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ART ET CULTURE

Existe-t-il un art « arabe » ? Au tournant du XIXe et du XXe siècle, alors que l’histoire
de l’art commence à s’intéresser au monde islamique, la question passionne les savants
européens. Un art a-t-il pu naître « du sol stérile de l’Arabie » (Henry Wallis), où vivaient de
frustes populations bédouines, de « race » sémite ? Si le sujet fait autant débat, c’est sans
doute que le terme « arabe » lui-même est polysémique. Pour certains, il ne s’applique qu’aux
habitants « originels » de la péninsule Arabique, c’est-à-dire essentiellement des Bédouins
nomades, peuples du désert, dont la principale tradition artistique est poétique. Pour d’autres,
il englobe, de manière plus vaste, toutes les populations, à l’origine de productions riches et
diversifiées, qui ont adopté l’arabe comme langue vernaculaire.

Fortement teinté de racisme, ce débat s’est éteint de lui-même après le milieu du


e
XX siècle. Les historiens d’art ont généralement adopté l’expression « art islamique », ou
« arts de l’Islam », en considérant l’Islam comme une vaste civilisation, rassemblant des
peuples, des religions, des langues et des cultures différentes. Car si un élément devait
caractériser la production artistique du monde arabe, c’est sans doute le fait que, placé à un
carrefour entre Europe, Afrique et Asie, celui-ci s’est enrichi au contact de cultures diverses et
a donné naissance à un art aux expressions riches et multiples.

La poésie, art arabe par excellence

S’il doit exister un art purement « arabe », c’est sans doute dans la littérature qu’il faut
le chercher. La poésie était pratiquée dès avant l’islam par les tribus bédouines du désert
d’Arabie. Au cours du VIe siècle de l’ère chrétienne, le poète était le porte-parole de sa tribu,
qui en défendait l’honneur lors de joutes régulières. L’éloge, personnel ou du groupe, est
prépondérant. Après la naissance de l’islam, de nouveaux thèmes viennent enrichir le
répertoire : satires, célébrations bachiques, odes à l’amour, chastes ou érotiques, poèmes
mystiques.

Comme d’autres, la poésie arabe est destinée à être déclamée. Le poème est une
musique, l’alternance des syllabes longues et courtes lui confèrent son rythme particulier.
Chaque vers, composé de deux parties, suit la même construction tout au long du poème.
Seize mètres canoniques ont été codifiés dans les premiers siècles de l’Islam, mais des
variations existent selon les régions et les époques.
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De nos jours, la poésie demeure prisée dans le monde arabe. Les concours télévisés de
récitation de poésie rassemblent des milliers d’amateurs. Tout en continuant de porter une
attention au rythme et à la musicalité du vers, les poètes d’aujourd’hui se sont
progressivement affranchis des formes et des mètres classiques, au profit du vers libre.

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La musique et la danse, compagnes de la poésie

Si la poésie est musique, la musique arabe ne saurait se passer de la poésie. Dans


l’Arabie préislamique, les poètes étaient également des chanteurs, et les voix de certaines
femmes accompagnaient les armées à la guerre. Malgré une réticence religieuse vis-à-vis de la
musique, la civilisation de l’Islam a largement développé l’art musical, à la fois en contexte
profane, pour accompagner les célébrations des âges de la vie et les banquets, et en contexte
religieux. Si l’appel à la prière du muezzin peut parfois être comparé à un chant, ce sont
surtout les mystiques soufis qui ont développé cette pratique, afin d’atteindre une pureté
spirituelle et d’entrer en communion avec Dieu.
La musique arabe a puisé à de nombreuses sources byzantines et surtout persanes.
L’interprète principal, chanteur ou instrumentiste, se livre le plus souvent à l’improvisation
sur l’un des modes définis par les théoriciens du Moyen Âge d’après des conceptions
mathématiques. Le chant, qui met en valeur le texte poétique, est particulièrement prisé, mais
les instruments sont aussi utilisés : en premier lieu le luth, ou oud, mais aussi les percussions
et les instruments à vent.

Si les instruments arabes ont gagné l’Europe dès l’époque médiévale, à partir du
e
XVIII siècle, les influences occidentales se font à leur tour sentir dans le monde
méditerranéen. En 1869 ouvre au Caire un opéra. Au XXe siècle, les styles se mélangent et
revivifient la tradition musicale arabe, portée par de grandes divas comme Oum Kalsoum ou
Fayrouz.

Dans le monde arabe, la musique accompagne aussi les danseurs. Très loin de l’image
de la « danse du ventre », popularisée pendant la colonisation, puis dans les films égyptiens
des années 1960, les danses arabes se signalent par leur diversité. Comme ailleurs, elles se
pratiquent en groupe ou en solo, par des hommes, des femmes, ou des ensembles mixtes.
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Imprégnées de traditions d’Afrique noire, d’Andalousie, des mondes turc et berbère, etc., les
danses du monde arabe ont aussi exporté certaines de leurs traditions. Le domaine a connu,
depuis les années 1980, un profond renouvellement, avec le développement de chorégraphies
« savantes » contemporaines, mais aussi de mouvements comme le hip hop.

La calligraphie, facteur d’unité des arts plastiques

Dans les arts visuels, c’est encore la langue et l’écriture qui donnent un caractère
particulier aux productions du monde islamique dans son ensemble, et du monde arabe en
particulier. L’art de la belle écriture, la calligraphie, s’est tout d’abord développé pour copier
le Coran ; écrire la parole divine était pour les musulmans un acte méritoire, qui devait être
exécuté avec grand soin. Certains Corans sont ainsi copiés à l’or, sur des pages de parchemin
ou de papier teintes en bleu ou en pourpre. Les plus anciennes calligraphies, dites coufiques,
sont anguleuses : la hampe et la base de chaque lettre forment un angle droit. Les calligraphies
cursives, plus rapides à tracer, et plus souples, sont à l’origine réservée à l’écriture
quotidienne ; mais elles s’imposent progressivement à partir du XIIe siècle dans l’ensemble
des arts.

Car rapidement, l’ornement par l’écriture s’est étendu bien au-delà des livres, religieux
ou non. Les inscriptions constituent le décor des mosquées, des palais, des vaisselles de luxe,
en céramique, en métal ou en verre. Les Arabes ne pratiquent pas la peinture sur toile à
l’occidentale, sauf depuis le XXe siècle. Leur art se déploie surtout dans des objets d’art aux
techniques complexes et raffinées, comme le lustre métallique, qui, appliqué sur le verre ou la
céramique, donne aux décors des reflets dorés.
La peinture se déploie à la fois sur les objets et dans les livres, en illustration de textes
poétiques, de romances amoureuses, de traités scientifiques ou de fables moralistes, comme
celles des deux chacals, Kalila et Dimna, qui ont en partie inspiré La Fontaine. Contrairement
à une idée reçue, la figuration des hommes et des animaux n’est pas absente de l’art
islamique. Même si certains religieux la condamnent, plus ou moins selon les écoles
juridiques, les artistes la pratiquent abondamment. Ils représentent souvent la vie des cours
princières, les banquets, les chasses, la lutte. Les images sont, elles aussi, une marque de luxe.
Elles dialoguent avec les inscriptions, créant des décors parfois complexes à interpréter.
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Des traditions antiques à la modernité

Comme dans les autres disciplines, les arts visuels du monde arabe, ainsi que
l’architecture, ne sont pas nés ex-nihilo. Au contraire, ils se sont nourris des traditions des
civilisations antiques qui ont précédé l’avènement de l’Islam. Ainsi, le plan « arabe » de la
mosquée, dit aussi « hypostyle », car la salle de prière est scandée de colonnes, rappelle à la
fois l’organisation de la maison de Muhammad, première mosquée du monde, et celle des
églises byzantines de Syrie. Dans la mosquée de Damas, comme dans le Dôme du Rocher,
construits tous deux à la charnière du VIIe et du VIIIe siècle, les décors consistent en
mosaïques à fond d’or, comme dans la basilique de Sainte-Sophie, à Constantinople.
Progressivement, l’art islamique s’est affranchi de ces modèles antiques, les formes et
les techniques évoluant avec la mode et les découvertes scientifiques. Les avancées
mathématiques permettent en effet de créer des motifs géométriques complexes et d’élever
des architectures avec des arcs et des voûtes. Certains types de décors, comme les
« stalactites » (muqarnas) de stuc du palais de l’Alhambra, sont purement islamiques. De
nouvelles influences se font jour également, comme celle de la Chine, qui reste pendant
plusieurs siècles un modèle pour les artisans du monde arabe. L’art européen est mieux connu
avec les Croisades ; au Caire, certaines fenêtres de complexes architecturaux rappellent les
baies des cathédrales. À l’inverse, les objets d’art issus du monde arabe voyagent également
vers l’Europe, où ils sont vendus à prix d’or en raison de leur caractère luxueux. Les motifs et
certaines techniques sont récupérés en Espagne ou en Italie, comme celle du verre émaillé et
doré, né en Syrie, qui fait la fortune des ateliers de Murano, à Venise.

Après le XIXe siècle, on estime généralement que l’art du monde arabe n’est plus un
art « islamique ». Il s’inscrit dans la production universelle du monde contemporain. Les
artistes arabes se distinguent, comme l’architecte égyptienne Zaha Hadid, qui a travaillé dans
les plus grandes métropoles des cinq continents. À partir des années 1980, les artistes du
monde arabe formés dans les écoles de beaux-arts s’interrogent sur ce que peut être un art
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« arabe » contemporain. Cette question les amène à se positionner vis-à-vis des héritages
multiples de leur passé, se réappropriant parfois quelques éléments comme recours à la
calligraphie. La génération actuelle agit avec davantage de liberté sur cette question de
l’identité. Les jeunes artistes arabes n’hésitent pas à s’emparer des problématiques
contemporaines, comme la photographe Boushra Almutawakel, qui met finement en scène le
voile musulman.
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