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Icônes arabes ?

Agnès-Mariam de la Croix
Présidente de la Maison d’Antioche

Le titre de l’exposition qui se tient à l’Institut du Monde Arabe pourrait facilement être contesté.
Existe-t-il un art iconographique arabe ? Pourquoi identifier certaines icônes comme étant arabes.

Le terme « arabe » est contemporain. Il recouvre diverses identités qui se recoupent, se complètent
mais qui peuvent s’affronter. Il peut aussi bien appartenir à des idéologies géo-politiques qu’à des
aspirations de spécificité culturelle. Il émane d’un éveil et d’une lutte qui a pris dans l’histoire le
nom de « renaissance arabe ». Arabe désignant non l’ethnie mais la culture qui fut le porte-
flambeau de ces soubressauts contre le colonialisme ottoman puis occidental.

L’art iconographique dit « arabe » ou encore melkite 1 se situe à l’orée de ce réveil. Au moment où
l’empire ottoman ouvre ses portes à l’Occident, lorsque se forme une réelle osmose entre diverses
cultures déjà en voie de brassage dans la méditérranée au niveau des comptoirs vénitiens et autres.
C’est dire que cet art se situe dans la foulée de l’art post-byzantin, lorsque les îles grecques et
Chypres perpétuent l’art de Byzance tombée aux mains des turcs en 1453 en l’ensemençant de
nouveaux germes stylistiques, thématiques et techniques.
Ce phénomène de fécondation inter-culturelle ne date cependant pas de la chute de Constantinople.
Il a déjà passé par des jalons lumineux : Après la première rencontre avec l’Islam sous les
Omeyyades, l’extraordinaire unité dans la vision artistique du Moyen-Age qui régnait dans
l’oekuméné2 s’est encore vue greffée de nouveaux apports culturels d’abord sous le règne des
Abassides ensuite à l’occasion des croisades créant de vrais relais d’interpénétration culturelle en
Mésopotamie, dans les steppes asiatiques, en Egypte, en Italie du Sud , dans la péninsule ibérique 3
et au Moyen-Orient, confluent de ces cultures.
L’icône arabe est le résultat de ces diverses fécondations.
En apparaissant à Alep au XVIIème siècle cette dernière semble être une émanation de l’art post-
byzantin grec. Mais une étude approfondie du style et de la technique montre qu’elle charrie
l’énorme brassage de cultures évoqué. D’abord une fidélité aux thèmes purement byzantins mais
une ouverture à certains thèmes plutôt latinisants (Sainte famille, Saint Joseph etc..) travaillés d’une
manière byzantine, ensuite une influence de la culture islamique et du milieu ambiant oriental.
L’art italien s’était imbibé de l’art oriental depuis le VIIème siècle, il avait essaimé dans les îles
grecques et à Chypres, à la faveur des comptoirs vénitiens. L’icône des Saints Serge et Bachus est
un bel exemple de cet art primitif byzantin auquel s’apparentent les maîtres du Trescento. Des
icônes comme celles de la Nativité de la Vierge ou de Saint Basile (du peintre appelé le copiste
d’Euthyme Saifi) présentent des personnages aux yeux bridés, mongols, très proches du style
Abasside. Les bâtiments de l’icône du dimanche de Thomas sont une réminiscence des enluminures
syriaques du XIIème siècle. Si le style de Youssef El Mussawer, le père de l’art arabo-chrétien, est
très grécisant, son fils Nehmet, dit le Maître, sera résolument arabisant. Il emprunte à
l’ornementation, aux coloris et à la plasticité arabe cette touche à la fois exhubérante et dense qui
trouve son apogée dans le Saint Georges de l’archevêché maronite mais qu’il tempère jusqu’à
l’austérité dans l’icône de Sainte Marie l’Egyptienne qui, malheureusement, n’a pu participer à
notre exposition. Les diversités de style et d’approches des peintres melkites apparaît dans leur
1
Du syriaque melkoyé, gens du roi. Sobriquet pour désigner les « agents » de l’occupant byzantin. Désigne en général les fidèles au Concile de
chalcédoine en 481. Terme qui désigne les chrétiens du patriarcat d’Antioche, notamment ceux qui se sont rattachés à Rome au XVIIIème siècle.
2
Terme ecclésiologique pour désigner l’univers habité par le même esprit du christianisme
3
Des enluminures syriaques reflètent l’art mogol, les fresques des monastères d’Egypte qui descendent parfois du plus pur style impérial byzantin
sont souvent imprégnées de l’influence arabo-abasside, les panneaux peints italiens du Trecento portent l’empreinte déjà occidentalisée de Byzance
tandis que la péninsule ibérique voit le développement de l’art omeyyade imprégné par l’art chrétien dans le style mudéjar, islamique en terre
chrétienne et de l’art mozarabe, celui des chrétiens influencés par l’art musulman.
manière à la fois traditionnelle et individuelle de traiter d’un même sujet, comme par exemple
l’hymne Acathiste.
Ce style de Nehmet ouvrira un chemin royal à l’art melkite qui sera perpétué par Hanania son fils et
Girgis, son petit-fils. Une nouvelle esthétique est né dans l’art post-byzantin qui se caractérise par le
choix des couleurs, surtout l’apport du noir au côté des tons pastels, l’ornementation typiquement
arabe avec les cartouches dorées disposées en file autour de la scène centrale, la physionomie des
personnages, leurs vêtements orientaux, voire islamique, comme sur l’icône du sacrifice d’Abraham
où le patriarche apparaît comme un dignitaire, un sheikh musulman.
La veine de la famille Mussawer se continuera dans un Michel Polychronis, grec travaillant en Syrie
et au Liban dès le premier quart du XVIIIème siècle. Ce dernier mêle son savoir acquis auprès des
peintres chevronnés des îles grecques à l’influence arabisante des maîtres alépins. La fameuse icône
de Maaloula (Syrie) représentant les saints Serge et Bachus est un des meilleurs exemples de son
style qui sera continué par divers disciples.
Un peu plus tard la famille des Kudsi, ou Ecole de Jérusalem, influencée par le style des Balkans,
apportera une note qui se voudra plus occidentale mais qui reste résolument arabe dans sa facture,
comme nous pouvons le constatez sur l’icône de la Présentation de la Vierge au Temple ou celle de
la Sainte Famille.
L’espace manque pour cerner tous les traits de cet art riche et étonamment diversifié. Pour le
caractériser on pourrait dire qu’il est à la fois résolument universel, s’insérant dans la grande
tradition byzantine, et sincèrement local, émanant d’un prodigieux creuset de civilisation mais
simplement lui-même, oscillant entre une maîtrise achevée et une naïveté captivante.

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