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Youssef HINDI

OCCIDENT
et
ISLAM
Tome I

Sources et genèse m essianiques du sionisme


De l’Europe médiévale au Choc des civilisations

SIGEST
Préambule

En ces temps de troubles et de confusion, de guerres et de rumeurs


de guerres, nous sommes les spectateurs consternés et impuissants
de conflits présentés sous les dehors de ce qui serait en principe
un « Grand Choc » des cultures et des civilisations. Il est alors, de
notre point de vue, impératif et urgent de dissiper les brumes et
les brouillards que diffusent abondamment les idéologues et leurs
dupes, les médias et les dirigeants politiques. Soit tous ceux qui
s’emploient à épaissir la nuit de l’esprit dans le seul but de faire
accepter aux peuples l’idée délétère d’un inéluctable conflit de
civilisations. Un concept dont la seule raison d’être est de servir
de toile de fond pour justifier des interventions qui sont autant
de violations de la légalité internationale et masquer le fait qu’il
s’agit d’authentiques guerres d’agression. Hier étaient visés des
Etats soi-disant voyous, essentiellement arabes et musulmans, au­
jourd’hui, selon la doctrine récemment officialisée, ce sont les Etats
“révisionnistes” qui font l’objet de toutes les attentions bellicistes
du Pentagone, qualificatif qui s’applique aux États souverainistes
non totalement alignés sur l’Occident et ses dérives. Ces pays sont
nommément désignés : la Russie, la Chine et l’Iran.

Car la pseudo théorie du Choc des civilisations ne concerne pas


exclusivement le monde islamique dans son ensemble, mais toute
nation de tous continents s’opposant aux velléités d’hégémonie
globale des oligarchies judéo-protestantes. Pour preuve sont
encore exclus des listes néoconservatrices de damnation les
pétromonarchies wahhabites alliées des États-Unis et d’Israël.
Tous les pays ainsi catalogués comme “ennemis” sont ou seront

5
diabolisés à outrance par la surpuissante machinerie médiatique
occidentale. L a C hine libérale communiste et la Russie du
président Poutine - un E ta t qui s’est redressé après soixante-
dix ans de cauchem ar collectiviste, en renouant avec ses racines
chrétiennes1 - sont venus grossir les rangs des maudits aux côtés
de l’islam, sim plem ent parce que ces deux grandes puissances font
potentiellem ent obstacle à l’expansion sans limites de l’emprise
nord-am éricaine. O r cette agressive politique d’encerclement
- endiguement - conduite contre la C hine et la Russie par les
É tats-U nis et ses alliés2 dans ce bras armé qu’est l’Organisation
du Traité de l’A tlantique Nord pourrait bien être l’ombre d’une
guerre mondiale à venir.

Israël, de son côté, joue un jeu plus subtil vis-à-vis de la


Russie, ne serait-ce qu’en raison de la très forte minorité de
russophones, juifs et non-juifs, présente sur son sol. Ce pourquoi
l’É tat hébreu, habile à jouer sur les deux tableaux, ne mène pas
de politique ouvertement hostile à l’égard de M oscou, tout en
fom entant par ailleurs des conflits e t des actions hostiles —par
l’instrum entalisation de W ashington et des membres européens
de l’O tan - contre les alliés de la Russie au Proche-O rient ou au
Caucase... tout en s’e mployant à séduire et convaincre la Russie
afin quelle se détourne de ses alliés régionaux tels l'Iran ou la
Syrie3.

1 Pour une analyse sur le rûle de la Russie sous les angles historique, anthro­
pologique et géopolitique, lire l ’artielc La Russie, l'Europe et l'O rient, par
Youssef Hindi, in Eurape&Orient, ù paraître en dcc 2015.
2 Voir le livre d 'un des principaux géostratiges am éricains : Zbigniew Brze-
zinskl, l.e k rum l échiquier, 1997-2002.
3 Sur cette stratégie de séduction israélienne en direction de la Russie via l ’A ra­
bie Saoudite, voir : Youssef Hindi, op. cit. ; lire aussi sur le site de G eopolin-
tel.fr : /. 'Iran tombera avec ou sans g u e r n , 03/10/2013.

6
Compte tenu de ce contexte géopolitique, il faut souligner
l’aveuglement, la duplicité ou la perversité intellectuelle de la
plupart des analystes, géopolitologues et responsables politiques
occidentaux parmi ceux qui prônent la confrontation armée avec
le monde musulman4. A contrario s’élèvent parmi ceux-ci un
certain nombre de voix qui plaident pour une normalisation avec
la Russie. Il est vrai que l’on ne peut, en permanence, diaboliser
sur tous les fronts à la fois. Qu’en outre le prix de ces politiques
de containment pèse lourd et se fait rapidement sentir. C ’est ainsi
qu’en raison de considérations de pragmatisme géopolitique
une personnalité comme Henri Kissinger5 ou quelques chefs de
gouvernements et ministres européens, ces derniers poussés par la
nécessité économique et la crise du monde agricole, commencent
à renâcler et veulent maintenant reprendre un économiquement
fructueux dialogue avec la Russie... Même si celle-ci ne renonce
pas à ses alliances et à ses partenariats avec l’Iran et la Syrie,

4 Idée tout à fait abstraite en géopolitique, car le monde musulman est divisé
en États et en groupes ethnoconfessionnels très divers, s'étendant sur une
aire géographique allant du Maroc à l’Asie du sud-est. Au demeurant aucun
stratège ne peut désigner un ennemi sans être précis quant à son identifica­
tion. Par cette désignation abstraite de l’ennemi, l’on prépare ainsi l’opinion
publique à des guerres sans limites spatiales ni temporelles, cela contre un
vaste ensemble de pays en fonction des circonstances et des besoins géos­
tratégiques, des nations n’avant que pour seul point commun l’ islam. L’is­
lam désigné à ce titre comme l’ennemi principal. Ce pourquoi l’islam doit
être impérativement diabolisé aux yeux des opinions publiques occidentales.
Nous verrons pourquoi.
5 Henry Kissinger - un très influent géostratège judéo-américain - tente depuis
plusieurs années un rapprochement de la Russie et des États-Unis, en contre­
partie d’ un découplage de Moscou d’avec Téhéran. Le 11 mai 2014, sur CNN,
Kissinger déclarait qu’il ne fallait pas isoler la Russie, parce « qu ’il est dans
l'intérêt de tous qu'elle soit maintenue dans le système international ». En
2008, Kissinger, grand stratège, avait de la même façon publiquement tendu
la main à la Russie... sur le dos de l’Iran qu’il désignait comme « un danger
pour le monde environnant », c’est-à-dire pour Israël représentant la totalité
du monde environnant.

7
réputés infréquentables et désigné par les israélo-américains
comme étant des soutiens du “terrorisme international”.

N otons que dans les faits la guerre officielle contre le terrorisme


se déroule essentiellem ent sur le territoire de pays au préalable
ciblés par les É tats-U nis et Israël : Syrie, Irak, Libye, Yémen. Dans
les faits, cette lutte anti-terroriste contre l’É tat dit islamique,
Daech, al-Q aïda alias al-Nosra, occulte l’appui, les soutiens
logistiques et financiers de ces mêmes États coalisés apportent,
directem ent ou indirectement, aux fanatiques des organisations
d ’obédience w ahhabite. À titre d’exemple rappelons que Tel-
Aviv, à l’o ccasion d ’incidents sanglants avec des populations
druzes du Golan, a reconnu - à mots couverts - avoir soigné
quelque seize-cents com battants d ’al-Nosra dans ses hôpitaux.

C ’est donc, entre autres, dans cette perspective géopolitique, tracée id


à grands traits, que le présent ouvrage doit être abordé.

Ce premier tome s’intéresse dans une perspective historique


aux origines et aux sources —jusqu’ici totalem ent méconnues
- messianiques du sionisme en tant que vecteur et précurseur
de la stratégie du C hoc des civilisations, pseudo théorie
matrice idéologique des guerres en cours et à venir, civiles
ou internationales, sous couvert de lutte contre ce que les
occidentalistes appellent « l’islamisme radical », cet ennemi utile
qui a succédé au péril rouge.

La stratégie du Choc des civilisations —et sa mise en pratique —


instrumentalisedes représentations fabuleuses et mythiques tissées
en Occident autour de 1islam tout au long des quatorze derniers
siècles. Un islam fantasmé largement évoqué dans le tome II,
opposé à un Occident que les modernes idéologues inscrivent
dans une prétendue “civilisationjudéo-chrétienne", autre mythe que
nous déconstruisons par ailleurs dans les pages qui suivent.

L’objectif multiséculaire et implicite de cette stratégie subver­


sive du Choc des civilisations consiste à opposer un Occident
judéo-chrétien mythifié à un monde musulman diabolisé et pré­
senté comme fanatisé. Or cet affrontement ne peut être compris
que dans et à travers une vision historique de longue durée, théo­
logique, exégétique, messianique et finalement eschatologique.

Dans le second tome, nous suivrons une tout autre démarche en


montrant que préexiste au cœur des événements géopolitiques
qui nous affectent aujourd’hui une dimension cachée, soit
une architecture globale d’une cohérence frappante, dont les
fondations sont à la fois idéologiques et religieuses.

Nous démontrerons que ce sont les idées qui dirigent les hommes,
ce sont leurs croyances, leurs préjugés qui orientent la marche du
monde et non telle ou telle force matérielle comme le croyaient
les prophètes du matérialisme triomphant et d’un monde de
hideuses idoles, fauteurs de toutes les guerres et de tous les
fanatismes sournois et de tous les totalitarismes contemporains.

Youssef Hindi
CH APITRE-I

Sources et genèse du sionisme, de la


stratégie du Choc des civilisations et
du mythe du judéo-christianisme

Dans ce chapitre nous suivrons à la trace les idées et les hommes


qui sont à l’origine du sionisme et de la stratégie du Choc des civi­
lisations, dont l’influence sur le cours de l’Histoire reste largement
insoupçonnée.

Nous partageons peu ou prou le point de vue d’Ibn Rushd de


Cordoue [Averroès], lequel pensait que l’Histoire ne se réduit
pas à une série de cycles cosmiques. Pour le grand Cordouan,
l’Univers, aussi bien que tout ce qu’il contient, ayant un début,
est ultimement destiné à disparaître, car tout ce qui a un début
matériel doit nécessairement prendre fin. Mais ce qui relève du
spirituel perdure parce que de nature supra-matérielle... « Tout
ce qui est issu de la génération est promis à la corruption et tout ce qui
est éternel est incorruptible. »6

Nous sommes ici également étrangers à la conception de ceux


qui, comme les marxistes, réduisent l’Histoire à une dialectique
entre des constructions opposées en apparence, tels le capita­
lisme et le communisme, ou encore par des couples artificiels de

6 Ibn Rushd, Le discours décisif, p. 133.

11
phénom ènes antagonistes ou à de simples successions devène-
m ents aléatoires sans rapports les uns avec les autres7.

Nous pensons que l’H istoire a un sens, tout comme la vie des
individus. L’Histoire, comme to u t ce qui est créé, possède à nos
yeux sa raison d ’être et sa finalité.

Nous constatons qu’au cœur de l’Histoire des forces agissent, et ce


qui anime ces forces, ce sont les croyances, les idées et plus encore
les idéologies, qui naissent, entrent en expansion, se transforment
et meurent. Les idées naissent dans l’esprit des hommes, guident
l'esprit des hommes et leurs actions.

D ans son ouvrage « Iran, la destruction nécessaire' », le politologue


Jean-M ichel Vernochet, développe la thèse suivante : « une idée
peut être amenée à vivre sa propre vie et ainsi féconder l'Histoire

1 Nous illustrerons ce propos plus loin.

12
jusqu’à orienter le cours des choses et à enfermer les hommes dans
unefatalité logique à laquelle ils ne sauraient échapper »8.

Le présent ouvrage montrera combien certains mouvements


idéologiques orientent l’Histoire et dépassent les individus et les
groupes qui les forment et les transforment, mais sans jamais
pouvoir en modifier l’essence ni la direction initiale, qui est dé­
terminée par leurs principes fondateurs.

Le Choc des civilisations est - insistons sur ce point —non une


théorie scientifiquement établie, mais une stratégie. Et cette stra­
tégie, comme beaucoup l’ont remarqué, sert les intérêts objectifs
de l’idéologie sioniste en général et de l’Etat d’Israël en particulier.
Reste à définir ce qu’est le « sionisme », ce qui semble-t-il n’a pas en­
core été fait dans sa totalité... si ce n’est, peut-être, dans des milieux
rabbiniques fermés au profane.

Par « définir le sionisme » nous entendons : expliquer sa raison


d’être, les causes de son émergence, ceci en faisant sortir de l’ombre
les personnages qui sont à l’origine de ce projet et de son dévelop­
pement.

La méthode suivie consistera à remonter autant que possible aux


causes premières du sionisme pour arriver en fin de parcours à la
naissance de la stratégie du Choc des civilisations. Celle-ci étant,
suivant notre analyse, intimement liée au sionisme et pour ainsi
dire, son émanation. L’un et l’autre étant indissociables, sans la
stratégie du Choc des civilisations, le sionisme en tant que projet
politique aurait été impossible à réaliser, et l’Etat d’Israël n’aurait
pu et ne pourrait continuer à exister.

8 Jean-Michel Vemochet, Iran, la destruction nécessaire, éd. Xénia. 2012, p. 121.


Beaucoup se m éprennent sur le sionisme. Certes, chacun sait
que le b u t prem ier du sionisme fut de ram ener les juifs en terre
sainte. C e qui est vrai. M ais quant à son origine, c est une autre
histoire.

L a plupart des intellectuels associent le sionisme à Théodore


H e rz l (1860-1904) et le considèrent comme le père de ce projet,
ainsi que l’instigateur du Congrès sioniste mondial (réuni pour
la prem ière fois en 1897 à Bâle). Ce Théodore H erzl était un au
départ un journaliste insignifiant, il incarnait, lui et le mouvement
sioniste de la fin du X IX e siècle, une version laïque, athée, d ’un
projet do n t l’origine est profondém ent religieuse. L e mouvement
sioniste est alors apparu comme une nouveauté, un projet presque
spontané répondant au besoin « urgent » de trouver une terre
d ’accueil aux juifs « opprim és ». N ous verrons que tout ceci ne
fu t qu’un prétexte pour réaliser un projet religieux rem ontant au
M oyen-Age.

C e rta in s h isto rie n s, com m e Shlo m o S a n d 9, so n t allés plus


loin dans la recherche des origines du sionism e, e t o n t décou­
v ert une origine antérieure au X IX e siècle. Les recherches de
Shlom o Sand l’o n t m ené au X V IIe siècle. A u début du X V IIe
siècle, des théologiens pro testan ts anglais o n t com m encé à
défendre l’idée de réim plantation des juifs en Terre sainte afin
de hâter le retour de Jésus et ainsi convertir les ju ifs au chris­
tianism e10.

9 Dans son ouvrage : Comment le peuple j u i f f u t inventé ?, Fayard, 2008.


10 Parmi ces théologiens protestants du XVI Iesiècle qui ont promu celte idée se
trouvent Joseph Mede ( 15K6-1635). Richard Baxter ( 1615-1691 ) et un parle­
mentaire anglais, Sir Henry l'inch (1558-1625), qui rédigea un ouvrage d’exé­
gèse dans lequel il « prédit » le retour des juifs en terre sainte : The Worhi's
Créai Restauration, or the CaUinx o f the Jcws.
En Angleterre, dans les siècles qui suivront (le XV IIIe et le
XIX'), mûrit l’idée sioniste appelée le restaurationnism eCeux
qui auront lu le livre du Sheikh Imran Hosein,Jerusalem in the
Qur'an12 saisiront - sur un plan mystique - pourquoi cette idée
de restauration du peuple ju if en Terre sainte a pu prospérer en
Angleterre, ce qui devait aboutir in fine, certes pour de multiples
autres raisons, à la création d’un foyer ju if en Palestine dans le
début des années 1920.

Les historiens et les chercheurs n’ont pas pu, ou pas voulu, al­
ler plus en amont que l’Angleterre du XVTI' siècle dans leurs re­
cherches sur l’origine du sionisme. Une des raisons pour laquelle
l’historien Shlomo Sand, entre autres, n’a pu imaginer une origine
juive à cette idée de restauration d’Israël est que traditionnelle­
ment, dans le judaïsme majoritaire, jusqu’à une période récente, le
retour en Palestine des juifs en tant que peuple ou communauté
était strictement interdit.

C ’est en effet un interdit religieux que l’on trouve dans la Torah ;


lorsque les Hébreux s’apprêtaient à entrer en Terre promise après
leur fuite d’Egypte, Dieu conditionna leur séjour en Eretz Israël
ainsi Moïse mis en garde les Hébreux :

« Quand vous aurez engendre' des enfants, puis des petits-enfants,


et que vous aurez vieilli sur cette terre ; si vous dégénérez alors, si
vous fabriquez une idole, image d ’un être quelconque, faisant ainsi
ce qui déplait à /'Eternel, ton Dieu, et l ’offense, j'en prends à témoin
contre vous, aujourd’hui, les deux et la terre, vous disparaîtrez

11 Mouvement représenté par des personnages comme Thomas Newton (1704-


1782), évêque de Bristol au XVIIIe siècle, et Anthony Ashley Cooper (1801-
1885), comte de Shaftesburv au XlX'siècle.
12 Paru en 2002. Disponible sur le site officiel du Sheikh Imran Hosein : http://
www.imranhosein.org/books.html
prom ptem ent de cepays pour la possession duquel vous allez passer ce
Jourdain; vous n'y prolongerez pas vos jours, vous en serez proscrits
au contraire ! L 'E te m e l vous dispersera p a rm i les peuples, et vous
serez réduits à un misérable reste au milieu des nations où VÉtemel
vous conduira. » (D eutéronom e, 4:25-28)

Shlom o Sand écrit au sujet de cette interdiction : « Une série de


commandements rabbiniques interdirent toute tentative pour pré­
cipiter la venue de la rédemption13 et, pa r conséquent, lémigration
vers la source [la T erre promise] à p a rtir de laquelle elle était sup­
posée se révéler et se répandre. Trois fa m eu x serments constituaient
les interdits religieux les plus importants. On les retrouve dans le
Talmud de Babylone, qui précise : « À quelles [actions] ces trois ser­
ments seront-ils [appliqués] ? L'un dicte aux ju ifs qu'ils ne doivent
pas converger vers [Sion] en un m ur [par la force] ; et l ’un est que
le très Saint, béni soit-il, commande aux ju ifs de ne pas se révolter
contre les nations du monde ; et l'un est que le très Saint, béni soit-
il, commande aux idolâtres de ne pas subjuguer les ju ifs plus que
nécessaire » Ketouvotu .

« “Converger vers [Sion] en un mur" renvoie à l'émigration collective


en masse vers la Terre sainte, dont l'interdiction form ellefut respectée
par lesju ifs au cours des temps et mena à l'acceptation de l'exil comme
un commandement divin à ne pas transgresser. »15

Shlomo Sand a oublié de m entionner une partie de ce serm ent


issu de ce midrash, l'interprétation biblique faite par les rabbins
qu il cite. Le serment dit aussi : « Les israélites sont adjurés de ne pas

13 La rédemption correspondant ü lu venue du Messie qui est censé ramener les


juifs en Terre sainte. Il est donc interdit aux juifs de rentrer en terre sainte pour
provoquer la rédemption, car ce rôle revient au Messie seul.
14 Shlomo Sand ne donne pas la référence exacte dans Ketouvot.
15 Shlomo Sand, Comment fut inventé le peuple j u i f ? Fayard, 2008, p. 191,
hâter lafin, de nepas révéler les mystères de celle-ci aux nations [aux
non juifs] » (Shir ha-Shirim Rabba II, Ketouvot 111a)16.

Cette interdiction de hâter la fin des temps [la venue du M es­


sie] sera transgressée comme nous le montrerons plus bas, l’his­
toire juive n’étant, depuis l’Antiquité, qu’une longue succession
de transgressions.

Shlomo Sand s’est arrêté à la lecture talmudique du judaïsme,


c’est pour cette raison qu’il a conclu, lui comme tant d’autres,
que les protestants étaient les véritables pères de cette idée de
restauration du peuple ju if en Palestine. La clé de compréhen­
sion ne se trouve pas dans le judaïsme talmudique, mais dans le
messianisme juif, issu de la kabbale.

Il sem ble en e ffe t très n a ïf de pen ser que ce se rait


les p ro te sta n ts qui au raien t développé cette figu re
eschatologique, c’est-à-dire l’idée qu’il faille hâter par des
actions concrètes le retour ou la venue du M essie17. Nous
démontrerons que ce messianisme est un concept purement
d’origine juive. Certes, nous ne nions pas l’existence des
courants millénaristes chrétiens dont les protestants sont
les héritiers, mais il faut distinguer l’attente messianique et
ce que nous appellerons le messianisme actif. Cette seconde
forme de messianisme est issue de la tradition mystique
juive, et qu’on le retrouve au cœur du protestantisme anglais
n’est pas tout à fait surprenant.

16 Cite par Gershom Scholem. Le messianismejuif, éd. Presses Pocket, p. 17


17 Pour les chrétiens et les musulmans, le véritable Messie est Jésus. Les juifs ne
lui ayant pas reconnu cette qualité, attendent toujours leur Messie. Les chré­
tiens cl les musulmans attendent eux le retour de Jésus, tandis que les juifs at­
tendent la venue de leur Messie qui les élèvera au-dessus de toutes les nations.

17
Pour parvenir aux racines de l’idéologie sioniste, nous avons donc
suivi la voie de la tradition mystique juive à l’origine de cette idée
révolutionnaire qu’est le messianisme actif, visant à hâter l’arrivée
du M essie par des actions d’ordre politique en ram enant les juifs
en Terre sainte et aujourd’hui le cas échéant d ’o rdre militaire, par
le déclenchement d’Armageddon [la guerre apocalyptique].

Nous ne pouvons ainsi, en tout état de cause, situer et comprendre


l’origine du sionisme sans nous pencher sur le messianisme actif
dont il est issu, et qui lui-même est le produit de la mystique
juive. Nous allons faire la présentation la plus brève et synthétique
possible de l’univers complexe et extrêmement vaste de cette
mystique si particulière, autrement appelée la kabbale.

18
Origines et évolution de l'ésotérisme juif

Pour rendre lisible cette histoire complexe des idées, nous allons
porter à votre connaissance les personnages clés du messianisme
actif et de la stratégie du Choc des civilisations ; connaître ces
grandes figures, leurs parcours, leurs pensées et leurs actions, vous
permettra de saisir au mieux la genèse du sionisme, du Choc des
civilisations et le monde actuel.

Tout d’abord, vous devez vous familiariser avec quelques notions


qui vous seront indispensables pour vous repérer dans la zone
obscure où nous nous plongerons.

La kabbala18 est le courant mystique et ésotérique du Judaïsme


qu’il faut distinguer du judaïsme talmudique. Sa naissance est
singulièrement tardive par rapport à la Torah et au Talmud.

L a composition du Talmud débute durant l’exil à Babylone au


milieu du VIesiècle av.J.-C . Son enseignement et sa transmis­
sion furent exclusivement orales, jusqu’à la transcription au
IIICsiècle de l’ère commune de la Mishna [la loi], puis de la
Gémara [le commentaire de la Mishna]. Sa finalisation se fait
à la fin du V' siècle et contient à la fois la Mishna et la Gé­
mara, c’est-à-dire la loi orale mise à l’écrit et le commentaire
qu’en ont fait les grands rabbins. L e Talmud est le nom que

18 Kabbala est un terme signifiant littéralement « transmission » (la transmission


des choses divines) et désignant la m> stique juive ; ce nom ne sera donné à la
mj stique juive qu'à partir du XI U: siècle.

19
l’on donne à l’ensemble de ces lois et à leurs commentaires,
lesquels constituent un corpus juridique intouchable depuis
sa finalisation.

Le célèbre historiographe ju if du I" siècle, Flavius Joseph (37-


100), nous rapporte que les principaux tenants du judaïsme, les
pharisiens, faisaient prévaloir la loi orale sur la loi écrite, ce qui
a entraîné des conflits au sein de la caste sacerdotale, à laquelle
appartenaient les sadducéens, attachés, eux, à la loi écrite. Ainsi
Flavius Josèphe écrivait : « Les pharisiens ont livré à leur peuple
un grand nombre d ’observances transmises pa r leurs ancêtres, les­
quelles ne sont pas inscrites dans la Loi de Moïse. Pour cette raison
les sadducéens les rejettent et disent que seules devraient être tenues
pour valables les règles qui y sont écrites et que celles qui sont reçues
par la tradition des pères n’o nt pas à être observées. Sur ce point de
grandes dissensions sont survenues entre eux ».15

Suite à la destruction du second Temple, en 70, les sadducéens dis­


parurent et les pharisiens ont accaparé l’exclusivité du leadership du
peuple juif, imposant leur loi orale : le Talmud.

Pour ce qui est de l’histoire de la mystique juive, elle suit un che­


min éloigné de celle du Talmud. Dans le judaïsme, nous devons
distinguer d’une part le Talmud, qui représente la Loi définissant
les règles régissant la vie des communautés juives ; plus précisé­
ment, le rapport des juifs entre eux ainsi que le rapport des juifs
aux non-juifs, et la kabbale, qui est considérée comme le che­
min vers la sagesse cachée menant à Dieu. Elle peut être comprise
comme la voie m enant vers l’accomplissement final et le règne
du peuple juif.

19 Dans « Antiquités Judaïques » XXIII, 297, Flavius Josèphe.

20
Les origines de la mystique juive sont assez obscures. Comme
le souligne Gershom Scholem20, les savants sont divisés sur la
question, entre la thèse d’une influence iranienne sur le judaïsme
durant la période du second Temple (après le retour d’exil à Ba-
bylone des juifs en 538 av. J.-C .), et une influence grecque. Ce
que nous savons, c’est que la mystique juive s’ébauche à l’époque
où naît le Christianisme, au I" siècle, parmi les juifs de Palestine
et d'Égypte21.

Les premiers écrits apparaissent dans la littérature apocalyptique.


Les experts sont partagés une fois de plus quant à la l’origine de
Xapocalyptique ; certains d’entre eux pensent que ce courant est
né dans le cercle des esséniens22, d’autres défendent la thèse de
l’origine pharisianique23.

Gershom Scholem pense que des tendances apocalyptiques


ont pu apparaître simultanément chez les esséniens et les phari­
siens2'1. Quoi qu’il en soit, l’apparition des traditions ésotériques
au I" siècle de 1’ère chrétienne est confirmée par la Mishnah et
le Talmud25.

Dès l’origine, la mystique est réservée à l’élite religieuse, mais ce secret


de l’enseignement laissera place peu à peu à une diflùsion dans un large

20 Gershom Scholem (1897-1982), éruditet historien, a été le grandspécialiste


de la mystique juive. Il créé en 1925 la premièrechaire de mystique juive à
l’université hébraïque de Jérusalem.
21 Gershom Scholem, La kabbale, une introduction, origines, thèmes et biogra­
phies, Folio Essais, 2003, p. 51
22 Les esséniens formaient une secte juive, habitants de Qumrân, près de la Mer
morte, ils avaient en leur possession l’original du livre d’Hénoch.
23 Les pharisiens représentaient l’autorité rabbinique de l’époque. Ce sont ceux
auxquels Jésus fit face et qui le firent condamner.
24 Gershom Scholem, op. cit., p. 54
25 Gershom Scholem, op. cit., p. 56

21
public (exclusivementjuif), mais pas avant le Moyen-Age. Ce n’e st que
vers la fin du Moyen-Age que la kabbale commencera à être couram­
ment enseignée.

Uésotérisme pénétra les cercles rabbiniques par l’é tude du livre


d’Hénoch que détenaient les esséniens. Le livre d’Hénoch contenait
des écrits sur la fin des temps, d’où la naissance de mouvements
apocalyptiques, qui naquirent de l’étude de ce texte. En outre, ses écrits
portaient sur la structure du monde caché, le ciel, le jardin d’Éden,
les anges, les démons et le destin des âmes dans l’autre monde. De
ces textes va émerger une pensée mysdque qui comportera plusieurs
branches : l’apocalyptique, la cosmologie, l’angéologie, la démonologie
et la magie26.

Si l’on veut com prendre l’évolution de la kabbale et saisir ses


finalités, nous devons garder à l’esprit que ses deux piliers
fondateurs sont, d ’une part, l’étude de la fin des tem ps et
d ’autre part l’ésotérisme et le mysticisme qui englobent une
réflexion sur le m onde d ’ici-bas et de l'au-delà, ainsi que la
pratique de la magie et de la sorcellerie... la frontière entre la
magie et la sorcellerie é tan t très floue.

La kabbale ne serait pas ce qu’elle est sans la profonde influence


qu’a exercée sur elle la Gnose. La G nose est une religion païenne
de l’Antiquité issue de croyances venant à la fois de la religion
perse [mazdéisme], de la religion grecque et certainement
d’autres croyances provenant à la fois de la M éditerranée et de
l’Inde en passant par la M ésopotamie. Nous n’avons pas une
idée précise de l’origine de la Gnose, justem ent à cause de son
large syncrétisme, mais scs idées directrices sont bien connues.

26 Gcrshom Scholcm, op. cit.. p. 55

22
Le mot Gnose du grec gnôsis signifie la « connaissance ». L'objectif
de la Gnose est de faire accéder à la connaissance cachée. Or cette
accession à la connaissance n’est possible que par une initiation.
Démarche pour accéder à des degrés supérieurs que l’on retrouve
dans la mystique juive et la franc-maçonnerie, qui permet d’at­
teindre le dieu éloigné. Le dieu éloigné est le “dieu bon , inacces­
sible - du moins par les non-initiés - et le “dieu proche" est celui
qui a créé le monde matériel, un dieu mauvais incarnant le mal,
appelé Démiurge.

La Gnose est une religion dualiste, où le mal, par son incarnation


(le Démiurge), est l'agent créateur de l’univers. De ce fait le mal
est plus proche de l’Homme que le bien, car il en fait partie, il y
est enfermé. Pour s’en libérer il doit passer par la connaissance, la
Gnose, qui lui permettra de s’élever et d’atteindre le dieu bon et
lointain, et ainsi de s’affranchir du mal.

Par ce mouvement ascensionnel via la connaissance, l’Homme


retourne à sa « source » qui est le dieu bon, car dans la croyance
gnostique, les êtres humains sont une émanation de Dieu, ils
sont donc Dieu, du moins une partie intégrante de Dieu : c’est
une croyance panthéiste2'.

Selon la Gnose, le dieu mauvais est l’agent créateur de tout ce qui


est d’ordre matériel et sur lequel il règne. De son côté le dieu bon
est le créateur et le maître des mondes supérieurs et spirituels dont
émane l’âme humaine. L’âme est par conséquent en opposition to­
tale avec l’univers dans lequel elle vit et doit chercher à y échapper.

27 Le panthéisme est l’ idée que la création est une émanation de Dieu Lui-même,
qu’ il est à l’ intérieur de sa propre création et que par conséquent. Dieu et Sa
création ne font qu’un. Les émanations de Dieu sont appelées dans la Gnose
les éons. un concept repris par la kabbale. Dans la kabbale ces éons sont
appelés séfirol (pluriel de séfirah).

23
La kabbale reprendra tous les concepts gnostiques e t les intégre­
ra à la mystique juive et plus tard, au judaïsme. G ershom Scho-
lem l’expose très clairement en écrivant ceci : « Dès le début, la
kabbale adopta un ésotérisme très proche de l ’esprit du gnosticisme,
lequel ne se limitait pas à l'enseignement de la voie mystique, mais
incluait aussi des idées portant sur la cosmologie, l ’angéologie et la
magie ».28

Le judaïsme rabbinique réagit très sévèrement à cette mystique


qui développe des réflexions inspirées de la Gnose et quelle
considéra à ses débuts comme un m ouvement dangereux, ce
qui entraînera des interdictions et même des persécutions en­
vers les juifs hassidim29. M ais ces interdictions - comme l’ex­
plique Gershom Scholem - furent largement ignorées par les
hassidim30. Peu à peu les mystiques vont s’imposer et pénétrer
le judaïsme talmudique au point qu’aujourd’hui aucun rabbin
n’ignore les concepts kabbalistiques et tous les ont intégrés
comme étant des vérités... Aussi ces concepts font-ils désormais
partie de l’orthodoxie juive depuis la fin du M oyen-Age. E t l’in­
tégration de cette mystique au judaïsme est à ce point vérifiée
que Gershom Scholem écrit : « I l f u t généralement admis que la
kabbale était la partie ésotérique de la Loi orale donnée à Moïse au
Sinaï»3'.

Bien sûr, ceci ne fut admis que tardivement, au vu des concep­


tions gnostiques que les kabbalistes sont parvenus à incorporer
au judaïsme. Scholem évoque cet aspect de la kabbale e t explique

28 Gershom Scholem, La kabbale, une introduction, origines, thèmes el biogra­


phies, p. 46
29 Nom que portent les mystiques juifs, hassid signifie « pieu », hassidim est le
pluriel de liassid.
30 Gershom Scholem, op. cit., pp. 55-57
31 Gershom Scholem, op. cit. pp. 45-46

24
que : « Certains kabbalistes donnent des exemples de l'évolution
historique de leurs idées qu’ils considèrent, dans une certaine me­
sure comme dégénérées au vu de la tradition primitive - du fa it de
l’accroissement du nombre des systèmes kabbalistiques - ou comme
une étape d ’un cheminement progressifvers la révélation totale de la
sagesse cachée »32.

Ce statut de Loi orale, loi donnée à Moïse sur le mont Sinaï et


dont l’autorité rabbinique était dépositaire, possède strictement
le même statut que le Talmud ; et comme l’a écrit Scholem, la
kabbale est la partie ésotérique de la Loi orale, le Talmud étant sa
partie pratique et juridique, tout comme nous l’avons expliqué
plus haut.

Cette synthèse nous permet de souligner une dimension spéci­


fique de la kabbale qui la distingue de toutes les autres mystiques
et religions : à savoir le progressisme. Il s’agit en l’occurrence d’un
mouvement évolutif dans le temps culminant avec l’accession de
la sagesse cachée33 dont parle Scholem.

La kabbale n’est à ce titre pas seulement un moyen d’atteindre


l’absolu et l’accomplissement individuel comme pour les autres
mystiques, qu’elles soient chrétienne, musulmane, bouddhiste
ou autres, mais un mouvement progressif, englobant, collectif,
évolutif jusqu’à un apogée historique. Celle-ci correspond à
l’étape ultime de l ’évolution historique à laquelle la kabbale
prétend faire accéder l’Humanité par paliers successifs et
ascensionnels. Etape historique qui n’est autre que l’ère
messianique durant laquelle seront révélés les secrets et une

32 Gershom Scholem, op. cit. pp. 45-46


33 L’idée d’accession à la sagesse cachée vient de la Gnose, comme nous l'avons
exposé plus haut. Dans la Gnose il s ’agit d’atteindre la connaissance cachée,
la connaissance étant liée directement à la sagesse.

25
loi inconnue que les kabbalistes désigneront plus tard comme
la Torah A tzilut.

La « construction » de la kabbale s’est faite en plusieurs étapes.

Au cours des siècles, les foyers de rayonnement de la kabbale


se déplaceront d’une région à une autre, son évolution étant
conditionnée par la culture et parfois par la situation politique
des régions dans lesquelles elle aura trouvé refuge, ceci jusqu’à
sa « maturité » au X IIIe siècle, période essentielle de notre étude.
Voyons les différentes phases de développement de la kabbale :

L a constitution de la kabbale intervient en prem ier


lieu en Palestine, et à partir du V II' siècle, le centre
mystique se déplace à Babylone, c’est le début de
l’époque gaonique3J, qui dure jusqu’au XI* siècle.
D urant cette période, il n’y a pas d ’innovation majeure
de la mystique, si ce n’est le développement im portant
d’une théurgie35, d’une angéologie et même une
démonologie36.

À partir du X I' siècle, la kabbale fait son entrée en


Europe, en Provence (France), et passe à l’étape sui­
vante de sa m utation. L a mystique juive, à p a rtir de
cette époque, revient à des considérations ésotériques
à proprem ent parler ; le mouvement commence à
prendre forme et se stabilise. V ient s’intégrer à la kab-

34 L'époque yaonique correspond ù la période dite des giieonim, qui sont les
maitres talmudistes établissant leur centre i\ Babylone où ils y développèrent
le Talmud de Bab> lone qui supplante le Talmud de Jérusalem.
35 Magie consistant ù « entrer en contact avec Dieu » par l'interm édiaire de
« bons esprits » en les convoquant.
36 Gershom Scholcm, op. cil., pp. 82-90.

26
baie durant cette période la philosophie néo-platoni­
cienne.37

Au cours du XIII' siècle, le nouveau centre de la kabbale


passe de la Provence à Gérone, en Espagne. Là, la kab­
bale atteint sa phase finale de maturation. Elle s’ancre à
la fois dans la philosophie et dans l’ésotérisme, et ce, de
manière définitive.

C ’est cette période qui nous intéresse, celle de la kabbale espa­


gnole du X IIIesiècle. Là va émerger un personnage clé, qui est
à l’origine de ce qui sera ultérieurement désigné comme le sio­
nisme : le grand rabbin Moïse Nahmanide (1194-1270).

37 Gershom Scholem, op. cit., p. 104


Les grandes figures

Moïse Nahmanide (1194-1270)

Nahmanide était un kabbaliste espagnol, philosophe, spécialiste


à la fois du Talmud et de la kabbale. Il est le premier kabbaliste à
théoriser le messianisme actif en écrivant dans son « Sefer ha-
Ge’ulah » (qui signifie Livre de la Rédemption) que la venue du
Messie est conditionnée par des actions et une attitude adéquate
de la part du peuple juif.38

Nahmanide base sa théorie de la venue du Messie sur une


controverse talmudique (B. Sanh. 97b). Il conclut après son
étude que la repentance totale du peuple ju if et son observance
parfaite de la Torah ne sont pas nécessaires à la venue du Messie
; toutefois, le fait de commettre des « péchés » - au sens restrictif
de transgression de la loi juive - retarderait son arrivée. Ce qui
signifie qu’un degré moyen de respect des lois, combiné aux
mérites acquis par les générations précédentes est suffisant pour
que le Messie arrive en son temps. E n résumé N ahmanide,
interprétant un texte du Talmud (B. Sanh. 98a)35, pense qu’une
repentance extraordinaire peut hâter la venue du Messie et qu’un
excès de péchés la retarderait.

38 Voir : « The Jewish Quarterly Revlew » de Hyom Muccoby, N ew Sériés, Vol.


77, No. I (Jul. 1986), University ofPennsylvunia Press, pp. 55-57.
39 Hyain Maccoby, op. cit., pp. 55-57.
C ’est en 1263, durant une disputatio qui avait été organisée entre
lui et un ju if converti au christianisme, Pablo Christiani, que
Nahmanide dévoile le fond de sa pensée quant aux moyens
de reconnaître le Messie. Nahmanide avait été désigné pour
participer à cette controverse (dont il se serait bien passé
d’ailleurs, car les propos qu’il y a tenus ont été par la suite utilisés
contre lui et il lui fallut fuir l’Espagne) qui se déroula devant le
Roi et durant laquelle il lui fut accordé une liberté d’expression
totale40. Probablement poussé dans ses retranchements par Pablo
Christiani ou alors se sentant véritablement libre de s’exprimer,
il en vint à lâcher au cours des échanges : « Quand le temps de la
fin arrivera, le Messie au commandement de Dieu viendra vers le
Pape et lui demandera la libération de son peuple ; alors seulement le
Messie sera considéré comme réellement venu, mais pas avant cela ».

Lorsque Nahmanide parle de « libération de son peuple »


par le Pape, cela ne signifie pas que le Pape emprisonnait les
juifs, ni même qu'ils vivaient emprisonnés, mais il entend par
là la libération de l’exil dans lequel se trouvaient les juifs (un
emprisonnement au sens métaphorique et emphatique), et donc,
libération signifie mettre un terme à l’exil par un seul et unique
moyen : l’apparition du Messie qui ramènera les juifs dans leur
terre d’élection. C ’est à Nahmanide que revient la paternité du
programme (nous verrons quel programme) qui sera élaboré plus
tard (nous verrons par qui), mais Nahmanide ne l'énonce que
sous forme de « prophétie », et certainement pas en tant que
stratégie politico-mystique comme cela le deviendra plus tard.

Le lien que fait Nahmanide entre la rédemption des juifs et


leur rapport à l’Église, ainsi que l’attention toute particulière que

40 Le contenu de cette disputatio fut mis par écrit par Nahmanide dans « 1ikuah
haRamban ».

29
certains kabbalistes porteront après lui sur cette question, n’est
pas le fruit du hasard. Ceci s’explique notam m ent par le fait que
le Messie des juifs ne peut régner sur un monde où subsistent
d ’autres grandes religions, quelles soient monothéistes ou non.
E t si elles subsistent, elles doivent être soumises au judaïsm e.
C e qu’explicite sans détour G ershom Scholem lorsqu’il écrit
dans son introduction à la kabbale : « Une fois le judaïsme
rabbinique cristallisé dans la Halakhah1', les forces créatives,
ranimées fa r un nouvel élan religieux - qui ne tentèrent pas ni
ne fir e n t jamais en mesure de modifier le judaïsme halakhique
solidement établi-, trouvèrent à s'exprimer, pour la plupart, dans
le mouvement kabbalistique. Elles œuvrèrent le plus souvent de
l'intérieur, s'efforçant de transformer la Torah pour fa ir e de la loi
du peuple d ’Israël la loi secrète propre à l ’univers et, par suite, à
donner auju if, hassid ou zaddik12, un rôle vital dans le monde. ».43

Ici Gershom Scholem nous dit deux choses : les kabbalistes


avaient pour but de subvertir l’esprit du judaïsme de l’intérieur,
dans un premier temps sans en modifier la Loi à savoir la Torah
et plus encore le Talmud; et dans un deuxième temps, faire de la
Loi des juifs la loi secrète universelle afin d’insuffler aux autres
religions, idéologies, philosophies, aussi bien qu’aux institutions
et à l’o rganisation des Etats, l’esprit du Judaïsme kabbalistique.
Ceci en vue de faire adhérer à leur insu les non-juifs à cette
loi - ignorance liée à son caractère occulte - pour que ne sub-

41 La Halakhah est la Loi du Judaïsme que l’on retrouve dans la Torah et dans
le Talmud. elle représente la tradition suivie par les juifs, qui com m e nous
l’avons vue plus huut, fut définitivement établie à la fin du V siècle lorsque lu
rédaction du Talmud fut achevée.
42 Le hassid est le ju if mystique dit « pieux ». et le zachlik est le «ju ste », les deux
sont des mystiques faisant le lien entre le monde d ’en huut en général et Dieu
en particulier et le monde matériel, servant de guides pour la communauté
juive.
43 Gershom Scholem, « La Kabbale... » op. cit. pages 46-47

30
siste en fin de compte que le judaïsme sous ses divers visages
ou habillages. Ceci explique la double stratégie (dont nous dé­
voilerons les origines) employée à l’égard du christianisme et de
l’islam, que l’on peut résumer ainsi : destruction et soumission.

Mais à partir de là il s’agira d'un judaïsme transfiguré comme


nous le verrons plus loin, judaïsme préconisant la transgression
et au-delà l'abolition de la Loi matérielle, la Torah beriah, pour
accéder à une loi spirituelle non encore énoncée, la Torah at-
zilut4J. Vision que le frankisme - que beaucoup considèrent
comme une secte aujourd’hui éteinte alors que ses héritiers ou
adeptes, sont à l’évidence* fort influents dans les sphères de la
gouvernance occidentales - s’appliquera à réaliser en cherchant
la rédemption (notamment démocratique) des peuples par le
biais d’un « chaos créatif ».

Nahmanide n’a certes pas encouragé les juifs à mener une ac­
tion concrète, à retourner d’eux-mêmes en terre sainte, ni même
à faire venir le Messie par une action autre que l’accomplisse­
ment des lois de la Torah, mais il a fait naitre des vocations en
« annonçant » que le Messie au commandement de Dieu viendra
vers le Pape et lui demandera la libération de son peuple. Nahma­
nide a ouvert la boite de Pandore, qui ne se refermera plus ja­
mais. C ’est Abraham Aboulafia qui, le premier, tenta de réaliser
cette « prophétie » de Nahmanide.

44 Gcrshom Scholem, Le messianisme ju if\pp. 61, 83,90,91.


* Repérables par leurs choix et orientations politiques, lesquels s’ inscrivent tou­
jours dans une perspective d'accroissement du chaos sociétale par l'inversion
et la destruction des lois et de l’ordre naturel. Voir : Gershom Scholem, Le
messianismeju if p. 62.

31
Abraham Aboulafia (1240-1290)

Abraham Aboulafia était un grand rabbin kabbaliste messianiste


espagnol du X III' siècle, qui s’est autoproclamé Messie, fils de
“Joseph” annonçant l’arrivée du Messie, fils de David45. En 1260,
il quitte l’Espagne et entreprend des voyages qui le menèrent en
Palestine, en Grèce et en Italie où il prêche. À l’âge de 31 ans, il
prétend obtenir la connaissance du vrai nom de Dieu et simulta­
nément est en proie à des visions démoniaques'16. Après un com­
mandement qu’il aurait reçu de Dieu (il semble plus probable qu’il
ait été tout simplement influencé par les paroles de Nahmanide),
Aboulafia, en 1280, conformément à la « prophétie » de Nahma­
nide, se rend à Rome afin de rencontrer le pape dans le but de le
convertir, ou du moins, lui faire adopter les vues messianiques juives.

Aboulafia est le prem ier kabbaliste à entreprendre de rencon­


trer le Pape, dix-sept ans seulement après que N ahmanide ait
annoncé que le Messie se rendrait auprès du pape pour « libérer »
les juifs. Avant d ’avoir pu rencontrer le pape Nicolas III, celui-ci
est informé du projet d’Aboulafia, ordonne son arrestation et sa
mise à m ort... mais le Pape m ourut d’apoplexie dans les jours
qui suivirent ; une m ort étrange qui épargna la vie d ’Aboulafia !

Evidemment, le Pape n’a pas ordonné l’exécution d’Aboulafia


uniquement pour éviter de le rencontrer, mais sans doute en rai­
son de son projet apocalyptique.

45 Dans la tradition juive, l’arrivée du Messie, fils de Joseph, doit précéder, an­
noncer et préparer l’arrivée du Messie, lils de David, qui doit régner sur le
royaume d ’Israi.1! ainsi que sur le monde.
46 Voir : « L ‘inspiration : le souffle créateur dans les arts, littératmvs cl mys­
tiques du Moyen Age européen et proche oriental », Claire Kappler et Roger
Grozelier, Kubaba -A ctes, p. 93.

32
Les messianistes (peu nombreux à cette époque) auxquels
appartenait Aboulafia, virent très tôt - conformément à l’idée
développée par Moïse Nahmanide - dans le monde chrétien
un factotum potentiel, c’est-à-dire un moyen servile, qu’il fallait
absolument amener à accepter et à adopter la vision messianique
juive afin de les soumettre à l’autorité spirituelle d’une invisible
prêtrise, ceci, dès le X IIIe siècle, afin de les amener à conduire le
projet de rétablissement du peuple ju if en Palestine.

Avant de poursuivre avec la biographie du troisième éminent


personnage, nous devons décrire un peu plus la kabbale espa­
gnole, afin de saisir la narure de son influence entre la période de
Moïse Nahmanide et le XV I' siècle.

L a kabbale espagnole

Après la mort de Moïse Nahmanide et d’Abraham Aboulafia, au


XIV' siècle, la kabbale espagnole commence à se diffuser à la fois
en Italie, en Allemagne et en Orient jusqu’en Iran'17. Dans ces
régions, les kabbalistes se contentent de reprendre les idées de
la kabbale espagnole et s’inspirent essentiellement du Zohar - « le
Livre des splendeurs » - sans y apporter de réelle innovation. Le
Zohar fut écrit par Moïse b. Shem Tov de Léon à Guadalajara
entre 1280 et 128648 ; c’est le livre le plus important et le plus
connu de l’histoire de la kabbale. Il est la synthèse des deux
types de kabbales espagnoles, celle de Gérone, philosophique,
néo-platonicienne et celle de Castille, gnostique4’ . Le Zohar
est innovateur à plusieurs égards, notamment quant à ses

47 G. Scholem. La kabbale, op. cit. pp. 127-130


48 G. Scholem. op. cit. p. 121
49 G. Scholem, op. cit. p. 122

33
spéculations relatives à la nature de Dieu, thèses audacieuses que
n’avaient pas osé les autres kabbalistes jusque là50.

Selon un kabbaliste anonyme (qui écrivit deux traités se voulant


le prolongement du Zohar) écrivant vers la fin du X III' siècle, le
Zohar a, sur le plan historique, un statut lié à la rédemption, car
il l’interprète comme étant la « révélation ultime des mystères »51 ;
révélation qui dans la tradition mystique juive mène à la
rédemption des temps messianiques. Ce même auteur fait le
parallèle entre le M oïse de la Bible qui a libéré le peuple hébreu
en le faisant sortir d’Egypte et le M oïse écrivain du Zohar, texte
qui selon lui devait permettre, grâce à ses révélations, la fin de
l’exil des juifs et donc leur retour en terre sainte. C ’est ainsi que
ce kabbaliste anonyme écrivit : « Grâce aux mérites du Zohar, ils
sortiront de l ’e xil dans la miséricorde »52.

Nous avons indéniablement ici un commencement de preuve


que l’attente d ’un retour im m inent et provoqué en terre sainte
est bel et bien dans l’esprit de certains kabbalistes, depuis le
dernier quart du X III' siècle.

L e XV' siècle se poursuit dans cette dynamique d ’expansion de


la kabbale et il se conclut par un événement im portant, mais
récurant de l’histoire juive : l’Expulsion.

L’expulsion d ’Espagne eut lieu en 1492. Gershom Scholem la


décrit comme « un profond bouleversement de la conscience ju ive
qui fa it tomber la kabbale dans le domaine public », et il poursuit
« Les objectifs de certains auteurs du Zohar et du Sefer ba-Peli’ah

50 G. Scholem, op. cit. p. 123


51 G. Scholcm, op. cit. p. 125
52 G. Scholem, op. cit. p. 125

34
entre autres, qui voulaient créer une œuvre à la portée historique et
sociale, ne furent pleinement atteints qu’au XVI' siècle. De même,
il faudra attendre cette époque pour que l ’esprit eschatologique,
qui prévalait chez, certains en Espagne, soit associé à l ’orientation
fondamentale de la kabbale. Avec l ’expulsion, le messianisme fit
partie intégrante de la kabbale. Les préoccupations des générations
précédentes étaient centrées sur le retour de l ’homme à la source de sa
vie, par la contemplation des mondes d ’en haut, et sur l ’enseignement
de la méthode de ce retour, au moyen de la communion mystique à
sa source originelle ; cette communion constituait un idéal, réalisable
n’importe où et n’importe quand, indépendamment d ’une structure
messianique. A présent, cet idéal se combinait à des tendances
messianiques et apocalyptiques qui mettaient l ’accent davantage
sur le cheminement de l ’homme vers la rédemption que sur son
retour éventuel à l'origine de toute existence en Dieu. Cette
combinaison de mystique et d'apocalyptique messianique transforma
la kabbale en une force historique très puissante... De nombreux
kabbalistes s'efforcent détendre son influence à l'ensemble de la
communauté »s:!.

Ici, Scholem nous donne des éléments de compréhension d’une


importance capitale : l’expulsion est l’événement qui donnera
à la kabbale sa forme « définitive », elle devient un moteur de
l’Histoire, que Scholem décrit comme une force historique très
puissante. Mais la kabbale ne devient “le” moteur de l’Histoire
que dans la mesure où son enseignement commence à être (ti­
midement) donné à la communauté juive dès avant l’expulsion
d’Espagne. Par là, le messianisme se répand dans l’esprit des
communautés et va diriger le regard des juifs vers un accom­
plissement mondain (l’attente du Messie et le retour en Terre
sainte) plutôt qu’en direction d’un retour vers Dieu. Cepen-

53 G. Scholem, op. cit. pp. 137-138.

35
dant, pourquoi et com m ent prend-elle cette forme que décrit
Scholem ?

L’expulsion n’était pas une nouveauté pour les juifs ; avant l’Es­
pagne, ils avaient été expulsés d ’A ngleterre (en 1290), de France
(à douze reprises entre 533 et 1724) et de bien d'autres pays.

La particularité de la sortie d’Espagne peut s’expliquer ainsi:


le messianisme actif que certains kabbalistes - dont M oïse
N ahm anide qui en est à l’origine - avaient développé dans la
seconde moitié du X III' siècle, s’est transform é en une attente
fiévreuse accentuée par le sentim ent d ’exil. L’expulsion a com ­
mencé à répandre le messianisme dans la com m unauté juive
d’Espagne, puis a atteint les esprits des autres communautés de
l’O ccident à l’O rient. O r cette fixation sur la rédem ption a dé­
tourné le regard des kabbalistes de D ieu (lequel ?) - c’est-à-dire
de leur représentation de la divinité - et du désir de l’atteindre.
Ils se sont désormais tournés vers un m om ent et un lieu au­
quel ils se doivent d ’accéder. L’énergie qu’ils avaient dépensée à
« s’élever spirituellement », ils allaient l’utiliser dans autre but.
Le mom ent attendu est celui de la venue du M essie apportant
la délivrance aux juifs, qui est précédé des temps messianiques ;
et le lieu convoité est celui de la Terre sainte où le M essie doit
les ramener, m ettant ainsi fin à l’exil, qui jusqu’à l’expulsion
d’Espagne ne faisait nullem ent l’objet d ’une préoccupation
particulière, excepté pour quelques kabbalistes isolés.

V ient s’ajouter à cela le fait que la kabbale est désormais large­


m ent enseignée aux profanes (après l’expulsion d’Espagne). La
raison qui a motivé les kabbalistes à diffuser la kabbale dans la
comm unauté juive nous est donnée par un kabbaliste anonyme
cité par A braham Azulaï dont voici les propos : « Le décret d'en
haut selon lequel on ne peut débattre d enseignements kabbalistiques

36
en public n’a été promulgué que pour un temps limité - jusqu'en
1490. Du fa it que nous sommes entrés dans la période dite de “la
dernière génération”, le décret a alors été abrogé et l ’autorisation
accordée... Et, à partir de 1540, la mizvah (le commandement)
essentielle sera de l'étudier en public, vieux et jeunes ensemble, car
c'est cela, et seulement cela, qui hâtera la venue du Messie »34.

Le kabbaliste anonyme cité par Abraham Azulaï, parle claire­


ment de hâter la venue du Messie, en opposition à la tradition rab-
binique talmudique (serments cités plus haut). Au XVIe siècle,
la fermentation kabbalistique est- diffuse en Europe méditerra­
néenne ainsi qu'en Afrique du Nord ; le messianisme se répand
dans toutes les grandes communautés juives de l’Orient à l’Oc­
cident, en passant par la Turquie. L’idée apparue au X III' siècle
en Espagne avec Moïse Nahmanide de hâter la venue du Messie,
est alors absolument révolutionnaire et modifiera définitivement
le Judaïsme et la mentalité juive.

Avant l’expulsion d’Espagne, un exemple de messianisme actif est


relevé par Geshom Scholem qui écrit : « Pour la premièrefois, le
kabbaliste espagnolJoseph délia Reina (vers 1470) tenta de déclencher
la rédemptionfinale à l'aide de la kabbale pratique55»’6. Juste après
l’expulsion d’Espagne, les kabbalistes espagnols émigrés en Italie
et en Palestine développèrent une apocalypse kabbalistique’ 7 ;
rien détonnant à cela, car l’apocalypse, c’est à dire la fin des
temps, est la période durant laquelle doit apparaître le Messie

54 Cité dans l’introduction d'Abraham Azulaï dans son Or ha-Hammah sur le


Zohar, rapporté par Gershom Scholem, La kabbale op. cit. p. 138.
55 La kabbale pratique est un ensemble de rituels magiques (théurgie) par les­
quels les kabbalistes prétendent « amener » Dieu à réaliser ce qu'ils désirent
Voir : G. Scholem op. cit. p. 285.
56 G. Scholem. op. cit. p. 142.
57 G. Scholem, op. cit., p. 142.

37
et la rédemption du peuple juif. U n personnage illustrant cette
apocalyptique est Abraham b. Elézier ha-Levi, installé en 1515 à
Jérusalem, qui se concentra essentiellement sur la diffusion d’une
apocalypse kabbalistique58.

L’apocalypse, souvenez-vous, fait partie des piliers fondateurs


de la kabbale ; il faut donc voir cette apocalypse kabbalistique
non comme une innovation dans la kabbale, mais comme un
retour à l’un de ses fondements. La nouveauté, toutefois, est
la combinaison du messianisme actif (qui est nouvelle dans la
kabbale, contrairement à l’apocalyptique) et de l’apocalyptique.
Interrogeons-nous ici sur ce que cela im plique...

Le messianisme actif qui consiste à hâter la venue du M essie -


qui lui même doit arriver au cours de la période apocalyptique
- revient tout simplement à hâter l’apocalypse elle-même, c’est-
à-dire faire en sorte que la fin des temps se rapproche.

C ’est dans ce contexte qu’au début du X V I' siècle, apparaît le


rabbin Solomon M olcho, le précurseur de la “stratégie du Choc
des civilisations” visant à lancer le monde chrétien contre le
monde musulman (l’Empire ottom an à l’époque, car il contrôlait
la Palestine), afin d ’e xpulser les musulmans de Palestine et d’y
installer les juifs.

Solomon Molcho (1500-1532)

Au sein de cette tendance messianique active, G ershom

58 G. Scholem, op. cit., p. 142.

38
Scholem évoque brièvement, sans s’y attarder, un personnage
pourtant très important qui donnera une voie d’accès assez
originale au projet messianique. Lisez attentivement les mots
de Scholem : « L'incidence [de l’apocalypse kabbalistique] la plus
notablefu t l ’agitation qui marqua l ’apparition de David Reuveni
et de son disciple, Solomon Molcho, dont les exposés kabbalistiques
(Sefer ha-Mefo'ar 1529) furent favorablement accueillis par les
kabbalistes de Salonique en Turquie ottomane. Les visions et les
discours de Molcho mêlaient kabbale et incitation à une action
politique à visées messianiques, parm i les chrétiens. Son martyre
(1532) le f it compter par la communauté juive comme l'un des
« saints » de la kabbale. Les mouvements apocalyptiques virent dans
l ’avènement de Martin Luther un nouveau présage, un signe de
l ’effondrement de l ’E glise et de l ’approche de la fin des temps »39.

Solomon Molcho60 est né en 1500 au Portugal dans une famille


de marranes61. Comme Abraham Aboulafia avant lui, il s’est au-
toproclamé Messie, fils de Joseph annonçant lui aussi l’arrivée du
Messie, fils de David. Solomon Molcho fut une sorte de génie pré­
coce, particulièrement doué pour se rapprocher des puissants. Au
Portugal, il réussit à obtenir le poste de secrétaire royal à la haute
cour de justice, jusqu’à sa rencontre avec le rabbin David Reuveni
(tout aussi doué pour nouer des amitiés parmi les grands, et nous
verrons lesquels) qui était en mission diplomatique au Portugal
et dont il devint le disciple après être revenu au Judaïsme, ou plu­
tôt doit-on dire, après avoir retiré son habit de Chrétien.

59 G. Scholem, op. cit. p. 142.


60 Voir la biographie de Solomon Molcho sur le site internet du musée du Ju­
daïsme de République tchèque : http://mvw.jewishmuseum.cz/en/aroucho.
htm ; et sur le site d'information du Judaïsme Zissil : hlip://\v\vw.zissil.com/
topics/Rabbi-Shlomo-Molcho#Kabalist
61 Les marranes sont des juifs de la péninsule ibérique (Portugal, Espagne) faus­
sement convertis au Christianisme afin d’éviter l’expulsion.

39
Il convient, avant de poursuivre, de faire un focus sur le maître
de Solomon Molcho. David Reuveni62 est un personnage énig­
matique entouré d’un mythe qu’il a forgé ; il serait né à Khaybar,
en Arabie en 1490 (mort après 1535). Il quitte l’A rabie le 8 dé­
cembre 1522 pour l’Égypte ; il se rend ensuite (en février 1524)
à Venise où il déclare être l'ambassadeur et le frère du prétendu
roi de Khaybar qui l’aurait envoyé en mission en Europe pour
rencontrer ses dirigeants, parmi lesquels le Pape. Le même mois
il arrive à Rome sur un cheval blanc et obtient une audience
auprès du cardinal Giulio et du pape Clém ent V II. Il alla ensuite
au Portugal (novembre 1525) à la rencontre du roi Jean III qu’il
convaincu de lui offrir des troupes et des armes (huit navires de
guerre et 4 000 canons) pour attaquer les O ttom ans ; mais le Roi,
sur les informations qui lui furent rapportées par l’Inquisiteur de
Badajoz à propos du projet de Reuveni de bâtir une nation juive
en Palestine, rompit sa promesse63.

C ’est dans cette période que Reuveni, qui n’abandonna pas son
projet de guerre contre les O ttom ans, rencontra son disciple sur
qui il aura une influence profonde et par suite sur le projet mes­
sianique.

M olcho suit Reuveni à Salonique, en Turquie, pour étudier la


kabbale auprès de Rabbi Yosef Taitazak. Après cela, il s’en va
prêcher en Palestine, aux portes de Jérusalem, puis en Italie où
il abreuva les communautés juives de discours dans un but bien
précis : les exhorter à hâter la Rédemption au moyen de la Teshu-
vaM, du jeûne, du Tikunim (réparation des âmes) et par la prière à

62 Voir la biographie de David Reuveni sur le site de la Jewish Encyclopedia :


http://www.jewishencyclopedia.com/arlicles/12707-rcubeni-david'
63 Heinrieh Graetz, Histoire des juifs, volume 9, 1853-1875, p. 532.
64 Teshuva signifie le retour en lerre sainte et plus généralement le retour in­
térieur et spirituel la religion, faire lesimva a pris le sens contemporain

40
Dieu avec une grande dévotion. Il réussit à convaincre quiconque
voulait bien l’écouter que la rédemption était toute proche.

Solomon Molcho s’attacha à attirer l’attention des prêtres chré­


tiens, ce qu’il réussit très habilement ; les clercs vinrent écouter
ses discours, grâce à son charisme et à ses visions, lesquelles im­
pressionnaient ses auditoires (il prédit par exemple l’inondation
de Rome en 1530 et le tremblement de terre au Portugal en
1531). Molcho marqua ainsi un tournant dans l’histoire, ayant
couché sur papier un programme politique ambitieux (voir su­
pra), consistant à conduire des actions à visées messianiques, par­
mi les chrétiens (nous verrons plus loin d’où vient cette “obsession”
des kabbalistes de se rapprocher des Eglises chrétiennes et de les
amener à se soumettre au judaïsme).

Il annonçait dans certains de ses discours la chute de Rome


et du christianisme, ainsi que la reconstruction de la Judée. Il a
même osé donner la date d’arrivée du Messie, qu’il prédisait pour
l’année 1540. Par l’intermédiaire de son maître David Reuveni,
Molcho put se rapprocher des cardinaux à Rome et rencontrer le
Pape Clément VII qu’il tenta de convaincre que la rédemption
du peuple ju if était imminente. Il réussit à impressionner le Pape,
au point qu’il lui accorda une approbation écrite l’autorisant à
prêcher devant un public chrétien et à publier ses textes (à condi­
tion qu’ils ne soient pas antichrétiens). Une fois qu’il eut acquis
la confiance du Pape et après lui avoir annoncé la rédemption
prochaine, il tenta de le convaincre de former une armée de mar­
ranes afin de lancer une guerre contre l’Empire ottoman et libé­
rer (par « libérer » il faut entendre « expulser » les Ottomans) la

d’amende honorable.

41
Palestine que contrôlait cet empire, dans le but d y installer les
juifs et ainsi hâter la venue du Messie.

L’idée de former une armée et de se fixer sur un territoire donné


est une constante chez les kabbalistes de M olcho à H erzl et
Jabotinsky (fondateur de la Légion juive) - bien qu’il ne fut pas
kabbaliste lui-même, H erzl a été sollicité par les frankistes et
les sabbataïstes en vue de la création d’un E tat juif. D e Sabbataï
Tsevi et Jacob Frank l’un voulait créer un E tat armé ju if en A na-
tolie, l’autre en Bosnie et pour ce faire chercha des appuis tantôt
à Paris, tantôt à Vienne65.

Ce projet politique et géopolitique de M olcho est la base du


programm e appliqué au XX' et X X I' siècle, car M olcho (sous
l’influence de Reuveni) est le premier à avoir concrètement établi
la stratégie politique vis-à-vis des chrétiens, dans le b u t de les
utiliser pour ramener les juifs en Terre sainte. Son objectif était
de suborner les cardinaux et le Pape pour les instrumentaliser
en leur faisant prendre à leur compte les desseins messianiques
juifs. Lancer le monde chrétien contre l’Em pire ottom an (qui a
cette époque était le centre de pouvoir du monde musulman et
dépositaire du « Califat ») par une alliance «judéo-chrétienne »,
est la méthode qui a été employée à l’occasion de la G rande
Guerre lorsque les Britanniques attaquèrent et occupèrent
Constantinople avec en arrière-plan l’objectif non dissimulé de
créer un foyer national ju if en Palestine. C ette stratégie s’est
poursuivie jusqu’à ce jour, et se retrouve à présent dans les efforts
politiques et idéologiques visant à conduire le monde chrétien
et le monde musulman à une destruction mutuelle : discours de
guerre civile en Europe même, et guerres répétitives contre les

65 Voir : Charles Novok, Jacob Frank, le fa itx messie, éd. L'Hurmuttan, 2012,
p p . 116-117.

42
États arabes favorisant le chaos wahhabite et qui a pour rôle de
désigner l’islam comme repoussoir et ennemi à abattre.

Solomon Molcho est également à l’origine du concept d’une


mythique civilisation judéo-chrétienne, ou encore ce que l’on
nomme fallacieusement le monde judéo-chrétien. Mais les cir­
constances n’ont pas laissé à Molcho le temps de solidifier cette
alliance judéo-chrétienne dont il a voulu poser les fondations.

Solomon Molcho est en résumé à la fois le concepteur du projet


sioniste politique tel que nous le connaissons aujourd’hui, mais
aussi de la transcription géopolitique du sionisme sous la forme
du Choc des civilisations. Il a ainsi fait du messianisme actif un
projet réaliste par l’élaboration d’une stratégie ingénieuse qu’il a
lui-même tenté de mettre en application par des méthodes aussi
perverses que subtiles.

Il n’aurait cependant pu parvenir à lui seul à susciter une guerre


impliquant le monde chrétien dans l’unique intérêt d’une utopie
kabbaliste ; d’autant plus qu’il avait des ennemis parmi les juifs,
notamment Yackov Mantino. Certains juifs craignaient en ef­
fet que ses prêches messianiques aient un impact sur la foule et
n’attirent sur les juifs les foudres de l’Inquisition ; alors Yackov
Mantino et d’autres juifs tentèrent de le faire condamner par
l’Inquisition, mais Molcho fût protégé par les cardinaux et le
Pape, qui alla jusqu’à intervenir lui-même lorsque l’Inquisition
l’arrêta, ce dernier le cacha personnellement et le fit sortir clan­
destinement de Rome, et fit mettre sur le bûcher un autre que
lui... ou son effigie66.

66 L'Inquisition brûlait généralement des effigies et non des personnes phy­


siques ; quand c'était le cas le condamné était au préalable étranglé ; le
nombre de morts réellement imputable à l’Inquisition tourne autour de 2 à
3000, en quatre siècles d’existence.

43
M olcho ne se découragea pourtant pas, et après sa fuite de
Rome, il alla momentanément en Turquie avant de se rendre
— en compagnie de son maître David Reuveni — auprès de
C harlesV (1500-1558) qui était à cette époque Em pereur du
Saint-Empire romain germanique après avoir été roi d’Espagne.
Ils tentèrent de le convaincre lui aussi de créer une armée de
marranes pour attaquer les ottomans (probablement appuyée par
l’armée de l’e mpereur qui était à la tête de la plus grande puissance
européenne). Ils poussèrent l’outrecuidance à son paroxysme en
demandant à l’empereur de se convertir au judaïsme (aujourd’hui
les dirigeants du monde occidental, à défaut de se convertir au
Judaïsme, vont en pèlerinage à Yad Vashem6', à Jérusalem, avec
une kippa sur la tête en signe de soumission).

La réponse à leurs deux requêtes fut expéditive, Charles V envoya


David Reuveni en Espagne où il mourut emprisonné, quant à
Solomon Molcho, il fat condamné à mort pour hérésie par une
cour ecclésiastique. Le Pape, qui était un ennemi de Charles V,
ne pouvait plus sauver son protégé ; toutefois, l’empereur proposa
à Molcho de le sauver du feu à condition qu’il se convertisse au
christianisme, mais Molcho choisit le martyre et brûla sur le bûcher
en 1532, à Mantua en Italie.

Malgré une courte vie - 32 ans - Solomon M olcho fut le


promoteur d’un projet et d ’une stratégie mystico-politique
que reprendront par la suite les sabbatéens au sein de l’Em pire
ottoman sous couverture musulmane et les frankistes (voir
chapitre II) dans le monde catholique, projet finalement repris
par leurs dignes héritiers sionistes.

Yad Vashem est le mémorial de la Shoah. Centre du nouveau culte profane qui
a remplacé le christianisme en Occident. C ’est bien pour celte raison que Yud
Vashem a été édifié dans la ville sainte des Irais monothéismes.

44
Un siècle avant l’apparition du sabbataïsme au XV IIe siècle et
celle du frankisme au XV III1, un homme tenta de poursuivre
l’oeuvre de Solomon Molcho, un certain Joseph Nassi68 (1524-
1579).

Comme Molcho, il était marrane, né au Portugal, n’était pas


rabbin, mais banquier et homme public issu d’une richissime
famille de financiers. Après avoir vécu en Hollande, il émigre
en Turquie où il parvient à s’élever aux plus hautes sphères par
ses relations et l’intérêt que vit le sultan à avoir dans sa cour un
membre de la puissante famille Nassi. Celle-ci devant le faire
bénéficier de son considérable réseau de banquiers et commer­
çants juifs autour de la Méditerranée. Nassi fut nommé seigneur
de Tibériade en Palestine par Soliman le Magnifique. Il fut plus
proche encore de son fils et successeur Selim II que Nassi avait
soutenu lors de la guerre de succession ayant opposé Selim II à
son frère Bayazet [Bayazid].

Joseph Nassi est considéré, à tort, comme le précurseur du


mouvement sioniste du fait qu’usant de son influence et
de sa richesse à la cour de Soliman, il encouragea et finança
personnellement l’installation des juifs d’Europe en Palestine ;
c’est d’ailleurs dans le cadre de cette politique “proto sioniste”
que Soliman nomma Nassi seigneur de Tibériade. Cependant les
circonstances l’empêchèrent de poursuivre jusqu’à son terme
son projet messianique ; la mort de Selim II fit perdre à Nassi
son influence politique (quoiqu’il soit parvenu à sauvegarder
son pouvoir financier) et interrompit l’établissement de cette
première colonie juive en Palestine.

Voir sa biographie sur le site de la Jewish Encyclopédie :


http://mTO.jewishencyelopedia.com

45
Reste que Joseph Nassi est le premier à avoir concrétisé - de
façon éphémère - le projet messianique et en fut indéniablem ent
le précurseur, néanm oins il lui eût fallu pour « rebâtir » le royaume
d ’Israël plus qu’une relation privilégiée avec un pape influençable
ou la confiance de sultans ignorants les finalités réelles du projet
messianique.

I l lui a u ra it c erta in e m e n t fallu trou v er des co n d itio n s et


circonstances, des conjonctions d ’intérêts analogues à celles qui
se rencontrèrent lors de la Première G uerre mondiale.

A u d em eu ran t, si à l’époque la stratég ie du C h o c des


civilisations n’existait pas encore formellement - bien qu’elle
ait été théorisée par M olcho - l’idée directrice du projet proto
sioniste n’a pas vraim ent changé, c’est sensiblement la même
que celle que nous voyons à l’œuvre aujourd’hui. C ette stratégie
vise, depuis l’origine, à provoquer un affrontement destructeur
entre le monde chrétien et le monde musulman, au seul profit du
« peuple » d ’Israël.

Reste à découvrir quelles sont les bases théologiques d ’un projet


destiné à hâter la venue de la fin des temps par le retour des Juifs
en Eretz Israël... Dans ce contexte l’affrontem ent et le retour
se confondent ou se conjuguent pour constituer la condition
sine qua non d arrivée du messie juif. C ar cet affrontem ent qu’a
échoué à provoquer M olcho n’est pas de sa part une création
intellectuelle spontanée. Elle s’enracine dans une eschatologie —
science de la fin des temps —et une apocalyptique qui prennent
leur source très en amont dans l’Ancien Testament.

46
Origine biblique de la stratégie
du Choc des civilisations

Si nous avons révélé l’origine historique de la stratégie du Choc


des civilisations, il nous reste à dévoiler ses fondements bi­
bliques. Parce que tous ignorent aujourd’hui que ces fondements
sont déjà présents dans la Bible hébraïque quoiqu’elle ait fait
l’objet d’innombrables commentaires exégétiques depuis près de
deux mille ans.

Les musulmans dans la Bible hébraïque

Ici, nous montrerons, à la lecture de la Bible (dans la Genèse)


que Ismaël, le fils ainé d’Abraham, est le père des Arabes et par
extension, le père des musulmans. Dès lors, dans tous les écrits
rabbiniques, les musulmans sont appelés Isma'él oufils dïsmaël...

Dieu s’adressant à Abraham, dit :

« À l'égard d ’Ismaèl, je t ’ai exaucé. Oui, je l ’a i béni ;je teferaifruc­


tifier, etje le multiplierai à l'infini ; il engendrera douze princes, etje
ferai de lui une grande nation. » (Genèse, 17:20)

Ismaël et sa descendance sont à nouveau mentionnés dans la


Genèse au chapitre précédent, lorsque Agar grosse d’Ismaël, re­
çoit la visite d’un envoyé divin :

47
« Lange de VÉternel lui d it : Je multiplierai ta postérité, et elle sera
si nombreuse qu'on ne pourra la compter. Uange de l E tem el lui dit:
Voici, tu es enceinte, et tu enfanteras un fils, à qui tu donneras le nom
d ïsm a ël; car VÉternel t'a entendue69 dans ton affliction. » (Genèse,
16:10-11)

D ans le chapitre 21, on trouve une autre version du même ré­


cit70 :

« Dieu entendit la voix de l'en fa n f1 ; et l'ange de Dieu appela du


ciel Agar, et lui d it : Qu as-tu, Agar ? Ne crains point, car Dieu a
entendu la voix de l'enfant dans le lieu où il est. Lève-toi, prends
l'enfant, saisis-le de ta main ; carje ferai de lui une grande nation. »
(Genèse, 21:17-18)

Ismaël est ainsi le père des Arabes et de tous les musulmans au


sens spirituel, tout comme A braham est aussi le père des musul­
mans, des juifs et des chrétiens.

69 Ismaël en hébreu et en arabe signifie Dieu entend ou Dieu a entendu. Dans ce


passage en l’occurrence, Dieu a entendu la mère d ’Ismaël. Du point de vue
rabbinique, les enfants d’Ismaël, les musulmans, sont ceux que Dieu écoute le
plus, car ils sont ceux qui l’appellent le plus souvent dans leurs prières et à tout
autre moment. Par conséquent, du point de vue du judaïsm e, les juifs sont en
compétition spirituelle avec les musulmans, et s ’ils veulent régner de m anière
absolue sur la Terre sainte et en exclure les musulmans, ils doivent l’emporter
par une piété supérieure à celle des musulmans.
70 II y a deux récits racontant l’épisode où Agar est dans le désert. Dans le pre­
mier (chapitre 16) Agar est dans le désert alors qu’elle porte Ismaël ; dans le
second récit, Agar est dans le désert avec Ismaël qui a 14 ans environ. C ’est
un doublon de la même histoire.
71 Dans cette version Dieu entend la voix d ’Ismaël et non pas celle de sa mère,
ce qui est plus logique.

48
Les chrétiens dans la Bible hébraïque

Dans la Genèse, de même qu’Ismaël, père des musulmans, est le


frère d’Isaac, père des juifs, de même, Esaü - plus communément
appelé Edom - est le frère de Jacob72, père des douze tribus
d’Israël et partant de tous les Juifs. Abraham est ainsi le père
d’Isaac, qui est le père d’Esaü, son fils ainé, et de Jacob. Esaü,
Edom, est considéré dans le judaïsme comme étant le père des
Européens et par suite, le père des chrétiens d’Occident à l’instar
d’Ismaël, père des musulmans.

Pour comprendre le rapport des juifs aux Européens et le rapport


du judaïsme au christianisme, il est essentiel de connaître la na­
ture des rapports de Jacob et de son frère Esaü dans les Écritures.

Si Esaü est le frère aîné de Jacob, ce sont en fait des jumeaux,


mais Esaü a vu le jour le premier. Avant leur naissance, il est écrit
dans la Bible que Dieu, s’adressant à la mère - l’épouse d’Isaac
- d’Esaü et de Jacob, lui annonce que deux nations seront issues
d’elle. Voici ce qu’en dit la Bible :

« Le Seigneur lui dit : " Deux nations sont dans ton sein, et deux
peuples sortiront de tes entrailles ; un peuple sera plus puissant que
l'autre, et l ’ainé obéira au plus jeune." » (Genèse, 25:23).

Selon l’Ancien Testament, le peuple d ’Edom , l’Europe, est


destiné à obéir au peuple de Jacob, le peuple juif, Israël.
Mais lorsque la Bible dit qu’an peuple sera plus puissant que
l'autre, il est évident que c’est le peuple d’Edom qui est le
plus puissant des deux ; mais malgré cette supériorité de

72 Jacob est aussi appelé Israël dans la Bible.

49
puissance - supériorité m atérielle - l’E urope obéira au
peuple juif.

Les lecteurs qui sont au fait de l'influence des réseaux sionistes


et pro-israéliens en Europe et aux É tats-U nis —nous y revien­
drons - comprendront l’intérêt de ce rappel vétérotestamentaire
et pourquoi le peuple d’Israël s’est employé au cours de l’histoire
récente, avec tant de persévérance et d’acharnement, à faire de
ces versets de leur livre sacré, une réalité tangible. N ’oublions pas
que l’É tat israélien, en principe laïque —mais sans C onstitution
autre que la Torah - entend se légitimer par un droit de propriété
de nature divine. La dimension irrationnelle d ’une justification
prophétique est une dimension généralement ignorée ou jugé
négligeable. O r il n’en est rien.

La Bible nous dit que lorsque Esaü et Jacob devinrent adultes,


leurs caractères s’opposèrent. Esaü était un chasseur et Jacob
un homme inoffensif qui restait sous sa tente (Genèse, 25:27).
Selon les prêtres, Jacob était versé dans l’étude, comme le peuple
juif plus tard ; quant à Edom, il était un ignorant. Jacob est dé­
peint comme un homme rusé et fourbe, tandis qu’Esaü est un
imbécile et une brute. Lisons donc ce passage de la Genèse qui
en dit long sur le rapport du monde ju if au monde européen
chrétien :

« Un jour, Jacob faisait cuire du potage, quand Esaü revint des


champs,fatigué. Esaü dit àjacoh : «Laisse-moi avaler, je te prie, de ce
mets rouge73 (plat de lentille), carje suisfatigué ». Jacob dit alors :
« Vends-moi, d abord, ton droit d ’aînesse ». Esaü répondit : « Certes !

73 Edom signifie en hébreu « Le Rouge » ou « Le Roux ». C 'est ù cause de cet


épisode du plat de lentilles qu’on surnomma Esaü ainsi, m ais aussi parce qu'il
était roux.

50
je marche à la mort ; à quoi me sert donc le droit d'aînesse ? » (Ge­
nèse, 25:29-32).

C ’est ainsi que Jacob dupa Esaü qui fut déshérité par son frère
cadet au prix d’un plat de lentilles. L’usurpation ne s’arrête pas
là. Lorsqu’Isaac sentit sa fin approcher, il appela son fils préféré,
Esaü, et lui ordonna de lui apporter un gibier et d’en faire un
ragoût afin qu’il en mangeât et qu’il lui accorde sa bénédiction
(Genèse, 27:3-4). Mais Rébecca, la femme d’Isaac, ne l’enten­
dait pas de cette oreille, elle qui préférait Jacob. Elle conseilla
donc à son fils préféré de se faire passer pour Esaü auprès de son
père afin d’obtenir sa bénédiction à la place de son frère (Genèse,
27:8-10). Jacob s’exécuta, et voilà comment il parvint à dépouil­
ler son frère de la bénédiction de leur père en plus de son droit
d’aînesse. Or voici la bénédiction que formula Isaac pour son fils
Jacob qu’il prenait pour Esaü :

« Puisse-t-il t ’enrichir.; le Seigneur, de la rosée des deux et des sucs


de la terre, d'une abondance de moissons et de vendanges ! Que des
peuples t’obéissent ! Que des nations tombent à tes pieds ! Sois le
chef de tesfrères, et que les fils de ta mère se prosternent devant
toi ! Malédiction à qui te maudira, et qui te bénira soit béni ! » (Ge­
nèse, 27:28-29).

Nous remarquons la thématique de la soumission des nations,


et pas n’importe quelles nations, celles qui seront issues de son
frère Edom, c’est-à-dire les nations occidentales. Ainsi selon la
Bible, Jacob, père des Israélites et des juifs, a obtenu richesses et
bénédiction par l'usurpation, la traîtrise et le mensonge. Si donc
le prophète, patriarche et père des juifs s’est comporté ainsi, il
est alors tout à fait justifié, du point de vue du judaïsme, que ses
descendants se comportent de la même manière vis-à-vis des
non-juifs.

51
In fin e, si le lecteur peut sourire en lisant ces passages de la
Bible, les rabbins, eux, prennent ces récits très au sérieux, plus
que personne, et s’attacheront à développer une théologie et une
praxéologie autour de la Bible, un texte qui, comme nous le sa­
vons maintenant grâce aux travaux d'érudits hébraïsants comme
Richard Friedman74, a été entre le Xe e t le Ve siècle avant Jé-
sus-Christ, très largement manipulé et remanié en fonction des
besoins et des circonstances pour en faire un outil politique et à
présent, avec l’accomplissement du sionisme, un instrum ent et
un projet géopolitique.

L e destin des chrétiens et des musulmans selon le Judaïsme

Disons-le d’entrée, du point de vue du judaïsme, un destin fu­


neste attend les chrétiens et les musulmans. E t nous voyons
d’ores et déjà ce destin s’accomplir.

Cependant, avant de prendre connaissance de l’interprétation que


les grands prêtres ont tiré des Ecritures, voyons ce que la Bible
dit littéralement au sujet des héritiers d’Edom, des chrétiens et
de leur destin. C ’e st dans le livre du prophète O badia (composé
d ’un seul chapitre de 21 versets) et qui est d ’une im portance
non négligeable pour les juifs parce que l’on y découvre le sort
attendant les fils d ’Edom. Les israélites achèvent leurs prières du
matin et du soir par le dernier verset de ce livre d ont la teneur est
eschatologique, autrement dit concerne lafin des temps.

74 Voir : Richard Friedman, Qui a écrit la Bihlc ? La prodigieuse quête des au-
leurs de l'Ancien Testament, éd. Exergue, 2007.

52
Dans ce livre Obadia parle exclusivement d’Edom (Esaü) et du
sort qui l’attend ; or voici ce qu’on y lit75 :

« Ah ! comme Esaü estfouillé en toits sens ! Comme ses retraites mysté­


rieuses sont mises à découvert ! Ils te poursuiventjusqu’aux frontières,
tous ceux qui étaient tes alliés ; ils te trompent, ils te maîtrisent, tespré­
tendus amis ! Le pain qu’ils t'apportent, c’est un piège sous tes pas, et tu
ne l ’as pas compris ! Certes, en cejour, dit l ’E teme/Jeferai disparaître
les sages en Edom et la prudence sur le mont d ’Esaü. Tes guerriers, ô
Tëman (nom donné au fils ainé d’Esaü), seront paralysés, de sorte
que tout homme sur le mont d'Esaü soit exterminé lors du carnage. À
cause de ta cruauté à l'égard de tonfrèreJacob, tu seras couvert de honte,
et ta ruine sera étemelle » (Obadia, 6-10).

Plus loin, il est écrit qu’Israël (la maison de Jacob et de son fils
Joseph) détruira le pays d’Edom (l’Occident) :

« Mais sur le mont Sion (en Israël, là où devait se trouvait le Temple


de Salomon et où aujourd’hui se situe la Mosquée d’al-Aqsa) un dé­
bris subsistera et sera une chose sainte, et la maison deJacob rentrera en
possession de son patrimoine (interprété comme le retour des juifs en
Terre sainte pour la posséder). La maison deJacob sera unfeu, la mai­
son deJoseph uneflamme, la maison d ’E saü un amas de chaume : ils le
brideront, ils h consumeront, et rien ne survivra de la maison d ’Esaii »
(Obadia, 17-18).

Et le livre d ’Obadia se clôt par ce verset présent dans les prières


juives du matin et du soir :

75 La Bible, traduction intégrale hébreu-français par les membres du Rabbinat


Français sous la direction du Grand-Rabbin Zadoc Kahn, éd. Sinaï, Tel-Aviv/
Israël, 1994.

53
« E t des libérateurs monteront sur la montagne de Sion, pour sefaire
lesjusticiers du mont dEsaü, et la royauté appartiendra à l Étem el »
(Obadia, 21).

Le livre d ’Obadia ne prom et pas seulement la destruction de


l’Europe seule, mais bien celle de toutes les nations :

« Quand approchera le jour du Seigneur pour toutes tes nations, -


comme tu as fa it il te sera fa it, tes œuvres retomberont sur ta tète.
Oui, comme vous avez bu sur ma montagne sainte, ainsi les nations
boiront sans discontinuer ; elles boiront et en perdront la raison,
elles seront comme si elles n'avaient jam ais été. » (Obadia, 15-16).

Dans le livre d’un autre prophète, Daniel (qui aurait vécu durant
l’exil à Babylone, entre 588-538 av. J.-C .), il est fait allusion, de
façon symbolique, aux quatre empires auxquels devait faire face le
peuple ju if 6. Parm i eux, l’Em pire rom ain, qui historiquem ent,
est l’origine de l’Europe chrétienne. E t de tout tem ps, tous les
rabbins sans exception sont d ’accord pour dire qu’Edom , Rome,
représente la chrétienté. Dans cette prophétie, D aniel écrit que
tous les empires en question s’effondreront, à savoir, l'Em pire
babylonien, puis l’Empire des Mèdes, suivi de l’Em pire perse et
pour finir l’Empire romain.

Les livres d ’Obadia et de Daniel ont fait l’objet d ’interprétations


rabbiniques depuis au moins 2000 ans et ces interprétations
apocalyptiques sont à l’origine du plan machiavélien de Solomon
M olcho et de ses héritiers sionistes. C ar cette stratégie (qui a
connu un oubli passager après la m ort de M olcho) du Choc des
civilisations est ancrée dans cette interprétation apocalyptique et
eschatologique.

76 Voir les chapitres 2 et 7 du livre de Daniel. La Bible, op. cité.

54
Le moment est maintenant arrivé de livrer au lecteur les inter­
prétations qui ont suivi au cours des siècles ces prophéties, les­
quelles sont autant de clefs de décryptage du monde moderne.
L'ensemble des commentaires exégétiques présentés ici ont par
ailleurs et pour objet la fin des temps et la victoire finale d’Israël,
celle-ci ne devant s’obtenir qu’à l’issue d’une grande guerre au
cours de laquelle chrétiens et musulmans doivent s’entredéchirer.

Le premier grand rabbin qui présenta une interprétation escha-


tologique de ce type fut Eliezer ben Hourcanos qui vécut au I"
siècle. Il nous a légué une interprétation d’un verset de la Genèse
à la lumière du livre de Daniel dont il tire ses conclusions quant
à la victoire finale d’Israël sur les Chrétiens et les Musulmans.
Ici le verset en question suivi de l’interprétation d’Eliezer qui, en
partant de certains mots (mis en gras), et avec beaucoup d’imagi­
nation, expose sa vision personnelle de la fin des temps :

« Le soleil étant sur son déclin, une torpeur s’empara d'Abraham


tandis qu'une épouvante, une grande obscurité tomba sur lui. »
(Genèse, 15:12)

Eliezer commente ainsi :

« Une épouvante » : il s’agit de la 4‘"“ royauté à propos de laquelle il


est dit (Daniel, 7 :7) : « Ensuiteje regardai encore au cours de ma vi­
sion nocturne, et voilà une quatrième bête,formidable, épouvantable
et extrêmement puissante : elle avait de puissantes dents de fer, elle
dévorait et broyait : ce quelle laissait, elle lefoulait aux pieds ».

Le mot « obscurité » représente le royaume de Grèce qui a obscurci les


yeux d ’Israël en interdisant l ’accomplissement des mitsvot (les lois)
de la Torah.

55
Le mot «grande » représente le royaume de Perse qui a grandem ent
mal agi en vendant le peuple d'Israël pour une valeur dérisoire.

Le mot « tomba » représente le royaume de Babylone par lequel est


tombée la couronne d'Israël.

Le mot « sur (lui) » représente les ismaélites (les fils d Ismaël, les
Arabes et les musulmans en général) sur lesquels lefils de D avid
(le Messie) grandira comme il est dit dans les Psaumes (132:13-
18):* Car l ’É tem ela fa it choix de Sion. I l l'a voulue pour demeure :
« Ce sera là Mon lieu de repos à jamais, là je demeurerai, carje l ’ai
voulu : Je bénirai amplement ses approvisionnements. Je rassasierai
ses pauvres de pain. J ’habillerai ses prêtres de vêtement de triomphe,
et ses hommes pieux éclateront en cris de joie. Là Je ferai grandir la
corne de David. J'allumerai leflambeau de mon Oint. Ses ennemis. Je
les revêtirai de honte et sur sa tête brillera son diadème »77.

« Le fils de D avid grandira sur les ismaélites » est interprété par les
rabbins comme signifiant que le Messie apparaitra après et par la
ruine (leur destruction) de la descendance d’Ismaël, car c’est au
milieu des Arabes (à Jérusalem) que le Messie fera son apparition.

Dans le livre le plus important de la tradition mystique juive, le


Zohar, on lit des choses également fort intéressantes à propos
du destin des musulmans et des chrétiens. Ce passage eschato-
logique du Zohar que nous allons citer a été étudié par tous les
prêtres qui se sont penchés sur la question de la fin des temps,
autant dire tous les rabbins :

« Lesfils d Ismaël (les musulmans) domineront la Terre sainte pen­


dant longtemps alors quelle sera vide, de même que leur circoncision est

77 Rabbi Eliczer, Les chapitres, chapitre 28. éditions Vcrdier.

56
vide et imparfaite. Ils empêcheront lesfils d ’Israël d ’y retourner*3jusqu’à
ce que s'épuise ce mente desfils d ’Ismaël. Lesfils d ’Ismaëlprovoqueront
de dures guerres dans le monde et lesfilsd’Edom (le monde occidental)
se rassembleront contre euxpour les combattre. Ilsferont contre eux une
bataille sur la mer, une sur la terre et une autre proche de Jérusalem.
Les uns auront la maîtrise des autres. Néanmoins, la Terre sainte ne
sera pas conquisepar lesfils d ’Edom. »79

Ceci ressemble étrangement au combat qui opposa la Grande Bre­


tagne à l’Empire ottoman, et à l’issue duquel ce dernier perdit
le contrôle de la Palestine où un Foyer national juif vit alors le
jour sous mandat anglais. Pourtant le passage du Zohar ici en
question n’est pas interprété par les rabbins suivant cette lec­
ture historique. Pour eux la guerre opposant Chrétiens et Mu­
sulmans est encore à venir. Une grande guerre qui mènera à la
chute d’Edom (l’Occident) et d’Ismaël (l’Islam), afin que vienne
le règne d’Israël et de son Messie.

Solomon Molcho, comme tous les kabbalistes, avait lu et étudié


très sérieusement le Zohar. Sa stratégie a été par conséquent,
en toute logique, inspirée ou influencée par sa lecture des écrits
prophétiques ci-dessus mentionnés. Depuis Moïse Nahmanide,
et plus encore avec Abraham Aboulafia qui est passé à l’action
en tentant de rencontrer le Pape, les prophéties ne sont plus des
paroles dont la réalisation dépendrait de Dieu, mais leur concré­
tisation revient aux savants kabbalistes et au peuple ju if sous la
conduite de ses mentors messianiques.

78 Bien évidemment les musulmans n’ont jamais empêché les juifs de vivre
en Terre sainte. Ce qu’entend i'auteur du Zohar par « y retourner » est le
retour de TOUS les juifs pour y refonder le royaume d’Israël. Ce qui, nous
le rappelons a été interdit par la Torah et le Talmud... mais nous ne sommes
plus à une contradiction près.
79 Zohar, parachat Vaéra, p. 32A.

57
Pour résumer, la chrétienté devrait ultim em ent se soumettre au
judaïsme (Genèse, 25:23), lui obéir (Genèse 27:29), puis déchoir
(Obadia, 6-10 et Obadia 17-18), mais pas avant d’avoir livré
des guerres au profit du peuple ju if et de son retour en Terre
sainte. Le règne d’Israël adviendrait de cette façon à l’issue d ’une
grande guerre opposant Occidentaux et musulmans, au cours de
laquelle Edom et Ismaël s’autodétruiront mutuellement (Zohar,
parachat Vaéra, p. 32A). Ce qui aura pour conséquence de créer
les conditions de la venue du Messie (Rabbi Eliezer, Les cha­
pitres, chapitre 28).

C ’est ce programme que Solomon M olcho a tenté d'appliquer. Il


n’a pu aller au bout, mais ce netait que partie remise. Après la mort
de Solomon Molcho, le projet sioniste par anticipation fit une pause
nécessaire (mis à part la parenthèse Joseph Nassi), le temps que le
messianisme actifse propage dans la totalité les communautés juives
d ’Europe, et au-delà, ne contamine les chrétiens vétérotestamen-
taires judéo-chrétiens...

58
Du messianisme ju if au messianisme
protestant

Nous avons dit plus haut que la kabbale espagnole, empreinte


d’un timide messianisme actif, tomba dans le domaine public après
l’expulsion des juifs d’Espagne au printemps 1492. Au XVIe siècle,
le messianisme de la kabbale va s’accentuer au point de s’impo­
ser comme la dimension essentielle de la mystique juive. L’homme
qui opère cette mutation est Isaac Ashkenazi Louria qui vient au
monde à Jérusalem en 1534 d’un père ashkénaze, deux ans après
la mort de Solomon Molcho.

Isaac Louria (1534-1572)

Isaac Louria est né en 1534 à Jérusalem, d’un père originaire


d’Allemagne et d’une mère séfarade d’Egypte ; pays où il passe
son enfance après la mort de son père. Selon une source tradi­
tionnelle, il aurait étudié avec un maître de la kabbale polonais à
Jérusalem80. Louria vint au monde à l’époque où le centre de la
kabbale se trouvait à Safed, en Terre sainte, ville où il s’installe
tardivement, en 1570.

Louria était surnommé ha-Ari, « le lion sacré » et « Ha-Elohi Rabbi


Yizhak » qui veut dire « le divin Rabbi Isaac » ; ces noms qu’on lui a
attribués vous donnent déjà une idée quant à l’influence et à l’autorité

80 Gershom Scholem, La kabbale, une introduction, origines, thèmes et biogra­


phies, p. 629.

59
de ce rabbin. Lui aussi fat considéré comme le Messie, fils de Jo­
seph, à l’instar d’Aboulafia et de Molcho, à la différence près que ces
deux prédécesseurs (comme bien d'autres) s autoprodamèrent chacun
Messie, fils de Joseph ; Louria au contraire n affichait pas cette préten­
tion, du moins, pas en public.

Voilà ce que Gershom Scholem a dit au sujet d ’Isaac Louria :

« Isaac Louria Askkenazifat plus illustre encore que Cordoverc?1. Figure


centrale de la nouvelle kabbale, il est le kabbaliste mystique majeur d'après
l'expulsion (d'Espagne). Bien qu’il n’eût travaillé à Safed que durant les
deux ou trois dernières années de sa vie, il eut une profonde influence sur le
cerclefermé des étudiants - certains étaient de grands savants - qui, après
sa mort, diffusèrent et commentèrent diverses versions de ses idées et de sa
façon de vivre, essentiellement à partir de lafin du X V ? siècle... et dans
l'histoire de la kabbale, seul le rayonnement du Zohar peut se mesurer
au s i e n E t il poursuit : « Les aspects originaux de l ’œuvre de Louria,
tant dans les grandes orientations que dans le détail, étaient aussi profonds
qu'extrémistes et, bien qu’enracinés dans les théoriesplus anciennes, ils renou­
velèrent entièrement la kabbale. Une nouvelle terminologie et un nouveau
symbolisme, plus complexe, sont les traits marquants de la littérature issue
de cette école. >“

D e quelle manière l'oeuvre d’Isaac Louria a-t-elle pu égaler


en termes de rayonnement et d’influence le Z ohar qui était,
rappelons-le, le point culminant de la littérature kabbalistique ?

81 Moïse Cordovero (1522-1570) était un grand rabbin de Safed, contemporain


d Isaac Louria avec qui il étudia ; Louria le considérait com m e son m aître.
Gershom Scholem dit de Cordovero qu’il était « le plus g rand interprète de
la kabbale et son penseur le plus ém inent ». La kabbale, une introduction,
origines, thèmes et biographies. 1998, p. 144.
82- Scholem, op. cit. p. 146.
83 Scholem, op. cit. p. 147.

60
Et surtout, qu’entend Scholem lorsqu’il dit que Louria renouvelle
entièrement la kabbale ? Quelles sont, à ce titre, les singularités
de la pensée d’Isaac Louria ?

Scholem nous donne des éléments de réponses : « Son système,


pour une large mesure, ne se prête pas à une approche intellectuelle
et, dans la plupart des cas, il ne peut être pénétré que par une mé­
ditation personnelle. Même dans sa théorie de la création qui, dès
son introduction, se rattache à la mystique extrême du langage et des
saints Noms, dans lesquels est concentré lepouvoir divin, onparvient
rapidement au point - les détails de l'idée du tikkun ha-parzujim
(la restitution desfaces de Dieu) - qui échappe au champ de la per­
ception intellectuelle. Il s'agit là d ’un exemple extrême de réaction
gnostique de la kabbale, qui introduit d'innombrables degrés dans les
niveaux de l'émanation et les lumières qui y brillent. Cette réaction
gnostique, et avec elle la tendance mythique de la kabbale, atteignit
son apogée chez Louria au moment où ses relations avec les courants
philosophiques de la kabbale espagnole, comme avec celle de Cordove-
ro, étaient des plus ténues. »8,1

Dans ce passage, Scholem expose la dimension purement mys­


tique et secrète de la doctrine de Louria, qui d’ailleurs n’enseignait
qu’oralement à ses élèves ; un enseignement qu’il improvisait,
d’une certaine manière, et qu’il ne dispensait qu’à une poignée
de disciples choisis. Il prenait soin d’adapter son enseignement à
chacun de ses élèves lorsqu’il se retrouvait en privé avec l’un d’entre
eux, de façon à ce que chacun possède une part de l’enseignement
ou le comprenne sous un angle de vue particulier85 ; peut-être dans
le but d’éviter qu’un élève ne s’accapare la totalité de son œuvre et

84 Scholem, op. cit. pp. 146-147.


85 Scholem, op. cit. p. 629.

61
ne la déforme86. Comme nous l'avons dit plus haut, la Gnose fait
partie de la kabbale depuis son origine, mais Isaac Louria va, par
ses spéculations sur la création et les émanations divines de la créa­
tion87, accentuer la dimension gnostique de la kabbale.

Mais ce n’est pas tout. Louria va combiner cette mystique ésotérique


à une autre dimension plus philosophique et conceptuelle. Ce
dont Gershom Scholem nous en donne un début d’aperçu : « Les
passages intelligibles se rattachant aux origines du processus de création
divergent considérablement du point de départ des néo-platoniciens,
mais sont d ’une grande importance pour l ’histoire de la mystique, et
leur influence historiquef u t immense »88.

Pour notre part, nous allons nous concentrer sur ce qui nous
intéresse, à savoir la contribution de Louria au mouvement
messianique, et elle n’est pas des moindres, comme le décrit
Scholem : « La kabbale lourianique instaurait un juste équilibre
entre les spéculations théoriques et la pratique. L ’élément messianique
y est bien plus considérable que dans les autres systèmes kabbalistiques ;
la théorie du tikkun”, en effet, tendait à interpréter globalement le
judaïsme comme une tension messianique intense »90.

Isaac Louria, intègre dans sa conception cosm ogonique

86 Toutefois, 1 œuvre de Louria fijt quasi-entièrement rapportée par son meilleurs


élève, Hayyim Vital ( 1543-1620).
87 Pour rappel : Le concept d’émanations de Dieu dans la création de l’univers
vient de la Gnose ; ces émanations s'appellent dans la Gnose les éons. Dans
la kabbale - qui emprunte ce concept gnostique - ces émanations s ’appellent
les séjirot.
88 Scholem, op. cit. p. 147.
89 Le tikkun signifie « réparation », une réparation des âmes ou une réparation
plus globale, au sens cosmique (c’est de celle-ci qu’il s ’agit dans le système
Lourianique).
90 Scholem, op. cit. p. 148.

62
(étude de la création de l’univers) et cosmologique (étude de la
composition de l’univers) - elles-mêmes liées au sens de l’histoire
(selon lui) - l’élément messianique, comme étant le pivot central de
ce mouvement cosmohistorique.

Qu’est-ce que cela signifie ? L’idée de Louria est que le tikkun


cosmique (réparation du cosmos) est directement lié au destin et
à l’action du peuple ju if ; la réparation du désordre cosmique - car
la kabbale Lourianique considère la création de l’univers comme
un accident ayant produit un désordre : une idée empruntée à la
Gnose - n’est possible que par la rédemption du peuple juif, qui
n’est possible que par son retour en Terre sainte.

En effet, dans la mystique juive depuis la période espagnole, le


centre de l’univers est le peuple ju if ; le pivot de l’histoire est le
peuple juif, la création tout entière n’a de sens que par l’existence
et l’accomplissement du peuple juif. La nouveauté que Louria
apporte est la suivante : cette rédemption, cet accomplissement,
n’est possible que par la réparation cosmique ; une réparation qui
ne se fait pas d’elle-même, mais par l’action volontariste d’Israël,
c’est-à-dire du peuple juif.

Mais pour les kabbalistes de Gérone (XIIIe siècle) qui ont pré­
cédé Louria, la réparation cosmique doit venir d’en haut, de
Dieu et non pas du peuple juif, contrairement à l’idée de Lou­
ria ou à celle de Nahmanide qui fut le premier à développer
l’idée que l’on pouvait ou devait (voir plus bas) hâter la venue
du Messie ; toutefois, Nahmanide n’envisageait aucune action
concrète en dehors d ’une augmentation de la piété des juifs.
Gershom Scholem expose ainsi la conception des kabbalistes
espagnols de la manière suivante : « Les kabbalistes de Gérone

63
soutiennent qu’aussi longtemps que durera l exil\ les Sefirot ne
fonctionneront pas normalement / comme elles se sont repliées vers
la source de leur émanation originelle, Israël manque de puissance
pour adhérer à elles par l'Esprit divin, qui lui aussi est p a rti vers
le haut92. .. Lorsque le peuple j u i f viv a it encore sur sa terre, l'influx
divin descendait d'en hautjusqu'en bas et remontait d'en bas vers en
haut toujours jusqu'à la plus haute Sefirah, Keter... Cest dans ces
mêmes cercles espagnols qu apparut pour la première fois la croyance
en la nature mystique du Messie, qui était supposé consister en une
harmonie des niveaux de création, du plus subtil au plus grossier
d'où il tenait «un pouvoir divin et un pouvoir angélique, un pou­
voir humain, un pouvoir végétal et un pouvoir animal» (Azriel
dans « Épitre à Burgos »). Le Messie sera créé par l'action parti­
culière de Malkhut93, et du fa it de cette origine, ses facultés de co-
gnition seront élevées au-dessus de celles des anges. Le Zohar adopte
également la position selon laquelle le nœud de la rédemption se
résoudra de lui-même par la conjonction ininterrompue du Tiferet94
et de M alkhut, et que la rédemption d'Israël ne fa i t qu'un avec la
rédemption de Dieu Lui-même dans Son exil mystique95. L'origine
de cette conviction est talmudique et se trouve à la fo is dans le Tal-
mud de Jérusalem, Sukkah, 4, 3 et dans le Midrash, Lév. R . 9, 3 :
«Le salut du Saint, béni soit-il, est le salut d'Israël »96.

91 Nous l’avons expliqué plus haut, les Sefirot sont les ém anations divines par
lesquelles l’univers fut créé, mais aussi par lesquelles l’univers fonctionne.
Ces Sefirot sont au nombre de dix et sont toutes interconnectées et forment
1 arbre de vie. Nous rappelons que ce concept d’émanations divines vient de
la Gnose.
92 On retrouve ici 1 idée gnostique du dieu lointain et inaccessible que la kabbale
reprend.
93 Malkhut est la dixième sefirah.
94 Tiferet est la sixième sefirah.
95 II s agit encore du concept gnostique du dieu lointain, que la kabbale reprend.
96 Scholem, op. cit. p. 270.

64
Les kabbalistes de Gérone, trois siècles avant Louria pensaient
que la réparation cosmique devait venir de Dieu par Sa « ré­
demption », et que cette rédemption divine causerait la rédemp­
tion d’Israël et par là, son retour en Terre sainte, rétablissant ainsi
ce lien « harmonieux », cette « osmose » entre Dieu et le peuple
ju if qui existait (selon eux) du temps où ils vivaient en Terre
sainte.

La rédemption d’Israël a une définition large ; elle devait, du


point de vue de la kabbale espagnole, survenir progressivement
et définitivement avec la venue du Messie qui devait ramener
Israël en Terre sainte. M ais les kabbalistes espagnols étaient
partagés sur la manière dont surviendrait cette rédemption :
les uns défendaient la thèse d’un processus progressif et im­
manent, et les autres adhéraient à l’idée d’un prodige. La kab­
bale lourianique tranchera la question : la rédemption se fera
progressivement et par l’action du peuple ju if97.

Le processus mystico-cosmique - qui a lieu dans les mondes


spirituels et qui est non apparent - de la rédemption qui
accompagne celui de l’Histoire - processus apparent - se produit
par des étapes et doit s’achever par la récupération de toutes les
étincelles de saintetés enfermées parmi les kelippot98.

Les kelippot (pluriel de kelippah) sont, à l’origine, les écorces de


l’Arbre d’émanation - l’arbre de vie kabbalistique qui aurait créé
l’univers et qui eét formé des 10 sefirot : les émanations divines-,
les coques, qui renferment le mal. D ’après les kabbalistes, l’Arbre
de Vie et l’Arbre de la Connaissance étaient unis dans une
parfaite harmonie. Ces deux arbres furent désunis par Adam

97 Scholem, op. cit. p. 509.


98 Scholem, op. cit. p. 272.

65
lorsqu’il mangea le fruit défendu. Il a ainsi donné corps au mal
qui était contenu dans l'Arbre de la Connaissance du bien et du
mal et qui se matérialisa dans le mauvais in stin ct". Lexil d Israël
est lié à ce premier péché d’Adam qui a eu pour conséquence
de disperser les étincelles de sainteté de l’âme d’Adam et de la
Shekinah (présence divine incarnée par le peuple d’Israël). La
mission dlsraël est de réunir ces étincelles et de les relever pour
préparer la rédemption100.

La rédemption correspond à la période messianique et eschatolo-


gique ; un certain nombre d ’événements doivent précéder cette
rédemption et la venue du Messie, comme la guerre de la fin
des temps - une troisième guerre mondiale en conclusion des
deux précédentes ? - et la chute du pape101 - démission du pape
Benoit XVI le 11 février 2013 ou de la papauté ?102

Moïse Nahmanide a révolutionné la conception messianique des


kabbalistes de Gérone, car il est le premier à avoir développé l’idée
que les juifs peuvent hâter la venue du M essie et par là la ré­
demption. Isaac Louria, a suivi les traces de N ahm anide (lequel
restait modéré de ce point de vue) et M olcho, et décréta que c’e st
le peuple juif qui devait provoquer la réparation cosmique et être
acteur de sa propre rédemption103.

99 Scholem, op. cit. p. 213.


100 Scholem, op. cit. p. 270.
101 Scholem, op. cil. p. 508.
102 Benoit XVI reçut, quelques jours après sa dém ission les rem erciem ents
du messianiste extrémiste et premier ministre israélien, B enjam in N é­
tanyahou - nous reviendrons sur le courant m essianiste auquel il appartient
et l agenda politoco-messianique que poursuit la classe dirigeante israé­
lienne - pour ses efforts pour le rapprochement entre ju ifs et catholiques.
Source : Reuters : http://fr.reulers.com
103 Scholem op. cit. p. 239

66
Le lecteur se demandera certainement en quoi la différence entre
la conception des kabbalistes de Gérone et celle de Louria au
sujet de la rédemption est importante ; nous répondrons quelle
est d’une importance majeure, car d’une part, la conception du
Tikkun (réparation cosmique) de Louria va doper le messia­
nisme, parce quelle énonce l’idée que le peuple ju if est le seul et
unique acteur de sa rédemption, induisant que Dieu est passif,
presque spectateur, et d’autre part, Louria fait du peuple juif le
seul et unique moteur de l’histoire. Non seulement le moteur de
sa propre histoire, mais le moteur de l’histoire de l’Humanité et
de l’univers dans sa totalité, car par son action, le peuple juif, en
plus d’apporter sa propre rédemption, répare le cosmos et « ré­
instaure » pour toute l’Humanité (gardons à l’esprit que selon
le Judaïsme les non-juifs constituent une sous-humanité104) le
« paradis » sur terre105.

C ’est ce qu’explique Scholem décrivant cette conception louria-


nique de restauration : « Toutes les créatures sont en exil depuis
le tout début de la création et la charge de restaurer chaque chose à
sa propre place incombe au peuple juif, dont l ’histoire et le destin
symbolisent l'état de l ’ensemble de l ’univers »106. E t Scholem décrit
le processus par lequel doit s’inscrire cette restauration : « Les
étincelles de divinité sont dispersées partout, ainsi que les étincelles
de l ’âme primitive d'Adam ; mais elles sont retenues prisonnières de

104 Voir la dimension mystique qu’ont développée les kabbalistes (en particulier
dans le Zohar) sur l’ infériorité de l’âme des non-juifs - infériorité déjà
énoncée par la Torah (nous y reviendrons) : Scholem op. cit. p. 257.
105 Ce paradis terrestre qui doit être atteint après plusieurs phases successives
et progressives est décrit par Moïse Nahmanide ainsi : « Ce n'est qu'au
temps messianique que l'homme retrou\'era cet état paradisiaque dans
lequel il faisait de lui-même ce q u ’il convenait de faire, et où sa volonté
ne se retournerait pas contre lui » (Nahmanide commentaire du Dt. 30, 6),
rapporté par Gershom Scholem op. cit. p. 270.
106 Scholem, op. cit. p. 378.

67
la kelippah, la puissance du mal, et doivent être rachetées. Toutefois,
cette rédemption ne peut être réalisée par une action finale unique,
mais elle s ’effectuera au terme d ’une longue suite d ’a gissements qui
en préparent la réalisation. Ce que les kabbalistes appellent « res­
tauration » (tikkun) suppose à la fois le processus qui permettra de
retrouver l ’harmonie - ce qui constitue la tâche essentielle du peuple
j u i f - et le résultatfinal, l ’é tat de rédemption annoncée p a r la ma­
nifestation du Messie, qui est le signe de la dernière phase ».107

Il est à noter que Louria considérait que la rédemption finale était


imminente, car selon lui, la quasi-totalité du processus de restau­
ration (tikkun) avait été accomplis, et par conséquent, il rie restait
que les dernières phases à accomplir108. Or, cette « imminence » de
la rédemption telle que la conçoit Louria, va avoir une incidence
majeure sur le mouvement messianique actif qui s'accomplira dans
le sionisme. Cette incidence est double : d’une part, le messianisme
actif va être accentué, exacerbé et poussé à l’extrême, et d ’autre
part, le messianisme sera poussé dans une course fiévreuse, une
précipitation qui ne sera pas sans conséquence pour le monde juif.

Rappelons-le, dans la conception de Nahm anide le peuple ju if


peut hâter la venue du Messie simplement par sa bonne pra­
tique religieuse ; son messianisme actif “modéré” est développé
par ceux qui lui succéderont, notam m ent Aboulafia et M olcho,
qui se considéraient néanmoins chacun comme le Messie fils de
Joseph devant soumettre le pape et ramener le peuple ju if en Terre
sainte. Le système de Louria pour sa part induit l'idée que c’est le
peuple ju if qui doit retourner de et par lui-même en Terre sainte
pour permettre la rédemption, l’arrivée du M essie après répara-

107 Gershom Scholem, La kabbale', une introduction, origines, thèmes et bio­


graphies, pp. 378-379.
108 Gershom Scholem, La kabbale, une introduction, origines, thèm es et bio­
graphies, p. 379.
tion du cosmos ne pouvant intervenir qu’après la destruction des
kellipot enfermant la lumière divine ; la restauration de l’ordre
divin/cosmique étant la réunification du peuple hébraïque. Ainsi
dans le système lourianique, tout, absolument tout, dépend de
l’action du peuple juif qui est la clef de son propre destin et de
celui de la création dans son ensemble. La kabbale lourianique
ne se contente donc pas, comme la kabbale espagnole, de faire du
peuple juif le centre de l’histoire et de l’univers, il en fait en plus
de cela, son seul moteur.

La kabbale lourianique commence à se diffuser en Palestine à la fin du


XVI' siècle1®, et à partir de cette époque, la kabbale de Safed atteint
le publicjuif et commence à influencer les moeurs de la communauté.
La kabbale sort du secret et se vulgarise pour devenir sourdement
partie prenante du quotidien. Dès le début du XVII' siècle, la
kabbale spécifiquement lourianique accompagne la propagation
de la kabbale en Europe et en Orient, notamment à Amsterdam
(une ville qui aura une certaine importance), en Pologne, en Italie
(à Venise particulièrement). Gershom Scholem décrit cette
propagation comme un raz de marrée kabbaliste qui balaya
l ’Orient et L ’Europe. La kabbale lourianique l’emporte de cette façon
sur la kabbale de Cordovero, la conséquence en est que partout où la
kabbale de Safed s’installe, la kabbale Lourianique l’accompagne110.
Ce mouvement d’expansion de la kabbale est tel que Gershom
Scholem écrit à ce propos : « Progressant irrésistiblement, la kabbale
parvint en Pologne dans la seconde moitié du XVI' siècle. L'enthousiasme
dupublic atteignit de tellesproportions que "celui qui élevait des objections
à l ’encontre de la science de la kabbale"était "passible d ’excommunication"
(R.Joel SirAes dans ses responsa,première série [1834], n 5) » " ’.

109 Scholem , op. cit. pp. 150-151.


110 Voir la progression de la kabbale et de la kabbale Lourianique dans Scholem,
op. cit. pp. 151-153.
111 Scholem, op. cit. p. 153.

69
Voilà comment la kabbale —un mouvement qui était vu pendant
des siècles par le rabbinat comme une hérésie dangereuse - devint
finalement, comme les autres grandes innovations introduites par
les rabbins depuis l’Antiquité, partie intégrante de l’orthodoxie
juive. Toutes les communautés juives d’Europe sont gagnées par
la kabbale durant le X V I' siècle, mouvement rapidem ent suivi
par l’arrivée de la kabbale lourianique (dont le messianisme actif
est extrême) au X V II' siècle ; et c’est précisément dans cette
période qu’apparaît le courant restaurationniste en Angleterre. La
question est ici de voir quel est le pont ayant relié le messianisme
actif de la kabbale et le christianisme réformé et plus spécialement
“puritain” ?

L e messianisme actif, du judaïsm e au christianisme

La kabbale fait son entrée dans les milieux chrétiens dans la se­
conde moitié du XV' siècle112, avant même la réforme protes­
tante. C ’est dans cette période qu’a lieu l’expulsion d ’Espagne qui
intensifia le messianisme actif de la kabbale. La kabbale chré­
tienne apparaît et se propage dans un premier temps en Italie et
en France aux XV' et X V I' siècles, puis, dès le début du X V II'
siècle le centre de la kabbale chrétienne se déplace en Allemagne
et en Angleterre, deux pays ayant embrassé en partie la doctrine
réformée113. C ’est précisément dans cette période qu’apparaît en
Angleterre un courant protestant faisant la prom otion du retour
des juifs en Terre sainte. Période à laquelle les historiens s’inté-

112 Le nom le plus célèbre de cette kabbale chrétienne du X V siècle est l’italien
Giovanni Pic de La Mirandole (1463-1494), suivi par Johannes Reuchlin
(1455-1522) et d ’autres.
113 Scholem .op. cit. p. 316.
ressant au sionisme ont fait commencer leurs recherches. Au vu
de ce qui précède l’on comprend maintenant comment le messia­
nisme actif est soudainement apparu en Angleterre, et pourquoi
seule la piste que nous avons suivie, celle de la mystique juive,
permet de comprendre l'origine du sionisme et du restauration-
nisme protestant.

Reste à comprendre pourquoi c’est en Angleterre en particu­


lier que le messianisme actif s’encra le plus solidement... En
1604, au Portugal, est né un rabbin kabbaliste du nom de Me-
nasseh Ben Israël11,1. Issu d’une famille de marranes (juifs de la
péninsule ibérique faussement convertis au christianisme), il
quitte très tôt, à l’âge d’un an, le Portugal avec ses parents pour
s’installer à Amsterdam. Il deviendra, une fois adulte, rabbin et
chef de la communauté juive d’Amsterdam. Ce sera le maître
du philosophe Spinoza (marrane comme lui), qui fréquenta
Rembrandt van Rijn et entra en contact avec la reine de Suède,
Christina, avec laquelle il eut des échanges épistolaires relati­
vement soutenus.

Menasseh crée la première presse juive (Erneth Meerets Titsma'h)


à Amsterdam, en 1626. Avec son imprimerie, il édite des textes
en latin, en hébreu, en portugais et en espagnol sur le judaïsme.
Son but premier, comme Solomon Molcho avant lui, était de
s’adresser aux chrétiens européens (en particulier aux lettrés)
afin de les amener à adopter les vues messianiques juives ; une
mission qu’il mena à bien, d’autant plus que la kabbale chré­
tienne avait préparé le terrain. Le fruit était mûr, contrairement
à l’époque de Molcho.

U4 Voir sa biographie sur ie site de la JewisU Encyclopedia : hltp://w\vw.jewi-


sheneyclopedia.com/articles/10345-manasseh-ben-israel
Très tô t, dans la droite ligne de Solom on M o lcho, M enasseh
Ben Israël e n tre tin t de bons rapports avec les ch rétien s p ro ­
testants, qui depuis la réform e de M a rtin L u th e r (1483-
1546), avaient tous sur leur chevet l’A ncien T e sta m en t115,
qu’ils étudiaient abondam m ent (on p eut dire à ce propos
que les protestants délaissèrent les Évangiles p o u r la Bible
hébraïque). N ous sommes alors dans une période d e b u lli-
tion au cours de laquelle beaucoup de p ro testan ts m illén a­
ristes pensent im m inente la fin des tem ps e t le re to u r du
C hrist. M enasseh Ben Israël eut à ce sujet de nom breux
échanges épistolaires avec les chrétiens qui le so llicitaien t
et cherchaient l’approbation d ’un « grand frère » ju if —nous
utilisons à dessein cette form ulation anachronique — dans
leur étude eschatologique.

Parm i ces m illénaristes m ystiques chrétiens se tro u v en t


Paul Felgenhauer e t Johannes M o ch in g er de D a n tzig qui
écrivit ceci à M enasseh : « Sache que j'approuve et respecte
vos doctrines religieuses et que je fo rm e le souhait, avec certains
de mes coreligionnaires, qiïlsraël soit enfin éclairé de la vraie

115 Par la suite est né le m ouvement restaurationniste qui s ’est donné pour
but de rétablir le christianisme dans sa forme originelle. En cela il ne se
distingue guère du wahhabisme dont la foi prétend s’exercer à l ’exacte
imitation (une imitation exclusivement formelle et superficielle) de la vie
du Prophète au-delà d’une simple source d’inspiration (salafiya : terme
qui, au passage, ne f u t utilisé qu 'à partir de la fin du XIX* siècle p a r le
mouvement du réformisme islamique). Le restaurationnism e qui considère
le culte marial comme l ’expression d’une grande apostasie, est surtout pré­
sent en Amérique du Nord et a donné le jo u r à plusieurs églises tels les
pentccôtistes, les adventistes, les m orm ons, les Tém oins de Jéhovah. De
cette m atrice est sorti au XIXe siècle le courant dit judéo-chrétien représen­
té entre autres aujourd’hui par le mouvem ent Jew s f o r Jésus, lequel vise
à éclairer les chrétiens évangéliques sur les origines juives de leur foi et
réciproquement am ener les Juifs au judaïsm e m essianique et ù leur retour
en Eretz Israël fut-ce au prix d ’un cataclysm e planétaire.

72
lumière et retrouve son ancienne gloire et son ancien salut. » 116.
On croirait lire un rabbin kabbaliste sorti d ’Espagne. Un
autre chrétien mystique, Abraham de Frankenberg, lui écrit
également : « L a vraie lumière émanera des Juifs ; leur temps
est proche. Chaque jour on apprendra de différentes régions les
miracles opérés en leur faveur. » 117. Par l’action de Menasseh
Ben Israël, le projet de construction d’une “civilisation
judéo-chrétienne” dont Molcho fut le précurseur, commence
à avancer à grands pas.

Parallèlement, en 1641, débute la Première Révolution anglaise,


menée par le protestant puritain, sectaire et fanatique, Olivier
Cromwell (1599-1658). Cette révolution se termine en 1649 par
la mise à mort du roi Charles Ier (comme le sera un siècle plus
tard le roi français Louis XVI118).

Douglas Reed (1895-1976), ancien grand reporter au journal

116 Mirsh Graetz, Histoire des Juifs, Paris, 1897, t. V. p. 163.


117 Graetz 1641, op. cit. pp. 163-164.
118 Le modus operandi des révolutionnaires français est, il faut y insister,
sensiblement la même que celui de leurs prédécesseurs anglais. Les
révolutionnaires français massacrèrent quelque 260 000 Vendéens catholiques
qui se rebellèrent contre une Révolution athéiste en son essence. L'estimation
de 1796 du général Hoche qui établit à 380 000 morts le bilan des guerres
de Vendée, correspond aux estimations actuelles généralement admises.
Cromwell, parti à la conquête de l’Écosse et de l’Irlande, avait précédé
dans leurs méthodes de terreur les révolutionnaires français illuministes.
Celle-ci servira explicitement de matrice à la plupart des guerres terroristes
d’extermination du XX e siècle : génocide arménien conduit par des Jeunes-
turcs sabbataïstes (Dônmëh), où lors de la révolution messianiste judéo-
bolchévique (terme encore revendiqué en mai 2015 à l’occasion d’une
émission télévisée par le démographe Emmanuel Todd). L’extermination de
la Vendée servira également de référence pour l’écrasement par Lénine de
la révolte paysanne de Tambov (1920/1921) notamment au moyen d’armes
chimiques utilisées de juin à décembre 1921. Le bilan humain de cette Vendée
asiatique est aujourd’hui estimé à 240 000 morts.

73
britannique The Times, résume ainsi l'œuvre au noir de Cromwell :
« Cromwellfu t l ’un des premiers parmi tes nombreux autres qui, de­
puis son époque, sefo n t appeler les chrétiens de l ’A ncien Testament,
dont la rhétorique masque la réalité de l'antichristianisme, puisque
d ’autorité, on ne peut servir à lafois Dieu et Mammon. I l interdit la
célébration dujour de Noël, brûla des églises et assassina des prieurs ».
Il ajoute : « Pour l ’écolier anglais moyen, on ne se le rappelle que
comme l ’homme qui décapita un roi et qui ramena les ju ifs en A n ­
gleterre ».119

E n effet, les juifs avaient été expulsés d ’Angleterre en 1290, et


c’est Cromwell qui les autorisa à “revenir” et ce, à la dem ande
de M enasseh Ben Israël (les deux hommes s’étaient rencontrés
en 1655 à Londres), dans une lettre qu’il lui avait envoyée120.
M enasseh usa essentiellem ent d ’argum ents religieux pour
convaincre Cromwell d ’accepter que les juifs s’installent en
tant que communauté en Angleterre (car en réalité les juifs
n’avaient jamais vraiment quitté l’Angleterre, ils y vivaient en
tant que marchands espagnols). D ans sa lettre il écrit : « Selon
l'opinion de beaucoup de chrétiens et la mienne, le temps de la res­
tauration de notre nation (la nation juive) sur notre terre natale
(Eretz Israël), est tout proche, je crois plus particulièrement que
cette restauration ne peut avoir lieu, avant que ces paroles du pro­
phète Daniel, Chap. 12, verset 7, ne se soient entièrement accom­
plies, et que la dispersion du saint peuple (les juifs) dans toutes les
nations ne soit effective »121.

M ais la motivation la plus évidente de M enasseh est de faire


de 1Angleterre un centre par lequel la communauté juive, déjà

119 Douglas Reed, La Controverse de S/on, D urban,1978, p. 155.


120 Lettre disponible dans son intégralité sur ce site : http://cf.uba.uva.nl
121 A déclaration to the Comm on-wcalth o f England, by Rabbi M enasseh Ben
Israël, showing the M otives o f his com ing into England.

74
puissante économiquement à Amsterdam (place financière
importante où des marchands et banquiers juifs étaient en
position prééminente), pourrait tirer des profits sur le plan
économique et politique. E t Menasseh ne s’en cache pas
vraiment, car il écrit dans sa lettre à Cromwell : « Ma troisième
motivation estfondée sur le profit que récoltera ce common-wealth122
si elle daigne nous recevoir ».

En réalité, il faut comprendre cette phrase, sans mauvais esprit,


comme « le profit que l ’on récoltera si ce common-wealth nous re­
çoit » ce qui historiquement s’est avéré exact. C ’est bien au final
dans la continuité de cette alliance judéo-chrétienne que Lord
Balfour créera en 1919 un Foyer national ju if sur les décombres
de l’Empire ottoman.

Ajoutons que l’Angleterre était au XVII' siècle un empire ma­


ritime naissant et que Londres deviendra, après que Cromwell
eut accepté la demande de Menasseh Ben Israël (en 1656), le
centre névralgique du commerce et de la finance internationale
où des banquiers juifs, telle l’une des branches de la famille Ro­
thschild 12J s’installeront et y accroîtront leur fortune de manière
phénoménale.

Du vivant de Menasseh Ben Israël, Amsterdam, la ville où il


vivait, était, avec Florence, l’un des principaux centres financiers
de l'époque. Et c’est la Cité de Londres qui supplantera bientôt
Amsterdam dans ce domaine, et en deviendra la capitale mondiale.
Quelques décennies après que Cromwell eut autorisé les juifs à

122 Nom adopté par l’Angleterre puis l’ Irlande et l’Écosse de la chute de la


monarchie à 1653, date à laquelle Cromwell établit un État de tyrannie,
laquelle s’achève en 1659.
123 Dont le fondateur est réputé avoir été le trésorier du sabbataïste Jacob Frank.
Voir:Charles Novak, Jacob Frank, lefau x messie, pp. 153-154,156.

75
s’installer officiellement en A ngleterre, en 1689, le richissime
banquier ju if marrane Francisco Lopes Suasso (1657-1710) joua
un rôle im portant dans l’établissement de Guillaume III sur le
trône d ’Angleterre124.

À ce propos H en ry M échoulan, historien des com m unautés


judéo-hispano-portugaises, nous apprend que de riches m archands
juifs étaient déjà installés en A ngleterre avant que C rom w ell
ne les y autorise. Il écrit : « Bien avant l'installation dejuifs officiel­
lement reconnus comme tels après l'ambassade de Menasseh ben Israël
auprès de Cromwell, des cryptojuifs s'étaient installés à Londres et
commerçaient avec leurs “coreligionnaires’’ d'Amsterdam. Des docu­
ments datés de 1644 attestent que MichaelEspinosa était en relation
d ’affaires avec deux cryptojuifs de cette ville, dont Antonio Femandes
Carvajal, lefuturfondateur de h première synagogue de Londres »12>.
Au X V IIIe siècle, un quart de la Compagnie des Indes orien­
tales de l’Em pire britannique appartient à des membres de la
communauté juive C ’est dans cette période que s’installe à
Londres le banquier ju if allemand N athan M ayer (1777-1836)
de la famille Rothschild. Les Rothschild en Angleterre s’enri­
chiront incommensurablement et joueront un rôle déterm inant
dans l’histoire du sionisme et de la création de l’É tat hébreu.
Ainsi le baron Edm ond de Rothschild commencera d'acquérir
en 1882 des terres en Palestine ottomane afin d ’y créer des im ­
plantations définitives.

C ette puissance économ ique et financière com m unautaire


désormais solidement implantée au cœur de l’Empire britannique
naissant, va se trouver conjuguée avec le messianisme actif, ce

124 Voir le livre de Henry M échoulan, Être j u i f à Amsterdam au temps de


Spinoza, éd. Albin Michel p. 81.
125 Méchoulan, op. cit. pp. 80-81.
126 Méchoulan, op. cit. p. 82.

76
qui aura un fort impact historique qui se fera sentir dès le XIX'
siècle avec les gouvernements de Lord Beaconsfield (Disraeli)
entre 1868 et 1880 et la naissance officielle du mouvement
sioniste international en 1897. À partir de là il convient,
parallèlement au développement du puritanisme judéo-
chrétien vétérotestamentaire, d’examiner maintenant quel rôle
historique et eschatologique le wahhabisme, et le réformisme
islamique dont sont issus les Frères Musulmans, vont jouer,
et de la même manière, au sein du monde islamique. Pour ce
faire, nous allons au préalable mettre en évidence l’infiltration
de l’islam et du christianisme par les mouvements messianiques
apocalyptiques.
CH APITRE-Il

Origine, rôle historique et eschatologique du


wahhabisme et du réformisme islamique

Pénétration et influence sabbatéennes dans


les mondes chrétien et musulman

La clé de compréhension de l’apparition et des finalités des


deux courants de subversion de l’islam - de même pour ce qui
est de la subversion du christianisme - , le wahhabisme au XVIII'
siècle et le réformisme islamique du X IX e qui donnera naissance
aux Frères musulmans, est le messianisme juif.

Nous avons montré que du point de vue de l’eschatologie juive, les


deux grandes religions monothéistes, le christianisme et l’islam,
doivent s’effondrer à la suite d’un combat mutuellement destructeur.
C’est cette apocalyptique messianique qui a poussé Solomon Molcho
a mener une action politique à visée messianique parmi les chrétiens
dans le cadre d’une stratégie politico-mystique. Le rapprochement
entre les deux grands kabbalistes, Molcho et son maître David
Reuveni, avec les plus hautes autorités cléricales et leur tentative
d influencer l’empereur du Saint-Empire romain germanique, eut son

79
pareil dans le monde musulman, avec le financier juif messianique
Joseph Nassi, qui devint habilement le plus proche conseiller de
Soliman la Magnifique et de son fils Selim II.

N ous avons là deux illustrations du m ouvement messianique ju if


visant à diriger, de l’intérieur, les mondes chrétien et musulman,
dans la direction de l’apocalyptique juive, sur le chem in de leur
m ort spirituelle et matérielle.

M olcho et Nassi ont - au sein des deux grandes religions mono­


théistes - chacun posé un jalon sur la voie messianique de sub­
version des religions d ’Edom et Ismaël. N aîtra par la suite, aux
X V II' et X V III' siècles, le sabbato-frankism e qui fu t l’inexo­
rable étape évolutive du messianisme, et la manifestation la plus
extrême de la kabbale.

SabbataïTsevi (1626-1676)

Sabbataï Tsevi est né à Smyrne (Izmir) en Turquie, en 1626, le


9 avril (mais le mois et le jour sont sujets à caution), d ’un père
ashkénaze venu du Péloponnèse.

SabbataïTsevi était un enfant précoce aux dons remarquables ;


né dans une famille traditionnaliste, ses parents le destinèrent
à devenir un hakham (membre de l’autorité rabbinique) ce qu’il
devint à 18 ans. Il étudia d ’abord sous la direction d ’Isaac d ’Alba,
puis de Joseph Escapa, le plus grand rabbin de Smyrne. À l’âge
de quinze ans il quitta la yeshiva (école dctude de laT orah et du

80
Talmud) pour mener une vie d’ascète et de recherche solitaire ;
c’est durant cette période de solitude qu’il étudia la kabbale.

Sans doute, l'étude de la kabbale sans maître à un si jeune âge


a dû avoir des répercussions sur sa santé mentale127. Scholem,
lorsqu’il évoque cette période de la vie de Sabbataï Tsevi qu’il
vécut en semi-retraite à étudier la kabbale, parle de phases de
profonde dépression et de mélancolie alternées avec des bouffées
d’exaltation maniaque et d'euphorie, entrecoupées de moments
de normalité128.

Son état de santé mental eu bien évidemment une incidence sur


sa vie, ainsi que sur son rapport à la mystique en particulier et au
judaïsme en général ; le tout aura un impact sur la kabbale sabba-
taïste et par suite, une influence sur ses disciples et le mouvement
sabbato-frankiste.

Il fallait, du point de vue de ses disciples, du fait qu’il fut consi­


déré comme le Messie, accepter sa folie, non comme telle, mais
conformément à la nature même du Messie. Toute une doctrine
sera développée autour de Tsevi et de sa personnalité vers la fin
de sa vie et après sa mort (nous verrons par qui).

Gershom Scholem nous apprend que « sa maladie mentale mit


en évidence un trait essentiel de son caractère : durant ses périodes
d'illumination, il éprouvait le besoin de commettre des actes
allant à rencontre des lois religieuses, lesquels furent appelés plus
tard ma’asim zarim (actions étranges ou paradoxales). Leur nature

127 Depuis le XVIIIe siècle (en particulier dans le monde ashkénaze), l’étude
de la kabbale n’est autorisée qu’à l’âge de 40 ans, seulement après avoir
étudié la Torah et le Talmud.
128 Gershom Scholem, L a Kabbale, une introduction, origines, thèmes et bio­
graphies, p. 381.

81
changeait de temps à autre, mais tous avaient en commun une
prédilection pour les rituels bizarres et les innovations subites...
Dans ses périodes de mélancolie, qui étaient de durées variables, il se
retirait dans la solitude pour lutter contre les puissances démoniaques
par lesquelles ilse sentait assailli et en partie submergé... Commençant
à proférer le Nom de Dieum en public, il est possible qu'il se soit, à
cette époque, proclamé Messie pour la premièrefois (vers 1648) »130.

Ce phénomène d’attaques démoniaques accompagnées d ’une


« révélation » messianique est le même qu’avait vécu Abraham
Aboulafia (supra) qui déclara être le Messie, fils de Joseph, à la
suite d’attaques et de visions démoniaques. Aboulafia prétendait
avoir obtenu le vrai nom de Dieu par une révélation, Sabbataï
Tsevi, lui, dit avoir reçu une révélation sur un mystère de la divi­
nité ; il parlait du « Dieu de sa foi » dont il disait être proche et
intime. Scholem ne sait pas si Tsevi faisait allusion à la Sefirah
Tiferet131 (la sixième émanation divine) que Tsevi tenait pour
la manifestation essentielle de Dieu, ou une puissance céleste
prenant la forme de la Sefirah132.

Scholem ne va pas plus loin, mais notons qu’il est très étrange
que Tsevi parle du Dieu de sa fo i, ce qui sous-entend un dieu
parmi d ’autres, un dieu propre à la foi particulière de Tsevi et
non pas le Dieu unique qui s'impose à tous.

D e quelle foi s’agit-il ? E t de quel dieu parle Tsevi ?

Les délires de Tsevi, sa prétention à être le Messie, ses violations

129 Dans la tradition juive, prononcer le nom de Dieu (le tétragram m e YHW H
qui se prononce Yahvé) est interdit.
130 Scholem, op. cit. p. 381.
131 Tiferet signifie ornement.
132 Scholem, op. cit. p. 382.

82
répétées de la Loi, lui valurent detre chassé de Smyrne par les
rabbins, dont son propre maître Joseph Escapa, vers 1651-1654 ;
il erra quelque temps en Grèce et en Thrace, il passa un certain
temps à Salonique (foyer important de la kabbale où avait entre
autres étudié Solomon Molcho) d’où il fut expulsé par les rabbins
pour avoir commis des actes Étranges et bizarres.

Sabb ataî Tsevi

À la suite de cette expulsion, en 1658, il part pour Constanti-


nople où il reste neuf mois ; là, il se rapproche d’un grand ka­
bbaliste du nom de David Hellio qui était un émissaire de la
communauté de Jérusalem. Arrivé à Constantinople il ne tarda
pas à reprendre ses actions étranges, mais cette fois, son inten­
tion se précise, et l’ombre de « son dieu » commence à apparaître.

Scholem évoquant le séjour de Sabbataî Tsevi à Constantinople


nous oifre des éléments précis quant à la divinité particulière de
Tsevi : « À cette époque, il fit une première tentative pour se débar­
rasser de ses obsessions démoniaques au moyen de la kabbale pratique.
En revanche, au cours d ’une de ses phases extatiques, non seulement

83
il célébra les troisfêtes de Pàque, Shuvouot et Soukhot dans lu même
semaine, comportement susceptible de provoquer une certaine hostili­
té, mais il alla jusqu’à proclamer l'abolition des commandements et
à prononcer une bénédiction blasphématoire à “Celui gui perm et
ce qui est interdit" ».JJJ

Q uiconque possède quelques bases élémentaires de théologie


comprendra qui Tsevi désigne par celui qui permet ce qui est in­
terdit.

Suite à cela il est expulsé de Constantinople par les rabbins et


retourne dans sa ville natale Smyrne. E n 1662 il part pour Jéru­
salem puis va en Egypte avant de se rendre à G aza dans le but
de rencontrer un homme dont ont disait qu’il était capable de
révéler à chacun les racines secrètes de son âme ainsi que le tikkoun
(réparation) dont son âme avait besoin. Tsevi eut l’espoir de voir
son âme torturée enfin guérie par cet homme appelé N athan de
Gaza et qui, par ailleurs, avait entendu parlé de Sabbataï deux
ans plus tôt, en 1663 lorsqu'il étudiait t\ Jérusalem.

Tsevi était venu dans le but île se voir guéri, mais N athan, qui
voyait en lui le Messie, n'accomplit pus sa tâche de médecin de
l’âme, au contraire, il dépensa son énergie t\ le convaincre qu’il
était véritablement le Miiihln/h (Messie en hébreu).T sevi avait
perdu foi en lui même, Il avait réalisé qu'il était sim plem ent fou
et/ou victime d'attaques démoniaques et cherchait désormais un
moyen île remédier A crin, Mais Nathan Justltia la t'olie de Tsevi
par une interprétation lta liltu llH lli|U t* îles visions « messianiques »
de Tsevi ainsi que par l'Urne piirllriillére du M e s s i e , C ' e s t à partir
de ce moment, el par Natliuu, que les (roubles mentaux de Tsevi
furent intégrés i\ la llgurr du Mi<s*lc, avec comme argument

133 S ch o lcm , up, vit. p, !H 1


central la particularité de l’âme du Messie qui expliquerait
l’instabilité psychologique de Tsevi. Dès lors, Tsevi pouvait se
laisser aller à ses délires, ses blasphèmes, ses viols de la Loi de
laTorah et autres comportements anormaux, car selon Nathan,
le propre du Messie est de se comporter ainsi. Le rôle que
jouera Nathan de Gaza, en tant que théoricien systématique
du sabbataïsme, consistera à justifier et trouver des explications
théoriques à tous les actes et contradictions de Sabbataï Tsevi.
Nous soulignons cet aspect du sabbataïsme naissant, car les
conséquences historiques du système qu’élabore Nathan autour
de la figure de Tsevi sont très largement sous-estimées.

Sabbataï Tsevi, conforté par celui qui devint son prophète,


Nathan, choisit un groupe de disciples qu’il nomma apôtres ou
représentants des douze tribus d’Israël ; c’est à partir de là que sa
prédication messianique le fit connaître dans toute la Palestine.
Un certain nombre de rabbins de Palestine s’opposeront
ouvertement à Sabbataï Tsevi, tandis que d’autres, à l’instar
de Samuel Primo, Mathias Bloch, Israël Benjamin et Moïse
Galante, le rejoindront.

Nathan trouva une idée astucieuse afin d’amener les juifs


massivement à croire en la messianité de Tsevi : tout en
annonçant la rédemption prochaine, il invitait à une repentance
massive pour hâter cette rédemption, sachant que les autorités
rabbiniques ne pourraient s'opposer à un tel acte de piété.

Cette ruse porta ses fruits, car les populations de la région vinrent
à Nathan physiquement ou lui envoyèrent des lettres afin qu’il
leur indique le moyen de réparer leurs âmes (tikkoun), ceci en
vue de la rédemption.

Nathan, dans le but de susciter la foi chez eux, poursuivit son

85
travail de propagandiste en faisant diffuser des légendes et des
rumeurs selon lesquelles lui et Tsevi réalisaient des miracles. Ces
rumeurs parcoururent des distances phénoménales, du M aroc à
l’Allemagne, en passant par l’Angleterre et la Hollande, au cours
de l’été 1665.

À l’automne de la même année, N athan, dans une lettre envoyée


au chef de la communauté juive d ’Egypte, écrit : « E t maintenant
je vais vous révéler que! sera le cours des événements. Dans un an et
quelques mois, il (Sabbataï) enlèvera le pouvoir au roi de Turquie
sans guerre aucune, car toutes les nations se soumettront à lui par le
pouvoir des chants et des hymnes de louange qu’il entonnera. .. »134.

Nous avons là une dimension délirante du projet messianique,


celle que tenta de réaliser un peu plus d'un siècle auparavant
Solomon M olcho (avec plus de réalisme).

E n juillet de l’année 1665, Sabbatai'Tsevi quitta la Palestine pour


revenir à Smyrne. D urant cette période, il fut excommunié par
le rabbinat de Jérusalem. Les rabbins de Constantinople et de
Smyrne en furent informés, mais lorsque Tsevi arriva à Smyrne,
l’effervescence qui se fit autour de lui fut telle que les rabbins s’en
trouvèrent impuissants, et ne purent rien pour l’arrêter.

Avant de se rendre à Constantinople pour, comme annoncé,


prendre la couronne du Sultan ottoman, il se rendit dans une
synagogue de Smyrne - dirigée par des rabbins ne le reconnais­
sant pas comme le Messie - avec ses partisans, une hache à la
main, avec laquelle il frappa la porte de la synagogue. Après que
les rabbins l’aient laissé entrer, il chanta, lut la Loi qu’il remplaça

134 Gershom Scholem , Sabbataï Tsevi, le messie mystique. Verdier poche,


1983, p. 275.

86
par sa nouvelle loi - la Torah atzilut devant remplacer la To-
rah beriah aux temps messianiques - et se déclara officiellement
Messie et rédempteur d’Israël.

Il annonça la date à laquelle il irait découronner le Sultan ot­


toman : le 18 juin 1666. Le 30 décembre 1665, il prit le bateau
pour Constantinople dans le but de démettre le Sultan.

Les autorités de Constantinople (capitale de l’Empire ottoman)


attendaient ce Messie de pied ferme, ayant reçu des rapports venus
des villes que Tsevi avait traversées et nantis des lettres que les
autorités rabbiniques n’ont pas dû manquer de leur envoyer. Le
lundi 8 février 1666, il débarqua ainsi enchaîné et mis en détention
dans une confortable prison (la forteresse de Gallipoli).

Avant et durant la période de détention de Sabbataï Tsevi, toute la


Diaspora juive, du Maghreb, de l’Europe, de l’Orient, était entrée
en ébullition ; Gershom Scholem nous donne une description
de l’engouement que produisit l’apparition de Sabbataï Tsevi
et de l’influence qu’eut alors la kabbale lourianique - dont nous
avons exposé quelques concepts - sur le mouvement sabbataïste
: « Les lettres arrivant de tous les coins de la Diaspora, de Palestine,
d'Egypte et d'Alep en octobre et novembre 1665, puis de Smyme et de
Constantinople, suscitèrent une énorme agitation, et la similitude des
réactions que! qu'en soit le lieu indique que les raisons de l'adhésion sont à
chercher bien au-delà defacteurs locaux. La fièvre messian ique s'empara
de communautés qui n'avaient pas d ’expérience directe des persécutions
et des massacres, aussi bien que de celles qui les avaient connus. Il est
certain que des facteurs sociaux et religieux se sont inextricablement
combinés pour engendrer cette éruption... L a situation du peuple ju if
dans son ensemblefournit l'arrière-plan approprié. Bien que la doctrine
lut ionique du tikkun et de la rédemption révèle également une certaine
dimension sociale, son véritable contenu est essentiellement religieux.

87
C'est cet entrecroisement de différents éléments dans la constitution
historique du mouvement sabbataïste qui explique sa dynamique et le
caractère explosifde son contenu. »135

Conformément à l’antinomie sabbataïste résumée dans sa bénédiction


de celui qui a autorisé ce qui est interdit, dans sa prison dorée, Tsevi et
les siens se livreront à des actes de débauche collective —Tsevi eut
des rapports à la fois avec des filles (vierges) et des garçons parmi
ses disciples - qualifié dans les plaintes déposées auprès des autorités
turques comme « des abominations insoutenables commises à la cour du
Roi (c'est-à-dire Sabbataï) ». À cela s’ajoutaient, des comportements
relevant aussi de l’antinomie comme le piétinement des tefilin (des
boîtiers avec des passages bibliques attachés par des lanières de cuir
autour du bras et de la tête durant la prière) et des rouleaux de la
Torah préalablement déchirés136.

Toutes ces actions antinomiques de Tsevi furent justifiées de la


manière suivante par N athan de Gaza : Sabbataï Tsevi purifie ce
qui est impur, mais, cefaisant, il apparaît lui-même comme impur131.

Les rapports accablants sur les activités de Tsevi précipitèrent le


jugem ent de Sabbataï Tsevi.

Le sultan le fit venir à A ndrinople le 15 septembre 1666, escorté


par des soldats et accompagné de trois rabbins, fidèles, qui le
suivront jusqu’au bout. L’idée initiale était apparem m ent de
l’exécuter immédiatement, mais le mufti, Cheikh al-Islam - la
plus haute autorité religieuse de l’Em pire ottom an - s'y opposa,

135 G. Scholem , La Kabbale, une introduction, origines, thèm es et biogra­


phies, pp. 395-396.
136 G. Scholem, Sabbataï Tsevi, le messie mystique, pp. 649-650.
137 G. Scholem , La Kabbale, une introduction, origines, thèmes e t biographies,
p. 415.

88
avec un argument d’une indéniable pertinence : tuer Tsevi ferait
de lui, au regard des juifs, un saint ou un martyr et une nouvelle
religion se créerait. Le mufti n’avait pas tout à fait tort ; mais lui
laisser la vie sauve n’aura eu l’effet que de faire empirer les choses.

Tsevi ne fut pas mené dans un tribunal, mais dans un lieu qui
s’apparentait plus à un cabinet qu’à une cour de justice. Le sul­
tan assistait à ces réunions dans une alcôve masquée par une
grille, de façon à ce qu’il voie et entende sans être vu. Il passait
ses ordres, et communiquait avec Tsevi par l’intermédiaire des
membres de la cour.

Ce qui est étrange, c’est l’absence, dans les rapports turcs, de men­
tion de la présence dans la cour d’un personnage d’une haute im­
portance ; alors que toutes les autres sources le mentionnent. Il
s'agit du médecin du sultan, Mustapha Fauzi, ju if converti à l’is­
lam, qui jouissait d’une grande renommée. Scholem rapporte que
ce médecin ju if avait plusieurs noms, dont un mentionné dans un
manuscrit sabbataïste du XVIIe siècle qui donne des élément très
intéressants quant au rôle qu’a pu jouer ce juif converti. Isaac Zafiri
est le nom sous lequel il apparaît dans ce manuscrit, mais curieu­
sement, il est connu par ailleurs sous des noms différents, ce qui
nous paraît très suspect ainsi qu’aux yeux de Scholem. D’autant
plus que les autorités ottomanes ont pris soin de ne pas mentionner
ce Isaac Zafiri dans leurs rapports ; pour quelle raison ?

Voici ce que dit l’auteur sabbataïste dans le manuscrit de l’époque


à propos du médecin du sultan : « Un sage érudit, fort versé en mé­
decine. Le sultan le contraignit à apostasier, et cefut l'oeuvre de Dieu,
car ainsi il put sauver la nation juive ».138

138 Manuscrit Adler 494 (Jewish Theological Seminary o f America, New York)
folio 38a, rapporté par Gershom Scholem dans Sabbataî Tsevi, le messie
Il convient, avant de poursuivre, de replacer le récit dans une
perspective historique : après leur expulsion d’Espagne en 1492,
les juifs restés en Espagne se sont pour la plupart faussement
convertis au christianisme, tandis que les autres o n t quitté le pays
et se sont éparpillés au M aghreb, en Europe et notam m ent en
Turquie, à Salonique. Précisons que durant le X V I' siècle et par la
suite, des m arranes (les juifs hispano-portugais apparem m ent
convertis au christianisme) ont quitté la Péninsule ibérique, à
l’instar de Solomon M olcho qui quitta le Portugal. Lors de ce
mouvement d'émigration, une partie des kabbalistes s’installèrent
en Turquie où se trouvait un centre kabbaliste im portant
(Salonique), ainsi que dans d'autres pays. Ces marranes ont de
toute évidence importé avec eux la culture de la dissimulation
par la fausse conversion, le marranisme135.

L’auteur sabbataïste écrit que le sultan aurait contraint son mé­


decin à se convertir à l'islam ; alors de deux choses l’une : soit il
était déjà médecin du Sultan avant sa conversion, auquel cas, on
ne saurait pour quelle raison il l’aurait subitem ent contraint à
se convertir, soit il s’était déjà converti à l’islam - ce qui est plus
probable - avant de devenir médecin du Sultan. C ette conver­
sion a certainement permis ou facilité sa prom otion, à l’instar
de Solomon M olcho qui, en tan t que (faux) chrétien, avait pu
accéder au poste de Secrétaire royal à la haute cour de justice du
Portugal.

mystique, pp. 653-654.


139 Nous devons distinguer deux types de fausses conversions : celle faite par
nécessité de survie comme celle des juifs et des m usulm ans d'E spagne qui
dissim ulèrent leurs pratiques religieuses pour sauver leur vie, ou lorsque
les chrétiens dans les premiers siècles du christianism e sous l’em pire ro­
main cachèrent leur croyance pour échapper à la m ort ; et l’autre type de
fausse conversion qui est faite dans un esprit de duperie.

90
L’auteur sabbataïste voit en la personne du médecin du Sultan
celui qui put sauver la nation juive ; il fait allusion au rôle qu’au­
rait joué le médecin durant le jugement de Sabbataï Tsevi, un
rôle que minimise largement Gershom Scholem, mais qu’il est
difficile de déterminer, tant les récits sont contradictoires. Les
sources chrétiennes parlent d’un jeu auquel se seraient livrés le
médecin du Sultan et Tsevi : le médecin aurait fait mine de né­
gocier avec Tsevi afin de l’amener à l’islam, tout en suggérant au
sultan l’avantage d’une telle apostasie (la conversion en masse
des juifs).

En effet, Sabbataï Tsevi suivit le même chemin que le médecin


converti ; les sabbataïstes, comme celui que nous avons cité, ont
justifié la conversion à l’islam de Tsevi en prétendant que le Sultan
avait l’intention de tuer tous les juifs vivant sous son autorité, et
que Tsevi les aurait sauvé de la mort après avoir demandé au
sultan de les épargner, ce à quoi ce dernier aurait consenti du
fait de la conversion de Tsevi à l'islam140. Si l’on en croit le récit
de Scholem, c’est plutôt sa propre vie qu’aurait sauvé Tsevi en se
convertissant, mais il fallait justifier son retournement auprès de
ses fidèles. Dès lors, ils transformèrent sa fausse conversion par
intérêt personnel en acte héroïque, sauvant les masses juives de
la mort. Une fois de plus, et comme nous allons le voir, Nathan
de Gaza se chargea d’apporter une explication à la conversion de
Tsevi à l’aide d’une théorie mystico-historique de son cru, et ce,
magistralement.

Sabbataï Tsevi se convertit, ainsi que sa femme Sarah, sous le


parrainage de la mère du Sultan. Il prit une seconde femme par­
mi les servantes de la mère du Sultan. Parmi ses adeptes les plus

MO G. Scholem, op. cit. pp. 660-661

91
éminents plusieurs suivirent l’exemple de Sabbataï141. Il fit entrer
plus de 200 chefs de familles juives en islam et qui lui restèrent
secrètement fidèles ; Tsevi les encourageait à rester ensemble
comme une compagnie de combattants secrets142. Nous verrons
plus loin quelle est la nature de ce combat et contre qui il fut
mené.

C ’est ainsi que Sabbataï Tsevi et une partie des sabbataïstes pé­
nétrèrent la noblesse turque.

L’apostasie du prétendu Messie fut un véritable choc pour les


nombreuxjuifs qui avaient foi en lui ; c’e st alors que le faux prophète
N athan de G aza élabora une théorie venant donner un sens à cet
acte inattendu. N athan expliqua que la rédemption du peuple
ju if - qui, selon la kabbale lourianique et comme nous l’avons
expliqué précédemment, ne pouvait se faire que par l’action des
enfants d’Israël eux-mêmes, dont la mission est la restauration
des étincelles de sainteté enfermées dans les kelippot, serait
permise par le Messie en personne - là en l’occurrence il s’agit
de Sabbataï Tsevi - qui pouvait racheter et rassembler certaines
étincelles de sainteté. Com m ent ? Scholem l’explique ainsi :
« II (Sabbataï Tsevi) était descendit dans le domaine de la kelippah
(l’incarnation du mal en quelque sorte), apparemment pour se
soumettre à sa domination, mais en fa it pour accomplir la dernière
partie de sa mission, la plus difficile, en conquérant la kelippah de
l ’intérieur ». Ce qui signifie concrètement la conquête de l’islam
de l’intérieur ; la kelippah, dans cette perspective, désigne les
non-juifs, en particulier les chrétiens et les musulmans. Ceci,
Scholem l’explique très clairement lorsqu’il écrit à propos de la

141 G. Scholem, op. cit. p. 662.


142 G. Scholem , La Kabbale, une introduction, origines, thèmes et biogra­
p hies, p. 409.

92
fausse conversion de Tsevi : « En agissant ainsi, il se comportait
comme un espion envoyé dam le camp de l'ennemi (l’islam). »143

C ’est dans cette perspective qu’il faut comprendre l’ordre de Tsevi


aux 200 chefs de famille faussement convertis de combattre se­
crètement contre la kelippah ; il s’agit d’un ordre d’entreprendre
la destruction de l’islam en son sein même.

Dans la même période (entre 1667 et 1672) et dans un même


ordre d’idées, Nathan, sur injonction de Tsevi, se rend à Rome
pour y accomplir un rituel magique secret destiné à hâter la
chute des chefs de l’Église144.

Nous voyons dans le mouvement sabbataïste - et par la suite


dans celui du frankisme - la continuité du projet messianique de
destruction de l’islam et du christianisme, découlant des inter­
prétations bibliques sur le destin d'Edom et d’Ismaël, du rabbi
Eliezer au I" siècle à celle du Zohar au XIII', et qui furent la base
sur laquelle Solomon Molcho conçut sa stratégie politique.

En 1683, de nombreux groupes de fidèles à Sabbataï Tsevi se


convertirent faussement à l'islam, ce mouvement conduisit près
de 300 familles à se convertir à leur tour collectivement ; consi­
dérant qu’il était de leur devoir de suivre le même chemin que le
Messie (Tsevi).

Parallèlement, Joseph Filosof et Salomon Florentin condui­


saient un groupe de sabbataïstes faussement converti à l’islam,
constituant la secte des dônmeb (mot turc signifiant convertis ou
apostats). Ces dônmeh, qui ne se mariaient qu’entre eux (les ma­

143 G. Scholem, op. cit. p. 407.


144 G. Scholem, op. cit. p. 408.

93
riages avec des vrais musulmans étaient strictem ent interdits)
adoptaient les pratiques musulmanes to u t en restant secrète­
m ent fidèles au judaïsm e1'15.

Les dônmeh composèrent le gros du mouvement des Jeunes-


Turcs qui a pris le pouvoir en Turquie entre 1908 et 1913. Parmi
eux, se trouvait Kemal pacha dit A taturk qui abolit le Califat en
1924. En 1909 l’administration ayant pris le pouvoir après la
révolution des Jeunes-Turcs comptait au moins trois ministres
dônmehI4É.

Il y avait à la fin du X V II' siècle des groupes sabbataïstes dans


les Balkans, en Italie, au M aghreb (en particulier au M aroc), en
Turquie asiatique et ailleurs. Les activités de ces cercles sabba­
taïstes étaient particulièrement intenses en Italie, en Lituanie, en
Turquie et en Pologne147, pays où se développera en premier lieu
le mouvement frankiste, institué par Jacob Frank, celui qui se
déclara dans un premier temps être la réincarnation de Sabbataï
Tsevi avant de se présenter lui-même comme le messie authen­
tique.

Jacob Frank (1726-1791)

Jacob Leibowitsch (Lévy) dit Frank est né en 1726 en Podo-


lie (dans l’actuelle Ukraine). D ’après Charles Novak, son père,
Yehoudah Leibowitsch, était un adepte de Sabbataï Tsevi148. À

145 Gershom Scholem, op. cit. p. 418,498.


146 G. Scholem, op. cit. p. 502.
147 G. Scholem, op. cit. pp. 409-410,415.
148 Charles Novak, Jacob Frank h fa u x messie, p. 49.

94
l’âge de 24 ans, en 1750Jaco b Frank s’installe à Smyrne, la ville
de naissance de Sabbataï Tsevi ; là il rejoint un groupe de kab-
balistes dirigé par le rabbin Issakhar. En 1752, il se marie à une
juive d’origine ashkénaze, puis, comme Tsevi, il se convertit à
l’islam et se rend à la tombe de Nathan de Gaza à Skopje (en
Macédoine).

En 1753, il se rend à Salonique, la ville des dbtimeh, et l’année


suivante, en 1754, il s’autoproclame Messie, à la suite d’une vision
durant laquelle il prétend avoir vu Sabbataï Tsevi.

En 1755 il retourne en Podolie où il démarre sa prédication et


fonde un groupe sabbataïste. Rapidement il connaît le succès
et nombreux sont ceux qui le rejoignent, y compris - et ce n’est
pas sans nous rappeler Solomon Molcho - de nombreux nobles
catholiques ; la population, impressionnée, lui reconnaît le titre
de Messie1,19. Novak souligne que Jacob Frank s’éloigne alors du
messianisme nationaliste - bien que (voir supra), Frank ait cher­
ché à créé un État ju if en sollicitant, comme Théodore Herzl le
fera un siècle plus tard, les grandes puissances européennes pour
la réalisation de son projet150 ; nous l’avons dit précédemment,
Tsevi lui aussi rêvait d’un État ju if en Bosnie (Turquie d’Europe).
Ce projet nationaliste sabbato-frankiste s’éloigne en effet du
nationalisme messianique traditionnel, car, comme nous l’avons
expliqué en détail, le messianisme nationaliste n’a de sens qu’avec
le retour du peuple ju if en Terre sainte - que ce soit pour hâter
la venue du Messie selon Louria ou suite au rapatriement par
le Messie selon le judaïsme traditionnel et Moïse Nahmanide
(et le courant messianique actif dont il est le père). Tout projet
d installation en dehors de la terre promise n’est que déviance du

149 Novak, op. cit. p. 50.


150 Novak, op. cit. pp. 110-111,113,116.

95
point de vue du Judaïsme traditionnel ou messianique, comme
l’apprendra à ses dépens Théodore H erzl qui naïvement voulait
créer l’É tat sioniste en Ouganda.

Frank ne prône pas le retour en Terre sainte ni la reconstruction


du Temple, mais se veut le créateur d’une nouvelle religion151. Pour
autant, Frank ne renie pas l’héritage sabbataïste, bien au contraire.
Nous assistons là à une « rupture » formelle dans la continuité
qu’il convient plutôt d’appeler transformation ou actualisation de
la kabbale - actualisations opérées auparavant et successivement, à
divers degrés par, entre autres, Moïse Nahmanide, le Zohar, Isaac
Louria, Sabbataï Tsevi et N athan de Gaza - , car son essence n’est
pas altérée, seule sa forme est modifiée.

Vantinomisme sabbataïste est accentué par Frank pour qui l’abo­


lition de toutes les lois ne sera totale et complète que lorsque
la dépravation aura, à la fin des temps, gagné toute la société152
(notre époque, dans laquelle Jacob Frank se sentirait certaine­
ment à son aise, rend un écho presque parfait à ce projet dém en­
tiel). La kabbale lourianique, qui prône une action du peuple
ju if pour accélérer le processus historique conduisant aux temps
messianiques, a très fortem ent imprégné la kabbale sabbataïste.
Jacob Frank va s’inscrire dans cette logique et concevoir l’ambi­
tieux projet de hâter délibérément une dépravation universelle.
A utrem ent dit, faire advenir un monde sans morale aucune où
le mal règne en maître absolu. Ainsi il déclare : « Je ne suis pas
venu pour élever, je suis venu pour détruire et rabaisser toutes choses
jusqu’à ce que tout soit englouti si profond, qu'il ne puisse descendre
plus... I l n’y a pas d ’ascension sans descente préalable. .. »153.

151 Novak, op. cil. p. 50.


152 Novak, op. cit. p. 50.
153 Novak, op. cit. pp. 50-51.

96
En parfaite conformité avec le programme messianique et à la
suite de Solomon Molcho, Frank va chercher à nouer des liens
avec les autorités chrétiennes. En 1757, dans un contexte d'af­
frontement avec le rabbinat - qui a condamne les blasphèmes de
Frank et son invitation à violer la Loi - les frankistes se sont mis
sous la protection de l’évêque Dembowski en reconnaissant Jésus
comme Messie (avec quelque ambigüité cependant), ainsi que la
trinité, tout en rejetant le Talmud154.

Cette position des frankistes vis-à-vis des dogmes chrétiens sera


leur porte d’entrée dans la noblesse chrétienne.

En 1759 et 1760, les frankistes se convertissent collectivement


au Catholicisme ; leur nombre, selon les sources, oscille entre
514 et 20 000 '“ .Jacob Frank se fait d’abord baptiser le 17 sep­
tembre 1759, puis le 18 novembre de la même année par levêque
Zaluski. Il est parrainé par Auguste III de Pologne et de Saxe, le
grand-père de celui qui sera dernier roi de France Louis XV T5".
Dans la même période, d’autres frankistes ont été baptisés à la
cathédrale de Varsovie sous le parrainage de la grande noblesse
polonaise157.

Jacob Frank

154 Novak, op. cit. p. 56.


■55 Novak. op. cit. p. 76.
156 Novak, op. cit. p. 77.
>57 Novak, op. cit. p. 77.

97
D e la même manière que Sabbataï Tsevi et sa femme furent
« parrainés » par le Sultan et sa mère lors de leur conversion à
l’islam, Jacob Frank et ses disciples furent anoblis et pénétrèrent
le haut de l’Europe chrétienne, de l’E st à l’O uest du Continent.
Les frankistes entrent alors dans la noblesse allemande, polo­
naise, autrichienne ; par des mariages ils intègrent la famille
royale d ’Angleterre (dans l’entourage de la reine Victoria comme
la famille Battenberg-M ountbatten qui descend du frankiste
comte Maurice Hauke), celle d'Espagne et la cour des Tsars de
Russie - soulignons, entre autres, que la première femme du
Tsar Paul I", la femme d’Alexandre II, puis de Nicolas II, furent
toutes issues de la famille frankiste de Karl de H esseIs8.

Par ailleurs, comme le rapporte Novak, des sabbato-frankistes


sont à l’origine des premières institutions bancaires allemandes
et européennes, parmi lesquelles se trouvent les Rothschild (nous
avons écrit précédemment que d ’après Novak M eyer Rothschild
fut le trésorier de Frank), la famille W arburg et bien d'autres1” .
Novak confirme donc, à l’appui d ’une abondante documentation,
les dires de Gershom Scholem, à savoir que les descendants des
sabbato-frankistes o nt atteint au cours du X IX ' siècle, en Europe
centrale et en Europe occidentale, des positions im portantes :
intellectuels de renom, grands financiers ou hommes politiques
ayant de hautes relations160.

158 Novak, op. cit. p. 85, 138-139.


159 Novak, op. cil. p. 83.
160 G. Scholem, Le messianisme ju if, p. 64.
Origines et conséquences historiques du sabbato-frankisme

Notre thèse diverge ici de celle de Scholem et de Novak - qui tous


deux, volontairement ou non, brouillent les pistes de l’histoire de
la kabbale - selon laquelle le sabbato-frankisme serait une « dé­
viance » de la kabbale (thèse défendue plus particulièrement par
Novak), prenant appui sur la kabbale lourianique (Selon Novak et
Scholem), qui, nous l’avons montré, constitue une radicalisation de
la mystique juive et du messianisme.

Le concept lourianique qui, selon Novak, rend si singulier le sab­


bato-frankisme, est celui de la Rédemption par le péché. Idée qui a
eu une puissante influence sur le judaïsme moderne dès lors qu’il
s’est trouvé associé ou couplé avec la conception d’Isaac Louria
suivant laquelle le peuple ju if est l’unique moteur de l’histoire.
Une vision du monde fondée sur l’idée que Satan (appelé Samael
dans la kabbale) se repentirait lui-même et serait à la fin des
temps (au final) transformé en ange de pureté. Ainsi, selon les
kabbalistes qui défendaient la thèse de la rédemption de Satan,
le mal serait ou « redeviendrait » le bien.

Scholem, quant à lui, est plus nuancé et surtout plus subtil que No­
vak ; il ne prétend pas que le sabbato-frankisme constitue une rupture
nette dans l’histoire de la kabbale, mais il le désigne comme étant es­
sentiellement le produit de la kabbale lourianique. En effet, il explique
que l’élément messianique est bien plus considérable dans la kabbale
lourianique que dans les autres systèmes kabbalistiques par sa théorie
du tikkun qui tendait à interpréter globalement le judaïsme comme
une tension messianique intense. Et cette tension, écrit Scholem, s’est
manifestée tout particulièrement dans le mouvement sabbataïste161.

161 G. Scholem, La Kabbale, une'introduction, origines, thèmes et biographies, p. 148

99
C ontrairem ent à ce que laisse entendre Charles Novak162, ce n’est
pas Isaac Louria et M oïse Cordovero qui sont à l’origine de la
thèse de la rédemption de Satan, car on la trouve dans un traité
- K a f ha-Ketorat - rédigé trente-quatre ans avant la naissance de
Louria163 et vingt-deux ans avant celle de Cordovero.

Le sabbato-frankisme n’est donc pas une bizarrerie dans l’his­


toire évolutive de la kabbale. Il est, comme nous l’avons montré,
la continuité du mouvement messianique se situant lui-même
dans la longue évolution de la kabbale.

Ainsi que mentionné en début d ’ouvrage, les deux piliers fon­


dateurs de la mystique juive - depuis sa naissance au I " siècle
- sont, d ’une part, l’étude de la fin des temps (l’apocalyptique) et
d’autre part l’ésotérisme et le mysticisme qui englobent une ré­
flexion sur le m onde d ’ici bas et de l’au-delà, à quoi il faut ajouter
la notion purement kabbalistique dévolution vers la révélation
de la connaissance cachée, induisant l’idée que la kabbale pro­
gresse et avec elle l’Histoire. Un progrès historique par paliers
successifs m enant droit vers les temps messianiques, vers la fin
des temps164 et l’apogée du peuple élu.

Les principes premiers d ’un mouvement historique déterm i­


nant ses finalités, les fondements de la kabbale ont conditionné
la forme de messianisme dont il est issu et a, par suite, donné
au sabbato-frankisme le caractère spécifique qui est le sien. Le

162 C. Novak, Jacob Frank, le fa u x messie, p. 57.


163 Voir : G. Scholem, La Kabbale, une introduction, origines, thèmes et bio­
graphies, p. 219.
164 Le progressism e - dans lequel s ’enracinent les grandes idéologies m o­
dernes du “progrès” et un certain nom bre de théories tel le matérialism e
historique de Karl Marx - , concept inédit dans toute l’H istoire de l'H um a­
nité, est purem ent d ’origine kabbalistique.

100
sabbato-frankisme fut l’inéluctable conséquence de l’évolution
de la kabbale, le fruit de l’histoire de la mystique juive dans tous
ses aspects et conséquences tératologiques (déformations mons­
trueuses) au plan intellectuel, politique et moral.

Dans la même perspective, le programme apocalyptique du Choc


des civilisations est partie intégrante du dessein messianique juif.
Le projet de destruction du Christianisme et de l’islam que l’on
trouve au X IIIe siècle, dans le Zohar - entre autres, mais déjà
présent dans le Deutéronome165 -, a dirigé quelques siècles plus
tard et à la suite de tentatives qui en posèrent les fondations, le
sabbato-frankisme vers cet objectif.

Nous avons cité Scholem qui expliquait que la fausse conver­


sion de Sabbataï Tsevi fut théorisée par Nathan de Gaza comme
étant un acte d'infiltration dans le camp de l’islam - considé­
ré comme ennemi - afin de le détruire de l’intérieur et d’ainsi
récupérer des étincelles de sainteté. Cette idée influencera bien
évidemment le frankisme dont les membres se sont massivement
convertis au catholicisme.

Gershom Scholem écrit à propos de Jacob Frank : « Sa conception


du sabbataïsme revêtit un aspect résolument nihiliste. Sous le « sceau
du silence », le vrai croyant, qui possède Dieu dans le secret de son
cœur, peut traverser tous les religions, les rites et les ordres établis
sans donner son adhésion à aucun, mais, an contraire, en les anéan­
tissant de l ’intérieur et en instaurant ainsi la véritable liberté. La re­
ligion constituée n'est qu’un manteau qui doit être endossépuis rejeté
sur le chemin de la « connaissance sacrée », la gnose du point où toutes

165 « Aux serviteurs des idoles, il faut livrer une guerre d ’extermination »
(Deutéronome, 13/16-18). Il ne s'agit pas dans ce verset de convertir les
polythéistes, mais d'exterminer purement et simplement les non-juifs.

101
les valeurs traditionnelles sont anéanties dam le courant de « vie ». I l
propagea ce culte nihiliste sous l ’appellation de • voie vers Esaii » ou
« Edom » (le monde chrétien occidental), incitant à l ’a ssimilation
sans vraim ent y croire, et espérant la miraculeuse renaissance d'un
judaïsme messianique et nihiliste surgissant dans les douleurs de l ’en­
fantement d ’un bouleversement universel. Ces conceptions ouvraient la
voie à la fusion entre la dernière phase du messianisme et de la mys­
tique sabbataïste d ’une p a rt et, de Vautre, le rationalisme contem­
porain et les tendances laïques et anticléricales. La franc-maçonne­
rie, le libéralisme, voire lejacobinisme, peuvent être considérés comme
d ’a utres façons de tendre au même but.166 »

La destruction du Christianisme à laquelle se sont attelés les


frankistes, d'une part, et celle de l'islam par les sabbataïstes
d ’autre part, se sont fait en parallèle via des voies quasi simi­
laires : en accédant et en s’intégrant aux élites et aux classes do­
minantes, notam m ent via des loges maçonniques - le concept
kabbaliste de la rédemption par le mal, celui de la Table rase en
quelque sorte, détruire pour reconstruire167, pénétrera les mondes
chrétien et musulman en passant par des loges maçonniques ka-
bbalistiques qui deviendront par la suite lucifériennes comme
la loge du frankiste Paul Rosen ou celle de l’abbé « catholique »
Boulan (qui prônait le meurtre rituel)168.

La manière dont les frankistes vont détruire le Catholicisme de


l’intérieur en le pervertissant et en le vidant de sa substance, se

166 G. Scholem, op. cit. pp. 432-433.


167 Concept très en vogue chez les anciens trotskistes am éricains convertis au
néoconservatism e. Ainsi M ichael Ledeen s’est-il fait le chantre au début du
X X Ie siècle du « chaos constructif ». CF Iran/Jean-M ichel Vemochet, 2009.
168 C. Novak, Jacob Frank, le fa u x messie, p. 65. Voir les liens entre kabbale et
maçonnerie (par exemple : le rite de Memphis de Cagliostro, le Couvent de
Wilhemsbad ou la fibre rosicrucienne de Fubre d ’Olivct), p. 103.

102
fera de manière subtile - comme le feront les sabbataïstes au
cœur de l’islam -, en prônant un réformisme religieux, avec en
toile fond la permanence de cette idée : abolir la Loi divine (ou
naturelle) afin d’ouvrir la voie au règne du mal et à la révéla­
tion de la nouvelle loi, la Torah Azilut (Torah de l’émanation
qui abolit la Torah Beriah) et à partir de là accéder aux temps
messianiques à l’accomplissement des promesses de domination
universelle contenues dans le corpus de la Bible hébraïque (voir
chapitre IV).

Les recherches historiques de Charles Novak sont, de ce point de


vue, de première importance ; il explique : « Pour bien comprendre
lesfrankistes, il nous faut insister sur lefait que lefrankisme trans­
gresse lejudaïsme et le christianisme. Il est divisé entre convertis au
christianisme et non-convertis... Les frankistes de Bohême-Moravie
ou d ’Autriche viennent defamilles aisées et ne se convertissent pas au
christianisme, alors que lesfrankistes polonais issus des pauvres Shtetls
ou bourgades, se convertissent et connaissent des ascensions socialesf i ­
gurantes. Les premiers prépareront le terrain au judaïsme réformé, et
les seconds à un conservatisme teinté de réforme, mais les deux resteront
constamment en parallèle... Les descendants de la famille Brandeis,,''>
adhérent au judaïsme réformé américain, pendant qu’au même mo­
ment un Iwaskiewicz devient écrivain célèbre en Pologne où il prône
un catholicisme plus ouvert et plus tolérant. A ceci, nous pouvons
inclure également les sabbataïstes devenus musulmans de l ’Empire
ottoman, qui rentrent dans lafranc-maçonnerie etpréparent le ter­
rain à la laïcité turque. Dans ces tentatives de modernité religieuse et
de liberté de conscience, les religions chrétiennes, musulmanes etjuives
se radica/isent quant à elles, dans l ’orthodoxie... Des États-Unis, en

169 Dont le plus célèbre membre Louis (sur lequel nous reviendrons briève­
ment), sera nommé à la cour suprême des États-Unis par le Président Wil-
son et jouera un rôle non négligeable dans l’entrée en guerre des Etats-Unis
en 1917.

103
passant par la France, la Grande-Bretagne, la Pologne, voire l'Alle­
magne, lefrankisme et ses adhérents, convertis ou non convertis, se sont
répartis aux quatre coins du monde. »170

Novak, lorsqu’il parle de réforme, emploie à rort des mots po­


sitifs tels que « ouverture », « tolérance » ou « liberté ». Il faut
plutôt parler d ’un dévoiement du catholicisme et de l’islam
masqué par un discours séducteur (séduire, du latin seducere qui
signifie tromper, égarer, détourner du droit chemin) et des mots
signifiant l’inverse de ce qu’ils cachent. Précisons au passage
que le judaïsme réformé est resté jusqu’à nos jours to u t à fait
m inoritaire au sein du m onde ju if ; les réformismes chrétien et
musulman, quant à eux, gangrèneront to u t le m onde musulman
- à commencer par l’A rabie (avec le wahhabisme) à partir du
X V III' siècle, puis la Turquie, l’Iran et l’Asie C entrale dès le
X IX ' siècle - , le m onde catholique - nous avons vu précédem ­
m ent com m ent le monde protestant anglo-saxon fut pénétré
par la kabbale et le messianisme au X V II' siècle - et l’Eglise
en particulier, au point que celle-ci opérera une réforme qua­
si complète (en vue de se soum ettre à la m odernité) avec le
Concile Vatican II (1962-1965).

Ainsi le Pape Jean-P aul II —originaire de Cracovie, h au t lieu


du frankisme —, emblème du catholicisme m oderne et de l’Église
conciliaire, « ouverte » et « tolérante », fut ordonné comme prêtre
par le Cardinal-archevêque de Cracovie, descendant de la famille
frankiste Komorowski (converti au catholicisme en 1759). De
plus, un descendant des frankistes Turoski, Jerzy Turowicz, était
le conseiller et ami intim e de Jean-Paul I I 171.

170 C. Novak, op. cit. pp. 86-87.


171 C . Novak, op. cit. pp. 78,80.

104
La destruction du christianisme et de l’islam s’est faite d’abord par
l’attaque contre leur dimension spirituelle. En effet, le sabbato-
frankisme s’est employé à vider de leur substance spirituelle, en
grande partie, les deux religions monothéistes. La seconde étape
du programme du Choc des civilisations, une fois la première
accomplie, sera de les détruire sur le plan matériel en envoyant
Edom et Ismaël dans une guerre dont ils ne se relèveront pas.
Nous verrons plus bas comment ce programme qui paraît relever
de la science-fiction s’est traduit hier et aujourd’hui sur le plan
historique et géopolitique.

Il convient au préalable de se pencher sur le double mouvement


de subversion de l’islam formé par le wahhabisme et le
réformisme islamique. Nous montrerons, par des preuves
probantes, en quoi, d’après nous, ces mouvements constituent
la continuité, le prolongement historique et idéologique du
sabbataïsme.

105
Le rôle historique et eschatologique du
wahhabisme et du réformisme islamique

L e nihilisme des groupes terroristes wahhabites, à l’instar d’A l-


Nosra et de Daech, que l’on voit à l’œuvre actuellement au
Proche-O rient (mais aussi dans certaines régions d ’A frique),
m ontre une nette parenté avec le messianisme activiste de type
sabbato-frankiste, dont un des avatars les plus im portants de
l’Histoire moderne - qui est en tous points similaire au terrorisme
wahhabite, tant dans les moyens employés que dans les objectifs
—est l’organisation communiste de Karl M arx qui commettait, au
X IX ' siècle (de 1845 à 1860), actes terroristes et de subversion172,
tout comme les bolcheviques qui lui succéderont.

Les tentatives visant à établir un lien entre l’idéologie wahhabite


- appelé à tort (suivant le principe de la novlangue d ’inversion
du sens des mots) fondamentalisme islamique — et le Coran, en y
recherchant de façon hasardeuse et sans méthodologie des versets
à teneur nihiliste, restent vaines (nous reviendrons en détail sur
ces questions de nature théologique dans le second tome). D ’autre
part nous exposerons plus bas le rôle géopolitique que joue le
terrorisme wahhabite dans cette large stratégie du C hoc des
civilisations, mais avant, il convient d ’établir le lien idéologique - et
historique - existant entre le sabbato-frankisme et le wahhabisme,
ainsi qu’avec son versant libéral, le réformisme islamique.

172 Voir : Sailusle, Les origines secrètes du bolchevisme, paru en 1930, D étem a
éditions, 2014, pp. 82-83.

106
Le wahhabisme

Si nous n’avons pas de preuve formelle quant à l’origine sabba-


taïste du wahhabisme - par contre l’origine sabbataïste du ré­
formisme « islamique » est elle, formellement établie au plan
historique - nous disposons toutefois de nombreux éléments et
indices démontrant que cette idéologie, qui est train de s’impo­
ser comme l’orthodoxie musulmane, est un outil de destruction
de l’islam. En cela, le wahhabisme est la continuité du projet
messianique de destruction de la religion d’Ismaël et le prétexte
pour envoyer Edom dans une guerre contre celui-ci.

Le géopolitologue et écrivain Jean-Michel Vernochet a mis en


évidence, dans son ouvrage « Les Egarés », la dimension subversive du
wahhabisme, et la façon dont il a commencé à progressivement
détruire l’islam de l’intérieur173. Cette thèse fut aussi défendue
par le politologue Hamadi Redissi174, qui, à l’appui d’une riche
et inédite documentation, démontre formellement et sans
discussion que le wahhabisme et les Frères musulmans forment
les deux faces d’un même projet de destruction de l’islam.

Le père du wahhabisme, Mohamed Ibn Abd-al Wahhab (1703-


1792) était un prédicateur d’Arabie contesté et accusé par ses
contemporains detre un innovateur, un égaré, un hypocrite, un
athée, un rusé, un manipulateur et un faux prophète175. Notam­
ment par les grands savants de l’époque (parmi lesquels se trou­
vaient ses propres maîtres, M. Ibn Suleyman al-Kurdi et M . Ibn

173 Jean-Michel Vernochet, Les Égarés, le wahhabisme esl-il un contre Is­


lam ?, 2013, éd. Sigest.
174 In Le pacte de Xadjd, ou comment l'islam sectaire est devenu l'islam, 2007,
éd. Seuil.
175 H. Redissi, Le pacte de Xadjd, p. 136.

107
H ayet al-Sanad qui le soupçonnent d'athéism e176) —des quatre
écoles juridiques sunnites —de diverses régions comme le Nadjd
(région de l’A rabie centrale d’où est originaire A bd-al W ahhab),
le H edjaz (région de la M ecque et de M édine), le Yémen, ainsi
que les savants sunnites et chiites d’Irak. Par ailleurs, les savants
contemporains de Ibn Abd al-Wahhab lui ont dénié le statut de
savant mujtahid (capable d ’interpréter le Coran) ayant constaté
qu’il ne m aîtrisait pas la douzaine des sciences religieuses né­
cessaires177.

Mohamed Ibn A bd-al Wahhab (1703-1792)

La doctrine de Abd al-W ahhab est simple : l’excommunication


de tous les musulmans, sunnites et chiites, sous l’accusation
d’idolâtrie. D ans son petit livre (de seulement 50 pages), L ’uni­
cité divine, il pervertit ce concept spirituel (de l’unicité divine)
- par lequel le Prophète M oham ed avait unifié les arabes alors
divisés - pour en faire un instrum ent de division, établissant une
hiérarchie qui élève ses partisans au degré de peuple élu trônant
au-dessus de l’immense masse des musulmans, sunnites comme
chiites. Ces “sous-musulmans” qui refusaient de se soumettre à
A bd-al W ahhab étaient automatiquement voués à l’extermina­
tion. Ces méthodes ne sont pas sans rappeler la sauvagerie du
révolutionnaire protestant puritain Olivier Cromwell, en parti­
culier à l’e ncontre des catholiques irlandais.

Entre 1744 et 1745, Abd al-W ahhab conclut un pacte d ’alliance

176 H. Redissi, op. cit. p. 101.


177 H. Redissi, op. cit. pp. 131-132.

108
(le pacte du Nadjd) avec le chef de la tribu des Saoud. Ce pacte
fit des Saoud les porte-drapeaux du wahhabisme et d’Ibn Abd
al-Wahhab ainsi que sa descendance les chefs religieux de la dy­
nastie Saoudite ; celle-ci utilisa la doctrine wahhabite en tant que
moyen de conquête et d’appropriation patrimoniale de l’Arabie
- conquête dont résulteront trois royaumes saoudites successifs.

Ibn Saoud et Ibn Abd al-Wahhab, vont se livrer à une série


de destruction et de massacres qui n’est pas sans rapport avec
les actes sauvages commis en ce moment même en Irak - à titre
d’exemple, les wahhabites ont tué entre 2000 et 5000 personnes
à Kerbala en 1801, ils ont, en contradiction absolue avec la loi
coranique, massacré hommes, femmes et enfants et ont éven-
tré les femmes enceintes178 -, en Syrie, en Libye où les groupes
wahhabites financés par l’Arabie Saoudite et le Qatar, armés et
soutenus de plus en plus ouvertement par certaines puissances
occidentales, agissent sur le même modèle.

Ces méthodes, cette férocité, ces massacres systématiques d’in­


nocents désignés comme mécréants et rebelles à la nouvelle
foi, cette haine de la religion que l’on cherche à anéantir au pro­
fit d’une nouvelle croyance ; tout ceci s’est vu dans la Première
Révolution anglaise menée par Cromwell, puis dans le mes­
sianisme des Lumières et la Révolution française de 1789 ou
encore, à échelle continentale dans les grandes hécatombes qui
ont accompagné la révolution des Jeune Turcs avec le génocide
des Arméniens et le massacre des chrétiens de l’empire ottoman
moribond, ou encore la Terreur léniniste de 1917 et ses répliques
qui ensanglantèrent l’Europe, de la Hongrie à la Grèce via l’Es­
pagne, pendant un demi-siècle.

178 Faits rapporté par diverses sources, arabes et étrangères. Voir Redissi op.
cit. pp. 52-53.

109
A bd al-W ahhab et Cromwell ont chacun m ené une révolution
religieuse accompagné d ’une conquête territoriale par laquelle
ils ont imposé par la force des idéologies en tout point fidèles à
l’esprit de la Bible hébraïque - en particulier le Livre de Josué et
le D eutéronome, cinquième livre de laTorah.

Le troisième et définitif royaume Saoudite fondé en 1932 n’a pu


s’établir que par le soutien des Britanniques durant et après la
Première Guerre mondiale. E n 1945, le roi Abdelaziz Ib n Saoud
et Franklin D elano Roosevelt se rencontrent sur le croiseur
Q uincy ; un pacte est conclu : en échange du pétrole d ’Arabie,
le royaume des Saoud se trouvera désormais placé sous la pro­
tection des Américains qui à cette occasion évincent les B ritan­
niques.

Avec le couplage du pétrole saoudien et du dollar américain, dé­


bute la phase d’expansion de la doctrine wahhabite —sponsori­
sée par les pétrodollars - en dehors de l’Arabie. Le wahhabisme
part alors à la conquête de l'islam, notamment via de nombreuses
institutions comme le Congrès islamique mondial (1949-1952),
le Congrès islamique de Jérusalem (1953), le H aut Conseil des A f­
faires musulmanes (1960), l'Organisation de la Conférence islamique
(1969), la Ligue du Monde musulman (1962), l'Assemblée mondiale
de lajeunesse musulmane (1972). Les saoudo-wahhabites financent
aussi des chaires universitaires à Harvard, en Californie, à Santa
Barbara, à Londres ainsi qu’à Moscou. L’Arabie Saoudite détient à
ce jour, en termes financiers, 30 % de l’enveloppe satellitaire arabe,
cinquante chaînes de télévision et autant de titres dans la presse
écrite179.

179 Voir la liste in Al-Farsy, Custodian o f llie Two H oly M osques : K ing Falid ben
A bdtd Aziz, Chanel Islands : K/ligllt Communications, 2001, pp. 220-228.
Cité par 1-Iamadi Kedissi, Le pacte de Xadjd, p. 215.

110
Tout ceci avec la bénédiction du monde anglo-saxon à la tête
du monde « libre ».

Le wahhabisme est à l’origine une doctrine bédouine destinée à


des Bédouins incultes ; les villes, où siégeaient les savants et dont
les populations avaient une connaissance relativement solide de
leur religion, restèrent hermétiques à cette hérésie. C ’est alors
qu’apparaît, dans la seconde moitié du XIX' siècle, le pendant
libéral du wahhabisme : le réformisme islamique.

Le réformisme islamique

Nous l’avons expliqué précédemment, le réformisme est la voie


empruntée par le sabbato-frankisme pour détruire de l’intérieur
et l’islam et simultanément le christianisme. Le réformisme is­
lamique eut comme point d’ancrage les régions sabbataïstes, et
son expansion s’est faite via les loges maçonniques infiltrées par
les sabbataïstes. Les loges se sont propagées, à partir du XVIII'
siècle, en Turquie, en Iran, en Asie centrale, mais aussi en Egypte
et en Syrie.

Il faut préciser, comme nous le montrerons plus bas, que le réfor­


misme en terre d’islam ne se limite pas à une réforme de la reli­
gion musulmane, mais vise une réforme globale, des institutions
politiques, du régime politique ; tendance qui culminera avec la
remise en question de la légitimité même du Califat après son
abolition.

Il s agit là, comme ce fut le cas en Europe, de renverser toutes


les fondations traditionnelles afin de faire perdre aux peuples
leurs repères et tout ancrage dans le passé par leur arasement.
Cette réalité historique ne fait-elle pas écho à ce passage du livre

111
d’O bsdia que nous avons cité précédemment : « les nations seront
comme si elles n'avaientjamais été. » (Obadia, 15-16).

L a prem ière loge maçonnique du L evant apparaît en Turquie


en 1738, à Smyrne180, lieu de naissance de Sabbataï Tsevi et haut
lieu du sabbataïsme, seulement 62 ans après la m ort du faux
messie.

A u milieu du X IX e siècle, des musulmans (de T urquie), essen­


tiellem ent des lettrés, des proches du Sultan, des hauts fonc­
tionnaires parmi lesquels des ministres, en tren t m assivement
dans des loges m açonniques - notamment? la loge française
L'union d'O rient d ont la période d’activité, comme le rapporte
le spécialiste de la franc-m açonnerie dans le m onde m usul­
man T hierry Zarcone, correspond à la décennie la plus libérale
de l’histoire politique et sociale de l’Em pire (1863-1874). Ces
hom m es pour la plupart jo u en t un rôle dans l’introduction
du libéralisme dans l’Em pire o tto m an 181. L’im plantation de
la Franc-M açonnerie devient si im portante en Turquie que le
sultan ottom an M urad V, qui ne règne que quelques mois en
1876 avant d ’être déposé par A bdulham id II, était lui-m êm e
membre d ’une loge182.

Les sabbataïstes faussem ent convertis à l’islam, les fameux


dônmeh qui form ent les gros bataillons des Jeunes-Turcs, créent
en 1889 un mouvement politique, le Com ité U nion et Progrès,
qu’ils organisent sur le modèle de la franc-m açonnerie fran ­
çaise du G ra n d -O rie n t de France. Le projet des Jeunes-Turcs est
clair : destituer le sultan Abdulham id II, rétablir la constitution

180 Thierry Zarcone, Secret et sociétés secrètes en Islam - Turquie, Iran et Asie
centrale, X l.V -X X ' siècles, éd. Arche M ilano, 2002, p. 7
181 Thierry Zarcone, op. cit., éd. Arche M ilano, 2002, p. 10.
182 T. Zarcone, op. cit. p. 11.

112
libérale de 1876-77 - dont la proclamation, comme pour ce qui
est de la Révolution constitutionnelle iranienne de 1905-06, fut
le fait des sociétés secrètes, de la franc-maçonnerie et des organi­
sations para-maçonniques183 - et imposer l’athéisme en Turquie.
Dans leur projet de renversement du sultan ils sont aidés par les
loges maçonniques françaises et italiennes de Salonique, ville
qui abrite les principaux acteurs du complot jeune-turc et qui
fut pendant plusieurs siècles un centre kabbaliste et sabbataïste
important. Ce sont ces mêmes donmeb que l’on retrouve à la tête
de l’Empire ottoman de 1908 à 1918. En 1908 ils restaurent la
constitution libérale, en 1909 ils dotent l’empire de sa première
obédience maçonnique nationale, le Grand Orient ottoman18'1.

Parallèlement, les Jeunes-Turcs crééent ce que Thierry Zarcone


décrit comme une sorte de service secret, un instrument invisible
d'action politique et même de coercition et d ’élimination. Il rapporte
le témoignage d’un auteur jeune-turc, Hüseyin Cahid Yalçin
(mort en 1957), dans lequel il explique que le Comité Union et
Progrès, l’organisation Jeunes-Turcs, est devenu au fil des années
plus qu’une organisation politique secrète, en fait une véritable
« religion ». Hüseyin écrit : « Pour consolider l ’esprit du Comité,
on a créé une nouvelle religion et une mezbep, pour ainsi dire une
structure de style confrérique... Il existe, dans lepays un esprit unio­
niste, enfait une influence mystique »18S. Il faut, pour comprendre
le but (eschatologique) de cette « nouvelle religion » et ce lien
mystique existant entre les Jeunes-Turcs et les dônmeb, se souve­
nir de l’ordre que SabbataïTsevi donna aux 200 chefs de familles
juives faussement convertis à l'islam : rester ensemble comme
une compagnie de combattants secrets. C ’est ce qui explique que

183 T. Zarcone, op. cit. p. 34.


184 T. Zarcone, op. cit. pp. 11 -1 2 ,3 2 .
185 T. Zarcone, op. cit. p. 70.

113
l’o rganisation des Jeunes-Turc ait gardé son caractère occulte
même après leur prise de pouvoir en 1908.

Le réformisme islamique est né dans la même période que le


réformisme politique, et ses acteurs principaux sont liés, eux aus­
si, à la maçonnerie. Ce que l’on verra en O ccident à l’identique
où le messianisme social diffusé par les Loges se divisent entre
socialistes révolutionnaires, sociaux-démocrates et communistes,
soit entre réformistes et partisans de la terreur comme instru­
ment politique. Terreur que m irent en œuvre à large échelle les
Jeunes-Turcs à partir de 1915 et les bolchéviques en Russie en
1917 après l’élimination des socialistes révolutionnaires m enche-
viks. Notons que le chef de file des bolcheviques jusqu’à la prise
du pouvoir à St Petersbourg, Lénine, appartient au courant so­
cial-démocrate.

Malkun Khan (1833-1908),prem ier grand réformiste mnsiilman

Le premier grand réformiste musulman est M alkun Khan (1833-


1908), un Iranien d’origine arménienne converti à l’islam chiite.
Il créé la première loge maçonnique d’Iran, la Farâmûshkhâna, en
1858, après avoir découvert la franc-maçonnerie à Paris186. Parmi
les membres de cette loge maçonnique iranienne se trouvent des
lettrés, des élèves de M alkun à l’École polytechnique de Téhéran
et des religieux de haut rang (grade).

Son projet pour l’islam se situe dans la continuité du réfor­


misme sabbato-frankiste : couler l’islam dans le moule contrai­
gnant de la modernité (concept associé et confondu avec celui
de progrès, un progrès par ailleurs essentiellement matériel), et

186 Thierry Zarcone, op. cit. pp. 58, 119 .

114
ce en arguant, comme tous les réformistes du XIX ' siècle à nos
jours, que la modernité187 (qui se traduit rapidement en décon­
struction voire décomposition sociétale, ainsi que les sociétés
occidentales le constatent ou l’apprennent désormais à leurs
dépens188) ne va pas à l’encontre des fondements de l’islam -
toutefois, il ne sera jamais venu à l’esprit des réformistes, avant
de vouloir adapter l’islam à la modernité, de se questionner sur
celle-ci : ce qu’elle est par essence et surtout quelle est son ori­
gine ; plus encore, jamais ils ne suggéreront d’utiliser le corpus
islamique pour comprendre et opérer une saine critique de la
modernité.

Mais pour Malkun, et les réformistes qui lui succéderont,


cet argument n’est qu’un tour de passe-passe rhétorique pour
atteindre le but final du réformisme. Thierry Zarcone l’explique

187 Pour une définition et une critique de la modernité voir le livre important de
René Guénon, La Crise du monde moderne, 1927.
188 Voir les travaux fondamentaux sur la décomposition sociétale de Jetm*
Claude M ichéa, L ’empire du moindre mal : essai sur la civilisation libé­
rale, éd. Clim ats, 2007.

115
parfaitement lorsqu’il écrit : « Mais l'islam et le soufisme sont
aussi et surtout des instruments qui servent le projet de Malkun
Khan ; il est avant tout le partisan d'une « religion de l'hum anité »
que l ’on peut apparenter à la « religion naturelle » de Rousseau
dont les juifs, les chrétiens, les musulmans et les païens ne seraient
que les * hérétiques et les schismatiques ». I l décide, ainsi que le
suggère N ikki Keddie, de • diffuser cette religion parce q u ’il
pense qu'elle p o u rra it présenter les idées occidentales a ux
Iraniens en des termes religieux qui rendraient celles-ci plus
acceptables »185. M onde et religion à l’arrivée sans Dieu puisque
c’est l’humanité qui se trouvera déifiée. Religion athée do n t les
grands prêtres constitueront la caste sacerdotale des « D roits
de l’Homme » ...1,ü

Il s’agit là de retourner la religion contre elle-même, d ’utiliser


des outils conceptuels apparemment islamiques pour soumettre
l’islam aux idées dites occidentales, mais qu’il convient de
qualifier de modernistes, idées par essence athéistes, to u t
comme l’était la maçonnerie française dont il s’était inspiré.

Notons que le Grand O rient de France, dont les membres sont


majoritairement des athées militants, mais dont le cérémonial est
paradoxalement empreint de mysticisme ju if et chrétien191 suc­
cède à la première loge maçonnique judéo-chrétienne (d ’o ri­
gine frankiste) - composée de membres juifs et chrétiens, dans
un esprit syncrétique dans la continuité de l’alliance judéo-chré­
tienne etablie par Solomon Molcho et consolidée par M enasseh
en sraël , 1Ordre des Frères de Saint-Jean l’Evangéliste
d Asie et d Europe qui apparaît à la fin du X V III' siècle (1780)

189 T. Zarcone, op. cit. p. 130.


190 À j * sujet voir les travaux de Salluste. Les origines secrètes du bolche-

191 T. Zarcone, op. cit. p. 130.

116
en France ; parmi ses membres se trouvent le richissime frankiste
converti au catholicisme Franz-Thomas von Schônfeld, le
Prince du Liechtenstein, le ministre autrichien de la Justice,
le comte de Westenburg, le comte Joachim von Thun und Taxi, le
futur Roi de Prusse Frédéric-Guillaume II et de grands banquiers
juifs comme Isaac Oppenheimer ou Eskeles, mais aussi le rabbin
d’Ukraine Barouch Ben Jacob de Skhlov, ancien juge rabbinique
de Minsk” 2.

Le succès et les projets de réformes politiques de Malk-


un Khan poussent le gouvernement iranien à interdire sa loge
en 1871 (interdiction approuvée par le clergé chiite) et à exiler
Malkun1” .

Jam alEddine al-Afghani (1838-1897)

Le second et le plus connu des réformistes musulmans est un


autre iranien qui prendra le relai de Malkun, Jamal Eddine
al-Afghani (1838-1897), dont l’appartenance à la franc-maçon­
nerie est confirmée par un certain nombre de preuves rapportées

192 Celte loge fut fondée sur la kabbale et les secrets snbbataïstes par les frères
ncker von Eckofl'cn et un sabbataïste du nom de Azaria. Com me le sou­
ligne N ovak, tous les secteurs d ’activité y sont représentés : la politique,
les révolutionnaires, la littérature et la musique avec Beethoven. Il ajoute
que cette loge frankiste ament: les cliréticns t) « revenir » aux racinesjuives
pour casser le dogme tle l'Église catholique qui n 'a de cesse de séparer
ju ifs et chrétiens, ceci dans un esprit syncrétique propre à consolider le
mythe du judéo-christianism e qui est un moyen, comme nous l’ avons mon­
tré, de soumettre in fine le christianisme au judaïsm e. C. Novak, Jacob
Frank, le faux messie, pp. 123-132.
193 T. Zarconc, op. cit. p. 122.

117
par diverses sources194. A l-Afghani est un iranien issu de la no­
blesse, un cosmopolite, un intriguant qui accède avec aisance aux
hautes sphères de la société. Il se fit passer pour un afghan (d ’où
le nom d’emprunt Afghani) pour mieux s’intégrer en Turquie. Il
y émigre en vue de réformer l’islam sunnite (M alkun s était attelé
à réformer l’islam chiite). Il s’installe en Égypte en 1871, là son
influence s’é tend avec le nombre croissant de ses disciples. M ais
en 1879 il en est chassé, car il est mêlé à des activités obscures
qui mènent à une crise politique.

E n effet, ses disciples prennent une p a rt active aux événe­


ments qui vont provoquer la révolution urabiste née des rivalités
entre la dynastie régnante et la classe politique. Précisons que ce
sont des loges maçonniques, très bien implantées en Egypte,
qui sont les instrum ents de diffusion des idées d’Afghani et de
ses disciples195. D ’ailleurs, son principal disciple, M uham m ad
Abduh, qui lui succédera, a lui-même participé à la révolution
urabiste et a dû fuir l’Egypte.

Hamadi Redissi, qui a mené une enquête historique très poussée


sur le wahhabisme et le réformisme islamique - mais Redissi est
totalement étranger à la question sabbato-frankiste, ses recherches
débutent avec Afghani, il n’évoque pas M alkun et semble ignorer
les liens existants entre les donmeh et le réformisme —écrit ceci
à propos d al-Afghani : « Un personnage public mêlé à toute espèce
d'agitation, de conspiration et d'intrigues... A fghani adhère mo­
mentanément à une loge maçonnique du Caire, avant qu’il n'en soit,
d après les archives britanniques, renvoyé parce qu'il ne croyait pas à

194 T. Zareone, op. cit. p. 120.

195 Ïo '/V l o i" ? .L1aurens> 1 ' ° ric'" a m b e■Arabism e cl islam ism e de 1798 à
1945 1993, éd. Armand Colin p. 90. Henry Laurens est docteur, agrégé
histoire et fan autorité dans le domaine de l’histoire du m onde arabe 11
occupe par ailleurs la chaire des études arabes au Collège de France.

118
l'Être suprême - et non par sa propre volonté comme il l'a prétendu.
Une fois sur le trône, le khédive Tawfik renvoie l ’agitateur en Inde
(1897). De là, Use rend à Paris où il est rejointpar son protégéAbduh,
lui aussi exilé, mais à Beyrouth. Usfondent en 1884 Al-Jrwa al- Wit-
hqa (Le Lien indissoluble ou L'Anseferme), en même temps qu'un ma­
gazine qui sera de courte durée (13 mars-16 octobre 1884) et ime société
secrète. A Paris et à Londres, Afghani mène des négociations avec les
Anglais sur l'avenir du Soudan, avec la complicité de Wilfrid Blunt.
En 1886, Afghani est conseiller du shah d'Iran, Nasr Eddine. Il sefait
expulser en 1891 parce qu’il s'est opposé au fait que le shah envisageait
d'accorder la concession du tabac à une compagnie étrangère. De retour à
Istanbul^Constantinople], ilfinit sa vie en invité d'honneur-enfait,
en otage —du calife d’IstanbulAbdul-Hamid, qui se méfie de son esprit
conspirateur. Sur la base d ’archives, Elie Kedourie estformel : Afghani,
« le gentleman de Kaboul », n'a cessé, sa vie durant, d'offrir ses services
aux Turcs, aux Anglais, aux Russes.

Afghani préfigure l ’intellectuel, secret, inconstant, agnostique et or­


ganique. Secret, il est adepte de la double vérité : l'une bonne à di­
vulguer, l ’autre à confier aux cercles defidèles ; une pour plaire aux

119
étrangers, une a u t r e pour satisfaire aux goûts du public musulman à
coup de simplifications grossières. Inconstant, il fa it ce qu'il ne dit pas
et d it ce qu'il nefa it pas. Agnostique [c est-à-dire athée], il se laisse
aller à l ’inspiration du moment. Organique, il fa it corps avec la plèbe
dont il sefa it le porte-parole sincère de ses amours trahies et de ses lu­
bies. I l sait s’a ttirer lafaveur despuissants, quitte à les désavouer»19*.

Afghani se présentait comme musulman, mais en était un en­


nemi acharné ; il répond à Ernest Renan qui donne le 29 mars
1883 une conférence à la Sorbonne titré « L’Islamisme et la
Science », ceci : « À la vérité, la religion musulmane a cherché à
étouffer la science et à arrêter le progrès... Elle est merveilleusement
servie par le despotisme... Les religions se ressemblent toutes. Aucune
entente et aucune réconciliation ne sont possibles entre elles et la phi­
losophie. »157.

O n ne peut qu’être stupéfait de lire ces propos venant d ’un in­


tellectuel prétendument “musulman”, lorsque l’on sait, par ail­
leurs, que la civilisation musulmane, dès son établissement, s’est
attachée à traduire, à étudier et à développer toutes les œuvres
philosophiques et scientifiques grecques, perses ou encore in ­
diennes, au début du IX e siècle avec les M aisons de la Sagesse198.
Au IX ' siècle, il y a 1200 ans, le monde islamique faisait naître
d immenses philosophes musulmans comme A l-K indi199 (801-
873), Al-Farabi (872-950), Ibn Sina (980-1037) connu sous le

196 Redissi, op. cit. pp. 158-160.


197 Rapporté par Redissi, op. cit. p. 160.
198
Les Maisons de la sagesse étaient des bibliothèques et des centres cultu­
rels ou on tradutsait et discutait des œuvres philosophiques, scientifiques

™ d ? “ T SOnf dC la SaBesse ont élé 'itablies dan5 plusieurs


199 Al K M T ? T musulman (lîa Bdad. Cordoue, Le C a ire ...)
astron^ne. musicien C* ™ d™ " - ■ * > * * » .

120
nom d’Avicenne, et bien d’autres ; de plus, c’est aux scientifiques
musulmans que revient la paternité de la science expérimen­
tale, au développement de toutes les sciences « profanes » (de
l’astronomie à la géologie en passant par les mathématiques, la
physique ou encore la médecine) et d’innombrables inventions.
Un héritage repris en totalité par l’Europe de la Renaissance qui
peu à peu dépouilla de sa dimension spirituelle la science pour la
conduire progressivement vers le rationalisme et le matérialisme,
avant d’être finalement utilisée contre le christianisme200. Afgha-
ni ne pouvait pas ignorer que l’islam a suscité une civilisation qui
a porté la raison et la science à leur plus haut degré. Quelle était
alors la motivation d’Afghani ? Nous allons le comprendre.

Mohamed Abduh (1849-1905)

Son disciple, Mohamed Abduh (1849-1905), qui poursuivra


son œuvre, n’est pas moins suspect qu’Afghani. Après avoir reçu
les exemplaires du Journal des débats en date du 18 et 19 mai
1883, comportant la réponse d’Afghani où il diffame l’islam, il
envoie à son maître qu’il adule une lettre dont le contenu en dit
long sur leur projet commun. Il commence par indiquer qu’il
existait entre eux une sorte de pacte ésotérique qu’Afghani a en­
freint en ébruitant le secret et poursuit : « Nous agissons confor­
mément à votre droite règle de conduite : lions ne coupons la tête de
la religion que p ar l ’épée de la religion (la naqta’ raas al-din ilia

200 Au sujet de l’ influence de la civilisation musulmane sur l’ Europe lire le


livre incontournable de Sigrid I-lunke, historienne et orientaliste allemande
(élève de Martin Heideguer), Le soleil d'Allah brille sur l Occident, éd.
Albin Michel, 1997.

121
bi sayf al-din) »201. Le projet est clair : détruire l’islam de l’inté­
rieur en utilisant des voies et moyens apparem ment musulmans,
à l’instar de M alkun Khan avant eux.

Hamadi Redissi a bien vu quel était le projet d ’A fghani et d ’A b-


duh lorsqu’il écrit : « "Couper la tête de la religion par l'épée de la
religion” ? Tel est le programme dévastateur par lequel Afghani et
Abduh, ensemble, prétendent miner la religion de l'intérieur afin de
reconstruire une nouvelle orthodoxie »202.

Vers 1889, A fghani et A bduh se séparent. A b d u h travaille sur


la réforme de l’islam et fait la connaissance de R achid R idha
(1865-1935),un intellectuel syro-libanais réfugié au C aire avec
lequel il se lie d’amitié et qui à son tour deviendra son disciple.
Ensemble, ils fondent en 1897 la revue A l-M a n a r (L e Phare).
Tout comme avec son maître auparavant, A bduh continua à
cultiver le secret ; il enseignait ainsi à son élève, R achid R idha,
que certaines opinions ne devaient pas être ébruitées203.

201 rePro(*u‘te >n Kedourie, p.45. Rapportée par Redissi, op. cit. pp. 161-

202 Redissi, op. cit. p. 162.


203 Redissi op. cit. p. 162.

122
En 1899, Abduh devient grand mufti d’Egypte ; il essaye ensuite
d’imposer des réformes à l’université d’Al-Azhar, le centre intellec­
tuel de l’islam sunnite. Soutenu pas les autorités anglaises, il tente de
modifier tant le contenu des programmes d’Al-Azhar que son organi­
sation interne204. Une véritable tentative de subversion de la plus im­
portante, mondialement parlant, des universités sunnites et par voie de
conséquence de l’islam lui-même ; programme officiel du mouvement
réformiste qui s’apparente, et ce n’est pas un hasard, au réformisme
protestant, mais toujours sous couvert d’un retour aux sources (origi­
nelles). Un tour de passe-passe rhétorique qui séduit beaucoup de mu­
sulmans désireux d’épouser la modernité, qui veulent s’excuser d’être
des croyants ou qui cherchent une alternative à l’islam « traditionnel ».

Au sujet du wahhabisme, Abduh dit ceci : « Leur obédience est


bonne, mais excessive. Quel intérêt à démolir le dôme du Prophète,
à accuser les musulmans d'impiété et à les soumettre par l ’épée ? ».
Ce qui dérange donc Abduh, ce n’est pas l’hérésie wahhabite en
elle-même, mais son manque de finesse, sa brutalité ; car les
réformistes comme Abduh savent que le meilleur moyen de
détruire la religion est la manière douce. Il ajoute par ailleurs :
« Certes, rien n'interdit d ’exagérer les propos de manière rhétorique,
mais tout ce qui se dit et s’écrit ne doit pas nécessairement être traduit
dans lesfaits. Il m’arrive de tenir des propos dans des cercles privés,
maisje ne tiens pas à ce que cela soit rendu public w20’ .

Rachid Ridha (1865-1935)

Le lien entre le wahhabisme et le réformisme apparaît claire­


ment avec le disciple d ’Abduh, Rachid Ridha. Il faut préciser

204 H. Laurens, op. cil. p. 95.


205 Abduh (1980), t. 3, p. 532. Cité par H. Redissi op. cit. p. 166.

123
tout d’abord que dans les années 1920, les disciples d A bduh se
divisent en deux grandes tendances ; une tendance « douce » à
laquelle appartient R achid Ridha, et une tendance plus « dure »
qui adhère ouvertement à l’idéologie w ahhabite. La tendance
douce ne rejette toutefois pas le w ahhabisme, au contraire, elle
le justifie et le réhabilite206.

Rachid Ridha est tout à fait archétypique de ce réformisme qui


forme avec le wahhabisme les deux facettes d ’une même pièce :
celle de l'hérésie dont le but ultime est la destruction de l’islam
par implosion, que les protagonistes en soient conscients ou non.

Rachid Ridha est celui qui va véritablement réhabiliter le wahha­


bisme pour en faire la partie dominante d’une nouvelle orthodoxie
islamique. Par sa maison dedition qui porte le même nom que sa
revue,Al-M anar financé par les Saoud, il publie à partir de 1923
toute la littérature wahhabite et en attaque avec virulence les dé­
tracteurs. Parmi ces critiques, se trouve Al-Azhar dont les oulémas
(les docteurs de la foi), aujourd’hui encore, s’opposent ferm em ent
à la doctrine wahhabite207. Cependant, pour la première fois, à
cause de cet habile propagandiste qu’est Rachid Ridha, la littéra­
ture wahhabite est offerte au grand public arabe.

Rachid Ridha en bon opportuniste apporte sa caution à qui le


paye . alors qu il soutenait les chérifs de L a M ecque, il retourne

206 Plusieurs intellectuels musulmans de la tendance réform iste font l ’éloge


d lbn Abd al-NVahhab, à l’instar de l’écrivain érudit et historien Ahm ed
Amin (1886-1954) qui fait d ’ibn Abd al-W ahhab un héros q u ’il classe par­
mi les grands réformateurs dans son livre. L es Guides de la réform e dans
es temps modernes (1948). Voir les réformateurs soutenant le w ahhabism e
dans : Rcdissi ibid. pp. 168-171.
207 Voir la liste des publications wahhabites par Rachid Ridha et les polém iques
qu i entame en vue de détendre la doctrine w ahhabite dans : 1lam adi Re-
aissi. Le pacte de \a d jd , pp. 176-177.

124
rapidement sa veste en faveur de ses financiers, les Saoud, qui
sont les ennemis des chérifs. Il attaque alors violemment les ché-
rifs, qu’il insulte et traite d’athées20B. Au final, il soutiendra de
toute son autorité la création du royaume wahhabite des Saoud
(1932)209.

Hassan al-Banna (1906-1949)

En 1928, l’égyptien Hassan al-Banna (1906-1949), disciple de


Ridha et dont le père était un élève d’Abduh, fonde l’Association
des Frères musulmans, une confrérie réformiste dans la droite
ligne des Afghani, Abduh et Ridha. En 1932 al-Banna fonde
l'hebdomadaire Jaridat al-Ikhwan al-Muslimin (Le Journal des
Frères musulmans) et en 1936, Nadhir (L’Avertisseur). Suite à la
mort de Rachid Ridha (1935), il s’associe à la famille du défunt
pour faire reparaître le magazine Al-Manar.

208 Redissi. op. cit. pp. 178-179.


209 Laurens, op. cit. p. 97.

125
Très vite, la confrérie d ’H assan al-B anna est pointée du doigt
comme étant un groupe d ’innovateurs, autrem ent d it une secte
sortant de l’islam qui, com m e les w ahhabites, tente de créer
une cinquième école jurisprudentiellc en sus des quatre que
compte l’islam sunnite210. Ces accusations ne seraient restées
que des diffamations si elles reposaient sur du néant. A u reste,
ces gens laissent toujours des traces, com m e le fait rem arquer
H am adi Redissi : « L a lecture attentive des Mémoires d 'A l-B a n -
na révèle quelques fa its troublants. Outre l ’allégeance au chef et le
culte du secret, que dire, par exemple, de ce signe de reconnaissance
sectaire qui réunit les Frères dans une confraternité propre aux loges
(maçonniques) : une bague en argent au p e tit doigt de la main
droite, formée de dix facettes ? Le nombre 10 renvoie aux « dix
commandements ». Un artisan parcourt les cellules des Frères, m uni
d ’un instrument approprié pour s'assurer de la taille des doigts des
militants, qui prennent, eux, l'engagement de ne pas se défaire de
la bague acquise à titre onéreux. Les recommandations internes aux
militants sont aussi au nombre de 10, le premier étant le port du
signe (la bague), le septième te secret, le dixième l ’affiliation per­
manente... Al-Banna a sûrement subjugué ses troupes pa r un mé­
lange de charisme et de mystagogie (initiation au secret). Sur la fo i
d un éducateur qui a assisté à une scène inquiétante, a m p lif iée par
la rumeur publique, il est accusé, un peu comme Ibn A b d a l-w ah-
hab, de fausse prophétie. »2n.

Il fallait, pour devenir un membre des Frères m usulmans, pas­


ser par un rite d’initiation de type maçonnique, durant lequel le
n 1 at prête serment d allégeance et s’e ngage à garder le secret
devant une table sur laquelle étaient posés le C oran (l’équivalent

M itchdl, p. 320. Cité par Redissi, op. cit. p 235


211 Redissi, op. cit. pp. 235-236.

126
de la Bible dans certaines loges maçonniques) et un revolver212
(l'équivalent de l’épée dans les loges européennes et du poignard
chez les Jeunes-Turcs). Le rite d’initiation des Frères musulmans
est quasi-similaire à celui des Jeunes- Turcs213.

En 1936, alors qu’Al-Banna accomplit le pèlerinage à la Mecque


pour la première fois, il demande à Abdelaziz Ibn Saoud, roi
d’Arabie Saoudite, de fonder une branche des Frères, mais Ab­
delaziz lui répond « tout le royaume est une branche des Frères et
tous les Saoudiens sont des Frères musulmans »214... On ne peut être
plus clair.

L’Arabie Saoudite soutiendra financièrement les Frères mu­


sulmans jusqu’à une période récente. Le prince Nayef ben Ab­
delaziz Al Saoud (1934-2012) a avoué ces contributions (dans les
années 2000) : « Nous avons trop aide' lesfrères musulmans qui sont
la cause des problèmes dans le monde arabe, et peut-être dans le monde

212 Tém oignage de Anouar cl-Saddate, rapporté par Philippe Aziz, Les .sectes
secrètes de l ’Islam, de l'ordre des assassins aux Frères musulmans, 1983,
éd. Robert LalToni, p. 263.
213 Thierry Zarcone, Secret et sociétés secrètes en Islam, pp. 85-86.
214 Redissi, op. cit. p. 237.

127
musulman »21S. Comme ils l’avaient fait auparavant avec les ikhwan
écrasés par les britanniques et les Saoud en 1928, ces derniers
lâchent les Frères musulmans. Toutefois, le Q atar prendra vite le
relai en soutenant les Frères tout particulièrement en Egypte et en
Tunisie ; d’ailleurs, la grande figure de la Confrérie, Yusuf A l-Q ar-
daoui, vit au Qatar depuis 40 ans, pays d’où il lançait jusqu à une
période récente des prêches enflammés via la chaîne Al-Jazeera.

Preuve de ce soutien historique de l’A rabie Saoudite aux Frères


m usulmans, Saïd R am adan (1926-1995), le gendre d ’H as-
san al-Banna vivait lui aussi (également) de donations Saou­
diennes216.

Voici ce que rapporte le journaliste Ian H am el, le 6 décembre


2011 dans un article du journal Le Point, au sujet des liens
qu’entretenait Saïd Ram adan avec les Saoudiens et les services
secrets américains et britanniques : « Le fonds E 4230, conservé
aux archives fédérales à Berne, concerne Saïd Ramadan, le gendre
d'Hassan el-Banna, fondateur des Frères musulmans égyptiens.
Poursuivi par le régime nassérien, réfugié en Suisse en 1959, Saïd
Ramadan a créé le Centre islamique de Genève. I l est par ailleurs
I un des fondateurs de la Ligue islamique mondiale inspirée pa r les
Saoudiens. Une note confidentielle des services secrets suisses datant
du 17 août 1966 évoque la « sympathie » de la BUPO, la policef é ­
dérale sur la protection de l'État, pour Saïd Ramadan. Elle ajoute :
* Il est très certainement en excellents termes avec les Anglais et les
Américains ». Un autre document, daté du 5 ju illet 1967, se montre
encore plus précis. Saïd Ramadan est présenté comme un « agent d 'in ­
formation des Anglais et des Américains ». De plus, je crois savoir
qu i a rendu des services - sur le plan d'informations - à la BUPO.

215 Redissi, op. cit. p. 239.


2 16 Redissi, op. cit. p. 238.

128
En juillet 1953, une délégation des Frire musulmans est invitée aux
États-Unis, et reçue à la Maison-Blanche, parmi eux Saïd Rama­
dan217

Le parcours ambivalent de Saïd Ramadan s’inscrit donc bien dans


la lignée de ses prédécesseurs, Afghani, Abduh, Ridha.

Tarik Ramadan (1962- )

Mais aujourd’hui, celui qui incarne à nos yeux de la manière


la plus éclatante l’alliance objective du réformisme islamique
et du wahhabisme - connivence qui n’a à ce jour jamais été
identifiée en tant que telle ! - et surtout leur fonction historique
de destruction de l’islam, est le propre fils de Saïd Ramadan,
Tarik, qui se réclame lui-même du courant réformiste.

Tarik Ramadan est le directeur du C ILE (Centre de Recherche


sur la Législation et l’Erhique Islamique) basé au Qatar. Ce
centre de recherche est subventionné par le régime wahhabite
qatari à la tête duquel règne la famille al-Thani, issue de la même
tribu que Mohamed Ibn Abd al-Wahhab. Le C ILE se présente
comme étant « à l'avant-garde de la réforme et du renouveau de
la pensée juridique et éthique islamique et des comportements en
fournissant un cadre éthique durable pour faire face aux défis du
monde contemporain »3a.

217 Une photo de Saïd Ram adan dans le bureau ovale en compagnie du pré­
sident Dwight Eisenhower est disponible sur internet.
218 Voir l’ article de Ian Hamel, Quand la CIAfinançait les Frères musulmans.
Le Point, 06/12/2011.
219 Voir la présentation du C IL E : http://www.ciIecenter.org/fr/vision-inission/
L e véritable rôle que joue T arik Ram adan échappe évidemment
à toutes ses critiques (qu’ils soient m usulm ans ou non) et ce,
po ur plusieurs raisons : la principale é ta n t qu ils ig norent les
origines et les finalités du réformisme islamique et plus encore
son rapport au w ahhabisme ; ce à quoi s ajoute le fait qu ils ne
savent pas où situer cet héritier des M alkun, A fghani, A bduh et
Ridha... T arik R am adan n’étant en réalité que le dernier maillon
de la chaine des réformistes.

Q ue sa trajectoire l’ait mené à travailler avec le régime wahhabite


du Qatar - qui finance le terrorisme m ettant une partie du monde
musulman à feu et à sang - (et à Oxford en Angleterre) netonnera
aucun de nos lecteurs. D ’autant plus que Tarik Ramadan, à l’instar
du Frère Yusuf al-Qardaoui qui appelait au meurtre de la popu­
lation syrienne loyaliste, et avec lequel il œuvre à D oha au sein
du C1LE, a ouvertement soutenu la guerre contre la Libye et pris
position en faveur des terroristes (présentés comme des rebelles)
en Syrie. Toutes choses qu’il tente de faire oublier depuis qu’il est
apparu clairement que nous avons affaire à de véritables groupes
nihilistes dont l’objectif est la subversion de tout l’O rient arabe,
u M achrek au Maghreb, tandis qu’il s’efforce, lui et beaucoup
d autres, de se présenter comme d’authentiques résistants.

130
Conclusion

Le réformisme islamique forme ainsi avec le wahhabisme deux


faces d’un même projet, se complétant l’un et l’autre sous une
apparente opposition, soit une hérésie à deux visages suivant la
dialectique infernale existant entre l’hyper capitalisme et le col­
lectivisme totalitaire.

Les réformistes se bousculent aujourd’hui, prenant pour pré­


texte des atrocités de l’Etat dit islamique en Irak et en Syrie alias
Daech, pour apporter leur poison sous forme de remède à une
maladie qu’ils leur est impossible, et pour cause de nommer : le
wahhabisme.

Depuis l’apparition de l’hérétique Abd al-Wahhab en passant


par Malkun Khan, Afghani et Abduh, les « hypocrites », ainsi
que leurs disciples, cela jusqu'à nos jours, le wahhabisme et son
versant libéral réformiste, dont l’ultime avatar sont les Frères
musulmans, ont agi comme des agents corrosifs et des facteurs
de décomposition de l’islam ; or nous sommes à présent témoins
de la dernière étape de ce processus historique de subversion.

Les wahhabites et les Frères musulmans jouent un rôle essen­


tiel dans ce grand échiquier géopolitique dans lequel s’applique
la stratégie du Choc des civilisations : les troupes wahhabites
fanatiques composées de brutes ignorantes, de mercenaires, dé­
truisent les vies, les villes et les Etats, guidés par des prédicateurs
et de pseudo savants wahhabites et Frères musulmans ; tandis
que les Frères musulmans pilotés, financés par les occidentalistes
tant arabes qu’européens et américains (fait documenté et incon­
testable aujourd’hui) sont aux marches du pouvoir définitif en
Tunisie et en Turquie.

131
T out ceci, nous le verrons plus bas, joue et jouera en faveur de ce
projet messianique - dont nous avons dévoilé les origines et la
finalité - que l’on appelle le sionisme.
CHAPITRE-III

Le sionisme aux XIXe et XXesiècles

Nous avons, dans les premiers chapitres, dévoilé les origines


mystiques du projet sioniste. Or, dans le monde de plus en plus
matérialiste et athée du X IX ' siècle; le projet d’installation
des juifs en Palestine ne pouvait utiliser l’argument religieux
et mystique du « retour en Terre sainte ». À l’instar d’un certain
nombre d’idées et de pratiques religieuses - chose qu’ignorent
les modernes - le messianisme ju if a pris à cette époque les
vêtements de la modernité, en un mot il s’est laïcisé.

Acte de naissance du messianisme pratique


athée dit sioniste

Suite à l’apparition de Sabbataï Tsevi, et plus encore après celle


de Jacob Frank, la kabbale et le messianisme sous la forme sabba-
to-frankiste, sans abolir la kabbale espagnole et lourianique, mais
en intégrant leur legs, a tracé une voie menant à un messianisme
athéiste, à savoir un athéisme luttant contre la Torah, la loi de
Dieu, au profit de la Torah azilut, la nouvelle « loi » antinomique

133
venant abolir l’ancienne, notamment via des loges maçonniques.
Le sabbato-frankisme va de cette façon donner naissance à un
athéisme qui servira d ’habillage aux idéologies m essianiques
et leur donnera une apparence m atérialiste. N éanm oins elles
restent essentiellement et profondément enracinées dans la ka­
bbale. Nous montrerons à la fin de ce premier ouvrage com m ent
le sionisme, que l’on croit généralement être une idéologie athée,
révèle à l’occasion sa nature messianique, ce qu’il a dorénavant
déjà commencé à faire.

Sans entrer trop ici dans les détails d’un sujet qui sera traité dans
un prochain ouvrage, disons que l’athéisme moderne issu du mou­
vement sabbato-firankiste et qui a mûri au cours du XIXe siècle,
est, aussi étrange que cela puisse paraître, tout sauf non-religieux
puisqu’il s’agit d’un messianisme intégral. Mystique qui prendra
d’ailleurs des formes inédites selon les courants, sectes et tendances
du judaïsme contemporain220.

De ce point de vue l’athéisme n’est pas une idéologie ayant pour


seul principe la négation de Dieu, mais une conception procé­
dant d’abord d’un antinomisme eschatologique caractérisé par
un combat contre Dieu au profit d’un autre dieu, celui que Sab­
bataï Tsevi a appelé le dieu de ma fo i qui permet ce qui est inter­
dit. Déité assimilée par les Sabbataïstes et leurs suiveurs au D é­
miurge de la Gnose, soit à Samael (Satan) ou encore à M etatron

220 Telle la conception suivant laquelle le peuple j u if serait, selon la thèse dé­
fendue par Salluste (auteur du livre Les origines secrètes du bolchevism e),
a ui meme son propre messie. Cette thèse que nous rejoignons partielle­
ment, m enterait d’être approfondie et discutée en plaçant ce q u ’appelle
Salluste le « néo-messianisme » dans un contexte historique et dans la pers­
pective de a longue évolution historique de la kabbale et du m essianism e
(ce que Salluste n a pas fait) ; approfondissem ent que nous ferons à une
autre occasion.

134
(l'équivalent du Démiurge pour la kabbale, le seul ange pouvant
se tenir face à Dieu et s’asseoir sur Son trône) ; ce dieu (mauvais)
régnant sur le monde matériel s’oppose par principe à Dieu qui
est Lui transcendant.

Le sionisme, projet politique, est né en Europe centrale dans une


zone s’étendant de Vienne à Odessa durant la deuxième moitié
du XIXe siècle. Ce sont des penseurs principalement issus de
la communauté Yiddish, par conséquent d’origine khazar (cf. S.
Sand) qui diffusèrent le projet sioniste et œuvrèrent avec ardeur
à son accomplissement. L’histoire a retenu plus particulièrement
les noms de Théodore Herzl, Moses Hess ou Max Nordau.

Les promoteurs du sionisme moderne étant majoritairement


de culture allemande et le sionisme politique étant « né » dans la
même période que les nationalismes européens, ce synchronisme
n’est certainement pas dû au hasard. De cette communauté Yid­
dish émergèrent une partie des révolutionnaires socialistes du
Bund, des réformateurs libéraux et des sionistes. Trois mouve­
ments apparemment non-religieux qui façonneront profondé­
ment le monde du X IX' et du XX' siècle.

Les pogroms en Europe de l’Est et en Russie dans les an­


nées 18802’1 forent habilement exploités par le sionisme, qui
trouvait là un argument décisif pour appuyer son projet de créa­
tion d’un foyer juif. C ’est d’ailleurs l’argument principal auquel
a recouru Théodore Herzl, le porte-parole du sionisme. Le sio­
nisme de la fin du XIX ' siècle avait pour but de donner le senti­
ment à ceux qui avaient perdu toute apparence de foi religieuse

221 Seulement 3 % des ju ifs qui fuirent les pogroms de cette époque allèrent en
Palestine ottomane ; proportion qui ne cessera d ’augmenter, tout particulière­
ment après la Seconde Guerre mondiale, au profit du projet sioniste. Shlomo
S and, Comment le peuple ju if fu t inventé ?, p. 351.

135
et dont beaucoup parlaient des langues différentes, qu ils appar­
tenaient à un même peuple.

L’argument racial fut donc utilisé. À ce sujet, Shlomo Sand écrit .


« Le sionismefr it à la tradition religieusejuive son aspect leplus orgueil­
leux et leplus refermé sur soi-même. La proclamation divine : « C'est un
peuple qui a sa demeure à part; et qui nefa it point partie des nations »
(Nombres 23, 9), destiné à édifier une communauté monothéiste élue, et
sanctifié au sein du monde antique, fu t traduite en une philosophie d ’ac­
tion laïque séparatiste x222.

L a nécessité d ’u ne historiographie ju iv e

Le préalable à cette conversion faussement athéistique via le


socialisme révolutionnaire, la social-démocratie et le com m u­
nisme223 par le biais d'un projet messianique laïcisé, est alors la
réécriture de l’histoire juive. E t là encore, comme nous l’avons
vu plus haut, les protestants ont joué, comme ils le font depuis
le X V II' siècle, le rôle de second couteau du judaïsm e rabbinique
et des kabbalistes.

Depuis Flavius Josèphe (I" siècle), historiographe né en Judée et


immigré à Rome, aucun autre auteur ju if ne s’essaya à écrire une

222 Shlomo Sand, Comment le peuple ju iffu t inventé ? p. 355.


223 Les révolutions socialistes furent toutes conduites par une écrasante surre-
presentation de messianistes athées : Russie 1917, Allem agne 1918, Hon­
grie, Espagne, Grèce. Voir au sujet de l’origine m essianique juive des m ou­
vements révolutionnaires en Europe : Michalîl Lowy, M essianisme j u i f et
utopies libertaires en Europe centrale, in : Archives de sciences sociales des
religions. N. M /l, 1981. Ed. Persée, pp. 5 -4 7 .

136
histoire globale du peuple juif avant le XIX' siècle, ce qui semble
témoigner de la part des juifs eux-mêmes d’un certain désintérêt
pour cette question... les différentes communautés juives vivant
séparées les unes des autres et se trouvant éparpillées aux quatre
coins de la Terre. Au début du XVIII' siècle un théologien et his­
torien protestant, du nom de Jacques Basnage, entreprit de pour­
suivre l'œuvre de Flavius Josèphe dans son livre, L ’Histoire de la
religion desjuifs depuisJe'sus-Christjusqu’à présent12*.

Dans cet ouvrage il insiste sur le statut de victime des juifs afin
d’attaquer la papauté - déclarée ennemie des Eglises réformées
- et y développe l’idée que seuls les protestants peuvent amener
(amicalement) les juifs à la conversion au christianisme et donc à
la rédemption. Ce livre de Basnage inspirera Isaak Marcus Jost,
premier historien ju if à écrire une histoire générale des israélites
en 1820 (un siècle après Basnage). Son ouvrage323 en 9 tomes
ne débute qu’avec le royaume de Judée. Toute étude sur l’origine
des Hébreux est éludée. On ne trouve donc toujours pas dans la
première moitié du X IX' siècle, sous la plume du premier auteur
juif écrivant sur l’histoire des juifs, la conscience d’un peuple ho­
mogène, ni d’idée de nation juive à part entière. Il avait comme
les autres juifs de son époque, et précédemment, une conception
religieuse et culturelle des communautés juives vivant au milieu
des peuples.

224 Jacques Basnage, Histoire de la religion des juifs, depuis Jêsus-Christ


jusqu 'à présent. Pour servir de supplément et de continuation à 1’liistoiiv
de Josèphe, La Haye. Scheurlcer, 1706-1707. Voir : Slilomo Sand, Com­
ment le peuple ju if fut inventé ?, pp. 98-99.
225 Isaak Markus Jost, Gesehiehte der Israeliten seit der Zeit der Makkabcier
bis attf unsere Tage. Sach den Ouellen bearbeitet, MX, Berlin, Schlesin-
ger’sche Buch, 1820-1828. Voir : Shlomo Sand, C o m m en t le peupleju if fut
inventé ?, pp. 99-100.

137
Heinrich Graetz

Le tournant est marqué par H einrich G raetz, historien ju if alle­


mand (et grand connaisseur de 1 histoire de la kabbale) qui fait
paraître dans les années 1850 un ouvrage sur 1histoire des juifs,
L'Histoire des juifs depuis les temps anciens jusqu'à nosjours226, qui
eu un succès majeur et fut traduit en plusieurs langues. Son ou­
vrage fut utilisé par les colons sionistes et encore aujourd’hui il
est une référence majeure dans les livres portant sur l’histoire
du peuple juif. C ’est par ailleurs Graetz qui vulgarise le concept
biblique de peuple-racej u i f en tant que nation et qui en fait m en­
tion pour la première fois. Il postule dans son ouvrage une conti­
nuité historique du peuple ju if afin de créer un lien entre toutes
les communautés juives. Il défend l’idée que les juifs constituent
un seul et même peuple, une seule et même race avec une seule
et même origine.

Il faut souligner que cette théorie racialiste de la nation dont


la paternité est souvent attribuée aux Allemands, est d ’abord
juive ; le nationalisme racial de G raetz est en effet très en
avance sur celui des penseurs germaniques. G raetz défend
1 idée proprement biblique que le peuple ju if est supérieur aux
peuples au milieu desquels il vit, et qu’il ne devait à aucun prix
s assimiler à eux, sous peine d ’e n être souillé, s’appuyant en cela
sur la Torah, laquelle illustre abondam m ent (extensivem ent)
cette position ultra-différentialiste (voir infra). P our preuve de
1 arrogance haineuse de Graetz envers les non-juifs, l'agacem ent
de 1historien H einrich von Treitschke qui fit face au racisme
et au séparatisme de Graetz, allant jusqu’à proposer à G raetz de

226 Heinrich (Hirsch) Graetz, G eschlclitederJuden von den àlleslen Zeilcn bis
a u fd ie Gegemvart (1853-1876), Leipzig, O. Leiner, 1909.

138
créer un État juif hors du territoire germanique. Mais Graetz n’a
jamais émis l’idée de la création d’un État juif et fut coincé par
cette contradiction majeure de sa pensée qui le fit s’enfuir (au
figuré) devant les arguments de Treitschke227.

L’idée d'un peuple race d’essence supérieure n’avait évidemment


pas germé toute seule dans la cervelle de Graetz. Ce supréma­
tisme était une simple “laïcisation” de concepts juifs très anciens
préexistants dans la Torah et le Talmud226quoique confinés jusqu’à
présent dans les enseignements rabbiniques et destinés à la seule
communauté juive. Ce faisant Graetz a rendu public ces lois tri­
bales devenues l’essence de l’État hébreu et de sa politique... les­
quelles s’étalent aujourd’hui, sans vergogne et sans honte quoti­
diennement dans la presse israélienne, même la plus progressiste.
Un tribalisme et un racisme affichés, qui contribuent fatalement à
accroître une hostilité latente, et désormais largement répandue, à
l’égard de l’exceptionnalisme hébraïque...

Graetz, alors qu’il se déclare lui-même athée, produit ainsi une


histoire du peuple juif en se basant en partie sur la Torah tout en
donnant un habillage rationaliste et scientiste aux lois torahïques
et talmudiques. Cette apparente étrangeté deviendrait plus tard
le fondement du sionisme athée et de l’État d’Israël officielle­
ment laïc.

227 Voir la controverse entre Graetz et Treitschke dans : Shlomo Sand. op. cit.
pp. 119-121.
228 Nous renvoyons par exemple au Deutéronome : « Si l'Eternel vous a pré­
férés, vous a distingués, ce n 'est pas que vous soyez plus nombreux que les
autres peuples, car vous êtes le moindre de tous, c 'est parce que l'Eternel
vous aime...» (7:7-8) ; «L'étranger, tu peux le contraindre (à rembourser)
; mais ce que ton frère aura à toi. que ta main l ’abandonne.» (15:3) ; «
Tu anéantiras donc tous les peuples que te livre I ’Eternel. ton Dieu, sans
laisser ton œil s ’attendrir sur eux.» (7:16). Nous reviendrons plus en détail
sur cette question dans le tome II.

139
À ce titre il est loisible de désigner Graetz comme celui qui
aura fait sortir les lois tribales juives hors de la communauté hé­
braïque pour faire du sionisme un projet laie « acceptable >►

Messianisme actif: “Le foyer j u if"

Nous avons, plus haut, montré comment les banquiers et juifs enri­
chis ont pris leurs quartiers en Angleterre au milieu du X Y II' siècle
et mis sur le trône Guillaume 111. Cette influence, à la fois religieuse
et politique du Judaïsme sur l’Angleterre, apparaîtra clairement
pendant et après la Première Guerre mondiale. Les Rothschild,
puissante famille de banquiers juifs, se sont, comme déjà dit, instal­
lés à Londres à la fin du XVIII' siècle, métropole d’où ils joueront
un rôle capital dans l’avènement du sionisme.

Dans les années 1880 (avant la création de l’O rganisation


sioniste mondiale), Edm ond de Rothschild, descendant de

229 Apropos d’Heinrich Graetz, la laïcisation du raclalisme vétéro-testam entairc


et la politique de distinction raciale d’IsraM, voir : Shlom o Sand, C om m ent
le peuple ju iffiit inventé ?

MO
Mayer Amschel Rothschild (1744/1812), trésorier du faux
messie kabbaliste Jacob Franck (voir supra), achète des
terres en Palestine (Rishon Lezion) en vue d’y installer des
coreligionnaires (comme Joseph Nassi avait prévu et commencé
de le faire au XVI'siècle). En effet, durant cette même décennie,
un premier mouvement sioniste, appelé les « Amants de
Sion », organise l’émigration de juifs en Palestine230. En 1899,
Edmond de Rothschild transfère 25 000 hectares de terres
agricoles palestiniennes et les colonies qui s’y trouvaient, à la
Jewish Colonization Association dont il poursuivra par la suite le
financement. Plus tard, en 1924, il achètera à nouveau 50 000
hectares de terrain.

Théodore Herzl

Officiellement, .le mouvement sioniste est fondé en 1897 par


Théodore Herzl avec l'Organisation sioniste mondiale qui tient
son premier congrès à Bâle la même année. En 1898, le congrès
décide de créer un fonds destiné à l’implantation des juifs en
Palestine ; un fonds est donc pourvu en 1899 avec l’argent d’opu­
lentes familles juives. Il sera transformé en 1951 en Banque
Nationale d’Israël. Avant la création de l’Organisation sioniste
mondiale, Herzl s’était rapproché d’Edmond de Rothschild231.
Derrière Herzl, se profile en fait une imposante puissance fi­
nancière (pas seulement celle des Rothschild) - contrairement
à la légende qui nourrit l’histoire officielle, selon laquelle Herzl

230 Laurens, op. cit. p. 143.


231 Voir le rapport de Herzl aux Rothschild dans ses mémoires : The complété
diaries o f Theodor Herzl, edited by Raphaël Patai, translated bv Harry
Zohn, vol. I, pp. 163-165.

141
aurait abusé de grands dirigeants de ce monde image d Épinal
réduisant la politique internationale à une vulgaire partie de po­
ker menteur - pour se faire ouvrir les portes des chancelleries et
des palais.

En effet un an avant le premier congrès de l’Organisation sio­


niste, en 1896, le 10 mars, W illiam H echler (1845-1931), cha­
pelain à l’ambassade britannique à Vienne, lui obtint rapidem ent
une audience auprès du grand-duc de Bade, qui eut lieu le 23
avril 1896. Par l’entremise de Philipp M ichael von Newlinski
(1841-1899), un agent travaillant pour les services diplom a­
tiques de différents pays, il rencontre Ziad Pacha, un diplo­
mate turc. À cette époque, l’Empire ottom an est profondém ent
endetté, alors H erzl propose de faire effacer la dette turque (ce
qui témoigne de la puissance que cache le modeste H erzl) en
échange de quoi l’Empire ottoman abandonnerait aux sionistes
la Palestine232.

Le 19 juin 1896, le Grand vizir (Premier ministre) turc reçoit


Herzl ; via son vizir, le Sultan transm et ce message à H erzl : « Les
Juifs peuvent garder leur argent. L ’E mpire turc appartient au peuple
turc et non à moi. Quand mon Em pire sera démembré, p eut-être
recevront-ils la Palestine pour rien. M ais notre cadavre seulement
pourra être divisé. Je ne consentiraijamais à la vivisection »233.

E t c est bien sur le cadavre de l'E m pire otto m an que naîtra


le foyer ju if en Palestine. H erzl rencontre aussi le Kaiser aux
portes de Jérusalem, qui consent à proposer au Sultan ottom an
de créer une société sioniste en Palestine sous protection alle­
mande. D ’après le grand reporter et écrivain, D ouglas Reed,

232 Voir : Alain Dover, Théodore Herzl, 1991, Albin M ichel, pp 88-89
233 Bover, ibid. p. 89.

142
Herzl aurait ainsi menacé le Kaiser : « Si notre travail n'abou­
tit pas, des centaines de milliers de nos partisans rejoindront d'un
seul coup tes partis révolutionnaires ». Toujours selon le grand
reporter britannique, Herzl aurait, dans une politique du bâton
et de la carotte, dit au grand-duc de Bade qu’il diminuerait la
propagande révolutionnaire en Europe à proportion du soutien
que son ambition territoriale recevrait de la haute autorité. Lors­
qu’il rencontre le tsar de Russie, Herzl lui aurait tenu les mêmes
propos234.

Théodore H erzl

Herzl a-t-il véritablement tenu ces propos ? Quoi qu’il en soit, c'est
bien ce qui se passa : la révolution frappera la Turquie en 1905 puis
en 1908, et la Russie en 1905 et en 1917, l’Allemagne fat atteinte à
son tour en 1918 avec la défaite.

Nous l’avons dit plus haut (cf. Shlomo Sand), les révolutions
d’Europe centrale et de Russie sont le fait, en grande partie, de
juifs (un fait reconnu et admis de nos jours par les intellectuels
israéliens233), tandis que la révolution de Turquie fut menée par

234 Douglas Recd, La Controverse de Sion, 1978, Durban, p. 258.


235 Voir l'article de Steve Plocker, Stalins je\vs , dans le journal israélien Ye-

143
les Jeunes-Turcs, aussi appelés dônmeh dont nous avons mis en
lumière la trajectoire et qui sont, nous le rappelons, les descen­
dants des disciples de l’illuminé kabbaliste et pseudo messie,
Sabbataï Tsevi (1626-1676), celui-ci s’étant faussement conver­
ti à l’islam afin de parvenir à pénétrer l’aristocratie ottomane.
H enry Laurens, historien et spécialiste du M oyen-O rient, nous
apprend que Lénine a soutenu le Jeune-Turc M ustafa Kemal
(1881-1938) dans sa lutte armée contre les Alliés et tout au long
de sa prise du pouvoir en Turquie236.

En 1904, Herzl demande au pape Pie X une lettre de soutien au


projet sioniste ; le Pape le reçoit, mais refuse catégoriquem ent de
lui apporter toute aide. Voici la réponse officielle du pape Pie X :
« Nous ne pourrons pas empêcher les Juifs d ’aller à Jérusalem, mais
nous ne pourrons jamais les y encourager. Le sol de Jérusalem n'a pas
toujours été sacré, mais il a été sanctifié par la vie de Jésus. Les Juifs
n'ont pas reconnu Notre Seigneur et nous ne pourrons donc pas recon­
naître le peuple juif. Non possumus »237.

L ’irrésistible marche vers le foyer nationalj u i f

Herzl meurt en 1904, et le projet sioniste poursuit évidemment sa


route, après la m ort de ce porte-parole à qui l’H istoire officielle
accorde une importance surfaite. Le congrès de l’Organisation sio-

diot Aharonot, 21/12/2006. Relayé par le site d’inform ation israélien Israël
Opinion - Ou les déclarations récentes du président Poutine.
236 Laurens, op. cit. p. 183 et Orner Kûzim in « L 'aventure kém aliste suivi de
Angora et Berlin ». Paris, 1924. Réédition Sigest 2015.
237 Pape Pie X, le 25 janvier 1904, Cité du Vatican.

144
niste mondiale, réuni à Bâle en 1905, décrète que le foyer national
juif sera installé en Palestine, alors territoire de l’Empire otto­
man. Comment ce congrès a-t-il pu décréter l’installation des
juifs en Palestine alors que les autorités ottomanes y ont interdit
l’immigration de juifs étrangers (bien que cet interdit ne soit pas
tout à fait respecté) ? La Porte s’opposa à cette immigration, car
elle percevait clairement la volonté des juifs sionistes de recréer
le royaume d’Israël338.

Voici les propos tenus par le gouverneur de Jérusalem en 1911 :


« Nous ne sommes pas xénophobes ; nous accueillons les étrangers. Nous
ne sommespas antisémites ; nous apprécions la supériorité économique
des Juifs. Mais aucune nation, aucun gouvernement ne peut ouvrir
les bras à des groupes dont le but est de nous enlever ta Palestine. La
domination politique des Juifs dans cepays appartient au domaine des
rêves d'enfants, mais aussi longtemps qu’ils enparlent, nous ne tolérerons
pas leurprogrès économique. S’ils abandonnent ces utopies et donnent la
preuve de leur ottomanisme, alors toutes ces difficultés et toutes ces res­
trictions tomberont commepar magie »239.

Le gouverneur ottoman ignorait à quelle force il faisait face ; ce


qu’il qualifie de rêve d’enfants est un projet messianique mul-
tiséculaire enraciné très profondément dans les mécanismes de
l'Histoire. Avant même la Première Guerre mondiale, les sio­
nistes négocient avec des rebelles indépendantistes arabes dans
l’Empire ottoman, en particulier les Syriens installés en Egypte
(Parti de la décentralisation ottomane). Les sionistes tentent une
alliance avec ces mêmes Arabes contre l’Empire ottoman pour
le chasser de Palestine et y installer leurs coreligionnaires240. Les

238 Voir : Laurens, op. cit. p. 146.


239 C ité par N eville J . M andel, The Arabs and Zionism before World Itar I,
p. 104, rapporté par Laurens op. cit. p. 146.
240 Ncil Caplan, Futile Diplomacy, vol. 1, Early Arab Zionist Segotiation At-

145
Palestiniens, méfiants, rejettent les pourparlers de leurs voisins
arabes avec les sionistes. De leur côté, les sionistes négociant à la
fois avec les O ttom ans et avec les Arabes contre ces derniers, ne
vont pas plus loin2'", certainement parce que se profile la grande
catastrophe dont ils tireront profit à l’Est comme à l’O uest.

Les premiers Palestiniens à s’opposer au projet sioniste sont les


communautés chrétiennes. Dès 1905, le Palestinien chrétien
Negib Azoury fait une prévision d'une clarté impressionnante :
« Deux phénomènes importants, de même nature et pourtant opposés,
qui n'ont encore attiré l'attention de personne, se manifestent en ce
moment dans la Turquie d ’A sie : ce sont le réveil de la nation arabe et
l ’e ffort latent des Juifs pour reconstituer sur une très large échelle
l ’a ncienne monarchie d ’Israël. Ces deux mouvements sont destinés
à se combattre continuellement, jusqu’à ce que l ’un d ’e ux l ’emporte
sur l ’autre. D u résultat fin a l de cette lutte entre ces deux peuples
représentant deux principes contraires, dépendra le sort du monde
entier. Ce n'est pas la premièrefois, du reste, que les intérêts de l ’E u ­
rope dans la Méditerranée sont agités dans les pays arabes ; car ce
territoire, qui met en communication trois continents et trois mers,
a été, à des époques différentes, la scène où se sont déroulés des évé­
nements politiques ou religieux qui ont renversé le cours des desti­
nées de l'univers »242.

Negib A zoury avait compris ce qui échappe to talem en t,


aujourd hui encore, aux analystes et autres géopolitologues, qui
ne voient que la surface des événements et qui se m ontrent trop

lempts 1913-1931, Londres, Frank Cass, 1983, p. 24. Voir L aurens on cit
pp. 146-147.
241 Laurens, op. cit. p. 147.
242 Negib Azoury, Le Réveil de la nation arabe dans l'A sie turque, Paris, 1905,
I 45 ' 9, “ U P,im d action des sionistes »■ Cilë par Laurens op. cit. pp. 144-

146
souvent incapables d’anticiper quoi que ce soit ; ils nous proposent
des interprétations superficielles qui ne permettent pas de saisir le
sens réel des événements, lesquels ne sont que la partie émergente
de mouvements et de forces historiques souterrains presque
toujours multiséculaires.

À la veille de la première guerre mondiale, la situation est


bloquée pour les sionistes. Les négociations avec les Ottomans
n’aboutissent à rien, l’Empire refuse de leur livrer la Palestine ;
c’est alors qu’éclate la Première Guerre mondiale.

La Première Guerre mondiale (1914-1918),premier acte du Choc


des civilisations ?

La Première Guerre mondiale ouvre la porte à la stratégie


de Solomon Molcho, élaborée près de 400 ans auparavant.
Souvenez-vous, vers 1530, Molcho avait pour but de lancer le
Saint Empire Romain germanique (et avant cela l’Eglise elle-
même) contre l’Empire ottoman, afin de le chasser de Palestine
au profit des juifs. Nous avons montré comment son plan a
échoué, mais le projet ne s’est pas éteint avec lui sur le bûcher. Le
messianisme actif ju if (conjuguée avec la puissance financière)
s’étant particulièrement bien implanté dans l’Angleterre du
XVII' siècle, c’est l’Empire britannique qui, finalement, va
accomplir la tâche que Solomon Molcho voulait attribuer à
l’Église et au Saint Empire Romain germanique. Le projet
biblique et messianique consistant à mener le monde chrétien
dans une guerre contre le monde musulman s’est finalement
réalisé ; et le premier acte de cet affrontement « civilisationnel »
fut la Première Guerre mondiale.

147
La Première Guerre mondiale a opposé en effet d un côté la
G rande-B retagne, la France, l'Italie et la Russie tsariste —
après la révolution bolchevique dite d O ctobre 1917 (dans
le calendrier julien le 7 novembre correspond au 25 octobre), la
Russie signa un Traité de paix séparé à B rest L itovsk le 3
mars 1918 - et de l’autre, l’Em pire germ anique, l’E m pire aus­
tro-hongrois et l’Em pire ottom an. B enjam in H arrisson Free-
dman rapporte qu’alors que la G rande-B retagne en 1916 est
en difficulté, acculée par l’Em pire germ anique et sur le p o in t
de signer l’armistice proposé par le Kaiser, une délégation sio­
niste (d’Allemagne) se rend en G rande-B retagne, au British
War Cabinet (le C abinet britannique de la G uerre) po u r pro­
poser un marché à celle-ci.

C ’est en 1961 que cet épisode a été relaté par Benjamin H arrison
Freedman (1890-1984), homme politique et homme d ’affaires
juif américain, au cours d ’une conférence sur le sionism e à
l’hôtel W illard de W ashington. Freedman raconte : « Les sio­
nistes, à Londres, sont allés au British War Cabinet, et leur ont dit
regardez, vous pouvez encore gagner cette guerre, vous n'avez pas
besoin d abandonner; vous n'avez pas à accepter les négociations pro­
posées par l ’Allemagne. Vous pouvez gagner cette guerre si les É tats-
Unis entrent en guerre en tant qu’alliés". Les États-Unis n'étaient
pas encore entrés en guerre. Les sionistes dirent aux Anglais : ''nous
vous garantissons de ramener les États-Unis dans cette guerre et de
combattre à vos côtés, si vous nous promettez la Palestine après que
vous ayez gagné la guerre”...»2*. D ’après Freedman, cette pro­
messe daterait d’o ctobre 1916.

243 Benjamin Harrison Freedman, discours sur le sionism e, 1961. http://


c r is to s .o v e r -b lo g .c o m /p a g e s /D is c o u rs _ d e _ B e n ja m in F re e d m a n
cn_1961_sur_!e_sionisme-1727022.html

148
Ce récit correspond-il à la réalité historique ? Chaïm Weiz-
mann (1874-1952), qui présidait l’Organisation sioniste mon­
diale (à partir de 1920) et qui devint le premier président de
l’État d’Israël (en 1948), fut très actif durant la Première Guerre
mondiale. Dans cette période il fut très proche du gouverne­
ment britannique, pour qui, en tant que chimiste, il élabore une
formule pour la fabrication d’explosifs. Mais il n’était pas qu’un
simple chimiste, il joua aussi un rôle diplomatique important.
Weizmann prétendait, à raison, détenir, comme le souligne
Henry Laurens, une influence considérable sur les Américains
et la Russie bolchevique (la révolution bolchevique, comme
nous l’avons dit précédemment, sources à l’appui, fut de façon
incontestable essentiellement conduite par des juifs). Laurens
ajoute que Weizmann utilisait de façon constante cette grande
influence24'1.

L a Déclaration Balfour, 2 novembre 1917

Une influence que les sionistes ont su traduire en actes comme l’a dé­
crit Freedman ; les États-Unis, qui n’avaient aucun intérêt dans cette
guerre, sont venus à l’aide des Britanniques en déclarant la guerre
à l’Allemagne le 2 avril 1917, six mois après l’accord conclu entre
les Britanniques et la délégation sioniste. La promesse des sionistes
ayant été tenue avec l’entrée en guerre des États-Unis, sept mois plus
tard, jour pour jour, le 2 novembre 1917, fut publiée la déclaration
Balfour. Cette déclaration est une lettre d’Arthur James Balfour
(1848-1930), ministre des Affaires étrangères britannique (et proche
de Chaïm Weizmann) faite au banquier Lionel Walter Rothschild
(1868-1937), dans laquelle il promettait la création d'un foyer juif en
Palestine. Nous retrouvons encore et toujours les Rothschild sur la

244 Henry Laurens, ibid. p. 164.

149
route du sionisme, Lionel Walter Rothschild étant le représentant de
la Fédération sioniste anglaise.

Voici le contenu de cette fameuse déclaration :

« Cher lord Rothschildj’ai le grand plaisir de vous adresser de la part


du Gouvernement de Sa Majesté la déclaration suivante, sympathi­
sant avec les aspirations juives sionistes, déclaration qui, soumise au
cabinet, a été approuvée par lui.

Le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l ’établis­


sement en Palestine d ’un Foyer national pour le peuple j u i f et em­
ploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant
clairement entendu que rien ne serafa it qui puisse porter atteinte soit
aux droits civils et religieux des communautés non juives existant en
Palestine, soit aux droits et au statut politique dont les Juifs disposent
dans tout autre pays.

Je vous serai obligé de porter cette déclaration à la connaissance de la


Fédération sioniste »245.

Henry Laurens fait remarquer, à juste titre, que la déclaration


Balfour ne mentionne les Arabes de Palestine (musulmans et
chrétiens) que comme collectivités non juives ayant des droits
civils et religieux. Dès le départ, il leur est refusé le statut de peuple
ayant des droits politiques. Pour Balfour comme pour d ’autres
responsables britanniques, reconnaître des droits nationaux aux
Arabes de Palestine est contradictoire avec la volonté de créer un
foyer national ju if246.

245 Traduction française d’époque, extraite de L ’Asie française, 1925, p. 145.


Cité par Laurens op. cit. p. 164,
246 Laurens, op. cit. pp. 164-165.
La Première Guerre mondiale aura ainsi débouché sur la chute
des Empires euro-asiatiques et la création d’un Foyer national
juif en Palestine. Après la guerre, en 1920, la Conférence
de la Paix instaura une médaille commémorant la fraternité
d’armes des combattants alliés, le « camp du bien » représenté
notamment par l’Empire britannique, la France et les Etats-
Unis. Est inscrit au revers de la médaille « La Grande Guerre
pour la Civilisation ».

La Première Guerre mondiale est ainsi devenue, a posteriori,


la première guerre des civilisations hiérarchisant celles-
ci, avec au-dessus, le camp des Alliés atlantiques, l’Alliance
thalassocratique (la Russie étant à cette date sortie du champ de
l’histoire commune une fois tombée sous le joug soviétique),
et de l’autre l’alliance continentale euro-orientale rassemblant
Allemands, Austro-hongrois et Ottomans.

Aujourd’hui encore, l'Europe inféodée aux États-Unis fait


partie de cette civilisation « supérieure », peut-être destinée à
s’autodétruire dans une guerre contre le monde musulman...
pour le plus grand profit d’une gouvernance globale que Jacques
Attali appelle de ses vœux... ou plus prosaïquement en faveur de
l’Entité sioniste comme la désignent ses adversaires géopolitiques.

151
Le premier découpage du Proche-Orient et la création dufoyer ju if

Nous avons dit plus haut qu’à la veille de la Première G uerre


mondiale, des responsables sionistes négociaient une alliance
avec les irrédentistes arabes vivant sous domination ottom ane
pour combattre ces derniers. À cet effet les sionistes privilé­
gièrent le dialogue avec les Arabes vivant en dehors du territoire
palestinien afin d’isoler les Palestiniens. L’objectif des sionistes
était de pousser les Arabes, notam m ent les Syriens installés en
Égypte, à se révolter et à chasser les O ttom ans de Palestine (cf.
H enry Laurens). Ce que les sionistes ont commencé, une fois de
plus les Britanniques vont l’achever. En 1915, les Britanniques,
après avoir encouragé la création (en 1913-1914) d’une nouvelle
organisation secrète (fondée par Aziz Ali al-M isri) recrutant des
officiers arabes de l’armée ottomane247, vont exploiter à fond la
dynamique du nationalisme arabe naissant. Cela en transfor­
m ant Xautonomisme arabe déjà existant en projet nationaliste
panarabe dans le but de dresser les populations arabes contre
l’Empire ottoman.

Les Ottomans ayant réprimé les autonomistes syriens, il ne reste


aux Britanniques que l’option du H edjaz (la M ecque et M é-
dine), dirigé par le chérif Hussein. A u début de l’été 1915, les
Britanniques lancent, par les airs, une action de propagande en
envoyant des tracts à la population du Hedjaz. Voici l’un de ces
tracts :

« A ux habitants des pays arabes, peut-être y en a -t-il parm i vous


qui se demandent quels seront nos buts après que leflambeau de cette
guerre sera éteint ; c’est pourquoi nous vous déclarons ce qui suit :

247 Henry Laurens, op. cit. p. 134.


Le gouvernement de sa Majesté, le roi de la Grande-Bretagne et l’em­
pereur des Indes, a déclaré qu’il mettra parmi les conditions de paix et
ses principaux articles que la péninsule arabe et les endroits saints qui
s’y trouvent, seront indépendants et quepas un pouce de cespays ne sera
ajouté à nos territoires ou au territoire de quelque autre gouvernement
que ce soit. Le sens de ceci est que l ’indépendance de vos pays et leurpos­
session prolongée en liberté deviendront assurément une réalité. Par ces
cautions, les communautés arabes de la péninsule marcherontfastueu­
sement, avec la faveur de Dieu, le Très Grand, dans leur vêtement de
liberté, et ellesferont revivre l ’ancienne prospérité et la première splen­
deur. Au nom de votre Seigneur, cela ne vous sujfit-ilpas ?

Quelques sheikhs des Arabes nous ont déclaré leur désir de se libé­
rer du pouvoir turc, tandis que d'autres fortifient maintenant la
force de nos armées avec le tranchant de leurs épées. Quant à ceux
parmi vous qui ont de la sympathie pour nous, mais qui craignent de
faire connaître ce qui est dans leurs cœurs, pour eux nous avons à dire
ce qui suit :

qu'il ne vous vienne pas de doute à notre égard, mais attendez


jusqu’à ce qu’une bonne occasion se présente, parce qu’elle viendra
sans doute. Sitôt venue, défaites-vous alors de l ’habit de l ’oppres­
sion et secouez la poussière de la servitude de vos épaules et nous ne
tarderons pas à faire tout ce que nous pourrons pour vous secourir,
comme nous vous promettons sincèrement que vous deviendrez, avec
la puissance et la force de Dieu, un peuple jouissant de l'indépen­
dance dans la plénitude de son sens.

Vous désirez connaître nos buts en ce qui concerne votre noble reli­
gion. Eh bien, sachez que les Anglais ont toujours ménagé la religion
musulmane avec le plus grand respect et l ’ont toujours estimée. L'his­
toire est leplus grand témoin de la vérité de ce que nous disons.

153
C’est pourquoi nous n'avonsjamais cessé de secourir le sultan de 'Tur­
quie et nous avons donné de plus en plusforts témoignages d am itié et
de sympathie. Maintenant pourtant quelques-uns de ses ministres l ’o nt
poussé à nier toutes les bonnes actions que nous avonsfaites pour lui et
à se déclarer contre nous après une longue et sincère amitié mutuelle,
de sorte que rien ne lui reste que de se soumettre à leurs mauvais pro­
cédés et d ’accepter ce qui s'est passé. Notre politique est cependant une
politique de vrai respect et d'amitié pour l ’islam et les musulmans, et
elle ne subira pas la moindre altération.™»

L ’accord secret de Sykes-Picot (1916)

La même année, McMahon, haut-commissaire britannique en


Egypte, entame une correspondance secrète avec Hussein, le ché-
rif de la Mecque. Via McMahon, les Britanniques négocient avec
Hussein et lui proposent de faire de lui le calife d ’Arabie. Dans sa
seconde lettre du 24 octobre 1915, M cM ahon fait une proposition
à Hussein. Ce programme servira de base au partage du Moyen-
Orient entre la France et la Grande-Bretagne à la suite de l’accord
secret dit-Sykes-Picot (1916)24’.
:
Voici la lettre de M cM ahon :
I
« Je me suis rendu compte, cependant, à la lecture de votre dernière
lettre, que vous regardez la question desfrontières comme étant d ’une
importance des plus vitales et urgentes. C'est pourquoi, je n’ai pas per­
du de temps pour informer le gouvernement de Grande-Bretagne du

248 Revue du momie masii/mo», Vol. XLVI, août 1921, p. 12-14. C ité par Henry
Laurens, L'O rient arabe. Arabism e et islam ism e de 1798 à 1945 pp 149-
150.
249 L’accord fut rendu public en 1919 parle s Bolcheviques après l'ouverture et
la divulgation des archives impériales russes.

154
contenu de votre lettre et c'est avec un grand plaisir queje vous com­
munique en son nom la déclaration suivante que, j'en ai confiance,
vous recevrez avec satisfaction.

Les deux districts de Mersine et d ’Alexandrette et les parties de


la Syrie s ’étendant à l ’ouest des districts de Damas, Homs, Hama
et Alep ne peuvent pas être dits comme étant purement arabes, et
doivent être exclus des limites demandées.

Avec cette modification, et sam causer de tort avec nos traités exis­
tants avec des chefs arabes, nous acceptons ces limites.

En ce qui concerne les régions à l'intérieur de ces frontières, là


où la Grande-Bretagne est libre d ’agir sans porter tort aux intérêts
de son allié la France, j'a i le pouvoir, au nom du gouvernement de la
Grande-Bretagne, de vous donner les assurances suivantes et defaire
ta réponse suivante à votre lettre :

l ’ Dans le cadre des modifications indiquées ci-dessus, la Grande-Bre­


tagne est prête à reconnaître et à soutenir l'indépendance des Arabes
dans toutes les régions à l ’intérieur des limites demandées par le chérif
de La Mekke.

2’ La Grande-Bretagne garantira les Lieux Saints contre toute


agression extérieure et reconnaîtra leur inviolabilité.

3' Quand la situation l'impliquera, la Grande-Bretagne donnera


aux Arabes ses conseils et les assistera dans l'établissement de ce qui
peut apparaître comme les formes les plus appropriées de gouverne­
ment dam ces territoires variés.

4’ D'un autre côté il est compris que les Arabes ont décidé de rechercher
l ’avis et la direction de la Grande-Bretagne seule, et que les conseil-

155
lers européens et lesfonctionnaires qui peuvent être nécessaires pour la
formation d'une bonneforme d'administration seront britanniques.

5 ’ E n ce qui concerne les vilayets de Bagdad et Basra, les Arabes re­


connaîtront que la position établie et les intérêts de la Grande-Bre-
tagne nécessitent des arrangements administratifs spéciaux afin de
protéger ces territoires de tonte agression étrangère, de promouvoir le
bien-être des populations et de sauvegarder nos intérêts économiques
mutuels.

Je suis convaincu que cette déclaration vous assurera sans doute pos­
sible la sympathie de la Grande-Bretagne envers les aspirations de ses
amis les Arabes et qu'il en résultera uneferme et durable alliance dont
les premiers résultats seront l ’e xpulsion des Turcs des pays arabes
et la libération des peuples arabes du jo u g turc, qui a, pendant de si
nombreuses années, pesé lourdement sur eux »2j0.

Le chérif Hussein pensait qu’il serait à la tête d ’un grand É tat


arabe, alors que les Britanniques avaient pour projet d ’opérer un
grand découpage, qui exclurait, entre autres, la Palestine, de ce
« grand » É tat arabe imaginaire. Les Britanniques o n t joué sur le
flou des termes employés pour duper le chériP51. C ette duperie
est l’acte de naissance du nationalisme arabe et de la chimère du
panarabisme. Q ue pouvait-il donc résulter, sur le plan historique
et politique, de cette imposture ?

Les Arabes sont à 1origine un peuple de bédouins divisés en tribus,


que seul le Prophète et 1islam ont réussi à unir dans une grande

250 Texte anglais dans Antoine Hokayem et M arie Claude Bitar, L ’Empire
ottoman, les Arabes et les Grandes puissances 1914-1920, Beyrouth, les
Editions universitaires du Liban, 1981, p. 9-11. C ité par Laurens, op.’ cit.
pp. 151-152.
251 Voir Laurens, op. cit. pp. 153-155.

156
nation multiethnique (Perses, Arabes,Berbères,Turcs,etc...),l’Ou-
mma, la Communauté des croyants. Dès lors les nations arabes
sont tombées dans le piège du nationalisme, lequel n’est rien d’autre
qu’un retour au tribalisme, mais à plus grande échelle. Les Arabes,
en dehors de la civilisation musulmane et de son organisation po­
litique qu’est le califat, ne sont rien d’autre que des tribus s’entredé-
chirant perpétuellement. Et jusqu’à ce jour, ils ne l’ont pas compris !

L'année suivante, en 1916, deux ans avant la fin de la guerre


mondiale, sur la base de cette correspondance entre le chérif
Hussein et McMahon, la France a chargé Georges Picot, et la
Grande-Bretagne Mark Sykes, de négocier la répartition des
territoires du Proche-Orient. Cet accord secret, appelé L ’accord
Sykes-Picot, fut paraphé par le ministre des Affaires étrangères
britanniques, lord Grey, et l’ambassadeur de France à Londres,
Paul Cambon. Dès la première ligne de cet accord il est écrit :
« Désireux d ’entrer dans les vues du gouvernement du Roi et de
chercher à détacher les Arabes des Turcs enfacilitant la création d ’un
Etat arabe ou d ’une confédération d'Etats arabes »252.

Immédiatement après l’accord Sykes-Picot, en juin 1916, débute


la révolte des Arabes contre les Ottomans. Les Arabes, en parti­
culier le chérif Hussein, sous l’impulsion des Britanniques, reven­
diquent la construction d’un Etat arabe autour du mythe de la
supériorité des Arabes en islam ; d’ailleurs, Rachid Ridha (supra)
a soutenu cette initiative et le mythe de la supériorité des Arabes
sur lequel il s’appuie253.

Ce qui suivra est très bien résumé par Henry Laurens : « Les vues

252 L’accord de Sykes-Picot est en totalité rctranscrit dans : Laurens op. cit. pp. 155-156.
253 Ernest Dawn, Front Ottomanism lo Arabisai, Univereity o f Illinois Press,
pp. 76-77. Henry Laurens op. cit. pp. 158-159.

157
politiques des Hachémites (les chérifs du H edjaz) sont encorefloues.
E n ce gui concerne la Péninsule arabique, ils prétendent à une sorte de
primauté d'honneur parmi les chefs de la Péninsule, en quelque sorte
une confédération arabe dont ils seraient à la tête. Pour les provinces
arabes de l'Empire ottoman., leurs positions sont du même ordre : les
fils du chérifpoussent à la constitution d'une série d'États arabes.

Plus le mouvementprogresse, plus le contenu doctrinal se modifie : des Sy­


riens rescapés de la répression ottomane y participent ainsi qu'un grand
nombre d'officiers arabes de l'armée ottomane d'origine mésopotamienne.
Ce groupe apporte une idéologie arabiste plus affirmée. Les contacts crois­
sants avec lesAlliés ainsi que les conseils des officiers britanniques qui sont
détachés auprès des chérifiens, comme le célèbre T.E. Lawrence (l’agent
britannique connu sous le nom de Lawrence d'Arabie)y poussent les
chefs du mouvement à prendre un discours idéologique correspondant au
nouveau cadre de relations internationales en train de se mettre en place.
Le mouvement apparaît alorsplus nettement comme un soulèvement na­
tional contre l'oppression turque avec la volonté d'unir chrétiens, juifs et
musulmans et de restaurer la gloire ancienne des Arabes w254.

1917j la dislocation de l'Empire ottoman

E n 1917 débute le dém antèlem ent de l'E m p ire o ttom an.


Les hedjaziens, sous la direction d ’officiers britanniques,
notam m ent Lawrence d ’Arabie, chassent les O tto m an s du
Hedjaz, tandis que le général britannique A llenby prend
Jérusalem, avec l’aide de troupes arabes, idiots utiles du sionisme
et des sionistes qui attendent leur heure. L’armée britannique
attaquant la Palestine est aussi composée d ’une u n ité de

254 Laurens, op. cit. p. 159.

158
combattants ju ifs25’ , et en parallèle, des colons juifs sionistes
servent d’espions derrière les lignes ottomanes en Palestine256.

À la fin des opérations militaires, Allenby divise en trois zones


d’occupation le Proche-Orient. Les Britanniques contrôlent dé­
sormais la Palestine. Les Français ont la zone littorale à partir du
Liban, et les Arabes ont l’intérieur des terres jusqu’à l’Anatolie.
Allenby reste l’autorité suprême dans les trois régions. En 1918,
les Palestiniens acceptent l’idée d ’une nouvelle immigration
juive, mais à condition que ce soit dans le cadre d’une égalité des
droits avec les autres populations. Mais comme le fait remarquer
Henry Laurens, pour les sionistes, cette égalité est inacceptable,
du fait qu’ils désirent au minimum une communauté nationale
exclusive et au maximum l’appropriation de toute la Palestine2’7.
Et ceci s’est vérifié.

La même année, les Palestiniens, organisés en comités isla-


mo-chrétiens composés de notables représentants les grandes
agglomérations commencent à organiser des manifestations
contre ce qu’ils perçoivent comme une future expropriation2’8.
Au début des années 1920, L'Association islamo-chrétienne
était devenue la principale organisation politique palesti­
nienne. Un des enjeux de la stratégie sioniste, fidèle à celle de
Solomon Molcho, sera de briser (dans l’œuf) cette alliance
islamo-chrétienne.

255 Le "m ule corp” de Jabotinsky, futur fondateur du groupe terroriste Irgoun
- auteur des attentats anti-anglais, et aussi futur créateur de Tsahal qui est
le résultat de la fusion entre autres, de l'Irgoun et l’ Haganah (organisation
paramilitaire sioniste).
256 Laurens, op. cit. p. 163.
257 Laurens, op. cit. p. 165.
258 Laurens, op. cit. p. 184.

159
Au mois de décembre 1918, le fils du chérif Hussein, Fayçal,
rencontre W eizmann à Londres et signe un accord daté du 3 jan­
vier 1919, selon lequel les juifs pourront immigrer en Palestine
et aux termes duquel les paysans palestiniens seront protégés et
conserveront leurs droits. C e texte fut rédigé par T.E Lawrence
d’Arabie.

Nulle part il n’est précisé (ni dans l’accord ni dans le m ém oran­


dum sioniste du 3 février 1919) que sera créé un É ta t juif, mais
seulement un commonwealth autonome juif. Les Britanniques
eux-mêmes ne savent pas ce que les sionistes entendent par com-
monwealth autonome j u i f 259.

L a Conférence de Versailles

Pendant la Conférence de Paix à Versailles, le ministre français


des Affaires étrangères, Stephen Pichon, s’adressant à Fayçal (fils
du chérif Hussein), lui dit :

« Je m aperçois, Votre Altesse, alors que vous réclamez sans cesse l'in ­
dépendance pour la Syrie, que je ne vous ai jam ais entendu deman­
der que la Palestine soit indépendante. La Palestine n'est donc pas
arabe ? » A. quoi Fayçal répondit : « Votre Excellence, chaque fois
quej ai demandé l indépendance pour la Syrie, j'a i senti du côté bri­
tannique —de Lloyd Georgejusqu'au plus humble desfonctionnaires
anglais - quony répondaitfavorablement. Promettez-moi, en votre

259 Voir le détail de ces accords in Henry Laurens op. cit. pp. 173-174.

160
qualité de ministre des Affaires étrangères de France, de répondref a ­
vorablement à ma demande d ’indépendance de la Palestine, etje vous
promets de ne pas quitter votre bureau avant d ’avoir réclamé, aussi
fort queje lepourrai que la Palestine soit indépendante. » Pichon ne
donna pas suite 26°.

Le 27 février 1919, la délégation sioniste comparaît devant la


Conférence de la paix. Weizmann fait une déclaration franche
où il annonce très clairement que le projet sioniste est la création
d’une nation juive exclusive :

« L'organisation sioniste ne veut pas un gouvernement autonome


juif, mais simplement établir en Palestine, sous une puissance man­
dataire, une administration pas nécessairement juive qui rendrait
possible d ’envoyer en Palestine 70 000 à 80 000Juifs annuellement.
L ’association demande en même temps la permission de bâtir des
écolesjuives où l ’hébreu serait enseigné et de cettefaçon nous bâtirons
progressivement une nation qui serait aussi juive que la nation
française estfrançaise et la nation britannique est britannique. Plus
tard, quand les Juifs formeront une large majorité, ils seront mûrs
pour établir un gouvernement correspondant à la situation du pays
et leurs idéaux »261.

Il s’agit là d’utiliser la puissance britannique en tant que man­


dataire du foyer ju if pour imposer aux Arabes et aux autres puis­
sances le futur État juif. Une fois encore, conformément à la
vision prospective de Solomon Molcho du début du XVI' siècle,

260 Témoignage de Awni A bd al-Iiadi, cité par Sulcim an M oussa, Songe et


mensonge de Lawrence, Paris, Sindbad, 1973. p. 270.
261 Procès verbal complet de la séance du 27 février 1 9 19 dans Paper s Reluting
to the Foreign Relations o f the United States. The Paris Peace conférence,
1919. volume IV, Washington, 1943, pp. 159-171. Cité par Laurens, op.
cit. p. 175.

161
les juifs sionistes instrumentalisént une puissance étrangère dans
l’intérêt de la réalisation du projet messianique.

Dès que les Palestiniens prennent connaissance de cette décla­


ration, de vives protestations naissent, car ils com prennent im ­
médiatement que le projet sioniste aura pour conséquence leur
dépossession et leur expulsion262.

Dès 1920, les sionistes ont voulu s’approprier le Sud-Liban et


le Golan et ainsi prendre le contrôle des eaux du Litani et des
sources du Jourdain263. Aujourd’hui, la position défensive du
Hezbollah au Sud-Liban n’est que le révélateur de l’antériorité
du projet sioniste ; un plan d’appropriation qui va bien au-de-
là du Sud-Liban sur lequel nous reviendrons plus en détail.
En 1921, ce premier charcutage de la géographie politique du
Proche-O rient, donne naissance à l’Irak, à la Syrie, au Liban et
à la Transjordanie. La Palestine, que l’on donne déjà de facto aux
sionistes, reste encore sous m andat britannique.

Le rêve d’un grand E tat arabe vendu par les Britanniques aux
Arabes s’est éteint, il ne s’agissait que d’un mirage, une illusion
et un mensonge, mais le virus du nationalisme arabe continuera
à diviser les Arabes, après avoir divisé le Proche-O rient, pour le
plus grand bonheur des sionistes. Les Britanniques, q uant à eux,
se sont épuisés économiquement sans tirer les profits escomptés
sauf à très court terme. A l’échelle du siècle ce sont en effet les
sionistes qui en ont récolté les fruits.

262 Henry Laurens, op. cit. p. 175.


263 Henry Laurens, op. cit. pp. 190-191.

162
Du foyerjuifà l ’E tat d ’I sraël: la dialectique laïcité et messianisme

Pendant les années 1920, le foyer juif reçut, en plus de l’aide bri­
tannique, de l’argent de grandes fortunes juives américaines. Un
certain nombre de juifs de Russie à qui la Grande-Bretagne ac­
corda des visas d’immigration s’installèrent en Palestine264. L’on
voit à cette époque les fonds des communautés juives de l’Ouest
financer les contingents de juifs socialistes issus du Bund265 ve­
nant grossir la population juive en Palestine, migrants envers
lesquels, d’ailleurs, se montrent hostiles les communistes juifs
palestiniens ; le 1" mai 1921, éclatent entre eux des incidents et
des heurts qui vont durer trois jours266.

Ben Gourion, qui deviendra en 1948 le Premier ministre


de l’État d’Israël, voit dans le socialisme, non une fin, mais
un moyen de construire le foyer national juif267 ; beaucoup
pourraient voir en cela une contradiction avec le projet
messianique et mystique de retour des juifs en Terre sainte, mais
bien au contraire, Ben Gourion et les rabbins ont conscience que
le socialisme, comme le capitalisme, ne sont pas des fins en soit,
mais des outils, des moyens de réalisation d’un projet intrinsè­
quement messianique. Mais cela, les « experts »26* en tout genre

264 II. Laurens, op. cit. p. 218.


265 L’ Union générale des travailleurs ju ifs de l'Europe de l'Est (Lituanie. Po­
logne, Russie) est un mouvement socialiste exclusivement ju if créé à la fin
du X IX 'siè cle en Russie.
266 Laurens, op. cit. p. 221.
267 Shabtai Teveth, Ben Gurion and tlie Palestinien! Arabs. from Peace to li'ar,
Oxford U niversitv Press, 1985. pp. 64-66. Voir aussi Anita Shapiro, « The
ideology and practice o f the join t Jew ish-Arab Labour Union in Palestine,
1920-39 » , Journal ofContemporary , 12 (1977), pp. 669-692. Laurens op.
cit. p. 231.
268 N ous som m es par ailleurs convaincu à titre personnel, que le règne des

163
ne peuvent pas le comprendre, enfermés qu’ils sont dans leur
étroit domaine de spécialisation.

D e la même façon, l’ethno-racialisme biblique laïcisé a vocation,


par le biais du Foyer juif, d’exclure les non-juifs ; la finalité étant
toujours ce projet biblique : édifier et m aintenir la supériorité
du « peuple-race » dont la légitimité est transcendantale, et
ce, avec des moyens non-religieux, voir antireligieux, comme le
socialisme, la laïcité et l’athéisme m ilitants. T oute l’histoire de
la pensée juive est constituée de cette dialectique opposant des
contraires apparemment antinomiques pour finalement parvenir
à un but non visible a priori.

A insi, l’h istorien H en ry L au ren s é crit : « L e Yichouv


(communauté juive) se fonde en tant que refus absolu de toute
collaboration économique et sociale avec la population arabe.
L'exclusivismeju if, nécessaire pour la constitution dufoyer national,
fa it que toute interaction avec le secteur arabe est considérée comme
une défaillance qu’il fa u t absolument pallier. L ’ambiguïté historique
du sionisme en tant que formulation nationale et laïcisante d ’une
communauté jusqu’alors définie en termes religieux constitue le
Yichouv en entité hybride : un ensemble civique ayant le droit de
s’appeler «peuple », mais dont les critères d ’appartenance sont définis
par une appartenance religieuse »269.

experts touche à sa fin. N otre m onde est en train de basculer dans une
nouvelle ère, l’ère véritablem ent postm odem e, et du fait que les experts
ne peuvent ni anticiper ni com prendre l ’ère au sein de laquelle nous nous
avançons, ils disparaîtront. Les théologiens chrétiens et m usulm ans
(en dehors de quelques exceptions) s ’étant éloignés des études eschatolo-
giques, les seuls - parce que le m onde est dirigé par des idées et non des
forces m atérielles —qui anticipent le m onde de dem ain sont les savants du
judaïsm e rabbinique. L'ère du matérialism e obtus est à son crépuscule, si
bien que le soleil est appelé à se lever très vite sur une ère « m ystique ».
269 Laurens, op. cit. p. 227.

164
De Londres à Manhattan

En pleine Seconde Guerre mondiale, les sionistes vont opérer le


basculement de l’Angleterre vers les États-Unis. Souvenez-vous,
au XVIIe siècle, alors qu’Amsterdam, capitale économique et fi­
nancière, allait laisser sa place à Londres, capitale d’un Empire
naissant, les juifs, sous l’impulsion du rabbin kabbaliste Me-
nasseh ben Israël, avaient déplacé leurs activités économiques
vers Londres.

Et bien, de la même façon, alors que l’Empire britannique était


à la veille de son effondrement, au profit des États-Unis, les sio­
nistes, qui par ailleurs menaient des actions violentes contre
les Britanniques pour les chasser de la Palestine, vont miser sur
les États-Unis270, où de nombreux juifs setaient installés depuis
la seconde moitié du XIX ' siècle271 et où ils avaient acquis une
grande influence (nous reviendrons sur cette influence plus bas),
comme ils l’avaient fait en Angleterre au XVII' siècle.

Après s'être solidement implantés, les sionistes vont à partir


de 1947 se lancer dans des guerres d’expansion incessantes
en Cisjordanie. Le 29 novembre 1947, jour où l’ONU vota le
plan de partage de la Palestine, les sionistes et les Palestiniens
s’affrontent ; en 1948, le mandat britannique sur la Palestine
prend fin, et le 14 mai 1948 l’État d’Israël est créé. Sous
l’influence de la communauté juive américaine, les États-Unis
reconnaissent l’État d’Israël, et ce, contre l’avis de plusieurs
conseillers importants du président Truman ; dans un mémo

270 Laurens, op. cit. p. 353.


271 L es chiffres de l’ immigration ju iv e du X IX e siècle vers les États-Unis sont
rapportés par M earsheimer et Walt, Le lobby pro-israelien et la politique
étrangère américaine, Paris 2009 p. 106.

165
interne de 1948, le chef du D épartem ent d ’analyse stratégique
George Kennan écrivait : « Soutenir les objectifs radicaux du
sionisme politique se fera au détriment des objectifs de sécurité
que les États-Unis se sont fix é s au M oyen-O rient »2' 2. L analyse
pertinente de Kennan a été ultérieurem ent confirm ée par
l’Histoire. Après avoir utilisé l’Empire britannique jusqu’à sa
chute, désormais les sionistes se servent des É tats-U nis qu ils
m ènent vers un inéluctable effondrement273.

L’attaque sioniste contre les Palestiniens a provoqué une réponse


des pays arabes ; la guerre éclate le 15 mai 1948 (et prend fin le 7
janvier 1949) et oppose Israël à l’Egypte, à la Syrie, à l’Irak et à la
Transjordanie. La fable du petit E tat naissant faisant face à cinq
armées chevronnées et bien équipées a été démontée par plu­
sieurs historiens israéliens, dont Benny M orris et Ilan Pappe qui
écrivit : « Quelques petits milliers de combattants irréguliers palesti­
niens et arabesfaisaientface à des dizaines de milliers de soldatsjuifs
surentrainés »27\ La guerre se termine par l’expulsion de près de
750 000 Palestiniens et l’e xtension du territoire de l’E tat d ’Israël.

Expansion armée et conquête du Grand Israël

C ette politique d ’expansion par la force s’est ju sq u ’à présent

272 Voir M earsheim er et Walt, ibid. p. 64.


273 Sur l'effondrem ent de l ’empire am éricain, voir les travaux prospectivistes
d E. I odd dans son livre paru en 2002 : Après l'empire. Essai su r la décom ­
position du systèm e américain, éd. Folio actuel.
274 Ilan Pappe, The Ethnie C le a n sin g o f Palestine (le nettoyage ethnique de la
Palestine), Oneworld Publications, Oxford, 2006, p. 45. C ité par M earshei-
m er et Walt p. 95.

166
poursuivie ; en 1956 la guerre est facilement gagnée contre
l’Egypte à qui Israël prend le Sinaï (qu’il a dû rendre depuis
aux termes des accords de Camp David). Le Premier ministre
Ben Gourion, dans cette logique d’expansion et pour apaiser
les alliés européens, proposa à la France et à la Grande-Bre-
tagne de partager la Jordanie entre Israël et l’Irak et l'octroi à
Israël d’une partie du Liban et du détroit du Tiran275.

Attitude conciliante qui n’a pas empêché Israël de mener des ac­
tions hostiles contre son propre grand ami américain : en 1954 des
agents israéliens tentaient de faire sauter plusieurs cibles améri­
caines en Egypte, dans le but de semer la discorde entre Washing­
ton et Le Caire276. Durant la guerre de 6 jours en 1967 - engen­
drée par la stratégie israélienne de surenchère sur le front syrien277
- Tsahal conquiert la Cisjordanie, dont Jérusalem-Est, la bande
de Gaza, le Golan syrien et la péninsule du Sinaï appartenant à
l’Egypte. Alors que les États-Unis ne voulaient pas s’en mêler -
du fait de la menace de l’Union soviétique alliée de la Syrie et
de l’Égypte - les Israéliens tentèrent de les y faire entrer de vive
force (nous anticipons la provocation prochaine d’un affronte­
ment entre Russie et USA suivant le même schéma et au profit du
projet sioniste) en frappant le navire de reconnaissance américain
USS Liberty (une analogie avec les attentats 11 septembre 2001
ne serait pas exagérée comme nous le verrons au chapitre suivant)
qu’ils voulurent faire passer pour une attaque égyptienne contre
les États-Unis278, comme en 1954. C ’est ce qu’on appelle de nos
jours afalsefag attack, une attaque sousfaux drapeau.

275 Mcarsheimer et Walt, op. cit. p. 37.


276 Mcarsheimer et Walt, op. cit. p. 89.
277 Voir : Avi Shlaim, The Iron Wall : Israël and thc Arab World, Norton, New
York. 2000, p. 235, ainsi que nombre de déclarations de militaires et politi­
ciens israéliens in Mcarsheimer et Walt op. cit. pp. 98-99.
278 Mearsheimer et Walt, op. cit. p. 55.

167
La Syrie, qui voulait récupérer le Golan et l’Égypte sa partie du
Sinaï2” , lancent le 6 octobre 1973 (jour de la fête juive du Yom
Kippour, le G rand Pardon) une attaque surprise et coordonnée
contre Israël (l'Égypte attaque par le Sinaï et la Syrie par le G o­
lan). Les Égyptiens sont contraints à la reddition et la Syrie pour­
suit la guerre afin de récupérer le Golan, mais sans succès. Un
cessez-le-feu est signé le 28 octobre 1973.

Là encore, le nationalisme arabe a m ontré sa nature et son in ­


conséquence. C ar en réalité les É tats arabes n’o n t pas atta ­
qué Israël dans le but de voir naître un É tat palestinien ni de
m ettre un terme au projet sioniste, mais p lu tô t de s'accaparer
une partie de la Palestine et d ’em pêcher la création d ’une en ­
com brante entité palestinienne, to u t en calm ant leurs opinions
publiques280.

279 Bennv M orris. R ig h teo m l'iclims, p. 387. C ité par M earsheim er cl Walt,
op. cit. p. 99.
280 Voir les différentes analyses et citations d ’intellectuels et de dirigeants israéliens
rapportées par Mearsheimer et Walt op. cit. pp. 97-98. Voir aussi l’accord secret

168
Le but final de ces guerres successives et de l’agressivité chro­
nique d’abord du Foyer juif puis d’Israël, est la construction du
Grand Israël. Le projet du sionisme étant basé sur la Bible qui
définit assez précisément, du Nil à l’Euphrate, les frontières du
Royaume d’Israël.

Un Etat par vocation sansfrontières politiques

Dès 1918, Ben Gourion, dans un livre coécrit en yiddish, inclut


dans les frontières du futur Etat hébreu les territoires occupés,
le sud du Liban jusqu’au fleuve Litani, une partie du sud de la
Syrie, une grande partie de la Jordanie et la péninsule du Sinaï281.
Les sionistes sont, il est vrai, restés très discrets sur leurs ambi­
tions territoriales, ceci afin de ne susciter ni la colère des Arabes
ni celle de Londres. C ’est une stratégie de grignotage permanent
qui s’oppose à celle des plus radicaux comme Jabotinsky, qui vou­
lait tout ou rien282.

Lorsque les sionistes acceptèrent le partage prévu par la com­


mission Peel de 1937 et celui de l’O NU en 1947, ce n’était
pour eux qu’une manœuvre tactique, un palier menant vers
le grand Israël.

Ainsi, en 1937, Ben Gourion déclara : « Après la formation


d'une grande armée suite à la création de l ’E tat, nous abolirons le
partage et nous occuperons toute la Palestine ». La même année il
dit à son fils : « Erigeons un État ju i f sur-le-champ, même si ce

passé en 1947 entre Ben Gourion et le roi de Transjordanie. Abdallah, pour se


partager la Palestine, ibid p. 107.
281 Bennv Morris, Rigliteons lictinis, p. 75. Cité par Mearsheimer et Walt op. cit.
p. 418, note n° 60.
282 Avi Shlaim, lron Wall, p21 in Mearsheimer et Walt, op. cit. p. 418, note n° 60.

169
n’est pas sur tout le territoire. Le reste nous reviendra avec le temps.
I l lefa u t» ™ .

L e 13 mai 1947, un an avant la création de l’É ta t d ’Israël,


Ben G ourion déclara devant l’Agence juive aux E tats-U n is :
« Nous voulons la terre d ’Israël dans sa totalité. C'était l ’intention
de départ ». Une semaine plus tard, devant l’A ssemblée élue à
Jérusalem , il d it : « Y -a -t-il une personne parm i nous qui ne soit
pas d ’accord avec lef a it que l'intention première de la Déclaration
Balfour et du mandat sur la Palestine, et l ’intention première des
espoirs nourris par des générations de Juifs, était de créer un E ta t
j u i f sur la totalité de la Terre d ’Israël ? »28\

À quoi donc doit ressembler ce grand Israël aux frontières bibliques ?

En voici la carte :

283 C itations rapportées par Flapan, Birih o f Israël, p. 22 ; Avi Shlaim , lron
Wall, p. 21. Cité par M earsheim er et Walt, op. cit. pp. 106-107.
284 Uri Ben Eliezer, Vie Making ofIsraeli Xtililarism, Indiana University Press, Bloo-
mington, 1998, p. 150. Cité par Mearsheimer et Walt, op. cit. p. 107.

170
Le grand Israël biblique repris p ar Théodore Herzl (1904) et par le Rabbi
Fischmann (1947)2a
Reste une question : comment Israël parviendra-t-il à réaliser
ce projet grandiose ?

285 Dans ses mémoires, Vol. 2, p. 711, Théodore Herzl dit que les frontières du
futur État d ’ Israël doivent s ’ étendre « Du fleuve d'Egypte à l'Euphrate ».
Le Rabbi Fischmann, membre de l’A gence Juive pour la Palestine, a décla­
ré dans son témoignage au Com ité Spécial d ’ investigation de l’O NU du 9
juillet 1947 : « La Terre Promise s'étend du fleuve d 'Egypte à l'Euphrate.
Elle inclut une partie de la Syrie et du Liban. » . Carte rapportée par Israël
Shahak dans sa traduction du Plan O ded Yinon (voir plus bas).

171
I
CHAPITRE-IV

Géopolitique et stratégie du sionisme

La puissance d’Israël, contrairement à tous les autres États du


monde, ne réside pas seulement en lui-même, en ses ressources
intérieures, matérielles et morales, mais elle est à chercher
surtout dans ses réseaux d’influences et de soutiens financiers
implantés, grâce à la Diaspora, au sein d’autres Etats. C ’est
pourquoi nous ne limiterons pas notre propos à la géopolitique
d’Israël, mais étudierons la stratégie et la géopolitique du
sionisme, ou plutôt le projet messianique actif qui le sous-tend
et qui est bien antérieur à la création de l’Etat hébreu. Or les
principaux acteurs œuvrant à l’accomplissement de ce projet
messianique agissent essentiellement hors de son territoire...
cela sans qu’aucune frontière ne leur soit un obstacle.

173
Le livre de Josué, modèle et matrice de la
conquête sioniste

C e qui a échappé à tous les analystes et critiques - car dupés


par le caractère faussement athée du sionism e266 - de l’his­
toire du foyer ju if et de l’É ta t d ’Israël, est la dim ension in ­
trinsèquem ent biblique (Ancien T estam ent) de son m odèle de
construction. C elle-ci apparaît très clairem ent si l’on fait le
parallèle entre le récit épique et proprem ent m onstrueux du
Livre de Josué dans la Bible hébraïque et celui de la conquête
sioniste de la Palestine. Par exemple, le Prem ier m inistre israé­
lien, M . Nétanyahou aime à se référer - notam m ent à la tri­
bune de l’Assemblée générale des N ations Unies - à ce passage
emblématique du Livre saint, ainsi qu’au Livre d ’Esther, lors­
qu’il évoque l’E tat iranien. A u-delà des millénaires, l’om bre de
la Bible continue donc, on le voit, à se projeter sur le présent
de façon singulièrement angoissante.

Suite à la sortie d ’Egypte des enfants d ’Israël et après avoir


été durant quarante années dans le désert, M oïse m ourut, et
cest le prophète Josué, son successeur, qui fit en trer les enfants
d'Israël sur la terre promise.

286 Un athéism e qui est un outil idéologique et politique au service du m es­


sianism e ; utilisé pour m ieux désarm er et neutraliser les forces spirituelles
de ceux qui sont m is à contribution pour détruire l ’ordre existant, dém an­
teler les nations, les kellipot, et préparer le retour de la lum ière (la fin des
temps et le triom phe du peuple « élu »).

174
Dans le Deutéronome (cinquième livre de la Torah, au cha­
pitre 32, versets 3 à 5) Dieu promet et ordonne la chose suivante
à Josué par la bouche de Moïse :

« L'Eternel, ton Dieu, marche lui-même devant toi ; c'est lui qui
anéantira ces peuples devant toi pour que tu les dépossèdes.
Josué sera ton guide, comme /'Eternel l ’a déclaré. E t le Seigneur
les traitera comme il a traité Sihôn et Og, roi des Amorréens, et
leurpays, qu’il a condamné à la ruine. I l mettra ces peuples à votre
merci ; et vous procéderez à leur égard, en tout, selon l'ordre queje
vous ai donné » (Deutéronome, 32:3-5).

L’anéantissement et la dépossession des peuples habitant la


Terre promise ; voilà l’ordre qui est donné aux enfants d’Israël
dans la Torah avant qu’ils n’entrent en Terre sainte. Nous verrons
plus loin les conséquences concrètes que ce passage et d’autres
de la Bible ont et auront aujourd’hui sur la situation politique du
Proche-Orient.

Dans le livre de Josué, le récit de la conquête a été mythifié par


les grands prêtres et scribes qui ont rédigé/falsifié la Bible (nous
reviendrons en détail sur la falsification de la Bible et ses auteurs
dans le tome II), et qui ne nous livrent pas tant la réalité histo­
rique que leur vision de Dieu et leurs rapports aux goyim, les
non-juifs2*7.

287 II est évident que le livre de Josué est un livre falsifié ; nous ne présenterons ici
qu’ un exemple mais qui est flagrant : lorsque la conquête de Josué se termine,
il est écrit qu’après celle-ci. c ’est Moïse qui attribua chaque pan aux tribus des
enfants d'Israël et que de plus il se tenait de l’autre coté du Jourdain {Josué,
13:29-33) : alors que Moïse est mort dans le désert avant que Josué et Israël
n’ entrent en Terre promise et après avoir dit que Dieu lui avait annoncé qu’ il
ne verrait pas la Terre promise et qu’ il ne passerait jam ais le Jourdain (Deuté­
ronome, 31:1-2).

175
L’on trouve au Chapitre 6 du Livre de Josué288 le récit de la
conquête de la première cité telle que le D eutéronom e l’o rdonne.
C ’est un génocide pur et simple. U n massacre sans pitié des
hommes, des femmes, des enfants et même des animaux :

« E t l ’on appliqua l'anathème à tout ce qui était dans la ville ;


hommes et fem m es, enfants et vieillards,jusqu'aux bœufs, aux bre­
bis et aux ânes, tout p é ritp a r l ’épée. » (Josué, 6:21)

Évidemment, il est très peu probable, du point de vue historique,


que les choses se soient déroulées ainsi, mais ce qui nous inté­
resse c’est ce que la Bible hébraïque enseigne aux juifs, les valeurs
quelle transm et et l’influence qu’elle a eu sur l’application du
projet sioniste, du début des années 1920 à nos jours.

« La ville sera anathème (herem, c’est-à-dire maudite, vouée à


Dieu en sacrifice, en un m ot immolée en holocauste) au nom du
Seigneur, elle et tout ce qu'elle renferme. » (Josué, 6 :17)

« Us brûlèrent la ville et tout ce qui s’y trouvait » (Josué 6:24)

Une fois ce massacre et cette destruction accomplis, Josué reçut


un ordre concernant la deuxième cité prise pour cible :

« Tu traiteras A ï et son roi comme tu as tra ité Jéricho et son roi »


(Josué 8 :2)

La bataille se termina par le massacre de tous les com battants de


la cité, y compris les fuyards :

288 Nous avons utilisé ici La Bible, traduction intégrale hébreu-français à partir
du texte original par les m embres du Rabbinat Français sous la direction
du G rand-R abbin Zadoc Kahn, nouvelle édition, 1994, Editions Sinai',
Tel-Aviv/IsraSI.

176
« E t les gens d'Aïfurent enveloppéspar Israël de toutesparts. Israël les
battit, sans leur laisser un survivant ni unfuyard » ( Josué 8:22)

Puis, un deuxième génocide est commis dans la foulée :

« Lorsqu'Israël eut achevé de tuer tous les habitants d ’A ï dans la cam­


pagne, dans le désert, où ils l ’avaient poursuivi, et que tousfurent
entièrement passés au f i l de l'épée, tout Israël revint vers A ï et
passa tout au f i l de l'épée.

Il y eut au total douze mille personnes tuées cejour-là, hommes et


femmes, toute la population d ’Aï.

Josué ne retira point sa main qu’il tenait étendue avec le javelot,


jusqu’à ce qu’on eût exterminé tous les habitants d ’A ï » (Josué 8:24-
26)

Et toutes les autres cités de la Terre promise subirent le même


sort (excepté les quelques-unes qui se soumirent). D ’après le
livre de Josué :

« Josué battit tout lepays, la montagne, le midi, la plaine et les coteaux, et


il en battit tous les rois; il ne laissa échapperpersonne, et il extermina tout
ce qui respirait, comme l ’avait ordonné l ’Etemel, le Dieu d'Israël™ »
(Josué, 10:40)

Les auteurs de la Bible ont fait du génocide un acte de piété.

289 II s ’agit d ’ un ordre venu du dieu d ’ Israël, leur dieu ethnique et national,
qu’ il ne faut pas confondre avec Dieu {le Dieu de tous les humains et de la
création tout entière). Car, comme nous le montrerons dans le tome II, il
y a au moins deux divinités/déités qui s ’ opposent dans la Bible hébraïque,
tandis que l’ on ne trouve qu’ un seul et unique dieu dans les Évangiles et le
Coran : le Dieu universel.

177
de dévotion, dès lors que le peuple exterm iné se trouve sur
la terre que les juifs considèrent comme la leur. Nous verrons
que cela à une influence notable dans la politique israélienne,
en cela qu’aujourd’hui, ce sont les Palestiniens et les A rabes
en général (Ismaël) qui représentent l’obstacle à éliminer, le
peuple à détruire, à expulser et à exterminer suivant la voie
tracée par Josué (cf. N étanyahou)290. L e m ode opératoire
suivi durant le massacre des villageois de D ar Yasin (en 1948)
fut très exactement, certes à petite échelle, celui décrit dans le
Livre de Josué291. Le projet d ’Israël est de les faire disparaître
d ’une manière ou d’une autre de la Terre promise à moins qu’ils
n’acceptent le servage.

Une politique permanente d ’é puration ethnique

Les Palestiniens posent un problème que les dirigeants israéliens


ont pour im pératif de régler. E t ceci n’est pas une nouveauté.
D epuis la création du foyer ju if dans les années 1920, les
Palestiniens voient leur territoire grignoté et se voient expropriés
de façon progressive et c o n tin u e. L’expulsion de 700 000
Palestiniens en 1948, le nombre de morts depuis cette date dans
les guerres asymétriques entre Israël et les Palestiniens ou la
colonisation insidieuse des territoires occupés sont là pour nous
le rappeler.

290 Le 27 septem bre 2012, N etanjahou débute son discours devant l’A ssem ­
blée Générale des Nations Unies en se référant au Royaum e de David,
aux Patriarches et à Josué ; et il présente l’État d ’Israül com m e étant la
renaissance du royaume biblique.
291 Lire le récit détaillé de ce m assacre sur ce site : hltps://avoicefrom palesline.
wordpress.com

178
Israël, une théocratie parlementaire archéo-messianique

Cette méthode doit évidemment être appliquée en vue d’établir


le Grand Israël du Nil à l’Euphrate, tel quecrit dans la Torah :

« Ce jour-là, le Seigneur conclut une alliance avec Abram en ces


termes : “À ta descendanceje donne lepays que voici, depuis le Torrent
d’Égypte (le Nil) jusqu’au Grand Fleuve, l’Euphrate, soit lepays des
Qénites, des Qenizzites, des Qadmonites, des Hittites, des Perizzites,
des Refaites, des Amorites, des Cananéens, des Guirgashites et desJébu-
séens. » » (Genèse 15 :18).

Le territoire qui « appartient » donc de droit divin au peuple


choisi inclut le Sinaï en Egypte, toute la Palestine, le Liban, la
Jordanie, une partie de la Syrie, de l’Irak et le nord de l’Arabie
(voir les cartes présentées précédemment).

C ’est bien pour cette raison que Feiglin écrit dans son plan
que « Gaza est unfragment de notre Terre et nous y resteronsjusqu'à
lafin des temps... elle deviendra partie intégrante de l ’E tat d ’Israël
et sera peupléepar les Juifs ».292

Ces paroles pourraient être calquées sur ces passages du livre de


Josué :

« C’est ainsi que Josué s'empara de tout ce pays, de la montagne, de


tout le midi, de tout le pays de Gosen, de la vallée, de la plaine, de
la montagne d'Israël et de ses vallées, depuis ta montagne nue qui
s'élève vers Séirjusqu'à Baal Gad, dans la vallée du Liban, au pied

292 Xty Outline fo r a Solution in Gaza, par M oshe Feiglin. Arutz Sheva israel-
nationalnews.com, Jaffa/Tel Aviv, 15/07/2014.

179
de la montagne d ’H ermon. I l p rit tous leurs rois, lesfrappa et lesf i t
mourir. » (Josué, 11:16-17)

« Josué s'empara donc de tout le pays, selon tout ce que l ’Eternel avait
dit à Moïse. E t Josué le donna en héritage à Israël, à chacun sa por­
tion, d'après leurs tribus. Puis, le pays f u t en repos et sans guerre »
(Josué, 11 :23).

Feiglin et Koening (infra) ne sont pas des cas isolés, car la poli­
tique israélienne, depuis la création du foyer juif, consiste à épu­
rer ethniquem ent la Palestine.

A ujourd’hui, la progression territoriale d ’Israël est dans sa


dernière phase, suivant un plan de conquête biblique qui s’est
mis en place il y a près d ’un siècle avec l’arrivée du sionisme
opératif sur la scène internationale et qui s’accélère ces dernières
années de façon particulièrement spectaculaire.

Précisons qu ’Israël est le seul E ta t au m o n d e n’ayant pas


de frontières définies, pour la simple raison que cet E ta t est
destiné à s’agrandir jusqu’à atteindre les frontières bibliques...
et peut-être bien au-delà !

La situation dans laquelle se trouve actu ellem en t Israël est


précisém ent celle décrite dans le livre de Josué, lorsque ce
dernier, eut conquis la T erre promise et qu’il fu t proche de sa
m ort. Il est écrit que D ieu lui aurait d it que la conquête était
loin d'être term inée. “Il fallait la poursuivre” encore bien au-
delà et agrandir le territoire du fu tu r royaume d ’Israël, mais
Josué était trop âgé.

Le parallèle avec Israël aujourd’hui est édifiant : l’É tat hébreu


se trouve actuellement dans la phase précédant la conquête
d’un territoire bien plus important que celui qu’il possède
actuellement.

Dans le passage suivant du livre de Josué, nous avons une des­


cription d’une situation analogue à celle d’Israël actuellement ;
ce qui devrait permettre, de notre point de vue, de se faire une
idée de ce que pourrait être le cadre de sa politique future (à
moyen terme).

« Josué était vieux, avancé en âge. L ’Eternel lui dit alors: Tu es de­
venu vieux, tu es avancé en âge, et le pays qui te reste à soumettre
est très grand. Voici le pays qui reste: tous tes districts des Philistins
et tout le territoire des Gueschuriens, depuis le Schichor (le Nil en
hébreu) qui coule devant l'Egypte jusqu’à la frontière d'Ekron au
nord, contrée qui doit être tenue pour cananéenne, et qui est occu­
pée par les cinq princes des Philistins, celui de Gaza (convoité au­
jourd’hui par Israël), celui d ’Asdod (qui fait partie aujourd’hui
d’Israël), celui d ’Askalon (également partie intégrante de l’Etat
hébreu), celui de Gath et celui d ’Ékron, et par les Avviens ; à partir
du midi, tout le pays des Cananéens, et Meara qui est aux Sido-
niens, jusqu'à Aphek, jusqu’à la frontière des Amoréens ; le pays des
Guib/iens, et tout le Liban vers le soleil levant, depuis Baal Gad
au pied de la montagne d ’Hermon jusqu'à l ’entrée de Harnatb ; tous
les habitants de la montagne, depuis le Liban jusqu’à Misrephoth
Maïm, tous les Sidoniens. Je les chasserai devant les enfants d'Is­
raël. Donne seulement cepays en héritage par le sort à Israël, comme
je te l'ai prescrit. » (Josué, 13:1-6)

L’on ne peut s’empêcher de faire le parallèle entre ces peuples


voués à être exterminés aux temps bibliques et les peuples voisins
de l’Israël contemporain. Dans ce passage, Gaza, une partie de
l’Egypte (depuis le Nil, donc tout le Sinaï), ainsi que le Liban
et le Levant (la Syrie et une partie de l’Irak) sont destinés aux

181
enfants d ’Israël. Il n’est pas difficile d’imaginer que si le H ezbol­
lah n’avait pas arrêté Israël en 2006, certainement le Sud-Liban
eût-il été définitivement occupé et annexé de la même façon que
le Golan en 1967.

La création du foyer ju if en Palestine au début des années 1920,


qui deviendra l’E tat d ’Israël de 1948, s’est formé selon le modèle
du Livre de Josué. Les similitudes sont frappantes : d ’abord de
petits groupes jouèrent le rôle d'éclaireurs et d ’espions derrière les
lignes ottomanes (voir chapitre III) comme dans le livre de Josué
(Josué, chapitre 2) ; après avoir été admis par les Palestiniens,
ces derniers furent expropriés, chassés et massacrés en nombre,
avant que le petit foyer national ne s’agrandisse au détrim ent des
indigènes comme nous l’avons montré au chapitre III. Ensuite,
le royaume d ’Israël fut créé, tout comme l’E tat d’Israël en 1948,
sur la ruine des autochtones - si le Livre de Josué présente un
récit mythique de la conquête de la Terre sainte, la façon d ont fut
créé l’E tat d ’Israël moderne suit la voie du récit biblique de façon
méticuleuse. Par des guerres et des expropriations incessantes, le
territoire d ’Israël s’étend de façon continue depuis 1920, de la
même manière que le décrit le Livre de Josué.

Le lieu où s’installe Israël, et la façon dont il le fait, est à n’en pas


douter une mise en pratique textuelle du récit biblique.

Yossef O vadia (1920-2013) et la Bible hébraïque

E n Israël, ce sont les religieux qui fo n t la pluie et le beau


tem ps, contrairement à l’idée que l’on se fait d ’un É tat qui en

182
principe serait laïque, démocratique et libéral293. Comme nous
allons le voir, en Israël, le champ de compétences et les préroga­
tives des rabbins ne se limitent pas aux circoncisions, aux ques­
tions d’état civil, c’est-à-dire à l’autorisation des mariages, des
divorces, etc.

L’âme d’Israël est le judaïsme, les maîtres des communautés


juives sont et ont toujours été le clergé rabbinique.

À titre d’exemple représentatif du lien étroit existant entre le


judaïsme et Israël, et entre l’Etat et les prêtres, évoquons
ici l’ineffable et fameux Yossef Ovadia (1920-2013), Grand
Rabbin d’Israël qui fut le fondateur et le guide spirituel du Shass,
troisième plus important parti en Israël. Ce Yossef Ovadia,
décédé en 2013, était considéré comme une sommité et son
influence politique était incontestable, au point que le journaliste
franco-israélien Marius Schattner écrivait à son sujet : « II s’est
imposé commefaiseur de rois de la quasi-totalité des gouvernements
israéliens depuis trente ans »294.

Après la mort de Yossef Ovadia, Benjamin Nétanyahou, Pre­


mier ministre israélien, lui a rendu un vibrant hommage en le
qualifiant de « géant de la Torah » et « guide pour une multitude ».
Peu de temps avant sa mort, le rabbin reçut la visite du président
israélien Shimon Peres. Il était aussi important pour les diri­
geants que pour le peuple israélien dont 700 000 personnes à
son enterrement, ce qui représente un dixième de la population
israélienne.

Israël après être passé du socialisme au libéralisme, est en train d ’opérer une
. transition du libéralisme à un régime théocraliquc (voir plus bas).
C u ille Louis, « Disparition d'un « géant de la Torah » » , Le Figaro,
07/10/2013.

183
Le discours et la vision politique de celui qui fut jusqu à sa m ort
récente la plus haute autorité religieuse d ’Israël, se situent dans
la droite ligne de la Bible.

C onform ém ent aux promesses d’extermination des peuples voi­


sins des israélites énoncés dans le D eutéronome et dans le livre
de Josué, le rabbin Ovadia a déclaré au sujet des Palestiniens :
« Puissent-ils disparaître de la Terre. Puisse Dieu envoyer unfléair™
aux Palestiniens, ces enfants d ’Ismaël, ces vils ennemis d'Israël ».2M

E n 2001, Yossef Ovadia, dans un sermon, a appelé 'a l'extermination


pure et simple des Arabes (tous les Arabes et pas seulement les Pales­
tiniens) : « I l est interdit d ’avoir p itié d ’eux. Vous devez envoyer des
missiles et les annihiler. Ils sont mauvais et détestables » et il ajoute
« Le Seigneur retournera les actions des Arabes contre eux-mêmes,
épuisera leur semence et les exterminera, les dévastera et les ban­
nira de ce monde »297.

Les prières, les voeux e t les projets d ’exterm ination et de géno­


cide, ont, comme nous l’avons dém ontré, une origine biblique.
Bien plus que des prières ou de simples déclarations verbales
sur le mode du lyrisme oriental, nous avons m ontré précédem ­
m ent que c’est bien un program m e raisonné, réfléchi et mûri
que m et en oeuvre l’É tat hébreu, et ce depuis toujours. P lan de

295 Nous reviendrons plus bas sur ce fléa u qu’Ovadia appelait de ses vœux. Ce
n ’est pas par hasard qu’Ovadia parle d’extermination par un fléau.
296 Source : Courrier International, L es dérapages incontrôlés du rabbin Ova­
dia Y ossefJ 0/09/2010.
297 S ource : BBC N ew s, R a b b i ca lls f o r a n n ih ila tio n o fA r a b s , 10/04/2010
- U n m em bre de la K nesset, A velet S haked, a appelé durant le bom ­
bardem ent de G aza en ju ille t 2014, à « tuer toutes les m ères p a le sti­
niennes » ; un génocide ingénieux faisant écho à Y ossef O vadia qui
parlait d ’épuiser la sem ence d es A rabes. S ource : P ress Tv, M others o f
a il P alestinians m ust be kille d : israeli M P , 16/07/2014.

184
conquête que les déclarations de Yossef Ovadia ont le mérite
d’exposer au grand jour, et sans la moindre équivoque.

Le projet d’expulsion voire d’extermination se développe et


s’affermit toujours plus sans complexe dans l’esprit des dirigeants
israéliens depuis les déclarations de cette figure de proue d’un
judaïsme archéo-messianique et conquérant puisque ce prêtre ne
fait que revenir au judaïsme originel, celui du don supposé d’une
terre et de la promesse d’une domination sur les nations faite par
un dieu tribal.

En 2012, Yossef Ovadia a appelé tous les juifs à prier pour l’an­
nihilation de l’Iran. Ce qui est intéressant, c’est que, précédem­
ment, des dirigeants du ministère de la Défense, ainsi que le
président du Conseil à la Sécurité Nationale Ya’akov Amidror et
le ministre de l’Intérieur Eli Yishai, avaient rendu visite au rab­
bin pour le persuader de soutenir une éventuelle attaque d’Israël
contre l’Iran. Mais Ovadia avait déjà tenu un discours similaire
à propos de l’Iran, une semaine avant de recevoir la visite de ces
dirigeants israéliens298.

L’interaction entre le politique et le religieux, et l’influence des


rabbins sur les plus hauts dirigeants israéliens est un fait incon­
testable sur lequel nous reviendrons.

Lorsque Yossef Ovadia, ou tout autre rabbin de sa stature, lance


de tels appels, c’est au sens politique qu’il faut les entendre et pas
seulement dans un contexte strictement métaphorique.

Tous ces appels au génocide, à l’extermination des voisins

298 Source : Haaretz, Shas spiritual leader calls on Jew s lo pray fo r annihila­
tion o f Iran, 26/08/2012.

185
d’Israël, sont à prendre au pied de la lettre et à comprendre
comme un projet politique rée] m ontant en puissance à mesure
que l’hystérie des dirigeants (politiques et religieux) israéliens
croît. C ette hystérie est la m anifestation d ’une poussée de fièvre
messianique historiquem ent récurrente depuis les m aîtres de
la communauté juive du H aut M oyen-Age (comme nous l’avons
vu au chapitre I) jusqu’à ce jour.

Si les non-juifs méritent de vivre, selon la Bible et Yossef Ovadia, ce


n’est que pour servir Israël. I l s'est exprimé ainsi au sujet des non-
ju ifs : « Les Goyim (non-juifs en hébreu) sont nés seulement pour
nous servir. Sans cela, ils n'ont pas leur place dans le monde ».
Ne s’arrêtant pas là le rabbin poursuit en expliquant pourquoi
les non-juifs jouissent d ’une significative longévité : « Ils ont
besoin de mourir, mais Dieu leur donne ta longévité. Pourquoi ?
Imaginez qu'un âne appartenant à un j u i f meurt, le juifperdrait son
argent. Ils ont une longue durée de vie pour bien travailler pour
nous ». Le rabbin Ovadia précise encore sa pensée, en parfaite
conformité avec les enseignements bibliques, lorsqu’il avoue très
ingénument : « Pourquoi les goyims sont-ils nécessaires? Ils vont
travailler, ils cultivent, ils récoltent. [...]. C ’e st pourquoi les goyim
ont été créés »™.

Certains, qui n’ont pas lu la Bible, diront que Yossef Ovadia l’a lu
de travers. Bien au contraire, ce grand érudit la connaissait par cœur
et la suivait à la lettre. Yossef Ovadia ne fait que se conformer à ce
passage de la Bible hébraïque que l’o n trouve dans le livre d’Isai'e :

« Des gens du dehors seront là pour p a itre vos troupeaux ; des


f i l s d ’é trangers seront vos laboureurs et vos vignerons. E t vous se-

299 Source : The Times O f Israël, 5 o f Ovadia Y osef’s niost controversial quo-
talions, 09/10/2013.

186
rez appelés prêtres de l'Eternel, on vous nommera ministres de notre
dieu. Vousjouirez de la richesse des nations et vous tirerez gloire de
leur splendeur » (Isaïe, 61:5-6).

D'après la Bible hébraïque, les peuples étrangers vivant près d'Israël


et en Israël ne doivent leur survie qu'a leur statut d esclaves, sans cela,
ils seraient déjà tous exterminés. Servir ou mourir; tel est le destin
des Palestiniens et des peuples voisins d'Israël ou ceux qui sont les
victimes désignées de sa vindicte.

Yossef Ovadia n'est pas une exception dans le monde rabbinique, il


en est l'incarnation, lui qui est considéré comme le maître de la gé­
nération. A-t-on entendu des rabbins se lever contre lui, protester,
le contredire en affirmant textes à l'appui, qu Ovadia s'est égaré

187
du sentier de Dieu ? Absolument pas, pas une fois. I l est même
interdit, d'après le Talmud, la loi, de contredire te maître : « Celui
qui contredit son maitre est comparable à celui qui contredit la
Cbéh'ina (la Présence D ivine) » (G uém ara Sanhédrine 110a)300.

Ben G ourion, qui devint le Prem ier m inistre de l’E ta t d ’Is­


raël en 1948, écrit en 1941 : « I l est impossible d ’imaginer une
évacuation générale de la population arabe sans avoir recours à
la force, voire à la violence »301. E n effet, c’est bien la m éthode
qu’il employa302. Avec cette m éthode, en 1962, Israël avait pris
possession de près de 93 % du territoire situé à l’intérieur de
ses frontières303...

L’ancien ministre de la Défense israélienne M oshc Dayan ra­


conte : « Des villages juifs ont été construits à la place de villages
arabes. Vous ne connaissez même pas le nom de ces villages, et je ne
peux pas vous en vouloir, car les livres de géographie n’e xistent plus,
non seulement les livres n'existent plus, mais les villages non plus. I l
n'y a pas une seule construction dans ce pays qui n'abritait pas des
habitants arabes auparavant »304.

300 Selon le Talmud, qui est la loi juive (prolongem ent de la Torah), les rabbins
ont un statut égal à celui de la Présence Divine. Dans la tradition juive, les
rabbins ont un statut supérieur à celui des prophètes, com m e il est écrit
dans le Talmud : « Le sage (le rabbin) est préférable au prophète » (B ava
Batra 12a).
301 C ité dans N ur M asalha, Expulsion o f the P alestinian, co n c ep t o f « trans­
f e r » in Z ionist Political thought, 1882-1948,1992, p. 128.
302 531 villages arabes furent im m édiatem ent'détruits et 11 quartiers vidés de
leurs habitants. Ilan Pappe, E tlm ic C leansing o f Palestine, 2007, p. 13.
303 Baruch Kimmerling, Zionisni an d terrilon> : The Socio-Territorial D imen­
sions o f Z ionist Politics, Instilute o f International Studies, Berkelev, 1983,
p. 143.
304 Dans Walid Khalidi, .411 thaï remains: The Palestinian tilla g e s O ccupied
a n d D epopttlated by Israël in 19-18, 2006, p. 31.
En 1976, fut rédigé le « Koening Mémorandum » par un im­
portant membre du ministère de l’intérieur israélien, Yisrael
Koening. Ce rapport visait à régler le problème arabe de Galilée
en réduisant leur nombre par divers moyens. Le but final était
l’évincement total des Arabes israéliens, notamment par l’expro­
priation et l’intensification de la colonisation juive.

En juillet 2014, durant l’assaut mené par Israël sur Gaza - tuant
de façon indiscriminé combattants et civils, hommes, femmes,
enfants et vieillards (comme il est ordonné dans le Deutéronome
et le livre dejosué) -M oshe Feiglin, vice-président du parlement
israélien (la Knesset) et membre du parti Likoud (parti au pou­
voir en Israël actuellement), a proposé un plan pour Gaza (ville
peuplée exclusivement de palestiniens musulmans et chrétiens).
Dans ce plan le chef parlementaire préconise d’expulser toute la
population de Gaza vers l’Egypte, dans le Sinaï. Comme dans
le Livre de Josué, Feiglin explique sereinement qu’il faut dé­
truire toutes les infrastructures de Gaza avec une puissance de
feu maximale - « Ils brûlèrent la ville et tout ce qui s'y trouvait »
(Josué 6:24) - et il précise : « sans considération pour les boucliers
humains » ; ce qui signifie en clair qu’il faut écraser les gens qui
n’ont pas accepté de quitter Gaza pour le Sinaï, afin d’épurer
ethniquement toute la ville.

Feiglin appelle les Gazaouis (sans exception d’âge ou de sexe),


« la population ennemie», conformément au Livre de Josué : « E t
l'on appliqua l'anathème (extermination de masse et immolation
collective) à tout ce qui était dans la ville ; hommes etfemmes, en­
fants et vieillards » (Josué, 6 :21). La population civile représente
un ennemi devant disparaître d’une façon ou d’une autre, sans
aucune distinction ni considération extrinsèque à l’instar du
Livre de Josué.

189
Le plan Oded Yinon

Au cours de l’année qui vit l’invasion du Sud-Liban, en 1982,


par l’armée israélienne, un plan ambitieux de redécoupage du
Proche-O rient fut dessiné par un certain O ded Yinon.

O ded Yinon était selon toute vraisemblance un fonctionnaire du


ministère des Affaires étrangères israélien. Il rédige en 1982 un
plan intitulé <n4 Strategy fo r Israël in the 1980s»30S (Une stratégie
pour Israël dans les années 1980) ; ce document a été traduit de
l’hébreu en anglais par l’universitaire Israël Shahak, président de
la ligue israélienne pour les droits humains et civils306.

Le projet de ce plan ne concerne pas le seul Proche-Orient, mais tout


le monde musulman307, des Colonnes d’Hercule à l’Hindou Koush.
Lîobjectif est de faire éclater tous ces pays en micro Etats ethno-
confessionnels par une stratégie (toujours la même) d’opposition
entre eux des différents groupes ethniques et confessionnels présents
au sein des pays musulmans.

305 Paru en hébreu dans K l'L .M M , A Journal f o r Judaism an d Zionism ; Is­


sue N °, 14-Winter, 5742, February 1982, Ediior : Yoram Beck. Editorial
C om m ittee : Eli Eval, Yoram Beck, A m non Hadari, Yohanan M anor, Elie-
ser Schweid. Published bv the D epartm ent o f Publicily/The World Z ionist
Organisation, Jerusalem .
306 Oded Yinon’s « A slralegy f o r Isra ë l in the X in etee n E ighties »,
Published by the A ssociation o f A rab-Am erican University G raduates,
Inc., Belm ont, M A, 1982. Traduction en français à partir de l’anglais, « Le
Plan sioniste po u r le M oyen-O rient », Sigest, 2015.
307 C e qui sera l ’aire géographique couverte par le G ivater M iddle East Ini­
tiative de 2002.

190
Créer des essaims de micro-États sectaires procurerait à Israël
la légitimité morale et créerait autant d’occasions potentielles
de guerres tout en permettant l’expansion d’Israël vers ses fron­
tières bibliques (et devenir ainsi un Etat impérial). L’archétype
de l’État sectaire est actuellement incarné par Daech, entité qui
s’étend de l’Irak à la Syrie sur des territoires justement convoités
par l’impérialisme sioniste.

Dans son introduction, Oded Yinon, fait remarquer une chose


très pertinente à propos des nations arabes créées par les an­
glo-français dans le cadre des accords de Sykes-Picot, à savoir
que « le monde arabo-musulman a été construit comme un château de
cartes temporaire p ar des étrangers dans les années 1920, sans que
les vœux et les désirs des habitants aient étépris en compte ».

- Ce premier découpage du Proche-Orient a ouvert la voie à un second


reformatage, celui auquel nous assistons maintenant au seul avantage
d’Israël.

Dans ce document, Oded Yinon, après avoir dressé un état du


monde musulman du Maroc à l’Afghanistan - en prenant soin
pour chacun de ces pays de tracer les lignes de fracture ethno-
confessionnelles - établit les objectifs que doit se fixer Israël :

Il commence par la Palestine et écrit : « Après la Gneire


de Six Jours, nous aurions pu nous préserver de tout conflit
amer et dangereux si nous avions donné la Jordanie aux
Palestiniens vivant à l ’ouest du Jourdain. En faisant cela,
nous aurions neutralisé le problème palestinien auquel nous
faisonsface aujourd'hui ».

La présence palestinienne est un caillou dans la


chaussure de l’État hébreu qui ralentit sa marche vers

191
le G rand Israël. Le plan Feiglin (2014) - évoqué plus
haut — préconisant le déplacement des Gazaouis vers
le Sinaï, est la continuité du plan Yinon. C ’est dans
cette perspective que nous pouvons com prendre les
bombardements réguliers à deux ou trois ans d ’intervalle
sur la population de Gaza, le but étant de les pousser
vers la sortie, la Jordanie ou le Sinaï.

En ce qui concerne le Sinaï, après avoir fait un état des


lieux, il écrit que « récupérer » la péninsule du Sinaï avec
ses ressources (pétrole) est une priorité politique pour
Israël qui a été obstruée par l’accord de paix de Camp
David (1978).

Ce projet de récupération du Sinaï est une obsession is­


raélienne, qui trouve son origine dans les récits bibliques
rendu vivants et réactivés par le messianisme, mais aussi,
comme le souligne Yinon, dans des motivations straté­
giques, économiques et énergétiques sur le long terme.
Idem pour G aza dont le plateau continental recèle une
formidable poche de gaz baptisée « Léviathan » qui se pro­
longe d’ailleurs aux abords du Sinaï.

D ’ailleurs, Yinon précise que l’Egypte doit procurer un


prétexte à Israël pour qu’il puisse occuper une nouvelle
fois le Sinaï. Nous pensons que la présence de groupes
terroristes dans le Sinaï pourrait offrir ce prétexte dans
le moyen terme.

Il décrit l’Egypte comme un cadavre et explique que


l’objectif politique d’Israël est d’exploiter le « fossé »
existant entre chrétiens et musulmans pour diviser
l’Egypte en deux régions géographiquem ent distinctes.

192
Il précise aussi que l’éclatement de l'Égypte provo­
querait aussi l’éclatement de la Libye (chose faite au­
jourd’hui « grâce » à la guerre franco-britannique sous
direction américaine et « pilotée » par le fauteur de
guerre Bernard-Henry Levy, homologue français de
l’anglo-américain Bernard Lewis sur lequel nous re­
viendrons) et du Soudan (aujourd’hui divisé en deux
Etats sur fond de guerre ethno-confessionnelle) ainsi
que d’autres pays plus éloignés de l'Egypte ; l’effet do­
mino en quelque sorte.

Puis, il dresse le plan pour ce qu’il appelle Le Front de


l ’Est. Il explique que la dissolution du Liban en 5 États
servira de précédent pour tout le monde arabe, incluant
l’Égypte, la Syrie, l’Irak et la Péninsule arabique.

Il écrit : « La dissolution de la Syrie et de l'Irak en régions


ethniques ou religieuses comme au Liban, est le premier ob­
jectifd'Israël sur lefront de l ’E st dans le long terme, tandis
que la dissolution de la force militaire de ces Etats sert de
premier objectifsur le court terme ».

A l’heure où nous écrivons, l’État irakien a été détruit,


le pays est dans une situation chaotique et il est en
partie occupé par une entité étatique créée de toute
pièce : Daech.

La Syrie, qui tient encore debout, fait face à une crise


majeure dont l’origine est évidemment la même. D’ailleurs,
Yinon écrivait au sujet de la Syrie qu’elle devra être divi­
sée : « Il y aura le long de sa côte un État chiite alaouite, un
Etat sunnite dans la région d'Alep, un autre Etat sunnite à
Damas hostile à ses voisins du nord et les druzes qui vont ins-

193
taller un État, peut être dans notre Golan et certainement dans I
le Hauran et dans le nord de la Jordanie. Cette situation sera
la garantie de la paix et la sécurité dans la région sur le long
terme, et cet objectifest déjà à notre portée aujourd'hui ».

À propos de l’Irak , Y in o n é crit très c la ire m en t :


« L ’Irak, riche en pétrole d ’un coté et déchiré de l'autre,
est garanti en ta n t que candidat comme cible d ’Israël. Sa
dissolution est même plus importante pour nous que celle i
de la Syrie. Sur le court terme c’est la puissance irakienne
qui constitue la plus grande menace pour Israël... Toute
sorte de confrontation interarabe nous assistera dans le
court terme et nous raccourcira le chemin pour le plus
im portant objectif de dém em brem ent de l ’I rak comme
en Syrie et au Liban. E n Irak, la division en provinces
ethniques et religieuses est possible comme en Syrie durant
la période ottomane ».

Pour donner un autre exemple de cette stratégie is- ,


raélienne nous citerons Ze’ev Schiff, le correspondant
militaire du journal israélien Haaretz - et qui était un [
des plus grands spécialistes en Israël dans ce domaine
- qui écrivit : « Le mieux qui pourrait arriver pour les 1
intérêts d ’Israël en Irak est la dissolution de l ’I ra k en un
E ta t chiite, un É ta t sunnite et la séparation de la partie
kurde. » (H aaretz, le 02/06/1982).

Pour ce qui est de la Péninsule arabique, Yinon s’exprime


en ces termes : « La Péninsule arabique entière est candidate
à la dissolution en raison de ses pressions internes et externes, et
la chose est inévitable, spécialement en Arabie Saoudite. Indé­
pendamment dufa it que ses ressources pétrolières restent intactes
ou diminuent dans le long terme, les fractures internes et les

194
ruptures sont une évidence et un développement naturel a la
lumière de la présente structurepolitique. »

Bien que l’Arabie Saoudite soit une alliée d’Israël, le


régime saoudien moribond est trop aveuglé pour avoir
une véritable vision politique et géopolitique sur le
long terme. Les dirigeants saoudiens semblent ignorer
jusqu’à l’existence même de ce plan, alors qu’ils sèment
le chaos —dont ils subiront les conséquences —près
de leurs frontières (en Irak et au Yémen) au profit du
Grand Israël. Leur fin est proche.

Pour la Jordanie, l'analyse est la suivante : « La Jordanie est


une ciblestratégique immédiate dam lecourt terme, maispaspour
le long terme, parce quelle ne constituepas une vrai menace sur le
long terme après sa dissolution, lafin du long règne du roiHussein
et le transfert depouvoir aux Palestiniens dam le court tenue ».

Le « problème » palestinien pour Israël ne se réglera que par


le transfert de la population palestinienne vers la Jordanie, ce
qui passera par la chute de la monarchie jordanienne au profit
du Hamas-Frères Musulmans ou de Daech (ce qui est le plus
probable).

Oded Yinon ajoute enfin que la population juive doit


être moins dense en Israël ; qu’est-ce que cela implique ?
Nous l’expliquerons.

195
Le 11 septembre 2001

Il est évident que ce redécoupage du P ro ch e-O rien t planifié


par Israël devait être conduit par une puissance tierce. Nous
avons m ontré que depuis le X V I' siècle avec Solomon M olcho
et David Reuveni, les rabbins messianistes et les sionistes à
leur suite, font systém atiquem ent accomplir leurs projets
par d ’autres. La G rande-B retagne a chassé les O ttom ans
de la Palestine, créé le foyer juif, découpé le Proche-O rient
avant d’en être évincée elle-même. D epuis la fin de la Seconde
G uerre mondiale, les sionistes, après setre débarrassés des
Britanniques, ont chevauché une nouvelle monture : les Etats-
Unis. Cette nouvelle reconfiguration du Proche-O rient, ce sont
les États-U nis qui l’entameront, à leurs frais, au profit et pour le
compte principal d ’Israël.

Le Général américain Wesley Clark, ancien com m andant géné­


ral de VUS European Command et ancien com m andant suprême
des forces de l’OTAN, a déclaré le 2 mars 2007, qu’on lui avait
présenté au Pentagone, quelques semaines après le 11 septembre
2001, une note indiquant comment l’administration américaine
devait envahir 7 pays dans un délai de 5 ans, en com m ençant par
l’Irak, suivie de la Syrie, du Liban, de la Libye, de la Somalie, du
Soudan, et pour finir de l’Iran. L e Général C lark a précisé qu’à
cette époque ce projet était classé secret d ’É tat309.

309 Voir l’interview donnée par Wesley C lark à Dem oeraey Novv, le 4 m ari
2007 : http://www .dem oeracynow.org

198
Les attentats du 11 septembre 2001 ont ainsi de toute évidence
servi de prétexte et de justification au remodelage du Proche-
Orient par les Etats-Unis. Nous devons garder en tête que la
tradition géopolitique américaine est en principe, eu égard à la
“Doctrine Monroe”, et contrairement à ce que l’on pourrait croire,
isolationniste. Ce que les faits contredisent si l’on a en mémoire
que les Etats-Unis depuis qu’ils ont été fondés en 1776, ont été
en guerre 214 ans sur les 235 de leur existence, la plupart du
temps sur des fronts extérieurs, du Pacifique à l’Atlantique. La
seule fois où l’Amérique a connu cinq années de paix consécutives
fut durant la Grande Dépression de 1935 à 1940.

Parallèle avec la Première Guerre mondiale

Pour faire entrer les États-Unis dans la Première Guerre mondiale,


le prétexte fut le suivant : les Britanniques ont intercepté un
supposé télégramme allemand destiné au Mexique invitant les
Mexicains à attaquer et à conquérir des États du sud américain.
Une histoire surréaliste, d’autant plus que les Allemands étaient
en train de gagner la guerre et n’avaient aucun avantage à tirer
d’une action aussi extravagante. Cette histoire était destinée au
public américain dans le but de lui faire accepter l’entrée des
États-Unis dans une guerre qui ne les concernait pas et dont il
ne voulait pas : le président Roosevelt ne setait-il pas fait réélire
en 1939 sur le refus de la guerre et la promesse de se tenir à
l’écart des questions européennes ?

L’opinion publique américaine étant opposée à toute partici­


pation à la guerre sur le continent européen alors, pour modi­
fier l’état d’esprit du peuple américain en faveur de la guerre, la

199
M aison-Blanche créé le 13 avril 1917 la Commission on Public
Information (C PI) aussi appelée Commission Creel, du nom du
journaliste qui l’a dirigée, George Creel (1876-1953).

C ette commission était composée de journalistes, d ’intellectuels,


de publicistes et fut un laboratoire de la propagande moderne
utilisant tous les moyens de diffusion : radio, presse écrite, bro­
chures, films, posters, caricatures, journaux illustrés, d ’innom ­
brables tracts, images et documents sonores. Elle était aussi
composée d’une Section étrangère (Foreign Section) possédant
des bureaux dans une trentaine de pays, et d ’une Section inté­
rieure (Domestic Section), qui ém irent des milliers de communi­
qués, firent paraître des millions d ’affiches, dont la célèbre I w ant
you fo r US Arm y avec l’Oncle Sam le doigt pointé vers le passant
innocent.

La commission Creel inventa le « Four M inute M en » : des


dizaines de milliers de volontaires, souvent des personnalités
à la notoriété confirmée, prenaient la parole publiquem ent en
faveur de l’action gouvernementale et en poussant à la haine de
l’e nnem i310. Toutes ces méthodes, nous l’avons vu, ont été utili­
sées durant le X X ' siècle, et aujourd’hui plus que jamais.

310 Voir le livre d ’un des pères de cette propagande m oderne et qui était un
m em bre de la Com m ission Creel et aussi le neveu de Sigm und Freud, E d­
w ard Bernays (1891-1995) : Propaganda, C om m ent m anipuler l'opinion
en dém ocratie, publié en 1928, réédité en 2007 aux éditions Zones. Edward
Bernays a affiné les techniques de propagande en com binant les travaux de
Gustave Le Bon sur la psychologie des foules et ceux de S igm und Freud. À
ce titre il conseilla les grandes com pagnies am éricaines ; c ’est lui qui, pour
le com pte des producteurs de cigarettes, conduisit les femm es am éricaines
à acheter et fum er des cigarettes en leur faisant croire que c ’était un signe
de « libération » de la femm e. Au début des années 1950, en collaboration
avec la CIA, il orchestra des cam pagnes de déstabilisation en Am érique
latine.

200
Zbignicw Brzezinski, un des géostratèges les plus influents des
Etats-Unis, et certainement le plus brillant, écrit ceci dans son
essai « Le Grand échiquier » paru en 1997 : « L ’opinion publique
américaine a toujours adopte une attitude ambivalente à l égard des
interventions extérieures. Si elle s'est ralliée à Ventrée de l'Amérique
dans la Deuxième Guerre mondiale, c'estpour l'essentiel à la suite du
choc provoqué par Vattaque japonaise sur Pearl Harbor. L'engage­
ment dans la Guerrefroide s'est heurté à defortes réticences, balayées
seulement lors du blocus de Berlin et de la Guerre de Corée. Après
la fin de la Guerrefroide, lefa it que les Etats-Unis deviennent la
seule puissance globale n'a guère suscité d'enthousiasme. Beaucoup
d'Américains restent isolationnistes. Des sondages organisés en 1995
et 1996 ont montré que la majorité d'entre euxpréférait lepartage au
monopole de la puissance. »3n. Brzezinski sous-entend clairement
que seule une attaque directe ou indirecte contre les Etats-Unis
peut amener lopinion publique américaine à soutenir de nou­
velles guerres312.

311 Zbigniew Brzezinski, Le grand échiquier. L Amérique et le reste du monde,


1997/2002, p. 50.
312 Lire à ce sujet : Franklin D. Roosevelt de Curtis B. Dali, 2015, Éditions
Sigest.

201
Des études poussées autour des attentats du 11 septembre 2001
par des scientifiques, des analystes et des esprits critiques du
m onde entier, ont démontré les incohérences de la version offi­
cielle, mais aussi l’implication vraisemblable des services secrets
américains et israéliens aux côtés de leurs homologues saoudiens
et pakistanais.

Voyons à présent quelques éléments qui nous perm ettent de


suivre la continuité historique du projet sioniste à l’époque
contemporaine.

D u messianisme conquérant à l ’accomplissement du Plan Yinon


via le 11 septembre

L e huitièm e président d ’Italie, Franccsco Cossiga, déclara le


30 novembre 2007 au journal Corriere délia Sera : « On nousfa it
croire que Ben Laden aurait avoue' l ’attaque du 11 septembre 2001
sur les deux tours à N ew York - alors qu’en fa it les services secrets
américains et européens savent parfaitement que cette attaque désas­
treuse f u t planifiée et exécutée par la CIA et le Mossad, dans le but
d ’accuser les pays arabes de terrorisme et de pouvoir ainsi attaquer
l ’Irak et l ’A fghanistan. »313.

D u ra n t une interview donnée le 2 novembre 2007 à David Frost,


journaliste à Al-Jazira, Benazir B hutto affirme qu’O ussam a Ben
Laden a été assassiné par O m ar Sheikh, un agent des services
secrets pakistanais, l’ISI (Inter-Services Intelligence), qui joua
un rôle-clé dans les attentats du 11 Septem bre. L e 27 décembre

313 Sccondo il présidente em crito délia republica Franeesco C ossiga, Osa-


m a-Berluscom ? « Trappola giornalistica », C orriere D élia Sera.il,
30/11/2007.

202
2007, l’ex-Premier ministre du Pakistan Benazir Bhutto fut
tuée dans un attentat-suicide, dont les commanditaires n’ont
pas été identifiés.

L’ancien ministre de la défense allemand (1976-1980), Andréas


von Bulow écrivit un livre en 1998 évoquant les pratiques crimi­
nelles de la CIA, du Mossad et du BND (les services de rensei­
gnements allemands). En 2002 il publie un livre ayant pour titre
La CIA et le 11 septembre dans lequel il affirme que les attentats
du World Trade Center sont le fait d’un complot intérieur aux
États-Unis.

Andréas von Bulow fut notamment ministre d’État à la Re­


cherche (1980-1982), député fédéral SPD (parti socialiste) et
pendant 30 ans professeur de droit à l’Université de Heidelberg.

La U.S. Army Schoolfor Advanced Military Studies a rendu un


rapport cité par le Washington Times la veille du 11 septembre,
dans lequel il décrit le Mossad, les Services spéciaux israéliens,
comme suit : « Sournois, impitoyable et ruse'. Capable de commettre
une attaque sur les forces américaines et de les déguiser en un acte
commis par les Palestiniens/Arabes. »31J. Cette réalité, nous l’avons
évoquée plus haut avec les attentats de 1954 et 1967 commis par
les Israéliens contre des cibles américaines en Egypte.

Le jour des attentats, la police new-yorkaise arrête cinq indivi­


dus en liesse se prenant en photo devant les tours en flammes. Il
s’est avéré qu’ils étaient des agents du Mossad115.

314 Rowan Scarborough, U.S troops wottld en/orce peace Lnder Army sttidy,
The Washington Times, 10/09/2001.
315 « Vehicle possiblv relatetl to Atnr York terrorist atlack. U'hite. 2000
Chevrolet van with .Veit* Jersey registration with ’Lrban Moving Systems
sign on back seen at Liberty State Park. Jersey City. AJ, at the tinte o f

203
Les cinq agents s’appelaient Sivan et Paul Kurzberg, Yaron
Shmuel, O ded Ellner et O m er Marmari. Lors de leur arrestation,
Sivan Kurzberg aurait d it aux policiers : « On est Israéliens. On
n'est pas votre problème. Vos problèmes sont nos problèmes. Les Pa­
lestiniens sont le problème »316. Les sources policières qui sont citées
par le journaliste Paulo Lima ont déclaré : « I l y avait des cartes
de la ville dans le van avec certains points surlignés. On aurait dit
qu'ils étaient au courant\ qu’ils savaient ce qui allait se passer lors­
qu'ils étaient à Liberty State Park. »317. Le Mossad utilisait appa­
rem m ent une société de déménagement, Urban M ovitig Systems,
comme couverture, dans laquelle « travaillaient » les cinq individus
en question. Le patron de cette société quittait les Etats-Unis, le
14 septembre, à destination d’Israël, immédiatement après avoir
reçu une visite domiciliaire de la part du FBI, et aurait bénéficié
d’un prêt fédéral de 498 750 dollars ; information révélée par les
archives du fisc318.

D e plus, une trentaine d ’agents israéliens se faisant passer pour


des étudiants en art vivaient à proximité de 15 des 19 prétendus
pirates de l'air. Par ailleurs, un article du N ew York Times du 18
février 2009 révèle qu’Ali al-Jarrah, cousin d ’un pirate du vol

fir s t impact o fjetlin e r into World Trade Cetuer. Three iudividiials w ith van
were seen celebrating a/ter initial im pact an d subséquent explosion » (Rai-
mondo, The Terror Enigma, p. 11). Inform ation rapportée le lendem ain par
Paulo Lim a dans The Record, d ’après des sources policières.
316 « We are Israelis. We are not y o u r problem. lo u r problcm s are our
problems. The Palestinians are yo u r problem », Hicham H am za, L e G rand
Tabou, ch. 2.
317 « There are niaps o f the city in the car witli certain places highliglited. It
looked like tliey're hooked in with this. It looked like thev knew what iras
going to liappen w hen they were at L iberty State P ark ». Raim ondo, The
Terror Enigma. p. 11.
318 Inform ation révélée par un m agazine de la com m unauté juive new -yorkaise,
The Fonvard, 15/03/2002.

204
UA93, Ziad al-Jarrah, avait été pendant 25 ans espion pour le
Mossad, infiltré dans la résistance palestinienne et dans le Hez­
bollah depuis 1983.

En février 2015, alors que nous rédigeons ces lignes, nous appre­
nons que dans le cadre d’un scandale financier appelé SwissLeaks
et portant sur un vaste système d’évasion fiscale - révélé par une
centaine de journalistes à travers le monde et auquel est mêlé une
filiale de la banque britannique HSBC —un agent du Mossad,
qui trempait dans le trafic d’armes, de diamants et de drogue,
aurait avoué avoir aidé financièrement les terroristes du 11
septembre. Cet agent du Mossad résidant au Panama s’appelle
Shimon Yalin Yclinek319.

Last but not least, le journal israélien Haaretz a rapporté que Ben­
jamin Nétanyahou, le Premier ministre israélien, a déclaré que
son père avait prévu les attentats du 11 septembre 2001 dans les
années 1990. Nétanyahou a tenu ces propos lors de la cérémonie
d’anniversaire de son père, le 7 mars 2010 (t 2012) au Menachem
Begin Héritage Center, en présence de nombreuses personnalités,
dont le président Shimon Peres.

Le 17 avril 2008, le journal israélien, Maariv, rapportait de son


côté que Nétanyahou avait déclaré, lors d’une conférence à l’uni­
versité Bar Ilan, que les attentats du 11 septembre avaient été
“bénéfiques' à Israël. Nétanyahou a ajouté : « Nous profitons d'une
chose, ce sont les attentats contre les Toursjumelles et le Pentagone, et
l'attaque américaine contre l'Irak. Ces événements ontfait basculer
l'opinion publique américaine en notrefaveur ».

319 Voir le détail de cette affaire dans l’article du journaliste Hicham Hamza :
http://mvw.panam2a.com/150215-swissleaks-alqaida-mossad

205
L e père de Nétanyahou, Ben-Tzion N étanyahou est celui qui
élabora le concept m édiatique de terrorisme in ternational320
et il est le fondateur du Jonathan In stitu te, anim é notam m ent
p a r B e n ja m in N é ta n y a h o u e t G e o rg e H . B u sh dans
les années 1980-90 ; un in stitu t do n t le trésorier est Larry
Silverstein, celui qui avait acheté et fait réassurer contre le
terrorisme le W orld Trade C enter quelques semaines avant les
attentats du 11 septembre. L’homme est également le trésorier
des campagnes électorales de Benjamin Nétanyahou.

L e prétexte de la guerre contre la terreur

A lors que les ruines du W orld Trade C en ter sont encore


fum antes et que les A m éricains pleurent, les réseaux israéliens
vont se m ettre en action pour pousser les E tats-U n is à attaquer
les pays désignés depuis 1982 comme cibles par O d ed Y inon.

Les attentats du 11 septembre 2001 ont permis à Israël de faire


passer une énorme vessie pour une lumineuse lanterne : faire
croire aux A m éricains qu’Israël et les E tats-U n is faisaient
face à une même menace : le terrorisme internationalce concept
inventé par le père de Benjamin N étanyahou. U n concept qui
crée la confusion entre l’authentique terrorisme w ahhabite ou
israélien et les actes - souvent des provocations - imputés ou
imputables aux résistances arabes, en particulier palestinienne.

320 Journal I laaretz, Benzion Xetanyahu, /a llie r o f Prime M inister Benjamin


Nelanyahii. d ie s a l 1 0 2 ,30/04/2012.

206
Ariel Sharon, alors Premier ministre d’Israël, à la fin de l’an­
née 2001, était allé à ce propos aux Etats-Unis pour prêcher la
guerre, et il leur dit : « Vous, ici en Amérique, vousfaites la guerre
au terrorisme. Nous, en Israël, nousfaisons la guerre au terrorisme. Il
s’agit de la même guerre. »321

Au cas où les Américains n’auraient pas encore compris, en 2002, Ben­


jamin Nétanyahou s’adressa au Sénat américain et leur livra la bonne
parole : « Si nous nefermonspas immédiatement les usines de la terreur où
Arafatfabrique des bombes humaines, alors ce sont vos villes que viendront
bientôt terroriser les knmikazes. Si on ne se débarrassepas de cettefolie, alors
ellefrappera vos bus, vos supermarché, vos restaurants, vos cafés ».

Dans une tribune que Nétanyahou fit paraître dans le Chicago


Sun Times, on voit très clairement apparaître le fait que le 11
septembre n’est qu’un prétexte à la reconfiguration du Proche-
Orient : « Que l'Amérique renverse le régime des Taliban en
Afghanistan, et le réseau Al-Qaïda se désagrégera de lui-même. Les
Etats-Unis doivent à présent agir de la mêmefaçon avec les autres
régimes de terreur —l ’Iran, l ’Irak, la dictature de Yasser Arafat, la
Syrie et quelques autres ».322

Seulement deux jours après les attentats du 11 septembre, Ehoud


Barak, qui une heure après les attentats désignait déjà sur un pla-

321 Sharon est cité dans William Satire, « Israël or Arafat », Xew York Times,
3 décembre 2000 ; le haut fonctionnaire anonyme est cité dans Robert G.
Kaiser, « Bush and Sharon Neariy Idcnticai on Mideast policv », H’as-
hington Post, 9 février 2003. Voir aussi Nathan Guttman, « A Marnage
Cemented by Tcrror », Salon.com, 24 février 2006. Rapporté par Walt et
Maersheimer, Le Lobby pro-israêlien et ta politique étrangère américaine,
p. 74.
322 « Netanvahu Speech before the U.S. Senate », 10 avril 2002, téléchargé sur
www.netaiiyalm.orgSnetspeacinse.html ; et Benjamin Netahyahou, « Three
Principle Key to Defeai o f Terrorism », Chicago Sun Times, 7 janvier 2002.

20 7
teau télé Ben Laden comme le coupable, donnait dans la foulée
la liste des pays que les Etats-U nis devaient attaquer au nom de
la lutte contre le terrorisme323.

E n 2002, à la conférence annuelle du puissant lobby pro-israé-


lien A IPA C, dont le thème était « L ’A mérique et Israël contre
le terrorisme », les discours tournaient autour de la « menace »
commune aux Etats-U nis et à Israël représentées par le vieux et
fatigué Yasser Arafat, O ussama Ben Laden (l’ancien employé de
la C IA ), les Talibans (armés et soutenu par la même C IA via les
Services spéciaux pakistanais), le H am as, le Hezbollah, l'Iran et
la Syrie324.

Messianistes israéliens et néoconservateurs


américains

En avril 2002, le tbink tank néoconservateur américain PN A C


{Project fo r the N ew American Century) a publié une lettre ou-

323 Dans une tribune du Times Ehud Barak écrit : « L es gouvernem ents de ce
m onde savent exactem ent qui sont les terroristes et quels sont les États
voyous qui les soutiennent. Il existe des preuves que des p a y s com m e l'Iran,
l Irak, la Libye, le Soudan et la C orée du N ord ont soutenu le terrorisme,
alors que personne n ‘a besoin qu 'on lui rappelle le carnage provoqué p a r
les terroristes du Hamas, du Hezbollah, du Jih a d islam ique et m êm e de
l'O L P de Yasser Arafat ». Ehud Barak, « D ém ocratie U nit) is the Onlv
A nsw er to Terrorism », The Times (Londres), 13 septem bre 2001.
324 D ana H eam , « AIPAC Policy Conférence, 21 -22 April 2002 », Journal o f
Palestine Studies 31, n° 4, été 2002, pp. 66-79.

208
verte signée de plusieurs personnalités juives, William Kristol,
Richard Perle, Daniel Pipes, Eliot Cohen, Norman Podhoretz
et de non-juifs William Bennet, R. James Woolsey ainsi que de
vingt-huit autres néoconservateurs de premier plan, destinée au
président Bush : « Personne ne devrait douter que les États- Unis et
Israël ont un ennemi en commun. Nos deuxpays sont la cible de ce que
vous [GW Bush] avez à juste titre appelé « l ’Axe du mal ». Comme
l ’a souligné le secrétaire d ’E tatà la Défense Donald Rumsfeld, l ’Iran,
l ’Irak et la Syrie « encouragent etfinancent une culture d'assassinats
politiques et d'attentats à la bombe contre Israël, tout comme ils ont
soutenu des campagnes de terrorisme contre les États-Unis. Monsieur
leprésident, vous avez déclaré la guerre au terrorisme international.
Israël est engagé dans la même guerre »32s.

Au vu de la chronologie des déclarations, l’on voit mieux que les


néoconservateurs américains n’ont en réalité fait qu’appliquer
un plan élaboré à l’avance par les stratèges israéliens, par leurs
épigones américains ou par leurs agents d’influence implantés
au cœur de la citadelle du pouvoir américain...

Les chrétiens néoconservateurs américains sont les héritiers


des protestants évangélistes et puritains messianistcs
anglais du XVIIe siècle dont nous avons parlé plus haut. Mais
ne nous y trompons pas, les racines du néoconservatisme
sont essentiellement vétérotestamentaires c'est-à-dire
messianiques’26 ne serait-ce que par leur appartenance d’origine

325 « Lctter to Président Bush on Israël, Arafat, and the World on Terrorism »,
Project fo r tltc .Vt'ir American Century, 3 avril 2002, en ligne sur \nru;
ne\\'amencancentury.0rg'bushletier-04ü302.htm
326 Voir Murray Friedman qui explique que le néoconservatisme est
une invention juive dans The Xeoconservative Révolution : Jewisli
Intellectuals and the Shaping o f Public Policy. Voir l’article de Gai
Beckerman dans le journal de la communauté juive new yorkaise The

20 9
au socialisme révolutionnaire d’obédience trotskyste. N otons que
le noyau dur des néoconservateurs américains est essentiellement
com posé de ju ifs o ccu p an t des postes d ’influence dans
d ’influentes organisations, fondations et institutions politiques
à l’image d’E lliott Abrams, K enneth Adelman, Douglas Feith,
Richard Perle, Paul Wolfowitz ; dans le milieu journalistique
on trouve de même, David Brooks, Charles Krauthammer,
W illiam Kristol, Bret Stephens et N orm an Podhoretz ; parmi
les universitaires néoconservateurs juifs, nous trouvons Eliot
Cohen, Aaron Friedberg, R uth Wedgwood et le très im portant
Bernard Lewis, historien pro-israélien - qui a laïcisé la stratégie
du Choc des civilisations et en à fait un concept (voir infra),
repris e t popularisé par son ancien assistant, le géopolitologue
Samuel H u n tin g to n - ; dans le milieu des experts remarquons
M ax Boot, David Frum , Reuel M arc G erecht, R obert Kagan,
M ichael Ledeen, Joshua M aravchik, D aniel Pipes, D anielle
Pletka, M ichael Rubin et M eyra W urmser.

Le néoconservateur ju if M ax Boot (m entionné ci-dessus) a dit


fort clairement que le « soutien d'Israël est l'un des principes clés
du néoconservatisme »327. C om m e le font remarquer les univer­
sitaires américains de renom John J. M earsheim er et Stephen
M .W alt : « Le néoconservatisme est un sous-ensemble du mouve­
ment pro-israélien. Les juifs américains sont au centre du mouve­
ment néoconservateur, de la mêmefaçon qu’ils composent la majeure
partie du lobby »328.

Forward, « The N eoconservative Persuasion », 6 janvier 2006.


327 M ax Boot, « W hal the Heck is a 'N e o co n ' ? », Wall S tivel Journal, 30
décem bre 2002.
328 Walt et M earsheim er, op. cit. p. 146.

210
L ’omnipotence du lobby pro-israélien aux États-Unis

L’essai sur les groupes de pression sionistes aux États-Unis de


deux prestigieux universitaires, John J. Mearsheimer et de Ste-
phen M. Walt déjà cité en amont, démontre abondamment
qu’un puissant lobby pro-israélien pousse depuis les années 1940
l’Amérique à apporter un soutien polyvalent, militaire, écono­
mique, politique et diplomatique, à l’État d’Israël, cela au-delà
de toute raison et de toute proportion, et le plus souvent contre
les intérêts mêmes des États-Unis329. L’étude de Walt et Mear­
sheimer démontre en outre que la relation des États-Unis avec
Israël, depuis la défaite de l’Allemagne, a évolué vers une indé­
cente soumission des États-Unis à l’égard de son allié. Mitchell
Bard, directeur d’une société de coopération américano-israé-
Üenne, et Daniel Pipes, journaliste néoconservateur juif améri­
cain mentionné plus haut, ont à ce sujet déclaré : « D'un certain
point de vue, les Etats-Unis et Israël entretiennent peut-être la re­
lation la plus extraordinaire de l ’histoire de la politique internatio­
nale »330.

Mais cette relation qu’entretiennent Israël et les États-Unis nuit


gravement à ceux-ci, comme elle a nui naguère à la Grande-
Bretagne. Walt et Mearsheimer relèvent les faits suivants :
« De nombreuses décisions prises au nom d ’Israël compromettent
aujourd'hui la sécurité’ nationale des États-Unis. Le soutien sans
bornes à l'État hébreu ainsi que l'occupation israélienne prolongée
des territoires palestiniens alimentent l'anti-américanisme dans
le monde arabo-musulman, renforçant la menace du terrorisme

329 A titre d’exemple, de 1948 à 2005, l’assistance directe, économique et mi­


litaire fournie par les États-Unis à Israël atteint les 154 milliards de dollars
(en dollars constants). Walt et Mearsheimer op. cit. p. 36.
330 Cité par Walt et Mearsheimer. op. cit. p. 61.

211
international et compliquent la tâche de Washington lorsqu’il s’agit de
traiter d'autres problèmes, tels que le programme nucléaire iranien.
É ta n t donné l ’impopularité des États-U nis au Proche-Orient
aujourd'hui, les dirigeants arabes qui, en temps normal, auraient
partagé les objectifs américains ne sont pas pressés de nous apporter
ouvertement leur soutien, une situation qui réduit nos marges de
manœuvre dans la région.

Cette situation, qui n ’a pas d'équivalent dans l ’histoire améri­


caine, est principalement due aux activités du lobby pro-israé-
lien. Même si d'autres groupes d'intérêts particuliers - des lobbies
représentant les Américains d ’o rigine cubaine, irlandaise, armé­
nienne ou indienne - ont réussi ù orienter la politique étrangère
américaine selon leurs vœux, aucun lobby n ’a détourné cette po­
litique aussi loin de l'intérêt national des E tats-U nis. Le lobby
pro-israélien est notamment parvenu à convaincre de nombreux
Américains que les États-U nis et Israël a vaient les mêmes inté­
rêts. Or, rien n’est plus faux»™ .

Ils ajoutent plus loin que le lobby pro-israélien, en plus d ’exercer


une grande influence sur les décisions politiques prises aussi bien
par les administrations démocrates que républicaines, a encore
plus de pouvoir sur le Congrès. Le journaliste M ichael M assing,
rapporte les propos d ’un membre de l’A IPA C : « On peut compter
sur une bonne moitié des députés - 250 à 300 membres -p o u r agir
conformément aux vœux de l ’A IPAC »332.

Le Center fo r Responsive Politics, groupe de recherche indé­


pendant qui recense les contributions de cam pagne, a identifié
une quarantaine de com ités d ’action politique pro-israéliens

331 Walt et M carsheimer, op. cit. pp. 18-19.


332 Walt et M earsheimer, op. cit. p. 21.

212
- qui agissent pour la plupart dans la plus grande discrétion
si ce n’est secrètement - et rapporte que ces organismes ont
financé des campagnes électorales de la Chambre des repré­
sentants en 2006, à hauteur d’environ 3 millions de dollars.
Walt et Mearsheimer précisent que cette étude omet d’inclure
les contributions personnelles et minimise le rôle proprement
dit du lobbying pro-israélien333.

En 1997, le magazine Fortune a demandé aux membres du


Congrès et à leur personnel de recenser les lobbies les plus
puissants de Washington, l’AIPAC pro-israélien arrivait en
deuxième position, derrière l’AARP défendant les intérêts
des retraités, ce dernier n’ayant évidemment aucune influence
sur la politique étrangère américaine. Une étude du National
Journal réalisée en mars 2005 est arrivée à la même conclusion.

Le lobby pro-israélien, en sus de financer les campagnes des


membres du Congrès, empêche ceux d’entre eux qui ne sont pas
pro-israéliens detre élus ou réélus. Si un membre du Congrès a
le malheur de n’être pas favorable à la politique israélienne ou
d’être simplement neutre par rapport au conflit israélo-pales­
tinien, il perd par magie ses financements et le lobby présente
contre lui un candidat qui lui est soumis334.

Hillary Clinton, qui brigue la candidature Démocrate à la pré­


sidence en 2016, en a fait l’amère expérience ; Walt et Mear­
sheimer rapportent ceci à ce sujet : « Hillary Clinton, pour avoir
déclaré son soutien à un État palestinien en 1998 et embrassé Souba
Arafat (l’épouse de Yasser Arafat) en public en 1999, a aussitôt es­
suyé de sévères critiques venant de groupes appartenant au lobby.

333Voir les détails dans Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 131.


334 Voir : Walt et Mearsheimer, op. cit. pp. 166-178.

21 3
H illary a pris la défense d'Israël a p artir du moment où elle s’est
elle-même lancée dans la course électorale, et elle reçoit désormais
un soutien important, y compris financier, d ’organisations et de
particuliers pro-israéliens... Les comités pro-israéliens ont fin a n ­
cé sa campagne de réélection à hauteur de plus de 30 000 dollars,
et Forward annonçait en ja n vier 2007 que « H illary Clinton se
taillera sans doute la part du lion dans les dons considérables de la
communauté ju iv e lors de la course à l ’investiture démocrate pour
les présidentielles de 2008 »33î.

Depuis, H illary C linton est une pro-israélienne dont on peut


craindre la politique si elle devait accéder à la présidence en 2016.

Au sujet de l’A IPAC, l’ancien président Bill C linton a de son


côté déclaré : « I l est étonnamment efficace et meilleur que quiconque
en termes de lobbying dans cette ville (W ashington) », et l’ancien
orateur (speaker) de la Cham bre des représentants Nevvt G in-
grich en a dit : « C’est le groupe d'intérêts le plus efficace de toute ta
planète »336.

L e lobby pro-israélien p rend aussi soin de faire élire des


présidents pro-israéliens via notam m ent le financem ent des
cam pagnes électorales. L’ancien p ré sid en t des E tats-U n is,
Jim m y C arter (de 1977 à 1981) porta ce ju g em en t défin itif:
« Partout où il y aura une collecte de fonds politique importante
dans ce pays, on s'apercevra que lesju ifs américains ontjo u é un rôle
considérable »337. Voici des chiffres — rapportés par H am ilton
Jordan (hom m e politique am éricain et c h ef de cabinet de la
M aison Blanche d u ran t le m andat de C arter) - qui tém oignent

335 C ité par Wall et Mearsheimer, op. cit. pp. 17*1-175.


336 Walt et Mearsheimer, op. cit. pp. 168-169.
337 Cité par Walt et Mearsheimer, op. cit p. 178.

214
de cette situation : sur les 125 membres du Démocratie
National Finance Council, plus de 70 sont juifs ; en 1976, plus
de 60 % des gros donateurs au parti démocrate étaient juifs ;
plus de 60 % de l’argent recueilli par Nixon en 1972 provenait
de donateurs juifs ; plus de 75 % de l’argent collecté lors de
la campagne de Humphrey en 1968 provenait de donateurs
juifs ; plus de 90 % de l’argent récolté par Scoop Jackson lors
des primaires démocrates provenait de donateurs juifs.

Le Washington Post rapporte pour sa part : « ilfaut que l ’argent


verse'par les sympathisantsjuifs constitue 60% de l ’argentprovenant
de sources privées pour qu’un candidat démocrate à la présidence ait
une chance de l ’emporter »338.

Il va de soi que chaque candidat doit séduire les donateurs juifs


et le lobby pro-israélien s’il veut avoir une chance de mettre les
pieds à la Maison-Blanche.

Walt et Mearsheimer montrent que le lobby sioniste aux Etats-


Unis a connu une montée en puissance progressive, mais conti­
nue depuis la nomination sous influence en 1917 de l’avocat
Louis D. Brandeis - descendant d’une famille frankiste (voir
chapitre II) - à la Cour suprême339 ; lui et le rabbin Stephen
Wise ont pesé sur les décisions du président Woodrovv Wil-
son, que ce soit pour l’entrée en guerre de l’Amérique ou afin
qu’il soutienne la Déclaration Balfour, un procédé semblable
ayant été employé pour pousser le président Truman à recon­
naître l’État d ’Israël en 1948’™.

338 Thomas B. Edsall et Alan Coopeman, « GOP Uses Rcmarks to Court


Jews », Washington Post, 13 mars 2003.
339 Voir ED. Roosevelt on Comment mon beau-père a été manipule, op. cit.
340 Voir : Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 131.

2 15
L e sionisme dicte sa conduite à ta M aison-Blanche : les guerres
d ’I rak

N ous avons dém ontré plus h au t qu’après avoir utilisé la


G rande-B retagne, les sionistes, suite à la Seconde G uerre
m ondiale qui a co n d u it au d é m a n tèle m e n t de l ’E m p ire
b rita n n iq u e , lui o n t su b stitu é l’em p ire n o rd -am é rica in .
Ce passage de relai s’est fait à la fin de la Seconde G uerre
m ondiale, notam m ent le 14 février 1945 à bord du croiseur
Q uincy, lorsque le président des É tats-U n is Franklin D.
Roosevelt conclut un pacte avec Abdelaziz Ib n Saoud (roi
d ’Arabie) consistant à acheter à vil prix la p roduction pétrolière
du royaume en échange d ’une protection am éricaine. En
prélude à cet accord historique, le 29 mai 1933, un contrat
avait déjà été signé avec la compagnie américaine Standard
OU o f California qui crééait 1’A rabian Standard OU Company
(C A SO C )341. Les É tats-U nis supplantaient ainsi la G rande-
Bretagne qu’ils vassalisent en quelque sorte, même si la C ité de
Londres demeure l’hypothalamus financier planétaire.

Depuis, l’influence des sionistes à la M aison Blanche est deve­


nue si im portante que, lorsqu’en 1981 Israël bom barde le réac­
teur irakien Osirak (construit par la France), Begin, le Premier
m inistre israélien, appelle le président Reagan et quasim ent lui
ordonne de se mettre au travail et d’expliquer aux Américains
pourquoi Israël avait agi ainsi342.

O utre sa puissance, ce qui caractérise encore le lobby pro-is-

341 H enry Laurens, op. cit. pp. 281 -282.


342 G râce H alsell, Prophecy a n d Polilics : M ilitant Evangelists on the R oad to
X uclear Itar, Law rence Hill, Westport, 1986, pp. 71-76.

216
raélien est son “tribalisme exacerbé" ; l’historien Melvin I.
Urofsky relève « qu'aucun autre groupe ethnique ne s'est autant en­
gagé aux côtés d ’une nation étrangère dans l'histoire américaine ».
Le politologue Steven T. Rosenthal quant à lui, remarqua que :
« Depuis 1967, aucun peuple n'a autant œuvré à la réussite d'un
autre pays que lesJuifs américains ne l'ontfait pour Israël a-’43.

Voyons ici un exemple frappant du tribalisme de ces élites juives


qui occupent des postes de haute responsabilité et des fonctions
stratégiques aux Etats-Unis ; en 2001 est nommé aux Affaires
proches-orientales au sein du National Security Council Eliott
Abrams, un judéo-américain qui a écrit ceci dans son livre pu­
blié en 1997 Faith of Fear : How Jews Can Survive in a Christian
America : « Il nefait aucun doute que lesjuifs, fidèles à l ’alliance qui
unit Dieu à Abraham, doivent se tenir à l ’écart de la nation dans la­
quelle ils vivent. C’est la nature même desjuifs que d ’être à l'écart —à
part en Israël—du reste de la population »344.

Walt et Mearsheimer commentent ainsi : « Propos remarquable


de la part d'un homme qui occupe unposte stratégique en relation avec la
politique relative au Proche-Orient au sein de l'administration amé­
ricaine.34S»

À cela, il faut ajouter l’influence qu’a le lobby pro-israélien sur


l’opinion publique via les médias, les universités et les fondations,

343 Melvin 1. Urofsky, American Zionism from Herzl to the Holocaust, Anchor
Press, Garden Cilv, 1975, p. 1 ; et Sleven T. Rosenthal, « Long Distance
Nationalisai ; American Jews, Zionism, and Israël », in Dana Even Kaplan{-
dir.), The Cambridge Companion to American Judaism. Cambridge Lniver-
sity Press, Cambridge, 2005, p. 209.
344 Elliott Abrams, Failli o f Fear : How Jews Can Survive in a Christian Ame­
rica, Simon and Schuster, New York, 1997. p. 181.
345 Walt et Mearsheimer, Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère amé­
ricaine, p. 183.

21 7
clubs e t autres think tanks, dont W alt et Mearsheimer ont décrit
avec précision les mécanismes346.

L e plan de redécoupage du Proche-O rient a commencé par l’at­


taque contre l'Irak, conformément à la stratégie définie par Oded
Yinon. Plusieurs idées fausses ont été répandues au sujet de la
guerre d ’Irak dont deux principales. L a prem ière étant qu’il
s’agirait stricto sensu d ’un projet de l’A dm inistration Bush, et
la deuxième étant que ce conflit aurait été déclenchée par et au
profit du lobby pétrolier. Nous verrons, en nous appuyant sur
des sources solides, que ce sont les réseaux pro-israéliens et les
dirigeants israéliens eux-mêmes qui o n t poussé les Etats-U nis
dans cet affrontement catastrophique347.

Robert Novak, a nommé la guerre d ’Irak la « guerre de Sharon » ;

346 Voir : Walt et M earsheim er, op. cit. pp. 185-215.


347 Un certain nom bre de personnalités politiques am éricaines com m e Patrick
Buchanan, Arnaud de B orchgrave, M aureen D ow d, G éorgie A nne Gever,
Gary Hart, Chris M atthews, le représentant dém ocrate Jam es P. M oran,
Robert Novak, Tim Russert et le général Anthony Zinni, ont déclaré que les
plus fervents m ilitants favorables à la guerre en Irak étaient les pro-israé­
liens les plus « durs » aux États-Unis. A lu f Benn, « Scapegoat for Israël »,
Haaretz, 13 mai 2004 ; M athew Berger, « Will Som e Jew s B acking for War
in Iraq Have R epercussions for A il ? », JTA.org, 10 ju in 2004 ; Patrick J.
Buchanan, « Whose War ? », Am erican C o n sen a tive, 24 m ars 2003 ; A r­
naud De B orchgrave, « A B ush-Sharon D octrine ? », Washington Times, 14
février 2003 ; Ami Eden, « Israel’s R ôle : The « Eléphant » T hey’re Talk-
ing About », Fonvard, 28 février 2003 ; « The Ground Shifts », Fonvard,
28 mai 2004 ; N athan Gutm an, « Prom inent U.S. Jew s, Israël B lam ed for
Start o f Iraq War », Haaretz, 31 m ai 2004, « M oran Said Jew s A re Pushing
War », Washington Post, 11 m ars 2003 ; E.J. Kessler, « Gary Hart Savs
« Dual Loyalty » Barb Was N ot Aim ed at Jew s », F onvard, 21 février
2003 ; Ori N ir et Ami Eden, « Ex-M ideast Envoy Zinni C harges N econs
Pushed Iraq War to Benefit Israël », Fonvard , 28 mai 2004 ; R obert Novak,
« S haron’s War ? », C X X .com , 26 décem bre 2002. C ités par Walt et Maer-
sheim er, op. cit. p. 254.

218
au mois d'avril 2007 il déclarait : « Je suis convaincu qu'Israël a
largement contribué à la décision de s'engager dans ce conflit. Je sais
qu'à la veille de la guerre Sharon avait dit au cours d'une conversa­
tion à huis dos avec des sénateurs que s’ils parvenaient à se débar­
rasser de Saddam Hussein, cela résoudrait les problèmes de sécurité
d'Israël»™.

Walt et Mearsheimer montrent que le lien entre Israël et la


guerre en Irak était clair bien avant que les combats ne com­
mencent. Quinze jours avant le déclenchement des hostilités, le
5 mars 2003, Nathan Guttman écrivait dans le journal israélien
Haaretz : « Les voixfaisant le lien entre Israël et la guerre sefont de
plus en plus entendre. On dit que le désir d ’aider Israël est la princi­
pale raison pour que le président Bush envoie les soldats américains
livrer une guerre inutile dans le Golf. E t ces voix s’élèvent de toutes
parts »349.

Deux ans après le début de la guerre, Barryjacobs, de l’American


Jewish Committee, reconnaissait qu’au sein des milieux du ren­
seignement américains, l’idée qu’Israêl et les néoconservateurs
étaient responsables de l’invasion américaine de l’Irak était gé­
néralement admise350.

Bien avant le 11 septembre 2001, les dirigeants israéliens et


leurs réseaux aux États-Unis préparaient l’opinion, petit à petit,
à la guerre contre le régime baasiste. Le 26 février 2001 (6 mois
avant les attentats), le journal israélien Haaretz affirmait que :
« l'Irak représente aux yeux de Sharon une plus grande menacepour

348 Akiva Eldar, « Sharp Pen, Cruel Tongue », Haaretz, 13 avril 2007.
349 Nathan Guttman, « Some Blâme Israël for U.S. War in Iraq », Haaretz, 5
mars 2003.
350 Ori Nir, « FBI Probe : More Questions Than Answers », Fonvard. 13 mai
2005.

21 9
la stabilité régionale que l'Iran, en raison du comportement erratique
et irresponsable du régime de Saddam Hussein »3S1.

U n an plus tard, lorsque l’A dm inistration Bush com m ençait à


préparer son offensive contre Bagdad, les dirigeants israéliens
préparaient déjà le terrain pour une guerre contre l’Iran, expli­
quant aux officiers américains que l’Iran était une menace plus
im portante que l’Irak352.

Le fameux argum ent des armes de destruction massive a été éga­


lem ent fourni par des sources israéliennes ; le 3 mai 2002 (un
an avant la guerre d ’Irak), le porte-parole de Sharon, Ra’anan
Gissen, disait à un journaliste : « Si on n'arrête pas Saddam Hus­
sein maintenant, nous devrons faire face, dans cinq ou six ans, à un
Irak disposant d ’armes nucléaires, à un Irak disposant de systèmes de
lancement pour des armes de destruction massive »353. D epuis plu­
sieurs années, cet argument est continuellem ent martelé par les
Israéliens pour entraîner les Etats-U nis dans une guerre contre
l’Iran.

Toujours au mois de mai 2002, Shim on Peres, à l’époque m i­


nistre des A ffaires étrangères du gouvernem ent Sharon, lors
d ’une interview sur C N N , déclara : « Saddam Hussein est aussi

351 A lu f Benn, « Sharon Shows Powell His Practical Side », Haaretz, le 26


février 2001.
352 Seym our Hersh, « The Iran Gam e », .Veiv 1orker, le 3 décem bre 2001,
pp. 4 2-49 ; Peter Hirschberg, « Background : Peres Raises Iranian Threat »,
Haaretz, 5 février ; David Hirst, « Israël Thrusts Iran in Line o f U.S. Pire »,
Guardian, 2 février 2002 ; « Israël O nce A gain Sees Iran as A C ause for
C oncem », Haaretz, 7 mai 2001 ; A lan Sipress, « Israël Em phasizes Iranian
Threat », Washington Post, 7 février 2002.
353 Eiizabetli Sullivan, « Sharon A ide Expects United States to A ltack Iraq ; He
Savs Saddam M ust be Stopped from M aking N uclear A rm s », C leveland
Plain Dealer, 3 mai 2002.

220
dangereux que Ben Laden » et ajouta « les États-Unis ne peuvent
pas rester assis sans rien faire pendant qu'il constitue un arsenal
nucléaire. Il est grand temps de le renverser. »3M.

Le défilé des dirigeants israéliens continue avec Ehud Barak qui,


un mois plus tard, rédigeait un éditorial dans le Washington Post,
où il recommandait à l’administration Bush de « se concentrer
d ’abord sur l ’Irak et sur le renversement de Saddam Hussein. Une
fois qu’il sera destitué, le monde arabe ne sera plus le même »3SS...
Selon la théorie des sionistes et des dirigeants israéliens, après
la guerre vient le beau temps. Après chaque guerre, il en faut
une deuxième, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il ne reste que des
ruines autour d’Israël. Mais ces guerres, Israël les fait conduire
systématiquement par d’autres Etats. Le coût de la guerre et le
blâme sont alors supportés par d’autres et le rôle de Tel-Aviv,
(tapi au centre de sa toile), reste dans l’ombre.

Le 12 août 2002, Ariel Sharon déclarait devant le comité des


Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset (parlement
israélien) que l’Irak était « leplus grand danger auquel Israël doive
faireface »356.

Plusieurs sources mettent en lumière que c’est Israël qui a pous­


sé et pressé les États-Unis à attaquer l’Irak ; Walt et Mearshei­
mer résument très bien cette séquence lorsqu’ils écrivent : « Le
16 août 2002, dixjours avant que le vice-président Cheney ne lance
la campagne enfaveur de la guerre à l ’occasion d'un discours devant
la convention des Vétérans o f Foreign Wars (Vétérans des guerres

354 Cité dans Jovce Howard Price, « Peres Envouragcs U.S. Action on Iraq »,
Washington Times, 12 mai 2002.
355 Ehud Barak, « No Quick Fix », Washington Post. 8 juin 2002.
356 Cité dans Gideon Alon, « Sharon to Panel : Iraq is Our Biggest Danger »,
Haaretz, 13 août 2002.

221
extérieures) à Nasbvi/le, un certain nombre de quotidiens, de chaînes
de télévision et de radios (parmi lesquels Haaretz, le Washington
Post, C N N et CBS News) rapportèrent qu'Israël exhortait les Etats-
Unis à ne pas retarder une attaque contre l'Irak. Sharon déclara à
l ’A dministration Bush que repousser une telle opération « ne créerait
pas un meilleur environnement opérationnel pour l ’avenir ». Retar­
der une attaque, expliqua R a ’anen Gissen (le porte-parole de Sha­
ron), ne fe ra it "que donner à Saddam Hussein l ’occasion d'accélérer
son programme d ’armes de destruction massive”. Shimon Peres dé­
clarait [quant à lui] sur C N N que "le problème aujourd'hui n’est pas
si, mais quand”. Retarder une attaque serait une grave erreur, dit-
il, parce que Saddam sera mieux armé demain. Même son de cloche
chez le ministre adjoint à la Défense (israélien) Weizman Shiry, qui
mettait en garde : “Si les Américains ne le fo n t pas maintenant, ils
auront plus de mal à l'avenir. Dans un an ou deux, Saddam Hussein
aura avancé vers la production d ’armes de destruction massive". La
chaîne CBS saisit peut-être le mieux ce qui se passait', dans le titre
sous lequel elle présenta la nouvelle : “Israël aux Etats-U nis : ne
retardez pas l'attaque contre l'Irak... ”»3S7.

Tel-Aviv/W ashington, une coordination stratégique

Il est aussi intéressant d ’apprendre que les Israéliens étaien t


d e rrière la prem ière guerre d u G o lfe ; P a tric k B u ch an an ,
journaliste, politicien, ancien can d id at à la présidence, a pu
déclarer à ce propos que « le m inistre israélien de la Défense
et son carré de supporters aux É tats-U nis » é ta ien t derrière la

357 Walt et M earsheim er, op. cit. p. 257. Toutes les références sont dans la note
n° 25, p. 460 de leur livre.

222
première guerre du Golfe, et il est loin d’être le seul à avoir
rapporté cela (cf. note358).

Walt et Mearsheimer rapportent qu’Israël alimentait Washing­


ton en rapports alarmistes concernant les pseudo-programmes
irakiens d’armes de destruction massive à un moment où, selon
les termes mêmes de Sharon « la coordination stratégique entre
Israël et les Etats-Unis avait atteint un niveau sans précédent »339.
Une coordination qui n’est pas sans faille... Après la guerre
du printemps 2003 et après qu’on eut appris qu’il n’y avait pas
d’armes de destruction massive, le comité du Sénat en charge des
Relations avec les Services de renseignement (Senate Intelligence
Committee) et la Knesset (parlement israélien), ont publié des
rapports séparés révélant que l’essentiel des informations trans­
mises à l’administration Bush par Israël étaient fausses360 ! Nous
avons affaire là à une stratégie faisant la part belle à l’intoxi­
cation et visant à brouiller la réalité non pas tant aux yeux des
dirigeants occidentaux, mais des masses noyées, polluées menta­
lement par des médias qui les submergent sans répit sous un flot
de mensonges éhontés. Un mensonge en suivant un autre dès

358 Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 258. Sur les préoccupations du lobby pen­
dant toute la période menant à la guerre du Golfe de 1991, voir John B.
Judis, « Jews and the Gulf : Falloul from the Six-Wecks War », Tikkun,
mai-juin 1991 ; Ailison Kaplan, « Saddam Splits Jewish Lobby », Jérusa­
lem Post, le 14 janvier 1991 ; David Rogere, « Pro-lsrael Lobbyist Quietlv
Backed Résolution Allowing Bush to Commit U.S. Troops to Combat »,
Hall Street Journal, 28 janvier 1991. Sur les préoccupations israéliennes
au même moment, voir Brinkley, « Top lsraelis Warn of Deep Worry » ;
Camegv, « Pullout Not Enough » ; Chartrand, « Israël Wams » ; Diehl,
« lsraelis Fear lraqi Threat » ; Merzer. « Israël Hopcs ». La citation de
Buchanan est tiré de Chris Reidy, « The War Between the Columnists Gets
Nasty », Boston Globe, le 22 septembre 1990.
359 Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 258.
360 Walt et Mearsheimer, Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère amé­
ricaine, p. 258.

223
que le voile se lève sur le prem ier : les prétendues armes de des­
truction massives irakiennes o n t ainsi laissé place au nucléaire
iranien à caractère offensif.

Shlom o Brom , général israélien à la retraite a d ’autre p art


dévoilé que « Les services de renseignements israéliens étaient
pleinement impliqués dans le tableau descriptifs des capacités non
conventionnelles de l ’I rak que dressaient les services américains et
britanniques »361.

Plusieurs rapports confirm ent qu’à la veille de la guerre, Sharon


a demandé aux diplomates et aux dirigeants politiques israéliens
de ne pas faire de vagues et de ne rien dire qui puisse laisser
entendre qu’Israël poussait l’administration Bush à attaquer
l’Irak362.

A ucun élém ent ne prouve qu’avant le 11 septem bre 2001 Bush


et C heney avaient l’intention formelle d ’envahir l’Irak. Par ail­
leurs, ils étaient, de même que la conseillère à la Sécurité na­
tionale Condolezza Rice, contre les projets de nations-building,
consistant à intervenir au P roche-O rient pour le remodeler.

Dans l’année 2000, Condolezza Rice, qui était par ailleurs la principale
conseillère du président Bush, publiait un article dans Foreign Affairs
où elle écrivait que les Etats-Unis pouvaient parfaitement vivre avec
un Irak doté de l'arme nucléaire ; elle s’expliquait en ajoutant que la
puissance militaire conventionnelle de Saddam avait été sévèrement

361 Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 258.


362 David Horovitz, « Sharon Wams Colleagues N ot to Discuss Iraq Conflict »,
lrish Times, 12 mars 2003. Voir aussi Jam es Bcnnet, « Threats and Res-
ponses : Israel’s Rôle ; N ot Urging War, Sharon Says », A’ew York Times, 11
m ars 2003 ; A luf Denn, « Sharon Says U.S. Should Also Disurm Iran, Lybia
and Svria », Haaretz, 18 février 2003.

224
affaiblie et qu’il fallait éviter de se laisser aller à la panique au sujet du
régime irakien363.

Bush lui-même a dit au journaliste Bob Woodward qu’avant


le 11 septembre il n'avait pas l'intention d’attaquer l’Irak. De
son côté, Dick Cheney a, durant toute la décennie 1990, répété
qu’une conquête de l’Irak serait une erreur stratégique. Walt et
Mearsheimer expliquent qu’au plus haut niveau de l’Administra­
tion américaine, seul le secrétaire d’Etat à la Défense Rumsfeld
était favorable à une telle aventure au Pays des deux fleuves36,1.

Les intérêtspétroliersparavent d’unegéostratégie messianique

Alors que s’est-il passé pour que l’Administration Bush prenne


ce virage ? Ce revirement, d’après le Wall Street Journal, est dû
à l’action du lobby pro-israélien, titrant : « Le rêve du président :
transformer non seulement un régime, mais une région : une zone
démocratique et pro-américaine est un objectif qui a des racines is­
raéliennes et néoconservatrices »36>.

Plus précis que cela encore - il arrive que les dirigeants israéliens
disent la vérité à demi-mot et trahissent leur pensée et leur projet -,

363 Cité par Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 269.


364 Voir le détatil dans : Walt et Mearsheimer, Le Lobby pro-israélien et la
politique étrangère américaine, p. 269.
365 Robert S. Grcenberg et Karby Leggett, Wall Street Journal, 21 mars 2003.
Voir aussi George Packer, « Dreaming o f democracy », Xew York Times
Magazine, 2 mars 2003 ; Paul Sperry, « Bush the Nation-Builder : So
Much for Campaign Promises », Antiwar.com, le 6 octobre 2006 ; Wayne
Washington, « Once against Nation-Building, Bush Now Involvcd »,
Boston Globe, 2 mars 2004.

225
Ehud Barak avoue que le b u t de la guerre en Irak, conform é­
m ent au Plan O ded Yinon, est de remodeler le Proche-O rient ;
en septembre 2002, l’ex-Premier ministre israélien, dit dans le
N ew York Times qu’ « abattre le régime de Saddam Hussein chan­
gera le paysage géopolitique du monde arabe »366. Au profit de qui ?

Dans l’é dition de février 2003 du journal Haaretz, nous lisons


sous la plume de A luf Benn : « Des officiers supérieurs de Tsahal
et des dirigeants proches du Premier ministre Arie! Sharon, comme le
conseiller à la Sécurité nationale Ephraim H alevy, dressent un ta­
bleau extrêmement optimiste de l ’avenir radieux qui attend Israël
une fo is la guerre terminée. Ils envisagent un effet domino dans
lequel la chute de Saddam Hussein serait suivie par celle d ’autres en­
nemis d'Israël : Arafat, Hassan Nasrallah, Bachar A l Assad, les Aya­
tollahs en Iran et peut-être même Muahammar Kadhafi ».367

Cela rappelle étrangement le « printemps arabe », nous y


reviendrons.

Après la guerre d’Irak, le lobby pétrolier a porté le chapeau du


lobby pro-israélien et des dirigeants du Likoud. E n effet, l’on
a vu se répandre partout l’idée que le lobby pétrolier devrait as­
sumer seul la responsabilité du conflit irakien : or ceci est faux ;
voyons cela.

Walt et Mearsheimer nous donnent des éléments édifiants, ils


écrivent : « Si les compagnies d ’énergie gouvernaient la politique
américaine, on aurait été en droit de s'attendre à ce que Washing­
ton cherche à gagner lafaveur des gros producteurs de pétrole, tel que
l ’Irak de Saddam Hussein, la Libye de Kadhafi ou la République

366 Barak, « Taking Apart ».


367 Benn, « Background ».

226
islamique d'Iran, afin que Us compagnies américaines s’enrichissent
en les aidant à développer leurs capacités de production. Au lieu de
quoi tes Etats-Unis ont infligé des sanctions à ces trois pays en totale
contradiction avec les souhaits de l'industrie pétrolière (mais en total
accord avec le lobby pro-israélien)... Si le lobbypétrolier était aussi
puissant que certains le pensent, il n'aurait pas laissé faire ». Les
deux auteurs poursuivent : « Lorsque l ’on visite le site Internet de
l'American Petroleum Institute, l ’association phare de l ’industrie pé­
trolière américaine, cinq sujets apparaissent sous la bannière générale
« questions politiques » : changement climatique, exploration/pro­
duction, carburants, taxes et commerce, et sécurité intérieure. Aucune
mention n’estfaite d'Israël ou du conflit israélo-arabe où que ce soit
sur le site, et il y a très peu de références à la politique étrangère. En
revanche, Israël et tapolitique étrangère sont bien en évidence sur les sites
Internet de l ’AIPAC, de l ’A DL et de la Conférence desprésidents »'6B.

Morris Amitay, membre de l’AIPAC, disait au début des an­


nées 1980 : « Lorsque les intérêts pétroliers et d'autres intérêts in­
dustriels s'adonnent au lobbying, ils consacrent 99 % de leur temps
à ce qu’ils perçoivent comme leur propre intérêt —ils soutiennent tel
ou te! projet de loi sur les taxes. On les voit très rarement se mêler de
politique étrangère. Dans un sens, nous avons le champ libre. »“ 9.

Ce sont les « idées » qui dirigent au premier chef la poli­


tique et non strictement des intérêts matériels, pétroliers par
exemple, aussi dominants soient-ils. Les questions d’ordre
stratégique et économique sont à ce titre à replacer dans un
contexte plus large et sur la longue durée, essentiellement dans
la perspective du projet messianique qui irrigue et anime

368 Walt et Mearsheimer, op. cit. pp. 157, 159.


369Cité dans Edward Tivnan. The lobby, p. 194 ; et dans Walt et Mearsheimer,
op. cit., p. 159.

227
l'histoire des sociétés occidentales dom inées par 1 idéologie
vétérotestam entaire.

W alt et Mearsheimer développent d’autres arguments démon­


tant la thèse de l’implication du lobby pétrolier dans la politique
proche-orientale des États-Unis : « Certains analystes pensent que
les compagnies pétrolières et gazières dirigent la politique américaine
soit dans le but d ’obtenir des concessions rentables dans des pays comme
l ’Irak, soit de provoquer une instabilité qui fera flamber les prix du
pétrole et leur permettra d ’augmenter leurs profits. Non seulement peu
de preuves accréditent un tel comportement, mais une telle attitude va
déplus à l'encontre des intérêts à long terme des principales compagnies
d ’énergie. Ces dernières n’aiment pas les guerres dans les régions pétro­
lifères, ni les sanctions, ni les changements de régime - qui caractérisent
la politique américaine au Proche-Orient ces dernières années —parce
que ce sont autant de menaces qui pèsent sur l'accès aux réserves de
pétrole et de gaz, donc sur leurs profits, sans compter que de tels évé­
nements poussent également les Américains à songer sérieusement à
réduire leurs besoins en pétrole. Ainsi, lorsque le vice-président Dick
Cheney était président de Halliburton (une société pétrolière) dans
les années 1990, il s'est opposé à des sanctions américaines contre l'Iran
(une politique largement à l ’initiative du lobby pro-israélien), et s’est
plaint que lesfirmes américaines étaient “mis à l ’écart »par la «joyeuse
politique de sanctions » entreprise par les États-Unis. »370

Aucun lobby pétrolier, ni même les marchands d’armes, ou les


sionistes chrétiens, ou encore les sociétés travaillant pour l’armée,
n’o nt appelé à attaquer l’Irak371. Ce sont les dirigeants de l’É tat hé­
breu, le lobby pro-israélien, leurs complices néoconservateurs qui
sont les vrais responsables du déclenchement de la guerre en Irak.

370 Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 160.


371 Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 269.

228
Walt et Mearsheimer concluent de la manière suivante : « Rien
n'indique que les compagnies pétrolières, qui cherchent généralement
à s'attacher les bonnes grâces des grands producteurs comme l ’Irak de
Saddam ou la République islamique d'Iran, aient joué un rôle im­
portant dans la décision d'entrer en guerre. Elles n'engagèrent aucune
action de lobbying en faveur de la guerre en 2003, que la plupart
d'entre elles considéraient comme une aberration. Comme l'observait
Peter Beinart dans le New Republic de septembre 2002, « ce n'estpas
pour la guerre que/'industriepétrolière américaine a fait du lobbying
pendant toutes ces années ; c'estpour lafin des sanctions ». Comme c’est
presque toujours le cas, les compagnies pétrolières voulaientfaire de
l ’argent, pas la guerre. »372

L a Syrie visée en second

Nous avons montré plus haut que le Plan Oded Yinon visait en
priorité l’Irak, lequel prévoyait de le faire éclater avant de faire
subir le même traitement à la Syrie. Les Israéliens, par le biais
des Etats-Unis, ont effectivement suivi à la lettre le plan Yinon.
Dès que Bagdad est tombée, les dirigeants israéliens ont com­
mencé de préparer la future guerre contre la Syrie en lançant des
accusations de programme d’armes chimiques.

Dès la mi-avril 2003, alors que l’Irak venait tout juste de tomber,
les dirigeants israéliens commencèrent à inciter les Etats-Unis à
s'attaquer au régime syrien373.

372 Walt et Mearsheimer, op. cit.. p. 279.


373 Seymour I-Iersh, « The Syrian Bet », art. cit : Molly Moore, « Sharon Asks
U.S. Pressure Svria on Militant ». Washington Post, 17 avril 2003 ; Ori
Nir, « Jérusalem Urges Bush ; Next Target Hezbollah », Forward, 11 avril
2003 ; Ori Nir, « Sharon Aide Makes the Case for U.S. Action against
Syria », Fonvard, 18 avril 2003 ; Marc Perelman, « Behind Warnings to

22 9
Dans un entretien accordé le 15 avril 2003 au journal Yedioth
Aharonoth, le Premier ministre israélien Ariel Sharon expliquait
que Bachar el-Assad était un « homme dangereux, incapable de
jugement sain ». C ’est ce que les Israéliens disaient déjà de Saddam
Hussein qui aurait, avec la complicité de D am as, dissimulé
des armes de destruction massive en territoire syrien juste avant
le début des hostilités. Faut-il souligner la profonde^ absurdité
d ’une telle accusation ? Sharon se m it à appeler les Etats-U nis
a exercer une « très forte pression » sur la Syrie pour l'obliger à
mettre fin à son soutien au Hamas et au Jihad islamique ; au
Liban, à expulser les Gardiens de la Révolution iranien de la
plaine de la Bekaa ; à cesser de coopérer avec l’Iran ; il fallait
obliger le Hezbollah à se retirer de la frontière israélo-libanaise
et le remplacer par l’armée libanaise, et éliminer ses missiles à
courte portée visant le territoire israélien374. E n somme, Sharon
exigeait que sautent au Levant tous les verrous em pêchant
Israël de s’étendre ; il voulait la région livrée sur un plateau, sans
résistance aucune. Un diplomate israélien a même critiqué les
revendications osées de Sharon, l’invitant à être plus discret sur
les relations entre Damas et W ashington375...

Sharon n’était pas un cas isolé parmi les dirigeants israéliens. Le


ministre de la Défense Shaul M ofaz a déclaré à M a'ariv le 14
avril 2003 : « Nous avons une longue liste d'exigences à l ’égard des
Syriens, et il nous semble approprié qu’elles soient transmisesparl'in-

Damascus : Reassessment ofY ounger Assad », Fonvard. 18 avril 2003 ; et


Daniel Sobelman et Nathan Gulunan, « PM Urges U.S. to Keep on S jria,
Calls Assad « dangerous », Hacirelz, 15 avril 2003.
374 La citation de Sharon et sa liste d’exigences sont tirées de Daniel Sobelm an
et N athan Guttm an, « PM Urges U.S. to Keep H eal on S v ria ... ». Voir
égalem ent Molly Moore, « Sharon Asks U.S. », art. cit. Cité par Walt et
Mearsheimer, op. cit. p. 299.
375 Herb Keinon. « Sharon Criticized for Public Déclaration on S \ ria-U.S. Ten­
sion », Jerttsaleni Post, 16 avril 2003.

230
termédiaire des Américains. »376. Comme Sharon, le ministre de la
Défense demandait à ce que la Syrie rompe ses liens avec le Ha­
mas et le Jihad islamique et que soit démantelé le Hezbollah377.

Deux semaines plus tard, le conseiller pour la Sécurité


nationale de Sharon, Ephraïm Halevy, se rendait à Washington
pour pousser les dirigeants américains à prendre « des décisions
décisives » contre la Syrie. Il ressortit le fameux argument
israélien des armes de destruction massive ; selon lui, la Syrie en
détiendrait et elles seraient aux mains d’un Assad « irresponsable »
et « insolent »378.

De son côté, le régime syrien a, sous Hafez (1930-2000) et sous


Bachar el-Assad, tout au long des années 1990 et au début des
années 2000, cherché la paix avec les Israéliens et les Américains.
Mais les Israéliens, qui comme toujours pour donner le change
acceptaient les négociations, les firent systématiquement capoter
ou ne donnèrent pas suite. Par exemple, en décembre 2003, As­
sad fit une offre de paix, et voici ce qu’en pensait le correspondant
militaire de Haaretz, Ze’ev Schiff : « Le plus étonnant dans la
proposition du président syrien de relancer lespourparlers avec Israël,
c’est la réponse des dirigeants israéliens... Le Premier ministre Arie!
Sharon est resté muet. Pas un seul mot n'est sorti de sa bouche... Dans
le passé, nous avions toujours nourri l ’espérance qu’on nousferait de
telles offres »3” .

376 Cité dans Ori Nir, « Sharon Aide Makes thc Case », art. cit. Voir également
DcYoung, « U.S. Toughcns Warning », art. cit. ; et Molly Moore, « Sharon
Asks U.S. ».
377 Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 299.
378 Dans le journal Forward, cité par Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 299.
379 Ze’ev Schiff, « The Peace Threat from Damascus », Haaretz, 8 décembre
2003. Voir le détail des offres de paix de la Syrie dans Walt et Mearsheimer,
op. cit., chapitre 9.

231
La réalité, comme nous ne cessons de le démontrer, est qu Israël ne
veut pas et ne voudra jamais la paix, parce que son unique rai­
son d etre est l’établissement du Grand Israël, un E tat impérial
qui doit se construire sur les ruines des peuples et des nations
d’O rient et qui ne doit avoir aucun rival. U n É tat promesse de
l’avènement messianique et du règne sans partage du peuple
choisi sur l’ensemble des nations, comme il est prescrit par la
Torah :

« Lorsque l'Eternel, ton Dieu, t'aura fa it entrer dans le pays où tu


te rends pour le conquérir ; quand il aura écarté de d eva n t toi ces
nombreuses peuplades, le Héthéen, le Ghirgachéen, l ’A morréen, le
Cananéen, le Phérézéen, le Hévéen et le Jébuséen, sept peuplades plus
nombreuses et plus puissantes que toi ;

quand l'Eternel, ton Dieu, te les aura livrées et que tu les auras
vaincues, tu les frapperas d'anathèm e (exterm ination). P oint
de pacte avec eux, p o in t de p itié pour eux ! N e t'aüie avec aucun
d ’e ux : ta fille, ne la donne pas à son fils , et sa fille , n’en fa is pas
l ’épouse du tien ! » (D eutéronome, 7:1-2)

L e projet messianique l ’e mporte sur toutes autres considérations


d ’ordre géostratégique
i

Cette politique de défiance vis-à-vis de la Syrie promue aux États-


Unis par les israéliens, n’était ni du goût de l’administration
américaine, ni de la C IA et du Départem ent d’É tat ; ces deux
derniers en particulier, ont souligné que cette politique d’affron­
tement avec la Syrie était une erreur stratégique. M ais Israël et le
lobby pro-israélien ont convaincu l’administration de les suivre

232
sur cette voie3*0. Ils ont utilisé le même argument que précé­
demment avec l’Irak, à savoir que la Syrie était une dangereuse
menace pour Israël, mais aussi pour les Etats-Unis381. On se de­
mande bien en quoi la Syrie pourrait représenter un danger pour
les États-Unis. Les dirigeants israéliens ne reculent pas devant
le ridicule et le mensonge, au contraire ; des mensonges qui ont
de graves conséquences en déstabilisant la région et au-delà. Et
ce ne sont pas les exemples illustrant ce propos qui font défaut.

Après la chute de Saddam, les Israéliens déclarèrent que la Sy­


rie était au moins aussi dangereuse que l’Irak. Le stratège israélien
Yossi Alpher, livrant le point de vue de l’Etat israélien sur la Syrie,
expliquait que « la Syrie avait unfortpouvoir de nuisance, beaucoupplus
fort que celui de l'Irak ».

Le Washington Post a rapporté à la mi-avril 2003 que Sharon


et Mofaz s’employaient à attiser la campagne contre la Syrie en
abreuvant les États-Unis de rapports secrets sur les agissements
du président Bachar Al Assad3"2 et la dissimulation sur son sol
d’armes irakiennes383.

Israël et son lobby aux États-Unis ont commencé leur campagne


anti-syrienne dès 19 96384.

Pour ceux qui s’imaginent que la volonté de faire tomber la Syrie


date de 2011 à la suite des « massacres » supposés de la popula­
tion civile syrienne par Assad, voici de quoi leur faire revoir leur
jugement : en avril 2003, Paul Wolfowitz, un néoconservateur

380 Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 298.


381 Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 298.
382 Rapporté par Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 300.
383 Cité par Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 300. Voir note 51, p. 475.
384 Voir : Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 300.

233
juif, a déclaré qu’ « un changement de régime était indispensable en
Syrie », et Richard Perle, lui aussi néoconservateur juif, dit à un
journaliste « nom pourrions délivrer un message très bref, message de
cinq petits mots aux autres régimes hostiles en Orient : « C'est votre
tour maintenant »3SS.

Il faut persévérer et lire toutes ces déclarations et les choix stra­


tégiques israéliens à travers le prisme messianique et eschato-
logique que nous avons exposé, sinon, tous ces faits ne peuvent
trouver leur pleine cohérence et leur sens véritable de sorte qu’ils
échappent à la compréhension. Ce qui au final ampute les ac­
teurs politiques de leur capacité à juger, à agir ou à peser sur les
événements.

Il n’est pas absurde de supposer que les dirigeants iraniens (en


particulier Ali Khameneï et les Pasdaran comme Ahmadinejad)
et libanais (notamment Hassan Nasrallah, le secrétaire général
du Hezbollah), fins connaisseurs en eschatologie aient perçu et
tiennent compte dans leurs actions de la dimension messianique
de l’actuelle tragédie du monde arabe et musulman. Ce n’est évi­
demment pas le cas des dirigeants occidentaux d ont les préoccu­
pations à très court terme les occupent à plein temps.

C ’est dans cette perspective que l’on peut comprendre l’hostili­


té des Etats-Unis et de leurs alliés et suiveurs européens envers
l’Iran, et ainsi tenter d’interpréter la politique de la République
islamique, qui, nous le verrons succinctement, ne fait en grande
partie que s’adapter à l’attitude d’Israël et des É tats-U nis à son
égard. Une attitude qu’il faut bien se garder de réduire à cet autre

385 Wolfowitz cité dans N athan Guitman, « Somc Senior U.S. Figures Sav
Syria Has Crossed the Red Line », Haaretz, 14 avril 2004 ; Perle cité dans
Michael Flynn, « The War Hawks : The Right Flexes M uscle wilh N ew
U.S. Agenda », Chicago Tribune, 13 avril 2003.

234
faux-nez que serait la sécurité régionale d’Israël. L’on voit bien
que dans les schémas explicatifs qui sont avancés, la question de
la sécurité est un leurre qui ne constitue pas à l’arrivée une expli­
cation cohérente. Ceux qui s’en contentent ne voient qu’à courte
vue et font montre de leur inquiétante incapacité à percevoir les
forces réelles qui sont à l’œuvre sous la surface des apparences.

L ’Iran, cible d'Israël

Vis-à-vis de l’Iran, c’est le même schéma qu'avec l’Irak et la


Syrie. Jusqu’en 1993, les Etats-Unis n’étaient pas partisans d’une
politique agressive envers l’Iran. C ’est principalement sous
l’influence de l’Etat hébreu que les États-Unis ont pris ce tournant
anti iranien. Au début de l’année 1993, alors que Clinton arrive au
pouvoir, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et son ministre
des Affaires étrangères Shimon Peres commencent à défendre
l’idée que l’Iran constitue une menace pour Israël et les Etats-
Unis. À la mi-mars 1993, le Washington Post rapportait ceci :
« Quelle que soit leur sensibilité politique, les responsables israéliens
estiment qu'il est nécessaire de convaincre l'opinion et les dirigeants
américains de l'urgence de mesures visant à contenir l'Iran, et que les
Etats-Unis sont la seule puissance mondiale capable de prendre de telles
mesures »386,

Les États-Unis se plièrent aux exigences israéliennes en


pratiquant une politique d'endiguement (contention) de l’Iran, en
cernant militairement l’Iran par des bases militaires, tout comme
les Etats-Unis le font avec la Russie ; Robert Pelletreau, qui était
secrétaire d’État adjoint en charge du Proche-Orient, déclara

386 David Hoffman, « Israël Sceking to Convinces U.S. That West Is Threate-
ned by Iran », Washington Post, 13 mars 1993.

235
que cette politique était pour l’essentiel la copie conforme d’une
proposition israélienne387.

C ette politique, une fois mise en place, fut très critiquée pour
plusieurs raisons ; une d’entre elles est que ces exigences israé­
liennes poussaient les États-U nis à adopter une politique d’hos­
tilité à l’encontre de deux pays déjà antagonistes : l’Iran et l’Irak,
ce qui d’un point de vue stratégique est stupide388, mais très utile
à la stratégie israélienne sur le long terme. Au sein de l’appareil
d’É tat américain, des voix s’élevèrent en conséquence en faveur
d ’un dialogue avec l’Iran389.

Mais les Israéliens n’étant pas satisfaits par cette politique d ’iso­
lement, il fallait aller plus loin, alors Israël et son lobby aux
Etats-Unis, se sont attaqué aux lois perm ettant aux entreprises
américaines de commercer avec l’Iran. L’analyste T ritta Parsi
rapporte à ce sujet que « à la demande du gouvernement israélien,
l'AIPAC rédigea et f i t circuler à Washington un mémorandum de
74 pages soutenant que l ’Iran était une menace non seulement pour
Israël, mais aussi pour les États-Unis et l ’Occident tout entier »390.

En avril 1995, l’AIPAC publia un rapport intitulé « Pour un en­


semble de sanctions contre l ’Iran : un plan d ’action »391.

387 Trilta Parsi, « Israeli-Iranian Relations », art. cit., p. 402. C ité par Walt et
Mearsheimer, op. cit. p. 315. J
388 Voir : Walt et M earsheimer, op. cit. p. 316.
389 Zbigniew Brzezinski et Brent Scowcrofl, Differential Com ainm ent : Am e­
rican Policy TowartlIran am i Iraq, Report o f an Independent Studv Group
on G ulf Stability and Securitv, Council on Foreign Relations, N ew York,
1997, p. 5-32 ; et Gary Sick, « Rethinking Dual Containm ent », Survivai,
40, n° 1, printemps 1998. Voir : Wall ei M earsheim er op. cil. p. 316.
390 Trita Parsi, « Israeli-Iraniun Relations », art. cit. p. 305. Cité par Walt et
Mearsheimer, op. cit., p. 316.
391 AIPAC, « C omprehensive U.S. S anctions against Iran : À Plan for Action »,

236
Dans la même année, la société pétrolière américaine Conoco
qui était alors sur le point de signer un accord avec l’Iran pour
l’exploitation des gisements pétrolifères, s’est vue empêchée de
conclure : le président Clinton avait mis son véto en personne à
cet accord le 14 mars 1995 et prit un décret le lendemain même
pour interdire aux entreprises américaines de participer à l’ex­
ploitation des réserves pétrolières iraniennes. Bill Clinton révéla
plus tard ceci : « un des opposants les plus efficaces au contrat avec
Conoco était Edgar Bronfman Sr. », soit le très influent ancien
dirigeant du Congrès juif mondial. L’AIPAC contribua aussi à
torpiller l’accord392.

Le fait suivant illustre assez bien le jeu subtil et pervers d’Israël,


un jeu alambiqué assorti d’une authentique duplicité : bien que
l’Entité sioniste ait tout fait pour que les Etats-Unis rompent
tout rapport économique et commercial avec l’Iran, Israël ne s’est
pas interdit de commercer avec son ennemi prétendument décla­
ré en achetant des produits iraniens via des intermédiaires393.

Après avoir poussé les États-Unis à mener une politique de blo­


cus et de sanctions économiques à l’encontre de l’Iran, les bou­
tefeux sont passés à l’étape suivante : ils ont encouragé Was­
hington à mener des frappes contre les installations nucléaires
iraniennes et même à livrer la guerre à Téhéran ; en parallèle ils
défendaient l’idée d’un changement de régime en Iran.

Depuis le début des années 1990, Israël mène des campagnes


anti-iraniennes aux États-Unis ; en 1990, les dirigeants israéliens
désignaient l’Iran comme leur ennemi le plus redoutable, car il

Washington, D C, 2 avril 1995.


392 Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 317.
393 Tntta Parsi, « Israeli-lranian Relations », art. ciL, pp. 308, 311, 329-330.
Voir : Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 317.

23 7
aurait été capable de développer un arm em ent nucléaire, ce qui
par ailleurs, serait tout à fait logique. U n Iran menacé à la fois
par Israël qui est surnucléarisé et par la plus grande puissance
militaire mondiale, peut légitimement développer un armement
atomique afin de sanctuariser son territoire et éviter ainsi de
subir le même sort que l’Irak.

Israël, qui a de toute évidence pour objectif de devenir un E tat


impérial, ne peut tolérer qu’une puissance comme l’Iran, dont
l’influence est croissante dans la région, se dote d ’un arsenal
nucléaire. D u point de vue israélien, l’Iran doit, soit tom ber sous
les coups d ’une coalition wahhabo-américano-sioniste (l’Arabie
étant automatiquement partie prenante d’une telle coalition),
soit se soumettre, d ’où l’idée d’un changement de régime.

Nous l’avons dit, une confrontation directe avec l’Iran est loin de
faire l’unanimité aux Etats-Unis ; la CIA, le Département d'E tat et
l’armée sont partisans d’un dialogue avec l’Iran. Fin février 2007, le
Sunday Times rapportait ceci : « d ’après des sources haut placées dans
les cercles du renseignement et de l'armée, certains des membres les plus
éminents de l'état-major américain sont prêts à présenter leur démission
si la Maison-Blanche ordonne tme attaque militaire contre l'Iran »39J.

Ephraïm Sneh, l’un des faucons israéliens, s’est exprimé à ce pro­


pos sans ambigüité : « Nous étions contre le dialogue Irano-États-
Unis parce que l'intérêt des Etats-U nis ne coïncidait pas avec le i
nôtre »M5.

Les Iraniens, de leur côté, ont depuis le début des années 1990

394 Michael Smith et Sarah Baxter, « U.S. Générais Wilt Quits if Bush Ortlers
Iran Altack », Swiclay Times, Londres, 25 février 2007.
395 Cité dans Trita Parsi, « Isracli-lranion Relations », art. cit. p. 403. Voir :
Wall et Mearsheimer, op. cit. p. 320.

238
tendu la main aux États-Unis et ont même proposé de travailler
à l’élaboration d’un modus vivendi avec Israël396. L’Iran, sous la
présidence de Rafsandjani (de 1989 à 1997) et plus encore sous
Khatami (de 1997 à 2005), a constamment cherché un compromis
et la paix. L’Iran n’a durci le ton - sous Ahmadinejad - qu’après de
longues années de négociations infructueuses. La radicalisation
des États-Unis, sous l’Administration Bush, précède l’arrivée à
la présidence iranienne d’Ahmadinejad, qui n’est en quelque
sorte que la réponse à la politique d’endiguement menée par les
États-Unis sous influence israélienne.

Le guide suprême iranien, l’Ayatollah Khameneï, composant avec


des forces contradictoires - d’un côté les Pasdaran (Gardiens de
la Révolution), nationalistes (auxquels appartient Ahmadinejad)
et de l’autre, une partie du clergé (qui compte les hommes les plus
riches d’Iran et dont la préoccupation est leur intérêt personnel
plutôt que celui de l’Iran) et les réformateurs (comme le pro­
américain Moussavi, qui s’est présenté aux élections de 2009
face à Ahmadinejad), tournés vers l’Occident -, a su adapter
la politique iranienne aux circonstances, en laissant accéder à
la présidence des hommes dont les profils peuvent être parfois
antagonistes (Ahmadinejad/Rohani).

Après le départ d’Ahmadinejad, l’on a vu arriver le diplomate


Rohani à la présidence ; il a, dès son arrivée, entamé une politique
de compromis calquée sur celle de Khatami et assez éloignée
de celle d'Ahmadinejad. Ceci a permis la levée des sanctions
économiques et de « normaliser » temporairement les relations
entre l’Iran et les États-Unis. Il est à prévoir, comme d’habitude,
qu’Israël s’efforcera de saboter les négociations. Ce à quoi se

396 Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 314.

23 9
prépare ouvertem ent le gouvernem ent israélien39'. L arrivée
possible sinon probable d ’Hillary C linton en 2017 relancera les
dés en rem ettant loption de l’agression armée sur la table. H illary
qui déclarait en juillet 2015 « Je veux que les Iraniens sachent que si
je suis présidente, nous attaquerons l'Iran. .. nous serons capables de
les oblitérer totalement »398.

Il est cependant autorisé de supposer que la stratégie iranienne,


de temporiser sera payante à term e... si et seulement si d’ici
2018 l’Iran est parvenu à sanctuariser son territoire.

Strict alignem ent de la Maison-Blanche sur les buts de guerre


messianiques israéliennes

Après l’arrivée de Bush au pouvoir (en particulier durant son


deuxième mandat), la politique américaine, sous l’influence d’Is­
raël, est devenue résolument agressive, au point que le Pentagone
a envoyé des missions de renseignement en territoire iranien
et actualisé ses « plans de mobilisation en vue d'une invasion de
l'Iran »399.

Bush déclara le 20 mars 2006 à Cleveland que « La menace


iranienne, c'est bien entendu leur objectif déclaré de détruire notre

397 Voir les déclarations du m inistre des Affaires étrangères britanniques Phi-
lipp I Iammond rapportées par le site d ’inform ation franco-israélien Aa-
lvaexpress-News.com, Grande-Bretagne : « Israël veut un état perm anent
de confrontation avec l'Iran », 16/07/2015.
398 Voir l’article de Global Research, H illary Clinton : « I f l ’m président, lie
mil Attack Ir a n » , 05/07/2015.
399 Voir : Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 325.

240
grand allié Israël... Nous aurons recours à la force militaire pour
protéger notre allié

Des déclarations associant « guerre contre l'Iran » et « allié


israélien » (et non pas la sécurité des Etats-Unis) à partir de là
se multiplièrent ; ce qui signifiait clairement que l’Amérique
irait en guerre contre un État ne le menaçant ni directement
ni indirectement (la doctrine Monroe étant à cette date
définitivement caduque), simplement pour complaire à l’État
hébreu. Cette maladresse a alarmé le lobby pro-israélien, car
comme nous l’avons montré, à travers les siècles, les rabbins
messianistes et leurs continuateurs les messianistes athées
(nous avons vu qu’il n’y avait pas contradiction dans les termes),
avancent masqués, faisant exécuter leurs plans et atteindre leurs
objectifs par des puissances tierces.

Au printemps 2006, le journal Forward publiait ceci : « Les


dirigeants de la communautéjuive ont instamment prié la M ai­
son-Blanche d ’éviter d ’annoncer publiquement son désir de dé­
fendre Israël contre de possibles agressions iraniennes. Ce n'est pas
que ces dirigeants soient opposés au recours à une intervention
américaine pour protéger Israël, mais plutôt qu'ils ont peur que
tes déclarations publiques du président Bush ne créent l'impres­
sion que les États-Unis n’envisagent une action militaire contre
l ’Iran au seul profit d ’Israël - ce qui pourrait amener l'opinion à
attribuer aux juifs américains la responsabilité des conséquences
négatives d ’unefrappe américaine contre l ’Iran »J01. Il serait en
effet éminemment fâcheux que l’opinion publique connaisse
la vérité vraie...

400 « Président Discusses War on Terror and Opération Iraqi Freedom »,


Clcveland, Ohio, White House, Office o f the Press Seeretary, 20 mars 2006.
401 Ori Nir, « Groups to Bush ». Voir : Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 325.

241
E n avril 2006, M alcolm H oenlein, vice-président du lobby
pro-israélien La Conférence desprésidents expliquait que « bien que
nous apprécions beaucoup cette sollicitude, la question est de savoir s’il
est vraiment opportun de lier la question iranienne à Israël »402.

Ehud O lm ert, alors Premier ministre israélien, appuyant cette


position et en réponse à G.W . Bush : « Nous ne souhaitons pas que
cela soit lié à Israël »40:1.

Vous l’avez bien compris, ce sont les États-U nis qui doivent
porter toute la responsabilité du désordre en O rient comme en
1991, en 2003 et demain, peut-être, celle d ’une éventuelle nou­
velle Guerre mondiale.

Israël, sachant que l’Iran d’Ahmadinejad et de Khamenei est une


puissance souveraine qui ne pliera pas sous la menace, a proposé
l’option du changement de régime par une révolution colorée. Cha­
cun garde en mémoire la tentative de Révolution verte de 2009 en
Iran, qui a vu sortir dans les rues de Téhéran de jeunes adeptes des
réseaux sociaux issus pour la plupart de la classe moyenne supé­
rieure, manifester pendant l’élection présidentielle contre A hma-
dinejad en faveur du candidat pro-américain Moussavi.

Plusieurs années avant cette “révolution bourgeoise", les dirigeants


israéliens avaient appelé à un changement de régime en Iran et ce
grâce à diverses actions clandestines.

Fin mai 2003,1’lnter Press Service (une agence de presse interna­


tionale) rapportait que « les efforts des néoconservateurs pour attirer

402 C ité dans Jam es D. Besser et Larry Cohler-Esses, « Iran-Israel Linkage bv


Bush Scen As Threat »
403 Cité dans Ori Nir, « Bush Overture to Iran Splits Israël, N eocons »,
Fonvard, 9 ju in 2006.

242
Vattention de Washington sur la nécessité d'un changement de régime
en Iran se sont intensifiés depuis mai et ont déjà enpartie porté leurs
fruits »404.

Début juin 2003, le journal Forzuard notait que « les néoconserva­


teurs, qu'ils soient ou non membres de l'Administration, exhortent
la Maison-Blanche à se mobiliser activement pour promouvoir un
changement de régime à Téhéran. Au cours des dernières semainesy
l'éventualité d'actions clandestines a été de plus en plusfréquem­
ment évoquée »4(b.

Plus précis encore, le 19 mai 2003, le sénateur Sam Brownback


annonça qu’il allait présenter un projet de loi visant à financer
les groupes d’opposition et à promouvoir la « démocratie » en
Iran. Ce projet appelé Iran DemocracyAct, était bien évidemment
fortement soutenu par le lobby pro-israélien AIPAC ainsi que
l’Institution juive JIN SA (.Institutjuifpour la sécurité nationale).
La Coalition for Democracy in Iran est alors créé par Morris
Amitay (un juif membre de 1*AIPAC et de JINSA). Le projet
de loi fut présenté par le démocrate californien pro-israélien
Brad Sherman à la Chambre des représentants. Fin juillet 2003,
le projet fut adopté par les deux Chambres406 ; tout ceci six ans
avant la tentative de Révolution verte en Iran.

404 Jim Lobe, « U.S. Neo-Cons Move Quickly on Iran », dépêche IPS, 27 mai
2003.
405 Marc Perelman, « Pentagon Team on Iran Cornes under Fire », Fonvard, 6
juin 2003 ; Marc Perelman, « White House Is Aiming to Raise IranianNukes
at U.N. Securitv Council », Fonvard, 9 mai 2003 ; Marc Perelman. « New
Front Sets Sights on Toppling Iran Régime », Fonvard, 16 mai 2003.
406 Information extraite de « Senator Brownback Announes Iran Democracy
Act with Iranian Exiles », communiqué de presse du Conseil national ira­
nien-américain, le 20 mai 2003 ; « Iran Democracy Act Passed, But No
Monev to Opposition and Satellite TV’s », communiqué de presse du
Conseil national iranien-américain, 24 juillet 2003.

24 3
C ette tentative de révolution colorée en Iran fut en fait le préambule
de ce qu’o n a appelé le « le Printemps arabe » ; événement clé de la
stratégie du C hoc des civilisations entrant, ainsi que nous nous
sommes efforcés de l’établir, dans le cadre du Plan O ded Yinon
et du projet de création d ’un G rand Israël d’essence biblique et
messianique.

244
Printemps arabe et Choc des civilisations

Dans son livre de chroniques De la Révolution a la guerre,


Printemps et automnes arabe*07, Jean-Michel Vernochet fait le
récit historique en temps réel du Printemps arabe et de ses
conséquences désastreuses sur le monde arabo-musulman. Le
professeur de science politique Naoufel Brahimi el Mili, dans
un ouvrage intitulé Le Printemps arabe : une manipulation ?'I0S,
démontre que les révoltes arabes furent essentiellement le fruit
d’un travail de terrain via notamment la participation active
de la chaîne qatarie Al-Jazeera suivant le plan de remodelage
du Grand Moyen-Orient - plan attribué aux néoconservateurs
américains mais dont nous avons démontré qu’il est d’origine
israélienne.

Le printemps arabe, qui démarra à la fin de l’année 2010 en Tu­


nisie - et qui, par effet de « contagion » a touché l’Egypte, puis
l'Algérie et le Maroc (ces deux derniers ont néanmoins su gérer
la « révolte » et l’empêcher d’aboutir, à l’inverse de la Tunisie et
de l’Egypte) - ne fut pas la première des révoltes arabes qui aura
profité au projet sioniste.

Nous avons montré précédemment qu’en 1916, sous l’impul­


sion britannique, les Arabes se sont révoltés contre l'Empire
ottoman (qui était pourtant un empire décentralisé et dont la
présence en terres arabes était presque invisible) ; soulèvement

407 Paru en 2013 au\ éditions de l’Infini.


408 Edité en 2012, éd. Max Milo.

245
qui s’est poursuivi en 1917 en accompagnant le dém antèlem ent
de l’Em pire ottoman. Nous avons aussi précisé que des troupes
arabes ont aidé les Britanniques (appuyé sur le terrain par un
contingent ju if ) à prendre Jérusalem, participant ainsi à la créa­
tion du foyer ju if en Palestine, ignorant qu’ils creusaient leur
propre tombe.

Avec le printem ps arabe de 2010-2011, l’histoire se répète.


C ette fois-ci, ce n’est pas contre l’Em pire ottom an, mais contre
les dictateurs arabes qu’ils se sont soulevés.

Si la révolte arabe de 1916-1917 a contribué à la création du


foyer juif en Palestine, la révolte arabe de 2010-2011 aura pour
sa part contribué à l’établissement du G rand Israël ; nous allons
voir comment.

Près de huit ans avant le début des révoltes arabes, au début de


l’année 2003, un lettré musulman, spécialiste des relations in ­
ternationales et de l’eschatologie musulmane, Sheikh Imran
Hosein, avait annoncé non seulement ces révoltes à venir, mais,
et avec une précision déconcertante aux accents prophétiques, il
avait su préciser comment elles se produiraient (par effet domi­
no) et vers quoi elles conduiraient.

C ’e st à l’occasion d ’une conférence s’appelant « Beyond september


11 » qu’il fit la prédiction suivante : « Israël ne veut pas lancer
une grande guerre (d’expansion, pour établir le G rand Israël) et
apparaître aux yeux du monde comme étant un agresseur. I l doit lan­
cer une grande guerre en faisant croire qu'il ne fa it que se défendre.
Comment Israël v a -t-il lancer sa grande guerre sans être perçu par
l ’H umanité comme étant un agresseur ?...

Les masses arabes vont se lever contre leurs dictateurs, les masses

246
sortiront dans les rues. Les régimes arabes qui seront visés seront les
pro-américains. L ’objectif ? Faire tomber ces régimes par des mani­
festations massives, anti-américaines et anti-israéliennes. L ’on verra
dans les médias les gouvernements arabes tomber par effet domino
et le monde musulman se lever. E t les musulmans borgnes (qui ne
voient la réalité que sous sa forme apparente) y croiront - les gou­
vernements du monde arabes tomberont et seront balayés. Les médias
montreront l'émergence de pseudo gouvernements représentant les
musulmans (les Frères musulmans), et ils diront que les juifs sont
en danger, que leurs gorges seront tranchées, que ce sera le moment le
plus dangereux de toute l ’histoire juive. Israël dira « si nous nefa i­
sons rien, nous serons tous massacrés par cesfanatiques musulmans.
Si nous restons assis à ne rienfaire, l ’E tat d'Israël sera détruit et les
juifs seront tous massacrés. Que pouvons-nous faire ? Une attaque
préventive ». Mais ce ne sera pas une attaque préventive. Ce sera la
plus éblouissante démonstration de suprématie militaire, qui laissera
même l'Oncle Sam loin derrière... Avant que le roi d ’Arabie Saou­
dite n’ait eu le temps de cligner desyeux, les Israéliens auront pris pos­
session des champs pétrolifères saoudiens, et des champs pétrolifères
irakiens et koweïtiens »Jm.

Nous avons déjà vu la première partie de ce scénario se dérouler.


Il y a eu, comme prédit par Sheikh Imran Hosein, des soulè­
vements arabes, la chute de plusieurs gouvernements par eftet
domino, leur remplacement par les Frères musulmans financés
par le Qatar et soutenu par les États-Unis410. Puis, l’on a vu, à

409 Sheikh Imran Hosein, Beyond seplenibcr //.m ars 2003.


410 L’administration américaine a soutenu les Frères musulmans durant les
élections présidentielles égyptiennes de 2012 et le président élu (et desti­
tué un an plus tard) Mohamed Morsi. Morsi a fait ses études, a vécu aux
USA et détient la nationalité étasunienne. Il a notamment travaillé en tant
qu’ingénieur à la NASA. Lire le très intéressant article sur les rapports
qu’entretien le frère de Barak Obama, Malik Obama, avec les Saoudiens et

24 7
commencer par la Libye, l’arrivée de hordes de mercenaires et
d ’assassins endoctrinés et financés par les deux E tats wahhabites
que sont le Q atar et l’Arabie, armés et soutenus par les Etats-
U nis, Israël, la France et la Grande-Bretagne, semer le désordre,
bombarder, massacrer les populations civiles en Libye, en Syrie
et en Irak. Ce sont ces groupes qui ont formés D aech, l’E tat ter­
roriste qui sévit en Irak et en Syrie, et bientôt en Jordanie.

Le rôle de ces groupes et de Daech est multiple : il doit finir


ce qu’a commencé M oham ed Ibn A bd al-W ahhab, à savoir dé­
truire l’islam de l’intérieur, et ternir aux yeux du monde entier
l’image de l’islam, afin de justifier le C hoc des civilisations et
la guerre totale que mène l’Occident et que mènera Israël au
Proche-O rient.

Nous avons cité plus haut le passage du Z ohar (livre majeur


de la mystique juive), lequel « annonçait » le désordre que
sèmeraient les Arabes (les fils d ’Ismaël), justifiant une guerre des
Occidentaux (Edom) contre les Arabes :

« Lesfils d ’I smaël (les arabes) provoqueront de dures guerres dans


le monde et lesfils d ’E dom (le monde occidental) se rassembleront
contre eux p our les combattre. Ils fe ro n t contre eux une bataille
sur la mer, une sur la terre et une autre proche de Jérusalem. Les uns
auront la maîtrise des autres. Néanmoins, la Terre sainte ne sera pas
conquise par lesfils d ’E dom »411.

O r c’est précisément ce rôle que jouent les terroristes qui


œuvrent au Proche-O rient et Daech en particulier. Justifier au

les Frères musulm ans : http://w\v\v.solidarileetprogres.orç>/actua!ites-001/


freres-obam a-protecteurs-terrorism e-islam ique-saoudien-10481.html
411 Zohar, parachal Vaéra, p. 32A.

248
final une guerre totale contre l’islam. Les liens existant entre les
terroristes, les régimes wahhabites, Israël'112 et les puissances
occidentales, ne font plus aujourd’hui l’objet d’aucun doute pas
plus que d’aucun débat sérieux tant les preuves abondent. Le
lecteur comprend maintenant quels sont le sens et la signification
de ce jeu complexe. Les wahhabites, si proches d’Israël et des
puissances occidentales, font jouer à leurs soldats au nom de
Dieu le rôle dévolu par le Zohar. Comprenons bien que ce qui
est écrit dans le Zohar à propos du destin des Arabes n’est pas
une prophétie, loin de là, mais une stratégie élaborée pour se
débarrasser des musulmans qui, lorsque le Zohar fut rédigé
(XIII' siècle), possédaient la totalité de cette terre objet de toutes
les convoitises messianiques.

Nous assistons maintenant à la phase finale de cette tragédie.

Le rôle corrosif de ces entités terroristes a été et est encore


d’anéantir les structures étatiques préexistantes... comme c’est
déjà fait en Libye, en Irak et comme ils essaient de le parfaire
en Syrie.

Israël, comme l’a annoncé Shcikh Imran Hosein (supra), va


déclarer que la survie des juifs est menacée. Il est vraisemblable
qu’Israël lancera une guerre contre Daech, mais pas avant que

412 Benjamin Nétanyahou a affirmé, au sujet de l’Arabie Saoudite - qui est


le centre idéologique du terrorisme et la principale source de son finan­
cement (avec le Qatar plus récemment) - , lors d'une interview donnée en
2012 : « Xos relations avec l'Arabie Saoudite sont bonnes cl nous espérons
qu 'elles se développeront davantage. Il y a des relations pacifiques entre
l'Arabie Saoudite et Israël. Sous avons des intérêts communs avec l Arabie
Saoudite, en économie, en politique régionale et dans bien d'aunes do­
maines. ». Cette déclaration filmée est disponible sur ce site : http:/Avww.
partiantisioniste.com/actualites/arabie-saoudite-et-israel-freres-siamois-
video -1 2 3 6 .h tm l

24 9
celui-ci n’ait accompli sa mission, qui est de détruire l’É tat sy­
rien, ce qui conduirait à un affaiblissement du H ezbollah. Le
H ezbollah et l’É tat syrien é tan t les deux derniers verrous qui
em pêchent encore l’expansion d ’Israël au Levant. C ’est pour
cette raison évidente qu’Israël soutient activem ent les w ah-
habo-takfiristes com battant en Syrie. Bien entendu la volonté
d ’affaiblir l’Iran participe de cette stratégie consistant à faire
sauter les verrous de résistance et de souveraineté que sont le
H ezbollah e t la Syrie, to u t deux form ant avec l’Iran un arc de
défense face aux velléités d ’hégém onie régionale israélienne413.

Si en fin de compte Daech, après avoir rempli sa fonction, est ex­


terminé par Israël (et le monde occidental l’applaudira), eh bien
le monde occidental longuem ent conditionné par les médias,
assistera passivement à un génocide « légitime et justifié », celui
des Arabes, génocide qu’appelait de ses vœux le grand rabbin
d’Israël Yossef Ovadia, cité plus haut : « Le Seigneur retournera
les actions des Arabes contre eux-mêmes, épuisera leur semence et les
exterminera., afin de les dévaster et de les bannir de ce monde ». C ha­
cun saisira qu’il ne s’agit pas de simples paroles en l’air de la part

413 Notre avis est que probablem ent le régime d’Assad ne tom bera pas, mais
sous la poussée de Daech, soutenu par l ’aviation de l’OTAN, Assad risque
d ’être contraint de se retrancher vers le nord de la Syrie ; alors la Syrie
sera divisée en au moins deux parties : une partie nord où résidera le
gouvernem ent et l’armée syrienne, et une partie sud occupée par Daech
(Nous verrons alors un exode m assif des Syriens de la m oitié sud fuyant
Daech pour se rendre vers le nord afin de rejoindre leur président). Si
notre prévision s ’avère juste, le Hezbollah sera coupé géographiquem ent
du régim e syrien et fera face seul à Daech et Israël. Il est peu probable
que Daech puisse venir totalem ent à bout du Hezbollah, m ais il occupera
une grande partie du territoire que convoite Israël. Alors seulem ent Israël
s ’attaquera à Daech ; un ennemi à sa portée, plus facile à vaincre que le
Hezbollah. Si dans les prochains mois Israël lance une offensive contre le
Hezbollah, ce sera pour l’affaiblir et faciliter la tâche à Daech. Tout com m e
Israël frappe régulièrem ent la Syrie pour venir en aide aux terroristes.

250
d’une autorité religieuse qui fut, en outre, le conseiller écouté
des dirigeants israéliens pendant trente ans, et ce jusqu’à sa mort
en 2013. Il ne faisait qu’énoncer un projet messianique dont la
méthode s’inspire du Livre de Josué.

Lorsque cela se produira, Israël déclarera qu’il n’a pas eu


d’autre choix. Ce n’est pas un hasard si régulièrement les Is­
raéliens et les sionistes parlent de millions d’Arabes « hos­
tiles » encerclant Israël ; ils préparent les opinions publiques
depuis longtemps à ces exterminations de masse sur le mode
du Livre de Josué. Génocides nécessaires à l’établissement de
leur imperium régional.

Dans une perspective eschatologique le Prophète Mohamed s’est


d'ailleurs exprimé en ces termes dans un hadith (parole du Pro­
phète rapportée) particulièrement visionnaire : « Parmi les signes
de l'avènement de l ’Heure, ily a l ’extermination des Arabes »414.

Sheikh Imran Hossein interpréta ce hadith relatif à l’extermination


des Arabes comme un génocide. Génocide inscrit dans le code gé­
nétique du projet messianique sioniste41’ , lequel inclut pour com­
mencer l’expansion territoriale de l'État juif du Nil à l’Euphrate416.

Ceci peut paraître surréaliste, mais les éléments solides ici ras­
semblés nous induisent à partager ce point de vue.

414 Ali ibn Abd-al-Malik al-Hindi, Kanz al-Untmal, n° 38471.


415 Israël est le premier État ethnique déclaré comme tel : disposition adoptée
par la Knesset sur la « Nation » juive.
416 Voir son livre : An Islamic view o jG o g and Magog in the modem world,
chapitre 4 ; et sa conférence : Destruction o f the Arabs.

251
É puration ethnique e t génocide, de la g u erre p r im itiv e à la
géopolitique contemporaine

Dans un entretien du 24 juin 2013 au National Interest, Zbigniew


Brzezinski (que nous avons déjà cité), l’un des plus éminents géos­
tratèges américains, a livré une réflexion qui rejoint et confirme la
nôtre sur la politique et le futur d’Israël : « Les perspectives stra­
tégiques d'Israël seront mieux servies si tous ses voisins limitrophes
sont déstabilisés. Je crois pour ma part que c'est une solution qui à long
terme se révélerait désastreuse pour Israël, parce que son corollaire, si
cela devait arriver, serait l ’élimination de l ’influence américaine dans
la région, Israël serait alors abandonné à son propre sort. Je ne pense
pas que ce soit bon pour Israël, et, selon moi, et plus important encore,
parce que je considère les choses du point de vue de l ’intérêt national
américain, que ce ne serait pas très bon pour nous ».

Le journaliste lui pose alors la question suivante : « Pensez-vous


que si la région venait à connaître un plus grand bouleversement,
avec une diminution de l ’influence américaine, Israël y verrait une
occasion de consolider ses positions, ou même de prendre des initia­
tives plus radicales si la Jordanie devait s'embraser ? »

Brzezinski répond : « Oui, je vois où vous voulez en venir. Je pense


que dans le court terme cela renforcerait sans doute laforteresse Israël,
parce qu'il n'y aurait plus personne pour s'y opposer, pour ainsi dire.
M ais ce serait, avant tout, un bain de sang (de différentes façons
selon les personnes), avec quelques pertes importantes côté israélien.
M ais la droite israélienne aura le sentiment qu’il s ’agit d ’une ques­
tion de survie ».

« Mais à long terme, une telle région hostile ne p e u t pas être


contrôlée, même par un Israël doté de l ’arme nucléaire. Cette situa-

252
tion fera à Israël ce que certaines guerres nous ont fait, à moindre
échelle. L'user; te fatiguer, le miner, le démoraliser, provoquer une
émigration des éléments lesplus brillants, pourf in ir dans une sorte
de cataclysme impossible à prévoir à ce stade parce que nous ne
savons pas qui à ce moment-là possédera quoi et quand... L ’idée que
l’onpeut contrôler une région à partir d’unpays trèsfort et motivé,
mais peuplé de seulement six millions d ’habitants, est tout simple­
ment ui]_rëveJou»'"‘.

Brzezinski a tout dit. Israël a tout à gagner à la destruction totale des


nations du Proche-Orient —nous avons démontré, en nous appuyant
sur les travaux de Walt et Mearsheimer, que c’est Israël qui a poussé les
Etats-Unis à détruire les États de la région - ce qui a produit, comme
nous le voyons, le chaos autour d'Israël, lui offrant l’argument de l’in­
sécurité pour justifier des opérations offensives, situation cependant
à terme uniquement gérable à un prix formidablement élevé. Les
aventures afghane et irakienne montrent à l’envi que leur coût maté­
riel, humain, moral et politique est au bout du compte intenable. Au
demeurant comme le souligne Brzezinski, même s’il semble invalider
cette proposition dans les phrases suivantes, ceci permettrait à Israël
de prendre des mesures radicales, un « bain de sang » en l’occurrence -
auxquelles personne ne pourrait s’opposer. Ce cas de figure s’est déjà
rencontré et dans les mêmes termes en Libye : soi-disant afin d'éviter
un « bain de sang », France, Italie, Royaume-Uni, Amérique en ont
produit un plus grand encore.

Le plus important, rejoignant ici l’analyse de Sheikh Imran Ho­


sein, c’est qu'Israël ne peut contrôler une région aussi vaste et
peuplée sans procéder par tous les moyens à une réduction de
ses populations non juives. Une telle hypothèse n’est que super­
ficiellement extravagante surtout si l’on a en mémoire lexten-

417 Brzezinski on the Syria Crisis, The National Interest, 24juin 2013.

253
sive épuration ethnique des Arméniens en Turquie entre 1915
et 1916, génocide conduit par les Jeunes-Turcs dànmeb, ceux qui
sont aujourd’hui appelés Turcs blancs, ceux-ci form ant dans la
Turquie actuelle les gros bataillons de l’É tat profond allié straté­
gique de Tel-Aviv et grand pourvoyeur d ’armes et d ’équipements
à Daech.

L’on comprend finalement pourquoi le très influent rabbin


Yossef Ovadia parlait d'extermination, de dévastation des Arabes
et de leur « bannissement de ce monde ». Il avait été encore plus
explicite lorsqu’il proférait : « Puissent-ils disparaître de la Terre.
Puisse Dieu envoyer un fléau aux Palestiniens, ces enfants d'Ismaël,
ces vils ennemis d ’Israël ».

Cefléau évoquait-il une pandémie provoquée par d ’éventuelles armes


biologiques ?Ainsi que prophétisé par le Prophète Mohamed ? « Vous
les Arabes, une épidémie vous frappera et vous tuera en grand
nombre, comme une épidémie frappe un troupeau de moutons »'118.

L ’on sait depuis Flavius Josèphe que les irréductibles judéens étaient
passés maîtres dans l'art d ’empoisonner les sources ; et c’est le premier
président de l ’É ta t hébreu, Chaïm Weizmann, ancien chimiste et
dirigeant de l ’Organisation sioniste mondiale, quifournit en 1945 au
commando de Nakmim (pluriel de Nakam), les “vengeurs", appelé en
anglais The Avengers, appartenant au mouvement Berihah (dirigé
par le j u i f sioniste Abba Kovner), tesformules chimiques destinées à
empoisonner les réservoirs d ’eau des villes de Munich, Nuremberg et
Hambourg. Kovner f u t arrêté à son retour d ’Israël où il s’é taitfourni
le poison, et son commando de tueurs de masse a été empêché par la
suite de mettre le plan à exécution ; ils ont toutefois, en 1946, réussi
à empoisonner le pain destiné aux prisonniers de Langwasser. Abba

418 Bukhari, livre 53, hadilh n° 401.

254
Kovner est aujourd'hui célébré en Israël comme un héros au même
titre que Baruch Goldstein, l'assassin du caveau des patriarches
d'Hébron (qui tua 25 Palestiniens en pleine prière et f i t 125
blessés).

C ’est aussi de cette manière que pourrait se conclure le


fameux Choc des civilisations, théorisé au Moyen-Age par des
rabbins kabbalistes. Beaucoup continuent de penser que c’est
le géopolitologue américain Samuel Huntington qui aurait
théorisé le choc des civilisations dans les années 1990. C ’est en
réalité doublement faux.

Bernard Lewis : le Choc des civilisations comme traduction laïque


du projet politico-messianique

Pour mémoire, nous avons dévoilé les origines bibliques de cette


stratégie du Choc des civilisations et son évolution à partir de la
fin du XIII' siècle. Nous avons parlé plus haut de l’historien juif
américain Bernard Lewis, qui a laïcisé et vulgarisé cette thèse
en la baptisant sous cet intitulé effrayant et racoleur. Bernard
Lewis a joué le même rôle que l’intellectuel juif allemand Hein-
rich Graetz (supra) qui avait, au milieu du XIX' siècle, laïcisé et
rationalisé l’ethno-racialisme biblique du judaïsme en plaçant les
juifs au-dessus de tous les peuples.

Bernard Lewis en 1957, coreligionnaire de Graetz, a quant à lui,


laïcisé et érigé en dogme géopolitique et historique la stratégie
kabbalistique et messianique du Choc des civilisations. C ’est lui
qui l’a baptisé ainsi : « Choc des civilisations ».

255
Il a lui-même fait le récit des circonstances dans lesquelles il
« avait conceptualisé » le choc des civilisations ; écoutons-le:
« E n août 1957, un congrès de quatre jours consacré aux « tensions
au Proche-Orient » se tient à la School o f Advanced International
Studies de l'université Johns Hopkins à Washington. Les actes
furent publiés l'année suivante dans un livre portant le même nom.
Intitulée « Le Proche-Orient dans les affaires internationales », ma
contribution contenait les lignes suivantes : « Les ressentiments
actuels des peuples d ’Orient se comprennent mieux lorsqu’on s’aperçoit
qu’ils résultent non pas d'un conflit des Etats ou des nations, mais du
choc entre deux civilisations (chrétienne et musulmane)... Je me
suis efforcé de hisser les conflits du Proche-Orient, souvent tenu pour
des querelles entre Etats, au niveau d ’un choc des civilisations...

Etait-ce un choc des civilisations ? Je dirai plutôt entre deux va­


riantes d ’une même civilisation. Le conflit persistant entre l ’Islam et
la Chrétienté tire sa spécificité, non pas de leurs différences, mais de
leurs ressemblances. Toutes les religions proclament que leurs vérités
sont universelles...

Entre ces deux religions partageant en commun héritage j u i f et hel­


lénistique, revendiquant une même autorité et une même vocation
universelles, se disputant le bassin méditerranéen et le continent qui
le borde, le choc était inévitable. Cependant, ce choc n’é tait pas tant
entre deux civilisations qu'entre deux rivaux aspirant à prendre le
leadership d ’une seule et même civilisation »419.

Son résumé caricatural de la longue et complexe relation du monde


chrétien et du monde musulman révèle ce que l’on a expliqué pré­
cédemment : le problème que posaient dès le Moyen-Age au ju ­
daïsme, et en particulier aux rabbins messianistes, ces deux grandes

419 Bernard Lewis, L'Orient et moi, rapporté par le journal Le Point, 28 am i 2005.

256
religions universelles qui étaient un obstacle dans l’accomplissement
du projet messianique ; à savoir l’établissement d’une suprématie de
la religion juive sur toutes autres. D’où la stratégie consistant à faire
se percuter ces deux mondes, chrétien et musulman, aux fins d’une
mutuelle destruction.

Que l’on ne vienne pas ici arguer du fantasme ou de la théo­


rie de la conspiration puisque cette idéologie de guerre civile
nationale et planétaire gagne chaque jour davantage de terrain
dans les vieilles nations d’Europe où ceux qui se faisaient hier les
chantres de l’immigration ab libitum, de la mixité sociale, du mé­
tissage et de la société plurielle sont les mêmes qui maintenant
excitent avec virulence les natifs blancs (dits de souche) contre
un islam présenté comme dévastateur des cultures européennes
postchrétiennes. Ou encore ameutent les nations occidentales
contre les mouvements de résistance arabes face aux menées en­
vahissantes d'Israël.-

Bernard Lewis, évidemment, occulte totalement la responsabilité


d’Israël lorsqu’il parle des conflits du Proche-Orient alors que nous
avons abondamment constaté les liens étroits qui unissent le sionisme
à ces conflits, dans leur genèse et leur développement, et ce, depuis
plus d’un siècle.

Tout comme le Zohar au XIIIe siècle et Solomon Molcho au


XVIe, Lewis veut établir et/ou exacerber (méthode froide­
ment préconisée par Oded Yinon après lui) un antagonisme
entre islam et Chrétienté avant de lancer le monde chrétien
contre le monde musulman.

Bernard Lewis est loin detre neutre, il est sioniste,


néoconservateur, fervent partisan d’Israël, détenteur des
nationalités israélienne, britannique et américaine. D ’ailleurs,

257
il a joué un rôle im portant dans le déclenchement de la guerre
d ’Irak de 2003 en persuadant l’ancien vice-président américain
D ick Cheney de se prononcer en faveur de cette guerre'120.

Bernard Lewis est en quelque sorte le Solomon M olcho des


temps modernes ; il passe de la théorie à la pratique, tout comme
M olcho avait d’abord théorisé l’action que les juifs devaient me­
ner auprès des chrétiens pour leur faire adopter les vues mes­
sianiques juives, avant d’essayer de les lancer dans une guerre
contre les ottomans (après la tentative échouée de son maître
David Reuveni).

Pour beaucoup de spécialistes, Bernard Lewis est le seul véritable


théoricien du Choc des civilisations ; ce présent ouvrage a dé­
montré que la réalité est tout autre. En fait Bernard Lewis et
Samuel H untington après lui, ne sont que des passeurs. Tous les
géopolitologues et spécialistes qui aujourd’hui reprennent les
thèses de Lewis et analysent la géopolitique et le rapport de l’is­
lam à la chrétienté à travers ce prisme déformant, ne sont au
mieux que les dupes de leur propre ignorance.

420 Walt et Mearsheimer, op. cit. p. 270.

258
La vraie nature d'Israël

Un certain nombre d’observateurs s’étonnent de l’apparente


« transformation » de l’Etat d’Israël. Ils voient et constatent
qu’Israël opère un tournant ; qu’il se radicalise et que les religieux
et la religion prennent une place de plus en plus importante dans
l’appareil d’État.

Ceci n’étonne que les naïfs (qui sont majoritaires) qui s’imaginent
que le projet sioniste était à l’origine laïc, athée et socialiste...

Nous pensons que dans toute idéologie, tout processus engagé


par l’Homme, le principe premier, la fondation, l’Archè, déter­
mine la finalité. Nous avons démontré que le projet dit « sio­
niste » est à l’origine et dans son essence religieux, biblique, ka-
bbalistique, messianique et eschatologique. Ce qui s’apparente à
une transformation, n’est en réalité que la révélation progressive
de sa nature vraie. Israël n’a plus besoin des idéologies modernes
pour parachever son projet. Le socialisme, le capitalisme, qui
ont permis à l’ambition sioniste de s’accomplir dans un monde
moderne qui voit d’un mauvais œil la religion, netait quune
protection, un bouclier, une kelippa (une coque) diraient les rab­
bins kabbalistes, grâce à laquelle le projet messianique est parve­
nu à traverser l’Histoire.

Nul par conséquent ne peut réellement comprendre l’Israël


d’aujourd’hui et de demain sans avoir intégré ce que nous
avons dévoilé et développé tout au long de cet ouvrage.

259
Parm i ces observateurs étonnés par la transform ation qu’opère
Israël, se trouve Charles Enderlin, journaliste correspondant à
Jérusalem depuis plus de 30 ans. Dans un entretien qu’il accorda
au journal Le Nouvel Observateur, le 16 mai 2013, il déclara que
la guerre de 1967 a été à l’origine du développement spectacu­
laire du messianisme dans la société israélienne. Il ajoute :

« L'E tat des juifs qu'imaginait Théodore H erzl n'avait rien de reli­
gieux. I l écrit même que dans cet Etat, où le vice-président pourrait
être arabe, les militaires devraient rester dans leurs casernes et les
rabbins dans leurs synagogues. Lorsque nait en 1948 l'E ta t d'Israël,
Ben Gourion fa it, certes, plusieurs concessions aux religieux - l ’état
civil sera tenu par les rabbins, les jours fériés seront les fêtes reli­
gieuses juives, un membre d ’une communauté religieuse ne pourra
pas épouser un membre d ’une autre communauté religieuse - mais le
messianisme est loin d ’être central dans la vie politique du jeune E tat
d ’Israël. A u point que les religieux se plaignent d ’être discriminés
dans les institutions de l'Etat contrôlé par les travaillistes.

Tout change après l ’occupation par Israël de la Cisjordanie, de Jéru-


salem-Est et de l ’Esplanade des Mosquées où se trouve le M ont du
Temple. Pour tes religieux, cette conquête est une sorte de miracle. Voilà
que tout à coup Israël contrôle Hébron, Jéricho, Naplotise - la Sichem
biblique -, les collines dont les nomsfigurent dans l'Ancien Testament, et
surtout le M ont du Temple, c'est-à-dire les ruines du temple d'Hérode,
seul lieu saintjuif. Ce qu'on appelait jusqu’alors la Cisjordanie va de­
venir, comme dans la Bible, lafudée-Samarie. Ce nom deviendra même
la dénomination officielle des territoires occupés avec l'arrivée au pouvoir
de Begin et de la droite en 1977. C'est au nom de la Bible que les colonies
surgissent sur les collines, d'abord sous les gouvernements travaillistes,
puis, plus vigoureusement, sous l'influence du Goush Emounim, le « bloc
de la fo i ». Pour Begin, qui a succédé à Rabin à la tête du gouverne­
ment, Israël s’é tend sur les deux rives du Jourdain. C'est une terre

260
sacrée, qu'il est exclu de partager Le grand rabbin d'Israël, Abraham
HaCohen Kook, déclare même que celui qui cède un pouce de la terre d ’Is­
raël doit avoir la main coupée. Les colonies se multiplient donc. Avec le
soutien actifde l ’État. Et, aufil des années, les petits groupes de cotons
messianiques qui se lançaient à l ’assaut des collines deviennent un
puissant mouvement politique, qui peutfaire ou défaire les majorités.
La situation dam laquelle nous nous trouvons, où Israël contrôle, d ’une
manière ou d’une autre, 60 % de ta Cisjordanie, est l ’héritage de la stra­
tégie annexionniste que Begin et le Likoud, alliés aux religieux, ont mise
en œuvre, des décennies durant, au nom de la Bible, tout en affirmant au
reste du monde qu'ils étaientprêts à des discussions...

Le messianisme s’est infiltré à tous les niveaux de la société israé­


lienne. Le discours de la droite au pouvoir est le discours des mes­
sianiques. Près de 40 % des officiers d ’infanterie appartiennent ail
mouvement nationaliste religieux. Des officiers supérieurs habitent
des colonies religieuses « sauvages * qui ne sont même pas autori­
sées par le gouvernement. Certaines unités de l'armée comprennent
une telle proportion de religieux que l ’état-major doit s'efforcer d ’y
attirer des laïques pour maintenir une composition équilibrée. Un
chercheur comme Menahem Klein, bon connaisseur du sionisme re­
ligieux, estime que le gouvernement ne pourrait - à supposer qu’il le
veuille-faire évacuer les colonies de Cisjordanie sans provoquer une
révolte armée. Le nouveau gouvernement que vient de constituer
Nétanyahou est de loin le plus messianique de l ’histoire d ’Israël.
Uri Ariel, l'un des fondateurs de Goush Emounim, est ministre du
Logement. Le président de la commission desfinances de la Knesset
est un ancien président du Conseil des colonies. Aujourd'hui,plus de
50 % des Israéliensju ifs croient à la venue du Messie. Autant dire
que la paix n'estpas pour demain... b421.

421 Israël : le péril messianique, Charles Enderlin, propos recueillis par René
Backman, Le Xouvel Observateur, 16 mai 2013.

261
Ce rapport étroit qu’entretiennent les dirigeants israéliens et
le m onde rabbinique messianique est illustré par un entretien
filmé entre Benjamin N étanyahou et le grand rabbin M enahem
M endel Schneerson (1902-1994), un des maitres spirituels du
judaïsm e à l’échelle mondiale, le 18 novembre 1990. L’échange
qu’ils ont eu est édifiant, il vient illustrer notre propos et notre
dém onstration, à savoir que ce sont les rabbins qui sont les
maîtres des communautés juives, d ’Israël, des dirigeants israé­
liens et des élites juives. Ce qui est frappant, c’est la soumis­
sion de Nétanyahou, l’immense respect et l’obéissance qu’il
témoigne au rabbin.

Voici leur échange :

M e n a h e m M e n d e l S c h n e e r s o n : « Je ne t ’a i p a s v u
depuis longtem ps. B e'nédiction et succès. D o u b le p o r tio n
de bénédiction. »

Nétanyahou :« Je suis venu demander votre bénédiction et votre aide. »

M enahem M endel Schneerson : « Dans tous les domaines ?»

Nétanyahou : « Dans tous les domaines —personnel et politique. »

M enahem M endel Schneerson : « Depuis notre dernière rencontre


beaucoup de choses ont progressées. Ce qui n’a pas changé, toutefois, c’est
que le Messie n ’e st pas encore venu ; alorsfaites quelque chose pour
hâter sa venue ».

Nétanyahou : « Nousfaisons, nous fa iso n s... »

M enahem M endel Schneerson : « Apparemment ce n ’e st pas


suffisant, alors que plusieurs heures sont déjà passées aujourd'hui et

262
qu'il n'est toujours pas là. Mais il reste encore quelques heures avant
lafin de la journée*21 alors essayez encore aujourd'hui. »

Nétanyahou : « Oui »...

Nous avons expliqué où et quand est né cette idée de hâter la


venue du Messie. Du point de vue des rabbins, son arrivée est
imminente, les conditions sont presque toutes réunies ; ne reste à
fonder que le Grand Israël et à reconstruire le Temple après avoir
détruit la Mosquée d’al-Aqsa. Toutefois, les rabbins s'opposent
sur cette question : la majorité d’entre eux dit qu’il faut attendre
la venue du Messie qui reconstruira le Temple, d’autres sont
partisans d’une reconstruction avant l’arrivée du Messie.

Nous pensons qu’ils n’attendront pas la venue de leur Messie pour


détruire la Mosquée et reconstruire le Temple ; car la destruction
de la Mosquée constituera une provocation majeure qui allumera
un feu supplémentaire dans toute la région du Proche Orient, ce
que désirent les dirigeants israéliens. Us détruiront la Mosquée au
moment opportun, soit juste avant la grande guerre d’Israël, pour
la précipiter, soit pendant. La seconde Intifada n'a-t-elle pas été
délibérément provoquée par une "visite” aussi intempestive que
provocatrice sur l’Esplanade des Mosquées (le Mont du Temple)
d’Ariel Sharon le 28 septembre 2000 ?

Nous sommes entrés dans la phase finale de maturation de


l’État d’Israël.

Israël est un État ethnique, pratiquant le différentialisme en


son propre sein - entre Ashkénazes dominants et Sépharades,

422 « Journée » signifie « courte séquence historique », dans le sens où l'amvée du


Messie est imminente.

2 63
mais l’inégalité sociale existant en Israël entre ces deux
com m unautés juives tend à disparaître, notam m ent par la
présence d ’un sous-groupe considéré defacto comme inférieur :
les Falashas - et une forme à peine déguisée de ségrégation vis-
à-vis des Palestiniens, conformément aux préceptes bibliques.
L’É tat d’Israël n’e st pas l’É tat de ses citoyens, car il n’existe pas
de véritable citoyenneté, l’É tat n’appartient pas aux Israéliens,
mais aux juifs, et Israël se définit lui même comme un É tat juif.
E n Israël, on ne peut jouir pleinement des droits que si l’on est
ju if et qu’on peut le prouver. L’É tat appartient donc plus aux juifs
vivants à l’autre bout de la planète qu’à l’Arabe né sur le territoire
israélien, parlant la langue, travaillant et payant ses contributions
en Israël423. N otons que ce même Arabe israélien n’a pas le droit
de se marier avec une juive.

Jusqu’à l’heure actuelle, Israël demeure un É tat sans constitution


- le seul au monde avec l’Allemagne, mais celle-ci est un É tat
fédéral constitué de Landers ayant une certaine autonomie - et
sans frontière !

U n É tat sans frontière est un fait unique au monde, ceci peut


paraître étrange, et la raison profonde de cette étrangeté échappe
une fois de plus à l’immense majorité des analystes et spécialistes.
Il faut, pour com prendre cette étonnante singularité, ne pas
oublier que l’É tat d ’Israël est encore inachevé, en construction,
un É tat en devenir. Nous l’avons vu, Israël est un projet non
abouti territorialement, même s’il s’agit d’un fait accompli.

Aspects qui n’o n t rien d é to n n a n t lorsque l’on connaît l’o ri­


gine et le but messianique et globaliste du projet sioniste et
plus largem ent kabbalistique, qui entend étendre son im pe-

423 Voir : Shlomo Sand, Comment le peuple j u i f f u t inventé ?, chapitre 5.

264
rium théocratique, par la transformation de la Torah afin de
faire de la loi du peuple d ’Israël la loi secrète propre à l ’univers
et par suite donner au ju i f mystique un rôle vital dans le monde
(dixit Gershom Scholem424). Ceci par le biais d’une gouver­
nance mondiale en gestation, celle de 1’hyperclasse que prône
en France par exemple, le messianiste Jacques Attali, ancien
directeur de la Banque européenne pour la reconstruction et le
développement (BERD).

Nous l’avons montré, Israël va, par la guerre sans fin, tenter de
fonder demain un Etat bien plus vaste que l’actuel, un Etat aux
frontières bibliques, un État théocratique, un État exclusivement
juif doté d’un régime monarchique ; le monarque attendu étant
le Messie. Il est concevable que les dirigeants israéliens placent
un régent à la tête du royaume d’Israël en attendant l’arrivée du
Messie.

Nous vivons aujourd’hui un bouleversement majeur au


Proche-Orient et dans le reste du monde. Nous assistons à
l’application sans pitié de la stratégie du Choc des civilisations,
elle-même issue du messianisme actif.

De grandes et profondes transformations à l’échelle mondiale


ont commencé, encore peu visibles du commun des mortels et
dont nous verrons certainement très bientôt les effets. Déjà les
fronts de guerre se multiplient et dessinent les contours d’une
guerre globale, de l’Ukraine au Yémen, du Maghreb au Machrek.
Ce qui apparaîtra alors ne sera finalement que la révélation de
ce qui se cachait derrière et au tréfonds des grandes idéologies
modernes. La réalité apparente fera place à la réalité cachée.
L’Apocalypse ne signifie-t-elle pas dévoilement ? Fin de

424 Geishom Scholem, La kabbale, uitroduction thèmes et biographies, p. 46.

2 65
l’H istoire par la venue du messie ju if au prix d’une mise à feu et
à sang du Proche-O rient et du monde ou prélude à la révélation
d ’une vérité cachée depuis la nuit des temps ?
Index B
Balfour 75 ,14 9-1 50 ,1 70 ,2 15
Banna, Hassan al- 125-128
Barak, Ehoud 20 7-20 8,22 1,22 6,24 7
Bard, Mitchell 211
Basnage, Jacques 137
Battenberg-Mountbatten 98
A Bayazet 45
Abdelaziz ibn 5aoud 1 1 0,1 27 ,2 16 Beaconsfield, lord (Disraeli) 77
Abduh, M ohamm ed 11 8-11 9,12 1-1 25 .12 9, Begin, Menahem 20 5,2 16 ,2 60 ,2 61
130-131 Ben Gourion 1 6 3 ,1 67 ,1 69 -17 0,18 8,26 0
Abdulham id ll 112 Ben Israël, Menasseh 71 -7 5,11 6
Aboulafia, Abraham 3 1 -3 3 ,3 9 ,5 7 ,8 2 Benjamin, Israël 85
Abrams, Elliot 210,217 Ben Laden, Oussama 202,208,221
Adelman, Kenneth 210 Bennet, W illiam 209,224
Afghani, Jam al Eddine al- 11 7-122,125, Bhutto, Benazir 202-203
129-131 Bloch, Mathias 85
Ahm adinejad 23 4,2 3 9 ,2 4 2 Boot, Max 210
Ahm ed Am in 124 Bosnie 4 2 ,95
AIPAC 2 0 8 ,2 1 2 -2 1 4 ,2 2 7 ,2 3 6 -2 3 7 ,2 4 3 Boulan 102
Alexandre II 98 Brandeis, Louis D. 103,215
Allenby, Général 158-159 Brom, Shlom o 224
Al-Qardaoui, Yusuf 128 Bronfman, Edgar Sr. 237
Amidror, Ya’akov 185 Brooks, David 210
Amitay, Morris 227,2 43 Brownback, Sam 243
Anatolie 4 2 ,1 5 9 Brzezinski, Zbigniew 6,2 01 ,2 36 ,2 52 -25 3
Assad, Bachar e l- 2 2 6 ,2 3 0 -2 3 1 ,2 3 3 ,2 5 0 Bulow, Andreas von 203
Ataiurk 94 Bush, George W. 20 6-20 7,20 9,21 8-2 25 ,2 29 ,
Attali, Jacques 151,265 238-242
Auguste III 97
Azaria 117 c
Azoury, Negib 146 Cambon. Paul 157
Azriel 64 Carter, Jim m y 214
Azulai, Abraham 3 6 ,37 Carvajal, Antonio Fernandes 76
Charles 1er, Roi 73
Charles V 44

267
Cheney, Dick 221,224-225,228,258 Flavius, Josèphe 20,136-137,254
Christina 71 Florentin, Salomon 93
Clark, Wesley 198 Frankenberg, Abraham de 73
Clément VII, Pape 40,41 Frank, Jacob 42,75,94-98,100-102,117,133
Clinton, Bill 214,237 Franklin Delano Roosevelt 110
Clinton, Hillary 213-214,240 Frédéric-Guillaume II, Roi de Prusse 117
Cohen, Eliot 209-210 Friedberg, Aaron 210
Cordovero, Moïse 60,100 Frum, David 210
Cossiga, Francesco 202
Creel, Georges 200 G
Cromwell, Olivier 73,108
Galante, Moïse 85
Georges-Picot 157
D
Gerecht, Reuel Marc 210
Dar Yasin 178 Gérone 27,33,63,65-67
Dayan, Moshe 188 Gingrich, Newt 214
Dembowski, Évêque 97 Giulio, Cardinal 40
Disraeli 77. Voir Beaconsfield Gnose, La 22-25,62-64,134
Goldstein, Baruch 255
E Graetz, Heinrich 40,73,138-140,255
Grey, Lord 157
Eckerv o n Eckoffen
Guillaume I I I 76,140
Eisenhower, Dwight 129
Ellner, Oded 204
H
Épitre à Burgos 64
Escapa, Joseph 80,83 ha-levi, Abraham b. Elézier 38
Eskeles 117 Harrisson Freedman, Benjamin 148
Espinosa, Michael 76 Hauke, Maurice 98
Hechler, William 142
F Hedjaz 108,152,158
Hellio, David 83
Fauzi, Mustapha 89
Herzl, Théodore 14,42,95,96,135,141-144,
Fayçal 160
171,217,260
Feiglin, Moshe 179-180,189,192
Hesse, Karl de 98
Feith, Douglas 210
Hess, Moses 135
Felgenhauer, Paul 72
Hoenlein, Malcolm 242
Filosof, Joseph 93
Hourcanos, Eliezer ben 55
Fischmann, Rabbi 171
Huntington, Samuel 210,255,258

268
Hussein 15 2,1 54 -15 7 ,1 6 0 ,1 9 5 ,2 1 9 -2 2 2 , Lewis, Bernard 193,2 10 ,2 55 -25 8
226,230 Lloyd George 160
Louis XVI, Roi 7 3 ,97
I Louria, Isaac 5 9 -6 2 ,6 6 ,9 9 -1 0 0
Luther, Martin 3 9 ,72
Ibn Abd-al Wahhab, Mohamm ed 107-108
Ibn Hayet al-Sanad 107
M
Ibn Saoud 109
Ibn Suleyman al-Kurdi 107 Malkun Khan 11 4-11 7,12 2,13 1
Isaac d'Alba 80 Mantino, Yackov 43
Issakhar 95 Maravchik, Joshua 210
Marmari, Orner 204
J Mayer, Nathan 76
M cMahon 154,157
Jabotinsky 4 2 ,1 5 9 ,1 6 9
M enahem Mendel Schneerson 262
Jarrah. Ali al 204-205
Misri, A ziz A li a l - 152
Jean I I I 40
Mochinger, Johannes 73
Jean-Paul II, Pape 104
Mofaz, Shaul 230,233
Jordan, Hamilton 214
Moïse b. Shem 33
Jost, Isaac Marcus 137
Molcho, Solom on 38 -4 1 ,4 3 -4 5 ,5 4 ,5 7 -5 9 ,
7 1 -7 2 ,7 9 ,8 3 ,8 6 ,9 0 ,9 3 ,9 5 ,9 7 ,
K 11 6,1 47 ,1 59 ,1 61 ,1 98 ,2 57 -25 8
Kaf ha-Ketorat 100 Moussavi 239,2 42
Kagan, Robert 210 M urad V 112
Kemal Pacha 94
Kennan, Georges 166 N
Kbameneï, Ali 234,2 39
Nadjd 107-110,124
Khatami 239
Nahmanide, Moïse 27 -2 8 ,3 3 ,3 6 -3 7 ,5 7 ,
Khaybar 40
6 6 -6 7 ,9 5 -9 6
Koening, Yisrael 189
Nasrallah, Hassan 226,234
Krauthammer, Charles 210
Nasr Eddine 119
Kristol, William 209-210 Nassi, Joseph 4 5 -4 6 ,5 8 ,8 0 ,1 4 1
Kurzberg, Sivan et Paul 204 Nathan de Gaza 8 4 -8 5 ,8 8 ,9 1 -9 2 ,9 5 -9 6 ,1 0 1
Netanyahou, Benjamin 66 ,17 4,17 8,18 3,
L 20 5-20 7,24 9,26 1-2 63
Lawrence, T.E. 15 8 ,1 6 0 -1 6 1 ,2 1 6 Newlinski, Phillip Michael von 142
Ledeen, Michael 102,210 Nicolas II 98

2 69
Nicolas III, Pape 32 Rothschild, Lionel Walter 149-150
Nordau, Max 135 Rubin, Michael 210

o S
Olmerf, Ehoud 242 Safed 59,60,69
Omar Sheikh 202 Salonique, v. 39-40,83,90,95,113
Oppenheimer, Isaac 117 Saoud, Nayefben Abdelaziz Al 127
Orha-Hammah 37 Schiff, Ze'ev 194,231
Ovadia, Yossef 182-187,250,254 Schonfeld, Franz-Thomas von 117
Sefer ha-Ge'ulah 28
P sefer ha-Mefo'ar 39
Sefer ha-Peli'ah 34
Paul 1er,Tsar 98
Selim ll 45,80
Peres, Shimon 183,205,220-222,235
Shahak, Israël 171,190
Perle, Richard 209-210,234
Shaked, Ayelei 184
Pichon, Stephen 160
Sharon, Ariel 207,218-224,226,229-231,
Pipes, Daniel 209-211
233,263
Pletka, Danielle 210
Sherman, Btad 243
Podhoretz, Norman 209-210
Shiry, Welzman 222
Podolie 94,95
Shmuel, Yaron 204
Primo, Samuel 85
Silverstein, larry 206
Smyrne, v. 80,83-87,95,112
R Sneh, Ephraïm 238
Ra'anan Gissen 220 Soliman le Magnifique 45
Rabin,Yitzhak 235,260 Stephens, Bret 210
Rafsandjani 239 Suasso, Francisco Lopes 76
Ramadan, Tarik 128-130 Sykes, Mark 154,157,191
Reagan, Ronald 216
Reina, Joseph délia 37 T
Reuveni, David 39-41,44,79,198,258
Taitazak, Yosef 40
Rice, Condolezza 224
Thunund Taxi, Joachim von 117
Ridha, Rachid 122-125,129-130,157
Tov de Léon 33
Rohani 239
Treitschke, Heintich von 138,139
Rosen, Paul 102
Tsevi, Sabbataï 42,80-83,85-89,91-96,98,
Rothschild 75-76,98,140-141,149-150
101,112-113,133-134,144
Rothschild, Edmond de 76,140-141

270
V
Victoria, reine 98
Vital, Hayyim 62

W
Warburg 98
Wedgwood, Ruth 210
Weiz mann, Chaïm 14 9,1 60 -16 1.2 54
Wilfrid Blunt 119
Wilson, Woodrovv 215
Wise. Stephen 215
Wolfow itz, Paul 21 0,233-234
Woolsey, R. Jam es 209
Wurmser, Meyra 210

Y
Yalçin, Hüseyin Cahid 113
Yelinek, Yàlin 205
Yinon, Oded 1 7 1 ,1 9 0 -1 9 5 ,2 0 2 ,2 0 6 ,2 1 8 ,
22 6,2 2 9 ,2 4 4 ,2 5 7
Yishai, Eli 185

Z
Zaluski, Évèque 97
Ziad Pacha 142
Zohar 3 3 -3 4 ,3 7 ,5 6 -5 8 ,6 0 ,6 4 ,6 7 ,9 3 ,9 6 ,
101,2 48 -24 9,25 7

271
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n ia, |s}j>]2012.

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Thierry Z arcon e , Secret et sociétés secrètes en Islam - Turquie,
Iran et Asie centrale, XIX1’-XX1 siècles, A rc h è M ila n o , 2 0 0 2 .
Table des matières

C H A P IT R E - I

Sources et genèse du sionisme, de la stratégie du Choc


des civilisations et du m ythe du judéo-christianisme 11
Origines et évolution de l'ésotérismejuif 19
Les grandes figures 28
Moïse Nahmanide 28
Abraham Aboulafia 32
La kabbale espagnole 33
Solomon Molcho 38
Origine biblique de la stratégie du Choc des civilisations 47
Les musulmans dans la Bible hébraïque 47
Les chrétiens dans la Bible hébraïque 49
Le destin des chrétiens et des musulmans selon le Judaïsme 52
Du messianisme juif au messianisme protestant 59
Isaac Louria 59
Le messianisme actif, du judaïsme au christianisme 70

C H A P IT R E - Il

Origine, rôle historique et eschatologique du w ahha­


bism e et du réformisme islamique 79
Pénétration et influence sabbatéennes
dans les mondes chrétien et musulman 79
SabbataïTsevi 80
Jacob Frank 94
Origines et conséquences historiques du sabbato-frankisme 99
Le rôle historique et eschatologique du wahhabisme
e t du réformisme islamique 106

276
Le wahhabisme 107
Mohamed Ibn Abd-aIWahhab 108
Le réformisme islamique 111
Malkun Khan, premier grand réformiste musulman 114
Jamal Eddine al-Afghani 117
Mohamed Abduh 121
Rachid Ridha 123
Hassan al-Banna 125
Tarik Ramadan 129
Conclusion 131

CHAPITRE -III

Le sionisme aux XIXeet XX° siècles 133


Acte de naissance du messianisme pratique athée dit sioniste 133
La nécessité d'une historiographiejuive 136
Heinrich Graetz 138
Messianisme actif :"Le foyerjuif" 140
Théodore Herzl 141
L'irrésistible marche vers le foyer national juif 144
La Première Guerre mondiale,
premier acte du Choc des civilisations ? 147
La Déclaration Balfour, 2 novembre 1917 149
Le premier découpage du Proche-Orient
et la création du foyer juif 152
L’accord secret de Sykes-Picot (1916) 154
1917, la dislocation de l'Empire ottoman 158
La Conférence de Versailles 160
Du foyer juif à l'État d'Israël:
la dialectique laïcité et messianisme 163
De Londres à Manhattan 165
Expansion armée et conquête du Grand Israël 166
Un État par vocation sans frontières politiques 169
CHA PITRE-IV

Géopolitique et stratégie du sionisme 173


Le livre de Josué, modèle et matrice de la conquête sioniste 174
Une politique permanente d'épuration ethnique 178
Israël, une théocratie parlementaire archéo-messianique 179
Yossef Ovadia (1920-2013) et la Bible hébraïque 182
Le plan Oded Yinon 190
Le 11 septembre 2001 198
Parallèle avec la Première Guerre mondiale 199
Du messianisme conquérant à l’accomplissement du
Plan Yinon via le 11 septembre 202
Le prétexte de la guerre contre la terreur 206
Messianistes israéliens et néoconservateurs américains 208
L'omnipotence du lobby pro-israélien aux États-Unis 211
Le sionisme dicte sa conduite à la Maison-Blanche :
les guerres d'Irak 216
Tel-Aviv/Washington, une coordination stratégique 222
Les intérêts pétroliers
paravent d'une géostratégie messianique 225
La Syrie visée en second 229
Le projet messianique l'emporte sur toutes autres considéra­
tions d’ordre géostratégique 232
L'Iran, cible d'Israël 235
Strict alignement de la Mâlson-Blanche sur les buts de
guerre messianiques israéliennes 240
Printemps arabe et Choc des civilisations 245
Épuration ethnique et génocide,
de la guerre primitive à la géopolitique contemporaine 252
Bernard Lewis : le Choc des civilisations
comme traduction laïque du projet politico-messianique 255
La vraie nature d'Israël 259

Index 267
Bibliographie 272

278
Du même auteur, parus chez Sigest

LES MYTHES FONDATEURS


DU CHOC DES CIVILISATIONS
ou Comment l'Islam est devenu
l'ennemi de l'Occident
Préface du colonel Roger Akl
2016

LA MYSTIQUE DE LA LAÏCITÉ
Généalogie de la religion républicaine
de Junius Frey àVincent Peillon
2017

OCCIDENT ET ISLAM
Tome II
Le paradoxe théologique du judaïsme
Comment Yahvé usurpa la place de Dieu
2018

D U B R EXIT AU G ILETS JA U N ES
La révolution en marche
2019

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