souvenir d'une voyage Algérois. Grande
les principaux femme, sur les connaisseuse de l’Orient,
personnages de la principaux personnages son récit compare l’Orient
République du, de la République du, Egyptien et “l’Orient” qu’elle
Consulat, de Consulat, de l’Empire et découvre à Alger.
l’Empire et de la de la Restauration, Paris,
Restauration » Ladvocat Librairie, 1831
Ismayl Urbain 1837 Le temps, 5 Juin 1837 Un journaliste français, qui
devient algérien. Ismayl
Urbain était un voyageur
passionné de l’Orient, il a
fait pendant des années de
longs séjours un peu partout
dans la péninsule arabe et
en Egypte. En 1837, il
confronte Alger, un peu
comme Ida Saint-Elme, sa
connaissance préalable de
l’Orient a fait qu’il compare
en décrivant, quoi qu’il ne
s’attendît pas, selon lui, à ce

119
que Alger soit si différent
des autres villes dites
Orientales.
Charles Nodier Journal de 1839/1844 Charles Nodier, Journal Charles Nodier, était un
l’expédition des de l’expédition des écrivain romantique, son
portes de Fer portes de Fer, Paris, récit sur Alger, fait partie de
Imprimerie Royale, son mouvement
1844. romanesque. En effet, il le
rédige pour le Duc
d’Orléans, qui avait effectué
son voyage à Alger en 1839,
et qui avait confié à Nodier
la rédaction de ses
impressions. Nodier, avec
son romantisme avait décrit
tous les détails de la ville
d’Alger, et avait représenté
plusieurs tableaux, sans qu’il
ne visite, ni qu’il ne voie ce
qu’il décrivait. Le récit a été
publié en 1844, 5 ans après
le voyage du duc, et
quelques semaines avant la
mort de Nodier dans la
même année.
Théophile Gautier « Loin de Paris » 1844 Théophile Gautier, Loin Théophile Gautier, poète
de Paris, Paris, Michel romanesque, mais qui,
Levy, 1865 contrairement à Nodier,
avait effectivement fait son
voyage Algérois, à l’issue
duquel, il rédige ses notes.

120
La particularité de Gautier,
est qu’il a essayé de ses
propres moyens de faire
cette découverte, la
détermination de découvrir
a fait qu’il confrontait pour
la première fois, tout ce qu’il
décrivait. Par contre, par
manque de moyens, il n’a pu
publier son récit qu’en 1865,
il se contentait avant ça, de
publier des notes dans la
“Revue de Paris” entre 1852
et 1853.
Xavier Marmier Lettres sur l’Algérie 1846/1847 Xavier Marmier, Lettres Connu pour ses voyages,
sur l’Algérie, Paris, Marmier est un homme de
Arthus Bertrand, 1847 lettres français et traducteur
reconnu. Son récit est un
texte littéraire, qu’il publie
après son voyage en Algérie,
accompagnant le ministre
Salvandy. Son récit est
célèbre pour la sincérité de
ses impressions et ses
remarques critiques, mais
loin de toute politique
coloniale. Déjà voyageur,
Marmier avait visité l’Orient
juste une année avant son
voyage Algérien, mais on ne
souligne aucune

121
comparaison, le récit est
tellement spontané.
Jules et Edmond Alger, Notes au 1849 Alger, Notes au Crayon, Les jeunes de Goncourt, très
de Goncourt Crayon, dans pages dans pages retrouvées, célèbres pour leurs “Notes
retrouvées. Paris, Charpentier, 1886. au crayon” publié en 1849
dans la section “Pages
retrouvées” de leurs
“Œuvres complètes”. Les
frères constituaient par ce
voyage, leur première
expérience dans le monde
de la littérature. Déjà
peintres, ils décrivent au
crayon sans ennuie chaque
détail de la ville d’Alger, sans
les français.
Tout comme Marmier, les
Goncourt, excluaient tout
rapport à la politique, toute
anecdote ou jugement, le
récit, est tout à fait
descriptif, les impressions
sont honnêtes et la
réception est directe.

Le récit des frères était


réellement fait au crayon,
les notes ont été regroupées
dans le présent récit qui
date de 1886, mais le voyage

122
et les notes remontent à l’an
1849.
Eugène Fromentin Une année dans le 1852 Une année dans le Sahel, Peintre dit “spécialiste de la
Sahel, Un été dans Un été dans le Sahara, couleur Algérienne”,
le Sahara Paris, Alphonse Fromentin a commencé son
Lemerre, 1874. expérience par un bref
séjour en 1846 après lequel,
il décide de retourner en
Algérie l’année suivante et y
rester presque une année.
Auteur de plusieurs
tableaux, il dit qu’il avait
forgé son talent plus en
Algérie que dans son atelier
de formation. Ayant visité le
sud et plusieurs villes du
Nord (Sahel), il publie à cette
issue deux volumes “Un été
dans le Sahara” en 1857
après être paru dans la
“Revue de Paris” en 1854,
puis le deuxième “Une
année dans le Sahel” en
1859 après être paru dans
L’artiste en 1857 et dans la
revue des Deux Mondes en
1858.Il revient quatre ans
plus tard, en 1852 et reste
encore une année, cette fois
à Mustapha (Nouvelle ville
algéroise, européenne). Il

123
confie à son ami du Mesnil,
de regrouper dans un seul et
même volume, ses récits, et
qui s’appellera “Un été dans
le Sahara et une année dans
le Sahel” publié en 1874
Alphonse Daudet Lettres de mon 1861 Lettres de mon Moulin, Ecrivain, qui a beaucoup
Moulin, Paris, Charpentier, 1887 travaillé pour devenir
Contes du Lundi Contes du Lundi, Paris, célèbre. En 1861, alors qu’il
Charpentier et n’avait que 21 ans. Il décide
Fasquelle, 1892. de découvrir l’Algérie avec
son cousin. Il débarque à
Alger mais à sa particularité,
il arpente de nouvelles
terres, peu connues, ou tout
à fait inconnues :
Orléansville et Miliana à
200km d’Alger. Daudet était
réaliste, il n’était guère dans
le romantisme, et il
représentait très
honnêtement l’image du
lieu. Sa démarche de
découverte de nouvelles
villes, se fait simultanément
à la démarche que nous
avons marqué plus haut : la
recherche du trait arabe
dans des villes ailleurs
qu’Alger, qui à ce moment,
devient banale, et Daudet

124
l’exprime bien.
L’Algérie changeait, et les
villes connues se
francisaient, ce que Daudet
écrivait n’a été publié que
longtemps plus tard, vers la
fin du siècle.

Ses impressions de voyages


ont été publiées dans
plusieurs pistes, sans
constituer de livre, il a par
contre écrit un roman qui
s’appelait Tartarin de
Tarascon dont l’influence de
l’Algérie fu remarquable.

125
Le récit du récit : annexes illustrations

Fig 01 : Les galeries du palais du gouverneur par Charles Nodier dans Journal de l’expédition des Portes de
fer, 1844. P, 50.

126 de
Fig 02 : à l’intérieur du palais du gouverneur par Charles Nodier dans Journal de l’expédition des Portes
fer, 1844. P, 52.
Fig 03 : Au jardin du palais du gouverneur par Charles Nodier dans Journal de l’expédition des Portes de
fer, 1844. P, 65.

Fig 04 : Aux alentours d’Alger par Charles Nodier dans Journal de l’expédition des Portes de fer, 1844. P, 70.

127

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