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Synthèse: Syndromes Paranéoplasiques À Expression Rénale Et Atteintes Rénales Des Cancers
Synthèse: Syndromes Paranéoplasiques À Expression Rénale Et Atteintes Rénales Des Cancers
General review
Volume 99 • N◦ 3 • mars 2012
©
John Libbey Eurotext
Syndromes paranéoplasiques à
expression rénale et atteintes rénales
des cancers
Renal involvement in cancer and renal paraneoplastic syndromes
Juliette Thariat1 , Benoit Vendrely2 , Sophie Roca2 , Alain Ravaud3 , Jacques-Olivier Bay4 , Alexis Lacout5 ,
Pierre-Yves Marcy1 , Antoine Thyss1 , Jean-François Besancenot6
1 Université Nice - Sophia-Antipolis, centre Antoine-Lacassagne, département de radio-oncologie, IBDC CNRS
UMR 6543, 33, avenue Valombrose, 06189 Nice Cedex 2, France
<jthariat@hotmail.com>
2 Groupe hospitalier Pellegrin, département de néphrologie, 33076 Bordeaux Cedex, France
3 CHU de Bordeaux, département d’oncologie médicale, 33076 Bordeaux, France
4 Cellular Therapy and Clinic Hematology Unit, Hôtel-Dieu, 63000 Clermont-Ferrand, France
Article reçu le 3 septembre
5 Centre d’imagerie, 15000 Aurillac, France
2011,
6 Department of Internal Medicine and Systemic Diseases, General Hospital, University Hospital, 3, rue
accepté le 17 septembre 2011
Tirés à part : J. Thariat Faubourg-Raines, 21000 Dijon Cedex, France
Pour citer cet article : Thariat J, Vendrely B, Roca S, Ravaud A, Bay JO, Lacout A, Marcy PY, Thyss A, Besancenot JF.
Syndromes paranéoplasiques à expression rénale et atteintes rénales des cancers. Bull Cancer 2012 ; 99 : 263-75.
doi : 10.1684/bdc.2011.1491.
Mots clés : cancer, rein, syndrome paranéoplasique, glomé- Key words: cancer, renal, paraneoplastic syndrome, glome-
doi : 10.1684/bdc.2011.1491
Glomérulonéphrite membranoproliférative
Néphropathie à IgA
Tubulopathies Myélomes ++
Syndrome hémolytique et urémique
Microangiopathie SHU Adénocarcinomes gastriques, mammaires et pulmonaires
thrombotique (mucosécrétants ++)
Purpura thrombotique
thrombocytopénique PTT Cancers du sein, de la prostate, du poumon, myélomes,
lymphomes
Hypercalcémie
Lymphomes, leucémies, thymomes, neuroblastomes
thymiques et olfactifs, sarcomes d’Ewing, mésothéliomes,
Troubles Hypernatrémie, hypokaliémie, tératomes ovariens immatures, mélanomes
hydroélectrolytiques hyperkaliémie, hyperuricémie ...
CPC, cancers ORL, du sein, de la prostate…
SIADH
CPC, cancers anaplasiques, thymomes, cancers du
pancréas, de l’estomac, de l’ovaire
Hypercorticisme paranéoplasique Hépatocarcinomes, poumon, ovaire, colon, pancréas,
corticosurrénalome, tératome, hémangiopéricytome
Hyperréninisme orbitaire, adénocarcinome de la trompe de Fallope
Figure 1. Schématisation des principaux syndromes et pathologies qui leur sont le plus fréquemment associées. LLC : leucémie
lymphoïde chronique ; CHC : carcinome hépatocellulaire ; LMC : leucémie myéloïde chronique; SHU : syndrome hémolytique et urémique ;
PTT : purpura thrombotique thrombocytopénique ; SIADH : syndrome inapproprié d’hormone anti-diurétique.
séries cliniques et autopsiques. D’autres ont ensuite histologiques se manifestent le plus souvent par un syn-
confirmé la forte prévalence des glomérulonéphrites drome néphrotique.
extramembraneuses chez des patients atteints de car- Le diagnostic de glomérulopathie paranéoplasique
cinome ou d’hémopathie. L’incidence annuelle des repose théoriquement sur une rémission après exé-
glomérulonéphrites extramembraneuses (les gloméru- rèse de la tumeur primitive ou une réponse complète
lopathies les plus fréquentes) après 60 ans est de 2,8 à la chimiothérapie mais certains cancers étant non
pour 100 000 dans la population générale vs plus de curables la relation ne peut pas toujours être vérifiée.
1 000 pour 100 000 en cas de carcinome. Ces chiffres De plus, une preuve histologique n’est pas toujours pos-
relativement anciens sont à pondérer, car le diagnos- sible si la biopsie n’est pas indiquée. En dernier ressort,
tic des cancers est de plus en plus précoce et les une rechute rénale doit théoriquement accompagner
formes avancées au diagnostic sont plus rares. D’autres une récidive du cancer, or les évolutions du cancer et de
types de lésions glomérulaires ont ensuite été décrits la glomérulopathie peuvent être indépendantes. Enfin,
comme la glomérulonéphrite à lésions glomérulaires un lien physiopathologique devrait être établi entre les
minimes (LGM), la néphropathie à IgA, l’amylose, la deux maladies avec mise en évidence de complexes
glomérulonéphrite extracapillaire ou la gloméruloné- immuns, par exemple, ce qui est exceptionnel. Les cri-
phrite membranoproliférative. Ces différentes atteintes tères de causalité sont donc difficiles à définir [8].
Tableau 1. Néphropathies paranéoplasiques dans des tumeurs solides (adapté de Bacchetta et al. [7]). Distribution en nombre de
patients des atteintes rénales en fonction du type de tumeur solide.
ORL : oto-rhino-laryngologique = carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou ; CPC : carcinome pulmonaire à petites cellules ; CBNPC : carcinome
bronchopulmonaire non à petites cellules.
ou du pharynx) si son âge est supérieur à 60 ans. Un d’autant plus quand une immunoglobuline monoclo-
syndrome néphrotique lié à une glomérulonéphrite à nale est identifiée. Les atteintes rénales sont surtout
LGM chez l’adulte doit faire évoquer un syndrome observées dans les syndromes lymphoprolifératifs et,
paranéoplasique et faire rechercher en premier lieu un en particulier, le myélome. Les atteintes glomérulaires
lymphome, mais il peut aussi être associé à des tumeurs sont liées à des dépôts dans la matrice extracellulaire du
digestives ou pulmonaires. mésangium et/ou dans l’interstitium. Le spectre de leurs
La prévalence des cancers, y compris les hématopathies manifestations est large. Ces glomérulopathies se mani-
malignes, dans des situations de glomérulonéphrite festent par une amylose AL dans l’amylose primitive, le
rapidement progressive (glomérulonéphrite extracapil- myélome, la maladie de Waldenström, les lymphomes
laire) est estimée à environ 8 %. Le spectre des lésions malins non hodgkiniens et la leucémie lymphoïde chro-
est variable et peut s’associer à une vascularite à nique (LLC). Il s’agit plus volontiers d’une amylose AA
ANCA (anticorps anticytoplasme des polynucléaires dans le lymphome hodgkinien, certains lymphomes
neutrophiles) [11]. Les glomérulonéphrites membrano- malins non hodgkiniens (le plus souvent de phéno-
prolifératives peuvent être observées en cas de cancers type B) et la maladie de Castleman. Dès lors qu’il existe
tels que tumeurs de Wilms et mélanomes, mais celles-ci une sécrétion d’immunoglobulines monoclonales,
sont plus fréquemment associées à des hématopa- des glomérulopathies par dépôts d’immunoglobulines
thies [12]. Ces atteintes histologiques se manifestent peuvent être observées dans toutes les lymphoproli-
généralement par une insuffisance rénale rapidement férations malignes tels que le myélome multiple, la
progressive associée à une protéinurie et à une héma- maladie de Waldenström et la LLC. Le lymphome hodg-
turie. Environ 3 % des cancers rénaux s’associent à une kinien, les lymphomes malins non hodgkiniens et la
amylose AA [13], responsable d’une atteinte rénale. De LLC peuvent aussi être associés à un syndrome néphro-
tous les cancers associés à une amylose, les cancers du tique avec des LGM ou à une hyalinose segmentaire
rein représentent 25 à 33 %, alors que cette tumeur et focale. Une glomérulonéphrite extramembraneuse
représente 3 % des carcinomes. peut être observée dans le lymphome hodgkinien, la
La physiopathologie de ces glomérulonéphrites para- maladie de Waldenström, les lymphomes malins non
néoplasiques reste discutée. Par analogie avec les hodgkiniens et la LLC. Une glomérulonéphrite extraca-
glomérulonéphrites idiopathiques, on peut penser que pillaire peut accompagner ou révéler un myélome, une
les antigènes tumoraux et leurs anticorps forment des maladie de Waldenström, un lymphome hodgkinien,
complexes immuns qui se déposent dans les reins, ou un lymphome non hodgkinien ou encore une LLC.
encore que les antigènes tumoraux ont une affinité Une glomérulonéphrite membranoproliférative peut,
avec la membrane basale du capillaire glomérulaire de plus, être observée dans le cadre d’une maladie de
et participent à la formation in situ des complexes Castleman.
immuns. Dans quelques observations, des antigènes, L’association entre un lymphome hodgkinien et un
avec leurs anticorps spécifiques, ont pu être identi- syndrome néphrotique est la plus connue malgré une
fiés : antigène carcino-embryonnaire (ACE), antigène prévalence de seulement 0,4 % pour une forme de
spécifique prostatique (PSA). Mais le rôle exact de ces glomérulopathie à LGM et 0,1 % pour l’amylose sur
antigènes tumoraux reste à démontrer. Il a été suggéré plus de 1 700 cas [14]. L’amylose semble associée à
que les perturbations immunologiques liées au cancer, un stade tardif et tend à disparaître avec des diagnos-
c’est-à-dire leur capacité à produire des anticorps vis- tics de plus en plus précoces. L’existence d’un myélome
à-vis d’antigènes endogènes ou exogènes, faciliteraient multiple impliquant une chaîne légère monoclonale de
la survenue de ces différents types de lésions gloméru- type lambda doit toujours faire rechercher une atteinte
laires à complexes immuns. rénale sous-jacente, car il s’agit souvent d’un myélome
multiple associé à une amylose AL.
Les glomérulonéphrites membranoprolifératives et
Glomérulopathies paranéoplasiques liées aux glomérulonéphrites extramembraneuses sont les glo-
hémopathies mérulopathies les plus fréquentes dans le cadre des
La nature paranéoplasique de ces lésions rénales est LLC et lymphomes B. Elles révèlent souvent une LLC ou
plus facile à déterminer, notamment en raison du sont synchrones du cancer dans 50 % des cas. Un syn-
meilleur taux de curabilité des hémopathies, et ce drome néphrotique est présent chez 85 % des patients
et une insuffisance rénale chez 33 %. Ces gloméru- poumon, le myélome et les lymphomes sont fréquem-
lopathies sont parfois réversibles avec le traitement ment impliqués dans ce type de processus métastatique
spécifique de la maladie causale. Une dysprotidémie osseux avec ostéolyse ;
en rapport avec une cryoglobuline est détectée chez la – l’hypercalcémie humorale maligne est due à une
moitié des patients dans la moitié des cas. Les atteintes sécrétion tumorale de facteur hypercalcémiant, PTHrP
rénales par glomérulonéphrite membranoproliférative essentiellement. Ce peptide, en stimulant le récep-
sont liées à une cryoglobulinémie ou à des dépôts teur PTH-1 au niveau osseux et rénal, entraîne une
d’immunoglobuline monoclonale. Lorsqu’un compo- résorption osseuse diffuse, une hypophosphorémie
sant monoclonal est présent, le lien entre la pathologie avec diminution de la réabsorption tubulaire du phos-
rénale et l’hémopathie est relativement aisé ; il y a, phore et une augmentation de la réabsorption tubulaire
cependant, des exceptions comme la glomérulopathie du calcium. Les tumeurs le plus souvent en cause sont
du syndrome de POEMS (acronyme pour polyneu- les carcinomes à cellules squameuses, les carcinomes
ropathie, organomégalie, endocrinopathie, protéine du rein, de l’ovaire, de l’endomètre et du sein et les
monoclonale et signes cutanés, aussi appelé syndrome lymphomes HTLV-1 ;
de Crow-Fukase). – l’hyperparathyroïdisme ectopique correspond à la
Les lymphomes malins non hodgkiniens peuvent pré- production de PTH-1-84 par une tumeur non parathy-
senter divers types d’atteintes glomérulaires. Contraire- roïdienne. Ce tableau rare est décrit dans le cadre de
ment au lymphome hodgkinien, les glomérulopathies tumeurs neuroendocrines, de l’ovaire, du poumon, de
les plus fréquentes sont les glomérulonéphrites la thyroïde, de leucémies et de thymomes ;
membranoprolifératives et les glomérulonéphrites rapi- Cette hypercalcémie peut se manifester de manière
dement progressives. Compte tenu de la variété des variable, mais la sévérité du tableau, notamment neu-
lésions rénales, il peut être difficile de démontrer que rologique, est en général proportionnelle à son taux,
l’association des deux pathologies n’est pas fortuite. qui doit être corrigé en fonction de l’albuminémie.
Le spectre des glomérulopathies paranéoplasiques Les signes généraux sont fréquents : fatigue, ano-
est large. Les glomérulopathies paranéoplasiques des rexie, amaigrissement, constipation, déshydratation.
hémopathies régressent parfois avec le traitement de Les complications rénales les plus fréquentes sont
la maladie causale. Inversement, les glomérulopathies le diabète insipide néphrogénique avec syndrome
des carcinomes sont encore mal comprises et moins polyuropolydipsique et l’insuffisance rénale aiguë ou
souvent réversibles. chronique. On peut observer une néphrocalcinose,
une lithiase calcique par hypercalciurie. Les manifesta-
tions gastro-intestinales de l’hypercalcémie (anorexie,
Hypercalcémie nausées, vomissements) peuvent contribuer à la déshy-
Une hypercalcémie complique beaucoup de cancers, dratation et aux désordres hydroélectrolytiques.
surtout à un stade avancé, puisque, selon le type
de tumeur, elle pourrait concerner 10 à 30 % des
patients. Les mécanismes impliqués sont une augmen- Syndrome de sécrétion inappropriée
tation de la libération de calcium d’origine osseuse, une d’hormone antidiurétique (SIADH)
diminution de l’excrétion tubulaire de calcium et/ou Décrit par Schwartz et Bartter, le SIADH a des origines
une augmentation de l’absorption calcique intestinale très diverses : pulmonaires, neurologiques, endocri-
[9, 15]. niennes, médicamenteuses. Néanmoins, les affections
On distingue, ainsi, plusieurs entités physiopatholo- malignes en représentent la principale étiologie, par
giques : sécrétion tumorale ectopique de l’hormone active ou
– l’hypercalcémie ostéolytique locale est liée à de sa prohormone. Les cancers le plus souvent en
une activation ostéoclastique et à une destruction cause sont les carcinomes pulmonaires à petites cel-
osseuse sous l’effet de divers facteurs produits par la lules (15 % des cas), les cancers de la tête et du cou, du
tumeur : lymphotoxine, IL-1, IL-6, PTHrP, hepatocyte sein, du pancréas, de l’estomac, de vessie-uretère, de
growth factor (HGF), macrophage inflammatory pro- la prostate, et du duodénum. Des SIADH ont été égale-
tein (MIP1␣) et receptor activator of nuclear factor- B ment rapportés au cours d’autres néoplasies variées :
ligand (RANKL). Les cancers du sein, de la prostate, du lymphomes, leucémies, thymomes, neuroblastomes
Fibrose rétropéritonéale
Hypernatrémies
La fibrose rétropéritonéale est définie par l’existence
Une polyurie, par une lésion centrale primitive ou
d’un manchon fibreux périaortique parfois associé à
secondaire (cancer du poumon, leucémie, lymphome)
une inflammation chronique qui engaine les struc-
intéressant l’axe hypothalamus-hypophyse avec dia-
tures vasculaires (veine cave inférieure, aorte et leurs
bète insipide central, soit à une hypercalcémie, peut
branches) et les uretères, et qui peut conduire à une
conduire à un diabète insipide néphrogénique avec
obstruction des voies urinaires responsable d’une alté-
résistance à l’ADH.
ration progressive de la fonction rénale (figure 2) [18].
Son incidence est estimée à 1/200 000 individus et sur
Hypokaliémie des séries autopsiques à un cas pour 10 000 patients.
Une hypokaliémie est possible par pertes diges- Elle a un début insidieux, avec des symptômes aspéci-
tives en cas de tumeurs coliques, pancréatiques et fiques, et peut être irréversible si le diagnostic n’est pas
d’urétérosigmoïdostomie, pertes rénales par hypercor- précocement posé et le traitement rapidement débuté.
ticisme paranéoplasique, syndrome de Fanconi lié à un L’atteinte radiologique est variable. Une insuffisance
myélome, un cancer viscéral, une lysozymurie en cas rénale avancée (créatininémie > 300 mol/L) se ren-
de leucémie aiguë myéloblastique. contre dans plus de 50 % des cas au diagnostic [19]. Les
fréquemment présentes dans les lumières capillaires Elle se manifeste par une protéinurie souvent néphro-
glomérulaires ou artériolaires, indiquant la résorption tique composée majoritairement d’albumine associée
de thromboses anciennes, en faveur d’une évolu- ou non à une insuffisance rénale. Les dépôts fibril-
tion chronique de la MAT. In vitro, la mitomycine laires de chaînes légères sont positifs en rouge Congo
diminue la synthèse de la prostacycline des cellules sur la biopsie rénale. Dans la néphropathie gloméru-
endothéliales en culture, favorisant ainsi l’agrégation laire à dépôts d’immunoglobulines monoclonale, les
plaquettaire et la formation de thrombose. Les lésions dépôts de chaînes légères ou de chaînes lourdes au
et les signes sont rarement réversibles. En dehors d’un niveau glomérulaire sont non fibrillaires et négatifs
traitement symptomatique, quelques observations de en rouge Congo. Le diagnostic est suspecté devant
réponse à des échanges plasmatiques ont été rappor- une protéinurie composée essentiellement d’albumine
tées [20]. Des MAT en rapport avec un traitement par et est confirmé par la biopsie rénale. Les dépôts
thérapie ciblée (immunotoxines, anticorps monoclo- d’immunoglobulines et l’amylose AL ne régressent
naux, inhibiteurs de tyrosine-kinase) ont été également généralement pas sous traitement.
rapportées. Contrairement aux MAT induites par les chi- Une tubulopathie proximale se traduisant par une
miothérapies, une réversibilité partielle ou complète hypophosphatémie, une acidose tubulaire, une hypo-
des lésions et des signes cliniques dans les MAT para- kaliémie, une glycosurie à glycémie normale, une
néoplasiques est relativement fréquente, suggérant des aminoacidurie, une hypo-uricémie (syndrome de
mécanismes physiopathogéniques différents [21]. Fanconi) et/ou une insuffisance rénale lentement pro-
gressive peuvent être observées dans le myélome mais
Atteintes rénales au cours du myélome aussi dans les lymphomes et la maladie de Waldens-
Le myélome est la pathologie cancéreuse la plus tröm.
pourvoyeuse d’atteintes rénales. L’insuffisance rénale
survient chez près de la moitié des patients au cours de Atteintes rénales directes des pathologies
l’évolution de la maladie. Elle est liée le plus souvent néoplasiques
à la précipitation de cylindres formés par l’interaction Infiltration néoplasique du parenchyme rénal
des chaînes légères monoclonales dans la lumière
Au cours des leucémies aiguës, lymphomes de haut
du tubule distal avec la protéine de Tamm-Horsfall
grade, de la maladie de Waldenström, de la LLC, de la
(néphropathie à cylindres myélomateux [NCM]). Elle
leucémie myéloïde chronique (LMC) et du syndrome
se manifeste alors par une insuffisance rénale aiguë
de Castleman, une infiltration spécifique du paren-
(nécessitant parfois une dialyse en urgence) associée
chyme rénal par les cellules malignes survient dans
à une protéinurie de chaînes légères (protéinurie de
environ 60 % des cas. Elle est nodulaire ou diffuse,
Bence-Jones). Le risque de NCM est maximal lorsque
uni- ou bilatérale. Elle est souvent asymptomatique,
la protéinurie de Bence-Jones dépasse 2 g/24 h et est
parfois à l’origine d’une protéinurie minime et elle peut
habituellement déclenchée par un certain nombre
entraîner une insuffisance rénale aiguë avec gros rein
de facteurs favorisants, tels que la déshydratation,
palpable. Le diagnostic est difficile du fait du grand
l’hypercalcémie, les infections, l’injection de produits
nombre de causes potentielles d’atteintes rénales au
de contraste iodés, ou l’administration de médicaments
cours des hémopathies malignes. L’échographie peut
potentiellement néphrotoxiques [22]. Le traitement
montrer une augmentation du volume des reins, avec
de la NCM repose sur des mesures symptomatiques
disparition de la différenciation corticomédullaire et
(réhydratation, correction d’une hypercalcémie, alca-
absence de dilatation des voies excrétrices. Le diagnos-
linisation des urines pour obtenir un pH urinaire
tic ne peut être affirmé que par la biopsie rénale, qui
supérieur à 7) et la mise en route rapide d’une chimio-
met en évidence l’infiltration diffuse et monomorphe
thérapie visant à réduire rapidement la production des
du tissu interstitiel par les cellules malignes.
chaînes légères monoclonales [23]. L’épuration rapide
des chaînes légères monoclonales, soit par plasmaphé-
rèses, soit à l’aide de membrane de dialyse de très Néphropathie par obstacle
haute perméabilité, semble être une voie thérapeutique L’obstruction des voies urinaires peut être due à un can-
intéressante au cours de la NCM [24]. L’amylose AL cer de la prostate ou de la vessie. L’obstruction urétérale
est une autre atteinte rénale fréquente du myélome. est particulièrement fréquente, due à une extension
locale des tumeurs du petit bassin, à une méta- des modalités de la prise en charge thérapeutique. Une
stase d’un cancer à distance (sein, côlon, poumon), à insuffisance rénale préexistante, une hypotension, une
une fibrose rétropéritonéale, à des adénopathies (lym- déshydratation et une oligurie constituent d’importants
phome malin). Le tableau clinique est celui d’une facteurs de risque.
néphropathie par obstacle et le diagnostic repose sur La lyse cellulaire entraîne la libération brutale dans
l’échographie, le scanner sans injection de produit de le sang de grandes quantités de diverses molécules,
contraste ou, éventuellement, l’opacification directe de et surtout d’acide urique produit par le catabolisme
la voie excrétrice. des acides nucléiques, de phosphore et de potassium,
avec comme conséquence une hyperkaliémie, une
Métastases intrarénales hyperuricémie, une hyperphosphorémie ainsi qu’une
hypocalcémie. L’hyperuricémie peut être responsable
Les métastases intrarénales des tumeurs solides non
d’une insuffisance rénale aiguë par nécrose tubu-
hématologiques représenteraient jusqu’à 7 % des cas
laire secondaire à la précipitation intratubulaire de
dans des séries autopsiques de patients décédés de
cristaux d’urate. L’hyperkaliémie peut entraîner des
cancers. Ces métastases sont surtout associées à des
troubles du rythme sévères, parfois létaux. Quant à
cancers du poumon et des mélanomes. Elles se déve-
l’hyperphosphorémie, elle peut être induire une hypo-
loppent à un stade tardif de l’évolution et restent
calcémie qui va se traduire par des manifestations
longtemps asymptomatiques. Elles peuvent être bila-
d’hyperexcitabilité neuromusculaire, des troubles du
térales. Des rares cas sont décrits de compressions
rythme, des convulsions. Elle peut être aussi à l’origine
vasculaires, soit de l’artère rénale avec HTA, soit
de dépôts de cristaux de phosphate de calcium dans
de la veine rénale avec thrombose. À noter qu’une
divers organes, en premier lieu dans les tubules rénaux,
thrombose de la veine rénale peut être également la
conduisant là aussi à une insuffisance rénale aiguë. En
complication d’un syndrome néphrotique sur GEM
outre, la lyse tumorale entraîne un relargage de diverses
paranéoplasique.
cytokines qui peuvent induire un syndrome de réponse
inflammatoire systémique et une défaillance multivis-
Le syndrome de lyse tumorale cérale.
Il s’agit d’une urgence oncologique causée par la La prévention du syndrome de lyse tumorale est
destruction massive de cellules néoplasiques. Cette essentielle. Chez les patients à haut risque, elle doit
complication métabolique se produit le plus sou- être débutée dans les 24 à 48 heures précédant la
vent lors du traitement chimiothérapique de certaines chimiothérapie, et comporte une hyperhydratation
hémopathies malignes : lymphomes de Burkitt, leucé- abondante par du sérum salé (2,5 à 3 L/m2 par jour),
mies aiguës lymphoblastiques, lymphomes malins non éventuellement associée à du furosémide. Parmi les
hodgkiniens de haut grade, etc. Le tableau s’installe hypo-uricémiants, la rasburicase est plus puissante que
alors habituellement entre un et cinq jours après le l’allopurinol et, contrairement à ce dernier, prévient
début du traitement [25]. Mais cet accident peut éga- l’accumulation de xanthine potentiellement néphro-
lement survenir spontanément, en l’absence de tout toxique. Elle est donc indispensable dans les situations
traitement cytotoxique. Il peut également survenir à à haut risque, a fortiori en cas de syndrome de lyse
la seule mise en place d’une corticothérapie. Dans tumorale avéré. L’alcalinisation des urines augmente
quelques cas particuliers, il peut également s’observer la solubilité de l’acide urique, mais diminue celle du
en cas de radiothérapie urgente (syndrome cave supé- phosphate de calcium, et doit donc être évitée, sur-
rieur, par exemple). Par ailleurs, un nombre croissant tout en cas d’hyperphosphorémie, en raison d’un risque
de syndrome de lyse tumorale a été rapporté au cours majoré de précipitation de cristaux de phosphate de
de cancers considérés jusque-là comme non exposés calcium. Enfin, il peut s’avérer nécessaire, chez des
à ce type de complication : cancer de l’endomètre ou patients à haut risque de syndrome de lyse tumorale,
encore carcinome hépatocellulaire, LLC, LMC. présentant en particulier un lymphome malin de haut
L’incidence et la sévérité du syndrome de lyse tumorale grade à un stade avancé ou de type Burkitt, de faire
dépendent de la masse tumorale, du potentiel lytique précéder la chimiothérapie intensive par une première
des cellules tumorales, des caractéristiques du patient et cure à faibles doses.
Conduite à tenir lors du bilan initial En cas d’hypercalcémie, un dosage de PTH et des déri-
vés de la vitamine D, voire de PTHrp seront réalisés. En
d’un cancer : recherche et
cas d’hypophosphorémie, il faut doser la phosphaturie
caractérisation d’une atteinte rénale des 24 heures pour évaluer le seuil de réabsorp-
tion tubulaire proximal du phosphore. Enfin, l’urée
Bilan initial biologique urinaire et l’ionogramme urinaire sont intéressants
Compte tenu de la fréquence des atteintes rénales (en pour distinguer l’origine organique ou fonctionnelle
particulier dans le myélome multiple) et des traitements des insuffisances rénales aiguës. Les autres examens
requis, le bilan initial des pathologies néoplasiques biologiques, comme la recherche d’une cryoglobu-
comporte au minimum un dosage de la créatinine linémie, sont demandés en fonction du contexte
plasmatique et l’évaluation du débit de filtration glo- clinique.
mérulaire par la formule de Cockcroft et Gault ou
la formule modification of the diet in renal disease Bilan rénal morphologique initial
(MDRD) [5].
L’échographie rénale et la tomodensitométrie abdomi-
Dans les hémopathies malignes, le bilan initial peut
nale distinguent les néphropathies parenchymateuses
également comprendre la recherche d’une protéinu-
rie sur échantillon et un examen cytologique urinaire.
Cette recherche est systématique en cas de syndrome
lymphoprolifératif. En cas de protéinurie sur échan- Dix points essentiels à retenir
tillon (> 0,2 g/L), un dosage de la protéinurie des 1. Les atteintes rénales au diagnostic de cancer sont
24 heures et sa caractérisation par électrophorèse sont fréquentes.
indiqués. Une protéinurie constituée majoritairement 2. Le spectre des atteintes rénales liées au cancer
d’albumine (> 60 %) oriente vers une atteinte glo- est large et comprend divers syndromes paranéo-
mérulaire. À l’inverse, la prédominance de protéines plasiques (dont le SIADH, l’hypercalcémie, la MAT,
etc.), mais aussi des atteintes spécifiques.
de bas poids moléculaire oriente vers une atteinte
3. Les hémopathies malignes sont particulièrement
tubulaire. Si la protéinurie des 24 heures est positive
pourvoyeuses d’atteintes rénales.
(> 0,3 g/j) avec un tracé de type monoclonal, une 4. Un syndrome paranéoplasique désigne des
immunofixation des urines est demandée pour recher- manifestations cliniques qui ne sont pas directement
cher une protéinurie de Bence-Jones et typer la chaîne liées à la masse tumorale, à son invasivité locale ni
légère libre. Un bilan complémentaire sérique est éga- aux métastases, mais sont dues à une sécrétion de
lement obligatoire avec notamment l’électrophorèse produits dérivés des cellules tumorales tels que des
des protéines, le dosage pondéral des immunoglo- hormones, des facteurs de croissance, des cytokines
et des antigènes tumoraux.
bulines et le dosage pondéral des chaînes légères.
5. Les glomérulopathies extramembraneuses repré-
Une protéinurie abondante composée majoritairement
sentent les glomérulopathies paranéoplasiques les
d’albumine (> 3 g/24 h) fait rechercher un syndrome plus fréquentes (deux tiers des glomérulopathies).
néphrotique (albuminémie < 30 g/L). L’examen cyto- 6. La glomérulopathie paranéoplasique disparaît
logique urinaire recherche une hématurie ou une théoriquement avec l’éradication de la tumeur cau-
leucocyturie. L’hématurie microscopique (supérieure sale.
à 10 hématies/mm3 ) s’observe surtout au cours des 7. Une atteinte rénale du myélome est constatée
glomérulopathies ou des néphrites interstitielles, la leu- dans la moitié des cas au cours de l’évolution.
8. Un bilan rénal biologique doit être réalisé au
cocyturie (supérieure à cinq leucocytes/mm3 ) au cours
diagnostic de cancer au sens large.
des néphropathies interstitielles aiguës ou chroniques.
9. Un syndrome de lyse tumorale peut survenir
L’ionogramme sanguin, la mesure de la réserve alca- spontanément.
line et l’ionogramme urinaire (kaliurèse, trou anionique 10. Une biopsie peut être indiquée en cas d’atteinte
urinaire) sont utiles au diagnostic d’atteinte tubulaire. rénale récente concomitante d’un cancer, en parti-
Compte tenu de la fréquence des troubles du méta- culier pour caractériser certaines atteintes tubulaires,
bolisme phosphocalcique au cours des hémopathies, interstitielles ou vasculaires, mais elle doit être dis-
cutée en fonction du type et du pronostic du cancer
un dosage de la calcémie et de la phosphorémie est
en fonction de ses implications sur la prise en charge.
recommandé.
Bull Cancer vol. 99 • N◦ 3 • mars 2012 273
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