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INTRODUCTION .......................................................................................................................... 4
La Propagande .................................................................................................................. 40
Saint-Remi de Reims............................................................................................................. 50
CONCLUSION ............................................................................................................................ 80
1
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
ANNEXES................................................................................................................................... 82
2
3
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
INTRODUCTION
Mon thème de recherche principal porte sur les relations entre théorie et pratique de la
restauration du patrimoine monumental. J’ai ainsi étudié la restauration d’un hôtel
particulier du XVIe siècle sur la place des Vosges, dont les travaux commencés en 1965 n’ont
jamais été terminé, et qui est à l’abandon aujourd’hui. De même, mon mémoire de Master,
qui m’a permis d’obtenir la mention recherche, analysait la restauration du théâtre antique
de Marcellus à Rome, où tout le quartier médiéval adossé ou entourant l’édifice a été
détruit, au regard des théories énoncées, à la même période, à la Conférence d’Athènes sur
la Conservation des Monuments d’Art et d’Histoire en 1931.
Peu d’auteurs ont travaillé dans ce domaine en France, les ouvrages les plus visibles sont
ceux de Françoise Choay 1 mais ils s’articulent peu avec les pratiques. Il me semble pourtant
nécessaire, avant de commencer des travaux dans un édifice existant, de connaître les
réflexions théoriques et philosophiques qu’ils impliquent, ainsi que des exemples variés de
projets déjà réalisés. L’étude des théories et de leurs applications ou des arrangements que
suppose le passage à la pratique, n’existe pratiquement pas en France. Pourtant le domaine
de la restauration s’est ouvert ces dernières années et s’est élargi sur de plus en plus
d’objets, impliquant un nombre toujours accru de professionnels. Après une année d’étude
de ces problématiques en Italie, j’ai été surprise d’apprendre que l’enseignement des
théories et de l’histoire de la restauration patrimoniale était quasiment inexistant en France.
Pour ma thèse, j’ai choisi de recentrer mon thème sur la France. La période de la Conférence
d’Athènes me semble particulièrement importante. En effet, après les grands débats
idéologiques du XIXe siècle, le début du XXe est une période de synthèse, et les conclusions
de la conférence sont annonciatrices de la Charte de Venise, écrite trente ans et une guerre
mondiale plus tard.
1 ere
Françoise CHOAY, L'allégorie du patrimoine, Paris, éd. Seuil, 1999, 1 édition 1992 et le patrimoine en
questions, Paris, Seuil, 2009.
4
Sur les conseils de Pierre Pinon, je me suis intéressée, cette année, lors de mon DPEA, au
personnage de Paul Léon. J’ai obtenu, sur ce sujet, une allocation de recherche du Ministère
de la Culture et de la Communication.
5
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Patricia Meehan 2 et Arlette Auduc3 ont évoqué dans leurs travaux le rôle de Paul Léon aux
Beaux-Arts. La thèse de Patricia Meehan sur l’administration des Bâtiments Civils de 1930 à
1946, me permet de connaître ce service juste après sa direction par Paul Léon.
Arlette Auduc a écrit sur l’administration des Monuments Historiques, sujet plus proche du
mien. Mais ses études portent principalement sur les problématiques législatives,
administratives et financières. Ses travaux, sur des sujets que je suis moins à même
d’appréhender me servent de base pour éclairer les réflexions doctrinales et les pratiques du
service des Monuments Historiques.
Jeanne Laurent a consacré à Paul Léon un chapitre très critique sur son action aux Beaux-
Arts dans son ouvrage Arts et pouvoirs en France de 1793 à 1981 : histoire d’une démission
artistique 4. Le livre est à charge contre l’administration publique des Beaux-Arts, soumis,
selon elle, à l’Académie des Beaux-Arts, et responsable de deux siècles de piètre production
artistique. Elle émet un jugement moral sur Paul Léon à partir de quelques faits, ce qui est,
me semble-t-il, expéditif. Elle parle surtout de son rôle sur la gestion des arts plastiques en
tant que directeur des Beaux-Arts, sujet qui restera mineur dans mon étude. Il est tout de
même intéressant d’avoir un avis clairement négatif sur le personnage que l’on étudie. Je
reviendrai plus précisément, dans la biographie de Paul Léon sur les maux qu’elle lui impute.
Françoise Bercé 5 a écrit une biographie de Paul Léon, dans un ouvrage collectif sur l’histoire
des politiques du patrimoine, dans laquelle elle revient sur les critiques de Jeanne Laurent,
dont elle démonte en partie les arguments. Elle prend pour base, comme ceux qui ont écrit
des biographies de Paul Léon lors de son décès en 1962, son autobiographie, Du Palais-Royal
au Palais-Bourbon, souvenirs 6, rédigé pendant sa retraite forcée lors de la seconde guerre
2
Patricia MEEHAN, de la défense des Bâtiments Civils : le renouveau d’une politique architecturale 1930-1946,
thèse sous la direction de Jean-Louis Cohen, Paris, Université Paris VIII, 2010.
3
Arlette AUDUC, Quand les monuments construisaient la nation, le service des monuments historiques de 1830
à 1940, Paris, la Documentation française, 2008.
Arlette AUDUC, « Paul Léon, le service des Monuments historiques et la reconstruction, enjeux et cadre
institutionnel », in Living with History, 1914-1964 : Rebuilding Europe after the first and second World Wars,
and the Role of Heritage preservation, sous la direction de Nicholas Bullock et Luc Verpoes, Leuven, Leuven
University Press, 2011.
4
Jeanne LAURENT, Un règne académique à l’administration des Beaux-Arts (1919-1933), in « Arts et pouvoirs
en France de 1793 à 1981 : histoire d’une démission artistique », Saint-Etienne, CIEREC, 1982.
5
Françoise BERCE, « L’œuvre de Paul Léon (1874-1962) » in Pour une histoire des politiques du patrimoine, sous
la direction de P. Poirrier et L. Vadelorge, Paris, Comité d’histoire du ministère de la culture, 2003, p. 227-251
6
Paul LEON, Du palais Royal au palais Bourbon, souvenirs, Paris, A. Michel, 1947.
6
mondiale. Elle recontextualise, précise et date des évènements sur lesquels il restait parfois
un peu flou.
Paul Léon, malgré son importance dans l’histoire des Beaux-Arts de la première moitié du
XXe siècle, n’a été étudié spécifiquement que dans l’article de Françoise Bercé en 2003.
Les politiques du patrimoine sous Paul Léon ont été marquées par de nombreuses lois et
évènements.
7
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Ce que l’on peut attribuer à Paul Léon de la manière la plus sûre sont ses écrits sur les
doctrines de conservation des Monuments Historiques.
Tout d’abord, la rédaction de ses deux livres d’historiographie du service des Monuments
Historiques (Les monuments historiques, conservation, restauration, et La vie des
monuments français, destruction, restauration 7), le second étant une reprise augmenté du
premier, 34 ans plus tard et après deux guerres destructrices pour la France.
De plus, ses discours explicitent l’évolution des doctrines à partir de nombreux exemples
contemporains, qu’il a pu suivre au long de sa carrière, principalement : sa communication
lue aux Cinq Académies en 1922 La restauration des monuments après la guerre 8, son
discours lors de la conférence européenne d’Athènes de 1931 La restauration des
monuments en France 9, son cours inaugural au Collège de France en 1933 10 et Les principes
de la conservation des monuments historiques, évolution des doctrines à l’occasion du
congrès archéologique de France de 1934 11.
Enfin, ses cours au Collège de France, dont la base de travail de ses conférences se trouvent
en grande partie dans ses archives à la Médiathèque d’Architecture et du Patrimoine, où il
raconte certaines restaurations emblématiques de l’après-guerre.
Il a de plus écrit de nombreux articles et ouvrages sur les actions menées par ses services,
sur l’histoire de l’art en plus des biographies de Mérimée, du baron Taylor…
7
Paul LEON, Les monuments historiques, conservation, restauration, Paris, H. Laurens, 1917.
Paul LEON, La vie des monuments français, destruction restauration, Paris, A. et J. Picard, 1951.
8
Paul LEON, La restauration des monuments après la guerre, communication lue dans la séance annuelle des 5
académies, le 25 octobre 1922
9
Paul LEON, La restauration des monuments en France, in « La conservation des monuments d’art et
d’histoire », Paris, Institut de Coopération intellectuelle, 1933.
10
Paul LEON, L’histoire de l’art monumental au Collège de France, la conservation des monuments en France,
leçon d’ouverture du 5 mai 1933, Paris, Fasquelle Editeurs, 1933.
11
Paul LEON, Les principes de la conservation des monuments historiques, évolution des doctrines, dans
e
« Congrès archéologique de France », 97 session, Paris 1934, t. I, p. 16-52
8
justifier les pratiques de ses services qui ont eu à avaliser les pratiques de la préservation, de
la reconstruction d’après-guerre et de la restauration monumentale.
Sur les actions du service d’architecture, il conviendra d’étudier les évènements importants :
La loi de 1913 sur les Monuments Historiques est encore en partie valable aujourd’hui. D’où
viennent les réflexions qui ont guidé son écriture, quels changements a-t-elle apportés à la
sauvegarde du patrimoine français ?
Après les grands débats sur les théories de la restauration du XIXe siècle, quelle doctrine
officielle est retransmise à travers Paul Léon pour la France de la première moitié du XXe
siècle ? La pratique de la conservation et restauration du patrimoine français du début du
XXe siècle correspond-elle au discours doctrinal ?
En effet, on imagine que les théories vont influencer, guider les pratiques. Mais, lorsque les
discours doctrinaux sont écrits après les travaux, ne deviennent-ils pas des justifications
imaginées à posteriori ? Les discours très neutres et de bon sens de Paul Léon donnent une
impression lisse, sans autre possibilité de réalisation, alors que, prônant la stricte
conservation, les choix effectués (reconstruction intégrale de toitures et de voûtes détruites,
usage du béton armé…) sont extrêmement forts et invasifs.
9
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Il devient alors important d’étudier les travaux effectués, mais aussi les rapports, débats
internes… qui ont conduit ces projets, ainsi que les discours doctrinaires énoncés avant et
après les réalisations.
Pour ce mémoire de DPEA, j’ai choisi de réaliser une étude préliminaire de la biographie de
Paul Léon : étudier son parcours, son rapport au politique, afin de comprendre l’importance
de la sauvegarde de l’art monumental dans son œuvre.
De plus, j’ai décidé de faire une étude préliminaire de la restauration de l’église Saint-Remi
de Reims, détruite partiellement pendant la guerre de 1914-1918, que Paul Léon utilise
régulièrement comme exemple type d’intervention.
10
11
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Paul Léon est né en 1874, 4e enfant sur 5 d’une famille de juifs français peu pratiquante qui
vit dans le quartier du Sentier à Paris. En 1883 en raison des problèmes de santé de son
père, ils déménagent à Epinal, où sa mère ouvre alors un magasin de nouveautés. Le père
décède en 1886. La famille connaît des difficultés financières, il est alors souhaitable que les
enfants soient autonome rapidement.
Paul Léon est envoyé en classe préparatoire au lycée Condorcet à Paris chez des amis de la
famille. Il est reçu à l’Ecole Normale Supérieure en 1894, fait son service militaire puis entre
à l’Ecole.
A l’ENS, il fonde, avec ses camarades, des « universités populaires », afin de former le peuple
à l’esprit critique, à la lecture d’un journal, en plus d’enseignement scientifiques, historique
et littéraires, en pleine affaire Dreyfus. Il profite de ses connaissances dans la haute société
israélite pour obtenir des aides financières.
Arrivé à l’Ecole Normale pour faire de l’histoire, il se tourne en fait vers la géographie.
Après un échec à l’agrégation en 1897, il est reçu en 1898 à la 4e place et obtient une bourse
de voyage d’un an. Il part alors étudier la géographie à Berlin où il fréquente les milieux
socialistes. Il suit le semestre d’été à Vienne et visite, avec d’autres étudiants, la Bosnie et
l’Herzégovine.
12
Par l’entremise de Lucien Herr, bibliothécaire de l’Ecole Normale, il est appelé par le ministre
des travaux publics Pierre Baudin, comme chargé d’études sur la navigation en Allemagne et
les transports français. Paul Léon raconte son « entretien d’embauche » dans ses souvenirs :
« Vous êtes socialiste. - Herr s’était fort avancé, mais tous les jeunes normaliens
étaient alors censés l’être – Vous n’aurez aucune attache avec la politique et vous
recevrez un traitement mensuel de trois cents francs. »
[…] « Je vous choisis, me dit-il, précisément parce que vous n’êtes pas ingénieur.
J’en ai beaucoup, j’en ai trop. Je veux quelqu’un d’esprit libre, dégagé de la
technique, sachant exposer un problème aux ignorants, dans une langue
claire.» 12
L’expérience, terminée rapidement en juin 1902, lui permet de publier une partie de ses
travaux (Fleuves, Canaux, chemins de fer, Paris, Armand Colin, 1903), et de faire du
journalisme auprès de Pierre Baudin dans le Journal des Letellier. Il écrit quelques articles
pour les Annales de Géographie. Grâce au recteur Liard il obtient un poste d’enseignement
complet. Il entreprend en parallèle une thèse sur la navigation intérieure en France.
En 1905, le nouveau président du Conseil Maurice Rouvier fait entrer de jeunes radicaux au
gouvernement. Ainsi, Joseph Ruau, ami de la famille de Paul Léon, se retrouve ministre de
l’agriculture. Il conseille alors au nouveau sous-secrétaire d’état des Beaux-Arts, Henri-
Charles-Etienne Dujardin-Beaumetz, qui cherche un bon administrateur comme chef de
cabinet, les services de Paul Léon.
Paul Léon accepte ce poste censé durer quelques mois. Mais, malgré les changements de
gouvernement, Dujardin-Beaumetz reste en poste jusqu’en 1912. Entre temps, dès 1907, un
projet de réforme du service des Beaux-Arts, proposé par Paul Léon, est mis en œuvre. Le
12
Paul Léon, Du palais Royal au palais Bourbon, souvenirs, Paris, A. Michel, 1947, p.75
13
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
sous-secrétariat est divisé en deux divisions distinctes, d’un côté les arts plastiques,
dramatiques, lyriques, de l’autre l’architecture (bâtiments civils, monuments historiques…).
Paul Léon est nommé chef de la division Architecture. A présent titulaire d’un poste
administratif, il n’est plus tributaires des changements de gouvernement.
« Mon projet fut adopté, créant deux services distincts. Je fus nommé pour diriger
celui de l’Architecture. J’étais chef de division, titre de vieil employé, placé sur une
jeune tête. Je l’ai conservé douze ans. Désormais je pouvais survivre aux
ministres, hôtes de passages.
Le besoin de sécurité et d’autonomie financière marque sa jeunesse, c’est pour cela qu’il
avait été décidé qu’il ferait l’Ecole Normale Supérieure, puis qu’il a cherché à pérenniser son
emploi aux Beaux-Arts.
Ce n’est qu’en 1906, à l’âge de 32 ans, qu’il se marie. Il a pour témoins Joseph Ruau et
Dujardin-Beaumetz, Eugène Weill (préfet) et Auguste Michel-Lévy (membre de l’Institut,
professeur au Collège de France). L’organiste à la synagogue de la Victoire est Gabriel Fauré.
Ce sont les rares détails dont il fait part au lecteur dans son autobiographie, très pudique sur
sa vie de famille, il ne nomme pas sa femme et ne parlera de son fils qu’à l’époque de la 2nde
guerre mondiale, sans un mot sur les autres, ni sur les décès prématuré de sa femme et de
sa fille en 1926 et 1927 14.
13
Paul LEON, Du palais Royal au palais Bourbon, souvenirs, Paris, A. Michel, 1947, p. 124
14
D’après les informations recueillies auprès de sa belle-fille par Françoise Bercé pour « L’œuvre de Paul Léon
(1874-1962) » in Pour une histoire des politiques du patrimoine, sous la direction de P. Poirrier et L. Vadelorge,
Paris, Comité d’histoire du ministère de la culture, 2003, p. 227-251
14
Suite au vol de la Joconde en 1911, Dujardin-Beaumetz ne participera pas au nouveau
gouvernement Poincaré de 1912. Paul Léon ayant participé à l’enquête interne, refuse, sous
le prétexte de sa jeunesse, le poste de directeur du Louvre.
Durant la guerre il est chargé de protéger les œuvres. Tous les mobiliers sont mis dans des
dépôts gardés et loin de la ligne de feu. De nombreux monuments sont protégés par des
sacs de sable.
C’est pendant la guerre que l’action de Paul Léon devient la plus visible, outre la protection
des monuments entre 1914 et 1918, la reconstruction commence à être organisée. Comme il
le dit dans ses souvenirs,
Pendant la guerre, le sous-secrétariat aux Beaux-Arts est supprimé. En 1905, il avait été créé
pour Dujardin-Beaumetz et la direction des Beaux-Arts avait alors disparue. Après la victoire,
il est décidé de recréer le poste de directeur des Beaux-Arts.
15
Paul LEON, Du palais Royal au palais Bourbon, souvenirs, Paris, A. Michel, 1947, p. 235
16
LEON Paul, La renaissance des ruines, maisons, monuments, Paris, H. Laurens, 1918
15
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Paul Léon est le chef d’une des deux divisions du service des Beaux-Arts depuis 1907, M.
Lafferre et Gustave Geffroy plaident en sa faveur auprès de Clemenceau lorsque la direction
est créée en 1919. Paul Léon devient directeur des Beaux-Arts.
Dès 1907, où il gère la division d’Architecture, son intérêt se porte bien plus sur le service
des Monuments Historiques que sur celui des Bâtiments Civils, fief d’anciens prix de Rome et
futurs académiciens. Dans sa biographie il parle des Bâtiments Civils comme d’un fief
intouchable.
« Les architectes des Bâtiments Civils étaient d’anciens élèves de l’École des
Beaux-Arts, prix de Rome, candidats à l’Institut. […] Merveilleux dessinateurs,
habiles à composer de grands ensembles ils étaient le plus souvent dénués de
connaissances pratiques, laissant aux ingénieurs, aux entrepreneurs, le soin de
réaliser leurs plans, d’en préciser les détails et d’en estimer les prix. Ils
demeuraient étrangers à tous les problèmes nouveaux posés par la diffusion de la
chaleur, de la lumière, aux installations mécaniques requises par la vie
moderne. » 18
Or, il est de son ressort d’organiser les commissions (il y fait entrer des ingénieurs et des
architectes non classiques, mais uniquement de manière temporaire), de réformer
l’enseignement de l’école des Beaux-Arts, de contrer le pouvoir de l’Académie…
17
Paul Léon, Du palais-Royal au palais Bourbon, souvenirs, Paris, Albin-Michel, 1947, p. 207
18
Paul Léon, Du Palais Royal…, opus citatum. p. 132
16
Jeanne Laurent porte un regard très critique sur le rôle de Paul Léon aux Beaux-Arts dans
son ouvrage de 1982 Arts et pouvoirs en France. Elle ne faisait pourtant aucune référence à
Paul Léon dans La République et les Beaux-Arts publié en 1955. En 1982, elle le décrit comme
préoccupé uniquement par son intérêt personnel et par son rêve d’entrer à l’Académie. Ce
serait pour cela qu’il n’aurait rien touché à l’organisation de l’école des Beaux-Arts, ni à
l’importance donnée au prix de Rome ou au rôle des Bâtiments Civils, apportant une
« époque de décadence architecturale en France » 19 .
Elle est particulièrement virulente sur Paul Léon lorsqu’elle parle de la liquidation des biens
allemands séquestrés. En effet, de nombreuses collections de tableaux contemporains, de
périodes postimpressionnistes à cubistes ont été vendus, selon elle à bas prix, après la
première guerre mondiale. Ainsi en 1931 le cubisme n’est pas représenté dans les
collections publiques. Paul Léon aurait sciemment omis de dire, à son ministre de tutelle
Lafferre, que la liquidation des biens séquestrés comprenaient des œuvres d’artistes
français, afin de plaire à l’Académie des Beaux-Arts hostiles à ces mouvements. Selon
Françoise Bercé 20, les œuvres ont été vendues au prix normal du marché, et il revenait aux
musées de faire quelques achats et non au ministère, même si leurs budgets d’acquisition
étaient très restreints.
En résumé, pour Jeanne Laurent, Paul Léon n’a, tout au long de sa carrière, agit qu’en
administratif, laissant toute décision doctrinale à l’Académie. Il ne faut pas oublier que
n’ayant aucune formation artistique spécifique, il avait obtenu ce poste pour ses qualités
d’administrateur, neutre aux débats idéologiques.
« Si le règne de Paul Léon sur les beaux-arts réunis fut de quatorze ans,
l’architecture dépendit de lui pendant 26 ans. Quand il évoque dans ses Souvenirs
quel fut son rôle à cet égard, il parle de « la sauvegarde de la France
monumentale », comme s’il s’agissait seulement d’un rôle de conservation, qui
19
Jeanne Laurent, Arts et pouvoirs en France de 1793 à 1981 : histoire d’une démission artistique, Saint-
Etienne, CIEREC, 1982.
20
Françoise Bercé, « l’œuvre de Paul Léon (1874-1962) » in Pour une histoire des politiques du Patrimoine, sous
la direction de Philippe Poirrier et Loïc Vadelorge, Paris, Comité d’histoire du ministère de la culture, 2003, p.
227-251.
17
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
est celui du service des Monuments historiques ; mais il avait aussi la charge des
bâtiments civils c’est-à-dire du service chargé de construire et d’entretenir des
bâtiments pour les besoins actuels de l’Etat et il ne devait pas perdre de vue les
problèmes de formation des architectes pour la nation tout entière. »21
Elle reconnait par contre que son action à l’égard des monuments historiques fut bénéfique,
à l’époque de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, de la mise en place de la loi du 31
décembre 1913 et de la reconstruction.
Selon Jeanne Laurent, c’est grâce à sa non-intervention dans l’affaire des biens séquestrés,
en 1922, que Paul Léon est élu membre libre à l’Académie des Beaux-Arts.
Le fait qu’un administratif de 48 ans, sans qualification artistique soit pressenti à l’Académie
des Beaux-Arts ne semble pas le gêner, mais serait juste un peu prématuré ! A ses visites il
s’entend clairement dire à quel point son élection est intéressée et le raconte dans son
autobiographie :
« […] auprès du graveur Waltner : « Il faut que vous soyez des nôtres. Le directeur
des Beaux-Arts doit être notre Mécène. Il est juste que l’Institut conserve sa part
de commandes dans le budget de l’Etat »»
21
Jeanne Laurent, opus cit., p. 126
22
Paul Léon, du palais-Royal au palais-Bourbon, souvenirs, opus cit., p. 239
18
« Chez le peintre Dagnan-Bouveret : « Nous élisons le Directeur, mais si vous ne
le restez pas, nous aurons fait un faux calcul » » 23
Pour Jeanne Laurent, si son administration ne change pas c’est qu’elle était déjà clairement
attachée à l’Académie. Et il n’avait point besoin d’être sollicité pour faire preuve de libéralité
envers ses confrères, puisque l’année précédant son élection il fait bénéficier de commandes
publiques les peintres qui lui serviront de parrains…
L’étude de Marie-Claude Genet-Delacroix sur les membres du Conseil Supérieur des Beaux-
Arts explique qu’en réalité cette nomination est traditionnelle : « [Le] poste de directeur [des
Beaux-Arts], antichambre habituelle de l’Académie » 24. D’après ses calculs sur la IIIe
République, 26,3% des fonctionnaires membres du Conseil sont membres de l’Institut. Et
même 38% de ces élus le sont jeunes, soit avant 48 ans. La consécration de Paul Léon serait
donc normale au vu de son poste et de sa longévité (il est membre du Conseil depuis déjà 17
ans lors de son élection).
En plus de son rôle de Directeur des Beaux-Arts, Paul Léon est désigné Commissaire Général
adjoint de l’Exposition des arts décoratifs et industriels modernes de 1925. Le commissaire
général est le sénateur Fernand David, quasi aveugle. Dans ses souvenirs, Paul Léon parle
beaucoup du succès de cette exposition, du rapprochement enfin fait entre Industrie et Art,
de la fin de la soumission de certains arts, nommés mineurs, aux Beaux-Arts. Mais dans cette
longue diatribe, il ne fait pas référence à l’interdiction à Le Corbusier de participer
officiellement à l’exposition 25. Ce dernier élèvera le pavillon de l’Esprit Nouveau en marge du
site. La palissade, construite par le Commissariat général pour le cacher et que Le Corbusier
23
Paul Léon, ibid., p. 240
24
Marie-Claude Genet-Delacroix, Etat et patrimoine sous la IIIe république, de l’amateur au professionnel dans
la gestion du patrimoine national, in « l’esprit des lieux, le patrimoine et la cité » sous la direction de Daniel J.
Grange et Dominique Poulot, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1997, p. 157
25
Cf. Jeanne Laurent, opus cit., p. 127-128
19
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
En 1928, la direction des Beaux-Arts, est transformée en direction générale pour lui, signe de
soutien de Paul Doumer, alors président du Sénat. En effet, son rôle est quelque peu
menacé.
Jusqu’en 1932, les sous-secrétaires sont, en général, étrangers aux problématiques des
Beaux-Arts, et se déchargent pleinement de leurs devoirs sur Paul Léon. En 1932, Anatole de
Monzie redevient ministre de l’Education Nationale et nomme Jean Mistler sous-secrétaire,
jeune, brillant et volontaire comme le décrit Paul Léon. Ce dernier se sent alors en fin de
carrière, ce que d’ailleurs lui notifie rapidement Anatole de Monzie, avec qui il avait déjà eu
des démêlés en 1925. Refusant une ambassade et la présidence de la Commission du
Danube, sur les conseils d’académiciens et de Joseph Bédier, son ancien maître à l’ENS et
administrateur du Collège de France, il demande la création d’une chaire au Collège à la ville
de Paris.
26
Paul Léon, du palais royal…, opus cit., p. 262
20
Fin de carrière et retraite :
Le 1er janvier 1933 il est mis à la retraite de la Direction Générale des Beaux-Arts et devient
titulaire de la nouvelle Chaire d’histoire de l’art monumental au Collège de France.
En plus de son retour à la carrière professorale, Paul Léon reçoit la fonction de Délégué
général à l’Exposition internationale des arts et des techniques dans la vie moderne de 1936
(qui sera ajournée à 1937).
Dès le début de l’année 1940 il fuit à Bordeaux, puis en zone libre, pour se rapprocher du
gouvernement et avoir des nouvelles de son fils, prisonnier de guerre.
Il est touché par les lois raciales en décembre 1940, qui le mettent à la retraite du Collège de
France. Il passe la guerre à Royat en zone libre à écrire ses mémoires, à priori protégé par
Louis Hautecoeur 27. Il n’est réintégré à son poste que le 16 octobre 1944, et cesse ses
fonctions à dater du 2 octobre 1944, jour de ses 70 ans, limite légale de l’âge
d’enseignement au Collège.
A partir de 1945 il est professeur honoraire du Collège de France. Il est aussi directeur
honoraire des Beaux-Arts depuis 1933, ce qui lui permet de continuer à participer aux
réunions de la Commission des Monuments Historiques, au moins jusqu’en 1959 et d’être,
de 1955 à 1959, le président du comité de rédaction de la revue des Monuments Historiques
de la France, qui n’était plus parue depuis 1939. Il est nommé en 1952 président du Conseil
artistique de la Réunion des Musées nationaux, et en 1955 conservateur du Musée de
Chantilly dont il entreprend le catalogue des œuvres.
Il profite de sa retraite forcée à partir de la guerre pour écrire, il publie d’ailleurs jusqu’à sa
mort en 1962 à l’âge de 88 ans à Chantilly d’une longue maladie.
27
Thèse de Patricia Meehan, de la défense des Bâtiments Civils : le renouveau d’une politique architecturale
1930-1946, sous la direction de Jean-Louis Cohen, Paris, Université Paris VIII, 2010.
21
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Le dernier livre de Paul Léon, Mérimée et son temps, qu’il travaille pendant une vingtaine
d’année et publie quelques mois avant sa mort a des airs d’autobiographie. Il termine
d’ailleurs la préface par ces mots :
Marie-Claude Genet-Delacroix, dans son étude sur les membres du Conseil Supérieur des
Beaux-Arts, nous éclaire sur leurs origines et leurs études. Nous apprenons ainsi que Paul
Léon a le profil type de l’administrateur de l’époque. En effet, Marie-Claude Genet-Delacroix
classe Paul Léon dans les « professionnels » de l’administration artistique.
« Nés entre 1856 et 1880, [… ils] constituent un groupe homogène, que leurs
caractères sociologiques permettent de qualifier de nouveaux héritiers. En effet,
ils profitent doublement du système libéral, économique et politique en héritant
d’une fortune familiale qui doit tout à l’industrialisation et à l’urbanisation de la
seconde moitié du XIXe siècle, en contractant d’heureux mariage, et en
bénéficiant de la revalorisation des études supérieures littéraires, consécutive à la
réforme universitaire. Nés en province, dans des villes moyennes, ils ont
cependant tous accompli leurs études supérieures à Paris, […] et ont tous
complété cette formation de base par une formation érudite […]. En outre,
voyages et missions de recherche à l’étranger leur confèrent une culture pratique
plus ouverte aux réalités contemporaines. La guerre de 1914-1918 les précipite
dans l’action et les désigne pour occuper des postes de responsabilité
administrative : sans doute est-ce aux circonstances de leurs débuts qu’ils doivent
la passion du service de l’Etat qui les animera dans toute leur œuvre. Ces
28
Paul LEON, Mérimée et son temps, Paris, Presses Universitaires de France, 1962, p. 3
22
compétences multiples font d’eux des hommes de culture et d’action, modernes,
à même d’innover et de mériter la consécration académique. » 29
Seule la fortune familiale ne correspond pas au portrait personnel de Paul Léon, mais il est
tout de même élevé dans une certaine bourgeoisie et ses connaissances dans la haute
société israélite lui permettent de faire ses études à Paris. Son poste au cabinet ministériel
lui offre la condition financière nécessaire à faire un beau mariage.
Marie-Claude Genet-Delacroix insiste sur la passion du service de l’Etat qui anime ces
hommes, et qui est particulièrement vraie pour Paul Léon, reconnue et admirée par tous.
Jean Verrier la décrit dans son hommage posthume publié dans les Monuments Historiques
de la France:
« Bien peu d’hommes cependant ont consacré soixante ans de leur vie, leur
intelligence et leur travail à l’État et à ses services publics. Mais, parmi les
fonctions que Paul Léon a occupées, celles auxquelles il restait le plus attaché,
dont il parlait le plus volontiers, étaient celles qu’il a tenu pendant trente ans, […]
au secrétariat d’État des Beaux-Arts où il fut successivement chef de la division de
l’architecture, directeur puis directeur général des Beaux-Arts. Dans cette
direction même, sa tendresse allait, et il ne s’en cachait pas, au Service des
Monuments Historiques, dont il sut faire non seulement un service dont la
compétence et l’autorité sont reconnues du monde entier – le Congrès
international des architectes et techniciens des Monuments Historiques, tenu à
Paris en 1957, l’a confirmé – mais aussi une grande famille où chacun s’efforce de
contribuer à l’œuvre commune dans une parfaite entente de tous. » 30
Cet attachement particulier au service des Monuments Historiques, exprimé par ses
collaborateurs comme Jean Verrier, expliqué plus tard par les historiens comme Marie-
29
Marie-Claude Genet-Delacroix, Etat et patrimoine sous la IIIe république, de l’amateur au professionnel dans
la gestion du patrimoine national, in « l’esprit des lieux, le patrimoine et la cité » sous la direction de Daniel J.
Grange et Dominique Poulot, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1997, p. 157-158
30
Jean VERRIER, Paul Léon, in « Les Monuments Historiques de la France », Paris, 1962, n°4 octobre-décembre,
p. 189
23
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Paul Léon n’était donc pas un simple administratif, mais une personnalité importante de la
protection du patrimoine français pendant près de soixante ans, méritant ainsi une étude
dans le cadre d’une thèse d’architecture.
24
25
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Pour les églises, il est prévu que des associations cultuelles soient mises en place « tenues
des réparations de toute nature ainsi que des frais d’assurances et autres charges afférentes
aux édifices et meubles les garnissant » 32. En réalité, les associations prévues ne se
constituent pas, le Vatican étant contre.
La propriété des églises est alors donnée aux communes qui se retrouvent à devoir assumer
financièrement ces édifices. La loi de 1908 leur donne la possibilité de l’entretien, et non
plus l’obligation. De nombreuses communes, surtout à gauche, abandonnent ces édifices
dont elles n’ont pas la jouissance, refusant les fonds proposés par des particuliers. La
répartition des fonds du budget des Cultes ne peut pas suffire à la subvention de toutes les
églises, et aucune caisse spécifique n’est prévue.
La loi de 1905 prévoit que dans les 3 premières années soit formé un inventaire des
mobiliers cultuels à classer. Maurice Barrès, académicien, dénonce 33 très vite ce délai trop
court, et les conséquences qu’il imagine, d’un tel classement : les meubles classés partiront
31
Pour les lois et les décrets, voir l’annexe 1.
32
Loi du 9 décembre 1905, titre III, article 13, voir annexe 1
33
Maurice BARRES, La grande pitié des églises de France, Paris, Emile-Paul Frères, 1914.
26
dans quelques musées parisiens, les autres seront vendus. L’inventaire est rendu difficile par
les protestations, parfois violentes, des croyants. Il est abandonné avant d’être terminé. A
Saint-Remi de Reims une manifestation importante, avec discours du prêtre et la
mobilisation de l’archevêque empêche l’inventaire d’avoir lieu.
Maurice Barrès lance dès 1912 une pétition d’artistes et d’écrivains pour demander une
réelle protection des églises, afin de « sauvegarder la physionomie architecturale, la figure
physique et morale de la terre de France » 34. Il propose ainsi que soit classé Monuments
Historiques l’intégralité des églises antérieures à 1800. Paul Léon se prononcera
favorablement à une telle idée, dans les Monuments Historiques, publiés en 1917, proposant
même d’accroitre l’arc temporel afin de comprendre la Madeleine ou Saint-Vincent-de-
Paul…
Il explique un tant soit peu son combat en faveur des églises de France à la fin de sa vie dans
la préface de son dernier ouvrage, Mérimée et son temps :
La loi de séparation prévoit de pouvoir classer Monuments Historiques tous les édifices du
culte qui « représentent dans leur ensemble ou dans leurs parties une valeur artistique ou
historique » 36 .
34
Chambre des députés, pétition n°456 déposée par M. Maurice Barrès, le 29 février 1912.
35
Paul LEON, Mérimée et son temps, Paris, Presses Universitaires de France, 1962, p. 1
36
Loi du 9 décembre 1905, article 16
27
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
La loi compétente jusqu’alors est celle du 30 mars 1887 qui prescrit le classement de tout
immeuble « dont la conservation peut avoir au point de vue de l’histoire ou de l’art un intérêt
national » 37. Les classements suivaient en général la définition de Viollet-le-Duc :
« s’attacher aux édifices que l’on peut considérer comme des types artistiques ayant servi de
points de départ » 38. C’est ainsi que le Mont-Saint-Michel, portant les traces de nombreuses
époques, ne fut classé qu’en 1862, alors que la première liste, dressée en 1840 contenait
déjà 934 édifices.
La loi de 1905 est beaucoup moins restrictive, puisqu’elle propose de classer tout édifice du
culte qui offre un intérêt artistique quelconque, total ou partiel.
De plus le sens originel du classement est depuis le départ dévoyé. En effet, à l’origine du
terme sont les premières instructions adressées par le Gouvernement aux préfets dans les
circulaires des 10 août et 30 décembre 1837 :
« Je vous invite à me faire connaitre les monuments qui existent dans votre
département. Vous les classerez par ordre d’importance… Il faut que la
Commission ait sous les yeux les documents que l’on aura pu réunir pour classer
chaque monument selon le degré d’intérêt qu’il présente. »
En réalité aucune classification n’apparaît. Les édifices sont listés, placés ainsi sous la
protection, égale pour tous, de la loi. Il aurait fallu, pour faire une classification, un
inventaire complet et descriptif et des classes cohérentes et objectives. Outre les difficultés
financières et matérielles de la réalisation d’un tel inventaire qui n’a jamais été réellement
mené à bien, la classification de monuments d’arts et d’histoire est par essence subjective.
L’école des Beaux-Arts a, tout au long du XIXe siècle, refusé l’enseignement de l’histoire de
l’architecture médiévale, jugée décadente et barbare. En opposition, les architectes des
Monuments Historiques, généralement médiévistes, n’ont classées que très peu d’édifices
de la Renaissance.
37
Loi du 30 mars 1887, article 1.
38 er
Paul Léon, La protection des églises, in « La revue de Paris », 1 février 1913, p. 543
28
Après 1905, les classements d’églises se font alors rapidement, sans ordre et sans objectif,
en fonction des demandes déposées, initiatives de municipalités ou d’antiquaires, et de la
bonne volonté ou non des membres présents aux réunions de la Commission des
Monuments Historiques39, au risque de transformer la liste en liste d’églises.
Afin de gérer cette multitude de monuments, la Commission des Monuments Historiques est
40
divisé en trois section par un décret le 17 mai 1909 : la section de monuments
préhistoriques, celle des antiquités et objet d’arts, et enfin la section des monuments
historiques.
Paul Léon, arrivé aux Beaux-Arts en 1905 et directeur de la division d’Architecture dès 1907
se retrouve en première ligne de ces problématiques. Outre sa participation à la Commission
des Monuments Historiques, il propose une réforme de l’Inspection Générale des
Monuments. En effet, à partir de 1913, les Inspecteurs Généraux n’auront plus la possibilité
d’exercer la fonction d’architecte à côté de leur rôle d’inspection. Ainsi spécialisés, ils
pourront surveiller l’exécution des chantiers de près.
Alors que le nombre d’édifice classé augmente fortement suite à la loi de 1905, le budget
des Monuments Historiques n’est incrémenté que d’une part de l’ancien budget des Cultes,
qui de plus n’est que provisoire. La décision doctrinale d’entretenir, de conserver plutôt que
de restaurer est donc encouragée par les problèmes financiers.
39
Paul Léon, La protection des églises, opus cit., p. 550
40
Arlette AUDUC, Le service des Monuments Historiques sous la IIIe république, in « Pour une histoire des
politiques du patrimoine », sous la direction de P. Poirrier et L. Vadelorge, Paris, Comité d’histoire du ministère
de la culture, 2003, p. 171-198.
29
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Afin d’accroitre les crédits du Service, la loi du 10 juillet 1914 crée une Caisse nationale des
monuments historiques et préhistoriques, afin d’encourager les dons et legs spécifiques à
l’entretien des monuments. Dans son article de 1913 dans la revue de Paris, Paul Léon
encourage la création de cette caisse, et en souhaite une analogue dédiée aux édifices et
monuments publics, qui gérerait les églises non classées.
« Paul Léon sentit qu’il fallait associer d’une manière plus étroite aux travaux de
la Commission des Monuments Historiques les archéologues du Moyen Age, qu’il
fallait aussi exiger des architectes des Monuments Historiques une culture
historique et archéologique plus grande, qu’il était nécessaire de soumettre à des
examens critiques complets les projets de restauration des monuments anciens
avant leur approbation. Il fit ainsi prévaloir le principe que la tâche du Service
devait se borner à la conservation de ce que les divers siècles avaient apporté aux
monuments d’architecture et non pas chercher à restituer un état qui pouvait
n’avoir jamais existé. Il avait d’ailleurs exposé toutes ces idées dans son magistral
ouvrage : Les monuments historiques, leur conservation et leur restauration.
C’est ainsi qu’il fut amené à réformer le recrutement au concours, auquel un
enseignement spécialisé les avait préparés, des architectes en chef et, quelques
années plus tard, des inspecteurs des Monuments Historiques chargés
principalement des objets d’art classés, pour en faire des corps d’élite scientifique
et technique. Il mettait également sur pied une organisation administrative pour
le contrôle et la vérification des travaux et leur paiement dont les grandes lignes
subsistent encore. » 41
41
Jean VERRIER, Paul Léon, in « Les Monuments Historiques de la France », Paris, 1962, n°4 octobre-décembre,
p. 189-190.
30
Dans son article, Paul Léon parle aussi de la loi du 31 décembre 1913 qui est alors en
gestation dans ses services. En effet, la création de la liste de l’Inventaire supplémentaire
des Monuments Historiques permet d’empêcher toute destruction, vente ou abandon
d’édifices, sans pour autant passer par le Classement, qui aurait des implications financières
pour l’Etat.
Les lois de 1908, 1913 et 1914 sont des palliatifs à la loi de séparation de 1905. Mais la
guerre de 1914 arrive trop rapidement pour que la situation des églises soit durablement
organisée. Les services des Beaux-Arts vont multiplier pendant et après la guerre les actions
de classement et de protection de tous les types d’édifices, cultuels ou non, en attendant la
mise en place effective de la loi de 1913.
31
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
La loi de 1913
La loi du 31 décembre 1913 est promulguée devant des banquettes vides dans la nuit du
réveillon. Elle reçoit son décret de règlement d’administration publique le 20 mars 1914, soit
juste avant la guerre, mais les autres décrets d’application n’arriveront qu’en 1924 et 1926.
La loi de 1913 sera complétée par la loi du 31 décembre 1921 relative au classement des
objets mobiliers dont le décret d’application attendra 1924, et par la loi du 23 juillet 1927
concernant l’inscription sur l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques42.
Après les changements profonds de la loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat pour les
Beaux-Arts, dans l’historiographie des Monuments Historiques, Paul Léon présente en ces
termes la loi de 1913 :
Aucune législation auparavant n’avait osé s’attaquer au droit de propriété des particuliers,
malgré les injonctions de Victor Hugo dès 1825 :
42
Maryvonne DE SAINT PULGENT, éditorial, in « Monumental », n° spécial anniversaire de la loi sur les
monuments historiques de 1913, 1993
43
Paul LEON, Les monuments historiques, conservation, restauration, Paris, H. Laurens, 1917, p. 81
44
Victor HUGO, Guerre aux Démolisseurs, 1825, extrait tiré de Paul LEON, Les monuments historiques,
conservation, restauration, Paris, H. Laurens, 1917, p. 81
45
Extraits du texte de loi en annexe 2
32
poids sur les décisions des propriétaires publics. La priorité n’est pas alors donnée aux
édifices privés.
Maurice Barrès appelle même à ce que soient classées toutes les églises construites avant
1800, puisqu’en effet elles présentent toutes un intérêt pour l’histoire locale. Paul Léon,
comme nous l’avons vu, ne semble pas choqué par cette proposition de classement d’office.
Les propriétaires préfèrent attendre l’offre d’un riche américain qui transportera leur
bâtiment outre-Atlantique, comme le cloître de Marciac, déplacé au début du XXe siècle
faisant grand bruit dans l’opinion publique.
La loi du 31 décembre 1913 est en discussion dès le 12 juin 1912, l’opinion publique est
préparée entre autre par un article de Paul Léon sur la protection des Eglises :
46
Loi du 30 mars 1887 puis du 9 décembre 1905, article 16
33
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
En 1917, Paul Léon dans Les Monuments Historiques revient sur cette disposition
révolutionnaire de la loi de 1913 :
Avec les nouvelles possibilités de classement de la loi de 1905, le nombre d’édifices classés
avaient doublés en 8 ans, au profit principalement d’églises. La loi de 1913 doit permettre de
rétablir l’équilibre avec des monuments civils, sans grever le budget déjà maigre des
Monuments Historiques.
La loi de 1914, proposée par M. Landry à l’assemblée et M. Audiffred au Sénat dès 1912,
créant la Caisse des Monuments Historiques permet d’augmenter le budget. Ainsi sont
réellement mises en place les politiques de conservation créées en 1912, dotant les
architectes ordinaires d’un budget pour conserver les monuments, comme le décrit Paul
Léon :
« Le seul moyen de réduire les dépenses consiste à n’autoriser que des travaux de
strict entretien. Les progrès de l’archéologie, les exigences de l’esprit critique,
47 er
Paul Léon, La protection des églises, in « La revue de Paris », 1 février 1913
48
Paul LEON, Les monuments historiques, conservation, restauration, Paris, H. Laurens, 1917, p. 84
34
l’amour des vieux monuments font abandonner de plus en plus les méthodes
autrefois suivies en matière de restauration.
« Ainsi la commission de la Gironde distingue les édifices qui doivent recevoir une
subvention de l’Etat et ceux qu’il faut se borner à surveiller pour empêcher leur
disparition. C’est la même disposition qui va être introduite, après quatre-vingts
ans, dans la législation actuelle. Le projet de loi sur les Monuments Historiques,
49 er
Paul LEON, La protection des églises, in « La revue de Paris », 1 février 1913, p. 554
35
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
La création de l’Inventaire n’est régie que par le dernier paragraphe de l’article 2 de la loi de
1913 :
Prévu comme l’inventaire des monuments mobiliers du Culte lors de la Séparation de l’Eglise
et de l’Etat, il devait être réalisé en trois ans. L’impossibilité d’un tel travail, sur une si courte
période est accentuée par la guerre. En 1927 une nouvelle loi définie plus clairement les
conditions de l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques.
Un autre apport de la loi de 1913 qui se révèlera primordial dans les années qui suivent sa
promulgation est la partie sur la conservation. Outre l’obligation pour les propriétaires de
pourvoir à la conservation de leurs monuments, ils doivent aussi pourvoir à leur sécurité. La
loi est très explicite sur la prééminence de l’intérêt général par rapport à l’intérêt privé : le
monument peut être occupé par l’administration afin d’effectuer des travaux d’urgences, les
monuments doivent être gardés par des gardes agréés par le préfet, le cas échéant, les
objets peuvent être mis en lieu sûr jusqu’à ce que le propriétaire soit en mesure d’assurer sa
sécurité.
50 er
Paul LEON, La protection des églises, in « La revue de Paris », 1 février 1913, p. 544
51
Extrait de la loi du 31 décembre 1913, voir annexe 2.
36
« […] le Ministre des Beaux-Arts peut ordonner d'urgence, par arrêté motivé, aux
frais de son administration, les mesures conservatoires utiles, et de même, en cas
de nécessité dûment démontrée, le transfert provisoire de l'objet […] »52
Durant toute la guerre, cet article prendra une importance phénoménale, permettant au
Service des Monuments Historiques de déplacer les objets mobiliers et les vitraux classés.
Il a fallu près d’un siècle après les débats de la Révolution Française pour que soit inventé le
concept de patrimoine national et que le pouvoir tant juridique que financier soit donnée
aux Monuments Historiques afin de réellement poursuivre son but de conservation des
biens historiques et artistiques. Ces 83 années entre la création de l’Inspection Générale des
Monuments Historiques et la promulgation de la loi de 1913 nous semblent aujourd’hui bien
longs, mais elles étaient nécessaires à l’évolution des mentalités afin que l’opinion publique
accepte le principe de Victor Hugo : la beauté appartient à tous.
Paul Léon ne définit jamais réellement son rôle dans les réflexions et l’écriture de la loi. Mais
il montre les complexes manœuvres politiques, dans sa biographie, que le vote d’une telle
loi occasionne :
52
Extrait de la loi du 31 décembre 1913, voir annexe 2
37
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
La loi de 1913 est une prise de pouvoir par le service des Beaux-Arts sur le droit de propriété,
mais elle prouve la nécessité de ses ambitions et de ses capacités pendant la première
guerre qui lui est directement consécutive. Comme elle est très complète, seuls quelques
ajustements seront faits dans les décennies qui suivent, mais, dans ses grandes lignes, elle
est encore appliquée aujourd’hui.
53
Paul LEON, du palais royal…, opus cit., p . 222-223
38
La renaissance des ruines :
54
Paul Léon, du palais-Royal au palais-Bourbon, souvenirs, opus cit., p. 163
39
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
La Propagande
Suite à l’incendie de la cathédrale de Reims, la propagande française attaque l’Allemagne sur
sa barbarie et le choix politique de détruire un monument d’art et d’histoire servant
d’hôpital (pour des soldats allemands !). Le but de la France est de convaincre les pays
neutres de s’engager auprès d’elle dans la guerre 57.
Les deux pays vont alors s’affronter entre autre au travers de leurs services des Beaux-Arts,
lançant une course à la meilleure protection des mobiliers, aux meilleures restaurations
d’édifice. Paul Clemen, professeur d’Histoire de l’Art allemand, médiéviste, inspecteur des
55
Paul Léon, La vie des monuments français, destruction restauration, Paris, A. et J. Picard, 1951, p. 489, dans
l’article des Arts d’avril 1916 il donne la même anecdote mais la conférence était faite par le comte Viztum.
56
Paul Léon, Du palais-Royal…, opus cit., p. 169
57
Voir les détails dans Yann HARLAULT La Cathédrale de Reims, du 4 septembre 1914 au 10 juillet 1938,
Idéologies, controverses et pragmatisme, thèse sous la direction de Marie-Claude Genet-Delacroix, Université
de Reims Champagne-Ardenne, 2006.
40
monuments artistiques pour la Belgique et les territoires français envahis, et Paul Léon,
entre autres, s’affrontent au travers d’articles, vantant leurs techniques et doctrines58.
En effet Paul Clemen critique la France sur son attitude envers son patrimoine entre les
vandalismes révolutionnaires, la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat et les maigres
moyens pour la conservation et la restauration des monuments historiques. L’Etat allemand
montre sa bonne volonté en restaurant la Collégiale de Saint-Quentin sous le feu français et
d’autres églises françaises, considérant que le mouvement gothique appartient à une
tradition culturelle commune. Pour les français, l’art gothique est français, l’Europe n’ayant
fait que copier, Paul Léon en 1923 insiste sur l’origine francilienne du mouvement 59.
Côté français, la propagande est de plusieurs types, tout d’abord montrer la barbarie
allemande, avec une liste des monuments détruits, tel le rapport d’Arsène Alexandre ou les
nombreux articles sur la cathédrale de Reims.
Ensuite décrier l’art Allemand, comme Emile Male dans l’art allemand et l’Art français du
Moyen-Age (Paris, A. Colin, 1917), décrite dans la thèse de Yann Harlaut
« La thèse soulevée consiste à affirmer que l’Allemagne n’a jamais rien créé
artistiquement par le passé, mais n’a fait qu’imiter, notamment dans les
domaines des arts roman et gothique. De plus, ces imitations sont jugées par
l’historien d’art français comme des pastiches bien inférieurs aux œuvres
originelles » 60
Enfin contrer les questions doctrinales de restauration. En effet les allemands opèrent selon
la restauration stylistique Viollet-le-Ducienne, qui est remise en cause depuis une trentaine
d’années à l’époque en France. Paul Léon étant sur le sujet plus directement attaqué,
répond en quelques paragraphes dans plusieurs articles, dans Les monuments et la guerre
paru en 1916 dans le magazine les Arts, ainsi que plus clairement dans la Renaissance des
Ruines paru en 1918 où il montre juste en 2 photographies, avant-après des restaurations
allemandes en France, les excès de la restauration stylistique.
58
Voir Yann HARLAULT, La Cathédrale de Reims…, ibid., p. 155-156 sur les écrits de Paul Clemen
59
Paul LEON, L’art gothique et les grandes cathédrales, coll. La grammaire des styles, Paris, Ducher, 1923
60
Yann HARLAULT, La Cathédrale de Reims, opus cit., p. 152
41
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Les questions doctrinales sont au cœur des discours de Paul Léon pendant et après la guerre,
il participe ainsi à la propagande antiallemande.
61
Paul LEON, Les monuments et la guerre, in « Les Arts », n°154, avril 1916, p. 2-10 et Paul LEON, la renaissance
des ruines, opus cit.
42
Paul Léon raconte dans son autobiographie ses nombreux voyages sur le front, afin
d’estimer les dommages de guerre et de récupérer des œuvres à mettre aux dépôts. Ses
archives personnelles contiennent de nombreux rapports sur les problèmes de déplacement
des biens protégés, des difficultés rencontrées avec certaines municipalités qui refusent que
l’administration étatique récupère les trésors locaux (comme les tapisseries de l’archevêché
de Reims, appartenant à la ville de Reims et que le maire refuse de laisser partir, qui
brûleront quelques jours plus tard dans un incendie).
Figure 2 protections intérieures et extérieures en sac de sable de la cathédrale d'Amiens. Cliché de la section
photographique de l'armée, paru dans la renaissance des Ruines de Paul Léon en 1918
43
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Paul Léon milite pour la création d’une section photographique de l’armée qui archive les
biens meubles et immeubles et les opérations de guerre, permettant en 1918 d’avoir de
nombreuses traces de monuments et villes avant leurs destructions. Il instaure aussi un
service d’action artistique à l’étranger, propagande extérieure de la France. Il explique dans
sa biographie le principe de ce service
Ces deux services voulus par Paul Léon sont fondés au ministère de la Guerre en 1915 pour
servir de base de la propagande française durant la guerre. En 1919, ils sont menacés de
disparition mais Paul Léon réussit à les transformer en associations privées sous le patronage
de l’Etat.
La reconstruction est envisagée très tôt, puisque la loi des finances pour 1915 votée le 26
décembre 1914 envisage les futures réparations des dommages de guerre. Des commissions
locales doivent évaluer les dégâts, mais aucune disposition n’est prise spécifiquement pour
les Monuments Historiques. Paul Léon doit se battre à l’administration des Beaux-Arts pour
que le service fasse partie des commissions et que leur avis soit consulté pour les
réparations d’édifices anciens, même non classés. Il obtiendra gain de cause, le service sera
représenté dans le Comité interministériel pour la reconstitution des régions dévastées,
fondé par le décret du 18 mai 1916. 63 Par la suite, il réussira à imposer que des membres des
Monuments Historiques et des Bâtiments Civils fassent partie des commissions de
62
Paul LEON, Du Palais-Royal…, opus cit., p. 176, une cloche partiellement fondue et certaines statues à moitié
détruites par les bombardements de la cathédrale de Reims sont envoyés à l’exposition pour marquer les
esprits américains.
63
AUDUC Arlette, « Paul Léon, le service des Monuments historiques et la reconstruction, enjeux et cadre
institutionnel », in Living with History, 1914-1964 : Rebuilding Europe after the first and second World Wars,
and the Role of Heritage preservation, sous la direction de Nicholas Bullock et Luc Verpoes, Leuven, Leuven
University Press, 2011, p. 73.
44
reconstruction et que l’on puisse demander l’avis de ces services, même si les édifices en
question ne dépendent pas de leurs prérogatives. 64
« Cette étude pose plus de problèmes qu’elle n’en résout et présente un recueil
de faits plutôt qu’un corps de doctrines. Elle était achevée quand la guerre a
porté sur notre sol les ravages d’un vandalisme dont l’organisation même
constitue la pire forme de la barbarie. J’ai cru qu’il ne serait pas inutile d’évoquer
les leçons du passé devant les ruines du présent »
Mais ses prérogatives de chef de la division d’Architecture des Beaux-Arts le font aussi
travailler sur la reconstruction des régions envahies.
64
Art. 4 du décret du 26 mai 1919, cité par Arlette Auduc, ibid.
45
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Cette exposition sera suivie d’un concours d’architectures sur des projets de maisons
rurales, fermes et auberges, économiques, gardant les caractéristiques régionales et
répondant aux nouveaux canons hygiéniques pour toutes les zones envahies afin de
préparer la reconstruction. 67
De nombreux architectes dans les tranchés obtiennent une permission de vingt jours pour
participer au concours :
« Il est d’usage d’envoyer des artistes au front. Cette fois, c’est le front qui nous
envoie des artistes. Trois ans de guerre n’ont émoussé ni leur sensibilité de vision,
ni leur virtuosité d’exécution. » 68
Le thème du concours est clairement de reprendre les caractéristiques régionales tout en les
adaptant aux nécessités hygiéniques de l’époque, de séparation des fonctions et la création
de salles de bains.
65
Extrait de la circulaire relative à l’établissement d’un plan général d’alignement et de nivellement dans les
communes atteintes par les évènements de guerre du 27 sept 1916, tiré de Paul LEON, La renaissance des
ruines, maisons, monuments, Paris, H. Laurens, 1918, p. 44
66
Paul LEON, L’architecture régionale dans les provinces envahies, in les Arts, 1917, n°157, p. 12
67
Paul LEON, La renaissance des ruines, maisons, monuments, Paris, H. Laurens, 1918
68
Paul LEON, Projets pour la reconstruction de la France, in « Les Arts », 1918, n°165, p. 11
46
Figure 3 Plan de Ferme pour le département de la Meuse par M. Leprince-Ringuet du concours de 1917, paru dans Paul
Léon La renaissance des ruines, 1918
Figure 4 Plan de Ferme pour la région Champagne par M. Gellin du concours de 1917, paru dans Paul Léon La renaissance
des ruines, 1918
Le mouvement moderne encore balbutiant pendant la guerre n’est pas à même de proposer
d’alternative au dogme de la réinterprétation régionaliste. A cause de la défaite de 1870, la
victoire de 1914 est présentée par la propagande et pour grande partie de la population
française comme une revanche. Le choix de « faire revivre la France d’hier dans la France de
demain » est très politique, dans un grand élan de nationalisme. Le problème du coût est
éludé par le dicton « l’Allemagne paiera ». Le « hélas ! » de Paul Léon nous montre qu’en
réalité les reconstructions se sont faites sans ordre ni doctrine, les réparations financières
mirent longtemps à arriver (pour ce qui fut donné), et la population avait entre-temps
reconstruit ses habitations comme elle pouvait avec des matériaux de récupération.
D’ailleurs lors de la reconstruction, suite à la seconde guerre mondiale, celle de 1918 est vue
comme un retour en arrière, une erreur à ne pas commettre de nouveau. Entre temps, le
régime de Vichy avait entrepris une reconstruction traditionnaliste
69
Paul LEON, Du palais Royal au…., opus cit., p. 238-239
48
des artisans d’autrefois. Elles sont l’expression parfaite du genre de vie de nos
ancêtres ». » 70
70
Jean-Claude DELORME, D'une Reconstruction à l'Autre : 1919-1950, in « Historicisme et modernité du
patrimoine européen, Reconstruction, restauration, mise en valeur aux XIXe et XXe siècles », Paris, l'Harmattan,
2007, p. 25-46, p. 38
71
Danièle VOLDMAN, La France, d’un modèle de reconstruction à l’autre, 1918-1945, in « Living with history,
1914-1964 », Leuven, Leuven University Press, 2011
49
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Saint-Remi de Reims
J’ai choisi d’étudier le cas de Saint-Remi de Reims cette année comme test de méthodologie
car c’est le monument sur lequel j’ai, au début du dépouillement des cartons de Paul Léon,
trouvé le plus d’écris.
En effet, il consacre à cette église un cours au Collège de France en 1935 72, et en parle
beaucoup aussi au Congrès Archéologique de France de 1934, ainsi que dès 1922 dans son
discours sur la reconstruction de la France aux Cinq Académies. Il est intéressant de noter
qu’il ne mentionne dans aucun de ses discours que seule la restauration de la nef est
terminée. La fin des travaux de l’ensemble n’aura lieu qu’en 1958.
De plus, Saint-Remi a été restauré, dans les grands traits, d’après ce qu’il explique, de la
même manière que la cathédrale de Reims (charpente en béton armé, remontage des murs
en anastylose avec parfois des structures en béton). Le cas de la cathédrale de Reims est
trop particulier pour être étudié ici, d’un côté par la charge symbolique qui forçait une
reconstruction à l’apparence identique pour l’opinion publique et d’un autre côté par le don
Rockefeller qui réclamait la reconstruction en béton armé de la charpente 73.
72
Carton 080/47/5 des archives de Paul Léon à la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, datation du
cours d’après l’annuaire du Collège de France.
73
Sur la restauration de la cathédrale de Reims et sa charge symbolique voir Yann HARLAULT, La Cathédrale de
Reims, du 4 septembre 1914 au 10 juillet 1938, Idéologies, controverses et pragmatisme, thèse sous la direction
de Marie-Claude Genet-Delacroix, Université de Reims Champagne-Ardenne, 2006
50
Histoire de Saint Remi 74
Construction de l’église
Saint Remi est enterré en 533 hors les murs de Reims, dans la petite chapelle de Saint
Christophe située au milieu d’un ancien cimetière. Rapidement devenue un lieu de
pèlerinage, la chapelle est agrandie au VIe siècle en basilique et consacrée à Saint Remi. A la
seconde moitié du VIIIe siècle une communauté bénédictine est établie par l’archevêque de
Reims pour veiller la sépulture. L’église est agrandie par l’archevêque Hincmar en 852.
Le rôle de cette basilique est important dans l’histoire de Reims et de France puisqu’elle
conserve le tombeau de Saint-Remi et la Sainte Ampoule, utilisée jusqu’à la Révolution
Française pour le sacre des rois de France. Les rois faisaient un pèlerinage à l’église le
lendemain de leur couronnement.
Au début du Xe siècle l’abbaye connait une certaine opulence grâce aux foules de pèlerins,
un bourg se crée autour de l’église. Le monastère est fortifié pour se protéger des incursions
normandes. Jusqu’au XIIIe siècle, l’abbaye est autonome, propriétaire du bourg qui s’est
considérablement agrandi alentour et possède de nombreux prieurés, domaines, localités.
L’église est reconstruite de 1005 à 1049 pour pallier aux décrépitudes de la construction
d’Hincmar, qui a été rapide, en matériaux de qualité moyenne, en période d’invasions.
L’abbé Airard en 1005 entreprend un ouvrage bien trop grand pour les moyens du
monastère et les capacités techniques de l’époque. Son successeur l’abbé Thierry fait
détruire à partir de 1039 l’œuvre d’Airard pour simplifier et rapetisser la construction. A son
décès en 1045 l’église est pratiquement terminée. Hérimar lui succède et reprend le
chantier, la basilique est consacrée en 1049.
74
Références historiques tirées de Marc BOUXIN, l’Abbaye Royale de St Remi de Reims, « Dossiers
d’archéologie », n°186, octobre 1993, p. 60-73, de Louis DEMAISON, Eglise Saint-Remi, in « Congrès
e
Archéologique de France », LXXVIII session à Reims, 1911, Caen, Delesques, 1912, p. 57-106 qui sera publié à
part l’église Saint-Remi de Reims, Caen, Delesques, 1913, de G. CROUVEZIER, Saint-Remi de Reims, Reims, L.
Michaud, 1957 et Louis DEMAISON, la restauration de l’église Saint-Remi de Reims, in « Bulletin Monumental »,
1937, p. 91-100
51
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
depuis mais a été remis en cause à la fin du XIXe siècle. Les fouilles effectuées après la 1ere
guerre mondiale on permit de confirmer la véracité du document d’Anselme. 75
L’église d’Hincmar a alors complétement disparu sauf certains éléments comme les colonnes
qui seraient réutilisées (mais probablement déplacées, leur origine sûrement antique est
inconnue).
En 1170, l’abbé Pierre de Celle 76 refait le chœur et deux travées de la nef, ajoute un
déambulatoire à l’abside, transforme le portail entre les deux vieilles tours. Afin
d’harmoniser le nouveau chœur gothique et la nef à charpente visible, il fait surmonter cette
dernière d’une voûte en pierre qui devait reposer sur les dosserets appliqués aux murs et
piliers romans. Le poids important de cette voûte ogivale obligea en réalité à créer des arcs-
boutants à l’extérieur.
77
Figure 5 coupe des collatéraux à différentes périodes, et de l'abside de Pierre de Celle par Alphonse Gosset
75
Voir débat dans Louis DEMAISON, la restauration de l’église Saint-Remi de Reims, in « Bulletin Monumental »,
1937, p. 92, Anselme, Itinerarium Leonis Papae. Dès 1881 dans les travaux de l’Académie de Reims Louis
Demaison soutient la thèse de la véracité d’Anselme, contre à l’époque Viollet-Leduc (comme il l’écrit) et ce qui
est dit au Congrès Archéologique de France de 1875 à Chalons par Leblan (p. 234), voir Louis DEMAISON Date
de l’église de Saint-Remi de Reims, Travaux de l’Académie nationale de Reims, vol LXXI, 1881, p. 298-308
76
Sur les travaux de Pierre de Celle à Saint-Remi voir l’ouvrage d’Anne Prache tiré de sa thèse : Anne PRACHE,
Saint Remi de Reims, l’œuvre de Pierre de Celle et sa place dans l’architecture gothique, Pais, Droz, 1978
77
Alphonse GOSSET, La basilique de St Remi à Reims, histoire, description, construction, Paris, librairie centrale
d’architecture, 1900
52
Figure 6 plans et élévations de détail de la nef à différentes époques, par Alphonse Gosset
A partir de 1281, l’abbaye n’est plus indépendante, elle tombe en commende en 1473 et est
réunie à l’archevêché de Reims en 1551.
Vers 1400 l’abbé Jean Canart fait élever une flèche très élancée à la croisée du transept.
53
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Le cloître, ainsi que certaines parties du monastère sont restaurées au XVIIe et XVIIIe. Dans
l’église les murs trop faibles pour supporter la voûte en pierre sont constamment restaurés.
Figure 7 E. Chauliat. Del, tiré de Demaison Louis, "l'église saint-Remi de Reims" in Bulletin monumental, 1937, p. 61
Lors de la Révolution les statues et tombeaux sont brisés, puis l’église sert de manège.
Narcisse Brunette décrit les exactions :
Lors des fouilles en 1920 a été retrouvé enfouie sous le chœur la tête de la statue du roi
Lothaire, avec un papier portant la date de la décapitation de Louis XVI. Les révolutionnaires
rémois ont dû vouloir recréer l’événement.
En 1796, l’administration municipale doit choisir le sort de ses églises, afin d’en garder
certaines pour le culte, d’autres pour des utilisations publiques et vendre le reste. Dans ce
rapport, la municipalité exprime clairement son choix de conserver Saint-Nicaise pour le
culte au détriment de Saint-Remi :
Ce rapport de l’administration municipale n’est pas forcément très honnête sur les capacités
structurelles de ces deux églises, en effet Saint-Remi est décrit par « bâtiment immense, bien
couvert et très solide » alors que les voûtes sont constamment réparées depuis plusieurs
siècles. Mais Saint-Nicaise « L’église est très bonne, ne pèche en ce moment que par sa
78
Narcisse BRUNETTE, Souvenirs archéologiques et notes relatives à la ville de Reims, Meaux, Destouches,
1885, p. 34
79
Séance du 22 fructidor an IV (8 septembre 1796) de l’Administration municipale de Reims, d’après A.
LEBOURQ, La démolition de St Nicaise de Reims (1791-1805), documents extraits des Archives de Reims et de
Chalons, Travaux de l’Académie nationale de Reims, vol. LXXII, année 1881-1882, p. 37-113
55
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
toiture facile à réparer » 80, c’est ce problème de toiture, non réparé, et dont une partie des
plombs sont récupérés dans les années qui suivent qui décidera de son sort.
En effet, alors que Saint-Remi est sauvegardée grâce à sa relative stabilité pendant les
années de la 1re république, Saint-Nicaise, que son rôle pour le culte ne préserve pas
longtemps est vendue pour démolition en 1798, malgré les appels pour la protéger au
détriment de Saint-Remi « C’est un monument précieux d’architecture légère dont la
conservation importe aux arts et qui n’admet aucune comparaison avec St Remi. » 81
Tous les appels, pétitions, possible sont tentés pour sauver Saint-Nicaise, même en partie
démonté, mais rien n’y fait, en 1800 il ne reste plus rien de l’église.
80
Même rapport que la note 54
81
Séance du 27 vendémiaire, in A. LEBOURQ, ibid.
56
Suite à la révolution, l’abbaye de Saint-Remi est transformée en ambulance militaire puis en
Hôtel-Dieu. Il n’est pas sûr que l’église ait elle aussi servie d’hôpital. Ce n’est qu’en 1933 que
les services hospitaliers quittent l’abbaye qui est transformée en 1978 en musée d’histoire et
d’archéologie de la ville de Reims.
Figure 9 vue de Saint-Remi vers 1675 tirée du Monasticon gallicanum de Dom Michel Germain
Narcisse Brunette fait état d’un moment dans les années suivantes où Saint-Remi aurait été
à son tour menacé :
« Après avoir détruit tout ce qui était abrité dans l’église, peu s’en fallut qu’on ne
s’attaquât à l’édifice lui-même : déjà on avait porté contre lui une sentence
semblable à celle qui au même moment amenait la démolition d’une autre
merveille architecturale, Saint-Nicaise ; au dernier moment, un hasard inespéré la
sauva. Les Autrichiens et les Prussiens envahissaient les frontières de la
Champagne ; pour abriter les approvisionnements et les fourrages destinés à
l’armée qui leur était opposée, on eut besoin de vastes magasins clos et couverts ;
l’église Saint-Remi parut propre à rendre ce service, et on ajourna sa démolition.
[... au retour du culte :] Après toutes les dégradations qu’elle avait subies et que
57
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
personne n’avait songé à réparer, elle n’offrait plus qu’une solidité précaire ; on
fut même obligé, par mesure de précaution, d’interdire au public la nef toute
entière qui menaçait ruine et où les voûtes s’étaient déjà effondrées sur plus d’un
point : on la sépara du transept et du chœur par une cloison en maçonnerie et en
bois qui s’élevait dans toute la hauteur de l’édifice » 82
Pour le sacre de Charles X en 1825, l’architecte Hittorf fait abattre la flèche de l’abbé Canart
jugé trop dangereuse. L’architecte Narcisse Brunette donne un avis différent de ce jugement
officiel repris par tous les auteurs depuis :
Hittorff explique que son action sur le clocher et le portail devait être le début d’une grande
restauration pour laquelle les fonds auraient été débloqués grâce à son rapport aux
Bâtiments Civils. Il revient quelques années plus tard sur son intervention
82
Narcisse BRUNETTE, Souvenirs archéologiques et notes relatives à la ville de Reims, Meaux, Destouches,
1885, p. 35-36
83
Narcisse BRUNETTE, Souvenirs archéologiques et notes relatives à la ville de Reims, Meaux, Destouches,
1885, p. 37
58
qu’elles furent disposées pour servir d’échafaud, lors d’une restauration
définitive. La flèche élevée au-dessus du transept et la grande rosace de la
façade, l’une et l’autre près de s’écrouler, furent démolies pour être reconstruites
ultérieurement.
Pour lui ces éléments détruits devaient donc être reconstruits à l’identique avec de nouveau
matériaux (la rosace était prévue en fonte, afin d’alleger le poids par rapport à la pierre).
Cette intervention et ce choix sont typiques du début du XIXe siècle où l’image du monument
compte plus que sa valeur documentaire.
Emu par l’état de l’église lors de la cérémonie, le Roi demande à ce qu’elle soit restaurée.
Hittorf et Lecointe présentent un mémoire au nom du gouvernement, tandis que Serrurier,
architecte de la ville de Reims en présente un autre, où il espère pouvoir sauvegarder les
voûtes en pierre. Caristie, inspecteur général des Bâtiments Civils étudie les propositions et
propose de démolir les voûtes ainsi que les arcs boutants, et de remplacer par des voûtes en
bois, enduites de plâtre pour simuler la pierre et se raccorder au transept.
Selon Narcisse Brunette, ce sont les réclamations populaires et municipales suite à l’ « acte
de vandalisme effronté » de la suppression de la flèche, qui expliquent l’intérêt de
l’administration parisienne pour l’église Saint-Remi.
Les travaux de 1825, […] n’ayant été au fond que des travaux de circonstance,
sans utilité réelle pour la restauration de l’édifice, et peut-être même
regrettables. Il est à croire en effet, que si un projet de restauration générale
avait été étudié avec soin à cette époque, on eut trouvé le moyen de conserver la
jolie campanile qui décorait le faite du monument.
84
HITTORFF, Rapport fait par M. Hittorff, au nom de la commission chargée d’examiner le projet de
restauration de l’église abbatiale de Saint-Remi de Reims, par M. Durand, architecte, membre correspondant,
extrait des « annales de la société libre des Beaux-Arts », 1837
59
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Le devis des travaux de restauration ne fut dressé que le 14 juin 1828 par M.
Serrurier, qui crut devoir se renfermer dans les indications données par M.
Caristie, inspecteur général des bâtiments civils, lors de la visite faite en 1825. »85
Serrurier est chargé de la restauration mais, suite aux problèmes techniques de l’état plus
entamé que prévu des murailles et pratiques du manque de flexibilité du système des
adjudications de l’époque, les travaux n’avancent guère. Serrurier est remplacé en 1836 par
Durand qui propose un nouveau devis, mais une partie des voûtes s’écroulent le 1er
septembre 1837, il est alors imaginé de supprimer toute la nef et de ne garder que le
transept et le chœur.
Une commission vient donc examiner l’église, composée par Caristie, Debret (architecte en
chef des Monuments Historiques), Brunette (architecte de la ville de Reims qui remplacera
Durand), Tarbé (ingénieur de la ville de Reims), Schmitt (des services cultuels de la ville).
Grâce à des protecteurs influents, l’église est inscrite sur la liste des Monuments Historiques
en 1841 et les travaux reprennent sous la direction de Narcisse Brunette.
Ce dernier reprend en partie le programme de Caristie et refait les voûtes d’ogives en bois et
plâtre mais sans faux-joints imitant l’appareil de pierre de taille et il conserva les arcs-
boutants. Il refait de plus le pignon du portail et une tour attenante.
Comme nous l’avons vu dans ses Souvenirs archéologiques et notes relatives à la ville de
Reims Narcisse Brunette revient beaucoup sur les dégradations de Saint-Remi, il donne
85
CARTERET, Restauration de l’Eglise St Remi de Reims, exposé présenté par le maire de Reims au conseil
municipal le 10 février 1847, Reims, Régnier imprimeur, 1847
86
Ibid.
60
ensuite plusieurs pages sur sa restauration 87. Il explique surtout leur économie par rapport à
une reconstruction monumentale, et n’évoque absolument pas le rapport de Caristie (il ne
nomme d’ailleurs aucun des acteurs de l’histoire de Saint-Remi), ni la reconstruction de la
voûte en bois.
Figure 10 Photo, par Varin, de la nef de Saint-Remi de Reims après les travaux de Narcisse Brunette, en 1854, collections
des photos du musée d'Orsay, RMN.
Narcisse Brunette ne parle entre les lignes que du portail dont il dit avoir remplacé le
couronnement du pignon sans avoir besoin de demander de nouveaux crédits grâce à
d’autres économies sur le devis originel. Il est alors possible qu’il n’ait pas demandé
d’autorisation à la Commission des Monuments Historiques.
87
Narcisse BRUNETTE, Souvenirs archéologiques et notes relatives à la ville de Reims, Meaux, Destouches,
1885, p. 82-90
61
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Louis Demaison, dans son article dans le Bulletin Monumental de 1937 commente cette
restauration :
« Narcisse Brunette (…) chargé de restaurer la vieille basilique, sut assurer son
salut, tout en observant dans ses travaux une sage économie. (…) On peut,
toutefois, faire quelques réserves sur la reconstruction trop complète et trop
radicale qu’il a entreprise des étages supérieurs du portail et de la tour
septentrionale, dénués maintenant de toute valeur pour l’archéologie. » 88
M. Brunette a aussi rebâti entièrement les étages supérieurs du portail, ainsi que
la tour septentrionale qui était fort ébranlée. Ici, l’architecture moderne empiète
un peu trop sur celle d’Hérimar et de Pierre de Celle ; mais il faut dire qu’avant
ces réfections le sommet de la façade avait été fort maltraité et n’était plus dans
son état primitif. »89
Cette histoire est résumée par Paul Léon lorsqu’il exprime les difficultés des Monuments
Historiques au XIXe siècle dues au manque de formation et de connaissances techniques des
architectes par :
88
Louis DEMAISON, la restauration de l’église Saint-Remi de Reims, in « Bulletin Monumental », 1937, p. 96
89
Louis DEMAISON, l’église Saint-Remi de Reims, Caen, Delesques, 1913, p. 9-10
62
« A Saint-Remi de Reims, l’architecte Brunette, inquiet de la poussée des voûtes
de pierre, les dépose et les reconstruit en bois. On supprimait le danger en
mutilant l’édifice » 90
A propos du portail, il le classe parmi les fantaisies consécutives aux travaux de Viollet-Le-
Duc et le manque de méthodologie :
« Une telle méthode ne permettait aucun contrôle sérieux sur la fidélité des
restaurations et devait fatalement conduire aux reconstructions les plus
fantaisistes. […] la rose et le pignon de Saint-Remi de Reims, œuvre de Narcisse
Brunette, […] sont des exemples, entre tant d’autres, de fâcheuses
transformations modernes. »
Figure 11 Lithographie de Maquart, début XIXe Figure 12 façade, dessin par Alphonse Gosset, 1900
90
Paul LEON, Les monuments historiques, conservation, restauration, Paris, H. Laurens, 1917 p. 247. Il cite en
référence l’article de Louis Demaison dans le Congrès Archéologique de France dont l’ouvrage de la note 46 est
la reprise. Le chapitre de cette citation est repris quasiment sans changement par Paul Léon dans La vie des
monuments français, destruction restauration, Paris, A. et J. Picard, 1951, p. 362.
63
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
En 1906 M. Genuys établit une terrasse en ciment armé au-dessus de la tribune, côté nord,
qu’explique Paul Léon :
« Une des premières applications du ciment armé aux toitures a été faite à Saint-
Remi de Reims, pour couvrir le collatéral nord qui est adossé aux bâtiments de
l’hôpital dont la proximité était un grave danger d’incendie » 91
L’église est alors regardée comme sauvée des vicissitudes du temps, prête à supporter de
nouveaux siècles.
Des bombardements en 1916 détruisent les chapelles absidiales, et un autre, le 1er aout
1918 met le feu aux charpentes et aux voûtes en bois de la nef.
L’architecte désigné pour faire les travaux est Henri Deneux, il a été chargé d’une mission
d’étude pendant la guerre sur les charpentes médiévales françaises, suite à la destruction de
la charpente de la cathédrale de Reims. Il restaure en parallèle Saint-Remi et la cathédrale.
Sans voûte ni berceau, les arcs-boutants de Saint-Remi ne contre balancent plus aucune
poussée, ils exercent alors un mouvement de déversement vers l’intérieur, surtout côté sud.
Par manque de main-d’œuvre (la démobilisation n’eut lieu pour certains que dans l’été
1919) et de matériaux, le mur sud n’est pas étayé et chute le 14 avril 1919.
Le déblaiement méthodique des ruines, travée par travée, grâce à l’aide de prisonniers
allemands, permettent alors de comprendre les techniques de construction et de départager
des débats historiques sur les dates et formes de construction.
91
Paul LEON, Les monuments historiques, conservation, restauration, Paris, H. Laurens, 1917 p.332. Dans La vie
des monuments français paru en 1951, la phrase est quasiment la même sauf qu’il ne classe plus l’opération
parmi les premières opérations.
64
Le 20 novembre 1920, la pointe du pignon du croisillon nord s’écroule à l’intérieur de l’église
en démolissant les voûtes avoisinantes.
Figure 13 Plan de l'église Saint Remi par Henri Deneux pour les Monuments Historiques en 1919, pour le projet de
couverture provisoire en tôle ondulée (sur la partie bleue où la toiture a disparu mais les voûtes en pierre tiennent bon,
la partie jaune est celle couverte en ciment armé, en blanc les parties où la charpente et la voûte sont effondrées, qui
resteront sans couverture provisoire)
92
Lettre de l’évêque, devis et plan d’Henri Deneux et ordre de travaux de la CMH signé Paul Léon dans le
carton 0081/051/0157 à la médiathèque du patrimoine.
65
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Les travaux consistent en la fabrication de murs en moellons entre les piles de la nef afin de
séparer l’édifice ouvert au public du reste du chantier. Le 23 mai 1920, la première messe
est célébrée.
Cette décision de donner priorité aux usages du culte pour les reconstructions d’après-
guerre montre une certaine accalmie dans les relations entre l’Eglise et l’Etat, en partie due
à une poussée de la droite pendant la guerre. Il s’agit surtout de réconforter le moral des
populations ayant tout perdu, de redonner un semblant de vie normale dans des régions
détruites.
De plus, le cardinal Luçon de Reims, qui a surveillé la cathédrale à ses risques et périls
pendant quasiment toute la guerre, est une icône de la résistance contre l’envahisseur, il a
aussi fait la propagande de bonne foi française contre les destructions allemandes auprès du
Vatican 94. Le service des Beaux-Arts ne peut pas lui refuser l’ouverture d’une travée pour le
culte.
93
Paul LEON, la renaissance, opus cit., p. 68
94
Voir HARLAUT Yann, La Cathédrale de Reims, du 4 septembre 1914 au 10 juillet 1938, Idéologies, controverses
et pragmatisme, thèse sous la direction de Marie-Claude Genet-Delacroix, Université de Reims Champagne-
e
Ardenne, 2006, dans le V chapitre, la partie « un mythe associé : le cardinal Luçon », p. 116-124
66
En 1921 les reconstructions commencent. Le mur sud est tout d’abord remonté, en
anastylose, avec les pierres retrouvées sur place, puis les arcs doubleaux de la nef et les arcs
boutants sont reconstruits ou réparés. Paul Léon explique le choix de reconstruire la voûte
en pierre :
« Il était donc impossible d’obtenir un équilibre entre les arcs et la voute. Au XIXe
siècle, l’architecte Narcisse Brunette esquiva la difficulté en remplaçant les voutes
de pierres par des voutes de bois. Dans les travaux d’après-guerre, adopter cette
solution était un aveu d’impuissance. Il fallait voûter l’édifice comme il l’était au
XIIe siècle, assurant sa solidité sans modifier son aspect. » 95
En effet en plus de ses écrits pendant la guerre, dans son discours aux académies en 1922, il
revient sur les doctrines et leurs applications.96
Figure 14 Photo d’Henri Deneux du corset en béton sur l'arc doubleau, 1927, paru dans les monuments historiques de la
France, 1939, p. 9
95
Paul LEON « Les principes de la conservation des monuments historiques, évolution des doctrines » in
Congrés archéologique de France, Paris, A. Picard, 1936, p. 17-52.
96
Paul LEON, La restauration des monuments après la guerre, communication lue dans la séance annuelle des 5
académies, le 25 octobre 1922
97
Paul LEON, La restauration des monuments après la guerre, opus citatum, p. 14-15
67
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
En pratique, les arcs doubleaux sont surmontés d’un « corset » en ciment armé qui les
empêche de se déformer. Les corsets sont indépendants de la maçonnerie afin de pouvoir se
dilater. Ils servent aussi à déplacer les points de poussée des arcs-boutants.
Henri Deneux a expliqué cette technique à la Société des Amis du Vieux Reims réunis pour
visiter l’église le 29 septembre 1931, soit quelques jours avant l’inauguration de la nef le 4
octobre 1931 :
Nous avons imaginé des ossatures en ciment armé, coulées sur chaque arc-
doubleau de la nef, prenant appui sur les tas de charges, relevés à 3 m.20 au-
dessus de leur naissance. Ces ossatures s’incrustent, de quelques centimètres
dans la dernière assise, et constituent autant de poutres rigides indéformables
au-dessus des arcs-doubleaux. Ces renforcements en ciment armé, en partie
visibles dans le comble, sont comme des « corsets » qui enserrent les voûtes.
68
Grâce au matériau nouveau employé, les difficultés énoncées plus haut furent
vaincues, et la nef a pu reprendre son aspect ancien, avec sa voûte primitive en
pierre. » 98
Figure 15 Saint-Remi en cours de restauration en 1925, par le service photographique des Beaux-Arts, paru dans Congrès
archéologique de France, 1934. Les arcs doubleaux sont en place, sur la droite le mur séparant le chantier du bas-côté
réservé au culte. Au fond, le mur protégeant le chœur qui sera restauré en dernier
98
Henri DENEUX, «La Restauration de la Basilique Saint-Remi, conférence de M. Henri Deneux » in annuaire-
bulletin de la société des amis du vieux Reims, 1931-1935, p. 22-35, Reims, imprimerie et lithographie Matot-
Braine, p. 31
69
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler, que pour éviter les incendies dans
l’avenir, la charpente, à la demande de l’Administration des Beaux-Arts, fut
refaite en ciment armé, par éléments coulés à terre, puis montés, et assemblés,
comme la nouvelle charpente de la Cathédrale.
Mais ce qui distingue celle de Saint-Remi, c’est une portée plus grande de 1 m., et
une plus grande longueur. Les pentes plus faibles de la couverture obligèrent une
disposition différente des éléments qui rappelle assez celle des charpentes en
bois, du XVIe siècle, dites à la Philibert Delorme, quoique les éléments, au lieu
d’être tous dans un même plan, se trouvent chevauchés les uns à côté des autres.
C‘est à l’abri de ces couvertures définitives que furent refaites, en 1929, les voûtes
du bas-côté sud, celles de la tribune au-dessus, et, en 1930, celles de la nef. Ces
dernières furent refaites à l’aide de l’échafaudage qui avait servi à la Cathédrale,
pour la réfection des voûtes hautes. » 99
La charpente, dite à la Philibert de l’Orme, est constituée de petits éléments moulés sur le
sol et assemblés par des clavettes de bois.
Le discours doctrinal
Paul Léon promeut pendant sa carrière la conservation plutôt que la restauration, faisant
sienne les idées de Ruskin contre celles de Viollet-le-Duc.
99
Henri DENEUX, «La Restauration de la Basilique Saint-Remi, conférence de M. Henri Deneux » in annuaire-
bulletin de la société des amis du vieux Reims, 1931-1935, p. 22-35, Reims, imprimerie et lithographie Matot-
Braine, p. 32
70
Nous préférons laisser vides les façades de nos cathédrales plutôt que de les
compléter arbitrairement. C’est ce respect de la vérité qui nous a fait souvent
accuser par les allemands de négliger les chefs-d’œuvre de notre
Architecture. » 100
La France a donc changé de doctrine depuis le XIXe siècle, il en explique les raisons plus
précisément dans son allocution à la Conférence d’Athènes de 1931.
Sous ces diverses influences, les méthodes administratives ont évolué. Depuis une
vingtaine d’années un service d’entretien a été constitué, qui remet entre les
mains des architectes locaux les crédits indispensables à la conservation des
100
Paul LEON, La guerre et les monuments, in « les Arts », n°154, avril 1916, p. 2-10
71
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Le rôle important qu’il donne aux sociétés savantes se retrouve dans la composition de la
Commission des Monuments Historiques, puisque, juste après la guerre, de nombreux
archéologues et historiens de l’art y sont appelés.
Il participe aussi lui-même à certaines sociétés, comme par exemple la Société des Amis du
Vieux Reims, association fondée au début du XXe siècle par Hugues Kraft et Ernest Kalas.
Pendant la guerre Paul Léon fait obtenir à l’association le parrainage par le président de la
République, et le titre d’association d’utilité publique. De plus, c’est surement grâce à son
entremise que le siège de l’association est placé dans le pavillon de Marsan au Louvre
lorsque Reims est évacué. Il demande aussi à Kalas de terminer sa série de plans de Reims et
d’en imaginer pour la reconstruction de la ville, qu’il publiera dans son article dans les
Arts 102, et qui illustreront probablement ses cours au Collège de France.
Figure 16 Inauguration de l'hôtel-musée Le Vergeur, siège de la Société, le 19 juin 1932 de gauche à droite P. Léon, E.
Gonse, H. Kraftt (archives Société des Amis du Vieux Reims)
101
Paul LEON, La restauration des monuments en France, in « La conservation des monuments d’art et
d’histoire », Paris, Institut de Coopération intellectuelle, 1933, p. 56-57
102
Paul LEON, La reconstruction de Reims, in les Arts, n°172, 1919
72
Il chargera, à la fin de la guerre, la Société d’une mission officielle :
« J’ai l’honneur de vous informer que vous êtes chargés d’une mission, à titre
gratuit, ayant pour objet de réunir tous renseignements et documents pouvant
être utiles à la commission des Monuments Historiques pour la conservation et la
restauration des monuments de Reims, et de représenter la Société des Amis du
Vieux Reims aux opérations de déblaiement des ruines de la ville » 103.
En effet, dans les archives de la Société, se trouvent des copies d’une liste de monuments et
d’éléments d’architecture à protéger d’urgence, faite en 1919, portant la mention « copie
envoyée à Paul Léon ». De plus, la Société se réunit régulièrement pour étudier les plans de
reconstructions, formuler ses observations sur les destructions en cours…
Mais la ligne officielle des grands discours sur la conservation, sur l’importance des sociétés
savantes pour la conservation des monuments anciens et autres loi sur les fouilles
archéologiques (promulguée en 1906, mais l’inexistence de fonds pour la protection des
fouilles empêche toute application de la loi), sont en contradiction avec la reconstruction
intégrale de Saint-Remi et de nombreux autres monuments. Paul Léon explique ces choix
dans la suite de son discours à Athènes :
« Pour être de plus en plus rare et limitée dans ses effets, la restauration n’en est
pas moins, dans certains cas, indispensable. La réédification n’est sans doute
qu’un pis-aller, mais elle est le seul moyen de conserver une forme et de faire
vivre une pensée. Du moins doit-elle être entreprise avec un infini scrupule, une
religieuse soumission à l’art d’une époque qui n’est plus. L’origine des pierres
neuves, leur appareil, leur taille, leurs joints, doivent être toujours l’objet d’une
surveillance attentive. […]. La perfection des procédés actuels a fait ses preuves
au cours des restaurations entreprises dans les régions dévastées qui utilisent les
ressources de la technique moderne tout en conservant intact l’esprit même du
Moyen Age.
103
Tiré d’une lettre de Paul Léon à Hugues Krafft (président de la Société) datée du 11 mars 1919, archives de
la SAVR à l’hôtel Le Vergeur à Reims
73
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
La « perfection des procédés actuels » fait référence à l’usage du béton armé qui a
commencé très discrètement à être utilisé dans les monuments historiques au début du
siècle (la toiture du bas-côté nord de Saint-Remi en 1906 en béton serait l’un des premiers
usages), mais qui devient après la guerre le matériau magique. Il n’est pour autant utilisé
que structurellement dans les parties invisibles, toitures, charpentes, injectés dans les murs,
en fondations… En effet des essais avant-guerre sur des parties visibles ont montré le triste
effet donné par le béton brut. Il n’est alors accepté par la Commission des Monuments
Historiques qu’à la condition de n’être pas visible.
Le 4 octobre 1931, Paul Léon prouve son implication dans cette restauration par sa présence
à la cérémonie en tant que représentant du gouvernement. C’est lui qui confiera les clés de
la basilique au maire, qui lui-même les remettra à l’archevêque, avant d’assister à la messe
inaugurale, puis à un déjeuner officiel où il fera une nouvelle allocution officielle. 105
104
Paul LEON, La restauration des monuments en France, opus citatum, p. 58-59
105
Reproduction de ses discours en annexe 3
74
« Depuis lors, douze ans ont passé, pour nous de fiévreux travail, pour vous de
fiévreuse attente. […] Nos travaux n’ont rien à craindre de la rude épreuve des
siècles. […]
La phrase sur l’architecture moderne est unique dans les écrits et discours de Paul Léon. En
effet, il parle volontiers de la conservation, de la restauration, de reconstructions
traditionnelles mais rarement de constructions contemporaines. Il prévoit la progression
inexorable de l’emploi des nouvelles techniques, qu’il juge étrangère à tout ce qui a été fait
jusqu’alors. Mais il est conscient et ouvert aux possibilités qu’apporte le béton armé pour la
restauration.
Parmi les conclusions de la conférence est entériné officiellement l’usage du béton pour les
restaurations structurelles dans des parties invisibles :
106
Extrait du discours prononcé par Paul Léon lors du déjeuner officiel suivant l’inauguration de Saint Rémi.
Voir annexe 3.
75
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
La doctrine édictée par les conclusions de la conférence correspond à peu près à ce que
prône Paul Léon au fil de ses discours : stricte conservation autant que faire se peut,
importance de l’entretien régulier, protection des fouilles, rares restaurations mais
strictement encadrées et privilégiant l’anastylose, emploi du béton armé dans les parties
invisibles, prédominance du droit de la collectivité sur le droit privé…
Par contre, les résolutions de la Conférence ne correspondent pas toutes aux habitudes de la
Commission des Monuments Historiques, par exemple, sur la visibilité des restaurations, les
conclusions de la Conférence disent :
107
Extrait des conclusions de la Conférence d’Athènes, reproduites intégralement en annexe 4
108
Etude du nombre de participants et des allocutions en fonction de la nationalité à la Conférence d’Athènes
en annexe 4.
109
C. BRITTNER, Procédé de nettoyage de la pierre, in « La conservation des monuments d’art et d’histoire »,
Paris, Institut de Coopération intellectuelle, 1933, p. 227-228, en note il est précisé que les observations de son
étude ont déjà fait l’objet de sa communication l’année précédente à Rome.
76
permet les matériaux nouveaux nécessaires à cet effet devront être toujours
reconnaissables. » 110
Alors que Pierre Paquet au Congrès archéologique de France tenu à Paris en 1934 explique :
« II est vrai qu’à certain moment les architectes et les archéologues étaient d’une
telle probité qu’ils voulaient laisser les réparations apparentes ; ils auraient
même admis que les dates en fussent gravées sur l’édifice. De nos jours, les idées
ont changé, tous sont d’accord pour reconnaître qu’une restauration est vraiment
bien faite lorsqu’on ne peut pas en apercevoir la trace ; c’est le but cherché.
D’ailleurs, dès 1845, il en était souvent ainsi ; on patinait déjà les pierres et
Mérimée, dans une de ses lettres, en félicite les architectes. »111
Dans les restitutions post-guerre, les architectes français cherchent à redonner l’image, la
forme, les matériaux anciens. Le but est d’effacer les traces trop destructrices de la guerre.
Ils ne rendent pas alors visibles leurs actions, affaiblissant la valeur de document
archéologique du bâtiment, dont les différentes restaurations deviennent vite indatables. Il
s’agit ici de la principale différence entre la doctrine française et les prescriptions
internationales, et particulièrement les idées italiennes, où les restaurations doivent être
visibles comme déjà dans les opérations de Stern et Valadier au Colisée et à l’arc de Titus à
Rome entre 1806 et 1829 112.
110
Extrait des Conclusions de la conférence, in « La conservation des monuments d’art et d’histoire », Paris,
Institut de Coopération intellectuelle, 1933. Texte repris dans son ensemble en annexe 4.
111
Pierre PAQUET, Technique de la restauration des monuments historiques, in « Congrès archéologique de
France XVIIe session », Paris, A. Picard, 1936, tome 1, p. 414-415
112
Paolo MARCONI, Roma 1806-1829 : un momento critico per la formazione della metodologia del Restauro
architettonico, in « Ricerche di storia dell’Arte », n°8, 1978-79.
77
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
- Places d’Arras : restauration urbaine par Pierre Paquet. Anastylose des façades, et
reconstruction libre derrière : début du façadisme et prémices de la reconstruction
de Varsovie après la seconde guerre mondiale. Les façades ne sont pas classées
Monuments Historiques en 1914.
- Château de Versailles : dans la vieille aile du château, qui n’a pas été entretenue
durant la première guerre mondiale. Reconstruction des murs avec suppression de
certaines époques par Emmanuel Pontremoli. Le château dépend alors du service des
Palais Nationaux.
- Palais des Papes d’Avignon : exemple donné par Paul Léon pour le vandalisme
d’utilisation. En effet après la révolution Française, le palais est transformé en prison.
Le palais est restauré pour lui rendre ses volumes et décors « originaux », en
dégageant le monument des constructions postérieures…
78
79
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
CONCLUSION
Comme nous avons pu le voir à travers cette étude, Paul Léon est un administratif typique
de la fin de la IIIe république. Normalien, cultivé, il s’engage avec enthousiasme dans les
services qu’il dirige, ce qui lui fait grimper les échelons de l’administration jusqu’à devenir
directeur général des Beaux-Arts. Son rôle de directeur, « véritable Protée » comme il le
décrit lui-même lui va comme un gant : gestion, législation, problèmes politiques,
techniques, administratifs, organisation, représentation. Il est présent et utile sur tous les
fronts et il affiche une rigoureuse neutralité politique, ce qui explique qu’il ait réussi à rester
28 ans aux Beaux-Arts, sous 58 ministres, dont 14 ans au poste de directeur, puis qu’il ait été
rappelé après la guerre à la Commission des Monuments Historiques.
Alors que Paul Léon est déclaré ouvertement académiste, anti-moderne, etc. par Jeanne
Laurent 113, il se révèle fervent défenseur de l’usage du béton armé pour la restauration ! Ne
parlant quasiment jamais de construction moderne alors que la « sauvegarde de la France
Monumentale » est l’œuvre de sa vie, je pense qu’il n’a pas réellement d’opinion pour ou
contre le mouvement moderne, mais plutôt que la construction contemporaine ne le
concerne ni ne l’intéresse. De même qu’il expliquait sa préférence pour les services
d’architecture par le peu d’importance de l’action de l’Etat sur les artistes contemporains, il
n’a que très peu de marge de manœuvre sur les constructions neuves. Il comprend la
rupture inexorable que représente l’arrivée du béton dans la construction, mais seules les
possibilités que le nouveau matériau offre à la restauration monumentale l’intéresse.
De même par son côté administratif, devant gérer des budgets trop faibles pour la
protection de monuments toujours plus nombreux, il prône la conservation et il est contre
toute restauration stylistique hypothétique. Mais, en tant qu’historien français, avec un
regard d’archéologue, très attaché à la physionomie de son pays, il souhaite sauvegarder le
113
LAURENT Jeanne, Un règne académique à l’administration des Beaux-Arts (1919-1933), in « Arts et pouvoirs
en France de 1793 à 1981 : histoire d’une démission artistique », Saint-Etienne, CIEREC, 1982
80
plus de bâtiments possibles, et leur rendre leur image d’avant-guerre, rendre à la France
monumentale « son vrai visage, sans balafre, ni cicatrice »114.
Le choix de la reconstitution intégrale des édifices est éminemment politique, mais semble
satisfaire autant les populations que les archéologues pourtant généralement hostiles aux
restaurations importantes. Seuls quelques artistes auraient préféré garder les ruines comme
témoignage toujours visible de la férocité allemande. Mais les villes d’Arras ou de Reims
n’auraient alors plus eu de centres historiques.
La suite du corpus permettra d’étudier, dans la thèse, l’articulation entre la doctrine prônée
durant la première moitié du XXe siècle et des cas concrets de restauration urbaine, de
dégagement de monuments, de choix stylistiques, de problématiques de la fonction des
monuments…
114
Paul Léon, cité par Paul VERDIER, « Le service des monuments historiques, son histoire, organisation,
administration, législation (1830-1934), in Congrès archéologique de France XVIIe session, Paris, A. Picard, 1936,
p. 200
81
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
ANNEXES
ART. 4 Dans le délai d’un an à partir de la promulgation de la présente loi, les biens mobiliers et
immobiliers des menses, fabriques, conseils presbytéraux, consistoires et autres établissements
publics du culte seront, avec toutes les charges et obligations qui les grèvent et avec leur
affectation spéciale, transférés par les représentants légaux de ces établissements aux associations
qui, en se conformant aux règles d’organisation générale du cuIte dont elles se proposent d’assurer
l’exercice se seront légalement formées, suivant les prescriptions de l’article 19, pour l’exercice de ce
culte dans les anciennes circonscriptions desdits établissements.
ART. 8 Faute par un établissement ecclésiastique d’avoir dans le délai fixé par l’article 4, procédé aux
attributions ci-dessus prescrites, il y sera pourvu par décret.
A l’expiration dudit délai, les biens attribués seront, jusqu’à leur attribution placés sous séquestre.
ART. 9 A défaut de toute association pour recueillir les biens d’un établissement public du culte, ces
biens seront attribués par décret aux établissements communaux d’assistance ou de bienfaisance
situés dans les limites territoriales de la circonscription ecclésiastique intéressée.
TITRE III
ART. 12 Les édifices qui ont été mis à la disposition de la nation et qui, en vertu de la loi du 18
germinal an X, servent à l’exercice public des cultes ou au logement de leurs ministres (cathédrales,
églises, chapelles, temples, synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères, séminaires), ainsi que
leurs dépendances immobilières et les objets mobiliers qui les garnissent au moment où lesdits
édifices ont été remis aux cultes, sont et demeurent propriétés de l’État, des départements et des
communes.
115
Extraits tirés de Jean-Marie MAYEUR, La séparation des Eglises et de l’Etat, collection Eglises/Sociétés, Les
éditions ouvrières, Paris, 1991
82
Pour ces édifices comme pour ceux postérieurs à la loi du 18 germinal de l'an X dont l’État, les
départements et les communes seraient propriétaires, y compris les Facultés de théologie
protestante, il sera procédé conformément aux dispositions des articles suivants.
ART.13 Les édifices servant à l’exercice public du culte, ainsi que les objets mobiliers les garnissant,
seront laissés gratuitement à la disposition des établissements publics du culte, puis des
associations appelées à les remplacer, auxquelles les biens de ces établissements auront été
attribués par application des dispositions du titre II.
La cessation de cette jouissance et s’il y a lieu son transfert seront prononcés par décret, sauf recours
au Conseil d’État statuant au contentieux :
1° Si l’association bénéficiaire est dissoute ;
2° Si, en dehors des cas de force majeure, le culte cesse d’être célébré pendant 5 consécutifs ;
3° Si la conservation de l’édifice ou celle des objets mobiliers classés en vertu de la loi de 1887 et de
l’article 16 de la présente loi est compromise par insuffisance d’entretien, et après mise en demeure
dûment notifiée de Conseil municipal ou, à son défaut, du Préfet ;
4° Si l’association cesse de remplir son objet ou si les édifices sont détournés de leur destination ;
5° Si elle ne satisfait pas soit aux obligations de l’article 6 du dernier paragraphe du présent article,
soit aux prescriptions relatives aux monuments historiques.
La désaffectation de ces immeubles pourra, dans les cas ci-dessus prévus, être prononcée par
décret rendu en Conseil d’État. En dehors de ces cas, elle ne pourra l’être que par une loi.
Les immeubles autrefois affectés aux cultes et dans lesquels les cérémonies du culte n’auront pas été
célébrées pendant le délai d’un an antérieurement à la présente loi, ainsi que ceux qui ne seront pas
réclamés par une association cultuelle dans le délai de deux ans après sa promulgation, pourront être
désaffectés par décret.
Il en est de même pour les édifices dont la désaffectation aura été demandée antérieurement au 1er
juin 1905.
Les établissements publics du culte, puis les associations bénéficiaires seront tenus des réparations
de toute nature, ainsi que des frais d’assurance et autres charges afférentes aux édifices et aux
meubles les garnissant.
ART. 14 Les archevêchés, évêchés, les presbytères et leurs dépendances, les grands séminaires et
facultés de théologie protestante seront laissés gratuitement à la disposition des établissements
publics du culte, puis des associations prévues l’article 13, savoir : les archevêchés et évêchés
pendant une période de deux années ; les presbytères dans les communes où résidera le ministre du
culte, les grands séminaires et facultés de théologie protestante pendant cinq années à pal de la
promulgation de la présente loi.
Les établissements et associations seront soumis, en ce qui concerne ces édifices, aux obligations
prévues par le dernier paragraphe de l’article 13.
Toutefois ils ne seront pas tenus des grosses réparations. ( … )
ART. 16.- Il sera procédé à un classement complémentaire des édifices servant à l'exercice public
du culte (cathédrales, églises, chapelles, temples, synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères,
séminaires), dans lequel devront être compris tous ceux de ces édifices représentant, dans leur
ensemble ou dans leurs parties, une valeur artistique ou historique.
Les objets mobiliers ou les immeubles par destination mentionnés à l'article 13, qui n'auraient pas
encore été inscrits sur la liste de classement dressée en vertu de la loi du 30 mars 1887, sont, par
l'effet de la présente loi, ajoutés à ladite liste. Il sera procédé par le Ministre de l’Instruction publique
et des Beaux-Arts, dans le délai de trois ans, au classement définitif de ceux de ces objets dont la
conservation présenterait, au point de vue de l'histoire ou de l'art, un intérêt suffisant. A
l'expiration de ce délai, les autres objets seront déclassés de plein droit.
83
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
En outre, les immeubles et les objets mobiliers, attribués en vertu de la présente loi aux associations,
pourront être classés dans les mêmes conditions que s'ils appartenaient à des établissements
publics.
Il n'est pas dérogé, pour le surplus, aux dispositions de la loi du 30 mars 1887.
Les archives ecclésiastiques et bibliothèques existant dans les archevêchés, évêchés, grands
séminaires, paroisses, succursales et leurs dépendances, seront inventoriées et celles qui seront
reconnues propriété de l'État lui seront restituées.
ART. 17.- Les immeubles par destination classés en vertu de la loi du 30 mars 1887 ou de la
présente loi sont inaliénables et imprescriptibles.
Dans le cas où la vente ou l'échange d'un objet classé serait autorisé par le Ministre de l’Instruction
publique et des Beaux-Arts, un droit de préemption est accordé : 1° aux associations cultuelles ; 2°
aux communes ; 3° aux départements ; 4° aux musées et sociétés d'art et d'archéologie ; 5° à l'État.
Le prix sera fixé par trois experts que désigneront le vendeur, l'acquéreur et le président du tribunal
civil
Si aucun des acquéreurs visés ci-dessus ne fait usage du droit de préemption la vente sera libre ; mais
il est interdit à l'acheteur d'un objet classé de le transporter hors de France.
Nul travail de réparation, restauration ou entretien à faire aux monuments ou objets mobiliers
classés ne peut être commencé sans l’autorisation du Ministre des Beaux-Arts, ni exécuté hors de la
surveillance de son administration, sous peine, contre les propriétaires, occupants ou détenteurs qui
auraient ordonné ces travaux, d’une amende de seize à quinze cents francs.
Toute infraction aux dispositions ci-dessus ainsi qu’à celles de l’article 16 de la présente loi et des
articles 4, 10, 11, 12 et 13 de la loi du 30 mars 1887 sera punie d’une amende de cent à dix mille
francs et d’un emprisonnement de six jours à trois mois, ou de l’une de ces deux peines seulement.
La visite des édifices et l'exposition des objets mobiliers classés seront publiques ; elles ne pourront
donner lieu à aucune taxe ni redevance.
Titre IV
ART. 18 Les associations formées pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exerce public d’un
culte devront être constituées conformément aux articles 5 et suivants du titre premier de la loi du
1er juillet 1901. Elles seront, en outre, soumises aux prescriptions de la présente loi.
1 ART.19 […] [Les associations] ne pourront sous quelle que forme que ce soit, recevoir des
subventions (de l’Etat, des départements ou des communes. Ne sont pas considérées comme
subventions les sommes allouées pour réparations aux monuments classés.
TITREV
ART.26 Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habitueIIement à
l’exercice d’un culte.
ART.28 Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les
monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, 11 l’exception des édifices
servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que
des musées ou expositions.
85
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Art. 2. L'immeuble appartenant à l'État sera classé par arrêté du ministre de l'Instruction publique et
des Beaux-Arts, en cas d'accord avec !e ministre dans les attributions duquel l'immeuble se trouve
placé. Dans le cas contraire, le classement sera prononcé par un décret rendu en la forme des
règlements d'administration publique.
L'immeuble appartenant à un département, à une commune, à une fabrique ou à tout autre
établissement public, sera classé par un arrêté du ministre de l'Instruction publique et des Beaux-
Arts, s'il y a consentement de l‘établissement propriétaire et avis conforme du ministre sous
l'autorité duquel l’établissement est placé. En cas de désaccord, le classement sera prononcé par un
décret rendu en la forme des règlements d'administration publique.
Art. 3. L'immeuble appartenant à un particulier sera classé par arrêté du ministre de l'Instruction
public et des Beaux-Arts, mais ne pourra l'être qu'avec le consentement du propriétaire. L'arrêté
déterminera les conditions du classement.
S'il y a contestation sur l'interprétation et sur l'exécution de cet acte, il sera statué par le ministre de
l'institution publique et des Beaux-Arts, sauf recours au conseil d'État statuant au contentieux.
Art. 4. L'Immeuble classé ne pourra être détruit, même en partie, ni être l'objet d'un travail de
restauration, de réparation ou de modification quelconque, si le ministre de l'Instruction publique
et des Beaux-Arts n'y a donné son consentement.
L'expropriation pour cause d'utilité publique d'un immeuble classé ne pourra être poursuivis
qu'après que le ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts aura été appelé & présenter ses
observations.
Les servitudes d'alignement et autres qui pourraient causer la dégradation des monuments ne sont
pas applicables aux immeubles classés. Les effets du classement suivront l'immeuble classé, en
quelques mains qu'il passe.
Art. 6. Le déclassement, total ou partiel, pourra être demandé par le ministre dans les attributions
duquel se trouve l'immeuble classé par le département, la commune, la fabrique, l'établissement
public et le particulier propriétaire de l'immeuble.
Le déclassement aura lieu dans les mêmes formes et sous les mêmes distinctions que le
classement.
Toutefois, en cas d'aliénation consentie à un particulier de l'immeuble classé appartenant à un
département, à une commune, à une fabrique, ou à tout autre établissement public, !e
déclassement, ne pourra avoir lieu que conformément au paragraphe 2 de l'article 2.
86
Art. 7. Les dispositions de la présente loi sont applicables aux monuments historiques régulièrement
classés avant sa promulgation.
Toutefois, lorsque l'État n'aura fait aucune dépense pour un monument appartenant à un
particulier, ce monument sera déclassé de droit dans le délai de six mois après la réclamation que
le propriétaire pourra adresser au ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, pendant
l'année qui suivra la promulgation de la présente loi.
Art 10. Les objets classés et appartenant à l'État seront inaliénables et imprescriptibles.
Art. 11. Les objets classés appartenant aux départements, aux communes, aux fabriques ou autres
établissements publics, ne pourront être restaurés, réparés, ni aliénés par vente, don ou échange,
qu'avec l'autorisation du ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts.
Art. 12. Les travaux, de quelque nature qu'ils soient, exécutés en violation des articles qui
précèdent, donneront lieu, au profit de l'État, à une action en dommages et intérêts contre ceux qui
les auraient ordonnés ou fait exécuter.
Les infractions seront constatées et les actions intentées et suivies devant les tribunaux civils ou
correctionnels, à la diligence du ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts ou des parties
intéressées.
87
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Art. 11. Sont compris parmi les travaux dont les projets doivent être soumis à l'approbation du
ministre les peintures murales, la restauration des peintures anciennes, l'exécution des vitraux
neufs et la restauration de vitraux anciens, les travaux qui ont pour objet d'agrandir, dégager,
isoler et protéger un monument classé, et aussi les travaux tels qu'installation de chauffage,
d'éclairage, de distribution d'eau et autres qui pourraient soit modifier une partie quelconque du
monument, soit en compromettre la conservation.
Est également comprise parmi ces travaux la construction de bâtiments annexes à élever contre un
monument classé.
Aucun objet mobilier ne peut être placé à perpétuelle demeure dans un monument classé sans
l'autorisation du ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts.
Art. 12. Les immeubles qui seraient l'objet d'une proposition de classement en cours d'instruction
ne pourront être détruits, restaurés ou réparés sans le consentement du ministre de l'Instruction
publique et des Beaux-Arts, jusqu'à ce que la décision ministérielle soit intervenue, si ce n'est après
un délai de trois mois à dater du jour où la proposition aura été régulièrement portée à la
connaissance de l'établissement public ou du particulier propriétaire.
Art. 14. Sont considérés comme régulièrement classés avant la promulgation de la loi :
1° Les monuments classés avec le consentement de ceux auxquels ils appartenaient ou dans les
attributions desquels ils se trouvaient placés ;
2° Les monuments qui auraient été classés d'office par le ministre de l'Instruction publique et des
Beaux-Arts et dont le classement, après avoir été porté à la connaissance des intéressés, n'aura été
l'objet d'aucune protestation dans le délai de trois mois ;
3° Les monuments classés pour lesquels l'État aurait fait une dépense quelconque sur le crédit
affecté aux monuments historiques.
Art. 2. Le ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts est président de la commission des
monuments historiques. Le directeur des Beaux-Arts est premier vice-président de droit. Un
deuxième vice-président est désigné par le ministre. En l'absence du président et du vice-président,
le doyen d'Age des membres présents remplit les fonctions de président.
Art. 4. Sont membres de droit: Le directeur des Beaux-Arts ; Le directeur des bâtiments civils et
palais nationaux ; Le directeur des cultes ; Le directeur des musées nationaux ; Le préfet de la Seine ;
Le préfet de police; Les inspecteurs généraux des monuments historiques; Le contrôleur des travaux
88
des monuments historiques ; Le directeur du musée des Thermes et de l'hôtel de Cluny; Le
conservateur du musée de sculpture comparée.
Art. 5. Les membres à la nomination du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts sont
nommés par arrêté ministériel. Lorsqu'une vacance se produit, la commission est invitée à
présenter au ministre une liste de trois candidats.
Art. 6 La commission peut constituer des sous-commissions chargées de préparer l'étude des
questions qui lui sont soumises et de lui en faire un rapport.
Art. 7. Le chef et le sous-chef du bureau des monuments historiques remplissent les fonctions de
secrétaire et de secrétaire–adjoint de la commission.
Il peut être également interdit autour desdits immeubles, monuments et sites dans un périmètre
qui sera, pour chaque cas particulier, déterminé par arrêté Préfectoral, sur avis conforme de la
Commission des sites et monuments naturels de caractère artistique.
ART. 2. Sont considérés comme régulièrement classés avant la promulgation de la présente loi : 1°
les immeubles inscrits sur la liste générale des monuments classés, publiée officiellement en 1900
par la direction des Beaux-Arts ; 2° les immeubles, compris ou non dans cette liste, ayant fait l'objet
d'arrêtés ou de décrets de classement, conformément aux dispositions de la loi du 30 mars 1887.
Dans un délai de trois mois, la liste des immeubles considérés comme classés avant la
promulgation de la présente loi sera publiée au Journal officiel. Il sera dressé, pour chacun desdits
immeubles, un extrait de la liste reproduisant tout ce qui le concerne;
La liste des immeubles classés sera tenue à jour et rééditée au moins tous les dix ans.
Il sera dressé en outre, dans le délai de trois ans, un inventaire supplémentaire de tous les édifices
ou parties d'édifices publics ou privés qui, sans justifier une demande de classement immédiat,
présentent cependant un intérêt archéologique suffisant pour en rendre désirable la préservation.
L'inscription sur cette liste sera notifiée aux propriétaires et entraînera pour eux l'obligation de ne
89
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
procéder à aucune modification de l'immeuble inscrit sans avoir, quinze jours auparavant, avisé
l'autorité préfectorale de leur intention.
ART. 5. L'immeuble appartenant à toute personne autre que celles énumérées aux articles 3 et 4 est
classé par arrêté du Ministre des Beaux-Arts, s'il y a consentement du propriétaire. L'arrêté
détermine les conditions du classement. S'il y a contestation sur l'interprétation ou l'exécution de cet
acte, il est statué par le Ministre des Beaux-Arts, sauf recours au Conseil d'État statuant au
contentieux.
A défaut du consentement du propriétaire, le classement est prononcé par décret en Conseil
d'État. Le classement pourra donner lieu au payement d'une indemnité représentative du préjudice
pouvant résulter pour le propriétaire de l'application de la servitude de classement d'office instituée
par le présent paragraphe. La demande devra être produite dans les six mois à dater de la
notification du décret de classement; cet acte informera le propriétaire de son droit éventuel à une
indemnité. Les contestations relatives à l'indemnité sont jugées en premier ressort par le juge de paix
du canton ; s'il y a expertise, il peut n'être nommé qu'un seul expert. Si le montant de la demande
excède 300 francs, il y aura lieu à appel devant le tribunal civil.
ART. 6. Le Ministre des Beaux-Arts peut toujours, en se conformant aux prescriptions de la loi du 3
mai 1841, poursuivre au nom de l'État l'expropriation d'un immeuble déjà classé ou proposé pour
le classement, en raison de l'intérêt public qu'il offre au point de vue de l'histoire ou de l'art. Les
départements ou les communes ont la même faculté.
La même faculté leur est ouverte à l'égard des immeubles dont l'acquisition est nécessaire pour
isoler, dégager ou assainir un immeuble classé ou proposé pour le classement.
Dans ces divers cas, l'utilité publique est déclarée par un décret en Conseil d'État.
ART. 7. A compter du jour où l'administration des Beaux-Arts notifie au propriétaire d'un immeuble
non classé son intention d'en poursuivre l'expropriation, tous les effets du classement s'appliquent
de plein droit à l'immeuble visé. Ils cessent de s'appliquer si la déclaration d'utilité publique
n'intervient pas dans les six mois de cette notification.
Lorsque l'utilité publique a été déclarée, l'immeuble peut être classé sans autres formalités par
arrêté du Ministre des Beaux-Arts. A défaut d'arrêté de classement, il demeure néanmoins
provisoirement soumis à tous les effets du classement, mais cette sujétion cesse de plein droit si,
dans les trois mois de la déclaration d'utilité publique, l'administration ne poursuit pas l'obtention du
jugement d'expropriation.
ART. 8. Les effets du classement suivent l'immeuble classé, en quelques mains qu'il passe.
Quiconque aliène un immeuble classé est tenu de faire connaître à l'acquéreur l'existence du
classement.
Toute aliénation d'un immeuble classé doit, dans les quinze jours de sa date, être notifiée au
Ministre des Beaux-Arts par celui qui l'a consentie.
L'immeuble classé qui appartient à l'État, à un département, à une commune, à un établissement
public, ne peut être aliéné qu'après que le Ministre des Beaux-Arts a été appelé à présenter ses
observations ; il devra les présenter dans le délai de quinze jours après la notification. Le Ministre
pourra, dans le délai de cinq ans, faire prononcer la nullité de l'aliénation consentie sans
l'accomplissement de cette formalité.
ART. 9. L'immeuble classé ne peut être détruit ou déplacé, même en partie, ni être l'objet d'un
travail de restauration, de réparation ou de modification quelconque, si le Ministre des Beaux-Arts
n'y a donné son consentement.
Les travaux autorisés par le Ministre s'exécutent sous la surveillance de son administration.
90
Le Ministre des Beaux-Arts peut toujours faire exécuter par les soins de son administration et aux
frais de l'État, avec le concours éventuel des intéressés, les travaux de réparation ou d'entretien
qui sont jugés indispensables à la conservation des monuments classés n'appartenant pas à l'Etat.
ART. 10. Pour assurer l'exécution des travaux urgents de consolidation dans les immeubles classés,
l'administration des Beaux-Arts, à défaut d'accord amiable avec les propriétaires, peut, s'il est
nécessaire, autoriser l'occupation temporaire de ces immeubles ou des immeubles voisins.
Cette occupation est ordonnée par un arrêté préfectoral préalablement notifié au propriétaire, et sa
durée ne peut en aucun cas excéder six mois.
En cas de préjudice causé, elle donne lieu à une indemnité qui est réglée dans les conditions prévues
par la loi du 29 décembre 1892.
ART. 11. Aucun immeuble classé ou proposé pour le classement ne peut être compris dans une
enquête aux fins d'expropriation pour cause d'utilité publique qu'après que le Ministre des Beaux-
Arts aura été appelé à présenter ses observations.
ART. 12. Aucune construction neuve ne peut être adossée à un immeuble classé sans une
autorisation spéciale du Ministre des Beaux-Arts. Nul ne peut acquérir de droit par prescription sur
un immeuble classé.
Les servitudes légales qui peuvent causer la dégradation des monuments ne sont pas applicables aux
immeubles classés.
Aucune servitude ne peut être établie par convention sur un immeuble classé qu'avec l'agrément du
Ministre des Beaux-Arts.
Art. 13. Le déclassement total ou partiel d'un immeuble classé est prononcé par un décret en Conseil
d'État, soit sur la proposition du Ministre des Beaux-Arts, soit à la demande du propriétaire. Le
déclassement est notifié aux intéressés et transcrit au bureau des hypothèques de la situation des
biens.
ART. 22. Les objets classés ne peuvent être modifiés, réparés ou restaurés sans l'autorisation du
Ministre des Beaux-Arts, ni hors la surveillance de son administration.
ART. 26. Lorsque l'administration des Beaux-Arts estime que la conservation ou la sécurité d'un objet
classé, appartenant à un département, à une commune ou à un établissement public, est mise en
péril, et lorsque la collectivité propriétaire, affectataire ou dépositaire ne veut ou ne peut pas
91
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
prendre immédiatement les mesures jugées nécessaires par l'administration pour remédier à cet état
de choses, le Ministre des Beaux-Arts peut ordonner d'urgence, par arrêté motivé, aux frais de son
administration, les mesures conservatoires utiles, et de même, en cas de nécessité dûment
démontrée, le transfert provisoire de l'objet dans un trésor de cathédrale, s'il est affecté au culte,
et, s'il ne l'est pas, dans un musée ou autre lieu public national, départemental ou communal, offrant
les garanties de sécurité voulues et, autant que possible, situé dans le voisinage de l'emplacement
primitif.
Dans un délai de trois mois à compter de ce transfert provisoire, les conditions nécessaires pour la
garde et la conservation de l'objet dans son emplacement primitif devront être déterminées par une
commission réunie sur la convocation du préfet et composée: 1° du préfet, président de droit ; 2°
d'un délégué du Ministère des Beaux- Arts; 3° de l'archiviste départemental; 4° de l'architecte des
monuments historiques du département ; 5° d'un président ou secrétaire de société régionale,
historique, archéologique ou artistique, désigné à cet effet pour une durée de trois ans par arrêté du
Ministre des Beaux-Arts ; 6° du maire de la commune ; 7° du conseiller général du canton.
La collectivité propriétaire, affectataire ou dépositaire pourra, à toute époque, obtenir la
réintégration de l'objet dans son emplacement primitif, si elle justifie que les conditions exigées y
sont désormais réalisées.
ART. 27. Les gardiens d'immeubles ou d'objets classés appartenant à des départements, à des
communes ou à des établissements publics doivent être agréés et commissionnés par le préfet.
Le préfet est tenu de faire connaître son agrément et son refus d'agréer dans le délai d'un mois.
Faute par la personne publique intéressée de présenter un gardien à l'agrément du préfet, celui-ci en
pourra désigner un d'office.
Le montant du traitement des gardiens doit être approuvé par le préfet.
Les gardiens ne peuvent être révoqués que par le préfet. Ils doivent être assermentés.
ART. 30. Toute infraction aux dispositions du paragraphe 3 de l'article 1er (effets de la proposition de
classement d'un immeuble), de l'article 7 (effet de la notification d'une demande d'expropriation),
des paragraphes 1er et 2 de l'article 9 (modification d'un immeuble classé), de l'article 12
(constructions neuves, servitude) ou de l'article 22 (modification d'un objet mobilier classé) de la
présente loi sera punie d'une amende de seize à mille cinq cents francs, (16 à 1,500 fr.), sans
préjudice de l'action en dommages-intérêts qui pourra être exercée contre ceux qui auront ordonné
les travaux exécutés ou les mesures prises en violation desdits articles.
92
ART. 31. Quiconque aura aliéné, sciemment acquis ou exporté un objet mobilier classé, en violation
de l'article 18 ou de l'article 21 de la présente loi, sera puni d'une amende de cent à dix mille francs
(100 à 10,000. fr.) et d'un emprisonnement de six jours à trois mois, où de l'une de ces deux peines
seulement, sans préjudice des actions en dommages-intérêts visées en l'article 20, paragraphe 1.
ART. 32. Quiconque aura intentionnellement détruit, abattu, mutilé ou dégradé un immeuble ou un
objet mobilier classé sera puni des peines portées à l'article 257 du Code pénal, sans préjudice de
tous dommages-intérêts.
ART. 33. Les infractions prévues dans les quatre articles précédents seront constatées à la diligence
du Ministre des Beaux-Arts. Elles pourront l'être par des procès-verbaux dressés par les
conservateurs ou les gardiens d'immeubles ou objets mobiliers classés, dûment assermentés à cet
effet.
ART. 34. Tout conservateur ou gardien qui, par suite de négligence grave, aura laissé détruire,
abattre, mutiler, dégrader ou soustraire soit un immeuble, soit un objet mobilier classé, sera puni
d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de seize à trois cents francs ou de
l'une de ces deux peines seulement.
ART. 37. Un règlement d'administration publique déterminera les détails d'application de la présente
loi.
Ce règlement sera rendu après avis de la Commission des monuments historiques.
Cette commission sera également consultée par le Ministre des Beaux-Arts pour toutes les décisions
prises en exécution de la présente loi.
ART. 38. Les dispositions de la présente loi sont applicables à tous les immeubles et objets mobiliers
régulièrement classés avant sa promulgation.
ART. 39. Sont abrogés les lois du 30 mars 1887, du 19 juillet 1909 et du 16 février 1912 sur la
conservation des monuments et objets d'art ayant un intérêt historique et artistique, les
paragraphes 4 et 5 de l'article 17 de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de
l'Etat, et généralement toutes dispositions contraires à la présente loi.
La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée
comme loi de l'État.
Loi sur les réparations des dommages de guerre 17 avril 1919, article 12
« S’il s’agit d’édifices civils ou cultuels, l’indemnité consiste dans les sommes nécessaires à la
reconstruction d’un édifice présentant le même caractère, ayant la même importance, la même
destination et offrant les mêmes garanties de durée que l’immeuble détruit.
Cette importance et ces garanties sont déterminées sur la demande des intéressés ou d’office par la
commission spéciale ci-après indiquée.
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Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
Le ministre de l’instruction publique et des Beaux-Arts statue, après avis favorable de la même
commission, sur la conservation et la consolidation des ruines, et éventuellement, sur la
reconstruction, en leur état antérieur, des monuments présentant un intérêt national d’histoire ou
d’art. Des subventions, à cette destinée, sont inscrites à un chapitre du budget du Ministère de
l’Instruction Publique et des BA.
Si la reconstruction n’est pas autorisée sur l’emplacement des ruines, l’indemnité comprend les
sommes nécessaires à l’acquisition du nouveau terrain.
La commission prévue ci-dessus est composée de 2 sénateurs, élus par le Sénat ; 3 députés, élus par
la Chambre ; de 2 membres de l’Académie française, de 2 membres de l’Académie des inscriptions et
belles-lettres ; de 2 membres de l’Académie des BA, d’un membre du Conseil général des Bâtiments
Civils, de 2 membres de la commission des monuments historiques élus par leur leurs collègues, d’un
délégué du Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts ; d’un délégué du ministre des
Finances, d’un délégué du Ministre de l’Intérieur ; d’un délégué du Ministre du Travail, d’un délégué
du ministre chargé de la reconstitution des régions libérées ; d’un représentant de chaque culte
intéressé à la réparation des édifices, désigné par le Ministre de l’Intérieur, et de 6 personnalités
artistiques désignées par le Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts.
Votre présence, Monseigneur, nous honore et nous émeut. Vos plus lointains prédécesseurs étaient
abbés de Saint-Remi. Nous savons votre dilection pour une église qui ajoute à tant de siècles de
gloire la consécration du martyre. Avec vous, permettez-moi d’évoquer en cette journée, la mémoire
vénérée du grand cardinal Luçon qui, de même que saint Nicaise, aux portes de sa cathédrale, sut
faire face à l’invasion et mériter ce beau nom de défenseur de la Cité dont se paraient les évêques
aux premiers siècles de l’Eglise. La défense de la cité, n’est-ce pas celle de la patrie ? Illustre et
séculaire tradition. Saint Remi, auprès de Clovis, Jeanne auprès du dauphin Charles, par deux fois, en
péril de mort, Reims a décidé de la France. Puisse désormais cette église atteindre, en paix, son
millénaire. Puissent alors nos descendants rendre justice et rendre grâce à notre génération qui, si
durement éprouvée, n’a reculé devant aucun sacrifice pour leur transmettre l’héritage qu’elle avait
reçu du passé et pour leur restituer intacte la beauté monumentale des plus illustres sanctuaires de
l’histoire et de la foi. »
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Discours lors du déjeuner officiel qui suit la Grand-Messe de l’inauguration.
« En me faisant le grand honneur de m’appeler parmi vous, vous avez voulu rendre hommage à mes
collaborateurs qui, beaucoup plus que moi-même, ont été les bons ouvriers de la grande œuvre
accomplie ; à M. L’inspecteur général Rattier, qui poursuit avec tant d’ardeur et un si profond
dévouement, l’œuvre du regretté Genuys, à M. Deneux, qui mériterait ici, de même qu’à la
cathédrale, de voir son effigie gravée à l’angle de quelque vitrail. N’incarne-t-il pas pour nous l’art, la
science, la conscience et jusqu’à la physionomie légendaire du maitre d’œuvre ? Mais il emprunte à
ses modèles leur vertu d’anonymat. D’ailleurs quelle louange verbale vaudrait la réalité ? Les cieux
content la gloire de Dieu. L’édifice juge l’architecte. Devant cette résurrection, il nous suffit de
répéter la parole de l’écriture : « Vous tous, venez et voyez ». Toutefois, me saura-t-il gré de
remercier ici les entrepreneurs dévoués, les chefs et les ouvriers d’élite qui l’ont aidé de leur travail,
de leur savoir et de leur foi – car s’il faut avoir la foi pour soulever les montagnes, il fallait bien l’avoir
aussi pour relever de leurs décombres tant d’illustres sanctuaires.
Rappellerai-je les catastrophes qui semblaient irréparables et les ruines, qu’à bon droit, l’on croyait
définitives : l’incendie des charpentes et des voûtes, le bombardement du chevet, l’écroulement
successif des murs, l’édifice gravement atteint dans toutes ses œuvres vives, un informe et
gigantesque amoncellement de décombres emplissant l’ancien vaisseau ? Depuis lors, douze ans ont
passé, pour nous de fiévreux travail, pour vous de fiévreuse attente. Dans cet immense chantier qui
de Dunkerque jusqu’aux Vosges, a recouvert toute la France, il fallait ne rien entreprendre que l’on
ne fût sûr d’achever ; il fallait sérier les questions, coordonner les efforts et mesurer les étapes. Le
temps n’épargne jamais ce que l’on a fait sans lui. Nos travaux n’ont rien à craindre de la rude
épreuve des siècles.
En rendant Saint-Remi au culte, nous rendons aussi à la France le berceau de son histoire. Un
oratoire sur une tombe, dans un cimetière hors les murs, telle est la première origine. « Avant de
s’élancer, tout clocher est caveau ! » Mais la tombe abritait les restes d’un apôtre qui avait, par un
unique destin exercé son saint ministère pendant soixante-quinze ans, de la plus jeune adolescence à
la plus extrême vieillesse. Celui-là n’était pas marqué de la sanglante auréole qui brille au front des
martyrs, mais du sceau des pasteurs de peuples et des fondateurs d’empires. Les Alamans mis en
fuite par le signe de la croix, comme les hordes de Maxence noyées dans les flots du Tibre, fixent le
destin de Clovis comme celui de Constantin et assurent à l’Eglise la conquête du monde barbare
après celle du monde Romain. Grâce à Saint Remi, c’est pour Dieu que combattra la framée. Par lui,
s’est évangélisé la France Septentrionale d’Amiens, Cambrai et Boulogne, à Beauvais, Soissons et
Chalons. Le souvenir de sa parole, que Sidoine comparait à la pureté du cristal, continue les
conversions. Trois rois et deux reines de France, vingt-trois archevêques de Reims, de nombreux
princes et seigneurs veulent reposer près de lui. Cinquante ans après sa mort, un concile consacre
son culte. De toute la chrétienté, les pèlerins accourent en foule. Les guerres, les invasions, les
terreurs du moyen-âge grossissent leur troupe douloureuse. Les chapelles, les premières églises ne
suffisent plus à les contenir. Dès qu’au lendemain de l’an mil, l’espoir renait dans les cœurs et que la
France revêt la blanche robe de ses églises, les moines de Saint-Remi, en l’honneur du grand ancêtre,
jettent les bases de l’édifice qui demeure encore aujourd’hui. Les abbés et les évêques y travaillent à
l’envi. Au chevet, au portail, aux voutes, Pierre de Celles fait régner l’élégante et forte maitrise de
l’architecture ogivale ; Jean Canart, au XIVe siècle élève un gracieux clocher, enfin Robert de
Lenoncourt déploie sur le portail sud la somptueuse richesse d’un vaste décor flamboyant. Ces
constructions successives ne devaient pas résister aux fureurs de vandalisme suivis d’une longue
période de négligent abandon. Il y a cent ans, les moyens dont disposaient les architectes n’ont
permis que des solutions trop timides ou trop brutales : reconstruction de la façade, substitution de
voûtes en bois à la charge des voûtes en pierre. La technique d’aujourd’hui se joue de pareils
problèmes. C’est un singulier paradoxe que l’architecture moderne, rompant nettement par
95
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
l’universel emploi des matériaux moulés ou plaqués avec l’antique construction par assise et
refouillement ait si puissamment aidé à la conservation de nos monuments anciens auxquels elle est
dans son principe, radicalement étrangère et qu’elle est, dans l’avenir, destinée à remplacer.
Tandis que, de siècle en siècle, l’art apportait à Saint-Remi ses plus magnifiques offrandes, l’abbaye
vivait sa vie de seigneurie féodale ; elle recevait dans son enceinte les moines bénédictins voués à la
règle clunisienne et plus tard à celle de Saint-Maur. A Odon et à Robert, à Anselme et à Flodoard
succéderont Oudart, Bourgeois, Coquebert et Mabillon. Là se forment nos archives, se préparent nos
académies ; là s’épanouit dans l’ombre et le silence des cloîtres, à l’abri des rigueurs du siècle, la fleur
la plus délicate de la civilisation.
Dans l’abbaye de Saint-Remi on peut dire qu’il n’est pas de pierre qui n’évoque un grand souvenir :
Nullum sine nomine saxum. A nous de le fonder sur d’inébranlables assises et pour de longues
destinées. Puissent-t-elle, dans cet asile ouvert à l’art, à la foi, au secours de ceux qui souffrent, servir
demain comme hier, d’un même zèle et d’un même éclat, la petite et la grande patrie. » 116
4) Conférence d’Athènes
CONCLUSIONS DE LA CONFÉRENCE
1. – DOCTRINES. PRINCIPES GÉNÉRAUX.
La Conférence a entendu l’exposé des principes généraux et des doctrines concernant la protection
des Monuments.
Quelle que soit la diversité des cas d’espèce dont chacun peut comporter une solution, elle a
constaté que dans les divers Etats représentés prédomine une tendance générale à abandonner les
restitutions intégrales et à en éviter les risques par l’institution d’un entretien régulier et
permanent propre à assurer la conservation des édifices.
Au cas où une restauration apparaît indispensable par suite de dégradation ou de destruction, elle
recommande de respecter l’œuvre historique et artistique du passé, sans proscrire le style
d’aucune époque.
La Conférence recommande de maintenir l’occupation des monuments qui assure la continuité de
leur vie en les consacrant toutefois à des affectations qui respectent leur caractère historique ou
artistique.
116
Discours reproduits dans F.-X. M. La résurrection de la basilique Saint-Remi, extrait du « Bulletin du diocèse
Reims », Reims, imprimeries du Nord-Est, 1931, p. 9-11
96
rencontrer le moins d’opposition possible, en tenant compte aux propriétaires des sacrifices qu’ils
sont appelés à subir dans l’intérêt général.
Elle émet le vœu que dans chaque Etat l’autorité publique soit investie du pouvoir de prendre, en
cas d’urgence, des mesures conservatoires.
Elle souhaite vivement que l’Office international des Musées publie un recueil et un tableau comparé
des législations en vigueur dans les différents Etats et les tienne à jour.
6. – LA TECHNIQUE DE LA CONSERVATION.
La Conférence constate avec satisfaction que les principes et les techniques exposés dans les diverses
communications de détail s’inspirent d’une commune tendance, à savoir :
Lorsqu’il s’agit de ruines, une conservation scrupuleuse s’impose, avec remise en place des
éléments originaux retrouvés (anastylose) chaque fois que le cas le permet les matériaux nouveaux
nécessaires à cet effet devront être toujours reconnaissables. Quand la conservation des ruines
97
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
mises à jour au cours d’une fouille sera reconnue impossible, il est conseillé de les ensevelir à
nouveau, après bien entendu avoir pris des relevés précis.
Il va sans dire que la technique et la conservation d’une fouille imposent la collaboration étroite de
l’archéologue et de l’architecte.
Quant aux autres monuments, les experts ont été unanimement d’accord pour conseiller, avant
toute consolidation ou restauration partielle, l’analyse scrupuleuse des maladies de ces monuments.
Ils ont reconnu en fait que chaque cas constituait un cas d’espèce.
98
Nationalité des participants, d’après la liste publiée dans les actes de la Conférence : La conservation
des monuments d’art et d’histoire, Paris, Institut de Coopération intellectuelle, 1933.
99
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
Sources
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OUVRAGES
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ARTICLES
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LEON Paul, La protection des églises, Revue de Paris, 1er février 1913
100
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LEON Paul, La guerre et les monuments, in « les Arts », n°154, avril 1916, p. 2-10
LEON Paul, l’architecture régionale dans les provinces envahies, in « les Arts », n°157, 1917, p. 12-19
LEON Paul, La querelle des classiques et des gothiques, Revue de Paris, 15 juillet 1913
LEON Paul, Les vandales en France, Senlis, L’art et les artistes spécial 1914-1915
LEON Paul, L’art roman, notices historiques et archéologiques, Paris, l’encyclopédie des Styles, 1917
LEON Paul, projets pour la reconstitution de la France, in « les Arts », n°165, 1917, p. 11-17
Bibliographie
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101
Camille Bidaud / Paul Léon et la restauration monumentale
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80/47/5 à la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine.
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conseil municipal le 10 février 1847, Reims, Regnier imprimeur, 1847
DEMAISON Louis, Eglise Saint-Remi, in « Congrès Archéologique de France », LXXVIIIe session à Reims,
1911, Caen, Delesques, 1912, p. 57-106
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vol LXXI, 1881, p. 298-308
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centrale d’architecture, 1900
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restauration de l’église abbatiale de Saint-Remi de Reims, par M. Durand, architecte, membre
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113
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gothique, Pais, Droz, 1978
102
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