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Cours Histoire de la Vie Politique : Yves Deloye Paris Sorbonne Panthéon

Année 2006-2007 : 1er semestre

Validation par une sorte


COURS DUd’oral-écrit.
JEUDI DE 8H à 9H30 PUIS DE 11H45 à 13H15
3 questions, relatives au cours. Réponses libres.
Questions pas nécessairement factuelles
Pas pure question de cour type les étapes de la construction de la nationalité en France.
Peut être transversal

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Année 2006-2007 : 1er semestre

Introduction Générale...................................................................................................................5
Partie 1. Le temps long de la vie politique européenne..................................................................10
Chapitre I : Aux origines de l’ordre politique contemporain (I) : Genèse de l’ordre politique étatique
............................................................................................................................................. 11
Section I - L’héritage de la féodalité (IXe – XIIe siècles)..........................................................12
1§ Les spécificités du féodalisme européen.........................................................................12
2§ L’absence de monopole de l’autorité politique.................................................................14
Section II - La dynamique de l’Occident.................................................................................15
1§ La construction d’un centre politique.............................................................................15
2§ Violence et politique : la civilisation des mœurs politiques...............................................20
Section III - La sortie de la religion ou la difficile sécularisation de la société (18 ème – 19ème siècle)
..........................................................................................................................................23
§1 (La lente autonomisation de l’espace des activités politiques) et 2 (Sécularisation et
résistances ecclésiales).....................................................................................................23
Conclusion : histoire comparée de l’Etat moderne en Europe...................................................26
Chapitre II : Aux origines de l’ordre politique contemporain (II) : Démocratie et Etat de droit en
Europe...................................................................................................................................28
Section I - L’émergence de l’espace public (18ème siècle – 19ème siècle).....................................28
1§ Le tribunal de l’opinion publique....................................................................................28
2§ La naissance de l’Etat parlementaire..............................................................................29
Section II - La naissance de la compétition politique démocratique en Europe (fin 18 ème – 20ème
siècles)...............................................................................................................................31
1§ Histoire sociale de la démocratie représentative..............................................................31
2§ Les effets de l’universalisation du suffrage politique (1848-1913).....................................34
Section III - Eléments pour une histoire de la mobilisation électorale (19 ème siècle – 20ème siècle)39
Introduction.....................................................................................................................39
1§ La mesure et les rythmes de la mobilisation électorale....................................................40
2§ La politisation ou l’histoire d’une dépossession...............................................................45
Conclusion de la 1ère partie.......................................................................................................54
Partie 2. La vie politique française au prisme de son histoire.........................................................55
Introduction générale de la 2ème partie......................................................................................56
Chapitre III : L’Etat entre sacralisation et rejet..........................................................................57
Section I - L’emprise de l’Etat sur la société française et sa contestation (18 ème siècle – 20ème
siècle).................................................................................................................................57
1§ Etatisation et servitude.................................................................................................57
2§ Eléments pour une autre histoire de l’Etat : celle de sa contestation et des résistances à
l’étatisation......................................................................................................................59
Section II - Les métamorphoses contemporaines de la régulation étatique (XXe siècle).............62

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1§ Le développement de l’Etat au XXe siècle.......................................................................62


2§ Le devenir libéral (/idéal ?) de l’Etat..............................................................................64
Chapitre IV : La citoyenneté entre ouverture et clôture nationale................................................70
Section I - Eléments pour une histoire de la citoyenneté républicaine (XVIIIe – XXe siècle)........71
1§ Histoire comparée du nationalisme................................................................................71
2§ Les fondements du modèle républicain de citoyenneté....................................................72
Section II - L’improbable cosmopolitisme, histoire de la nationalité française de la fin du XIXe
siècle à nos jours.................................................................................................................73
1§ L’invention de la nationalité..........................................................................................74
2§ Le devenir de l’ « habitus national »..............................................................................77
Chapitre V : CHRONIQUE DE L’HISTOIRE ELECTORALE CONTEMPORAINE..................................79
Section I - Les transformations du gouvernement représentatif...............................................79
1§ Les principes historiques du gouvernement représentatif.................................................79
2§ La représentation politique en devenir...........................................................................85
Section II - Eléments pour une histoire des forces politiques françaises (1945  Aujourd'hui)....89
1§ L’espace politique français............................................................................................89
2§ - Chronique électorale contemporaine............................................................................92
Conclusion générale :.................................................................................................................93

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Introduction Générale

- Quelle est la spécificité du regard que les historiens portent sur l histoire politique ?
L’histoire politique est elle différente de l’histoire sociale juridique diplomatique ?
Puis place de l’histoire politique.

- Enseignement de l histoire ?
Début du 19e siècle. Commence a émerger une sensibilité en faveur de l’enseignement de l
histoire. A l université, de manière scientifique.
1821, Karl Wilhelm von Humboldt : conférence, L’office de l’historien.
Office==) métier. Une des toutes premières définitions de ce que l’exercice de l histoire
suppose.
« L’histoire est une science des hommes dans le temps et qui, sans cesse, a besoin d’unir
l’étude des morts à celle des vivants »

==) 3 caractéristiques :

1. Le discours historique se prétend scientifique. Obéit a une méthodologie particulière,


renvoie a une modalité du passé qui est particulière. La méthode de l historien n est
codifiée qu’à la fin du 19e. En France, premier manuel apparaît milieu 1890. Michelet
était historien, mais pas historien scientifique, pas de travaux encore guidés par la
méthode codifiée. Un discours neutre, objectif. Léopold von Ranke, ce que doit faire l
historien c’est raconter le passé tel qu’il s’est passé. L’historien simple porte parole
des faits qu il rapporte. Fonde l’école historiographique du réalisme historique.
Prétention à la neutralité. Possible ? Jaurès écrit l histoire socialiste de la Révolution
française, honnêteté.

2. Rapport a la chronologie, au temps. Les faits au sein d une échelle temporelle. L


historien travaille sur le temps. Y a t il une spécificité du temps historique p/r autre ?
La temporalité de l’histoire politique est elle différente de celle de l’histoire du droit ?
Fernand Braudel, de l’Ecole des annales. Né en 1929, Marc BLOCH. Puis L’Ecole des
hautes études en sciences sociales, Braudel enseignant. Ecrit la Méditerranée. 3
temporalités, 3 manières de dev le tps. Le temps long : le climat notamment, les choses
évoluent lentement à travers les siècles. Braudel. Le temps de la moyenne durée : les
transformations économiques, dont les cycles. La Le temps de la courte durée :
correspond à l’événementiel, 10 mai 1981, arrivée de la gauche au pouvoir. Le
politique relèverait de la courte durée.

3. « Unir l’étude des morts à celui des vivants » Toute discours historique articule
présent et passé. L’historien traite du passé, à partir du présent. Historien est engagé ds
son temps. Les questions que l’on pose au passé seraient donc bien souvent celles que
l on pose au présent. Marc BLOCH. Spécialiste du féodalisme. Apologie pour le
métier d’historien : l’auteur traite de ces rapports entre passé et présent. L’histoire est
un engagement. L’histoire n’est ainsi pas neutre.
Karl MARX. Assiste à 1848 comme journaliste d’un grand quotidien anglais. Coup d’Etat qui
suit. Le 18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte. 1852. Pk échec de la première expérience

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du suffrage universel ? Retour d’un autocrate. KM : « Les hommes font leur propre histoire
mais ils ne la font pas de leur propre mouvement dans des circonstances, choisies par eux
seuls ; ces circonstances leur sont données, transmises par le passé ». Histoire, nouveautés à
remettre dans sens de l’histoire. Main morte ou latence du passé.
Bilan est qu’on ne peut transformer le monde ? 1848, très neuf, révolution majeure, mais
électeurs restés prisonnier d’une mentalité politique d’ancien régime. Les paysans
parcellaires dénoncés par KM qui votent pour la sécurité. Dialectique entre novation brutale
et conditions qui renvoient au passé. La dialectique passé/présent : l’historien s’engage a
partir de son époque

1876, IIIe République. Parution de la Revue Historique. Première revue scientifique à


prétention historique. Déjà une revue historique catholique.
Attendre 20taine d’années pour que communauté historique, 1897. Deux historiens français
publient introduction aux études historiques. Charles Victor LANGLOIS et Charles
SEIGNOBOS.
Ernest LAVISSE. Fr.
==) revue. Comment les historiens doivent procéder. Codification de la méthode des
historiens. L’Ecole méthodique.
N’est pas neutre.
Le travail de l historien repose sur un certain nombre de sources, d’archives. Travail de
l’historien sur les archives.
Archivage, les grands voulurent conserver une trace de leurs activités. Naissent pour des
raisons liées a la volonté de marquer (les rois), ou administratif, archivage. Les archives ne
sont pas la pour les historiens. Quand ces 3 deviennent historiens, pas de catalogue
disponible. Pas de recensement. Premier travail des historiens, classer ces archives,
inventent l’heuristique, cad ce qui est nécessaire à la connaissance.
Font de l’heuristique chose essentielle ds le travail historiographique. Ecrire l’histoire en
partant de faits. Importance d’établir inventaires.

L’histoire orale n’est alors pas considérée comme pertinente. Sacralisation de l’archive.
Qui dépose les archives ?
Accéder a un certain niveau de pouvoir. L’administration. Les archives publiques surtout.
Ex : peu de choses sur les ouvriers, hormis à la police.
==) Les archives consacrent le rôle historique de certains. Pan de la réalité sociale.

==)) Des lors que l’on privilégie l’archive, l’histoire privilégiée, est donc l’histoire politique
et administrative.

De 1876 à 1925 : Revue H. 95% concernent histoire politique/adm/diplo. Pas de culturel,


religieux, économique, ni social.

A cette période, l’historien est le porte parole fidèle des archives. Pas d’interprétation. Se
contente de raconter le passé tel qu il s est passé. L’historien s’efface de lui-même. Un
document est il fiable ? Archives remplies de faux. La critique de source. Humboldt parle de
la vérité historique, enfermée ds les archives.

 Prise de conscience hist. début XIXe


 Consécration de la science historique fin XIXe

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1929 : Université de Strasbourg. Très importante dans l’entre deux guerres. Jusque 1918,
Strasbourg occupée par les Allemands. Apres première guerre mondiale, grands
investissements pour rivaliser avec Berlin. On nomme ainsi Marc Bloch. Grand sociologue
Maurice Hall Back
Mvt des Annales.

Ecole des Annales : ouverture aux autres sciences sociales. L’historien doit s’enrichir des
autres sciences sociales. Anthropologues, sociologues, juristes etc. L’historien doit s’ouvrir
au débat.
Marc Bloch : « L’historien doit aller aux champs ». Aller chercher l’histoire là où elle est,
hors des dépôts d’archives. Compléter le dispositif des sources par rapport à ce qui existe.
Conséquences : les historiens des Annales vont progressivement décrédibiliser l’histoire
politique. Peut être pas l’histoire la plus importante. Les rois n’ont pas fait l’histoire.

Fernand Braudel, L’histoire de la méditerranée. Sujet très classique. Découvre que l’histoire
de la méditerranée est plus que royale. Histoire économique et sociale. L’Etat est abordé
dans le dernier chapitre. Publié après 2nde guerre mondiale. Son sujet de départ est occulté.
Devenu le résidu de l’histoire.
Lucien Febvre et Marc Bloch, l’histoire politique de coté.

Deux conceptions au sein des historiens.


- Le discours de l’école méthodique, l’archive, la neutralité voulue.
- De l’autre coté, née 1929 les Annales qui privilégie le social, l’économique etc. Part
d’interprétation. Historien pose des questions au passé. Braudel audacieux.

Le mouvement des Annales est très marginal au départ, n’a pas d’effet immédiat. Il se
développe surtout après la Seconde guerre mondiale. Création de l’Ecole des Hautes Etudes
Sciences Sociales. EHESS.

50s 60s 70s :


L’histoire politique tendance à se marginaliser. Déconsidération dans le milieu
académique.
Ernest Labrouste, grand historien français d’après guerre. Histoire économique. Description
de la vie sociale, indépendamment de la vie politique. Véritable délégitimation des
méthodistes.

Change 70s début 80s :


Des retours en scène de l’histoire politique. 3 mouvements de renaissance de l’histoire
politique :

 1er groupe.
Réflexion critique des historiens des Annales. 79, début de réflexion par rapport au
bicentenaire de la révolution française. 79 à l’Est, début des révoltes dans les pays du bloc
soviétique.
==) Le politique trop négligé ? Certaine autocritique. Novembre 79, certain aveu. Esquissent
un programme de travail. Histoire politique sans tomber dans une histoire événementielle.
Histoire de la longue durée politique. Tout ce qui peut inscrire le politique en profondeur dans

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une société. Redécouverte du politique par les Annales. Figure de Jacques Le Goff ( ?), écrit
l’histoire de St Louis à sa manière.

 2e groupe.
Ecole méthodologique. Des historiens comme René Rémond. Refaire de l’histoire politique
avec 89. 1988, René Rémond : Pour une histoire politique, véritable manifeste. Jean-François
Sirinelli.

 3e groupe.
Mouvement de l’histoire conceptuelle du politique. Pierre Rosanvallon 1992. Intellectuels.
Marcel Gauchet. Soutiennent les pays de l’Est dissidents. Le Nouvel Observateur.
L’histoire conceptuelle du politique = beaucoup d’idées, de concepts idéologiques.
Importance du concept de liberté. Porteurs d’une histoire totale des idées politiques.

===) Premier héritage, remonter, se donner les moyens de penser l’histoire longue. Ne pas
non plus négliger l’impact d’événements précis

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Partie 1. Le temps long de la vie politique européenne

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Chapitre I : Aux origines de l’ordre politique contemporain (I) : Genèse


de l’ordre politique étatique
Définitions :
 ordre politique : l’ordre politique peut être défini de manière liminaire comme un
secteur de l’espace social traversé par des relations de pouvoirs spécifiques
(politiques) envisagés tant du point de vue de ceux qui exercent le pouvoir que de ceux
qui s’y soumettent volontairement ou involontairement et des liens qui les unissent.
 secteur social : il ne va pas de soi que le secteur politique existe en tant que tel. En
Europe : mécanisme de désencrassement ou de différenciation d’un certain nombre
d’autres dimensions du social, dont la dimension religieuse.
Il y a une progressive émancipation du politique. Il faut faire une distinction entre ordre
politique et ordre économique.
La spécificité du secteur politique :
1. secteur autonome des autres pouvoirs
2. secteur traversé par des relations de pouvoir qui lui sont spécifiques.

Deux caractéristiques du pouvoir politique :


1. Il n’existe que rapporté à un territoire donné : il n’y a pouvoir politique que
territorialisé. Question subsidiaire : à partir de quand se définissent les espaces
politiques territorialisés ?
2. Le pouvoir politique fait l’objet d’une obéissance puisqu’il renvoie à un type de
contrainte particulière. Il est le seul qui peut user de la violence pour l’obéissance. Le
pouvoir politique s’exerce toujours par :
a. L’usage de la violence
b. La menace de l’usage de la violence

In fine, il dispose du monopole tendanciel de la légitimité de la violence (Weber, Economie


et société). Les relations de pouvoir restent stato-nationales.
=> L’Etat dispose de la violence (Police/Armée) et aussi du droit d’en user :
1. tendanciel : l’Etat n’a pas toujours ce monopole (par exemple, il n’en dispose plus
quand il y a l’existence d’une Mafia)
2. monopole : dans un cadre légal donné, les forces de police sont les seules à pouvoir
user de la violence.

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Section I - L’héritage de la féodalité (IXe – XIIe siècles)

1§Les spécificités du féodalisme européen

A. Cadrage chronologique
Officiellement, les historiens datent la féodalité de 877. Deux événements à cette date :
1. La mort de Charles le Chauve, petit fils de Charlemagne, entraîne une dispersion du
territoire unifié par Charlemagne qui avait déjà commencé à se disloquer sous Louis
le Pieux (fils de Charlemagne). => Dislocation de l’empire carolingien, se pose la
question de l’héritage
2. Charles le Chauve tient une assemblée qui réunit les grands du royaume à Quierzy =>
décision de rendre les fiefs héréditaires, c'est-à-dire permettre une transmission
familière des terres et du pouvoir qui leur est rattaché. C’est l’acte de naissance de la
féodalité.

Dans les quelques années qui suivent : renforcement de la dislocation de l’empire carolingien.
Formation de groupements de domination. => Emiettement du pouvoir. Pourquoi un tel
effritement ?
Charlemagne meurt en 814 à Aix-la-Chapelle, mais il a déjà partagé avant l’empire, dès 811,
avec ses 3 fils :
 la Francie occidentale
 la Francie méridionale
 la Germanie
Il pense préserver l’unité impériale en transmettant la couronne à Lothaire, son fils aîné.
L’idée est de n’avoir qu’un seul empereur, mais 3 territoires, chacun géré par un de ses
enfants. Les deux derniers fils ne vont pas reconnaître une supériorité à leur aîné. Dès 814 :
luttes internes à l’empire, qui produisent des divisions et des effets en terme de
fractionnement.
Charlemagne avait divisé son territoire en trois parties équilibrées en terme de puissance.
Certains de ses enfants vont mourir très tôt et les petits enfants vont aussi vouloir leurs parties
du territoire. L’équilibre de Charlemagne est ainsi divisé par des luttes de pouvoir. =>
Situation explosive : possibilité d’alliances entre grands et petits. Dynamique de dynamitage.
Après la mort de Charlemagne, l’empire va être caractérisé en son sein par un niveau
d’insécurité maximal.

B. La vassalité
Cette insécurité conduit la plupart des hommes libres à rechercher la protection d’hommes
plus puissants. A l’époque, il y a deux types d’hommes :
1. Les hommes libres, avec la plénitude juridique (aristocratie, clergé)
2. Les cerfs, sans propriété terrienne, qui sont attachés à une terre qu’ils travaillent.

Face à l’insécurité, apparaît la vassalité. L’homme libre négocie un contrat vassalique, il


quémande la protection d’un seigneur plus puissant que lui. Le lien vassalique est une sorte de
contrat juridique de type synallagmatique.
Quelles sont les obligations du vassal ?
1. il prête serment de fidélité, c'est-à-dire qu’il va jurer sur son honneur de ne pas nuire
à l’intégrité politique et territoriale du seigneur.

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2. il lui promet de rendre un certain de nombre de services : c’est le principe de


l’auxilium (auxiliaire administratif du seigneur)
3. le principe du conseil : le vassal appartient à la cours féodale. C’est le principe du
consilium.
4. des obligations de type financières dans un certain nombre de cas :
a. en cas de départ en croisade
b. au moment du mariage de la fille du seigneur
c. contribuer au versement de la rançon au moment de l’enlèvement du seigneur

Quelles sont les obligations du seigneur :


1. il doit protéger et défendre le vassal (lui, sa famille, son patrimoine) des autres
seigneurs
2. porter conseil au vassal
3. garantir à son vassal les moyens de vivre et d’entretenir sa famille et sa maison =>
c’est lui reconnaître des moyens de subsistance. Il lui accorde une rente viagère. Il lui
concède momentanément une parcelle de son territoire.

Le lien vassalique se généralise au 9ème siècle, il a des intérêts pour les deux parties :
 pour le seigneur : il renforce son territoire
 pour le vassal : il garantie sa sécurité

865 : Charles le Chauve prend une décision qui rend obligatoire la conclusion d’un contrat
vassalique. Tous les hommes libres doivent être attachés à un seigneur.
 importance de la personnalisation des relations de pouvoir
 pas d’institutionnalisation des relations de pouvoir
 pas de stabilité, fluctuations
 pas de territorialisation du pouvoir : frontières fluides.

9eme-11eme siècle – A cette époque : baisse de la démographie, espérance de vie courte,


morcellement rapide du territoire.

C. La notion de fief
865 : Charles le Chauve (Charles 11). Avant cette date : règne difficile, il perd du territoire
tous les ans. Il ne préserve l’intégrité de son royaume que grâce au pape1. Après la
généralisation du contrat vassalique, un certain nombre de vassaux va renégocier les contrats.
Le contrat de fief, toujours synallagmatique, diffère cependant :
 le vassal ne se contente plus d’une rente viagère, il exige du seigneur que ce dernier lui
accorde en pleine propriété une terre qu’il va pouvoir durablement conserver
 plus encore, il va réclamer qu’il puisse transmettre son fief à ses enfants.

877 : le capitulaire de Quierzy établi le principe d’hérédité des fiefs. Ainsi, avec la
transformation (1) des contrats vassaliques en fief ET (2) des fiefs en fiefs héritables, on
assiste à une fragmentation du territoire.
C’est le point de départ de la socialisation de la puissance. C’est l’idée que la puissance est
devenue propriété.

1
Charles le Chauve se rase le crâne en fidélité envers le pape.

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2§L’absence de monopole de l’autorité politique


Le morcellement féodal se produit un peu partout. Ce n’est pas propre à la France. Tous les
pays d’Europe connaissent une phase de féodalisation mais les modalités ne sont pas les
mêmes.
Par exemple, l’Angleterre connaît également ce processus. Sa caractéristique est que pour des
raisons diverses (culturelles, religieuses, politiques), la féodalisation ne connaît pas un si fort
degré de morcellement. Elle n’abouti pas au même effacement de l’autorité centrale.
La Russie connaît aussi ce morcellement mais sur un territoire immense. Il y a du coup une
incapacité à garantir à une personne la domination de la pyramide féodale. La structuration
féodale en Russie est beaucoup plus concentrique qu’elle ne l’est en France. Dans tous les
pays de l’Europe, l’Etat naît de la féodalité contre la féodalité, ce qui n’est pas incompatible,
bien au contraire.
Tout cela a des conséquences proprement politiques. WEBER, dans Economie et société,
défini les caractéristiques de la déconcentration politique ainsi qu’une typologie des modes de
domination politique, dont ce type : la « domination patrimoniale ».
Définition : La domination patrimoniale est une « forme de domination orientée
principalement dans le sens de la tradition mais exercée en vertu d’un droit personnel
absolu ».
Ce n’est pas un mode de domination rationnel. Il n’appartient pas à un cadre juridique, mais
une tradition accorde à chacun plus qu’à d’autre le droit de régner. Il y a trois ordres, selon
DUBY :
1. ceux qui combattent
2. ceux qui prient
3. ceux qui travaillent

Seuls ceux des deux premiers groupes (1 et 2) sont des hommes libres. La seule égalité est
devant Dieu. On reconnaît cependant aux esclaves le fait d’avoir une âme. La tradition justifie
l’injustifiable, elle emprunte à la tradition religieuse. Au 18ème siècle, on met à plat les
organisations trifonctionnelles des sociétés européennes. Par principe, une tradition ne se
conteste pas, d’où une remise en question si tardive.
Le pouvoir ne se possède pas au sens propre du terme à cette époque. Il n’est pas
simplement quelque chose que l’on exerce : il est un bien que l’on possède.
Juridiquement, ce bien est susceptible d’être aliéné. Il peut être divisé, vendu, transmis, etc.
Ce pouvoir a une double caractéristique :
1. il est éminemment personnalisé. Il fait corps avec celui qui l’exerce, au sens
symbolique.
2. dès lors qu’il est ainsi personnalisé, il n’y a pas d’institutionnalisation du pouvoir.

Il suit la trajectoire des variations biographiques de celui qui l’incarne. Le pouvoir est fragile,
surtout quand celui qui l’exerce meurt. S’il meurt, il y a une extrême fragilisation. WEBER
parle de « difficile routinisation du pouvoir traditionnel ».
On assiste à une patrimonialisation du pouvoir de Charlemagne jusqu’au 12ème siècle. Elle
correspond à la privatisation des moyens de domination. La puissance étant propriété,
l’ensemble de ses attributs (le territoire, l’autorité militaire, battre monnaie, etc.) devient un
patrimoine de celui qui l’exerce. Ce sont ces attributs qui deviendront les attributs régaliens.
Seulement, à cette époque, ces attributs sont privatisés.
En résumé, il faut retenir ces deux points :

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 morcellement du pouvoir
 privatisation du pouvoir

Le capitulaire de Quierzy de 877 renforce encore plus ceci, puisqu’il permet la transmission
des fiefs.
843 : le traité de Verdun officialise la séparation linguistique de l’empire carolingien. Dès
lors, un processus de morcellement féodal s’enclenche. C’est une véritable dynamique de
fractionnement qui se met en place.
En 1030, on compte plusieurs centaines de groupements de domination dans le côté
occidental de l’empire. Des seigneurs sont propriétaires de leur pouvoir et de ses attributs. Il y
a une quasi-absence de monopolisation de l’autorité politique.
Le processus de morcellement est donc croissant. Charlemagne a toute l’autorité, ainsi que
son fils Louis le Pieux. Mais déjà le petit fils de Charlemagne, Charles le Chauve, perd un peu
d’autorité, et on peut considérer qu’à la génération suivante les carolingiens ont perdu toute
autorité.

Section II - La dynamique de l’Occident

1§La construction d’un centre politique


Norbert ELIAS est un historien/sociologue. Il est né en 1897. D’origine allemande, il vient en
France après 1933 puis en Angleterre. Il publie sa thèse en 1939 : La dynamique de
l’occident. Il cherche à comprendre pourquoi on sort de cette parcellisation, il se porte sur le
cas français, et, de manière comparative, sur le cas anglais.
Que se passe-t-il à la charnière du 11ème-12ème siècle ? Qu’est ce qui permet de comprendre
que l’éparpillement non seulement ralenti, mais aussi s’arrête ? Il y a deux facteurs pour
Norbert ELIAS :
1. un facteur exogène
2. un facteur endogène

Le facteur exogène (1) renvoie à un facteur économique. C’est essentiellement la


transformation des modes de production agricole (changement climatiques, technologiques,
de mode d’exploitation des terres), sauf en Angleterre.
Effets : on passe progressivement d’une économie rurale à peine suffisante, c'est-à-dire que
les seigneurs propriétaires des terres rencontrent eux aussi des difficultés économiques, donc
des manques de ressources militaires. Dès la fin du 11ème siècle, on bascule toujours dans une
économie rurale mais une économie rurale qui produit un léger surplus agricole. En

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revendant ce surplus, les seigneurs vont s’enrichir. Ils vont bénéficier de ressources pour
investir afin de renforcer leur pouvoir.
(Parenthèse : au 15ème siècle, le capitalisme va de paire avec la création de l’Etat.
Aujourd’hui, l’économie capitaliste n’a plus besoin de cet Etat fort pour s’établir).
Cette transformation de l’économie rurale donne une marge de manœuvre aux seigneurs.

Le facteur endogène (2) est propre à la dynamique de l’occident. En l’an 1030, parmi les
centaines de seigneurs, un est à la tête de la maison de France : le duc de Paris. Il un statut
particulier, il a la particularité d’être le descendant en ligne directe de Charlemagne, il a le
titre de roi de France, ce qui en fait à l’époque ne veut quasiment plus rien dire. Il a un
pouvoir sur Paris et un peu de l’actuelle Seine-et-Marne, et c’est tout.
Le roi de France a cependant deux caractéristiques distinctes :
1. Une caractéristique symbolique : il est à la tête de la pyramide féodale. Tous les
seigneurs sont censés reconnaître qu’il est à la tête. Le roi de France n’a jamais prêté
serment à un autre seigneur à aucun moment de l’histoire.
2. Il possède des terres agricoles qui vont se révéler être les plus productives du royaume.
Lorsque l’économie médiévale connaît cette évolution, le roi de France est celui qui va
accumuler un surplus le plus important.

Un certain nombre de seigneurs va acquérir des ressources qui vont permettre de faire des
échanges grâce au surplus. L’idée du roi de France est la suivante, il va utiliser ce capital à
deux fins :
1. arrêter de donner des fiefs, c'est-à-dire ralentir le processus de parcellisation des
terres. Il promet alors une garantie différente d’un territoire
2. le roi de France va considérer qu’il a non seulement les moyens de garantir son
périmètre mais qu’il va pouvoir reconquérir ce qu’il avait donné

C’est une étape de recomposition des patrimoines des seigneurs à l’intérieur d’une maison
donnée.
Avec ELIAS et d’autres, on considère que fin 12ème siècle il y a en France 16 maisons
principales qui se sont reconstituées. Elles ont réussi à renégocier la cession des fiefs. Le
contrat synallagmatique fait l’objet de renégociations d’homme à homme en fonction des
rapports de force. Les 16 maisons sont celles qui avaient le plus de ressources. Deux siècles
plus tard, il ne reste plus qu’une seule maison.
Il y a donc concentration du pouvoir en parallèle d’un processus de dépatrimonialisation
du pouvoir.
En France, dès la fin du 12ème siècle, on considère qu’on a déjà un premier stade de
recomposition étatique. Les maisons se recomposent, 16 maisons recoupent l’actuelle France
par une série d’événements. Un demi-siècle plus tôt, il y avait encore plusieurs centaines de
maisons. Début 14ème siècle, on considère en fait que certaines maisons ont déjà perdu la
course à l’hégémonie. Les seigneurs qui ont réussi à s’affirmer n’auront de cesser d’accroître
le périmètre de leur souveraineté.
On assiste à une dynamique de recomposition partout en Europe. Le processus se stabilise
quand les seigneurs ont plus à perdre qu’à y gagner.
1648 : le traité de Westphalie, c’est la naissance de l’ordre international. Les frontières se
stabilisent. On arrive à un équilibre du pouvoir et à un équilibre militaire. Cela crée une
dynamique concurrentielle : on cherche à s’accroître.

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Dès la fin du 14ème siècle, un certain nombre de maison ont déjà perdu. Début 14ème siècle, on
considère qu’il ne reste là plus que 5 maisons principales. Mais ce processus n’est pas
linéaire.
1. La maison de France (ancien duché de Paris). Il a les 2/3 du territoire français tel qu’il
sera défini en 1648.
2. La maison de Bretagne
3. La maison de Bourgogne
4. La maison de Flandre
5. La maison d’Angleterre

On est passé d’une société de guerriers caractérisée par une concurrence libre et violente à une
concurrence monopolistique (ELIAS). Il y a toujours concurrence sauf que le coût d’entrée
dans la lutte est trop élevé pour un certain nombre de seigneurs.
Entre la situation au milieu du 11ème siècle et celle née au 14ème siècle, il y a un processus de
pacification. La France est un pays beaucoup moins violent, dû en parti à la concentration du
pouvoir. Dans les territoires, c’est plus pacifique. Cette dynamique de l’occident
s’accompagne d’une monopolisation de la violence.
1461 : Mort de Charles 7 et fin de la guerre de 100 ans. Là, il y a maintenant 8 maisons (nous
l’avons dit, c’est un processus non linéaire).
1. la maison de Paris (de France), a encore accru son périmètre
2. la maison d’Anjou
3. la maison d’Alençon
4. la maison d’Armagnac
5. la maison de Bourbon
6. la maison de Bourgogne
7. la maison de Bretagne
8. la maison de Dreux et de Foix

La maison de Bretagne est la seule maison qui n’est pas apparentée à la maison de Paris.
Toutes les autres sont « attanachées » (c’est à dire rattachées à une maison).
Conséquence au fait d’être attanaché : en cas d’absence de descendance mâle, le patrimoine
de ces maisons revient au roi de France. Or, il y a une succession en moyenne tous les 30 ans,
voire moins. Régulièrement, le roi de France récupère ainsi des maisons. Jusqu’à François 2,
le duché de Bretagne va tout faire pour éviter les liens de famille avec le roi de France.
Symétriquement, l’empereur d’Allemagne est aussi descendant de Charlemagne et est à la tête
de la pyramide féodale.
A la fin du règne de Louis 11 (1461-1483), on considère que les principaux rivaux du roi de
France ont été éliminés. Exemple :
1480 : René d’Anjou meurt au combat sans laisser de descendants.
1481 : Charles du Maine (maison sur deux territoires, Maine + Provence), n’a pas non plus
d’enfants mâles.
Le territoire se recompose ainsi. A la fin du 15ème siècle, le duché de Bretagne tombe en deux
temps.
1. conflit militaire entre les armées de Bretagne et de France. Le 20 août 1488, signature
du traité du Verger dans lequel François 2, dernier descendant mâle de Bretagne,
reconnaît la défaite des armées. Le traité comporte une clause perverse : François 2
s’engage à ne pas marier l’une de ses filles sans le consentement du roi de France.

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2. 6 décembre 1491 : Anne de Bretagne, après avoir résisté, se marie avec Charles 8, fils
de Louis 11, et devient reine de France. C’est la fin de l’autonomie et de
l’indépendance du duché de Bretagne.

ELIAS : « a l’intérieur de l’ancien royaume français d’occident, les rois de Paris n’ont plus de
rivaux. La position qu’ils occupent prend de plus en plus le caractère d’un monopole absolu.
Mais au delà des frontières de ce territoire, des processus analogues se sont déroulés, bien que
la monopolisation et les combats d’élimination n’y aient pas été poussés aussi loin qu’en
France ».
La dynamique de l’occident n’est pas spécifique de la France. Elément d’exceptionnalité en
France : il débouche sur un état de concentration du pouvoir extrêmement important. C’est le
modèle d’un Etat fort, entièrement centralisé. Cette centration ne sera pas la même en
Espagne, Allemagne, Italie, etc. elle débouche sur des types d’Etats différents. En France,
l’Etat a dû se renforcer.
Des processus analogues se sont diffusés aux frontières, il faut préciser l’environnement
international. Pourquoi cette dynamique s’arrête-t-elle ?
Etudions le comportement de deux autres acteurs :
 Dans un premier temps, l’Empire (héritier lui aussi de Charlemagne) et la concurrence
impériale
 le pape (acteur majeur de la vie politique) : la concurrence papale

1. Du coté de l’empire.
La partie orientale de l’empire carolingien connaît le même processus d’effritement. Dès la
fin du 10ème siècle (à partir des années 962 et suivante), l’empereur qui est souverain va
commencer à reconstituer son pouvoir. Il va avoir très vite une prétention de redevenir
empereur. Il a désormais la possibilité de reconstruire le Saint Empire Romain Germanique.
L’empereur va tenter de revendiquer l’hommage des différents monarques de l’ancien empire
carolingien. Il veut revenir à la tête de la pyramide. Il fait face à une résistance monarchique à
la prétention impériale.
Ce ne sera pas une lutte militaire, mais essentiellement juridique (via les jurisconsultes) entre
la couronne de France et la couronne impériale. L’enjeu : codifier un principe nouveau qui est
celui de la souveraineté, notion liée à la confrontation de ces juristes. Quelques étapes : entre
le 14ème et le 15ème siècle, on invente la notion de souveraineté. Cette notion est au cœur de la
dépatrimonialisation du pouvoir. Le roi ne sera plus le propriétaire du pouvoir, mais celui qui
l’exerce pour un temps donné.
1316 : mort de Louis 10, le dernier des capétiens. Il n’a que des filles. A qui revient la
couronne de France ? Une vacance du pouvoir entraîne un certain nombre de prétentions.
Interviennent les juristes pour régler la succession. C’est le début d’une réflexion juridique :
qu’est ce qu’être roi de France ? Quelles sont les conditions de transmissions ?
Les juristes prennent conscience que la mort d’un roi est le moment le plus difficile de la
construction d’un Etat. Les juristes entourent le future Philippe 6 de Valois. Philippe 6 paye
des juristes (aristocratiques) qui vont progressivement codifier juridiquement le principe de la
couronne.
Raoul de Presles, juriste, va considérer que « la couronne royale cesse d’être une possession
propre ou encore une rente familiale, elle est une dignité ».
A l’époque la couronne est un bien du roi dont il peut disposer. Ce qui était pensé comme
patrimoine comporte désormais des obligations. C’est ce qui permet le passage de Louis 10 à
Philippe 6. Philippe 6 obtient une reconnaissance de la dignité de la part des grands royaumes.

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On pense la distinction entre la couronne et la personne physique. Cela donne naissance à


la théorie juridique des deux corps du roi. Tout au long du 14ème et du 15ème siècle, la culture
juridique va établir une distinction entre le corps mystique du roi et le corps physique du roi
(mimétisme au christ, emprunt à la culture catholique)
Cela donne naissance à une formule juridique célèbre : « la mort saisi le vif » (début 15ème
siècle). Elle va permettre de penser la sécurité juridique de la transmission de la couronne. La
mort du roi n’empêche pas la transmission.
De là, le cas des femmes est réglé. On met en place le principe de la loi salique : dévolution
du pouvoir par primogéniture mâle. On codifie aussi du point de vue de l’âge, la majorité
royale est fixée à 13 ans. On veut sécuriser juridiquement la transmission de la couronne
royale. En 1422, funérailles de Charles 6 : on clame « le roi est mort, vive le roi ». C’est
l’aboutissement de ce processus d’invention de la souveraineté. On a sécurisé la transmission
de la couronne.
Les juristes inventent aussi la notion suivante : « le roi est empereur en son royaume », c’est
une formule qui vise à garantir la couronne de France des prétentions impériales (fin 14ème /
début 15ème). Le roi de France ne reconnaître aucune légitimité à une prétention de nature
supranationale (impériale en l’occurrence). Le roi de France est devenu celui qui exerce de
manière légitime le pouvoir sur son territoire.
Concession : le roi de France accepte la souveraineté (dépatrimonialisation) pour se protéger
de l’Empire. Il préserve, en faisant cela, son autonomie. Le Roi n’est de France n’est plus que
celui qui exerce le pouvoir.
Le pouvoir est :
 concentré
 en voie de dépatrimonialisation.

Toutes les ressources sont disponibles pour favoriser l’institutionnalisation du pouvoir.

2. Du côté du pape
Prétentions des papes de revendiquer une partie de la souveraineté. Ce sont des prétentions de
nature théocratique. Définition de cette théocratie : « le gouvernement de Dieu sous la
direction du pape ».
Le pape a un pouvoir spirituel et temporel. Il bénéficie lui aussi du redressement économique
qui profite aux autres maisons. Comme tous les autres, il va vouloir devenir plus grand. Il va
revendiquer l’Eglise (querelle des investitures) et la tête de la pyramide.
 le pape revendique le droit de nommer les évêques de façon autonome sans l’accord
du roi
 le pape revendique la subordination entre la papauté et la monarchie

L’ensemble des rois reconnaît qu’ils sont roi par la grâce de Dieu (onction du pape lors du
sacre). A travers le sacre, le pape établi la supériorité du spirituel sur le temporel dans la
hiérarchie. Certes le roi est souverain mais il ne l’est que parce que Dieu le veut.
Le pape est le représentant de Dieu sur terre et va revendiquer (12ème – 13ème siècle) la
primauté du pouvoir en Europe. Les jurisconsultes trouvent dans les évangiles une formule
qui va faire l’objet d’une querelle d’interprétation. « Il faut rendre à César ce qui est à César et
à Dieu ce qui est à Dieu ». L’interprétation de la monarchie va l’emporter : c’est la naissance
de la sécularisation des sociétés. On établi une distinction du domaine :
 souveraineté des rois
 souveraineté du pape

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Le pape rabat ses prétentions sur le spirituel uniquement, le roi devient empereur dans son
royaume.

2§Violence et politique : la civilisation des mœurs politiques

A. Ce qui fait l’Etat d’un point de vue financier


L’Etat a le monopole de la fiscalité et est un ensemble d’organisations qui font régner le
monopole de la violence.
L’historiographie2 a très souvent écarté ce sujet de la fiscalité. Depuis le milieu des années
1980, on a ces travaux.
Quelque soit sa nature, l’Etat a besoin d’argent.
Définition : l’impôt est une modalité de financement parmi d’autres de l’activité politique.
1. Longtemps, c’était le tribu : un seigneur oblige quelqu'un qui lui est inférieur à payer
une somme
2. on a le principe de la rançon : faire prisonnier le fils ou la fille (etc.) d’un autre
seigneur

Pendant toute la période féodale, le mode de financement est précaire. Le principe est que « le
seigneur doit vivre du sien ». Il n’est pas celui qui lève l’impôt, il se finance à partir des
revenus de la terre. Modalité d’autofinancement. Cette nécessité de se financer est au cœur
même de la relation vassalique.
Dans un certain nombre de cas, le vassal est amené à payer ponctuellement et de manière
acceptée. Le seigneur négocie avec ses vassaux mais il n’est pas en l’état d’obliger ses
vassaux à payer.
Le système de financement du pouvoir politique a cette double caractéristique :
1. il est ponctuel
2. il est l’objet de négociations

Notre système moderne date du milieu du 15ème siècle. C’est la date à partir de laquelle on
prend l’habitude de payer des impôts. Pourquoi ce changement ? On rappelle ici que la
révolution agricole a favorisé l’émergence d’un surplus. Le seigneur prélevait surtout pour le
budget militaire. Au 18ème siècle, 75% du budget va dans l’armée et pour la marine.
La nécessité de financer l’activité militaire a justifié le prélèvement récurrent. Quand un
seigneur a besoin de mobiliser des fonds, il va demander l’aide des vassaux et d’un autre
types d’acteurs : ceux qui deviendront plus tard la bourgeoise, c'est-à-dire ceux qui se
spécialisent dans la commercialisation du surplus. Ce sont des spécialistes du négoce du bien
agricole. Ces protobourgeois vont négocier avec le seigneur : ils donnent de l’argent pour
financer des mercenaires qui vont combattre à leur place. C’est un mécanisme de la
commercialisation du service armé.
Ce mécanisme est en parti à l’origine du système fiscal.
1. les guerres ne vont cesser de se multiplier et de durer plus longtemps. Ex : la guerre de
100 ans oblige à prélever quasi-systématiquement de l’argent. (La guerre est un des
effets de la dynamique de l’occident. Des acteurs, pour éviter eux même d’aller à la
guerre, acceptent de payer

2
Bercy a mis en place un comité visant à faire l’histoire des modalités de fiscalité de l’Etat.

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2. Les guerres ne vont cesser de coûter de plus en plus cher. Les technologies militaires
se transforment. On met en place un processus de rationalisation de l’impôt car le
système féodal (ponctuel et négocié) ne suffit plus. Il faut budgéter, donc rendre
régulière les rentrées d’argent. L’armée progressivement se professionnaliser, car les
troupes doivent partir longtemps et loin. Le système féodal est très peu rentable.

Sous Charles 7 (milieu du 15ème siècle), le budget de la maison de France est de 1 à 2 millions
de livres contre 80 millions sous Louis 14. Dans tous les cas, ce budget va à la guerre.
Il faut un financement régulier :
 recette régulière
 un financement accepté par la population.
Louis 14 ne négociera pas l’impôt avec les français, on considère qu’il est une obligation
légitime des sujets envers le roi. Avant le milieu du 15ème siècle, on consent à payer l’impôt.
Après, ça disparaît : l’impôt devient la contrepartie normale et légitime contre la sécurité de
l’Etat. HOBBES, dans Le Léviathan, impose l’impôt.
Etienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire, 1546. Il va décrypter ce qu’il
appelle la servitude fiscale. Désormais, on va accepter l’impôt et progressivement trouver cela
normal. L’impôt est la contrepartie d’un avantage, cet avantage étant les fonctions
régaliennes.
Parfois, il y a des révoltes, mais majoritairement on reconnaît la légitimité de l’Etat. L’Etat
s’enrichi de plus en plus mais dépense aussi de plus en plus. Cette régularité de l’impôt fait
rentrer de plus en plus d’argent dans les caisses de l’Etat. L’Etat va s’institutionnaliser, se
bureaucratiser. L’argent permet l’administration. L’Etat va se développer de façon inouïe
grâce à un financement rationalisé.
Le système fiscal a une autre transformation : l’assiette de l’impôt. L’impôt est 2 choses :
1. le taux de prélèvement
2. l’assiette (ce qui est la question de savoir qui est assujetti à l’impôt)

Pour augmenter les recettes, on a deux solutions : augmenter le taux ou augmenter l’assiette.
Longtemps on ne prélève que les classes intermédiaires. Ce système est le reflet de son passé
(négociation au cas par cas). Il n’est pas rentable car on peut y échapper. L’Etat va
nationaliser l’impôt : il ne prélève plus une communauté mais tous les individus. Du coup,
payer l’impôt est se reconnaître comme sujet du roi. Se diffuse dans la société la capacité de
s’identifier à l’impôt. Aux Etats-Unis on a le principe suivant : « Il n’y a pas d’appartenance
sans taxation ».
L’impôt moderne a 3 caractéristiques :
1. il est régulier
2. il est automatique (légitime)
3. il est le lot commun de tous les sujets (il est national)

Un mécanisme d’obéissance entre les sujets et l’Etat s’installe. Cela modifie les croyances.
Cependant il faut apporter deux nuances :
1. il faut envisager cet impôt de manière tendancielle. En effet, d’autres collectivités
prélèvent :
a. les collectivités locales
b. l’Eglise, via la dîme (relativement élevée, elle finance l’Eglise de France)

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2. Le fermier général, celui qui prélève l’impôt, n’est pas un fonctionnaire. Il est
quelqu'un qui a acheté une charge de fermier général : il a le droit de prélever au nom
du roi de France l’impôt royal. La monétarisation est faible, il prélève souvent en
nature. Il prélève sur l’impôt de quoi se financer. C’est là une source de corruption
majeure.

B. Ce monopole fiscal est accompagné par le monopole de la violence


légitime
Le roi ne se contente pas de monopoliser la fiscalité, il va acquérir aussi tendanciellement le
monopole de la violence. Le vassal a accès en première personne aux ressources militaires.
L’Etat va être la seule institution qui peut disposer du monopole de la violence. Il concentre le
territoire et la puissance militaire. Cela a un coût qui nécessite l’impôt, et aussi un coût
administratif. L’Etat doit gérer un processus de socialisation du monopole.
Définition : sur un territoire donné quand il y a concentration des forces militaires, l’armée ne
peut plus se gérer comme une armée féodale. Parler de socialisation du monopole, c’est
évoquer l’émergence des administrations militaires. C'est-à-dire que les premiers
ministères sont celui de la marine et de la guerre (18ème siècle). On cherche à mettre en place
une organisation qui professionnalise la gestion des armées. Faire l’Etat : c’est faire la
guerre. / Faire la guerre : c’est renforcer l’Etat. / Faire la guerre : c’est savoir gérer les forces,
et se renforcer du point de vue bureaucratique. Cela crée une sorte de synergie : l’Etat vient de
la guerre plus de la rationalisation administrative des activités militaires.
Le monopole de la violence a un autre effet : la question de la civilisation des meurs,
empruntée à Norbert ELIAS. Le fait que la violence militaire soit tendanciellement
monopolisée favorise une pacification des relations sociales à l’intérieur des sociétés. Nos
sociétés connaissent grâce et par l’Etat un processus de civilisation des mœurs. On devient
ainsi de plus en plus civilisé.
Les premiers à connaître cela sont les vassaux. Quand ils sont absorbés, ils perdent la mission
de combattre et de défense. C’est un mécanisme de curialisation de la noblesse. Ceux qui
historiquement étaient nés pour combattre vont devoir se recycler et devenir des courtisans.
Le noble devient un acteur qui s’ennui, et il risque par là même d’être menaçant. On l’invite à
la cours pour l’occuper. C’est ce qu’ELIAS appelle la transformation de l’économie
psychique des chevaliers.
Avant, en cas de conflit, il y avait une bataille (duels). On interdit au 18ème les duels. Après, le
conflit se règle à la cours du roi. TOCQUEVILLE parle d’adoucissement des mœurs. ELIAS
parle d’abaissement des seuils de sensibilité à la violence. Certains types de violences qui
étaient alors acceptées ne le sont plus.
Ce processus de civilisation est-il linéaire ? Elias : « un processus qui s’approfondit au fil des
siècles ». En fait, le 20ème siècle a été particulièrement violent, ce qui montre que le processus
est là aussi non linéaire.
Il faut être attentifs aux phénomènes de décivilisation. Certaines classes gardent des valeurs
guerrières, de par leur héritage.

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Section III - La sortie de la religion ou la difficile sécularisation de la société


(18ème – 19ème siècle)
Une des questions en suspend : la nature de la relation entre l’Etat et le pouvoir religieux
(catholique) et aussi les prétentions du pape vis-à-vis du pouvoir.
On cherche à voir comment l’Etat ne serait pas devenu ce qu’il est s’il n’avait pas mis
définitivement un terme à toutes les prétentions de type théocratique.
Les deux paragraphes initialement prévus (§1. La lente autonomisation de l’espace des
activités politiques et §2. Sécularisation et résistances ecclésiales) sont fusionnés en un seul.

§1 (La lente autonomisation de l’espace des activités politiques) et 2


(Sécularisation et résistances ecclésiales).

A. Le paradoxe
Le monarque est dans une situation paradoxale au 14ème et 15ème siècle, voire au 16ème siècle. Il
a vocation de plus en plus à être souverain dans son royaume. Il a vocation à être
habilité/reconnu comme celui qui décide en personne. Le roi ne se méfie de personne. Ses
décisions ne sont pas susceptibles d’être discutées. Les décisions sont prises dans le secret le
plus total.
Au 17ème siècle, il va devoir rendre de plus en plus de comptes, et spécialement à ses sujets. Le
roi de France va de dispenser du conseil des vassaux (principe de consilium, cf. supra). Les
Etats généraux sont de plus en plus espacés3. Le roi est au cœur de la politique.
Le paradoxe : le roi a beaucoup plus de pouvoir que n’importe quel roi n’en a jamais eu.
Louis 14 a beaucoup plus de pouvoir que Charlemagne. Le paradoxe, c’est que ce roi absolu a
quand même besoin d’une légitimité qui lui échappe, car c’est Dieu qui a voulu ceci. Le roi
est absolu car il a reçu le pouvoir d’être monarque.
Sa puissance est absolue mais suppose une légitimité descendante (de Dieu à lui) qui lui
échappe. Le rituel du sacre : l’autorité religieuse le sacre. Exception : Napoléon 1er se sacre lui
même en présence du pape. Avant : dépendance roi  papauté au moment du sacre.
Pourquoi les rois acceptent-ils cette dépendance ?
1. raisons qui tiennent aux croyances de la monarchie. Le roi reconnaît comme légitime
cette dépendance entre Dieu et lui. Croyance rationnelle : le roi comprend le bénéfice
qu’il a à retirer de cette situation. Il en tire un bénéfice en terme de légitimation. Le roi
est le représentant de dieu sur terre après le pape. Par le sacre, son pouvoir est
incontestable.
2. la contestation est très faible : le principe de l’obéissance domine. Dans une
monarchie, ce qui fait d’autant plus l’absolutisme du roi, c’est qu’il n’est pas contesté
3. mais aussi, les sujets reconnaissent au roi une nature supérieure et lui obéissent (cf. La
Boétie, Discours de la servitude volontaire, 15ème siècle).

Napoléon 1er a compris tout l’enjeu symbolique du sacre.


Ex. : les entrées royales. Quand le roi entre dans une ville, il va aller symboliquement se faire
remettre les clefs de la ville. On construit un arc de triomphe. Le roi manifeste ainsi que c’est
bien lui le souverain et qu’il a une forte influence.

3
Note JB : il y a 175 ans entre les Etats de généraux de 1789 et les précédents en 1614.

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Aussi : multiplication des figures du roi par la statuaire. C’est être présent sans être là. Ces
statues sont souvent équestres (rappel du pouvoir guerrier du roi). Ces statues témoignent de
la puissance du roi.
Pour LA BOETIE : L’obéissance n’est pas liée à la contrainte mais au fait que les sujets
réclament l’obéissance. Position mixte entre le sacré et le profane.
Le roi a aussi un pouvoir thaumaturgique : quand on le touchait on pouvait guérir d’un certain
nombre de maux. Là encore le roi est renforcé dans sa caractéristique exceptionnelle. Note :
une croyance n’a pas besoin d’être vraie pour être efficace socialement. Les énoncés
scientifiques sont falsifiables : on peut démontrer que c’est vrai ou faux selon.
Ce qui fait la force de la monarchie n’est pas seulement d’avoir le monopole tendanciel de la
violence, il n’a pas toujours besoin de l’exercer car il y a cette croyance qui vient asseoir cette
puissance.

B. L’évolution du paradoxe
Définition de la sécularisation (empruntée à Daniel Hervieu-Léger)
Processus qui peut être entendu comme la mise en question de la tutelle des religions sur la
société, aboutissant, en fin de compte, à la disparition (ou à la marginalisation) des structures
d’autorité qui leur correspondent, c'est-à-dire les Eglises.
Comment sommes nous arrivés dans une société désécularisée ?
Procédons à un commentaire de la définition :
Processus : transformation qui ne produit des effets que sur le long terme. Mais aussi ces
transformations ne suivent pas forcément un cheminement linéaire. Phénomène de va et vient
qui perturbe la légitimité du processus. Exemples :
 1815-1848 : double restauration, monarchique et retour religion catholique. Le
catholicisme est religion d’Etat. Fusion entre l’identité nationale et l’identité
catholique : « La France est la fille aimée de l’Eglise ».
 quand Napoléon 3 suite au coup d’Etat du 2 décembre 1851 met fin à la deuxième
République, il va également faire de la religion un élément essentiel de son pouvoir.
La fête nationale est le 15 août, jour de la fête de Marie, grande fête catholique. On ne
rétabli pas le catholicisme comme religion d’Etat mais il est normal que la fête
nationale soit une fête religieuse.
Ce processus connaît des résistances. La sécularisation en France a probablement été
beaucoup plus difficile qu’ailleurs. En France on considère que l’opinion religieuse appartient
à la sphère privé et non publique.

Trajectoire américaine :
1. situation où la séparation des Eglises et de l’Etat est un acquis de la révolution
américaine. Dès que la république est installée ils ont connu cette situation de
séparation.
2. la société américaine connaît une situation de pluralisme religieux : canonisme +
multitude de sectes protestantes (WEBER emploie le terme de secte dans un sens non
péjoratif, il caractérise ce qui s’oppose à l’Eglise dans le sens où une secte est
beaucoup moins institutionnalisée). Les sociétés protestantes vont connaître un fort
pluralisme religieux.

Trajectoire française :
La France est tragiquement homogène. 1870 : dernier recensement sur l’appartenance
religieuse. 97,8% des français se déclarent de confession catholique. Les autres : protestants,

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juifs, les « mahométans » (musulmans), les libres-penseurs : ils sont éminemment minoritaire.
La France est consubstantiellement liée au catholicisme. L’autonomie entre la société et la
religion sera beaucoup plus difficile à faire.
Cf. De la démocratie en Amérique, tome 1 en 1835 et tome 2 en 1840). TOCQUEVILLE
vient visiter le système pénitencier. Il déclare : « Aux USA, la mort n’a pas encore marqué
son territoire ». En effet, on ne trouve pas de cimetières, de croix, d’église, comment on peut
en trouver en France. TOCQUEVILLE est un aristocratie normand, région où il y a une
multitude de croix. « La religion y est invisible » (aux USA). Paradoxe : aux USA la
religiosité est très importante. Faible présence du religieux dans l’espace public, mais forte
religiosité.
Aux USA on connaît une utilité sociale à la religion. Le président américain prête serment sur
la bible, la majorité des américains ne trouve pas cela choquant.
1. première ligne
Du coté français, on a une situation d’imbrication (et non de séparation) entre le
religieux et le politique. En 1899, l’assemblée nationale supprime le principe des
prières publiques. Pendant tout le 19ème siècle, à chaque rentrée parlementaire, il y
avait une prière dans chaque église pour que les parlementaires fassent bien leur
travail.
En France, on a longtemps une sphère spirituelle supérieure à la sphère temporelle.
2. deuxième ligne
USA : fort pluralisme
France : grande homogénéité.
Quand on envisage la séparation, c’est cultuellement très difficile de revenir sur les
acquis de l’‘histoire. Ce mécanisme de séparation est nouveau. La France ne va pas
simplement séculariser, mais aussi laïciser. La France est historiquement un des
pays qui ne reconnaît pas d’utilité sociale à la religion (ce qui ne lui empêche pas
d’avoir une utilité personnelle). On considère en France qu’on peut être citoyen
français sans avoir la moindre pratique religieuse. Aux USA, un bon citoyen est un
bon pratiquant, quelle que soit la religion.
TOCQUEVILLE, catholique libéral, considère que la religion a une utilité sociale.
Religion vient du latin religare, « lier ensemble ». Il veut éviter la pente individualiste
de la société.
3. troisième ligne
USA : notion de religion civile, que l’on retrouve souvent chez Rousseau. La religion civile
n’est pas seulement l’intérêt général. Aux USA, l’intérêt général est la somme des intérêts
privés. En France, l’intérêt général est supérieur à la somme des intérêts privés. Seul l’état est
garant de l’intérêt général. C’ets là toute la différence.
La question de la laïcité en France. On ne peut la comprendre qu’à travers le siècle des
lumières. Elle s’incarne dans la Révolution française et devient définitive dans les années
1880 avant les républicains opportunistes.
1882 : laïcité scolaire. 1883 et 1884 : laïcité des bâtiments publics (dont tribunaux).
1905 : séparation Eglise/Etat. Les membres du clergé ne sont plus des fonctionnaires.

Aux USA, le clergé n’a jamais été fonctionnarisé. Le clergé n’intervient pas dans la vie
politique. Pendant longtemps en France le clergé fut un intermédiaire politique, sous la
monarchie. Il ne faut pas confondre la séparatition institutionnelle (1905) de la séparation
religieuse.
Aux USA les deux sont pensables : religiosité + séparation des Eglises et de l’Etat.

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En France, faible pratique des religions et aussi séparation des Eglises et de l’Etat.

Conclusion : histoire comparée de l’Etat moderne en Europe


1. processus d’institutionnalisation
2. mécanismes sociaux : institutionnalisation / bureaucratie
3. ce processus est le point commun de tous les processus de construction de l’Etat. Fin
de la patrimonialisation

Cela donne des niveaux d’étaticité différents d’une société à l’autre. Historiquement, il y a 3
types d’Etat, 3 niveaux d’étaticité (stateness). On peut les repérer géographiquement :
1. La partie occidentale de l’Europe : Angleterre, Pays-Bas, France, Scandinavie,
Espagne. Trajectoire sous une double caractéristique :
a. Construction de l’Etat riche d’un point de vue économique et d’un point de vue
coercitif (l’ensemble des ressources militaires permet au monopole de la
violence de s’installer).
b. Economique : permet le développement capitalistique en cohérence avec le
développement de l’Etat dans les Etats protestants en général.
La France est probablement le pays qui ira le plus loin dans la construction d’un Etat
fort. La France est un Etat centralisé / bureaucratisé
2. Trajectoire opposé à la première : la partie orientale de l’Europe (Russie, Pologne,
Hongrie). Trajectoire qui a une caractéristique différent : le développement
capitalistique va être extrêmement tardif. Ce processus sera sous-capitalisé, au sens ou
les gouvernants n’auront pas les mêmes moyens de financer ce processus, car la
structure rurale va rester majoritaire très longtemps. La structure bourgeoise n’apparaît
qu’au 19ème siècle. Du point de vu climatique, le rendement agricole est faible. Ces
pays connaissent une concentration de la coercition mais qui ne s’accompagne pas
d’un développement économique.
La trajectoire est de nature autoritaire ou totalitaire pour ces sociétés de la partie
orientale. Il y a une sorte de déséquilibre entre la dimension économique et la
dimension coercitive, déséquilibre qui fait qu’il n’y a pas de contrepoids à cette
coercition
3. Entre les deux, une « épine dorsale » (pour les historiens). Belgique, Suisse, une partie
de l’Italie. Cette partie de l’Europe connaît la figure de la cité-Etat. Ces Etats sont très

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riches car ils sont au cœur du développement capitalistique. Pourquoi cité-Etat ? C’est
une configuration politique et institutionnelle avec deux caractéristiques :
a. pas de coercition : ils ne peuvent se défendre, pas de monopole de la défense
b. modèle économique extrêmement rentable. Surcapitalisation.
Beaucoup considèrent là qu’on est à peine dans des Etats

Ces trois types correspondent respectivement à :


1. Un Etat fort : démocratique (occidental)
2. Un Etat pauvre : autoritaire (oriental)
3. des Etats faibles mais riches

La dynamique de l’occident produit des effets dans ces pays mais avec des niveaux d’étaticité
différents. Ce qui fait aussi la différence de ces trois zones est aussi la nature de la féodalité
spécifique à chacune de ces 3 parties. Cette féodalité se diffuse sur l’ensemble du territoire,
sauf que le type est différent.

L’Etat moderne est doublement le fruit de la féodalité :


1. s’il n’y a pas de féodalité, pas d’Etat fort possible
2. la nature de l’Etat est directement liée à la nature de la féodalité

Ces niveaux d’étaticité différents sont aujourd’hui encore largement lisibles dans nos états
contemporains.

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Chapitre II : Aux origines de l’ordre politique contemporain (II) :


Démocratie et Etat de droit en Europe
Comment passe-t-on de la figure de l’Etat absolu à l’Etat parlementaire

Section I - L’émergence de l’espace public (18ème siècle – 19ème siècle)


Ce qui caractérise l’Etat absolutiste, c’est la concentration d’un pouvoir inouï dans les mains
du roi. Il n’a de comptes à rendre à personne. Il n’a pas à publiciser ses décisions.
Des travaux historiques, on sait que les monarchies absolues sont caractérisées par le secret
des décisions politiques. Les décisions n’ont pas à faire l’objet d’une délibération publique ou
parlementaire. Comment est on passé d’une structure absolutiste à une structure
démocratique ?
Il faut rendre compte de l’avènement de ces deux transformations :
1. la publicité : ce qui était secret devient l’enjeu d’un débat publique (§1)
2. cet espace public, qui n’existait pas et qui se met en place au 18ème siècle, va préfigurer
l’espace parlementaire (§2).

1§Le tribunal de l’opinion publique


Citation (qui porte sur la période 1715-1815) de MALESHERBES en 1175. Il prononce devant
l’académie française son discours de réception :
« Il s’est élevé un tribunal indépendant de toutes les puissances, et que toutes les puissances
respectent, qui apprécie tous les talents, qui [se] prononce sur tous les gens de mérite. Et dans
un siècle éclairé, dans un siècle où chaque citoyen peut parler à la nation enterrée par la voie
de l’impression, ceux qui ont le talent d’instruire les hommes et le don de les émouvoir, les
gens de lettre en un mot, sont au milieu du public dispersé ce qu’étaient les orateurs de Rome
et d’Athènes au milieu du public assemblé ».
Malesherbes, quand il prononce ce discours, montre clairement son appartenance au courant
des lumières. Il utilise des mots qui un siècle plus tôt ne voulaient rien dire : « public » et
« citoyen » (puisque l’on est dans le temps des sujets).
L’opinion publique au sens historique du terme est qu’il y a désormais une instance de
jugement à laquelle personne ne peut échapper. On entre en 1775 environ dans le siècle de la
critique. On va progressivement apprendre à discuter de façon rationnelle en raison des
décisions des gouvernements.
L’espace public prend des formes clandestines au départ :
 Les salons littéraires, souvent dirigés par des femmes. On y apprend à lire en public à
haute voix, alors qu’avant la lecture était une activité privée/personnelle. On peut donc

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réagir à cette lecture à voix haute. C’est une configuration dans laquelle on fait un
certain nombre d’apprentissages, dont celui d’échanger des opinions. Le salon est
donc un lieu de sociabilité potentiellement politique.
 Les cafés, et notamment le Procope à Paris, derrière Odéon. Les hommes de classes
différentes y prennent l’habitude de discuter, de lire la presse, de faire circuler des
libres, des brochures. Les opinions ne s’échangent pas que verbalement, elles peuvent
pénétrer la société.
 On met en place la structure du colportage : un certain nombre de personnes va se
spécialiser dans la diffusion des écrits. Ils parcourent l’ensemble du territoire avec des
libres sous le manteau le plus souvent. Ils imprègnent la société de livres, brochures.
Ex. : la grande encyclopédie est diffusée sous forme de feuillets, on a voulu la rendre
accessible. Chaque entrée de l’encyclopédie était une fiche, elle a été diffusée bien au-
delà de la société aristocratique.

Les philosophes deviennent les vedettes des salons. Ces salons sont tolérés par les rois, car
organisés par des nobles, c'est-à-dire des gens avec qui il est en relation. Il va devenir vite
essentiel de participer à cette critique là.
On parvient à baisser le coût moyen d’impression d’un livre de manière drastique grâce aux
innovations technologiques. Désormais, il devient normal que chacun ait une opinion et que
celle-ci soit soumise à délibération. C’est l’apprentissage de la capacité à opiner et à
confronter les opinions.
Cette confrontation d’idées, dans ce qui préfigure l’espace public, se fait de manière
pacifiée, civilisée.
Le salon participe d’un mode de sociabilité extrêmement mondain. C’est un lieu extrêmement
polissé, condition d’un échange entre personnes partageants les mêmes règles du jeu. Il
préfigure les échanges démocratiques. Deux choses, deux principes de la démocratie :
1. universalité de l’opinion : chacune se vaut
2. préfigurer un certain nombre d’institutions qui permettent les échanges d’opinion

Pour le moment, les prédispositions et la condition à cette transformation sont le fait qu’il y
ait une création d’un espace.
1754 : définition critique. « Nulle borne ne peut être mise et nul domaine interdit à l’exercice
du raisonnement critique, qui a progressivement assujetti toutes les autorités traditionnelles, y
compris la hiérarchie religieuse et la majesté royale, à la juridiction du doute et au verdict de
la raison ».
L’idée qui est là : on est loin de la Révolution française, mais tout est dit. On sape/renverse le
principe de légitimité descendante : même dieu peut être critiqué par les hommes. Même les
autorités traditionnelles doivent ici bas être critiquées.
Il faut souligner l’importance des mécanismes qui, tout au long du 18ème siècle, vont
transformer les fondamentaux de l’autorité de la monarchie : c’est l’émergence d’un esprit
critique. Elle correspond au développement d’une attitude de discuter en raison des décisions
prises par l’Etat monarchique, c'est-à-dire prendre l’habitude de délibérer en public de cette
question.
=> Emergence de la conception moderne de la nation. Avant, la nation c’est le roi, il est le
seul représentant de la nation. Avec ces transformations, progressivement on va commencer à
penser que la nation ne se résume pas dans le corps physique du roi. L’espace public naît dans
les salons littéraires mais pas seulement :

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2§La naissance de l’Etat parlementaire


Les institutions de la démocratie représentative, lorsqu’elles se mettent en place, sont aussi
liées au réveil des structures parlementaires. Le parlement n’est pas une invention du 18ème
siècle. Le roi utilisait déjà la fonction de consilium pour réunir les Etats généraux : a terme ce
principe de consilium va préfigurer les parlements d’ancien régime. Ici nous parlerons de
l’importance de la renaissance des parlements au 18ème siècle. Ce réveil est lié à la pratique
des remontrances.
Droit de remontrance : les parlements d’Ancien Régime ne fonctionnent pas sur le mode du
parlement aujourd’hui. Les parlementaires (ou magistrats) disent la justice et ne sont pas élus :
il n’y a là aucun élément en terme de représentation au sens moderne du terme. Les
parlements sont des instances consultatives au sens ou le plus souvent le parlement ne se
réunit qu’à l’initiative du roi. Le roi le convoque dans la tradition du consilium. Au fur et à
mesure que la monarchie devient de plus en plus absolue, la réunion des parlements et des
Etats Généraux devient de plus en plus rare, avec toutefois une nuance importante : au moins
jusqu’au milieu du 17ème siècle, les parlements ont toutefois une prérogative qui est le droit de
remontrance. C’est le fait que le parlement peut de manière autonome rédiger une
remontrance, c'est-à-dire qu’il peut demander au roi de s’expliquer, de se justifier, voire de
revenir sur une décision qu’il a prise. Elle n’oblige pas le roi à répondre aux remontrances,
mais lorsque les remontrances sont répétées, le roi se sent obligé de venir devant le
parlement : le lit de Justice. C’est un rituel extrêmement important de la monarchie française,
le roi intervient devant le parlement et établit un dialogue avec les magistrats qui lui ont fait
une remontrance. En général le lit de Justice met fin à la remontrance : la parole du roi est
acceptée par les magistrats.
Ces parlements n’ont pas de pouvoir de décision, ils peuvent juste obliger le roi à prendre en
considération le fait parlementaire. Cela tend à agacer le monarque, car c’est un moment où il
est obligé symboliquement d’aller au devant des parlementaires et donc de leur donner de
l’importance. Louis XIV va enlever aux parlements le droit de remontrance. A sa mort, on
met en place une régence : les parlements vont estimer qu’il faut leur redonner ce droit de
remontrance, ce que la régence va accorder. A partir de ce moment là, durant tout le règne de
Louis XV, on va voir les parlements reprendre progressivement l’habitude de la pratique de la
remontrance. Comme la monarchie est encore absolue mais un peu plus faible, pour des
raisons diverses (dynastique, jansémitisme), la pratique de la remontrance va permettre une
véritable restauration de la pratique parlementaire.
Montesquieu, président du parlement de Bordeaux, va s’illustrer ici. Avec d’autres avocats et
aristocrates, il va théoriser la pratique parlementaire (théorisation de la pratique
parlementaire). Désormais, la nation a un territoire privilégié de représentation qui est le
parlement. On va considérer que le parlement est dépositaire de la souveraineté. Le roi se
voit contester le fait qu’il soit le seul interprète de la nation. La nation est également présente
dans les structures parlementaires, mais on reste loin de la notion de souveraineté populaire.
Idée importante : la souveraineté n’appartient pas au seul monarque, le fait que la légitimité
vienne de dieu ne change rien. Ceci à nouveau affaiblit l’autorité du roi, Louis XV ne va pas
pouvoir passer aussi simplement à côté des pratiques de remontrances. Le parlement est un
lieu où l’on peut débattre voire critiquer la politique de la monarchie. Ici nous sommes devant
un élément de convergence entre les salons littéraires et les parlements. Progressivement se
met en place une opinion parlementaire. Les deux obligent le roi à reconnaître qu’il n’est plus
tout à fait souverain en son royaume. Il doit accepter d’une certaine manière de voir ses
discussions (ses prises de positions) discutées.

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Cette configuration n’est pas proprement française, on la trouve dans la plupart des pays
européens selon des trajectoires historiques le même type de développement. Cette pratique
parlementaire est dès le milieu du 17ème siècle la règle au Royaume-Uni : donne naissance au
principe de la monarchie parlementaire. En France cette dynamique se met en place un peu
plus tard. En Italie et en Allemagne il faudra attendre la fin du 19ème siècle. La Russie, c’est
plus tard, c’est à partir de 1906 que naît un parlement au lendemain du premier soubresaut
révolutionnaire de 1905. Il est cependant trop tard pour sauver l’empire.

Section II - La naissance de la compétition politique démocratique en Europe


(fin 18ème – 20ème siècles)
Démocratie : en France il faut bien sûr entendre une démocratie représentative et non une
démocratie directe contrairement à la Grèce antique et la Suisse contemporaine.
Etymologiquement c’est le gouvernent du peuple par le peuple, mais ce n’est pas le cas en
fait. En effet, le parlement n’est certainement n’est pas représentatif de la répartition ethnique
de la société.
La définition qu’on en donne n’est pas simplement étymologique. La démocratie une forme
de division du travail politique (il y a des gouvernants et des gouvernés) qui repose
historiquement sur une compétition pour la conquête des positions de pouvoir à l’intérieur de
l’Etat. C’est-à-dire que, qui dit démocratie représentative, dit aussi élection comme modalité
de sélection compétitive des représentants. L’élection n’a rien en elle-même de démocratique.
De nombreux philosophes pensent depuis l’antiquité que l’élection est un principe
aristocratique. Cette dynamique aristocratique de l’élection est pensée depuis l’origine. Pour
les philosophes, la seule pratique démocratique est le tirage au sort. A l’époque de la
démocratie athénienne, le principe du tirage au sort est le principe qui permet de pourvoir à
la plupart des fonctions publiques. Le tirage au sort assure à chacun la même probabilité
d’être un représentant. De nos jours, la probabilité d’être un jour gouvernant est presque égale
à 0. La probabilité pour qu’un énarque, fils d’énarque et petit fils de député soit un jour député
est déjà beaucoup plus élevée.
Pourquoi l’élection n’est-elle pas un principe démocratique ? Pour y répondre : quelle est
l’institution qui, la première au monde, a mis en place ce principe ? C’est en fait d’abord
l’Eglise catholique, puisqu’elle a permis l’élection des évêques. A cette époque l’Eglise n’a
rien d’une institution démocratique : c’est pour des raisons purement fonctionnelles qu’elle
introduit l’élection. C’est un mode de désignation qui permet d’obtenir des résultats.
L’élection est utilisée encore aujourd’hui dans des cadres bien étrangers à la démocratie (ex :
une entreprise). Ici il faut comprendre comment ce principe de sélection électoral va se mettre
en place dans notre société : la légitimité n’est pas descendante mais ascendante. La

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légitimité qui nous venait du ciel va progressivement monter de la société : elle va être
réalisée à travers le principe sélectif.

1§Histoire sociale de la démocratie représentative


Ici : ce ne sera pas une histoire idéelle mais une histoire matérielle des idées démocratiques.

A. Point de vue comparatif : mise en perspective du point de vue


européen
Eléments de chronologie. A partir de quand peut on considérer que la démocratie
représentative se met en place ? CHARLES TILLY, historien américain, spécialiste de l’histoire
de France, a effectué une thèse sur la Vendée de la période révolutionnaire. Il a travaillé
l’histoire de la démocratie de manière comparée. Il retient 3 critères :
1. Le début de ce qu’il appelle une pratique parlementaire continue. Avant, ils ne se
réunissent que ponctuelle et indépendamment de leur propre volonté : c’est le roi qui
les convoque.
2. Le moment où les parlementaires font l’objet d’une élection au suffrage universel
masculin. En 1848 on considère que l’universel reste au sexe masculin.
3. Le moment où le suffrage universel devient vraiment universel : l’affranchissement
civique. (Suffrage universel masculin et féminin).
De ce point de vue là, si l’on regarde l’Europe, on voit se dessiner un certain nombre
d’inégalités. C’est dans les pays scandinaves, au sens de ces trois critères, que la démocratie
représentative se met en place. Dès 1810 en Norvège le parlement se met en place et
l’affranchissement civique se réalise dès 1910 (vote des femmes). Un autre pays très proche
de la trajectoire norvégienne est le Royaume-Uni. On considère que la pratique parlementaire
est largement routinisée dans les années 1830. Le principe du vote universel homme + femme
est acquis dès 1920 (au lendemain de la première guerre mondiale). On considère alors que
les femmes peuvent voter, en partie due au rôle qu’elles ont joué pendant la guerre. En
France, les femmes ne sont pas affranchies entre les deux guerres malgré les propositions du
parti radical.
 L’Italie, les Pays-Bas et l’Allemagne connaissent des pratiques parlementaires
continues dans les années 1840 et vont connaître un suffrage universel masculin et
féminin dans la décennie 1920.
 Le cas de la Suisse : parcours intéressant et étonnant. Dès les années 1840, la Suisse
est une démocratie parlementaire en plus d’être une démocratie directe. Il faudra
attendre 1970 pour que les femmes obtiennent. Le canton d’Appenzell va refuser la
votation des femmes jusqu’à cette date. La trajectoire française n’est pas très éloignée,
puisque la France connaît des pratiques parlementaires routinisées en 1840. Le droit de
vote aux hommes est accordé en 1848 et qu’il faudra attendre 1944 pour que les
femmes votent aussi.
 Trajectoire démocratique plus particulière : le Portugal reste une monarchie jusqu’au
début du 20ème siècle et ne connaît une pratique réglementaire qu’en 1910. Les
portugais mâles obtiennent le droit de vote et les femmes ne rejoignent le corps
civique qu’en 1970. La raison : autoritarisme de Salazar qui tombe avec la révolution
des œillets.
 Autre cas intéressant : le cas de l’Allemagne. Là encore, elle connaît une trajectoire
originale, étant donné que le suffrage masculin précède la mise en place routinisée du
parlement. Le droit de vote est accordé aux hommes dans les années 1840, mais le

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parlement ne devient véritablement une institution qu’en 1910. Ceci est lié au fait que
l’Allemagne ne devient un Etat-nation que tardivement.
 La Grèce connaît un cas également proche de l’Allemagne avec une différence
chronologique. La pratique parlementaire routinisée dans les années 1840, mais les
grecs hommes ne se verront reconnaître le droit de vote que dans la décennie des
années 1920 et les femmes rejoignent le corps civique dans les années 1960.

B. La genèse de la démocratie représentative en France


Point de départ de cette transformation : la révolution française, à l’évidence. Cela dit elle ne
produit des effets que parce qu’elle est très largement inscrite évidemment dans la dynamique
de libéralisation de la société française du 18ème siècle. Deux effets majeurs de la Révolution :
1. Elle entraîne l’abolition du principe monarchique (à travers la décapitation de Louis
XVI). La mise en place d’un système de légitimation qui renvoie à la souveraineté
populaire et nationale
2. Les français (hommes) vont faire leur première expérience de démocratie
représentative pendant la période révolutionnaire. Le principe électif est instauré dès
le début de la Révolution française. Premiers votes masculins avec un système
électoral très complexe : distinction entre « citoyens actifs » et « citoyens passifs ».
Seuls les actifs peuvent être élus aux assemblées qui prennent les décisions in fine.
Tout ça se fait dans une absence de codification4.
Napoléon 1er ne remet pas en cause le principe du suffrage universel. Il va innover puisqu’il
va instaurer le principe du vote obligatoire (juridiquement parlant). Il va le faire dans la
pratique particulière : la pratique plébiscitaire. Il organise des élections pour faire approuver
les réformes qui sont les siennes. La liberté électorale à l’époque du Premier Empire est
extrêmement faible. Les taux de réponse aux différents plébiscites de Napoléon sont
extrêmement élevés.
Avec la restauration monarchique de 1815 à mars 1848, la France va connaître un régime
électoral particulier : le régime censitaire5. Il est codifié par les lois électorales de 1817 :
elles établissent désormais que ne sont considérés comme électeurs (et plus encore éligibles)
que les citoyens français qui payent un certain niveau d’impôt. On considère en 1817 qu’il n’y
a qu’à peine 200 000 électeurs en France (bourgeois, nobles, riches). 1828, 1831, 1833 :
réformes qui vont diminuer quelque peut le seuil d’impôt nécessaire pour être considéré
comme électeur.
Exception : réforme électorale de 1831 ne concerne que les élections municipales et non les
législatives. On va décider là que pour les élections de proximité on va réduire le seuil
d’imposition et autoriser un certain nombre de citoyen qui payent des impôts (mais pas
beaucoup) de voter. Elargissement du corps électoral : de 1831 à 1848, expérience
démocratique grandeur nature. En moyenne 2 millions de français hommes vont faire
4
Il n’y a aucun encadrement juridique des élections. Le premier Code Electoral date de 1852. La
France à l’époque connaît quelque chose qui n’existe pas ailleurs. Les élections se déroulent avec un
degré d’amateurisme délirant. Idem en 1848. Ledru-Rollin, ministre de l’intérieur, est obsédé par la
taille des urnes. Il demande à l’institut de France de faire des calculs sur la taille des urnes et la durée
du scrutin. Le soir du lundi de pâques on a décidé de prolonger les élections au lendemain. Que faire
de l’urne le soir ? Les préfets ont décidé qu’il fallait que les urnes reviennent en préfecture le soir. Du
coup elles se sont promenées sur les chemins pendant la nuit. Dans les règles d’aujourd’hui aucun
scrutin ne serait validé.
5
Le calcul du cens intègre le patrimoine de la femme, même si celle-ci ne possède pas le droit de
vote.

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l’expérience de la pratique électorale au niveau des scrutins locaux. Permet un apprentissage


matériel du vote : un certain nombre de paysans plutôt riches vont apprendre tout simplement
à voter. Ils vont se socialiser à une pratique électorale. Ceci explique pourquoi le taux de
mobilisation électorale en 1848 est extrêmement élevé. Cette réforme de 1831 à cet énorme
avantage de permettre à beaucoup de français de commencer à prendre de bonnes habitudes
électorales.
Les premières expériences démocratiques se font dans ce cadre censitaire, qui a été un tout
petit peu atténué dans sa portée d’exclusion dans les élections municipales.
La caractéristique est que le corps électoral est extrêmement réduit. Les collèges électoraux (=
circonscription électorales contemporaines) dans 80% des cas, de 1830 à 1848, comprennent
moins de 600 inscrits. Il y a seulement en France en 1846, 27 collèges qui dépassent 1000
électeurs. Conséquence très importante : le comportement électoral est ici étroitement lié à un
système d’interconnaissance : les électeurs et les élus se connaissent parfaitement, ils
appartient au même monde. Dans un grand nombre de cas, c’est un système de cooptation
qui est à l’œuvre : on se réunit pour savoir qui sera le député. Il y a quand même des élections
mais on ne va faire le plus souvent qu’avaliser le choix de la cooptation entre les individus qui
appartiennent au même monde. En définitive, il s’agit d’une compétition électorale sans réelle
compétition en fait. Il y a un candidat choisi avant même que l’élection n’intervienne. Les
campagnes électorales au sens moderne du terme n’ont pas de sens. Les candidats
n’échangent pas des rhétoriques politiques : ils sont tous d’accord, puisqu’ils appartiennent au
même monde. On a donc des marchés électoraux qui sont très peu compétitifs et très peu
politisés. Ce qui s’échange à cette époque là ce sont le plus souvent des services : on demande
au député d’être l’interprète du collège auprès de l’Etat. Le député est un notable : quelqu’un
qui vit pour la vie politique sans vivre de la vie politique, il n’y a pas d’indemnités politiques.
Le notable n’est pas un professionnel de la politique, il a suffisamment de revenus, de
ressources, pour vivre pour la politique sans vivre de la politique.
Exception : à partir du milieu des 1830’s, le niveau de compétition électoral va augmenter.
Dans certains collèges, on remarque l’apparition d’élus avec des programmes différents.
Exemple : la Normandie, Alexis de Tocqueville va se faire élire comme député censitaire sur
un programme d’opposition par rapport au député qui était traditionnellement élu dans sa
circonscription. Dans la plupart des cas on est dans un système plus proche de la cooptation
que de la compétition électorale.
Ca va changer avec la révolution de 1848, laquelle va mettre à bas cette situation. Le 5 mars
1848, le principe du suffrage universel masculin va être adopté et sera mis en œuvre lors des
législatives d’avril 1848. Conséquence de ce principe du suffrage universel : soudainement le
corps électoral (donc les collèges électoraux) vont devenir évidemment des collèges qui
comportement plusieurs dizaines de milliers d’électeurs. On totalise en France plus de 9
millions d’électeurs à cette époque. Le principe de l’interconnaissance ne fonctionne plus :
absence d’identité à la fois sociale et culturelle et d’interconnaissance.
Se pose le problème sur le plan historique de la mobilisation électorale. Il ne suffit pas que
l’on décrète le droit de vote pour que les individus se sentent concernés par le vote. Exemple :
les Etats-Unis dans les 1970 quand on reconnaît le droit de vote aux noirs. On constate que la
population noire vote beaucoup moins que la population blanche, en parti dû au fait que les
populations noires sont en proportions beaucoup plus défavorisées socialement et
culturellement. L’abstention est donc un bon indicateur social de domination des populations
abstentionnistes. En fait ce n’est pas la pratique qui est importante, c’est la reconnaissance du
droit : le noir est l’égal du blanc. La pratique ne vient que s’il y a une série de dispositifs
sociaux qui vont progressivement habituer l’électeur avec sa citoyenneté : on ne naît pas

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citoyen, on le devient. On retrouve ici l’intérêt de la loi de 1831 : elle familiarise la


population avec la pratique électorale. Le problème que pose le suffrage universel est la
mobilisation : comment faire en sorte que les populations aillent voter ? Il n’y a rien de
naturel dans le fait d’aller vote : c’est quelque chose qui résulte d’un travail politique.
Second problème évoqué par Ledru-Rollin : l’organisation des élections.
1. il faut que les gens se déplacent
2. il faut organiser un tel type de scrutin
A la révolution française on avait déjà ce type d’organisation, car il y avait 6 millions de
citoyens actifs. Cela dit les élections pendant la révolution française étaient à deux niveaux.

2§Les effets de l’universalisation du suffrage politique (1848-1913)


1913 : réforme dans le rituel électoral. Mise en place du vote secret et installation de l’isoloir.
Quelles sont les incitations sélectives qui vont faire en sorte qu’on va prendre l’habitude
d’aller voter, malgré le fait que ce ne soit pas rationnel de le faire ? On va même considérer
que c’est dommage de ne pas aller voter.

A. Universalisation du suffrage électoral et civilisation électorale


Dans cette sous partie : histoire de la codification juridique des opérations électorales :
comprendre les raisons de la codification juridique du comportement électoral.
Le code électoral tel que nous le connaissons aujourd’hui naît principalement pendant la
deuxième République. L’essentiel de la codification sur laquelle nous vivons a été établie
pendant la période 1849-1852. Le décret organique de 1852 est le point de départ de notre
code.
Quelle est la raison d’être du code électoral ? Pourquoi va-t-on estimer qu’il est urgent et
même nécessaire que l’on mette en place une codification juridique du système électoral ?
Les élections précédentes étaient floues, sauf les modalités d’accès à la citoyenneté électorale,
mais on ne va guère plus loin. Pendant toute la période censitaire, les élections ne se déroulent
absolument pas dans une mairie ou une école mais au domicile du député. On a privatisé le
lieu de vote, sauf pour les collèges électoraux ou il y a beaucoup d’électeurs : ça se passe la
souvent dans un lieu plus grand pour des raisons pratiques, comme une église par exemple.
L’urgence première du code électoral est de mettre en place un espace réservé pour les
élections : définir les conditions matérielles des élections. Il faut que les élections puissent se
dérouler dans la sérénité, un ordre qui se reproduit à l’infini sur l’ensemble du territoire.
Règle d’or d’une démocratie : on ne subit pas de pression, on fait en sorte que chacun puisse
décider de manière souveraine l’opinion. En 1848 la question de la sincérité électorale n’est
pas prioritaire : c’est la question de la sécurité électorale qui prime. C’est l’idée que l’on
puisse obtenir des élections sereines.
Célèbre caricature d’HONORÉ DAUMIER, dessinateur de la seconde partie du 19ème siècle.
Intervient sous le second empire et le début de la troisième République. Iconographique
célèbre : l’ouvrier des faubourgs parisiens (ex. le quartier de la bastille, considéré comme un
quartier de prolétaires les plus menaçant pour l’ordre social bourgeois). Cet ouvrier est un
ouvrier des faubourgs de la Bastille, et on le voit brandir un bulletin de vote. Ce qui fait le sel
de l’image, c’est qu’il y a une légende qui fait dire à l’ouvrier « Voilà ma cartouche ». Le
bulletin de vote est ce qui se substitue au fusil qui avait permis de faire la révolution en 1789
et 1848. Sorte de substitut fonctionnel. Désormais quand on a une volonté de changement
c’est à travers un comportement électoral qu’il faut l’exprimer. La codification électorale est
de permettre cette pratique pacifiée du comportement électoral.

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L’un des chapitres les plus importants de la codification électorale de 1849-1852 est celle qui
parle de la présence de armes dans les bureaux de vote. Dès 1849, le bureau de vote va obtenir
en droit français une situation particulière : c’est le seul endroit du territoire français où les
forces de police n’ont pas le droit de rentrer armées. Il est fait interdiction à tout individu de
rentrer dans un bureau de vote (dans l’espace électoral) avec une arme. Dès ce moment là, un
certain nombre de sanctions au niveau des amendes voire des peines de prison sont prévues
dans le cas ou un électeur rentrerait avec une arme. A cette époque, on a peur que certains
usent de la violence pour empêcher le rituel électoral. Cette sécurité des lieux de vote est un
enjeu fondamental. L’essentiel de la codification juridique telle qu’elle se met en place en
1849 et telle qu’elle sera confirmé en 1852 est bien l’idée qu’il faut habituer les électeurs à un
espace totalement pacifié qui témoigne d’un degré supplémentaire dans la civilisation.
On avait précédemment évoqué une élévation du niveau de civilisation dans la
monopolisation de la violence par l’Etat. Ici on a second niveau d’élévation : on doit
s’habituer, dans l’espace du vote, à un échange totalement pacifié et excluant totalement la
violence. Contribue à une « mise en forme spatiale de l’acte électoral ».
Cf. document 3 de la brochure. Empruntée au quotidien du Petit Parisien (supplément
littéraire dominical illustré du petit parisien). Iconographie publiée le 29 septembre 1889, jour
du premier tour des législatives de cette année là. Elle décompose en 7 vignettes la journée
électorale. Certaines vignettes sont tout à fait anecdotique : celle en bas à droite (n°7) est un
gendarme à cheval qui transmet les élections. La figure n°2 est l’intérieur du bureau de vote.
Des figures 1, 3, 4, 5, 6 représentent elles l’extérieur. A l’extérieur, il y a des comportements
qui ne sont pas civilisés exclusivement, notamment la figure du combat entre les afficheurs.
La pacification concerne l’intérieur du bureau de vote et non l’extérieur. Autre figurine, celle
en bas à gauche : les distributeurs de bulletin. Aujourd’hui il est interdit de distribuer un
bulletin à l’extérieur, on peut demander l’annulation de l’élection. A l’époque il est autorisé
de distribuer à l’extérieur mais pas à l’intérieur. On va constater que le moment de la
distribution de bulletins de vote est un moment de très fortes tensions. Les dérapages violents
sont fréquents à ce moment là. Vertu de l’image : en haut (n°2) c’est le rituel électoral à
l’intérieur du bureau de vote. Les hommes qui sont là sont endimanchés, on a toute une série
de messieurs qui ont prit acte de la gravité de l’acte électoral, et ne manifestent aucune
impatience, aucune attitude indécente. Ils sont respectueux d’un rituel électoral, qui est
particulier à l’époque (1848-1913) : il prévoit que l’électeur rédige son bulletin de vote, il n’y
a pas de bulletin de vote imprimé. Le fait d’autographier son bulletin est évidemment le signe
d’une véritable compétence/capacité électorale. Ceux qui ne savent pas écrire peuvent se faire
aider par un membre du bureau électoral. Le bulletin est remis dans les mains du président du
bureau de vote qui a vocation à « palper » le bulletin de vote, pour vérifier s’il n’y a qu’un
seul bulletin de vote, et ensuite il le dépose dans l’urne. Ces procédures électorales sont
beaucoup plus longues qu’aujourd’hui. Important ici sur la figure, c’est que le bureau de vote
est empreint de silence et de sérénité. La figure centrale représente ce qui se passe à Paris près
des grands boulevards, quartiers de paris ou se trouvaient les principaux sièges des grands
journaux parisiens. Les résultats étaient proclamés là bas le soir des élections (mise en place
de transparents affichés sur des écrans). C’est là que la population parisienne politisée
s’observe à chaque élection importante, c’est là aussi que les batailles rangées entre électeurs
se déroulent. Véritables incidents électoraux, violence, mais en dehors des bureaux de vote et
après les élections. L’intérêt de cette iconographie : elle témoigne bien de la réussite de ce
procès de civilisation électorale, au sens où au terme de la codification juridique de l’acte
électoral.
Cet espace électoral a 4 caractéristiques :

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1. L’espace électoral est un espace neutralisé car pacifié qui a vocation à protéger les
électeurs des pressions et des violences extérieures. C’est un lieu qui conditionne le
libre déroulement de l’activité électorale. C’est un lieu qui se caractérise par le fait que
personne ne peut y pénétrer avec des armes : c’est un lieu dont la police appartient au
seul bureau électoral. Le ministère de l’intérieur ne peut rien faire, les forces de police
ne peuvent rentrer sauf quand le président du bureau de vote les a sollicité.
2. Un espace réglementé, c'est-à-dire que c’est un espace où l’ensemble des dispositifs
matériels est strictement codifié. Le code électoral a vocation à établir de manière
extrêmement stricte ce qui doit se trouver dans un bureau de vote et ce qui ne doit pas
s’y trouver. Cette réglementation favorise l’homogénéisation du rituel électoral.
Partout en France le vote se déroule selon la même procédure. On légifère sur la
nature des urnes électorales, sur ce qui doit se trouver sur le bureau du président, sur
les différentes affiches qui ont le droit d’être épinglées dans le bureau, etc. Permet la
reproduction dans le temps du rituel selon les mêmes règles. Permet le développement
d’une habitude électorale. Ex. : le vote informatisé est presque un obstacle, et on
constate souvent une baisse de la participation.
3. C’est un espace consacré par une institution spatiale et temporelle stable et
reproductible à travers le temps. Ici est en jeu le fait que le vote doit être prévisible : il
faut évidemment informer les électeurs, réglementer bien sûr, les éléments concernant
les horaires d’ouverture et de fermeture du bureau de vote. On ne peut organiser des
élections s’en en informer les électeurs. Cela justifie le fait qu’on passe d’un lieu privé
à un lieu public : le vote doit se faire dans un lieu connu des électeurs. Historiquement,
une carte d’électeur indique le lieu et l’horaire du vote : c’est une convocation.
L’interconnaissance, lors du vote censitaire, fait que l’on n’a pas besoin de vérifier
l’identité de l’électeur. A partir de 1848, c’est plus difficile de vérifier l’identité (carte
nationale d’identité, sous Vichy). On fonctionne au flair du président du bureau de
vote. On vérifie que l’hexis corporelle correspond à la profession indiquée sur la liste
des électeurs. Les élections à cette époque sont donc extrêmement contestables.
4. C’est aussi un lieu préservé des bruits et des rumeurs de l’agitation politique. Il
permet donc que l’acte électoral se déroule dans une ambiance grave et calme. La salle
de vote, est le premier isoloir. En 1913 on va doublement isoler l’électeur : on installe
des « confessionnaux » qui permettent à l’intérieur de voter secrètement. Jusqu’en
1913 le vote est public. Le principe était que l’on faisait l’appel des électeurs à
l’extérieur avant de faire rentrer tout le monde, donc avant de procéder au vote. Le
scrutin avant 1913 rend délicat une opinion sincère. Après 1913 on voit apparaître
l’enveloppe et l’isoloir, qui permet à chacun de choisir dans le plus grand secret le
bulletin qu’il souhaite insérer dans l’enveloppe. La pratique du vote imprimé se
généralise : c’est la fin du vote autographié.

B. Universalisation du suffrage électoral et éducation civique (9 nov. 06)


(Une codification normative : ensemble des dispositifs de socialisation qui accompagnent
l’universalisation du suffrage). La démopédie : l’éducation du peuple. Emergence des
mécanismes de socialisation civique.
La démopédie : éducation du peuple par le peuple. Quand la France dépense 11 dans
l’éducation, l’Espagne dépense 1.
Juin 1881 et mars 1882 : lois républicaines qui établissent les principes de l’école gratuite,
obligatoire, et laïque. La laïcité n’est pas simplement une étape supplémentaire. Les
programmes mis en place fin août 1982 font que la première matière par ordre d’importance

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est « l’instruction morale et civile6 ». Avant l’école avait vocation à former les croyants,
maintenant elle a vocation de développer les citoyens.
Définition de ce qu’on entend à cette époque là de l’éducation. On l’emprunte à un des
intellectuels qui a le plus fait pour expliquer l’importance de l’éducation dans les sociétés
modernes : EMILE DURKHEIM. Il est le premier à occuper à l’université en France une chaire de
science de l’éducation, à Bordeaux d’abord puis à la Sorbonne (La première chaire de
sociologie date de 1923). Elle était occupée jusque là par Fernand Buisson (un des premiers à
avoir introduit à l’assemblée nationale visant à émanciper les femmes au suffrage universel).
Il a occupé pendant toute la période 1880-1814 la fonction de responsable de l’instruction
primaire au ministère de l’instruction publique de l’époque. C’est lui qui a mis en œuvre le
programme républicain.
En 1911, Emile Durkheim va succéder à Buisson et publie la notice « éducation » dans le
Dictionnaire de pédagogie : « L’éducation est l’action exercée par les générations adultes sur
celles qui ne sont pas encore mures pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de
développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux, que
réclament de lui et la société politique dans son ensemble, et le milieu spécial auquel il est
particulièrement destiné ». (Notice reprise dans Education et sociologie de DURKHEIM).
Cette définition est extrêmement forte. Pour un anglais, il est totalement inadmissible que
l’éducation doive répondre à un impératif qu’est celui de l’éducation politique. On a l’idée là,
pour Durkheim, qu’il est tout à fait légitime que la puissance publique ait tendanciellement le
monopole de l’éducation. C'est-à-dire que pour lui il est tout à fait normal, et il serait même
anormal, que la puissance publique ne contrôle pas le système éducatif et notamment les
programmes. Parce que, nous dit-il, l’éducation a vocation à favoriser l’homogénéisation
de la société, donc à transmettre à chacun un système de valeur, de représentation, un certain
nombre d’idéaux.
Aujourd’hui le métier premier de l’éducation est l’épanouissement individuel (héritage de mai
68), ce qui s’oppose à la vision de DURKHEIM. A l’époque de DURKHEIM le but de l’éducation
est de favoriser une culture nationale homogène, et de donner au système social les conditions
de sa perpétuation. L’objectif de l’éducation est de faire en sorte que l’Etat ait en face de lui
des citoyens. D’une certaine manière, quand DURKHEIM écrit cela, il n’est pas très loin de
JEAN-JACQUES ROUSSEAU dans l’Emile. C’est le grand livre de ROUSSEAU sur l’éducation, sur
ce qu’elle doit être dans une société républicaine. L’éducation pour ROUSSEAU peut faire deux
choses : soit elle forme l’individu, soit elle forme le citoyen. Il n’y a pas la possibilité de faire
l’un ou l’autre.
ROUSSEAU est plutôt du coté du citoyen que de l’homme, et DURKHEIM l’est aussi, dans cette
tradition là. Et on parle ici d’éducation, et non d’instruction (qui est, quant à elle, la
transmission d’un savoir). L’éducation transmet des savoir-faire7. L’enjeu n’est pas de
transmettre des savoirs, mais des savoir-faire, des savoirs se comporter. DURKHEIM a contribué
à la rédaction des programmes en France, notamment les programmes d’éducation civique.
Quels sont les principaux savoir-faire que l’on va transmettre ? Ces savoir-faire sont
étroitement articulés avec l’exigence de former des citoyens électeurs. Or, pour les moralistes,
elle a principalement 3 objectifs (socialisation civique) :

6
Avant, c’était l’instruction morale et religieuse
7
L’apprentissage de la lecture n’est pas un héritage de la troisième République. OZOUF et FURET ont
montré que l’apprentissage de l’alphabétisation française a précédé la troisième République. On a
montré historiquement que le Nord est un peu plus illettré que le sud en France. Mi 19 ème il y a des
écarts sensibles. Les écoles religieuses ont transmis cette alphabétisation.

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1. Favoriser le devoir électoral. En France, le vote n’a jamais été obligatoire


juridiquement, ce qui est différent de ce qui se passe dans un certain nombre d’autres
pays européen. En Belgique le suffrage universel a été tout de suite accompagné de
l’obligation juridique de voter, dès 1893. Ce principe est encore dans la loi électorale
belge. C’est non seulement une obligation juridique mais une sanction assortie d’un
certain nombre de sanctions, d’où un taux de participation élevé8. En France en 1848,
lorsqu’on restaure le suffrage universel, il aurait été possible de penser que le vote
deviendrait juridiquement obligatoire en France. Ca n’a pas été le cas, pourquoi ?
(Cela dit, depuis 1870 à l’assemblée nationale, il y a eu une 50aine de propositions de
ce genre qui n’ont jamais dépassé le stade de commissions. La Constitution italienne,
même si elle considère que le vote n’est plus obligatoire, considère qu’il est un devoir
social. En France, il est un droit et une liberté.) Deux raisons historiques expliquent
qu’en France on n’ait jamais inscrit dans la Constitution le vote obligatoire d’un point
de vue juridique.
a. La première, c’est que cela renvoie à notre culture politique et notre culture
constitutionnelle : en France, le principe constitutif de notre droit électoral est
le principe de la liberté électorale. Le citoyen est libre de se comporter de la
manière dont il l’entend : il est libre de participer ou de ne pas participer. En
France le vote est un droit, et n’est pas une fonction. En Belgique, en
revanche, le droit n’est pas un droit mais une fonction. On considère que
l’électeur qui dépose son bulletin de vote rempli une fonction qui est celle de la
souveraineté. En France on n’a jamais accepté totalement cette définition
fonctionnelle du vote. On a considéré que le vote était davantage une liberté
fondamentale en France. Ca veut dire, et c’est très important, qu’il faut faire
en sorte de convaincre les électeurs, non pas de remplir une obligation
juridique, mais de remplir une obligation morale. En France le vote est un
devoir moral.
b. Ce n’est pas tout à fait vrai sur un plan historique, car en réalité on a connu, sur
une très courte période, une ébauche de vote obligatoire. En pratique on avait
mis en place toute une série de mécanismes qui faisait que l’on était proche du
vote obligatoire pendant le premier empire. Napoléon 1er a fait un usage
plébiscitaire du suffrage électoral (cf. infra) : il n’a pas remis en cause le
principe des élections, il a même régulièrement appelé les citoyens à voter,
convoquer (au sens fort du terme) les électeurs. Il a là inventé quelque chose de
tout à fait étonnant : il avait décidé que l’on afficherai à l’extérieur des bureaux
de vote le nom des électeurs qui ne s’étaient pas rendu au bureau de vote,
constituant ainsi une sorte de délation publique. Cette expérience là a
traumatisé les républicains.
Si on considère (a) + (b), on comprend qu’en France le vote obligatoire ne soit pas en
odeur de sainteté. On va faire en sorte de trouver un substitut à ce vote obligatoire : on
va faire en sorte que l’éducation incite moralement les électeurs à participer. On va
demander à l’éducation de très fortement valoriser le comportement électoral 9.

8
Le taux de participation est le nombre d’électeur s’étant rendu au bureau de vote sur le nombre
d’électeurs inscrits. En Belgique en 2004 le taux était de presque 94%. En France le même jour le
taux était inférieur à 50%.
9
Discours prononcé en 1882 au Cirque de l’Hiver par Paul Bert, ministre de l’instruction publique.
« Surtout et avant tout (…) quand ils s’approchent de l’autel »

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Evidemment l’objectif principal est de faire en sorte que l’abstention diminue, de faire
en sorte que ce comportement ne soit pas considéré comme illégal, mais qu’il y ait des
obligations morales qui se substituent à l’obligation juridique.
2. Dessiner les traits de la normalité électorale. Ca veut dire qu’il faut évidemment
essayer de définir les qualités qui doivent être celle de l’électeur. Trois qualités :
a. Il faut qu’à cette époque là le vote soit considéré comme un vote libre. Ca ne
veut pas dire la liberté au sens générique, constitutionnel du terme. En fait, ce
que l’on craint le plus, à la fin du 19ème siècle, c’est le fait que l’électeur subisse
un certain nombre de pressions, aussi bien de types sociales, économiques, ou
des pressions de type religieuses. On a vu ce qu’était le rituel électoral : les
électeurs arrivent collectivement au bureau de vote. On craint que l’électeur
soit sensible aux pressions qui pèsent sur lui de la part de ses employeurs, du
clergé catholique (qui pèse jusque dans les 1920’s). On veut éviter tout ce qui
relève de la corruption électorale. Dans ces années là (1870’s) il se passe
d’étranges choses à la périphérie des bureaux de vote, dont la pratique du
« tonneau électoral » : c’est le fait que très souvent, sur la place du village,
devant le bureau, on voit de chaque côté des tonneaux d’eau de vie à la
disposition des électeurs. Les candidats sont ceux qui financent les tonneaux,
les distributeurs de bulletins promettent un petit verre à la sortie des bureaux. Il
y a eu des phénomènes de corruption historiquement, des pressions, etc. Le
clergé catholique menace de ne pas accepter les enfants à la communion,
d’effacer les péchés, etc.
b. Faire en sorte que le vote soit consciencieux et éclairé. Autrement dit, il faut
faire en sorte que l’électeur vote en exprimant une réelle opinion collective : il
faut apprendre à opiner d’une manière cohérente. L’électeur, avant de voter,
doit s’informer. Il faut par exemple inciter l’électeur à lire la pression, à
participer aux réunions électorales, etc. il faut qu’il prenne le temps de regarder
le programme des uns et des autres pour établir son vote.
c. Le vote doit être désintéressé. L’électeur en France doit impérativement
tenter de vote non pas en fonction de son intérêt personnel, mais en fonction de
sa conception de l’intérêt général. En France, l’intérêt général n’est pas la
somme des intérêts particuliers. En France, depuis la Révolution, on a une
conception de l’intérêt général différente : il est supérieur à la somme des
intérêts particuliers. Chacun d’entre nous doit essayer de se comporter non pas
forcément en fonction de son intérêt personnel, mais de l’intérêt général. Il y a
conflit entre l’intérêt personnel et l’intérêt général. Burdeau appelait ça la
« sainteté civique » : s’extraire de soi même.
3. Favoriser la transmission des savoir faire qui sont nécessaire au rituel électoral. Il
faut faire en sorte qu’à l’école les petits citoyens apprennent à voter matériellement,
qu’ils apprennent la matérialité du geste électoral. C’est le principe de l’élection des
délégués de classe : organisation d’une compétition électorale réduite.

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Section III - Eléments pour une histoire de la mobilisation électorale (19 ème
siècle – 20ème siècle)

Introduction
Mobilisation électorale (déf. de YVES DELOYE) : elle peut être définie comme l’ensemble des
incitations par lesquelles certains acteurs sociaux et politiques (notamment les partis
politiques) travaillent à créer ou à réactiver l’habitude électorale, c'est-à-dire à amener les
citoyens à s’intéresser à une activité de délégation de leur pouvoir qui ne va pas de soi.
Il y a là un paradoxe que tous les historiens de la démocratie ont pointé : il est tout à fait
irrationnel de participer à une élection pour un électeur. En effet, lorsque vous êtes dans
une élection au suffrage universel (dans le cadre censitaire c’est différent), c’est irrationnel
parce que le poids de chaque vote est à peu près égal à rien. La probabilité que votre voix ait
un impact réel sur l’élection est à peu près égale à zéro. En revanche, le comportement
électoral a un coût pour l’électeur : en France le vote a lieu un jour férié, il faut se déplacer,
c’est souvent à la belle saison. C’est beaucoup plus rationnel que l’électeur aille à la pêche,
qu’il aille voter (la rationalité étant un rapport économique entre « qu’est ce que ça me coûte »
et « qu’est ce que ça me rapporte »).
Pourquoi les électeurs continuent-ils à se rendre au vote ? Dans une étude, on a constaté très
récemment que 69% des personnes interrogées considèrent que les élus en France sont
corrompus. Malgré cela, le niveau de confiance à l’égard de notre représentation
démocratique est tombé au plus bas de notre histoire. C’est là le paradoxe : malgré le fait qu’il
y a 69% de gens avec une image dégradée de le classe politique, la majorité de ceux-là ira
quand même voter. Ils n’ont pas confiance en les élus, mais iront quand même voter. La
notion de mobilisation électorale part de l’idée qu’il n’y a rien de naturel dans le fait d’aller
vote : on ne naît pas électeur, on le devient : c’est donc le résultat d’une socialisation, d’un
apprentissage. La mobilisation est bien l’ensemble des processus qui vont effectivement
convaincre les électeurs : c’est faire en sorte qu’il y ait des électeurs présents le jour des
élections.
Autre commentaire de cette définition. Quels sont les acteurs sociaux ? Ce sont ceux qui sont
ici concernés sont bien sûr le système éducatif, mais c’est aussi le travail de toute une série
d’autres acteurs, notamment les partis politiques lorsqu’ils vont commencer à apparaître. Les
premiers partis politiques datent de 1901. L’Eglise va jouer un rôle important en matière de
sociabilisation électorale : elle va inciter les catholiques à voter.
Pour analyser ce travail de mobilisation électorale : deux paragraphes.

1§La mesure et les rythmes de la mobilisation électorale

A. Les indicateurs de la mobilisation électorale


Fondamentalement, deux types d’indicateurs retenus par les historiens pour rendre compte de
la mobilisation électorale :
1. La prise en considération du taux de participation électoral. Il se calcule de manière
simple (cf. supra) : le nombre d’électeur s’étant rendu le jour du vote au bureau de
vote divisé par le nombre d’électeurs inscrits. Cet indicateur est insuffisant dans une
perspective historique. Pourquoi ? cet indicateur occulte le fait qu’un nombre
considérable d’électeurs puissent ne pas être inscrits sur les listes. Cet indicateur a
tendance a surévaluer la mobilisation électorale. Aujourd’hui on considère qu’en
moyenne 7 à 10% des électeurs potentiels ne sont pas inscrits sur les listes électorales.

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Un siècle plus tôt, il est fort probable que le chiffre des non inscrits soit encore plus
haut.
2. Le taux de mobilisation électorale est le nombre d’électeur s’étant rendu au bureau
de vote divisé par le nombre d’électeurs potentiels. Ce deuxième nombre est
l’ensemble des citoyens en âge et en droit de voter (18 ans en France depuis 1974). On
a une évaluation dans ce cas là beaucoup plus précise de la réalité.
Statistique qui montre l’écart entre les deux. On emprunte le travail d’un politiste de paris 1,
Michel Offerlé, qui a fait sa thèse sur cette question là, notamment de la politisation en région
parisienne. Le tableau présenté comparé 2 élections (législatives de 1876). On a un autre point
de comparaison, les législatives de 1889. On observe, si l’on prend la moyenne française, en
1876 : le taux de participation moyen en France était de 74% et en 1899 : le taux de
participation est passé à 77%. On montre que la courbe est ascendante. Ce taux moyen de 74
et de 77% cache évidemment de très fortes disparités. Exemple en 1976, on s’aperçoit que la
ville de Châteauroux dans l’Indre connaît dès ce moment là un taux de participation de 85%
(+11 points par rapport à la moyenne nationale). Le taux de participation à Brest est là
simplement de 51%. Ces écarts, ce qui est intéressant, c’est qu’ils ont tendance
historiquement à se réduire. Globalement on constate que plus on va aller dans la troisième
République, plus les écarts entre les circonscriptions vont se réduire.
Ce qui veut dire, c’est que l’augmentation tendancielle des taux de participation s’est
accompagnée historiquement d’une certaine homogénéisation du niveau de participation. On
rendra compte après pourquoi est-ce qu’on vote plus dans certaines régions, et pourquoi on a
un écart entre ville et campagne. Si on prend comme indicateur le taux de participation, on
constate, sur l’ensemble de la première partie de la 3eme république (jusque 1914), un
différentiel de participation en faveur des contextes urbains et un écart avec la campagne.
C’est en partie un artefact statistique : c’est quelque chose qui ne correspond pas vraiment à la
réalité, mais lié à la nature de l’instrument utilisé.
La deuxième série de chiffre correspond au taux de mobilisation. Il faut pouvoir évaluer
l’électorat potentiel. Comment l’évaluer ? Pour obtenir le nombre d’électeurs inscrits, il faut
le demander à la mairie. Pour l’électorat potentiel, il faut utiliser le recensement. Cela suppose
que les chercheurs et les historiens aillent relever pour chaque élection, pour chaque
circonscription, le résultat du recensement. On l’a fait pour un certain nombre de ville, et on
s’aperçoit que si l’on prend non plus le taux de participation mais le taux de mobilisation, on
constate qu’en 1876 la moyenne du taux de mobilisation est légèrement plus faible (69%) par
rapport au taux de participation (74%). En 1889, le taux de mobilisation est de 73% par
rapport au taux de participation de 79%. Ca ne remet pas en cause la tendance à la hausse. Ce
que l’on constate, c’est que l’écart type dans la distribution des taux de mobilisation est très
nettement plus élevé. Par exemple à Aubervilliers, on a taux de mobilisation électorale très
faible (33%) ; dans la ville du Creusot, on a un taux de mobilisation électorale de 84%. Il y a
donc une hétérogénéité beaucoup plus grande.
Pourquoi la ville du Creusot a-t-elle dès 1876 un taux de mobilisation qui est déjà aussi
élevé ? C’est une ville industrielle, c’est là qu’est établie l’entreprise Schneider. On sait très
bien que le candidat à la députation pendant quasiment toute la troisième République est
évidemment le patron des entreprises Schneider : c’est celui qui emploie les électeurs. On
s’aperçoit que les ouvriers vont voter parce que c’est quasiment considéré comme une
obligation. Il y a une pression patronale telle que les électeurs n’ont pas le choix entre
l’abstention et le vote : ils vont voter pour le candidat qui, par ailleurs, est leur employeur. Au
Creusot, l’entreprise était totale, au sens sociologique du terme : elle s’occupe des enfants, des
logements, etc.

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A l’inverse, la ville d’Aubervilliers (53% en 1898, 33% en 1874 de taux de mobilisation).


Cette ville naît avec l’industrialisation de l’Île-de-France. C’est une ville, à cette époque là, de
déracinés : une grande partie de la population à cette époque là sont des populations qui
connaissent une situation d’exode rural. Ils sont peu intégrés à la ville, et on sait que la
participation électorale est un très bon indicateur de l’intégration sociale (cf. supra et le vote
des populations noires américaines). Pourquoi le taux va-t-il très vite augmenter à
Aubervilliers ? C’est l’émergence progressive d’un certain types de partis, et notamment les
partis ouvriers, qui vont prendre en charge le travail de mobilisation électorale.
En résumé, l’intérêt d’utiliser le taux de mobilisation est de voir qu’il y a bien un effet de
l’apprentissage, lequel reçoit à des contextes de mobilisations qui sont très différents d’une
zone à l’autre. On remet là en cause le caractère homogénéisant du processus d’apprentissage
démocratique. Il faut en fait adopter une vue éclatée qui renvoie à des processus qui n’ont pas
forcement les mêmes effets, compte tenu des procédés qu’ils peuvent avoir.
On pourrait s’amuser à faire un calcul qui est « le nombre d’électeur déplacé le jour de la
population » divisé sur « la population totale ». On constate que là encore il y a des écarts
d’un facteur de 1 à 2. Si on prend Aubervilliers, en 1876, le pourcentage de votant ne
représente que 10% de la population. Au Creusot, en 1876, le niveau est déjà de 21,7%. Si on
prend la statistique en 1914, à Aubervilliers le taux est de 17,3% et il est devenu de 27,6% au
creusot.

B. Les rythmes de la mobilisation électorale


Il est extrêmement difficile de trouver un seul système de causalité historique pour rendre
compte de la politisation progressive, tendancielle, observée en France. Il n’y a pas une cause
historique, une explication. On constate, si l’on va à l’essentiel, qu’on peut envisager trois
réponses historiographiques principales. Elles permettent à la fois de répondre à la question : à
partir de quand le processus produit des effets, et à la question : quels sont les moteurs de
cette mobilisation ? On va aller de la thèse la plus acceptée aux thèses plus marginales.
1. Celle donnée par un historien américain, qui a fait école. Son livre est une révolution
historiographique : EUGÈNE WEBER. En 1976, il va sortir un énorme livre (900 pages)
qui porte en français tout au moins le titre très connu de La fin des terroirs. Il portait
aux USA le titre beaucoup plus parlant de Comment les paysans sont devenus
français. Le premier élément de réponse c’est de considérer que la mobilisation
électorale est extrêmement tardive où pour lui elle va de pair avec le phénomène de la
politisation.
a. Processus tardif : Ce phénomène renvoie à deux processus : 1) le
développement d’un intérêt pour la chose politique, et 2) ce développement de
cet intérêt pour la chose politique va de paire avec le développement d’un
sentiment d’identification à l’égard de la communauté nationale. C'est-à-dire
que progressivement les paysans vont à la fois commencer à se sentir intéressé
par la vie politique, le débat politique, les campagnes électorales, et ils vont
commencer à se dire qu’ils sont essentiellement français.
Il y a la deux mécanismes convergents qui s’auto aliment entre un mécanisme
de compétence politique (on comprend le débat politique, on s’y intéresse, le
décrypte) et à prendre conscience qu’on a une appartenance politique qui ne se
réduit pas à la frontière du village. Pour EUGÈNE WEBER, ce double mécanisme
(développement d’une compétence politique / identification à la communauté)
est un processus extrêmement lent en France. Il n’est pas plus rapide dans
d’autres pays, mais il est particulièrement lent en France. EUGÈNE WEBER dit

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qu’on ne peut réellement considérer que les paysans sont devenus français qu’à
partir de l’après Première guerre mondiale : c’est un moment tardif qui ne date
pas de la Révolution française. Bien sûr, cette thèse doit être nuancée sur 900
pages, car l’auteur admet qu’à l’intérieur de ce schéma général il y a des
inégalités de politisation tout à fait intervenir et qui confirme ce que la lecture
de ZOLA ou SAND nous apprend déjà : les villes sont beaucoup plus politisées
que les campagnes.
b. Pourquoi est-ce un processus tardif pour EUGÈNE WEBER ? C’est là qu’il faut
rendre compte de la nature de ce processus. Pour l’auteur, c’est ce qu’on
appelle le modèle dit de la politisation par implication. Qu’est ce qui fait
qu’à un moment donné les paysans vont commencer à s’intéresser à la chose
politique ? A un moment donné ils vont prendre conscience que ce qui se passe
au niveau du gouvernement à Paris au niveau des assemblées parlementaires a
des effets sur leur vie quotidienne. Ils ne peuvent plus être indifférent à ces
décisions : ils sont concernés, impliqués, par les résultats des politiques
publiques mises en œuvre au niveau de l’état nation. Ce qui n’était pas une
évidence dans les 1870’s devient progressivement une réalité.
Cette politisation par implication est liée au fait que l’Etat devient un acteur
dominant de la vie culturelle, sociale. Les décisions de l’état qui ne sont pas
forcément celles du domaine des décisions régaliennes ont des effets sur la vie
quotidienne des paysans. On a là le moteur de la politisation. Pour Weber, on
n’intéresse pas des paysans à des décisions qui sont abstraites et qui ne les
concernent pas.
Toute chose étant par ailleurs différente, ce qui se passe aujourd’hui au niveau
de l’Union Européenne est très proche de cette situation. Du traité de Rome
aux années 1980, tout le monde était globalement favorable à l’Europe : en
France il y avait un consensus permissif. On est favorable même si on n’y
connaît pas grand-chose. Ce qui a changé, c’est que désormais il n’y a plus de
consensus sur la construction européenne. En revanche ce qu’il y a de très
intéressant, c’est qu’au moment du referendum en 2005, les citoyens français
vont commencer à prendre au sérieux l’Europe et se dire qu’elle a des effets
sur leur vie quotidienne : elle n’est pas quelque chose de lointain par rapport à
leur vie quotidienne, elle n’apparaît plus comme quelque chose de super
abstraite/éloignée. Ca entraîne un phénomène d’implication, et un basculement
de l’opinion. Pour le moment cette implication se fait avec une dose de
scepticisme élevé.
La thèse de Weber peut tout à fait encore aujourd’hui nous aider à comprendre
ces mécanismes. Les électeurs ne se mobilisent pas sur des enjeux qu’ils ne
perçoivent pas. Historiquement, c’est évidemment pendant la troisième
République première (1870-1914) que ce basculement s’opère en France.
Pourquoi ce basculement ? L’auteur nous dit que ça repose sur des mécanismes
extrêmement diversifiés, qui ne sont peut être pas exclusivement des
mécanismes politiques. Ca veut dire concrètement qu’EUGÈNE WEBER va
consacrer des chapitres à l’ensemble des transformations du système routier et
ferroviaire en France. La France va connaître un maillage qui va entraîner le
dépassement des frontières locales : cela aide à la conscience nationale.

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Egalement : le service national10. La mise en place de l’obligation ne permettra


plus les dérogations arrangées : du coup, le service militaire devient une
obligation pour toutes les classes d’hommes de partir. Or, au 19ème siècle,
l’expérience du service militaire est très importante, car pour beaucoup de
paysan c’est la première mobilité géographique qu’ils vont connaître. Pour
beaucoup d’entre eux, sans ça, ils n’auraient jamais quitté le village de leur
naissance (prendre le train le week-end à l’époque ne participe pas à la
sociabilité dominante).
2. deuxième thèse en présence est défendue cette fois-ci par des historiens plutôt
français, qui sont spécialistes plutôt de la deuxième République (révolution de 1848).
Un des représentants de ce courant là est MAURICE AGULHON (professeur au collège de
France) qui est notamment l’auteur d’un très beau livre d’histoire politique, La
république au village (1970).
a. La première distinction à opérer pour AGULHON est qu’on ne peut pas
considérer que le processus de politisation ne soit constatable historiquement
qu’au début du 20ème siècle. Pour lui, c’est 1848, et la première erreur
d’EUGÈNE WEBER est d’oublier l’impact proprement politique de la révolution
de 1848 et principalement du fait que la révolution de 1848 soit porteur de
l’ouverture du suffrage universel aux hommes. Pour AGULHON, c’est cette
période là qui est essentielle : c’est là que ce fait le travail d’intéressement à la
chose politique. Parallèlement, et c’est convergent, on peut ajouter le processus
de développement d’une conscience d’appartenance à l’entité nationale.
b. Il y a l’idée de dire que la politisation est autre chose que l’implication. C’est
ce que MAURICE AGULHON appelle la politisation par imprégnation. Cette idée
là peut se décliner en plusieurs points :
i. Admettre que le processus de politisation est pour MAURICE AGULHON
est largement autonome, indépendant, des mutations de l’économie et
de la société environnante. Ce n’est pas lié au chemin de fer, ni au
développement des échanges économiques, etc. C’est lié à des
transformations politiques endogènes : explication de la transformation
politique par le politique.
ii. Quelles sont ces transformations endogènes ? (2eme point de la thèse
de MAURICE AGULHON). Il a travaillé sur la question de la sociabilité
politique. A partir d’une enquête majeure sur la région de Toulon (var)
qui à l’époque est un des premiers département républicain de France et
de manière extrêmement majoritaire (figure du var « rouge » vu qu’il
est pas « blanc » (conservateur)). Pourquoi est-ce que le Var a un
certain nombre de prédispositions républicaines ? AGULHON nous dit
qu’il y a dans le var un modèle de sociabilité méridionale tout à fait

En 1870 et 1914, le service mili est un systeme de conscriptino devenu obligatoire, alors qu’il était
10

au tirage au sort avant (par boules de couleurs blanche (libre de n e pas y aller)) et noire (obligation
d’y aller)). A l’époque c’était 3 ans ou 5 ans, sur une vie qui durait en moyenne 50 ans. Systeme
démocratique en apparence, sauf que quand on a tiré la mauvaise bonne, il se trouve qu’il y avait un
marché des bonnes boules. Si on a une blanche et qu’on a besoin d’argent, on pouvait la vendre à
qqun qui avait la boule noire. La proba pour qu’un fils d’aristo parte comme simple militaire de rang
était faible.

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particulier, qui va permettre de comprendre le mécanisme de


politisation par imprégnation.
Cette sociabilité méridionale est caractérisée par le fait que la
distinction ville/campagne fait peut être sens depuis les Etats-Unis mais
que de près, les campagnes ne sont peut être pas aussi rurale. Il existe
dans les villes des paysans, et des bourgeois dans les campagnes.
Stratification sociale : dans le plus petit bourg de France, il y a un
médecin, un notable, etc. : des intermédiaires sociaux (pl.). Ils vont
jouer le rôle de passeurs de la culture nationale. Il y a des phénomènes
de confréries, et notamment la confrérie des pénitents (sociétés de
secours mutuels). Ces groupes se donnent comme objectif de porter
secours à ceux qui en ont besoin dans les villages : époque où la
solidarité villageoise est sans commune mesure avec ce qu’elle est
aujourd’hui. Ces confréries ont une caractéristique, c’est qu’elle
réunisse des hommes qui prennent l’habitude de se réunir régulièrement
dans les arrières salles des café pour prendre les dispositions sur la
répartition des secours. On n’y fait pas que ça : on discute, on boit, on
lit, on discute de la politique aussi (parallèle à faire avec le salon
littéraire). La confrérie de pénitents (loges maçonniques, etc, cf. infra)
sont autant de configurations sociales dans lesquelles il peut y avoir un
phénomène de mixité sociale : les bourgeois rencontrent les paysans).
Par un phénomène d’imprégnation, de mimétisme, le paysan va
progressivement apprendre à se cultiver et apprendre les savoir faire
qui sont ceux nécessaire à la démocratie. AGULHON dit que bien sûr la
république se décide à Paris, mais elle va descendre au village :
connaître un processus de diffusion qui emprunte très largement le
maillage des cercles, des loges, des confréries, qui travaillent
l’ensemble de la société française de cette époque). A travers tout ça,
on a des effets de sociabilisation proprement politique.
3. troisième et dernier modèle. C’est un modèle défendu par une troisième catégorie
d’historiens qui sont des historiens de la période révolutionnaire, dont MICHEL VOVELLE
(La découverte de la politique), défendu par une école américaine dont MALCOLM
CROOK, un des meilleurs spécialistes des procédures électorales de la période
révolutionnaire.
a. Premier point de désaccord : la période. C’est 1789-1795 et ce n’est plus la
deuxième République ou alors la première troisième République (1870-1914).
On appelle là d’une politisation par modernisation. Ça veut dire que pour
eux, ce qui fait la transformation, est le passage d’une société traditionnelle
(héritière d’une société féodale, d’ancien régime) dans laquelle la souveraineté
du peuple, nationale, est totalement absente à une société moderne où le
principe de l’autogouvernement du peuple par le peuple (principe
démocratique) devient essentiel. Il y a bien rupture révolutionnaire, passage
d’une société de type traditionnel à une société de type moderne.
b. Ce basculement s’accompagne d’une très forte modernisation des techniques et
des moyens de communication. On peut présenter ici la thèse d’un auteur
(historien australien) qui appartient à ce courant de la politisation par
modernisation : MELVIN EDELSTEIN. Il est un spécialiste de l’analyse des taux
de participation aux élections révolutionnaires. Il a essayé de comprendre

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pourquoi, contrairement à la vulgarité que l’on a l’habitude de colporter,


pourquoi le taux de participation est relativement élevé dès la Révolution. Le
taux de participation moyen est entre 30 et 60%, c’est pas mal pour des
élections qui n’étaient absolument pas envisagées quelques ans plus tôt.
EDELSTEIN veut comprendre pourquoi il y a de tel taux alors que c’est super
mal organisé dans les villages. Pour lui, on va voir se développer pour la
première fois en France un phénomène de développement de la presse locale
(pas nationale). C'est-à-dire qu’on va voir apparaître le phénomène à l’époque
qu’on appelle les « feuilles villageoises » (ou « feuilles de chou ») : c’est le
nom qu’on donne à des feuilles recto verso qui relatent les événements
révolutionnaires parisien au niveau local. Il a relevé près de 2000 feuilles
villageoises dont certaines n’ont duré que très peu. Elles ont joué un rôle
extrêmement important : il peut y avoir un phénomène de publicité des
événements révolutionnaires. La révolution française est probablement l’un des
premiers événements qui a fait l’objet d’une prise de conscience simultanée sur
l’ensemble du territoire (ex : prise de la bastille, fuite du roi à Varenne, etc.).
ce mécanisme autorisé par la liberté de presse (que l’on découvre à cette
période) est tout à fait essentiel.

Ces mécanismes ne sont pas contradictoires entre eux et permettent de comprendre pourquoi
tendanciellement la mobilisation électorale augmente au 19ème siècle, et permet de comprendre
pourquoi suivant les configurations locales/sociales c’est tel mécanisme qui produit des effets,
et dans tel autre cas c’est tel autre mécanisme.

2§La politisation ou l’histoire d’une dépossession

A. La ploutocratie
A partir de 1815, les historiens l’appellent « La France des notables ». Ces notables sont des
personnalités qui sont nommées au départ en considération de leur sympathie à l’égard du
gouvernement, au parlement, qui seront ensuite choisi par le principe du suffrage censitaire
puis universel masculin. Ce terme de notable caractérise un système parlementaire avec
plusieurs caractéristiques :
1. Système très faiblement professionnalisé. Cela revient à dire que le notable est un
« amateur politique », au sens ou MAX WEBER utilise ce terme dans Le savant et la
politique. Il vit pour la politique sans vivre de la politique. En effet, la plupart de la
période qui nous concerne est une période où on ne connaît pas le principe de
l’indemnité parlementaire. Conséquence évidente : seuls ceux qui ont par ailleurs
assez d’argent peuvent aller se permettre à consacrer du temps à l’activité
parlementaire. Le notable a nécessairement une autre activité qui lui permet d’être
parlementaire.11 On a une figure du parlementaire qui ne suppose pas un engagement
politique extrêmement fort, c’est une activité tout à fait compatible avec une autre
activité. Définition de ce type de notable par WEBER, donnée en 1919, Les notables

11
L’activité parlementaire est beaucoup plus intermittente qu’elle ne l’est aujourd’hui. Le parlement
entre 1815 et 1848 est relativement peu puissant compte tenu des constitutions de l’époque. Les
sessions parlementaires sont courtes, il est rare qu’il se réunisse plus de 2 mois par an. Par ailleurs,
au moins jusqu’en 1848, l’activité de campagne electorale n’occupe pas les élus : ils sont soit
nommés, ou alors ils sont dans un systeme très faiblement compétitif (du au suffrage censitaire).

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sont : « les personne qui, (1) de part leur situation économique sont en mesure, à titre
de profession secondaire de diriger et d’administrer effectivement de façon continue
un groupement quelconque, sans salaire ou contre un solaire nominal ou honorifique ;
(2) jouissent d’une estime sociale, peu importe sur quoi celle-ci repose (…) ».
a. (1) Le notable a des ressources qui lui permettent de diriger un groupe
parlementaire ou une activité politique.
b. (2) Estime sociale : permet d’aborder ce qu’on appelle en histoire les
« ressources notabiliaires ». Qu’est ce qui fait que certains des élites
deviennent des notables ? c’est la nature des ressources qu’ils sont susceptibles
de mobiliser qui est ici centrale.
2. Du coup on peut distinguer deux types de notables, les notables traditionnels (1815-
1848) et ceux qui suivent. La transition n’est pas brutale.
a. Le notable traditionnel est le plus souvent quelqu'un qui est installé depuis
longtemps, c'est-à-dire quelqu'un qui est propriétaire foncier. En France
l’estime sociale est étroitement historiquement liée au fait d’être propriétaire
foncier. Il est aussi aristocrate, propriétaire d’un domaine qui porte le nom de
la personne : cela enracine durablement l’estime de cette personne. C’est
quelqu'un qui a une influence étroitement corrélée au domaine qu’il possède.
C’est la figure d’ALEXIS DE TOCQUEVILLE. Il a cet énorme avantage d’avoir
commencé sa carrière sous la Restauration et de l’avoir poursuivie sous la
seconde République. Il va être élu du département de la Manche, il possède un
château qui existe encore. Le pouvoir qu’a TOCQUEVILLE est étroitement lié au
domaine qui est le sien. On ne parachute pas un notable à l’époque. Une partie
de l’estime qu’il bénéficie est étroitement liée au fait qu’il est lié depuis
toujours comme le personnage important du lieu. S’instaure ici un rapport de
proximité, de reconnaissance, à l’égard du notable. Le notable donne de sa
personne à la collectivité, il est ouvert ; cela montre la nature qui naît entre
l’électeur et le notable, c’est un rapport de proximité, de confiance, de
reconnaissance. On comprend alors pourquoi la relation va se nouer. Elle se
noue parce qu’elle prend appuie sur une relation qui préexiste. Le notable ne
naît pas notable, il l’est déjà. L’autorité politique du notable est le
prolongement naturel de son autorité sociale.
b. La deuxième figure est celle du notable moderne (jusqu’à la première guerre
mondiale). A l’évidence, le notable moderne est tout autant un amateur que le
notable traditionnel : il vit pour la politique sans vivre de la politique. C’est
simplement quelqu'un qui va acquérir une ressource nouvelle, supplémentaire :
il est titulaire de ce qu’on peut appeler vulgairement « la culture dominante
légitime de son époque » (DELOYE). C'est-à-dire que le notable moderne écrit et
parle en français bien sûr (ce qui n’allait pas de soi au départ), il est inscrit
dans les sociétés savantes de l’époque et en est souvent le président. Il est très
souvent diplômé des universités, et c’est à ce moment là que le titre scolaire est
un titre de distinction extrêmement importante. Cette ressource nouvelle
apporte encore un élément qui le distingue des autres. Il est riche, a une
généalogie ancienne, et en plus il est intelligent.
Le parlement commence à prendre de l’importance politique, et le parlementaire est quelqu'un
qui va devoir acquérir un certain nombre de compétence, dont la compétence juridique. La
plupart des notables vont avoir cette caractéristique d’être le plus souvent des juristes de
formation. Alexis de Tocqueville n’est pas seulement l’héritier d’une famille et titulaire d’un

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titre territorialisé : il est aussi magistrat, titulaire d’une maîtrise de droit. Les notables vont
aussi le plus souvent devenir des hauts fonctionnaires : ceux qui occupent les chambres sont à
la fois aristocrate et haut fonctionnaire. C’est encore une caractéristique des parlements
contemporains : nous n’avons plus ou presque d’aristocrate, mais de nombreux hauts
fonctionnaires.

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Composition sociale de la chambre des députés en France en 1840 et 1848 :


1840 1846 1848
Les propriétaires fonciers 29,8% 36,8% 31,7%12
Les hauts fonctionnaires 38,1% 41% 14,3%
Professions libérales et intellectuelles13 17,8% 13,5% 14,3%
Les industriels et négociants14 13,1% 8,7% 16,6%
Les salariés 0% 0% 2,7%
Les enseignants 1,1%15 0% 4,8%

On peut aussi faire une distinction entre aristocrate et non aristocrate. On considère que de
1840 à 1848, à peu près les 2/3 des députés sont d’origine aristocratique. En 1871 (chambre
issue du 8 février 1871, c’est la première de la troisième République, celle qui va rédiger la
constitution de 1875), on a encore en France 1/3 d’élus d’origine aristocratique.

Quelle est la nature du rapport qui existe entre ce type d’élu et les électeurs et notamment à
partir de 1848 ? On peut parler d’une relation de clientèle ou encore de clientélisme.
Clientélisme (définition empruntée à JEAN-FRANÇOIS MÉDARD, qui écrit en 1976 un article
important sur le rapport de clientèle) : « c’est un rapport de dépendance personnelle non lié à
la parenté qui repose sur un échange réciproque de faveurs entre deux personnes, le patron et
le client, qui contrôlent des ressources inégales ».
Trois caractéristiques par rapport à cette définition :
1. C’est une relation personnelle, c'est-à-dire que c’est une relation très souvent affective,
particulariste, et diffuse. C’est une relation qui lie deux personnes non en ce qu’elles
ont de général mais de particulier et de spécifique. Le particularisme constitue un
principe fondamental du rapport de clientèle. Ex : un certain nombre de travaux
d’historiens ont porté sur le travail politique des notables. Un certain nombre de
notables avaient pour chaque électeur des fiches sur des informations personnelles de
l’électeur. Du coup le notable pouvait apporter un support extrêmement personnalisé.
Le député par exemple était présent pour soutenir la famille en cas d’accident
dramatique, etc. Ce sont des relations d’interconnaissance. Le député connaît le nom,
le prénom des enfants, l’histoire familiale. C’est une activité qui suppose avoir une
mémoire.
2. C’est une relation de réciprocité. La relation est une relation d’échange réciproque.
L’échange correspond à « ma voix contre une faveur ». L’échange, on l’a dit, est
inégal. Le notable a plus à offrir que l’électeur. L’électeur n’a que sa voix à offrir, et à
partir de 1848 le notable en a besoin. Le notable en échange offre (un peu comme le
seigneur à l’égard de son vassal) tout d’abord une protection, un emploi, une aide
matérielle. Dans une relation d’homme à homme empreinte de respect et de
12
Le suffrage universel leur est moins favorable
13
Avocats, journalistes, etc. les « publicistes » à l’époque : ceux qui rendent public l’information. Plus
un certain nombre d’intellectuels, romanciers : ils sont titulaires de la « culture dominante légitime ».
14
La classe bourgeoise
15
Universitaires

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reconnaissance, et l’activité politique là encore s’enracine dans des rapports


préexistants. Elle ne fait que prolonger un rapport de domination sociale naturel.
L’électeur pendant longtemps sera extrêmement exigent au fait que le notable tienne
sa parole. L’électeur doit produire tout d’abord un bulletin autographié, c’est les
services du notable qui le font. L’électeur dépose son bulletin dans les mains du
président du bureau de vote (souvent le notable) qui va palper le bulletin. Pendant
longtemps les notables s’opposeront à la réforme mettant en œuvre la réforme mettant
en œuvre les isoloirs. Là ça nous distingue du Royaume-Uni : depuis le début des
élections au suffrage universel, il y a des sortes isoloirs : le secret est fondateur de
l’acte électoral là bas.
3. Une relation de dépendance, qui trouve son origine dans l’inégalité des deux parties.
Une relation amicale est une relation qui ne peut pas être fondée sur l’inégalité. La
relation de clientèle elle n’est absolument pas fondé sur ce principe là, elle est fondée
sur l’inégalité des deux parties, mais les deux parties ont besoin réciproquement l’une
de l’autre. C’est ça qui fait la force de la relation. Le besoin du patron est beaucoup
plus marginal que le besoin du client.

On voit comment la relation notabiliaire est une relation extrêmement coûteuse pour le
notable. Il est obligé de donner de sa personne. Le passage du suffrage censitaire au suffrage
universel va fragiliser ce type de relation. Désormais le notable doit multiplier ses efforts pour
bénéficier de l’assentiment de la reconnaissance des électeurs.

B. La partitocratie
Dans un premier développement nous allons évoquer quelle est la nature historiographique du
débat. Il n’y a pas accord entre les historiens sur le moment de basculement entre le régime
des notables (qu’ils soient traditionnels ou modernes) et le régime des partis politiques.
Ce qui distingue les notables des professionnels n’est pas l’intérêt pour la chose politique
mais le fait que les amateurs ne vivent pas de la politique et ne font pas que de la politique,
alors que les professionnels ne font que de la politique et vivent de la politique. 1848 :
établissement du principe de l’immunité parlementaire.
A partir de quand connaît-on ce basculement du notable à la figure professionnel ?
Un accord général parmi les historiens montre que 1848 ne traduit pas un basculement.
Malgré l’immunité parlementaire, la structure sociale de notre représentation politique ne
change guère. Deux types de thèse se développent :
1. pour un certain nombre d’historien, c’est l’avènement des nouvelles couches sociales.
Avec les transformations des années 1870, la chambre parlementaire commence à
connaître une transformation sociale qui favorise l’émergence de députés d’origine
sociale plus modeste. On constate que les chambres parlementaires de la première
troisième République sont des chambres parlementaires qui voient monter en
puissance deux catégories sociales :
a. les avocats (Gambetta, Ferry). On avait même appelé cela « la République des
avocats »
b. celle qui émerge en 1848 : les enseignants. Moins sous la troisième République
que sous la quatrième République ou la cinquième République.
2. toutefois pour un certain nombre d’autres historiens, cela ne suffit pas à véritablement
affecter la puissance sociale des notables. ARNO MEYER défend la thèse suivante : il
considère que les notables resteront la classe dirigeante des sociétés européennes

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jusqu’en 1918. c’est après la première guerre mondiale que les chambres
parlementaires vont connaître une modification en profondeur.

Selon les critères que l’on adopte, on ne peut savoir qui a raison. Qu’est ce qui fait que les
notables vont progressivement s’effacer ? Plusieurs facteurs sont explicatifs de cet effacement
progressif des notables :
1. Le processus d’urbanisation de la société française. Le notable a un ancrage
territorial, et le cœur de sa reconnaissance et de son pouvoir social est ses terres, son
domaine.
a. Dans une France urbanisé, ça n’a plus de sens : la majorité des électeurs
appartient de plus en plus à des circonscriptions urbaines et non plus rurale. La
nature des ressources du notable ne lui permet plus de garantir son pouvoir.
b. Les notables eux-mêmes deviennent de plus en plus urbains. L’aristocratie
française a toujours eu cette caractéristique : il a deux résidences, son château
et son hôtel particulier en ville. Quand le notable vient en session
parlementaire, il va habiter dans son hôtel particulier. Tocqueville a son hôtel
particulier à Paris rue de Vaugirard par exemple. Le notable est du coup de
plus souvent à Paris, et c’est en engrenage qui entraîne sa perte sociale. Il est à
Paris :
i. Pour suivre des sessions de plus en plus longues ;
ii. Parce que de plus en plus de choses se décident à Paris. Le notable est
de plus en plus le porte parole de sa circonscription au niveau des
administrations centrales. L’importance de l’Etat centrale ne cesse de
s’approfondir à cette période, et le notable est obligé d’être le plus
souvent dans les bureaux de l’administration centrale au détriment du
temps qu’il passe dans sa circonscription. Or la relation de clientèle est
particularise, elle n’existe que si on donne de sa personne et qu’on
entretien régulièrement une relation d’homme à homme. Le notable à
Paris se coupe donc des bases sociales de sa relation.
2. La montée en puissance de la concurrence électorale, de la compétition politique.
C'est-à-dire que désormais les notables ne sont pas les seuls à faire une offre politique.
Un certain nombre d’entreprises, d’associations (au sens général du terme) vont
devenir des partis politiques pour concurrencer le pouvoir des notables. Ils vont mettre
en œuvre des savoir-faire politiques nouveaux, différents, de ceux sur lesquels
reposaient le pouvoir du notable. C’est là notamment que l’on va commencer à voir se
développer toute une série de compétences politiques en matière de campagne et de
mobilisation électorale. L’homme politique devient un professionnel de l’élection, il
est celui qui sait se faire élire, il maîtrise la prise de parole en public, le travail de
mobilisation : il maîtrise l’ensemble des moyens de communication et de mobilisation
pour être élu dans une structure compétitive et ouverte au suffrage universel.
3. Plus tardif : les effets de l’éducation civique. On renvoie ici à la Section 2 de ce
chapitre. A partir de 1882 se met en place le principe d’une éducation civique
obligatoire. On voulait rendre l’électeur capable de voter de manière autonome et
libre. Ce travail de socialisation civique va progressivement, bien sûr de manière
inégale sur le territoire, produire des effets. C’est que les électeurs vont devenir de
plus en plus jaloux de leurs souverainetés. Ils vont être de plus en plus réticent à
rentrer dans une relation de clientèle, c'est-à-dire à vendre leur voix. Progressivement

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ils vont prendre conscience que la voix qu’ils possèdent n’a pas de valeur marchande
(« valeur d’usage » pour les marxistes), elle a en fait une valeur politique.

Il faut préciser la nature du rapport qui apparaît avec la professionnalisation du politique,


l’activité politique se spécialise et se professionnalise. Elle possède désormais trois
caractères :
1. l’activité politique est devenue une activité spécialisée au sens où il existe bien
désormais un métier politique, des savoirs faire en matière de mobilisation électorale
et en matière de communication politique. Un ensemble de compétences strictement
professionnelles
2. c’est désormais une activité rémunérée en tant que telle. C'est-à-dire que désormais
les représentants à la chambre des députés reçoivent une indemnité puis,
historiquement, un traitement. Les députés ne sont pas fonctionnaires, même s’ils
peuvent d’être d’origine fonctionnaire. Au départ, l’indemnité parlementaire est plus
faible que ce qu’elle est aujourd’hui. En 1848 elle représente 9000 FF de l’époque, ce
qui est une somme correcte à l’époque mais qui n’est pas une somme très importante
3. c’est une activité qui tend progressivement à reposer sur une forme d’organisation
politique durable, qui n’est autre que le parti politique

La professionnalisation de la politique va, en Europe, de paire avec la naissance, le


développement, des organisations partisanes : les partis politiques.
Définition du parti politique, empruntée à MAX WEBER dans Economie et société dans l’édition
française de 1971 (œuvre publiée à l’origine en 1920, ouvrage posthume) : « On doit entendre
par parti politique des sociations reposant sur un engagement (formellement) libre ayant pour
but de procurer à ses chefs le pouvoir au sein d’un groupement et à leurs militants actifs des
chances – idéales ou matérielles – de poursuivre des buts objectifs, d’obtenir des avantages
personnels ou de réaliser les deux ensembles ».

La définition est important parce qu’elle a été rédigée au moment où les partis politiques
s’installent (aux environs de 1916/1917).
1. Le premier point est l’idée de sociation. MAX WEBER fait une opposition importante
entre ce qu’il appelle les sociations et les phénomènes de communalisation.
a. Ce qui fait que les individus au sein d’un parti ont l’impression d’y appartenir
est le fait qu’ils y aient des intérêts objectifs. Pour Weber, le parti politique
n’est pas une réunion d’homme qui professe une doctrine idéologique. Ca,
c’est la définition que donne BENJAMIN CONSTANT : « réunions d’hommes qui
professent la même doctrine ». Cette définition est purement idéale. Ce qui fait
le cœur d’un parti politique est d’être une machine politique qui vise « à
procurer à ses chefs le pouvoir ». La plupart, pour ne pas dire la totalité, des
partis politiques sont nés dans l’intention de donner leur pouvoir au chef.
Quand De Gaulle crée un parti politique, c’est parce qu’il a besoin d’une
machine électorale qui lui permette d’obtenir le pouvoir. Quand Mitterrand
prend le parti socialiste, c’est aussi pour obtenir plus tard le pouvoir. Quand
Sarkozy commence à configurer ce qui va devenir l’UMP sur les traces du
RPR, c’est pour être à la tête d’une machine qui procure le pouvoir. MAX
WEBER LE DIT EN 1920 : pour lui, c’est le propre même du parti politique.
L’intérêt premier est de faire en sorte que son chef accède au pouvoir. Ca ne
peut fonctionner que si les militants réalisent aussi leurs objectifs. Des

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militants dévoués/masochistes, il y en a. Il y a même des naïfs qui croient que


c’est un lieu de débat des idées. Les militants ne sont pas simplement guidés
par une rationalité en valeur. Un parti politique est aussi des avantages
personnels. Il y a un intérêt rationnel à être militant.
b. Le parti politique est aussi un moyen de lutter contre la solitude. Un parti
politique est une activité comme une autre, c’est une façon de se socialiser.
Dans les modélisations du militantisme il y a un mixe entre des idéaux et un certain
nombre de rétributions matérielles. Tous les militants ne sont pas des idéologues
forcenés.

Sous le second empire, malgré le fait qu’il y ait encore le suffrage universel, il n’y a pas de
parti. Le premier parti politique en France date de 1901 (le parti radical) : mise en place de la
loi sur les associations qui offre un cadre permettant la personnalité juridique.

Mais aussi, le parti politique répond à un certain nombre d’exigences fonctionnelles. C’est la
thèse d’un auteur russe (cf. bibliographie p. 4), MOSEI OSTROGORSKI. Il est l’auteur en 1912
d’un ouvrage tout à fait fondamental, La démocratie et les partis politiques, c’est un ouvrage
qui est le résultat d’une thèse soutenue à l’Ecole libre des sciences politiques de Paris (futur
Institut d’Etudes Politiques de Paris). C’est le premier ouvrage considéré vraiment comme un
ouvrage classique aujourd’hui qui étudie de manière historique et empirique le rôle des partis
politiques dans une démocratie représentative.
En 1912, il n’existe quasiment pas de partis politiques en France. L’enquête repose sur deux
autres démocraties : la situation au royaume uni et la situation aux Etats-Unis. Dans ces deux
pays, qui sont deux démocraties parlementaires anciennes (notamment en ce qui concerne le
suffrage universel), les partis politiques sont nés beaucoup plus tôt (dès le milieu du deuxième
19ème siècle).
La question que tente de résoudre MOSEI OSTROGORSKI est la suivante : « Comment la foule
des hommes, proclamée tous en bloc arbitre de leur destinée politique pourraient-ils, réunis
pêle-mêle, remplir leurs nouvelles fonctions de souverain ? ». L’idée est quand l’absence de
parti politique, la démocratie participative est totalement inopérante, inorganisée. C'est-à-dire
que pour l’auteur, c’est le premier à admettre cette idée là à un tel niveau d’analyse, les partis
politiques sont la condition fonctionnelle du déroulement de la vie politique démocratique.
C'est-à-dire que pour OSTROGORSKI, il n’y a pas de démocratie représentative possible sans
partis politiques. C’est ce que au demeurant la constitution bientôt défunte de la cinquième
République énonce, dans l’article qui déclare que « les partis politiques participent de
l’expression de la souveraineté ». En France on a attendu 1958 pour reconnaître un rôle aux
partis, et le plus troublant c’est que ça vient d’un parti gaulliste, alors que le général avait une
estime tout à fait relative à l’égard des partis politiques.
Pourquoi les partis politiques sont ils la condition fonctionnelle de la vie démocratique ? Ils
remplissent deux fonctions pour OSTROGORSKI.
1. ils vont tout d’abord organiser l’opinion publique. Evidemment, quand il parle de la
foule, OSTROGORSKi veut dire qu’une société sans parti politique est une société
atomisée. La première fonction des partis politique est de structurer/organiser
l’opinion politique, et notamment de l’organiser sur la base de clivages qui opposent
les uns aux autres. Ça stabilise également les lignes de clivage.
Organisation/rationalisation de la vie politique
2. Fonction peut être encore plus importante. C’est que les partis politiques assurent un
travail tout à fait fondamental de mobilisation électorale. Ce sont des organisations qui

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vont établir le lien entre l’électeur et l’offre politique. C'est-à-dire qu’ils vont favoriser
la rencontre du citoyen avec sa propre citoyenneté. On ne naît pas citoyen, on le
devient. Le travail de mobilisation électorale est de faire en sorte d’intéresser les
électeurs à la chose publique.

Par exemple, aux Etats-Unis, le bulletin de vote a une forme particulière : ça s’appelle un
ticket électoral. Depuis longtemps aux Etats-Unis, lorsque les électeurs américains sont
convoqués, ils sont convoqués pour élire de très nombreuses charges administratives ou
politiques. En novembre, l’électeur américain convoqué devait élire des parlementaires mais
aussi des shérifs, des juges, etc. L’électeur dépose un bulletin qui se présente sous la forme
d’un tableau qui, pour chaque poste, liste des candidats. Suivant le nombre de candidat,
chaque ligne peut être très longue. Un principe d’élection comme celui là est très
décourageant : le temps de comprendre ce qu’il faut faire, la plupart des électeurs s’en vont. Il
existe le ticket pré imprimé, pré rempli. Ils sont distribués aux électeurs. A l’époque, ce qui a
permis de mobiliser très fortement les électeurs est le fait que les partis politiques américains
vont pouvoir offrir un service à l’électeur qui est effectivement de réduire très sensiblement le
coût de l’acte électoral. Aujourd’hui le ticket électoral est tout à fait banalisé. Cette invention
très pratique a joué un rôle tout a fait déterminant dans la mobilisation des électeurs.
Autre exemple, cette fois-ci empruntée à l’histoire anglaise. L’histoire électorale anglaise a
une spécificité, c’est que l’extension du suffrage électoral s’est faite de manière graduelle, par
réformes successives. En France on a connu deux grandes réformes : celle de 1848 et celle de
1944. Dans les deux cas on a multiplié par un nombre très élevé le nombre d’électeurs. En
Angleterre on n’a pas du tout connu cette histoire là. Tout au long du 19ème siècle et au début
du 20ème, on connaît des « actes de réformes » qui visent à attribuer progressivement le droit
de vote à des nouvelles catégories sociales. On a une élévation graduelle de la franchise
électorale. Ca a un effet très important : bien souvent ceux qui sont considéré par cette
franchise, cet affranchissement électoral, ceux qui sont concernés par cette réforme, n’en sont
pas forcément conscients. Les partis politiques vont jouer ce rôle : à chaque réforme
électorale, les partis politiques vont accompagner les nouveaux électeurs. C’est qu’ils vont
tout d’abord recenser les électeurs qui bénéficient la réforme (notamment le cas des
libéraux) : ils dépouillent les listes électorales, se rendent au domicile des électeurs, et vont les
inciter à aller voter. Ils vont même aller jusqu’à les accompagner au bureau de vote. A
l’époque c’était d’une banalité rare. Ex : qu’est-ce qui a fait que le FN est passé en 1980 ? Il a
fait ce travail de porte à porte et a réussi à convaincre un certain nombre d’électeurs d’aller
voter, et d’aller voter pour eux. C’est quelque chose qui n’a tendance à plus se faire. On voit
bien quelle est la contribution pragmatique des partis politiques à l’existence même de la vie
politique.
Pour terminer, une petite typologie des partis politiques. C'est-à-dire quelles sont els
différentes formes des partis politiques ? On utilise là les travaux de MICHEL OFFERLÉ
(politiste, prof à Paris 1). On ne peut pas retracer la genèse des partis politiques de France, il y
en a plusieurs centaines. On peut établir des types généraux que l’on retrouve dans la plupart
des pays européens, dans la plupart des grandes démocraties occidentales. Ce départ est plutôt
au 19ème.
1. Au départ, on a ce qu’on appelle des « entreprises politiques locales » personnelles et
intermittentes. Premier type : le protoparti est une entreprise de type local, elle n’a pas
de dimension personnelle, elle est attachée à un élu particulier et non à un programme.
« Intermittente » car elle n’a d’existence qu’au moment des élections. Ca traduit un
faible degré d’institutionnalisation du parti politique, et le fait que les partis politiques

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au départ sont essentiellement orientés vers les marchés politiques locaux et non les
marchés politiques centraux. Ces entreprises locales se consacrent à un homme (le
candidat) qui cherche des soutiens, des partisans, et entend mobiliser un certain
nombre de réseaux circonscrits territorialement.
2. Très vite, la 2ème étape est lorsque ces réseaux qui vont être mobilisé à des fins
personnelles locales sont des réseaux préexistants, c'est-à-dire que l’entreprise
politique locale va s’appuyer sur des réseaux qui existent déjà. Ces réseaux peuvent
être les réseaux de l’église catholique en France par exemple. Une bonne façon de
faire campagne est d’obtenir de la part du clergé qu’il mette à son profit une parti des
réseaux. Les républicains utilisent les loges franc-maçonnes16 (même si toutes ne sont
pas républicaines), qui sont un réseau extrêmement important. Mobiliser les loges
franc-maçonnes c’est mobiliser autant de personnes qui ont une réelle influence
sociales. Mais ça peut aussi être mobiliser des arrières salles de café.
La deuxième étape est lorsque l’on va institutionnaliser ce type de réseaux, ce qui
permet d’inscrire durablement l’implantation d’un parti politique. Le parti politique
n’invente pas les réseaux. Ex. pour le Parti Socialiste : un réseau important, c’est les
syndicats enseignants par exemple. L’UNEF par exemple est un réseau traditionnel du
Parti Socialiste. Pour l’UMP, le MEDEF est un réseau traditionnel (mais là encore
tous les patrons ne sont pas à l’UMP). Ce qui veut dire évidemment qu’un parti
politique qui dispose d’un certain nombre de réseaux peut les mobiliser à son profit.
Quand un parti a besoin d’argent, il peut mobiliser ses réseaux pour financer ses
activités. C’est ça aussi l’intérêt des partis politique : avoir cette capacité de mobiliser
les ressources financières, humaines, des réseaux qui leur sont liés. Cela renforce
l’assise électorale du parti politique. On est encore à l’échelle locale.
3. La 3ème étape est l’étape qui va favoriser la nationalisation des organisations partisanes.
On voit apparaître des partis qui ont une idéologie nationale qui vont avoir une
structure de militant qui n’est pas territorialement localisé et qui vont avoir vocation à
donner leur appui à un grand nombres de personnes. Ce ne sont plus des entreprises
locales mais des entreprises nationales. Ce ne sont plus des entreprises intermittentes
mais des entreprises qui survivent à l’élection et qui existent donc « durablement ».

Ça c’est l’histoire rapide des partis politiques. Nous la verrons plus longuement dans le
Chapitre 6 du cours.

16
La franc-maçonnerie est un courant de pensée spirituel mais pas religieux qui réuni dans des loges
(le plus souvent au statut extrêmement secret) régulièrement un certain nombre de membres qui ont
été cooptés. On ne rentre pas librement, on doit être parrainé. Il y a des loges masculines, des loges
féminines, et quelques loges mixtes. A l’intérieur de la franc-maçonnerie il y a plusieurs obédiences.
C’est un courant intellectuel extrêmement important. Au 19 ème siècle, la plupart des hommes politiques
appartiennent à une loge maçonnique. On peut considérer aujourd’hui qu’un nombre non négligeable
d’hommes politiques appartiennent à une loge.

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Conclusion de la 1ère partie


Cf. le complément du cours, et le dernier document : « évolution historique du gouvernement
représentatif ». On s’intéresse pour cette partie aux deux premières colonnes, on oublie la
dernière.
Pour BERNARD MANIN on peut résumer l’histoire des systèmes représentatifs européens à partir
de 3 modèles. On en a déjà largement évoqué 2, le troisième ou « démocratie du public »
viendra plus tard, c’est le modèle de Ségolène Royal.
Le premier modèle est le modèle qu’il nomme parlementariste. C’est celui qui est préfiguré
par le notable aussi bien traditionnel que moderne. C'est-à-dire que là l’élection des
gouvernants se fait sur la base du choix non pas d’un programme mais sur la base d’une
personnalité sociale que l’on reconnaît comme étant compétente. C’est une personne de
confiance. Cette élection est le reflet de liens locaux : c’est ce qui revient à la
territorialisation.
Le deuxième modèle est celui que l’auteur appelle à juste titre la démocratie des partis. C’est
celui qui naît avec les transformations historiques que l’on vient de relever. C’est celui qui
procède de cette transformation qui voit progressivement l’émergence des partis politiques.
Ce qui change, c’est qu’au niveau de l’élection, ce n’est plus l’élu qui fait l’élection mais le
parti politique. Pour être élu, il faut progressivement être soutenu par un parti. Aujourd’hui le
degré d’autonomie de parole d’un député est proche de 0. La discipline de parti devient la
règle de la vie politique. Le parti politique explique les grands clivages de classe de la société.
Dans ce cadre là, la liberté des députés est quasi nulle. Ils n’ont quasiment pas d’autonomie
par rapport au programme du parti. L’opinion électorale est beaucoup plus proche de
l’opinion publique, vu que les députés témoignent des sensibilités de l’électorat. Le lieu
central cependant n’est plus le lieu parlement, ce n’est pas la faute de la cinquième
République mais c’est parce que l’essentiel se fait au sein des partis politiques et de la
négociation entre les partis politiques.
Pour compléter ce point, nous reprendrons ce tableau dans la section 1 du chapitre 5 pour
étudier la démocratie du public.

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Partie 2. La vie politique française au prisme de son histoire


La vie politique française au prisme de son histoire.

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Introduction générale de la 2ème partie.


Le cours de cette année serait organisé sur deux principes pédagogiques. La première partie
étant une approche de synthèse historique mobilisant aussi bien une histoire sociale du
politique qu’une histoire politique du social sur la très longue durée. Nous avons retracé sur la
très longue période historique deux processus fondamentaux qui continuent à produire des
effets :
1. la construction de l’état et l’étatisation de la société (chapitre 1).
2. le processus de démocratisation (chapitre 2).

On est allé du plus ancien au plus récent. La 2eme partie sera basée sur un principe différent
mais complémentaire. Ce sera une approche qui se verra beaucoup plus thématique que
chronologique (mais restera historique) et se limitera à l’histoire contemporaine récente, c'est-
à-dire fin 19ème / 20ème voire début 21ème, pour là prendre le temps de comprendre à quoi sert
l’histoire pour comprendre des transformations contemporaines.
Ici il s’agit de donner des éléments de réflexion qui permettent d’avoir un point de vue neuf
sur ce qui se passe aujourd’hui. La conviction est qu’on ne peut comprendre les éléments
présents sans avoir un minimum de culture historique, sans avoir une capacité de mise en
perspective historique des questions présentes.
Du coup trois thèmes feront les trois chapitres de la 2ème partie :
1. Le thème de l’Etat, dont on a déjà traduit la genèse. Pourquoi l’Etat occupe-t-il en
France une position qu’il n’occupe nulle part en France ? c’est 50% du PIB en France,
alors qu’aux USA c’est 25/30% et 14% au Chili. Qu’est ce qui explique cela ?
2. Le chapitre 4, est à la fois intéressant et abscond, au sens où il est parfois difficile de le
comprendre. Il portera sur une question intéressante : la notion de citoyenneté et les
transformations contemporaines de la citoyenneté (immigration, émergence d’une
citoyenneté européenne, etc.)
3. Dans le chapitre 5 nous reviendrons de manière conclusive et nous ferons une
chronique de l’histoire électorale contemporaine, de 1945 à Ségolène Royal et Nicolas
Sarkozy.

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Chapitre III : L’Etat entre sacralisation et rejet

Section I - L’emprise de l’Etat sur la société française et sa contestation (18 ème


siècle – 20ème siècle)
Y a t-il continuité ou discontinuité dans la construction de l’Etat en France ?

La thèse de Tocqueville : L’Ancien régime et la Révolution ; 1856


Fait l’hypothèse de la continuité entre formes de centralisation de l’Ancien Régime, et
centralisation issue de la Révolution.
Tocqueville reprend travaux d’ Etienne de la Boëtie (1530-1563). Le discours de la servitude
volontaire.

1§ Etatisation et servitude

A. Continuité de la transformation

Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution: « On s’exagère communément les effets


produits par la Révolution française. Il n’y eut jamais sans doute de Révolution plus
puissante, plus rapide, plus destructrice et plus créatrice que la Révolution française.
Toutefois ce serait se tromper étrangement que de croire [...] qu’elle ait élevé un édifice dont
les bases n’existeraient point avant elle. La Révolution française a crée une multitude de
choses accessoires et secondaires, mais n’a fait que développer le germe de choses
principales ; celles-là existaient avant elle [...] Chez les français, le pouvoir central s’était déjà
emparé plus qu’en aucun autre pays du monde, de l’administration locale : la Révolution a
seulement rendu ce pouvoir plus habile, plus fort, plus entreprenant ».
La Révolution s’inscrit dans cadre de la centralisation très ancienne. Préexiste, mais
Révolution très forte rationalisation.
Mais cette thèse de Tocqueville est peu originale, elle est partagée par la plupart de ceux qui
sont à l’époque des spécialistes de l’histoire F.
François Guizot : 1828, L’histoire de la civilisation en Europe. Etudie notamment les racines
monarchiques de la centralisation administrative. Minorer impact de la Révolution française.
Pierre Rosanvallon : la thèse de Tocqueville est très générale. Révèle des liens, mais il faut les
préciser.
Il y a bien continuité dans le renforcement de l’Etat.
Mais deux nuances :

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1. Etre sensible aux transformations qui accompagnent cette tendance. Continuité &
changement dans l’Etat, notamment dans les fonctions légitimes que remplit l’Etat.
2. Cette emprise croissante de l’Etat en France s’est accompagnée d’une contestation de
l’Etat (?).

Continuité dans le renforcement de l’Etat ?


1. Indicateur du nombre de fonctionnaires :
2. Portefeuilles

1836 Aube du 19e 1890 19 195 86 Aujourd'hui


34 9

Fonctionnaires 150.000 3 à 3,5


civils millions
Portefeuilles 8 10+1 17 26 31 min+ 32
secr. 17 secr
d’Etat d’Etat

RQ : apparition ministère de l’instruction publique en 1830, Guizot. Puis renforcement.


RQ2 : la culture depuis Malraux en 1945.

1830 1846 1873 1896 1914 1941 1952 1967 1984


Min de 50.000 55.000 52.000 72.000 71.000 93.000 105.000 126.000 208.000
l’économie
et des
finances
Justice 11.000 11.000 11.000 11.000 14.000 14.000 18.000 23.000 47.000
Instruction 0 41.000 120.000 121.000 160.000 _____ 252.000 _____ 1.050.000
publique
Ministère ? 18.000 33.000 70.000 _____ _____ 201.000 278.000 513.000
des PTT

RQ : PTT : Poste télécommunication

Permanence  bureaucratie
Mais (Pierre Rosanvallon) transformations dans la nature de l’état et ses modalités
d’intervention sur la société
L’état perdure, mais n’est pas le même : croissance différenciée selon les secteurs
d’intervention

3 formes (cumulatives) se développant à des rythmes différents :

A. 17e siècle - 1870 : État de police


Héritage absolutisme + transformations napoléoniennes
Préoccupation centrale : garantir l’ordre social qui bénéficie à ceux qui gouvernent
(Ordre policier + mœurs)

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B. 1810-1930 : Instituteur du social


Interventions dans éducation : d’un système d’endoéducation (relevant de la sphère familiale,
religieuse, communautaire favorise la reproduction des savoirs, et non le développement
social) à un système

Exo éducation.
Etat prend en charge entretien du lien social.
« L’Etat instituteur » du social. Rosanvallon.
L’Etat acteur producteur de lien de communautés sociales à cette période.
Pas seulement le garant de la sécurité, mais de l’identité de la société, il acquiert un nouveau
monopole (pas que violence fiscalité), celui de l’éducation.
Etat de police devient un Etat-Nation.

Etat police, Etat instituteur social et :

c/ L’Etat providence : après la crise de 1929, et se développe surtout après la Seconde guerre
mondiale. Angleterre 1942, France en 1945 avec la Sécurité sociale. Renvoie à deux
dimensions, l’Etat garantit à chacun un minimum de protection sociale, et intervient au niveau
de la redistribution des revenus. Devient aussi un acteur de la régulation économique, c la
figure de l’Etat keynésien. Cet Etat providence qui émerge sur les ruines de 1929, connaît
aujourd'hui une métamorphose majeure.

2§ Eléments pour une autre histoire de l’Etat : celle de sa contestation


et des résistances à l’étatisation.
Si Etat en France est très présent et sacralisation ancienne. L’a été de manière quasi-
permanente.
Contestation aussi. Mais en fait, nourrit le processus d’étatisation, car l’Etat s’est renforcé
pour vaincre ces protestations.
Les sources de la contestation
3 en France :
1. Celles qui relèvent des périphéries de l’Etat central :
L’historien Emmanuel Le Roy Ladurie ==) les « minorités périphériques » à identité
particulières.
Bretagne, Alsace, Pyrénées, Corse.
Clivage entre le centre et la périphérie, rencontré par tous les Etats européens.
Par rapport à la centralisation administrative. Notamment les révoltes fiscales, les
insoumissions au service militaire (la conscription obligatoire fin 1880s).
L’homogénéisation de la culture nationale française
Interdiction à certains de conserver leur identité héritée de leur histoire. Opposition
linguistique & culturelle. Préservation d’une identité menacée. Opposition largement
estompée aujourd'hui.
Etat n’y voit plus vraiment de menace, ouverture aujourd'hui de classes en breton etc.

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2. La contestation de type religieux


Principalement d’origine catholique en France.
1875 : 97,5% de la population française.
Pas seulement l’emprise de l’Etat, mais sa nature séculière, laïque, de l’Etat. Conteste la
séparation entre l’Etat et les Eglises.
Contestation à l’Etat aussi et sa légitimité d’être l’instituteur du social.
Eglise défend la liberté d’enseignement, va jusque 1930 au moins, refuser de reconnaître la
légitimité de l’intervention de l’Etat dans les questions scolaires =) relève des familles et de
l’Eglise.

3. La contestation de type sociale ou populaire


Les plus nombreuses.
2 exemples.
EX1 : 1775, une contestation en France, la Révoltes des farines. Une révolte frumentaire,
relative au froment. En raison des conditions de la récolte, les prix des céréales sont multipliés
par 4, or le pain au cœur de l’alimentation à l’époque.
 Phénomènes de prise de grain. Assaut des réserves de blés. Etat intervient immédiatement.
Les forces de l’ordre éradiquent la révolte en quelques heures. L’Etat en a les moyens.
EX2 : 1637, La révolte des Croquants. Différent, 1775 principalement urbaine. 1637,
des paysans, appelés croquants dans le Sud-Ouest. Terme révolte insuffisant, véritable guerre
paysanne. Massacres de gabeleurs, qui prélève la gabelle. Révolte s’étend progressivement
RQ : L'impôt exécré, « c'était la gabelle odieuse » (Zola).
Révolte va durer & s’étendre. L’armée intervient.
Robert Mandrou : La révolte des croquants disciple de Lucien Febvre, acteur majeur des
Annales et de la Nouvelle Histoire.

Le répertoire d’action change, de plus en plus impliqué dans la logique de l’Etat.

Le répertoire de l’action contestataire


Expression empruntée à l’historien contemporain américain Charles Tilly, auteur de La
France conteste de 1600 à nos jours. 4 siècles de contestation
Le répertoire : « toute population a un répertoire limité d’action collective, c'est à dire de
moyens d’agir en commun sur la base d’intérêts partagés ». C. Tilly.
Registre d’expression disponible à un moment donné.
Grande idée de l’auteur : dans les 1850s, en France, le répertoire de l’action collective
change de manière forte. Les Français abandonnent le répertoire qu’ils avaient expérimenté
depuis 1600 pour adopter répertoire de contestation encore utilisé aujourd'hui.
Répertoire ancien et répertoire moderne dans lequel nous sommes encore.
C’est l’Etat et son emprise qui dicte ce changement de répertoire.

1. Le répertoire ancien :
Premièrement, se développe dans cadre local, communal. Mobilise des acteurs locaux, voire
le plus souvent les représentants de ces acteurs locaux.
2e, ce répertoire ancien relève de la pratique du patronage. Pas de passage à l’action directe
immédiat. Utiliser dans un premier temps une médiation. Société très hiérarchisée d’un pt de
vue social. Individus se considèrent incompétents. Contestation directe rare, ou alors très
violente. Emeutes, révoltes, prises de grain, sabotages etc.

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2. Le répertoire moderne
Prend corps au XIX, devient dominant avec les 1850s.
1ère caractéristique, il est largement national
2e caractéristique, beaucoup plus autonome. Contestation directe : grève, participation
processus électoral, insurrection programmée etc. Mais moins violent, plus collectif.

Donc, passage de la mise en péril de l’Etat de police (exemple des Croquants) à un répertoire
qui ne menace plus la capacité de l’Etat à ...
Pacification
Plan de l’action change :
- Local  national ;
- Dépendance à l’égard des détenteurs du pouvoir, hétéronomie situation d’autonomie.

Si l’on prend le premier niveau de changement, localnational, sur plan chronologique,


comprend que se fait au fur et à mesure que l’Etat français s’homogénéise et renforce son
emprise. Tend alors à concentrer la contestation au niveau pratique et symbolique. Plus l’Etat
se développe, se trouve interpellé dans les contestations, doit y répondre.
=) Nationalisation de la contestation : on demande à l’Etat d’intervenir.
Le deuxième axe d’évolution, hétéronomieautonomie. Trouver des mécanismes et
modalités collectives d’expressions de la contestation. Partis politiques, syndicats apparaissent
comme les éléments moteurs de cette transformation du répertoire. Passage du peu organisé
au très organisé et structuré.

Section II - Les métamorphoses contemporaines de la régulation étatique (XXe


siècle)

Deux périodes dans la transformation de l’état :


1. 19451979
2. Fin 1970Aujourd'hui

1§ Le développement de l’Etat au XXe siècle

Histoire de l’Etat au XXe siècle caractérisée par le renforcement de son rôle économique.
Renvoie à trois conjonctures particulières.

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A. A partir de 1918 :
Etat amené à devenir un acteur dans la vie économique. Se renforce après 1929.
Première guerre mondiale, pas tellement de dégâts sur le plan économique. 13 départements
fortement touchés, mais avec la Seconde guerre mondiale, les ¾ affectés. La Seconde guerre
mondiale ampute la France d’environ un quart de ses richesses.
 Nécessité d’intervention de la puissance publique.
La deuxième raison, quasi culturelle. Le fait qu’à la libération, sorte de consensus sur la
légitimité et la nécessité de l’intervention économique de l’Etat. S’est développée l’idée que
l’Etat devait intervenir car les acteurs économiques privés avaient été défaillants.
Le programme de nationalisations pas marqué idéologiquement. Quasiment consensuel.
Nos élites se méfient de l’économie =) nécessité de l’encadrer.
Jean Pierre Rioux =) « L’esprit de la libération ».
Marque les 30 Glorieuses (expression de Jean Fourastié)
Formes concrètes ?

Un programme de nationalisation ambitieux

Deux motifs différents.


1945, l’Etat punit les entrepreneurs collaborateurs en les nationalisant.
Ex : Renault ; entreprises liées à la production des avions
Second motif, donner à l’Etat des outils de politique économique. Faire de l’Etat un
entrepreneur, qui peut réguler l’activité économique. Concerne certains secteurs essentiels :
1. Le crédit & les assurances : 1946, nationalisation effective de la Banque de France qui
était privée avant. Le Crédit lyonnais, la société générale, le comptoir national
d’escompte, la BNCI (future BNP).
2. Le domaine des transports : Renault, RATP, des compagnies maritimes, des
compagnies ferroviaires (SNCF ?) ; Air France ...
3. Le secteur de l’énergie : électricité & gaz ; industries houillères du Nord

Donner les moyens à l’Etat d’organiser le retour de la croissance. Cela au nom de l’intérêt
national. Pas tellement de nature idéologique. Consensus.

Cette politique permet à la société Française de connaître plus tard une croissance régulière et
forte.
L’Etat se substitue à la puissance privée pour devenir lui-même un acteur de l’économie.
Aujourd'hui : la plupart de ces entreprises ne sont plus entreprises nationales.

B. Véritable système de planification


Jean Monnet. Premier en 19471953 ; deuxième 19541957 ; 19581961
- Priorités du plan : électricité, charbon, sidérurgie, ciment, machines agricole, transports
intérieurs.
=) Investissement d’argent public- venu du plan Marshall- dans ces secteurs.
- Cohérence avec le plan de nationalisation : les banques =) financer secteurs précis ;
transport =) être concerné directement etc.
- Importance des fonds publics :
1948 : La contribution de l’Etat aux investissements productifs = 58%

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1949 : 62% de l’investissement productif.


1950 : 64%
1951 : 44%

Mesurer les propres effets de la politique économique :


Naissance de la comptabilité nationale. Déjà des éléments, mais Etat doté désormais, de
l’ensemble des indicateurs statistiques.
Etat devient acteur économique de plus en plus rationnel.
Naissance aussi de l’INSEE en 1946 : reprend éléments aussi de la stat du XIX.
Création aussi de l’INED, Institut national d'études démographiques, sous l’impulsion du
démographe et économiste Alfred Sauvy.

Résumé : nationalisation & planification


Mais émergence aussi d’un nouveau référentiel. La révolution keynésienne.
==) Il y a eu dans l’histoire économique européenne une transformation dans la manière de
percevoir action dans domaine éco.
Intervention de l’Etat longtemps considérée comme néfaste : A. Smith, Walras ou Ricardo.
Intervention extérieure au marché éloigne de l’optimum de l’équilibre général walrassien. La
Main invisible de Smith, le marché autorégulé.
Autre référentiel, le paradigme keynésien. Modifie totalement la conception du rôle de
l’Etat. Variables de investissement & consommation. Leur addition = production.
L’Etat doit agir quand apparaît la crise, à travers ses investissements.
La dépenses publique = un investissement qui correspond à la croissance =) très positif.
====) Légitimation de l’intervention de l’Etat à l’époque.

Résumé : Nationalisation + planification + modification du référentiel ==) L’Etat apparaît


avec une nouvelle figure, l’Etat régulateur.

2§ Le devenir libéral (/idéal ?) de l’Etat


Pourquoi cette période 45-75 se referme ?

A. Le dépérissement de l’Etat ?

Désétatisation, recul de l’Etat. Certains évoquent le dépérissement de l’Etat, selon un terme de


K. Marx.
3 hypothèses d’affaiblissement :

1. L’interdépendance croissante des économies européennes et mondiales depuis les 70s


La mondialisation, la globalisation financière.
==) Remet en cause pour un Etat d’orienter l’économie.

2. L’incidence de la construction européenne


Ex : à l’OMC, la France est représentée par l’UE.
Europe règle certains éléments à la place des Etats.

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La Commission énonce des règles, qui encadrent les politiques nationales. Principe de libre
concurrence & de non-discrimination. La marge de manœuvre en matière de politique
économique se réduit avec l’européisation.

3. Evolution technologique
Maîtrise de plus en plus difficile des flux économiques et financiers. Etat dénationalise son
système financier et bancaire, car l’Etat n’avait plus la possibilité de juguler et réguler les flux
financiers. Aujourd'hui, ces flux se font si rapidement sur les places boursières.

Aujourd'hui, l’Etat n’a probablement plus possibilité d’agir sur le matériel : a les outils, il
existe des ministère, mais impossibilité d’agir véritablement.
Dissonance entre le poids de la bureaucratie et sa capacité d’action.

Ce qui a justifié l’emprise croissante de l’Etat dans l’économie après guerre est en train de
disparaître.

Ces transformations sont extrêmement profondes, sur lesquelles n’a pas de prise.
L’Etat a très bien réussi à agir jusque 1975, à être acteur et régulateur.

Faire le deuil de la capacité de l’Etat à réguler au niveau politique.


==) Le marché.

La construction de l’Etat, la concentration des pouvoirs en l’Etat va de pair avec le


développement du capitalisme.
Alliance historique. Etat avait besoin des ressources du capitalisme.
Histoire de l’Europe montre que les pays ou Etat s’est développé ==) promotion capitalisme.
Assurer notamment la sécurité.

Mais aujourd'hui, le marché n’a plus besoin de l’Etat, qui peut représenter un obstacle.

Le néo-libéralisme.
Les Monétaristes.

Cette transformation de la figure de l’Etat est aussi une transformation culturelle.

B. Les nouvelles modalités de régulation étatique

1. L’interdépendance, la libéralisation, la multinationalisation ont limité la capacité


globale de la plupart des Etats nations de se diriger en matière de politique macro
économique.
Ex : Jusque 80, E avait maîtrise de la politique monétaire.
Fiscalité =) un moyen d’action de l’Etat
..

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Etat avait compétence monétaire dans les 60s 70s 80s. Aujourd'hui : relève de la Banque
Centrale Européenne. Mais restent à l’Etat des capacités globales d’intervenir, comme
politique de l’emploi, mais pas dans la même mesure que dans les 60s 70s.

2. Evolution des modes d’intervention de l’Etat


Passage de l’intervention directe centralisée à des formes beaucoup plus décentralisées
d’intervention et beaucoup plus plurielle et décentralisée.
Ex : Etats chargent des agences parapubliques, de mettre en œuvre telle politique publique.
Politique du RMI : repose sur un certain nombre d’association chargées de mettre en œuvre
ces dispositifs dans les départements. Principe de subsidiarité.

3. Faire intervenir le secteur privé :


Comme les mercenaires pour interventions militaires
Ex : GB envoie des agences privées

4. Ou organisations décentralisées pour mettre en œuvre des politiques


Entités sub-nationales. Décentralisation généralisée en Europe.
=) Transformation la plus sensible. Etat amené à diversifier de plus en plus ses modes
d’intervention.
Etat central n’intervient plus directement, mais établit les règles des secteurs ou autres acteurs
amenés à intervenir.

5. La souveraineté de l’Etat est en train de se fragmenter.


==) Les flux transnationaux, qui ne peuvent plus être gérer au niveau d’un Etat.

Flux migratoires ne relèvent plus de l’Etat : espace Schengen, différences économiques


mondiales etc.
Autre exemple des flux financiers : 2 ou 3 fois supérieurs dans leurs montants quotidiens que
le budget des Etats. Etat impuissant face à la volonté de certaines firmes.

6. Il y a de plus en plus de mouvements de déterritorialisation.


Etat avant : inscrire son autorité sur territoire donné.
Aujourd'hui : le rapport de l’Etat au territoire est de plus en plus distendu. Fait que l’ouverture
des frontières européennes a changé la problématique du territoire, Etat ne peut plus gérer non
plus le contrôle de l’information. Quand support écrit, politiques de contrôle. Ministre de
l’information dans les 50s 60s. Aujourd'hui, on ne peut pas empêcher réception par les
citoyens des médias quels qu’ils soient : satellite ou Internet. Remise en cause capacité
d’action de l’Etat, mais surtout de sa légitimité : écart de plus en plus grand entre ce que
prétend l’Etat, et ce qu’il peut faire.

7. Pas seulement interne, Etat n’est plus non plus l’acteur qui intervient au niveau
international.
Aujourd'hui, l’Etat n’est qu’un acteur parmi d’autres : montée en puissance des phénomènes
transnationaux.
Badie & Marie Claude Smuts ( ?!) : « l'ensemble des transactions (économiques, culturelles,
religieuses, migratoires...) échappant aux rigidités des frontières des Etats-nations et qui
affectent profondément le monopole d’impulsion de l’Etat sur la scène internationale » ; « ce

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monopole est désormais partagé avec d’autres acteurs internationaux que sont les ONG, les
mafias et l’ensemble des réseaux qui structurent désormais la vie internationales ».
L’Etat n’a plus la capacité à lui seul de réguler la scène internationale.
Bilan de ces 5 transformations : Etat obligé à modifier ses modalités et ses prétentions à la
modulation. ’Etat s’impose comme étant le cœur de l’identité des individus, qui sentent qu’ils
font partie d’une communauté. Donc obéissance et allégeance à l’Etat. Chaque Etat a la
capacité de réguler l’identité des individus. Mais chacun peut s’identifier au niveau
subnational, national ou supranational. Pas forcément de contradiction. Enjeu : Etat a réussi à
attacher les individus à l’Etat nation, à la nationalité. Mais aujourd'hui, plus personne n’est
prêt à subir les conséquences de cette appartenance.
==) Revendications identitaires rencontrées aujourd'hui. Demandes de reconnaissance
identitaires spécifiques. Des niveaux d’appartenance communautaires (relig, cult, éthniques
etc.). Affectent la capacité de l’Etat à rester le principal référent, et met en cause sa légitimité.
Les transformations de l’ordre institutionnel et politique en Europe du XIe au XXIe siècle

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Ordre féodal Ordre étatique Ordre post-étatique


Multiples composantes Nombre limité d’Etats Nombre limité d’Etats
et très largement souverains (1648 : appartenant désormais
Composantes entrecroisées. Traité de Westphalie) à des
territorialement organisations
La multiplication différenciés et transnationales.
tendancielle des autonomes.
groupements de Mise en œuvre d’un
domination (Chapitre I Concentration système de
section1) tendancielle du gouvernance
pouvoir au niveau multiniveaux17.
étatique
Les principes De multiples obligations Loyauté exclusive Principes d’intégration
d’intégration sécularisées fondées sur définie redevenus multiples.
des relations d’homme à territorialement, Loyauté emboîtée à
homme. Et relations accompagnée d’un diverses communautés
ecclésiastiques sentiment culturelles ou
transnationaux. d’appartenance politiques.
national sécularisé. Renvoie à la notion de
multiculturel. Comme
la citoyenneté
Européenne de
Maastricht.
Les modalités de Modalités de régulation Modalités de Redevenu multiples.
régulation Multiples. Reposent sur régulation limitées, Régulation croisée
l’autonomie relative des organisées de manière entre les différents
sphères politiques et hiérarchique. Principe niveaux de
religieuse. Et renvoie à de la lexicalité. gouvernement. Nat,
des modalités de Modalité de reg de subnational,
régulation de type type rationnelle supra. On reste dans
traditionnel. légale. des modalités de
reg de type rationnel
légal.
Les modalités Modalités Des modalités Revient à des
d’identification d’identification de type d’identification modalités
horizontal, d’homme à verticales. d’identification
homme. horizontales.
Prééminence de
l’appartenance au
groupe.
Période IXe  XIIIe siècle XIVe  XXe siècle XXe  XXIe siècle
chronologique

17
Gouvernance multi niveaux : sur chaque décision : niveau national, subnational, supranational
interviennent.

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NB : ce qui relève de l’ordre féodal ou étatique =) un acquis historiographique. Pour ce qui est
du passage de l’ordre étatique à post étatique =) hypothèses. Mais restent des convergences
historiques en occident.

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Chapitre IV : La citoyenneté entre ouverture et clôture nationale


La citoyenneté : statut juridiquement codifié qui concerne certain nombre de droits.

A. Les droits civils :


Dans la plupart des pays européens, établis après des révolutions.
L’Etat de droit

B. Les droits politiques.


Devenir électeur et éligible.
Droit de pétition, de faire intervenir un médiateur.
XIXe s.
L’Etat parlementaire

C. Les droits sociaux :


Avoir un min de protection sociale.
Et aussi l’ouverture du système éducatif à tous.
Le XXe s.
Ex : 1942, sécurité soc en GB.
L’Etat providence.

D. Les droits culturels


Essentiels au Canada

E. Les droits écologiques


Chirac et l’introduction de la charte de l’environnement.

Mais :
- Bismarck : accorde droits sociaux pour...
- Espagne, le modèle ne fonctionne pas. A l’époque franquiste, les citoyens esp se voient
reconnaître des droits « sociaux ». Ex : allocations pour femmes qui restent au foyer. Mais
refus de certains droits etc.

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Section I - Eléments pour une histoire de la citoyenneté républicaine (XVIIIe


– XXe siècle)

1§Histoire comparée du nationalisme

Nationalisme : mouvement idéologique et politique visant à atteindre et à maintenir


l’autonomie, l’unité et l’identité d’une population et d’un territoire qualifié désormais de
nation.

Nation : communauté humaine définie, occupant un foyer territorial, dotée de mythes


communs et une histoire partagée, d’une culture publique commune, d’une seule et unique
économie, et de droits et devoirs communs à tous ses membres.

L’age du nationalisme : la querelle des origines (Titre ?)

Deux positions concurrentes :

1. L’école primordialiste : la nation telle que nous la connaissons, s’enracine dans des
formes d’appartenance communautaire beaucoup plus anciennes. Il existerait une
véritable origine ethnique des nations modernes. Des liens primordiaux.

2. L’école moderniste : la catégorie de la nation =) construction récente. Ne pas parler de


nations avant le début du 19e siècle. ( ?). Ce n’est pas la nation qui crée le
nationalisme, mais le nationalisme qui crée la nation (Gellener, Nations et
nationalismes 1983).

La nation est une création artificielle et culturelle.


N’est pas le reflet de liens primordiaux, d’une essence nationale préexistante.
La nation est donc le fruit d’une construction historique et non pas d’un héritage.

Gellener :
Définit les origines matérielles de la nation. Passage d’une société de type agraire à une
société de type industriel. Société agraire : ne nécessite pas un niveau de culture général très
élevé, n’a pas besoin de « haute culture ». Pas besoin de système éducatif pour transmettre les
connaissances & les savoirs. Système d’endoéducation ( ?). Transmission par la famille etc.
Les habitants s’identifient à la communauté à laquelle appartiennent, pas au niveau national,
pas de nationalités. Les individus doivent acquérir connaissances suffisantes. S’adapter aux
avancées industrielles.
Passage donc à un système d’exo éducation, et la conscience nationale se développe.
« La nation, elle naît avec la rentrée des classes ».
RQ : Le patriotisme abstrait.
L’Etat n’est pas seulement le monopole de la violence, ou de la fiscalité, mais aussi de la
production de l’identité nationale.

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Mais en France, le décollage industriel est très tardif. Années 1860s, et effets véritables fin
XIXe. L’Etat prend conscience de l’importance du système éducatif, dès 1830. Guizot en
1833. La figure de l’Etat instituteur du social (Rosanvallon). L’école ne répond pas à
préoccupation premièrement économique. Mais politique et moral. Le sentiment national
directement issu de cette dynamique politique, et pas d’une dynamique simplement
économique. L’Etat Français en 1911 investit déjà 10 fois plus que l’Etat espagnol.

La promotion historique de l’allégeance nationale


L’Etat principal acteur du nationalisme précité : résultat d’un certain nombre de politiques
institutionnelles.
Pas de sentiment d’appartenance nationale sans Etat. Certes la Palestine etc.

2§ Les fondements du modèle républicain de citoyenneté.

A. Processus historique de nationalisation des sociétés

La promotion de l’identité nationale s’opère historiquement grâce à une séparation entre


l’appartenance nationale et un certain nombre d’appartenances sociales particularistes. De
cette séparation naît la figure du citoyen national. La nature politique du concept de
citoyenneté apparaît ici clairement. Il s’agit en effet d’un concept de clôture sociale
déterminant.
« Cloture sociale » =) historien US, Rogers Brubacker
Le succès de cette nationalisation des esprits dépend largement des résistances culturelles et
politiques que ce processus a historiquement rencontrées. Suivant les pays européens, les
conflits suscités par l’émergence du nationalisme politique peuvent radicaliser ce dernier et
déboucher sur une dépolitisation très avancée des appartenances aux groupes primaires,
condamnés au silence de l’espace privé. Dans ce cas de figure, l’Etat-nation devient une
institution politique fortement différenciée et autonome, seule légitime à intégrer les citoyens
sur une base nationale. Dans d’autres pays la lutte entre des identités politiques rivales
fragilise la construction de l’Etat nation et favorise l’expression d’un pluralisme concurrentiel
des valeurs nationales. Ex : Italie, Espagne, Belgique.

Deux sous processus


- L’espace public un espace nettement différencié ou s’exprime de manière exclusive

B. Les ressources du processus

Pour réussir cette entreprise nationaliste, les élites ... et intellectuelles favorables à l’Etat-
nation disposent de ressources variées.

1/ Celles qui permettent à l’Etat de revendiquer la primauté de l’allégeance nationale.

« Aux juifs en tant que juifs il ne sera rien reconnu, par contre aux juifs, en tant que citoyens,
il sera tout reconnu », 1789.
==) taire son appartenance confessionnelle.

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Ce modèle est discuté aujourd'hui.


Débat central aujourd'hui

Ex : Convocation du recteur de la mosquée de Paris lors de la crise des banlieues.


==) Inscription identitaire : c'est à dire que le discours politique comme l’action politique
attribue à un groupe particulier une qualité culturelle ou ethnique, séparant ipso facto les
individus sur une base communautaire.

Ex2 : Déclaration Edouard Balladur en mai 1994, Premier ministre.


En Guyane devant la fédération des organisations amérindiennes :
« On a trop souvent eu de la notion d’égalité une conception juridique. Chacun aujourd'hui se
rend bien compte que la notion d’égalité ce n’est pas forcément l’identité. C’est d’abord et
avant tout le respect de la dignité d’autrui, de la culture d’autrui

==) Très loin du modèle républicain.

Passage de régulation de type vertical : liaison politique vers l’Etat VERS une logique de
l’horizontalité.

Section II - L’improbable cosmopolitisme, histoire de la nationalité française de


la fin du XIXe siècle à nos jours

Homogénéisation de la culture nationale accompagnée d’un certain nombre de mécanismes


de cloturation de la culture nationale.
==) Réserver à certains l’allégeance nationale. Restreindre l’accès à la communauté des
citoyens.

Un des paradoxes de toute l’histoire de la citoyenneté même ailleurs. Exclut au moins


autant qu’il inclut.
Histoire de la citoyenneté sans frontière est encore aujourd'hui une utopie.

1§ L’invention de la nationalité
- La notion de nationalité française en termes juridiques est très récente.
1803. Dans le Code civil.

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Essentiellement à la fin du XIX que la codification de la nationalité va se développer.


- Les fondements de la nationalité n’ont cessé d’évoluer au long de notre histoire. La
politique de la nationalité. Change selon les besoins militaires, démographiques,
économiques.

4 critères :
 Le lieu de naissance : jus soli. Largement dominant du temps de la révolution
française.

 Le lien de filiation : jus sanguinis. La nationalité transmise par un parent ou un


ascendant plus éloigné.

 La résidence, passé présent ou futur d’un pays ( ?) : ce critère de la résidence, accès


à la citoyenneté européenne. Conception peut être la plus moderne.

 Le statut matrimonial : épouser un ressortissant étranger peut permettre d’acquérir la


nationalité du conjoint.

A. Pendant la période révolutionnaire :


La frontière étrangers/nationaux très difficile à établir. Pas de définition juridique explicite
de ce qu’est un français.
Sous l’Ancien Régime, pas une question qui s’est posé de manière forte. Terme d’aubain :
sous l’ancien régime, le roi de France avait droit d’aubaine, c'est à dire que le Parlement de
Paris (instance jur principale)... Droit d'aubaine : droit en vertu duquel le seigneur recueillait
les biens que l'étranger non naturalisé laissait en mourant.
==) Distinction entre les aubains, et les français.
1790-1794 : on a les même droit d’accès à la citoyenneté, français ou pas. Des lors que
est en France.
 1803 : apparition du Code civil. Napoléon moderne sur plan de la nationalité, qui
résiderait dans la résidence. Mais le Code civil différent : reconnaissance du principe du
sang. Première fois. Comme un droit de la personne. A nationalité se transmet par la
filiation. Attribuée à la naissance. Ne se perd plus si on a son domicile à l’étranger.
Pendant toute cette période, 1803-1889, on ne peut pas abandonner sa nationalité :
autorisation du gouvernement français pour solliciter la nationalité suisse. On peut
néanmoins devenir français, mais difficile.

B. 1889 : premier code de la nationalité.


France des 1880s, le premier pays d’immigration en Europe. Pour besoin industriels. Ces
immigrés résident en France mais ne peuvent être français. Reforme.
Débat : situation privilégiée de ses résidents qui ne sont pas soumis aux devoirs militaires.
Rapidement réorganisation la frontière entre français et étrangers.

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A une approche familiale de la nationalité, on ajoute une approche sociologique, avec le


droit du sol. Retour à l’ouverture de la nationalité.

C. 1889-1927
Des que la guerre arrive, question de la nationalité. Encore plus en 1918 avec la tragédie
démographique.
Loi 10 août 1927 remplace 1889. Changer frontière Français/ étranger. On rend plus facile
l’acquisition de la nationalité. Pas modification droit du sol/sang. Mais pour obtenir
naturalisation, on considere que seuls 3 ans suffisent.
Pour les femmes, perdaient leur nationalité quand épousaient ressortissant étranger.
Perdent aussi les droits afférents à la nationalité française. Loi 1927 désormais : la femme
française conservera sa nationalité, sauf si elle y renonce. D’autre part, quand étranger
épouse une française en France, peut devenir français.
- 1803-1889 : 200 naturalisations par an
- 1889-1927 : 164.000 personnes deviennent français entre ... et . Soit 4.500 nat par an.
- 1927-1940 : 452.000 naturalisations, sur 13 ans à peine. 35.000 par an.

D. 1940 : Approche raciste de la nationalité


Première mesure : dénaturalisation. Juifs essentiellement. 15.000 personnes radiées de leur
nationalité (acquise en 1927), en quelques mois. 15 secondes par dossier en moyenne.
Vichy établit aussi nouveau code de nationalité. Elaboration, mais jamais appliqué
car les allemands y mettent un veto, car trouvent que juifs ne sont pas assez exclus de la
nationalité. La naturalisation pour le projet de Vichy est possible mais extrêmement
restrictive, et constitue une faveur que le gouvernement peut accorder.
Pas de naturalisation en deçà de 8 ans de résidence. Critères : « il convient de vérifier que
les personnes naturalisées soient assimilées à nos bonnes mœurs » « présenter des garanties
d’attachement à la France et à ses institutions »
Droit du sang n’est évidemment pas remis en cause.
Le droit du sol : désormais Garde des Sceaux (min justice) accorde ou non. Faveur
encore.
L’accès à la nationalité par le mariage est désormais restreint : un étranger qui se
marrie avec un français doit déposer un dossier de naturalisation. Mariage ne lui donne pas
de droit. Attendre 8 ans etc.

Naturalisations
1932 47.100
.. 31.122
1941 136
1942 633
1943 980
1944 923
1945 3.377
1946 14.154

RQ : parmi les 15.000 dénaturalisés de Vichy, les survivants ont retrouvé leur nationalité.

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E. 1945
Retour aux principes de 1927. Droit du sang et droit du sol. Naturalisation=) 5 ans de
résidence, sauf si personne est mariée ou diplômée en France, 2ans alors, ou si 3 enfants ou
légion nationalisation immédiate

Fin paragraphe 1 :
RQ : l’histoire de la nationalité est très liée à l’histoire de l’immigration.
La France a une histoire singulière par rapport à l’immigration.
Premier pays européen à devenir un pays d’immigration à partir du XIXe siècle. Pays qui
a le plus fait appel historiquement à l’immigration. 1/3 français n’était pas français il y a 60
ans.
20 millions qui n’étaient pas français dans l’entre-deux-guerres.
Pourquoi ? =) La France a connu de façon très précoce une situation de basse
pression démographique dans la deuxième partie du XIXe. 1876 : 36,9 millions d’habitants.
1911 : 32,6 millions d’habitant (??).
1900 : 5e pays européen sur le plan démographique, derrière l’empire allemand, l’Autriche-
Hongrie et UK.
===) Immigration liée à la prise de conscience de cette stagnation et régression
démographique
===) Aussi l’industrialisation, tardive, qui ne devient dynamique qu’en 1880-1890s.

Date Etrangers Part de la pop. totale


1851 381.000 1%
1881 1 million 2,6%
1911 1,2 millions 2,8%
1920 1,5 millions 4%
1926 2 ,5 millions 6%
1931 2,8 millions 7%

10s : 40% d’Italiens, 10% d’Espagnols, 20% de Belges


30s : Italiens encore très importants, Polonais arrivent, Belges disparaissent (8,7%).

2§ Le devenir de l’ « habitus national »


Expression empruntée à Norbert Elias.

Habitus national : « les caractéristiques de l’identité collective nationale, c'est à


dire une strate de l’habitus social très profondément et très solidement ancrée dans la
personnalité de l’individu ». N.E.
Habitus social : tout ce qui est partagé du point de vue de l’identité dans un groupe
social. Différentes dimensions, des strates. Socialisation familiale, religieuse & aussi
nationale. L’habitus social au fondement de la perception du nous, par opposition au je.

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Selon Elias, toute une série de nos émotions relèvent de processus d’appartenance
collective. Réussite de l’Etat-Nation c’est transmettre un habitus national spécifique.
Pour l’auteur, cette construction du nous est tardive dans les sociétés européennes. Avant,
conscience du eux. Exemple de la société de l’Ancien Régime, divisée & hiérarchisée avec
des castes sociales. Il n’y a pas de commune appartenance entre les paysans et les classes
privilégiées. Des mondes différents, un nous et un eux. Le peuple ≠ classes privilégiées.
Pas d’habitus national.

Aujourd'hui ?
Elias dans la Société des individus : esquisse des transformations contemporaines. Liées à
un phénomène qui traverse l’histoire, le fait que les chaînes d’interdépendances qui lient les
individus entre eux ne cessent de s’agrandir et de s’approfondir (voir chapitre I).
Pourquoi cette agrandissement ? =) La survie des individus.
Féodalité =) se protéger, avec des vassaux.

Etat nation condamné, car ne pourra plus réguler ... ?


L’UE. Passage à un niveau d’interdépendance supérieur. Bouscule les modes
d’identification nationale. Sera post national, supra national.
Mais aujourd'hui, plus l’Europe se construit, moins il y a une identité européenne. 10% des
européens se considèrent comme tel. L’habitus national est en train de connaître cette
transformation qui n’est pas acquise, mais passage quand même à un habitus européen.

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Chapitre V : CHRONIQUE DE L’HISTOIRE ELECTORALE


CONTEMPORAINE
Evolution & composition.
Transformation du gouvernement représentatif.
Référence chapitre II et III.

Section I - Les transformations du gouvernement représentatif

1§ Les principes historiques du gouvernement représentatif

Europe au XXe, et tous les régimes autoritaires.


La démocratie est loin d’être l’avenir naturel des régimes européens.
==) Comprendre quelles sont les conditions historiques propices à l’émergence du
gouvernement représentatif, et quels sont les éléments qui s’y opposent.

A. Dynamiques historiques.

Grand historien américain, Barrigton ( ?) Moore, 1966, Les origines sociales de la


dictature et de la démocratie :
Deux postulats :
Toutes les sociétés occidentales vont connaître un processus de
modernisation, XIX-XX. Entraîne une transformation profonde des relations entre
les différentes classes sociales.
Les effets politiques de cette dynamique des classes sociales, pas les mêmes
dans les différents pays, selon leur importance dans ces pays.

 Pour comprendre comment un pays devient démocratiques ou prend formes autoritaires,


il faut le rapporter à la dynamique des classes sociales.

Pour l’auteur, la nature du régime politique : 3 types


- la démocratie représentative

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- le fascisme (nazisme, Italie)


- Le communisme

Dépend du pouvoir relatif du pvoir relatif des classes sociales dans la société, et des
relations qui vont s’établir entre ces 3 classes et la royauté.

3 classes sociales :
- Paysans
- L’aristocratie
- La bourgeoisie

RQ : Quid du monde ouvrier ? L’auteur considère que l’essentiel de l’émergence des


régimes politiques précède la prise de conscience d’elle même de la classe ouvrière.

1. Le cas ou la bourgeoisie l’emporte sur les 2 autres classes sociales.


La démocratie s’installe. Deux exemples : le Royaume-Uni et la France. La différence
tient dans le rapport au roi. La bourgeoisie au RU s’allie à l’aristocratie et au roi pour
l’emporter. En France, la bourgeoisie en vient à s’opposer à l’aristocratie.
Dans les deux cas, la démocratie.
Aux USA,

1. L’aristocratie l’emporte.
Souvent avec l’aide du roi. Dans ce cas, trajectoire de type fasciste. Exemples de la Prusse
et du Japon.

2. Les paysans l’emportent


Le communisme. Cas de la Chine et de la Russie.

Barrigton Moore :  3 sorties de la modernité possible :

Bourgeoisie  démocratie
Aristocratie  fascisme
Paysans  communisme

Essentiellement du coté de la paysannerie que se trouve la matrice des régimes politiques. BM


propose de prendre en considération deux éléments de l’histoire de la paysannerie.
 Le degré de solidarité au sein de la classe paysanne
 La nature du contrôle social exercé par les classes dirigeantes sur la paysannerie.
Contrôle peut être fort ou faible.

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Nature du contrôle exercé par les dirigeants sur


les paysans

Fort Faible

A B C D
Alliance Alliance Très faible Fort
royauté avec aristocratie integrat° mécanisme
aristocratie avec paysanne d’intégration,
bourgeoise paysans
 Fascisme Anarchie, solidaires.
Démocrati fluctuation
Ex : Prusse e du pouvoir Communisme

Les partis
Ex : R-U, Ex : Chine communistes
produisent cette
France, USA avant 1945 appartenance

B. Nature des relations :

 Prendre en compte la nature de la relation entre la royauté et l’aristocratie :


Développement de la figure de l’Etat absolu, qui réussit plus ou moins bien a contrôlé la
concurrence et les excès de la noblesse.
B. Moore : la démocratie n’est possible que si il y a un certain contrôle des excès de la
noblesse. Eviter qu’elle s’entredéchire. La noblesse a besoin de la dynamique de l’Occident.
Arriver à un point d’équilibre, pas d’exces coté royauté ou aristocratie.
Ce qui prédispose à la démo =) équilibre des forces.
Ex : Chine et Russie. L’aristocratie a vite été totalement dépossédée de son pouvoir par le
pouvoir monarchique absolu. Absolutisme se renforce =) régime autoritaire, pas eu
d’équilibre entre l’aristocratie et la royauté.

 La nature des relations entre l’aristocratie et la paysannerie :


Selon la capacité de l’aristocratie à commercialiser les produits des paysans.
Différence entre la France et la G-B :
Grande Bretagne connaît vite phénomène de remembrement des terres qui entraîne
mouvement d’expropriation des paysans pauvres au profit des propriétaires terriens.
Transforme les paysans pauvres en ouvriers agricoles.
Situation qui favorise interdépendance entre les paysans devenus ouvriers agr et les nobles
devenus propriétaires terriens. Situation d’équilibre, inégalité économique mais besoins
réciproques.
==) Démocratie.

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France et USA : maintien de structures d’exploitation, retarde le démocratisation.


La démocratie doit en passer par une Révolution.

RQ : Prusse et Japon : les paysans continuent à être oppressés, sous-hommes, serfs.


Préconditions d’obéissances à des régimes de type fasciste.
Cas de la Grande Bret : se noue alliance entre l’aristocratie et la paysannerie. =) Aristocratie
grand pouvoir.

La bourgeoisie a travers l’indus et l’aristocratie a travers la paysannerie ==) partage du


pouvoir, équilibre.
La démocratie resulte de relations d’equilibre.

Cas de desek :

France et sud des E-U : En France pas connu le même type de sortie de la féodalité. Cas
anglais, les paysans vite devenus des salariés. En France, les paysans deviennent salariés plus
tard. Attendre la nuit du 4 août et l’abolition des privilèges pour sortie de la féodalité et ancien
type relation arist/paysannerie.
Les états esclavagistes du Sud des USA : extrême inégalité, peu propice à la démocratie. Ces
états seront les plus réticents aux avancées démocratiques.
Barr Moore : la démo prend la forme d’une révolution violente. Mettre la paysannerie contre
l’aristocratie.

3e trait : pas dev le 15 dec


Nature des relations entre l’aristocratie et la bourgeoisie.

 Pas de démocratie sans bourgeoisie.


Quand la B se développe tardivement, la D se développe tardivement.
Situation d’alliance : favorise la trajectoire démo. Cas de la GB, avec alliance très forte entre
aristocratie et bourgeoisie. Phénomène de mimétisme. La B tend à se transformer en
aristocratie, au niveau des valeurs. Certaine mixité et relations qui se nouent.
===) Pas une trajectoire révolutionnaire.
Intérêt pour les 2 à s’entendre. Equilibre. Le roi est le plus menacé, ne peut s’appuyer sur l’un
contre l’autre. Contrepoids au pouvoir du roi par cet équilibre
Série de contrepouvoirs & d’équilibres successifs.
Cet équilibre plus délicat en France, concurrence entre aristocratie et bourgeoisie. Mais la B a
des ressources économiques qui ne vont cesser de croître, tandis que l’aristocratie se
paupérise. Concurrence qui tourne en faveur de la bourgeoisie. ==) Révolution française.
Le XIXe siècle illustre bien la trajectoire démocratique très chaotique. 70 ans pour stabiliser...
issu de 1789. ≠ Angleterre. Puis aussi Vichy, très différent en Angletterre.
Pourquoi ? Barr M : desek historique entre aristocratie et bourgeoisie.

Faiblesse de la B : cas de la Prusse. Les valeurs et l’éthique de l’aris restent dominantes.


L’aristocratie de type militaire. Elias montre l’importance de cette tradition militaire en
Allemagne, nazisme résultat de cet habitus guerrier, qui ne fut pas nuancé pas habitus
bourgeois.
L’aristocratie est la seule classe qui peut dominer la paysannerie.

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4e trait : la relation entre l’alliance des classes dominantes et la paysannerie.

Relation équilibrée :
Cas de la GB : Les 2 classes A/Bourgeoisie équilibrées. Ont des ressources suffisantes pour
tenter de contrôler électoralement la paysannerie. Concurrence. Ces 2 classes restent ouvertes
à la paysannerie. Pas de fossé entre paysannerie et aristocratie / bourgeoisie.
==) Intégration de la paysannerie au système politique.

Autre : alliance aristocraie et royauté se fait contre la paysannerie. Pas d’intégration. =)


Fascisme.

5e trait :
La démocratie suppose une rupture avec le passé de l’ancien régime. Caractere plus ou moins
violent.
Les E-U : rupture avec la Couronne est fondatrice de la démocratie et des Etats-Unis.
Angleterre : alliance Bourgeoisie//A =) démocratie en contrôlant le Roi.
France : la rupture avec l’Ancien régime se fait violement. Explique instabilité.
Démocratie en danger quand cette rupture est violente. Cas de la Terreur en France.

Une partie de la compréhension des dynamiques démocratiques liée à la dynamique des


classes sociales.

Ne pas faire abstraction des variables culturelles entre les différents pays.
Différence entre G-B, Etats-Unis et France ?
=) La religion.

2 sociétés majoritairement protestantes (EU et GB) // La France, majoritairement catholique

Héritages différents.
Importance de ces héritages dans les dynamiques démocratiques.

Le protestantisme a tendance à renforcer la démocratie tandis que le catholicisme entretient


une relation historique beaucoup plus complexe avec la démocratisation.
Pourquoi ?

Pour le protestantisme :
Thèse de Tocqueville et la Démocratie en Amérique. L’esprit de religion sur la dynamique
démoc.
Thèse aussi de Max Weber. L’éthique du protestantisme.
Partagée par de nombreux historiens.
Relation entre l’Etat et la société civile.
E-U et G-B.

Société civile : Existence d’une gamme relativement vaste de secteurs sociaux tels que la
famille, des segments ou des groupes de toute espèce (ethniques, professionnels..), des
associations volontaires qui sont autonomes et indépendantes et l’Etat.
Existence d’une dynamique associative de type privé.

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Pour Tocq ce qui illustre la démocratie aux USA =) l’effervescence associative & la capacité
à l’autorégulation de la société. Quand il y a un problème, la société scivile tente de regler ce
problème avant l’Etat, qui n’est pas la seule instance de gouvernement. Série de micro
instances de gouvernement. =) Importance de l’équilibre des pouvoirs. Partage au niveau local
et fédéral. Multiplicité des centres de décision.
Pour les auteurs, cela est largement résultat protestantisme. Pas d’église au sens institutionnel,
multitude de sectes (vocabulaire M. Weber).
Deuxième apport du protestantisme : Fait qu’il refuse institutionnalisation, chaque
croyant entretient relation personnelle avec le texte religieux. ≠ Dans le catholicisme,
médiatisation systématique par le Clergé.
===) Degré très faible de professionnalisation. Plus ouvert et moins contraignant que dans
clergé catholique.

Relation directe avec Dieu=) favorise la démocratie


Homologie entre la relation que l’individu entretient avec Dieu et relation qu’il entretient avec
son état.
Individus par protestantisme devient autonome. Citoyen responsable et autonome condition
pour la démocratie. Premiers pays démocratiques = des pays protestants.

Pour le catholicisme :
Plus complexe. Joue un rôle dans la démocratisation.
Marcel Gauchet : le catholicisme « la religion de la sortie de la religion »
Le christianisme (catholicisme & protestantisme) favorise la distinction entre les affaires de
César et celles de Dieu. Pas possible dans société de type théocratique.

L’élection est inventée par l’Eglise.

Plus complexe quand examine relation entre Eglise et démocraties en Europe au ... siècle.
En France : Eglise très réticente à l’égard de la reconnaissance de la souveraineté
nationale/populaire.
Eglise refuse très longtemps de reconnaître la souveraineté des citoyens. La souveraineté
appartient à Dieu. Des lors, les élections ne peuvent légitimer.... L’Eglise proche des partis
conservateurs voire contre-révolutionnaires.
Ex : Espagne & Portugal.

RQ : Exception faite de la tradition démocrate chrétienne. Comme en Italie, en Allemagne ou


en Belgique.

2§ La représentation politique en devenir

Distinguer trois types d’expériences démocratiques.


Thèse de Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatifs. 1995 Champs
Flammarion :

A. Le parlementarisme

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XIXe. Très tôt en Grande Bretagne, plus tard en France.


Gouvernants – gouvernés =) liens locaux plus qu’idéologiques. Politique quasi absent du
Parlement à l’époque, pas de structuration des groupes à l’époque.
Quand députés votent, c’est de façon très individuelle, pas de discipline de groupe.
Des tendances mais pas de logique systématique.
Enfin, les citoyens sont encore aux portes du Parlement.

B. La démocratie des partis


Fin XIXe1965 avec élection présidentielle en France.
Parlement se démocratise. Passage du notable au professionnel de la vie politique.
Démocratisation favorisée par développement des partis politiques. Le parlement n’est plus la
seule instance de discussion. Concurrencé par les partis. L’enceinte parlementaire est à ce
moment là remise en cause : le lieu du débat démocratique est dans les partis et entre les
partis.
Démocratie médiatisée par les organisations partisanes quelles qu’elles soient.
Le professionnel de la politique est dépendant des ressources du parti, apparaît dès lors la
discipline de parti.
Vote n’est plus seulement le reflet de la liberté du parlementaire mais aussi le produit de la
discipline partisane.

Cf. documents p 10-11, polycopié


Synthèse des résultats des élections en Europe du XIX à 1980.

Homogénéisation de la vie politique dans les différents pays européens.


Degré de « volatilité partisane » émis aux différentes élections. Sur combien de partis se
dispersent les voix aux différentes élections. Au-delà de 5%.

- La première figure permet de voir évoluer la « réduction de l’hétérogénéité.... ».


Pour chaque décennie il va tenter de mesurer sur échelle de 0 à 40 le degré d’hétérogénéité
des supports électoraux des différents partis.

L’évolution des courbes, quel que soit l’indicateur choisi ou la circonscription, l’évolution est
symétrique. Plus la démocratie se développe, plus les partis se structurent, plus le degré
d’hétérogénéité décroît.
La base territoriale de chaque parti politique tend à se nationaliser.

- La deuxième figure : autre indicateur de 0 à 1500.


Les courbes vont dans le même sens mais pas au même rythme dans la réduction de
l’hétérogénéité des lors que l’on distingue les circonscriptions compétitives des
circonscriptions non compétitives. Circonscriptions compétitives, avec vrai lutte électorales :
le niveau d’hétérogénéité est des le départ moins élevé. La réduction du degré d’h est
beaucoup plus rapide.

Graphique page 11 :
Courbe évolution de la participation électorale dans les différentes circonscriptions.

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1810 -1870 : d’une circonscription à l’autre, le taux de participation électorale (comme le tx


de mobilisation) est différent d’un.. à l’autre. En fonction de la nature compétitive ou non....
=) différences très fortes d’une circonscription à l’autre. Auteur constate cela dans les
différents pays, de types différents. Inégalité entre les circonscriptions.
==) Il existe des tempérament locaux

A partir de quand se réduit cette hétérogénéité de la participation démocratique ?


 1870-Entre-deux-guerres. Standardisation de la vie politique en Europe.

Résumé : Avènement des partis politique qui conduit à nationalisation de la vie politique.

Transformation de la relation entre les gouvernés et les gouvernants.


Phénomène de la fidélité électorale. Les électeurs s’identifient à un clivage partisan.
Reproduction d’une élection à une autre du choix qu’ils ont effectué. Les clivages partisans.
L’identification partisane, à l’instar des députés. Les partis sont désormais au cœur de la vie
démocratique.

Cette démocratie des partis a favorisé le déplacement du centre de la vie politique du


parlement vers les partis.
Clivages dont ils sont porteurs =) favorise l’intégration relativement stable des électeurs.
Situation où la démocratie réussit à fidéliser les électeurs. S’achève dans les années 70s.

Histoire de ces clivages partisans :


 Dans les pays européens de la fin du XIX aux années 70, trois transformations historiques.

- La révolution nationale
Deux lignes de clivages partisans.
Engagée avec la Révolution française, et tend à opposer deux types d’intérêts. Ceux
qui sont favorable à la centralisation de la vie politique, les Jacobins, et ceux qui y sont
opposés, les Girondins principalement.
Période révolutionnaire.

Opposition aussi entre l’Eglise et l’Etat, traduite dans le système de partis politiques.

- La révolution industrielle
Les possédants opposés aux travailleurs.
Le monde urbain opposé au monde rural. Les partis agrariens. Jules Méline.

 Ces oppositions structurent un système de parti. Ces mêmes clivages apparaissent
dans tous les pays européens.

- La révolution bolchevique
Impact sur le système de parti, qui modifie un clivage.
Clivage possédants/ travailleurs. Se transforme en deux clivages, au sein des partis de
travailleurs.

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Les réformistes (parti socialistes) et les partis révolutionnaires (parti communiste).


Ex : Congres de Tour en 1920, avec la scission de la SFIO qui donne naissance au futur parti
socialiste tel qu’il existe aujourd'hui.

Ces clivages sont également limités. Trois modifications majeures : celles liées aux
révolutions du XVIIIe siècle, celles liées à la révolution industrielle, et celles de la révolution
bolchevique.

RQ : Question de l’existence aujourd'hui d’une révolution silencieuse, par rapport à la


construction européenne. Eurosceptiques contre les partis historiquement favorables à la
construction européenne, la droite et la gauche gouvernementale.
Question pertinente quand on considere les élections européennes, les referendum,
mais pas viable au niveau local. Des partis qui n’existent quasiment pas sur la scène nationale.
Pas encore structuré, résistance des clivages traditionnels.
Degré d’implication historique de cette opposition faible par rapport à des questions comme
celles de la propriété ou de la religion.

C. La démocratie du public.
Le fait que le Parlement ne soit plus l’instance principale de discussion, les partis ne
réussissent plus à canaliser les électeurs.
Phénomène de « dégel ».

Le lieu de discussion principal désormais  les médias.


Figure de l’homme politique expert en communication. Peut aussi être à la tête d’un parti
politique.

Ce qui est important aujourd'hui pour un homme politique et parlementaire =) s’investir dans
le travail de communication, de représentation.
Médiatisation par les images qui détermine les choix électoraux.
Dans la période actuelle, phénomène de la « volatilité électorale » : les électeurs deviennent
de plus en plus infidèles aux partis politiques. Choix devenu conjoncturel, soumis aux images
et aux sondages.
Partis sont disqualifiés dans leur rôle démocratiques.

RQ : En 2004, seulement 17% des Français ont une vue positive du rôle des partis dans la vie
politique et démocratique.
RQ : Quand on prend en compte les 25 pays européens et les futurs entrants  la France
apparaît comme un pays qui a le moins confiance dans les partis politiques.
RQ : 60% au Royaume-Uni

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Section II - Eléments pour une histoire des forces politiques françaises (1945
 Aujourd'hui)

1§ L’espace politique français


3 sous paragraphes.

A. Des spécificités de la culture politique française


2 traits.
1. L’héritage d’une culture politique relativement méfiante à l’égard des partis politiques.
Exemple des gaullistes. « Parti » = élément de division du corps social et politique.

Origine en fait révolutionnaire : méfiance envers les corps intermédiaires. Loi Le chapelier de
juin 1791 qui interdit la présence de toute médiation des individus avec l’Etat.

Pas de codification juridique des associations avant 1901.

Méfiance envers les partis politiques.


La France développe une culture politique peu favorable à l’auto gouvernement.
Historiquement, nous avons les partis politiques les plus faibles en terme d’adhérents.

RQ : Aujourd'hui en France, 1% de la population, 600.000 adhérents à des partis politiques.


Très faible par rapport autres pays européens. En Allemagne, 60%. En France, sorte d’atonie
de la vie militante.
RQ2 : A partir de 1945, période favorable aux partis politiques. Image valorisante, beaucoup
plus qu’à la fin de la IIIe République. 400.000 adhérents à des partis politiques. C'est à dire 5
à 6% de la population.
Pic atteint en 1981, 800.000 adhérents.

2. L’instabilité de la vie politique française

Espérance de vie très faible des partis politiques depuis la fin du XIXe siècle. Ne cessent de
changer d’étiquette. Très ≠ aux Etats-Unis.
Extrême versatilité des partis politiques.

Pourquoi ?

B. Une configuration multipartisane tardive

IIIe République  Aujourd'hui.


1871  Fin XIXe siècle.
Quasi absence de partis politiques.
Des 1873, un certain nombre de groupe.

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A gauche, l’Union républicaine & la Gauche républicaine. Des parlementaires, mais n’ont
aucun militant.
Au centre, le Centre de gauche
A droite, l’Union des monarchistes qui va vite se scinder fin 1880s en fonction de la nature de
l’allégeance à la famille royale. Le Cendre droit, les Chevaux légers...

 Ne constituent en rien des partis politiques, ni même leur préfiguration.

Change fin XIXe siècle.

C. La situation actuelle, fondement et dynamique historique

Au XXe siècle, à peu pres 350 partis politiques différents.


Par rapport aux pays anglo-saxons, très évolutifs.

1. LE PARTI RADICAL
Le premier parti politique crée le 8 avril 1901. Le parti radical. Le parti « Républicain,
radical et radical-socialiste » au départ.
Hérite de l’idéologie de la gauche républicaine.
Les opportunistes : acceptent la transition entre les années Mac Mahon et la IIIe République.
Républicains centristes.
Les radicaux  aller plus loin, notamment dans la laïcisation.
Le parti radical à l’époque très proche de la Franc-maçonnerie.

La parti radical hérite d’une forme organisationnelle larvée, prend la suite du Comité central
d’action républicaine né en 1894 (protoparti).
Devenu en 1895 le Comité d’action pour les réformes républicaines. Donne les bases
organisationnelles au parti radial.

Les principaux leaders du Parti radical sont Clemenceau, Léon Bourgeois (père du
solidarisme) et Edouard Herriot.

1902 : Le P.R connaît une scission. Alors encore un tout petit parti.
A la gauche du parti radical, un autre parti, l’Alliance républicaine démocratique, qui hérite
de la tradition radicale-socialiste.
Figure de René Waldeck Rousseau.

Parti radical et Alliance Républicaine démocratique  des partis de cadres. (≠ de masses,


selon typo de Duverger)

M. Duverger, 1954, Les partis politiques.

Parti pauvre en militants, mais détient accès à un réseau qui détient des ressources et
notamment connexions avec administration, avec des cadres.
Serge Berstein : écrit l’histoire du parti radical français. Le P.R a du mal a mettre en place
discipline.

2. Le P.R aujourd'hui

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Cours Histoire de la Vie Politique : Yves Deloye Paris Sorbonne Panthéon
Année 2006-2007 : 1er semestre

En 1972, le P.r (celui de 1901. Branche droite d’après) se décompose en deux. Nouvelle
scission.
1972 : de la gauche du Parti radical
Scission à gauche  Le Mouvement des radicaux de gauche, devenu aujourd'hui le Parti des
radicaux de gauche.
A droite  le Parti radical valoisien (siège rue de Valois). Actuel parti de Jean Louis Borloo
& de André Rossigny.
Le Parti radical valoisien aujourd'hui associé à l’Union pour un Mouvement populaire.
Le Parti radical de gauche allié traditionnel du PS depuis 1972.
71 : F. Mitterrand prend la tête du PS. Objectif : affaiblir le Parti communiste et s’allier avec
d’autres partis.

1902 : début de l’institutionnalisation partisane des courants de la droite conservatrice


française. 1901, mais compliqué à droite. La culture politique de droite en France liée à
l’héritage/origine catholique. Réticence.
RQ : réticence vis-à-vis du terme parti.  de Gaulle, bien qu’en forme tout de même.

Le versant droit est donc plus lent.


L’Action libérale populaire.
Parti très important. Notamment dans le ralliement des catholiques à la République.
Fondateur Jacques Piou. Reprend les bases organisationnelles de l’Action libérale (1890s) de
J. Piou.

1902 : aussi le Parti socialiste de France (PSDF). Division rapidement = ) Le Parti socialiste
français, rôle majeur, Jaurès et Aristide Brilland.

1902 – 1945 :

2§ - Chronique électorale contemporaine

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Année 2006-2007 : 1er semestre

Conclusion générale :

Manque le début…

Partis disposent de ressources suffisantes pour faire campagne. Car issus des grandes classes
sociales. Période début IIIe République. Ploutocratie.
Fonds = espoir d’être élu.
Pas nécessité d’institutionnaliser. Des machines électorales certes, mais plutôt coller affiches
etc.

2e période, s’engage avec l’affaire Dreyfus


Fin XIX  6 février 1934. = Age d’or des partis politiques.

Deux opportunités qui expliquent le développement des partis politiques.

1. Stabilisation institutionnelle & politique.


A l’inverse de la période précédente  Dreyfus réintégré.
Fin XIX et le tout début XXe  ralliement des catholiques aux institutions
1890 : discours de Monseigneur Lavigerie, évêque d’Alger. Engage les catholiques à accepter
le régime. Feront le deuil de la monarchie. Leur intérêt est d’intégrer les institutions
parlementaires de la IIIe République & la forme républicaine du régime.
60% de la population pratique à l’époque.

Routinisation de la vie parlementaire et atténuation des « guerres franco-françaises ».


Consensus autour des institutions politiques. Précaire certes.
Ex de l’Union sacrée quand la guerre arrive.
Cette stabilité va contribuer à développe les partis.

2. La loi de 1901
Etablit le statut des associations. Votée pour donner statut juridique aux congrégations
religieuses. Met fin à l’anomalie française de l’absence de statut pour les structures
associatives.
 Nouveau statut pour les associations religieuses & les partis politiques.
Des que la loi est votée, les partis demandent ce statut.

Cette consécration juridique est encore incomplète. Ne sera complète qu’avec la Constitution
1958.
Article 4 première C française à reconnaître le rôle des partis politiques. Reconnaissance
constitutionnelle.

Deux grands moments dans l’histoire des partis politiques : 1901 & C de 1958.

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