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MASTER MEEF mention 1er degré

« Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation »


Mémoire de 2ème année
Année universitaire 2021 - 2022

ACTIVITE ET EMOTIONS

EXPLORATION DES INTERACTIONS ENTRE EMOTIONS ET


ACTIVITE CHEZ L’ANALYSTE DU COMPORTEMENT.

ÉTUDE AU COURS D’UNE MISSION « EVALUATION /


PRECONISATIONS » AU DOMICILE FAMILIAL D’UNE JEUNE FILLE
AUX BESOINS EDUCATIFS TRES PARTICULIERS

Sarah Christel MOMMEJA

Directeur du mémoire :Sylvie Perez


Assesseur : Laure Ros

Soutenu le 17/06/2022
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« N'oublions pas que les petites émotions sont
les grands capitaines de nos vies et qu'à celles-là
nous y obéissons sans le savoir. »
Vincent Van Gogh

« Sans émotions, il est impossible de transformer les


ténèbres en lumière et l'apathie en mouvement. »
Carl Gustav Jung

Remerciements :

Ma gratitude va tout d’abord vers Sylvie Pérez qui m’a invitée à sortir de mes sentiers battus, et qui
m’a apporté son soutien, ses encouragements et des conseils avisés tout au long de l’écriture de ce
mémoire. Je remercie également Robin Neyroud, Luce Prola et Yacine Arbia qui ont été d’une aide
précieuse.
Enfin, je tiens à exprimer ma reconnaissance envers les familles accompagnées avec qui nous
partageons des moments intenses, envers les professionnels qui ont su me transmettre la passion
de ce métier, envers ceux qui œuvrent avec engagement, et envers la vie pour les expériences
qu’elle nous permet.

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Résumé :
Quelles interactions se jouent entre émotion et activité chez le professionnel de
l’éducation d’orientation comportementale ? Pour cette recherche, je me suis appuyée sur un
journal de bord relatant une semaine d’intervention au domicile d’une jeune fille aux besoins
éducatifs très particuliers. Parmi les domaines impactés par les émotions figurent les états
somatiques, les motivations, pensées et prises de décisions. L’analyse des données recueillies
permet de mettre en lumière le rôle nécessaire des émotions dans l’activité d’analyste du
comportement.

Mots clés :
Émotion, Analyse Appliquée du Comportement, Prise de décision, Crise, Peur, Travail à domicile

Abstract :
What interactions are at stake between emotions and activity for the behavioral education
professional? For this research, I relied on a logbook narrating a week of intervention in the home
of a young girl having very special educational needs. The fields impacted by emotions include
somatic states, motivations, thoughts and decision-making. The analysis of the data collected
highlights the necessary role of emotions in the activity of the behavior analyst.

Keywords :
Emotion, Applied Behabior Analysis, Decision-making, Tantrum, Fear, Homework

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Table des matières

1. Comprendre mes contextes d’intervention : ................................. 7


1.1 Mon contexte professionnel : ................................................................................................ 7
1.2 Les recommandations de bonnes pratiques de la HAS : ........................................................ 8
1.3 Le métier d’analyste du comportement................................................................................. 9
2. Une étude de cas et un objet d’étude singulier ............................ 11
2.1 La situation d’Inès ................................................................................................................11
2.2 Vers un objet d’étude............................................................................................................13
3. L’ABA : de quoi s’agit-t-il ? ........................................................ 14
3.1 Définition ............................................................................................................................ 14
3.1.1 L’ABA : une science naturelle appliquée ........................................................................ 14
3.1.2 Les fondements philosophiques de l’ABA ..................................................................... 15
3.2 Concepts de base de l’ABA ................................................................................................... 17
3.2.1 Comportement et Environnement................................................................................. 17
3.2.2 Les antécédents : Stimuli Discriminatifs et Opérations de Motivation ......................... 19
3.2.3 Les conséquences : Renforcement, Punition, Extinction .............................................. 20
3.2.4 La fonction comportementale, une base de travail en ABA .......................................... 22
3.3 Complexité des réalités humaines et comportementalisme radical ..................................... 23
4. Cadre conceptuel : Émotions et activité : quels liens ? ................. 24
4.1 Les Émotions....................................................................................................................... 25
4.1.1 Définition...................................................................................................................... 25
4.1.2 Émotions et sentiments ............................................................................................... 26
4.1.3 Tentative de classification ............................................................................................. 27
4.2 Émotions et activités : quels liens ? ..................................................................................... 29
4.2.1 Émotions et prises de décisions en contexte de risque ................................................. 29
4.2.2 Les marqueurs somatiques : l’émotion au cœur de la raison ........................................ 30
4.2.3 L’empathie.................................................................................................................... 32
4.2.4 Émotions et motivations .............................................................................................. 33
4.2.5 Émotions et pensées .................................................................................................... 34
4.3 Pour le meilleur et pour le pire ............................................................................................. 35
5. Cadre méthodologique ............................................................. 36
5.1 Posture ................................................................................................................................ 36
5.2 Les différentes traces d’activité récoltées ........................................................................... 36

5
5.4 Sélection et traitement des données exploitées ...................................................................37
6. Résultats et discussion ............................................................. 40
6.1 Agressions, crises, peur, insécurité et expérience ................................................................ 40
6.1.1 La « première peur » ..................................................................................................... 40
6.1.2 Les « premières fois » ................................................................................................... 43
6.1.3 L’évolution de la peur au fil de l’expérience ................................................................... 48
6.2 La prise de décision en contexte risqué ............................................................................... 54
6.2.1 Prendre la mission ?...................................................................................................... 54
6.2.2 Mettre en place le protocole « Habille-toi » ? ............................................................... 56
7. Conclusion et perspectives : ...................................................... 59
Bibliographie ............................................................................... 61
Annexe I : Relevé des émotions ..................................................................................................... 73
Annexe II : Protocole Habille-toi ................................................................................................... 87
Annexe III : Projet d’intervention .................................................................................................. 89
Annexe IV : Évaluations / Préconisations : Compte rendu ............................................................. 92
Annexe V : photographies .......................................................................................................... 102

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1. Comprendre mes contextes d’intervention :

1.1 Mon contexte professionnel :

J’interviens en tant qu’analyste du comportement dans l’accompagnement éducatif de


personnes (enfants, adolescents, jeunes adultes) diagnostiquées TSA (Troubles du Spectre de
l’Autisme). La définition du TSA se compose de ce qu’on appelle la « triade autistique », qui
correspond aux « symptômes cliniques » de l’autisme :
- intenses préoccupations : qu’il s’agisse de sujets d’intérêts spécifiques comme les trains,
l’astrologie, les cactus… ou de sujets d’angoisse liés à la planification des événements par exemple,
les personnes autistes focalisent souvent leur attention de façon intense ou rigide.
- difficultés de relations sociales : du fait de perceptions de l’environnement non-typiques (Perrin,
J., & Maffre, T., 2016), le développement des compétences liées à la communication de façon
générale (expression, compréhension, verbale ou non-verbale…) des personnes autistes est
souvent entravé. La compréhension et la participation aux situations sociales du quotidien
(auxquelles les personnes neurotypiques répondent de façon intuitive, sans avoir à y réfléchir)
demande un apprentissage particulier et un réel effort d’adaptation constant (Liratnti, M., 2019) .
- comportements stéréotypés et répétitifs : la grande majorité des personnes autistes présentent
des troubles de la modulation sensorielle Afin de réguler leurs besoins sensoriels entre autres, les
personnes autistes réalisent souvent des gestes répétitifs (agiter ses doigts devant ses yeux, agiter
les mains, sauter sur place, se balancer d’avant en arrière, sur le côté, se boucher les oreilles, faire
des bruits particuliers…). Dans le jeu, les enfants autistes alignent spontanément les petites
voitures aussi par exemple. Là encore, il s’agit de ce qu’on peut appeler « comportement stéréotypé
et répétitif.
Les difficultés rencontrées par les personnes autistes pour comprendre et se faire comprendre de
leur entourage, accepter et s’adapter aux changements imprévus, percevoir les éléments
discriminatifs clés d’une situation… conduisent souvent à des retards de développement sur
certains domaines (langage, habiletés sociales, autonomie …) et à des difficultés
comportementales (Degenne-Richard, 2014) qui peuvent, selon les situations, créer une exclusion
sociale progressive de la personne et de sa famille.

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A une période où l’inclusion des élèves à besoins éducatifs particuliers est portée par la
conviction que celle-ci serait profitable à tous, nombreux sont les témoignages de situations où
l’inclusion est pensée comme impossible. Cette impossibilité est souvent expliquée par la présence
de comportements ingérables, mettant à mal le groupe, et empêchant les apprentissages. Qu’en
est-il de ces enfants et adolescents à besoins éducatifs très particuliers exclus des espaces
d’enseignement et de rééducation (école, IME, séances d’orthophonie...) car ils émettent des
comportements incompatibles avec les enseignements proposés, envahissants et/ou dangereux ?
Quand les moyens du milieu médico-social qui s’est substitué au milieu ordinaire ne peuvent
permettre de faire face aux réalités des situations rencontrées, une réponse individualisée est mise
en place selon les besoins et moyens dont elle dispose. C’est souvent dans ces contextes que
j’interviens : à la demande des institutions ou des familles, je participe à l’évaluation et la mise en
place de programmes éducatifs individualisés d’orientation comportementale.

1.2 Les recommandations de bonnes pratiques de la HAS :

Afin d’accompagner les élèves TSA de façon éthique vers une diminution de leurs comportements
problèmes, la Haute Autorité de Santé préconise depuis 2012 d’utiliser l’évaluation fonctionnelle
comme base d’observation, afin de définir par la suite des interventions adaptées.
En 2016, les recommandations de bonnes pratiques sont énoncées comme suit (HAS,
Recommandations de bonnes pratiques, 2016)
« L’analyse multimodale est un modèle d’analyse et d’intervention qui permet de prendre en
compte l’environnement global de la personne comme cadre de réflexion. Les interventions se
basent sur les facteurs personnels et les facteurs environnementaux. Le cadre de l’évaluation
multimodale intègre « des méthodologies d’évaluation fonctionnelle des comportements
problématiques, des méthodologies d’intervention comportementales, éco systémiques et
biopsychosociales ainsi qu’un travail transdisciplinaire le plus efficace et efficient possible auprès
de ces personnes ». Cette démarche préventive peut se mettre en place lors de l’apparition des «
comportements-problèmes ». L’analyse multimodale et l’évaluation fonctionnelle s’effectuent à
partir de la formulation d’hypothèses exhaustives des causes d’un « comportement-problème ».
Ces causes repérées/identifiées sont des hypothèses qui permettront la mise en place de stratégies
d’interventions avec des variations de facteurs environnementaux et contextuels évaluables. Trois
modalités d’évaluation sont présentées :

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- l’entretien avec la personne et/ou avec l’entourage, les professionnels ;
- l’observation directe : observation de la personne dans les milieux de vie dans lesquels elle évolue
(domicile, travail, loisirs, école) pendant une longue période ;
- l’analyse fonctionnelle, qui consiste à la modification des variables dont dépend potentiellement
le comportement dans les conditions de la vie quotidienne ou des conditions analogues, et
l’observation des effets sur le comportement de la personne. »

1.3 Le métier d’analyste du comportement

L’analyste du comportement élabore, met en place et supervise des programmes éducatifs


individualisés répondant aux besoins spécifiques de chaque élève. Ces programmes sont basés sur
l’analyse appliquée du comportement, plus couramment nommée ABA (Applied Behavior
Analysis).
Il a une formation de niveau licence en éducation ou en psychologie, a complété 225h de cours
théorique en Analyse Appliquée du Comportement et tous les examens correspondants, 1000h de
travail en tant que BCaBA sous supervision, et a réussi l’examen final lui permettant d’accéder à la
certification.
Il se doit de respecter la charte éthique des analystes du comportement certifiés BCBA/BCaBA qui
dicte les règles de conduite à tenir par chacun dans les domaines de la formation continue, de la
supervision continue, de la confidentialité, des rapports entretenus entre professionnels et avec les
personnes accompagnées etc.

J’accompagne en qualité d’analyste du comportement BCaBA / superviseur ABA des enfants et


adolescents diagnostiqués TSA (Trouble du spectre autistique) ainsi que leurs familles (parents,
fratries) et professionnels encadrant (éducateurs, instituteurs, AESH, assistantes maternelles...).
J‘interviens le plus souvent à la demande des parents, à leur domicile, mais je peux également
travailler à la demande d’éducateurs, rééducateurs (orthophoniste, etc) ou d’organismes privés ou
publics.

Lorsque je suis contactée pour la première fois, c’est dans le cadre d’un (ou plus généralement de
plusieurs) de ces 3 scénarios :

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- un enfant est en cours de diagnostic, ou a récemment eu un diagnostic TSA. La famille s’est bien
informée sur les pratiques éducatives recommandées par la HAS et recherche un soutien
professionnel dans l’éducation quotidienne de l’enfant concerné. (Soutenir ses apprentissages,
comprendre ses différences, ses forces et difficultés, bénéficier de conseils pratiques sur
l’agencement de l’espace à la maison...)
- des retards de développement deviennent préoccupants et je suis contactée pour mettre en place
des programmes éducatifs (protocoles d’enseignement) individualisés dans l’objectif de favoriser
le développement de certaines compétences ciblées (apprendre à communiquer ses besoins par le
développement du langage oral, signé ou grâce à un moyen de communication alternatif ; devenir
propre et enlever les couches ; accepter de jouer à tour de rôle...)
- des difficultés comportementales persistantes entravent le bien-être de l’enfant, de sa famille, et
ses apprentissages. Ces difficultés comportementales créent souvent de l’exclusion des lieux
d’apprentissage (école, séances d’orthophonie, IME…), qui participent à un isolement social de
l’ensemble de la famille (difficultés à garder un emploi, à conserver des liens sociaux, à fréquenter
des espaces ouverts au grand public).
Mon intervention vise alors à comprendre les difficultés rencontrées par l’enfant/adolescent/adulte
et les personnes l’entourant, afin de les accompagner dans le développement de compétences et
de stratégies éducatives visant la diminution des comportements problèmes permettant l’inclusion
sociale de l’élève et favorisant ses apprentissages.

Les interventions proposées se constituent de plusieurs volets :


- L’évaluation : des préférences (permettant de développer la motivation de l’apprenant), des
ressources (matérielles, humaines…), des compétences existantes et déficitaires, des fonctions
comportementales (voir plus bas)
- Préconisations / Programmes Éducatifs Individualisés : découlant des évaluations menées en
amont, je préconise des objectifs d’apprentissages adaptés et des stratégies éducatives précises
permettant de créer un cadre environnemental favorable au développement des compétences
ciblées
- Formation / Supervision/Guidance parentale : Pour chaque objectif ciblé, un programme
d’enseignement individualisé est écrit, et je forme en continue les professionnels (éducateurs,
infirmières, assistantes maternelles, orthophonistes...) et familles (parents, fratries) à sa bonne
mise en œuvre.

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- Suivi des données et adaptation des programmes : Selon l’évolution de chaque objectif et les
retours des praticiens, certains paramètres des programmes éducatifs peuvent être revus pour
développer les compétences ciblées, et dans l’objectif d’une adaptation constante des
accompagnements proposés.

J’interviens toujours sur la base d’une observation directe en priorité. Si elle n’est pas possible
(distance par exemple), le support vidéo est indispensable. L’observation peut être neutre, ou
participante, selon les besoins et possibilités.

2. Une étude de cas et un objet d’étude singulier

2.1 La situation d’Inès

Je vais élaborer ce mémoire en m’appuyant sur une situation vécue auprès de la jeune Inès, presque
18 ans, et de sa famille.
J’ai été contactée par le Centre de Ressources Autisme du Languedoc Roussillon pour intervenir à
son domicile, dans un contexte d’urgence : Inès allait devoir quitter l’Hôpital psychiatrique où elle
séjournait depuis quelques semaines pour regagner son domicile familial. Sa famille était très
fragilisée : ses 2 sœurs Soraya et Karima s’occupaient d’elle « comme elles pouvaient », ainsi que
leur mère qui était épuisée tant physiquement que nerveusement.
L’hôpital ne voulait pas garder Inès, considérant que la mission d’accueil d’urgence avait été
remplie, l’IME ne pouvait pas l’accueillir en internat en raison de problèmes de comportements
incompatibles avec le cadre institutionnel, et la famille était à bout, réclamant une place en
internat.
Dans l’attente de trouver un lieu qui puisse accepter d’accueillir cette jeune fille aux besoins
éducatifs très particuliers, le CRA était mobilisé pour mettre en place une mesure
d’accompagnement au quotidien imaginée par l’équipe du CRA et de l’IME : Une équipe
d’éducateurs libéraux se relaieraient au domicile d’Inès pour s’occuper d’elle à la place de sa mère
et de ses sœurs sur tous ses temps de présence à la maison (hors nuit où elle dormait enfermée
dans sa chambre).

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J’avais eu par le passé l’occasion de travailler en collaboration avec le CRA autour d’une autre
situation où la problématique des comportements violents était au cœur des discussions. Là, on
me demandait d’intervenir en amont de l’équipe éducative prochainement mise en place à la
maison, pour « donner mon avis sur sa situation » et « orienter l’équipe à venir ». Nous nous
sommes entendus pour organiser rapidement une semaine d’immersion à son domicile, pendant
laquelle je procéderai à une évaluation et à des préconisations à l’attention des éducateurs.

Inès allait avoir bientôt 18 ans. Elle était diagnostiquée autiste depuis l’enfance et a passé toute sa
vie en institution type IME, à bénéficier de l’accompagnement d’éducateurs, orthophonistes,
psychomotriciens, etc.
A bientôt 18 ans, Inès ne parlait pas, ou très peu (quelques mots répétés, pas toujours fonctionnels)
et passait le plus clair de son temps seule, à se balancer de gauche à droite, en boule au sol. Elle
aimait manger, et parfois écouter de la musique.
Elle était imposante (environ 1,75 pour une centaine de kilos) et présentait de sévères problèmes
de comportements hétéro-agressifs (charger, bousculer, mordre, frapper avec la main ou le poing,
tirer les cheveux, détruire l’environnement) qui se manifestaient quotidiennement et pouvaient
apparaître très soudainement.
Ces comportements problèmes et sa nudité (elle refusait de se vêtir) avaient conduit les praticiens
hospitaliers à l’enfermer en chambre d’isolement, fortement sédatée.

Elle était domiciliée chez sa mère, dans un appartement d’une importante cité de Montpellier.
Cette maman ne travaillait pas. Elle était diabétique, et avait fait un AVC 2 mois plus tôt. D’origine
maghrébine, elle parlait arabe avec ses filles mais savait aussi parler français. Elle était épuisée par
le quotidien avec Inès, et n’avait manifestement jamais été accompagnée dans la parentalité d’un
enfant différent : elle ne semblait pas informée sur le handicap d’Inès, ni même sur la possibilité
d’éduquer un enfant autiste. Elle avait subi l’isolement social, la précarité, l’incompréhension, la
violence et la peur pendant 18 ans. Quand je l’ai rencontrée, elle ne faisait que de répéter qu’il fallait
qu’Inès parte de chez elle. « Ou je vais mourir », disait-elle.
La sœur la plus âgée, Soraya, était en études d’infirmière. Elle était dynamique, souriante, mais peu
présente à la maison. Elle était revenue s’installer provisoirement au domicile familial mais ne
comptait pas y rester.
La plus jeune, Karima, était lycéenne. Elle faisait presque tout à la maison : le ménage, les repas,
aller à la pharmacie chercher les traitements de sa sœur et de sa mère, donner la douche à Inès,
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nettoyer derrière elle… Elle pouvait se montrer très joyeuse et souriante, mais avait une vie qui la
poussait vers la colère et l’épuisement.

2.2 Vers un objet d’étude

En tant qu’analyste du comportement, pour prendre des décisions rationnelles, basées sur la
science, je dois penser mon intervention avec ma tête. Je dois pouvoir observer, conceptualiser,
prévoir par écrit mes intentions d’intervention, les expliquer clairement, les mettre en œuvre,
observer leurs effets, conceptualiser encore, prévoir par écrit mes intentions d’intervention encore,
et ainsi de suite. Je dois penser avec ma tête et (j’ai l’impression) laisser peu de place à mes
émotions. Dans la charte éthique des analystes du comportement certifiés, il est clairement stipulé
que nos décisions doivent être guidées par les données (Annexe Charte Ethique des Analystes du
comportement certifiés).

Lorsque j’évalue, ou que j’interviens plus directement, je partage des moments de vie d’une grande
intensité, avec des personnes hors du commun, qui génèrent nécessairement pour moi des
émotions fortes et variées. En tant que comportementaliste certifiée, peut-être aussi de par la
culture des institutions par lesquelles je suis passée, j’ai le sentiment que ces émotions ne devraient
pas interférer avec mes décisions. Évaluer de façon neutre, penser et planifier de façon rationnelle,
puis intervenir de façon systématique avec le protocole établi. Voilà dans la théorie (dans mes
représentations mentales en tous cas) ce qu’un analyste du comportement est censé faire.

Mais en relisant mon journal de bord un an après avoir vécu la situation d’Inès, j’ai eu le souvenir
d’avoir été traversée par de l’anxiété avant même de la rencontrer. Et en une semaine il y a de
l’enthousiasme, de la colère, de la peur, de la joie, de l’espoir, de la surprise, et de la tristesse
profonde. Un an après, ces émotions étaient encore présentes à la relecture. Et je me demande :
Dans quelle mesure, et comment ces états ont-ils pu influencer le cours des choses durant cette
semaine avec Inès et sa famille ? Quels impacts, quelles interactions ont pu être en jeu entre mes
états internes et ce qui s’est joué ? Dans quelle mesure mes interventions sont-elles réellement
guidées par les données ?

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C’est en m’appuyant principalement sur le journal de bord tenu au cours de cette semaine
d’immersion au domicile d’Inès que je vais étudier la question des interactions entre émotion et
activité. Après avoir exposé quelques notions de base d’ABA, je vous proposerai quelques notions
issues de mes recherches au sujet des émotions. Puis nous plongerons au cœur d’une situation
réelle pour tenter de mettre en lumière les phénomènes d’interactions émotion-activité et d’en
saisir les mécanismes à l’œuvre.

3. L’ABA : de quoi s’agit-t-il ?

3.1 Définition

3.1.1 L’ABA : une science naturelle appliquée

La science est difficilement définissable, nous nous baserons donc sur une définition
communément acceptée, regroupant la majorité des critères généralement admis comme
constituant les bases de la science :

La Science, dont l’étymologie scientia signifie connaissance, constitue l’ensemble des savoirs issus
de l’étude et de la pratique, tentant de rechercher, d’expliquer les phénomènes du monde par des
liens de causalité (lois, principes), et notamment par des méthodologies basées sur l’observation,
l’expérience, les hypothèses et la déduction. La Science s’oppose donc à priori aux opinions, aux
idées arbitraires, aux croyances et interprétations personnelles, elle recherche une vérité absolue,
qui traduirait un déterminisme universel.

Bien que la Science tente d’expliquer l’universalité des phénomènes, actuellement, elle est
majoritairement élaborée, construite de façon fragmentée, divisée en différentes disciplines
qualifiées de sciences au pluriel. Ces sciences se regroupent et s’opposent en différentes
catégories : selon leur champ d’étude (sciences formelles, sciences physiques, sciences de la vie,
sciences humaines) ; selon leur finalité (sciences fondamentales, sciences appliquées) ; selon leur
approche (science naturelle, science sociale).

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Les objectifs de la science seraient donc de permettre la prévision et le contrôle de phénomènes du
monde naturel, en se basant sur des connaissances, des concepts étudiés et démontrés de façon
systématique.

Prenons un fait A, qui serait dépendant d’une variable que nous appellerons B.

La prévision permettrait d’évaluer l’existence d’un fait au regard d’autres variables, desquels
dépendraient le fait évalué : étant donné que B, quelle serait la valeur de A ?

Le contrôle permettrait de créer le phénomène A, par la manipulation de la variable B.

Par exemple : le fait A est « l’eau boue ». la variable B est « la température de l’eau ». Au vu des
connaissances que nous avons aujourd’hui sur le phénomène d’ébullition de l’eau (eau seule, en
basse altitude !), nous pouvons prédire que si l’eau est à 60°C elle ne boue pas, et nous pouvons
avoir le contrôle sur son ébullition en élevant sa température à 100°C.

Idéalement, les sciences appliquées permettraient donc l’utilisation de savoir fondamentaux pour
le développement de technologies / de techniques qui bénéficieraient à l’humanité.

L’analyse du comportement s’inscrit dans la catégorie des sciences dites naturelles (comme la
physique, la chimie, la biologie) : Elle étudie les comportements comme des phénomènes naturels
biologiques, utilise l’observation directe et la mesure empirique de ces phénomènes ou de leur
produits permanents (conséquences mesurables), et manipule des variables spécifiques en
contrôlant des facteurs externes.

L’analyse du comportement étudie les relations fonctionnelles entre les comportements et les
événements environnementaux (voir plus bas), et l’analyse appliquée du comportement
correspond à l’application des principes et lois du comportement découverts par la recherche dans
des situations naturelles.

3.1.2 Les fondements philosophiques de l’ABA

L’ouvrage fondamental de l’analyse appliquée du comportement de Cooper, Heron, & Heward


(2007) détermine les fondements philosophiques de l’ABA ainsi : « Determinism as its fundamental
assumption, empiricism as its prime directive, experimentation as its basic strategy, replication as

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its necessary requirement for believability, parsimony as its conservative value, and philosophic
doubt as its guiding conscience”. Développons ici ces notions.

- Le déterminisme correspond aux idées selon lesquelles l’univers est un endroit ordonné, régi par
des lois , et tous les phénomènes arrivent comme résultant d’autres événements.
D’après l’analyse du comportement, le comportement est régi par des lois, il est fonction de
conditions génétiques et environnementales : il n’y a pas de hasard, tous les comportements sont
déterminés par les prédispositions génétiques, physiologiques, leurs historiques (expériences
passées), et les situations en cours dans le présent.

- L’empirisme : Les comportements sont observés de façon objective, décrits et mesurés de façon
précise. Il existe différentes mesures du comportement, elles sont définies selon l’intérêt qu’elles
présentent (durée, latence, fréquence, temps écoulé entre les réponses). Les comportements sont
étudiés selon une approche scientifique qui comprend l’expérimentation et la réplication.

- Expérimentation : L’expérimentation consiste en la manipulation systématique d’une variable


environnementale tout en mesurant les effets sur un ou plusieurs comportements, tout en tentant
de contrôler les variables externes.

- Réplication : Il s’agit de répéter une partie de l’expérience, ou la même expérience tout en variant
des conditions spécifiques comme les participants ou les contextes… Ceci permet de confirmer
l’impact de la modification environnementale sur le comportement, et permet de s’assurer de la
fiabilité de l’intervention.

- Parcimonie : La posture de parcimonie « exige que toutes les explications simples et logiques des
phénomènes d'intérêt soient écartées expérimentalement avant que des explications plus
complexes ou abstraites ne soient envisagées »

Il s’agit ici de voir les comportements et environnements comme des phénomènes interdépendants
répondant à une logique qui est à considérer en priorité. La prise en compte de phénomènes non
observables est à envisager si aucune analyse comportementale fiable n’est réalisable.
La parcimonie correspond également à l’idée que nos actions et efforts investis doivent être
minimisés autant que possible (éviter les pertes de temps, simplifier autant que possible les
interventions dans la formation des participants, le matériel à disposition…)

- Le doute philosophique, ou scepticisme : Il s’agit de conserver un regard qui réinterroge


continuellement la vérité de ce qui est considéré comme des faits, garder un esprit ouvert,
conscience que notre niveau de connaissances actuelle est amené à grandir, que ce que nous
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considérons aujourd’hui comme des connaissances ne sont que des bribes de vérité en cours de
découverte. Il s’agit de garder une certaine forme d’humilité, ou de détachement face à nos
croyances, de ne pas avoir de certitudes.

3.2 Concepts de base de l’ABA

3.2.1 Comportement et Environnement

Dans la littérature spécialisée, le comportement est défini comme suit:


“Behavior is the movement of an organism or its parts in a frame of reference provided by the or-
ganism or by various external objects or fields” (Skinner, 1938).
“The behavior of an organism is that portion of the organism’s interaction with the environment
that is characterized by detectable displacements in space through time of some part of the organ-
ism and that results in a measurable change in at least one aspect of the environment.”(Johnston
& Pennypacker, 1980)
“Behavior is that portion of an organism’s interaction with its environment that involves movement
of some part of the organism.” (Johnston & Pennypacker, 2009)

Nous pouvons définir un comportement selon les 5 critères suivants :


- Un comportement est émis par un organisme vivant biologique, il ne peut être émis par un
organisme mort. Ainsi, fermer les yeux par exemple est un comportement, alors que maintenir les
yeux fermés n’en est pas un.
- Un comportement crée un certain mouvement. Par exemple, le fait d’inspirer entraîne un
déplacement de l’air qui entre dans les narines, se déplace jusqu’aux poumons, se transforme, et
oxygène l’ensemble du corps.
-Un comportement est observable, par un individu extérieur, par l’individu lui-même, par une
machine… Le fait d’inspirer calmement sera par exemple difficilement perceptible par un individu
extérieur à celui-là même qui inspire, mais reste un comportement observable par l’individu lui-
même ou par une machine.
- Le comportement est mesurable. On peut choisir de mesurer le comportement de différentes
façons. Reprenons le cas de la respiration : Nous pourrions mesurer la fréquence des inspirations

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(combien d’inspiration / minute), nous pourrions mesurer sa durée (nombre de
secondes/inspiration), ce que nous appelons l’« inter-réponse » : la durée écoulée entre 2
inspirations, son intensité ou sa force (volume d’air inspiré/seconde)
- Le comportement s’inscrit dans une interaction avec l’environnement. Si l’on reprend l’exemple
de la respiration : l’air qui est inspiré entre dans l’organisme, y circule, s’y transforme, et est rejeté
sous une forme différente. Le corps ayant consommé cet air s’en retrouvé oxygéné, modifié. Il y a
là une interaction entre un organisme et une partie de son environnement. L’environnement
modifie le comportement, et le comportement modifie l’environnement.

L’environnement est un terme général. Il se situe à l’intérieur et à l’extérieur d’un organisme


vivant. “The skin is not that important as a boundary.” (Skinner, 1963). “This includes any physical
event or set of events that is not part of a behavior and may include other parts of the organism.”
(Johnston & Pennypacker, 2009)

L’environnement est composé d’une multitude de stimulations qui affectent l’organisme. Certaines
stimulations peuvent être visibles (la lumière s’éteint), d’autres non (la faim, une odeur…). Certains
éléments de l’environnement vont affecter le comportement, d’autres non.

Certains comportements sont publics, d’autres privés : Les comportements publics sont
observables par un autre être humain ou par une machine, alors que les comportements privés ne
sont observables que par l’individu lui-même. Exemple : un homme s’assoit sur un banc et lit un
livre.
Nous pourrons observer à l’œil nu le comportement « s’asseoir », « prendre et ouvrir un livre » et
« observer les pages du livre ». Un eye-tracker (machine permettant de détecter le regard et sa
trajectoire) permettra de déterminer quelle zone du livre est regardé précisément. En revanche, le
comportement « lire » n’est observable que par l’individu lui-même, il s’agit d’un comportement
privé.
Le terme « événement privé » est plus large et inclut les comportements actifs privés ainsi que les
événements environnementaux privés (ressentis corporels, sentiments, imagination, réflexion).

Les comportements conditionnés sont appris, ils sont le fruit de l’expérience des interactions
passées entre comportement et environnement au cours de l’histoire d’un individu. Les
comportements inconditionnés sont purement liés à notre condition biologique. Certains
comportements inconditionnés peuvent devenir conditionnés par l’expérience.

18
L’ABA utilise l’impact de l’environnement sur le comportement pour modifier ce dernier, en
intervenant directement sur l’environnement, en antécédent et/ou en conséquence du
comportement ciblé.

3.2.2 Les antécédents : Stimuli Discriminatifs et Opérations de


Motivation

Un antécédent est une modification de l’environnement intervenant avant la présentation d’un


comportement. Les antécédents sont : les Stimuli Discriminatifs (SD) et les Opérations de
Motivation (MO)

Les Opérations de Motivations sont des états internes qui influencent la présentation ou la non-
présentation d’un comportement.
Exemple :
- Je viens de manger très salé. Je vais très probablement m’engager dans un comportement qui
visera à me désaltérer car ma sensation de soif devient importante.
- Je n’ai pas mangé salé et j’ai bu suffisamment d’eau au cours de la journée. Je n’ai pas soif. Je ne
vais probablement pas m’engager dans un comportement visant à boire. Je vais plutôt me laisser
guider par ce qui est important pour moi dans l’instant : Me divertir par exemple, si je suis dans une
situation d’ennui.
Les opérations de motivations peuvent être dirigées vers l’obtention / l’ajout de quelque chose : Si
je veux avoir de l’argent sur mon compte en banque je travaille (si tel est le schéma comportemental
acquis au cours de l’expérience).
Elles peuvent également être dirigées vers l’échappement / l’évitement de quelque chose : Si j’ai
mal aux dents je prends un comprimé (si l’expérience a auparavant été faite qu’un comprimé était
efficace pour éviter la douleur).

Les Stimuli Discriminatifs sont des éléments de l’environnement qui favorisent ou non la
présentation d’un comportement, en lien avec les opérations de motivation en cours. Ils peuvent
indiquer
- la disponibilité d’une conséquence potentielle. Exemple : une table vide au restaurant indique que
19
si je demande au serveur une table, il en aura très probablement une à me proposer.
- la non-disponibilité d’une conséquence potentielle. Exemple : un écriteau « réservé » sur la seule
table vide du restaurant indique que si je demande au serveur une table, il n’en aura probablement
pas à me proposer.
Encore une fois, l’expérience façonne/conditionne les SD. Dans le cas de la table de restaurant,
l’expérience m’aura peut-être appris que la vue de la table vide n’indique absolument pas sa
disponibilité pour manger, si je me trouve en dehors des heures de service par exemple. Elle m’aura
peut-être appris que dans tel restaurant je peux manger tout au long de la journée, alors que dans
un autre non. La vue d’une table vide dans le 1er et le 2e restaurant n’aura donc pas le même effet
sur mes comportements. C’est encore une fois les expériences passées qui auront conditionné la
« valeur » de la vue de la table vide dans telle ou telle situation.

3.2.3 Les conséquences : Renforcement, Punition, Extinction

Ces termes qui peuvent à priori comporter des connotations nombreuses sont ici simplement à
comprendre comme concepts fondamentaux de l’ABA :

Le Renforcement est une conséquence (modification dans l’environnement) qui augmente ou


maintient le comportement, ou une de ses caractéristiques (fréquence, durée, force, …) dans le
futur. Exemple : je constate que mon enfant s’endort paisiblement après avoir lu une petite histoire
de 5min au moment du coucher. Si je suis motivée pour que mon fils s’endorme (MO), et que des
livres sont disponibles (SD) à l’avenir je lui proposerai à nouveau ce petit moment de lecture avant
le coucher. La conséquence expérimentée (endormissement rapide de mon enfant) aura augmenté
les probabilités pour que dans des circonstances similaires le comportement émis dans cette
situation (lire une histoire) soit reproduit. Le comportement « lire une histoire » augmente en
fréquence : il est renforcé.

Le renfoncement peut être


- positif (un élément de l’environnement est accentué ou ajouté) : j’appelle mon amie et elle
décroche. Je peux lui parler, lui demander les informations qui me manquent. Sa voix, ses
informations s’ajoutent à l‘environnement. Dans une situation similaire, je l’appellerai à nouveau.
- négatif (un élément de l’environnement est amoindri, ou éliminé.) : j’ai la migraine, la musique me
provoque des douleurs. J’éteins le poste de radio. La musique disparaît, ma douleur diminue. Dans
20
une situation similaire j’éteindrai probablement le poste de musique. Le comportement est
renforcé par l’atténuation de la douleur.

A l’inverse, la Punition est une conséquence (modification dans l’environnement) qui fait
disparaître le comportement, ou diminue une de ses caractéristiques (fréquence, durée, force, …)
dans le futur.
Ex : En arrivant à un feu orange, j’accélère. Je reçois par la suite une amende et je perds des points.
A l’avenir, dans des conditions similaires je n’accélérerai pas. Le comportement « accélérer » en
présence du feu orange (SD) est diminué en fréquence, ou disparaît : il est puni par la conséquence
« amende et retrait de points »
De même que le renforcement, la punition peut être
- positive : un élément de l’environnement est accentué ou ajouté. La réprimande est un bon
exemple de punition positive, si elle entraine une diminution du comportement qui l’a précédée.
- négative : un élément de l’environnement est amoindri, ou éliminé. Exemple : Je vole un groupe,
et je suis isolée. L’accès au groupe m’est retiré. A l’avenir, si le fait d’être isolée constitue une
conséquence punitive pour moi, je ne volerai probablement pas ce groupe.

C’est bien l’effet produit sur le comportement dans l’avenir qui permet de définir si une
conséquence a été renforçante ou punitive, et non l’intention de celui qui émet la modification
environnementale : une réprimande pourra se vouloir punitive, mais elle pourra avoir un effet
renforçant ou neutre si le comportement réprimandé est maintenu, ou augmente suite à cette
réprimande.
Exemple : un enfant renverse systématiquement l’ensemble des pièces d’un puzzle au lieu de les
ranger, lorsque sa mère le lui demande. Sa mère, exaspérée, le réprimande (pensant qu’à l’avenir il
préférera ranger) et finit par l’aider à ranger. On observe que le comportement de l’enfant ne se
modifie pas : il continue de renverser les pièces du puzzle au moment de ranger. La conséquence
qui se voulait « punitive » (faire diminuer un comportement) est en fait renforçante : l’enfant
obtient une attention et une aide qui maintiennent la présentation systématique de ce
comportement avec sa maman.
De même qu’une tentative de renforcement peut s’avérer punitive : un professeur interroge un
élève. L’élève donne une réponse très satisfaisante pour le professeur, qui valorise cet élève devant
ses camarades « Pierre a bien appris sa leçon, sa réponse est excellente ! Bravo Pierre ! » A la
récréation, Pierre subit les moqueries de ses camarades « le chouchou du prof !!! bravo Pierre,
21
excellent ! ». La fois suivante, quand le professeur interroge Pierre, celui-ci feint de ne pas connaître
la réponse. La valorisation sociale se sera finalement avéré être une conséquence punitive au
comportement « répondre correctement à la question du professeur »

L’extinction est un procédé selon lequel une conséquence renforçante qui était autrefois délivrée
ne l’est plus du tout. Elle va avoir un effet particulier sur le comportement : suite à la non-délivrance
du renforçateur (de la conséquence renforçant le comportement), le comportement va dans un
premier temps augmenter fortement, et varier en forme (c’est ce qu’on appelle le pic d’extinction)
avant de diminuer à son niveau le plus bas jusqu’à parfois disparaître.
Exemple : Si je veux allumer la télé, que la télécommande ne marche pas du premier coup, mon
comportement d’appuyer sur les boutons va augmenter : je vais essayer encore une fois, peut-être
2 ou 3, en appuyant bien fort sur les touches, en retirant et en remettant les piles, en ajustant mon
angle de tir vers le capteur de la télé… et puis si rien ne se passe, je vais arrêter d’appuyer sur les
boutons. Dans l’hypothèse où aucune réparation / arrangement n’était possible, je ne toucherai
probablement plus au bouton de cette télécommande.

3.2.4 La fonction comportementale, une base de travail en ABA

La contingence à 4 termes est le schéma « SD – MO → Comportement → Conséquence » que l’on


retrouve dans toutes les situations comportementales. Elle donne la fonction comportementale.
Comme vu plus haut, d’après les recherches en Analyse du Comportement, un comportement
opérant (non réflexe, appris par les expériences) est émis selon ses antécédents (SD et MO) et selon
son historique d’expérience (renforcement, punition, extinction) passé. Il n’est jamais émis « par
hasard », il est appris/conditionné et répond à une fonction.

La fonction du comportement répond à la question : Pourquoi ce comportement est émis ?


C’est-à-dire :
- Quels sont les antécédents (SD, MO) qui évoquent le comportement ?
- Quelles sont les conséquences qui le maintiennent / renforcent ?
Elle définit l’ensemble des variables de la contingence à 4 termes comme un tout.
Elle constitue la base de travail de l’analyste du comportement : évaluer (comprendre pourquoi)
pour pouvoir intervenir (en définissant comment).

22
Prenons un exemple : En présence de sa maman (SD), et étant motivé à obtenir son attention (MO),
Caroline lui tire les cheveux (Comportement) pour que sa maman se tourne vers elle, la regarde, et
lui délivre de l’attention (Conséquence renforçante).
En tant que comportementaliste, cette analyse de la fonction comportementale permettrait de
projeter un plan d’intervention visant à permettre à Caroline d’accéder à l’attention de sa maman
en adoptant un comportement différent : Une procédure de renforcement différentiel mise en
place de façon systématique et répétée permettrait à Caroline d’expérimenter que :
- en tirant les cheveux de sa maman, rien ne se passe (pas d’attention délivré) : extinction
- en tapotant doucement l’épaule de sa maman (avec l’aide d’un intervenant formé à proposer une
aide gestuelle / imitative selon les possibilités de Caroline), sa maman se retourne, la regarde, et lui
délivre de l’attention : conséquence renforçante.
Au fil des essais expérimentés, Caroline essaierait probablement de tapoter l’épaule de sa maman,
avec de moins en moins d’aide de l’intervenant, jusqu’à y parvenir seule, car la conséquence
rencontrée (attention de sa maman) serait efficace au vu de sa motivation. Par ailleurs elle
« laisserait tomber » le comportement « tirer les cheveux de sa maman » car celui-ci serait devenu
inefficace, et elle aurait désormais un autre moyen de parvenir à ses fins.

3.3 Complexité des réalités humaines et comportementalisme radical

Il est important de garder à l’esprit que les concepts vus plus hauts ne constituent qu’une partie du
conditionnement des comportements. Les phénomènes complexes de généralisation, de
conditionnement de stimuli en tant que Stimuli Discriminatifs, la « loi du matching » qui illustre la
relativité du coût en effort acceptable par rapport à un renforcement potentiel (quantité, durée,
intensité…) et permet d’éclairer notre façon de faire des choix sont autant de concepts qui
nourrissent l’analyse comportementale.
Les comportements humains sont définis par une quantité innombrable d’expériences passées, un
même comportement peut répondre à plusieurs fonctions, et une même fonction peut être remplie
par plusieurs comportements. Certains comportements peuvent être simples et ne nécessiter
qu’une action (appuyer sur un interrupteur), d’autre sont plus complexes et vont demander
l’enchaînement de plusieurs actions… La plupart de nos comportements sont en réalité ce que l’on
appelle des chaînes de comportements : des séquences d’interactions environnement-
23
comportement dirigées vers une source de renforcement lointaine, elle-même soumise à des
variations de valeur dans le temps, au fil des expériences physiques et des conditionnements de la
pensée, des croyances...
En tant qu’humains, nos comportements peuvent être dirigés par des opérations de motivations
complexes, croisés, simultanés (états internes, physiologiques, émotionnels, croyances). Nous
sommes également traversés par des pensées qui impactent fortement nos comportements, et il
est intéressant de noter que d’après le comportementalisme radical, ces pensées et croyances sont
considérées comme comportements internes, répondant aux mêmes lois de conditionnement que
le reste de nos comportements.
C’est ainsi que certaines formes de thérapies par la parole comme l’ACT (Acceptance and
Commitment Therapy), visant à traiter des troubles anxieux, phobies entre autres, se basent sur les
concepts issus de l’analyse comportementale (discrimination, généralisation, pairing, théorie des
cadres relationnels…) pour accompagner des personnes engagées dans un processus de thérapie à
modifier leurs pensées et croyances limitantes, ainsi que les émotions qui les accompagnent.

4. Cadre conceptuel : Émotions et activité : quels liens ?

Nous faisons tous chaque jour l’expérience d’émotions plus ou moins fortes, plus ou moins
conscientes, plus ou moins agréables, plus ou moins complexes… Nous parlons de « ressentir » de
la colère, de la joie, de la culpabilité... nous nous « sentons » affecté, troublé, enthousiaste,
vulnérable… Dans le langage commun, émotion et sentiments se mêlent aux situations vécues, au
contexte présent, parfois nous pouvons relier une émotion présente à un souvenir passé… Les
émotions font partie de notre vie quotidienne, et bien souvent, dans le contexte du travail, elles ont
peu « leur place », et on préférera éviter de trop s’attarder à les écouter, les considérant comme
entravant notre « productivité ».

Tentons ici de définir les émotions et d’avoir un aperçu de leurs interactions possibles avec notre
activité, à la lumière d’apports théoriques des penseurs de notre temps :

24
4.1 Les Émotions

4.1.1 Définition

L’émotion, dont la racine étymologique ex movere nous indique déjà les notions de « hors de » et de
« motion, mouvement ». L’émotion est un phénomène en constante évolution chez l’individu qui la
vit, elle se manifeste selon son histoire passée et les conditions environnementales présentes.

Jean Pierre Marmonier (2015) définit l’émotion comme « un ensemble de réponses chimiques et
neuronales de l’organisme face à son contexte » : Afin d’assurer sa survie et de maintenir un état
d’adaptation à son environnement, l’organisme réagirait biologiquement spontanément, sans
contrôle décisionnel.

Antonio Damasio (2010) explique également que les émotions se jouent « sur le théâtre du
corps ». Le milieu interne, viscéral, lymphatique, sanguin, respiratoire, musculaire… sont à l’œuvre
lorsque nous « ressentons » une émotion. Il compare les émotions à ce qu’il appelle « la machine
homéostatique », ou « la régulation automatisée de la vie » : En fonction de nos émotions, nous
mettons en place des stratégies de survivance. Cela signifie qu’elles impactent de manière
biologique nos actions et nos réactions.

Avoir la boule au ventre, le cœur qui bat la chamade, trembler comme une feuille… sont autant
d’expressions qui décrivent l’émotion pour ce qu’elle est : un phénomène physiologique qui se met
en place suite à la confrontation à un élément bien particulier.

Damasio (2005) appelle cet élément un Stimulus Émotionnellement Compétent, ou SEC. Il


explique que l’objet émotionnellement compétent peut être réel ou remémoré, présent ou
absent :Le stimulus peut être perçu par l’organisme via un ou plusieurs de ses sens mais il peut
également s’agir d’un stimulus faisant appel à une pensée, une lecture, un souvenir, une
représentation mentale… C’est ainsi qu’à la relecture du journal de bord écrit 2 ans auparavant, j’ai
pu ressentir à nouveau du stress, de la joie, de la tristesse. Le cœur qui se serre, les poils qui se
hérissent, les larmes aux yeux...

Lorsque l’émotion est générée par les souvenir, le SEC est associé à une expérience de

25
situation/émotion passée et sa présentation à un instant t évoque une émotion sans lien avec la
réalité du contexte présent.
Par exemple : je repasse devant un hôpital dans lequel j’ai vécu des moments de grand stress. A la
vue du bâtiment, mon rythme cardiaque s’accélère et je sens ma gorge se nouer. L’émotion
présente est le résultat du conditionnement émotionnel (Damasio, 2005) passé, elle n’a aucun lien
avec le contexte actuel.
Cependant, pour être plus précis, il faut noter que cette émotion conditionnée est également liée
à des représentations mentales, à des idées, des pensées. C’est donc le moment d’évoquer la
question des sentiments.

4.1.2 Émotions et sentiments

Si les émotions se jouent sur le théâtre du corps, les sentiments, eux, se jouent sur le théâtre de
l’esprit. Ils sont en réalité ce que l’on peut appeler « l’idée du corps », la représentation mentale, la
pensée associée à l’émotion (Marmonier, 2015).

Si dans l’absolu l’émotion pourrait être observable à l’œil nu ou à l’aide de machines très
sophistiquées qui mesureraient le niveau d’hormones libérées, la quantité de sueur produite, la
dilatation des pupilles, et autre micro-contractions musculaires… le sentiment, lui, ne pourrait être
observable que par celui qui le vit, qui le perçoit, car il appartient au domaine de la pensée. Nul ne
peut observer directement le sentiment d’autrui. En ce sens, au regard de l’analyse appliquée du
comportement, l’émotion serait ce qu’on appellerait un « comportement public », et le sentiment
un « événement privé ».

Dans Spinoza avait raison, Damasio (2005) explique que « les émotions précèdent les sentiments »
selon le principe d’emboîtement. C’est à dire que les émotions traversées par le corps seraient
traduites par la pensée, représentées par des idées, que l’on appellerait sentiments.

Il est intéressant de noter que bien qu’on ne puisse observer un sentiment, on peut en observer les
manifestations émotionnelles, car si l’émotion produit le sentiment, le sentiment produit
également de l’émotion ! Damasio parle d’un « réseau où pensées et émotions se stimulent et se
déclenchent dans les deux sens ».

Par exemple, j’ai le souvenir d’un moment de rire et d’amour (sentiment) associé à une chanson
particulière (SEC). En entendant cette chanson par hasard à la radio, les souvenirs de ce moment
26
vont me revenir en mémoire, et dans le même temps, je vais me sentir très détendue et joyeuse
(émotion) : probablement que des hormones d’ocytocine auront été libérées par mon organisme.

4.1.3 Tentative de classification

Au vu de la complexité, des innombrables différences de degré, d’intensité, de mélanges,


d’interactions que peuvent constituer les émotions, il paraît aujourd’hui impossible de créer une
classification exhaustive et figée des émotions. Damasio (2005) explique « bien que les
classifications et catégorisations soient manifestement inadéquates, il n’y a pas d’autre solution
dans l’état actuel de nos connaissances. Lorsque nous en saurons davantage, il est probable que
catégorisations et classifications changeront. En attendant, nous ne devons pas oublier que les
frontières entre catégories sont poreuses. »
Cependant, nous relèverons 2 types de classifications proposées par les grands penseurs de
l’émotion de ces dernières décennies, à titre d’éclairage quant aux différentes façons dont nous
pouvons les envisager.

Dans les années 1980, Robert Plutchnik a proposé « la roue des émotions » comme modèle de
compréhension des différentes émotions.
Il suggère qu’il existe 4 émotions primaires : peur, tristesse, colère joie.
A ces 4 émotions primaires, une réponse cognitive est associée, constituant les émotions
secondaires : la joie serait associée à la confiance, la peur à la surprise, la tristesse au dégoût, et la
colère à anticipation.
Déclinées en diverses intensités (du plus intense au centre vers le plus léger aux extrémités des
branches) chaque émotion de base aurait une émotion « opposée » que l’on retrouve en face dans
le schéma (l’extase s’opposerait au chagrin, l’admiration à l’aversion etc.).
Il explique que les « combinaisons » d’émotions constitueraient des états émotionnels « avancés »,
eux même opposés à d’autres états émotionnels avancés. Ainsi, la joie et la confiance résulteraient
en l’amour (opposé du remords), la colère et l’anticipation résulteraient en un état d’agressivité
(opposé à la crainte).

27
Ce modèle est aujourd’hui considéré simpliste : les sentiments et émotions y sont mentionnés de
façon indifférenciée, et beaucoup de notions sont absentes de ce modèle comme la pitié, le mépris,
la honte, la jalousie, l'amertume, l'humiliation, la méfiance, l'embarras, la gratitude... Toutefois, il a
la qualité de nous permettre de nous représenter de façon schématique une infime partie des
nombreuses interactions et nuances existant au sein des émotions, et peut nous laisser entrevoir
qu’elles constituent des phénomènes dynamiques et interdépendants.

Plus récemment, Damasio (2010) a proposé une classification des émotions selon 3 catégories : les
émotions d’arrière-plan, les émotions primaires, et les émotions secondaires (ou sociales).
- Les émotions d’arrière-plan seraient « notre état d’être », résultant de la combinaison de
nombreux processus régulateurs à l’œuvre dans les branches inférieures du schéma de l’arbre
exposé plus haut (processus homéostatiques de base, comportement de douleur et de plaisir,
appétits). Elles constituent des états comme l’énergie, l’enthousiasme, le malaise, l’excitation,
l’énervement, le calme…

28
- Les émotions primaires sont les émotions les plus basiques que l’on retrouve chez tous les êtres
humains et espèces animales, que l’on retrouve dans toutes les cultures et époques : peur, colère,
dégoût, surprise, tristesse, bonheur. Ce sont les émotions qui sont clairement définissables. En tant
qu’intervenante éducative auprès de personnes autistes (qui ont justement des difficultés à
percevoir les émotions de leurs pairs), un exercice couramment employé consiste à enseigner la
reconnaissance des traits du visage d’une personne triste, en colère, surprise… car chacune de ces
émotions peut être associée à des expressions faciales reconnaissables.
- Les émotions sociales (qui par principe d’emboîtement comportent également des émotions
primaires, et autres processus homéostatiques de base) ont rapport avec l’autre, avec le groupe,
avec la société. Elles ne sont pas spécifiques uniquement aux humains, on peut supposer qu’il s’agit
en partie de comportements innés non conditionnés (inscrits dans le génome de l’espèce), mais
peuvent l’être et se nourrissent alors de la culture, des valeurs du groupe référent, de
l’apprentissage par imitation, de l’exposition antérieure à l’environnement et à l’expérience qui en
a résulté. Les émotions sociales sont par exemple l’orgueil, la jalousie, la fierté, la sympathie,
l’embarras.

4.2 Émotions et activités : quels liens ?

L’émotion vient colorer et influencer l’ensemble de notre activité : elle prend racine dans notre
mémoire cellulaire, s’inscrit dans notre corps, modifie la perception de notre environnement, de
nos pensées, de notre jugement, nous pousse à agir dans un sens ou dans l’autre, nous
accompagne. Elle impulse l’activité et la guide, tout en se laissant elle-même transformer au cours
de l’expérience. Nous tenterons ici d’exposer un aperçu des liens existants entre émotion et choix,
rationalité, empathie, motivation, jugement, pensée…. Tout en gardant à l’esprit que ces différents
domaines sont reliés entre eux de façon multiple et complexe.

4.2.1 Émotions et prises de décisions en contexte de risque

« Lorsque quelqu’un prend une décision, il ne se sert pas seulement de sa raison


ou de ses connaissances. Il a aussi besoin de ses émotions pour guider son choix »
(Damasio, 2014)

29
« La volonté n’est que l’autre nom de la démarche consistant à choisir en fonction
d’un objectif à long terme plutôt qu’en fonction d’un objectif à court terme. »
(Damasio, 2010)

Loewenstein & all. (2001) expliquent que dans des situations à risque, nos choix sont orientés par
les émotions qui nous traversent au moment d’agir sur deux plans simultanés :
Lorsqu’une situation à risque se produit, des émotions anticipatrices nous avertissent des dangers
imminents, alors que des émotions anticipées nous laissent entrevoir des émotions à venir après
la réalisation de notre action.
Dans l’exemple d’une personne qui serait face à une situation de noyade imminente, le choix de se
jeter à l’eau pour tenter de sauver la personne en détresse sera fait ou non selon sa peur de la
situation à traverser (risque de se noyer aussi, émotion anticipatrice) et sa satisfaction à venir (avoir
sauvé la personne en détresse, émotion anticipée).
Dans le cas d’un bon nageur entraîné à intervenir en situation de noyade, la peur de se noyer aussi
sera moindre et la décision de se jeter à l’eau sera prise plus facilement que dans le cas d’un nageur
inexpérimenté n’ayant jamais réalisé ce type d’intervention. Le lien d’attachement entre le nageur
et le noyé potentiels impactera également la décision : s’il s’agit d’un enfant à l’eau, même si sa
mère est inexpérimentée, il y a de grandes chances pour qu’elle tente dans un geste désespéré de
sauter pour tenter de sauver son enfant.
Ce sont les émotions qui s’inscrivent dans notre corps au moment de prendre la décision qui
orientent notre décision. Voyons ceci avec la théorie des marqueurs somatiques.

4.2.2 Les marqueurs somatiques : l’émotion au cœur de la raison

« Si je prends des décisions rationnelles, c’est parce que je ne parviens pas à ne pas mettre en œuvre
les décisions non rationnelles. Et cela est permis grâce à l’activation corporelle des marqueurs
somatiques émotionnels. Ainsi, les émotions et es marqueurs corporels associés sont loin d’être cette
force chaotique et désorganisatrice. Les données de la neurobiologie nous poussent plutôt à les
considérer comme un principe organisateur, nous accompagnant dans nos prises de décisions et
facilitant certains processus cognitifs. »
(Belzung, 2017)

30
Damasio (2010) nous explique la théorie des marqueurs somatiques selon laquelle le système de
raisonnement est une extension du système émotionnel automatique.
Les marqueurs somatiques sont des signaux d’alarme automatiques permettant de rejeter des
options ou s’orienter vers des options selon ressenti corporel. Ces circuits poussent les individus à
se comporter d’une certaine manière, consciemment ou non, pour assurer leur préservation. Pour
prendre es décisions entre plusieurs options, nous avons besoin d’associer à ces options des affects,
qui les rendraient désirables (plaisir) ou indésirables (douleur) : lorsque nous nous trouvons face à
une situation, consciemment ou non, nous ressentons des modifications corporelles agréables ou
désagréables selon les options envisagées. Ainsi, nous « sentons » quelque chose ou « ne le sentons
pas » et pouvons répondre rapidement aux stimulations de notre environnement en adoptant un
comportement adéquat.
Les marqueurs somatiques résultent de l ‘histoire individuelle et des interactions entre soi et
l’environnement. Ils accroissent la vitesse et l’efficacité du processus de décision.

« Lorsqu’un individu doit prendre une décision face à un événement nouveau, et donc faire un choix
entre plusieurs options, il ne fait pas seulement une analyse purement rationnelle. Il est aussi aidé par
les souvenirs qu’il a des choix antérieurs et de leurs conséquences. Et ces souvenirs contiennent des
composantes affectives, émotionnelles, de l’événement passé. »
(Damasio, 2014)

Prenons un exemple : une femme pète bruyamment dans un ascenseur. Quelqu’un demande en
riant « qui a fait ça ?! « . La femme pourrait répondre « c’est moi » mais elle est envahie de ressentis
corporels désagréables : elle a des palpitations, rougit, transpire… elle ressent de la honte, et en
une demi-seconde, elle répondra « c’est vrai quoi, qui a fait ça ? c’est dégueulasse ! ». Elle aura pu
réagir très rapidement, adopter un comportement qui lui assure la préservation de sa réputation,
sans avoir à analyser mentalement chaque paramètre du contexte, chaque réponse envisageable
et chaque conséquence potentielle. Les marqueurs somatiques ont accru la précision et l’efficacité
du processus de prise de décision.

Les marqueurs somatiques jouent également un rôle crucial dans le phénomène d’intuition qui
amène à une conclusion sans avoir conscience des étapes logiques qui y mènent.

31
Il est intéressant de noter que ces marqueurs somatiques sont étroitement liés au raisonnement
logique et à l’efficacité du traitement de l’information : ils permettent le fonctionnement logique
intuitif des individus.
Damasio (2010) a démontré que dépourvus de cette capacité que nous permettent les marqueurs
somatiques, nos actions deviendraient très lentes et inefficaces, notamment d’un point de vue des
interactions sociales.

4.2.3 L’empathie

« Si les neurones miroirs sont nommés ainsi c’est qu’ils sont à même de réfléchir différentes sortes
d’informations dans notre cerveau sous forme de « moteur ». Ces informations peuvent être de l’ordre
de l’émotion : il y a alors transformation des émotions de l’autre dans notre système central
émotionnel »

(Rizzolatti, 2014)

Lorsque nous entrons dans une pièce, nous pouvons en ressentir l’atmosphère qui s’en dégage.
Lorsque nous discutons avec une personne, nous pouvons percevoir une émotion poindre dans la
voix ou le regard. Et cela, sans avoir à y réfléchir, sans analyser mentalement les informations
perçues. Les neurones miroirs mettent les individus en relation, avec le monde, et entre eux. Dans
Rizzolatti (2014) nous dit « le phénomène des neurones miroirs permet une compréhension de ce
qui nous est étranger, de ce qui ne vient pas de nous, sans aucune médiation cognitive. ». Notre
perception de notre environnement est étroitement liée au ressenti physique et émotionnel dans
l’instant.

Les neurones miroirs sont impliqués dans l’empathie : Sans avoir à réfléchir à ce que l’autre ressent,
selon ses propres systèmes de croyances et son propre historique d’expériences, nous pouvons
approcher la complexe réalité émotionnelle de notre interlocuteur par le biais de notre propre
expérience sensorielle. Ainsi, nous pouvons détecter de la colère ou de la tristesse mais « En deçà
de la capacité à distinguer des émotions fortes, nos neurones miroirs nous offrent également la
possibilité de déchiffrer des émotions ou des gestes plus subtils » (Rizzolatti, 2014).

Ainsi l’empathie permet d’échanger, de coopérer, de se situer par rapport à son interlocuteur. C’est
un facilitateur de relation : « Il y a donc une reconnaissance naturelle d‘autrui, une manière aussi
32
d’être en contact avec lui » (Rizzolatti, 2014). Instinctivement, intuitivement, nous sommes en
contact sous une certaine forme, avec une certaine intention. Bien-sûr notre activité pourra se
teinter d’une certaine réflexion mentale, mais elle ira vers l’adaptation à ce contexte dont les
émotions ressenties font partie. Et les motivations se développent, se transforment…

4.2.4 Émotions et motivations

« Les émotions influencent les appétits et vice versa »


(Damasio, 2005)

Les émotions ressenties à un instant font dès lors partie de l’environnement sensoriel d’un individu.
Ces modifications physiologiques s’accompagnent de motivations conscientes ou inconscientes. Si
l’on ressent des sensations désagréables, nous aurons tendance à orienter nos actions vers la
diminution ou la disparition de ces sensations. Si l’on ressent des sensations agréables, nous aurons
tendance à tenter de maintenir ce niveau de stimulation dans la durée, ou à l’augmenter en
intensité. Nos sensations guident nos motivations : si j’ai la bouche et la gorge sèches, ma
motivation à boire sera grande alors que si je suis parfaitement hydratée je ne boirais probablement
que si l’on m’y invite. Au quotidien, nos alternatives envisagées sont chacune associée à des
motivations multiples. Selon la « Loi du Matching » (Cooper & all., 2007) (qui prend en compte le
coût de l’effort et la valeur du renforcement) lorsqu’un choix est posé, spontanément, notre
« balance interne » se met en marche et oriente nos actions selon notre motivation, elles-mêmes
nourries de nos émotions.

Un exemple : Je suis étudiante dans une vaste université, et à l’intercours je me sens stressés à
chaque fois que je passe par un certain couloir de l’établissement. Je vais donc probablement choisir
de l’éviter de prendre ce chemin si un autre trajet est possible. Mais si ce trajet s’avérait être
extrêmement long je préférerais probablement prendre le premier : je serai encore plus stressée de
ne pas arriver à l’heure au cours suivant. Dans le cas où j’aurais le temps de prendre le plus long je
le prendrais probablement, si le coût de l’effort du trajet était compensé par l’absence de stress. Si
toutefois le coût de l’effort du long trajet surpassait le stress causé par la traversée du fameux
couloir, j’opterai probablement pour le petit trajet au couloir stressant. Ceci dépendrait aussi

33
directement de la « valeur » du stress causé par la traversée, elle-même liée à une quantité
d’expériences passées, à des croyances, à une culture…

Nos émotions, influencées par une quantité innombrable de facteurs, influencent nos « appétits »
(Damasio, 2005) qui nous poussent à faire des choix à chaque instant, choix qui modifieront le cours
de notre expérience et de fait les émotions et appétits à venir…

4.2.5 Émotions et pensées

« Il y a une charge émotionnelle extrêmement importante qui accompagne et porte nos idées »
« la mentalisation est foncièrement un processus incarné, où la chair a plus que sa place »
(Fonagy, 2015)

Les émotions nous influencent grandement dans notre capacité de raisonnement par les
modifications physiologiques à l’œuvre et la modification de la perception du contexte qui les
accompagnent : Lorsque je suis sous le choc d’une mauvaise nouvelle, je peux oublier quelques
secondes tout ce qui se passe autour de moi ; lorsque je me sens en danger, je développe une
hypervigilance à tous les stimuli qui m’entourent ; lorsque je suis joyeuse, j’ai tendance à imaginer
que tout le monde partage ma bonne humeur. Mes émotions influencent mon acuité
attentionnelle, ma perception du contexte. Lorsque mes émotions, mes sensations sont plutôt
neutres, je peux me concentrer sur une tâche avec intensité et sur des périodes de longue durée,
en revanche si je me sens mal, ou surexcitée, je vais avoir du mal à me concentrer et à être
productive : je vais multiplier les oublis, les erreurs… mes émotions influencent mon efficience
mentale.

La capacité de raisonnement est donc influencée par les émotions, mais le contenu des pensées
également : c’est par l’expérience de l’émotion associée à une situation que se conditionne le
jugement. C’est encore par le biais du corps et des marqueurs somatiques que Damasio explique
comme le jugement d’une situation, d’un fait, d’un stimulus quelconque est dépendant de
l’expérience émotionnelle passée dans un contexte semblable : La perception des émotions
correspondrait à l’information sensorielle perçue à un instant t. Ceci juxtaposé à la perception d’un
objet extérieur, revêtirait alors cet événement d’une qualité bonne ou mauvaise en fonction de
34
l’information provenant du corps. Et comme l’expérience nourrit le jugement, le jugement nourrit
l’expérience à venir !

4.3 Pour le meilleur et pour le pire

Que ce soit de façon consciente ou inconsciente, les émotions font partie intégrante des processus
de raisonnement et de prise de décision. Elles sont en en interaction permanente avec nos pensées
et jugements. Elles s’inscrivent à la source de notre activité tout en définissant sa forme et sa
direction.
Émotion et raison vont de pair, et il est intéressant d’observer les liens inextricables qui les lient afin
de ne pas attribuer plus de valeur à l’une ou à l’autre, mais d’agir en conscience des phénomènes
d’interdépendance existant entre elles. Si l’émotion est nécessaire pour assister la froide raison, elle
peut également biaiser les perceptions, pensées et jugement d’une façon irrationnelle et pousser à
agir dans une direction des moins profitables.

Il reste donc primordial pour ne pas agir aveuglément sous l’influence d’une boucle auto-alimentée
d’émotion-sentiment-pensée-jugement d’utiliser notre logique pour vérifier l’adéquation des choix
que nous avons été poussés à faire sous l’influence des marqueurs somatiques car les états
somatiques peuvent être tant bénéfiques que nuisibles :« La participation indispensable de
l’émotion au processus de raisonnement peut être avantageuse ou néfaste selon à la fois les
circonstances de la décision et l’histoire passée de celui qui décide » (Damasio, 2010) Aussi,
rappelons que nous faisons l’expérience de nous-même et de l’autre, par l’activation des neurones
miroirs.

Pour permettre d’agir en cohérence et de façon rationnelle avec toutes ces sensations, une clé nous
est proposée par Peter Fonagy (2015) : celle de la mentalisation affective.
« c’est notre capacité de mentalisation qui va donner sens au monde qui nous entoure, à ces actes,
à ces pensées, ces vécus émotionnels qui se déroulent autour de nous. […] Elle est ce qui nous
permet de fonctionner en assumant pleinement notre part affective, cette part qui fait de nous des
êtres humains. La mentalisation repose sur deux systèmes, le premier dédié à la cognition, le
second lié à l’affect, mais seul l’équilibre de ces systèmes permet la mentalisation dite affective.

35
C’est en ce sens qu’il nous permet à la fois de penser, représenter nos émotions et d’éprouver, de
vivre nos pensées. »

C’est en ce sens que nous assistons depuis les années 1990 au développement du concept
d’intelligence émotionnelle, qui est l’habileté à percevoir et à exprimer les émotions, à les intégrer
pour faciliter la pensée, à comprendre et à raisonner avec les émotions, ainsi qu’à réguler les
émotions chez soi et chez les autres.

5. Cadre méthodologique

5.1 Posture

Nous allons étudier l’analyse de l’activité sous une forme engagée dans l’action : lors d’une semaine
d'immersion à domicile.

Au cours de cette semaine, la posture empruntée s’est naturellement modifiée au fil du temps :
dans une observation la plus neutre possible pour commencer (étape évaluation / analyse et mesure
des réalités comportementales) puis de façon progressivement plus engagée (propositions
multiples et progressives puis finalement mise en place d’un protocole exigeant).

Nous exposerons ici avec honnêteté et transparence ce que nous parvenons à retranscrire d’une
réalité complexe passée, d’une situation vécue et documentée, aidés par des mémoires corporelles
ravivées par la lecture du journal exploité pour l’élaboration de ce mémoire.

5.2 Les différentes traces d’activité récoltées

Nous nous appuierons principalement sur un journal de bord tenu lors de la semaine d’immersion,
dans lequel a été systématiquement noté un « bilan de la journée ». Les notes ont été rédigées le
plus souvent en arrivant à domicile après le trajet de retour (une heure en voiture passé à se

36
remémorer le cours de la journée). Les notes ont été écrites directement su ordinateur pour faciliter
le travail d’écriture, puis après avoir enregistré le document il n’a plus été modifié.

Il est également (rarement) arrivé de ne pas écrire à ce moment habituel, mais aussi le matin très
tôt chez Inès pendant qu’elle dormait, ou après un RDV de supervision en Visio.

Le journal de bord retrace les parcours que nous avons traversé, du point de vue de l’analyste du
comportement. Il traite des avancées dans les missions professionnelles, et de l’engagement
personnel émotionnel.

Le journal de bord n’est pas un outil couramment utilisé dans la pratique professionnelle de
l’analyste du comportement.

Nous avons relevé les passages qui révélaient explicitement des émotions, et ceux rappelant un
souvenir d’émotion à la relecture. Nous avons ensuite tenté de nommer les émotions, de définir
leurs origines personnelles (variables idiosyncratiques), leurs déclencheurs, et leurs effets sur la
suite de l’activité.

Un dossier constitué des mails, grilles d’évaluations, prises de notes, protocoles écrits constitue
une seconde partie des traces d’activités récoltées. Ces documents sont les traces d’activités
habituellement produites dans le cadre de la pratique professionnelle de l’analyste du
comportement.

5.4 Sélection et traitement des données exploitées

Nous avons sélectionné les données exploitées selon les émotions et sentiments évoquées à leur
contact : la relecture du journal de bord a déclenché de vives émotions, des souvenirs forts de
pensées-sentiments à l’œuvre à l’époque où cette intervention a eu lieu.

Nous avons donc naturellement choisi de laisser de côté les grilles d’évaluation, protocoles et
compte rendus écrits d’intervention, bien moins évocateurs émotionnellement parlant.

Nous avons repris l’intégralité du journal de bord, et avons dans un premier temps tenté de « trier »
les passages factuels neutres émotionnellement parlant, et les passages évoquant à la relecture
une émotion, ou un sentiment.

37
Nous avons ensuite découpé le texte en tentant d’en extraire des séquences : chaque séquence
correspond à une situation émotionnelle ainsi qu’à son contexte.

Précisons que les émotions centrales constituant chaque séquence sont celles de l’analyste du
comportement, et non celles perçues chez les membres de la famille, bien que naturellement, les
émotions des unes et des autres s’impactaient de fait.

Nous avons ensuite reporté ces passages dans un tableau afin de retrouver pour chaque séquence

- L’antécédent à l’émotion : le stimulus émotionnellement compétent ainsi que les séquences


passées qui pouvaient expliquer un lien de causalité entre le contexte et l’émotion, au vu de
l’expérience émotionnelle précédemment engramée.

- L’émotion-sentiment (tentative de les nommer) : dans le cadre de ce travail de mémoire, nous


n’insisterons pas sur la distinction émotion / sentiment. Aussi, le terme émotion pourra être
employé de façon générale pour évoquer les émotions et les sentiments qui y sont attachés.

- Son effet dans la suite des événements : l’activité liée à l’émotion. Il faudrait cependant compléter
chaque case « effet » par l’ensemble des données des séquences suivantes, car chaque situation
vécue a naturellement impacté les suivantes de façon plus ou moins directe.

Pour cela, nous avons fait appel au texte (éléments écrits, explicites), et également à des ressentis
et souvenirs pour compléter de façon intuitive, selon les souvenirs émotionnels ravivés par la
lecture du journal. Ces apports ont été reportés en italique dans le tableau, pour permettre un
traitement des données le plus transparent possible.

Nous avons considéré cette sélection de données comme une expérience dans laquelle nous avions
à cœur de mettre en lumière avec transparence la réalité subjective d’un vécu d’analyste du
comportement. Précisons que le traitement des données a été effectué avant de commencer à
étudier les concepts vus en partie « 4. Emotions et activité : quels liens ? »

Le découpage est donc davantage le fruit d’un travail intuitif et guidé par des habitudes d’analyses
comportementales que par les connaissances acquises lors de l’écriture du cadre conceptuel.

Le travail de découpage et de mise en séquence a été un exercice difficile : chaque séquence,


chaque émotion faisait appel aux séquences précédentes, mais aussi à une dizaine d’année
d’expérience de terrain, de connaissances théoriques, de pratiques automatisées... Il a donc
nécessité un effort de conscientisation, de décorticage qui reste évidemment très incomplet :
chaque séquence pourrait être développée de façon approfondie en mettant en lumière l’ensemble
38
des expériences passées qui auront conduit à tel ou tel ressenti à chaque instant, mais la réalité
humaine paraît ici impossible à retranscrire de façon exhaustive. C’est pourquoi ce tableau est
présenté et utilisé comme un outil extrêmement simplifié de l’expérience traversée.

Le tableau intégral de « relevé des émotions » se trouve en annexe, en voici un bref aperçu :

n° Date, Antécédent à l’émotion : que Émotion / Sentiment : Effets : qu’est-ce que


passage s’est-il passé, qu’est-ce qui a Qu’est-ce que je ressens ? cette situation a
déclenché l’émotion ? généré ?

21 29/10/2020 Séquence 20 – joie de la première « Mais quelle joie ! » Motivation : nouveaux


« quelques réussite du protocole « tout le monde était aux objectifs : former la
secondes Les sœurs d’I rentrent avec un sac anges » maman et les soeurs
plus tard… de nourriture « QuelleS victoireS »
ESPOIR » « tu peux en avoir mais il faut « c’était une journée pleine Demandé à K et la
d’abord t’habiller » de joies. ESPOIR » maman si elles veulent
Inès s’habille devant ses sœurs Sentiment d’une mission participer → obtention
Je les vois, choquées de voir I accomplie : les sœurs et la de leur adhésion « sans
répondre « elle comprend ! Elle maman perçoivent les une hésitation » / « petite
comprend ! » capacités d’I + elles sont réunion éclair »
« on dirait qu’elle a le seum, elle motivées à aller dans cette
m’en veut » direction :-)
Réussites du protocole Assurance +++
Joie
Espoir

22 30/10/2020 Routine du matin complétée de Je me sens au top !


« Ce matin façon fluide (aller à la douche). Je suis dans une dynamique
I dormait… Réussite habillage. de réussite, j’avance dans
tout allait Coopération sœurs « je lui ai mes objectifs, la lourdeur des
nickel » suggéré…ce qui a bien premiers jours me paraît loin
fonctionné » derrière.

23 30/10/2020 Crise d’Inès → crise des sœurs et Urgence Motivation : maintien du


« Et puis de la maman « il faut agir vite. Gérer la protocole en situation de
patatra...f Pensée « j’aurais dû tout de suite crise d’Inès, veiller à ce que crise.
ermer les arrêter la maman quand elle a personne ne soit blessé, et Je demande la
portes à demandé pour la fourchette » vite vite ranger l’alimentaire participation des sœurs
clé » qui traine, les couvertures, et de la maman.
fermer les portes à clé »

39
Nous avons ensuite choisi de concentrer notre attention sur 2 grands axes se dégageant de façon
récurrente de ce tableau afin de tenter d’en approfondir l’étude.

6. Résultats et discussion

6.1 Agressions, crises, peur, insécurité et expérience

Au cours de la semaine d’intervention, et avant même son commencement, la sensation de peur


était présente : la peur liée à mon insécurité dans les moments de crise ou d’agressions physiques
de la jeune Inès. Au fil du journal de bord, nous pouvons étudier la façon dont la peur agit sur
l’activité, et dont l’activité agit sur la peur :

6.1.1 La « première peur »

Séquence 1

C’est lors des échanges téléphonique préalables à l’intervention que je développe une sensation de
peur, d’anxiété (Annexe Relevé de Emotions, séquence 1): l’évocation du parcours institutionnel
lourd, de l’échec des prises en charges précédentes, des crises de violence qui ont conduit à une
hospitalisation pour sédater cette jeune fille, la description de sa corpulence et de sa force, la
conscience de ma propre corporalité (plutôt petite et mince) créent un assemblage d’idées qui me
projettent dans des situations futures potentiellement insécures.

Extrait du journal de bord, le 25/10 :

“On a une situation compliquée. Très compliquée. Si ça n’était pas compliqué je ne vous aurais
pas appelée” m’a-t-il dit. La jeune Inès a 18 ans. Elle est jusqu’à aujourd’hui internée en
hôpital psychiatrique, suite à des crises de violence ingérables dans son centre éducatif. »

40
n° Date, passage Antécédent à l’émotion : que s’est- Émotion / Effets : qu’est-ce que cette
il passé, qu’est-ce qui a déclenché Sentiment : situation a généré ?
l’émotion ? Qu’est-ce que je
ressens ?

1 25/10/2020 Échanges avec Edouard « situation Peur / Anxiété Préparation matérielle :


« on a une très compliquée » Pression « récolté quelques
situation informations …. sélectionné
compliquée, Premières informations récoltées sur « j’ai la sensation des domaines à évaluer …
très la situation de partir pour préparé mes fiches de cotation
compliquée … l’exploration d’un et trames de compte rendu …
Petit Prince » Beaucoup d’attentes des partenaires terrain miné . tout un tas de matériel »
qui me confient la mission Prêt à exploser à
tout moment » Etat d’esprit défini :
Conscience de mes capacités « pas très commencer par observation
physiques (agressions physiques rassurant » « le simple, puis intervention très
fréquentes) coeur à 1000 à progressive pour évaluer.
l’heure, la boule « j’ai prévu d’y aller tout
Expérience personnelle au ventre, et le doucement »
Intensité de la situation non besoin de me
habituelle préparer du Motivation : Préparer
mieux que je l’intervention !!!
puisse »

Nous pouvons ici remarquer que, comme Damasio (2005) nous l’indique, les objets
émotionnellement compétents peuvent être réels ou remémorés, présents ou absents : la
sensation de peur s’installe en l’absence d’Inès. Je ne l’ai encore jamais rencontrée, mais sa simple
représentation mentale (donc liée à mon imagination) suffit à déclencher l’émotion :

Extraits du journal de bord, le 25/10 :


« J’ai la sensation de partir pour l’exploration d’un terrain miné. Prêt à exploser à tout moment. »
« Depuis que je sais que je vais mener cette semaine d’immersion dans le monde d’Inès, je me réveille le matin
avec une pensée vers elle, le cœur à 1000 à l’heure, la boule au ventre »

41
Edouard -qui me transmet ces informations- occupe un poste à responsabilité dans le centre
régional pour l’autisme. Je le sais avoir une grande expérience dans le domaine de
l’accompagnement de personnes autistes. J’ai par le passé eu l’occasion de travailler avec lui autour
d’une autre situation similaire (développée plus bas) et sa posture professionnelle m’a inspiré un
grand respect. Dans mon esprit, les informations à son sujet et l’expérience de nos rencontres
passés en font un expert, dont l’expertise est nécessairement fiable et riche d’indications.

Comme nous le rappelle Damasio (2014), les marqueurs somatiques résultent de l ‘histoire
individuelle et des interactions entre soi et l’environnement : La valeur singulière attribuée à priori
aux propos d’Edouard est liée aux expériences et interactions passées, à une culture, à des valeurs,
elles-mêmes résultant de l’apprentissage par l’expérience.

Cette valeur conditionne l’impact émotionnel potentiel de ses propos : ils seront pris « au sérieux ».
Si la demande d’appel pour s’assurer que « tout va bien » était venue de ma mère, l’impact n’aurait
pas été le même ! La même information peut être reçue de deux personnes différentes, selon
l’historique des interactions passées entre les interlocuteurs (entre autres), sa perception et son
impact varient.

Lorsque j’ai perçu de l’inquiétude chez Edouard, mon sentiment d’insécurité s’est installé, ou a
grandi (je ne saurais plus dire aujourd’hui). Les neurones miroirs dont nous parlait précédemment
Rizzolatti (2015) ont transformé ma perception des émotions de l’autre en ma propre émotion :
inquiétude.

Extrait du journal de bord, le 25/10 :

Edouard m’a fait part de son anxiété et m’a demandé de lui téléphoner à la fin de la première
journée. Pas très rassurant…

Enfin, il semble que la peur résulte également de pensées. Exemple : la représentation de ma


propre corporalité comme étant vulnérable face à un gabarit représentant plus du double de mon
poids. Ici encore, une pensée construite sur des représentations mentales précédemment acquises
par transmission orale et par expérience. Nous retrouvons ici le principe d’emboîtement décrit par
Damasio, selon lequel pensées, sentiments et émotions s’interpénètrent dans un sens et dans
l’autre.

42
Dans cette situation où l’expérience réelle d’Inès n’est qu’imaginée à partir de discours et de
représentations mentales précédemment acquises, nous observons un mouvement global et
cohérent dans le domaine des émotions (rapidité du rythme cardiaque), des sentiments
(inquiétude), et des pensées. L’activité manifestée (planification d’intervention, préparation du
matériel) va dans le sens d’une réassurance : je gagne du contrôle (lié au sentiment de sécurité)
comme je peux :

Extrait du journal de bord, le 25/10 :

[…] le besoin de me préparer du mieux que je puisse. Dans l’espoir de traverser cette semaine
sans trop d’encombres, et de parvenir à faire un travail de qualité.

Pour demain, j’ai prévu d’y aller doucement, tout doucement.

6.1.2 Les « premières fois »

La première rencontre :

Juste avant ma première rencontre avec Inès, j’ai pu échanger avec sa maman :

Extrait du journal de bord, le 26/10 :


Très vite, la maman m’a raconté sa vie. L’isolement, emprisonnée à la maison avec sa fille. “Je ne peux pas
sortir, même descendre dans le hall je peux pas je peux pas sortir avec Inès, elle court sur la route, elle
s’enfuit, et moi je peux pas la rattraper, et j’ai pas la force. J’en peux plus, si on ne lui trouve pas une place
en internat moi je meure. J’ai fait un AVC facial il y a quelques mois. C’est Inès. J’arrive pas à manger, j’ai
trop de soucis. C’est Inès. Il faut qu’elle parte, sinon je vais mourir. Je l’aime, je l’adore, c’est ma fille, mais
à ses 18 ans je la prends plus chez moi. C’est pas possible de vivre comme ça. C’est pas une vie.”

Ces révélations m’ont beaucoup touchée, l’empathie facilitée par les neurones miroirs (Rizzolatti,
2015) me permettant d’accéder à une représentation éprouvée de la réalité de cette maman. Et
c’est avec des émotions d’arrière-plan (Damasio, 2010) désagréables (sentiment d’inconfort,
d’impuissance, voir Annexe « relevé des Emotions, séquence 2), et avec la conscience nouvelle
d’une partie du vécu de cette maman avec Inès que je suis allée à sa rencontre.

43
Extrait du journal de bord, le 26/10 :
On a entendu un gros BOUM. “C’est le signal!” a dit sa soeur Karima en riant. On s’est toutes
les trois dirigées vers la porte d’Inès qui était fermée à clé. Sa maman a déverrouillé et ouvert
la porte sur une grande jeune fille aux cheveux ébouriffés, obèse, et nue sous un plaid qui lui
couvrait le dos. Elle a fait un pas en avant, on s’est toutes écartées, et sans un regard vers
nous elle a filé à la cuisine, a foncé vers la lave vaisselle, s’est penchée en avant, toujours nue,
l’a enclenché, et s’est laissée tomber au sol, allongée en boule, recroquevillée sur elle même,
entièrement recouverte de son plaid, et a commencé à se balancer de droite à gauche.

La vue de cette « grande jeune fille aux cheveux ébouriffés, obèse, et nue » m’a fait forte
impression (Annexe Relevé des émotions, séquence 3). Ma perception de cette même personne
aurait-elle été différente si je n’avais pas eu les mêmes informations à son sujet ? Selon la théorie
des cadres relationnels évoquée plus haut, nous pouvons parier que oui, ma perception de cette
jeune fille aurait été différente : l’impression qu’elle m’aurait faite aurait été d’une autre saveur.

Extrait du journal de bord, le 26/10 :


Et BOUM, Inès a sorti 2 secondes la tête du plaid pour claquer la porte, et taper un grand
coup par terre pour montrer son mécontentement. Sur ce on s’est écartées d’elle.

Plus tard j’ai senti la puissance et la soudaineté de ses gestes pour la première fois et des pensées
se sont immédiatement créées : « si elle me met la même claque dans la figure... » (Annexe
Relevé des émotions, séquence 3)

Cette pensée est liée à un « ressenti-réflexe », un marqueur somatique (Damasio, 2010) bien
particulier qui me signale « attention ! Reste sur tes gardes ! » , lui-même étroitement lié aux
informations récoltées précédemment : Inès agresse régulièrement physiquement les personnes
qui l’entourent (Annexe Relevé des émotions, séquence 1) + Elle a cette puissance (au moins) = Elle
pourrait m’agresser avec cette puissance = Danger !

Le message envoyé par mon corps est : « ne la perds pas de vue, ne lui tourne pas le dos ! » : L’état
de vigilance est modifié par l’émotion engendrée par le contexte. Ici, il n’est pas question
d’altercation physique avérée. Cette hypervigilance a peut-être été favorable pour me permettre
d’éviter des agressions potentielles : la motivation à « rester en sécurité » (Annexe relevé des
émotions, séquence 3) m’a amenée à adopter des comportements préventifs (garder toujours la
44
personne en vue, rester à distance, se déplacer avec lenteur, parler à voix basse…) qui se sont avérés
efficaces. Il me semble important de souligner que ces attitudes comportementales ont été
développées précédemment par conditionnement dans des contextes similaires. Cet état
d’hypervigilance, si elle a une nature initiale purement biologique, dans l’objectif d’assurer ma
préservation (Damasio, 2010), a été également conditionné par des expériences similaires passées.
C’est comme un habit-état que je revêts dans les situations de « danger imminent ».

Enfin, évoquons maintenant la question du rôle de l’empathie dans ce qui se joue dans cette
situation : Je me trouve en présence d’Inès, mais également de sa mère et de sa sœur Karima. Je
perçois des informations de leur état émotionnel, et comme nous le dit Rizzolatti (2015) « il y a alors
transformation des émotions de l’autre dans notre système central émotionnel. » Tout en
observant la maman et la sœur se mettre tout à coup sur leurs gardes lorsqu’Inès se déplace, je
ressens ma propre vigilance augmenter.

Extrait du journal de bord, le 26/10 :


Pendant quelques secondes j’ai eu la sensation que tout le monde retenait son souffle : La grande
Inès s’est levée et déplacée jusqu’au couloir où elle s’est laissé tomber sur le tapis pour
reprendre son activité.

Le premier « accrochage » : séquence 9

Lorsqu’Inès m’a agressée physiquement pour la première fois, j’étais surprise car je ne l’ai pas vue
arriver (Annexe Relevé des émotions, séquence 9). Nous pouvons émettre l’hypothèse que mon
niveau de vigilance a baissé au cours des 2 premiers jours pendant lesquels Inès ne m’a pas
attaquée. J’ai d’ailleurs également dans le même temps changé de posture dans l’évaluation : à
partir d’une évaluation désengagée de la situation (selon les observations ou propositions), j’ai
progressivement créé des situations plus imposées (Annexe relevé des émotions, séquence 5). C’est
dans ce contexte où je me sens « en confiance », que progressivement mes comportements de
prévention liés à ma sécurité diminuent : je ramasse mon téléphone sans la garder en vue, je me
baisse, baisse la tête, ne la regarde pas alors que je viens de créer une frustration importante : erreur
fatale.

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Extrait du journal de bord, le 27/10
Inès qui prend mon téléphone pour changer la musique, je lui dis non, elle le jette au sol, je le
récupère et en moins d’une seconde elle se lève, me charge, et me fait reculer de bien 4 mètres
et me pousse avec une force incroyable. Juste le temps de reprendre mon équilibre et je la vois
foncer vers moi à nouveau.

Ici, nous pouvons repérer un phénomène d’habituation, concept mis en évidence par l’analyse du
comportement. L’habituation est une forme d'apprentissage consistant en la diminution
progressive de l'intensité ou de la fréquence d'apparition d'une réponse suite à la présentation
répétée ou prolongée du stimulus l'ayant déclenchée : en présence continue du stimulus « Inès » et
sans expérimenter d’attaque de façon prolongée, ma réaction émotionnelle (hypervigilance) a
progressivement diminué, jusqu’à agir de façon inconsidérée. Cette expérience a heureusement
bien été engrammée dans mon système émotionnel et lors d’une prochaine situation similaire,
mon corps me soufflera probablement « ne te détends pas trop non plus ! »

Quelques secondes plus tard, lorsque je l’ai vue réitérer, nous avons pu avec sa maman mener une
action immédiate, commune, simultanée, synchronisée, instinctive.

Extrait du journal de bord, le 27/10


Sa maman crie “NON!”, et sans se concerter, dans un réflexe d’urgence, on parvient ensemble à
la repousser hors de la cuisine et à refermer la porte. Inès tape sur la porte, essaie d’ouvrir.
On tient la porte à deux mais elle parvient par à-coups à l’entrouvrir. Vite, on ferme à clé et on
reste collées à la porte

Les corps ont ressenti les signaux d’alerte et ont œuvré conjointement dans un objectif commun :
notre sécurité. Pas de discussion, pas de planification d’intervention, mais une suite d’actions
spontanées d’une grande efficacité : Cette stratégie, totalement improvisée sous la direction de
l’émotion, a été par la suite écrite et définie comme étant la réponse à appliquer en cas de crise.
(Annexe Evaluation - Préconisations : Compte rendu ») Citons ici Damasio (2010) qui nous explique
que les marqueurs somatiques accroissent considérablement la vitesse et l’efficacité du processus

46
de décision. « C’est ce qui fait la beauté de l’émotion au cours de l’évolution : elle confère aux êtres
vivants la possibilité d’agir intelligemment sans penser intelligemment. »

Le stress généré par l’agression d’Inès en cours modifie mon comportement et celui de la maman :
nos respirations s’accélèrent, nous baissons le volume de nos voix, nous sommes dans un état
d’hypervigilance. Quelques minutes après l’agression, le corps reste aux aguets et l’esprit agit avec
prudence. L’organisme est sous tension, et à la vue d’Inès (pourtant manifestement très détendue),
je sursaute : L’expérience m’amène à un état somatique (Damasio, 2010) bien particulier. Il faudra
attendre quelques minutes de plus pour que progressivement mon organisme retrouve un état
stable (diminution de la vigilance, du rythme cardiaque…).

Extrait du journal de bord, le 27/10 :


On ne fait plus un bruit. On n’entend que nos respirations rapides et fortes. Et petit à petit
on chuchote “elle est encore là ?” on regarde par le trou de la serrure, on ne la voit pas. Tout
doucement on ouvre et on sort, à la recherche d’Inès sur la pointe des pieds. Quand je passe la
tête par la porte du salon je ne la vois pas, et en balayant la pièce du regard je l’aperçois sur le
canapé. Je sursaute. Elle est tranquille, confortablement installée, et parait détendue,
contrairement à nous… On reste dans le couloir et dans la cuisine un moment à chuchoter avant
de rejoindre le salon, où Inès ne nous adresse pas un regard.

Dans cette séquence, l’émotion de peur est générée par l’altercation physique la précédant. Elle est
certainement soutenue fortement par principe d’emboitement (Damasio, 2005) par les pensées et
émotions ressenties précédemment : elle est très forte + je suis plutôt frêle + elle s’en prend à moi
= danger !!!

Aussi, relevons ici que le partage d’émotions a créé un mouvement conjoint de protection avec une
maman avec qui nous avions peu d’objectifs communs auparavant : je souhaitais mettre en place
des pistes qui permettent la progression d’Inès au sein de son domicile alors que la maman
souhaitait la voir quitter son domicile au plus vite (Annexe Relevé des émotions, séquence 2). Là
nous avions une émotion commune, et un objectif commun : préserver notre sécurité physique.
Cette émotion partagée a-t-elle contribué à permettre de favoriser notre collaboration future ?
Peut-être : Nous avons par la suite pu collaborer autour d’Inès (Annexe Journal de bord, le 28/10).

47
Enfin, je note que le tout premier véritable « échange verbal » avec Inès a fait suite à cette première
altercation : jusque-là, j’ai eu plutôt le sentiment d’être en échec dans la création d’une relation avec
elle (Annexe Relevé des émotions, séquence 5). Et lorsque j’évoque l’incident avec elle (sans
m’attendre à ce qu’elle me réponde), pour la première fois elle me répond, avec une motivation
sociale. Je m’explique : J’ai pu par le passé lui faire dire quelques bribes de mots (mots répétés pour
obtenir quelque chose comme « Zik » pour « musique »), mais là, rien d’autre à obtenir que mon
attention : une « discussion » empêchée par un déficit de capacités verbales et résumée en un mot
« Aïe ».

Extrait du journal de bord, le 27/10 :

Quelques minutes plus tard je lui propose de goûter. En lui donnant à manger je lui dis “tu m’as
poussée tout à l’heure, ça m’a fait mal, je veux pas que tu fasses ça”. Elle me répond “Aïe”. Oui
aïe.

L’étude des émotions partagées et des relations développées entre les individus et au sein du
groupe serait une piste intéressante à creuser pour une prochaine étude !

6.1.3 L’évolution de la peur au fil de l’expérience

Mise en place du protocole : séquence 15

Inès étant habituée à accéder à l’alimentaire (entre autres) à volonté, et ayant présenté une faible
tolérance à la frustration par le passé (la première agression faisant suite à un « non tu ne peux pas
avoir mon téléphone »), il était fortement envisagé que la suspension de l’accès à tous ses items
favoris générerait une crise importante.

Grâce à la première agression physique j’ai pu faire l’expérience de traverser une crise en restant en
sécurité, en m’enfermant à clé dans une pièce (voir plus haut, ou Annexe relevé des émotions,
séquence 9). La solution de « repli » en cas de crise était donc toute trouvée.

L’idée de pouvoir rester en sécurité en cas d’agression m’a permis d’oser bousculer les habitudes
d’Inès en mettant en place le protocole « Habille-toi » : Sans m’assurer qu’une crise était gérable,
au vu des résultats de l’Evaluation qui faisaient état d’une faible tolérance à la frustration (Annexe

48
Evaluation – Préconisation : compte rendu), je n’aurai très probablement jamais mis en place un
protocole pareil : C’est l’expérience de la crise et d’une réponse de repli efficace qui m’ont permis
de prendre cette décision en mesurant et en minimisant les risques. Les expériences passées,
émotions, sentiments et pensées associés ont permis de « sauter le pas », et de mettre en place un
protocole d’enseignement malgré le risque de crises.

Extrait du journal de bord, le 28/10 :


J’ai donc préparé une feuille de données, et expliqué à la famille ce que j’allais faire aujourd’hui.
Je les ai prévenus : ça va être difficile. Inès n’a pas du tout l’habitude de ne pas contrôler tout
son environnement, et elle a passé les 18 dernières années nue chez elle. Je leur ai expliqué qu’on
allait retirer de la maison toutes les couvertures accessibles, et leur ai demandé de ne rien
donner à manger à Inès tant qu’elle ne porte pas son pyjama. Tout le monde a accepté
l’expérience, bien que sceptiques et craignant qu’elle ne parte en crise rapidement.

Lorsque le protocole a effectivement été mis en place, il n’y a finalement pas eu d’agression de la
part d’Inès, mais l’appréhension de la survenue d’une attaque liée aux expériences passées en
contexte de frustration (Annexe Relevé des émotions, séquence 9) générait malgré tout un état de
vigilance modifié.

Extrait du journal de bord, le 28/10 :


Elle a accepté de prendre son traitement dès le lever et a foncé vers la cuisine. Porte close. La
chambre de Karima ? Porte close. Est-ce qu’elle va dégoupiller ?

Cet état de vigilance modifié variait dans le temps selon les activités d’Inès : lorsqu’elle était
occupée à se balancer nous étions détendues, et dès qu’elle manifestait une motivation pour
manger nous redevenions vigilantes.

Extraits du journal de bord, le 28/10 :


« On a passé toute la journée à attendre. Les premières avec beaucoup de stress pour ma
part.. »

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« Au fil des heures on s’est détendus, on a discuté de tout et de rien, revenant sur nos gardes
à chaque mouvement d’Inès qui la sorte de son balancement : est-ce qu’elle va le mettre ou
est-ce qu’elle va nous attaquer ? A un moment j’étais dans le couloir en face d’elle, elle s’est
levée de son tapis, je suis restée là, à me dire que ma tête était bien trop proche du mur en
carrelage, et qu’elle pourrait me fendre le crâne en me poussant comme la veille contre le mur.
Mais non, elle s’est juste déplacée sur le canapé du salon. Ouf. »

Dans cette situation, nous pouvons observer l’étroite relation existante entre mon (notre ?) état
émotionnel (variation du niveau de vigilance), les pensées manifestées, et les comportements
d’Inès : mon état émotionnel dépend de ce que fait Inès, et des motivations que je peux percevoir
dans ses comportements. Convoquons ici Marmonier et Damasio pour éclairer ce phénomène :
Comme nous le rappelait Marmonier (2015) précédemment, les émotions impactent l’acuité
attentionnelle : ici la peur affecte l’état vigilance. Dans cette situation les émotions (liées au danger
de crise potentiellement imminente) sont dépendantes d’un Stimulus Emotionnellement
Compétent (Damasio, 2010) bien spécifique : Inès motivée à manger, écouter de la musique ou
obtenir son plaid. Si Inès manifeste une de ces motivations par son comportement (se dirige vers la
cuisine et/ou tente d’ouvrir la porte) je comprends par mes expériences passées avec elle que
l’impossibilité d’accéder à ce qu’elle souhaite risque d’engendrer une crise. Mon acuité
attentionnelle varie donc de façon dépendante à l’activité d’Inès, et plus particulièrement à ces
activités spécifiques : rechercher de la nourriture, de la musique ou sa couverture. Ces
comportements d’Inès constituent les Stimulus Discriminatifs qui me signalent une forte
probabilité de crise à venir.

Enfin, ici aussi nous pouvons constater un phénomène d’habituation : si je décris les premières
heures comme stressantes, au fil de la journée la sensation de stress s’est amoindrie en la présence
d’Inès en attente de pouvoir manger, et l’état de tension a pu laisser place à un état de détente
lorsqu’Inès était occupée.

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Crises – séquences 23, 28, 31, 32

Dans la suite des événements, d’autres crises ont eu lieu.

Extrait du journal de bord, le 30/10 :


Inès s’est mise en colère, a commencé à taper la table, se mordre la main, et le ton est monté
d’un coup de tous les côtés, Inès a balancé son assiette, renversé tout ce qu’elle pouvait autour
d’elle, ça criait dans tous les sens “c’est de ta faute !”. Inès en crise,

Dans cette situation, bien que la situation soit propice aux agressions, le niveau de danger me paraît
suffisamment acceptable pour poursuivre l’intervention telle qu’elle est planifiée.

Extrait du journal de bord, le 30/10 :


Il faut agir vite. Gérer la crise d’Inès, veiller à ce que personne ne soit blessé, et vite vite
ranger l’alimentaire qui traine, les couvertures, fermer les portes à clé.

C’est grâce à l’expérience de crises d’Inès éprouvées par le passé que je mesure le niveau de danger
en cours à l’instant t comme nous le suggère l’hypothèse des marqueurs somatiques développée
par Damasio (2010). Ma motivation est alors de maintenir le protocole « Habille-toi » en cours
(Annexe Relevé des Emotions, séquence 23) et mon activité s’oriente vers le contrôle de
l’environnement direct d’Inès, comme le propose le protocole de gestion de crise établi
précédemment (Annexe Evaluation-Préconisations : compte rendu).

Le scénario « crise-je m’enferme- tous se passe bien pour ma sécurité » s’est répété.

Extrait du journal de bord, le 30/10 :


Inès a fait une grosse crise car elle était bien habillée et a voulu manger, mais il n’y avait rien
de ce qu’elle aime dans la cuisine. Crise. Destruction du salon. La télé d’1,60m de diagonale jetée.
[...] Quand j’entends Inès en crise je m’enferme dans la cuisine, Inès tape sur la porte tellement
fort que j’ai peur que le verrou saute. Je crie à la maman “enfermez-vous !”

Au cours de chacune de ces crises, ma sécurité a été préservée. Fort heureusement le verrou n’a
jamais sauté ! Je mettais toute ma force à pousser et maintenir la porte fermée en m’appuyant avec
mes baskets sur le salon marocain… Les émotions ayant été marquantes, et associées à des

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scénarios bien particuliers, la représentation de ceux-ci dans ma mémoire sont précis et perdurent
dans le temps ; encore un phénomène remarquable : il me semble que nos souvenirs, les
informations que nous gardons accessibles sont comme imprimés profondément en mémoire
lorsqu’ils sont associés à une charge émotionnelle forte : on se souvient du jour de la naissance d’un
enfant toute sa vie, le jour d’une grande réussite, d’un grand chagrin… mais bien moins des jours
où rien d’émotionnellement percutant ne s’est produit. Mais il existe également des phénomènes
inverses : lorsqu’une énorme charge émotionnelle s’associe à une perte de mémoire, comme dans
le cas d’une amnésie traumatique. Il serait intéressant de poursuivre cette recherche en
investiguant sur les liens existants entre le contenu accessible de nos souvenirs dans le temps et la
charge émotionnelle à laquelle ceux-ci sont associés.

Revenons aux situations de crises et d’agression.

Dans les situations où Inès m’a attaquée et a réussi à m’atteindre physiquement, il n’y a jamais eu
de dommages corporels, et mon appréhension a diminué au fil des expériences :

Extrait du journal de bord, le 30/10 :

Je crains moins ses crises. Peut-être parce qu’elle a réussi à m’avoir plusieurs fois ces derniers
jours, mais sans jamais me blesser. Il y a aussi eu ce début d’attaque où j’ai pu lui bloquer les
2 mains. [...] Pour le moment j’ai pu me mettre en sécurité, et les quelques coups qu’elle a pu
me porter n’ont pas été si terribles que ce à quoi je m’attendais.

Nous pouvons constater dans le relevé des émotions que les crises génèrent des réactions
émotionnelles de moins en moins fortes au fil des séquences : Dans mon expérience au cours de
cette semaine avec Inès, les agressions se sont accompagnées de la préservation de ma sécurité, et
ont ainsi perdu de leur pouvoir évocateur de peur. Le dernier jour d’intervention, lorsqu’Inès est en
crise, on peut lire « Peut-être qu’elle me tape, je ne sais plus » (Annexe Journal de bord, le 31/10).

Si le stimulus « crise ou agression physique » avait été suivi du stimulus « douleur liée à une fracture
du nez » par exemple, les conditionnements émotionnels (Damasio, 2005) et comportementaux
auraient probablement été différents !

Enfin, soulevons le fait suivant : la relation avec Inès s’est développée de façon entremêlée avec les
épisodes de crise, et des émotions, sentiments et pensées qui les ont accompagnés. Comme

52
mentionné plus haut, ses premières paroles à mon égard ont évoqué son agression : « Aïe ».
Par la suite, nous nous somme jaugées quelques secondes dans un contact visuel au cours d’un
début d’attaque (le contact visuel le plus long de ceux que j’ai pu échanger avec elle).

Extrait du journal de bord, le 30/10 :


Il y a aussi eu ce début d’attaque où j’ai pu lui bloquer les 2 mains. On était face à face, ses
mains dans les miennes. Un regard de quelques secondes pendant lesquelles on paraissait se
jauger : mes yeux lui disaient “non”, les siens paraissaient dire “j’y vais ou pas?” Je lui ai lâché
les mains en la repoussant légèrement, et elle s’en est allée sans aller plus loin.

Et c’est quelques heures après être intervenue directement de façon ferme sur son environnement
au cours d’une crise (Annexe Relevé des émotions, séquence 24) qu’elle a attrapé ma main tendue
et m’a saluée lorsque j’ai quitté le domicile. Ce geste, cette situation m’a évoqué quelque chose de
l’ordre de la beauté, valeur directement rattachée au domaine des sentiments.

Extrait du journal de bord, le 30/10 :


Ce soir, quand je suis partie, pour la première fois elle m’a répondu : “Salut Inès!” “Salut” et
elle a attrapé la main que je lui tendais. C’était beau.

De même, je note le 30/10 un rapprochement physique nouveau depuis « ces deux derniers jours » :
Inès tolère ma présence et peut même la rechercher parfois. Ces deux derniers jours : aujourd’hui
et hier. Que s’est-il passé la veille ? La veille, Inès acceptait de s’habiller chez elle pour la première
fois, et cet événement a été source de grande joie (Annexe Relevé des émotions, séquence 20)! Il
est indéniable que les expériences éprouvées ensemble, marquées de leur charge émotionnelle,
sont un des fondements du développement des relations entre individus. Les crises et altercations
physiques ont constitué une très grande partie des expériences émotionnellement chargées. Il y a
également eu des moments d’une joie intense (Annexe Relevé des émotions, séquence 21) Et
l’ensemble de ces instants ont certainement joué un rôle important dans le développement de
notre relation, les émotions précédant les sentiments (Damasio, 2005).

Extrait du journal de bord, le 30/10 :


Et elle se rapproche de moi. Ces 2 derniers jours on se rapproche. Ça lui arrive de venir s’asseoir
près de moi, et je peux poser ma main sur son dos sans qu’elle me repousse.

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6.2 La prise de décision en contexte risqué

6.2.1 Prendre la mission ?

Séquence 1

Lorsqu’Edouard m’a appelée pour me proposer d’intervenir auprès d’Inès, comme vu


précédemment, les émotions qui me traversaient étaient teintées de peur pour ma sécurité
physique. Les marqueurs somatiques à l’œuvre auraient logiquement pu m’inciter à refuser la
proposition. Alors pourquoi avoir choisi de m’engager dans cette mission ? Il me semble qu’un
élément de réponse se trouve dans la multiplicité des enjeux de cette situation : si la peur est
présente, elle n’est pas seule : les émotions traversées sont plurielles, les motivations sont
nombreuses :

Rester en sécurité (comme vu précédemment)

Répondre à une demande singulière

Extrait du journal de bord, séquence 1 :


C’est Edouard -du CRA- qui m’a contactée, on a travaillé ensemble l’an passé autour d’une autre
situation difficile. “On a une situation compliquée. Très compliquée. Si ça n’était pas compliqué
je ne vous aurais pas appelée” m’a-t-il dit.

Le fait que la demande d’intervention provienne d’un professionnel estimé a certainement


influencé ma prise de décision : comme expliqué plus haut je considère avec attention son avis et
ses demandes, d’autant plus que nous avons eu l’occasion de travailler ensemble par le passé, et j’ai
en mémoire un très bon souvenir de cette collaboration.

Aussi, l‘histoire décrite par Edouard au téléphone m’a particulièrement touchée (est-ce que les
neurones miroirs sont à l’œuvre lorsque les contacts ne sont que téléphoniques ? lorsqu’il n’y a
qu’une représentation mentale d’un discours verbal ?) et m’a donné envie de contribuer à
permettre une évolution favorable à cette situation source de souffrance pour beaucoup.

Cette demande avait également un caractère d’urgence : le CRA était obligé de faire appel à un
prestataire de service extérieur, Edouard composait dans un délai très court une intervention sur-

54
mesure pour une situation extrême, selon les moyens humains qu’il aurait réussi à réunir en peu de
temps. Je n’ai pas un réseau professionnel très étendu et ne connaissais personne vers qui rediriger
Edouard. Mon histoire personnelle, mes valeurs m’« interdisent » de laisser « à l’abandon » une
famille dans un besoin urgent. J’étais disponible, il y avait là un besoin urgent, un expert me pensait
compétente… Si j’avais refusé, je me serais probablement sentie coupable.

L’émotion de joie associée à ce type de prise en charge

Ma collaboration passée avec Edouard était orientée autour d’un jeune adolescent aux
comportements hétéro-agressifs multiples et intenses. Il était jovial, tendre, et avait un grand
potentiel pour ses apprentissages mais c’était un élève très agressif physiquement lors de ses
fréquentes crises. Comme dans le cas d’Inès, il a été renvoyé de son IME suite à des crises de
violence ingérables qui ont conduit son orthophoniste vers un arrêt maladie de longue durée.
L’expérience de son accompagnement a été une des plus gratifiantes : Il a appris à renoncer à
l’impossible, à « accepter le Non » comme on dit dans le milieu, il a appris à ne plus avoir recours à
la violence physique en cas de frustration, mais à rediriger ses comportements vers des stratégies
d’apaisement corporel grâce à un travail soutenu mis en place par sa famille, guidée par mes
préconisations. Sa violence a diminué de façon très encourageante, en fréquence et en intensité.
Nous avons pu ensuite orienter notre intervention vers le développement de compétences comme
prendre sa douche en autonomie, se brosser les dents, et même utiliser l’ordinateur en autonomie.
Cette situation fait partie je crois des plus grandes victoires qui soient au cours de mon parcours
professionnel. Elle est rattachée à un sentiment d’utilité, de fierté, au bonheur de voir une famille
entière sortir de l’isolement imposé par la condition comportementale de leur enfant, sortir de la
peur de l’instant d’après, de la crise prochaine. Elle est associée dans mon esprit à des discussions
qui m’ont profondément touchée, à des témoignages de changement profond. Je pense que cette
situation éprouvée m’a amenée non seulement à accepter la mission confiée par le CRA, mais aussi
à l’investir pleinement.

Nous retrouvons ici une illustration de prise de décision en contexte de risque. Dans cette situation
particulière, la peur liée à une insécurité physique potentielle a été contrebalancée par une émotion
anticipée de joie : celle de la joie à venir lorsque la mission sera menée à bien, elle-même
conditionnée en partie par l’expérience passée d’une situation similaire. Cette séquence illustre
bien comme les pensées, émotions et sentiments, construits à partir d’expériences passées et
d’éléments présents peuvent permettre de prendre des décisions qui aillent dans le sens d’une
satisfaction future (Loewenstein &all. 2020).
55
Il est intéressant de noter ici le phénomène suivant : dans ces expériences, la peur est associée par
conditionnement à la joie. Dans l’expérience éprouvée, la multiplicité des émotions s’entremêle et
crée de nouvelles formes d’émotions, comme nous le suggère la Roue de émotions de Plutchnik. Si
l’on tentait de définir le mélange de peur et de joie dans cette situation, je pense que l’on pourrait
parler d’une forme d’excitation.

Comme nous le rappelle Damasio (2005), les émotions influent les appétits. Ici la peur, l’excitation
accompagnent une motivation à préparer l’intervention, et l’activité répond à la motivation : je
prépare le matériel, les documents, ma posture…

Extraits du journal de bord, le 25/10 :


« Après avoir récolté quelques informations (entretien téléphonique avec Edouard, avec la soeur
d’Inès, lecture des derniers comptes rendus), j’ai sélectionné des domaines à évaluer
(préférences, profil verbal, compétences de communication, compétences fonctionnelles liées à
l’autonomie, obstacles aux apprentissages et comportements problèmes), préparé mes fiches
de cotation, et les trames de comptes rendus. J’ai aussi préparé tout un tas de matériel. Des
sacs et des sacs. Pleins de tout. Activités et alimentaires surtout.
J’ai la sensation de partir pour l’exploration d’un terrain miné. »

« Pour demain, j’ai prévu d’y aller doucement, tout doucement. “Apprivoise-moi” disait le Renard
dans le Petit Prince… »

6.2.2 Mettre en place le protocole « Habille-toi » ?

Comme vu en partie 6.1.3 – séquence 15, le protocole « Habille-toi » a été mis en place après la
première agression qui m’a permis d’expérimenter la crise en sécurité. Le risque lié à la sécurité
physique était donc à ce moment considéré comme acceptable et gérable.

Le risque, ou doute, se situait également dans mon esprit. Un grand questionnement éthique lié au
concept d’identité professionnelle me tiraillait : l’aspect privatif du protocole. Pour amener Inès à

56
accepter de s’habiller, je ne voyais pas d’autre levier de motivation que de suspendre l’accès à la
nourriture et la couverture qui seraient obtenus à la seule condition qu’elle s’habille.

Extrait du journal de bord, le 28/10 :


Qui affame une personne pour la faire coopérer ? Qui souhaiterait que l’on fasse ça à son
enfant ? Elle a dû avoir faim, et froid. Toute la journée. Et je suis responsable de ça. Mais quel
choix se présente à nous ?
Je préfère qu’elle ait froid et faim pendant un jour où 2, si ça lui permet d’avoir une motivation
suffisamment forte pour faire le choix que je souhaite qu’elle fasse (s’habiller et accéder à tout
ce qu’elle aime, plutôt que rester nue dans l’ennui et la faim), plutôt que de la savoir isolée toute
sa vie, enfermée nue dans une chambre d’hôpital psychiatrique.

Ici, c’est la motivation à accompagner Inès vers l’acquisition de compétences qui pourront lui
permettre une plus grande qualité de vie qui participe à faire pencher la bascule et favorise le choix
de mettre en place cette intervention.
Les émotions anticipées contrebalançant l’acceptation de quelques jours d’intervention
désagréable sont liées au fait de voir Inès apprendre à accepter de s’habiller dans les espaces publics
ou sociaux, mais aussi à envisager le début d’une succession de progressions qui l’amèneront petit
à petit vers des conditions de vie plus dignes, l’accès à des espaces variés et stimulants, une
communication plus précise de ses envies et besoins, et peut-être même des relations sociales
source de plaisir ?
Dans cette situation, l’ensemble des émotions anticipées de plaisir liées au fait d’imaginer Inès dans
des scénarios de vie plus favorables permet l’acceptation de la mise en place d’un protocole à priori
condamnable.

Extrait du journal de bord, le 28/10 :


Elle aura à disposition quelques activités peu motivantes, pour éviter qu’elle ne parte en crise,
mais si elle veut accéder à ses activités préférées, il faudra accepter de coopérer.
Pour qu’elle puisse un jour être acceptée quelque part en internat, quelque part où elle ne sera
ni enfermée dans une chambre d’isolement, ni assommée de cachetons, ni sanglée à un lit, il faut
absolument qu’elle accepte de s’habiller, et de suivre quelques instructions basiques liées à sa
santé et à sa sécurité. Le reste, pour le moment, on s’en fout.

57
Notons que l’objectif est de lui permettre des conditions de vie favorables, mais en premier lieu de
lui éviter des expériences d’enfermement prolongé sous sédatif. Les images mentales de l’avenir de
cette jeune fille si elle ne commence pas très rapidement à montrer qu’elle peut apprendre et
modifier ses comportements me « rendaient malade ». Les émotions ici étaient très désagréables.

Au vu de l’évaluation menée, il me semblait que rien d’autre ne pourrait fonctionner rapidement, et


je souhaitais des résultats rapides et importants pour démontrer ses capacités d’apprentissage afin
que des moyens adaptés soient attribués à sa situation.

Aussi, la décision de mettre en place ce protocole a été discuté avec et soutenu par mon superviseur
Corey (Annexe Relevé de émotions, séquence 12) qui est également un professionnel que je
considère beaucoup, et dont les conseils et avis sont précieux pour nourrir mes réflexions. Notre
échange et son soutien ont certainement été décisifs pour me permettre d’envisager cette
intervention avec assurance : « je ne lâcherai pas » (Annexe Relevé des émotions, séquence 19).

Séq Date, Antécédent à l’émotion : que s’est- Émotion / Effets : qu’est-ce que cette
uen passage il passé, qu’est-ce qui a déclenché Sentiment : situation a généré ?
ce l’émotion ? Qu’est-ce que je
n° ressens ?

12 27/10/2020 Echanges avec Corey Soulagement / Décide d’en rester là avec


« plus tard...à (retrace observations des premiers Reprise l’évaluation.
la maison » jours) : d’Assurance
Validation de mon évaluation / J’entre en action dès le
perspectives d’intervention. « Je me sens lendemain.
Nous pensons aux mêmes objectifs mieux »
prioritaires et stratégies Motivation : prouver qu’Inès a
d’intervention. des capacités et peut apprendre

Dans cette situation, il s’agissait de choisir d’agir de façon invasive qui mènerait très probablement
à des résultats probants, ou de ne pas le faire et risquer de priver cette jeune fille d’un
accompagnement qui aille dans le sens de son bien-être et de son inclusion. Le choix d’intervenir a
été fait grâce aux émotions anticipatrices, anticipées, aux pensées qui les accompagnaient, et au
soutien de Corey qui a réhabilité l’idée de ma pratique comme étant éthique. Cette expérience m’a
amené par la suite à considérer l’éthique de façon plus complexe et a participé ainsi à modifier mes
pensées, qui impacteront probablement mes émotions dans une situation similaire future !

58
7. Conclusion et perspectives :

Les émotions, sentiments et pensées sont imbriquées dans des relations multiples et complexes.
Il serait illusoire de prétendre pouvoir étudier les émotions comme des phénomènes isolés du
fonctionnement global de notre organisme corporel et de notre conscience. Elles participent à
chaque instant à la création même du mouvement, et des directions empruntées.

Nous pouvons considérer les émotions comme des comportements à part entière, façonnées par
les expériences passées, l’environnement extérieur, les pensées… et nous pouvons également les
observer comme composante déterminante de notre activité quotidienne. Elles sont à la source de
notre motivation : elles participent à créer un sentiment d’engagement dans les situations qui nous
touchent, nous donnent l’envie de participer, de construire, d’éviter, de modifier ce avec quoi nous
interagissons au fil de l’expérience. Elles sont façonnées selon notre histoire, et façonnent notre
activité qui elle-même affecte nos émotions en retour dans un mouvement permanent
d’interpénétration entre émotions, sentiments, pensées, motivations… au fil de l’expérience.

L’élaboration de ce mémoire m’a permis d’observer ces phénomènes sans à-priori et de réhabiliter
mes émotions comme outils inextricables et indispensables à ma pratique.

J’ai réalisé en traitant mes données que l’entièreté de mon journal de bord fait appel à des
émotions. Certaines plus agréables que d’autres, certaines plus intenses que d’autres… toute
l’expérience est colorée d’émotions aux nuances et saturations variées.

Dans la situation visitée, mes émotions et leurs évolutions au fil de l’expérience ont permis de
préserver ma sécurité, de prendre des décisions difficiles, d’agir avec rapidité dans des contextes
d’urgence, de maintenir ma détermination, d’adapter mes comportements à l’environnement dans
lequel je me suis immergée de façon naturelle et spontanée… elles ont accompagné et orienté
chacune de mes actions et pensées. Elles m’ont également permis de développer des motivations
nouvelles au fil de l’expérience, de développer de nouveaux objectifs, de faire évoluer ma posture
et mes interventions. Enfin, les émotions traversées au fil des jours avec Inès et sa famille ont
contribué fortement à créer et renforcer nos relations, éléments décisifs de notre activité. Toutes
ces émotions traversées ont renforcé mon engagement professionnel et de facto ma motivation à
intervenir auprès des personnes autistes et de leur famille.

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Au cours de l’élaboration de ce mémoire, j’ai pu réaliser l’importance de prendre en compte la
globalité de mon expérience humaine -émotions comprises- dans mon travail. Il me semble qu’il
serait profitable à ma pratique de pouvoir échanger régulièrement avec d’autres professionnels qui
garderaient une posture neutre, afin de me permettre de prendre de la distance et de reconsidérer
les événements sous un angle moins en prise avec de violentes émotions comme ça peut parfois
être le cas. Dans cette situation, l’entretien avec Corey et avec Edouard en fin d’intervention m’ont
permis de dissoudre les émotions négatives en ré-envisageant mon positionnement et ma pratique
de façon résiliente.

L’analyse appliquée du comportement, à priori froide et rationnelle, est pratiquée par des êtres
humains aux histoires personnelles et aux sensibilités uniques. L’activité des analystes du
comportement ne peut se passer des émotions. Elles sont liées à leur humanité, nécessaires à leurs
motivations, raisonnements, prises de décisions… Il semble que pour aller vers un positionnement
le plus scientifique possible, la considération de ces réalités est nécessaire. La prise en compte et le
développement de l’intelligence émotionnelle serait donc in fine souhaitable pour les analystes du
comportement.

C’est pourquoi je souhaite aujourd’hui développer une plus grande conscience de mes émotions au
travail. Afin d’observer les situations vécues et en cours avec plus de précision, plus d’informations
sur les réalités de ce qui se joue. Ceci me permettrait d’agir avec plus de lucidité, et peut-être
d’éviter de tomber dans certains pièges émotionnels. En effet, rappelons que si les émotions
peuvent permettre le meilleur, elles peuvent aussi être en jeu dans des processus et
comportements défavorables : boucles de pensées négatives, décisions inadaptées « à chaud »,
baisse de vigilance trop rapide, inertie, mauvaise perception du contexte… J’envisage également
de suivre prochainement une formation en ACT (Acceptance and Commitment Therapy) afin
d’intégrer le développement d’émotions favorables aux apprentissages comme axe de travail à
mon activité d’analyste du comportement.

Il serait intéressant de poursuivre ce travail en étudiant plus spécifiquement ces « pièges


émotionnels », ainsi que le rôle des émotions dans le tissage des relations humaines et dans la
cohésion du groupe au travail.

60
Bibliographie

Par ordre d’apparition dans le texte :

Perrin, J., & Maffre, T., (2016). Autisme et psychomotricité. De Boeck.


Liratnti, M., (2019). Enseigner les habiletés sociales aux enfants avec autisme. Dunod
Degenne-Richard, C. 2014 ., Evaluation de la symptomatologie sensorielle des
personnes adultes avec autisme et incidence des particularités sensorielles sur
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Descartes. 2014
Anesm. Recommandations de bonnes pratiques professionnelles. Les « comportements
problèmes » : prévention et réponses. 2016
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Comment fonctionnent nos émotions ? Philippe Duval
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Intelligence émotionnelle et processus de décision. Gestion 2000, 28, 67-
81. https://doi.org/10.3917/g2000.283.0067

61
Annexe : Journal de bord

Le 25/10/2020

J’ai reçu un appel il y a 10 jours pour intervenir auprès d’Inès. C’est Edouard, du CRA qui m’a contactée, on a
travaillé ensemble l’an passé autour d’une autre situation difficile.
“On a une situation compliquée. Très compliquée. Si ça n’était pas compliqué je ne vous aurai pas appelée”
m’a-t-il dit. La jeune Inès a 18 ans. Elle est jusqu’à aujourd’hui internée en hôpital psychiatrique, suite à des
crises de violence ingérables dans son cente éducatif. Elle retrouve son domicile cet après-midi. Sa mère a fait
un AVC il y a quelques mois et est peu apte à s’occuper de sa fille.
Edouard m’a demandé “une expertise” comportementale. Je vais passer la semaine prochaine chez elle, en
journée, pour m’occuper d’elle, évaluer tout ce qui me paraitra pertinent et faire des préconisations pour les
éducateurs qui l’accompagneront au quotidien suite à mon intervention (équipe de l’IME et libéraux pour le
domicile).
Après avoir récolté quelques informations (entretien téléphonique avec Edouard, avec la soeur d’Inès, lecture
des derniers comptes rendus), j’ai sélectionné des domaines à évaluer (préférences, profil verbal, compétences
de communication, compétences fonctionnelles liées à l’autonomie, obstacles aux apprentissages et
comportements problèmes), préparé mes fiches de cotation, et les trames de comptes rendus. J’ai aussi
préparé tout un tas de matériel. Des sacs et des sacs. Pleins de tout. Activités et alimentaires surtout.
J’ai la sensation de partir pour l’exploration d’un terrain miné. Prêt à exploser à tout moment. Edouard m’a
fait part de son anxiété et m’a demandé de lui téléphoner à la fin de la première journée. Pas très
rassurant… Depuis que je sais que je vais mener cette semaine d’immersion dans le monde d’Inès, je me
réveille le matin avec une pensée vers elle, le coeur à 1000 à l’heure, la boule au ventre, et le besoin de me
préparer du mieux que je puisse. Dans l’espoir de traverser cette semaine sans trop d’encombres, et de
parvenir à faire un travail de qualité.
Pour demain, j’ai prévu d’y aller doucement, tout doucement. “Apprivoise-moi” disait le Renard dans le Petit
Prince…

le 26/10/2020

Je suis arrivée ce matin chez Inès. Sa soeur est venue m’aider à monter les sacs, et la maman nous
attendait dans le salon. Inès dormait encore. Très vite, la maman m’a raconté sa vie. L’isolement,
emprisonnée à la maison avec sa fille. “Je ne peux pas sortir, même descendre dans le hall je peux pas je peux
pas sortir avec Inès, elle court sur la route, elle s’enfuit, et moi je peux pas la rattraper, et j’ai pas la force.
J’en peux plus, si on ne lui trouve pas une place en internat moi je meure. J’ai fait un AVC facial il y a
quelques mois. C’est Inès. J’arrive pas à manger, j’ai trop de soucis. C’est Inès. Il faut qu’elle parte, sinon
je vais mourir. Je l’aime, je l’adore, c’est ma fille, mais à ses 18 ans je la prends plus chez moi. C’est pas
62
possible de vivre comme ça. C’est pas une vie.” Et toute la journée, à chaque discussion, les mêmes plaintes.
Cette maman est au bout. Tout ce qu’elle veut c’est qu’on emmène sa fille dans un lieu où elle serait bien
accueillie, pour qu’elle puisse reprendre un bout de sa vie. Et moi je suis restée là à l’écouter, désolée
d’entendre sa souffrance, et impuissante.
Je lui ai expliqué rapidement mon rôle à moi dans cette histoire : essayer de comprendre Inès et ses
comportements problèmes, pour lui apprendre à adopter d’autres comportements, et que les crises de
violence diminuent, ou cessent. J’ai bien compris que pour cette maman, mon travail était peine perdue. “Elle
est comme ça, c’est la maladie qui la rend comme ça. Moi je veux un internat”.
Et puis Inès s’est réveillée. On a entendu un gros BOUM. “C’est le signal!” a dit sa soeur Karima en riant.
On s’est toutes les trois dirigées vers la porte d’Inès qui était fermée à clé. Sa maman a dévérouillé et
ouvert la porte sur une grande jeune fille aux cheveux ébourifés, obèse, et nue sous un plaid qui lui couvrait le
dos. Elle a fait un pas en avant, on s’est toutes écartées, et sans un regard vers nous elle a filé à la cuisine,
a foncé vers la lave vaisselle, s’est penchée en avant, toujours nue, l’a enclenché, et s’est laissée tomber au
sol, allongée en boule, recroquevillée sur elle même, entièrement recouverte de son plaid, et a commencé à se
balancer de droite à gauche.
On était là toutes les 3 à la regarder faire, moi me demandant combien de temps elle allait poursuivre cette
activité qui empêchait toute interaction avec elle, la maman et la soeur commentant. Et BOUM, Inès a
sorti 2 secondes la tête du plaid pour claquer la porte, et taper un grand coup par terre pour montrer son
mécontentement. Sur ce on s’est écartées d’elle, et elle a poursuivi ses balancements. Un peu plus tard, sa
soeur lui a demandé avec insistance de se lever pour accéder au lave vaisselle, et sa maman lui a installé un
petit tapis dans le couloir. Pendant quelques secondes j’ai eu la sensation que tout le monde retenait son
souffle : La grande Inès s’est levée et déplacée jusqu’au couloir où elle s’est laissée tomber sur le tapis pour
reprendre son activité. A un moment sa mère et sa soeur lui ont apporté à déjeuner : par terre dans le
couloir, près d’elle, elles ont posé un plateau avec des choses sucrées. Inès a sorti la tête de la couverture, et
comme un animal, elle a mangé là, vite, mettant des miettes partout, jetant loint d’elle ce qu’elle avait
commencé à manger quand elle n’en voulait plus. En la regardant là, comme ça, j’ai compris que oui, cette
semaine allait être vraiment difficile.
La première journée a été longue pour moi. Très longue. La grande majorité du temps Inès est restée ainsi
en boule sous son plaid à balancer, sur un petit tapis dans l’entrée de l’appartement. (elle a accepté de se
déplacer pour laisser accès au lave vaisselle). Et moi je suis restée à lui tourner autour, essayant par tous
les moyens d’attiser sa curiosité, en vain généralement. Si. Il y a quand même eu quelques petites choses qui
l’ont intéressée : la nourriture (beaucoup), la musique (elle sortait sa tête juste le temps de manifester
qu’elle voulait que je rallume si j’éteignais), et elle a regardé quelques secondes un livre de cuisine et des
toupies.
Tout le reste : aucun intérêt. Non seulement mes propositions d’activités ne l’intéressaient pas, mais le fait
fait que je lui propose des choses la dérangeait. Elle m’a bien fait comprendre qu’il fallait la laisser tranquille

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un point c’est tout. Ne pas se tenir trop proche d’elle. Alors je suis restée là, avec ma musique, à allumer –
éteindre, pour qu’on soit en contact quelques secondes par ci par là, le temps d’une demande. “zik”.

J’ai quand même pu faire mon “évaluation des préférences” : c’était vite vu.
On a commencé aussi à compléter l’évaluation du Profil Sensoriel. Un questionnaire à compléter avec la
maman et Karima. C’était laborieux, j’étais sans cesse en train d’essayer d’obtenir des réponses claires “on ne
cherche pas là à savoir ce qu’elle comprend, mais ce qu’elle entend”, et d’essayer d’éviter (sans succès) les
digressions “elle casse tout, je veux qu’elle parte”.

A la fin de cette journée, j’ai voulu tester de voir si la motivation du goûter permettrait de lui demander de
s’habiller (“tu mets le haut de pyjama et je te donne le goûter”). Mais non. Elle a déambulé dans la maison à
la recherche de trucs à se mettre sous la dent, s’énervant quand elle ne trouvait rien, faisant accourir sa
maman un yaourt à la main. Elle n’a visiblement pas DU TOUT l’habitude de faire quoique ce soit qu’on lui
demande de faire. Et comme elle est grande et forte, on ne peut que s’écarter si elle s’agite.
Elle a été aux toilettes dans l’après midi, et refusé de s’essuyer les fesses (qui en avaient besoin) : alors on
nettoie partout où elle s’asseoit après son passage. On en est là.
En l’écrivant, je me sens triste, et en colère aussi.

Bilan de cette journée : j’ai été très peu active. Je suis arrivée pleine d’idées et de motivation. J’en suis
ressortie épuisée, avec cette idée débile en tête : j’ai tellement peu fait aujourd’hui.
Aujourd’hui c’était le saut dans le grand bain du monde d’Inès, et j’ai la sensation de m’y être laissée couler.

Le 27/10/2020

Hier soir Edouard au téléphone m’a suggéré d’essayer une journée sous doliprane en plus du traitement
habituel. Il suspecte depuis un moment des douleurs constantes qui expliqueraient en partie l’agressivité
d’Inès et ses balancements. On a donc testé aujourd’hui et effectivement, Inès était plus détendue :
beaucoup moins de balancement sous la couverture. Elle ne s’est balancée qu’en écoutant la musique. Le reste
du temps elle est restée souvent allongée, le visage découvert, et a même accepté de participer quelques
secondes à des activités.
En revanche les comportements problèmes ont bien persisté à la moindre contrariété. Ce soir j’ai du mal à
reconstituer le fil de la journée, je suis épuisée. Mais quelques scènes me reviennent en mémoire :
- Une dispute entre la maman et la soeur d’Inès, à bout de nerfs toutes les deux. “Mais jette la dehors avec
une valise ! Moi j’en peux plus!”
- Inès, debout sur le canapé du salon, plus grande que jamais, nue, sans son plaid, qui me lance un regard noir
avant de se jeter sur moi, je ne sais plus bien pourquoi.
- Inès qui prend mon téléphone pour changer la musique, je lui dis non, elle le jette au sol, je le récupère et en

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moins d’une seconde elle se lève, me charge, et me fait reculer de bien 4 mètres et me pousse avec une force
incroyable. Juste le temps de reprendre mon équilibre et je la vois foncer vers moi à nouveau. Sa maman crie
“NON!”, et sans se concerter, dans un réflexe d’urgence, on parvient ensemble à la repousser hors de la
cuisine et à refermer la porte. Inès tape sur la porte, essaie d’ouvrir. On tient la porte à deux mais elle
parvient par accoups à l’entrouvrir. Vite, on ferme à clé et on reste collées à la porte. On ne fait plus un
bruit. On n’entend que nos respirations rapides et fortes. Et petit à petit on chuchotte “elle est encore là ?”
on regarde par le trou de la serrure, on ne la voit pas. Tout doucement on ouvre et on sort, à la recherche
d’Inès sur la pointe des pieds. Quand je passe la tête par la porte du salon je ne la vois pas, et en balayant
la pièce du regard je l’aperçois sur le canapé. Je sursaute. Elle est tranquille, confortablement installée, et
parait détendue, contrairement à nous… On reste dans le couloir et dans la cuisine un moment à chuchotter
avant de rejoindre le salon, où Inès ne nous adresse pas un regard.
Quelques minutes plus tard je lui propose de goûter. En lui donnant à manger je lui dis “tu m’as poussée tout
à l’heure, ça m’a fait mal, je veux pas que tu fasses ça”. Elle me répond “Aïe”. Oui aïe.
- la victoire du jour : après 3h et demi à attendre qu’elle accepte de venir se doucher, en bloquant l’accès à
toutes ses activités favorites (musique, nourriture, couverture), elle a fini par y aller. Ouf !

Je n’ai pas le courage de traiter mes données ce soir, et sur la fin de la journée, il me semble que j’ai même
arrêté de coter.

(plus tard)
Je sors de supervision. J’ai eu une heure avec Corey pour parler d’Inès. Je me sens mieux. Nos avis sur la
situation (les priorités d’intervention) concordent. Accepter le Non. Suivre des instructions liées à sa santé et
à sa sécurité. Tolérer de porter des vêtement. Et puis plus tard peut être prendre tous ses repas à table
plutôt que par terre dans le couloir.
Et surtout : manipuler ses opérations de motivation pour y arriver, plutôt que de devoir affronter un pic
d’extinction ingérable à la maison.

Le 28/10/2020

Ce matin lorque j’arrive chez Inès elle dort encore. Tout le monde chuchotte, et évite de faire du bruit, pour
profiter du calme le plus longtemps possible. Elle a eu une nuit compliquée, a peu dormi : apparemment à 3h
du matin sa maman l’entendait “parler” dans sa chambre. Je suis soulagée : je vais avoir un peu de temps
pour compléter les données d’hier soir d’après mes souvenirs (moins fiables que si je les avais complétées sur
le champs mais c’est mieux que rien), et préparer l’intervention que je vais mettre en place dès aujourd’hui :
A partir d’aujourd’hui, avec moi, pour accéder à ses activités favorites (couverture, musique, manger), elle
devra s’habiller. Et lorsque je lui demanderai quelque chose (en l’occurence aller à la douche le matin et après
être allée à la selle), tant qu’elle n’aura pas répondu, je bloquerai l’accès à ses activités favorites. Ca prendra

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du temps. Mais j’ai bon espoir qu’elle apprenne que lorsque je lui demande certaines choses, c’est dans son
intérêt de répondre. Elle aura à disposition quelques activités peu motivantes, pour éviter qu’elle ne parte en
crise, mais si elle veut accéder à ses activités préférées, il faudra accepter de coopérer.
Pour qu’elle puisse un jour être acceptée quelque part en internat, quelque part où elle ne sera ni enfermée
dans une chambre d’isolement, ni assomée de cachetons, ni sanglée à un lit, il faut absolument qu’elle accepte
de s’habiller, et de suivre quelques instructions basiques liées à sa santé et à sa sécurité. Le reste, pour le
moment, on s’en fout.

J’ai donc préparé une feuille de données, et expliqué à la famille ce que j’allais faire aujourd’hui. Je les ai
prévenu : ça va être difficile. Inès n’a pas du tout l’habitude de ne pas contrôler tout son environnement, et
elle a passé les 18 dernières années nue chez elle. Je leur ai expliqué qu’on allait retirer de la maison toutes
les couvertures accessibles, et leur ai demandé de ne rien donner à manger à Inès tant qu’elle ne porte pas
son pyjama. Tout le monde a accepté l’expérience, bien que sceptiques et craignant qu’elle ne parte en crise
rapidement. Au moment du réveil, “je lui ouvre?” “non il faut d’abord fermer la chambre et la cuisine à clé et
vérifier qu’aucune couverture soit accessible”. Tout le monde s’est activé à préparer l’appartement, avec
empressement et excitation. Et on a été toutes ensemble ouvrir à Inès.
Elle a accepté de prendre son traitement dès le lever et a foncé vers la cuisine. Porte close. La chambre de
Karima ? Porte close. Est-ce qu’elle va dégoupiller ? Non. Inès nous regarde, l’air de dire “mais qu’est-ce qui
se passe aujourd’hui ?”, se met sur son tapis du couloir, demande à manger. “Oui tu peux manger quand tu te
seras habillée. Je peux avoir un vêtement svp ?” On me donne 2 ou 3 pyjamas, chacun ayant son idée sur ce
qui serait le meilleur pyjama à proposer. J’en tends un à Inès qui m’ignore. Je le pose près d’elle et lui
rappelle la règle.
On a passé toute la journée à attendre. Les premières avec beaucoup de stress pour ma part. A chaque fois
qu’elle faisait une demande on lui retendait le pyjama et lui rappelait la règle. Elle le jetait et se balançait
nue.
C’était difficile de faire réagir la famille de façon différente de leurs habitudes : non svp, on ne lui répète pas
15 fois la même chose. Une fois suffit. On ne lui en parle pas si elle ne fait pas de demande. Je leur ai expliqué
qu’on veut qu’elle s’ennuie tellement qu’elle décide par elle même de suivre la consigne, en étant très très
motivée pour accéder à ses activités préférées. Quand elle aura fait 1 fois l’expérience que quand je mets
mon pyjama j’ai accès à tout ce que j’aime, les fois suivantes devront être de plus en plus rapides. Quand au
bout de 15 minutes Inès n’était toujours pas habillée, les soeurs et la maman l’ont expliqué par le fait qu’
“elle ne comprend pas” ce qu’on lui demande.
Selon moi elle comprend très bien. Elle ne veut pas s’habiller, mais elle comprend très bien ce qui se passe : elle
nous regarde et jette le pyjama, quand elle demande le croissant et que je lui dis “oui, dès que tu as mis ton
pyjama je te le donne” elle parait contrariée et retourne à ses balancecments. En fin de journée, à l’heure du
coucher où habituellement elle enfile un pyjama après la couche, elle a refusé de se couvrir. Je pense qu’elle
est en plein conflit internet et qu’elle nonplus ne veut rien lâcher. C’est pourtant nécessaire pour son bien.

66
On a attendu toute la journée. Au fil des heures on s’est détendus, on a discuté de tout et de rien, revenant
sur nos gardes à chaque mouvement d’Inès qui la sorte de son balancement : est-ce qu’elle va le mettre ou
est-ce qu’elle va nous attaquer ? A un moment j’étais dans le couloir en face d’elle, elle s’est levée de son
tapis, je suis restée là, à me dire que ma tête était bien trop proche du mur en carrelage, et qu’elle pourrait
me fendre le crâne en me poussant comme la veille contre le mur. Mais non, elle s’est juste déplacée sur le
canapé du salon. Ouf.

Je devais quitter à 18h, mais vu la situation en cours, je ne voulais pas laisser la famille seule avec Inès, de
peur qu’ils ne craquent et lui donne des chips et des gâteaux avant d’aller au lit, ce qui aurait été
catastrophique pour la réussite de l’intervention. Je voulais aussi leur montrer que j’étais avec eux dans
cette galère. On l’a couchée peu après 21h et je suis partie, Karima prenant la responsabilité de la clé de la
chambre d’Inès “je dors avec ! Soraya elle risque trop de lui apporter de la bouffe en cachette dans la nuit.
Moi je comprends ce que vous voulez faire, et je vais pas craquer”. Je compte sur toi Karima !

Par moment ça a été dur pour moi. D’un point de vue étique. Qui affame une personne pour la faire
coopérer ? Qui souhaiterai que l’on fasse ça à son enfant ? Elle a dû avoir faim, et froid. Toute la journée. Et
je suis responsable de ça. Mais quel choix se présente à nous ?
Je préfère qu’elle ait froid et faim pendant un jour où 2, si ça lui permet d’avoir une motivation
suffisamment forte pour faire le choix que je souhaite qu’elle fasse (s’habiller et accéder à tout ce qu’elle
aime, plutôt que rester nue dans l’ennui et la faim), plutôt que de la savoir isolée toute sa vie, enfermée nue
dans une chambre d’hôpital psychiatrique.

Demain matin j’y irai plus tôt pour être certaine d’être là au réveil d’Inès, pour reprendre les choses là où on
les a laissées. Si elle n’accepte toujours pas de mettre son pyjama demain soir, je lui donnerai quelque chose à
manger, mais quelque chose sans trop de goût. Juste pour être un peu calée. Je ne lâcherai pas. Je suis
certaine qu’elle comprend ce qui se passe, et qu’elle peut faire ce choix du pyjama.
Si elle n’avait jamais de sa vie supporté de s’habiller je ne l’aurai pas fait. Mais elle met son pyjama pour
aller à l’IME (je ne sais pas si elle le garde toute la journée mais en tous cas elle peut le mettre). C’est donc
une affaire de “stimulus control” sur laquelle on travaille. Et bien que la famille ait baissé les bras, convaincue
qu’elle ne comprend rien et ne pourra jamais changer, je ne suis pas de cet avis. Et j’espère pouvoir leur
montrer à tous qu’Inès peut apprendre, comme tout le monde. Pas exactement comme tout le monde, mais
elle peut apprendre. Elle peut évoluer. Elle n’est pas vouée à vivre comme un animal toute sa vie.

Le 29/10/2020

ELLE S’EST HABILLEE !!!!!!! ELLE S’EST HABILLEE !!!!!!!!!

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Quand je suis arrivée ce matin Inès dormait encore. On m’a tout de suite dit “elle dort, elle n’a pas mangé!”.
Elles ont tenu bon. Super ! Et puis “Si ça marche pas aujourd’hui on lui donne à manger, hein ?” Oui, ce soir,
mais pas des choses préférées. Ne vous inquiétez pas, on ne la laissera pas mourir de faim. Et maintenant,
croisons les doigts.
Quand Inès s’est levée, elle a pris son traitement et a tenté d’ouvrir la cuisine et la chambre de Karima. “Si
tu veux manger il faut mettre le Pyjama”. Elle est partie se balancer dans le couloir. On s’est installée dans
le salon avec la maman. Elle nous a rejoint.
J’avais laissé exprès un morceau de biscuit sur la table. Quand on goûte à quelque chose, la motivation pour
en avoir davantage augmente. Je ne sais pas si elle l’a vu, mais elle ne l’a pas pris. Elle est restée avec nous,
à se balancer. Au bout d’une demi heure, je lui donne le morceau le biscuit l’air de rien “tiens”. Elle m’a
demandé encore. “Oui, mais d’abord vas t’habiller”. Et là, elle s’est dirigée vers le couloir, a ramassé le
pyjama… je retenais mon souffle … et l’a enfilé ! OUIIIIIII !!!!! Immédiatement je lui ai donné le pitch que
j’avais dans la poche (prends un pitch dans ta potch!), elle l’a englouti, et dès la dernière bouchée avalée, elle
s’est re-déshabillée. Quelques secondes plus tard ses soeurs sont rentrées. “Elle s’est toujours pas
habillée ?!” Mais siiiiii !!! elles avaient un sac de nourriture à la main, Inès l’a repéré immédiatement. “Tu
peux en avoir mais il faut d’abord t’habiller”. Et là BOUM Inès attrape le pyjama pour la seconde fois en
quelques minutes et l’enfile, sous le regard médusé de ses soeurs. Mais quelle joie ! Elle a eu tout ce qu’elle
voulait, tout le monde était aux anges, “Elle comprend ! Elle comprend !” Oui elle comprend !
Inès a gardé son pyjama plusieurs heures, trois environs, en écoutant de la musique et en mangeant quand
elle le voulait. Elle s’est re-déshabillée après s’être faite vomir (elle fait ça quand elle a trop mangé), et a
filé à la douche.
C’était bientôt l’heure de partir pour moi. Dans la journée, j’avais demandé à Karima et sa maman ce qu’elles
voulaient faire : continuer comme avant avec Inès nue, et seuls les éducateurs lui demanderaient de
s’habiller, ou continuer sur notre lancée et lui demander de s’habiller aussi à la maison. Sans une hésitation,
elles ont répondu “on continue comme ça! Elle va s’habiller maintenant!”. Soraya était du même avis. Alors on
a fait une petite réunion éclair le temps de la douche d’Inès pour se mettre au clair sur le protocole. Inès
est sortie de la douche et je suis partie.
A peine après avoir dessendu quelques marches, j’entendais “tu t’habilles ! Tu t’habilles ! Oui tu t’habilles !
Habilles toi et je t’ouvre la cuisine ! ” Et Inès qui crie. Ce n’était pas ce qui était convenu : on lui dit 1 fois
calmement et on attend qu’elle fasse par elle même. Insister n’aide pas, au contraire. Demi-tour, toc-toc-toc,
c’est encore moi.
Je rappelle à Soraya et Karima comment faire. Elles s’adaptent à ce que je leur demande. Inès s’habille,
Soraya lui ouvre la porte de la cuisine. Inès rentre, fonce dans la baie vitrée, tape un gros coup dedans,
attrape Karima et lui met des coups de tête. “Non ! Lâche moi!” Inès est visiblement en colère. Mais elle
lâche Karima et se cherche quelque chose à se mettre sous la dent.
Et Karima “On dirait qu’elle a le seum que je lui dise de s’habiller ! Elle comprend que je fais plus pareil avec
elle, alors elle m’en veut… Elle comprend !” Oui elle comprend. Et oui ça la met probablement en colère, et c’est

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sûrement pour ça qu’elle t’a attaquée. Mais ça lui passera. Elle s’est vite re-déshabillée, et quelques minutes
plus tard, ses soeurs le lui ont redemandé, et sans aucun problème de comportement, elle s’est rhabillée…
Quelle victoire… QuelleS victoireS. Inès qui accepte pour la première fois en 15 ans de porter des vêtements
chez elle. Inès qui répond à ce qu’on lui demande de faire. La famille qui perçoit qu’il se passe plein de trucs
dans la tête d’Inès, qu’elle comprend plein de choses, qu’elle peut en vouloir à quelqu’un, que ce n’est pas “la
maladie” qui crée les crises, mais bien l’environnement à laquelle elle est confrontée chaque jour, qu’elle
n’”attrape pas la crise” comme ça, pour rien. Et tout le monde qui se mobilise pour que la situation évolue,
alors que quelques heures plus tôt, et depuis longtemps, ils avaient tous baissé les bras. C’était une journée
pleine de joies. ESPOIR.

Le 30/10/2020

Journée bizarre…
Ce matin Inès dormait. J’ai préparé son traitement, rangé les couvertures, fermé cuisine et chambre de
Karima à clé, prête pour l’accueillir. J’ai affiché le protocole “Habille toi”, préparé un pyjama confortable, et
j’ai attendu…
Quand elle s’est levée, Inès portait toujours son pyjama. En ouvrant la porte de la chambre, une odeur nous
prévient qu’Inès a fait caca dans sa couche pendant la nuit. Elle a pris son traitement et rapidement, elle a
été à a douche, et a rincé ses fesses. Et puis la journée a commencé. “la clé oui”, “oui je t’ouvre la cuisine,
mets d’abord ton pyjama”. Inès s’est habillée. Bravo Inès ! Elle a déjeuné et a gardé ses vêtements un bon
moment. A l’heure du repas, sa soeur avait préparé la table et l’a invitée à venir s’asseoir. Inès n’a pas
suivi. Je lui ai suggéré de présenter visuellement à Inès son assiette pour la motiver à suivre, ce qui a bien
fonctionné. Inès était là, installée à table, habillée, a commencé à manger, tout allait nickel. Et puis patatra.
Je ne sais pas bien pourquoi sa maman a insisté pour qu’elle utilise une cuillère plutôt qu’une fourchette,
Inès lui a bien signifié calmement qu’elle préférait la fourchette, mais elle a insisté, Inès s’est mise en
colère, a commencé à taper la table, se mordre la main, et le ton est monté d’un coup de tous les côtés, Inès
a balancé son assiette, renversé tout ce qu’elle pouvait autour d’elle, ça criait dans tous les sens “c’est de ta
faute!”. Inès en crise, Karima en crise, Soraya en crise, maman au milieu qui se fait attraper par Inès qui
commence à la taper “Je suis malade ! Je suis malade!” “Tu tapes pas Ima ! Non ! Tu tapes pas!” Et dès que
la maman est relâchée la dispute entre les soeurs reprend de plus belle. Inès s’est re-déshabillée, il faut agir
vite. Gérer la crise d’Inès, veiller à ce que personne ne soit blessé, et vite vite ranger l’alimentaire qui
traine, les couvertures, fermer les portes à clé. Je demande de l’aide mais elles continuent de se disputer
tellement fort qu’Inès disparait au milieu des cris. Il faut à tout prix qu’elles se concentrent sur la priorité
du moment : Inès. Mais rien n’y fait. Je demande calmement à plusieurs reprises qu’elles prennent sur elles
et règlent les conflits plus tard, il faut agir pour Inès MAINTENANT. Je finis par crier moi aussi, entre les
filles “STOP ! STOP ! JE VEUX PLUS VOUS ENTENDRE ! STOP !”. Elles finissent par s’isoler chacune dans
une pièce, énervées comme pas possible, jurant de quitter le domicile pour de bon. “C’est trop ! C’est trop!”.

69
Je suis dégoûtée. J’ai moi aussi envie de quitter cette maison. Mais alors qu’Inès se calme, je ramasse les
objets qui ont volé, je nettoie le sol et les murs pleins de soupe de lentilles, les filles sont parties, je reprends
le contôle de l’environnement d’Inès, elle est apaisée.
Tout au long de la suite de la journée, j’ai vu d’un côté les progrès avec Inès : Elle s’est habillée 4 fois dans
la journée.
Et de l’autre je me sentais bloquée par le contexte : la maman qui pleure à longueur de journée, qui me dit “si
ca marche pas moi je préfère qu’elle aille à la Colombière” (l’hôpital psychiatrique). Mais rien ne marchera en
un claquement de doigts… Avec 18 ans d’absence de règles et de cadre, avec la taille et la force qu’elle a, avec
la fréquence et l’intensité de ses comportements problèmes, une amélioration est possible, on a déjà
commencé à y travailler, mais ça demandera des efforts et une concentration constante, une organisation et
une persistance qui visiblement ne peuvent pas pour le moment être attendus de sa famille : dès qu’Inès
s’énerve c’est toute la famille qui explose, et c’est précisément dans ces moments qu’il faut être rigoureux.
Alors quoi ?! On lâche tout, on l’envoie là-bas, alors qu’on a vu en quelques jours que le changement est
possible ?! Les éducateurs du soir prendront la relève à partir de lundi soir, on verra bien ce que ça donne…
Le reste de la journée, Inès a fait une grosse crise car elle était bien habillée et a voulu manger, mais il n’y
avait rien de ce qu’elle aime dans la cuisine. Crise. Destruction du salon. La télé d’1,60m de diagonale jetée. Eh
oui. Il aurait fallu pouvoir renforcer le fait qu’elle s’habille mais les conditions matérielles n’étaient pas
réunies. Quand j’entends Inès en crise je m’enferme dans la cuisine, Inès tape sur la porte tellement fort que
j’ai peur que le verrou saute. Je crie à la maman “enfermez-vous!” pendant que je l’entends dire “Inès va à la
douche ! Va à la douche!”. Mais non ! Pas “va à la douche !” On se l’était dit : en cas de crise on s’enferme et
on attend…
Aussi, dans notre relation, quelque chose a changé : je crains moins ses crises. Peut être parcequ’elle a réussi
à m’avoir plusieurs fois ces derniers jours, mais sans jamais me blesser. Il y a aussi eu ce début d’attaque où
j’ai pu lui bloquer les 2 mains. On était face à face, ses mains dans les miennes. Un regard de quelques
secondes pendant lesquelles on paraissait se jauger : mes yeux lui disaient “non”, les siens paraissaient dire
“j’y vais ou pas?” Je lui ai lâché les mains en la repoussant légèrement, et elle s’en est allée sans aller plus
loin. Pour le moment j’ai pu me mettre en sécurité, et les quelques coups qu’elle a pu me porter n’ont pas été
si terribles que ce à quoi je m’attendais. Et elle se rapproche de moi. Ces 2 derniers jours on se rapproche. Ca
lui arrive de venir s’asseoir près de moi, et je peux poser ma main sur son dos sans qu’elle me repousse. Ce
soir, quand je suis partie, pour la première fois elle m’a répondu : “Salut Inès!” “Salut” et elle a attrapé la
main que je lui tendais. C’était beau.

Le 31/10/2020
Dernière journée d’intervention. Dès mon arrivée Karima me prévient : “Hier on lui a donné à manger toute
nue, elle a fait une grosse crise, ma mère a failli se jeter par la fenêtre, tous les voisins ont rappliqué, elle a
fait scandale!”. “Ok. Je prépare le lever d’Inès et on en parle.” Elle m’explique rapidement la scène, son ras-
le-bol. Et moi je vois cette jeune fille de 21 ans, toute la journée la serpillère à la main, porter à bout de bras

70
sa soeur lourdement handicapée, sa mère malade et à bout de nerfs, alors qu’elle même est sur le fil. “Je suis
désolée pour toi Karima, que tu aies une vie si difficile” “Ca va je m’en fous c’est pas grave”. Si c’est grave.
Inès se lève. Une odeur nauséabonde se dégage de sa chambre. Je l’accueille et lui donne son traitement alors
que je constate qu’elle a du caca plein les jambes et les pieds. Pendant ce temps, des bruits de haut le coeur
proviennent de la chambre : c’est Karima qui nettoie la merde étalée au sol.
Allez Inès, à a douche. Inès se met en boule sous une couverture et balance, toujours sale. Je finis par lui
retirer rapidement la couverture et attends 10 minutes avant qu’elle ne se lève pour accepter d’aller à la
douche. Pendant qu’elle baigne dans une eau marron, je prépare le pyjama du jour et tente d’aider Karima qui
refuse mon aide.
Sortie de douche. Comme toujours, Inès refuse la serviette, sort de la baignoire trempée et dégoulinante, se
rend dans le couloir glissant et tente d’ouvrir la cuisine. “Habille toi et je t’ouvre”. Inès attrape son pyjama,
commence à l’enfiler, peine à ajuster le haut qui accroche sur l’eau et s’enroule sur son dos. Je lui propose mon
aide et elle me présente son dos. Je lui ajuste le T Shirt, elle enfile le short, et je lui ouvre la cuisine, ravie de
voir comme elle peut apprendre. Elle entre dans la cuisine, se jette sur les placards, ouvre le frigo, sort tout
ce qui lui plait, dévore ce qu’elle trouve plaisant debout devant le plan de travail, verse un demi paquet de
céréales dans un saladier qu’elle remplit d’eau, mange dans l’évier, tente de mettre un sachet entier de pitch
au micro ondes, je l’en empêche, ça l’énerve, peut être qu’elle me tape, je ne sais plus… Mais quand sa soeur
Soraya lui dit “non” pour les escalopes c’est trop pour Inès. Elle se mord la main, commence à se déshabiller.
Je guide Soraya “Elle sort de la cuisine si elle se déshabille”. Pendant que range la couverture et vérouille la
chambre, un cri : En voulant la faire sortir, Soraya se fait attraper et mordre au bras. Inès est en crise. Je
me barricade dans le salon, entrouvre la porte et vois Soraya, Karima, et la maman autour d’Inès “enfermez
vous!”. Mais elles s’énervent “c’est trop ! c’est trop!” la maman qui me crie sa maladie et sa fatigue dans
l’entrebaillement de la porte “PAS MAINTENANT ! ENFERMEZ VOUS!”. “Allez on appelle ! On appelle !” Les
voilà qui attrapent un téléphone, et alors qu’Inès est au sol en boule dans le coin du couloir, elles appellent les
pompiers. “Elle repart à la Colombière! Elle part !”. J’observe la scène, je regarde Inès, je l’imagine en
chambre d’isolement, assomée de traitement, mon coeur se serre. “Est-ce que je peux faire quelque chose
pour vous aider ?” “Tiens, parle aux pompiers”. J’attrape le téléphone, je tremble, “Allo ? Allo ?” “Bonjour,
j’appelle pour la jeune Inès Seddik, autiste sévère, qui vit au 111 rue Cambridge, elle a fait une crise, sa
famille souhaite qu’elle retourne à la colombière où elle a une place qui lui est réservée”. Bim bam boum, en
quelques minutes les pompiers arrivent, surpris par la situation, ne sachant pas comment procéder avec
Inès qui ne répond à rien et s’agite quand ils tentent de contrôler sa tension. Ils appellent le Samu pour la
sédater pour le transport. Valium. Soraya s’y oppose. Après une longue négociation, Inès finit par suivre
Karima dans le camion, avec la musique. En bas du bloc, les véhicules de secours attirent les voisins. Plusieurs
femmes nous rejoignent, parlent en arabe avec la famille d’Inès. Toutes se doutaient que c’était pour elle.
Toutes plaignent sa famille. De l’autre côté du trottoir les hommes observent la scène de loin. Le temps de
remplir quelques documents administratif et les camions partente, emportant Inès et Karima vers les
urgences psychiatriques. Je suis sonnée.

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Fin de la mission. Je remonte les 3 étages, hagarde. J’erre dans l’appartement, ramasse ci et là mes
affaires qui trainent : mes feuilles de données, les jouets, livres, la caméra.. Je ne retrouve pas tout. Je
repasserai la semaine prochaine récupérer mon matériel et prendre des nouvelles d’Inès et de sa famille. Je
leur dis au revoir, elles me remercient pour mon travail, et en fermant la porte de l’appartement je pleure.

J’ai besoin d’en parler. J’appelle Edouard du CRA que j’avais prévenu plus tôt de la situation. On se retrouve
dans les locaux du CRA, fermés le samedi, et on fait le point. Bilan : Inès peut apprendre, peut évoluer, ça a
été démontré et c’est un grand pas en avant pour son accompagnement éducatif. Mais ça demande un
étayage éducatif conséquent et des conditions matérielles importantes. La famille ne peut pas assurer ça.
Elle est trop usée par des années de souffrance et de galères.

Lors d’un échange téléphonique avec la MDPH, cette réflexion de la coordinatrice : Il faut créer de nouveaux
modèles de prise en charge. Les familles ont besoin d’être accompagnées dans la compréhension des
comportements, et dans l’éducation de leurs enfants à besoins éducatifs très particuliers. Oui. J’espère qu’un
jour ces interventions, ces guidances parentales pourront être proposées gratuitement à tous. Pour que des
situations comme celle d’Inès ne se reproduisent pas… Plus jamais.

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Annexe I : Relevé des émotions

Les séquences citées dans le texte sont mises en évidence en orange.

Séq Date, passage Antécédent à l’émotion : que Émotion / Sentiment : Effets : qu’est-ce que
uen s’est-il passé, qu’est-ce qui a Qu’est-ce que je ressens ? cette situation a
ce déclenché l’émotion ? généré ?

1 25/10/2020 Échanges avec Edouard Peur / Anxiété Préparation matérielle :


« on a une « situation très compliquée » Pression « récolté quelques
situation informations ….
compliquée, Premières informations récoltées « j’ai la sensation de partir sélectionné des
très sur la situation pour l’exploration d’un domaines à évaluer …
compliquée … terrain miné . Prêt à préparé mes fiches de
Petit Prince » Beaucoup d’attentes des exploser à tout moment » cotation et trames de
partenaires qui me confient la « pas très rassurant » « le compte rendu … tout un
mission coeur à 1000 à l’heure, la tas de matériel »
boule au ventre, et le
Conscience de mes capacités besoin de me préparer du Etat d’esprit défini :
physiques (agressions physiques mieux que je puisse » commencer par
fréquentes) observation simple, puis
intervention très
Expérience personnelle progressive pour
Intensité de la situation non évaluer.
habituelle « j’ai prévu d’y aller tout
doucement »

Motivation : Préparer
l’intervention !!!

2 26/10/2020 Échanges avec la maman « j’ai « Et moi je suis restée là à Sentiment


« Très vite, la pas la force, j’en peux plus… moi l’écouter, désolée d’implication :
maman m’a je meure … c’est pas une vie » d’entendre sa souffrance volonté de participer à
raconté sa et impuissante » améliorer leur quotidien

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vie… je veux Echanges avec la maman « c’est Empathie(souffrance / Évitement :
un internat » la maladie qui la rend comme ça, lourdeur / épuisement de J’évite, ou tente d’éviter,
moi je veux un internat » la maman) une discussion que je sens
Sortie de zone de confort : inépuisable à propos des
Habitude de travailler avec des Impuissance : je ne peux souffrances de cette
personnes impliquées. pas apporter à cette maman . (ne nourris pas
maman ce qu’elle l’échange)
Compréhension des attentes de demande.
la maman (et ce qu’elle voulait, Redirection :
ce n’était pas moi chez elle!) Inconfort J’essaye d’amener
Habitude de travailler avec l’échange vers ce que je
Expérience pro / croyance « elle des personnes impliquées souhaite faire durant la
a besoin de voir pour croire » : elle et volontaires semaine.
a eu plein de pro qui sont passés
par là et elle n’y croit pas… Solitude face à une mission Retenue :
Discours sans valeur, j imagine très importante envie d’expliquer que ce
peut être irritant n’est pas « la maladie »
Envie de créer une bonne relation qui « la rend comme ça »
pour commencer ce travail mais les expériences
vécues passées
(conditionnement) mais
ce n’est pas le moment,
pas adapté à elle

3 26/10/2020 Premiers contacts avec Inès : Peur / tension Réflexe


« on a entendu bruit BOUM dans la chambre, on s’est toutes
un gros BOUM par terre Insécurité écartées »
BOUM...activit vue de cette grande jeune fille,
é» Conscience / Mesure
Ressenti du climat familial : de la force et de la
tension « j’ai eu la sensation que soudaineté des coups.
tout le monde retenait son
souffle » Pensée
« si elle me met la même
claque dans la figure... »

74
Motivation : rester en
sécurité

4 26/10/2020 Vue d’Inès, au sol, en boule, par Trouble « En la regardant là,


« A un terre, nourrie comme un animal comme ça, j’ai compris
moment sa par ses sœurs. que oui, cette semaine
mère et sa allait être vraiment
sœur lui ont Conscience que cette situation longue »
apporté à est habituelle pour la famille
manger… Pensée « Quel bordel…
vraiment Conscience que la famille ne par où commencer ?! »
difficile» souhaite pas s’investir dans de
nouvelles pratiques / n’y croit Motivation : faire
pas « bonne figure »
séquence 2 - échanges avec la
maman Motivation : intervenir
auprès d’Inès mais
surtout auprès de sa
famille

5 26/10/2020 Objectifs : évaluation « la première journée été Changement


« La première séquence 1- préparation longue pour moi. Très d’approche :
journée a été longue » « c’était Tentative de créer une
longue… je Difficultés dans la réalisation de laborieux » situation où j’impose
veux qu’elle mes objectifs plus que je ne propose.
parte » - création de relation avec l’élève Frustration (Test 1)
« en vain généralement » « elle
m’a bien fait comprendre qu’il « A la fin de cette
fallait la laisser tranquille un journée j’ai voulu
point c’est tout. » tester... »
- Evaluation du profil sensoriel :
obtenir des informations de la Motivation : évaluer le
part de la maman très difficile – contrôle de l’instruction
digressions, répond « à côté » de façon plus directe
(plus d’implication dans
- Evaluation des préférences, la situation)
des capacités de communication
réalisées très rapidement →

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Pensée « quoi faire de tout ce
temps maintenant ?! »

6 26/10/2020 Tentative de situation imposée Frustration Rien dans l’immédiat


« A la fin de – séquence 5 – changement de
cette stratégie Test 1 Irritation Evaluation contrôle de
journée… si Test 1 saboté par la maman. l’instruction
elle s’agite » « faisant accourir sa maman un
yaourt à la main » Motivation : Poursuivre,
ne pas laisser entrevoir
Conscience que les irritation
comportements d’Inès sont en
grande partie conditionnés par
sa famille

7 « Elle a été aux Vue d’Inès qui refuse de « on en est là. En l’écrivant Rien dans l’immédiat
toilettes… en s’essuyer les fesses, et met des je me sens triste, et en
colère aussi » selles partout où elle s’assoit colère aussi » Evaluation contrôle de
l’instruction
Pensée : Comment a-t-on pu Tristesse / Colère /
laisser un situation pareille Révolte Motivation : Poursuivre,
perdurer sans intervenir ?! ne pas laisser entrevoir
Situation dramatique à mon sens. tristesse / colère / révolte
Sentiment que cette famille et
cette jeune fille ont été
abandonnés.

8 26/10/2020 Séquences 5 et 6 « j’ai la sensation de m’y Rien dans l’immédiat


« Bilan de être laissée couler »
cette Motivation : trouver une
journée… Inutilité / Echec / issue positive à cette
couler » Insatisfaction intervention

9 27/10/2020 « non » posé à Inès → agression Surprise Reflexe


« Inès qui Insécurité « sans se concerter,
prend mon Stress dans un réflexe
téléphone ... A d’urgence, on parvient
ïe. Oui aïe » ensemble à la repousser

76
« nos respirations fortes et hors de la cuisine et à
rapides » refermer la porte … on
« je sursaute » tient la porte à 2… on
ferme à clé et on reste
Douleurs (râpée sur un collées à la porte. » « je
meuble, cervicales) sursaute »

Evitement
On ne fait plus un bruit.
On n’entend que nos
respirations rapides et
fortes… on chuchotte »

Motivation : rester en
sécurité

Premier échange verbal


spontané avec Inès :
« tu m’as poussée tout à
l’heure, ça m’a fait mal,
je veux pas que tu fasses
ça. Elle me répond
« Aïe » »

Evaluations réalisées :
- Accepter le retrait de
renforçateurs
- Fonction comportement
hétéro agressif

10 27/10/2020 Test 2 contrôle de l’instruction Frustration Supervision Corey


« la victoire du concluant Je voudrais que ça aille plus Matière pour entretien
jour… Ouf ! » Attente pénible (3h30) vite, faire plus de choses... avec Corey : j’ai quelque
chose de positif/ de
fonctionnel à quoi
m’accrocher.

77
11 27/10/2020 Dispute et climat familial Confusion Désinvestissement des
« J’ai du mal à 1ère agression d’Inès « j’ai du mal à reconstituer cotations et données.
reconstituer le Poids de la Journée précédente – le fil de la journée » « je n’ai pas le courage
fil de la sequence 8 Epuisement de traiter mes données
journée Peu de réussite dans la création Insatisfaction ce soir, et sur la fin de la
d’échanges agréables avec Inès Frustration journée je crois que j’ai
« elle a accepté de participer Découragement même arrêté de coter. »
quelques secondes »

12 27/10/2020 Echanges avec Corey Soulagement / Décide d’en rester là


« plus tard...à (retrace observations des Reprise d’Assurance avec l’évaluation.
la maison » premiers jours) :
Validation de mon évaluation / « Je me sens mieux » J’entre en action dès le
perspectives d’intervention. lendemain.
Nous pensons aux mêmes
objectifs prioritaires et Motivation : prouver
stratégies d’intervention. qu’Inès a des capacités et
peut apprendre

13 28/10/2020 Inès dort à mon arrivée Soulagement : beaucoup Compléter données et


« ce matin… de choses à faire avant son préparer l’intervention
dès réveil de façon rigoureuse
aujourd’hui »

14 28/10/2020«à Pensées autour de l’intervention Espoir Préparation,


partir vu avec Corey (séquence 12) confiance / assurance explication, mise en
d’aujourd’hui… - protocole défini (Test 2 sûre de l’utilité et de la pratique !!!
.le reste pour amélioré) réussite à venir de ce que « préparé une feuille de
le moment, on - motif d’intervention bien ancré je fais données, expliqué à la
s’en fout » « Ca prendra du temps. famille ce que j’allais
Mais j’ai bon espoir... » faire aujourd’hui. Je les
ai prévenu : ça va être
difficile »
« tout le monde a
accepté… on a été
toutes ensemble ouvrir à
Inès avec empressement
et excitation »

78
Motivation : prouver
qu’Inès a des capacités et
peut apprendre

15 28/10/2020 Mise en place Du protocole Stress / sécurité Je me positionne pour


« Elle a « habille toi » être en sécurité, je suis
accepté de → situation inédite pour Inès, « est-ce qu’elle va le prête à appliquer le
prendre son risque de dégoupiller? mettre ou est-ce qu’elle va protocole de protection
traitement...ca nous attaquer ? » si besoin
napé du salon. Mouvements d’Inès, tentatives
Ouf » d’obtenir à manger « au fil des heures on
s’est détendues,
Attente longue revenant sur nos gardes
« au fil des heures on s’est à chaque mouvement
détendues, revenant sur nos d’Inès qui la sorte de son
gardes à chaque mouvement balancement »
d’Inès qui la sorte de son
balancement » « à me dire que ma tête
était bien trop proche du
mur en carrelage et
qu’elle pourrait me
fendre le crâne en me
poussant comme la
veille contre le mur. »

Motivation : rester en
sécurité

16 28/10/2020 Echanges avec les sœurs et la Confiance dans mes Attente confiante
« Au bout de maman « elle ne comprend pas observations, mes (pas d’impact de leurs
15min… pour ce qu’on lui demande » interprétations, mon avis / pensées : je reste
son bien » intervention. Assurance sur ma ligne de conduite
« Je pense qu’elle […] ne et j’y crois)
veut rien lâcher »

79
Motivation : prouver
qu’Inès a des capacités et
peut apprendre

17 28/10/2020 Protocole « habille toi » en « Peur qu’ils ne craquent » Je reste jusqu’au


« Je devais cours (attente qu’Inès accepte coucher + remet
quitter à 18h … de s’habiller pour manger) « Je compte sur toi responsabilité de la clé
je compte sur Observations de la maman qui Karima ! » à Karima.
toi Karima ! »» « ne tient pas » (Test 1 - accourt Je prévois d’y aller plus
avec un yaourt à la main – Début de sentiment de ne tôt le lendemain
séquence 6) plus être seule « demain matin j’y irai
Observations et échanges avec (fragilité de l’ « équipe » plus tôt pour être
Karima : c’est elle qui a le plus tout de même… Karima certaine d’être là au
d’implication, de constance ambivalente) réveil d’Inès, pour
auprès d’Inès. Elle paraît reprendre les choses là
comprendre l’enjeu de tenir bon où on les a laissées »
« Moi je comprends ce que vous
faites et je vais pas craquer ! »

18 28/10/2020 Pensées / réflexions sur « ça a été dur pour moi. Réassurance seule : me
« par moment l’intervention mise en place d’un point de vue étique » rappelle les raisons de
ça a été dur Balance coûts / bénéfices de « je suis responsable de cette intervention,
pour moi… l’intervention ça » évoquées avec Corey la
chambre Conscience de mettre en œuvre veille
d’hôpital une intervention questionnante Lourde responsabilité (séquence 12)
psychiatrique d’un point de vue étique.
»

19 28/10/2020 Pensées / prévisions lendemain Assurance Poursuite de


« Si elle si « je ne lâcherai pas. » l’intervention avec
n’accepte adaptations nécessaires du « Je suis certaine qu’elle assurance
toujours pas… protocole comprend ce qui se « Je ne lâcherai pas »
comme un passe »
animal toute Pensées rationnelles ABA
sa vie » Espoir
Conviction « Elle peut « j’espère pouvoir leur
apprendre. Elle peut évoluer. » montrer à tous qu’Inès
peut apprendre »

80
20 29/10/2020 Expériences passées de Grande joie Mise en place de la
manipulation de motivation conséquence prévue
« ELLE S’EST « Quand on goûte à quelque Soulagement immense dans le protocole :
HABILLEE !!! » chose, la motivation pour en accès à la nourriture
avoir d’avantage augmente »
« J’avais laissé Poursuite de
exprès… re- « Sortie » du protocole tel qu’il l’intervention avec
déshabillée » a été écrit encore plus de confiance
« Je donne à Inès un morceau de / d’assurance.
biscuit »

Réussite ; Elle enfile ses


vêtements !!!
La motivation augmente → elle
coopère pour enfiler le pyjama
pour la première fois, après 26h
d’attente !!!

21 29/10/2020 Séquence 20 – joie de la « Mais quelle joie ! » Motivation : nouveaux


« quelques première réussite du protocole « tout le monde était aux objectifs : former la
secondes plus anges » maman et les soeurs
tard… Les sœurs d’Inès rentrent avec « QuelleS victoireS »
ESPOIR » un sac de nourriture « c’était une journée pleine Demandé à Karima et
« tu peux en avoir mais il faut de joies. ESPOIR » la maman si elles
d’abord t’habiller » veulent participer →
Inès s’habille devant ses sœurs Sentiment d’une mission obtention de leur
accomplie : les sœurs et la adhésion « sans une
Je les vois, choquées de voir Inès maman perçoivent les hésitation » / « petite
répondre « elle comprend ! Elle capacités d’Inès + elles réunion éclair »
comprend ! » sont motivées à aller dans
cette direction :-)
« on dirait qu’elle a le seum,
elle m’en veut » Assurance +++
Joie
Réussites du protocole Espoir

81
22 30/10/2020 Routine du matin complétée de Je me sens au top !
façon fluide (aller à la douche). Je suis dans une
« Ce matin Réussite habillage. dynamique de réussite,
Inès dormait… Coopération sœurs « je lui ai j’avance dans mes
tout allait suggéré…ce qui a bien objectifs, la lourdeur des
nickel » fonctionné » premiers jours me paraît
loin derrière.

23 30/10/2020 Crise d’Inès → crise des sœurs Urgence Motivation : maintien


et de la maman du protocole en
« Et puis « il faut agir vite. Gérer la situation de crise.
patatra...ferm Pensée « j’aurais dû tout de suite crise d’Inès, veiller à ce que
er les portes à arrêter la maman quand elle a personne ne soit blessé, et Je demande la
clé » demandé pour la fourchette » vite vite ranger participation des sœurs
l’alimentaire qui traine, les et de la maman.
couvertures, fermer les
portes à clé »

24 30/10/2020 Séquence 23 (demande aide) Colère Je crie sur les filles et la


Séquence 21 (sœurs et maman maman, et leur ordonne
« Je demande engagées verbalement à suivre de quitter la pièce.
de l’aide.. C’est les recommandations) Je les menace de m’en
trop ! » aller et d’arrêter mon
Pas d’aide / de coopération intervention si elles ne
possible (dispute collective) coopèrent pas.

La dispute fait monter la crise


d’Inès : le comportement des
sœurs et de la maman sont un
véritable obstacle à la poursuite
de l’intervention.

25 30/10/2020 Séquence 23 « je suis dégoûtée. J’ai moi Je ramasse et nettoie le


Séquence 24 aussi envie de quitter cette salon.
« Je suis maison »
dégoûtée… Les sœurs et la maman parties, Observation directe de
Elle est Inès se calme Frustration / Déception la contingence
apaisée » par rapport à l’objectif de - dispute familiale→

82
cohésion familiale autour crise
d’Inès - arrêt de la dispute →
retour au calme
Deuil de l’idée d’un
accompagnement Motivation : reprendre
éducatif familial SEULE le contrôle de
Tristesse / colère l’environnement, ne plus
trop compter sur la
famille.

26 30/10/2020 Pleurs de la maman, demande Sentiment d’être bloquée « Les éducateur du soir
de la Colombière, « dès qu’Inès par le contexte prendront la relève à
« Tout au long s’énerve c’est toute la famille qui partir de lundi soir, on
de la suite de explose, et c’est précisément Sentiment d’injustice verra bien ce que ça
la journée… dans ces moments qu’il faut être « Alors quoi ?! On lâche donne ...»
les conditions rigoureux » tout, on l’envoie là-bas,
matérielles Moyens matériels insuffisants alors qu’on a vu en Motivation : déléguer /
n’étaient pas « Il aurait fallu pouvoir quelques jours que le transmettre
réunies » renforcer » changement est possible ? l’intervention aux
éducateurs.
séquence 25 Expectative de la suite
des événements selon
les autres personnes
impliquées dans
l’accompagnement

27 30/10/2020 Inès crise, je m’enferme « Mais non ! Pas va à la


→ Crie à la maman « enfermez douche ! On se l’était dit :
« Quand vous » en cas de crise on
j’entends Inès Et la maman répète « va à la s’enferme et on attend ! »
en crise … on douche !» au lieu de s’enfermer
attend... » Irritation / bloquée par le
contexte
Je suis irritée par
ce « nimportequoi » que
fait la maman qui sabote
les situations : instruction
pendant une crise ?! Ne

83
pas se protéger et après
crier « Aïe » ?!

28 30/10/2020 Séquences 9, 23, 27 « Dans notre relation Motivation : aider Inès à


quelque chose a changé : avoir un avenir serein
« Aussi, dans Réussi à m’avoir plusieurs fois Je crains moins ses crises »
notre sans jamais me blesser
relation… début d’attaque / regardant « C’était beau »
C’était beau » pour le moment j’ai été en
sécurité Affection - gratitude
quelques coups « pas si
terribles »
« Ces 2 derniers jours on se
rapproche. Ca lui arrive de venir
s’asseoir près de moi et je peux
poser ma main sur son dos sans
qu’elle me repousse.
« Elle m’a répondu « Salut » et
elle a attrapé la main que je lui
tendais.

29 31/10/2020 Karima me raconte une soirée Empathie : Lourdeur / J’aide Karima autant que
catastrophique, son ras le bol. Tristesse / Injustice possible à nettoyer,
« Dernière Images de Karima tout au long ramasser...
journée...la de l semaine qui se démène « je suis désolée pour toi
merde étalée chaque jour pour maintenir cette Karima » Je compte sur l’équipe
au sol » maison « en état » « si c’est grave » éducative à venir
La vue des selles étalées
partout, l’odeur...

30 31/10/2020 Séquences 6, 7 « ravie de voir comme elle


Routine du matin réalisée. peut apprendre ».
« Allez Inès, à Coopération d’Inès
la douche… grandissante. Satisfaction
ravie de voir Espoir de progression grâce
comme elle aux éducateurs
peut
apprendre »

84
31 31/10/2020 Séquences 9, 23, 27, 28 « (Peut être qu’elle me
Elle tente de mettre uns sachet tape,) je ne sais plus »
« elle entre entier de pitch au micro ondes,
dans la je l’en empêche, ça l’énerve, Absence d’émotion de
cuisine… je ne peut être qu’elle me tape peur
sais plus »

32 31/10/2020 Séquences 19, 20, 21, 22, 26, 28 « mon coeur se serre ». « est-ce que je peux faire
Crise d’Inès, mord Soraya. « je tremble » quelque chose pour
« Quand sa Ne s’enferment pas comme vous aider ? »… j’appelle
sœur Soraya prévu : Affection. moi-même les pompiers
lui dit non… Les 3 femmes explosent « c’est Désemparement. Révolte
une place qui trop ! c’est trop ! » «la maladie intérieure. « Non !!! »
lui est dans l’entrebaillement de la Retenu
réservée » porte », « on appelle, elle part ! »
« j’observe la scène, je regarde
Inès, je l’imagine en chambre
d’isolement, assomée de
traitement »

33 31/10/2020 Séquence 32 « Je suis sonnée. j’erre pour ramasser mes


Arrivée des pompiers, Inès part Hagarde » affaires et partir. Je
« Bim bam avec Karima vers les urgences pleure en refermant la
boum… psychiatriques. Choc / confusion porte
souffrance et Appelle Edouard →
de galères» Bilan de l’intervention

34 31/10/2020 l’ensemble de la semaine Implication pour la cause Bilan de la semaine


des familles d’enfants d’immersion avec la
« Lors d’un autistes MDPH. Je mets l’accent
échange sur le manque
téléphonique d’information de la
… plus famille, et les
jamais » conséquences
dramatiques de 18
années de carences
éducatives, dans l’espoir
que les guidances
parentales soient offertes

85
à tous ceux qui en
auraient besoin.

86
Annexe II : Protocole Habille-toi

Protocole
Habille-toi

Date : 29/10/2020
Elève : Inès

Objectifs :
Pour pouvoir un jour intégrer une structure de vie en collectivité, Inès a besoin d’apprendre à tolérer de porter
les vêtements sur demande d’un adulte. Dans un premier temps, elle portera ses vêtements pour avoir accès à
ses activités préférées uniquement.

Si Inès est nue (le matin au lever et au cours de la journée)

A faire :
1 → Fermez à clé la cuisine et la chambre de Karima
2 → Retirez / Bloquez l’accès à « Musique – couverture - alimentaire »
3 → Préparez lui une tenue confortable qu’elle a déjà mise par le passé
4 → Laissez accès libre à la chambre / couloir / salon
5 → Si elle demande ou montre qu’elle veut à manger / la couverture / la
musique : Lui expliquer 1 fois « Oui tu peux avoir …, mets tes vêtements /
habille toi d’abord » en pointant vers les vêtements.
6 → Attendez !!! Soyez fermes, patient.e.s et bienveillant.e.s

A ne pas faire :
Ne pas l’habiller de force / l’aider à s’habiller
Ne pas parler de sa nudité devant elle
Ne pas lui demander de s’habiller en dehors des moments où elle est motivée par quelque
chose parmi « musique-alimentaire-couverture »
Ne pas répéter la consigne et insister : si elle ne répond pas, attendre que la motivation soit
suffisamment forte pour accepter de s’habiller. Si on répète, Inès s’énerve risque de présenter des
comportements problèmes évitables

Si Inès est habillée (le matin au lever et au cours de la journée)

87
A faire :
1 → Félicitez là ! Montrez lui que vous êtes contents de la voir habillée !
Quand vous lui donnez la musique / la nourriture / la couverture, rappelez lui
« Je te la donne, tu es super bien habillée ! »
2 → Donnez lui accès à la musique, à l’alimentaire, à la couverture autant
qu’elle le souhaite.
3 → Si elle retire ses vêtements, laissez la faire, et reportez vous à la section
« Si Inès est nue »

A ne pas faire :
Ne pas lui interdire de se déshabiller
Ne pas lui dire « garde tes vêtements »
Ne pas lui poser d’autres consignes (ex : si elle vient de s’habiller, lui donner
immédiatement à manger / musique / couverture – ne pas lui dire «viens t’asseoir à table »)

88
Annexe III : Projet d’intervention

Projet d’intervention

Date : le 16 octobre 2020


Elève : Inès , née le 24/02/2003
Intervenante : Sarah Christel Mommeja, BCaBA 0-17-8126
Missionnée par : Edouard, psychologue, CRA Montpellier
Objectifs : Evaluation comportementale – Préconisations
Dates et lieu d’intervention : du 26 au 31 octobre 2020, 8h/ jour, au domicile familial.
Personnes présentes sur les lieux : Mère d’Inès, les sœurs d’Inès

Définition des objectifs :

• Pairing et contrôle de l’instruction :


Avant l’évaluation et tout au long de l’intervention, il sera nécessaire d’établir une
relation positive et agréable avec Inès. Associer l’intervenant à des stimulations
agréables et motivantes permettra d’évaluer les compétences dans de bonnes
conditions.
Aussi, un travail progressif sera effectué pour habituer Inès à répondre aux
demandes de l’intervenant. Cela permettra de la faire participer à des activités
variées au cours de la journée, qui seront support pour évaluer ses compétences
fonctionnelles.

• Evaluation des préférences :


Les activités / stimulations favorites d’Inès seront évaluées par ordre de préférence,
parmi une large sélection d’activités explorées au cours de la semaine. Ces activités
/ items / stimulations favorites pourront être utilisées en tant que levier de
motivation par la suite pour permettre
- l’évaluation des compétences
- la mise en place de programmes éducatifs nécessitant un soutien de la motivation
→ Une liste d’agents renforçateurs sera créée

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• Evaluation du profil verbal :
Le profil verbal sera évalué afin de sélectionner une méthode alternative de
communication adaptée au profil d’Inès (à ses capacités d’imitation, de
discrimination, à ses possibilités motrices, au coût en efforts nécessité…).
Cette évaluation prendra appui sur la grille de sélection d’un mode de
communication de l’EFL (Essential For Living, voir plus bas)
→ Une préconisation de mode de communication adapté sera effectuée.
→ Des programmes de développement de la communication par
l’utilisation du moyen de communication sélectionné pourront être proposés.
(Verbal Behavior)

• Evaluation des compétences fonctionnelles :


L’EFL est un curriculum fonctionnel permettant de cibler les besoins d’intervention
en partant des compétences les plus indispensables (Must Have) vers les plus
désirables (Should Have, Good to Have, Nice to have).
Nous l’utiliserons pour évaluer
- les compétences verbales (auditeur, locuteur)
- les compétences fonctionnelles (autonomie dans les gestes de la vie quotidienne)
→ Une liste d’objectifs fonctionnels adaptés aux possibilités et besoins d’Inès
sera préconisée
→ Des préconisations visant le développement de l’autonomie et de la
communication seront effectuées
→ Des programmes éducatifs correspondant aux objectifs ciblés
pourront être proposés.

• Evaluation des barrières aux apprentissages :


La grille d’évaluation des barrières aux apprentissages du VB-MAPP sera utilisée
pour déterminer si des barrières aux apprentissages existent, ainsi que leur
importance.
→ Un compte rendu rendra compte des barrières aux apprentissages sur
lesquelles travailler par ordre de priorité.
→ Des préconisations pour diminuer ces barrières aux apprentissage seront
faites.
→ Un accompagnement vers la diminution des barrières aux
apprentissages pourra être proposé.

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• Evaluation fonctionnelle des comportements problèmes :
Les comportements problèmes seront mesurés et permettront de rendre compte
de façon objective de la présence de ces comportements.
Une évaluation fonctionnelle directe descriptive sera mise en œuvre afin de
déterminer des contingences / contiguïtés favorisant l’émergence des
comportements problèmes.
→ Une évaluation des comportements problèmes sera faite (description
comportementale, fréquence, durée, magnitude, fonctions probables)
→ Des préconisations d’interventions seront effectuées pour cibler une
diminution des comportements problèmes (gestion des antécédents et des
conséquences)
→ Un accompagnement vers la diminution des comportements
problèmes pourra être proposé

• Evaluation du profil sensoriel :


L’évaluation du profil sensoriel (Profil de Dunn) indiquera les éventuelles
particularités sensorielles (hypo / hyper-sensibilités) qui seront à prendre en compte
dans l’environnement d’Inès, pour son bien être et pour permettre d’intervenir d’un
point de vue éducatif de façon adaptée à ses entrées d’informations sensorielles.
→ Un compte rendu* sera établi, préconisant certains aménagements de
l’environnement au besoin.
→ Il sera nécessaire pour cet aspect de faire appel à un psychomotricien /
ergothérapeute pour confirmer l’évaluation menée.

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Annexe IV : Évaluations / Préconisations : Compte rendu

Evaluations / Préconisations

Date : 02/11/2020
Elève : Inès, née le 24/02/2003

I - Items / Activités préférées :


I.I Motivation forte quasi-constante :

- Musique (un peu de tout, plutôt des choses calmes, chanson « musique d’ambiance »)
- Manger (chips, gâteaux, cacahuètes, viande, légumes, céréales trempés dans l’eau,
fruits)
- Couverture (se mettre en boule dessous et balancer contre un mur / dans un coin, en
écoutant de la musique)
Les items ci-dessus peuvent être utilisés comme leviers de motivation pour développer la
coopération d’Inès pour accomplir les gestes de la vie quotidienne.
Ils doivent être isolés, pas en accès libre d’Inès, et utilisés uniquement pour travailler les
objectifs en cours.

I.II Motivation quand état stable, détendue, « en recherche d’autre chose » :

- Regarder les gens passer


- Livres de cuisine avec photos / attention pour lecture de recette ?
- Livres autres (animaux …) - moins motivants que les livres de cuisine mais un peu
d’intérêt
- Kaléïdoscope / objets de stimulation visuelle
- Objects à manipuler : aimants, objets mous
- Coller des gommettes (carrés de mousse mosaïque)
- Toupies (à confirmer)
- Ecouter quelqu’un chanter
- AquaDoodle
- La douche (quand elle le décide, sur suggestion)

92
Ces items peuvent être présentés / proposés à Inès pour s’occuper au cours de la journée.
Lui proposer régulièrement des petits temps de « jeu » permet d’éviter l’ennui et de
développer possiblement ses centres d’intérêt / son langage.
Lorsqu’Inès s’ennuie, elle a tendance à rechercher l’attention en présentant des
comportements problèmes. Il est donc préférable d’anticiper cela en lui fournissant un
environnement calme (comme elle l’apprécie) mais avec quelques propositions
régulières d’occupations (seule ou à 2).

II - Langage :

Inès parle lorsqu’elle veut obtenir quelque chose. Elle peut demander des objets
spécifiques : seule pour les objets quotidiens (couverture, gateau...) et avec aide pour les
items moins familiers. Elle peut parfois faire des demandes surprenantes (« une chanson
douce » alors qu’on écoutait la musique).
Lorsqu’une proposition lui est faite, elle peut répondre « Oui » mais c’est parfois un « faux
oui » : il faut alors vérifier sa motivation en lui présentant visuellement l’item proposé.
Elle peut également montrer par des gestes ce qu’elle souhaite (tenter d’ouvrir une porte
fermée et regarder la personne qui a la clé).
Elle préfère se saisir elle même les choses qui l’intéressent si elles sont à portée de main
et ne demandera que si l’item est hors vue et hors d’accès.

Pour l’aider à développer son langage,

• Lorsqu’elle veut obtenir quelque chose, lui nommer la chose et attendre qu’elle
répète pour le lui donner lui permettra d’augmenter son vocabulaire.
• Garder au maximum le contrôle sur l’environnement permet d’augmenter le
nombre d’occasions de pratiquer le langage : ranger pour favoriser les demandes.
• Dans certaines situations, Inès peut répéter une phrase entendue dans un contexte
similaire (se triturer la gencive et dire « tu saignes »), c’est une façon d’intéragir / de
discuter avec son interlocuteur. Elle est motivée pour parler d’une chose : Lui
donner de l’attention et lui proposer d’autres mots qui correspondent à la situation
peut participer à faire progresser son langage.
Aussi, profiter de sa motivation lorsqu’elle regarde quelque chose de spécifique avec
intérêt pour le nommer, le commenter…

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• Lorsqu’elle présente un visage découvert, ouvert et souriant, Inès souhaite
souvent accéder à de l’attention / des activités mais ne sait pas encore le
demander : lui donner le bon mot « on s’occupe ? / on joue ? ... » et lui proposer des
activités. Sinon quoi, Inès -s’ennuyant- risque de présenter des comportements
problèmes.

III - Compétences fonctionnelles :

III.I Compétences fonctionnelles d’aujourd’hui :


En raison de comportements problèmes fréquents et intenses, Inès présente un retard
important dans ses compétences fonctionnelles liées à la vie quotidienne. Elle s’occupe
principalement en se balançant sous une couverture et en écoutant de la musique, mais
peut aussi aimer observer le monde qui l’entoure, manipuler des objets, participer à de
rapides activités ne nécessitant aucun temps d’attente. (voir « activités préférées »). Elle
peut aller aux toilettes le jour lorsqu’elle en a besoin, sans rappel de l’adulte (elle se dirige
vers les toilettes et les utilise en autonomie). Elle porte des couches la nuit, qu’elle peut
parfois retirer au matin et salir la chambre. Elle ne sait pas s’essuyer après avoir utilisé les
toilettes et refuse pour le moment l’intervention d’un tiers. Elle peut parfois accepter
d’aller à la douche après être allée à la selle pour se rincer les fesses (elle peut accepter de
se laisser laver par quelqu’un de connu qui intervient avec fermeté) mais la toilette
complète reste compliquée. Elle ne tolère pas qu’on lui nettoie le ventre, et notamment la
région du nombril. Lorsqu’elle souhaite être laissée tranquille elle le manifeste 1 fois en
repoussant la personne. Il est important à ce moment d’accepter cette demande pour ne
pas générer de crise inutilement dans la baignoire.
III II Compétences fonctionnelles à développer : (par ordre de priorité / de faisabilité)
Aujourd’hui les priorités d’intervention doivent se focaliser sur l’acquisition de
compétences basiques indispensable à toute vie humaine digne, liées à la santé et à la
sécurité
Ces compétences permettront peut être un jour permettre à Inès de vivre dans un
établissement spécialisé adapté à ses besoins.
• S’habiller systématiquement pour sortir de la chambre et garder ses vêtements
jusqu’au retour en chambre
• Aller à la douche sur instruction
• Se laver et se laisser laver à la douche

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• S’essuyer / se laisser essuyer (si la douche n’est pas possible après la selle dans son
lieu de vie)
• Se déplacer au sein du lieu de vie sur demande d’un adulte
• Prendre les repas à table, assise
• Accepter le Non pour l’alimentaire en dehors des heures de repas
• Se déplacer avec un adulte dehors
• Se laisser ausculter par un médecin
• Demander de l’attention / l’accès à des activités
• Développer les centres d’intérêt et le langage

IV - Stratégies d’enseignement efficaces :

Inès présente de nombreux et sévères obstacles aux apprentissages (peu de motivation,


affaiblissement de la motivation par les consignes, comportements négatifs, évitement et
échappement des consignes, autosimulation…), qui génèrent en partie un retard de
développement conséquent. Pour permettre à Inès de progresser dans ses compétences
fonctionnelles liées à la vie quotidienne et au langage, il est nécessaire de lui proposer des
formes d’enseignement adaptées à ses difficultés.
IV.I Utiliser sa motivation pour faire émerger les comportements attendus
Inès est très concentrée sur son corps, sur ses sensations physiques, et cela prend une
grande partie de son énergie : se balancer, écouter la musique, regarder les jeux de
lumière au plafond, manger, se gratter la gencive, prêter une oreille au bruit du lave
vaisselle… Sa motivation pour d’autres choses reste donc plutôt faible, et insuffisante pour
faire émerger de nouveaux comportements souhaitables. Il est donc nécessaire d’être
vigilant à utiliser ses élans de motivation de façon réfléchie :
• Contrôler les éléments très motivants (voir paragraphe « activités préférées »)
pour créer une motivation suffisamment forte chez Inès pour faire les choix que
nous souhaitons qu’elle fasse (objectifs en cours)
• Utiliser sa motivation pour créer des élans de coopération : par exemple, pour lui
demander de nous rejoindre à table pour déjeuner, lui présenter le contenu de son
assiette, attendre d’être sûr qu’elle a vu son repas et est motivée pour le manger,
puis enfin lui demander de venir à table. Cela l’habituera à répondre à des
instructions simples, dans le plaisir.

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• Être vigilants aux motivations en cours : si Inès lève le visage et paraît curieuse et
souriante, elle est sûrement en attente que quelque chose se passe, si elle repousse
un objet, c’est qu’elle n’en veut pas, si elle tape par terre, elle est probablement
insatisfaite de quelque chose (quelle est sa motivation ?) Mais si elle tape par terre
en souriant en en claquant des doigts juste après elle est peut être joyeuse… Savoir
ce qui pourrait la satisfaire permet de connaître ses motivations, et donc de lui
enseigner les comportements ciblés.
• Poser des instructions raisonnables par rapport à la force de motivation : les
instructions diminuent la motivation d’Inès, veiller donc à l’habituer à répondre à
des instructions peux couteuses en efforts avant d’augmenter le difficulté
progressivement.

IV.II Poser un cadre et des possibilités claires : Amener Inès à faire les bons choix
Inès présente de nombreux et importants comportements problèmes. Elle est grande,
forte et peu coopérante : il est presque impossible de la guider, et non souhaitable et peu
envisageable de la contraindre physiquement.
Notre principale possibilité d’action réside donc en sa motivation.
Exemple : voir protocole « habille toi »

IV.III Proposer des guidances appropriées


Les guidances physiques sont pour le moment impossibles à utiliser.
Préférer utiliser des aides visuelles (gestuelles, imitatives)

IV.IV Développer la tolérance aux guidances et aides physiques


Développer très progressivement un contact physique tactile avec elle, en dehors des
moments « de soin » jusqu’à ce qu’elle tolère de se laisser toucher et de tolérer des
guidances ou aides physiques.

IV.V Proposer un contexte propice à l’apprentissage / adapté aux spécificités


sensorielles d’Inès
Inès semble présenter des Troubles de la Modulation Sensorielle qui affectent ses
activités : Elle a tendance à éviter la lumière, mais peut rechercher des stimulations
visuelles autres (regarder le plafond, regarder dans un kaléidoscope). Aussi, elle semble
avoir besoin de se balancer (beaucoup). Il lui est difficile d’être concentrée sur plusieurs
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canaux sensoriels simulatanément (si elle écoute la musique, elle ne regarde pas ce qui se
passe autour par exemple).
Afin de permettre à Inès d’être disponible et mobilisable pour ses apprentissages :
• Eviter les environnements trop lumineux, qui pousseraient Inès à se réfugier entre
ses bras dans l’obscurité
• Eviter les bruits soudains et intenses (comme la disqueuse) qui la font fuir
• Permettre à Inès de bouger autant qu’elle le souhaite (se balancer) et favoriser dès
que possible les activités motrices comme le trampoline ou la balançoire
• Proposer un environnement calme, structuré, où elle pourra trouver ses affaires
facilement, rangées toujours au même endroit
• Lui laisser du calme et de l’espace. L’approcher physiquement progressivement,
dans des temps courts et agréables.

V - Comportements problèmes :

V.I Description comportementale :


Inès présente de nombreux, et fréquents comportements problèmes que l’on peut
catégoriser par ordre d’apparition :
En premier / précureurs : Elle tape le sol de la main, se mord la main, crie, jette des objets.
Aujourd’hui au domicile, ces comportements peuvent intervenir une quinzaine, vingtaine
de fois par jour.
Puis elle attaque / crise :pousse, mord (avant bras notamment), tape (entre le cou et
l’épaule généralement), tire les cheveux. Si elle ne peut pas attaquer (personne à
proximité) elle peut détruire son environnement (renverser tables, télévision…).
Aujourd’hui ces comportements peuvent intervenir entre 0 et 5 fois par jour en moyenne.
Après un précurseur, si elle obtient rapidement ce qui la motive, elle peut se calmer très
rapidement.
Après une crise, si elle obtient rapidement ce qui la motive, elle peut également se calmer
très rapidement.
Si elle n’obtient pas satisfaction, elle peut persévérer quelques minutes dans ses
comportements problèmes, et exprimer sa colère en se mordant et en se jetant au sol (à
partir du sol, en boule)

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V.II Pourquoi ces comportements sont émis ?
Inès a appris à utiliser ces comportements dans une variété de contextes dans lesquels ils
se sont montrés efficaces :
• Pour obtenir quelque chose qu’on lui a refusé : en effrayant ou en attaquant la
personne qui interdit l’accès à quelque chose de motivant, Inès fait fuir son
interlocuteur et s’empare de ce qu’elle souhaite par la force
• Pour obtenir un environnement calme : lorsque du monde se dispute autour d’elle,
ou que trop de monde parle proche d’elle, elle fait fuir les personnes qui
l’indisposent
• Pour échapper aux contraintes et instructions : Si quelqu’un tente de lui dire quoi
faire / comment faire avec insistance, dans un premier temps Inès repoussera la
personne puis attaquera pour obtenir la possibilité de ne faire que selon sa
motivation.
• Lorsqu’elle a mal quelque part : en stimulant la partie de son corps qui la gêne, elle
peut se mordre, taper le sol, et se jeter au sol.
V.III Comment y remédier ?
Au vu de la taille et de la force d’Inès, préférer éviter la présentation de comportements
problèmes, et travailler en façonnant progressivement les antécédents :
• Favoriser à tout instant un bien-être physiologique etfaire des investigations
médicales (rdv dentiste...)
• Développer une communication fonctionnelle permettant de remplacer les
précurseurs : lorsqu’elle veut être seule tenter de guider la demande vocale
« seule » et la laisser seule par exemple. Dire « je veux pas » et l’accepter pour les
instructions auxquelles elle ne souhaite pas coopérer...
• Travailler progressivement l’accepter le Non : d’abord avec des items peu
motivants puis progressivement avec des choses de plus en plus motivantes
(jusqu’à l’alimentaire, en dehors des repas)
• Travailler progressivement le suivi d’instructions dans des contextes motivants
puis dans des moments de vie quotidienne : donne-moi, prends, lève-toi, assieds
toi, allonge toi, viens...
V.IV Comment réagir aux comportements problèmes :
Précurseur :
• Analyser / Comprendre sa motivation : qu’est-ce qu’elle veut obtenir ?
• Lui donner le bon modèle pour parvenir à ses fins : le langage
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• Valoriser le langage en donnant accès à ce qu’elle souhaite par ce biais
• Eviter d’aller à la crise dans la mesure du possible : si aucun objectif n’est en cours,
mieux vaut renforcer le précurseur que de renforcer une crise.
• Ignorer le comportement problème, ne pas rappeler la consigne en cours.
• Laisser accès aux items préférés si certains sont en cours d’utilisation.

Crise / comportement violent :


1. Analyser / Comprendre sa motivation : qu’est-ce qu’elle veut obtenir ?
2. NE PAS LA LAISSER OBTENIR ce qu’elle souhaite par la crise : contrôler
l’environnement
3. Sécuriser la situation : ôter tout ce qui pourrait être dangereux / s’enfermer dans
une pièce en attendant que la crise passe
4. Reprendre la séance au même point (si une instruction / objectif en cours était en
cours, reprendre à ce point)

VI - En pratique :

VI.I Matériel nécessaire :

• Toutes les portes fermées à clé, avec la même serrure pour pouvoir ouvrir et fermer
rapidement en cas de crise.
• 1 clé par personne à avoir toujours sur soi.
• Alimentaires préférés, musique, couverture isolés, contrôlés par intervenant
• Sac d’activités (non préférées) en libre accès
• 1 tablier avec matériel nécessaire à avoir toujours sur soi

VI.II Préparation de l’environnement :

• S’assurer que la porte des autres chambres et de la cuisine soient fermées à clé
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• S’assurer qu’aucun alimentaire / téléphone / couverture soit en accès libre
• S’assurer que le sac d’activités en libre accès soit prêt
• Tablier prêt
• Peu de lumière, possibilité de sa balancer dans un coin en accès libre

VI.III Tout au long de la journée :

• Laisser le sac d’activités en libre accès disponible


• Laisser Inès au calme, et lui proposer régulièrement des petits temps courts
d’activité qu’elle peut refuser si elle n’est pas intéressée
• Travailler les cibles en cours par opportunité, en situation naturelle
• Bloquer l’accès aux items préférés. Y donner accès uniquement après coopération
aux cibles mises en place progressivement : quand Inès acquiert 1 cible avec
l’ensemble de l’équipe, ajouter une cible supplémentaire.

Exemple :
Cible n°1 : Prendre son traitement – acquis avec Christel et famille
Cible n°2 : S’habiller sur instruction – en cours avec Christel
Cible n°3 : Aller à la douche sur instruction (le matin en routine et après être allée à la
selle) – en cours avec Christel
1.Aller à la douche
2. Prendre le gant et se laver un peu (jambes et bras)
3. Se laisser laver assis (aisselles)
4. Se lever sur demande
5. Se laisser laver les parties importantes (sexe, fesses, aisselles, ventre avec
douceur)
Cible n°4 : Prendre tous ses repas à table (collation compris)
Cible n°5 : Se tenir assis à table, à 1 seule place tout au long du repas (chaise ou un
tabouret)

100
Cible n°6 : Accepter le « non » pour l’alimentaire
En dehors des heures de repas (petit déjeuner – collation du matin – déjeuner –
collation de l’après midi – dîner) refuser l’accès à l’alimentaire. Lui rappeler « Non tu
ne peux pas manger maintenant, mais tu peux avoir la musique et la couverture si tu
veux ».
Cible n°7 : « Viens avec moi » : marcher quelques mètres
Augmenter progressivement la distance jusqu’à pouvoir traverser tout
l’appartement suivi d’Inès
Cible n°8 : « Viens avec moi » : l’installer à un endroit précis
Augmenter progressivement le temps jusqu’à pouvoir lui demander de rester 5
min à un endroit précis (avec accès aux items préférés)

VI.IV Lorsqu’une exigence cible est posée :

• Bloquer l’accès aux items préférés.


• Attendre. Reposer la consigne 1 fois toutes les 5min. « J’attends que tu... », avec
indice visuel (objet, geste)
• Aller au bout de la consigne. Ne pas proposer d’activité ou d’attention tant qu’Inès
n’a pas répondu à l’instruction en cours
• En cas de besoin de délivrer le traitement : mettre la consigne en pause le temps de la
prise de médicament. Reprendre ensuite au même point.
• Si Inès fait une demande : Rappeler calmement la règle « Oui tu peux avoir accès
à … quand tu auras ... » 1 fois après chaque demande
• En cas de comportement problème, se référer au paragraphe « comportements
problèmes »

101
Annexe V : photographies

Photographie 1 : le salon de la maison ne contient que des meubles lourds. Aucune décoration ou fantaisie
pouvant être projetée ou cassée.

Photographie 2 : la chambre d’Inès : une pièce vide, un lit médicalisé, un matelas imperméable. Les draps
doivent être lavés quotidiennement.

102
Photographie 3 : Début d’intervention : Inès mange nue au sol sur un tapis devant la porte d’entrée.

Photographie 4 : Protocole Habille-toi mis en place. Inès a accès au réfrigérateur après s’être habillée.

103

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