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Britannicus est une tragédie rédigée en 1669 par Jean Racine.

Cette pièce se compose


d’alexandrins, et de ce que les auteurs classiques nommaient « .la poésie dramatique » Le
dramaturge emprunte l’argument de son œuvre à l’histoire et plus précisément à l’histoire de
la Rome antique. L’histoire, et en particulier celle de l’Antiquité gréco-romaine, figure tel un
topos, auquel recourent Racine et les autres auteurs de cette époque. Racine écrit Bérénice en
1670, Phèdre et Andromaque en 1677 et Corneille écrit Médée en 1635, puis Horace en 1640.
Britannicus est une pièce jouant sur le thème, répandu dans les tragédies, de la passion
amoureuse violente provoquant par ses ravages, fatalement un drame. Mais la dimension
politique s’avère perceptible, à travers l’évocation des luttes pour le pouvoir à la cour de
Néron.

L’extrait émanant de la scène I de l'acte I, soumis à notre étude constitue une entrevue sous
forme de discussion entre la mère de Néron, Agrippine, et Albine, sa confidente. Il peut être
scindé en trois grands moments. Agrippine se justifie auprès d’Albine au sujet de son
attitude. Elle se trouve devant la porte de Néron à attendre son réveil, afin de lui faire part des
très graves inquiétudes que lui donne son fils . Ensuite, Albine manifeste un certain
étonnement, et Agrippine va évoquer l'enlèvement de Junie, tout en se questionnant sur les
motifs à l’origine d’ un tel acte. Enfin, elle insinue que Néron a voulu ainsi riposter à la
dernière manœuvre de sa mère qui soutient depuis peu Britannicus et Junie. Elle annonce son
approbation concernant en annonçant leur union. Cette nouvelle corrobore l'étonnement
d'Albine

Le spectateur, quant à lui, se rend compte que, lorsque la pièce commence, l’événement
perturbateur a déjà eu lieu . Néron a fait enlever l’amante de Britannicus car il considérait que
l’union de Britannicus et de Junie allait déstabiliser son pouvoir. En outre, il reçoit, dans un
délai très court, avec un rythme accéléré, une quantité très importante de renseignements : ces
derniers permettent la mise en place du schéma actantiel de la scène, de même que son cadre
spatio- temporel. Racine y fournit l’argument de la pièce

En possession de toutes ces informations, nous allons montrer en quoi cette scène remplit
les fonctions traditionnelles de l’exposition, en obéissant aux règles classiques qui la régissent .
D’abord nous verrons en quoi cette scène d’exposition répond aux critères attendus, puis nous
rendrons compte de son différents rôles spécifiques qu’elle remplit, témoignant ainsi de son efficacité,
enfin nous verrons en quoi elle présente une atmosphère inquiétante.

Le spectateur de Britannicus assiste, dans cet extrait, à une scène répondant aux critères et
fonctions de la scène d’exposition, telles que définie par le théâtre classique. Il acquiert au fur
et à mesure, les informations essentielles à sa bonne compréhension de l’intrigue et de ses
enjeux : le lieu, le temps, l’action.

Premièrement, Racine pose le cadre spatial du passage . La scène se déroule dans une
chambre du palais de l’ Empereur, conformément à la didascalie : « Qu’errant dans le palais
sans suite et sans escorte, / La mère de César veille seule à sa porte ? » (v.3-4 ). Comme le
spectateur, qui n’a pas lu la didascalie initiale ( « La scène est à Rome, dans une chambre du
palais de Néron »), Albine en récapitule à sa manière les enjeux.

L’époque est suggérée par la célébrité des noms : Néron, empereur de Rome entre 54 et 68
après Jésus-Christ (né en 37).

Le texte abonde en références historiques précises :

« Depuis trois ans entiers, qu’a-t-il dit, qu’a-t-il fait … » (v.25) Une note explique que cet
indice temporel renvoie à l’adoption de Néron par Claude.

« Rome, depuis deux ans, par ses soins gouvernée » (v.27) Le spectateur sait donc
exactement en quelle année nous sommes : en 56 ap.JC.

Enfin le moment exact auquel débute l’intrigue est mentionné dès le vers 2 : « Faut-il que
vous veniez attendre son réveil ? »

L’action débute in medias res ; l’ événement perturbateur, argument de cette tragédie est
dévoilé petit à petit tout au long du passage :

v.10 – 14 : « Contre Britannicus, Néron s’est déclaré / L’impatient Néron cesse de se


contraindre / Las de se faire aimer, il veut se faire craindre, / Britannicus le gêne … »
En revanche c’est le vers 54 qui nous en fournit la nature exacte : « Et ce même Néron, que la
vertu conduit, / Fait enlever Junie au milieu de la nuit ».

L’élément perturbateur a donc eu lieu avant même que la pièce ne commence.

Cet extrait répond, d’entrée de jeu, aux critères traditionnels d’une scène
d’exposition, dans le respect des conventions du théâtre classique, comme la règle des trois
unités de temps, de lieu et d’action, et la règle de bienséance , qui impose de ne pas choquer
le public, d’ utiliser un langage soigné et de montrer des sentiments nobles . Cela explique
pourquoi l’événement perturbateur a lieu avant le début de la scène. Pour cette raison,
également, il est révélé progressivement au fil du texte

La mise en place de cette toile de fond, permet à Racine d’employer des procédés visant à
spécifier les fonctions assignées à cet extrait émanant de la scène d’exposition. Dans ce
passage, le dramaturge ne se limite pas à la simple mention des statuts sociaux des divers
protagonistes, il en dépeint les caractéristiques morales.

D’ emblée, le spectateur constate l’absence d’un personnage clé de l’intrigue, qui


pourtant donne son nom, à l’œuvre dont provient le texte étudié. Quant à Néron dont les
méfaits constituent l’argument de ce drame ne s’avère pas non plus présent sur l’ espace
scénique. Ses traits de caractère transparaissent uniquement au travers des propos d’
Agrippine et d’Albine dont Racine dresse les portraits.

C’est surtout le personnage d’Agrippine qui se révèle dans ce début de scène et ouvre le
bal de cette galerie de portraits. La figure féminine apparaît violente, autoritaire, intelligente,
ambitieuse et cynique.
Elle fait d’abord montre d’ un caractère emporté et autoritaire, dû à une extrême fureur. Son
fils Néron est dépeint sans concession, suivant une étude austère et sans pitié des traits
physiques et moraix de sa belle-famille : les Domitius : « Je lis sur son visage / Des fiers
Domitius l’humeur triste et sauvage ». Elle compare son fils à l’empereur Caligula (« Caïus »)
qui était fou (« fureur » v.41). Son analyse met en lumière sa prédiction de la "fureur" (la
folie) de Néron, indication du destin familial qui le prédestine à la tyrannie et à la folie

Mais c’est peut-être les vers 43-48 qui apportent l’éclairage le plus intéressant sur sa
personnalité : Agrippine, qui essayait de convaincre Albine que son fils est en train de tourner
à la tyrannie, change tout à coup d’argumentation :

« Que m’importe, après tout, que Néron plus fidèle » / « D’une longue vertu laisse un jour le
modèle ? »

Les deux vers traduisent son aveu refoulé : ce n’est pas la vertu de son fils, ses qualités
politiques, qui la préoccupent : peu lui importe !

« Ai-je mis dans sa main le timon de l’Etat »/ « Pour le conduire au gré du peuple et du
Sénat? »

Dans ces vers, elle répond au compliment adressé à Néron par Albine, quand elle le
félicitait de gouverner Rome comme au temps de la république (« Rome depuis deux ans par
ses soins gouvernée / Au temps de ses consuls croit être retournée » v.27-28). Autrement dit :
elle ne l’a pas mis au pouvoir pour qu’il gouverne de manière démocratique . Autrement dit,
qu'il soit un tyran ou un bon prince, peut lui chaut ... Son seul souhait est d’obtenir de lui un
obéissance sans faille.
« Ah ! que de la patrie il soit, s’il veut, le père » / « Mais qu’il songe un peu plus
qu’Agrippine est sa mère » (v.48-49)

Ici, Agrippine fait preuve d’un certain cynisme politique, dénotant un appétit de pouvoir, et
un orgueil blessé de mère autoritaire car son fils lui échappe. Racine lève le voile sur lee
caractère d'Agrippine qui se dévoile au détour du texte. Finalement, elle n'apparaît pas
beaucoup moins monstrueuse que son fils.

Au moyen du portrait d’ Agrippine, le dramaturge esquisse celui de l’ Empereur. Les dires


d’Agrippine forment, à ce sujet une nette opposition avec les informations que livre Albine, lui servant
à exprimer sa propre vision de Néron

Le personnage d’Albine est ce qu’on appelle une confidente, c’est ainsi que la caractérise la liste des
personnages. Le confident (ou la confidente) est un personnage au statut social mal défini
(domestique, ami, page, demoiselle de compagnie) qui accompagne en toute occasion le héros d’une
tragédie et qui recueille ses confidences.
Le caractère d’Albine ne se révèle guère dans ce début de scène : le confident n’est pas un
« personnage » véritablement doté d’un caractère propre. Par contre, le texte montre la
familiarité dans laquelle se trouve Albine avec sa maîtresse. Elle ne craint pas de la
contredire, de lui donner assez brusquement le conseil de retourner dans son appartement. Elle
connaît les secrets de la reine, elle est au courant de ses intrigues passées pour favoriser Néron
au détriment de Britannicus. Agrippine parle à cœur ouvert devant Albine : elle fait allusion
devant elle à des prédictions qu’elle a formulées sur le destin de Néron (vers 9), preuve
qu’elle lui en avait parlé auparavant; elle lui livre sans retenue ses craintes concernant la
nouvelle attitude de Néron à son égard. Donc, Albine, malgré son statut de personnage
secondaire, révèle à Agrippine et par conséquent au spectateur des informations clés sur la vie
secrète, les sentiments dissimulés de héros Ce début de scène construit autour d’un conflit
entre Agrippine et sa confidente, est l’occasion pour cette dernière d’exposer son point de vue
sur la situation : Albine n’est pas contente de voir sa maîtresse « sans suite et sans escorte »,
donc dans une position non protocolaire, dangereuse peut-être. Elle lui suggère en outre que
ce n’est ni une occupation ni une heure décente de faire les cent pas (« errant ») à la porte de
Néron de si bon matin. Elle est surtout étonnée de la trouver là car elle ne sait pas ce qui s’est
passé pendant la nuit. La confidente saisit également ce moment pour exposer sont point de
vue sur l’Empereur.

Dans cette situation, habilement inventée par l’auteur, Agrippine va devoir s’expliquer . Mais
les motifs invoqués vont susciter à nouveau l’incompréhension d’Albine qui répond par une
série de questions : « Quoi ? vous à qui Néron doit le jour qu’il respire, / Qui l’avez appelé de
si loin à l’empire ? etc… » Il n’y a pas moins de huit points d’interrogation dans la quinzaine
de vers accordés à Albine dans ce début de scène.

De ce fait, Albine se range du côté de Néron dont elle esquisse un portrait bienveillant . A
ses yeux, cet homme est droit ,« toute sa conduite »(v.23) , « un empereur
parfait »(v.26), digne de son rang : Rome semble être revenue à son âge d’or (v . 28). Néron,
depuis sa venue au monde, possède toutes « les vertus d’ Auguste vieillissant ». Envers sa
patrie, il manifeste son sens du devoir, « Il la gouverne en père » (v.29), et porte le titre de
César (v. 4)
Elle donne aussi une série d’informations sur le passé de la relation Néron/Agrippine, puis
sur le bilan des premières années de règne, dont Agrippine n’a nul besoin puisqu’elle connaît
fort bien tout cela. Mais la nécessité d’argumenter pour convaincre Agrippine donne une
certaine vraisemblance à ce long rappel historique qui occupe les deux tirades d’Albine vers
15-20 et 23-30. De la même façon, les besoins de l’argumentation justifient auprès du
spectateur la réponse d’Agrippine, qui expose par le menu l’arbre généalogique de Néron.

Grâce à ces éléments, le spectateur se rend compte au fil du temps que la querelle entre les
deux femmes au sujet du portrait de Néron recèle une dimension manichéenne qui pourrait
être rendue par une stichomythie.

« Non, non, mon intérêt ne me rend point injuste : »

C’ est une réponse au vers 30.

Agrippine dit « non » deux fois, ce qui montre un lien avec ce qui précède.

En utilisant « injuste », elle montre qu’ elle ne fait pas d ‘ erreur de jugement : Néron est
différent d’ Auguste.

« mon intérêt : Albine ne peut pas avoir le même point de vue sur la situation et n’ a pas le
même rang qu’ Agrippine.

« Il commence, il est vrai, par où finit Auguste ; »

Nous avons ici un chiasme : il  Auguste, commence  finit, avec une antithèse.

« il est vrai » : elle commence à donner raison à Albine.

Puis « mais » : concession et enfin opposition.

On progresse de cette façon.


« Mais crains que, l’ avenir détruisant le passé,

Il ne finisse ainsi qu’ Auguste a commencé. »

Enjambement interne. La césure après « avenir » met en valeur le temps avec « passé » en fin
de vers. C’ est une réflexion sur le temps. Agrippine ne croit que les personnes soient
uniformes : le personnage évolue et pas forcément en bien : prolepse.

Il faut peut-être lire les vers 33 et 34 en lecture linéaire : mise en valeur des termes « finisse »
et « commencé ».

C’ est une prophétie un peu inquiétude.

Il y a un nouveau développement .

« Il se déguise en vain. Je lis sur son visage »

3déguise » : il feint, il fait l’ hypocrite. C’ est un jeu efficace aux yeux d’ Albine, qui
représente le peuple romain.

« en vain » : Agrippine n’ est pas dupe parce que c’ est sa mère et qu’ elle est intelligente.

« De fiers Domitius l’ humeur triste et sauvage. »

Elle lit dans son hérédité : la première lignée.

« fiers »  ferus en latin : sauvage, qui ne se laisse pas domestiquer.

C’ est presque une redondance avec « sauvage ».

« Il mêle avec l’ orgueil qu’ il a pris dans leur sang

La fierté des Nérons qu’ il puisa dans mon flanc. »

Il y a une rime de « sang » avec « flanc » : c’ est l’ hérédité du père et de la mère.


Les deux propositions des deux familles se renforcent : « il mêle », double raison d ‘ être un
monstre.

Au vers 38, elle parle de la deuxième lignée de Néron.

« Toujours la tyrannie a d’ heureuses prémices : »

Cette proposition a les allures d’ une maxime avec « toujours ». On a le présent de généralité.

A partir de là, on va voir comment naît la tyrannie.

Agrippine reprend les vers 29 et 30.

Elle sait qu’ un début heureux ne promet pas une fin heureuse. Après la généralité, on donne
un exemple.

Elle parle de Caligula.

« De Rome, pour un temps, Caïus fut les délices ;

Mais, sa feinte bonté se tournant en fureur, »

« feinte » reprend « déguise ». Elle ne croit pas à la sincérité initiale ni de Néron, ni de


Caligula.

« fureur » est un mot un peu plus fort que maintenant, la furor, la folie.

On a également une allitération de f qui lie Néron et Caïus dans les sons employés.

« Les délices de Rome en devinrent l’ horreur, »

« les délices de Rome » est une périphrase désignant Caligula que rapporte Suétone. Le mot «
délice » est repris car elle permet de donner de l’ importance aux mots de la périphrase, à
cause de « horreur ». La périphrase existe pleinement, chaque mot a son sens.

« Que m’ importe, après tout, que Néron, plus fidèle,


D’ une longue vertu laisse un jour le modèle ? »

Néron est pour la première fois nommé par son nom.

Il est « plus fidèle » par rapport à Caligula.

« que m’ importe » montre qu’ elle détruit la réponse de vertu d’ Albine. Pour Agrippine, la
vertu n’ a pas d’ importance.

« Ai-je mis dans sa main le timon de l’ Etat »

Le « timon » d’ un navire est son gouvernail : idée de direction, sert à guider. C’ est le
symbole du pouvoir.

Le mot est encore plus concret avec l’ utilisation de « ai-je mis ».

C’ est elle qui lui a donné le pouvoir.

« Pour le conduire au gré du peuple et du sénat ? »

=pour qu’ il le conduise.

Néron fonde sa politique en suivant le peuple et le sénat : comme si c’ était une république.

Agrippine est contre car elle utilise une question de rhétorique qui appelle un « non ».

« Ah ! que de la patrie il soit, s’ il le veut, le père ;

Mais qu’ il songe un peu plus qu’ Agrippine est sa mère. »

« père » est dans un sens abstrait alors que « mère » est dans un sens concret.

« Le père de la patrie » est un rappel du vers 29.

Il y a un changement de ton de la part d’ Agrippine « Ah ! ».

« De quel nom cependant pouvons-nous appeler


L’ attentat que le jour vient de nous révéler ? »

« cependant » a une valeur temporelle.

Agrippine est désemparée par l’ enlèvement de Junie : interrogations. Il lui manque des mots
pour expliquer, pour raconter ce qui s’ est passé.

La lumière éclate.

« Il sait, car leur amour ne peut être ignorée,

que de Britannicus Junie est adorée ; »

L’ inversion permet de rapprocher Britannicus de Junie à la césure ; « adorée » est accentué


en fin de vers. Néron ne peut pas l’ ignorer.

« Et ce même Néron que la vertu conduit »

Agrippine se moque d’ Albine.

« même » : changement de Néron.

« Que veut-il ? Est-ce haine, est-ce amour, qui l’ inspire ?

Cherche-t-il seulement le plaisir de leur nuire ? »

Agrippine, femme forte, trahit son désarroi. Elle n’ a plus de jugement : amour, haine : deux
raisons opposées.

Il y a une autre explication : « le plaisir de leur nuire ».

Cet enlèvement visera Agrippine.


Cet ensemble de procédés utilisés par Racine confèrent à la scène d’exposition, toute son
efficacité, à travers l’emploi de fonctions spécifiques : il s’agit d’abord d’esquisser des
portraits essentiellement moraux et d’inventer une situation de communication mettant en
présence un personnage qui sait et un personnage qui ne sait pas ; en outre, le désaccord entre
ces deux personnages justifie de leur part un effort argumentatif l’apport d’informations est
effectué de manière efficace.

Nous avons démontré que le spectateur assiste à une scène à laquelle, Racine attribue des
fonctions spécifiques, gage de son efficacité . Désormais tous les éléments son en place pour
créer dans cet épisode tragique une atmosphère à la fois inquiétante et vraisemblable .
l’intérêt de la scène repose réside dans l’utilisation d’une autre astuce qui consiste à
démarrer l’action de la pièce dés le lever de rideau. Racine ne s’est pas contenté d’une
discussion statique ayant pour seul souci d’apporter des informations au spectateur. Dés ces
premiers vers de la pièce, il se passe quelque chose, le suspens dramatique est déjà présent,
l’intérêt psychologique , ainsi que la tension demeurent garantis.

Comme nous avons à faire à un début « in medias res ». le rideau se lève, et Agrippine est
déjà là dans un état d’agitation inaccoutumé. car, Junie a été enlevée pendant la nuit :
l’élément perturbateur de l’intrigue a déjà eu lieu. Le discours d’Agrippine révèle au
spectateur toute une gamme de traits de caractère ou de sentiments. Elle menace : « Mais
crains que l’avenir … » (v.33) ; elle ironise : « et ce même Néron, que la vertu conduit (sous-
entendu : d’après toi ! ») ; elle exprime ses interrogations, ses angoisses : « Que veut-il ? Est-
ce haine ? Est-ce amour qui l’inspire ? » (v55) ; elle prophétise : « je lis sur son visage / des
fiers Domitius l’humeur triste et sauvage » (v.35-36).

Surtout, en une extraordinaire volte-face, au vers 43, elle change brusquement son
argumentation face à Albine et, arrêtant de reprocher à Néron d’être un mauvais prince, elle
l’accuse surtout de vouloir échapper à son emprise, prenant le risque de laisser apparaître
l’ambition démesurée qui l’anime. Bref, elle révèle le fond de son caractère. Son discours
passionné, véhément, que le rythme de l’alexandrin permet à Racine de développer de façon
oratoire (cf. notamment la métaphore du « timon », les parallélismes des vers 47-48), n’a pas
seulement une portée informative, il a un rôle dramatique. Il nous annonce un fameux bras de
fer entre le « monstre naissant » Néron et cette femme qui n’apparaît pas beaucoup moins
terrifiante que son fils. Cette brusque révélation prend l’allure d’un coup de théâtre : au
moment où le spectateur s’apprêtait déjà à voir en Agrippine une bonne mère anxieuse de
l’avenir de Néron, soucieuse de sa vertu, inquiète pour le sort de Junie et de Britannicus, il
découvre soudain en elle un monstre de cynisme et d’ambition politique. Cette habileté
d’écriture dramatique suffit à assurer l’intérêt de ce début de pièce.

Les indications d’Albine, à qui s’oppose Agrippine, comme nous l’avons démontré supra,
permettent à Racine de réaliser un portrait de Néron, qui serait la synthèse des deux facettes
de l’Empereur : le bon tyran, et le monarque impitoyable « le bon père » qui hérite de
l’orgueil des Domitius ( v. 37) . Chacun mention de Néron prouve son caractère instable et
ambivalent, il se trouve toujours entre deux, plus précisement entre deux extrêmes. Il ne
correspond pas complètement à l’un ni totalement à l’autre . La naissance du monarque
devait équivaloir à l’ avènement d’une nouvelle ère s’inscrivant dans la continuité d’ Auguste.
C’est ce que dit Albine( v. 29 et 30 ). Cependant, Agrippine évoque le déguisement de son
fils, et est en en mesure de pénétrer le for intérieur du personnage( v. 35). L’intérêt
dramatique, et l’impression d’une atmosphère inquiétante provient du fait que Racine réussit
l’ ébauche d’un personnage majeur, en lui conférant toute sa portée étymologique. Le terme
« personnage » est issu du latin « persona », calqué sur le grec ancien, « prosopon », qui revêt
le sens premier de « masque » d’où le déguisement, symbolisant la double attitude, le double
jeu de l’Empereur. Agrippine affirme aux vers 32à 34 : « Il commence, il est vrai, par où
finit Auguste » / « Mais crains que, l'avenir détruisant le passé/« Il ne finisse ainsi qu'Auguste
a commencé. ». Un distinguo entre l’être et le paraître, interprétable comme matérialisant le
clivage philosophique entre essence et existence, renforce cette ambivalence, source d’
angoisse pour le spectateur, devenue ambigüité. A cela s’ajoutent une opposition entre un
être apparent, aux yeux d’ Albine, et le devenir d’un monstre en puissance, comme l’indique
cette vérité générale au présent gnomique d’Agrippine : «Toujours la tyrannie a d'heureuses
prémices ». La naissance de ce monstre est consacrée par les vers 11 et 12 : « L'impatient
Néron cesse de se contraindre » / « Las de se faire aimer, il veut se faire craindre. ». Dès le
début Agrippine fait savoir au spectateur la gravité de cette transformation entrain de se
produire, et l’informe du processus tragique à venir, engendrant tension et angoisse.
L’épithète « impatient » traduit l’idée selon laquelle la mue a lieu sur le champ, le second vers
indique , par une antithèse, sa nature et son importance.

Néron ainsi décrit, donne l’impression au spectateur d’être un personnage sous


influence, accentuant l’ambiance inquiétante . Un premier niveau est perceptible. L’ hérédité
paternelle de Néron : « les Domitius à l’ humeur triste et sauvage », et la présentation par
Agrippine de son frère Caligula comme une première version de ce personnage archétypal.
( v.40-42) Au deuxième niveau, la monstrueuse Agrippine influe très fortement son fils qui le
vit comme un lourd fardeau, dont il cherche à s’émanciper coûte que coûte. La confidente
remémore à sa maîtresse le rôle protéiforme , pesant, filial, moral et politique qu’elle exerce à
l’ égard de Néron ( v.15-16) contribuant à faire perdurer la malédiction originelle.
Par cette série d’éléments tragiques inquiétants et vraisemblables, le spectateur découvre au
fil de l’exposition , une mise en abyme , une mise en scène dans la mise en scène, une pièce
de théâtre dans la pièce de théâtre. Albine et Agrippine dépeignent un drame dont elles
deviennent à leur tour dramaturges et metteuses en scène

Cette scène est donc caractéristique d’un « art de commencer » qui cherche à combiner
informations attendues et fonctions spécifiques, efficacité et atmosphère inquiétante
vraisemblable. Le spectateur reçoit rapidement une information très dense qui lui permet
d’imaginer la suite de l’action : il voit se dessiner des portraits moraux
originaux( Agrippine , Albine et Néron malgré son absence) et surtout les principaux
affrontements en perspective (l’affrontement entre Néron et Britannicus, entre Néron et
Agrippine), il peut faire des hypothèses sur l’issue de la tragédie. En outre, le spectateur est
directement plongé dans l’intrigue, il surprend en plein drame un des personnages principaux
de la pièce. La scène est vivante, notamment du fait d’une mise en abîme d’un drame dans le
drame.

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