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« Ceci est Benjamin. Il est un peu inquiet pour son futur. » L'affiche originale du film « Le Lauréat »
donne le ton : dès la fin des années 1960, le jeune diplômé Benjamin Braddock (incarné par Dustin
Hoffman) traverse une profonde crise existentielle, questionnant ses goûts.
Cette crise a été théorisée comme la quarter life crisis (littéralement « crise du quart de vie ») au
début des années 2000 par Alexandra Robbins et Abby Wilner dans un livre éponyme. Cette remise
en cause générale (à l'image de la « crise de la quarantaine ») intervient à la fin de la vingtaine et au
début de la trentaine. Elle commence donc à toucher les Millennials, c'est-à-dire ceux nés à la fin des
années 1980 et qui ont grandi avec internet (on parle aussi des « digital natives » ou de la "génération
Y").
« La vérité est que notre 'vingtaine' ne ressemble pas à celle nos parents, pour qui il s'agissait d'années
de libération et de fun, avec beaucoup de temps pour soi », estime Damian Barr, auteur du A Guide
to surviving your quarter life crisis (non traduit), dans le Guardian. « Avoir 20 ans aujourd'hui est
effrayant : il faut se préparer à affronter des milliers de diplômés pour décrocher un premier emploi,
à lutter pour rembourser son prêt étudiant, le tout en jonglant avec ses relations. »
Lorsque les jeunes adultes quittent le foyer familial et obtiennent leurs premiers emplois, ils
découvrent la vie en solo. Sauf, qu'alors qu'ils tentent de s'affirmer en tant qu'adulte, ils sont toujours
considérés comme des enfants, aussi bien dans leurs réalisations professionnelles que personnelles.
Et ce, jusqu'à la création de leur propre foyer.
La Harvard Business Review note que l'âge moyen de l'apparition d'une première dépression a
considérablement chuté ces dernières années, passant de la cinquantaine il y a 30 ans, à la vingtaine
aujourd'hui. Selon une étude britannique, 86% des jeunes de moins de 30 ans se disent soumis à une
forte pression pour réussir, aussi bien professionnellement que dans leurs relations amoureuses. Pis,
deux jeunes sur cinq se montrent véritablement inquiets quant aux questions d'argent.
Surtout que cette crainte de l'avenir doit, pour certains, se conjuguer avec le remboursement de frais
de scolarité en hausse, en particulier pour les écoles de commerce intégrées à Bac+2 dont les tarifs
se sont envolés. Ces frais dépassent les 30.000 euros pour les trois années du programme phare
« grande école », soit 1.500 euros de plus qu'en 2013.
Autre difficulté : l'accession à la propriété. L'âge moyen d'achat de son premier logement ne cesse
ainsi de reculer. Le primo-accédant a aujourd'hui 34 ans (contre 32 ans en 2007), et s'endette
davantage pour acheter plus petit, selon une étude de l'Ifop. En cause : l'explosion des prix de
l'immobilier. Le prix moyen d'achat d'un logement augmenté de 244% en vingt ans ! Selon la dernière
étude de l'Insee, seuls 9,8% des moins de 30 ans accèdent à la propriété, contre 12% en 2001. Du
coup, 57% des 18-24 ans résident encore chez leurs parents, et ce de façon permanente.
Sur le plan personnel, malgré les pressions, l'âge moyen du mariage ne cesse lui d'être repoussé : il
s'établit à 30,9 ans pour les femmes (contre 26,8 ans vingt ans plus tôt) et à 32,6 ans pour les hommes
(contre 28,7 ans). Même chose pour la maternité : l'âge moyen des mères est de 30,3 ans (contre 26,8
ans en 1980) et de 33,3 ans pour les pères (contre 29,9 ans). Le modèle familial ébranlé par un taux
de divorce de 44% n'y est certainement pas étranger.
La quaterlife crisis de la génération Y ne doit en effet pas seulement être vue comme une dépression,
c'est aussi une phase de construction positive et importante pour l'avenir. La revue d'Harvard souligne
ainsi que ce processus permet d'apprendre à maîtriser ses émotions, afin de mieux gérer le lot de
stress que continue d'apporter la vie professionnelle pendant la trentaine et la quarantaine (stress qui
décroît vers la cinquantaine).
« Alors que nous vieillissons, nous apprenons à mettre les choses en perspective, croire en nous, et
réaliser que les questionnements sont temporaires et ne doivent pas nous consommer », souligne la
revue.
Cette idée de bâtir un lendemain qui chante doit rassurer ceux qui s'apprêtent à affronter ce
questionnement. « Nous vivons trop longtemps et trop bien pour demeurer dans un état de
contentement moyen pendant des années", soulignait un éditorial du Time de 2005 à propos de la
crise de la quarantaine. Une affirmation que doivent désormais s'approprier les Millennials.