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Finance & Finance Internationale N°15 juin 2019

REVUE DE LITTERATURE THEORIQUE ET EMPIRIQUE DE


L’IMPACT DELA LIBERALISATION FINANCIERE SUR
L’EPARGNE

Par

Meryem DAOUDIM

Chercheur en Sciences Economiques à la FSJES SOUISSI- RABAT-


Université Mohammed V.

&

Mohammed AKAABOUNE

Professeur en Sciences Economiques à la FSJES SOUISSI- RABAT-


Université Mohammed V.

Résumé
La mobilisation de l’épargne des ménages représentent une des stratégies majeures des
institutions publiques et privées pour promouvoir l’investissement et la croissance. La mise en
œuvre de ces stratégies nécessite une analyse assez précise des déterminants et affectations de
l’épargne et de l’impact de la libéralisation financière sur la mobilisation de l’épargne.
Depuis les années 1950, les pays en développement et aussi les pays développés ont
connu une phase d’administration des taux d’intérêts et du système financier qui a eu, selon
les auteurs américains R.Mac Kinnon et E.Shaw, des conséquences néfastes sur la croissance,
cette politique interventionniste dans le domaine monétaire et financier a été qualifiée par ces
auteurs de répression financière. Cette dernière a eu pour conséquence : la rareté de l’épargne
et une faiblesse de l’investissement aussi bien au niveau quantitatif que qualitatif.
Pour éviter les conséquences de la répression financière, ces auteurs ont proposé la
libéralisation financière comme solution pour favoriser la croissance. L’objectif est d’assurer
une croissance économique saine et plus importante à la fois par l’amélioration du niveau de
l’épargne et de la quantité et de la qualité de l’investissement.
Cette thèse a suscitée des réactions positives, mais aussi des critiques (principalement
celles des post-keynésiens et des néo-structuralistes). Cependant, les critiques les plus
importantes sont celles de J.Stiglitz et A. Weiss. Ces dernières critiques vont pousser Mac

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Kinnon à revoir au début des années 1990 ses conclusions de 1973.

De ce fait, notre question de recherche est de savoir comment la libéralisation financière


influence –t-elle l’épargne des ménages. Ainsi, notre article se propose de passer en revue les
différentes études théoriques et empiriques traitant et analysant l’impact de la libéralisation
financière sur l’épargne des ménages. Pour traiter cette problématique nous verrons dans un
premier point l’effet de la libéralisation financière sur l’épargne sur le plan théorique. Le
second point présentera une revue de littérature empirique sur le sujet.
Sur le plan théorique, l’effet de la libéralisation financière sur l’épargne reste plus ou
moins ambigu, à cause de l’aspect multidimensionnel et réversible du processus. Certains
aspects comme la libéralisation du taux d’intérêt et l’offre de nouveaux produits financiers
peuvent agir, positivement, sur l’épargne. Par contre, d’autres aspects peuvent jouer dans le
sens inverse.
L’impact net sur l’épargne dépend donc du sens et du poids de ces deux dimensions de la
libéralisation financière. Comme il a été mentionné par Bandiera et al (1999), l’effet à long
terme de la libéralisation financière sur l’épargne peut être différent de l’effet observé lorsque,
les réformes viennent d’être mises en place (effet à court terme).

Les travaux empiriques sur ce sujet ne sont pas conclusifs et parfois contre intuitifs. Ces
validations empiriques sont sensibles à la nature des données mobilisées et à certaines aires
géographiques. Aussi, l’instrument économétrique utilisé et les hypothèses sous-jacentes
peuvent changer les résultats radicalement.

Ces travaux appartiennent à deux approches distinctes :

 La première essaie de répondre à la question en estimant une fonction d’épargne


agrégée et en testant l’élasticité de celle-ci vis-à-vis du taux d’intérêt créditeur
réel ;
 La deuxième approche innove en construisant des proxy captant le développement
financier ou la libéralisation financière.
La libéralisation financière ne générait pas les résultats positifs que l’on en attendait, le
concept a progressivement évolué. Cette évolution s’est faite autour de deux pôles
principaux : la prise en compte de l’état de l’économie et l’intégration des nouvelles théories
apparues ces vingt dernières années. Les échecs de ces politiques ont été attribués à l’absence
de conditions préalables nécessaires à leurs succès. Alors, que reste- t- il de la libéralisation
financière ?
Mots- clés: Libéralisation financière, Epargne.

Abstract
The mobilization of the households’ savings represent one of the major strategies of
public and private institutions in order to promote the investment and growth. The
implementation of these strategies requires a rather precise analysis of the determinants and
assignments of savings on the one hand, and the impact of financial liberalization on the
mobilization of savings on the other hand.
Since the years 1950, the developing countries and developed countries knew a phase of
administration of interest rates and financial system, which had fatal consequences on the

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growth, according to American authors R. Mac Kinnon and E. Shaw. This interventionist
political in the monetary and financial field was described by these authors as financial
repression. This had as a consequence: scarcity of savings and weakness of the investment as
well at the quantitative level as qualitative.
To avoid the consequences of financial repression, these authors proposed financial
liberalization as solution to support the growth. The objective is to ensure a healthy and more
considerable economic growth at the same time by the improvement of savings’ level and the
quantity and quality of investment.
This thesis caused positive reactions but also criticisms (the Post Keynesians and the
post structuralist). However, the most important criticisms are those of J.Stiglitz and A.Weiss.
These will push Mac Kinnon to re-examine at the beginning of the 1990s its conclusions of
1973.

So our research question is to know how financial liberalization influences households’


savings. Thus, our paper proposes to review the various theoretical and empirical studies
treating and analyzing the impact of financial liberalization on households’ savings. To treat
this problematic we will see in a first point the effect of financial liberalization on savings on
the theoretical level. The second point will present an empirical review of literature about the
subject.

On the theoretical level, the effect of financial liberalization on savings remains more or
less ambiguous, because of the multidimensional and reversible aspect of the process. Some
points like the liberalization of interest rate and the offer of new financial products can act
positively on savings. On the other hand, other points can proceed in the opposite direction.
Therefore, The Net impact on savings depends on the direction and the weight of these
two dimensions of financial liberalization. As it was mentioned by Bandiera and al. (1999),
the long-term effect of financial liberalization on savings can be different from the effect
observed when the reforms have just been established (short-term effect).

Empirical work on this subject is not conclusive and sometimes against intuitive. These
empirical validations are sensitive to the nature of the mobilized data and certain geographical
surfaces. Also, the econometric instrument used and the subjacent assumptions can change the
results radically.

That works belong to two distinct approaches:

 The first tries to answer the question by estimating a function of aggregate savings
then testing the elasticity of this one in relation to real credit interest rate;

 The second approach innovates by building proxy collecting the financial


development or financial liberalization.
Financial liberalization did not generate the expected positive results, the concept
gradually evolved. This evolution was done around two principal poles: the awareness of the
state of the economy and the integration of the new theories appeared these twenty last years.
The failures of these policies were allotted to the absence of prerequisites necessary to their

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successes. So what remains of financial liberalization?

Keywords : Financial liberalization, savings.

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Introduction
Pour atteindre un niveau de développement satisfaisant et une croissance forte et
durable, l’économie d’un pays doit disposer des ressources internes nécessaires à son
financement d’où l’importance de la mobilisation de l’épargne intérieure.

En ce qui concerne le Maroc, le niveau de l’épargne intérieure est insuffisant pour


financer les investissements nécessaires à la réalisation d’une croissance soutenue. En effet,
l’économie marocaine est dépendante des financements extérieurs. En plus de son caractère
insuffisant, l’épargne intérieure est liquide et de court terme ce qui la rend volatile et
difficilement exploitable pour le financement de l’économie.
Pour remédier à cette situation, les pouvoirs publics en plus de la libéralisation du secteur
financier, ont lancé un chantier de réformes visant la consolidation du niveau de l’épargne
intérieure et la conversion de l’épargne liquide en une épargne à moyen et long terme afin de
répondre aux impératifs de développement global et durable.
La mobilisation de l’épargne des ménages représent entune des stratégies majeures des
institutions publiques et privées pour promouvoir l’investissement et la croissance. La mise en
œuvre de ces stratégies nécessite une analyse assez précise des déterminants et affectations de
l’épargne et de l’impact de la libéralisation financière sur la mobilisation de l’épargne.

Depuis les années 1950, les pays en développement mais aussi les pays développés ont
connu une phase d’administration des taux d’intérêt et du système financier qui a eu, selon
des auteurs américains R.Mac Kinnon et E. Shaw, des conséquences néfastes sur la
croissance, cette politique interventionniste dans le domaine monétaire et financier a été
qualifiée par ces auteurs de répression financière dont les principaux critères sont :

 Des taux élevés de réserves obligatoires.


 Des taux d’intérêts faibles voire négatifs en termes réels.
 Une politique sélective des crédits qui sont rationnés et alloués à des secteurs
spécifiques.
 La détention par les gouvernements d’importantes institutions financières.
 L’utilisation du droit de seigneuriage pour financer les déficits budgétaires.
Ces auteurs considèrent la répression financière a eu pour conséquence :

 La rareté de l’épargne
 Une faiblesse de l’investissement aussi bien au niveau quantitatif que qualitatif.
Pour éviter les conséquences de la répression financière, ces auteurs ont proposé la
libéralisation financière comme solution pour favoriser la croissance.

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Effet d’une administration des taux d’intérêts sur l’épargne et l’investissement

Pour sortir de cette situation, ces théoriciens ont préconisé :


La mise en œuvre de la libéralisation financière par :

 La déréglementation des taux d’intérêt


 La libéralisation de l’activité bancaire en général (suppression des emplois
obligatoires)
 La réduction de la main mise du secteur public sur le système financier (privatisation
des banques…)
 Etc.
L’objectif est d’assurer une croissance économique saine et plus importante à la fois par
l’amélioration du niveau de l’épargne et de la quantité et de la qualité des investissements.
Cette thèse a suscitée des réactions positives mais aussi des critiques :

 Les postkeynésiens considèrent que la libéralisation financière risque de se traduire


par la baisse de la demande globale.
 Les néo- structuralistes considèrent que le secteur financier informel est plus
dynamique que le secteur formel ; or, la libéralisation financière engendre la réduction
de son activité dans la mesure où des taux bancaires élevés peuvent attirer l’épargne et
réduire les ressources du secteur informel.

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La libéralisation financière se traduit par une plus grande intermédiation bancaire au


détriment de l’intermédiation informelle ce qui défavorise la croissance étant entendu que le
secteur informel, qui est considéré comme plus efficace, trouve son activité limitée.

Cependant, les critiques les plus importantes sont celles du modèle de rationnement du
crédit de J.Stiglitz et A. Weiss. Ces auteurs considèrent que la hausse des taux d’intérêt suite à
la libéralisation et au-delà d’un certain niveau optimal de taux d’intérêt, au lieu de se traduire
par l’amélioration de la quantité et de la qualité des investissements par la sélection de projets
les plus rentables, pousse plutôt à la sélection de projets les plus risqués en raison des
phénomènes de sélection adverses et d’aléa moral qui peuvent se traduire par la baisse de la
rentabilité bancaire.
Pour éviter ces situations, les banques elles-mêmes seront amenées à pratiquer un
rationnement du crédit au lieu d’augmenter leurs taux d’intérêt et risquer de sélectionner donc
les projets les plus risqués. Ces dernières critiques vont pousser Mac Kinnon à revoir au début
des années 1990 ses conclusions de 1973 et à admettre qu’un plafonnement des taux est
nécessaire pour éviter les phénomènes précités.
De ce fait, notre question de recherche est de savoir comment la libéralisation financière
influence-t-elle l’épargne. Telle est la question à laquelle nous allons tenter de répondre.
Ainsi, notre article se propose de passer en revue les différentes études théoriques et
empiriques traitant et analysant l’impact de la libéralisation financière sur l’épargne et
d’étudier les enjeux de cette dernière dans un tel contexte.
Pour traiter cette problématique nous verrons dans un premier point l’effet de la
libéralisation financière sur l’épargne sur le plan théorique. Le second point présente une
revue de littérature empirique sur le sujet.

I Revue de littérature théorique


Sur le plan théorique, l’effet de la libéralisation financière sur l’épargne reste plus ou
moins ambigu, à cause de l’aspect multidimensionnel et réversible du processus. Certains
aspects comme la libéralisation du taux d’intérêt et l’offre de nouveaux produits financiers
peuvent agir, positivement, sur l’épargne. En effet, des taux d’intérêts créditeurs réels positifs
peuvent drainer l’épargne oisive vers le système bancaire. De même, pour les innovations
financières qui permettent d’élargir l’offre bancaire et d’inciter ainsi les ménages à affecter
une part plus importante de leur revenu vers l’épargne au détriment d’une consommation
présente.
Par contre, d’autres aspects peuvent jouer dans le sens inverse. En effet, l’allègement des
contraintes de liquidité et la levée de l’encadrement des crédits sont susceptibles de réduire
l’incitation à épargner au profit de la consommation présente.
L’impact net sur l’épargne dépend donc du sens et du poids de ces deux dimensions de la
libéralisation financière. Comme il a été mentionné par Bandiera et al (1999), l’effet à long
terme de la libéralisation financière sur l’épargne peut être différent de l’effet observé lorsque,
les réformes viennent d’être mises en place (effet de court terme).

Une évaluation de l’impact des différentes réformes financières sur l’épargne, nécessite
une analyse de différents canaux de transmission de la libéralisation financière et de la
séparation entre les effets de court et de long terme véhiculés par le processus de

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transmission.

La littérature tant théorique qu’empirique distingue au moins quatre canaux de


transmission de la politique de la libéralisation financière : le taux d’intérêt, le crédit, les
innovations financières et enfin les institutions de collecte de l’épargne.

Toujours selon cette littérature, ces auteurs relèvent à court terme un effet négatif sur
l’épargne et un effet positif sur le long terme.
A court terme, c’est essentiellement le canal du taux d’intérêt et celui du crédit qui
fonctionnent. Si les consommateurs déterminent leur niveau de consommation selon leur
cycle de vie, un accroissement de l’offre de crédit par les banques les amène à réviser leur
niveau d’épargne de précaution. Plus précisément, les ménages qui ne sont plus contraints
financièrement vont consommer plus par rapport à la période de leur vie où ils étaient
rationnés en crédit. Dans ce cas, l’épargne pourra chuter pendant les premières années de la
libéralisation financière laissant la place à une reprise de la consommation (l’effet direct de la
libéralisation).
A long terme, le relais est pris par le canal de l’innovation financière-produits financiers-
et les institutions de collecte de l’épargne. Selon les théoriciens de ces deux canaux. La
libéralisation financière aura permis un développement financier qui influencera positivement
la croissance de la production et du revenu et donc de l’épargne (effet indirect de la
libéralisation).

Nous exposons ci-après, succinctement, ces différents canaux :

Canal du taux d’intérêt et son impact sur l’épargne

Le fonctionnement de ce canal dépend du sens et de l’élasticité de l’épargne vis-à-vis du


taux d’intérêt. Tant dans la littérature théorique qu’empirique, ce sens reste ambigu. Cette
ambigüité fait -qu’à travers le canal du taux d’intérêt- l’impact de la libéralisation financière
sur le comportement d’épargne présente des effets contradictoires. Un taux d’intérêt élevé
accroit l’épargne grâce à son effet de substitution. Néanmoins, un taux élevé réduit l’épargne
si les effets de revenu et de richesse l’emportent sur l’effet substitution.

Un autre point important qui mérite d’être pris en considération concerne l’omission de
certains actifs composant l’épargne des ménages. Les taux d’intérêts dont il est question ici
concerne l’épargne financière et notamment les dépôts bancaires. Or l’épargne des ménages
peut être aussi détenue sous forme d’actifs corporels ou physiques. Ces actifs peuvent prendre
la forme d’un logement, d’un terrain ou d’un actif boursier.
De ce fait et pour mieux cerner la relation supposée entre la libéralisation financière et
l’épargne des ménages, il faut tenir aussi compte du taux de rentabilité d’un logement ou d’un
terrain, du taux d’intérêt rémunérateur des actifs financiers ce qui biaise l’analyse et la rend
incomplète.

Canal du crédit bancaire et son impact sur l’épargne

Il est considéré comme le canal de transmission le plus important de la politique de


libéralisation financière. La présence d’une contrainte de financement oblige les agents à
épargner afin de lisser leur consommation dans le temps. La levée de la contrainte permet aux

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individus d’utiliser l’emprunt comme un moyen pour faire face aux variations du revenu dans
le temps. Dans ce cas, il n y’a plus d’incitation à épargner et la consommation dépend plutôt
de l’évolution du taux d’intérêt.

La contrainte de liquidité peut être associée à l’écart entre le taux créditeur et le taux
débiteur : le spread. Dans ce cas, les ménages ne sont pas directement contraints à ne pas
emprunter. Mais, indirectement, à travers un coût de l’emprunt trop prohibitif. Ils choisissent
dans ce cas de consommer en tenant compte de leur revenu courant. Au fur et à mesure que la
concurrence entre les différentes institutions financières se met en place, la valeur du spread
diminue, ce qui incite les ménages à emprunter.

Canal de l’innovation financière et son impact sur l’épargne

En offrant aux ménages des produits financiers rémunérateurs et alternatifs aux


traditionnels, les ménages sont incités à reconsidérer leur propension marginale à épargner,
vers la hausse dans ce cas. Les produits issus de l’innovation financière ont l’avantage de
toucher des catégories de ménages qui n’étaient pas « chauds » de par leur passé à confier
leur épargne au système bancaire.

Canal des institutions de collecte de l’épargne et son impact sur


l’épargne

Il est indéniable qu’en multipliant les institutions de collecte de l’épargne, les ménages
auront une offre plus diversifiée et moins coûteuse. En effet, ce canal peut renforcer celui du
taux d’intérêt par le biais de la concurrence. Il renforce aussi celui des innovations
financières.

II. Revue de littérature empirique

Les travaux empiriques sur ce sujet ne sont pas conclusifs et parfois contre intuitifs.
Comme on le verra ci-après, ces validations empiriques sont sensibles à la nature des données
mobilisées et à certaines aires géographiques. Aussi, l’instrument économétrique utilisé et les
hypothèses sous-jacentes peuvent changer les résultats radicalement.

Ces travaux appartiennent à deux approches distinctes :

 La première essaie de répondre à la question en estimant une fonction d’épargne


agrégée et en testant l’élasticité de celle-ci vis-à-vis du taux d’intérêt créditeur réel.
 La deuxième approche innove en construisant des proxy captant le développement
financier ou la libéralisation financière.

Pour la première approche, on peut citer les travaux suivants :

 Dans une étude portant sur sept pays asiatiques, Fry (1979) trouve une relation positive
et significative entre l’épargne nationale et le taux d’intérêt créditeur réel. Cependant,
en reformulant les estimations de Fry, Giovannini (1983) aboutit à des résultats
différents.
 Dans un autre travail portant sur douze pays asiatiques, Gupta trouve une relation
positive pour l’épargne financière et négative pour l’épargne physique. Cette relation

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n’a pu être établie par cet auteur que dans la moitié de l’échantillon des pays qu’il a
étudié. Une autre relation positive a été trouvée entre le taux d’intérêt créditeur réel et
l’épargne pour neuf pays d’Afrique. Ce résultat a été démontré par Diery et Yasim
(1993).
En utilisant, le volume des crédits à la consommation comme variable proxy du développement financier,
Ostry et Levy (1995) trouvent un lien négatif entre cette variable et le taux d’épargne en France.

Loayza, Schmidt Hebbel et Serven (2000) trouvent sur des données de panel qu’un
accroissement de 1% du volume des crédits par rapport au revenu, réduit le taux d’épargne de
0.74 %.
Ce qui précède est le résultat de travaux économétriques à partir de données existantes.
Une autre approche a été proposée. Cette approche consiste à régresser un proxy mesurant le
degré de libéralisation financière sur certaines grandeurs économiques en rapport avec le
sujet.
Ce proxy est un indice synthétisant les différentes expressions de la libéralisation
financière. Cet indice est construit à partir de plusieurs variables ayant un lien avec la
question de la libéralisation financière. Nous exposerons ci-dessous le résultat de travaux
utilisant cette méthodologie.

Afin de capturer l’impact direct de la libéralisation financière, Demetriades et Luintel


(1997) construisent, à l’aide de l’analyse en composantes principales, un indice synthétique de
répression financière. Lorsqu’ils régressent cet indice sur le ratio dépôts bancaires sur le
produit intérieur brut, ils trouvent un coefficient négatif et significatif. Ce test a été fait pour
l’Inde.
Toujours pour le cas de l’Inde, Loayza et Shankar (2000) trouvent que la réforme
financière n’a pas modifié le taux d’épargne, mais a entrainé une recomposition de l’épargne
au profit des biens de consommation durable. Cela suggère l’importance de la prise en
considération d’autres formes de placements en plus des actifs financières.
En empruntant la même méthodologie, Arestis et Demetriades (1997) établissent une
relation positive dans le cas de la Corée du Sud. Par contre, Chai et Laurenceson (1998) ne
trouvent aucune relation significative dans le cas de la Chine.
Les premiers résultats nous suggèrent une relation faiblement significative et négative
entre la libéralisation financière et l’épargne des ménages en Algérie. En d’autres termes, la
libéralisation financière aurait diminué l’épargne des ménages. Le canal du crédit aurait joué
plus que le canal du taux d’intérêt. Ce résultat peut être expliqué par le fait que la
libéralisation financière a permis de desserrer la contrainte d’accès des ménage aux crédits
bancaires. Cet allègement est reflété par un accès plus facile aux crédits à la consommation.
Par conséquent, les ménages ne sont plus incités à épargner et donc à reporter leur
consommation dans le temps parce que, tout simplement, ils peuvent consommer aujourd’hui
plus que leur revenu grâce au crédit bancaire. A court terme, ce résultat suggère aussi que
l’allègement de la contrainte de liquidité est le facteur dominant dans le processus de
libéralisation financière. Les autres canaux de transmission (innovations et institutions)
demandent plus de temps pour pouvoir influer sur la constitution de l’épargne des ménages.
Concernant le cas de l’Union Monétaire Ouest Africaine (l’UMOA), l’impact de la
libéralisation financière sur la mobilisation de l’épargne financière semble assez significatif.

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Mesuré par le taux d’intérêt créditeur réel, l’impact de la libéralisation financière semble avoir
joué : un faible rôle même si on a le signe positif qui était attendu sur les dépôts bancaires, et
un rôle important lorsqu’il s’agit de l’indicateur d’approfondissement financier.
Selon Tanimoune, l’impact indirect de la libéralisation financière sur l’épargne financière
mesuré par les taux d’intérêts est positif quelle que soit la variable expliquée, qu’il s’agisse
des dépôts bancaires ou des engagements du système bancaire immédiatement exigibles, les
résultats sont les mêmes que ceux obtenus par Diery et Yasim (1993), ces auteurs trouvent
que le taux d’intérêt créditeur réel agit positivement et de façon significative dans la
constitution de l’épargne dans neuf pays d’Afrique.

En Tunisie, l’impact indirect de la libéralisation financière sur la mobilisation de


l’épargne, mesuré à travers le coefficient des taux d’intérêt créditeur réel, semble avoir joué
un rôle important notamment à CT. Le coefficient de ce dernier apparait significatif avec le
signe négatif contraire à celui qui est espéré. Il parait donc que dans le cas tunisien l’effet
revenu domine l’effet substitution. Ce résultat reste valable dans toutes les régressions où le
taux d’intérêt est intégré comme variable explicative.
Mesuré à travers l’indice de libéralisation financière, l’impact direct de celle-ci sur la
mobilisation de l’épargne en Tunisie parait assez clair dans différents équations. La
libéralisation financière ait entrainé une baisse de l’épargne. Ce résultat peut être expliqué par
le fait que la libéralisation financière a permis d’alléger les contraintes d’accès des ménages
aux crédits bancaires notamment sous forme de crédit à la consommation. Par conséquent, les
ménages ne sont plus incités à épargner et donc à reporter leur consommation dans le temps
parce que tout simplement, ils peuvent consommer aujourd’hui plus que leur revenu grâce à
l’emprunt bancaire.
Ce résultat suggère aussi que l’allègement de la contrainte de liquidité est le facteur
dominant dans le processus de libéralisation financière (au moins dans le court terme). Les
autres aspects de la libéralisation financière comme la création de nouveaux produits
d’épargne plus attractifs en termes de rentabilité et de risque se sont éclipsés devant les
facilités d’obtention de crédits à la consommation. Ce type de comportement n’est pas
spécifique aux ménages tunisiens, d’autres études sur d’autres pays ont retrouvé les mêmes
résultats.
Par exemple, Bandiera et al (1998,2000), avec la même méthode économétrique ont
retrouvé que dans le cas du Corée du Sud ou du Mexique, le coefficient de l’indice de la
libéralisation financière est négatif et statistiquement significatif. Ils ont même estimé la
baisse du taux d’épargne à cause de la libéralisation financière à 12% pour la Corée et 6%
pour la Mexique.

Conclusion

La libéralisation financière ne générait pas les résultats positifs que l'on en attendait, le
concept a progressivement évolué. Cette évolution s'est faite autour de deux pôles principaux :
la prise en compte de l'état de l'économie et l'intégration des nouvelles théories apparues ces
vingt dernières années.
Dans un premier temps, les échecs de ces politiques ont été attribués à l'absence de
conditions préalables nécessaires à leurs succès. Ces conditions préalables sont
essentiellement au nombre de deux : un environnement macro-économique stable et une

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surveillance adéquate du secteur bancaire.


L'environnement macro-économique stable suppose des déficits gouvernementaux et
extérieurs raisonnables et un faible taux d'inflation. Quant à la surveillance du système
bancaire, elle vise à empêcher les banques de succomber à la tentation d'une gestion trop
risquée lorsqu'elles évoluent dans un environnement moins réglementé. La nouvelle approche
de la libéralisation financière tient maintenant compte des imperfections qui règnent sur les
marchés financiers (asymétries d'information, sélection adverse...). Mackinnon (1988)
construit un modèle dans lequel l'instabilité macro-économique et les aléas de moralité
peuvent conduire à un taux d'intérêt trop élevé et à un excès de prise de risque par le secteur
bancaire. Dans un tel univers, « le gouvernement devrait probablement imposer une
administration sur le taux d'intérêt type sur les prêts (et sur les dépôts) aussi bien qu'un
nombre de mesures prudentielles, telles que des provisions plus grandes sur les créances
douteuses ». Il ajoute même que « les économies ayant connu un développement réussi ont
combiné une stabilité du niveau général des prix avec des taux d'intérêt nominaux substantiels
-même s'ils sont réglementés- sur les dépôts et sur les crédits ».
Comme le soulignent Arestis et Demetriades (1993), Mackinnon « admet donc que
l'administration des taux peut se justifier dans certaines circonstances et que le développement
économique peut avoir lieu même si les taux sont régulés ». Enfin, dans deux articles, King et
Levine (1992, 1993) tentent de montrer, à partir d'un modèle de croissance endogène «
schumpétérien » d'intermédiation financière, l'importance du facteur financier dans la
croissance économique. Dans leur modèle, ils introduisent un paramètre qui représente les
impôts prélevés par l'Etat. Comme l'écrivent les deux auteurs, « en pratique, de telles taxes
peuvent revêtir de nombreuses formes: des taxes financières explicites et des taxes implicites
ou quasi-taxes sur les intermédiaires financiers (qui incluent des réserves obligatoires non
rémunérées, des prêts forcés au gouvernement ou aux entreprises publiques et une
administration des taux d'intérêt sur les crédits et les dépôts ».
La répression financière à la Mac-Kinnon refait donc une apparition remarquée, bien
qu'implicite, dans un modèle de croissance endogène. Alors, que reste-t-il de la libéralisation
financière ? L'idée que le développement financier peut permettre le développement
économique à la condition qu'un certain nombre de conditions initiales soient réunies ? L'idée
que, contrairement à l'approche traditionnelle, la monnaie et le capital puissent être, dans les
économies partiellement monétarisées, complémentaires plutôt que substituables ? L'idée que
le développement du secteur financier puisse être le moyen privilégié de réduire le
seigneuriage de l'Etat ce qui permettrait d'accroître le bien-être des agents ?

Références bibliograhiques

 BAMBA KA. [2003], « Impact de la libéralisation financière sur l’intermédiation


bancaire dans L'UMOA », mémoire sous la direction du Professeur Adama DIAW.

8ème promotion.
 MOULDI DJELASSI et ZMAMI MOURAD [2005], « La libéralisation financière
peut-elle augmenter ou réduire l'épargne ? Une analyse de l'expérience tunisienne ».
Document de Recherche n° 2005-11. Laboratoire d'Economie d'Orléans. France
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Finance & Finance Internationale N°15 juin 2019

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