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DE NOUVEAUX ESPACES DE CONQUÊTES

AXE 2 – ENJEUX DIPLÔMATIQUES ET COOPÉRATIONS.

Jalon 1 : Coopérer pour développer la recherche : la station


spatiale internationale

Introduction
« Le grand Meccano de l’espace » : c’est par cette expression qu’est souvent désignée la Station Spatiale
Internationale (International Space Station, ISS), qui tourne autour de la Terre depuis maintenant vingt-deux
ans. Une expression appropriée pour décrire le mode de construction du plus grand objet artificiel mise en
orbite par l’Humanité, mais aussi le principe de coopération internationale qui a présidé à son élaboration
et à sa réalisation, caractérisée par l’apport successif et coordonné de modules construits par les agences
spatiales nationales. Les stations orbitales constituent aujourd’hui l’étape la plus avancée des vols habités
dans l’espace. Nées dans le contexte de la guerre froide, elles en ont en partie récupéré l’héritage, tout en
essayant de se distinguer de certains de ses enjeux géopolitiques, pour s’inscrire dans une logique de
coopération entre agences spatiales. En la matière, le poids des puissances américaine et russe reste
considérable : ce sont elles qui ont mis en place les premiers projets, avant de s’investir lourdement dans
celui de l’ISS – piloté et dominé par les États-Unis. Ce pays pèse encore largement sur ce projet aux
enjeux politiques et économiques aussi importants, sinon plus, que ne le sont ses intérêts scientifiques,
censés légitimer son maintien dans l’espace malgré un coût exorbitant. Un objet de coopération
internationale dont les enjeux sont aujourd’hui renouvelés par la reconfiguration de la « course à
l’espace » : entre émergence de nouvelles puissances et développement du secteur privé, c’est toute une
logique encore balbutiante de coopération internationale qui est remise en question par le regain d’intérêt
pour la conquête spatiale.

Comment la station spatiale internationale illustre-t-elle une première forme de coopération


internationale et ses limites dans la conquête humaine de l’espace ?

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Plan du chapitre Objectifs Notions
Comprendre les débuts de la
coopération spatiale
internationale à travers Accords de
1. De Mir à la Station Spatiale Internationale : la l’exemple de la Station Mir. coopération
naissance d’un projet de coopération Comprendre la formalisation Coopération
A. Mir et les premières formes de coopération juridique de la coopération internationale
B. L’élaboration du projet de l’ISS internationale à travers la
trajectoire historique de Station orbitale
l’ISS, de 1984 à l’accord de
1998.
Comprendre la mise en place
de l’ISS, ce Meccano de
l’espace qui a requis une Laboratoires
2. La Station Spatiale Internationale, laboratoire logique de coopération spatiaux
scientifique et expérience de relations dominée par les États-Unis
internationales et la Russie. Recherche
spatiale
A. La mise en place du Meccano de l’espace Comprendre le
fonctionnement de la Station
B. La recherche spatiale, secteur privilégié de la
coopération à travers Spatiale
coopération
l’exemple de la recherche internationale
menée dans l’espace au sein
des laboratoires nationaux.
Comprendre les principales
critiques adressées à l’ISS
concernant son faible intérêt
3. Intérêt scientifique relatif, coût élevé et scientifique au regard de son Budget spatial
domination américaine : les limites de la coopération coût toujours plus important.
Privatisation
internationale au sein de l’ISS Comprendre les dynamiques
Tourisme
A. Un projet suscitant de nombreuses critiques actuelles de privatisation de
spatial
l’ISS dans un contexte
B. Quel avenir pour la station internationale ? marqué par le regain de la
course à l’espace et le
renouveau des projets de
stations nationales.

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1. De Mir à la Station Spatiale Internationale (ISS) : la naissance d’un projet
de coopération internationale
Pour les agences spatiales, la construction de stations orbitales s’inscrit dans la continuité logique des
programmes de vol habité, qu’il s’agit d’inscrire dans la longue durée afin de permettre une présence
humaine permanente dans l’espace, tout en étudiant les effets de cet environnement sur le corps et
l’esprit humains. La mise en orbite de telles stations répond pourtant moins à ces préoccupations
scientifiques qu’à des enjeux géopolitiques : elles naissent dans le contexte de la guerre froide qui oppose
les États-Unis et l’URSS.

A. Mir et les premières formes de coopération


Le programme soviétique de stations orbitales
Pris de court par la réussite de la mission Apollo (1969), les Soviétiques envisagent de prendre leur
revanche et de récupérer le prestige de la suprématie spatiale par le lancement de la première station
spatiale habitée et l’occupation permanente de l’orbite terrestre qu’elle rend possible. Les années 1970
ouvrent ainsi l’ère des stations Saliout (« Salut », en français), dont la première est mise en orbite en 1971.
Six autres suivront (Saliout 2, 1973 ; Saliout 3 et 4, 1974 ; Saliout 5, 1976), autant à des fins civiles
(observation terrestre, recherche scientifique) que militaires (espionnage des territoires adverses). La
deuxième génération de stations Saliout (Saliout 6, 1977, et Saliout 7, 1982) permet aux Soviétiques
d’assurer les premiers vols de longue durée dans l’espace (617 jours pour Saliout 6, 1 075 jours pour
Saliout 7), ce qui semble alors leur redonner une avance sur les États-Unis.

Assemblage d’un vaisseau Soyouz avec la station orbitale Saliout 7 (Source : Larousse)

Dans cette décennie, la NASA, elle, ne lance qu’une seule station (Skylab) et elle n’est occupée que neuf
mois (mai 1973-février 1974) avant d’être abandonnée. Ses débris retombent sur Terre en 1979. Les
Russes poursuivent le perfectionnement de leur programme et acquièrent une expérience unique en la

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matière. Après l’abandon de Saliout 7 en 1985, dont les débris retombent sur Terre en 1991, ils élaborent
le projet Mir (« Paix », en français). Cette troisième génération de station reste en orbite près de quinze
ans. Mir est le dernier grand succès spatial de l’URSS. C’est avec elle que débute réellement l’occupation
permanente de l’orbite terrestre : des équipages s’y trouvent 90% du temps, le record de séjour étant
détenu par le russe Valeri Poliakov, qui y est resté quinze mois entre 1994 et 1995.

La station orbitale Mir. (Source : Larousse)

Les débuts de la coopération internationale


Les mises en orbite de Saliout et de Mir marquent les débuts de la coopération internationale dans
l’espace à des fins civiles et scientifiques. Le premier pas a été franchi avec Saliout 7, sur laquelle deux
astronautes étrangers ont été invités à rejoindre les équipages soviétiques – dont le français Jean-Loup
Chrétien.

Exercice 1
Jean-Loup Chrétien, symbole de la coopération spatiale internationale ?

Document 1 : Biographie de Jean-Loup Chrétien (1933)

« Premier Français à [être allé] dans l'espace, Jean-Loup Jacques Marie Chrétien naît le 28 août
1938 à La Rochelle (Charente-Maritime). Après des études au collège Saint-Charles de Saint-
Brieuc puis au lycée de Morlaix, il entre en 1959 à l'École de l'air de Salon-de-Provence, où il
obtient en 1961 le titre d'ingénieur, ainsi qu'une maîtrise en génie aéronautique. Il est alors affecté
comme lieutenant à la cinquième escadrille de chasse, à Orange, où il est breveté pilote en 1962

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[…]. En 1977, il est promu adjoint au commandant de la région aérienne du sud-est de la France,
dont le quartier général est à Aix-en-Provence. Il occupe cette fonction jusqu'au 12 juin 1980, date
à laquelle il est sélectionné comme astronaute par le CNES.
En septembre 1980, Jean-Loup Chrétien commence l'entraînement à la Cité des étoiles, près de
Moscou, dans le cadre de l'accord de coopération concernant les vols habités signé en 1979 entre
les gouvernements français et soviétique. Le 24 juin 1982, il décolle de Baïkonour à bord du
vaisseau Soyouz T-6 pour accomplir la mission PVH (premier vol habité) ; spationaute
expérimentateur, il a pour compagnons de vol les Soviétiques Vladimir Alexandrovitch Djanibekov
et Alexandre Sergeïevitch Ivantchenkov. L'amarrage à la station orbitale Saliout-7, à l'intérieur de
laquelle se trouvent déjà Valentin Vitalievitch Lebedev et Anatoli Nicolaïevitch Berezovoï, est
réalisé le 25 juin. Pendant sept jours, Jean-Loup Chrétien réalise de nombreuses expériences,
essentiellement dans le domaine de la physiologie spatiale : mesure du débit sanguin en
microgravité, étude des modifications du mouvement dans cet environnement (expérience
Posture) et échographie cardio-vasculaire. Il rentre sur Terre le 2 juillet, après 7 jours et 22
heures dans l'espace. À l'issue de cette mission, le premier Français à être allé dans l'espace est
nommé chef de la division des astronautes du CNES.
En 1984 et 1985, il participe à l'entraînement des astronautes au Johnson Space Center de la
NASA à Houston (Texas) […]. Il effectue un deuxième vol dans l'espace à bord de Soyouz TM-7
(mission franco-russe Aragatz), qui est lancé vers la station Mir le 26 novembre 1988 : il rejoint,
avec Alexandre Alexandrovitch Volkov et Sergueï Constantinovitch Krikalev, les Soviétiques
Vladimir Georgievitch Titov, Moussa Khiramanovitch Manarov et Valeri Vladimirovitch Poliakov. La
durée de son séjour sera de 22 jours. Le 9 décembre, il effectue une sortie extravéhiculaire de 5
heures et 57 mn en compagnie de Volkov afin de déployer une antenne expérimentale, ERA. Jean-
Loup Chrétien devient ainsi le premier non-Américain et non-Soviétique à « marcher » dans
l'espace ; il est aussi le premier non-Soviétique à avoir effectué deux vols à bord d'un vaisseau
Soyouz.
De 1990 à 1999, il est directeur des astronautes du CNES. Entre 1990 et 1993, il participe à
l'entraînement au pilotage de la navette spatiale soviétique Bourane à l'Académie de l'air
Joukovski, près de Moscou. […]. En 1995, il reprend l'entraînement au Johnson Space Center et
intègre le corps des astronautes de la N.A.S.A. Le 26 septembre 1997, il décolle de Cape
Canaveral à bord de la navette spatiale américaine Atlantis (vol STS-86), qui s'amarre à Mir le
lendemain. Cette mission, la septième d'une navette vers Mir, dure 10 jours et 19 heures.
Il devient directeur adjoint du groupe de travail sur la Station spatiale internationale ISS
(Expedition Corps) et assistant pour les opérations auprès du directeur du Johnson Space Center.
Un accident le contraint à cesser en 2001 ses activités d'astronaute. […] »
Jacques Villain, « Jean-Loup Chrétien (1938) », sur universalis.fr

Document 2 : Deux photographies de Jean-Loup Chrétien

(À gauche). En 1982, au centre de


formation des cosmonautes « Youri
Gagarine » dans la Cité des étoiles
(Moscou), Ivanchenkov, Djanibekov et
Chrétien (au centre) posent devant les
drapeaux soviétique et français, et
derrière un modèle réduit de la station
Saliout. (À droite), le portrait officiel de
Jean-Loup Chrétien par la NASA.

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Question
Montrez, à travers le parcours de Jean-Loup Chrétien, que la conquête spatiale s’inscrit aussi dans une
logique de coopération internationale à la fin de la guerre froide.

Jean-Loup Chrétien est le pionnier d’un mouvement de coopération international qui prend de plus en
plus d’ampleur après la mise en orbite de la station Mir. Entre 1986 et 2000, celle-ci accueille des
membres de douze pays, essentiellement occidentaux (États-Unis, Japon) et surtout européens
(Allemagne, Autriche, France, Royaume-Uni, Slovaquie), mais aussi du Moyen Orient (Syrie, Afghanistan)
ou d’Asie centrale (Kazakhstan). Ils représentent près d’un cinquième (25 sur 105) des membres des
trente équipages qui s’y sont succédé. Parmi eux, cinq Français mènent des missions au nom du CNES :
Jean-Loup Chrétien sera ainsi suivi par Michel Tognini (1992), Jean-Pierre Haigneré (1993, 1999), Claudie
Haigneré (première française dans l’espace, en 1996) et Léopold Eyharts (1998). Pour les Russes, il s’agit
certes de favoriser leur désenclavement international, mais aussi de trouver les moyens financiers pour
maintenir une station qui apparaît comme de plus en plus coûteuse dans le contexte de crise économique
qui suit l’effondrement de l’URSS. Ainsi les agences spatiales étrangères doivent-elles régler à leur
homologue russe (RKA, dans les années 1990) un loyer pour que leurs astronautes séjournent sur Mir :
120 millions de francs, soit 18 millions d’euros, pour Jean-Pierre Haigneré, par exemple, en 1998. Un
contrat « donnant-donnant » : s’il permet à RKA de maintenir la station quelques années de plus, il
favorise aussi, pour le CNES, l’acquisition d’un savoir-faire qu’il pourra ensuite utiliser dans son futur
laboratoire au sein de la Station Spatiale Internationale – alors en cours d’élaboration.

B. L’élaboration du projet de la Station Spatiale Internationale


La Station Spatiale Internationale (ISS) naît aussi de la guerre froide. Initialement, le projet a été lancé par
Ronald Reagan en 1984 pour concurrencer le programme de station orbitale soviétique, bien plus avancé.
En quelques années, elle va pourtant devenir le symbole de la coopération internationale dans l’espace, et
ce à des fins de recherche scientifique.

Les origines de l’ISS


Malgré le contexte de « guerre des étoiles » qui marquent l’ère de l’administration Reagan (cf. Jalon 1),
les objectifs de cette station – baptisée « Freedom » – ne se limitent pas à cet enjeu géopolitique.
L’ambition est autant scientifique (installer un institut de recherche afin de conduire de nombreuses
expériences scientifiques sur le milieu spatial et ses possibles retombées pour les sciences terrestres),
qu’économique (dynamiser l’industrie américaine), technologique (développer les vols de longue durée) et
culturelle (en retirer un prestige égal à celui d’Apollo). Le coût du projet (8 milliards), alimente toutefois
les critiques de l’opposition politique et de la communauté scientifique américaine, cette dernière
craignant de voir ses financements réduits au profit de la station. Dès 1985, l’administration Reagan
propose, pour en abaisser le coût, d’en faire un projet international, auquel elle associe les agences
spatiales européenne (janvier), canadienne (avril) et enfin japonaise (mai).
Les retards s’accumulent toutefois dans les années qui suivent, notamment après l’explosion de la navette
Challenger (28 janvier 1986) qui entraîne le gel, par les États-Unis, de ses programmes de vol habité. Le
projet n’est pas abandonné, mais son budget enfle : il passe à 14 milliards de dollars en 1987, pour
atteindre 25 milliards en 1988 – quoique certaines estimations, plus réalistes, l’estiment alors à 40
milliards. L’opposition du Congrès américain empêche l’aboutissement du projet. Après 1991, les budgets
de la NASA sont drastiquement réduits : la compétition spatiale perd de son sens avec l’effondrement de
l’URSS, et le Congrès refuse l’attribution de crédits supplémentaires prévue par l’administration Bush en
1990. Alors que le projet semble menacé, sinon enterré, l’administration Clinton en valide finalement une
version amoindrie en juin 1993. La même année, la Russie est associée au projet, moins pour sa capacité à
en assurer la partie financière – la RKA connaît déjà de fortes difficultés pour maintenir son niveau spatial
– que pour faire bénéficier l’ISS de son expertise sur Mir.

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Le rapprochement américano-soviétique
La fin de la guerre froide et les années qui suivent l’effondrement de l’URSS sont également marquées
par un rapprochement croissant entre les États-Unis et l’URSS. Dès 1975, les deux superpuissances ont
procédé à une mission commune, dite « Apollo-Soyouz ». Les deux vaisseaux se sont amarrés dans
l’espace pendant quelques minutes de manière à permettre l’ouverture d’une écoutille entre eux – et une
poignée de main entre l’astronaute Stafford et le cosmonaute Leonov. Il s’agit alors d’un geste plus
politique que scientifique, qui vise à marquer symboliquement la « détente » entre les deux
superpuissances, mais qui n’aura pas de lendemain, l’affrontement reprenant sous Reagan. La situation
change progressivement avec la fin de la guerre froide : la compétition s’estompe et laisse place à une
logique de coopération entre les deux anciens ennemis.

Les membres de la mission « Apollo-Soyouz », en 1975 (Source : Wikipédia)


De gauche à droite, les Américains Slayton, Stafford et Brand, les Soviétiques Leonov et Kubasov

Exercice 2
Le rapprochement américano-russe dans l’espace après 1991

Un cosmonaute russe sur une navette américaine en 1993


« Un cosmonaute russe volera sur une navette américaine en octobre 1993. Cet échange devrait
être suivi par un rendez-vous entre une navette américaine et la station spatiale Mir en 1994 ou
1995. Enfin, un astronaute américain sera entraîné spécialement à la Cité des étoiles, près de
Moscou, en vue d'un séjour de trois à cinq mois en orbite sur Mir, où il pourrait être déposé par
une navette américaine. Ces annonces ont été faites, jeudi 16 juillet, à Moscou, par MM. Daniel
Goldin, administrateur de la NASA, et Youri Koptev, directeur de l'Agence spatiale russe (RKA).
Les deux hommes ont précisé en outre qu'ils avaient signé un contrat d'un million de dollars pour
l'étude détaillée de l'utilisation possible de technologie russe par la NASA. Le principe d'un
échange d'astronautes entre les Etats-Unis et l'URSS était acquis depuis l'an dernier, et
mentionné dans un accord-cadre signé à Moscou entre les présidents George Bush et Mikhaïl
Gorbatchev (le Monde daté 7-8 juillet 1991). La Russie a confirmé cette volonté et un nouvel
accord de coopération avait été signé récemment par MM. Bush et Eltsine. »
Le Monde, 19 juillet 1992

Question
En vous appuyant sur le texte, montrez que la fin de la guerre froide se traduit par un changement radical
de perspective entre les deux superpuissances.

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La mise en place juridique de l’ISS
Résultat de la Détente entre les deux superpuissances, puis de l’effondrement de l’URSS, l’ISS semble
redonner un nouveau souffle au Traité sur l’espace de 1967, qui proclame que les activités des États
doivent s’effectuer « en vue de maintenir la paix et la sécurité internationales et de favoriser la coopération
et la compréhension internationales ». Sa création et sa mise en orbite posent toutefois des problèmes
juridiques : quelle forme la coopération doit-elle prendre ? En la matière, l’ISS apparaît autant comme un
projet de laboratoire scientifique que comme une expérience de pacification des relations internationales.
Le premier accord entre les États-Unis, les pays européens, le Japon et le Canada, est adopté en 1988,
mais il est révisé du fait de l’évolution des questions budgétaires puis de l’intégration de la Russie au
projet. Il est signé le 29 janvier 1998.

Exercice 3
L’accord de création de la Station Spatiale Internationale (1998)

Une présentation synthétique du dispositif de l’accord


« C'est en quelque sorte pour définir le règlement de copropriété de l'ensemble multinational
formé par la station spatiale internationale qu'un accord intergouvernemental a été nécessaire.
« L'accord du 29 janvier 1998 a été signé entre 15 pays : les États-Unis, la Russie, le Japon, le
Canada et 11 pays européens (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Norvège,
Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède et Suisse). Ces 11 pays sont tous membres de l'Agence spatiale
européenne […] et sont désignés dans l'accord comme “le Partenaire européen”.
L'accord initial avait été conclu en 1988. La Russie y avait été associée en 1993 mais des
modifications du texte étaient indispensables pour intégrer les contributions prises en charge par
ce nouveau partenaire. Par ailleurs, l'accord initial devait être aménagé pour tenir compte des
évolutions importantes intervenues dans le programme depuis l'origine.
Le nouvel accord établit une sorte de hiérarchie entre les participants, tenant compte de leur
poids dans le programme. Il confirme le rôle de chef de file des États-Unis et de la NASA pour la
gestion de la station et la coordination d'ensemble. Il reconnaît la place essentielle des Russes
en précisant que les éléments fondamentaux de la station sont fournis par les États-Unis et la
Russie : la station spatiale internationale repose donc avant tout sur la coopération américano-
russe. Le Partenaire européen et le Japon apportent des pièces complémentaires, qui
augmentent les capacités de la station sans en constituer des éléments-clefs. Enfin, la
contribution du Canada est qualifiée d'élément essentiel de la station spatiale.
Les contributions des différents partenaires sont énumérées dans une annexe de l'accord.
Les États-Unis, par l'intermédiaire de la NASA, fournissent des éléments d'infrastructure de la
station spatiale, y compris un module d'habitation, des modules-laboratoires et des équipements
raccordés pour l'installation de charges utiles, d'autres éléments de vol pour le ravitaillement de
la station et des éléments au sol.
La Russie fournit des éléments d'infrastructure, y compris des modules de servitude, des
modules de recherche et des équipements raccordés pour l'installation de charges utiles,
d'autres éléments de vol pour le ravitaillement et le rehaussement de l'orbite de la station et des
éléments au sol.
Les pays européens construisent un laboratoire pressurisé (Columbus), d'autres éléments de vol
pour le ravitaillement et le rehaussement de l'orbite de la station (véhicule spatial de
ravitaillement) et des éléments au sol.
Le Japon fournit un module d'expériences, des éléments de vol pour le ravitaillement de la
station et des éléments au sol.
Le Canada fournira le centre d'entretien et de réparation mobile, un « manipulateur agile
spécialisé » et des éléments au sol.

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L'article 1er de l'accord précise qu'en fournissant des éléments de vol de la station, chaque
partenaire acquiert des droits d'utilisation.
L'accord fixe ensuite un certain nombre de règles de fonctionnement de la station. Ainsi, chaque
partenaire demeure propriétaire et responsable des éléments qu'il fournit, après les avoir conçus
et développés. Il bénéficie d'un droit d'utilisation calculé au prorata de ses investissements. Le
partenaire européen disposera, par exemple, de 8,3% de l'utilisation de la station, conformément
au mémoire d'entente entre l'Agence spatiale européenne et la Nasa, ce taux correspondant au
pourcentage initial de sa participation financière.
La gestion de la station sera organisée sur la base d'organes multilatéraux où siègent les
représentants des différentes agences spatiales. Divers comités en charge de la coordination, de
l'exploitation ou de la sélection des équipages ont été mis en place.
L'accord permet à chaque partenaire d'accéder à la station à l'aide de son propre système de
transport, s'il en dispose, et de proposer aux autres ses services de lancement et de retour sur
Terre. Dans cette dernière hypothèse, une clause garantit à chaque partenaire de pouvoir
accéder à ces services dans des conditions équivalentes. Il revient à la Nasa, agissant en
collaboration avec les autres agences coopérantes, de planifier et coordonner les services de
lancement et de retour.
L'article 13 de l'accord stipule que les États-Unis et la Russie fournissent les deux principaux
réseaux de communications spatial et terrestre de systèmes de satellites et relais de données
pour assurer la commande, le contrôle et l'exploitation des éléments et charges utiles de la
station. La Nasa planifie et coordonne les services de télécommunications pour la station. […].
Enfin, l'accord comporte des modalités d'entrée en vigueur particulières. L'article 26 prévoit que
l'accord devient exécutoire entre les États-Unis et la Russie dès que leurs deux ratifications sont
effectuées. Par ailleurs, selon l'article 25, l'accord entre en vigueur à la date de notification du
dernier instrument de ratification par les Etats-Unis, la Russie ou le Japon, c'est à dire sans
attendre nécessairement la ratification par le Canada et les pays européens. De fait, l'accord est
en vigueur depuis le 27 mars 2001 alors que l'Agence spatiale européenne n'a pas notifié sa
ratification.
L'article 25 précise que l'accord entre en vigueur pour le Partenaire européen lorsque 4 États
européens auront déposé leur instrument de ratification, et après notification officielle par le
président du Conseil de l'Agence spatiale européenne. Une fois entré en vigueur pour le
Partenaire européen, l'accord entre également en vigueur pour tous les Etats européens
signataires. Toutefois, le Conseil de l'Agence spatiale européenne a décidé en 2000 de ne pas
déposer son instrument de ratification tant que des Etats représentant 87,5% de la participation
européenne au programme de développement de la station spatiale internationale n'auront pas
fait de même. L'absence de ratification par la France retarde pour l'instant la ratification par
l'Agence spatiale européenne. »
Extrait du Rapport de M. André Rouvière, fait au nom de la Commission des Affaires Étrangères,
sur le « Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sur la station spatiale internationale civile », 2004.

Questions
1. Présentez le document et son contexte.
2. Pourquoi l’ISS est-elle un projet de coopération internationale ?
3. Que prévoit l’accord en matière d’utilisation de la station ?
4. La coopération internationale se fait-elle de manière égalitaire ?
5. Quels éléments montrent que l’ISS hérite son organisation de la guerre froide ?
6. Que signifient les deux derniers paragraphes ?

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ZOOM – « À quel territoire appartient l’ISS, légalement ? »
« Le traité signé en 1998 stipule que la loi des pays signataires s’applique dans les modules qu’ils ont
financés au sein de la station, y compris en matière pénale et donc criminelle. Si par exemple Peggy
Whitson décidait d’assassiner son collègue russe Oleg Novitskiy dans le laboratoire japonais Kibo, les
lois japonaises s’appliqueraient à l’astronaute américaine. […]. L’accord prévoit que n’importe quel
pays européen signataire peut revendiquer l’application de sa législation dans un module européen,
ce qui rend théoriquement possible des contentieux entre partenaires européens. Mais en pratique,
aucun cas ni aucune jurisprudence n’existe. La majorité des espaces étant russes et américains, les
législations de ces deux pays s’appliqueraient probablement en cas de problème en orbite. »
Source : Le Monde, 17 novembre 2016

2. La station spatiale internationale (ISS), laboratoire scientifique et


expérience des relations internationales
A. La mise en place du Meccano de l’espace
Le terme de Meccano a souvent été utilisé pour désigner la station spatiale internationale. Le principe
d’assemblage des stations orbitales ressemble de fait à celui du célèbre jeu de construction. La station se
compose d’une trentaine d’éléments (dont treize modules pressurisés : habitation, lieux de vie et
laboratoires) mais elle n’est pas propulsée telle quelle dans l’espace : les éléments sont assemblés au fur
et à mesure par les partenaires.

L’assemblage, entre apports nationaux et coopération internationale


Plus de 140 voyages ont été nécessaires entre 1998 et 2011 pour achever la station, dans une sorte de
ballet spatial en grande partie assuré principalement par la NASA (navettes) et la Russie (lanceur proton).
Le cheminement de la mise en place n’a toutefois pas été sans heurts. Les Russes ont apporté la
première pièce de la station (module Zarya, novembre 1998), suivis par les États-Unis (module Unity,
décembre 1998). La station est inaugurée dans la foulée. Le jeudi 10 décembre 1998, l’astronaute
américain Robert Cabana et le cosmonaute russe Sergueï Krikalev se retrouvent ainsi dans le module
Unity, relié au module Zarya. « Ce que nous attendons de cette entrée est le premier acte officiel sur la
station spatiale internationale, qui sera d'allumer les lumières », commente alors un responsable de la
NASA, cité par Le Monde. La station n’est toutefois pas encore habitable : il faut attendre, pour cela, la
mise en place d’un modèle d’habitation fournie par la Russie, Zvezda. Un premier lancement échoue
(1999), ce qui retarde d’un an la mise en orbite. En novembre 2000, les premiers occupants de l’ISS
peuvent s’y installer. Il s’agit de l’astronaute William Shepherd et des deux cosmonautes Youri Gidzenko et
Sergei Krikalev, qui viennent de passer quatre ans ensemble afin de s’entraîner et de développer leur
solidarité.

L’explosion de la navette Columbia (2003) freine toutefois la construction de l’ISS. Elle gêne aussi son
fonctionnement : alors qu’elle est occupée de manière permanente depuis 2000, elle perd dès lors pour
plusieurs mois son principal système de ravitaillement, le programme de navette étant gelé. Les vols de
navette reprennent en 2005, peu avant que la NASA n’annonce leur suspension définitive à l’horizon 2011.
Les problèmes logistiques qui en résultent seront résolus par le recours aux vaisseaux Soyouz, puis aux
entreprises privées par l’intermédiaire du programme COTS. Par ailleurs, le coût de la station s’avérant de
plus en plus élevé, de nombreux modules prévus à l’ajout sont in fine abandonnés, que ce soit par les
États-Unis (module d’habitation, 2006 ; module de propulsion pour rehausser la station) ou par la Russie
(laboratoire spatial, 2007).

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Exercice 4
Construction et assemblage de la station spatiale internationale

Document 1 : La Station Spatiale Internationale

Document 2 : L’ISS achevée (Source : LeParisien.fr)

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Document 3 : Construction de l’ISS (Source : NASA). Photographie de l’astronaute James H.
Newman lors de l’assemblage des modules Zarya et Unity, en décembre 1988

Questions
1. Montrez que l’ISS est une construction complexe.
2. Pourquoi sa construction et son assemblage ont-ils été si difficiles ?
3. En quoi l’organisation spatiale de l’ISS souligne-t-elle la coopération internationale ?

Prévue initialement pour un volume habitable de 1200 M3, l’ISS a finalement été amoindrie par les coupes
budgétaires qui ont affecté les cinq agences contributives. Elle n’en reste pas moins le plus grand objet
artificiel placé en orbite (330-420 km) : 420 tonnes d’éléments, sur 110 m. de longueur, 74 de largeur et
30 de hauteur. Un volume d'espace pressurisé de 900 m3 – dont 400 habitables, occupés en permanence
depuis vingt ans par un équipage de six membres qui se renouvelle régulièrement. Jusqu’en 2011, il existe
deux moyens de s’y rendre : soit en utilisant la navette américaine, soit à bord d’un vaisseau Soyouz. Après
le retrait du véhicule américain, l’ISS n’est accessible que par Soyouz, Roscosmos continuant seule à
transporter astronautes, cosmonautes et spationautes. Si ce fait montre la réalité de la coopération
internationale, il en souligne aussi les limites : l’explosion de Columbia a, pendant un temps, hypothéqué
l’avenir de la station, montrant la dépendance de celle-ci au soutien financier des États-Unis. Les
partenaires ont été obligés de trouver d’autres alternatives, telle la mise au point d’un accord permettant
de lancer le vaisseau Soyouz depuis la base spatiale de Kourou, en Guyane, l’utilisation de la fusée Ariane
5 et de l’ATV pour approvisionner l’ISS – ou le recours, pour les États-Unis, à des sociétés privées.

B. La recherche spatiale, secteur privilégié de la coopération


Louis Pasteur disait que « la science n’a pas de patrie, parce que le savoir est le patrimoine de
l’humanité ». Les scientifiques ont tout intérêt à s’affranchir des frontières et à dépasser les clivages
politiques pour faire progresser le savoir : la station spatiale internationale illustre bien, en cela, l’un des
principes fondamentaux de la science telle qu’elle s’est développée depuis les débuts de l’époque
« moderne » (XV-XVIe siècles).

Agences spatiales et laboratoires de recherche


De fait, l’ISS est d’abord et surtout un grand laboratoire scientifique où la microgravité de la station
permet de mener des expériences impossibles sur Terre, qu’elles concernent la science des matériaux ou
la biologie (les effets de la vie dans l’espace sur le corps humain). Nombre des modules sont des
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laboratoires, tels Destiny (NASA) ou Columbus (ESA). Les Russes, eux, après en avoir abandonné le projet
(2007), projettent d’en installer un (2021) et se servent pour l’heure de deux modules (Poisk, Ravsset)
comme de « mini-laboratoires ».

Exercice 5
Le module Columbus, de l’ESA

« Le laboratoire Columbus met l'Europe spatiale en orbite »


« Le laboratoire spatial européen Columbus est monté en orbite, jeudi 7 février [2008] à 20 h 45
(heure de Paris), à bord de la navette américaine Atlantis. Les sept astronautes de l'équipage –
dont l'Allemand Hans Schlegel et le Français Léopold Eyharts – auront notamment pour mission,
au troisième jour du vol, d'amarrer le laboratoire à la Station spatiale internationale (ISS), qui
comptera dès lors une nouvelle dépendance. Aux côtés de la Russie, des États-Unis et dans une
moindre mesure du Canada, “l'Europe sera alors pleinement copropriétaire de l'ISS”, selon
l'expression d'Alan Thirkettle, de l'Agence spatiale européenne (ESA). […].
[Projet formulé dès 1985 par l'ESA], le lancement réussi de Columbus ouvre “un nouveau chapitre
de l’histoire de l’Europe spatiale”, a déclaré Jean-Jacques Dordain, le directeur général de l'ESA.
D'abord parce qu'il couronne de succès une entreprise qui a longtemps illustré les difficultés du
Vieux Continent à s'offrir les moyens d'une politique spatiale cohérente. La première version du
module aurait ainsi dû être lancée en 1992 - d'où son nom de baptême, choisi pour célébrer le
500e anniversaire de la découverte de l'Amérique. […].
Développé sous la maîtrise d'oeuvre d'EADS Astrium, Columbus aura coûté environ 880 millions
d'euros, hors frais de lancement. Les trois principaux contributeurs ont été l'Allemagne (51 %),
l'Italie (23 %) et la France (18 %). Le coût important du projet est régulièrement l'objet de
critiques. Mais, outre l'objectif de prendre pleinement part à l'ISS et de maintenir en Europe un
savoir-faire industriel de pointe, Columbus permettra de mener des travaux scientifiques en
microgravité. Dans un premier temps, il s'agira d'étudier les mécanismes de croissance de
certaines plantes en apesanteur, de mener des expériences de physique des fluides ou encore de
mesurer les effets de longs séjours dans l'espace sur la physiologie des astronautes : perte de
masse musculaire, ostéoporose, etc.
La mission d'Atlantis et de son équipage durera onze jours. Léopold Eyharts devrait, lui, demeurer
plus longtemps à bord de l'ISS, pour ne redescendre sur Terre que dans un peu plus d'un mois et
demi, à bord d'une autre navette, Endeavour. Celle-ci apportera à l'ISS un autre laboratoire
spatial, le module japonais Kibo. En cas de retard d'Endeavour, Léopold Eyharts, qui confie avoir
subi “un entraînement poussé” en ce sens, reviendra sur Terre à bord d'une capsule russe
Soyouz. »
Stéphane Foucart, Le Monde, 8 février 2008.

Question
Quels éléments soulignent la dimension internationale de Colombus ?

Les chercheurs, acteurs de la coopération internationale


La vie quotidienne à bord de l’ISS est polarisée par les activités des laboratoires, entre lesquelles s’établit,
par l’intermédiaire des chercheurs, une importante dynamique de coopération internationale. Chaque
équipage est hiérarchisé : il dispose d’un commandant qui coordonne l’équipe d’ingénieurs. En vingt ans
(1998-2018), 230 personnes ont stationné à bord de l’ISS, essentiellement des Américains et des Russes,
conséquence des accords de 1998 : le droit d’utilisation et de séjour est conditionné au prorata de
l’investissement initial, et l’ESA, qui a financé 8,3 % de la station, dispose de 8,3% du « temps de
mission ». Par ailleurs, et toujours sur la même période, quelques 101 astronautes, cosmonautes ou
spationautes y ont effectué un séjour de longue durée. Ce sont principalement, là encore, des Américains
(47) et des Russes (37) puis, dans une moindre mesure, des Européens (10), des Japonais (5) et des

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Canadiens (2). Un contingent essentiellement composé d’acteurs scientifiques (ingénieurs, médecins,
chercheurs) ou militaires (pilotes), et, surtout, très masculin : sur la même période, les femmes ne
représentent que 10% des membres permanents de l’ISS. Il a d’ailleurs fallu attendre le 18 octobre 2019
pour qu’ait lieu la première sortie extravéhiculaire totalement féminine, menée par les deux Américaines
Christina Koch et Jessica Meir. Les membres sont le plus souvent envoyés par groupes de trois afin de
passer une durée moyenne six mois à bord de l’ISS. Cette durée est cependant variable : Christina Koch
par exemple, qui en est revenue en février 2020, y a passé 329 jours. En tout, la station peut accueillir six
membres, qui forment un groupe appelé Expédition. Depuis 1998, 62 expéditions se sont succédé dans
l’espace, dont la dernière, en février 2020, comprend, outre le commandant Oleg Skripotchka, deux autres
Russes (Nikolaï Tikhonov, Andreï Babkine) et trois Américains (Christopher Cassidy, Jessica Meir et
Andrew Morgan). Deux Français ont fait partie de ces expéditions de longue durée : Léopold Eyharts et
Thomas Pesquet, qui a participé à la mission Proxima et contribué, par sa présence sur les médias
sociaux, à populariser les activités de l’ISS en France.

La mission Proxima, exemple de coopération internationale


Sur cette première photographie, les deux
astronautes Thomas Pesquet (ESA) et Sergey
Ryzhikov (Roscosmos) collaborent sur la machine
MARES (Muscle Atrophy Research and Exercise
System). Elle a été installée par Thomas Pesquet au
sein du laboratoire européen Columbus (cf. drapeau
français et emblème de l’ESA en arrière-plan) afin
d’étudier les effets de la microgravité sur le système
musculaire.

La 2e photographie a été prise dans le laboratoire


japonais Kibo, comme le rappellent le drapeau
japonais et l’emblème de JAXA en arrière-plan
(même si tous les drapeaux des partenaires de l’ISS y
figurent, rappelant la coopération internationale du
projet). Thomas Pesquet participe à une expérience
menée par l’astronaute américain Robert Shane
Kimbrough sur le dispositif SPHERES (Synchronized
Position Hold Engage and Reorient Experimental
Satellite) développé par la NASA pour perfectionner,
par exemple, la capture et le guidage informatiques
d’objets spatiaux.

3. Intérêt scientifique relatif, coût élevé et domination américaine : les


limites de la coopération internationale au sein de l’ISS
A. Un projet suscitant de nombreuses critiques
Les critiques adressées à l’ISS
Il est incontestable que l’ISS est un laboratoire unique, autant d’ailleurs à titre scientifique que politique.
Son existence ne va toutefois pas sans critiques. La surmédiatisation du phénomène Pesquet peut être un
bon point de départ pour une réflexion sur ce sujet.

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Exercice 6
Quel bilan tirer de l’ISS vingt ans après sa mise en orbite ?

« Thomas Pesquet, médiatique VRP d’une mission scientifique contestée »


« Thomas Pesquet, c’est l’image d’un avenir radieux, plus léger, un futur fantasmé où la Terre
serait aussi belle et apaisée que ses cartes postales en provenance de la Station spatiale. Et cela
fonctionne d’autant mieux que notre spationaute a parfaitement intégré les codes de “l’homo
spatialis”. Derrière lui, l’Agence spatiale européenne (ESA), ses 22 États membres et son budget
dépassant les 5 milliards d’euros par an. On ne plaisante pas avec l’image de l’Europe spatiale.
[…].
Si l’Europe met ainsi le paquet pour faire valoir sa participation à l’ISS […], c’est que ses autres
activités – lanceurs, satellites d’observation, sondes interplanétaires, télescopes spatiaux –
parlent d’elles-mêmes : ce sont des succès technoscientifiques remarquables et incontestables.
En revanche, c’est peu de dire que la Station spatiale a essuyé le feu des critiques ces dernières
décennies. Si l’on met volontiers en avant les dimensions incroyables de cette nef cosmique, son
prix, astronomique est moins médiatisé… Plus de 100 milliards d’euros sur trente ans, à
quelques milliards près. Son origine est surréaliste : l’ISS a été conçue pour justifier l’existence
des navettes américaines, lesquelles avaient été construites pour continuer à abreuver
l’industrie spatiale américaine post-Apollo. Et sa motivation quasi magique – il devait s’agir du
plus extraordinaire des laboratoires scientifiques jamais construits, où les matériaux de demain
et les médicaments du futur seraient conçus. Ce rêve ne s’est jamais réalisé, pas plus que les
navettes n’ont révolutionné le transport spatial, dominé aujourd’hui par… l’européenne Ariane !
L’ISS est critiquée par tout le monde, depuis les opposants au vol habité, qui la déclarent inutile,
jusqu’aux spationautes désireux de gambader sur la Lune ou de patiner sur les anneaux de
Saturne, qui la considèrent comme un frein à l’exploration de la galaxie. Vladimir Popovkine, qui
fut patron de l’espace russe de 2011 à 2013, ne pratiquait pas la langue de bois : “Au cours des
cinquante dernières années, les spécialistes ont élucidé, déterminé et résolu presque tous les
problèmes liés à la présence d’hommes à une altitude de 350 km au-dessus de la Terre.” Son
successeur, Igor Komarov, ne témoigne d’ailleurs que d’un mol intérêt pour l’ISS : les Russes
ont abandonné deux places, au minimum, à bord de leur Soyouz à destination de l’ISS pour les
prochains mois, laquelle ne sera plus occupée que par cinq cosmonautes au lieu de six.
En France, c’est l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques qui
tirait à fleuret moucheté sur l’ISS dès 2001 : “Il s’agit donc d’une charge importante pour le
budget de la recherche alors que ce très grand équipement est principalement à vocation
politique, stratégique voire industrielle”, manière de dire qu’à part alimenter les grands groupes
aéronautiques et flatter l’orgueil national, la Station spatiale ne sert pas à grand-chose… Quant
au spationaute français Patrick Baudry, il n’hésite pas à qualifier l’ISS “d’énorme gâchis” et
regrette le manque d’ambition des agences spatiales, qui font tourner les spationautes autour de
la Terre depuis près d’un demi-siècle.
Objet le plus cher jamais fabriqué par l’Homme, le satellite géant siphonne les budgets spatiaux
de toutes les agences. Rapporté à sa masse (430 tonnes), le prix de l’ISS est encore plus
exorbitant : 230 000 euros le kilo, soit six fois le prix de l’or ! […].
Face à ces critiques, et pour redonner du brillant à l’ISS, la NASA et l’ESA en ont donc fait un
véritable plateau de cinéma : les vidéos – parfois au format Imax ! – tournées par les astronautes
se comptent désormais par centaines et les clichés – la station est aussi un studio à faire pâlir
les meilleurs photographes professionnels – par dizaines de milliers. Et ça marche : le succès
de Thomas Pesquet en France – plus d’un million de followers sur Facebook – est l’écho de celui
de Tim Peake au Royaume-Uni, de celui de Samantha Cristoforetti en Italie, de celui d’Alexander
Gerst en Allemagne.
Peu importe que les Italiens et les Anglais ignorent qui est Thomas Pesquet et que les Français
et les Allemands n’aient jamais entendu parler de Tim Peake, l’ESA et la NASA profitent de la
passion suscitée par chaque star nationale et du succès de leurs spationautes. Tout le monde s’y

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retrouve. Les instituteurs et les professeurs de physique aussi : incontestablement, les
spationautes sont un outil pédagogique formidable. Tous les enfants admirent les exploits de
Pesquet et de ses collègues, et rêvent de batifoler sur Mars. Les vols habités et les robots qui
explorent le système solaire sont à l’origine de maintes vocations technoscientifiques. Mais dans
le public qui, le nez en l’air, regarde passer la Station spatiale au crépuscule, il y a des paires
d’yeux dubitatifs et quelques grincements de dents. Chez les chercheurs, les physiciens, les
astronomes, les planétologues, notamment. Pour eux, l’exploration de l’Univers est une
conquête de l’esprit, ils n’ont besoin ni de scaphandres ni de casques et jaugent les cabrioles à
600 000 euros de l’heure de Thomas Pesquet et autres en apesanteur à l’aune de leurs propres
recherches et, surtout, de leurs propres budgets…
Michaël Sarrazin est physicien à l’université belge de Namur. Son propos résume bien celui de
ses confrères. D’abord, en préambule, la prudence : “Il est toujours difficile et délicat d’aborder
la question de l’ISS. Une des raisons évidentes est qu’en sciences, on n’aime guère lorsqu’un
collègue qui n’est pas de votre spécialité se permet de commenter la pertinence de vos sujets, la
nature des moyens techniques que vous employez, ou encore le montant investi dans vos
recherches rapporté à leur impact supposé. C’est humain.” Puis, en bon scientifique, les
observations, les mesures : “Entre 1998 et 2015, environ 1 200 publications scientifiques ont été
produites à la suite des travaux menés sur l’ISS. Rapporté au seul coût de la Station, on est à
pratiquement 88 millions d’euros dépensés en moyenne pour produire une publication
scientifique… En Europe, nous avons à Grenoble un grand instrument assez comparable à l’ISS,
– l’Institut Laue-Langevin, consacré à la physique des particules. Entre 2012 et 2015, il a produit
1 700 articles pour un coût moyen de 200 000 euros. » Enfin, l’analyse : “On a parfois l’impression
que les travaux réalisés sur l’ISS servent surtout à en légitimer l’existence.”
Ça, c’est pour le “in”. En “off”, des collègues du physicien sourient jaune : “C’est vrai, ça fait cher
le poisson rouge dans son bocal en apesanteur !” Olivier Mousis, professeur d’astro­physique à
l’université d’Aix-Marseille, qui se bat aujourd’hui bec et ongles pour financer une mission
robotique vers Saturne à seulement un milliard d’euros, est plus amer : “Avec le budget de la
Station spatiale, qui tourne à 400 km de la Terre, nous pourrions visiter Vénus, Mars, les
satellites de Jupiter et Saturne, et explorer l’ensemble du système solaire… Surtout, nous
pourrions enfin lever l’énigme de la vie dans le système solaire, en explorant les océans cachés
d’Europe, Encelade et Titan !”
[…] la médecine spatiale aurait des répercussions sur le traitement d’affections touchant les
Terriens. À 88 millions d’euros la publication, nous voici rassurés. De toute façon, pour justifier
les vols habités, les communicants de la NASA et de l’ESA ont baissé la grand-voile, on n’évoque
plus depuis longtemps ni médicaments miracles, ni médecine du futur, ni matériaux de science-
fiction. Il est vrai que, dans l’espace, la chimie est instable, du fait des radiations émises par le
Soleil et les étoiles. Les médicaments emportés dans l’ISS se périment à vitesse grand V, alors y
fabriquer de nouvelles molécules… On cherchera en vain la “une” des très sérieuses revues
Science ou Nature concernant une étude réalisée grâce à l’ISS. Dans les pages intérieures de la
revue médicale The Lancet, à la rigueur, puisque le siècle et demi passé en temps cumulé dans
l’espace par les astronautes a permis de comprendre comment se comporte l’être humain dans
l’espace. La réponse est simple : mal. Notre espèce est le produit de près de quatre milliards
d’années d’évolution sur une planète protégée des agressions cosmiques et l’on sait désormais
que l’homme n’est pas fait pour vivre ailleurs que sur Terre : hors de sa planète, il se dégrade à
une vitesse accélérée. Et encore, l’ISS, qui n’est finalement qu’à une distance Paris-Limoges de
la Terre, est protégée des radiations par le bouclier magnétique de notre petite Planète bleue.
Mais si les spationautes devaient s’installer sur la Lune ou sur Mars, ils seraient en danger de
mort permanent ou presque. […]. Alors, en attendant un voyage vers Mars, que la NASA promet
pour dans 15 ans depuis 50 ans, c’est aujourd’hui le succès de la collaboration technoscientifique
internationale que constitue le Meccano spatial qui est mis en avant… Et le rêve. »
Serge Brunier, dans Le Monde, 17 février 2017

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Questions
1. Présentez le document après avoir recherché qui est Serge Brunier.
2. Comment l’auteur explique-t-il la médiatisation de Thomas Pesquet ?
3. Quelles sont les principales critiques apportées à l’ISS aujourd’hui ?
4. Quel a été l’apport scientifique des recherches qui y ont été menées ?
5. Quel est ou quels sont, dès lors, l’intérêt ou les intérêts de l’ISS ?

L’épineuse question du budget


Le projet de station spatiale internationale a fait l’objet de nombreuses critiques depuis la fin de la guerre
froide. Dès le milieu des années 1990, la communauté scientifique s’est divisée sur le sujet : que ce soit
lors de l’adoption de l’accord de 1998 ou du lancement de Colombus en 2008, la question de l’utilité de la
station a été posée, mettant en balance les sommes allouées à un tel projet et ses intérêts multiples,
moins scientifiques qu’industriels ou diplomatiques. En arrière-plan, c’est bien la question de poursuivre,
ou non, les programmes de vol habité, qui se pose. Reste que l’intérêt politique de la station perdure : née
de la guerre froide, dont elle reflète l’héritage, l’ISS permet de dépasser les conflits et de créer en orbite
basse un lieu reposant sur la coopération internationale, laboratoire aussi bien scientifique que politique.
La poursuite des missions rassemblant astronautes américains et cosmonautes russes, dans un contexte
où se ravivent les tensions entre les deux anciennes grandes puissances de la guerre froide, est un bon
exemple : début avril 2020, ce sont ainsi deux cosmonautes et un astronaute qui se sont envolés pour
l’ISS.
Cet enjeu saura-t-il résister à la question du coût d’un projet pharaonique, aux limites budgétaires sans
cesse repoussées ? Dotée initialement d’un budget de 8 milliards de dollars par Reagan, l’ISS atteint
aujourd’hui plus de 150 milliards de dépenses. Un coût qui a souvent retardé et menacé le projet, dans les
contextes de réduction budgétaire qui ont successivement affecté la NASA dans les années 1980, 1990 et
2000 (voir points 1.2 et 2.1). En la matière, l’explosion de la navette Columbia constitue sans doute la
rupture majeure de cette histoire : les États-Unis décident alors d’abandonner leur programme de navette
réutilisable, pensé comme indispensable à l’ISS. Dès lors, la survie de cette dernière est hypothéquée
avant même qu’elle ne soit terminée. En 2007, les partenaires du projet se réunissent en Inde (Hyderabad)
pour discuter de la date de sa fermeture, la NASA ayant affirmé, par la voix de son directeur Mickael
Griffin, qu’elle entendait y mettre un terme après 2015. Ses partenaires, notamment les Européens qui
s’apprêtent à lancer Columbus, s’inquiètent de devoir alors supporter la part budgétaire de la NASA. Le
programme de navette ne prend fin qu’en 2011, alors que l’ISS est achevée, mais non sans avoir incité
chacune des agences à revoir ses projets à la baisse. Le dernier voyage de la navette Atlantis, en juillet
2011, a ainsi fermé une page de l’aventure spatiale, sans pour autant mettre un terme aux coûts de
fonctionnement qu’implique, pour les États-Unis, leur participation à l’ISS. Les alternatives adoptées par
la NASA pour y faire face – privatisation des transports, tourisme spatial –, de même que la décision de
repousser sa date d’exploitation – peut-être liée aux projets de stations venant de puissances tiers –,
doivent donc être abordées pour que puissent être évoqués les possibles futurs de l’ISS, au prisme des
enjeux actuels de la conquête spatiale.

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L’un des derniers amarrages d’Atlantis à l’ISS, en 2010

Source : Wikipédia

B. Quel avenir pour la station internationale ?


Au départ, l’ISS devait fonctionner jusqu’en 2016. Malgré les réticences américaines, la NASA a su
convaincre l’administration, qui a repoussé de quatre années son financement en 2010 (jusqu’en 2020,
donc), puis à nouveau de quatre années en 2014. La station doit donc rester en fonctionnement jusqu’en
2024 – voir plus : l’ESA notamment – pour laquelle cette coopération internationale est peut-être le seul
moyen d’avoir un véritable programme de vol habité et de présence spatiale –, espère que la date sera
repoussée jusqu’en 2030. Comment expliquer la survie de l’ISS, dont les éléments n’étaient pas conçus
pour durer plus de trente ans, et ce malgré les réticences américaines ?

Des enjeux ravivés par le regain de la « course à l’espace »


Plusieurs raisons peuvent expliquer le maintien de l’ISS. Si son intérêt scientifique est contesté, elle n’en
reste pas moins, d’abord, un symbole de paix et de coopération internationale. D’un point de vue plus
pragmatique, la mise hors service de cette station pourrait par ailleurs plus de problèmes qu’elle n’en
résoudrait. Comment procéder pour démanteler le Meccano de l’espace, sans multiplier les débris
spatiaux ou prendre le risque qu’il occasionne de nombreux dégâts en tombant sur Terre ? Le coût de sa
destruction reste un problème épineux, qui explique aussi la prudence des agences spatiales et le
maintien en l’état de l’ISS – qui n’est pour l’instant affecté d’aucun problème majeur.
Une autre explication possible réside dans l’affirmation de nouveaux projets de stations nationales, dans
un mouvement relancé par la principale puissance spatiale émergente : la Chine. Dès 2011, celle-ci a mis
en orbite basse une première station (Tiangong 1, « Palais céleste ») et réussi l’amarrage de ses vaisseaux
Shenzhou. De petite taille (15 M3), elle ne permet toutefois que des séjours de courte durée (deux
équipages de trois astronautes y sont restés deux semaines, en 2012 et 2013), et est considérée comme
une étape vers une station de plus grande ampleur, qui devrait voir le jour dans la décennie à venir. Une
étape symbolique, pour cette puissance qui a été délibérément écartée de l’ISS par les États-Unis. En
2011, en effet, le Congrès américain a voté une loi interdisant à la NASA d'utiliser ses fonds pour
« développer, concevoir, planifier, mettre en place ou exécuter un programme bilatéral, une commande ou
un contrat, ou de participer, collaborer ou se coordonner de manière bilatérale de quelque manière avec
la République populaire de Chine ou ses entreprises ». Une décision contraire à la coopération
internationale, et qui contribue à relancer la compétition pour l’espace… dans laquelle la Chine se
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positionne désormais comme une puissance émergente. En attendant, l’agence spatiale chinoise a lancé
une seconde station (Tiangong 2) permettant des séjours plus longs (un mois, 2016) et, surtout, ayant fait
l’objet d’un retour contrôlé sur Terre (2019) – au contraire de Tiangong 1, dont la chute dans l’océan
Pacifique, en 2018, n’a pas pu être maîtrisée par la CNSA.

Exercice 7
Quels enjeux pour la station spatiale chinoise ?

Document 1 : « La Chine dévoile sa future station spatiale »

« La Chine a dévoilé mardi une réplique de sa première grande station spatiale, symbole des
hautes ambitions du pays dans l'espace, et qui devrait être lancée à partir de 2022 avec pour
objectif de succéder à l'ISS.
Surmontée d'un mannequin en tenue de cosmonaute et floquée de drapeaux chinois rouge et
jaune, l'engin de couleur blanche était une des principales attractions du Salon d'aéronautique et
d'aérospatiale de Zhuhai, dans le sud du pays.
La station spatiale chinoise (CSS), également appelée Tiangong ("Palais céleste") comprendra
trois parties: un module principal long de près de 17 mètres (lieu de vie et de travail) présenté
mardi, et deux modules annexes (pour les expériences scientifiques).
Trois astronautes pourront vivre en permanence à bord de l'engin, d'un poids total d'au moins 60
tonnes et équipé de panneaux solaires. Ils pourront effectuer des recherches en matière de
science, de biologie ou de micropesanteur.
La CSS devrait commencer à être assemblée "autour de 2022". Sa durée de vie est estimée à 10
ans.
Elle devrait ainsi devenir la seule station à évoluer dans l'espace après la retraite programmée en
2024 de la station spatiale internationale (ISS) - qui associe Etats-Unis, Russie, Europe, Japon et
Canada. Elle sera cependant nettement plus petite.
La Chine a par ailleurs annoncé en mai avec le Bureau des affaires spatiales de l'ONU que sa
station serait ouverte "à tous les pays" afin d'y mener des expériences scientifiques.
Instituts, universités et entreprises publiques et privées ont été invitées à déposer des projets. La
Chine en a reçu 40 de 27 pays et régions, des propositions qui doivent encore faire l'objet d'une
sélection, a indiqué en octobre la télévision d'Etat CCTV.
L'agence spatiale européenne (ASE) envoie déjà des astronautes suivre des formations en Chine,
avec l'objectif qu'ils volent un jour à bord de la station chinoise.
Pékin investit des milliards d'euros dans son programme spatial, coordonné par l'armée. Elle
place notamment des satellites en orbite, pour son compte (observation de la Terre,
télécommunications, système de géolocalisation Beidou) ou pour d'autres pays. Elle espère
également envoyer un robot sur Mars et des humains sur la Lune. »
Dépêche AFP, citée par Sciences et avenir, 6 novembre 2018

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Document 2 : Vue d’artiste de la station modulaire chinoise, prévue pour 20

Document 3 : Les enjeux de la station spatiale chinoise, selon I. Sourbès-Verger

Philippe Grangereau – [En 2024], date à laquelle l’ISS doit être mise à la retraite, il se pourrait que les
Chinois soient les seuls à disposer d'une station permanente. Faut-il s'en inquiéter ?

Isabelle Sourbès-Verger – Cette perspective, qui était encore d'actualité il y a peu, est en train de
s'éloigner. Les Russes auraient désormais l'intention de poursuivre un programme de station. Ils
veulent conserver leurs modules, y adapter des systèmes d'amarrage et installer de nouveaux
modules. Si les Chinois ou les Indiens veulent les rejoindre, ils se disent prêts à en discuter. […].

Philippe Grangereau – L'ISS pourrait-elle devenir une station spatiale sino-russe ?

Isabelle Sourbès-Verger – Leurs colliers d'amarrage étant similaires à ceux des Russes, au point de
vue technique, rien n'empêcherait les Chinois d'équiper l'ISS de modules à eux. Ils pourraient aussi
s'associer à une station spatiale qui serait reconstituée à partir de certains des modules russes et qui
pourrait alors être sino-russe. En négociant bien, ils pourraient même devenir des partenaires à parts
égales avec les Russes. Quoi de mieux, en termes de prestige, que de remplacer les Américains ?
Seul obstacle : un manque d'intérêt affiché par les Chinois et les Russes pour construire un projet de
coopération de ce type sur le long terme. En attendant, les Chinois poursuivent leur acquisition
progressive de compétences en vue de développer une station autonome. Le lancement, en
septembre dernier, de Tiangong-2 marque la première étape d'un programme complet d'occupation
permanente : lancement d'un véhicule habité fin octobre, amarrage à Tiangong-2, séjour
d'astronautes de deux semaines, puis ravitaillement au printemps par un vaisseau automatique.

Philippe Grangereau – Washington, qui met son veto à l'entrée des Chinois dans l'ISS, n'aurait-il pas
son mot à dire ?

Isabelle Sourbès-Verger – Si les Américains quittent comme prévu l'ISS en 2025, celle-ci mourra de
toute façon. A priori, chacun pourra alors reprendre ses billes même si le démontage du Meccano ne
semble pas devoir être chose facile...

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Philippe Grangereau – Quelle serait la réaction des Américains si Russes et Chinois trouvaient un
accord pour remplacer l'ISS ?

Isabelle Sourbès-Verger – C'est une question qui mérite d'être posée. Le problème est qu'il y a trop
d'inconnues. Je doute que les Américains se retirent de l'ISS sans avoir prévu de projet alternatif. Je
ne crois donc pas à l'hypothèse du monopole chinois sur l'espace en 2025. Ce qui est sûr, c'est que
les expériences de vie dans l'espace conduites par les Chinois poussent les Russes à aller de l'avant.
Les Chinois feront leur petite station, et les Russes une base lunaire ; ou alors les Chinois
construiront une base lunaire, mais n'auront plus assez d'argent pour une station... Un vaste puzzle
est en train de se mettre en place, chaque joueur observant les pièces de l'autre.
Interview d’Isabelle Sourbès-Verger, directrice de recherche au CNRS, par le journaliste Philippe Grangereau, pour Politique internationale

Question
En quoi le programme Tiangong souligne-t-il les limites de la coopération internationale incarnée par la
station spatiale internationale ?

L’entrée en jeu des acteurs privés


La relance de la compétition spatiale peut donc également expliquer la volonté des États-Unis de
maintenir l’ISS, dont ils sont les principaux propriétaires. Il n’en reste pas moins un important problème
financier : la station coûte entre 3 et 4 milliards d’entretien annuel à la NASA. Dans un contexte de regain
des rivalités spatiales – création de stations spatiales chinoise et russe, programme de vol habité chinois
vers la lune, projets de vol habité vers Mars –, l’administration Trump envisage désormais de privatiser
l’ISS afin de dégager des crédits qui lui permettront de se positionner sur d’autres projets spatiaux – son
retour sur la lune, notamment. Un mouvement de privatisation qui a toutefois débuté dès l’explosion de la
navette Columbia, en 2003, qui a favorisé la mise en place du programme COTS (Commercial Orbital
Transportation Services). Dès 2008, la NASA signe des contrats de plusieurs milliards de dollars avec les
deux entreprises américaines Space X et Orbital Sciences afin qu’elles se chargent du ravitaillement de
l’ISS en lieu et place de la navette, après son retrait prévu pour 2011. Pour les États-Unis, la privatisation
permet de réduire les risques et les coûts publics liés à l’utilisation de la navette, tout en préservant un
moyen autonome de rejoindre l’ISS : le retrait d’Atlantis, Discovery et Endeavour les place de fait sous la
dépendance des Russes et de leur vaisseau, Soyouz. Le premier vol de ravitaillement est assuré par Space
X, en mai 2012 : lancé par sa fusée Falcon 9, son vaisseau Dragon devient, du fait de sa capacité de
transport, le principal instrument de ravitaillement américain de l’ISS, bien que la NASA reste encore
dépendante des Soyouz pour transporter ses astronautes. L’agence spatiale américaine élargit dès lors le
champ d’implication de Space X, en lui demandant de convoyer également ses astronautes. Un premier
test a été réussi (avec un mannequin) par l’entreprise privée en mars 2019, à l’aide du vaisseau Crew
Dragon, même si des retards de fabrication ont incité l’entreprise à repousser à 2020 la mise en place du
service. Ce dernier devrait toutefois sous peu mettre un terme à huit ans de dépendance à Roscosmos, qui
a couté 3,37 milliards de dollars à la NASA pour envoyer ses astronautes, depuis Baïkonour, jusqu’à l’ISS…
sans parler de la perte de prestige international dans laquelle elle a ainsi été placée.

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Le lancement de Crew Dragon par Space X en 2019, mission-test pour une reprise des transports
américains vers l’ISS ?

Cette dynamique favorise la montée en puissance des entreprises privées dans le domaine spatial, et n’est
qu’une étape dans la privatisation de l’ISS. Entamée sous la présidence de George W. Bush (2001-2009),
cette privatisation s’est accentuée sous celles de Barack Obama puis de Donald Trump, qui entend ainsi
trouver des acteurs privés capables de prendre le relais sur l’ISS. Rien de certain, toutefois, en la matière :
la rentabilité de ces entreprises est encore sujette à caution, et les repreneurs potentiels des activités de
la NASA ne se bousculent pas. La privatisation de l’ISS n’en est pas moins l’un de ses possibles avenirs,
moins d’ailleurs à des fins scientifiques que commerciales – ou touristiques. En la matière, les Américains
n’innovent pas. Dès le début du XXIe siècle, du fait des difficultés budgétaires qui ont suivi l’effondrement
du bloc soviétique, Roscosmos a offert ses services pour transporter des touristes dans l’espace. Le 28
avril 2001, l’homme d’affaires californien Denis Tito est ainsi devenu le premier « touriste spatial ». Après
avoir suivi un entraînement à la Cité des étoiles, il a effectué un vol à bord d’une mission Soyouz et a pu
s’arrimer à la station spatiale internationale, alors habitée depuis moins d’un an. Sept autres « touristes
spatiaux » lui ont succédé entre 2001 et 2009, dont le dernier est l’un des fondateurs du Cirque du Soleil,
Guy Laliberté. Ces touristes occupaient en général l’une des places attribuées à l’équipe russe, mais
Roscosmos a interrompu la pratique après le passage des expéditions à six membres. En 2019, la NASA a,
à son tour, relancé le projet de tourisme spatial pour faire face aux coûts que lui impose le maintien de
l’ISS.

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ZOOM : « La NASA va louer l’ISS à des touristes » (Dépêche AFP, sur Capital.fr)

« Vingt ans après la Russie, la NASA veut se faire rémunérer dès 2020 pour accueillir des touristes de
l'espace et des entreprises dans l’ISS, dont elle cherche à se désengager financièrement.
“La Nasa ouvre la Station spatiale internationale aux opportunités commerciales”, a annoncé Jeff DeWit, le
directeur financier de l'agence spatiale américaine, au Nasdaq à New York. “Elle autorisera jusqu'à
deux missions courtes d'astronautes privés par an”, a précisé Robyn Gatens, responsable de la Nasa
gérant l'ISS. Soit des séjours jusqu'à 30 jours, a précisé la Nasa. Potentiellement, jusqu'à une
douzaine de personnes pourraient ainsi séjourner à bord de l'ISS par an... Mais pas effectuer de
sortie, dans le vide spatial. Ils pourront être de n'importe quelle nationalité. Ces astronautes privés,
comme la Nasa préfère les appeler, devront être transportés exclusivement par les deux sociétés
américaines qui développent en ce moment des véhicules pour la Nasa : SpaceX, avec la capsule
Crew Dragon, et Boeing, qui construit la capsule Starliner. Ces sociétés choisiront les clients et leur
factureront le voyage, qui sera la partie la plus coûteuse de l'aventure : de l'ordre de 58 millions de
dollars par aller-retour, soit le tarif moyen facturé à la NASA par ces deux sociétés pour transporter
ses propres astronautes. Ni Dragon ni Starliner ne sont encore prêtes. En théorie, les capsules
concurrentes doivent être opérationnelles à la fin de 2019, mais le calendrier dépend encore de la
réussite de plusieurs tests. 2020 sera donc le plus tôt pour ces missions privées.Les touristes
paieront la Nasa pour le séjour en orbite: la nourriture, l'eau, les toilettes et tout le système de
support de la vie à bord, développé depuis des décennies par les contribuables américains. Le coût
facturé: environ 35.000 dollars par nuit et par astronaute, selon Jeff DeWit. L'internet ne sera pas
inclus: 50 dollars par gigaoctet. […]. Le changement de politique annoncé vendredi inclut aussi
l'ouverture des parties américaines de la station à des entreprises privées pour des "activités
commerciales et marketing". Cela inclut les start-ups qui développent la fabrication de matériaux en
apesanteur, par exemple. Les fibres optiques sont d'une qualité inégalée lorsqu'elles sont fabriquées
en apesanteur. La Nasa a publié une première grille de prix vendredi, par kilogramme de fret. L'idée
est de développer l'économie de l'espace dans l'espoir de voir le secteur privé reprendre un jour l'ISS,
que les États-Unis devraient arrêter de financer à la fin des années 2020. “Nous voulons devenir
locataire, et non plus propriétaire”, avait expliqué Jim Bridenstine, administrateur de la Nasa, en avril à
des journalistes. »

Conclusion
Née dans le contexte de la guerre froide, la station spatiale internationale (ISS) symbolise l’émergence
d’une logique de coopération internationale dans l’espace. En la matière, les stations Saliout et surtout
Mir ont constitué d’importants précédents historiques : dès le milieu des années 1980, les soviétiques ont
ainsi conviés des membres d’autres agences spatiales, notamment européens, à séjourner au sein de ces
stations qui consacraient alors un savoir-faire qu’ils étaient seuls à maîtriser. Dans les années 1980, les
États-Unis ont imité cette ouverture internationale, poussés d’ailleurs par une même logique financière
(mutualiser les coûts) : c’est dans cette perspective que le projet de station « Freedom » est devenu celui
de l’ISS, associant d’abord l’ESA, JAXA et le CSA à la NASA, avant que RKA/Roscosmos y soient invités à
partir de 1993. L’acte de naissance de l’ISS (accord de 1998), met en place les règles de la coopération
internationale, tout en héritant des logiques de pouvoir de la guerre froide : elle consacre la suprématie
américaine et la supériorité russe, reléguant les autres puissances à des places subalternes. De même la
mise en place et l’approvisionnement du « Meccano » de l’espace reflète-t-elle la hiérarchie des
puissances spatiales, et la dépendance du projet aux États-Unis, qui en sont les principaux propriétaires.
Une forme de coopération internationale dominée par la principale puissance mondiale, mais qui n’en
favorise pas moins l’essor d’une recherche scientifique placée sous les auspices de la coexistence et la
collaboration de chercheurs nationaux au sein de laboratoires qui sont autant d’espaces internationaux.
L’intérêt de cette recherche scientifique est toutefois âprement contesté, étant donné le coût faramineux
qu’elle impose aux budgets des États – autre critique récurrente du projet, qui dépasse aujourd’hui les 150
milliards de dollars. Cette situation a incité les États-Unis, dans un contexte de retour de projets de
stations nationales (Tiangong), à rechercher des alternatives lui permettant de maintenir l’ISS tout en s’en

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désinvestissant financièrement (privatisation des transports, puis de la station). Autant de pistes qui
interrogent l’avenir de cette première forme de coopération spatiale internationale : l’ISS restera-t-elle
dans l’histoire comme le premier pas d’une appropriation collective de l’espace – ou une brève
parenthèse de coopération internationale dans une compétition toujours plus acharnée entre puissances
terrestres et spatiales rivales ?

Lexique
ASC : Asgence Spatiale Canadienne.
ASNC : Agence Spatiale Nationale Chinoise, agence spatiale chinoise.
Astronaute : nom donné aux États-Unis aux membres des vols spatiaux.
Budget spatial : financement alloué par un État à son agence spatiale.
CNES : Centre National d’Études Spatiales, agence spatiale française.
Coopération internationale : coopération de plusieurs pays dans un domaine donné.
Cosmonaute : nom donné en URSS aux membres des vols spatiaux.
ESA : European Spatial Agency, agence spatiale européenne.
JAXA : Japan Aerospace Exploration Agency, agence spatiale japonaise.
Laboratoire de recherche : lieu où sont installés et réunis les éléments caractéristiques de la recherche
scientifique (chercheurs, installations et dispositifs, financements), afin de favoriser ses progrès.
Lanceur : fusée utilisée pour envoyer une charge utile dans l’espace.
Mir : nom de la dernière station mise en orbite basse par les Russes.
NASA : National Aeronautics and Space Administration, agence spatiale étasunienne.
Navette : véhicule qui peut être lancé dans l’espace et revenir sur Terre afin d’être réutilisé.
Orbite : courbe fermée autour de la Terre par un objet artificiel lancé dans l’espace.
ROSCOMOS : agence spatiale russe.
Secteur privé : domaine de l’économie qui ne dépend pas directement de l’État, mais des entreprises, des
organisations ou des associations appartenant à des individus (privés).
Soyouz : nom du principal vaisseau spatial russe, qui peut s’amarrer à l’ISS.
Spationaute : nom donné en France aux membres des vols spatiaux.
Station orbitale : véhicule spatial mis en orbite ou assemblé dans l’espace afin de servir d’habitat et de
lieu de travail à des équipages, notamment à des fins scientifiques.
Tourisme spatial : pratique commerciale des agences spatiales ou d’entreprises privées reposant sur la
privatisation des véhicules spatiaux, dont l’ISS.

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Corrigé des activités
Exercice 1 : Jean-Loup Chrétien, symbole de la coopération spatiale
internationale ?
Montrez, à travers le parcours de Jean-Loup Chrétien, que la conquête spatiale s’inscrit aussi dans
une logique de coopération internationale à la fin de la guerre froide.
Le parcours de Jean Loup Chrétien est emblématique du développement de la coopération
internationale dans l’espace. Des formes de coopération ont déjà eu lieu dans le passé, notamment
entre les États-Unis et ses partenaires de l’OTAN, mais la première mission internationale de Chrétien
s’inscrit ici dans une perspective originale puisqu’elle se fait avec l’URSS. La coopération spatiale
franco-soviétique a débuté en juin 1966, lors d’une visite du général de Gaulle à Moscou, qui souhaite
prendre ses distances avec les États-Unis, mais elle s’est surtout affirmée dans les années 1970. En
1979, Léonid Brejnev propose à Valéry Giscard d’Estaing d’envoyer un spationaute français à bord de
Saliout 7. Choisi, Jean-Loup Chrétien suit alors une formation en URSS (Cité des étoiles), décolle de
Baïkonour et effectue une mission avec deux scientifiques soviétiques. D’autres missions menées dans
le cadre d’une coopération avec l’URSS suivront, mais son parcours le mène aussi outre-Atlantique,
puisqu’il se forme également à Houston et collabore avec la NASA. Son exemple illustre bien les enjeux
de la coopération internationale, qui est l’un des caractères de la recherche scientifique depuis
l’époque moderne. Les enjeux de cette coopération n’en restent pas moins politiques, comme le
soulignent les photographies : l’espace est aussi un lieu de mise en scène des relations internationales
et de la puissance des États, dont les symboles, drapeaux et emblèmes sont omniprésents. On
remarquera d’ailleurs que le parcours de Jean-Loup Chrétien est polarisé par la guerre froide,
puisqu’il oscille entre les deux superpuissances : pour le CNES, comme pour l’ESA, la coopération
internationale est une stratégie nécessaire pour développer ses activités, car elles ne disposent pas
des mêmes moyens matériels et financiers que la NASA ou l’agence russe.

Exercice 2 : Le rapprochement américano-russe dans l’espace après 1991


En vous appuyant sur le texte, montrez que la fin de la guerre froide se traduit par un changement
radical de perspective entre les deux superpuissances.
Dans les dernières années de la guerre froide, la compétition spatiale entre les États-Unis et l’URSS
semble s’essouffler, avant de perdre son sens après 1991. Dès lors, les deux superpuissances
s’inscrivent dans une logique de coopération. Un cosmonaute russe est ainsi invité à participer à une
mission américaine, et un américain à faire un séjour sur Mir après s’être entraîné à la Cité des étoiles.
Les navettes américaines (Atlantis, Endeavour et Discovery) sont utilisées pour transporter des
astronautes et des cosmonautes vers Mir. Cette coopération doit favoriser l’échange de savoir-faire et
le transfert pacifique de technologies dans la perspective de construire la future station spatiale
internationale, prévue par les Américains depuis 1984, et auxquels les Russes sont alors associés. Mir
devient le terrain d’essai de l’ISS pour les États-Unis (multiplication des séjours d’astronautes sur Mir,
utilisation des navettes qui doivent ainsi s’entraîner à des manœuvres d’assemblage de modules
spatiaux) mais aussi pour l’URSS, qui dispose d’une avance technologique en la matière dont elle
espère tirer profit au sein de l’ISS.

Exercice 3 : L’accord de création de la Station Spatiale Internationale (1998)


1. Présentez le document et son contexte.
Ce texte est un article du quotidien Le Monde, écrit en 2017 par le journaliste et écrivain Serge Brunier,
spécialisé dans la vulgarisation de l’astronomie. Il dresse ici un bilan de l’apport scientifique de l’ISS
dans un contexte marqué par l’importante médiatisation, en France, de la seconde mission de l’ISS à
laquelle participe un spationaute, T. Pesquet.

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2. Pourquoi l’ISS est-elle un projet de coopération internationale ?
L’ISS est un programme spatial développé en coopération par quinze pays : les États-Unis, le Canada,
le Japon, la Russie, et les dix membres de l'ESA – Belgique, Danemark, France, Allemagne, Italie,
Pays-Bas, Norvège, Espagne, Suède et Suisse. Sa construction, son fonctionnement et sa gestion sont
régis par des accords de coopération internationaux, dont celui de 1998 qui en fixe le cadre juridique. Il
est complété par quatre Protocoles d’Entente (Memoranda of Understandings, MoU) signés entre la
NASA et les autres agences spatiales afin d’établir les rôles et responsabilités des agences dans la
construction et l’utilisation de l’ISS, ainsi que différents accords bilatéraux pour les mettre en œuvre.
Ce sont ces instruments juridiques qui permettent à la coopération internationale de fonctionner.

3. Que prévoit l’accord en matière d’utilisation de la station ?


L’accord de 1998 prévoit que l’utilisation de l’ISS par chaque pays ou agence sera fonction de leur
investissement respectif. Chaque partenaire détient un droit d’usage sur la « charge utile » qu’il fournit,
soit sur les modules spatiaux ou les éléments de la station qu’il a transporté ou fait transporter. Il est
prévu des règles pour que les partenaires ne disposant pas de capacités de transport suffisantes
puissent échanger certains de leurs éléments, construits sur Terre, contre la mise en orbite de
modules spatiaux. Deux modules américains de l’ISS, Tranquility et Harmony, sont ainsi financés par
l’Europe et construits en Italie par Thales, en échange de la mise en orbite du laboratoire de l’ESA,
Columbus. Par extension, chaque partenaire doit assurer le coût de fonctionnement des modules qu’il
a installé : l’essentiel est donc supporté par la NASA et, dans une moindre mesure, par son homologue
russe. Les autres partenaires y contribuent, mais de façon moindre. L’ESA finance ainsi 8,4% des coûts
fixes globaux de la station, à travers des services apportés par le Véhicule de Transfert Automatique
européen (Auomated Automated Transfer Vehicule, ATV). Aujourd’hui lancé par Ariane 5, il est capable
de s’amarrer automatiquement à la station, il) qui peut transporter 7,7 tonnes de fret et contribuer à
l’élimination des déchets lors de sa rentrée sur Terre.

4. La coopération internationale se fait-elle de manière égalitaire ?


Coopération internationale ne signifie pas égalité totale entre les partenaires, et l’accord, qui les
différencie selon leur degré d’investissement dans le projet, les hiérarchise in fine en fonction de leurs
capacités financières et technologiques. Les États-Unis, qui fournissent l’apport de « charge utile » le
plus important, disposent donc d’un droit d’utilisation plus étendu – mais aussi de capacités
d’échanges plus fortes, car l’essentiel du transport vers l’ISS se fait par l’intermédiaire des navettes
américaines réutilisables (Atlantis, Endeavour et Columbia). De même, la Russie détient toute la partie
de l’ISS qu’elle a fournie, notamment à partir de modules prévus pour une autre station Mir : elle lui est
spécifiquement réservée.

5. Quels éléments montrent que l’ISS hérite son organisation de la guerre froide ?
L’héritage de la guerre froide se lit dans la domination étasunienne d’abord, russe ensuite, du projet.
Cette double domination s’explique par leur apport matériel plus important : « [l’accord] confirme le
rôle de chef de file des États-Unis et de la NASA pour la gestion de la station et la coordination
d'ensemble. Il reconnaît la place essentielle des Russes en précisant que les éléments fondamentaux
de la station sont fournis par les États-Unis et la Russie : la station spatiale internationale repose donc
avant tout sur la coopération américano-russe. » L’ISS consacre donc leur supériorité technologique et
spatiale, attestée par d’autres articles, telle que la fourniture des principaux réseaux de communication
spatial et terrestre (article 13), ou encore la mise en œuvre d’une modalité spécifique d’entrée en
vigueur du projet dès lors qu’il a été ratifié par les deux puissances (article 26). Cela montre bien à quel
point la Russie devient le principal partenaire américain de l’ISS après 1993 : l’assemblage commence
dès 1998, alors que l’accord n’est pas encore ratifié par l’Europe.

6. Que signifient les deux derniers paragraphes ?


Les deux derniers paragraphes reviennent justement sur les retards de ratification de l’accord par les
Européens : conclu en 1998, il ne sera finalement ratifié qu’en 2005. L’un des enjeux majeurs, pour les

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États de l’ESA, reste leur participation financière, limitée, et la crainte d’une dérive des coûts,
alimentée par l’actualité américaine. La France, notamment, freine l’examen du texte : puissance la
plus impliquée financièrement dans l’ESA (CNES), elle craint de devoir en supporter les coûts. Il sera
finalement adopté en 2005, soit sept ans après le début de la construction par les Américains et les
Russes.

Exercice 4 : Construction et assemblage de la station spatiale internationale


1. Montrez que l’ISS est une construction complexe.
Les différents documents soulignent à quel point la station spatiale internationale s’inscrit dans une
logique complexe : c’est un assemblage très progressif d’éléments disparates conçus et assemblés par
des agences spatiales nationales. Bien entendu, ces agences sont en lien les unes avec les autres pour
assurer la construction, mais celle-ci ne fait pas l’objet d’un plan d’ensemble qui serait mis en œuvre
du début à la fin. Au contraire, toutes les agences ont été confrontées à des coupes budgétaires qui les
ont amenées à réduire leurs projets et à les adapter à leurs financements présents.

2. Pourquoi sa construction et son assemblage ont-ils été si difficiles ?


Outre les difficultés qui se sont posées suite aux problèmes de lancement (Soyouz, 1999 ; Columbia,
2003), la construction et l’assemblage de l’ISS est difficile du fait qu’elle a lieu directement en orbite.
Cela suppose donc que les astronautes et les cosmonautes doivent sortir dans l’espace pour assurer
l’assemblage, la cohésion et la maintenance de la station, ce qui implique de porter une combinaison
afin de résister au vide spatial, à l’absence d’oxygène, aux variations de température. Or elle limite
fortement la capacité de mouvement.

3. En quoi l’organisation spatiale de l’ISS souligne-t-elle la coopération internationale ?


L’assemblage n’a été possible que grâce à la coordination des agences nationales : ce « Meccano de
l’espace » illustre donc bel et bien une logique de coopération internationale. Le document 1 en montre
la logique. Chacune des cinq agences a apporté sa contribution à l’ensemble. Roscosmos dispose du
plus grand nombre de modules (dont une partie a été construite par la NASA), tout en étant séparé de
la partie commune aux autres agences (NASA, ESA, JAXA et ASC) dont les éléments sont rattachés aux
modules américains.

Exercice 5 : Le module Columbus, de l’ESA


Quels éléments soulignent la dimension internationale de Colombus ?
Outre le fait qu’il s’intègre dans le projet plus global de l’ISS – dont il permet, enfin, à l’ESA de devenir
« copropriétaire » –, ce laboratoire est le fruit d’une coopération internationale à plusieurs niveaux. Elle
s’établit d’abord entre les partenaires européens, réunis par sa production : il est financé par les
principales puissances de l’UE, notamment l’Allemagne, l’Italie et la France, et construit par la filiale
d’un groupe de coopération industrielle européenne (European Aeronautic Defence and Space company,
EADS – qui a depuis fusionné avec Airbus). La coopération se joue aussi dans la composition de
l’équipe, à laquelle participent deux Européens chargés d’amarrer le laboratoire à la station. Au sein de
Columbus, ces Européens vont lancer une série de recherche reposant là encore sur la coopération
internationale, dans la perspective évoquée plus haut : « étudier les mécanismes de croissance de
certaines plantes en apesanteur », « mener des expériences de physique des fluides ou encore de
mesurer les effets de longs séjours dans l'espace sur la physiologie des astronautes ». Enfin, leur
entraînement, de même que le lancement du laboratoire et le retour prévu des deux Européens,
reposent sur la collaboration avec la Russie (Cité des Étoiles, Soyouz) et les États-Unis (Endeavour).

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Exercice 6 : quel bilan tirer de l’ISS vingt ans après sa mise en orbite ?
1. Présentez le document après avoir recherché qui est Serge Brunier.
Ce texte est un article du quotidien Le Monde, écrit en 2017 par le journaliste et écrivain Serge Brunier,
spécialisé dans la vulgarisation de l’astronomie. Il dresse ici un bilan de l’apport scientifique de l’ISS
dans un contexte marqué par l’importante médiatisation, en France, de la seconde mission de l’ISS à
laquelle participe un spationaute, T. Pesquet.

2. Comment l’auteur explique-t-il la médiatisation de Thomas Pesquet ?


Thomas Pesquet a publié de nombreuses photos sur les réseaux sociaux, notamment Facebook et
Twitter, et donné de nombreuses interviews. Il n’est pas le premier à s’adonner à ce type de pratiques
médiatiques : l’article cite Time Peake, Samantha Cristoforetti, ou Alexander Gerst. Selon l’auteur, il
s’inscrit ainsi dans une stratégie de communication de l’ESA qui vise ici à convaincre les Français de
l’intérêt des missions organisées sur l’ISS – peu visible dans l’opinion publique car il est difficile d’en
mesurer les apports concrets.

3. Quelles sont les principales critiques apportées à l’ISS aujourd’hui ?


L’auteur mentionne plusieurs critiques qui sont couramment adressées à l’ISS, à commencer par son
coût. Le prix du « Meccano de l’espace » – qui dépasse aujourd’hui les 150 milliards de dollars – a
souvent été dénoncé, amenant les pouvoirs publics à revoir leurs projets à la baisse. De même, le prix
des missions et expériences scientifiques menées au sein de l’ISS est souvent décrié, tant il est
exorbitant comparé aux budgets dont disposent les laboratoires de recherche sur Terre. De nombreux
scientifiques, notamment, critiquent les sommes qui lui sont allouées au regard de ses faibles
résultats, et estiment qu’elles pourraient être mieux utilisées, notamment pour la recherche
astronomique par envoi de sondes – sans parler de la recherche terrestre, dans de nombreux autres
domaines.

4. Quel a été l’apport scientifique des recherches qui y ont été menées ?
L’article relativise l’apport scientifique de la mission. S’il reconnaît quelques résultats médicaux, il
souligne que les résultats en la matière sont finalement limités : « on n’évoque plus depuis longtemps
ni médicaments miracles, ni médecine du futur, ni matériaux de science-fiction. Il est vrai que, dans
l’espace, la chimie est instable, du fait des radiations émises par le Soleil et les étoiles. Les
médicaments emportés dans l’ISS se périment à vitesse grand V, alors y fabriquer de nouvelles
molécules… » Au total, selon lui, le principal résultat de ces expériences, qui pour beaucoup se sont
concentrées sur les effets de la microgravité sur le corps humain, serait d’avoir démontré
l’incompatibilité de l’espace et de notre organisme – ce qui, au total, remet là aussi en cause
l’existence même de l’ISS, apogée actuelle des vols habités puisqu’elle permet une présence spatiale
permanente.

5. Quel est ou quels sont, dès lors, l’intérêt ou les intérêts de l’ISS ?
Les intérêts de l’ISS sont peut-être moins scientifiques qu’économiques et politiques. Économiques,
parce que le projet a alimenté la demande industrielle et la recherche technologique depuis vingt ans,
permettant le perfectionnement et la montée en gamme des industries aérospatiales, qui constituent
aujourd’hui des secteurs de pointe pour les économies occidentales. Politiques, car l’ISS reste le
symbole d’une coopération internationale qui perdure en transcendant les clivages sinon les conflits
entre États – même lorsque ceux-ci se ravivent sur Terre.

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Exercice 7 : Quels enjeux pour la station spatiale chinoise ?
En quoi le programme Tiangong souligne-t-il les limites de la coopération internationale incarnée
par la station spatiale internationale ?
Projet national, ce programme s’inscrit dans une dynamique de compétition bien plus que de
coopération internationale. Il souligne en cela les limites de l’ISS, programme dominé par les États-
Unis qui, craignant la montée en puissance spatiale de la Chine, se sont opposés à ce qu’elle rejoigne
le projet. La coopération internationale dépend donc des décisions de l’un des partenaires, qui n’ont
rien à voir avec la recherche scientifique : il s’agit d’abord d’un intérêt géopolitique tout ce qu’il y a de
plus terre à terre, la Chine étant la principale puissance rivale des États-Unis en ce début de XXIe siècle.
Paradoxalement, cette situation pousse l’administration américaine à maintenir en place un tel projet,
au risque sinon d’être dépassée par d’autres programmes nationaux (Chine, Russie). Étant donné ses
coûts, la coopération internationale reste donc pour les États-Unis un pis-aller qui leur permet de
mutualiser les efforts afin de préserver un aspect de leur puissance spatiale.

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