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46 DOSSIER L ES POUVOIRS DE LA RESPIRATION

UN SOUFFLE
SI APAISANT…
Par Christophe André, médecin psychiatre.

N° 103 - Octobre 2018


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Régulation du stress, lutte


contre lʼinsomnie, contrôle
des émotions et de
lʼattention… Savoir bien
respirer apporte un véritable
avantage pour vivre mieux.
Alors, comment sʼy prendre ?

N ouveau-nés, nous entrons


dans la vie par une grande inspiration. Et nous
quittons l’existence en rendant notre dernier
souffle, dans une ultime expiration ; le terme
« expirer » est même, dans de nombreuses lan-
gues, un équivalent de « mourir ». Voilà pour-
quoi, depuis toujours, les humains associent le
souffle à la vie. Et à son corollaire, le bon fonc-
tionnement du corps et de l’esprit.
Dès le premier millénaire avant notre ère, le
taoïsme chinois et l’hindouisme insistent sur
l’importance d’un « fluide vital » irriguant notre
© Lisa Zador / Getty Images

corps, une sorte d’énergie ou de souffle intérieur,


dont la respiration serait une des manifestations.
Les Chinois nomment cette énergie Qi et les
Hindous Prana (c’est un des concepts clés du
yoga). Un peu plus tard à l’ouest, le pneuma des
Grecs renvoie, comme la rûah des Hébreux, aux

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Un SOUFFLE si apaisant…

deux dimensions du déplacement de l’air et de la EN BREF déclenchent souvent des crises de panique ; per-
présence divine ; c’est pourquoi, dans les langues manentes, elles induisent une inquiétude plus
latines, le terme spiritus est à l’origine à la fois du £ De plus en plus sourde. On estime ainsi que plus de 30 % des
d’études cliniques
terme esprit et du mot respiration. montrent que les personnes souffrant de maladies respiratoires
Très tôt apparaissent aussi des conseils pour techniques de respiration chroniques (bronchite et asthme, notamment)
moduler sa respiration et influencer le cours de sont efficaces contre présentent des troubles anxieux ou dépressifs.
sa santé et de sa spiritualité. Ainsi, le yoga l'anxiété et l’insomnie. Ceux-ci sont sans doute liés aux inquiétudes por-
Pranayama (terme signifiant « rétention du £ Ces techniques tant sur l’évolution de leur maladie (quoi de plus
souffle ») considère que c’est un moyen pour agissent à la fois angoissant que d’avoir du mal à respirer ?), mais
accroître sa longévité. Il s’agit de la première doc- sur des paramètres aussi à des facteurs purement mécaniques : la
trine théorisant l’intérêt du contrôle respiratoire, physiologiques, stimulant gêne qu’ils éprouvent les pousse souvent à aug-
environ sept siècles avant notre ère. le système nerveux dit menter leur rythme respiratoire, ce qui aggrave
« parasympathique »,
À l’époque moderne, le médecin allemand et sur des facteurs leur inconfort psychologique – sans forcément
Johannes Heinrich Schultz élabore le « training psychologiques, améliorer la qualité de leur oxygénation.
autogène ». Née dans les années 1920, cette mé- détournant l’attention
thode de relaxation, qui se fonde en partie sur des ruminations QUAND LA RESPIRATION SE DÉRÈGLE
mentales.
une respiration lente et profonde, est sans doute De façon générale, une respiration rapide
encore aujourd’hui la plus célèbre en Occident. £ Simples, sans engendre de nombreuses sensations de stress et
Dans sa codification contemporaine, la médita- danger, validées d’anxiété. Ce phénomène est d’ailleurs utilisé
tion de pleine conscience fait elle aussi la part par la science, en thérapie comportementale pour « entraîner »
belle aux exercices basés sur le souffle. elles gagneraient les patients anxieux à affronter leurs émotions
à être davantage
Pas une technique de relaxation, d’apaise- recommandées (voir l’encadré page 52). Il faciliterait aussi les
ment ou de méditation, donc, qui ne fasse appel et utilisées. crises de panique, à travers un redoutable cercle
au souffle : s’appuyer sur la respiration est sans vicieux : la peur provoque une accélération de
doute le plus petit dénominateur commun de la respiration, qui accroît la peur. En 2005,
toutes les approches de pacification du corps Georg Alpers et ses collègues de l’université de
comme de l’esprit. Stanford ont ainsi observé, chez les personnes
phobiques de la conduite, une hyperventilation
ESPRIT SOUS INFLUENCE
Que les émotions influencent le corps, nous le
savons tous. L’exemple le plus simple est peut-être
le sourire : quand nous sommes heureux, les coins
de notre bouche se soulèvent automatiquement et
les bords de nos yeux se plissent pour former cette La respiration est
l’énergie solaire
expression si caractéristique. De même, lorsque
nous sommes apaisés et en sécurité, au repos ou
engagés dans un échange social agréable, notre

du monde de la
respiration ralentit et s’approfondit ; nous sommes
alors sous l’influence de notre système nerveux
parasympathique, qui produit un effet relaxant.
À l’inverse, lorsque nous avons peur, lorsque nous
souffrons et sommes dans la tension et l’inconfort,
notre respiration devient plus rapide et superfi-
relaxation. C’est
cielle. C’est maintenant le système nerveux sym-
pathique, responsable des diverses réactions de un instrument
de régulation
l’organisme au stress, qui est activé.
Mais ce que l’on sait moins, c’est que l’influence
s’exerce aussi en sens inverse. De nombreux tra-
vaux attestent que lorsque nous faisons sourire
notre visage, cela rend notre cerveau un peu plus
heureux ; nous éprouvons alors davantage d’émo-
émotionnelle gratuit,
tions agréables. Et la respiration a également un
pouvoir tout particulier sur notre esprit. inépuisable, facile
d’utilisation.
Ce pouvoir est manifeste chez les patients
victimes de difficultés respiratoires, facteurs
d’anxiété. Ponctuelles et aiguës, ces difficultés

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importante et inconsciente lorsqu’elles sont au Le yoga et la méditation ralentir la respiration, à l’approfondir ou à la faci-
volant sur une autoroute (ce qu’elles détestent ont inspiré beaucoup des liter (nous avons vu à quel point une gêne était
exercices de respiration
car, en cas de malaise, il est compliqué de s’ar- utilisés aujourd’hui. pénalisante), mais aussi à se servir du souffle
rêter sur le bas-côté). Le yoga Pranayama, comme d’un point focal ou d’un métronome pour
né en Inde, a d’ailleurs
Heureusement, la respiration peut aussi avoir été le premier à théoriser distraire son attention des pensées négatives.
une influence bénéfique, comme l’ont constaté l’intérêt du contrôle
depuis longtemps les approches traditionnelles respiratoire, sept siècles CE QUI RELIE LE SOUFFLE À L’ESPRIT
avant notre ère.
orientales. Nous en avons hérité un ensemble de Ainsi, les mécanismes sont à la fois neurobio-
techniques visant à s’apaiser (voir l’encadré logiques et psychologiques. Une respiration lente
page 50). L’exercice « suivre le souffle » (dont le et profonde élève par exemple l’activité du système

365
principe est de focaliser son attention sur sa res- nerveux parasympathique, et notamment celle du
piration) est par exemple une des premières nerf vague, qui contrôle et mesure l’activité de
étapes de la méditation de pleine conscience, nombreux organes internes. Par conséquent, le
tandis que la technique consistant à respirer calme envahit l’organisme : le rythme cardiaque
alternativement avec une narine puis avec l’autre ralentit et se régularise, la pression sanguine dimi-
vient du yoga. L’association de pensées rassu- nue, les muscles se détendent… La partie senso-
rantes avec la respiration est quant à elle plutôt C’est le surnom d’une rielle du nerf vague transmet aussi ces informa-
utilisée en relaxation et en sophrologie. méthode couramment tions au cerveau, qui, à son tour, s’apaise.
préconisée par les
La compréhension de ce mécanisme a
thérapeutes pour contrer
DES TECHNIQUES VALIDÉES PAR LA SCIENCE l’accumulation du stress : entraîné le développement d’une version moderne
Globalement, les recherches montrent que ces au moins ➌ fois dans la des techniques de respiration lente, appelée
© Igor Chus / shutterstock.com

exercices abaissent l’anxiété, sans aller jusqu’à la journée, respirer ➏ fois « cohérence cardiaque ». Il s’agit d’inspirer pen-
faire disparaître totalement : mieux respirer par minute (5 secondes dant 5 secondes, puis d’expirer pendant le même
représente une aide, pas une panacée. Certaines par inspiration, 5 temps, soit 10 secondes par cycle respiratoire
techniques ont été validées par des études cli- secondes par expiration), complet. La dénomination insiste sur le fait que
niques, d’autres pas forcément en tant que telles, pendant ➎ minutes. Et cela stabilise les pulsations cardiaques, qui
mais toutes celles présentées ici appliquent des ce 365 jours par an ! exercent un effet puissant sur l’anxiété. Certains
principes à l’efficacité reconnue. Elles visent à patients ayant des problèmes cardiaques sont

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6 TECHNIQUES POUR DISSIPER LE STRESS


Voici quelques techniques de respiration couramment utilisées. Cinq à dix minutes dʼexercice peuvent soulager un stress
ponctuel, voire bloquer la montée dʼune crise de panique, tandis quʼune pratique plus régulière abaisse le niveau
dʼanxiété ressenti au quotidien.

Se tenir droit Respiration abdominale * Alterner les narines *


La posture est importante pour la De votre mieux, respirez « par le ventre » : Inspirez puis expirez lentement par une
respiration : tenez-vous droit, sans raideur, commencez par gonfler le ventre en seule narine, en vous bouchant l’autre
épaules ouvertes, assis ou debout. Cette inspirant, comme si on l’emplissait d’air, puis avec un doigt ; puis inversez, et continuez
attitude corporelle facilite le libre jeu des gonflez la poitrine ; à l’expiration, en alternant régulièrement. De
muscles respiratoires (intercostaux et commencez par « vider » votre ventre, puis nombreuses variantes existent, consistant
diaphragmatiques). S’il est dans une bonne votre poitrine. Ce type de respiration est plus par exemple à inspirer par une narine et à
position, votre corps s’occupera de bien facile à observer et expérimenter en position souffler par l’autre. Des recherches
respirer par lui-même. allongée, une main posée sur le ventre. récentes suggèrent que ce qui compte
vraiment, outre le ralentissement du
rythme respiratoire, c’est de respirer par le
Suivre le souffle * Paliers dans le cycle nez, car ce serait légèrement plus apaisant
Observez simplement les mouvements de respiratoire que de respirer par la bouche.
votre respiration : rendez-vous présent à À la fin de chaque inspiration, faites une
chaque inspiration, à chaque expiration. courte pause en comptant « 1,2,3 » dans
Centrez-vous sur les sensations associées votre tête, en retenant l’air avant d’expirer. Associer pensées
au passage de l’air dans le nez et la gorge L’exercice peut aussi être réalisé en fin rassurantes et respiration
ou aux mouvements de la poitrine et du d’expiration, ou entre chaque mouvement À chaque inspiration, associez des
ventre. Et quand votre esprit se laisse respiratoire (inspiration ou expiration). Il pensées apaisantes (« j’inspire le calme »).
entraîner par des pensées (ce qui est est souvent conseillé aux patients anxieux À chaque expiration, imaginez que vous
naturel), ramenez votre attention sur le pour calmer leurs pics d’inquiétude, car il expulsez vos soucis et inquiétudes
souffle. amène à un ralentissement bénéfique du (« j’expire le stress »).
rythme respiratoire. * technique validée par des études cliniques

d’ailleurs parfois diagnostiqués à tort comme vic- passer plus de temps sur l’expiration que sur l’ins- Biographie
times d’attaques de panique, car l’emballement piration (par exemple, 6 et 4 secondes). On sait
de leur cœur emballe aussi leur esprit. en effet que le rythme cardiaque accélère légère- Christophe André
Grâce à des dispositifs dits de biofeedback, on ment lorsqu’on inspire et ralentit quand on
peut observer sur un écran comment cette respi- expire ; allonger cette dernière phase exerce donc Psychiatre à l'hôpital
ration ample et régulière ralentit et stabilise les sans doute un effet apaisant sur le cœur et, par Sainte-Anne et pionnier
pulsations (l’écart entre deux battements car- là, sur le cerveau. Cela reste toutefois à confirmer de l'utilisation
diaques n’est jamais exactement le même, mais il par des études cliniques. thérapeutique de la
devient de plus en plus constant avec cette tech- Une série de découvertes récentes ont montré méditation en France. Il
nique). Plusieurs études ont confirmé l’intérêt que l’impact de la respiration calme sur nos émo- a largement contribué à
anxiolytique de ces dispositifs, même si l’appareil- tions ne passe pas seulement par la périphérie – le diffuser cette pratique,
lage informatique semble plus influer sur la moti- système nerveux parasympathique –, mais notamment à travers ses
ouvrages. Le dernier en
vation à s’engager dans les exercices (« ça fait emprunte aussi des voies plus centrales. Le souffle
date : La Vie intérieure
sérieux, concret ») que sur les mécanismes physio- agirait directement au sein même du cerveau ! (L'iconoclaste, 2018).
logiques eux-mêmes. Il est probable que l’on En effet, une respiration lente et profonde
obtiendrait des résultats identiques en appliquant semble conduire à une oxygénation plus impor-
simplement la respiration lente avec la même tante des neurones. Il s’ensuivrait de subtiles
conviction et la même rigueur. variations chimiques qui les rendraient moins
Précisons également que certaines variantes excitables, en particulier dans les zones céré-
de la cohérence cardiaque recommandent de brales de l’anxiété. En 2017, Mark Krasnow, de

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Par ailleurs, le fait de prêter attention à sa


respiration pousse la plupart des gens à la ralen-
tir et à l’approfondir – ce qui, on l’a vu, est apai-
sant. Enfin, pendant ce temps, on ne pense pas à
ses soucis, les ressources cognitives étant limi-
tées. Dans la méditation de pleine conscience, les
participants apprennent à voir à quels moments
leur attention s’écarte du souffle pour se laisser
aspirer par leurs préoccupations, et s’entraînent
à revenir régulièrement à leur respiration.
S’ensuit un effet anticogitation (chez tout un cha-
cun), voire antirumination (chez les anxieux et
les dépressifs, particulièrement sujets à ces pen-
sées négatives qui tournent en boucle).

LES MEILLEURS MOMENTS


POUR RESPIRER
Quels sont les meilleurs moments pour
appliquer ces techniques ? Tout d’abord,
lors d’un stress ponctuel, par exemple avant
un examen, une compétition sportive ou une
simple réunion au travail. En 2017, Ashwin
Kamath, de l’université Manipal, à Mangaluru, en
Inde, et ses collègues ont étudié le cas du trac
avant une prise de parole en public. Les partici-
pants, des étudiants en médecine, devaient effec-
tuer pendant 15 minutes un exercice de respira-
tion alternée par les narines, qui consistait à
inspirer lentement par une narine et à expirer par
l’autre, en se bouchant celle qui n’est pas utilisée
avec le doigt. Résultat : comparés aux membres
du groupe contrôle, les participants étaient légè-
rement moins stressés par la prise de parole.
Autre contexte où ces exercices sont préconi-
sés : l’insomnie. Une enquête récente menée par
la psychologue américaine Suzanne Bertisch a
l’université Stanford, et ses collègues ont égale- révélé que plus de 20 % des insomniaques améri-
ment montré chez la souris qu’un ensemble de cains les utilisent pour mieux dormir. Une habi-
neurones régulant les rythmes respiratoires (le tude judicieuse : en 2014, l’équipe de Cheryl Yang,
complexe de pré-Bötzinger, dans le tronc céré- de l’université nationale Yang-Ming, à Taïwan, a
bral) contrôle une partie de l’activité du locus montré que 20 minutes d’exercices de respiration
cœruleus, région impliquée dans l’attention, lente (6 cycles respiratoires par minute) avant
l’éveil et l’anxiété. Les techniques respiratoires d’aller se coucher améliorent significativement le
pourraient alors influencer cette zone des émo- sommeil. Ainsi, les participants insomniaques se
tions, via la modulation de l’activité du complexe sont endormis plus vite, avec des réveils en cours
de pré-Bötzinger. de nuit moins fréquents et moins longs. En
Outre le ralentissement de la respiration, moyenne, ils ont mis seulement 10 minutes pour
l’attention prêtée au souffle jouerait un rôle sombrer dans le sommeil, soit près de trois fois
important. Anselm Doll et ses collègues de l’uni- moins de temps que d’habitude. Outre l’apaise-
© Isaeva Anna / shutterstock.com

versité technique de Munich ont montré en 2016 ment de l’organisme provoqué par le système
que cette focalisation attentionnelle exerce un parasympathique, l’effet anticogitation de la foca-
effet pacificateur sur le stress et les émotions lisation sur le souffle serait en cause.
désagréables, en activant notamment le cortex Mais l’efficacité des techniques respiratoires
préfrontal dorsomédian, une zone cérébrale ne se limite pas aux stress ponctuels ou à la
régulatrice, et en atténuant l’activité des amyg- chambre à coucher : elles peuvent aussi soulager
dales, impliquées dans ces émotions. une anxiété chronique. Elles ont notamment fait

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Un SOUFFLE si apaisant…

la preuve de leur efficacité chez les victimes de


pathologies psychiatriques, comme une phobie,
une dépression ou un stress post-traumatique. RESPIRER
En 2015, la psychiatre Stefania Doria et ses collè-
gues de l’université de Milan ont ainsi proposé à
POUR PANIQUER !
69 patients souffrant de troubles anxieux ou
dépressifs un entraînement de 10 sessions de
2 heures, réparties sur 2 semaines. Cet entraîne-
ment comprenait un ensemble hétérogène de
S i une respiration lente apaise, une respiration trop rapide engendre
de nombreuses sensations de stress et d’anxiété. Ce phénomène
est utilisé en thérapie comportementale pour entraîner les patients anxieux
techniques respiratoires (respiration abdominale, à affronter « en vrai » leurs émotions. Par une hyperventilation délibérée,
accélération puis ralentissement du rythme, res- ils déclenchent artificiellement une angoisse désagréable, qu’ils s’habituent
piration alternée par les narines, etc.), associées à ressentir et apprennent à relativiser. Grâce à cette technique,
à quelques étirements de yoga. Les chercheurs ont ils peuvent aussi constater comment une mauvaise respiration
observé une diminution significative des symp- amplifie leur peur.
tômes à l’issue du protocole. Mieux : l’améliora-
tion se maintenait 2 et 6 mois plus tard, avec juste
une séance hebdomadaire de suivi et un peu de
pratique à domicile pendant cette période. de panique en raison d’une anxiété dite « intéro-
Les techniques respiratoires sont aussi utiles ceptive » (liée à la perception de signaux corpo-
chez tout un chacun, pour contrer l’accumulation rels). Dans ce cas, prêter attention à ses variables
de petites tensions corporelles associées au stress. physiologiques risque au contraire d’aggraver
Les thérapeutes préconisent de les appliquer régu- l’anxiété, parce qu’on y projette son inquiétude :
lièrement dans la journée, lors de moments de « C’est bizarre, en y prêtant attention, j’ai l’impres-
pause ou de transition entre deux activités : on sion que ma respiration n’est pas régulière ; est-ce
s’arrête alors pour ajuster sa posture et s’accorder que je ne suis pas en train de m’étouffer ? Que
quelques minutes de respiration tranquille. Ils m’arriverait-il si soudain je n’arrivais plus à respi-
parlent volontiers de « méthode 365 » : au moins rer ? » Chez ces personnes, les techniques respira-
3 fois par jour, respirer sur la base du rythme toires auront intérêt à être testées et apprises sous
6 cycles par minute (5 secondes pour inspirer, la supervision d’un thérapeute.
5 secondes pour expirer, et ainsi de suite), ceci En dehors de ces cas, au vu de la fréquence
pendant 5 minutes. Et le faire chaque jour, donc des moments d’inconfort émotionnel que nous
365 jours par an ! Certains travaux suggèrent affrontons au cours de nos journées et de leurs
même qu’au-delà de l’apaisement immédiat, la conséquences défavorables sur notre santé, nous Bibliographie
pratique régulière d’exercices de respiration nous ferions bien de prêter régulièrement attention à
rend globalement moins vulnérables au stress par notre manière de respirer. Offrons-nous donc, A. Doll, Mindful atten-
des mécanismes de neuroplasticité, c’est-à-dire en plusieurs fois par jour, de petites tranches de res- tion to breath regulates
modifiant durablement les circuits cérébraux (voir piration consciente et tranquille. Voilà en effet un emotions via increased
l’article « Comment la respiration synchronise le instrument de régulation émotionnelle gratuit, amygdala- prefrontal
cerveau », page 32). toujours accessible, inépuisable et d’utilisation cortex connectivity,
facile : la respiration est un peu l’énergie solaire NeuroImage, vol. 134,
À PRATIQUER (PRESQUE) du monde de la relaxation ! pp. 305-313, 2016.
SANS MODÉRATION Il est d’ailleurs étonnant qu’elle ne soit pas plus R. Jerath et al., Self-
Et puis, pourquoi cantonner ces techniques aux largement recommandée et utilisée. Mais peut- Regulation of breathing
émotions négatives ? Il est aussi intéressant de les être sa simplicité, son aspect trivial et banal sont- as a primary treatment
appliquer lors des moments agréables, afin de ils un frein à son usage quotidien ? Nous tendons for anxiety, Applied
prendre le temps d’apprécier et de mémoriser ces toujours à penser que face à des problèmes com- Psychophysiology and
Biofeedback, vol. 40,
derniers. Bref, on se pose et on respire pour se cal- plexes (traverser les turbulences d’une vie
pp. 107-115, 2015.
mer, mais également pour savourer… humaine), les solutions simples sont inopérantes.
La tradition et l’empirisme encouragent donc Ou à l’inverse, peut-être sommes-nous intimi- H. J. Tsai et al., Efficacy
of paced breathing for
à utiliser les approches de contrôle respiratoire, et dés par la dimension sacrée du souffle, par son
insomnia : Enhances
de plus en plus de données scientifiquement vali- lien à la vie et surtout à la mort, qu’évoque Victor vagal activity and
dées semblent indiquer qu’il s’agit d’une bonne Hugo dans ce passage de L’Homme qui rit : « Les improves sleep qua-
idée – même si les recherches restent à approfon- générations sont des haleines qui passent. lity, Psychophysiology,
dir, notamment car dans certaines études, il L’homme respire, aspire et expire. » Finalement, vol. 52, pp. 288-
manque une comparaison avec un groupe contrôle. nous préférons bien souvent oublier que nous ne 396, 2014.
Seule contre-indication : si l’on souffre d’attaques sommes que « des haleines qui passent »… £

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