Vous êtes sur la page 1sur 4

JO 2024: Choix des sports

olympiques entre tradition,


diplomatie et pragmatisme(2/2)
Le Comité d'Organisation des Jeux Olympiques a donc proposé le breakdance comme sport
additionnel pour Paris 2024. Cette discipline est donc préférée à des sports plus anciens et qui
essayent depuis des années d’entrer dans le giron olympique, tels que le squash, le karaté ou
la pétanque. Pour faire suite à la première partie de notre entretien avec l'expert de
l'Olympisme Armand de Rendinger, nous l'amenons aujourd'hui sur les intentions du COJO
français...

En proposant le breakdance au détriment de sports qui sont candidats depuis


bien longtemps (squash, karaté, pétanque entre autres...), comment évaluez-vous
le « but recherché par le COJO » ?

En fait si la doctrine et les règles édictées par le CIO sont claires, elles ne sont pas
systématiquement suivies. Leur interprétation et leur application sont sérieusement altérées
par deux défis auxquels sont confrontés, tant le CIO que le COJO.

Le premier et non des moindres est celui de respecter les promesses formulées durant la
candidature du projet Paris 2024, à savoir un budget de dépenses ne devant pas excéder 6.8
milliards d’euros et des effets JO notamment sur des bénéfices escomptés de 11 milliards
d’euros pour l’économie française. Or ces promesses, difficiles à tenir et remises en cause par
certains, implique de la part du COJO un travail de contrôle sans relâche et dans la discrétion.
Il sera nécessaire d’attendre une communication officielle du COJO courant 2020 pour savoir
si ces engagements seront tenus. D’ici cette date, soyons assurés que les silences du COJO
feront l’objet malheureusement de toutes les interprétations fondées pour certaines, infondées
pour d’autres et que les pouvoirs publics concernés et finançant une partie non négligeable
des Jeux feront entendre leur partition.

Le second défi concerne la mobilisation des jeunes pour les JO et leur acceptation de
pratiquer leur activité sportive favorite dans des structures fédérales réglementées et des clubs
reconnus. Or en dépit de tous les sondages évoqués par les responsables, dont la crédibilité est
contestée, la majorité des jeunes se désintéresse des JO et des sports dits encadrés, pour
s’épanouir dans les nouveaux sports, dits libres, urbains, d’aventure ou extrêmes. Dans ce
contexte, il est impératif pour le CIO de trouver de nouvelles voies pour conquérir les jeunes
d’aujourd’hui et de moderniser son image, en intégrant dans l’organisation des Jeux, de
nouveaux sports populaires auprès de la cible qu’est la jeunesse, indispensable pour sa
pérennité.

Les efforts entrepris par le COJO pour intéresser les jeunes, notamment par le biais de l’école
ou des semaines dites olympiques, ne pourront avoir des effets qu’à long terme. La création
récente d’une chaîne olympique française, aux ambitions encore relativement limitées, ne sera
pas suffisante pour susciter dans des délais proches un élan populaire. Enfin ce ne sont pas les
déclarations réitérées des responsables du COJO de nous promettre des Jeux « sublimes,
innovants, durables, économiques et inoubliables » à Paris en 2024 qui pourront compenser
l’image controversée du mouvement olympique auprès de la jeunesse et ceci, pas uniquement
au travers des réseaux sociaux.

Aussi dans ce contexte, en l’absence de toute communication, qui serait bien inutile à ce stade
du projet, est-il intéressant pour le COJO d’occuper le terrain de la communication avec des
sujets, certes importants pour l’avenir des JO, mais bien secondaires dans l’esprit de beaucoup
de gens. Le thème des sports additionnels fait bien partie de cette dernière catégorie.

Le breakdance serait donc une forme de leurre voulue pour occuper les esprits et
permettre au COJO de travailler en paix par ailleurs sur les défis qu’il a à
relever à court et à moyen terme ?

Je n’en sais rien, mais il est clair qu’en proposant comme discipline sportive une activité
physique spectaculaire et « branchée » comme le break dance, Paris fait diversion et ouvre
une sorte de « boîte de Pandore ». En effet au vu des critères du CIO pour admettre de
nouveaux sports olympiques le breakdance fait preuve d’originalité. La notion de spectacle
aux JO doit-elle primer sur celle de compétition sportive ? L’évaluation subjective des « break
dancers » en compétition n’est-il pas contraire au souci du CIO à limiter les épreuves faisant
appel à des jugements humains, sujets parfois à caution ? En multipliant le nombre de
champions olympiques avec des disciplines nouvelles, ne banalisons-nous pas la valeur d’une
médaille d’or obtenue dans les grands sports traditionnels ? Sur ce dernier point, il
n’appartient qu’aux champions olympiques et aux athlètes de se prononcer. Donner la priorité
du break dance pour intégrer les JO, au détriment de disciplines sportives plus médiatisées,
mais moins spectaculaires et moins récentes, pour succomber au jeunisme ne relève-t-il pas
d’un simple et dangereux effet de mode ? Paradoxale aussi la proposition de Paris concernant
le break dance quand la défense de la langue française et de la francophonie devrait rester une
action permanente du COJO et quand le spectacle offert de cette discipline implique
l’utilisation de la langue si admise au plan national et international qu’est l’Anglais !

En fait la vraie question qui se pose n’est-elle pas de savoir résoudre la fusion, déjà réussie
par certaines disciplines sportives, du respect de l’intégrité et de l’équité d’une compétition
sportive olympique avec la notion de valeur propre aux qualités d’un spectacle, indispensable
pour satisfaire les médias et les spectateurs. Challenge intéressant !

Pour conclure notre entretien, nous vous demanderons de vous lancer Armand : alors, cette
opération est-elle un coup de pub et de diversion ou un élan de jeunesse et de modernité de la
part du COJO ?

Peut-être les quatre à la fois et à des degrés divers, mais c’est au COJO seul de répondre par
des faits concrets. Les jeunes seront-ils plus sensibles aux JO avec la reconnaissance du
breakdance comme discipline olympique ? Rien n’est moins sûr et tout dépendra de la
manière dont sa fédération respectera, sans se dénaturer vis-à-vis de ses pratiquants et/ou
licenciés, les règles olympiques. Qu’en pense sérieusement le reste de la population française
favorable aux JO et à sa modernisation ? Interrogation sans réponse à ce jour. Et le CIO, que
pense-t-il et que dit-il de cette initiative du COJO en annonçant dès aujourd’hui sa proposition
d’intégrer les différentes épreuves de break dance sous leurs formes actuelles ? L’avenir nous
le dira rapidement.

Le débat est donc ouvert et il durera en principe jusqu’en décembre 2020. C’est à cette date et
après le retour d’expérience des JO de Tokyo que le CIO confirmera ou infirmera les
différentes propositions du COJO de Paris. C’est aussi à ce moment que se dessineront les
premières ébauches de Los Angeles pour les Jeux de 2028, dans le sillage de celles de Paris,
de mesures pour rendre plus attractives des épreuves traditionnelles (à l’instar de ce qui est
proposé pour le marathon) et quant à l’utilisation de nouvelles technologies et des nouveaux
moyens digitaux dans l’animation de certaines compétitions olympiques. Sur ce dernier point
Paris 2024 a annoncé quelques idées et avancées fort intéressantes qui, à coup sûr, méritent
plus à ce stade qu’une simple réflexion ou qu’une communication de circonstance. En effet le
futur des JO, dans un monde où la digitalisation de la société prend de plus en plus et
rapidement le pas sur l’économie réelle, doit se traiter dès maintenant et ne pas se limiter à
quelques promesses pour un horizon lointain.

La modernisation des JO, comme nous le vivons déjà depuis un certain temps avec de grandes
disciplines sportives d’été et d’hiver, semble effectivement s’accompagner d’une véritable
prise en considération des besoins nouveaux de nos sociétés et de l’évolution rapide de leur
environnement. Espérons que cette modernisation ne se limitera pas aux seules compétitions
sportives et à de simples effets de communication ou à de subtils habillages cosmétiques.

Vous aimerez peut-être aussi