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L’ÂGE D’HOMME

Suivi de Hi s t oi r e &
Monument

HENRI SAVEY
L’ÂGE D’HOMME

1
2
MANIE
LIBRE
1.LA FIN COMMENCE 2. SENS
3. DE L’AUTRE CÔTÉ
* LES BOIS *
4. PROPHÈTE BIS REPETITA
5. LA VIE EST ŒUVRE D’ART
6. UNE LONGUE MARCHE
ENFERMÉ
1. L'ENTRÉE EN MATIÈRE
2. EXPLIQUER 3. GOUFFRE
* MOUVEMENT *
4. AMORCE
5. SECRET 6. ROIS SANS ROYAUME

DÉPRESSION
ENFERMÉ
1. PEUR ET HONTE 2. MORNE
3. PIRE 4. VIDE
5. ON PERD 6. FÊLÉ
* CACHETS *
7.EGO 8. MERCI
9. COMPRENDRE 10. REPOS
11. IMPATIENCE 12. D’ENTRE LES MORTS
LIBRE
1. EN LAISSE 2. LES VOIX
3. DE NOUS DEUX 4. VIVRE PETIT
5. LINGE BLANC 6. L’INNOCENCE
* SCÉNARIO *
7. RUPTURE DE STOCK 8. ÊTRE UN AUTRE
`9. FICTIONS 10. THÈSE
11. PERDRE ET GAGNER 12. FIN

EUTHYMIE
S’ENFERMER
1. MIROIR
2. ENTRETIEN D’EMBAUCHE
3.TRAVAIL
*MEDIAN*
4.L'APPÂT DU GAIN
5. LE COURS DU TEMPS 6. LE PASSE
SE LIBÉRER
1. TU SAIS
2. RETROUVER
3. LE CHEMIN PARCOURU
* ALLER RETOUR *
4. JE LES VOIS 5. SANS AMOUR
6. LA VOIX DES ANGES

3
4
MANIE

5
LIBRE

6
1. LA FIN COMMENCE

Ton plus proche ami


Devient ton pire ennemi

Le début commence par

La fin du doute
Le début de la folie
La fin de la route

Vers l'insomnie

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2. SENS

Je trouve un sens à tout


Le temps qu’il fait
Le repas qui me plait
La chanson écoutée
À ce moment de la journée

Clé logique
J’agis
Je pense
Dans plus d’une langue
Dans l’instant

Je peins des tableaux


Je crée un média

Je cherche le beau
L’effet est immédiat

Je vis un vie
En une nuit

Sur tout
Je parle beaucoup

Par définition
Ma logorrhée
Ne saurait s’arrêter

Jeu d’aliéné

J’ai les sens acérés


Et l’esprit lacéré

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3. DE L’AUTRE CÔTÉ

À un moment précis
Je passerai de l’autre côté
Ce moment j’ai beau le chercher
Je ne peux le retrouver

La violence peut-être
De ce jeu peut naître

Plus ça va
Plus je prends
Pour réalité
Le fruit de ma psyché

Paranoïa

De plus en plus incompris


Je m’assois et prie

Vient
Une nation
D’hallucinations

9
*

10
LES BOIS
Forme humaine. Lumière. Poignée de main. Chercher un sens. Les voix me guident. La route
à prendre. Les signes. Un empire de signes. Ignoré. Puis reconnu. Prendre à gauche. La voie
du destin. Des mélodies. On me parle. Je réponds.

Dernier train du soir. Minuit 38. Tirer ma carcasse. Ce qui suit. Mon esprit file. Ma pensée :
un fardeau. J’en sens le poids sur mes épaules. Pèlerinage. Quartier gare. Soif. Une maison.
Petite fontaine. Escalader la barrière. Repartir. La voie rapide traversée. Noir. Je me perds.
Noir. Une bute. Escalader. Tomber. Enfin une route. Noir. Marcher.

Les bois. Un bruit. Un autre. Encore un autre. Je donne à voir : un monstre. Je montre les
crocs. Ce râle. Il vient des entrailles. Je suis une bête. L’humanité m’habite. Sauver ce qui
reste à sauver. Nous mourrons tous. Lentement. Sûrement. Subitement. Violemment.

La forêt me parle. Je dois lui répondre. Face à la peur : dominer. Hurler. Tout s’arrête. Je
m’arrête. Des bruits. Je reprends. Le silence. Dans mon hurlement. Je cherche le silence.
Dans un hurlement.

J’arrête.
Recommence.

Face à moi : le noir. Et un son. Un oiseau répond. Il n’a pas peur. Je n’ai pas peur. Je sens le
vent. Je le sens intensément. Il porte les fantômes du passé. Ces fantômes pleurent. Leur
souffrance est palpable. Les bois reprennent vie. De nouveau. Je suis le seul à faire sens. La
forêt se tait. Sauf cet oiseau. Il entend mes prières. Il faut les répéter. À la nature toute
entière. Je suis venu. J’ai entendu. Et je l’ai faite taire. Pour la libérer. Il y aura un être, un
devenir.

La forêt s’illumine. J’aperçois des nuées dans les branches. Vestiges d’un temps à venir. La
ville est finie. Le bitume périmé. Nous vivrons dans les arbres. Chaque famille aura son
chêne. Je pense. Je hurle. Je sens. La vérité vient dans l’instant. Cet instant est là.

Une méthode. La seule méthode. Pour y arriver. Vendre son âme au diable. A la croisée des
chemins. Dans cette forêt. Alors, je marche. Et, je hurle. Bientôt, je le trouverai. Cette route
ne peut être esseulée. Marcher. Hurler. Marcher. Le noir. Les bruits. La forêt. Une autre
route.

Je suis arrivé.

Pas de diable.

Je lève la tête : un panneau.


La ville.
12 kilomètres.

11
*

12
4. PROPHÈTE BIS REPETITA

Et si je tenais d’Isaïe
Ou d’Ézéchiel

Aurais-je quelque chose de Saint Jean Baptiste


Ou même du Christ

Je connais un peu Mahomet


Découvre Bahá'u'lláh

Et les chants d​​’Hildegard von Bingen

Combien de religions
Combien de prophètes
De quelle religion
Suis-je le prophète

D'où me viennent ces visions


Dans le fond
Je l’ai toujours su

“Et si c’était moi”

Je suis mouvement

Jamais je ne mens

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5. LA VIE EST OEUVRE D’ART

Rejouer l’Histoire du monde


Entre la cuisine et la salle de bain
Le grand barrage
Le pentacle peint sur le mur
De la salle de bain

Ma Logique
L’Eau Magique

“La vie est oeuvre d’art”


Sur le mur
Du living room

J’écris

“Pourvu qu’il ne soit pas trop tard


Combien d’années, de jours et d’heures
Avant l’Apocalypse”

Hier soir mon père et les pompiers


Qui après quelques messages alarmistes se sont alarmés

“Pourvu qu’il ne soit pas trop tard”

...

Avant-hier ma soeur
En pleine journée
Je n’ai pas voulu la faire entrer
Elle ne voulait pas partir
Je l’ai presque frappée

Je ne peux plus rester

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6. UNE LONGUE MARCHE

J’ai marché
Dans les rues de Paris
Sous la pluie

Ce goût dans ma bouche


Comme de la drogue
Sécrétée par ma psyché

Je redescends puis décolle


Depuis combien de jours n’ai-je dormi
Plus d’une heure ou deux
S’il neige
Je le prendrai pour un signe de Dieu

Aller voir
La Tour Eiffel

En face d’elle on lit

“Tout homme crée sans le savoir


Comme il respire
Mais l’artiste se sent créer
Son acte engage tout son être
Sa peine bien-aimée le fortifie”

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ENFERMÉ

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1. L'ENTRÉE EN MATIÈRE

“Je ne perds pas les pédales”

Dix blouses blanches devant moi


Plus blanches que l’écume des vagues
On me demande si le téléviseur me parle

Je réponds
“Non,
Je ne suis pas fou”

Alors que je sais bien qu’il me parle

Il doit exister quelqu’un qui me comprenne


Qui soit capable d’accepter cette vérité mienne

Tout ceci est une blague


Une gigantesque blague

Qu’on appelle mon avocat

“Je ne resterai pas ici


J’ai vu les chambres
Je n’ai rien à faire ici”

On me reçoit dans un autre bâtiment


Sûrement ici on me comprend

Je parle, je parle, je parle

On me propose des médicaments

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2. EXPLIQUER

Serrer la main de Dieu


Voir Paris brûler
Le globe se peupler d’araignés
Et on me demande de m’expliquer

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3. GOUFFRE

Il y a un gouffre entre la réalité et moi

Il a une odeur de souffre

Je suis ici, le réel là-bas


Je suis là bas, le réel ici

C’est une danse

Quelle odeur rance

Celle de la réalité

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*

20
MOUVEMENT

Tu sais parler : parle. Ou un autre le fera pour toi. Avec ses mots, avec sa voix. Tu sais parler.
Alors parle. S’il le faut : gratte. Écriture : transpiration. Prière. Prie. Tu seras exaucé.

Ni enfermé. Ni aveugle. Le mouvement tourne : ellipse imperceptible. Enseignement par


répétitions. Nous vivons par elles. Exemple : si le faible devient fort, on l’enferme. Souvenir
des champs de lin. Main pour prendre. Prendre la main du destin.

Une idée passe. Fait la passe. En profondeur. Au réseau d’une pensée. Direction naturelle.
Le passé nous enferme : moments morts impossibles à ressusciter. Vide du sens d’hier :
impossible sens du demain. Recréer le paradis. Les dieux n’ont pas d’yeux. Je suis un
paratonnerre. Force vive.

Je suis révolté. Enfermé. Je tourne en rond.

Je brûle. “Laissez-faire”. Ou il y aura une réponse : violente et lente. L’éclosion d’un rêve
accouche dans la peur. Tout ceci n’est que comédie. Par moment, je tiens dans ma main un
sourire.

Il y a des choses qui ne se font pas. Rire de la mort. On rit bien de l’amour. Ils riment tous
deux avec toujours.

Les idées définissent un homme. Il est passage. Il y a l’expérience. La chance. Il était, il a pu.
Identité identique. Tout nous préexiste. Tout nous survit. J’imagine. Je suis ce que j’imagine.
Taches d’encre sur le papier. Cercle après cercle. Dessins. Un peu de conversation. Lui aussi,
il tourne en rond. Même enfermé, on partage un semblant d’amitié. Fait d’une relative
intimité.

Je penserai mes peines. En termes métaphysiques. Je me suis ouvert en deux. Il y a des


organes. Il n’y a rien que l’or gagne. Chat de Schrodinger. Je vis. Et dans le même temps, je
meurs. Esprit prison. Esprit prions.

Tout ceci a le sens qu’on lui donne.

Il faut reprendre.

21
*

22
4. SECRET

Un espace d’informations
Se crée

Un devenir en formation
Se crée

Il crée
Secret

Il rêve

Se crée
Un personnage

Secret

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5. AMORCE

Il y a un ralentissement
Un errement

Je crée

Mais je crée plus lentement


Je reprends

Un électrochoc

Une amorce

À la souffrance
Qui domine

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6. ROIS SANS ROYAUME

Je suis un roi sans royaume


Si ce n’est de moi-même

Se posséder est déjà une possession

J’ai été possédé


On m’a dépossédé

Enfermé
Soigné

La médecine a ses réponses


Mais ne pose pas de questions

Je n’ai que des questions


Sans réponse

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DÉPRESSION

26
ENFERMÉ

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1. JE TRÉBUCHE

Je trébuche sur

La Peur
La Honte

De moi-même
De cette tête malade

Sans contrôle
Aucun contrôle

...

Question :

“Pourquoi?”

Réponse :

“Parce que”

Je suis comme eux

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2. MORNE

Moments morts
Journées mornes

La main froide de la réalité


M’a rattrapé

Je la sens sur ma nuque

Ce que j’ai fait


Maniaque
Me plaque
Au sixième sous-sol

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3.PIRE

Je ne veux plus mourir


Je veux quelque chose de pire

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4. VIDE

L’espoir est au placard


La foi à la cave

Le courage a foutu le camp

À table avec moi


Il y a : culpabilité et mensonge

Ils me répètent :
"Qu'est-ce que tu fous ici”

Je réponds :
“Je plonge”

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5. ON PERD

On ne vit pas

On perd

Notre temps
Nos mots
Nos amants
Nos parents

On ne vit

On perd

La raison
Puis sa maison
Ses amis
En une nuit

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6. FÊLÉ

Mon cerveau

Une pierre à terre


En deux morceaux

Je l’ai recollée

Il y a une fissure
J’en suis sûr

Ça doit être ça
Être fêlé

33
*

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CACHETS

Pensées noires. Envies morbides. Idées sur orbite. Le diable me tire par les bras. On me
trouvera au bout d’une corde. À marcher sur le fil. Broyé par les rouages du passé.

Quelque part, je comprends Van Gogh. S’amputer d’une oreille, d’une main. S’amputer d’une
idée, d’un tableau peint. S’amputer de son passé. Et le regarder nous rattraper. Imagination
détraquée. Rêves d’enfant. Tout rêve est un enfant.

Si la tête explose. C’est que les sens explosent. Sous le sens on trouve des malentendus.
Au-dessus, les anges modernes et les dieux antiques.

Je ne suis ni intelligent, ni réfléchi. Mais je vis. Je repense à ce que j’ai fait. Je me suis même
fait des amis. Avant la bascule. Et les messages envoyés. On me demande ce que j’ai fait en
crise. L’évoquer. Simplement, l’évoquer. Bloque ma pensée. Sur une image. Je suis tétanisé.
C’est la deuxième fois. Je dois bien l’avouer. Ça vient de moi. Je déraille.

Ça aurait pu être pire. Ça pourrait être pire. J’ai cru en Dieu. Je n’y crois plus. A la place, je
regarde la télé. Elle ne me parle plus. Elle me parle comme à un autre. Seule fenêtre sur le
monde. Condamnez les fenêtres. Réaction lucide contre le suicide.

Les jours sont longs, les nuits interminables. La vie se réduit à des instincts primaires : boire,
manger, dormir. Mon corps se liquéfie. Dissection du lobe frontal. On me sort pour un
encéphalogramme : aucune lésion cérébrale. Je suis à l'hôpital, un flingue sur l’occipitale.

Avaler ses cachets. Avant dîner : faire la queue pour son traitement. Je préfèrerais qu’on me
soigne. Stabiliser les humeurs. Thymorégulateurs. Mes humeurs. On me fait un cours. Un
traitement. À vie. Dormir. Pas de drogues. Alcool, modérément. Je pose des questions. Je
demande comment j’ai le droit de vivre. Ou, si j’ai le droit de vivre. On me dit que oui. J’ai un
doute. Je suis emprisonné. Je vis, enfermé.

La peur dans les yeux de ma mère.

Cette conversation est terminée.

Ce n’était qu’une conversation avec un cendrier.

35
*

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7. EGO

Ne reste de mon égo

Que des cendres au bout d’un mégot

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8. MERCI

Mon espérance de vie a chuté

Mais

Je dois encore dire :

“Merci”

À l’infirmier
Au médecin
À la dame de la cantine

“Merci, merci pour tout”

Barquettes en plastique
Repas chaud garanti

Psyché élastique
Un psychiatre en rit

L’ennui c’est l’ennui

Journées sans but


Atterrissage surveillé

Joyeux Nöel et Bonne Année

Je déambule la nuit

La musique comme guide


Dans des couloirs vides

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9. COMPRENDRE

La quête de comprendre

Il y a des vérités à prendre


Comme des coups
Au ventre, à la gueule

Dites-moi où
Je pourrais comprendre

J’observe en silence
La chimie en moi

Si je ne me trompe

Les pensées sont stables


L’humeur égale

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10. REPOS

Je ne me souviens plus
Ce qu’il y avait avant

Sinon le repos

Mon imagination s’arrête la

Avant le repos
Le repos

Après le repos
Le repos

À cette heure
Si on me demande

Je suis de tout repos

Qu’on efface cette image

Celle qui n’était pas


De tout repos

Aujourd’hui
Et pour toujours
Je suis le repos

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11. IMPATIENCE

Patient
Patient

Impatience

La science
D’attendre

Vertiges
Vestiges

Du temps passé

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12. PIERRE

Sous les décombres


Une main

À la recherche de son ombre

Jetez moi la pierre

Je la ramasserai
Et vous la rendrai

Mon existence s’arque

Une marque

Je suis du bétail

Que l’on parque

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LIBRE

43
1. EN LAISSE

On nous tient en laisse


Même dans les moment de liesses
On nous tient en laisse

Puis on nous laisse

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2. LES VOIX

Il y a ces voix dans ma tête


Théâtre incessant

La réponse du médecin

"Hallucinations sonores
Rien d’étonnant”

Rien d’étonnant
Excusez si je me méprends

Mais

Il y a ces voix dans ma tête

Ces voix qui se répètent

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3. VIVRE PETIT

Il faut se contenter de peu


Vivre petit

Alors qu’on déborde de partout

Poser des digues face à la marée qui monte


Construire une forteresse de la taille d’une cellule

Tout revoir à la baisse


Les rêves
Les espoirs
Les amours
Les amis

Enfermé bien que libre

Il faudrait se contenter de peu


Vivre petit

Et dans cet espace


Vivre libre

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4. LINGE BLANC

Essayer de rattraper le temps


Comme on rattrape un linge blanc

Pour éviter le poids du présent

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5. RUPTURE DE STOCK

Pousser un chariot
Dans le supermarché
De sa vie

Les rayons sont désertés

Le chariot est vide

Il ne reste rien

Bonheur, amour en rupture de stock

Quelques erreurs restent délaissées


Les racheter est prohibé

Elle ne sont là
Que pour être rappelées

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6. L’INNOCENCE

Solitude palpable
Réalité incapable

J’ai cueilli
Pensées et soucis

Les ai mis en bouquet


Déracinées
Les fleurs ont fané

49
*

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SCÉNARIO
Chaque matin, je me réveille. Ce que je fous là. Aucune idée. Douche froide. Pas de travail.
Pas d’appartement. Projets avortés. Le plafond. Il faut sortir du lit.

Remords et regrets. Indifférenciés. Sombrer. Un brouillard de souvenirs. Réminiscences.

Ma vie : un tableau.

Sur ce tableau : un drap.

Revisiter son histoire. On s’imagine faire sens. Avoir des choix réfléchis. On a des traumas.
Mais pas plus qu’un autre. L’existence a une constance. Travail, amis, vacances. On observe
votre vie. Ce choix : irraisonné. Cette peine : démesurée.

Dans l’attente : cerveau bleu. Esprit en ruine. Je le passe à la paille de fer. Avoir une vie
normale. Il y a une généalogie : alcooliques, dépressifs, agonisants.

Ce scénario n’était pas envisagé.

Jours mornes. Il y a des pensées que je devrais m'interdire. Hier, j’ai pleuré. En années, je
n’ai pleuré. Ce week-end ma sœur viendra.

Je me lève tard, les journées passent plus vite. J’ai le sentiment de creuser un trou. Les deux
pieds dans la merde. Je finirai par fleurir. J’ai échappé au pire. Un siècle plus tôt, je serais
aliéné. En asile.

Quand la souffrance s’arrête, on croit ne plus pouvoir souffrir. Et on se trompe. La Vénus de


Milo avait les bras tendus vers le bonheur. On sait ce qui lui est arrivé.

J’évite de relancer mes amis. Trop peur qu’on me demande comment je vais. Et d’avoir à
mentir. Quelques messages reçus. Le problème : l’historique.

Il faut retrouver un travail. Première phrase à l’esprit : bon à rien. J’ai raté le train. Je n’ai
pas de métier. Sans emploi, on s'enchaîne au vide. Avec, on s'enchaîne à la journée.

La question : réussir sa vie. Ne sera plus posée. Je peux être rassuré. Si on me demande ce
que je fais. Je répondrai : fou. À temps partiel.

Il me restera toujours la langue.

Mais personne pour l’écouter.

51
*

52
7. FICTIONS

J’observe des fictions


Jusqu’à me demander
Quelle fiction
Sera ma réalité

Contours du vide
Contours de ma vie

Mes pensées : arides

Le nom de l’inconnue

Une impression

Je vis en slow motion

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8. JOURS SANS NUIT

Connaître
Les jours
Sans nuit

J’entends

“Le meilleur est encore à venir”

Je me prépare au pire

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9. THESE

La vie ne serait
Qu’une idée, une thèse

Une longue parenthèse


Une phrase sans virgule

Les faits s’articulent

Instruction
Procédure

On se juge

L’audience est vide

Ce procès terminé

55
10. L’UN ET L’AUTRE

Je suis

Un autre

Moi est un autre

“Je suis fou”

C’est moi

Je m’entends dire :

“Plus jamais ça”

56
11. PERDRE ET GAGNER

Il faut avoir quelque chose à perdre


Pour perdre

J’ai déjà perdu

Le jour où j’aurai quelque chose à perdre


J’aurai gagné quelque chose

57
12. FIN

Redémarrer de zéro
Serait enviable

Appelez moi zéro


Je repars d’en dessous de la table

58
EUTHYMIE1

1
État psychique sans troubles de l’humeur.

59
S’ENFERMER

60
1. MIROIR

Pour une fois


Je ne vais pas te décevoir

Toi le même

Que je vois dans le miroir

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2. ENTRETIEN D’EMBAUCHE

Je tombe
Je me relève
Plus je tombe
Et plus je me relève

Nouvelle coupe de cheveux


Entretien d’embauche

Je ne leur dirai pas la vérité

Je leur raconterai une histoire


Qui n’aura rien à voir

Avec

J’apprends à survivre

62
3. TRAVAIL

Dès que je quitte le taff

Je divague

Mon esprit

Un vaisseau dans lequel j’embarque


Ce vaisseau est une barque

Sans rame

63
*

64
MÉDIAN
Il faut aller de l'avant. J’ai été embauché comme travailleur handicapé. Handicap invisible.
J’ai un secret. Mes collègues l’ignorent. Ce n’est pas écrit sur ma gueule. Je mens. Camoufle
les mois d’inactivité. Les changements de direction. Je suis un infiltré. Je suis double. Le
temps passe.

Je me métamorphose.

En insecte.

Quand je rentre chez moi, je peins. J’avais enterré ce projet. Lâcher prise. Et prise sur le
cours de mes pensées. J’ai des remontées. Sensations, souvenirs. C’est passager. Mais ça
m’effraie. Dans ces moments-là, j’écris. Ce qui me passe par la tête. Une conclusion. Si ça
sonne notamment.

Je collectionne des phrases. Courtes, les plus courtes possibles. Sans rechercher de mètre.
Un rythme. À contre temps. Il reste des choses qu’on ne peut pas raconter. Certains
connaissent une partie de l’histoire. Mais personne sa totalité. Même moi. Acteur aveugle. La
raconter. Des écrits me hantent. J’en ai perdu. Il en reste. Je les ai relus. Vue sur des strates
profondes.

Raconter autre chose. Ce qui me manque. Il faudrait trouver des images. Être factuel. Et ne
pas l’être. La somme de mes relations passées. Qui se répondent. Un amour normal. Changer
de regard. Mentir. Les mots sont impuissants. Mais, ils restent. L’âge adulte lui. Il commence
par la folie. On veut vous enfermer. Vous refusez. On vous enferme. Vous-vous enfermez.

J’en viens à regretter l’HP. La vie était chiante mais simple. On commémore les victoires, pas
les échecs. Je tiens même en échec l’échec. Cours de vie médian. Je ne finirais pas clochard.
Ou pas tout de suite. J’ignore si ce sera suffisant pour tordre l’existence.

J’ai les yeux rivés sur un écran. En fond, il y a le ciel. Une journée de plus : à compter les
heures, à rêver de vacances. Une journée de plus, à subir. Errance. Le café est moins
dégueulasse que la veille.

Je me coule un bain d’ennui.

J’ai arrêté d’en vouloir à la terre entière.

65
*

66
4. L'APPÂT DU GAIN

L’appât du gain
Moteur profond

De tout à rien
Une raison au fond

L’amour du prochain
Refrain lointain

67
5. LE COURS DU TEMPS

Le temps est une brute

Le cours du temps
Le comptable de la violence

Le sens de la lutte

Conter la romance

68
6. RETROUVER

Solitude habitée

On s’oublie
On se perd

Je me suis retrouvé

Entouré

D’objets imaginés

69
SE LIBÉRER

70
1. TU SAIS

« Tu sais, j’accepte encore de te voir »

Ai-je entendu
Un soir

La question s’est posée


Je suis un objet
Qu’on peut jeter

Remonter de dépression
Et se prendre un skud
Sans pression

Passe un orage

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2. LE PASSÉ

Le passé s’en va
Et me suit

Le faire mentir

Pour le faire taire

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3. LE CHEMIN PARCOURU

Une idée
Me traverse le crâne
À la perceuse

Parcours en ligne droite

Puis

Existence d’angles morts

73
*

74
ALLER RETOUR

J’enjambe les voies toutes tracées. Pas de petite amie, quelques amis. Un travail alimentaire.
Pour alimenter une fraction élémentaire de mon temps. Le reste : excroissances de ma
conscience.

Souffrir de maladie. Vivre avec une maladie. Et, entre les deux ? Je ne souffre plus, je souffle.
Une bougie de plus d’année passée en liberté. C’est déjà ça de pris.

Ce que j’ai trouvé : des formes inventées. J’ai le hasard logique. La logique est un jeu. Ce jeu
est fait de trajectoires qu’il faut cueillir en bouquet. Ces trajectoires déracinées, elles perdent
leur feuilles, on les jette. Il reste une tête à dévisager.

La vie est absurde. La vie est belle. Entre les deux, la vie est un aller-retour. Tiroirs de la
mémoire, maison de la raison. Apprentissage. Quel que soit notre âge. Viendra le printemps.
On fleure la misère. Par moments, j’ai l’impression de rattraper le temps. Je le sens. Je le
vois. Ne plus s’arrêter. Ne plus rêver. Si ce n’est éveillé.

Ce que j’ai en tête : les myriades d’accolades. L’amitié retrouvée. Parler avec d’autres que moi
ce dont nul autre que moi ne peut comprendre. Ce que je suis, pour l’un son père l’était. Pour
l’autre, sa mère l’est. On se sent seul, on est entouré d’êtres fragiles. Et de leur humanité.

Se demander quelle est la prochaine déchirure à venir. Tout ce que j’ai n’est qu’une ébauche.
Il faut croire.

Je ressens comme un vide. La folie a imprimé son circuit dans ma pensée. Par moments, je le
reconnais. Je n’ai plus peur de rien. Si ce n’est le bruit d’un grille-pain. Et des uns, que j’ai
effrayé. Et qui ne l’ont pas oublié.

Mon esprit est poli. Je rêve de légèreté. Je fais un vœu : ne plus revivre l’ennui. Alors je le
décris. Et l’ennui prend une autre vie. Rayer un mot, une phrase. Elle n’est pas sur les rails.
Trop dans l’emphase. Remplir la feuille. Avaler la mer. J’appelle le service client. Réponse :
ce n’est que de l’eau.

J’ai l’eau à la bouche

Et je tire sur le mors

75
*

76
4. TRANSPARENT

Arrivée en départ

J’efface ce qui reste


Du pentacle sur le miroir

Il se délite
Se déforme

Derrière
Rien

Devant
Un océan

Bientôt

Il sera transparent

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5. APOSTROPHE

Changer de décor

Mon corps se tend

Je lâche du leste
Garde le reste

Il n’y a rien à rétablir

78
6. COMME ELLES

Je souris

Mes lèvres tremblent

Je fais comme elles

Je me relève

79
80
.
*

H istoire&
Monument
.
.
.
.
.

81
82
*

H istoire

83
ACTE 1 - LA RENCONTRE

1.La fête
2. Au son des oiseaux
3. L’automne
* CONTACT *

4. Danger
5. Impression
6.Le possible / L’interrogation

ACTE 2 - SE REVOIR

1.Le rendez-vous
2. L’hiver
3.Divin

* CONNEXION *

4. Mirage 5. L’inconnu
6. Pensées

ACTE 3 - L’AMOUR

1. Au commencement
2. Au féminin
3. Tension
4. Valse
5. Une fleur
6. Tendre
* LANGUE *

7. Tempête
8. Science
9. Tes bras
10. Empire
11. Demain
12. Or

84
85
ACTE 1 - LA RENCONTRE

86
87
1. Fête

Moins d’un jour


Plus d’une nuit
La fête est belle
Mais la fête est finie

88
2. Miroirs

Les miroirs reflètent


Un peu de lumière sur votre peau

Les rideaux retiennent la nuit


Le désastre, lui

Entre en chantier

89
3. À terre

Matin
Rien ne bouge

Ciel austère

Si elle était une fleur


Elle serait Aster

Les gestes

Sont à taire

90
*

91
CONTACT

Hasard. Une fête. Je n’ai rien demandé. J'étais là. Un regard. Surprise. Réciprocité. Trois
mots. Rien d’explicite. Un autre endroit. Trois mots de plus. Un autre regard. Plus appuyé.
Une phrase. Tout est sonore.

La fête s’enfonce. On hésite. Tomber d’accord. Descendre les escaliers. Là, s’arrêter. Marcher.
Une porte. Elle s’ouvre sur un :

“Au revoir.”

Puis, sur un corps. Une décoration. Des rires. Un rythme. En trois temps. Reconnaître une
plasticité. Vérité. Constat. Aveu. Rétine. Images.

Ne pas se revoir. En la quittant j’ai dit :

“Oui, mon Capitaine”.

Il reste une impression, des couleurs, plus de trois dimensions. Le temps s’est compressé. Il y
avait quatre mains. Des anches. Être prêt. Demain est advenu. C‘était hier.

Je pense : danger.

Un contact est créé.

Ce livre. Ce livre dont j’ai parlé. Italien, Renaissance. Je l’ai lu il y a des années. Le titre…
Oublié. Le Courtisan de Castiglione.

Baldassare, si tu m’entends…

- Que faire?
- Jouer.
- Ignorer les sens interdits?
- Et avouer.
- Ce livre : c'est Castiglione.

Offrir Le Courtisan, et courtiser.

C’est être franc.

Je lui dirai : c’est un cadeau que je fais souvent.

92
*

93
4. Parenthèse

Oublier

Parenthèses Virgules Décence

Mais,

Un livre est commandé

Il fait sens

94
5. Objets trouvés

Une greffe

Ici, un cœur
Des mots

En cas de besoin

Je les reconnais
Aux objets trouvés

Ils prennent chaire

95
6. Interrogation

Je suis
Sur un rond bouclé

Vide
L’interrogation

Plein
Le possible

Je les fixe
Comme on fixe le manque
Ils échangent chacun leurs noms

Ajoutons des dimensions

Profondeur
Temps

Ça y est

Ils entrent en relation

96
ACTE 2 - SE REVOIR

97
1. Bonjour

“Bonjour, mon Capitaine”

Recevoir en atterrissage

Une interrogation

S’en suit des accrochages

Une littérature

On la croit vieille

En réalité

Elle est bien plus ancienne

Se jeter à la mer
Icare ne s’en souciait

98
2. Désert

Un lit exempt
Des mots exsangues

Soyons snobs
Noyons nous dans le désert

La réalité est hors champ

99
3. Le rendez-vous

On ne sait que dire dans ces moments là


“Qui êtes-vous,
Que voulez-vous?”

Alors on dit n’importe quoi


Des choses importantes
Sur tout
On ose parler
À mi mots

Pour plaisanter

On aimerait ne rien dire

Pas même

“Je vous veux”

En un sourire

Ou bien

“Je vous aime”

En silence

Vos cils lancent


Des jeux de correspondances

100
*

101
CONNEXION

Restaurant. Réservation. Jour convenu. A son arrivée. Elle dessine sur la nappe en papier :
tête de mort et nuages. Je n’ai plus les codes. Habituellement, je fais tout très vite. J’ai été
bouffon. Elle rit. Me regarde avec des yeux ronds. Semble intéressée.

J’ai bu. Très vite. Elle aussi.

Bien sûr, la comédie est un art. Elle a sa poésie. Elle dit la vérité, dans des mensonges. Des
blancs, des roses. On en fait un mur de brique. Ils donnent une image à voir. Ils proposent.
Je ne suis pas d’ici. Je donne l’air. Je ne donne rien d’autre. Elle ne voudra plus me voir.
Croquemort loufoque.

Elle l’a deviné, je suis fou. Les digues ont cédé. La marée monte. Même les fous ont le droit
d’aimer. Il y a des risques évidemment. Évitons d’y penser. Autant arrêter de vivre. Cette
folie est acceptée.

Je l’ai à la tête. Et au cœur. Ils se disent des choses que j’ignore. Après examen, permis de
rêver. Sentiments étranges. La langue des sentiments. Celle des relations. Je cherche une
connexion. Me rattraper. Cette fille est un poème. Lui écrire un poème. Sauf que je ne suis
pas poète.

Je n’oserais écrire : “Dieu s’en est mêlé”. De peur de lire. “Pas la piété par pitié”. C’est
dommage. Du ciel, il pleuvrait du vin. Je peux continuer. Ton corps : un musée. Oeuvres du
passé : sculptures des formes, paysages des pensées. Normes dont il faut abuser.

L’art est fait pour être dépassé. Je suis dépassé. Je serais une œuvre d’art.

Mes connexions neuronales vrillent.

Envoyer quelques mots :

Ma peau aime
Ta peau
Ta peau aime
Ma peau
Nos peaux
Aiment
Ce simple poème

J’ai déconné.

102
*

103
4. Evidence

Extérieur nuit
Calme apparent

Une évidence

104
5. Vague

Nouvelle fréquence

Il y a une vague

Je coupe
Une relation

Que j’avais

Avec moi

105
6. L’hiver

Dehors
C’est l’hiver

Le ciel pleure

À la rigueur
J’oppose la rigueur

D’une alcôve
D’un boudoir

Au sol
Des vêtements

Qu’on a laissé choir

Comme on entre en ville


A bord d’un char

106
ACTE 3- L’AMOUR

107
1. Rééducation sentimentale

Ma peau fleurit

Il faut me rappeler
De respirer

Rééducation
Sentimentale

Facile
Félicité

Certains mots pèsent

Les entendre
Apaise

108
2. Au féminin

Livres idiots
Membres idiomes

Totalité
Hors du monde

Imperfection au féminin
Donne
Une perfection

109
3. Accords

L’infrastructure de ce monde

Et

Ta bouche : une fleure

Changements mineurs
Conséquences majeures

110
*

111
LANGUE

Le bonheur frappe à ma porte. Je le laisse entrer. Il s’assied. Je lui demande ce qu’il veut. Il
sourit. C’est connu : le bonheur sourit. Je lui sourit. Soudainement, le ciel est plein.

Depuis que je la connais. La vie a certaines qualités. Elle donne à cette vie certaines de ses
qualités. Avant, j’étais en défaut et la vie me faisait payer. Depuis, il y a des regards
complices. Des paupières lourdes. Qu’on plisse sous l’égarement d’un jeune éléphant. Nous
ne faisons rien de mal. Sinon de la géométrie.

Personne ne nous apprend à aimer.

C'est un train qui entre en gare en retard. On attend. Impatient. En colère contre la terre
entière. Contre soi aussi. Patience : impatience diluée. On ne cherchait plus de sens.
Pourquoi toujours trouver un sens?

Alors, on commande de l’amour. L’amour ne se commande pas. C’était avant elle. Enfin, le
train. Le voilà.

Plus rien n’a d’importance. Pas plus que l’heure qu’il est à tout moment d’une journée d’été
où on ne fait rien si ce n’est farniente.

Bien sûr, je suis fou, si ce n’est d’elle. Une passagère, ses bagages. Ils sont faits d’histoires, de
mots inventés.

Pourquoi inventer des mots? Et pourquoi pas. Puisqu’il faut nommer.

Il faudrait une langue neuve. Pas pour la terre entière. Non. Cette langue n’aurait pas de
mots. Encore moins de sonorités. Elle serait faite d’images. Et chaque sentiment aurait son
image.

Tu me lirais. Me relirais. Tu lirais même mes ratures. Et me parlerais, comme si je faisais de


la littérature.

Bien sûr c’est impossible. Mais l'impossible brasse les possibles. J’ai des insomnies. Dans
mon œil, ton corps naît. J’effleure ton corps, sage.

Je t’envoie ce simple message :

Je t’embrasse

Il est tard.

112
*

113
4. Danse

Temps absent

Nuit sans sommeil


Épave au réveil

Laisse-moi te draguer
Hors des eaux boueuses

Je lui parle

Elle danse

114
5. Tempête

Des lèvres
Un livre ouvert

Y déchiffrer

Les plaisirs d’hier

Lit, lieu pour

Communion des corps


Religion inventée

Tu serais déesse
Moi
Apôtre tourmenté

On nomme les tempêtes

Je nommerai celle-là

115
6. Tendre

Charge symbolique
Zone franche

Tentative vaine :

“Je te sens
Dans mes veines”

Si les formes pouvaient rimer


Je te peindrai un poème

Poétique du Tendre

Déraison
Au diapason

116
MONUMENT

117
ACTE 1 - LA DÉRIVE

1. Objet
2. Nous
3. Parfait
4. Mer
5. Attente
6. Narration

* PARADIGME *

1. Le quotidien
2. Puis
3. Amer
4. Rouge et vert
5. Fatigue
6. Je suis

ACTE 2 - LA CHUTE

1. Statu quo
2. La prière
3. Erreur quatre-cent-quatre

* IMMOBILE *

4. La quiétude
5. Rêve
6. Sans mesure

ACTE 3 - L’ABSENCE

1. Réveil
2. Deuil et Requiem
3. Echéance

* EPUISÉ *

4. Le sens
5. Vent
6. Fini de jouer

118
119
ACTE 1- LA DÉRIVE

120
1. Temps

Sur le cadran
Le temps est fixe
Bien qu’en mouvement

Nous ne le voyons pas bouger


Si ce n’est subrepticement
Serait-ce que
Nous vivons tout simplement
Un peu plus lentement

Que le temps

121
2. Le quotidien

La vie du quotidien

Vient à bout
De tout

Douce implosion

Qui naît
Dans l’attente

122
3. Amer

Soleil éteint

Ce bonheur

Sans constance

Aura une fin

Pas dans l’heure

Mais

Dans une autre heure

Un sucre à la mer
Dissout
Est amer

123
*

124
PARADIGME

Je ne suis qu’un objet dans le décor. J’essaie encore. Le film est sorti du cadre. Absence de
sublime. Il se résume par : être ensemble, parce qu’on a rien à faire de mieux. Jusqu’à ce
qu'on devienne vieux.

Comment se tromper à ce point?

Une définition de l’amour : faire passer son intérêt après. Mais tu restes en retrait. Et je suis
loin derrière.

Changements systémiques.

Nouveaux paradigmes.

La terre s’est fendue. Une à une, les fissures se sont déshabillées. Je les vois. Dans leur
nudité.

Tragédie de l’ennui. Et celle de l’ignorance. La teneur des lendemains : aléatoires. Notre


château est un château de cartes. Bien sûr il faut sourire. Te demander ton avis. Car sur tout
tu as un avis. Puis se remémorer : un sourire comble des mots oubliés.

Regards. Sourires. Caresses. Tout est superficiel. On se trompe parfois. Alors, on décale. On
ne se demande pas si on s’aime. On demande ce qu’on aime. Comment nous aimer. On
trompe l’amour. On joue des rôles. Tu sembles heureuse. Je suis content.

Ce jeu dure un temps. Il faut faire des efforts. Essayer. S’accrocher. Même un je t’aime est
métallique. Il faut y croire. Avoir la foi. Comme on croit en Dieu. Sans aucune preuve.
L’amour est un miracle. Si tu m’entendais : tu lèverais les yeux au ciel. Et pas pour
remercier. Tu me dirais : ton amour est crucifié. Je répondrais : une croix est un T, muni
d’un appui tête. Le voilà ressuscité. Pour trois jours.

Les projets d’avenir deviennent flous. Entre nous, l'espace s’étend. Le soir, on échoue dans
un lieu de repos sensuel et triste. L’ennui prédomine. On est victime de ses certitudes. Elles
ont des conséquences. Injustes. Tu me demandes de me justifier. Bonheur d’hier. Le plaisir a
cessé. La souffrance a commencé. Aucun médicament pour nous soigner.

Tu t’es endormie.

J’éteins.

Bonne nuit.

125
*

126
4. La prière

Qui a oublié

La prière

Qui guérissait des mots

Un regard
Touche

Une parole
Blesse

Une bouche
Embrasse

Une parole

Confesse

127
5. Petites preuves

Perdre foi
En nos habitudes

Le rire, ses éclats


Sont à terre

On leur marche dessus

J’ai créé un monstre

128
6. Je fuis

Au commencement
Il y avait le verbe aimer

Puis

Nous nous sommes enfermés


Dans une prison feutrée

129
ACTE 2 - LA CHUTE

130
1. Statu quo

Nous sommes une armée


Qui entendait

“Battez-vous”
Lorsque nous avions cessé de nous battre

Et

“Ne vous battez pas”


Lorsque nous voulions combattre

131
2. Fatigue

Il reste

Une fatigue émotionnelle

Des petites preuves


Un grand procès

132
3. Défilé

J’ai des mots


Ma raison, ma vie

Et je vois défiler
Ce qui était ma raison de vivre

133
*

134
IMMOBILE

Ma solitude est un fait. Je ne suis qu’un dans mon corps. Et si je voulais t’accueillir. Nous
serions deux solitudes en devenir. Tu ne verras jamais la même chose que moi. Et je ne verrai
jamais la même chose que toi. Mes yeux sont à moi. Tes yeux sont à toi.

Nous ne parlons plus la même langue. Aucune traduction n’est possible. Le seul message qui
filtre est agressif. Cette personne que tu aimes, je ne l’aime pas. Ce vêtement que tu portes, je
ne l’aime pas. Le ton que tu as, je ne l’aime pas.

Reproches. Éviter les traits d’humour. Ils pourraient être interprétés. Rester factuel. Phrases
usuelles. Mots usés. Nous avons usé la langue. Une figure, dévisagée. La tension entre nous
est silence. Je ne sais par quel angle te prendre.

C’est de ma faute. J’aime trop les mots. Je n’écrirai pas de livre sur cette histoire. Ou ce sera
un pamphlet. On nous demande de nous accoupler. Faites des enfants, faites un prêt. Famille
nucléaire muselée. Ne vous demandez rien. À part ce qui passe à la télé.

Ne rien faire d’extraordinaire. Rester immobile. Se contenter de cette immobilité. Soit le


bonheur suit, soit il fuit. Surtout, ne pas courir après. Ça serait avouer qu’il est absent. Entre
toi et moi, il manque une chaîne. Pourtant, je la sens.

Je regarde ton ombre. Souvenirs. C’est tout ce qu’il reste. Bons souvenirs. Les seuls qu’on
voudrait garder. Mais, non. Seuls à deux. Dernier souvenir amoureux.

Je ne veux plus souffrir. Ni te faire souffrir. Bien sûr nous étions ignorant. Ce n’est pas de
notre faute. Ni celle d’un autre. Nous l’avons voulu. Nous l’avons eu. Nous nous sommes
lassés. Enfantillages.

Par inadvertance. Tuer ce qu' on aime. Sans s’en rendre compte. Inconsciemment. J’avais
l’impression de perdre mon temps. Et ne pouvais repasser les plis du temps perdu.

Le palais des songes est en ruine.

135
*

136
4. Erreur

Statut
Non résolu

Dossier
Trop lourd

Connexion

Impossible

137
5. Réel

Tout était vrai


Mais
Rien n’était réel

Saisir l’aperçu
Et tout perdre

Si j’avais su

La muse
S’excuse

138
6. Sans mesure

Stopper l’hémorragie

Une longue conversation


Des cris
Un mot sous la porte

Oeil violet

Derniers sentiments

Culpabilité

Et

Soulagement

139
ACTE 3 - L’ABSENCE

140
1. Réveil

Amour

Rêve éveillé

Rupture

Réveil assommé

141
2. Vent

Nous nous étions donné le droit


De nous aimer
De nous flatter

Nous sommes devenus


Deux étrangers

Images violentes
Propos violents
Sentiments violents

Qu’en est-il?

Sinon du vent

142
3. Échéance

Respiration sans mesure


À la marge
Pauses, cassures

Tomber amoureux
Tentative salutaire
Rêve utilitaire

Pour

Une déchéance
A courte échéance

143
*

144
ÉPUISÉ
Je zone. Je trébuche sur un cadre sans image. Un soupir. L’amour est mort et la mort prend
sa place. Elle ne frappe pas. Elle entre. Elle est omniprésente. Chaque pas fait. Chaque parole
dite. Il y a un prix à payer. Je n’ai pas les moyens. Le résultat est là. Je n’ai plus aucune
obligation. Envers qui que ce soit.

Une vision de l’enfer. N’avoir honte de rien. Je suis vide. Pensées arides. Coeur desséché. Des
membranes. Sans rien dedans. Même la mort pleure. Elle n’est pas seule. L’amour meurt :
bien ou mal. Surtout mal.

Amputé.

Ce que je tiens dans mes mains : rien. Au-dessus de mon épaule : une absence. Joies perdues,
rires enterrés, espoirs vaincus.

Après l’éruption

Il ne reste qu’une dalle de béton

J'avais laissé ma liberté à tes pieds. Je l’ai ramassée. Tu as dit quelques mots. J’ai préféré ne
pas écouter. Nous nous sommes aimés. Maintenant, il faut cicatriser. Continuer. Ne pas
s’arrêter. Faire semblant. Ce sont des choses qui arrivent. Elles sont arrivées. Je ne suis pas
le seul. Mais je me sens seul. Je sais qu’il n’y a plus rien à faire. J’attends l’oubli.

Sentiments hors-sols
Le soleil
Ils entrent là-dedans

S’en remettre au hasard. Il était là avant le verbe. On l’avait enfermé. Dans une vie normée.
Écarts radicaux. Sémantique brûlée. Folie, lucide. Modernité inventée. Plus cent ans ont
passé.

Rendez-nous la langue.

La norme : en mouvement. La logique : éclairée d’un regard nouveau. On constate. Des


raisons résonnent. On escalade des murs. Sans les voir. Un enfant le voit. On le nomme
aliéné.

Il n’y a rien de général.

Je suis particulier.

145
*

146
4. Duel

Devenir un autre

Duel

Tuer cet autre

Recommencer

147
5. La quiétude

Faire un tour

De la question

Il fait froid

On a oublié ses chaussures

La pluie tombe

Je m’élève

148
6. Sourire

Tête vidée

Crâne évidé

Je redémarre

Ça gangrène

Un sourire

Se suicide

149
150
UN PAS DE CÔTÉ
On ne perd pas la raison. On fait un pas de côté sur le commun de l’entendement. Nous portons tous
en nous la déraison, certains la connaissent de manière plus intime que d’autres.

Notre cerveau d’être humain est intrinsèquement fragile. Nous avons tous perçu en nous la colère
sourde, le soulagement divin, l’amour fou.

Avant tout, cette différence est une histoire. Un soignant se basera sur ce matériel élémentaire : l’acte
de parole précède l’acte de guérison.

DE L’AUTEUR
Je n’ai pas écrit pour guérir
Je n’ai pas écrit ce livre pour guérir, ni pour me libérer. Je l’ai écrit parce que je le pouvais : les mots
étaient là, il n’y avait qu’à les saisir, les relire, les agencer.

Le seul réel travail a été de trouver une forme. Une fois cette forme trouvée, il a fallu combler des
vides. Puis de nouveau modifier la forme. Trouver une nouvelle narration. Revenir en arrière et
recommencer.

La perte de sens
Les troubles psychiques sont perçus comme une perte de sens. Dans mon expérience, elle s'apparente
à une recherche de sens qui répond à une logique interne, perturbée d’hallucinations. Le sujet ne
cherche pas le sens : il le trouve. L’altération des facultés cognitives rend ce raisonnement - de
l’extérieur - illogique.

C’est une expérience des degrés de conscience.

L’histoire amoureuse est un trop plein de sentiments. Il y a l’impression d’avoir enfin saisi la vie, puis
celui de tout perdre. C’est ce qu’on ressent en crise : on se connecte à soi, cet autre contenu en nous,
puis on chute. L’un comme l’autre sont une expérience du plein et du vide : du certain à l’incertain.

S’ensuit la mélancolie, symptôme d’une rupture profonde : avec l’autre ou avec l’image que l’on se
faisait de soi.

Je ne suis pas mes écrits


Je ne suis pas mes écrits, ou je ne le suis qu’en partie. Ne m’enfermez pas dans ce livre, il n'est qu'un
moment.

Bien sûr, ces récits ont un dénominateur commun. Mais, je ne suis pas une personnalité fixe, ni dans
le drame, ni dans l’extase.

Chaque être humain porte en lui ses propres mythologies.

151
Mon histoire est celle d’un autre qui n’a pas essayé de la mettre en mots. Nous sommes faits de
failles, auxquelles on ajoute le trou béant du silence. Ce silence est une plaie, souffrir en silence c’est
souffrir une fois de trop.

DU RÉCIT
Un angle clinique
J’ai abordé la crise sous un angle clinique selon les étapes du trouble encadré par l’acte
d’enfermement médical à l’enfermement social.

J’ai tenté de simplifier sans travestir. J’ai cherché à définir plus qu’à raconter et cette définition s’est
mue en narration.

Le récit amoureux tend également vers une essentialisation de l’amour en fuite. Il est le résultat du
dialogue entre trouble amoureux et psychique.

La question de la forme
La poésie implique de poser la question de la forme. La poésie contemporaine l’a libérée. Pour faire
un parallèle avec la peinture, on pourrait dire que des formes abstraites sont venues remplacer les
canons figuratifs.

Cependant, l’abolition de la forme engendre aussi une perte : on ne peut jouer avec ce qu’on a perdu.
C’est ce jeu que j’ai voulu retrouver : créer un objet, qui détient sa logique singulière.

J’ai créé par tâtonnements, une nature sui generis, propre à cet ouvrage qui emprunte à l’un pour
donner à l’autre. Une dynamique de flux, qui se tient puis se relâche.

Un caractère cyclique
Parmi les émotions rencontrées dans ces textes, on retrouve la colère et l'apaisement ; un coupable qui
est aussi une victime. Ces évocations ont un caractère cyclique, que traduit l’agencement des deux
recueils. On débute par une histoire de déraison qui se conclut par l’impossibilité du sentiment
amoureux. Puis, on entame une histoire d’amour qui pourrait annoncer une crise.

Écrire c’est se relire, se répéter ; et aussi un moyen de ne plus se répéter.

152
La matière des sentiments

Un jour viendra où l’on découvrira la matière des sentiments, dans l’attente ils nous paraissent
impalpables. Pour les comprendre, il ne nous reste que les mots, les gestes et les images.

153

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