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A Clermont-Ferrand

Les maçons de Gergovie


propos recueillis par Matthieu Fauroux, publié le 26/09/2002 - mis à jour le 23/09/2002

De la loge de Saint-Louis, fondée en 1750, aux Enfants de Gergovie, la maçonnerie a toujours


eu beaucoup d'influence dans le Puy-de-Dôme. Les frères ont joué un rôle moteur dans la vie
publique locale et les épisodes clermontois de l'histoire de France

Jean Boulay, historien de la maçonnerie, maçon lui-même, est instituteur à la retraite. il est
l'auteur de La Franc-Maçonnerie dans le Puy-de-Dôme (éd. Canope, 1990)

A quand remonte la présence des francs-maçons à Clermont-Ferrand?

C'est le 1er mars 1750 que naît la loge de Saint-Louis, inaugurant ainsi leur activité dans la
ville. Un document datant de 1774 atteste la vivacité de la franc-maçonnerie de l'époque à
Clermont-Ferrand. Son auteur relate que l'intérêt des citoyens fut tel qu'il fallut rapidement
créer d'autres loges. A la veille de la Révolution, on en compte cinq.

Qui sont ces premiers francs-maçons?

La franc-maçonnerie de l'époque est un genre de Rotary, un cercle de bienfaisance huppé aux


fins essentiellement philanthropiques. On y trouve des bourgeois - la grande préoccupation de
la famille Blatin, à la veille de la Révolution, consiste à vendre son carrosse - dont beaucoup
exercent la profession d'avocat. De fait, la cotisation très élevée ne permettait pas à n'importe
quel profane de devenir initié. En plus de cette charge, les maçons devaient payer un festin,
les «agapes», à leurs frères pour excuser chacune de leur absence aux tenues. On ne compte
que très peu de nobles parmi les frères clermontois, la plupart des aristocrates vivant alors à la
cour. Les membres influents du clergé y sont aussi nombreux, la totalité de cet aréopage étant
croyant.

Quel rôle joueront les frères durant la révolution de 1789?

Les loges n'ont pas, en tant que telles, organisé les événements de l'époque. En revanche, de
nombreux francs-maçons y ont joué un rôle décisif. Comme l'avocat Georges Couthon,
membre de la municipalité révolutionnaire en mars 1789. C'est lui qui annonce la prise de la
Bastille aux Clermontois. Le malheureux sera d'ailleurs arrêté avec Robespierre et Saint-Just
le 9 thermidor 1794 puis guillotiné. Egalement membre du barreau, Gaultier de Biauzat est
élu maire de la ville en janvier 1790. Un mois plus tard, c'est lui qui choisit la dénomination
du département de Basse-Auvergne - qui deviendra le Puy-de-Dôme - et qui réussit à imposer
Clermont-Ferrand comme chef-lieu. Durant la période révolutionnaire, deux autres maçons -
Bonarme, qui votera la mort du roi, et Sablon - occuperont le poste de premier magistrat.
L'influence des frères dans la vie publique locale est alors considérable. Parmi les grands
noms de la franc-maçonnerie de l'époque, on trouve trace des Blatin, notables qui accueillent
dans leur maison la loge Saint-Maurice, l'une des plus importantes de la ville. Plusieurs
membres de cette famille vont jouer par la suite des rôles importants dans la franc-maçonnerie
clermontoise.

Georges Couthon, révolutionnaire clermontois en 1789, porté par ses admirateurs.

Lors des événements de 1830, la franc-maçonnerie prend encore les choses en main.

C'est un maçon, le général d'Empire à la retraite Charras, qui déclenche un soulèvement le 1er
août. Apprenant le retour de la monarchie, il arme une garde nationale qui occupe les lieux
névralgiques de la ville: la préfecture, la mairie et la halle aux toiles. Tentant de s'opposer à
l'insurrection, le général de Sainte Suzanne est confronté au refus de son régiment d'ouvrir le
feu, et se suicide de dépit. Le 5 août, les insurgés et les militaires descendent ensemble la rue
Ballainvilliers. C'est la présence de frères parmi les officiers de l'armée qui expliquerait la
mutinerie.

De quelles marges de manœuvre disposent les frères sous l'empire de Napoléon III?

Ils sont totalement inféodés au pouvoir impérial. Alors que la franc-maçonnerie clermontoise
a été officiellement dissoute en 1844, une unique loge «dévouée à l'Empire» naît en 1868.
Avec un nom évocateur: Les Enfants de Gergovie. Chaque tenue commence alors aux cris de
«l'Empereur vivra!». Le public de notables qui fréquente la loge a évolué: les négociants sont
désormais plus nombreux que les avocats. Signe de l'époque, les militaires, réputés proches du
pouvoir impérial, fréquentent assidûment la loge, dont le vénérable est un officier de carrière.
Cependant, ces mêmes maçons sont très prompts à saluer l'arrivée de la République, dès la
chute de Napoléon III connue.

Jean-Baptiste-Antoine Blatin, vénérable élu maire (en 1884) puis député.

Comment la franc-maçonnerie clermontoise s'intègre-t-elle dans la IIIe République?

C'est l'époque qui voit l'apogée de la franc-maçonnerie à Clermont-Ferrand, dont le combat


est lié à celui pour la République. Très symbolique de cette génération de maçons est le
parcours de Jean-Baptiste-Antoine Blatin, parent du docteur du même nom qui fut maire de
Clermont-Ferrand entre 1822 et 1830. Vénérable de la loge de Gergovie, il est élu maire en
1884, puis député l'année suivante. A l'époque du début du radicalisme, il s'illustre en lançant
un journal pour populariser les idées de ce courant: c'est le Petit Clermontois. Il sera impliqué
dans le principal scandale de l'époque touchant la franc-maçonnerie: l'affaire des fiches. En
effet, en 1904, le ministre de la Guerre entend favoriser les carrières des militaires
républicains dans une armée réputée très cléricale. Il fait appel au Grand Orient afin que ses
membres réalisent des fiches sur le cléricalisme et l'engagement républicain des officiers. En
tant que secrétaire général du Grand Orient de France, il apparaît que c'est Blatin qui a
coordonné l'ensemble du dispositif.

Les frères sont très liés au monde politique. Dans la région, on ne compte plus les maires
maçons, qui recrutent à tour de bras les employés municipaux dans les loges. Idem dans le
corps préfectoral: en 1898, nommé dans le chef-lieu, le préfet Dupuy doit régulièrement
rendre compte de son activité devant les frères de sa loge. Le 31 mai 1895, le programme de
la visite officielle du président de la République, le «frère Félix Faure», comprend une
rencontre avec les 65 vénérables de la région! De fait, au début du XXe siècle, les loges
clermontoises s'impliquent avec enthousiasme dans la réorganisation du Parti républicain et
avec les socialistes de la SFIO. Les candidats investis par ces formations sont souvent
désignés dans les loges.

Le général (à la retraite) Charras déclenche le soulèvement à Clermont, en 1830.

Quels ont été les grands combats menés par les francs-maçons à Clermont-Ferrand?

Comme ailleurs en France, les maçons luttent sur le front de la laïcité. Ce combat s'incarne
dans la forte présence des instituteurs, les «hussards noirs de la République», au sein des
loges. Aussi actifs que nombreux, ils sont à l'origine de la création des cours
complémentaires, qui permettent aux enfants les moins aisés de poursuivre leurs études en
étant logés. A Clermont, on les retrouve au sein du Syndicat national des instituteurs. Les
maçons clermontois sont également très patriotes. Le 11 octobre 1903 est inauguré place de
Jaude la statue de Vercingétorix, en présence de deux illustres frères: le président du Conseil,
Emile Combes, et son ministre de la Guerre, le général André. La réalisation de ce monument
est due à un autre maçon, le sculpteur Bartholdi…

Les francs-maçons clermontois s'impliquent enfin pour obtenir les droits à la crémation,
longtemps interdite, et à l'enterrement civil (sans cérémonie religieuse). C'est d'ailleurs le
député Blatin qui parviendra à faire voter la loi reconnaissant la liberté de funérailles.

La statue de Vercingétorix, œuvre d'un maçon, est érigée le 11 octobre 1903.

Ces grands combats se déroulent-ils sans heurts?

Ils serviront de prétexte à plusieurs grandes polémiques clermontoises. En 1887, les francs-
maçons réservent ainsi un accueil chaleureux au général Boulanger, nommé dans la ville pour
l'éloigner de Paris. Après avoir fait leur unanimité, la présence de ce populiste revanchard
divise les frères. Plus tard, l'année 1933 est marquée par une controverse sur la tenue de la
procession de Notre-Dame-du-Port, dont le rétablissement est autorisé par le maire de
l'époque, le frère Gondard. Une concession au camp clérical vivement contestée par les
francs-maçons, qui l'excluront de leurs rangs.

Quelle a été l'attitude des francs-maçons sous l'Occupation?

Traqués par la Gestapo, les francs-maçons clermontois se réunissent clandestinement. Ils se


retrouvent notamment au café Le National, place Gaillard. Les frères s'investissent dans la
Résistance, comme Jean-Auguste Seneze, socialiste membre de la Ligue des droits de
l'homme. Sous le pseudonyme de «François», c'est lui qui dirige un temps les réseaux
clandestins des instituteurs résistants. Les maçons clermontois se retrouvent nombreux dans
les Mouvements unis résistants. Des réunions maçonniques et même quelques initiations se
sont déroulées dans le maquis. Les plus jeunes d'entre eux ont d'ailleurs participé à l'offensive
du mont Mouchet visant à ralentir la retraite des Allemands.

Cérémonie pour le centenaire des Enfants de Gergovie, en 1968.

Aujourd'hui, qu'est devenue la franc-maçonnerie clermontoise?

Sociologiquement, le recrutement des loges se cantonne toujours à des milieux relativement


aisés, le prix de la cotisation demeurant très élevé. Globalement, elle a perdu de son influence.
Ainsi, le journal La Montagne, créé par les francs-maçons et autrefois «tenu» par eux, ne
compte plus autant de frères qu'avant-guerre, époque où la plupart des rédacteurs en chef sont
des initiés. Malgré tout, ils restent très présents dans la sphère publique. Dans l'histoire
récente de Clermont-Ferrand, de nombreux élus - maires, adjoints, députés ou sénateurs -
appartiennent à la franc-maçonnerie.

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