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omment connaissons-nous les " saints " de l'ancien temps ?

En général par des


livres qu'ils ont écrit, comme saint Bernard, ou des mémoires rédigés par des gens
qui les ont vu vivre, comme Joinville pour Saint Louis.
Pour Saint Yves c'est plus curieux : il n'a rien écrit, si ce n'est son testament. Et l'on
ne connaît pas d'écrivains de l'époque qui aient laissé quelque chose sur lui . Mais il
faut croire que Dieu a voulu avec humour nous le faire connaître d' une façon toute
particulière : ce saint juge et ce saint avocat est connu par les actes d'un procès.
Nous avons en effet une copie que l'on peut considérer comme authentique des
dépositions des témoins à son procès de canonisation en 1330, vingt sept ans après
sa mort. Tout, avec les noms et professions des témoins, les noms des notaires qui
enregistraient les témoignages et ceux des interprètes pour le breton , et les
questions des juges instructeurs.
Yves Hélori de Kermartin est né au Minihy de Tréguier en 1253, sous le règne de
Saint Louis. Il est mort là, à deux kilomètres de Tréguier , le 19 mai 1303. Ses
parents, petits nobles bretons comme il y en avait tant, l'envoyèrent faire ses études
à l'Université de Paris, d'abord en lettres, puis en droit. Il suivit aussi des cours de
théologie. Il continua ses études de droit à Orléans où l'accompagna, Jean de
Kerc'hoz, qui à 90 ans est encore là pour témoigner au fameux procès : " je l'ai
connu depuis son enfance "
C'est l'époque où l'Eglise, par son droit appelé " canonique " - les " canons " sont
les règles de droit - influe beaucoup sur le droit et la procédure en adoucissant les
coutumes d'origines barbares et féodales. Aussi beaucoup de plaideurs préfèrent
s'adresser à ses tribunaux. Il faut donc de nouveaux juges bien instruits dans le
nouveau droit et Yves Hélori est appelé par l'Archidiacre de Rennes, un assistant de
l'Evêque alors, à tenir les fonctions de Juge d'Eglise autrement dit " Official ".
De 1280 à 1284 Yves est ainsi à Rennes. Il prend en pitié deux orphelins qu'il loge
chez lui, et se prive pour nourrir les pauvres. Puis il est appelé par l'Evêque de
Tréguier à prendre la charge d'Official dans son pays natal. Dès la sortie de Rennes,
sur le chemin pour retourner en Trégor, Yves vend le cheval que lui avait offert
l'Evêque et donne l'argent aux pauvres.
Yves accepte à Tréguier d'être ordonné prêtre et on lui confie la paroisse de
Tredrez, plus tard celle de Louannec. Yves a été un modèle de prêtre avant d'être un
modèle d'avocat et de juge. Ce qu'on sait, par le procès de canonisation, ce sont les
transformations et conversions qu'il opérait par ses sermons , ses visites et ses
entretiens avec les personnes. Il lui est arrivé de prêcher cinq fois le même jour à
des endroits différents : Tredrez, Saint Michel en Grève, Trédarzec et Pleumeur.
Ce qui veut dire qu'on aimait venir de partout entendre ce saint prêtre humble et
dont la piété faisait aimer la piété. Il ne ménageait pas sa peine pour aller dire
l'espérance de Dieu aux pauvres gens de la campagne bretonne. Il faisait tout le
chemin à pied, jamais à cheval.
A Tredrez, lorsqu’il y était recteur, il nourrissait aussi les pauvres : une fois il fait
donner le peu de pain qui restait au presbytère à des pauvres, on en coupa assez
pour que tout le monde en ait à sa faim. Au grand étonnement du vicaire qui s'était
fait mettre de côté, au préalable, un morceau pour lui.
Avocat, Saint Yves étonnait tout le monde par son désintéressement : « advocatus
eterat, sed non latro, res mirabilis populo » Cette exclamation en latin a traversé les
siècles, elle veut dire : « Il était avocat, mais pas voleur, chose admirable pour les
gens ».
Comment pouvait-il être avocat en même temps que Juge ? C'est que les
juridictions, ou tribunaux étaient nombreux à l'époque : Juge au Tribunal de
l'Evêque, l'Officialité, il pouvait défendre comme avocat des justiciables devant
toutes les autres juridictions féodales ou royales . Il acceptait donc de plaider pour
les pauvres sans honoraires et allait jusqu'à demander aux auxiliaires de justice,
notaires ou greffiers, de réduire leurs frais.
Aujourd'hui Saint Yves est le saint patron des avocats non seulement en Bretagne
mais dans toute la France et bien des pays du monde. C'est peut-être à cela que
nous devons le caractère international de son " pardon ", ce qui veut dire en
Bretagne fête religieuse du Saint Patron.
Le Juge était encore plus réputé. Les statues nous montrent souvent Saint Yves
habillé en juge, entre le riche et le pauvre. L'un ou l'autre a des sacs de procès à la
main, car on écrivait les actes sur des papiers ou parchemins roulés ensuite dans un
sac. Le riche se reconnaît à ses beaux habits et à sa mine hautaine, par exemple
chapeau sur la tête alors que le pauvre s'est découvert. Qu'un Juge en ce temps là
tint la balance égale entre le riche et le pauvre paraissait admirable, mais sur ce
point les temps ont-ils véritablement changé ?
On a dans le " procès " de canonisation parmi plusieurs beaux témoignages celui
d'une réconciliation après les plaidoiries de personnes d'une même famille en
conflit pour une affaire d'héritage. D'autres histoires d'une sagesse à la Salomon ont
été recueillies par la tradition, il n'est pas possible pour la plupart de les considérer
comme historiques mais elles prouvent en tout cas la réputation de Saint Yves
comme juge équitable et sage dans les siècles qui ont suivi.
La charité de Saint Yves rayonnait de son vivant non seulement dans son ministère
de prêtre au service des âmes, dans sa fonction de Juge ou son service d'avocat
mais encore dans toute la vie quotidienne. C'est pour donner aux pauvres qu'il
abandonne ses riches habits couverts de la fourrure distinctive de l'Official. Si vous
allez à Tréguier, à l'ancien couvent des Augustines, vous verrez encore la très
vieille salle de l'hôpital où il donna ses riches habits.
Il donnait, comme nous en avons déjà signalé un exemple, son propre pain, , pas
seulement le surplus, et cela de nombreuses fois. Il donna un jour à des pauvres
affamés son blé à couper avant qu'il ne soit mûr et à d'autres qui avaient froid ses
taillis avant qu'ils ne soient poussés. Quant aux pauvres habits que parfois il faisait
faire , le jour où l'on les lui portait ne finissait pas toujours avant qu'un malheureux
ne se les voit offrir.
Il enterrait les morts abandonnés, recueillait toute une famille de pauvres dans sa
propre maison comme en témoigne à 80 ans la veuve du jongleur Rivallon : " mon
défunt mari et moi-même, nous vînmes accompagnés des quatre enfants que j'avais,
onze ans environ avant la mort de dom Yves , à sa maison de Kermartin pour
recevoir aumônes et hospitalité pour l'amour de Dieu . Don Yves nous accueillit
avec beaucoup de joie, et pendant ces onze années-là, ou à peu près, il nous a
gardés chez lui, pourvoyant à notre nourriture et à notre habillement ".
Il soignait aussi les âmes et l'on nous rapporte le nom des plus scandaleux fauteurs
qui changèrent de vie grâce à son ministère. Il pratiquait les exorcismes avec succès
quand c'était nécessaire.
Six ans avant sa mort, en 1297, il avait démissionné de sa charge d'Official, il se
retira pour prier et accueillir ses pauvres au Minihy, où il avait fait construire une
chapelle.
La réputation de sainteté de dom Yves se manifesta à son enterrement, suivi par
toute la population . A son tombeau les guérisons fleurissaient et les Ducs de
Bretagne firent des démarches pour faire ouvrir son procès de canonisation. La plus
grande partie, peut-être la totalité des témoignages recueillis alors, nous l'avons dit,
nous sont encore aujourd'hui conservés tels qu'hier , comme si nous étions présents
à l'audience. Cependan,t tant de choses qui étaient évidentes pour les gens d'alors
ne sont pas dites , et nous ne pouvons pas tout reconstituer sans le contexte de la vie
concrète à la fin du 13ème siècle en Bretagne.
Les plus savants historiens ont essayé d'expliquer les nombreux miracles que les
témoins attestent. Ils sont étonnants, et nous sommes déconcertés. Il y a 18
résurrections de morts ! " signe de la culture bretonne et de son intérêt pour la mort
", dit un de ces savants. " Au moyen âge, pour un saint il faut toujours deux ou trois
résurrections ", dit un autre. Mais les dépositions sont là, les juges posent des
questions. Il n'y a pas trois, mais dix-huit morts qui sont revenus à la vie , comme
ces noyés retirés de l'eau le matin et dont on nous dit qu'ils n'ont repris vie qu'à
l'angélus du soir . Que dire ? Que celui qui le désire lise les actes du procès.
Cette enquête , c'est ce qu'on pouvait faire de mieux à l'époque et, moi qui ai été
avocat, je suis frappé du sérieux du procès , touché de l'accent des témoignages. Il
ne suffit pas de parler a priori de la naïveté du Moyen Age il faut encore lire les
pièces et comme les toucher avec ses mains. Au procès de Saint Yves qui voudra
juger ?
Pourquoi Saint Yves est-il encore si populaire ? Le juste juge n'a peut-être pas été
tout d'abord le plus reconnu, mais l'ami des pauvres qui s'était fait pauvre lui-
même, l'ami des malheureux et des malades qui les guérissait. Une des histoires les
plus étonnantes, et qui peut-être résonne d'un accent de vérité, c'est celle de la
mendiante d'Angers, dont le fils de cinq ans meurt un jeudi saint. La mère et la
sœur rapportent environ trente cinq ans après comme elles ont mendié l'argent du
linceul pendant trois jours dans la ville avec le corps de l'enfant mort sur leurs
genoux. Le petit est ressuscité le dimanche de Pâques, après qu'un bourgeois de la
ville, breton d'origine leur eu fait invoquer Saint Yves ; et il est mort à Noël
suivant. A mon avis, pour une histoire inventée on aurait fait vivre l'enfant un peu
plus d'années
Quoiqu'il en soit les malades du 14ème siècle affluaient au tombeau de l'humble
prêtre breton enterré dans la Cathédrale de Tréguier, et les foules d'un côté, les
juristes de l'autre, les autorités du Duché eurent la joie en 1347 de le voir déclaré
saint. A Rome même on lui dédia bientôt une église au lieu où se trouve la très
ancienne Université dite de la Sapience.
Les grands juristes du passé rendirent hommage à Saint Yves et on lui attribua
comme un dû les histoires dans laquelle il fallait grande finesse et courage pour
trouver et juger la vérité. Aujourd'hui encore les Barreaux, organisations
professionnelles des avocats, le considèrent comme leur patron ; au Pardon de saint
Yves il y en a toujours de présents. Il y a même parfois des délégations venues de
loin comme ces avocats américains et anglais. Mais les prêtres bretons aussi lui
sont restés fidèles et ce sont eux qui portent les reliques à la procession du pardon.
Il est étonnant pour les nombreuses personnes , pardonneurs ou touristes venus de
loin, d'entendre chanter aujourd'hui ces cantiques bretons. La piété comme l'histoire
se sont transmises pendant sept cents ans à travers ces cantiques et cette langue
comme pour porter jusqu'à nous d'une façon vivante ces pièces du procès latin que
seuls lisent dans l'ombre des bibliothèques les sages et les savants.
L'histoire des saints de Bretagne publiée par le bénédictin dom Lobineau au 18ème
siècle et révisée par le Ch. Tresvaux au 19ème, ne comprend pas moins de cinq
volumes. Aussi les Bretons pourraient-ils avoir un très large choix pour trouver le
saint d'une fête nationale à l'image de la Saint Patrick pour les Irlandais du monde
entier.
Il est vrai que Sainte Anne et son grand pardon de Sainte Anne d'Auray attire plus
de foules, et que même un pape y a parlé breton naguère. Mais Sainte Anne notre
bonne mère n'est pas bretonne d'abord, et son pèlerinage doit rester universel,
même si elle a ses préférences.
Alors quand je me souviens de l'ami des pauvres au petit manoir de Kermartin du
Minihy, quand je vois les grands avocats et les plaideurs en difficulté se tourner
vers l'ami de la justice, et quand dans Treguier le soleil d'hiver fait rosir le granit de
la cathédrale et du cloître, je crois que Dieu, dans sa bonté nous a donné Saint Yves
à nous Bretons, qui croyons ou ne croyons pas, un saint spécial pour le Bro goz, le
vieux pays.
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Hervé Marie Catta
Pour toux ceux qui ont des procès, des difficultés en famille, avec des voisisn, dans le
contrat de travail, dans les affaires, ou des affaires pénales, voir la Prière à saint Yves

En Breton il y a plusieurs variantes du prénom Yves, la plus courante étant


Erwan. Aujourd'hui Erwan est devenu un prénom fréquent dans toute la France.

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