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2- Initiation au commentaire :

2-1 Technique :

Le commentaire doit contenir trois parties :

- Une introduction : situer brièvement le texte (auteur, œuvre, époque…) ; situer


le texte dans l’œuvre ; dégager l’idée générale ; formuler la problématique ; annoncer
le plan ;

- Un développement : respecter le plan annoncé dans l’introduction ; ne pas sortir


du texte commenté ; cohérence entre les parties du développement ; introduire
chaque paragraphe avec l’idée générale ; appuyer avec des citations du texte, pas
d’abréviation…

- Une conclusion : récapituler en montrant l’intérêt du texte ; ouvrir votre


commentaire sur d’autres perspectives d’analyse…

Extrait 1 :

« (…) Renée, en face de ces mélancolies de l’automne, sentit toutes ses tristesses
lui remonter au cœur. Elle se revit enfant dans la maison de son père, dans cet hôtel
silencieux de l’île Saint-Louis, où depuis deux siècles les Béraud Duchâtel mettaient
leur gravité noire de magistrats. Puis elle songea au coup de baguette de son
mariage, à ce veuf qui s’était vendu pour l’épouser, et qui avait troqué son nom de
Rougon contre ce nom de Saccard, dont les deux syllabes sèches avaient sonné à
ses oreilles, les premières fois, avec la brutalité de deux râteaux ramassant de l’or ; il
la prenait, il la jetait dans cette vie à outrance, où sa pauvre tête se détraquait un peu
plus tous les jours. Alors, elle se mit à rêver, avec une joie puérile, aux belles parties
de raquette qu’elle avait faites jadis avec sa jeune sœur Christine. Et, quelque matin,
elle s’éveillerait du rêve de jouissance qu’elle faisait depuis dix ans, folle, salie par
une des spéculations de son mari, dans laquelle il se noierait lui-même. Ce fut
comme un pressentiment rapide. Les arbres se lamentaient à voix plus haute.
Renée, troublée par ces pensées de honte et de châtiment, céda aux instincts de
vieille et honnête bourgeoisie qui dormaient au fond d’elle; elle promit à la nuit noire
de s’amender, de ne plus tant dépenser pour sa toilette, de chercher quelque jeu
innocent qui pût la distraire, comme aux jours heureux du pensionnat, lorsque les
élèves chantaient : Nous n’irons plus au bois, en tournant doucement sous les
platanes. »

Émile Zola, La Curée, Librairie Générale Française, Paris, 1996, pp. 37-38.

Commentaire

Il s’agit d’un extrait de La Curée d’Émile ZOLA, écrivain naturaliste, du dix-


neuvième siècle. Ce roman est le deuxième volume de son projet romanesque
Histoire naturelle et sociale d’une famille sous l’Empire. Le texte se situe dans le
premier chapitre du roman. Il s’agit ici d’une introspection qui nous permet de voir en
quoi Renée est un personnage tragique. C’est ce que nous allons essayer de
montrer en soulignant dans un premier temps la contradiction entre le milieu d’origine
de Renée et celui où elle vit avec Aristide Saccard son époux ; puis dans un
deuxième temps la contradiction qui la constitue de l’intérieur entre son éducation
paternelle à l’honnêteté et à la chasteté et son penchant vicieux.

De chute en chute, le destin tragique de Renée se décide. Rentrée d’une


promenade au bois de Boulogne avec Maxime, son beau-fils, Renée se retrouve
seule dans son appartement. Depuis sa fenêtre, elle regarde le parc Monceau. Les
« mélancolies » de la nature lui font voir et rappeler ses « tristesses » à elle :
« Renée, en face de ces mélancolies de l’automne, sentit toutes ses tristesses lui
remonter au cœur. » Il s’agit d’un face-à-face où le paysage désolé de l’automne fait
écho dans le chagrin de Renée. Suit alors un flash-back préparé par le mot
« remonter » qui nous permet de voir la contradiction de la vie présente de Renée
avec son enfance. Ce n’est pas sans raison que Renée se rappelle des « parties de
raquette » avec sa sœur Christine. Elle est dans la maison de son « père » : « Dans
cet hôtel silencieux. » Le silence est synonyme de calme, de réserve et de sobriété.
« Puis elle songea au coup de baguette de son mariage… ». Avec cette phrase le
narrateur nous introduit dans le deuxième tableau de la vie antérieure de Renée.
L’expression « coup de baguette » est une ironie amère. Car le changement opéré
dans la vie de Renée n’a rien de magique, de miraculeux, d’extraordinaire. Au
contraire, il est violent, inattendu, brutal. C’est un moment de basculement. C’est une
chute. Avec ce changement, Renée sort d’une certaine manière du paradis de son
enfance ; elle tombe. Une chute qui va entraîner d’autres chutes. Il s’agit de son
mariage avec Saccard : « ce veuf qui s’était vendu pour l’épouser, et qui avait troqué
son nom de Rougon contre ce nom de Saccard, dont les deux syllabes sèches
avaient sonné à ses oreilles, les premières fois, avec la brutalité de deux râteaux
ramassant de l’or ». On apprend dans ce passage des choses sur Saccard : qu’il
était veuf, qu’il a changé son nom et qu’il s’était vendu pour l’épouser. Le portrait que
le narrateur nous brosse de ce personnage à travers le souvenir de Renée est
totalement péjoratif. L’expression « s’est vendu » laisse deviner entièrement la
nature cynique, marchande, sans scrupule de Saccard. Le changement de nom
correspond à une fausse identité. Paradoxalement ce faux-nom révèle mieux la sa
nature. On en prend conscience à travers la sensation que ce nom produisit dans les
oreilles de Renée « ce nom de Saccard, dont les deux syllabes sèches avaient
sonné à ses oreilles, les premières fois, avec la brutalité de deux râteaux ramassant
l’or ». « sèches » et « râteaux » d’une part ; « sonné » et « or » d’autre part
appartiennent respectivement aux mêmes champs sémantiques. Le premier se
réfère à ce qui est mort, insensible, à ce qui coupe ; le second à ce qui brille, fait du
bruit (les pièces d’or brillent et sonnent ; la fortune fait du bruit). La violence subie par
Renée est dite dans des mots explicites : « il la prenait », « il la jetait ». On comprend
à travers ces deux actions que l’énergie de Saccard est plus grande, plus forte,
brutale par rapport à celle de Renée. Renée, avec sa « pauvre tête ». Elle n’était pas
préparée à ce monde dans lequel elle a été jetée. Monde de la spéculation, de
l’ « outrance » alors que sa vie d’enfant était silencieuse, sobre, mesurée, ordonnée.

Entre les deux tableaux, celui de l’enfance et celui d’après le mariage avec
Saccard, le contraste est flagrant. Après ce mariage, Renée se sent « salie ». Cette
sensation est liée à l’éducation qu’elle reçue chez les Religieuses et dans sa famille
paternelle : « depuis deux siècles les Béraud du Châtel mettaient leur gravité noire
de magistrats. » Les mots « salie », « honte », « châtiment » ont une connotation
religieuse. Ils évoquent l’imaginaire du péché et de la chute dont nous avons parlé
plus haut. D’où le besoin de se repentir, de revenir au monde d’avant la souillure :
« elle promit à la nuit noire de s’amender, de ne plus tant dépenser pour sa toilette,
de chercher quelque jeu innocent qui pût la distraire, comme aux jours heureux du
pensionnat ».
À travers ce portrait de Renée, nous comprenons la solitude et la tristesse de ce
personnage dans La Curée. En effet, sa vie est construite sur une double
contradiction. Une contradiction intérieure et une contradiction avec le milieu de son
époux. Deux contradictions qui vont définir son destin tragique dans le roman, mais
qu’on peut déjà pressentir à travers ce texte.

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